56
libre? De Bogotá à Stockholm, les nouvelles solutions pour lutter contre le trafic (!4BD64F-eabacj!:m;o Belgique Le concert privé, un must Sommet de Rio Une ville pas vraiment écolo Ukraine La kippa et le ballon rond Belgique : 3,90€ / Luxembourg : 3,90€ courrierinternational.com N° 1128 du 14 au 20 juin 2012 Belgique 3,90 € Séries Tel-Aviv cartonne à Hollywood La drogue

Courrier International du 13 juin 2012

  • Upload
    sa-ipm

  • View
    248

  • Download
    10

Embed Size (px)

DESCRIPTION

La drogue Libre

Citation preview

Page 1: Courrier International du 13 juin 2012

libre?

De Bogotá à Stockholm,

les nouvelles solutions pour lutter

contre le trafic

����������� ������

Belgique Le concert privé, un must

Sommet de RioUne ville pas vraiment écolo

UkraineLa kippa et le ballon rond Be

lgiq

ue : 3

,90

€ / L

uxem

bour

g : 3

,90

courrierinternational.comN° 1128 � du 14 au 20 juin 2012

Belgique3,90 €

Séries Tel-Aviv cartonne à Hollywood

La drogue

Page 2: Courrier International du 13 juin 2012

Le Rhin romantique, un trajet exceptionnel où le fleuve serpente entre rochersabrupts, petites îles et châteaux forts qui dominent des coteaux de vignobles témoins d’une histoire mouvementée, enrichie par les légendes. La Moselle, bordéede vignobles s’élevant sur des coteaux escarpés, de châteaux forts, d’authentiquesvilles et villages aux toits d’ardoises, ornés de colombages de style médiéval.

À bord du MS Douce France, vous traverserez les villes de COCHEM – ALKEN – COBLENCE – BOPPARD – RUDESHEIM – MAYENCE – STRASBOURG

VOTRE BATEAUBateau à 2 ponts, 79 cabines toutes équipées de chauffage central, climatisation,douche, salon avec piste de dance et bar.

UN PROGRAMME SIGNÉ LA LIBRE !Deux fleuves > Le Rhin romantique et la Moselle pittoresque.Découverte insolite du château de Cochem • Alken et le château ThurantCoblence, Rudesheim • Mayence et le musée Gutenberg • conférenciers à bordet accompagnement La Libre Belgique • repas gastronomiques 4 et 5 services avec une sélection de nos meilleurs vins • transport & transferts inclus.

VOYAGE EXCLUSIF LA LIBRE BELGIQUE

NE RATEZ PAS CETTE CROISIÈRE EXCEPTIONNELLE PLACÉE SOUS LE SIGNE DE LA FINE GASTRONOMIE.

RETROUVEZ LES GRANDS CHEFS DE CROISIEUROPE QUI RIVALISERONT POUR VOUS PROPOSER DES PLATS UNIQUES.

NOUVELLE CROISIERE GASTRONOMIQUE

LE RHIN & LA MOSELLELA MAGIE DE DEUX FLEUVES

DU 19 AU 23 OCTOBRE 2012PRIX SPÉCIAL LA LIBRE GASTROPont Principal > 999 € par personneSupplément Pont Supérieur > 67 € ppSupplément cabine individuelle > 155 €

Le prix comprend > le transfert en autocar aller et retour de Belgique • les excursions mentionnées dans le programme : Cochem, Thuran, Rüdesheim, ladégustation de vin à bord à Boppard, le Rüdesheimer Kaffee • la croisière enpension complète du dîner du 1er jour au petit déjeuner buffet du dernier jour• le déjeuner du jour 5 en cours de route boissons incluses (les boissons in-cluses aux repas pris à bord) • le logement en cabine double climatisée avecdouche et WC • l’animation, l’assistance de notre animatrice à bord • le cock-tail de bienvenue • la soirée de gala • l’assurance assistance/rapatriement •les taxes portuaires. Ce prix ne comprend pas > les boissons prises au bar •l’assurance annulation/bagages • les dépenses personnelles.

INFORMATIONS ET RÉSERVATIONSCROISIEUROPE Tél 02 514 11 54

Lic

: A 5

500

Page 3: Courrier International du 13 juin 2012

n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012

Editorial

Recette portugaise

Avez-vous déjà fumé un joint ?Il y a vingt ans, Bill Clintonreconnaissait avoir essayéau cours de ses études enGrande-Bretagne, ajoutanttoutefois qu’il avait peu goûtél’expérience. Barack Obama,lui aussi, a admis avoir “inhalé”de la marijuana. En Europe,

78 millions d’adultes âgés de 15 à 64 ans déclarentavoir déjà expérimenté le cannabis au cours de leurvie. Autant de délinquants, puisque, dans la plupartdes pays, la consommation de stupéfiants relève destribunaux. A peine ouvert par l’écologiste CécileDuflot, le débat français sur la dépénalisation de ladrogue a aussitôt été refermé par le chef du gouver-nement, qui redoutait de tomber dans un piège élec-toral. Rien à voir, fermez le ban. C’est dommage.Fidèle à sa tradition de curiosité, Courrier interna-tional a donc décidé d’aller regarder ailleurs com-ment évolue le débat. En Amérique latine, parexemple, où le président colombien, Juan ManuelSantos, a lancé en novembre dernier un appel enfaveur de la légalisation de la drogue. En juin 2011,déjà, la Commission mondiale pour la politique desdrogues, qui n’était pas précisément un ramassis devieux hippies (Kofi Annan, Javier Solana et l’ancienprésident de la Fed Paul Volcker en faisaient partie),avait encouragé dans son rapport final “l’expérimen-tation de modèles de régulation légale des drogues”. Quantau Portugal, il n’a pas attendu, le pays s’est mêmeforgé une image de laboratoire international, depuisque, voilà onze ans, le gouvernement a aboli les sanc-tions pénales pour les tous les stupéfiants. Surprise :la consommation de drogue non seulement n’a pasexplosé, mais aurait même plutôt baissé. Depuis, desEtats-Unis à la Norvège, des experts du monde entierse rendent à Lisbonne pour tirer les leçons du casportugais, même si les études divergent quant à l’effi-cacité des mesures mises en place. La France, elle,continue de se boucher les narines quand flotte unpetit parfum de marijuana, en s’en tenant à un appa-reil aussi répressif qu’inefficace : selon l’enquêteEspad 2011, dont les résultats viennent d’être publiéspar l’Observatoire français des drogues et des toxi-comanies, près de 39 % des jeunes de 15 à 16 ansreconnaissent avoir déjà consommé au moins unefois dans leur vie du cannabis, contre 31 % en 2007.Les jeunes Français se classent ainsi au premier rangeuropéen des usagers récents de cannabis (au moinsune fois au cours des trente derniers jours précé-dant l’enquête). Eric Chol

� En couverture : photo extraite de la sérieaméricaine Weeds, où une mère de famille devient trafiquante. (RUE DES ARCHIVES)

3

Sommaire

4 Planète presse5 A suivre10 Controverse

Belgique6 Tendances Un concert à la maison,c’est possible7 Aménagement du territoire Moins de champs, plus de chevaux

En couverture12 La drogue libre ? Un débat mondialEn Amérique latine et en Europe, la question de la légalisation de la drogue refait surface. Mais de quoiparle-t-on ? De la dépénalisation de la consommation ? De la libéralisation du commerce ? Du contrôle de la production ? Dequelles drogues ?Les Etats sont encoreloin de répondre à toutes ces questions.

D’un continent à l’autre 19 FranceLégislatives Des bords de la Loire à MatignonLittérature Le grand Meaulnes, un éternel adolescent21 Europe Grèce Après la colère, la peur de l’isoloirAllemagne Berlin, son aéroport, son opéra et tout ses chantiers en retardUkraine La kippa et le ballon rondFootball Le dernier espace de “poésie“Russie Une société au bord de la fractureSuède La messe techno devient culte26 AmériquesEtats-Unis Les grandes oreilles de la policeBrésil A Rio, la vie n’est pas si verte

28BrésilA Rio, la vie n’est pas si verte

30 Asie Afghanistan-Pakistan La galère des camionneurs de l’OtanChine Un rein pour payer ses dettesLaos La nouvelle vague du cinéma33 Moyen-OrientTurquie L’obsession nataliste d’ErdoganDérive La tentation autoritaire des islamistes au pouvoirSyrie Hier ambassadeurs, aujourd’hui chômeursEmirats arabes unis Le malheur du Liban fait le bonheur des épousesEgypte Adieu ma révolution !36 Afrique Kenya La révolution haut les mursGambie La débrouille, ma patrie !Libye Une violence chasse l’autre39 Dossier emploi Mobilisation La solidarité, c’est bon pour trouver du travail

Long courrier46 Arts plastiques L’orientalisme revu et corrigé de Lalla Essaydi49 Cuisine Un peu de géopolitiquedans l’assiette 50 Séries télé Tel-Aviv cartonne à Hollywood55 Insolites Libérer 500 kilos de serpents, c’est bon pour le karma

ÉDO

UAR

D C

AUPE

IL

39 Dossier emploiLa solidarité, c’est bonpour trouver du travail

38LibyeUne violence chasse l’autre

Page 4: Courrier International du 13 juin 2012

Planète presse

Bangkok Post 55 000 ex.,Thaïlande, quotidien. Fondéen 1946, ce journal indépendanten anglais, réalisé par une équipe internationale,s’adresse à l’élite urbaine et aux expatriés.The Christian ScienceMonitor (csmonitor.com)Etats-Unis. En proie à desdifficultés financières, cet élégant tabloïd fondé en 1908 à Boston et lu fromcoast to coast a cessé d’êtreimprimé quotidiennement le 27 mars 2009, pour mieuxconcentrer ses efforts surson site Internet. Une versionpapier continue toutefois deparaître hebdomadairement.Dagens Nyheter360 000 ex., Suède, quotidien.Fondé en 1864, c’est le grandquotidien libéral du matin.Sa page 6 est célèbre pour les grands débatsd’actualité. “Les Nouvellesdu jour” appartient au groupe Bonnier, le plusgrand éditeur et propriétaire de journaux en Suède. Fokus 22 000 ex., Suède,hebdomadaire. Créé en décembre 2005, le titreest le premier hebdomadaired’informations générales de Suède. Créé sur le modèle de Newsweek, ilmêle actualité de la semaine,analyses et reportagesambitieux sur la politiquenationale et internationale,les questions de société,l’économie et la culture.Folha de São Paulo330 000 ex., Brésil, quotidien.Née en 1921, la “Feuille de São Paulo” a fait, au débutdes années 1980, une curede jouvence ayant pourmaîtres mots : objectivité,modernité, ouverture. Lequotidien est devenu le plusinfluent du pays, attirantl’intérêt, entre autres, d’unejeune élite qui se bat pour laconsolidation de la démocratie.Gazeta Tema 12 000 ex.,Albanie, quotidien. Ce titre indépendant, né en juillet 1999 et édité parla société Media Enter, estdirigé depuis l’origine parMero Baze. Son équipe, qui

avait adopté une attitudeouvertement critique enversle gouvernement de l’époqueconstitué par une coalitionde gauche, continue de suivrela ligne de la transparence.Göteborgs-Posten50 000 ex., Suède, quotidien.Ce journal libéral de centredroit est avant tout un journalrégional. Réputé pour sonsérieux, il a tout de mêmeadopté le format tabloïd des quotidiens populaires.Huanqiu 257 000 ex.,Chine, bimensuel. Créé en 1980 par l’agence officielleXinhua, “Globe” compte unecentaine de correspondantspermanents basés à l’étranger. Le magazine est apprécié pour la qualité de ses grands reportages. Ils’adresse à une élite cultivéede la classe moyenneurbaine, et son lectorat estessentiellement masculin.Jadaliyya (jadaliyya.com),Etats-Unis. “Polémique” est un webzine indépendantédité par l’Institut d’étudesarabes basé à Washington.Lancé en juillet 2010, il propose des articles de journalistes et écrivainssur des sujets politiques,économiques et culturelsconcernant les pays du monde arabe.The Jewish Journal65 000 ex., Etats-Unis,hebdomadaire. Fondé pardes laïcs de la région de LosAngeles, c’est à la fois unepublication locale et unespace de réflexion surl’identité et les problématiquesjuives. Le magazine juif le plus lu des Etats-Unisaprès ceux de New Yorkconsacre une large part aux articles d’analyse.

Jüdische Allgemeine13 000 ex., Allemagne,hebdomadaire. Né àDüsseldorf en 1946, venus’installer à Berlin en 1999, le plus grand hebdomadairede la communauté juive estproche du Conseil centraldes Juifs d’Allemagne. Il se singularise par sessuppléments culturels et son nouveau magazine,Die Jüdische Illustrierte,inscrit dans la tradition des années 1950. Al-Mustaqbal 10 000 ex.,Liban, quotidien. Fondé en 1999 et spécialisé dans lapolitique, “L’Avenir” appartientà l’empire médiatique de l’ex-Premier ministrelibanais Rafic Hariri(assassiné le 14 février 2005).Nezavissimaïa Gazeta42 000 ex., Russie, quotidien.“Le Journal indépendant” avu le jour en 1990. Démocratesans être libéral, dirigé par Vitali Tretiakov, unepersonnalité du journalismerusse, il fut une tribunecritique de centre gauche. Il est aujourd’hui moinsaustère, plus accessible, et moins virulent.Now Lebanon(nowlebanon.com) Liban.Créé en 2007, le site proposeune couverture de l’actualité,des analyses et une basedocumentaire – ainsi que des cartes – concernantla vie politique du Liban sur le plan intérieur

et international. Une versionanglaise reprend certainesde ses rubriques.Origo (http://www.origo.hu),Hongrie. Ce sited’information, fondé en 1998,est le plus visité du pays. Sa rédaction, jalouse de sonindépendance, travaille avecune centaine de journalisteset de correspondants. Sa page d’opinion,Komment.hu, donne la parole aux grandessignatures nationales et internationales.Le Quorum 5 000 ex.,Sénégal, mensuel. Lancéfin 2011, ce titre panafricainfrancophone propose de nombreuses analyses et articles de fond en mettant en avantl’économie, la politique et l’Afrique centrale.Radikal 65 000 ex.,Turquie, quotidien. Lancépar le groupe Milliyet en 1996 pour devenir lequotidien des intellectuels.Certains l’appellent“Cumhuriyet light”, en référence au grandjournal kémaliste qu’il veut concurrencer.Razón Pública(http://razonpublica.com),Colombie. Revue en lignecréée en 2008 par un grouped’intellectuels colombiensréunis au sein de laFondation Razón Pública,une association sans butlucratif qui veut servirl’intérêt public. “Pour savoirvraiment ce qui se passe en Colombie”, affirme-t-elle en sous-titre.Shandong Shang Bao300 000 ex., Chine,quotidien. Créé en 2001 par le groupe de médias

Retrouvez l’ensemble des sources sur notre site

Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012 � 4

courrierinternational.com

Vu d’ailleursavec Christophe MoulinVendredi 14 h 10, samedi 21 h 10 et dimanche 14 h 10 et 17 h 10

La vie politique française vue de l’étranger chaque semaine avec

Lu Shang, le titre se situe au deuxième rang desquotidiens de la province du Shandong (dans l’est dela Chine) pour la diffusion.Stern 1 275 000 ex.,Allemagne, hebdomadaire.Premier magazine d’actualitéallemand. Appartient au groupe de presse Gruner + Jahr. Toujours à la recherche d’un scoop,cette “étoile” a un peu pâli depuis l’affaire du fauxjournal intime de Hitler.Think Africa Press(http://thinkafricapress.com),Royaume-Uni. Créé enjanvier 2011, ce site proposeune couverture exhaustivede l’actualité africaine et cherche à s’affranchir des analyses à courte vuedes médias conventionnels.Zhongguo Qingnian Bao586 000 ex., Chine,quotidien. Le “Journal de la jeunesse chinoise” est l’organe du Mouvementde la ligue de la jeunesse.Plutôt réformateur, il est à l’écoute d’une sociétéchinoise en pleine mutation.Il rivalise cependantdifficilement avec sonconcurrent pékinois (BeijingQingnian Bao) et d’autresjournaux plus audacieux.

Courrier international n°1128

Edité par Courrier international SA, société anonyme avecdirectoire et conseil de surveillance au capital de 106 400 €.Actionnaire Le Monde Publications internationales SA.Directoire Philippe Thureau-Dangin, président et directeur de la publication. Conseil de surveillance Louis Dreyfus, président. Dépôt légal juin 2012 Commission paritaire n° 0712C82101. ISSN n° 1 154-516 X - Imprimé en France / Printed in France

Rédaction 6-8, rue Jean-Antoine-de-Baïf, 75212 Paris Cedex 13Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02Site web www.courrierinternational.comCourriel [email protected] de la rédaction Philippe Thureau-DanginAssistante Dalila Bounekta (16 16)Rédacteurs en chef Eric Chol (16 43), Odile Conseil (web, 16 27)Rédacteurs en chef adjoints Isabelle Lauze (16 54), CatherineAndré (16 78), Raymond Clarinard (16 77), Jean-Hébert Armengaud(édition, 16 57). Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25)Direction artistique Sophie-Anne Delhomme (16 31)Conception graphique Mark Porter AssociatesEurope Jean-Hébert Armengaud (coordination générale, 16 57), DanièleRenon (chef de service adjointe Europe, Allemagne, Autriche, Suisse alémanique,16 22), Chloé Baker (Royaume-Uni, 19 75), Gerry Feehily (Irlande, 19 70),Marie Béloeil (France, 17 32), Lucie Geffroy (Italie, 16 86), Daniel Matias(Portugal, 16 34), Iwona Ostapkowicz (Pologne, 16 74), Iulia Badea-Guéritée (Roumanie, Moldavie, 19 76), Wineke de Boer (Pays-Bas), SolveigGram Jensen (Danemark, Norvège), Alexia Kefalas (Grèce, Chypre),Mehmet Koksal (Belgique), Kristina Rönnqvist (Suède), Alexandre Lévy(Bulgarie, coordination Balkans), Agnès Jarfas (Hongrie), Mandi Gueguen(Albanie, Kosovo), Miro Miceski (Macédoine), Martina Bulakova (Rép.tchèque, Slovaquie), Kika Curovic (Serbie, Monténégro, Croatie, Bosnie-Herzégovine), Marielle Vitureau (Lituanie), Katerina Kesa (Estonie)Russie, Est de l’Europe Laurence Habay (chef de service, 16 36), AldaEngoian (Caucase, Asie centrale), Larissa Kotelevets (Ukraine)Amériques Bérangère Cagnat (chef de service, Amérique du Nord, 16 14),Marc-Olivier Bherer (Canada, Etats-Unis, 16 95), Anne Proenza (Amériquelatine, 16 76), Paul Jurgens (Brésil) Asie Agnès Gaudu et Franck Renaud(chefs de service, Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Naïké Desquesnes (Asiedu Sud, 16 51), François Gerles (Asie du Sud-Est), Ysana Takino (Japon, 1638), Zhang Zhulin (Chine, 17 47), Marion Girault-Rime (Australie, Pacifique),Elisabeth D. Inandiak (Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées), KazuhikoYatabe (Japon) Moyen-Orient Marc Saghié (chef de service, 16 69),Hamdam Mostafavi (Iran, 17 33), Hoda Saliby (16 35), Pascal Fenaux(Israël), Philippe Mischkowsky (pays du Golfe), Pierre Vanrie (Turquie)Afrique Ousmane Ndiaye (chef de rubrique, 16 68), Hoda Saliby(Maghreb, 16 35), Chawki Amari (Algérie), Liesl Louw (Afrique du Sud)Economie Pascale Boyen (chef de service, 16 47) Sciences Anh HoàTruong (chef de rubrique, 16 40) Médias Mouna El-Mokhtari (17 36)Long courrier Isabelle Lauze (16 54), Roman Schmidt (17 48)Insolites Claire Maupas (chef de rubrique, 16 60) Ils et elles ont ditIwona Ostapkowicz (chef de rubrique, 16 74)

Site Internet Hamdam Mostafavi (chef des informations, 17 33),Marie Béloeil (rédactrice, 17 32), Mouna El-Mokhtari (rédactrice, 17 36),Pierrick Van-Thé (webmestre, 16 82), Mathilde Melot (marketing), Paul Blondé (rédacteur, 16 65)

Agence Courrier Sabine Grandadam (chef de service, 16 97)

Traduction Raymond Clarinard (rédacteur en chef adjoint, 1677),Nathalie Amargier (russe), Catherine Baron (anglais, espagnol), IsabelleBoudon (anglais, allemand), Françoise Escande-Boggino (japonais, anglais),Caroline Lee (anglais, allemand, coréen), Françoise Lemoine-Minaudier(chinois), Julie Marcot (anglais, espagnol, portugais), Marie-FrançoiseMonthiers (japonais), Mikage Nagahama (japonais), Ngoc-Dung Phan(anglais, italien, vietnamien), Olivier Ragasol (anglais, espagnol), DanièleRenon (allemand), Mélanie Sinou (anglais, espagnol)

Révision Marianne Bonneau, Philippe Czerepak, Fabienne Gérard,Françoise Picon, Philippe Planche, Emmanuel Tronquart (site Internet)

Photographies, illustrations Pascal Philippe (chef de service, 16 41),Lidwine Kervella (16 10), Stéphanie Saindon (16 53)

Maquette Catherine Doutey, Nathalie Le Dréau, Gilles de Obaldia,Josiane Petricca, Denis Scudeller, Jonnathan Renaud-Badet,Alexandre ErrichielloCartographie Thierry Gauthé (16 70)

Infographie Catherine Doutey (16 66)

Calligraphie Hélène Ho (Chine), Abdollah Kiaie (Inde), Kyoko Mori(Japon)

Informatique Denis Scudeller (16 84)

Fabrication Patrice Rochas (directeur), Nathalie Communeau (direc -trice adjointe) et Sarah Tréhin. Impression, brochage Maury, 45191Malesherbes. Routage France-Routage, 77183 Croissy-Beaubourg Ont participé à ce numéro Alice Andersen, Edwige Benoit, GillesBerton, Mathieu Besselièvre, Aurélie Boissière, Jean-Baptiste Bor,Valérie Brunissen, Chen Yan, Maud Chouery, Daryan Clarinard,Sophie Courtois, Elsa Dillon, Marine Forestier, Ghazal Golshiri,Clément Graeff, Nathalie Kantt, Anne-Marie Kornek, Gaïa Lassaube,Virginie Lepetit, Carole Lyon, Jean-Baptiste Magnin, François Mazet,Valentine Morizot, Nicolas Oxen, Jean Perrenoud, Téo Perrin,Clémence Raccah, Raoul Roy, Nicole Thirion, Thomas WerkmeisterSecrétaire général Paul Chaine (17 46). Assistantes : NatachaScheubel (16 52), Sophie Nézet (16 99), Sophie Jan. Gestion JulieDelpech de Frayssinet (responsable, 16 13), Nicolas Guillement.Comptabilité : 01 48 88 45 02.

GEIE COURRIER INTERNATIONAL EBLCOURRIER INTERNATIONAL pour la Belgique et le GrandDuché de Luxembourg est commercialisé par le GEIECOURRIER INTERNATIONAL EBL qui est une associationentre la société anonyme de droit français COURRIERINTERNATIONALet la société anonyme de droit belge IPM qui est l’éditeur de La Libre Belgique et de La Dernière Heure Les Sports. Co-gérant Philippe Thureau DanginCo-gérant et éditeur responsable François le HodeyDirecteur général IPM Denis PierrardDirection logistique IPM Christian De CosterCoordination rédactionnelle Gilles Milecan et Pierre Gilissen

+ 32 2 744 44 33Ouvert les jours ouvrables de 8h à 14h.Rue des Francs, 79 — 1040 BruxellesPublicité RGP Luc Dumoulin [email protected] + 32 2 211 29 54Services [email protected] + 32 2 744 44 33 / Fax + 32 2 744 45 55Libraires + 32 2 744 44 77Impression Sodimco SADirecteur Eric Bouko + 32 2 793 36 70

Abonnez-vousLe meilleur de la presse mondiale chaque jeudi chez vous !

TARIF ABONNEMENT + l’accès au site et à ses archives depuis 1997

Option 16 mois 80 € au lieu de 101,40 €

Option 312 mois + 4 hors-série

160 € au lieu de 223,10 €*

Option 212 mois 140 € au lieu de 191,10 €

Je désire m’abonner : adresse mail: [email protected] ou par courrier à Courrier Internationnal - Service Abonnements - Rue des Francs 79 -

1040 Bruxelles ou par fax au 02/744.45.55. Je ne paie rien maintenant et j’attends votre bulletin de virement.Nom .................................................................................................... Prénom ........................................................................................................

Adresse........................................................................................................................................... N° ........................ Bte .......................................

CP ................................ Localité ........................................................ Tél .................................................................................................................

Gsm ..................................................................................................... E-mail ..........................................................................................................*prix de vente au numéro. Offre valable en Belgique jusqu’au 30 juin 2012.Les données fournies sont reprises dans la base de données du Courrier International dans le but de vous informer sur les produits et services. Elles peuvent être transmises à nos partenaires à des fins de prospection.

Page 5: Courrier International du 13 juin 2012

8 � Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012

Myanmar

L’Ouest birman à feu et à sangLe 10 juin, l’état d’urgence a étéinstauré dans une partie de l’EtatRakhine (Etat d’Arakan) pour tenter de mettre fin à une irruption deviolences intercommunautaires. Tout a commencé le 4 juin, quandquelque 300 bouddhistes s’en sont prisà un bus transportant des musulmansavec l’intention de venger l’une desleurs, violée et tuée quelques joursauparavant. Dix passagers ont étélynchés. Des groupes musulmans ontrépliqué en incendiant des maisons et des commerces appartenant à desbouddhistes. Dans l’Etat Rakhine, les tensions entre bouddhistes et musulmans, dont une majorité de Rohingyas, minorité ostracisée et privée de droits, ne sont pasnouvelles. Mais cette flambée de violence pourrait, aux dires du président Thein Sein lui-même, cité par The Irrawaddy, mettre en péril “notre démocratie naissante”.

Mexique

L’amour ou le PRIA deux semaines de l’électionprésidentielle et alors que tous les observateurs annonçaient il y aquelques mois un inexorable retour au pouvoir du Parti révolutionnaireinstitutionnel (PRI, qui a gouvernésoixante-dix ans, jusqu’en 2000),le panorama politique semble avoirchangé radicalement. L’irruptioninattendue sur la scène politique, débutmai, du mouvement étudiant #YoSoy132

A suivre

a contribué à écorner l’image ducandidat du PRI Enrique Peña Nieto(EPN). Au dernier débat télévisé, le 10 juin, celui-ci est arrivé “décomposé”,note Reforma. La contestation profiteau candidat de gauche Andrés ManuelLópez Obrador (Amlo), longtempsannoncé troisième dans les sondages,derrière la candidate de droite. Amlo,avec son programme “la Républiqueamoureuse”, qui propose de faire de l’amour le moteur du changement,talonne désormais EPN dans lesintentions de vote. Verdict le 1er juillet.

Zone euro

Madrid accepte à contrecœur l’aide de l’EuropeAprès avoir résisté jusqu’au bout,l’Espagne s’est résignée à faire appel à ses partenaires européens, commel’avaient fait avant elle l’Irlande, la Grèce et le Portugal. Mais,contrairement aux plans de sauvetage

précédents, celui-ci ne concernera queles banques. L’utilisation de ce prêt, quipourrait atteindre 100 milliards d’euros,sera contrôlée par les bailleurs de fonds(Commission européenne et Banquecentrale européenne) et par le FMI. Son montant et ses contreparties serontnégociés dans les prochaines semaines.“Il y aura évidemment des conditions. Celui qui donne de l’argent ne le faitjamais gratuitement”, a reconnu le vice-président de la Commission, JoaquínAlmunia. Désormais “l’Espagne est moins libre, résume El País.Sa souveraineté sur son systèmefinancier, mais aussi sa souverainetébudgétaire sont réduites.”

Portugal

Grandemanifestation le 16 juinLa CGTP, principaleconfédération syndicale du pays,appelle les Portugais à manifester

ce samedi à Lisbonne “contrel’exploitation et l’appauvrissement”,réclamant entre autres le smic à515 euros (485 euros actuellement).Alors que le chômage continue degrimper (36,6 % chez les moins de 25 anset 15,2 % tous âges confondus), relate le quotidien Público, la politiqued’austérité bat son plein. La Banquecentrale portugaise préconise même de réduire les salaires. De nombreusesvoix appellent à une renégociation du plan de sauvetage de la troïka (BCE, Commission européenne et FMI),à l’instar de l’Irlande.

Turquie

Fazil Say en procès pour blasphèmeLe célèbre pianiste turc Fazil Say, connupour ses interprétations de Mozart etson répertoire de jazz, est menacé d’une peine allant de neuf mois à un anet demi de prison par un procureurd’Istanbul qui l’accuse d’“avoir insultépubliquement les valeurs religieuses dont se revendique une partie de la population”,écrit le quotidien Habertürk. L’objetdu délit ? Un message qu’il a retweeté et qui fait allusion non sans ironie au paradis musulman à travers un poème d’Omar Khayyam. Les quotidiens Vatan et Radikal

s’inquiètent de ces poursuites etfont remarquer que “la Turquieaime à persécuter ses artistes”,rappelant le cas du Prix Nobelde littérature Orhan Pamuk,tandis que Star, plus prochedu gouvernement, tout en

critiquant ce qu’il qualifiede “provocations” de Fazil

Say, estime que “cette procédure

judiciaire ne se justifiepas”. Le procès

doit s’ouvrir à Istanbul le

18 octobre.

Laurent Gbagbo en procès à La Haye Sous la houlette de Fatou Bensouda, la nouvelle procureure de la Cour pénaleinternationale, s’ouvre le 18 juin le procès de l’ancienprésident ivoirien poursuivi pour crimes contre l’humanité.

Myanmar

Aung San Suu Kyien Europe

L’icône de la démocratie birmaneentame une tournée européennepar une intervention attenduedevant l’Organisationinternationale du travail, àGenève, le 14 juin. Deux jours plustard, elle recevra à Oslo le prix

Nobel de la paix, qui lui fut décernéen 1991 pour saluer son engagement

face à la junte militaire. Aung San SuuKyi se rendra également en Grande-

Bretagne, en Irlande et en France.

14 juin Une grève générale est prévue au Pérou contre l’immense projet minierConga, un investissement de plus de 3,5 milliards d’euros qui mobilise le nord du pays depuis des mois, et particulièrement la région de Cajamarca.

Visite de François Hollande à Rome.

16-17 juin Second tour del’élection présidentielle en Egyptes. Il départagera

Mohamed Morsi (Frèresmusulmans) et Ahmed Chafiq(dernier chef du gouvernement sous Hosni Moubarak). L’annonce des résultats est attendue pour le 20 juin.

17 juin Elections législativesanticipées en Grèce (voir page 21).

18-19 juin A Moscou, nouveauround de négociations entre les grandes puissances “5+1” et l’Iran sur le programmenucléaire iranien.

20 juin Parallèlement à la Documenta – 13e édition de l’exposition d’art internationale qui se tient à Kassel du 9 juin au 16 septembre –,Kaboul inaugure une exposition sur l’art en état de siège. En avant-première, un vidéo-film de Mariam Ghani qui trace un parallèle entre un musée de Kassel et un palais détruit de la capitale afghane.

Agenda

Pays-Bas

DES

RUS

BEN

EDIC

TE/

SIPA

- IS

SOU

F SA

NO

GO

/AFP

- FR

ED D

UFO

UR/

AFP

- SO

E T

HAN

WIN

/AFP

5 � Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012

Page 6: Courrier International du 13 juin 2012

4 � Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012

Accueillir des artistes chez soi le temps d’un spectacle, c’est tendance ! On peut le voircomme une réaction aux festivals de masse,comme un retour aux sources ou, comme le formule un aficionado : “Parce que le meilleur endroit pour voir mon idole, c’est encore dans mon salon”.

De Standaard, Bruxelles

S i je venais jouer chez toi à la maison ? Qu’est ceque tu en penses ?” La phrase pourrait venir d’uncarnet de poésies de notre enfance mais elle

figurait dans l’e-mail que le chanteur-compositeur dugroupe Sophia a envoyé à ses fans belges les plus fidèles.Son dernier CD s’appelle “At home with Sophia” et il sou-haitait mettre en pratique cette profession de foi.

Tous ceux qui en ont envie peuvent l’inviter, écrit-il, mais il y a une série de règles à respecter et celles-làne sont pas extraites d’un carnet de poésies. “Pas de chats,désolé. Je n’aime pas les chats. Enfin, je les trouve amusantsmais je suis allergique et vous ne voudriez pas que je me metteà éternuer au beau milieu de “So Slow” ou de “The DesertSong Nr.2” ?”

Dries Neyronck habite Oordegem, en Flandre orien-tale. Il possède tous les disques de Sophia et n’a pas dechat. Et donc, il y a quelques temps, nous sommes venusnous asseoir dans son divan, le temps d’un concert à domi-cile de Robin Proper-Sheppard, l’âme de ce groupe culte.

C’était loin d’être notre premier concert mais uneprestation aussi intime que celle-là, nous n’avions encorejamais vu. Des cubes de fromage, du saucisson et desolives circulent. “Les boissons sont encore dans le frigo,servez-vous. Quelqu’un veut encore un morceau de gâteau ?”

Robin Proper-Sheppard est assis sur une chaise, entrain d’accorder sa guitare. “C’est fantastique, non ? C’estpour ça que je fais ça. Pour apprendre à connaître les gens.Il se passe toujours quelque chose lors de ces concerts enappartement. Il y a un moment, j’ai joué dans un living-roomà Lommel et il s’est avéré que le bourgmestre était présent.Il m’a entendu dire que j’étais à la recherche d’un endroitpour faire une partie de l’enregistrement du CD d’Oscar andthe Wolf. Et voilà, on va bientôt commencer à enregistrerdans une église de Lommel !”

Les gens commencent à affluer. Le dernier grouped’amis qui se présente cherche une place dans le coin,entre un étal de marchande en plastique et des poupéesBarbie. “Vous voudriez entendre quels morceaux ? Ou alorsvous n’êtes là que pour les bières gratuites dans le frigo ?” Ilnote soigneusement les requêtes. Un bébé qui était silen-cieux jusque là se fait entendre. “Vite, chante quelque chose!”, crie quelqu’un. “On veut qu’il se calme, pas qu’il com-mence à pleurer plus fort”, réplique le musicien.

Ce quadragénaire sociable semble comme un pois-son dans l’eau dans ce genre de concerts au beau milieude ses fans, aujourd’hui une trentaine. Et dire quequelques jours auparavant nous l’avons vu devant desmilliers de spectateurs au festival Cactus. Il ne doit pas

BelgiqueTendances

Spectacles à domicile

que ce soit pour une pièce de théâtre ou pour du cabaret.C’est l’une des autres raisons qui nous poussent à le faire :pour faire connaissance avec les gens dans une ambianceinformelle. Quand je sors, j’aime bien saluer les voisins. Sien plus, on constate qu’on est une source d’inspiration pourles gens, c’est un plus.”

Koen Dooms n’hésite pas, lui non plus, à proposerdes spectacles à ses amis. Il organise surtout des concertsdans sa maison de Schaerbeek mais souvent avec uneperformance d‘un danseur ou d’une danseuse en pre-mière partie. “Il y a souvent des étudiants et des étudiantesde Parts, l’école de danse d’Anna Teresa De Keersmaeker,qui séjournent ici. Et moi, cela m’a fait découvrir la dansecontemporaine. C’est véritablement un univers qui s’est révéléà moi et j’ai très vite voulu partager cette découverte. Et à enjuger par les réactions, il y a une sorte de pollinisation croi-sée qui se fait : les amateurs de danse apprennent à connaîtrede nouvelles formes de musique et les mélomanes découvrentle monde de la danse.”

Et qu’en pensent les danseurs eux-mêmes ? “Poureux, c’est généralement totalement inédit. Comme par défi-nition, ils ont besoin d‘espace, ils se produisent rarement chezdes particuliers. Souvent, ils doivent improviser. Mais le faitde devoir s’adapter à une si petite surface rend l’expériencepassionnante aussi bien pour eux que pour les spectateurs.Et ils trouvent toujours très gratifiant de se produire en dehorsde leur circuit habituel. Le monde de la danse est un micro-cosme et pour eux c’est stimulant de se retrouver face auxréactions d’un tout autre public.”

Bref : organisateurs, public, artistes, tout le mondesemble gagnant sur toute la ligne avec cette formule. Oupas ? “Sauf mon agent, qui se met dans tous ses états parceque je me produis devant de si petits publics”, s’amuse RobinProper-Sheppard. Maarten Byttebier

avoir du mal à trouver des gens prêts à mettreleur salon à sa disposition. Comment fait-il pourchoisir parmi toutes les propositions, à part le critère“chats” ?

“Je cherche toujours des lieux avec une histoire. Driesgère depuis des années un site web sur lequel il met enligne les tablatures de mes morceaux. C’est pratiquepour les fans mais même pour moi lorsqu’il m’ar-rive d’oublier l’un ou l’autre accord. J’ai aussiété jouer un concert chez un couple qui s’estconnu grâce à ma musique. Ce soir, il y aencore Christophe qui est là, celui qui a montéle tout premier fan club de The God Machine,mon groupe précédent. J’ai enfin l’occasion deles rencontrer en vrai alors qu’à des concertsnormaux, cela n’arrive jamais. Dis, tu ne vaspas prendre des notes pendant le concert aumoins . C’est le genre de truc qui me rend ner-veux !”

Message reçu, le concert peut commencer. Onéteint les lumières, on allume des bougies. “Mercià tous d’être venus. Je ne sais pas si vous êtes venusde loin. Certains sont venus de la maison à côté.D’autres habitent ici. Il y en a même qui dorment danscette pièce.” Hilarité générale. “J’ai noté 22 titres. Jeverrai bien si je les joue tous ou pas. Après tout, c’estmoi le patron !”

“Non, c’est pas toi le patron”, répond Dries dutac au tac. C’est lui qui a droit à la meilleure place.“Enfin seuls, ma femme et moi dans le divan !”

Robin Proper-Sheppard ferme les yeux et com-mence à jouer. Comme toujours, ses chansons sontintenses mais ici elles sonnent plus sincères que jamais.On est plongé encore plus profondément dans son uni-vers. Lorsqu’il entame le morceau qu’on a choisi, on s’en-tendrait presque respirer. Et ces deux heures et demiepassent comme une fleur.

Comme les spectateurs sont presque littéralementassis les uns sur les autres, les représentations à domi-cile font très vite vibrer la corde sensible. C’est le casnon seulement des concerts mais aussi des pièces dethéâtre confirme Katrijn Govaert. Avec deux amies, ellea formé la compagnie gantoise Kleine Prettige Stoornis(KPS) (“Les Jolis Petits Dérèglements”) qui se produitpresque uniquement chez des particuliers.

“Il arrive de temps à autre que des gens se mettent à pleu-rer lors de nos représentations. C’est assez impressionnant.Mais cette atmosphère intime joue aussi dans l’autre sens :on sent immédiatement si quelqu’un décroche du spectacle.Au début, cela m’affectait énormément.”

Mais pour quelles autres raisons la compagnie KPSpréfère-t-elle jouer chez les gens ? “Le plus sympa, c’estle fait que l’on joue la plupart du temps devant des gens quine sont pas habitués à aller au théâtre. Ils viennent parcequ’ils ont été invités par leurs amis ou leurs voisins”, explique-t-elle. “Et sinon, c’est aussi notre manière à nous de nousdémarquer de la surabondance de l’offre de spectacles.”

Et c’est facile de trouver des endroits où jouer ? “Sou-vent, à la fin du spectacle, des gens viennent nous inviter àjouer chez eux, c’est aussi simple que ça. Cela fait deux anset demi que nous jouons toutes les semaines un peu partoutdepuis la Côte jusqu’au Limbourg.”

Une des adresses où elles sont toujours les bienve-nues, c’est chez Didier Stofferus, dans le quartier popu-laire de la Brugsepoort à Gand. “J’aime bien aller au théâtremais j’en ai parfois marre de la mentalité qui y règne avectous ces gens qui ont une très haute opinion d’eux-mêmes.Alors que dans notre salon, c’est toujours très bon enfant,

“Il arrive de temps à autre que des gens se mettent à pleurerlors de nos représentations. C’est assez impressionnant. ”

Page 7: Courrier International du 13 juin 2012

Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012 � 5

Un tiers des prairies flamandes sontdésormais dédiées aux chevaux. Ce qui fait d’autant moins de terres pour l’agriculture vivrière.

De Standaard, Bruxelles

S int-Katelijne-Waver, commune de légumes”, peut-on lire à l’entrée de la commune [ jeu de motsintraduisible avec “commune verte”]. Cette

commune, voisine de la ville de Malines, doit ce titre àsa grande halle aux légumes et à une tradition horticoleséculaire, mais on n’y croise plus guère de cultures surson territoire.

On y voit certes encore quelques serres mais surtoutde plus en plus de chevaux. Ici, de petites prairies avecde drôles de petites cabanes. Là, un prestigieux harastout équipé pour chevaux de compétition. Et, puis encoredes villas avec écuries de luxe et pistes d’entraînement.

“C’est typique de la région”, explique Greet Lambrecht,qui a une entreprise d’horticulture avec son mari dansla commune d’à côté. “Avant, il y avait des cultures maraî-chères partout, maintenant ce sont les élevages de chevaux.Beaucoup de fermiers arrêtent leurs activités et revendent.Parfois, c’est acheté par de grandes entreprises, parfois celareste en friche et bien souvent, ce sont des chevaux qui vien-nent occuper le terrain. On voit très peu de nouvelles entre-prises d’horticulture parce que les terrains sont devenusbeaucoup trop chers et les marges beaucoup trop étroites pourque ce soit rentable. Tout le secteur est en train de péricliter.On paie ici facilement 75000 euros par hectare pour des terresagricoles. C’est jouable pour un riche éleveur de chevaux mais

pas pour un jeune horticulteur.”La campagne se “chevalise” et pas seulement à Wavre-

Sainte-Catherine mais un peu partout en Flandre, aupoint que la province de Limbourg a organisé une jour-née de travail sur le sujet à l’intention des municipali-tés et des professionnels du monde hippique, avec desexemples positifs et négatifs d’intégration d’élevages dechevaux.

La Flandre compte aujourd’hui 155000 chevaux. Per-sonne n’a rien contre eux mais leur prolifération aconduit à des transformations du paysage et à certainestensions. “Les amateurs de chevaux sont souvent des néo-ruraux typiques”, constate Nicole Vreys, l’architecte depaysages de la province de Limbourg. “Les fermiers ontdes champs ouverts qui se succèdent dans le paysage tandisque les néoruraux ont tendance à tout rendre stérile et à

tout clôturer, de préférence avec des systèmesélectrifiés et des alignements de conifères.

Nous tentons de les dissuader parce quecela n’a aucune valeur, ni esthétique niécologique.”

Et puis, il y a plus. “Les ama-teurs de chevaux développent leuractivité en zone agricole mais ils ne

font pas d’agriculture. Alors que lafinalité de ces zones est de produire de

la nourriture”, estime Greet Lam-brecht. Walter Coen, qui a une entre-

prise d’agriculture mixte à Machelen(commune de Deinze, Flandre Orien-

tale) est encore plus remonté. “Mon voisinest parti à la retraite et a vendu la bicoque où ilvivait pour 450000 euros. Sur les terres de sonexploitation, il y a maintenant des chevaux.Quand je fais du vélo dans la région, je vois les

choses les plus bizarres : des chevaux, des chevreuils, des sanglierset plein de bonnes terres agricoles qui sont soustraites à l’agri-culture par des gens riches. Je comprends bien que tout le mondesente encore un peu de sang paysan couler dans ses veines et que,quand on a l’argent pour acheter ce genre de terrains, on achètequelques animaux mais les terres agricoles sont faites pour uneseule chose a priori : produire de la nourriture.”

Ce raisonnement est dépassé, estime au contraireJan Deboitselier du Vlaams Paardenloket (“Guichetéquestre flamand”), l’interface public du secteur. “Onreconnaît bien la production de biocarburants ou de planta-tions d’ornement comme de l’agriculture alors que cela neproduit aucune nourriture non plus. Je ne vois pas pourquoiil n’en irait pas de même pour les chevaux. Prenez un éle-vage porcin. C’est une entreprise qui ajoute une plus-valueà des animaux. Eh bien, pour les chevaux, c’est exactementla même chose.” Les autorités flamandes se sont récem-ment alignées sur ce point de vue et accordent désor-mais des permis de bâtir pour des écuriesd’entraînement en zone agricole.

Certains agriculteurs reprochent à leur ministre-Président Kris Peeters (CD&V) d’être trop souple parrapport à cette “chevalisation”. Il est lui-même un ama-teur de chevaux et ne perd jamais une occasion d’insis-ter sur le poids économique du secteur hippique : 219millions de valeur ajoutée. Plusieurs fois celle du sec-teur de la pêche, selon Jan Deboitselier. “Il y a tant desecteurs agricoles qui ne sont plus rentables aujourd’hui enFlandre. Pourquoi ne pas se reconvertir dans des secteursporteurs ? Les chevaux de jumping et les pur-sangs arabesque nous élevons ici ont une réputation mondiale. Et les agri-culteurs peuvent en profiter aussi. J’en connais beaucoup quisurfent sur la vague au lieu de s’y opposer et qui font de bonnes

affaires en vendant de la paille ou en louant des pâtures oudes écuries. Les chevaux font partie de notre culture, voussavez. Jusqu’à la seconde guerre mondiale, nos chevaux detrait constituaient notre plus important produit d’exporta-tion. Ce ne sont donc pas des intrus.”

La plupart des usagers de la campagne, au sein des-quels les agriculteurs ne représentent plus qu’une petiteminorité, ne voient d’ailleurs pas les choses de manièreaussi négative. “On voit bien que l’opinion publique accepteplus facilement les entreprises non-agricoles de la campagneque les exploitations agricoles qui tiennent le coup en s’in-dustrialisant”, analyse Anna Verhoeve, de l’Instituut voorLandbouw- en Visserijonderzoek ou Ilvo (“Institut derecherche sur la Pêche et l’Agriculture”). “Il n’y a pas queles chevaux qui envahissent la campagne mais aussi une plé-thore d’entreprises qui n’ont normalement pas leur place enzone agricole, comme des entrepreneurs, des transporteurs,des salles de fitness, etc... Tant qu’elles n’occasionnent pas denuisances, elles recueillent plus d’opinions favorables quel’agriculture intensive.”

Les protecteurs de la nature préfèrent égalementvoir arriver un élevage de chevaux qu’un élevage debovins. Le sol sera moins remué et pollué par desnitrates, ce qui est mieux pour la qualité des eaux deruissellement ainsi que pour les chances de survie desabeilles et des papillons.

Anna Verhoeve fait partie de Joor, les Jonge Onder-zoekers voor Open Ruimte (“Jeunes Chercheurs sur l’Es-pace Public”) qui tentent de dresser un inventaire de cequi constitue la Flandre à partir de plusieurs points devue. Ceux-ci constatent que si, traditionnellement, ondivise l’espace public en zones agricoles, naturelles eturbaines, ces catégories ne correspondent plus tout àfait à la réalité aujourd’hui. Environ huit pour-cents duterritoire flamand est constitué par des jardins et cetteproportion tend à augmenter. Huit autres pour-centscorrespondent à des “prairies de loisirs” et celles-ci sontprincipalement dédiées aux chevaux. De plus en plusd’anciennes fermes deviennent des villas ou abritent desentreprises.

“Nous trouvons important d’inventorier tout cela demanière à ce que le débat sur la campagne et l’espace publicporte sur la réalité”, commente encore Anne Verhoeve.“Cette transformation se fait très rapidement et passe quasi-ment inaperçue. Mais cela provoque des tensions qui vontconduire à une confrontation. On voit d’un côté le nombred’exploitations agricoles qui diminue de manière drastique.Celles qui restent s’agrandissent et s’industrialisent de plus enplus ce qui ne leur vaut pas beaucoup de sympathie de la partde la population. Et d’un autre côté, toutes sortes d’activitésqui apparaissent spontanément, qui s’intègrent souvent har-monieusement dans notre paysage très découpé mais pour les-quels il n’existe aucune forme de politique. Si nous nous mettonsà aborder cette situation de manière plus réaliste, nous pour-rons mieux en tirer parti. Notre campagne peut se prêter à desmultiples activités et je ne pense pas que l’agriculture à grandeéchelle y ait encore beaucoup d’avenir.”Dorien Knockaert

Aménagement du territoire

Le cheval envahit nos campagnes

� Dessin de Gaëlle Grisardpour Courrierinternational.

“Il n’y a pas que les chevaux qui envahissent la campagne maisaussi une pléthore d’entreprisesqui n’ont normalement pas leur place en zone agricole”

Page 8: Courrier International du 13 juin 2012

Union européenneCourrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012 � III

Football

L’Euro 2012 n’est pas un arbitre économiqueQui doit remporter le championnat d’Europe defootball pour sauver la monnaieunique ? Même si certainsespèrent que les victoiresdopent la confiance danscertains pays, le véritable enjeuse situe bien loin des terrains.

Sme Bratislava

�L a crise de l’Europe entre dans saphase terminale, les schémas depensée des prévisionnistes aussi.

Un analyste de l’Amro Bank d’Amsterdama osé un pronostic sur l’avenir de l’UE :“L’essentiel étant que la contagion ne se pro-page pas aux pays formant le noyau dur de lazone euro, le mieux serait que la France rem-porte l’Euro 2012. Cela permettrait de rétablirla confiance de façon significative.”

Hum, hum… Peut-être voulait-il direpar là que tant que résonneront les échosde La Marseillaise il ne viendra à personnel’idée de se lancer dans une course auxguichets à la BNP Paribas ou à la Sociétégénérale… Mais, alors, une question sepose : ne faut-il pas plutôt, pour renforcerla confiance, espérer un succès de l’Alle-magne ? Tandis que les supporteurs-électeurs arroseraient la victoire, la BCEse mettrait à acheter quatre tonnes d’obli-gations espagnoles.

Pour sa part, Angela Merkel, en fana-tique de football (rappelons que la réuniondu G8 a dû être interrompue pendant lematch Bayern-Chelsea), ferait passer leseuro-obligations au Bundestag. Quid d’unevictoire de la Grèce ? Alexis Tsipras signe-rait-il alors le mémorandum et, avec lui, unbudget excédentaire jusqu’en 2100 ?

(à l’instar d’autres institutions financières)a prévenu que l’Espagne “n’est qu’à mi-chemin” de l’effondrement du marché del’immobilier et qu’avec une baisse supplé-mentaire des prix de 20 %, ce qui paraîtinévitable, “le secteur financier sera saigné àblanc”. A cela s’ajoute un taux de chômagerecord en Europe, un déséquilibre fatal dumarché du travail et un endettement de lapopulation et du secteur non financier quireprésente 200 % du PIB. On comprendmieux comment un journaliste du Finan-cial Times en est arrivé à estimer que “laquestion n’est pas tant de savoir si l’économie

espagnole rebondira en 2012 ou 2013, mais sielle peut le faire avant la fin de cette décennie”.

Pour en revenir au football, l’Espagnene pourrait être sauvée, même si les clubsde première division rendaient les 750 mil-lions d’euros d’impôt (ou plutôt de réduc-tions d’impôt) qu’ils doivent à l’Etat.Quant à la Grèce, connaîtra-t-elle unefaillite contrôlée par un plan de sauvetageeuropéen financé par les contribuables ?Ou une banqueroute à l’extérieur de lazone euro – que certains estiment à1 000 milliards d’euros, d’autres au huitcouché de l’infini, tandis que d’autresencore font valoir qu’il n’est pas bien devouloir affoler tout le monde ?

Angela Merkel ne peut plus se déroberet doit décider : soit la zone euro éclate cetété, soit elle poursuit son chemin de souf-france en tant que fédération de la dette.Le suspense est bien plus intense que pen-dant l’Euro et le match Bayern-Chelsearéunis. Surtout quand le ministre de l’In-térieur allemand recommande de “ne pasverser plus d’argent dans le tonneau sans fond”et que le vice-gouverneur de la Bundesbankconsidère la Grèce comme un “Etat quia échoué”, tandis que Peter Bofinger, leconseiller [économique] le plus influent[du gouvernement allemand], soutient que“les Grecs ont effectué les plus grandes correc-tions fiscales de l’après-guerre et [affirme que]la baisse du déficit structurel exigée est sansprécédent et excessive”.

Les avis divergent. La chancelière estune fédéraliste convaincue, mais elle saitque si elle fait marche arrière aujourd’huiet donne son approbation à une mise encommun des dettes, et cela sans tsar bud-gétaire à Bruxelles (c’est-à-dire à Berlin),alors l’Allemagne se retrouvera, à son tour,au point de non-retour. Petr Schutz

Etrangement, bien que l’Espagne[championne d’Europe et du monde entitre] soit donnée grande favorite de l’Euro,l’oracle Amro n’attend rien d’un triompheibérique. Beaucoup s’accordent à dire quele pays a déjà atteint le point de non-retour.Et peu importe que son Premier ministreRajoy ait ou non raison en disant que sonpays est une collateral casualty [un dom-mage collatéral] du chaos dans lequel estplongée la zone euro.

Ce qui importe ici, c’est qu’on est bienau-delà du stade critique du sauvetagenational. Surtout si l’on sait que Barclays

Politique, société, débatsRetrouvez toutel’actualité de l’Europe

en dix langues

www.presseurop.eu

� Dessin d’Arcadio, Colombie.

CAG

LE C

ART

OO

NS

8 � Courrier international | n°1128 | du 14 au 20 juin 2012

Page 9: Courrier International du 13 juin 2012

IV � Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012

Là où l’Espagne se distingue de l’Ir-lande, c’est dans la solution choisie. L’Ir-lande a nationalisé les préjudices causéspar les banques, qui se sont transformésen déficit public ; en Espagne, on essaied’installer un cordon de sécurité autour dusecteur bancaire en lui prêtant 100 mil-liards d’euros qui deviendront dettepublique. Avec un objectif : éviter que leproblème des banques ne devienne pro-blème d’Etat. Mais il est évident que ces100 milliards font partie d’un plan de sau-vetage de l’Espagne. Qui inclut bien unprogramme d’austérité, tacite certes maisdéjà mis en œuvre. Et qui placera lesbanques espagnoles sous la surveillance dela Banque centrale européenne. La Banqued’Espagne est loin, très loin, de sortir gran-

die de cette affaire. A tel point que le gou-vernement Rajoy l’a désavouée, transfé-rant l’audit du système au ministère del’Economie.

Les banques européennes ne gagne-ront plus autant d’argent que par le passé,elles connaîtront fusions et disparitions,elles réduiront leur nombre d’agences,leurs effectifs, leurs dettes, leurs actifs,leurs résultats. Nous sommes bien placéspour le savoir, nous, au Portugal, qui avonsde l’avance en la matière.

Quelques mots, d’ailleurs, sur le Por-tugal : un bon élève a des raisons de sou-rire. Le processus de capitalisation arriveà son terme, et les banques entamerontl’été avec des fonds propres sans égal enEurope. Il faudrait préciser qu’une partie

Union européenne

est publique, une autre privée, mais c’estlà une question comptable qui mériteraitun autre éditorial.

“Qu’on sorte du petit jeu de la culpabi-lité !” déclarait Bob Diamond, le présidentde la banque Barclays, il y a un an et demi.C’est prématuré. Quand nous disons quele secteur bancaire a pris la politique enotage, c’est de cela que nous parlons : desrépubliques de débiteurs et des monarchiesde créanciers ; des financiers qui saventtout et qui embobinent des politiciens quine savent rien ; et des uns et des autres quiont la suprême audace de traiter d’anal-phabètes de la finance ceux qui paient pourleurs erreurs. Oui, ceux qui ont fait explo-ser les budgets futurs, qui se drapent dansl’austérité et font surgir faillites et chô-mage, sont aussi ceux qui accusent lepeuple d’ignorance financière. Bravo !

La crise est bancaire. Elle a métastaséet créé une crise de la dette souveraine. Etces deux crises, ce sont les “Européens”qui les subissent. En clair, nous. Il faut quela démocratie soit malade pour que mentiraux institutions européennes, comme celaa été le cas pour la Grèce, soit au final plusgrave que mentir au peuple, comme c’estle cas en Espagne. Les banques vont êtreaidées. Et nous, que leur disons-nous ?Rien. Nous nous sommes déjà tout dit.Nous avons écrit tout ce qu’il y avait àécrire. Il n’y a plus qu’à subir. Commentsort-on de l’abîme ?Pedro Santos Guerreiro

� “Euh... C’est un vrai braquage ou un simple test de résistance ?” Dessin de Schot, Amsterdam.

Le désastre du secteur bancaireespagnol est une honte d’Etat,accuse le directeur du Jornal de Negócios portugais. Car il est dû à la complicité entreles banques et les politiques, et à leur déni de la crise. Et cesont les citoyens qui vont devoiren payer les conséquences.

Jornal de Negócios Lisbonne

�N ous avons aujourd’hui le droit deparler de ce qui se passe chez lesautres. Puisque la maison des

autres est hypothéquée et que c’est nousqui allons payer. Nous, les “Européens”.Quelle différence y a-t-il, au fond, entre laGrèce, qui a menti sur ses comptes publics,et les banques espagnoles, qui ont mentisur leurs bilans ? Le problème espagnolressemble plus à celui de l’Irlande, en ceciqu’il est bancaire, qu’à celui du Portugal,qui sur les dix problèmes possibles n’en aaucun de gigantesque, mais les a tous àla fois. En Espagne, le mal provient derapports incestueux entre les “cajas deahorro” [les caisses d’épargne] et les ins-titutions politiques régionales, conjuguésà une bulle immobilière à laquelle tousont participé – et dont tous ont tiré profit :les banques via les crédits, le secteur dubâtiment via les chantiers, le secteurimmobilier via les transactions, l’Etat viales impôts, les partis on sait bien com-ment, le gouvernement via les statistiquesde croissance du PIB.

Cela fait au moins deux ans que l’exis-tence de la bulle immobilière et de ses effetsest visible. Mais l’Espagne a tout fait de tra-vers, l’ancien gouvernement Zapatero enrepoussant le problème et le nouveau, celuide Rajoy, en perdant rapidement sa déter-mination. Le mal, qui aurait pu être can-tonné aux caisses d’épargne, risqueaujourd’hui de s’étendre aux plus grandesbanques espagnoles (Santander, BBVA et laCaixa ne bénéficieront pas des 100 milliardsd’euros [prévus par le plan d’aide]). Pis, lacontagion menace la dette souveraine.

La “ligne de crédit” de 100 milliardsd’euros accordée par l’UE à l’Espagne le 9 juin pour renflouer ses banques est “un moindre mal”, estime El País.“Le premier avantage est son caractèrede sauvetage sélectif, destinéexclusivement à recapitaliser 30 % de notre système financier, soitsa portion corrompue, accumulée après des années de spéculationfinancière. La tumeur cancéreuse

va enfin être extirpée par le chirurgieneuropéen, puisque nous ne pouvons pasle faire seuls. Mais cette intervention sera ciblée, puisque le cancer n’a pasmétastasé le reste du système financier, et par conséquent il n’y aura pasnon plus d’intervention [étrangère] sur l’Etat espagnol.”“L’autre raison de se réjouir, ajoute le quotidien madrilène, c’est qu’il s’agitd’un sauvetage light. Ce sauvetage

passe en effet par le Fonds de restructuration ordonnée bancaire(Frob [créé en 2009 pour assainir le secteur]), et non par le Trésor, et ne comporte donc aucunecontrepartie, ni condition ou exigencemacroéconomique. Une manière habilede contourner le veto allemand, mais qui tient de la supercherie financière,puisqu’en fin de compte les fondsserviront à soulager notre dette.”

Espagne

Un sauvetage light

Banque

Le grand mensonge

Courrier international | n°1128 | du 14 au 20 juin 2012 � 9

Page 10: Courrier International du 13 juin 2012

10 � Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012

Controverse

La Chine doit-elle tolérer la corruption ?Oui

La maintenir à un niveau supportableIl faut composer avec les fonctionnaires corrompus, car le pays ne peut pas éradiquer la corruption.

Huanqiu Shibao Pékin

Il est clair que la Chine connaît actuellement un pic de corruption et queles conditions ne sont pas remplies pour éradiquer ce fléau. Certainsaffirment qu’il suffirait que le pays devienne une démocratie pour quele problème soit facilement résolu, mais c’est faire preuve d’une grandenaïveté. On trouve en Asie de nombreuses “démocraties”, comme l’In-donésie, les Philippines ou l’Inde, où la corruption sévit beaucoup plus

qu’en Chine. Cependant, la Chine est sans doute le pays d’Asie où le “sen-timent de souffrir de la corruption” est le plus aigu.

Le principe déontologique qui veut que les agents de l’Etat soient “auservice du peuple” est profondément ancré dans les mentalités populaires.Mais ce principe est difficile à appliquer lorsqu’il est confronté aux assautsde l’économie de marché, et les hauts fonctionnaires qui le négligent, voirele trahissent, profitent des failles du système pour échapper à la règle.

Aucun pays n’a réussi à éradiquer toute trace de corruption. L’essentielest de maintenir ce fléau à un niveau tolérable pour la population, et laChine a justement beaucoup de mal à y parvenir. Singapour et la région chi-noise de Hong Kong appliquent dans la fonction publique un système derémunérations élevées visant à encourager l’intégrité. Aux Etats-Unis, lescandidats aux élections sont souvent très fortunés. Les gens ordinaires quientrent dans l’administration s’y font un nom et se constituent un boncarnet d’adresses. Une fois leur carrière terminée, ils monnayent ces avan-tages. Ces soupapes de sécurité n’existent pas en Chine.

L’opinion publique chinoise n’accepterait pas que l’on augmente large-ment la rémunération des hauts fonctionnaires et le système ne permetpas non plus qu’ils tirent parti de leur cercle d’influence et de leur réseaude relations pour gagner beaucoup d’argent après avoir quitté l’adminis-tration. Quant à autoriser des grosses fortunes à accéder à ces postes-là, ceserait encore plus mal perçu par la population. Le salaire statutaire deshauts fonctionnaires est très bas en Chine, et les dirigeants locaux se créentbien souvent des avantages sociaux en mettant en place des “règles tacites”.

La société chinoise est aujourd’hui régie par ces règles tacites, qui concer-nent également des professions du secteur public comme celles d’ensei-gnant ou de médecin. Beaucoup ont des rentrées d’argent en sous-main àcôté de leur rémunération officielle peu élevée. Où se situe la limite de cesrègles tacites ? Ce n’est pas très clair, et c’est ce qui explique le nombreassez important d’affaires de corruption et l’existence parfois de véritables“nids de corruption”. �

Il est impératif de sanctionner sévèrement toutes les personnes mal-honnêtes sans jamais se montrer conciliant. Ainsi le risque lié aux pratiquescorruptrices sera-t-il considérablement augmenté, avec un indispensable“effet de choc et de dissuasion”. Un des principaux objectifs des hauts diri-geants doit être de réduire la corruption pour gouverner en toute intégrité.

De son côté, la population doit comprendre que, malgré ce grand prin-cipe, la Chine n’a pas aujourd’hui les moyens d’étouffer toute forme de cor-ruption. Il s’agit là d’une réalité objective ! Le pays tout entier ne doit passombrer pour autant dans les affres de la souffrance.

NonLa catastrophe nous guetteIl est absurde de plaider pour admettre une dose de corruption,alors que la “tolérance zéro” doit être de mise.

Zhongguo Qingnian Bao Pékin

Le Huanqiu Shibao a publié un éditorial [ci-contre] intitulé : “La luttecontre la corruption, un combat contre un bastion entravant le déve-loppement de la société chinoise”. D’après le titre, on pouvait penserque cet article critiquait la corruption et prônait sa destruction,mais, par-delà la langue de bois officielle et les affirmations creusessur le sujet, on y découvre de stupéfiantes insanités.

Hormis la manie de jouer sur les mots, on se rend compte qu’au fond lepoint de vue défendu par l’auteur est celui de la tolérance vis-à-vis de lacorruption. De quoi en perdre ses lunettes ! Affirmer en contrevenant àtoute règle de bon sens et à l’esprit d’un Etat de droit qu’il est impossibled’éradiquer toute trace de corruption, que la population peut la tolérer àun certain niveau et qu’on est obligé de vivre avec dans une certaine mesurerevient en fait à dire qu’il s’agit d’un phénomène normal. Est-ce vraimentle cas ? Si les citoyens avaient le choix, qui tolérerait la corruption ?

On peut lire aussi dans cet article que la Chine est sans doute le paysd’Asie où le “sentiment de souffrir de la corruption” est le plus aigu. L’auteuren tire ensuite une conclusion assez incroyable, à savoir que cela s’expliquepar le fait que “le principe déontologique qui veut que les agents de l’Etat soient‘au service du peuple’ est profondément ancré dans les mentalités populaires”. Parconséquent, si l’on suit sa logique, la Chine n’est pas le pays objectivementle plus touché par la corruption, mais seulement celui où la souffrance sub-jective que cela suppose est le plus aiguë. Pourquoi cette souffrance est-elle si exacerbée ? Ce n’est pas parce que le problème de la corruption estvraiment grave, mais parce que le principe d’être “au service du peuple”fait peser sur les hauts fonctionnaires trop d’attentes populaires irréalistes,et c’est ce décalage qui est à l’origine de cette souffrance.

Quel point de vue absurde ! Si notre lutte contre la corruption étaitguidée par ce genre d’idées erronées, nous ne devrions plus nous efforcerde combattre le fléau de façon institutionnelle, nous ne devrions plus sanc-tionner sévèrement toutes les malversations en appliquant le principe de“tolérance zéro”, mais nous devrions au contraire agir pour que la popula-tion nourrisse des attentes moins élevées et accepte une certaine dose decorruption. Tout irait alors pour le mieux dans le meilleur des mondes pos-sibles ! Si c’était vraiment le cas, la grande cause de la lutte anticorruptionserait en péril. Ce genre de raisonnement fallacieux, loin de protéger vrai-ment les agents de l’Etat, loin de prendre en considération l’avenir de notrepays, fait au contraire courir celui-ci à la catastrophe. Alors que la corrup-tion fait rage malgré l’objectif de “tolérance zéro”, que se passerait-il si l’onouvrait des brèches en prônant une certaine tolérance de la corruption ?

Si la corruption est douloureusement ressentie par la population, est-ce parce que vouloir des hauts fonctionnaires “au service du peuple” est uneattente irréaliste ? Bien sûr que non ! L’exigence d’agents de l’Etat “au ser-vice du peuple” n’est pas propre à la Chine ; les fonctionnaires de tous lespays ont cette responsabilité. Cela fait partie des engagements liés à leurmission et il s’agit là de normes universelles. La souffrance qu’infligent auxcitoyens les problèmes de corruption est liée à la corruption même. Poursupprimer cette souffrance, la seule solution est d’engager une lutte géné-ralisée contre la corruption et de soumettre le pouvoir aux institutions. �

� ContexteLes scandalesde corruption se multiplient en Chine. Pourtant, le 6 septembre 2007,Pékin a installé son Bureau national de prévention dela corruption. Cinq ansaprès, non seulement le mal n’a pas reculé,mais il se développeà un rythme effréné eu égard au nombre et au niveau des fonctionnairesimpliqués, ainsi qu’à la dimension desaffaires. Le Premierministre Wen Jiabao a même dû rappelerque la corruption restela plus grande menacepour le Particommuniste. Durant laconférence du Conseildes affaires de l’Etat– instance suprême du gouvernement – sur l’intégrité de l’administration, le 26 mars, il est revenusur ce fléau qui mine lepeuple et la politique.Récemment, le 15 mai,Cui Hairong, directeuradjoint du Bureaunational de préventionde la corruption, a livréce qu’il présentecomme une bonnenouvelle : selon une enquête de cet organisme, 72,7 % des Chinois se disentsatisfaits de la luttecontre la corruption.Les internautes chinoisse sont emparés de ce pourcentage et n’ont pas tardé à s’en moquer.

À RETROUVER SUR leblogueur.arte.tv

IVG, PEUT MIEUX FAIRE Naturellement pro-choix, le Blogueur enquête au Portugal, en Espagne et aux Pays-Bas.

LE BLOGUEURPRÉSENTÉ PAR ANTHONY BELLANGER

DIFFUSION LE 17 JUIN À 20.10

© X

AV

IER

BE

LLA

NG

ER

Page 11: Courrier International du 13 juin 2012

OFFRE SPÉCIALE ABONNEMENT DÉCOUVERTECHAQUE MOIS LE MEILLEUR DE LA LIBRE DANS UN MAGAZINE !

RENVOYEZ VOTRE COUPON D’ABONNEMENT DÈS AUJOURD’HUI !

Une relecture complète de l’actualité, des analyses approfondies et le regard de nos plus grands journalistes.

EN CADEAUde bienvenue recevez LE BLOC COUTEAUX DES GRANDS CHEFSLes couteaux des plus grands chefs.7 couteaux en acier forgé (inoxydable) et leur bloc de rangement en bois. Un cadeau d'une valeur de 75 €

–25% SUR LE PRIX DE VENTE AU NUMÉRO

Oui je m’abonne pendant 1 an au prix de 50€ soit 25% de réduction sur le prix au numéro.En cadeau, je recevrai le bloc couteaux des grands chefs.

Nom ......................................................................................... Prénom .........................................................................

Adresse ........................................................................................................................................ N° ............................

Code postal ................... Localité ............................................................... Date de naissance …...…/…...…/….…........

E-mail ............................................................................................................................................................................

TVA (si facture) ................................................................... Tél. ....................................................................................

Je ne paie rien maintenant et j’attends votre virement bancaire.BON À RENVOYER au service abonnement – La Libre Mensuelle – 79 rue des Francs à 1040 Bruxelles ou par fax 02 211 31 65 ou par internet htpp://abo.lalibre.be/mlbloc

Offre non cumulable valable en Belgique pour un nouvel abonné jusqu’au 31 octobre 2012

66 €

50€

Page 12: Courrier International du 13 juin 2012

En couverture

La droguelibre ?

� En Amérique latine et en Europe, la question dela légalisation de la drogue refait surface. � Maisde quoi parle-t-on : de la dépénalisation ? dela consommation  ? de la libéralisation du commerce ? du contrôle de la production ?de quelles drogues  ? � Les Etats sontencore loin de répondre à toutesces questions.

Un débat mondial

12 � Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012

Page 13: Courrier International du 13 juin 2012

Mettre fin à la prohibition des droguespour réduire le trafic : l’idée fait son chemin. Mais tous les pays n’ontpas les mêmes intérêts.

El País (extraits) Madrid

Un Espagnol manipule avec dex-térité une carte de crédit pour sepréparer une ligne de cocaïne ; lapolice mexicaine trouve quatorzecadavres dans une fourgonnette ;trois tonnes d’opium afghan tra-

versent la Russie ; une mère de famille colom-bienne entre dans une prison américaine où elleva passer la prochaine décennie pour trafic destupéfiants ; un jeune New-Yorkais meurt d’over-dose au cours d’une soirée ; un Marocain connaîtlui aussi une fin tragique dans une patera [embar-cation de fortune] après que sa cargaison dedrogue a éclaté dans son estomac.

La séquence est fictive, mais de tels faits ontlieu chaque jour dans le monde. Ils sont tous laconséquence d’un même phénomène, le trafic dedrogue, qui alimente le plus grand marché dumonde. Ces derniers mois, des responsables poli-tiques comme l’actuel président du Guatemala,Otto Pérez, ont demandé l’ouverture d’un débatsur la question. Le fait de diriger certains des paysle plus directement touchés par une guerre quifait des victimes quotidiennes leur confère toutela légitimité nécessaire. Le président du Honduras,quant à lui, a été le premier à demander que soitmis fin à la “prohibition” des drogues. Certains,comme eux, défendent l’idée qu’une réglemen-tation réduirait le trafic de drogue et mettrait finà un commerce qui pèse 216 milliards d’euros paran sur la planète entière, selon l’ONU. Au Mexiqueuniquement, à en croire les Etats-Unis, le traficaurait généré 19  milliards d’euros en  2009.

Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012 � 13

Durcissement

Les Pays-Bas, où la vente de drogues“douces” est toléréedans les fameux coffeeshops, ont récemmentdurci leur législation.

� Depuis le 7 octobre2011, le cannabiscontenant un pourcentage de THC de 15 % ou plus est considéré commeune drogue dure etdonc interdit de ventedans les coffee shops.

� Depuis le 1er mai 2012,les coffee shops desprovinces du Limbourg,du Brabant du Nord et de la Zélande(frontalières avec l’Allemagne et la Belgique) sont obligés de tenir un fichier de leursmembres : seuls les détenteurs d’unpasseport néerlandaispeuvent obtenir un passe pour y entrer.

� A partir du 1er janvier2013, ces coffee shops ne pourront avoir plus de 2 000 membreset toutes ces règlesseront adoptées dans le pays entier.

D’autres ne voient pas en quoi réguler améliore-rait la sécurité. Dans ce débat qui commence seu-lement à s’amorcer, le maître mot est légalisation.Rien ne suscite davantage l’adhésion ou le rejetque le fait de la défendre. Amira Armenta, membredu Transnational Institute, un groupe de réflexioninternational fondé à Amsterdam, explique qu’“apriori les gens ont peur de la légalisation”. Elle estimequ’Otto Pérez a souhaité avant tout attirer l’at-tention des médias. “C’est un discours médiatique,estime-t-elle. Otto Pérez n’a pas dit : ‘Faisons ça’,mais ‘Parlons-en’. Entre la politique actuelle et lalégalisation, il y a beaucoup de possibilités. Il faudraitétudier les options les plus réalistes, les moins risquées,notamment celles qui envisagent la dépénalisation dela consommation, du commerce et de la production.”

Le cannabis est de loin la drogue la plusconsommée à l’échelle mondiale. Entre 125 et203 millions de personnes dans le monde en ontconsommé en 2009, selon des chiffres de l’ONU.Toutes drogues confondues, on atteintentre 149 et 272 millions de consommateurs,soit entre 3,3 % et 6,1 % de la population âgéede 15 à 64 ans. “Il est absurde de penser que lademande va cesser ici ou là : il faut l’accepter etœuvrer en faveur de la sécurité”, commente le pré-sident du Collectif pour une politique intégraleen matière de drogues (Mexique).

Les spécialistes font très nettement la dis-tinction entre pays producteurs et consomma-teurs : ce qui fonctionnerait pour les uns neconviendra pas forcément aux autres. “Qui ditchangement de politique dit en réalité légalisation,réglementation ou dépénalisation [de la consom-mation]”, met en garde l’ancien guérillero salvadorien et expert en résolution des conflitsJoaquín Villalobos. “Et, même si je suis d’accordavec de telles mesures, il est clair que ce n’est pasun objectif réaliste et que cela ne changerait pasgrand-chose dans les pays de production et de trafic.”Inés Santaeulalia

Hypermarché planétaire

Un mois après l’introductiondu “passe cannabis” dans les municipalités frontalièresnéerlandaises [voir ci-contre],les plaintes concernant des problèmes liés aux stupéfiants se sontmultipliées. Ce “passecannabis” n’autorise que les personnes résidant aux Pays-Bas et possédant une carte de membre à se procurer du cannabisdans les coffee shops. Les autres consommateurs de joints doivent trouver une solution de rechange.Certains se tournent doncvers le commerce illégal.D’autres cherchent leur salutauprès de l’associationanversoise Trekt Uw Plant[Tire ton plant], une

coopérative de consommateursde cannabis.“Le nombre demembres de notre associationa plus que doublé, dit sonporte-parole, Joep Oomen.Nous sommes passés de 90 membres le mois dernier à 190 membres aujourd’hui.Nous avons même dû créerune liste d’attente.” Il s’agitsouvent, selon lui, deconsommateurs de cannabisd’un certain âge, qui neconnaissent pas les réseauxclandestins. “En collaborationavec notre association,ajoute-t-il, des CannabisSocial Clubs se sont ouverts à Limbourg et à Arlon. Bientôt,il y aura aussi une antenne à Bruxelles.” Un Cannabis SocialClub cultive à l’intérieur d’uncircuit fermé suffisamment

de marijuana pour satisfaire la demande de ses membres.Trekt Uw Plan administre dixplantations réparties sur toutela Belgique. Chaque membre a son propre plant, qui est cultivé par l’organisation dans un espace collectif.L’association respecte ainsi la directive ministérielleconcernant le cannabis, selon laquelle la possession de trois grammes ou d’unplant de cannabis cultivé à usage personnel ne donnelieu qu’à un procès-verbalsimplifié, ce qui signifie en pratique que lescoordonnées du détenteursont conservées, mais qu’il n’y aura pas de suite.Pieter-Jan Borgelioen, De Standaard, Bruxelles

Tolérance

En Belgique, des “Cannabis Social Clubs”

� A Tijuana, au Mexique, après la saisie de 134 tonnes de marijuana.BL

OO

MBE

RG

� En mai 2009,Courrier international(n°965) reprenait des articles constatantl’échec de la luttecontre le trafic de drogue. A retrouverdans nos archives sur notre site web.

Page 14: Courrier International du 13 juin 2012

Comme ailleurs, les diverses étudescontradictoires sur la dangerosité du cannabis sont utilisées par les deux camps, partisans et adversaires de la légalisation.

Dagens Nyheter Stockholm

Peu de débats, en Suède, sont aussihouleux que celui sur le cannabis.Il suffit d’aborder sur le sujet pourqu’un bataillon de contradicteurss’empresse de vous couper le sif-flet. Et les attaques viennent des

deux côtés. Evoquez le cas d’un toxicomane quia vu sa mémoire immédiate se dégrader et centpersonnes vous feront remarquer que vousoubliez les effets bénéfiques du cannabis et quevous devriez comparer celui-ci à l’alcool et autabac. En revanche, citez l’échec de toutes lesétudes qui ont essayé de trouver au cannabis leseffets terrifiants qu’on lui impute et vous serezaccusé d’être l’un de ces tenants du libéralismequi veulent transformer les citoyens suédois enzombies lymphatiques.

Parmi ceux qui s’engagent courageusementdans le débat, Johan Anderberg, auteur de “Cannabusiness – De l’art de légaliser unedrogue” [non traduit en français]. Il y cite entreautres chercheurs Stig Agurell, qui se fait l’échod’un des arguments les plus entendus et clamehaut et fort que l’alcool est plus dangereux quele cannabis : “Le risque de dépendance est plus grand,on devient plus agressif, et ainsi de suite.” Pourautant, il n’est pas favorable à une légalisation :“Mon point de vue sur la question est clair. On a déjàbien assez de l’alcool.”

C’est vrai, pourquoi ajouter une drogue à laliste ? N’avons-nous déjà pas suffisamment deproblèmes avec les drogues déjà en vente libre,à savoir l’alcool et le tabac ? A cela, on peut ima-giner deux contre-arguments. Le premier estd’ordre médical et moral. S’il s’avère – ce quedémontrent de nombreuses études – que le can-nabis est moins nocif pour la santé que l’alcool

et les cigarettes, n’est-il pas foncièrement hypo-crite de commercialiser ces deux dernièresdrogues dans n’importe quel patelin du pays etd’envoyer la police chez ceux qui fument du can-nabis ? Le second argument est d’ordre écono-mique et social. La lutte contre le cannabis coûteune fortune dans le monde entier. La légalisa-tion permettrait d’employer cet argent à d’autresfins – à quoi il faudrait ajouter les recettes de lataxation d’un produit devenu légal. Ces fondspourraient servir à informer des risques et à amé-liorer la prise en charge des toxicomanes, exac-tement comme c’est le cas aujourd’hui pourl’alcool et le tabac.

Pour autant, ce n’est pas pour des raisons éco-nomiques que fumer un joint est interdit, maispour des raisons de dangerosité. Quel est le degréde nocivité du cannabis ? Une question, des mil-liers de réponses.

Un chapitre de “Cannabusiness” présenteainsi une dizaine d’études et autant de conclu-sions différentes. “La recherche sur le cannabis s’ap-parente ni plus ni moins à un buffet où n’importe quipourrait venir piocher une étude qui correspond à sonopinion”, écrit Johan Anderberg.

Reste un fait qui semble difficile à réfuter :tout porte à croire qu’il n’est pas plus dangereuxde fumer du cannabis que de boire de l’alcoolou de fumer des cigarettes. Pour une personne

qui a subi des lésions cérébrales après avoirconsommé du haschisch ou de la marijuana, com-bien ont vu leurs capacités intellectuelles alté-rées par l’alcool ? Cette situation découle-t-elledu fait que l’alcool est en vente libre dans le mondeoccidental pendant que la consommation de can-nabis est limitée par la loi ? Eh bien, tout dépendde ce que vous piochez au buffet…

Supposez que la Suède souscrive aux argu-ments en faveur de la légalisation – les écono-mies réalisées, une nocivité moindre par rapportaux autres drogues, des vertus médicales, les béné-fices pour le tiers-monde – et se mette à vendredes joints dans des pharmacies. Le débat risquenaturellement de se détourner du cannabis et lestenants de la légalisation pourront passer à ladrogue suivante. Où tracer la frontière ? L’Etatva-t-il se transformer en dealer de cocaïne, d’am-phétamines, de crack et d’héroïne, autoriser lavente directe aux particuliers et taxer ces droguespour les regarder ensuite se répandre dans la rue ?

Rares sont les Suédois qui ont envie de vivredans un pays noyé sous un nuage de fumée per-manent. Mais la question est de savoir si le sys-tème en place est bien le plus souhaitable, avecdes fumeurs de haschisch traqués par la police etun laboratoire d’analyses médico-légales qui traitehuit fois plus d’affaires liées au cannabis que d’af-faires de cambriolage. Erik Helmerson

En couverture La drogue libre ?14 � Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012

Dans les années 1980, Zurich a traversé une période sombre.A l’époque, dans cette villesuisse réputée paisible, 1 % des jeunes âgés d’une vingtained’années étaient héroïnomanes,et Zurich affichait le tristerecord du taux de sida le plusélevé en Europe. Le quartiergénéral des toxicomanes, le Platzspitz, près de la garecentrale, était devenu une vastezone de non-droit hantée par les dealers et les drogués, où les interventions de la police

étaient aussi violentes quevaines, se souvient AndréSeidenberg, qui fut parmi les pionniers d’un programmede changement radical de politique antidrogue. Ce médecin rappelle dans la Neue Zürcher Zeitungque les autorités ont longtempscampé sur leur positionrépressive, jusqu’à ce qu’uneéquipe de médecins volontairesse mobilise et commence à distribuer sur place seringueset aiguilles stériles dans le but

de limiter la propagation du sidaparmi les toxicomanes. Quelque 10 000 seringuesétaient distribuées chaque jourà plus de 2 000 personnes. Face au succès de l’opération, la municipalité finit par accepterde soutenir cette initiative,baptisée Zipp-Aids. Celle-ciallait ensuite déboucher sur un vaste programme de prise en charge médicale des drogués. Ce changementd’optique s’est révélé décisif : les héroïnomanes sont passés

du statut de délinquants et d’exclus à celui de malades,autorisant ainsi les décideurs– et l’opinion publique – à accepter l’idée de “fidéliser”les drogués par un programmede distribution de méthadone,un opioïde de substitution à l’héroïne. Copié dans le mondeentier, ce programme a permis– et permet toujours – de protéger les toxicomanescontre les pathologies lourdes(hépatite, sida, infections) et de les stabiliser sur le plan

psychologique et social grâce à un accompagnementprofessionnel. Si cette stratégie n’a paséradiqué la consommationd’héroïne, elle a limité le trafic et même le nombre de consommateurs. Elle a également suscité unconsensus dans tout le pays surune politique antidrogue fondéesur la prise en charge médicaleplutôt que policière. Même si le mépris n’a pas disparu à l’égard des toxicomanes.

Vu de Suisse

A Zurich, des médecins plutôt que des policiers

En Suède, un débatfumeux et houleux

Les seniors de l’herbe

A tout juste 69 ans,Paul McCartney,autrefois bassiste des Beatles, a annoncéqu’il venait de renoncerà fumer de l’herbe.Mais il va à l’encontrede la tendance : selonune récente étude de l’institut depsychiatrie du King’sCollege de Londres, la consommation dedrogue parmi les plusde 50 ans a décuplédepuis les années 1990au Royaume-Uni.Un consultant cité par The Irish Timesexplique que cettehausse est due au faitque les baby-boomersqui approchent dutroisième âge ne veulentpas renoncer pourautant aux plaisirs de leur jeunesse. “C’est le phénomène del’adolescent perpétuel.Non seulement ils veulentbouger comme Jagger,mais ils veulent aussimener le même train devie que lui.” De “vieux”consommateurs citéspar le journal dublinoisrejettent cette thèse.Un homme de 50 ansprétend qu’à son âge il est “plus mûr et plusraisonnable” dans safaçon de consommer de la drogue que pendantson adolescence.

� Saisie demarijuana par lapolice suédoise.

LARS

G P

ERSS

ON

N

Page 15: Courrier International du 13 juin 2012

Dans le sud de l’Albanie, deux jeunesNéerlandais découvrent Lazarat, unebourgade qui vit de la culture du cannabis.

Gazeta Tema (extraits) Tirana

Tout un village couvert de plantationsde cannabis, des enfants qui se frayentun chemin parmi des plants detrois mètres pour se rendre à l’école.C’est incroyable !” Ces deux Néer-landais, partis à la découverte de

l’Albanie à moto, n’en reviennent toujours pas.Agés de 25 ans, Theo Roelofs et Daan Vonk se sontinspirés du Voyage à motocyclette de Che Guevara

Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012 � 15

UKRAINE

MAROC

RUSSIE

BIÉLORUSSIE

UKRAINE

MAROC

RUSSIE

BIÉLORUSSIE

UKRAINE

MAROC

RUSSIE

BIÉLORUSSIE

ALBANIEALBANIE

10,110,110,1

ppp

//

373

500 km

FRANCE

CHYPRE

SLOV.

ROYAUME-UNI

IRLANDE

ALLEMAGNE

AUTRICHE

ITALIE

POLOGNE

ROUMANIE

BULGARIE

NORVÈGE

GRÈCE

PAYS-BAS

LITUANIE

LETTONIE

ESTONIE

FINLANDESUÈDE

DANEMARK

BELG.

LUX.

HONGRIE

SLOVAQUIE

RÉP.TCHÈQUE

ESPAGNE

PORTUGAL

29,5

4

0,7

3,6

5,3

8,7

1,9 2,4

7,5

1,5 1,1

3,6

1,5

20,4

1,8

21,2

6,4

11,9

11,4

1,8

42,4

6,6

0,7 1

5,1

2,91,1

5,6

0,9

8,4

1,6

2,51,2

3,8

13,1

2,8

23,9

21,7

1,1 1,1

19,4 9,1

23,3

0,9 2

12,9

12,8

2,2

7,5

0,9

10,1

1,12,2

7,3

10,6

2,1 2,2

15,1

2,11,3

1,3

18,9

22,3 Principales voiesd’acheminementde l’héroïnevers l’Europeen provenanced’Afghanistan

Les Balkanssont une zonede culture et de trafic decannabis végétal

La Belgique et les Pays-Bas,d’une part, la péninsule Ibérique, d’autre part, sont les deux portesd’entrée de la cocaïne en provenance d’Amérique latine et de la résine de cannabis en provenancedu Maroc

H é r o ï n e

H é r o ï n e

C o c a ï n e

C o c a ï n e

s in

e de c

a n n a b i s

R é s i ne d

e cannab i s

Ca

nn

ab

is

TURQUIE

ALBANIE

UKRAINE

MAROC

RUSSIE

BIÉLORUSSIE

La consommation de drogue chez les jeunes Européens

Code couleur des pays Possibilité d’emprisonnement pour détention de drogue pour consommation personnelle (infractions mineures) :

Principales routesde la droguePart des 15-24 ans ayant consommé de la drogue

au cours des 12 derniers mois (en % par pays)* cannabis

Top 5 de laconsommationde cannabis

cocaïne

ecstasy

Pour tout typede drogue

Pour tout type autre que le cannabis

Pas de peineprévue

* Les estimations de l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT) présentées ici se basent sur les dernières données disponibles (enquêtes réalisées entre 2004 et 2010)

29,5

Le village où le cannabis est roi

[son carnet de voyage à travers l’Amérique latine]et ont choisi notre pays pour tenter l’expérience.Dès leur arrivée, les deux jeunes ont entenduparler de Lazarat, une petite bourgade du sud del’Albanie, perchée à flanc de montagne, baignéepar le soleil les trois quarts de l’année… et cou-verte de cannabis. Les autorités ont beau déclarerchaque année que “Lazarat doit être nettoyé de cefléau”, la plante y règne en maître.

Les deux jeunes ont voulu voir par eux-mêmes. Sur place, ils n’ont pas été déçus : lesregards lourds de suspicion des villageois se sontrapidement mués en sourires dès qu’ils ontdécliné leur identité : “Des Hollandais, des Hol-landais !” Ce sésame leur a ouvert toutes les portes.Le petit film tiré de cette visite et posté sur You-Tube a fait des vagues. “Les Hollandais ont réussilà où la police albanaise a échoué”, ont titré les jour-naux. “Nous sommes restés à peine deux heures dansce village, banal en apparence, si ce n’était toutes cesplantations de cannabis”, raconte Theo. “Tout cequi est vert, c’est du cannabis. Le type qui nous aaccompagnés parlait un anglais impeccable. Sesparents lui ont payé des études à l’étranger grâce àl’argent du cannabis. On était en pleine récolte

annuelle et sa famille était en train d’étaler des plantsénormes dans la cour ensoleillée. On n’a pas eu ledroit de prendre des photos mais on a pu fumer autantque l’on a voulu !” s’enthousiasme le jeune homme.“Le cannabis leur rapporte un dixième du prix qu’ilest vendu dans les coffee shops néerlandais, et celasuffit à faire vivre confortablement la famille, pour-suit Theo. Les gens étaient très accueillants, mêmesi un automatique chargé trônait sur la table. C’estun petit commerce familial minuscule comparé à ceuxdes environs. Aucun doute, le cannabis est roi ici.”

La récolte, assurée surtout par des paysannesdésœuvrées, nourrit leur famille pour une annéeentière. “Pourvu que la police ne s’en mêle pas, ellenous priverait de notre seule ressource”, dit une sai-sonnière. Mais cet irréductible village craint peules autorités. En 2008, des hélicoptères de l’ar-mée, venus survoler les plantations illégales, ontété accueillis par des tirs de kalachnikov.

En 2012, les saisies de cannabis ont atteinttrois tonnes en Albanie. La dépénalisation ? Lesociologue Edmond Dragoti est plutôt contre.Cela introduirait encore plus de confusion dansune société toujours en transition : “Nous souffronsd’une liberté incontrôlée.” �

Page 16: Courrier International du 13 juin 2012

En couverture La drogue libre ?16 � Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012

En se fixant sur les récepteurs cannabinoïdes, le THC provoque une série de réactions à l’intérieur des cellules.

Récepteurs

CelluleTHC

Mode d’actionLe principal composant du cannabis est une substance appelée delta-9-tétrahydrocannabinol (THC). Le THC mime le comportement des cannabinoïdes endogènes (naturellement fabriqués par l’organisme) dont on sait qu’ils peuvent agir sur l’ensemble des cellules du corps et influencer de nombreuses fonctions : le mouvement, la pensée, la perception du monde extérieur…

En réduisant la pression à l’intérieur de l’œil, le cannabis pourrait contribuer au traitement du glaucome et de la rétinite.

Œil

L’inhalation de fumée de cannabis, avec ou sans tabac, peut entraîner des affections bronchopulmonaires.

Les goudrons contenus dans la fumée de cannabis ont des effets cancérigènes. Une étude de la British Lung Foundation [Fondation britannique pour le poumon] rapporte que fumer un joint par jour pendant un an augmente le risque de développer un cancer du poumon de 8 %. A titre de comparaison, fumer 20 cigarettes par jour pendant un an accroît ce risque de 7 %.

Système respiratoire

A faible dose, le cannabis atténue l’anxiété en stimulant les neurones producteurs de dopamine. A forte dose, il l’accroît.

Il peut altérer la mémoire, l’attention, la concentration, l’orientation spatiale et la coordination.

Système limbique

Le cannabis inhibe le centre de régulation de la satiété. On l’utilise parfois dans le traitement de l’anorexie. Mais son abus peut entraîner des crises de boulimie chez certains individus.

Il permet de prévenir les nausées provoquées par les traitements antisida et les chimiothérapies.

Hypothalamus

L’effet anticonvulsif du cannabis est étudié dans le traitement des spasmes musculaires liés à la sclérose en plaques. Certaines personnes atteintes d’épilepsie l’utilisent pour mieux contrôler leurs mouvements.

Cervelet

La prise de cannabis provoque une tachycardie qui réduit l’endurance aux efforts physiques.

Le delta-9-tétrahydrocannabinol (THC) et d’autres constituants de la fumée de cannabis peuvent boucher les artères.

Cœur et circulation

Les effets analgésiques du cannabis sont plus puissants que ceux de l’aspirine. Des recherches ont montré son efficacité dans le traitement des douleurs chroniques et des rhumatismes inflammatoires.

Moelle épinière

Des expériences sur des rats ont rapporté qu’une injection chronique de cannabis pouvait entraîner une altération des testicules et du cycle ovulatoire.

Système reproducteur

Des études montrent un risque accru de schizophrénie chez les fumeurs réguliers.

De 30 à 50 % des usagers présenteraient des états dépressifs à des degrés divers. La prise chronique peut entraîner des comportements agressifs et paranoïdes.

Une équipe de chercheurs espagnols a montré que le cannabis pouvait réduire de 80 % la croissance de certaines tumeurs cérébrales chez des modèles animaux.

Cerveau

Sour

ces :

“La

Vang

uard

ia”,

“Los

Ang

eles

Tim

es”,

“Nat

ure”

, “N

ew S

cien

tist”

, “Th

e In

depe

nden

t”, P

los M

edic

ine,

Tox

ibas

e, “L

es U

sage

s méd

icau

x du

cann

abis”

(éd.

L’E

sprit

frap

peur

).

Bienfaits et méfaits du cannabis

Page 17: Courrier International du 13 juin 2012

La naïveté qui domine dès que l’on parle de légaliser les drogues sans préciser lesquelles, ni la formeque prendrait cette légalisation,pourrait être contre-productive,estime un universitaire colombien.

Razón Pública Bogotá

La prohibition n’a fait que plonger lespays producteurs dans un bain de sanget dans les horreurs de la corruption…La guerre contre la drogue a échouépuisqu’on continue à en consommer…C’est le problème des gringos, pas le

nôtre… Chacun a le droit de faire ce qu’il veut de sonpropre corps…” Tels sont les arguments progres-sistes, nationalistes et relativement en vogue quicourent aujourd’hui sur les lèvres des chefs d’Etat,des analystes et des citoyens lambda appelant àla “légalisation des drogues”. Mais “légaliser lesdrogues” est une idée si floue qu’elle pourrait nemener nulle part. Aussi incroyable que cela puisseparaître, personne, pas plus lors des sommetsprésidentiels que dans le débat qui s’amplifie cesderniers temps, ne s’est attaché à éclaircir trois“détails” pourtant essentiels.

A commencer par la nature exacte de ces“drogues” dont on parle. La liste des substanceschimiques altérant le comportement, la percep-tion, le jugement ou les émotions est plutôtlongue et assez controversée. Et la liste desditsstupéfiants à laquelle nous nous référons aujour-d’hui répond à une classification arbitraire : dansles pays occidentaux sont licites l’alcool, le tabac,les stimulants mineurs et d’autres produits pharmaceutiques (comme la méthadone), cesderniers uniquement sur prescription médicale.Tous les autres stupéfiants, et en particulier ceuxqui engendrent une addiction, sont illicites selonles conventions internationales.

Mais chacune des substances actuellementinterdites produit (ou paraît produire, car cetaspect-là aussi est controversé) des effets diffé-rents sur la santé physique et mentale, s’adresse(ou semble s’adresser) à des consommateurs dif-férents et provient (ou non) de pays différents.De ce fait, légaliser le cannabis, la cocaïne, l’opiumou les amphétamines représente des démarchestotalement différentes.

Deuxième “détail” fondamental : il faut pré-ciser la phase du processus dont on parle. Dansle cas des substances d’origine végétale (qui sontle cœur du problème en Amérique latine), il fautdistinguer la culture de la coca et du pavot (et,pour le Mexique, celle du cannabis) de la pro-duction et de l’exportation de cocaïne et d’hé-roïne, faire la différence entre vente de drogueet consommation, et distinguer encore letrafic de produits précurseurs [servant à la fabrication des drogues, en amont] et les acti-vités de blanchiment.

Dans le débat actuel, s’agit-il de légaliser laconsommation, la production, la vente, la cul-ture, etc. ? Ce n’est pas la même chose que lesEtats-Unis autorisent la consommation decocaïne ou que les cultivateurs du Putumayo[département colombien, dans le sud-ouest du

pays] puissent vendre librement leurs récoltes[de feuilles de coca].

Troisième point  : l’idée de “légalisation”recouvre des champs très différents : s’agit-il demettre en place un marché libre ou, à l’inverse,d’instaurer un monopole d’Etat ? Est-il questionde supprimer les peines d’emprisonnement pourles remplacer par des thérapies ? D’arrêter lescampagnes de fumigation [épandage aérien d’herbicide pour tuer les cultures] au profit deprogrammes de développement rural ? D’autori-ser les médecins à prescrire ? De créer des lieuxde ventes réservés ? Bref, de quoi parlons-nous ?

Face à tant de flou, les prohibitionnistes resserrent les rangs autour d’une idée simple :mieux vaut ne rien changer du tout. Et, pendantque le président [de la Colombie], Juan ManuelSantos, évoque timidement l’idée d’“étudier desscénarios” ou que les sorties des présidents EvoMorales [en Bolivie] et Otto Pérez Molina au Guatemala [qui prônent tous deux un change-ment de politique] sont présentées comme desimples “pantalonnades”, la quasi-totalité desmembres de l’ONU (Colombie comprise) s’entiennent au régime orthodoxe en vigueur.

Dans ce paysage pétrifié, on ne discerneguère que deux ébauches de changement pos-sibles. D’une part, une dépénalisation de la consom mation et, éventuellement, des petitescultures de cannabis à usage personnel aux Etats-Unis (comme cela a été proposé en Alaska, auNevada, dans l’Etat de Washington, dans l’Ore-gon et, de façon plus notoire, en Californie),voire aussi en Europe. D’autre part, l’extensiondes programmes de traitement médical et deréduction des risques pour les toxicomanes,comme l’ont fait les Pays-Bas (coffee shops àAmsterdam, délivrance médicale d’héroïne, dis-tribution gratuite de seringues pour lutter contrele sida, etc.).

Ces mesures pourraient peut-être améliorerles choses pour les pays consommateurs – et pourles consommateurs colombiens aussi. Mais ellesne changeraient rien au principal problème del’Amérique latine : l’exportation de cocaïne et ledilemme tragique entre violence et paralysie del’Etat qui nous voue à la destruction. Pis, la libé-ralisation de la drogue aux Etats-Unis ou enEurope risquerait bien d’entraîner une augmen-tation des exportations latino-américaines, etnotre dilemme se ferait plus cruel encore. J’aidonc un message pour les progressistes quidans notre pays réclament la “léga lisation desdrogues” : attention au retour de boomerang.Hernando Gómez Buendía** Philosophe, économiste, avocat et sociologue, trèsimpliqué dans la vie politique et intellectuelle de laColombie, directeur de la revue en ligne Razón Pública.

Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012 � 17

La grande illusion de la légalisation

Dans une nouvelle biographie du locataire de la Maison-Blancheintitulée Barack Obama: the Story(Barack Obama : l’histoire), qui sera publiée le 19 juin prochainaux Etats-Unis, le journaliste du Washington Post DavidMaraniss revient sur la jeunessemouvementée du présidentaméricain et notamment sur son goût pour l’herbe. S’il ne s’agitpas d’un scoop, puisque Obama a confessé dans sonautobiographie Les Rêves de monpère qu’il avait déjà fumé de l’herbe et l’a répété durant la campagne électorale de 2008, ces nouvelles indiscrétions ont tout de même fait réagir les défenseurs de la légalisation du cannabis aux Etats-Unis, déçus de la politique répressivepoursuivie par Barack Obamadepuis son arrivée à la Maison-Blanche. Comme l’écrit lechroniqueur Clarence Page dans

les colonnes du ChicagoTribune, ”depuis son investiture, les arrestations pour détention de marijuana ont atteint des niveaux records et se sontchiffrées à 850 000 par an en 2009 et 2010, selon les dernierschiffres du FBI. De même, plus de 100 raids ont été menés par les autorités fédérales dans neuf Etats ayant autorisé la consommation de marijuana à des fins thérapeutiques, enparticulier en Californie. Ces raidsse sont soldés par la fermeture dedizaine de centres de distribution de cannabis thérapeutiqueagréés, ainsi que par la fermeture d’un centre de formation à la culture et à la distribution du cannabis à Oakland”. De quoise demander, conclut le chroniqueur,“si le Barack Obama d’aujourd’huine ferait pas tout pour arrêter le jeune adepte de la fumette qu’il était dans les années 1970”.

Etats-Unis

La main de fer d’Obama

Sur le w

eb

www.courrier

international.com

A relire, un article de l’hebdomadairecolombien El Malpensante paru dans CI n° 1112, du 24 février 2012,expliquant comment,en janvier dernier, le président de laColombie, Juan ManuelSantos, a brisé un tabou en évoquant– prudemment – la légalisation de la cocaïne.

CAR

LOS

VILL

ALO

N/R

EDU

X

� En Bolivie, où la culture de la feuille de cocaest autorisée.

Page 18: Courrier International du 13 juin 2012

La guerre contre les drogues menée en Amérique latine a échoué.L’expérience montre qu’il estimpossible de lutter contre le trafic.Des voix de plus en plus nombreusess’élèvent pour exiger un changementde politique et… des lois.

El País Madrid

Le 8 avril dernier, les ex-présidentslatino-américains Fernando HenriqueCardoso [Brésil, de  1995 à  2003],César Gaviria [Colombie, de 1990à 1994] et Ernesto Zedillo [Mexique,de 1994 à 2000] ont publié un nou-

veau document sur la question des drogues enAmérique latine. Celui-ci reprend les idées deleurs déclarations antérieures, faites il y a quatreans dans le cadre de la Commission mondiale surles drogues. Mais, cette fois, plus explicitementencore, ils réitèrent que “quarante ans d’immensesefforts n’ont pas réussi à réduire la production ni laconsommation de substances illicites” et qu’“au vude l’inefficacité et des conséquences désastreuses de la‘guerre contre les drogues’ [force est de constater]l’échec de la stratégie prohibitionniste et l’urgenced’ouvrir un débat sur d’autres politiques”.

D’ores et déjà, ils parlent clairement de laréglementation du cannabis, qui équivaudrait àcelle de l’alcool et du tabac. Ils passent en revue

les expériences pertinentes tentées ces dernierstemps : “les expériences européennes en matière desanté publique et de réduction des dommages ; cellesde médecins dans certains Etats des Etats-Unis avecl’utilisation médicale du cannabis ; la mobilisation dusecteur privé et des milieux scientifiques, ainsi que lesattentes des jeunes…” Qu’il s’agisse d’anciens pré-sidents comme Vicente Fox [Mexique] ou FelipeGonzález [Espagne], d’intellectuels comme MarioVargas Llosa [écrivain péruvien, Prix Nobel delittérature 2010] ou encore de nombreux anciensdirigeants d’autres pays, tous s’accordent sur unpoint : l’actuelle politique ne fonctionne pas.

Grâce à l’initiative de ces trois anciens prési-dents, le Sommet des Amériques, qui eu lieu àCartagena [Colombie] du 14 au 15 avril dernier, alancé le débat à l’échelle des chefs d’Etat en exer-cice. Pour la première fois, un président des Etats-Unis s’est vu obligé d’écouter les arguments, lesthèses, la douleur de ses homologues du sud duRio Grande, qui évoquaient les conséquencesdésastreuses et les maigres résultats de la guerrecontre la drogue. Comme l’ont bien dit JuanManuel Santos [Colombie], Otto Pérez Molina[Guatemala] et Laura Chinchilla [Costa Rica], cen’est que le début d’un long processus, et seulle temps et la discussion inciteront d’autres diri-geants latino-américains à convaincre BarackObama ou son successeur que la politique desquarante dernières années est un fiasco.

L’actuelle position mexicaine va bientôt chan-ger, et ainsi le principal obstacle à un consensusrégional en faveur d’une alternative sera levé. LeMexique est le seul pays de la région qui soit à lafois producteur de drogue et zone de transit ;c’est celui qui a payé le plus lourd tribut – plus de50 000 morts ces cinq dernières années – à lalutte contre le trafic de drogue (la Colombie aaussi combattu les guérilleros et les paramili-taires) ; et c’est celui qui, pour des raisons évi-dentes, a le plus de liens avec les Etats-Unis.L’actuel président, Felipe Calderón, a été l’un desprincipaux champions de la position prohibi-tionniste, même s’il a accepté du bout des lèvresqu’il y ait un débat sur la légalisation. MaisCalderón termine son mandat le 30 novembre,et tous ses successeurs éventuels ont déjà com-mencé à prendre leurs distances par rapport à lapolitique menée pendant son sexennat.

Si l’on cesse de concentrer toutes les res-sources sur la guerre contre la drogue, cela signi-fie qu’on “laisse passer la drogue” aux Etats-Unis,comme l’a dit en privé un ancien président d’Amé-rique centrale ; et si on légalisait le marché de ladrogue sans le réglementer, cela reviendrait àencourager la culture de l’illégalité et de l’impu-nité. Comme personne ne souhaite en arriver làdans une région sinistrée par la faiblesse de l’Etatde droit, nous en venons à la recommandationde Cardoso, Gaviria et Zedillo : changer la loi pourl’adapter à la réalité, au lieu de vouloir changerla réalité pour l’adapter à la loi.

Beaucoup disent la même chose depuis cinqans, tant au Mexique que dans de nombreux paysd’Amérique latine. Penser qu’on puisse réprimerle narcotrafic tout en protégeant la société dansun contexte de rareté des ressources et de fai-blesse institutionnelle relève de la naïveté, voirede la bêtise. Il est bon que l’Amérique latine, peuà peu, avance sur ce chemin ; il est bon que Car-doso, Gaviria, Zedillo, Fox et Vargas Llosa pren-nent parti plus clairement ; il est bon que BarackObama écoute ; il est bon que même au Mexiqueles choses changent. Jorge Castañeda** Ancien ministre des Affaires étrangères du Mexiquede 2000 à 2003.

En couverture La drogue libre ?18 � Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012

Constat d’échecpour la prohibition

L’Amérique latine se noie dans un véritablebain de sang. C’est le continent le plus violentau monde, loin devant l’Afrique. Parmi lesquatorze pays du monde qui comptent le plusd’assassinats, sept se trouvent en Amériquelatine, à commencer par le Salvador, où l’on court bien plus de risques de prendreune balle qu’en pleine guerre d’Irak.L’origine de toute cette violence est clairecomme l’eau de la mer des Caraïbes : la luttecontre la drogue. Ces quarante dernières années,à partir du jour où Richard Nixon s’est assisdans le fauteuil présidentiel, les Etats-Unis ont mené une politique de répression contre la drogue sur tout le continent. Avec le durcissement de la réglementation, les criminels se sont assuré le monopole d’un marché des plus lucratifs qui leur permetd’être mieux armés et mieux payés quen’importe quelle force officielle de sécurité.Résultat ? Un niveau de violence jamais atteint.Paradoxalement, en l’absence d’investissementsdans la santé et l’éducation, la consommationde drogue ne cesse d’augmenter.La lutte contre la drogue représente aujourd’huile principal obstacle au développement de l’Amérique latine. Mais le vent tourne. Le mois dernier,Otto Pérez Molina, le président du Guatemala ,a demandé à ses homologues d’Amériquelatine d’amorcer une réflexion pour trouver des solutions à ce problème, évoquant mêmel’idée de créer des marchés contrôlés pour le cannabis, de sorte que le trafic deviennemoins lucratif, ce qui aura pour effet de limiterles ventes d’armes. Or Pérez Molina n’a pasexactement le profil d’un hippie aux cheveuxlongs : il s’agit d’un général, partisan de la lignedure, élu sur sa promesse de “mettre KO lescartels”. Des pays aussi importants que la Colombie, le Mexique, l’Argentine, le Chili et l’Uruguay n’ont pas tardé à apporterleur soutien à cette courageuse initiative.L’ex-président colombien César Gaviria a affirmé que la plupart des responsablesgouvernementaux américains savent que la lutte contre la drogue est une erreur, qui doit sa persistance au simple fait qu’elle “fonctionne en mode automatique”.Au milieu de ce chaos, il reste un pays, le Brésil, dont la position est fondamentale. Si Dilma Rousseff soutient clairement cetteinitiative, le Brésil, le Mexique et la Colombie,les trois principales économies d’Amériquelatine, parleront d’une même voix et pourrontempêcher un bain de sang dans la région. Ce qui pourrait changer bien des choses dans le monde entier. Et pourtant, le Brésil ne s’engage pas. Le palais Itamaraty, le ministère des Affaires étrangères, s’estrefusé à tout commentaire hormis une vaguedéclaration selon laquelle le pays “n’est pasopposé à un débat”. Denis Russo Burgierman*Folha de São Paulo (extraits) São Paulo

* Journaliste brésilien, auteur de l’ouvrage O fim daguerra : a maconha e a criação de um novo systemapara lidar com as drogas (La fin de la guerre : le can-nabis et la création d’un nouveau système de luttecontre les drogues) Leya, 2011.

Vu du Brésil

A l’origine de la violence

Des projets qui avancent

En Argentine, la dépénalisation des drogues estactuellement au cœurdes débats auParlement. Les députéstravaillent sur un projetde loi autorisant ladétention de tout typede stupéfiants à desfins de consommationpersonnelle etdépénalisant la culturede toutes les droguessans objectifscommerciaux. Au Brésil, le Parlementest également en trainde discuter d’un projetde réforme du Codepénal qui propose de dépénaliser la possession de “petites quantités”de cannabis, voired’autres stupéfiants.

� A Oakland, une associationenseigne la culture du cannabis.

GU

ILLA

UM

E ZU

ILI/

VU

Page 19: Courrier International du 13 juin 2012

Réélu député dès le premiertour des législatives, Jean-MarcAyrault se reconnaît deuxmodèles : l’Allemagne et sa chère ville de Nantes.

Frankfurter Allgemeine Zeitung(extraits) Francfort

�J ean-Marc Ayrault n’est paspressé. Le TGV de Paris va bien-tôt arriver, avec à son bord Mar-

tine Aubry, la première secrétaire du Partisocialiste. Une poignée de main au mar-chand de journaux du kiosque et le Pre-mier ministre poursuit tranquillement saroute. Il bavarde un peu avec l’homme quise trouve derrière le comptoir de sand-wichs. “Bonjour*, comment ça va aujour-d’hui ?” Un couple âgé passe en traînantune valise à roulettes. “Où partez-vous envoyage ?” s’enquiert Ayrault.

Dans le hall de la gare de Nantes, il restepour tous Monsieur le Maire*, un respon-sable politique sympathique et accessible,toujours disponible pour les électeurs desa ville [il doit abandonner cette fonctionfin juin à son premier adjoint, Patrick Rim-bert]. Puis, tout d’un coup, une équipe detournage se rue sur lui, on lui brandit unmicro touffu sous le nez, Jean-Marc Ayraultcligne des yeux et prononce quelquesphrases appliquées. “Maintenant il a son cos-tume de Premier ministre”, confie BrigitteAyrault, une créature mince et élégante.Elle observe son mari à bonne distance.

La fierté de l’urbanisteLe voilà parvenu sur le quai. La cohorte decaméramans, de photographes et de jour-nalistes qui l’entoure est devenue plusdense. Martine Aubry arrive, il la serre dansses bras, une bise sur la joue droite, unesur la gauche, des gestes d’amitié pour leJT du soir. Après tout, ce 2 juin, on est encampagne électorale.

Jean-Marc Ayrault et Martine Aubryprennent place côte à côte dans un mono-space Citroën bleu foncé et démarrent àtoute vitesse. Ils franchissent le pont quitraverse la Loire et empruntent des rues àpropos desquelles Jean-Marc Ayrault pour-rait en dire long en matière de changementurbain. Car, à 62 ans, le maire a, au coursdes vingt-trois dernières années, trans-formé la grise capitale de Loire-Atlantiqueen l’une des métropoles les plus dyna-miques de France.

Quand ce professeur d’allemand estarrivé à la mairie, en 1989, Nantes était àpeu près dans le même état que la Franceaujourd’hui. Les gens regardaient l’aveniravec angoisse, ils étaient démoralisés parcequ’ils ne se sentaient pas en mesure defaire face aux bouleversements écono-miques en cours – le dernier chantier navalvenait de fermer.

France

Maintenant Jean-Marc Ayrault peutflâner en ville avec la fierté de l’urbanistequi a réussi. Non loin de la gare, l’ancienneusine de biscuits LU abrite désormais uncentre culturel appelé Lieu Unique, quicomprend salles d’exposition, restaurant,café, librairie et hammam. Au milieu de laLoire, sur l’île de Nantes, qui abritait jadisdes chantiers navals et de gigantesquesentrepôts de produits coloniaux, seule unegrue de chantier naval jaune vif rappellel’ancienne destination du lieu. Aujourd’hui,Nantais et touristes viennent y voir LesMachines de l’île, des animaux géants

mécaniques inspirés de Jules Verne, ous’amuser au Hangar à bananes, unensemble de vastes salles d’exposition, derestaurants et de bars. L’île abrite égale-ment le palais de justice dessiné par JeanNouvel, et sur le quai d’en face se trouvele Mémorial de l’abolition de l’esclavage,inauguré en avril, qui rappelle que Nantesfut la principale ville négrière de France.

Développement de nouvelles brancheséconomiques dans les services et la cul-ture, volonté de mettre en place un déve-loppement durable – Nantes sera capitaleeuropéenne de l’environnement en 2013 –

et rapport à l’Histoire honnête mais paschargé de culpabilité : telles sont les carac-téristiques de la métamorphose de la ville.“Nantes n’est peut-être pas un modèle pour laFrance entière, mais en tant que vitrine detransformation urbaine oui, c’est un bonexemple”, déclare Jean-Marc Ayrault, quimanie volontiers la litote.

Jean-Marc Ayrault ne reste pas àNantes, il part faire campagne dans lescommunes voisines, direction la côte atlan-tique. Sainte-Pazanne était un bastion dusarkozysme ; aujourd’hui, la circonscrip-tion pourrait tomber aux mains des socia-listes. “Venez prendre un petit verre avec lePremier ministre !” lit-on sur l’invitation dela candidate socialiste Monique Rabin [enballottage favorable à l’issue du premiertour]. Ça sonne bien et la moitié de la villeest là, debout, à attendre sous le soleil, surla place entre la mairie et l’église. QuandJean-Marc Ayrault sort de sa voiture, lecostume impeccable, sans le moindre fauxpli, les cheveux gris-blanc à la raie biennette, Monique Rabin ne sait plus très biencomment elle doit l’accueillir. “Bonjour*,Jean-Marc”, pardon, “bonjour, monsieur lePremier ministre”, se reprend-elle.

Net et sans un pliInterrogé par des journalistes allemands,Ayrault leur répond dans un allemandparfait ; les personnes qui l’entourent lecontemplent avec un certain étonnement.L’Europe doit à nouveau incarner l’espoird’une vie meilleure, déclare-t-il, elle ne peutpas être uniquement synonyme de rigueur.Brigitte Ayrault lui tire doucement le bras :il pourra expliquer tout ça plus tard, dit-elle en souriant.

La femme de Jean-Marc Ayrault est elleaussi enseignante de métier. Elle ne parlepas allemand, explique-t-elle gaiement,mais elle connaît la passion de son maripour la langue et la culture allemandes. “Ilpeut en parler pendant des heures”, confie-t-elle. Quand il était étudiant, ce fils d’ou-vriers a passé un semestre à Wurtzbourg,c’était encore inhabituel à l’époque. Mairede Nantes, il s’est régulièrement rendu àSarrebruck, commune avec laquelle sa villeest jumelée, et il entretenait des contactsà Berlin en tant que président du groupesocialiste à l’Assemblée nationale. Sonéquipe parisienne comprend des gens quiconnaissent l’Allemagne –  ChristopheChantepy, son chef de cabinet, a un appar-tement à Berlin et le germaniste Jacques-Pierre Goujon, son conseiller, a passébeaucoup de temps en Allemagne.

Le cortège reprend sa route. SophieErrante, une autre candidate socialiste,compte sur l’aide du Premier ministre [elleaffronte le second tour en ballottage trèsserré]. “Ensemble nous gagnerons”, prometJean-Marc Ayrault. Martine Aubry, elle, adéjà disparu. Michaela Wiegel* En français dans le texte.

Législatives

Des bords de la Loire à Matignon

premier tour des législatives, le10 juin, dont Laurent Fabius. Dix-neuf autres ministres doivent enpasser par un second tour, ce17 juin. Ceux qui échoueront dansles urnes devront renoncer à leurportefeuille, a fait savoir Matignon.

Premier tour Réélu avec 56,21 % desvoix, Jean-Marc Ayrault a trèsfacilement conservé son siège dedéputé dans la circonscription deNantes-Saint-Herblain, qu’il détientdepuis 1988. Cinq de ses ministresse sont comme lui fait élire dès le

Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012 � 19

Si la nomination de Jean-Marc Ayrault à Matignon a été bien accueillie enAllemagne, c’est dans unepetite ville de Sarre qu’ellea fait le plus d’heureux. A Saint-Ingbert, 37 000habitants, monsieur le Premier ministre est eneffet une figure connue :la ville est jumelée depuis1981 avec Saint-Herblain,une commune de

l’agglomération nantaisedont il fut maire de 1977à 1989, avant de prendrela mairie de Nantes.Winfried Brandenburgétait en 1981 chef dugroupe social-démocrateau conseil municipal de Saint-Ingbert. Il se rappelle qu’Ayrault, à l’époque, était venuchez lui, dans son salon,négocier ce partenariat.

Et les liens sont restésétroits entre les deuxhommes. Interrogé par la SaarbrückerZeitung, Brandenburg se souvient qu’Ayrault, alors maire de Nantes, lui avait une foisemprunté sa petitemaison de campagne,pour des vacances “sansélectricité, mais avecl’eau courante”.

Souvenirs de Sarre

Jean-Marc Ayrault dans mon salon

� Dessin de Glez paru dans le Journal du jeudi, Ouagadougou.

Page 20: Courrier International du 13 juin 2012

20 � Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012

A 60 ans passés, l’écrivainbritannique Julian Barnesredécouvre le roman d’Alain-Fournier. Et, miracle, le charmeopère comme au premier jour.

The Guardian (extraits) Londres

�I l ne fait aucun doute que Le GrandMeaulnes compte parmi les clas-siques de la littérature. Interro-

gés il y a une douzaine d’années sur leursromans du XXe siècle préférés, les Françaisl’avaient placé en sixième position, der-rière Proust et Camus. Mais, si la plupartdes Français l’ont lu en classe, peu d’entreeux le relisent à l’âge adulte (du moinsselon un sondage que j’ai mené autour demoi). Se replonger des années après dansdes textes imposés par le corps enseignantpeut en décourager certains ; mais c’estsurtout la crainte de ne plus voir la magiedu roman opérer qui explique sans doutecette désaffection – comme si à l’âge adultenous en savions trop pour nous laisserhapper par le charme de l’ouvrage. C’estpourtant une erreur. “Le plus grand romande l’adolescence de la littérature européenne”,dixit John Fowles [l’auteur de Sarah et leLieutenant français], ne peut être appré-hendé que de manière tronquée par lesadolescents, qui ignorent encore tout cequ’ils vont perdre avec l’âge.

Les Britanniques lisent ce livre géné-ralement plus tard que les Français. Pourma part, j’ai attendu d’approcher la qua-rantaine pour m’y atteler. Pendant long-temps j’avais été rebuté par le titre del’ouvrage, par la couverture qui montraitun superbe château français émergeantd’une forêt de conte de fées, et par la quatrième de couverture qui annonçaitl’histoire d’un garçon découvrant mysté-rieusement une superbe propriété et ren-contrant une jeune fille énigmatique, pourmieux ensuite les perdre tous les deux.J’imaginais une histoire sentimentale surfond de terroir et pensais, à tort, que j’étaistrop vieux pour ce genre de choses. En fait,j’étais surtout trop jeune.

Jouer à être grandsDans les souvenirs de la plupart d’entrenous, l’adolescence reste l’âge d’unedouble impasse : trop vieux pour conti-nuer à nous conduire comme des enfants,nous étions encore trop jeunes pour êtreconsidérés comme des adultes. Dans LeGrand Meaulnes, toute la magie d’Alain-Fournier est justement de créer un uni-vers onirique où ces impasses sont autantde portes ouvertes. Quand le grandMeaulnes, inlassable voyageur vagabond,tombe sur le château perdu, il s’y dérouleune sorte de fête champêtre, où les parti-cipants portent des costumes des années1830. Surprenant une conversation entre

France

enfants, il apprend que, le temps des fes-tivités, ces derniers ont le droit de “fairece qu’ils veulent”. Le rêve impossible dugrand Meaulnes est donc celui d’une exis-tence où nous pourrions rester des enfantstout en décidant de notre vie – nous joue-rions en quelque sorte à être grands : voilàla définition de la liberté donnée par LeGrand Meaulnes.

En relisant cette œuvre à plus de60 ans, je craignais de la trouver mièvre.[Or] le roman est à la fois magique, che-valeresque et improbable, faisant la partbelle aux coïncidences et aux coups dethéâtre, mais il ne sombre jamais dans lesentimentalisme, car il reste fidèle à ce quefut notre adolescence, pleine d’espoirs, depeurs et de rêves impossibles.

Ce qui m’a surpris à la relecture, c’estl’intensité littéraire de ce roman. Alain-Fournier, en 1905, avait travaillé trois moiscomme employé dans l’usine de papierpeint de Sanderson, à l’ouest de Londres.Anglophile, il était un grand admirateur deDickens, de Kipling et de Stevenson – ilqualifiait ce dernier de “délicieux Anglais”.La grande aventure de Meaulnes rappellele Grand Jeu [conflit larvé qui opposa laRussie et la Grande-Bretagne en Asie auXIXe siècle] de Kim [de Kipling, paru en1901], et le roman est truffé de trouvaillesà la Stevenson (la carte incomplète, la quêted’un trésor perdu, le coffre fermé à clé quicontient l’indice vital). Le Robinson Crusoé

de Defoe est cité dès les premières pages.Les influences françaises sont multipleselles aussi. Même si Alain-Fournier est restéimperméable à l’œuvre de Flaubert, lepremier chapitre de son roman (commeMadame Bovary) s’ouvre sur l’arrivée d’unnouvel élève dans une salle de classe. L’uni-vers onirique de Laforgue imprègne éga-lement le roman, tout comme le Pelléas etMélisande de Maeterlinck, pris à travers leprisme de l’opéra de Debussy. La phrase“Nous sommes deux enfants” rend ainsi hom-mage à la célèbre réplique de Golaud sur-prenant les deux amoureux transis : “Vousêtes des enfants.”

Gorgé de références littéraires, le ro -man porte aussi en lui la littérature à venir.Pour moi, il est évident que le narrateur,François Seurel, préfigure Nick Carraway,le narrateur de Gatsby le Magnifique [publiéen 1925 par l’Américain Francis Scott Fitz-gerald]. Tous deux sont des personnagesfalots et plutôt passifs, fascinés par unmonde enchanté, des êtres casaniers qui

admirent l’altérité et l’audace de l’aventu-rier ; tous deux pressent leur nez contre lavitrine du magasin (un peu comme nous,lecteurs) tout en sachant pertinemmentque jamais la vitre ne rompra.

Fitzgerald, qui se trouvait à Paris dansles années 1920, a probablement lu LeGrand Meaulnes (et peut-être mêmeemprunté la structure de son titre pourson Great Gatsby [titre original]). Mais jen’ai pas réussi à en apporter la preuve. Toutce que j’ai pu découvrir, c’est que le pre-mier traducteur du roman d’Alain-Four-nier était Harry Crosby, un expatriémillionnaire qui gravitait dans les mêmescercles parisiens que Fitzgerald.

Derniers feuxBien entendu, la relecture met à nu les fai-blesses du roman. Dans le premier tiersde l’ouvrage, le monde onirique cohabiteà la perfection avec l’univers réaliste d’uneenfance vécue à la campagne. Dans ledeuxième tiers, le charme n’opère plus. Cen’est que dans le dernier tiers que l’his-toire retrouve son brio, l’extrême com-plexité de l’intrigue (cinq personnagesprincipaux pour deux triangles amoureux)se dénouant comme par magie pourdonner toute la mesure des chagrins quela vie peut nous offrir, ainsi que le sou-haitait Alain-Fournier.

Je suis pourtant resté sur un légerregret, celui de voir Meaulnes et Seurelrésoudre le mystère et débusquer leDomaine perdu [dont Meaulnes, dans leroman, a oublié l’accès]. Le charme mys-térieux de la propriété est si puissant qu’ilest presque douloureux de pouvoir finale-ment la situer sur une carte. Mais il fautbien que l’intrigue se dénoue une fois quele roman a rempli sa mission première denous enchanter.

Dans les premières pages du roman,ensorcelantes, Meaulnes monte au grenierdes Seurel et y découvre de vieux feux d’ar-tifice du 14-Juillet datant de plusieursannées. Deux des fusées peuvent encoreservir. Meaulnes emmène Seurel dans lacour et allume la mèche ; les deux garçons,main dans la main, regardent le ciel s’illu-miner sans broncher. Cette scène préfi-gure la réaction impassible de Meaulnesface aux embrasements de l’amour ; elleincarne également la réaction du lecteurau roman lui-même. Car le romantisme futun formidable spectacle pyrotechnique et,des décennies après la fin de son bouquetfinal, des artistes ont continué de lancerleurs fusées. Le Grand Meaulnes fut l’un desderniers embrasements du romantismetardif. Il fut publié en 1913 ; l’année sui-vante, la Grande Guerre éclatait (tuantAlain-Fournier dès les premières semaines)et enterrait définitivement le romantisme.Mais il nous reste la possibilité de contem-pler ses derniers feux, éblouis.Julian Barnes

Littérature

Le grand Meaulnes, un éternel adolescent

remporté le prix Médicis pour Le Perroquet de Flaubert (1986) et le prix Femina étranger pour Love, etc. (1992). En 2004, il a été fait commandeur de l’ordre des Arts et des Lettres.

L’auteur Né en 1946, l’écrivainbritannique Julian Barnes est un grand admirateur de la France et de la culture française.Les Français le lui rendent bien :l’écrivain a successivement

En 2011, Julian Barnes a par ailleursreçu le Booker Prize, un trèsprestigieux prix littéraire anglais,pour son dernier roman, The Senseof an Ending, encore inédit en français.

� Dessin de Cost, Belgique.

J’imaginais une histoiresentimentale sur fond deterroir et pensais, à tort,que j’étais trop vieuxpour ce genre de choses.En fait, j’étais trop jeune

Page 21: Courrier International du 13 juin 2012

Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012 � 21

Les élections législativesanticipées du 17 juin doiventpermettre de désigner un nouveau gouvernement.Après une campagne menéedans un climat de catastrophe,le scrutin s’annonce très incertain.

To Vima (extraits) Athènes

�L e 17 juin, la Grèce organise unscrutin crucial sur fond denaufrage économique, social

et politique du pays. Les actes de violences’ajoutent à la tension et les statistiquesde l’économie nationale montrent àl’évidence que le gouvernement qui vasortir des urnes n’aura aucune margede manœuvre. Le pays est isolé puisqueles grandes sociétés d’assurance-crédit(Coface, Euler Hermes) ont cessé d’assu-rer les exportations vers la Grèce. Lesentreprises grecques sont à bout, car ellesdoivent désormais payer comptant toutesleurs importations.

Le risque de pénurie de matières pre-mières, de médicaments et de nourritureest palpable et impose des réactionsimmédiates, alors que les milieux d’af-faires parlent déjà d’“un cauchemar quirappelle l’Albanie de Hoxha” si aucune solu-tion n’est trouvée.

Les entreprises grecques manquentde matières premières, au point que leurproduction dépend des importations. Surle plan énergétique, le pays est au borddu gouffre car il n’y a plus de crédits etla Grèce risque bientôt de ne plus avoir

Europe

accès au marché iranien à cause de l’em-bargo international imposé à Téhéran.

Les économistes et les milieux poli-tiques internationaux considèrent que laprobabilité d’une sortie du pays de la zoneeuro est de plus en plus forte, alors quel’isolement gèle les échanges et accordscommerciaux dans les secteurs du tou-risme, du commerce et des transports.Par ailleurs, les sociétés multinationalesqui conservent une activité dans le paysprennent leurs dispositions et mettent duliquide de côté.

Dans cet environnement, et alors quela tension sur le plan politique est évidente,surtout après l’incident violent entre repré-sentants politiques retransmis en direct à

la télévision la semaine dernière, ou l’affairede Paiania [un adolescent de 15 ans a tuéun cambrioleur pour protéger sa famille],les analystes politiques sont unanimes : le17 juin, le vote de la peur dominera.

A en croire les intentions de vote, lessondeurs ont déjà une idée du résultatauquel il faut s’attendre le 17 juin, mais ilsrestent sur leurs gardes quant aux consé-quences de l’attaque du député de ChrysiAvgi [Aube dorée, extrême droite] contrela députée communiste Liana Kaneli.

Un analyste qui travaille avec plusieurspartis politiques considère que le carac-tère même de l’élection a changé. “Les élec-tions du 6 mai étaient celles de la colère, cellesdu 17 juin seront celles de la peur”, souligne-

t-il sous couvert d’anonymat. Ainsi, ilestime qu’il y aura un renforcement duvote en faveur du système [mémorandumsur l’austérité] et, parallèlement, un res-serrement du vote anti-système.

Pour lui, les électeurs qui “en toute igno-rance” avaient opté pour Aube dorée auxdernières élections voteront, en restant

dans une logique antimémorandum, pourSyriza, la coalition de la gauche radicale[arrivée deuxième le 6 mai et favorite pourle 17 juin]. Il estime également probableun report des électeurs du Parti commu-niste vers Syriza ainsi qu’un recul du voteantisystème avec un report des électeursd’Aube dorée qui ne veulent pas voter pourdes partis de gauche ou de centre droitsur le Parti des Grecs indépendants [partide droite antimémorandum].

Selon le président de l’un des princi-paux instituts de sondages, Aube dorée estdéjà sur une pente descendante et ne retrou-vera pas les 7 % qu’il a recueillis le 6 mai.

La plupart des analystes politiques etsondeurs d’opinion estiment donc qu’ilfaut s’attendre, dimanche prochain, à unrassemblement important autour des“forces politiques plus flexibles” – dontSyriza, qui est entré dans le pôle des déci-deurs pour l’avenir du pays. Angelos Kovaios** Angelos Kovaios est l’un des principaux éditoria-listes de l’hebdomadaire grec To Vima.

Allemagne

Berlin, son aéroport, son opéra et tous ses chantiers en retardLe report en mars 2013 del’inauguration du grand aéroportinternational de Schönefeldsuscite d’âpres commentairessur l’incurie de la capitale et de son maire, Klaus Wowereit.

Stern (extraits) Hambourg

�I l arrive parfois que le sommetd’un iceberg soit aussi énormequ’un iceberg entier. C’est le cas

à Berlin. Le fait que le nouvel aéroport deSchönefeld n’ouvre pas le 3 juin commeprévu, mais le 17 mars 2013, à cause d’unesérie d’erreurs de planification, de négli-gences et de manœuvres de dissimulationest déjà une honte pour la capitale et pourKlaus Wowereit, son maire, mais ce n’est

que le sommet de l’iceberg berlinois. Pourjuger de ses véritables dimensions, il fautprendre en compte une seconde nouvelletout aussi honteuse : la réouverture del’Opéra national Unter den Linden a, elleaussi, été repoussée d’un an, pour ladeuxième fois. La maison devait à l’originerouvrir ses portes en octobre 2013, puis onavait parlé de 2014 ; maintenant ce ne seraqu’à l’automne 2015.

Furieux, Daniel Barenboïm, le direc-teur musical, n’y va pas de main morteet dénonce une “totale incurie”. Il ne sedoute pas à quel point il a raison. Carsous l’aéroport et l’Opéra se dissimulele véritable iceberg, un scandale quoti-dien, de grande ampleur, un monumentd’incompétence : les autorités politiquesn’exercent pas leur mission de surveillancesur les chantiers publics.

Lorsqu’on se déplace dans la capitaleles yeux grands ouverts, on s’aperçoit rapi-dement que quelque chose ne va pas. Berlinest truffée de chantiers, de rues et de placeséventrées, de bâtiments publics couvertsd’échafaudages où l’on ne travaille pas oualors très lentement, pendant des mois,voire des années. Le bureau de Stern, enface de la cathédrale et de l’île aux Musées,se trouve dans une petite rue qui illustreà merveille ce phénomène. Nous noussommes installés là en 2004 et, en huitans, nous n’avons jamais vu cette ruellesans chantier.

Je me suis plusieurs fois entretenuavec Klaus Wowereit de cette situationimpossible. Que font les autorités avecdes entreprises manifestement incapablesd’exécuter les contrats dans les tempsimpartis, ce qui a un coût nécessairement

élevé pour le contribuable  ? Wowereitconvenait que cela faisait beaucoup d’ar-gent gaspillé, s’en inquiétait, mais relataitl’impuissance de ses services, car les entre-preneurs avaient déjà intégré les pénalitésstandards en cas de retard dans le prix deleur prestation. Une capitulation.

Ce système de renonciation et d’in-différence a frappé fort à Schönefeld.Pourtant, malgré ce désastre, rien n’in-dique que les choses pourraient changerdans l’anarchie qui règne à Berlin enmatière de travaux publics. Schönefeldfinira peut-être par coûter près de deuxfois plus que prévu, soit dans les 4 mil-liards, alors qu’on n’a pas d’argent pourles crèches, les écoles et les piscines. Tiens,soit dit en passant, à Berlin, les Piratessont actuellement crédités de 15 % dansles sondages. Hans-Ulrich Jörges

Les élections grecques à suivre au quotidiensur presseurop.eu.

Grèce

Après la colère, la peur dans l’isoloir

� Sur la pancarte : Ferry du Styx. Nous acceptons les euros ou les drachmes. Espèces uniquement ! “Alorsl’ami, vous faites la traversée ou pas ?” Dessin de Schrank paru dans The Independent, Londres.

Syriza est entré dans le pôle des décideurs de l’avenir du pays

Page 22: Courrier International du 13 juin 2012

22 � Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012

Du club communautaire aux grands clubs nationaux,l’hebdomadaire de lacommunauté juive de Berlin a réalisé un reportage sur les milieux footballistiquesjuifs de Kiev.

Jüdische Allgemeine Berlin

�A quelques pas d’Arena City, quar-tier animé de Kiev et principalbastion des supporters de foot-

ball pour cet Euro 2012 en Ukraine, setrouve le petit musée Cholem Aleikhem.“Nous sommes très heureux d’accueillir cettecompétition et nous espérons que des visiteurss’arrêteront aussi chez nous”, déclare IrinaKlimova, responsable du musée. C’est ici,au 5 Krasnoarmeïskaïa, qu’a vécu CholemAleikhem – le “Mark Twain juif” – lors deson séjour à Kiev, à la fin du XIXe siècle.

C’est également ici que l’on peut régu-lièrement croiser Anatoli Chengaït, prési-dent de la communauté juive de Kiev. Ilpasse régulièrement par le musée quand ila à faire à la synagogue, située quelquesrues plus loin. Egalement amateur de foot-ball, Chengaït est aujourd’hui préoccupépar autre chose : les préparatifs du pèleri-nage sur la tombe du rabbin Nahman àOuman, dans la région de Tcherkassy.Comme tous les ans, des dizaines de mil-liers de Juifs du monde entier se rassem-blent en septembre pour les célébrationsde Roch Hachana sur la tombe du grandrabbin. En attendant, néanmoins, et Ana-toli Chengaït le sait bien, place au football.

Chengaït porte sa kippa sous une cas-quette de base-ball. Quand il parle de foot,les scènes qui se sont déroulées il y

Europe

a quelques années lui reviennent enmémoire : la synagogue de la rue Rousta-velli Chota, non loin du stade olympiquede Kiev, avait alors été attaquée*. “Aujour-d’hui encore, on ne sait pas très bien si [lesagresseurs] étaient vraiment des supportersde foot”, explique Chengaït. Interrogé surles dispositifs de sécurité mis en place pourl’événement d’aujourd’hui, il hausse lesépaules et répond : “On ne peut malheu-reusement rien exclure.”

Comme en Allemagne, les institutionsjuives de Kiev et d’autres villes ukrai-niennes font l’objet d’une surveillance per-manente de la part des forces de police oude services privés. Les chiffres officiels ontbeau indiquer une baisse des agressionsà caractère antisémite, il existe encoreun fort sentiment antijuif en Ukraine.

De nombreuses personnalités du mondedes affaires, de la politique ou du show-business préfèrent dissimuler leurs ori-gines juives. Certains vont jusqu’à arborerune croix en pendentif lors de leurs appa-ritions publiques.

“Plusieurs grands clubs de foot appar-tiennent à des Juifs”, souligne l’Anglais PeterDickinson, producteur de la chaîne JewishNews One (JN1), fondée l’année dernièrepar Igor Kolomoïski et Vadim Rabinovitch,deux hommes d’affaires qui ont égalementinvesti dans le football. Kolomoïski est propriétaire du club de première divisionDnipro Dnipropetrovsk, et Rabinovitchcontrôle l’Arsenal Kiev. Cette année, leurséquipes figurent en quatrième et cinquièmeplace du classement de la première ligueukrainienne. La réussite de ces clubs aux

mains d’oligarques juifs n’est pas toujoursbien vue en Ukraine. Bon nombre de sup-porters appartiennent à la droite radicaleet ne soutiennent que les clubs sans lienavec des Juifs.

Comme dans bien d’autres pays, lesjeunes Juifs ukrainiens ont la possibilité dejouer au foot dans le cadre de leur com-munauté. Certains joueurs du Maccabi deKiev rêvent d’ailleurs de devenir profes-sionnels. Bon nombre de jeunes talentsfont leurs débuts au Maccabi avant derejoindre les équipes juniors d’Arsenal oudu Dynamo de Kiev, le club culte de la capitale. Le propriétaire du Dynamo, Igor Sourkis, et son frère Grigori, président dela Fédération ukrainienne de football, nesont d’ailleurs pas étrangers à la désigna-tion de l’Ukraine comme organisatrice decette édition du championnat d’Europe.Pendant le tournoi, le Maccabi de Kievorganisera son traditionnel camp d’été. Desécrans seront installés pour les jeunes afinqu’ils puissent regarder ensemble lesretransmissions des principaux matchs sedéroulant en Pologne et en Ukraine.

Et au sein de la communauté elle-même ? “Non, il n’y aura pas de grand écranchez nous”, explique Chengaït en secouantla tête. “Mais tous ceux qui voudront se rendredans l’une des trois synagogues de Kiev pen-dant la compétition sont les bienvenus, qu’ilsviennent pour prier ou pour visiter.”Nina Eglinski

* En avril 2002, à l’issue d’un match opposant leDynamo de Kiev au Shakhtar de Donetsk, une ving-taine de hooligans vêtus en supporters de foot ontattaqué la synagogue du centre de la capitale, bri-sant les vitres, agressant les personnes se trouvantà l’intérieur et criant des slogans antisémites. L’en-quête n’a pu déterminer s’il s’agissait de suppor-ters déchaînés ou de jeunes néonazis “déguisés”en supporters.

Ukraine

La kippa et le ballon rond

serait un signe important de la partde la Fédération allemande de football[en mémoire de la Shoah]”. Le 1er juin,comme en témoigne une photo paruedans Stern, une délégation s’est eneffet rendue à Auschwitz-Birkenau.“Les joueurs n’ont accordé aucune

interview, souligne le magazine de Hambourg, ne souhaitant pastransformer ce geste en action derelations publiques. Mais les visagesparlent d’eux-mêmes.” Les équipesnéerlandaise, britannique et italienneont suivi l’exemple allemand.

Auschwitz En mars, le président du Conseil central des Juifs enAllemagne, Dieter Graumann, avaitdéclaré sur le site du Spiegel qu’“unevisite de l’équipe d’Allemagne au campd’extermination d’Auschwitz [enPologne] ou de Babi Yar [en Ukraine]

Les supporters russes voulantcélébrer leur fête nationale (quitombe le 12 juin, jour du matchRussie-Pologne) peuvent-ilsdéfiler dans les rues de Varsovieen arborant des maillots rougeset en brandissant des drapeauxde l’URSS frappés de la faucilleet du marteau ou de l’étoile rouge ? Tel est le débatqui a agité les médias polonais à la veille du match en question.“Les organisateurs de cettemarche ont consulté la mairiede Varsovie et les forces del’ordre”, affirme la radio RMF FM,tout en émettant une objectiond’ordre historique :“Pour nous Polonais, la couleurrouge évoque le communisme.

On ne peut pas exclure que la couleur des maillots que lessupporters russes ont revêtuspour défiler à Varsovie constitueune provocation. Puisque le 12 juin est le jour de la fêtenationale russe, les maillots aux couleurs du drapeau russe[blanc, bleu, rouge] auraient été beaucoup plus appropriés”,poursuit RMF FM. “L’Union des supporters russes [USR],qui est à l’initiative de la marche,est téléguidée et financée par les autorités russes. On a toutes les raisons de croireque l’idée de ce défilé est néedans les cabinets du Kremlin…”“Le leader de l’USR,Alexandre Chpryguine, est non

seulement membre d’un partinationaliste, mais il est aussi le chef des supporters duDynamo de Moscou – club qui,contrairement à d’autres, passepour pro-Kremlin”, précise le quotidien conservateurRzeczpospolita. Des drapeauxrouges avec faucille et marteauconstituent une invitation à l’émeute. Des accrochagesdans la rue, quel cadeau ce serait pour la propaganderusse, qui présente volontiers la Pologne comme un paysmaladivement paranoïaque vis-à-vis de la Russie !”“Dans un pays libre, chacunpeut porter ce qu’il veut, à condition que les symboles

exhibés ne soient pas interditspar la loi, expliqueWojciech Maziarski, du quotidien Gazeta Wyborcza.Or l’étoile rouge ne l’est pas. Eneffet, le Conseil constitutionnelpolonais a remis en question [en 2011] – heureusement pour les libertés civiques – la disposition du code pénal qui interdisait la possession et la présentation d’objets ayant une symbolique fasciste,communiste ou totalitaire.Les supporters russes arborentl’étoile rouge non parce qu’ils sont des agitateurscommunistes, mais parcequ’elle est un des élémentsimportants de leur identité.

Ils ne les ont pas choisis.”Tous les journalistes de GazetaWyborcza ne partagent pas ce point de vue. “Pour nous, le lieu de naissance,l’époque et la famille ne déterminent pas la destinéede l’homme. L’individu choisitses symboles suivant sonsystème de valeurs. Il n’est pasforcément communiste parcequ’il a fait sa scolarité à l’écolecommuniste. Le svastika [croix nazie] n’est pas son signedistinctif pour le reste de sa viesous prétexte que ses parentsont servi dans la Wehrmacht ou qu’il était lui-même dans les Jeunesses hitlériennes. La vraie liberté est là.”

Vu de Pologne

Niet à la faucille et au marteau !

� Dessin de Vlahovic, Serbie.

Page 23: Courrier International du 13 juin 2012

juin 2012 � 23

Football

Le dernier espace de “poésie”

�L e philosophe de l’école deFrancfort Theodor Adorno aaffirmé qu’écrire de la poésie

après Auschwitz était un acte de barba-rie. Ne peut-il vraiment plus y avoir depoésie après Auschwitz ? Si ! Il nous resteencore un espace poétique : le monde dufootball. De même que la poésie est unfruit culturel, le foot est un univers cul-turel dans lequel les enfants que noussommes doivent faire preuve de noblesse,d’honnêteté et se montrer beaux joueurs.Le foot est aussi un monde fraternel oùNoirs et Blancs sont traités à égalité. Jepense qu’il n’existe pas d’autre monde oùle racisme et le fanatisme soient combat-tus avec autant de détermination. Dansd’autres univers, il est possible de se mon-trer intolérant vis-à-vis d’un groupe eth-nique, culturel ou social. Mais n’essayezpas de pratiquer l’intolérance sur le ter-rain vert, à plus forte raison si elle est tein-tée de racisme. Vous serez aussitôtexpulsé. Le ballon donne à tous les mêmeschances. Sur la pelouse, toute discrimi-nation est “hors jeu”, y compris la discri-mination religieuse. Le football flirte avecla violence, mais il s’acharne à civilisercette violence et à la transformer en unjeu équitable qui renforce l’amitié et lafraternité. Le football est un monde debeauté. Rien d’étonnant à ce qu’il suscitedes mots à résonance poétique. Le sélec-tionneur allemand Joachim  Löw, parexemple, associe la victoire à l’éternité :“En remportant un championnat d’Europe,les joueurs écrivent une page de l’Histoire etse rendent immortels. Ne parle-t-on pasencore de ceux que nous avons remportés en1972 et en 1996 ?”

Le football, comme l’explique très bienl’ancien président de Pologne Lech Walesa,c’est aussi un monde de liberté. Sous lecommunisme, les leaders du mouvementSolidarnosc jouaient souvent au foot.Walesa était gardien de but, tandis que soncollègue Januzs Lewandowski, aujourd’huicommissaire européen au Budget, étaitdéfenseur. “Nous cherchions une forme decombat qui ne puisse pas être muselée par lerégime. Il n’était pas possible d’interdire lesmatchs de foot. C’est pourquoi nous nousretrouvions dans ces rassemblements sportifs,où, tout en jouant au foot, nous parlions poli-tique”, raconte Walesa.

Lorsque, en septembre 1983, Walesatout juste libéré de prison est allé assisterau match du Lechia Gdansk contre laJuventus de Turin, des milliers de sup-porters l’ont acclamé. “Les gens criaient pourmoi et pour la Pologne libre. Leurs cris prou-vaient que nous existions toujours. Ce n’est pasle communisme qui avait de nombreux sup-porters, mais Solidarnosc”, explique Walesa.Tel est le football : un monde de lutte et deliberté. Un monde d’espoir.Sindhunata* Kompas (extraits) Jakarta* Ecrivain, chroniqueur de football.

Page 24: Courrier International du 13 juin 2012

24 � Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012

Pour une part de la population,les derniers espoirs dedémocratisation se sont envolés avec le retrait de Dmitri Medvedev de la course présidentielle. La confrontation avec le pouvoirest désormais ouverte.

Nezavissimaïa Gazeta (extraits)Moscou

�L es dernières élections [les légis-latives du 4 décembre, qui ontdonné lieu à une contestation

massive de la victoire de Russie unie, et laprésidentielle du 4 mars] ont définitive-ment convaincu ceux qui en doutaientencore que la société russe était désormaisdivisée, et que les anti-Poutine n’étaientpas si minoritaires. Dans un premier temps,le leader a pris peur. On peut le com-prendre : il n’a pas de véritable expériencedu combat politique (on ne va quand mêmepas qualifier ainsi l’instauration de la cen-sure à la télé ou l’emprisonnement de l’oli-garque Khodorkovski). Mais il s’est assezvite ressaisi. Et à leurs meetings [de pro-testation], il a opposé ses poutings [contre-manifestations réunissant des foulesimmenses]. Il s’est rapidement aperçu quela confrontation entre cohortes de mani-festants n’avait rien de si terrifiant.

Diriger une société divisée n’est pasdifficile pour Poutine parce que son camppèse deux fois plus lourd que l’autre. Sonéquipe se compose à la fois des hommesqui partagent le pouvoir et de ses parti-sans, alors que ses adversaires ne peuventcompter que sur eux-mêmes. En outre,l’“arbitrage” lui est acquis. Ainsi, le prési-dent est triplement avantagé.

D’une certaine façon, l’opposition rendservice à Poutine. Elle est suffisammentagressive, et suffisamment passive. Sur-tout, elle est trop intellectuelle. Selon unsondage réalisé par l’Institut de sociolo-gie, 65,8 % des manifestants moscovitesseraient diplômés de l’enseignement supé-rieur, 28,5 % étant encore à l’université. Onpeut même s’étonner qu’aucun des pontesdu Kremlin n’ait encore songé à utiliser àce propos la fameuse expressiond’Alexandre Soljenitsyne, la “tribu instruite”.Pour Poutine, il est d’autant plus facile demonter ceux qui pensent comme lui contreceux qui s’opposent à lui, en s’indignantau passage que ces derniers piétinent lespelouses des Etangs purs [quartier ducentre de Moscou où les opposants se ras-semblent régulièrement] et entravent lacirculation.

En revanche, combien ces massacreursde gazon seraient heureux dans unHyde Park moscovite, où ils pourraient sedéfouler à leur aise ! On ne peut pas direque l’entourage de Poutine manque d’idées,

Europe

même s’il arrive après la bataille. En Russie,le terme “Hyde Park” évoque un espacedévolu à des illuminés qui déclament desmanifestes politiques ou de la poésied’amateurs. Anton Orekh, de la radio Echode Moscou, a parlé à ce propos de “zoo” oùl’on pourrait venir contempler une galeried’énergumènes. Dans notre Hyde Parkrusse, aucun véritable parti politique nepourrait voir le jour. Au contraire, on y per-drait le goût d’en créer. Fonder un particonstitue un travail de Sisyphe. Pendantlongtemps, les divinités du Kremlin ontempêché les sisyphes russes de simple-ment pousser leurs pierres. A présent, ilsles y ont autorisés, se disant que les Ryjkovet les Kassianov [personnalités politiquesde la droite libérale] n’avaient qu’à créerleur petit parti. Tout le monde verrait àquel point ils étaient minables comparésà la grandeur de Russie unie.

Le Kremlin dispose toujours d’unearme qui a fait ses preuves : l’appel à com-battre l’ennemi du peuple venu de l’étran-ger. Le procédé n’a guère évolué depuisl’époque soviétique. Avant, l’adversaire étaittout bêtement l’impérialisme américain. Ilest désormais remplacé par le subtil “polit-buro de Washington”. Imaginez combientout serait plus simple si, en novembre, leprésident Obama était battu par l’ennemipréféré du Kremlin, le mormonMitt Romney… Mais ne rêvons pas. Dansles derniers temps de la perestroïka, [l’in-tellectuel nationaliste] Alexandre Prokha-nov avait formulé la notion de “mentalitéde défense”. Elle conviendrait très bien encas d’instauration d’un climat de confron-tation intérieure. Il serait alors très simplede diviser les gens entre partisans et enne-mis, et de lâcher ses partisans contre ceuxqui pensent autrement.

Vladimir Poutine, qui n’est plus leadernational, mais simplement le dirigeant àl’étoile pâlissante d’une fraction de la

société, a grand besoin d’entretenir sonaura. Les gens sont déçus par lui. Pas aupoint de lui refuser la présidence, maisassez pour ne plus voir en lui le chef irrem-plaçable, charismatique et providentiel. Letravail de communication autour de sonimage est en train d’entrer dans une nou-velle phase. On compose des odes à Pou-tine, des ballades dont il est le héros.Dmitri Peskov, porte-parole de l’ex-Pre-mier ministre, nous décrit, le souffle court,la journée type d’un Poutine bourreau detravail : après avoir rempli diverses obliga-tions officielles à Moscou, il prend un avionpour une ville de province où il visite unsite quelconque, puis “retour à l’aéroport,pour prendre un nouvel avion qui l’emmènevers une autre ville ou une autre région”… Etdurant les vols, Poutine “ne pique pas du nez,

il tient des consultations”. C’est la Corée duNord. On croirait Kim Il-sung. Dans quelétat faut-il avoir mis le pays pour êtrecontraint de s’occuper de tout !

Eh bien parlons-en, du bilan ! Qu’est-ce qui a permis de multiplier le PIB russepar deux, conformément aux annonces dePoutine ? Selon les sceptiques, ce serait lahausse du prix du baril de pétrole, passéde 20 à 120 dollars (il a baissé depuis). La“fameuse” modernisation [grand motd’ordre de Dmitri Medvedev, président de2008 à 2012] n’est qu’une formule qui seveut magique. La “grande zone touristiqueintégrée” du Caucase du Nord ressembleau mythe des Argonautes, la lutte contrela corruption à une vaste fumisterie… Quoid’autre ? Transférer la capitale dans lapartie orientale de la Russie ?

Et malgré tout, Poutine a une image àentretenir, même s’il faut pour celaprendre des libertés avec la vérité.Mikhaïl Weller, l’écrivain déchaîné querien n’arrête, a écrit : “Le régime de Poutinea utilisé le mensonge dès le début.” Je diraispour ma part “presque” dès le début. Et ce“presque” fait toute la différence. A sonentrée en politique, Poutine avait fran-chement l’intention d’aller “buter jusquedans les chiottes” les rebelles du Caucasedu Nord. Mais, comme la rougeole, l’hon-nêteté lui a vite passé. Le “cortège” quePoutine a entraîné derrière lui n’a aucunprincipe et ne comprend pas grand-choseaux intérêts du pays. Mais son entouragene peut survivre que dans le cadre d’unepolitique dure. Dans une société divisée,il ne peut que tirer son épingle du jeu. Eneffet, il ne dirige que ceux qui se laissentdiriger, et ne regroupe autour de lui queceux qui souhaitent l’être.

Le plus compliqué pour le régime estsans doute de créer sa branche jeunesse.De distinguer, au sein de la générationmontante, ceux qui lui sont favorables, qu’ilpourra façonner, qu’il pourra acheter. SiPoutine tient à battre le record de longé-vité au pouvoir détenu par Léonid Brejnev[1964-1982], il ne pourra se dispenser dece soutien. L’âge moyen des manifestantsqui défilent dans Moscou est de 31 ans. Pou-tine a besoin d’une jeunesse contre-pro-testataire. Et c’est sur cet objectif que leKremlin va désormais concentrer sesefforts financiers et intellectuels. Mais ilsait que les jeunes d’aujourd’hui ne se lais-sent pas facilement embobiner. Si on leurcoupe Internet, ils s’y accrochent encoreplus. Et ce n’est pas l’Union eurasiatiquequi les passionnera. Quant au nationalisme,cela peut se révéler dangereux.

Le pouvoir est actuellement prêt à vivredans une société divisée. Pour l’instant, ils’y sent assez bien. Mais si l’oppositioncommence à se sentir forte, coordonne sesactions, crée un véritable parti (ou plu-sieurs) autour d’un programme clair etconstructif, et un vrai leader, le pouvoirsera confronté à un réel problème.

Il est aussi possible que Poutine aitdécidé de rester au pouvoir pour toujours.Dans ce cas, s’il sent que ses bases chan-cellent, il serait capable de fomenter une“fausse” révolution, un “maïdan* pouti-nien”, et d’accuser ses adversaires d’êtrela cause de tous les maux dont souffre laRussie. Alors, ses hommes s’attelleraientenfin à leur véritable mission, la restaura-tion de l’ordre. La modernisation et ladémocratisation redeviendraient le cadetde leurs soucis. Certains croient à l’éven-tualité de ce scénario, d’autres pas. Mais ilest impossible de l’exclure totalement.Alexeï Malachenko

* Mot d’origine arabe signifiant “place”, mais synonymede “révolution” dans toute l’ex-URSS depuis la “révo-lution orange” ukrainienne de 2004

.

“Le 5 juin, l’article 31 de laConstitution a été aboli”, titre en une l’hebdomadaire d’oppositionNovoïé Vremia, faisant référenceà l’adoption par la Douma d’une loiqui durcit de façon draconienne lalégislation sur la participation à des

� Gorbatchev, Eltsine, Poutine, Medvedev, Poutine... et un citoyen russe en colère. Dessin de Danziger, Etats-Unis.

CAI

-NYT

manifestations. Pour le magazine,cette loi menace directement le bien-être des citoyens les plusactifs socialement et le droit et la liberté de se rassembler et demanifester, stipulés par l’article 31de la Loi fondamentale russe.

Russie

Une société au bord de la fracture

Le régime a besoin des’attirer une jeunesse“contre-protestataire”

Page 25: Courrier International du 13 juin 2012

Un office célébré avec de lamusique “jeune” et qui se terminesur une piste de danse sous des lumières de discothèque : c’est le pari réussi d’une église de Stockholm pour enrayer la chute du nombre de fidèles.

Fokus (extraits) Stockholm

�L ’imposant édifice de briquessombres se met à vibrer sous lerythme sourd des basses qui

s’échappent de Högalidberget, une collinedu quartier de Södermalm, à Stockholm.L’église de Högalid y est implantéedepuis 1923. Le contraste entre un cré-puscule tranquille de printemps et les pul-sations des ondes sonores est un peuincongru : à voir la façade austère de l’église,ses tours caractéristiques et ses hautsvitraux, on ne devinerait pas ce qui se passeà l’intérieur. Or, ce soir-là, ce sont des bou-chons pour les oreilles que l’on distribueà la place des livres de cantiques habituels.

“Vous allez en avoir besoin”, glisse JohanLindström, assistant de la paroisse de Kata-rina et coorganisateur de la “messe techno”.Avec le pasteur Olle Ideström, il a écritla musique de ce service religieux horsnormes qui, cette année, a fait le tour de laSuède. La “messe techno”, qui suit la litur-gie traditionnelle, se déroule au son d’unemusique de boîte de nuit interprétée pardes jeunes et par les confirmands de laparoisse. Les morceaux s’intitulent Pose tamain sur moi, Ne m’abandonne jamais ouencore Un alléluia silencieux, et l’on y tutoieDieu, si bien qu’ils peuvent être considé-rés comme des chansons d’amour etseraient susceptibles de passer sur n’im-porte quelle radio.

“Nous avons donné une nouvelle place àla musique de boîte, un genre associé à la cul-ture underground ou aux rave parties. Enmême temps, c’est sûr que nous rendons ser-vice à l’Eglise, quand on voit le nombre de gensqui viennent aux offices. En l’espace de quelquesannées, le nombre de confirmands de la paroissea grimpé de près de 100 % et beaucoup arri-vent ici par le biais de la messe techno”, confieOlle Ideström. Le soir du service religieux,il enfile une chasuble blanche par-dessusun jean de couleur. Lorsqu’il grimpe surl’estrade pour le prêche, il a face à lui700 personnes – non pas assises, maisdebout, faisant la fête et se déhanchantsous des lumières tournoyantes de disco-thèque. C’est aussi populaire, festif etbondé que les finales régionales du Melo-difestivalen [concours de présélection sué-dois à l’Eurovision]. “N’oubliez pas quel’amour de Dieu est infini”, proclame Ollesur le rythme de la musique. Il lève les brasau ciel en ajoutant : “Allez, on met le feu !”

L’office se termine sur la piste dedanse. Pour clore la soirée, une des idoles

des jeunes filles du pays, Danny Saucedo,grimpe sur scène. Il interprète quelques-uns de ses tubes, dont In the Club, rebap-tisé pour l’occasion In the Church, etAmazing, le titre qui lui a permis de décro-cher la deuxième place lors du Melodi-festivalen de cette année. Une chansonqui parle de Dieu, raconte-t-il.

Depuis son lancement, voilà un peuplus d’un an, la messe techno a été citéedans plus de 150 médias à travers lemonde. L’idée a même été reprise en Fin-lande, à Turku. Beaucoup se félicitent decette initiative, à commencer par lesconseillers de l’Eglise suédoise, confron-tés quotidiennement au recul du nombrede fidèles, dont les médias se font sou-vent l’écho. Dans les années 1990, de10 000 à 20 000 fidèles quittaient chaqueannée l’Eglise de Suède. Ce nombre s’estencore accru dans les années 2000 : l’an-née dernière, 52 415 personnes ontdemandé à ne plus en faire partie.

“La paroisse de Katarina a le couraged’innover. L’Eglise de Suède est une institu-tion parfois figée, sourde au changement.Plus exactement, je crois que les membresde l’Eglise souhaitent le changement, maisqu’ils ne sont pas nombreux à prendre l’ini-tiative. Il faut être courageux”, analyse OlleIdeström.

Certains y voient une provocation. “J’aireçu des mails anonymes qui disaient que j’al-lais brûler en enfer pour avoir passé de lamusique électronique dans une église. Certainsprétendent que Jésus n’aime que Bach – maiscomment le savent-ils ? Quelqu’un a écrit que‘Jésus doit se retourner dans sa tombe’ envoyant la messe techno. Or, autant que je sache,le christianisme annonce la résurrection duChrist !” poursuit Olle Ideström en riant.

Ces dernières années, la culture popu-laire a multiplié les incursions dans la sphèrereligieuse, à la fois par l’intermédiairedes associations culturelles rattachées àl’Eglise et des organisateurs indépendants.Ce printemps, l’église de Högalid organiseégalement une série de concerts, où desartistes et des musiciens jouent de lamusique sur des films qu’ils ont eux-mêmeschoisis. Toutefois, le fait d’ouvrir les édi-fices religieux à la culture populaire ne vapas sans soulever un certain nombre dequestions, notamment ce qui est acceptableou non dans un lieu de culte et quellessont les personnes habilitées à en juger.

Pasteur à la paroisse de la cathédralede Göteborg, Madeleine Forsberg estimeque l’Eglise doit défendre ses idéaux souspeine de voir s’effriter la confiance. “Notrecapital, c’est la confiance. A côté de l’Evangile,la confiance est l’une de nos grandes forces.Après les événements survenus en Norvège l’étédernier, des gens sont venus en pèlerinage à lacathédrale pour faire brûler un cierge et lais-ser des messages. Cela montre bien que l’égliseest un lieu d’empathie et un rempart contre lemal. Il est naïf de penser que les deux peuventcohabiter dans un même lieu”, assure-t-elle.

Cet automne, la paroisse a nomméun groupe de cinq personnes chargéesd’examiner les demandes de renseigne-ments, de contrôler la qualité et de veillerà ce que les activités qui s’y déroulent nesoient pas contraires au socle de valeursde l’Eglise.

“La marge d’interprétation peut êtreassez élastique. Je ne vois rien à redire aufait que des artistes se servent d’images oud’expressions tirées de la Bible. Nous le fai-sons aussi – et nous n’en avons pas le mono-pole. Le champ d’action de l’Eglise, ce sontles grandes questions existentielles, commetrouver sa place dans l’existence, commu-niquer et partager des expériences humaines.Mais, lorsqu’il s’agit de choses fondamen-talement antinomiques – des histoires dedrogue ou de culte de la mort –, il y a unproblème.”

En revanche, la paroisse de la cathé-drale est tout à fait disposée à prendrepart au débat dès lors qu’elle est habili-tée à contrôler les contenus. Ainsi, Made-leine Forsberg est en train d’organiser unconcert de l’organiste Ulla Olsson dans lecadre du festival HBTQ [homosexuels,bisexuels, transgenre et queer], qui auralieu entre fin mai et début juin.

“Elle a une image très queer et un stylegothique très marqué. Elle ne passe pasinaperçue et n’est pas dans le ‘paroissiale-ment correct’. Son film A Royal SwedishGoth Wedding sera diffusé dans le cadre duconcert, ce qui risque bien sûr de déclencherdes réactions, puisqu’il s’agit d’une esthé-tique qui peut être jugée inhabituelle.”Alexandra Sundqvist

Suède

La messe techno devient culte

monte à 1 % des revenus, apparaîtdésormais de façon séparée sur les avis d’imposition, devenant ainsiplus visible. L’Eglise estime qu’elleva perdre 1 million de membres au cours des dix prochaines années.

Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012 � 25

� Des fidèles chantent et dansent sur de la techno à Stockholm.

CB2

/ZO

B/W

ENN

.CO

M/S

IPA

Certains prétendent queJésus n’aime que Bach,comment le savent-ils ?

membres de l’Eglise à la naissance,sauf si leurs parents demandaientqu’ils ne le soient pas. Une desprincipales raisons avancées pourexpliquer l’ampleur des défectionsest que l’“impôt de l’Eglise”, qui se

Défections Depuis la séparation de l’Eglise et de l’Etat, en 2000, les Suédois ont quitté l’Eglise en masse, avec un pic de 73 400départs en 2009. Auparavant, ils étaient automatiquement

Page 26: Courrier International du 13 juin 2012

26 � Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012

C’est le joujou préféré desforces de l’ordre américaines :des capteurs ultrasensibles qui se déclenchent au moindrecoup de feu et permettent auxpoliciers d’intervenir partoutle plus rapidement possible.

The New York Times (extraits)New York

�U n jeudi soir, récemment, à 19 h22 min et 7 s, une alarme reten-tit dans la salle de contrôle d’un

immeuble de bureaux de Mountain View,en Californie.

Une technicienne se penche aussitôtsur l’écran de l’ordinateur où le message“Multiples coups de feu” s’affiche en groscaractères. Elle écoute un enregistrementde la fusillade – cinq coups tirés avec unpetit calibre – et zoome sur un plan satel-lite pour situer la scène du crime : la23e rue, à Milwaukee, dans le Wisconsin,à 3 500 kilomètres de là.

A 19 h 23 min 48 s, la technicienne alertele poste de police de Milwaukee. Moins dedeux minutes plus tard, à 21 h 25 min 2 s,heure du Wisconsin, les forces de l’ordrearrivent sur le lieu du crime : elles décou-vrent cinq douilles de calibre  22 et ungarçon de 15 ans ensanglanté, touché aubras. Les douilles, explique Chris Blaszak,de la police criminelle de Milwaukee,ont été retrouvées dans un périmètre de5 mètres autour de l’endroit où le systèmed’alerte avait localisé le tireur. Durée totalede l’opération : trois minutes et cinquante-cinq secondes.

Aux Etats-Unis, de plus en plus demunicipalités choisissent d’utiliser le sys-tème de détection ShotSpotter, qui loca-lise des coups de feu en quelques secondes.Parmi ces quelque 70 villes figurent notam-ment Milwaukee et plusieurs munici palitésde l’Etat de New York.

Prévention et sécurisationLe système localise par triangulation lessons enregistrés par des capteurs acous-tiques placés sur des bâtiments, despoteaux électriques et d’autres structures.Il fait partie d’une vague d’avancées tech-nologiques qui transforment la manièrede travailler de la police.

Mais, tout comme d’autres techno-logies – notamment celles des scannersde plaques d’immatriculation, des mini-caméras mobiles et des traceurs GPS –,ShotSpotter fait débat.

En décembre, à New Bedford, dans leMassachusetts, ShotSpotter a enregistréune altercation qui s’est déroulée en pleinerue, avec une fusillade meurtrière. L’affairea soulevé des questions sur le respect de lavie privée et les limites de la surveillancepolicière dans la lutte contre la criminalité.

Amériques

De plus en plus de villes s’interrogentégalement sur les bénéfices de ce systèmede surveillance par rapport à son coût. Toutcomme les municipalités, les services depolice sont frappés par la crise et contraintsde réduire leur personnel. L’année dernière,par exemple, le conseil municipal deDetroit a rejeté une offre de contrat deShotSpotter de trois ans pour un montantde 2,6 millions de dollars [2 millions d’eu-ros] : un membre du conseil avait objectéqu’il n’y avait pas suffisamment de poli-ciers disponibles pour réagir aux alertes.

Par le passé, les villes qui installaientShotSpotter achetaient les équipementset géraient elles-mêmes les alertes, ce quileur coûtait plusieurs centaines de milliersde dollars. Mais, aujourd’hui, la sociétépropose une offre comprise entre 40 000 et60 000 dollars par an et par mile carré [de12 400 à 18 600 euros par km²], qui inclutla surveillance des alertes 24 heures sur 24par des contrôleurs basés à Mountain View.

Pour bon nombre de responsables dela police, le système améliore significati-vement le délai de réaction lors de crimes

commis avec une arme à feu ; il renforcele sentiment de sécurité de la populationet contribue à prévenir les agressions àmain armée en montrant que la police peutarriver très vite au bon endroit. Cette tech-nologie, expliquent-ils, fournit aux poli-ciers des informations cruciales sur ce àquoi ils doivent s’attendre en arrivant surles lieux d’un crime et elle offre une pré-cision de localisation rarement égalée parles appels au numéro d’urgence 911.

Le sergent Chris Bolton fait partie dela police d’Oakland, en Californie, qui ainstallé ShotSpotter dans les quartiers àforte criminalité de l’est et de l’ouest de laville. Il se souvient du travail de la policeavant l’arrivée du système. “Un agent enpatrouille recevait un appel d’un voisin signa-lant des coups de feu. Nous passions parfoisune demi-heure à inspecter trois ou quatrepâtés de maison autour de la scène du crime,à la recherche d’une éventuelle victime, d’uneagression en cours ou de preuves.”

ShotSpotter a également mis enévidence ceci : un très grand nombre decoups de feu ne sont pas signalés. Dans de

nombreux quartiers à forte criminalité, lescoups de feu font partie de la vie quoti-dienne : ils sont “aussi ordinaires que le chantdes oiseaux”, commente le commandantMikail Ali, de la police de San Francisco.Que ce soit par paresse, par peur ou parcequ’ils ont des doutes, les gens appellentrarement la police. Dans le quartier deHunter’s Point, à San Francisco, unesurface de 2,6 km2 est couverte par descapteurs ShotSpotter ; seuls 10 % descoups de feu détectés par le système ontété signalés par des appels d’urgence,explique M. Ali.

Richmond, une petite commune cali-fornienne de 120 000 âmes située au nordde Berkeley, se classe régulièrement parmiles villes les plus violentes du pays. ChrisMagnus, le chef de la police de la ville,se souvient de l’enregistrement d’unefusillade, réalisé par ShotSpotter en 2010,où l’on pouvait entendre une centaine decoups de feu. “Cela dépasse l’entendement,témoigne-t-il. Il était environ 11 heures du soir,en plein été, et personne ne nous a appelés.”

Atteinte à la vie privéeShotSpotter a été développé dans lesannées 1990 par Robert Showen, un ingé-nieur qui souhaitait aider à endiguer lahausse des homicides par arme à feu à PaloAlto, en Californie. A mesure que l’outil aévolué, il est devenu plus précis, avec moinsde fausses alertes et moins d’omissions,s’enthousiasme Robert Showen.

Le sergent Eric Smith, de Richmond,raconte qu’il lui est déjà arrivé d’entendredes enregistrements de ShotSpotter avecen arrière-plan des bruits divers et variés– “des portes qui claquent, des oiseauxqui gazouillent ou encore des conversations”.Une chose est sûre, selon l’avocat FranckCamera, le débat que soulève cette nou-velle technologie est “un gros sac de nœuds”.“Si la police a le droit d’utiliser les conver-sations des enregistrements, où est la limite ?”s’interroge-t-il.

Mais, pour Sam Sutter, procureur géné-ral du comté de Bristol, au Massachusetts,ShotSpotter est “un outil extrêmementutile”, qui a aidé son bureau à présenterdes preuves lors de quatre cas de fusillade,dont celle de New Bedford. “De mon pointde vue, ce qui est dit et enregistré par Shot -Spotter ne relève pas de la vie privée car c’estdit à l’extérieur, en public. Je pense donc queces enregistrements constituent des preuvesrecevables”, confie-t-il.

Selon James G. Beldock, l’un des vice-présidents de ShotSpotter, le système n’apas été conçu pour enregistrer autre choseque des coups de feu, et les cas comme celuide New Bedford restent extrêmementrares. “Certains pensent que les capteurs sontaussi déclenchés par les conversations, maisce n’est pas vrai. Ils ne se mettent pas en routeà moins de détecter un coup de feu.”Erica Goode

� Dessin de Kazanevsky, Ukraine.

Etats-Unis

Les grandes oreilles de la police

Page 27: Courrier International du 13 juin 2012

LE 21 JUIN, VOUS ALLEZ LIKER LA LIBRE.

JEUDI 21 JUIN,

NE MANQUEZ PAS EN EXCLUSIVITÉ

LES 5 BRACELETS «STATUT» GRATUITS AVEC

L’ÉDITION SPÉCIALE FACEBOOK.

Page 28: Courrier International du 13 juin 2012

28 � Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012

Amériques

La Conférence des Nations uniessur le développement durable se tient à Rio de Janeiro du 20 au 22 juin. Une ville qui, en matière d’environnement, est encore loin d’être exemplaire.Démonstration.

O Estado de São Paulo (extraits)São Paulo

�S i elle s’apprête à accueillir laConférence des Nations uniessur le développement durable,

Rio de Janeiro n’est pas une capitale verte,tant s’en faut. La ville cumule les problèmes– égouts qui contaminent les plages et leslagunes, absence de tri sélectif des déchets,bus polluants en guise de transports col-lectifs. Bref, le siège de la Conférence desNations unies sur le développementdurable Rio+20 n’est pas vraiment unevitrine en matière d’environnement.

Les problèmes sont omniprésentsmême dans les zones où se dérouleront lesdiverses manifestations de la conférence.Ainsi, les participants au Sommet despeuples pour la justice sociale et environ-nementale, qui a lieu [du 15 au 23 juin] àl’Aterro do Flamengo, un parc de 1,2 mil-lion de mètres carrés, devront supporter lapollution de la baie de Guanabara  : leségouts s’y déversent avec un débit d’envi-ron 15 000 litres par seconde et cela faitvingt ans qu’on attend la réalisation du pro-gramme d’assainissement. Rio est l’une desrares villes à s’enorgueillir de posséder enson cœur deux immenses zones forestières :la forêt de Tijuca et le parc de Pedra Branca.La ville compte également 34 700 hectaresde végétation naturelle et 2 200 hectaresd’espaces reboisés (30,3 % de son territoire),ainsi que la plus grande surface urbaineverte dans le pays – près de 700 000 arbresplantés sur les bordures et les trottoirs.Mais ceux qui ne traversent que les zonestouristiques du sud et de l’ouest de la ville,

qui figurent sur la plupart des fameusescartes postales de Rio, sont loin d’imaginerque la capitale carioca manque cruellementde verdure à certains endroits.

La ville compte en moyenne 55 mètrescarrés d’espaces verts par habitant, unchiffre largement supérieur aux 12 mètrescarrés recommandés par l’Organisationmondiale de la santé. Mais dans les quar-tiers nord il n’y a plus que 3,75 m2 d’espacesverts par habitant. Et ce chiffre tombe à0,6 m2 si l’on ne prend en compte que lesparcs et les jardins.

Dans les quartiers ouest, avec les rac-cordements clandestins aux égouts et les

ordures, les lagunes de la Baixada de Jaca-repaguá agonisent depuis des années. Ellesse trouvent à proximité de Riocentro, siègede la conférence de l’ONU. Le quartier ouestreprésente d’ailleurs le pire indicateur enmatière de propreté urbaine : 79 % seule-ment des domiciles sont reliés au réseaud’assainissement, qui continue de se déver-ser dans les vallées, les fleuves et la mer.

Mais la situation la plus alarmante estcelle de l’Alto da Boa Vista, dans la forêtde Tijuca, au nord. Ce quartier huppéne dispose d’un réseau d’égouts quepour 66 % des habitations ; 14 % des rési-dences sont pourvues de fosses septiques

rudimentaires et, dans 11 % des cas, leseaux usées vont directement dans le fleuve.

Les célèbres plages de la zone sud sontelles aussi touchées par ces problèmes d’as-sainissement. L’été dernier par exemple,les eaux de la plage de Leblon n’ont étédéclarées propres à la baignade que durantdeux jours. Deux projets, pour un montantde 650 millions de reais [253 millions d’eu-ros], prévoient l’assainissement des plagesd’ici à 2014 et des lagunes d’ici à 2017.

Le traitement des déchets constituepar ailleurs un défi majeur. Car si la mairiea annoncé la fermeture du site de Grama-cho, la plus grande décharge à ciel ouvertd’Amérique latine, le 1er juin, le problèmeest loin d’être résolu. Quant au tri sélec-tif, il ne concerne que 0,3 % des 152 000tonnes de déchets collectées par mois. Lemaire de Rio, Eduardo Paes, a promis uneville plus verte d’ici à 2016. “Nous construi-sons actuellement dix centres de recyclage dansle cadre d’un premier partenariat avec le BancoNacional de Desenvolvimento Econômico eSocial (BNDES, première banque d’investis-sement au Brésil), soit un investissement de600 millions de reais [254 millions d’euros].La situation s’améliore, mais il reste encorebeaucoup à faire”, reconnaît-il.Clarissa Thomé et Heloísa Aruth Sturm

Brésil

A Rio, la vie n’est pas si verte

� Rio de Janeiro, vue d’ensemble de la favela Rocinha.

1992 : la conférence de Riomarquait un tournant dans la prise de consciencemondiale des questionsd’environnement. 2012 : du20 au 22 juin, la communautéinternationale se réunit denouveau dans la métropolebrésilienne au sein de laconférence des Nations

unies pour le développementdurable. La mise en œuvred’une véritable économieverte ainsi que la créationd’une organisation mondialede l’environnement ferontpartie des enjeux abordés,mais de nombreuxobservateurs prédisent déjàqu’aucun nouveau traité n’en

sortira. Pourtant, deuxétudes scientifiques publiéesrécemment dans la revueNature tirent la sonnetted’alarme : la biosphèremondiale est plus que jamaismenacée par une activitéhumaine dont les dommagesvont se révéler irréversiblesplus rapidement que prévu.

Mais si gouvernements et institutions semblentdélaisser l’écologie, la société civile reste engagée.Parallèlement au Sommet de la Terre, se tiendra le Sommet des peuples pour la justice sociale etenvironnementale qui attendprès de 20 000 participants.

Rio+20

Sommet sans ambition pour planète en perdition

GU

ILLA

UM

E BI

NET

/MYO

P

Sur le w

eb

www.courrier

international.com Provocateur Selon l’“écologistesceptique” Bjørn Lomborg, poursauver la planète il faut d’abordéradiquer la pauvreté. Et, pour ce faire,on doit recourir aux énergies fossiles.Une longue tribune à lire sur notre site.

Page 29: Courrier International du 13 juin 2012

Dans l’Etat de Rondônia, les Paiters Suruís vont vendredes crédits carbone pourfinancer la protection de la forêttropicale sur leur territoire. Une première mondiale.

Folha de São Paulo (extraits) São Paulo

�U ne tribu amazonienne, qui avaitabandonné il y a dix ans seule-ment ses terres à l’exploitation

illégale du bois, sera la première nationindigène au monde à exploiter le gaz car-bonique piégé par la forêt. En effet, lesPaiters Suruís de Rondônia ont reçu récem-ment deux labels internationaux leur per-mettant de conclure des contrats de ventede crédits carbone avec pour objectif delutter contre la déforestation.

Le projet repose sur le programmeRedd (réduction des émissions de CO2provenant du déboisement et de ladégradation des forêts) qui vise à appor-ter une compensation financière desti-née à préserver la forêt tropicale dansle cadre de la limitation des émissionsde gaz à effet de serre à l’origine duréchauffement climatique.

Le chef de la tribu, Almir Naraya-moga Suruí, estime que l’affaire pourraitrapporter de 2 à 4 millions de reais [de790 000 à 1,6 million d’euros] d’ici à 2038.Les revenus seront versés à une sorte de“fonds souverain” qui encouragera desactivités économiques durables, commele tourisme et la production agricole surles terres déjà déboisées.

Le projet de vente de crédits carboneforestier des Suruís, fruit de quatre ans denégociations, est le premier dispositif indi-gène du programme Redd à bénéficier deslabels VCS (Verified Carbon Standard) etCCB (Climate, Community and Biodiver-sity). Selon Mariano Cenamo, de l’Idesan,une ONG de Manaus à l’origine du projet,le label VCS garantit aux investisseurs quela tribu suivra à la lettre des méthodes d’ex-ploitation fondées sur des critères strictsde réduction des émissions de gaz à effetde serre. Le label CCB atteste, quant à lui,que le projet ne porte atteinte ni à la bio-diversité ni aux droits des Indiens.

Le marché du programme Redd estencore purement volontaire. Sa régle-mentation ne devrait pas être mise enœuvre à l’échelle mondiale avant 2020. Ila pourtant connu, pendant la seule année2010, une progression de 35 % et on estimequ’il pèse aujourd’hui près de 250 millions

de dollars [200 millions d’euros] par andans le monde.

Selon Michael Jenkins, directeur del’ONG américaine Forest Trends, lesSuruís comptent parmi leurs clients poten-tiels des entreprises cherchant à com-penser les émissions de gaz à effet de serreissues de leurs activités. De plus, ce projetest validé après que le programme Reddappliqué aux terres indigènes a fait coulerbeaucoup d’encre. La Funai (Fundação

Nacional do Indio [Fondation nationalede l’Indien, organisme gouvernementalmettant en application les politiques liéesaux peuples indigènes] et l’AGU [Advo-cacia-Geral da União, institution repré-sentant l’Etat fédéral en justice] ontenquêté sur trente contrats d’achat de cré-dits carbone conclus par certaines socié-tés avec des Indiens en Amazonie. L’und’eux, passé entre l’entreprise irlandaiseCelestial Green et les chefs mundurucusau Pará, interdit notamment à la tribud’utiliser ses propres terres.

La décision des Paiters (c’est ainsique les Suruís se nomment eux-mêmes)de se lancer sur le marché des créditscarbone a fait l’objet de longues négo-ciations, qui ont nécessité l’approbationdes chefs de vingt-cinq villages et l’ex-pulsion d’une centaine d’entreprises d’ex-ploitation forestière. Le chef de tribuAlmir Suruí, âgé de 37 ans, s’était renducélèbre en 2008 en signant un contratavec Google pour le contrôle de la défo-restation des terres indigènes. Approchéspar des entrepreneurs dès 1969, les Pai-ters Suruís ont fait parler d’eux dans lesannées 1990 pour avoir fait du commercede bois avec des exploitants illégaux deRondônia sur la quasi-totalité des terresde la tribu. Claudio Angelo

Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012 � 29

Initiative

Déforestation : une tribu mise sur le marché du carbone

Au cœur de l’Amazonie

BOLIVIE B R É S I L

RONDÔNIA

AMAZONASPARÁ

MATOGROSSO

200 km

Terres indiennes

Terres desPaiters Suruís

Cacoal

Brasília

PortoVelho

Sour

ce :

Inst

ituto

Soc

ioam

bien

tal (

ISA)

<w

ww

.soci

oam

bien

tal.o

rg>

Polémique

Les grands propriétaires au paradisLe veto présidentiel sur lesarticles les plus controversés du nouveau Code forestier ne changera rien. Depuis le XIXe siècle, ce sontles grands propriétaires terriens qui mènent la danse.

Folha de São Paulo São Paulo

�L e veto opposé par Dilma Rous-seff à seulement douze articlesdu nouveau Code forestier,

approuvé fin avril par la Chambre desdéputés [alors que les écologistes deman-daient un veto total sur le Code forestier,jugé favorable à l’agro-industrie], et lesquelque trente-deux amendements qu’elleentend y apporter illustrent de manièreéclatante ce qu’est le pouvoir politique etsocial au Brésil : les “coroneis”, ces grandspropriétaires terriens qui étaient à la têtedu Brésil politique, économique et socialau XIXe siècle, représentent toujoursaujourd’hui, par l’intermédiaire de leurshéritiers dans l’agriculture et l’élevage,une force politique prédominante. L’in-terminable polémique à propos du projet

de nouveau Code forestier [qui duredepuis deux ans] aurait dû prendre finavec l’approbation du texte devant leSénat. Cela aurait mis fin à l’amnistiedes responsables de la déforestation, dela restructuration forestière sur lesberges des fleuves, des brèches laisséesouvertes à d’autres déforestationscomme aux autres exigences ultracon-servatrices des “ruralistas” représentantle secteur agricole.

Raté. Les tenants du secteur agricoleont appelé à la rescousse leurs alliés conser-vateurs urbains, et la Chambre a ainsiapprouvé, contrairement à tous les enga-gements du gouvernement, un texte finalqui avait déjà totalement perdu de sa sub-stance au Sénat.

De plus, en matière rurale, Dilma Rous-seff n’innove pas vraiment. Il n’y a rien dansce qu’elle propose qui ne se trouve déjàdans les accords internationaux sur l’en-vironnement et dans les thèses que le Brésila défendues dans le cadre des forumsenvironnementaux, comme il le fera auSommet de la Terre de Rio+20. Car les exi-gences des “ruralistas” ont la peau dure.Les veto et les amendements présidentielsdoivent encore être soumis au Congrès, où

ils seront soit acceptés, soit rejetés. Et toutpeut encore arriver.

Depuis la Constitution de 1988,lorsque la lignée des “coroneis” a réussi àimposer que le texte obéisse à ses intérêts,le mouvement conservateur rural s’esttrouvé face à une alternative simple : soitretourner devant le Congrès [le premierCode forestier date de 1965], ce qui ne luiconvenait pas ; soit continuer ses pra-tiques, en toute tranquillité, ce que la loiavait fini par accepter. Il en va ainsi de ladéforestation, notamment par les pro-ducteurs de soja, les éleveurs plus récem-ment en Amazonie et les exportateurs debois ; il en va ainsi de la destruction desréserves environnementales, de l’invasiondes réserves indiennes, du refus de payerdes impôts ruraux, ce qui ne dérange aucu-nement l’ordre public dans un pays quisait promulguer des lois pour sa propresauvegarde, mais qui n’a aucun moyenpour les appliquer.

Le nouveau Code forestier connaîtrasans doute le même sort et de façondurable. Car, même en cas d’approba-tion par le Congrès des veto et amen-dements présidentiels, à quelquesexceptions près, rien ne changera en

pratique pour les “coroneis” actuels. Et encas de refus des veto et des amendements,rien ne changera pour eux non plus. Carleur paradis est sur terre, juste ici. Janio de Freitas**Journaliste et éditorialiste brésilien indépendanttrès célèbre.

� Dessin de Martirena, Cuba.

Page 30: Courrier International du 13 juin 2012

30 � Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012

Asie

sous-estimé la hauteur de leur véhicule.La voûte fait presque 5 mètres de haut,mais seulement en son centre. “C’est unvéritable cauchemar”, reconnaît un conduc-teur de camion-citerne. L’éclairage nefonctionne pas, pas plus que les camérasde surveillance. Il y a des fuites d’eau et laplupart des ventilateurs sont hors d’usage.

Fin mai, un camion-citerne de l’Otans’est renversé au niveau de l’entrée suddu tunnel, laissant sa cargaison s’échap-per de sa cuve percée sur la route en lacets.Avec l’augmentation du trafic et la dété-rioration des routes, le trajet entre Kaboulet Hairatan, dépôt de fret et de carburantsitué sur la frontière nord avec l’Ouzbé-kistan, prend aujourd’hui entre huit etdix jours au lieu d’une journée aupara-vant, expliquent de nombreux chauffeurs.En voiture, le voyage prend désormaisdeux, jours.

“Hier, j’ai dormi là-bas, explique SayidAli, en désignant le dernier virage derrièrelui à environ 1,5 km. Ce soir, je dormiraiprobablement ici.” Il lui a fallu cinq jourspour parcourir environ 40 kilomètres.Mohammadullad, chauffeur de camion-citerne pour l’Otan, est parti depuishuit jours et il n’est toujours pas parvenujusqu’à l’entrée du tunnel. Il explique queles conducteurs finissent souvent parmanquer de nourriture et doivent payerdes prix exorbitants pour se fournirauprès des vendeurs qui montent les ap -

tion contre la mort de 24 soldats pakista-nais due à une frappe aérienne américaine.Le Pakistan a exprimé son intention derouvrir la frontière mais le passage coû-tera désormais 1 000 dollars [802 euros]par camion, contre 250 dollars [200 eu -ros] auparavant. “Nous n’allons pas nousfaire racketter !” a déclaré Leon Panetta,ministre de la Défense américain, surla chaîne ABC.

Le tunnel de Salang, qui n’a jamais étéachevé (il manque un revêtement inté-rieur sur les parois ainsi qu’un tunnel desecours), a déjà une histoire tragique.Neuf cents personnes, des Russes et desAfghans, y auraient péri asphyxiées, en1982, un convoi militaire étant resté bloquéà l’intérieur à la suite d’un accident oud’une explosion [Le Time américain àl’époque parlait de 2 700 victimes, les auto-rités russes de moins de 200]. Il y adeux ans, une énorme avalanche à l’entréesud du tunnel a fait au moins 64 victimes,ensevelies dans leurs véhicules.

Le seul autre point de passage possiblese situe à l’ouest, par le col de Shibar,explique le général Rajab. Ce trajet repré-sente un détour de trois jours, ce qui pour-rait être considéré comme un progrès parrapport au tunnel de Salang. Encore fau-drait-il améliorer la sécurité : les camionsque le général Rajab a récemment faitpasser par cette route ont été pillés avantd’atteindre la passe. Rod Nordland

Afghanistan-Pakistan

La galère des camionneurs de l’Otan

provisionner. D’après ses estimations, levoyage aller-retour devrait lui prendrepresque un mois. “J’aimerais mieux être surla route de Kandahar, dit-il. Là-bas, lescamions doivent être accompagnés de gardesarmés à cause du risque d’embuscade mais jepréférerais ça à ces heures d’attente.”

Les routes pakistanaises partant deports comme Karachi, bien meilleures etbien plus rapides, ont été interdites auxcamions de l’Otan en signe de protesta-

26 novembre 2011

Ce jour-là, 26 gardes-frontières pakistanaissont tués par une attaque d’hélicoptèresde l’Otan à la frontière avec l’Afghanistan.En représailles, le gouvernementpakistanais interdit son territoire aux convois de ravitaillement de l’Otan en route vers l’Afghanistan. “Il s’agissaitd’une agression pure et simple, d’un actedélibéré et planifié. Les soldats de l’Otan ne pouvaient pas ignorer la présence de ces postes militaires. Ceux-ci devaientforcément figurer sur leurs cartes”, estimaà l’époque le quotidien nationaliste de Peshawar The Frontier Post.Le 11 juin, les négociations entreWashington et Islamabad, censées rouvrirles frontières pakistanaises aux convois de l'Otan, ont échoué. Après six semainesde pourparlers au Pakistan, les Etats-Unisont rappelé leurs négociateurs.

AFGHANISTAN

IRAN

IRAN

TURKMÉNISTANOUZB. TADJIKISTAN

INDE

PAKISTAN

BALOUTCHISTAN

PENDJAB

SINDH

ZT**

K-P*

KaboulIslamabad

Peshawar

Herat

Quetta

Kalat

Karachi

Mazar-eCharif

Kandahar

Tunnel de Salangaltitude : 3 360 m

Passe de Chibar2 940 m

Passede Khyber

Termez-Hairatan

Cour

rier i

nter

natio

nal300 km

HINDOU

KOUCH

M E R D ’ O M A N

AB

ALLEMAGNE

LETTONIE

FÉDÉRATIONDE RUSSIE

KAZAKHSTAN

GÉORGIE

AZERBAÏDJANTURKMÉNISTAN

KI.OU.

TA.

AUTRICHE

HONGRIE

ROUMANIEBULGARIE

TURQUIE

Deux alternativesaux routes pakistanaises

Abréviations : KI. Kirghizistan, OU. Ouzbékistan, TA. Tadjikistan

1 500 km

Itinéraires bis pour ravitailler les troupes étrangères Postes-frontières pakistanais fermés depuis novembre 2011 aux convois militaires de l’Otan

Principales attaques subies par les convoisde l’Otan au Pakistan

Itinéraires des convois qui approvisionnaient les basesdu nord ou du sud de l’Afghanistan

Pour contourner le Pakistan, l’Otan a organiséle Northern Distribution Network (NDN), un réseau de routes, voies ferrées et maritimestratégiques pour approvisionner - et plus tardévacuer - l’Afghanistan Routes

Voies ferréesVoie maritime

* Khyber Pakhtunkhwa** Zones tribales

En représailles à une bavureaméricaine, Islamabad interditles routes pakistanaises aux convois de l’Otan en novembre 2011. Ils doiventdésormais emprunter des itinéraires bien plus longs et plus dangereux.

The New York Times New York

�C ’est probablement ici, au som -met de l’Hindou Kouch, sur l’undes seuls itinéraires permettant

d’accéder par le nord à Kaboul ainsi qu’aureste du pays, que l’on constate le mieuxl’effet de l’interdiction des routes pakis-tanaises aux camions de l’Otan décrétéepar Islamabad [en novembre 2011].

Sur près de 30 kilomètres au nord etau sud du tunnel de Salang [en Afghanis-tan], des milliers de camions sont immo-bilisés le long de la route. Ils attendentleur tour pour passer ce tunnel particu-lièrement dangereux, long de 2,5 km envi-ron. Il constitue la seule voie carrossablepour les poids lourds chargés d’approvi-sionner les bases de l’Otan, désormaiscontraints de traverser les républiquesd’Asie centrale. Il existe bien d’autres che-mins, mais ils se réduisent souvent à desimples pistes non goudronnées qui fran-chissent des cols encore plus hauts et sou-vent propices aux embuscades desinsurgés ou des bandits.

Conçu pour faire transiter un millierde véhicules par jour, ce tunnel – qui enaccueillait déjà 2 000 avant le blocus pakis-tanais de novembre – doit aujourd’hui enfaire passer près de 10 000, en alternanttous les jours le sens de la circulation. “Ilva y avoir une catastrophe, ce n’est qu’unequestion de temps”, reconnaît le généralMohammed Rajab, responsable de la main-tenance du tunnel. “Un désastre est inévi-table et quand il se produira, ce ne sera passeulement une catastrophe pour l’Afghanis-tan, mais pour toute la communauté inter-nationale qui utilise cette route.” Aujourd’hui,les camions d’approvisionnement del’Otan représentent 90 % du trafic.

Situé à près de 3 600 mètres d’altitude,ce tunnel construit en 1964 par les Sovié-tiques ne mesure que 6 mètres de large àla base. Des poids lourds bloquent régu-lièrement le passage en essayant de se croi-ser, leur chargement ne passant pas sousl’arrondi des parois. Il faut alors les trac-ter à l’aide d’équipements lourds. D’autresrestent coincés, leurs chauffeurs ayant

Dans le tunnel de Salang, large de 6 m, l’éclairage ne fonctionne pas

Sur le w

eb

www.courrier

international.com Al-Qaida Les autorités américainesont déclaré le 5 juin que le numérodeux d’Al-Qaida, Abou Yahya Al-Libi,avait été tué par un tir de drone de la CIA au Pakistan. Al-Libi,considéré comme l’un des principauxthéoriciens d’Al-Qaida, était chargé

des opérations de l’organisationterroriste au Pakistan. Retrouveznotre dossier spécial “Ben Laden, un an après. Quel héritage ?” sur courrierinternational.com,où l’on revient sur la nouvelle page qui s’ouvre dans les relations

américano-pakistanaises : autrefoisalliés dans la lutte antiterroriste, les deux pays sont désormais à couteaux tirés, notamment à propos de l’utilisation accrue des drones par les Américains.

Page 31: Courrier International du 13 juin 2012

Tout se vend, et la loi de l’offre et de la demande vaut aussi pourles organes humains. Plongéeavec un blogueur chinois au seind’un réseau de trafiquants.

Shandong Shang Bao (extraits)Jinan

�D ébut mai, le célèbre blogueur chi-nois, Shanmuge, dont le micro-blog QQ [une des plates-formes

de microblog les plus utilisées avec cellede Sina Weibo] compte plus de 200 000 filsde discussion, a pris contact par Internetsous un faux nom avec un trafiquant dereins de Hangzhou [capitale de la provinceorientale du Zhejiang] en prétextant desdettes de jeu considérables. Le 14 mai aumatin, mal rasé et portant un vieux sac àdos, il débarque à la gare de Hangzhou, oùil fait connaissance avec un certain Cielbleu, second couteau de la bande.

On le conduit vers midi dans unmeublé d’une petite résidence du districtde Jianggan. Trois des chambres de cequatre pièces sont destinées à accueillirles donneurs venus vendre leurs reins. Ily a dix lits superposés : vingt couchages.Le soir même, Shanmuge conclut unarrangement : il touchera 35 000 yuans[environ 4 400 euros] pour la vente d’unde ses reins [qui sera revendu ensuite huitfois plus cher]. Les trois jours suivants,huit autres vendeurs de reins arriventdes provinces du Jiangxi, du Hunan, duShanxi, du Zhejiang et du Gansu.

Des examens médicaux aux prises desang, en passant par différents tests et unevérification de compatibilité, la procédureest bien rodée. Une fois ce parcours ter-miné, une longue attente commence pourShanmuge comme pour les autres don-neurs, âgés d’une vingtaine d’années. Ledélai d’attente peut varier de un à deux outrois mois, jusqu’à ce que les tests se révè-lent concluants, qu’un acheteur téléphoneet que soit délivré le “bon pour l’opération”.

Dans le meublé, chacun a droit à unpaquet de cigarettes bon marché par jouret tue le temps en jouant aux cartes, en fai-sant la sieste, en discutant ou en surfantsur Internet. Le budget prévu pour la nour-riture est très juste. Au début, il était seu-lement de 40 yuans [5 euros], mais il a étérevu à la hausse : 55 yuans [soit près de7 euros], face à la grogne générale des occu-pants du logement qui, à partir du 19 mai,sont passés au nombre de quinze. Cela nepermet que deux repas par jour, le plussouvent des pommes de terre et du chou,parfois du tofu. L’appartement, quasimentsans meubles, fait penser à un atelier.Chaque jour, de nouvelles personnesarrivent et d’autres partent.

Aux dires de l’intermédiaire, les deuxreins d’un homme ne fonctionnent pas en

même temps : l’un d’eux ne se met à fonc-tionner que vers la trentaine et on enlèveau donneur celui qui a déjà travaillé durantplus de vingt ans. “Vous resterez alité troisjours et, au bout d’une semaine, vous pourrezà nouveau courir comme un lapin ! Cela n’auraaucune conséquence pour vous…” Les futursdonneurs croient dur comme fer à ces affir-mations mensongères qui les réconfortent.

Quand il apprend qu’on a trouvé unacheteur pour lui, un donneur de la pro-vince du Shandong [dans le Nord-Est]invite tout le monde à fêter l’événementautour d’un bon repas… Avant d’“y passer”,il prend même soin de se laver les cheveux,puis de les coiffer longuement en se regar-dant dans un miroir ; il veut faire bonneimpression à l’acheteur ! Il passe ensuiteun coup de fil à sa femme, avant de se déci-der enfin à partir. Les autres espèrent avoirla chance de trouver un acheteur au plustôt. Finalement, le 28 mai au matin, Shan-muge alerte la police : “Il fallait que quel-qu’un les arrête avant qu’ils ne soient plus enmesure de le regretter…”

Pour Shanmuge, ces “donneurs” quis’apprêtaient à vendre un de leurs reinsétaient des gens ordinaires, blessés par la

vie, abandonnés par celui ou celle qu’ilsaimaient. La plupart étaient dans une situa-tion difficile, acculés à cette extrémité pardes conditions de vie extrêmementdures.“Les gens qui ont de l’importance à mesyeux ne se soucient pas de moi ; je suis seul,sans personne à qui me raccrocher. Si j’avaisquelqu’un qui se soucie de moi, je ne serais paslà”, dit l’un d’entre eux.

Shanmuge nous a expliqué que sonintermédiaire, Ciel bleu, avait lui aussivendu un de ses reins, tout comme sonpatron. Celui qui passe sur le billard pourvendre un de ses reins finit par entrer dansle réseau et devient trafiquant à son tour.La cicatrice qui lézarde son ventre signeson appartenance à l’organisation. Lesintermédiaires encouragent les donneursà leur présenter des amis susceptibles devendre un rein en leur promettant uneprime de 500  yuans [63  euros] pourchaque personne ayant passé avec succèsles examens préliminaires et 3 000 yuans[380 euros] par personne opérée.

Ainsi, 35 000 yuans [environ 4 400 eu -ros] est le prix final auquel un jeune hommeen bonne santé peut vendre l’un de sesreins ! Ji Qiang

Chine

Un rein pour payer ses dettes

Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012 � 31

Le mot de la semaine

“shangpin”MarchandiseCombien de tragédies et d’injustices se cachent derrière la croissanceéconomique chinoise, si admirée ? Parmicelles-ci, la traite des êtres humains et le commerce d’organes sont les plusdéplorables. La traite d’êtres humainsexiste partout, mais il est rare d’entendreque les institutions officielles chargéesdu planning familial se mêlent de la vented’enfants à l’étranger. Ce fut pourtant le cas l’an dernier dans un district du Hunan : les cadres kidnappent“les enfants de trop” (qui contreviennent à la politique de l’enfant unique) pour lesvendre à l’étranger. Mais ce trafic sembledétrôné par une nouvelle marchandise :les organes. La prospérité récente de ce nouveau négoce est une réponseindirecte pour justifier la provenance des organes transplantés. En 2005, unministre a reconnu que presque tous lesorganes transplantés provenaient descondamnés à mort. Pour compléter lemanque de dons, le commerce d’organesa trouvé sa raison d’être. D’autre part, ce commerce est plus lucratif que le trafic d’êtres humains. Le prix d’un rein est de 63 000 euros, celui d’un foie, de 20 000 euros, alors que le prix d’unejeune femme ne va que de 700 eurosà 2 400 euros et celui d’un enfant est de3 500 euros. Une chaîne de distributions’est développée autour de la vented’organes. Interdite par la loi, cetteactivité a su trouver des complicités au sein de la police et jusque dans les hôpitaux. Après les prélèvements de ces intermédiaires, celui qui vend sonorgane ne gagne que quelques centainesd’euros. Tous les moyens sont utilisés par les malfrats pour convaincre le fournisseur d’organes, mais celui-ci se trouve sans aucun recours vis-à-vis detrafiquants sans scrupule. Chen Yan Calligraphie d’Hélène Ho� Dessin d’Ares, Cuba.

Page 32: Courrier International du 13 juin 2012

32 � Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012

Séries thaïlandaises ou films de propagande communiste,voilà le choix qui s’est longtempsoffert aux Laotiens. Mais unejeune génération de cinéastesécrit aujourd’hui une nouvellepage du septième art.

Bangkok Post Bangkok

�D es décennies durant, le Laos estresté plongé dans l’obscurité. Lerideau est tombé sur les écrans

de cinéma. Depuis de nombreuses années,notre voisin a dû se contenter d’une poi-gnée de feuilletons télé et de films thaï-landais, des produits culturels importés,légalement ou non. Mais, avec un peu dechance, voilà qui devrait changer. En débutd’année, la sortie du premier film policierde l’histoire du pays a certes attiré un publicencore peu nombreux, mais il a ressuscitéle plaisir de se rendre dans une salle obs-cure. La bande-annonce d’une nouvellecomédie romantique réalisée par un Thaï-lando-Laotien, tournée entièrement auLaos avec des acteurs amateurs laotiens,fait actuellement sensation sur YouTube,de Vientiane à Paksé.

La Thaïlande continue de jouer un rôle,tant direct qu’indirect, pour épauler l’in-dustrie cinématographique laotienne dansses premiers pas. L’acteur australo-laotienAnanda Everingham, qui mène une car-rière si brillante dans le royaume que lepublic le croit à tort à moitié thaïlandais,s’investit corps et âme. “On sent un frémis-sement. En général, ce n’est pas aussi vivant,aussi passionnant qu’à Bangkok, mais espé-rons que nous parviendrons à mettre en mou-vement quelque chose”, commente PanumasDeesatha, le réalisateur de la comédie sen-timentale Hak Um Lum.

Panumas fait partie d’un groupe dejeunes metteurs en scène et spécialistesdes médias qui ont uni leurs forces sousl’appellation Lao New Wave. Anysay Keola,dont le film Plai Tang (A l’horizon) est lepremier du genre dans le pays à montrerdes armes à feu, des scènes de violence etdes femmes vêtues à l’occidentale au lieude porter le traditionnel sinh, en est le fon-dateur. Panumas comme Anysay entre-tiennent des liens étroits avec la Thaïlande.De fait, leur sensibilité cinématographiqueest largement influencée par le contact avecle nouveau cinéma thaïlandais et l’expé-rience acquise dans le royaume. Le polarPlai Tang constitue le mémoire universi-taire d’Anysay. “Nous avons appelé notregroupe, à moitié pour rire, Lao New Wave enhommage à la nouvelle vague française,indique Anysay, 29 ans. Nous n’inventonspas un nouveau langage cinématographiquecomme l’ont fait les Français, nous n’en sommespas capables ! Nous voulons simplement mar-quer notre différence avec, disons, les films de

Asie

la vieille garde du cinéma laotien, qui com-prend généralement des œuvres de propagandeou des mélodrames.”

Plai Tang est l’histoire d’une ven-geance, dans laquelle se croisent les des-tins de deux hommes lors d’une rencontremeurtrière. Le film a été projeté dans troissalles, à Vientiane, Savannakhet et Paksé.Il a engrangé 300 000 bahts [8 000 euros]de recettes (un billet coûte environ50 bahts, 1,25 euro), ce qui est un assez jolisuccès, même si cela couvre à peineles coûts, d’après le metteuren scène. Mais sa plusimportante réussite aété de faire accepterpar le public locall’idée de film com-mercial laotien.Après sa sortie, legroupe d’Anysays’est vu proposerpar une sociétélaotienne la réali-sation d’un autrelong-métrage.C’est ainsi qu’a puvoir le jour Hak UmLum, une comédie sur lavie amoureuse de plusieurscouples.

Depuis 1975 et l’instauration durégime communiste, le cinéma laotienest une denrée rare, un produit inacces-sible et un instrument essentiellementidéologique plutôt que de divertissement.Les quelques films réalisés – certains avecl’aide du gouvernement vietnamien – sontporteurs d’un message de propagande.L’une des œuvres reconnues des trentedernières années, Bua Daeng (Le lotusrouge), s’inscrivant dans le genre réalisme

social, raconte les difficultés rencontréespar une famille en temps de guerre.

Pour tourner un film, les cinéastes doi-vent obtenir une autorisation. Tout en pré-parant Plai Tang, Anysay a déposé sademande. Dans un premier temps, il aessuyé un refus parce que le scénario conte-nait des scènes violentes. Le réalisateur afait appel, au motif qu’il s’agissait simple-ment d’un film d’étudiant, présenté commemémoire à ses professeurs et non destiné

au public. Les autorités luiont alors donné leur feuvert, et, de fait, le produitfini leur a plu, rapporteAnysay. A tel point que ledépartement du film lao a

même autorisé la sortie en salle, àcondition que le metteur en scène

modifie l’épilogue et floute toutesles images d’armes à feu.

Laos

La nouvelle vague du cinéma“Les autorités se sont rendu compte que le filmne faisait pas l’apologie de la violence, elles ontfait preuve d’ouverture d’esprit, se féliciteAnysay. Mais j’ai été prié de changer la fin, demanière que le méchant aille en prison. J’aiobéi parce que je voulais que mon film soit pro-jeté dans les cinémas. C’est le premier long-métrage lao à montrer des hommes tatoués,portant des boucles d’oreilles et maniant desarmes à feu, ainsi que des scènes de bagarre.”

Comme la plupart des Laotiens, Anysaya grandi avec des films et des feuilletonspour la plupart venus de l’autre côté de lafrontière [de Thaïlande]. Comme le publicthaïlandais, estime-t-il, ses compatriotesraffolent de comédies, de films d’action oud’horreur, qui constituent le quotidien à latélévision nationale et dans les rares sallesobscures du pays. Mais la Lao New Wave

attribue le mérite de larenaissance actuelle à uneœuvre marquante, la comé-die sentimentale de 2008Sabaidee Luang Prabang(Bonjour, Luang Prabang),du Thaïlandais SakchaiDeenan. C’est une copro-duction de sociétés thaï-landaises et laotiennes.

Comme il se doit, Ananda Everingham ytient la vedette. Il joue le rôle d’un pho-tographe métis laotien qui sillonne le payset tombe amoureux d’une Laotienne. “C’estbien mieux maintenant de voir des cinéasteslaotiens faire des films laotiens, se réjouit Sak-chai. Il règne un climat plus ouvert, même sije m’inquiète de la taille du marché. Le publicn’est pas assez nombreux pour que celadevienne rentable.” Kong Rithdee

� Dessin d’Ajubel paru dans El Mundo, Madrid.

“Le Laos est en plein boom, et nulle part ailleurs celan’est plus visible qu’àVientiane”, écrit le BangkokPost. De fait, la population de Vientiane, longtempsdécrite comme une capitaleendormie, croît au rythme de5 % chaque année et devraitdoubler d’ici à vingt ans. Lesimmatriculations de nouveaux véhiculesexplosent (+ 14 % d’une année sur l’autre),provoquant déjàembouteillages et pollution.Les chantiers de construction prolifèrent,raconte un journaliste duquotidien pakistanais Dawn.

Les plus emblématiques : un centre de conférences quiaccueillera le sommet Asie-Europe (Asem) en novembreet un immense complexeimmobilier, baptiséVientiane New World – où seront logées les48 délégations étrangères de cette réunion  –, financépar des capitaux chinois.La Chine, qui a ravi à laThaïlande en 2010 sa placede premier investisseurétranger, est omniprésente,de l’immobilier à l’énergie, en passant par le secteurminier et les infrastructures(hôpitaux, ponts,et une hypothétique ligne

de chemin de fer). Bienqu’enclavé et abritant un peu plus de 6 millionsd’habitants, le Laos est convoité pour sesressources naturelles.Forêts, terres agricoles,énergie hydroélectrique et minerais représentent la moitié de sa richesse,précise la Banque mondiale. Les barrageshydroélectriques et lesecteur minier ont contribuéà eux seuls pour un tiers à la croissance du paysentre 2005 et 2010. Unecroissance qui s’est élevée à un taux moyen annuel de 7,1 % entre 2001 et 2010

et devrait se poursuivre à un niveau de 7,6 % jusqu’en2015. “A ce rythme, le Laosest en voie d’atteindre son objectif à long terme : avoir quitté la catégorie des pays les moins avancés en 2020”, note la Banque mondiale. Et déjà, à la fin 2012, dix années d’efforts et de réformes économiquesdevraient êtrerécompensées par l’admission du pays,toujours dirigé par un parti unique (le Parti populairerévolutionnaire lao), au seinde l’Organisation mondialedu commerce.

Développement

Paré pour le décollage

Page 33: Courrier International du 13 juin 2012

Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012 � 33

Le Premier ministre multiplie les déclarations hostiles à l’avortement. Ces proposrappellent les phobies de l’extrême droite européenne.

Radikal Istanbul

�L es Etats qui recherchent la puis-sance accordent traditionnelle-ment de l’importance à leur

démographie. Alors que les pays réellementpuissants n’affichent pas de fierté particu-lière quant à l’importance numérique deleur population, ceux qui aspirent à cettepuissance ont tendance à mettre en avantleur dynamisme démographique. Outre lapossibilité d’avoir une armée forte, unepopulation numériquement importantedébouche également sur une croissanceéconomique significative. C’est ainsi quela croissance économique et l’accroisse-ment de sa population ont permis à la Tur-quie de faire partie depuis dix ans du G20,même si en revenu par habitant elle estbeaucoup moins bien classée.

Les projections démographiques peu-vent aussi être utilisées comme une menace.Elles constituent d’ailleurs le fonds decommerce principal de l’extrême droiteeuropéenne. Le journaliste américainChristopher Caldwell, source d’inspirationde ce mouvement, défend ainsi la thèsedouteuse selon laquelle les musulmans

Moyen-Orient

seraient en train d’envahir l’Europe en uti-lisant l’arme démographique.

La Turquie n’échappe pas nonplus à cette phobie démogra-phique. Celle-ci est agitée pardes Turcs racistes pour lesquelsla menace est incarnée par lesKurdes. La revue embléma-tique des kémalistes radi-caux et ultranationalistesturcs Türk Solu [Gaucheturque] décrit ainsi parle menu sur son site lafaçon dont se déroule-rait l’“invasion démo- graphique des Kurdes”,qui aurait pour consé-quence que les Turcs,dont le taux de natalitéest inférieur à celui desKurdes, deviendraientminoritaires dans leurpropre pays dans le ca -dre d’“un complot ourdipar les forces internatio-nales visant à soumettreles Turcs”.

A côté de cela, il ya aussi ceux qui rêventque la Turquie compte130 à 140 millions d’ha-bitants [environ 75 mil-lions au jourd’hui], cequi lui permettrait dèslors de devenir une

véritable puissance mondiale. Et ceux-làsont nombreux au sein de l’AKP [le partiislamiste modéré au pouvoir]. Le Premierministre Erdogan est d’ailleurs l’un d’entreeux. C’est dans ce contexte qu’il a récem-

ment déclaré : “Nous savons qu’il existe unplan sournois pour rayer la Turquie de lascène internationale.” Selon lui, ce planse distingue par le recours à “la planifi-cation familiale et à l’avortement”. “Afin quela nation turque puisse grandir, il n’est pasquestion d’encourager ce genre de pratique.”

Si le complot qu’Erdogan évoque sembleà l’opposé de celui ressassé par l’extrêmedroite européenne, ils sont en réalité demême nature. Et c’est bien cette proxi-mité qui est remarquable. Ils constituenten effet les deux faces d’un même étatd’esprit. Nous avons donc d’une part unepensée obnubilée par la paranoïa d’uneinvasion démographique des musulmans,et de l’autre celle des gens qui sont obsé-dés par l’idée qu’il existerait un plan

visant à faire en sorte que les musul-mans, ou les Turcs, fassent moins d’en-fants. Dans les deux cas, les individussont considérés comme les petits sol-dats d’une cause, chaque enfant étantregardé comme un simple pion censécontribuer à la volonté de puissanced’un Etat, d’une société ou d’une com-munauté idéologique. Ahmet Insel

Turquie

L’obsession nataliste d’Erdogan

� Dessin de Springs paru dans le Financial Times, Londres.

Dérive

La tentation autoritaire des islamistes au pouvoirL’expérience d’un parti islamisteréconcilié avec la démocratiequ’incarnait le parti AKP au pouvoir est de plus en plusvacillante, écrit ce quotidienmusulman modéré.

Zaman (extraits) Istanbul

�D epuis que le Parti de la justice etdu développement (AKP, musul-man modéré) est aux affaires

[novembre 2002], le revenu moyen enTurquie a plus que doublé, la tutelle exer-cée sur la société turque par l’oligarchiebureaucratique et militaire s’est considé-rablement affaiblie, l’identité kurde a cesséd’être niée et des initiatives visant par ledialogue à mettre un terme à la violencedu PKK [Parti des travailleurs du Kurdis-tan] ont été lancées. Le processus de négo-ciation en vue d’une adhésion à l’Unioneuropéenne a été lancé et la Turquie estdevenue un pays cité en exemple au niveau

international. Ce succès s’explique avanttout parce que le Premier ministre, RecepTayyip Erdogan, lorsqu’il a fondé l’AKP [enaoût 2001], a réussi à donner à son partiune identité “conservatrice démocrate”sur le modèle des partis démocrates-chré-tiens européens. C’est comme cela que luiet son parti sont arrivés au pouvoir avec34 % des voix et que ce score n’a fait ensuitequ’augmenter, pour frôler les 50 % [auxélections législatives de juin 2011].

Les opposants à l’AKP et les partisansdu maintien d’une tutelle bureaucratiqueet militaire sur la société ont tout essayépour chasser l’AKP du pouvoir. Ils ont agitél’épouvantail d’une République islamique.Ils ont planifié des putschs. Quand ils ontvu que cela ne donnait rien, ils ont tentéde faire interdire l’AKP par la Cour consti-tutionnelle, sans succès.

Sauf que, depuis qu’il a entamé sa troi-sième législature, l’AKP est devenu petità petit méconnaissable. Le discours duPremier ministre Erdogan peut ainsi serésumer en ces termes : “J’incarne la nation.

Le peuple ne sait pas ce qui est bon pour lui,mais moi je le sais. C’est moi qui décide de quiva remporter un appel d’offres ou de ce que lapresse peut écrire. Idem en matière de foot-ball, d’art, de théâtre, de religion, d’avor tementou de césarienne. Critiquer un gou vernementqui a obtenu la moitié des voix revient à jouerle jeu de l’étranger et s’apparente donc à dela trahison.”

Dans ce contexte, le processus deréformes démocratiques s’est retrouvé aupoint mort. Les journalistes qui se per-mettent des critiques à l’égard du pouvoirsont exclus de leur rédaction par despatrons de presse aux ordres du gouver-nement. Le ministre de l’Intérieur prenddes accents d’extrême droite pour décla-rer que les victimes du bombardementd’Uludere [34 villageois kurdes ont été tuéslors d’un bombardement visant le PKK enavril 2012] “sont responsables de leur mal-heur”. La volonté d’Erdogan de faire adop-ter une nouvelle Constitution fait planerle doute sur la future démocratie. Com-ment expliquer ce retour en arrière et cette

tendance à l’autoritarisme de la part d’Er-dogan et de l’AKP ? Plusieurs thèses cir-culent à ce propos. Dès lors qu’il dominel’appareil d’Etat, Erdogan considère qu’ilincarne désormais cet Etat, ce qui luipermet d’affirmer au passage que tous ceuxqui le critiquent sont des “ennemis de laTurquie”. Cette évolution serait égalementliée au souhait d’Erdogan d’être élu prési-dent de la République, raison pour laquelleil essaie de gagner des voix du côté de l’ex-trême droite. Il aurait en outre renoncé àl’idéal démocratique pour revenir à uneposture conservatrice islamique. Sansparler de la confiance excessive qu’il auraiten lui-même, encouragée par les courti-sans gravitant autour de lui.

Si Erdogan ne tient pas compte des cri-tiques qui le visent, lui et son parti, cetteévolution risque bien à terme de menerl’AKP à la défaite électorale. En effet, laTurquie, dont l’économie s’est renforcéeet qui s’ouvre de plus en plus au monde età l’esprit critique, ne supportera pas cettesurenchère autoritariste. Sahin Alpay

Page 34: Courrier International du 13 juin 2012

34 � Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012

De nombreux pays, excédés par la brutalité du régime syrien,ont expulsé ses ambassadeurs.Ces diplomates n’étaient que des mouchards, rappelle le quotidien libanais anti-Assad.

Al-Mustaqbal (extraits) Beyrouth

�C ’est au moment où ils se fontchasser d’à peu près partoutqu’on se souvient soudain de leur

existence : les ambassadeurs de Syrie àtravers le monde, dont l’Europe. Tout uncontinent que le ministre des Affairesétrangères syrien n’a pas hésité à vilipen-der en déclarant : “Nous avions oublié quel’Europe existait.” Si leur expulsion ne seproduit que maintenant, c’est peut-êtretout simplement parce qu’on avait oubliéleur présence. Ces ambassadeurs vont doncdevoir faire leur valise – fût-elle diploma-tique – et quitter les pays où ils étaient enposte. Puisqu’ils n’ont de toute façon pasl’habitude de s’exprimer, ils ont encaissél’offense sans broncher.

Depuis le début de la révolutionsyrienne, il y a quinze mois, ces ambassa-deurs ont été inaudibles et n’ont pas faitla moindre déclaration, ne serait-ce quepour expliquer le point de vue du régime.Leur travail consistait uniquement à écou-ter de temps en temps les protestationsdes ministres des Affaires étrangères despays hôtes. Et encore, de moins en moinssouvent à mesure que les pays occidentauxperdaient l’espoir que leur parler, voire dia-loguer avec leur régime, serait utile.

Même quand les Syriens de la diasporaont pris d’assaut leurs ambassades afin deprotester contre les massacres commis par

Moyen-Orient

le régime, aucun diplomate n’a jugé bon des’exprimer ou de faire une conférence depresse. Dans certains pays arabes, les diplo-mates ont riposté en tirant sur les mani-festants. Il faut dire que le personnelpoli tique syrien a plus de talent pour tirersur les foules que pour manier le langagediplomatique.

La seule tâche des ambassadeurssyriens à l’étranger était de poursuivre lasurveillance de leurs compatriotes en exil,

proférant des menaces, organisant des fila-tures et prenant en photo des manifestantspour ensuite les transmettre aux servicessecrets syriens. Bref, entre les Syriens etleurs ambassades, ça n’a jamais été unehistoire d’amour. Quant aux démarchesconsulaires indispensables, elles n’étaientpour la diaspora syrienne qu’une piqûre derappel de la corruption administrativerégnant dans leur pays natal. A part ça, onne savait pas trop à quoi servait ce corps

diplomatique. Avec ses pauvres moyens etses effectifs modestes, il ne s’est jamais dis-tingué par ses initiatives dans les relationsbilatérales. Car toute décision de politiqueextérieure a toujours été prise, jusque dansles moindres détails, par un petit cerclehermétique à Damas. Les ambassadeursn’étaient que les exécutants d’ordres quiarrivaient de manière sporadique. Ils nes’en plaignaient pas, s’accommodant fortbien de l’inertie générale, qui était lemeilleur moyen de ne pas commettre d’er-reur, et donc de ne pas risquer de blâmeou de révocation.

Car être diplomate s’accompagned’un certain nombre de privilèges. C’estd’ailleurs pour ça que tous ceux qui n’ontpas de compétences particulières sont atti-rés par la fonction. Leur recrutement nepasse pas nécessairement par les canauxdiplomatiques ou le ministère théorique-ment de tutelle, ce qui explique peut-êtreleur incapacité effrayante à parler le lan-gage diplomatique. Les seuls mots que cer-tains d’entre eux ont trouvés quand ils ontété mis devant l’obligation de faire unedéclaration ont été des mots d’insulte.

Depuis le début de la crise, le régime abrûlé ses vaisseaux diplomatiques à l’ex-térieur, tandis qu’à l’intérieur les chabiha[milices du régime] continuent de brûlerla terre. Le régime n’a plus aucun profit àtirer de relations diplomatiques ne servantqu’à entendre les condamnations interna-tionales. L’expulsion des ambassadeurs nechangera rien aux méthodes du régime.Celui-ci se vengera à l’intérieur des décon-venues encaissées à l’extérieur.

Mais, sur le fond, il ne s’agit que d’offi-cialiser ce qui était déjà vrai, à savoir qu’ils’agit de diplomates sans travail.Omar Kaddour

Syrie

Hier ambassadeurs, aujourd’hui chômeurs

Emirats arabes unis

Le malheur du Liban fait le bonheur des épousesL’été, de nombreux Emiratislaissent leurs femmes et leursenfants et vont seuls au Libanpour s’encanailler. La tensionactuelle au Moyen-Orient va les obliger à rester en famille.

The National (extraits) Abou Dhabi

�R ien de tel qu’un poème de NizarQabbani, le poète romantiquesyrien, pour nous rappeler que

l’amour peut se manifester même dans lapénible chaleur de l’été. “En été, je m’étendssur la plage/et je pense à toi/Si j’avais dit à lamer ce que je ressens pour toi, elle aurait quittéses côtes, ses coquillages, ses poissons et

m’aurait suivi.” Cet été, c’est toutefoisquelque chose de moins poétique quiréunira les couples de la région. Pourreprendre les termes d’un message Black-berry qui fait le tour du Golfe, “les épousessont heureuses cet été, car leur mari passe lesvacances à la maison”.

Les soulèvements arabes, dont leseffets se font encore sentir dans toute larégion, voire dans les actuels troublesau Liban [plusieurs pays du Golfe ontdemandé à leurs ressortissants d’éviter leLiban cette année], sont au cœur de cettehistoire d’amour. Ce qui veut dire que mon-sieur consacrera plus de temps à sa famille.

“C’est l’un des meilleurs étés que jevais avoir” depuis longtemps, me confiaitrécemment une de mes amies émiraties.

Comme nombre de femmes arabes, elleest exaspérée par les “virées entre copains”,pour reprendre ses propres termes – cesvoyages réservés aux mecs au Liban, parexemple. “Mon mari ne partira pas au Libanavec ses amis et j’en suis ravie.”

Le mari s’empresse de répondre : “Ben,si on veut des montagnes, il y en a au Liban.Si on veut la plage, il y en a au Liban. Et, chosequi ne fait pas de mal, où qu’on regarde il y ade belles femmes. Un petit plus pour les yeux.”

Chez beaucoup de couples, la règle veutque, quand madame et les enfants vontvoir la famille, monsieur va avec des amisau Liban, en Syrie, en Egypte ou au Maroc.

Les femmes ont horreur de cette situa-tion. Quand elles demandent à leur maride rester à la maison, ça tourne à la dispute

et tout le monde souffre. Cette année estparticulièrement délicate.

Et, comme cet été nombre de femmes[mariées à des hommes du Golfe] ne pour-ront se rendre dans leur famille si ellesviennent d’un pays où la situation esttendue – la Syrie ou la Libye –, elles reste-ront avec leur mari.

L’annulation des vacances pour leshommes comme pour les femmes n’estpeut-être pas une si mauvaise chose. Enpassant l’été dans les Emirats arabes unis,des couples qui sont en général séparéspendant quelques mois auront peut-êtreune occasion en or de ranimer leur rela-tion et de trouver le moyen de se divertiravec ce qu’on trouve sur place.Rym Ghazal

� Didier Reynders, ministre des Affaires étrangères de Belgique. Dessin de Clou paru dans La Libre Belgique, Bruxelles.

Page 35: Courrier International du 13 juin 2012

Les sit-in des jeunes sur la placeTahrir ne font plus recette. Les Egyptiens veulent retrouverleur vie paisible.

Al-Hayat Londres

�T rès imbu de lui et n’écoutant quelui-même, il est convaincu quetout le monde lui donne raison.

Et, si jamais il doit écouter quelqu’un quile contredit, il pense que ce dernier doitêtre un idiot. Voilà à quoi ressemble unvieux dictateur. Ou un jeune de 20 ans.Tandis que les Egyptiens lambda onttourné le dos à la politique, lassés d’at-tendre un dénouement qui ne vient pas, etcherchent désormais à gagner leur painquotidien et à parvenir à une situationmatérielle supportable, avec un toit poureux et leur famille, une catégorie de jeunescontinue à s’agripper à la politique, à vou-loir renverser la table et à se vouer corpset âme à des combats dont on ne comprendplus les tenants ni les aboutissants.

C’est un jeu de dupes entre différentsgroupes, chacun prétendant représenterla majorité de la population égyptienne. Laplace Tahrir, au Caire, continue de crierhaut et fort. Pour être plus précis, diffé-rents courants tentent de s’en emparer etd’en ressusciter la dynamique afin de pré-senter des revendications révolutionnaires.Mais, chaque fois qu’un groupe se lancedans l’entreprise, d’autres en contestentla pertinence et le moment choisi.

Au lieu d’aboutir à un front uni, ce sontdes divisions profondes qui sont apparuesentre les groupes cherchant à acca-parer une révolution inachevée etles nombreuses catégories socialesqui ont vu leurs problèmes s’ag-graver. Beaucoup d’Egyptiensauraient été contents si les re-vendications actuellementproclamées sur la placeTahrir avaient été satis-faites en février  2011,lors de la révolution.Mais, depuis, ils pen-sent que, puisqu’unprocessus de tran-sition politique aété engagé, il fautque celui-ci aillejusqu’au bout,même s’il est loind’être parfait.

Quant auxjeunes de Tah-rir, quitte à de-mander d’autressacrifices à la po-pulation, ils refusent l’idéede poursuivre un proces-sus mal engagé.

Avant le premier tourde la présidentielle, une vi-

déo incitait les jeunes à faire disparaître lacarte d’identité [nécessaire pour voter] deleur père si celui était partisan d’un des can-didats issus de l’ancien régime [tels que legénéral Ahmed Chafik et Amr Moussa]. De-puis ce premier tour, l’échec de la révolu-tion est officiellement acté, avec un secondtour qui oppose Ahmed Chafik au Frèremusulman Mohamed Morsi  : tous lesdeux sont tout ce qu’il y a de plus éloignédes objectifs de la révolution.

En réaction, les jeunes ont réinvestiTahrir, mais ils ont déjà perdu la popula-rité qui avait été la leur lors de la révolu-tion. “J’avais beaucoup de sympathie et mêmedu respect pour eux”, dit un chauffeur de

taxi quadragénaire. “Mais, à force de les voirpromettre une milioniya [une manifestationd’un million de personnes] chaque semaine,j’ai perdu confiance.” Et de dire son ras-le-bol d’être bloqué en voiture à cause desmanifestations et de voir sa situationéconomique se dégrader. Zeinab Ghraib,employée, explique quant à elle qu’elle avaitlaissé ses enfants à la maison pour aller surla place Tahrir, apportant avec elle sand-wichs et boissons pour les manifestants,mais que ses sentiments envers eux ontbien changé depuis. “Avec leurs divisions suc-cessives, ils donnent l’impression de se battredavantage pour leur propre gloire que pourles intérêts du peuple”, déplore-t-elle.

Le véritable problème réside dans l’ab-sence de culture du dialogue entre les dif-férents courants. Cela se retrouve jusquedans les foyers, chaque membre de la fa-

mille étant plongé dans son universpropre, dans des réseaux sociaux

où il ne croise que ceux quipensent comme lui. Le

père honnit la placeTahrir parce qu’elle

s’ar roge le droit deparler au nom du

peuple, la mèreest satisfaitedu Parlement

[dominé par lesFrères musulmans],

la fille exècre lapopulation pour avoirchoisi Chafik et Mor-si au premier tour etle fils adhère au mot

d’ordre  : “La révolu-tion jusqu’à la victoire !” Maisquelle victoire ? Qu’elle vien-

ne de Tahrir ou des urnes, ellene pourra être obtenue qu’en

acceptant le dialogue. Amina Kheiry

Egypte

Adieu ma révolution !

� Dessin de Demirci, Turquie.

Le véritable problème réside dans l’absence de culture du dialogue

Courrier international | n°1128 | du 14 au 20 juin 2012 � 35

Page 36: Courrier International du 13 juin 2012

36 � Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012

A six mois d’élections redoutées,un jeune photojournaliste militant,Boniface Mwangi, a engagé une campagne percutante contreles élites. Les murs de Nairobi, la capitale, fleurissent de slogansrévolutionnaires contre la vieillegarde politique.

Think Africa Press Londres

�B oniface Mwangi lance un appelau changement et, pour le diffuserauprès de la population kényane,

il a choisi les murs de Nairobi : pendanttrois semaines, son équipe de graffeurs etlui ont parcouru toute la ville, enchaîné lesnuits blanches et pris le risque d’être arrê-tés, pour peindre des fresques qui s’enprennent violemment aux politiciens, sansla moindre censure.

Ce photographe, nommé photojour-naliste de l’année par CNN en 2008 eten 2010, ne veut pas que ses trois enfantsassistent aux horreurs qu’il a vues et photo -graphiées lors des violences qui ont suiviles élections de 2007. Son objectif ? Faireréagir la jeunesse à l’approche des pro-chains scrutins, qui auront lieu entredécembre 2012 et mars 2013.

Sur les fresques, les hommes politiquessont représentés par des vautours avideset voraces qui méprisent le peuple. Onpeut lire sur l’une des images : “Les députéspigeonnent les Kényans depuis 1963”.

Cette déclaration n’a pas eu l’air dechoquer beaucoup de monde à Nairobi, lacapitale de la plus grande économie del’Afrique de l’Est, où les critiques infligéesaux hommes politiques ne sont pas rares,mais ne semblent pas avoir de répercus-sions dans les urnes.

“Je ne vois là absolument rien de choquant”,affirme Peter, qui se décrit comme un“Kényan ordinaire”. “Voilà la tragédie : on ales dirigeants que l’on mérite. Si nous ne chan-geons pas, alors nous, les Wananchi [les gensordinaires], continuerons à être opprimés.”

De nombreux politiciens kényans – quisont parmi les mieux payés au monde –siègent au Parlement depuis des décen-nies, même si la plupart ont trempé dansdes scandales de corruption, qui vont desfonds publics “égarés” à des transactionsimmobilières louches. Pourtant, au momentde voter, le mépris de la population pourl’élite politique semble s’effacer face auxalliances tribales. Boniface Mwangi accuseles hommes politiques de se servir desdivisions entre clans pour accaparer lepouvoir, une pratique surnommée “l’ethni -cité négative”. Pendant les élections dedécembre 2007, les clivages ethniques ontété attisés par des rivalités politiques surfond d’accusations de fraude électorale.Cette crise a entraîné la mort d’environ1 200 personnes, et des centaines de milliers

Afrique

d’autres ont été contraintes de fuir. Fina-lement, avec l’aide de médiateurs inter -nationaux, le Kenya a évité le désastrecomplet. Toutefois, de nombreux analysteset citoyens kényans maintiennent que lesproblèmes sous-jacents – les inégalités etles problèmes d’accès à la terre – ne sonttoujours pas résolus. Les ressentiments nese sont pas évanouis, d’autant plus que per-sonne n’a été traduit en justice. L’objectifde Boniface Mwangi est de pousser les élec-teurs à rejeter l’élite au pouvoir, qui, selon

lui et beaucoup d’autres, ne fait que servirses propres intérêts, semer la discorde etfaire preuve d’incompétence. Néanmoins,la perspective de tels changements est inti-midante dans un pays où les avancées– comme la ratification d’une nouvelleConstitution en  2010  – sont souventanéanties par les alliances politico-tribalesqui régissent les urnes.

Selon Boniface Mwangi, les prochainesélections auront une importance cruciale,notamment parce que les jeunes Kényans(12 millions de personnes entre 18 et 34 ans,dont 67 % des chômeurs) commencent àperdre patience. D’après lui, la révolutionaura lieu dans les urnes ou alors elle serabien plus dangereuse.

“Environ 68 % de la population a moinsde 35 ans, explique-t-il. Ils sont au chômage,ils ont énormément d’énergie et ils ne font rien.Alors, l’année prochaine, si les élections n’ap-portent pas de changement, la situation vafinir par exploser… C’est à ce moment que larévolution sociale commencera.” Selon lephotographe, une partie du problème vientdu fait qu’il n’y a pas de candidat compé-tent pour prendre la place des personnes

actuellement au pouvoir. “Ceux quidevraient nous gouverner ne veulent pas seprésenter car ils pensent que la politique estun monde sordide : alors, il faut commencerpar faire du nettoyage, martèle-t-il. Pour cela,il faut absolument que davantage d’hommeset de femmes intègres rejoignent le Parlement.”

Pour parvenir à ses fins, BonifaceMwangi, qui a aussi lancé l’initiative pourla paix intitulée Picha Mtaani (qui signifie“exposition de rue” en swahili), a l’inten-tion d’aller au-devant de ces personnes.“Nous organisons des forums avec des jeuneset des réunions publiques… Nous essayons d’in-citer les hommes et les femmes intègres à seprésenter, parce que, s’ils ne le font pas, tousles candidats seront des vautours”, insiste-t-il. Toutefois, rivaliser avec le budget deséternels candidats ne sera pas une minceaffaire pour les candidats indépendants.

Les prochaines élections au Kenyaseront historiques à plus d’un titre. On auratout d’abord la réponse à la question : lesfantômes de  2007-2008 ont-ils fini dehanter le pays ? Ce sera également la pre-mière fois que les Kényans voteront pourélire des sénateurs, des préfets et des repré-sentants des femmes, des comtés et de lajeunesse. Il est pourtant possible que lesnouveautés s’arrêtent là, car les prétendants

au poste occupé actuellement par le pré-sident Mwai Kibaki font partie de la vieilleécole : le Premier ministre Raila Odinga, quiappartient à l’ethnie luo (13 % de la popu-lation), a dénoncé en 2007 des fraudes etmanipulations électorales qui ont enveniméles violences ; Uhuru Kenyatta, de son côté,est l’homme le plus riche du pays et le fils de

Jomo Kenyatta, père fondateur de la nation.Uhuru Kenyatta, qui appartient à l’ethniedes Kikuyus [22 %], est l’un des quatreKényans assignés à comparaître devant laCour pénale internationale (CPI) pour sonimplication présumée dans les violencesde 2007 et 2008.

La position d’Uhuru Kenyatta dans lessondages s’est d’ailleurs améliorée depuissa mise en accusation par la  CPI, carnombre de Kikuyus le voient à la foiscomme un bouc émissaire et le sauveur deleur clan. Il arrive toujours en seconde placederrière Raila Odinga, mais il a rattrapé unepartie de son retard.

Parmi les autres candidats, on compteMartha Karua, une ancienne ministre de laJustice surnommée la “dame de fer”, et PeterKenneth, qui n’est affilié à aucun parti. Ilsplaisent surtout aux jeunes Kényans et enparticulier à ceux qui appartiennent auxclasses moyennes, qui ont fait des études,vivent en ville, n’hésitent pas à s’exprimeret sont très présents sur les réseaux sociauxcomme Twitter. Néanmoins, Nairobi n’estpas représentative du Kenya et Twitter n’estpas une tendance politique. Il est difficilede savoir quelle décision prendront lesjeunes qui ne vivent pas dans la capitaleet qui ne sont pas connectés à Internet.Dans les zones rurales, la fidélité tribale aencore beaucoup de poids et certains poli-ticiens s’en servent déjà dans le cadre deleur campagne.

La frustration que suscite cet immobi-lisme politique est palpable. BonifaceMwangi en arrive même à se demander siles messages sulfureux de son équipe suffi-ront à entraîner des changements.

Début mars, les graffeurs ont passé unenuit à peindre au pochoir le message“Fukuza Mavulture Bungeni na Kura Yako”(Votez pour chasser les vautours hors duParlement, en kiswahili) à de nombreuxcarrefours, dans tout Nairobi. Boniface lesa regardés faire.

“Ne voyez-vous pas que la jeunesse souffreà cause de nos dirigeants ? demande-t-il. Jeveux que les choses changent pour mon fils.”Mais il sait qu’il en demande beaucoup. “Jene sais pas combien de temps ça durera”, s’in-terroge-t-il face au graffiti encore frais, peuavant l’aube. Clar Ni Chonghaile

� “Ma voix, mon vote, mon futur.” Graffiti dans le centre de Nairobi.

Les prochaines électionsseront historiques à plus d’un titre

Les politiciens kényans sont parmi les mieuxpayés au monde

TH

OM

AS M

UK

OYA

/REU

TER

ST

HO

MAS

MU

KO

YA/R

EUT

ERS

Nairobi EquateurEquateurEquateur

OcéanIndien

ÉTHIOPIE

KENYA

TANZANIE

OUG. SOM.

500 km

Superficie : 580 367 km2 (France : 550 000)Population : 41,1 millions d’habitants (France : 63)Classement selon l’IDH* : 143e sur 187 Etats (France : 20e)PIB par habitant** : 1 880 dollars (France : 35 195)

* Indice de développement humain.** En parité de pouvoir d’achat.Kenya

La révolution haut les murs

Page 37: Courrier International du 13 juin 2012

La presse parle rarement de ce petit pays enclavé dans le Sénégal, qui est l’un des plusverrouillés d’Afrique. Une journaliste raconte le quotidien des habitants.

Le Quorum Dakar

�I l est 4 heures de l’après-midi, àBakau, un quartier populaire situéà une dizaine de kilomètres de

Banjul, la capitale de la Gambie. Samba, unfrêle jeune homme d’une trentaine d’an-nées, tient la boutique de son frère aînéexpatrié aux Etats-Unis.

Samba vend des habits, des chaussures,des outils et divers objets, neufs et d’oc-casion, que lui fait parvenir son frangin.Une paire de chaussures Puma dernier cricoûte presque aussi cher qu’un sac de rizde 50 kg : 900 dalasis (environ 22,50 euros) ;et le prix de celles de seconde main avoi-sine les 500 dalasis (12,50 euros). Unepetite fortune pour la majorité des Gam-biens, qui vivent avec moins de 1 600 dala-sis (40 euros) par mois, le prix d’une scieélectrique d’occasion chez Samba !

On est loin aujourd’hui de l’effer-vescence qu’a connue ce coin il y a deuxsemaines à peine. Le frère d’Amérique,débarqué dans une BMW bleu nacré flam-bant neuve, avait approvisionné le maga-sin, et les curieux se pressaient pourdégotter tee-shirts, chaînes hi-fi et vélos.La voiture de luxe sitôt revendue, lesdiverses marchandises écoulées et lesvacances terminées, il s’en était retournévers le rêve américain. Depuis, le calme estrevenu, mais les affaires marchent évi-demment moins bien.

Samba et ses amis puisent l’eau à unrobinet collectif. Ce soir, avant la prière de17 heures, ils mangeront du benichin, le thie-bou yapp gambien : du riz, beaucoup de riz,une aubergine sauvage amère, une patatedouce et trois bouchées de viande. Sansplus. C’est presque l’ordinaire du Gambienmoyen. Ici, on ne prend généralementqu’un seul grand repas par jour – le déjeu-ner, pris au milieu de l’après-midi –, car ontravaille en journée continue.

Trois boulotsSamba ne parle pas de ce qu’il gagne parmois, il calcule ses revenus chaque jour.Peintre en bâtiment de profession, il n’apas de chantiers depuis plus d’un mois.Voilà pourquoi il travaille pour son frère.Avant que son frère ne l’emploie, il sedébrouillait comme il pouvait. “Pour sur-vivre, je vendais des sachets de sucre ou dessprays parfumés. Je gagnais entre 200 et300 dalasis [entre 5 et 7,50 euros] par semainesur chaque paquet de sucre de 5 kilos vendusou sur chaque douzaine de sprays. Je fabri-quais des briques aussi : 100 dalasis [2,50 euros]

par jour pour 70 à 100 briques”, détaille-t-il. Mais, du fait de la modicité de ses reve-nus, Samba est contraint de rogner surles dépenses. Il les a quasiment réduitesau minimum vital. Il achète son riz à latasse et réussit ainsi à économiser120 dalasis [3 euros] par mois. Mais, pourl’eau, le marché et l’électricité, c’est prèsde 4 000 dalasis [100 euros] qu’il doit four-nir tous les mois.

Sa femme, elle, vend de la glace pouraider le ménage. Mais, malgré ce petitapport financier, c’est souvent du porridgepour toute la famille, car il y a des jours oùil lui est pratiquement impossible d’avoirde quoi acheter sa tasse de riz, ni de sortirles 100 dalasis nécessaires pour payer lescondiments. Encore heureux que son vieuxpère soit là pour le dépanner de temps entemps, en attendant que son frère luienvoie des sous.

Devant les difficultés à trouver unemploi, beaucoup de Gambiens rêventd’être leurs propres patrons… Sans l’aidedes banques, car elles demandent des tauxd’intérêt exorbitants. Alors, ils travaillent.Tout le temps. Jusqu’à ce que leur activitépersonnelle soit assez solide pour quitterleur employeur.

Oumarou, 40 ans, est électricien etinformaticien. Il est marié à une caissièreavec qui il a quatre enfants. Du lundi ausamedi, de 8 h 30 à 17 heures, il travaillepour un opérateur de téléphonie mobile etfournisseur d’accès à Internet. Il aide70 clients à résoudre leurs problèmes deconnexion au réseau. Quand il quitte sasociété, les déplacements continuent. Lors-qu’il prend sa pause à la mi-journée, le soiret le dimanche, il devient technicien demaintenance à son compte.

Pour l’instant, il n’a que deux grosclients permanents. Il lui en faudrait au

moins quatre pour lâcher son employeurdéfinitivement. Il est confiant. Exténué,mais motivé. Il triple son salaire mensuelactuellement. De 7 000 dalasis [175 euros]par mois, il est passé à 21 000 [525 euros].Sans compter les bénéfices qu’il engrangeavec son taxi. Quoi qu’il en soit, il dépensepresque tout. Entre la scolarité des enfants,la paie de son chauffeur de taxi et de sabonne, ses frais personnels et ceux duménage, il dépense près de 20 000 dalasis[500 euros] par mois. Sans compter l’as-sistance qu’il apporte à son frère, à sa sœuret à sa mère.

Disette en campagneChangement de décor. Nous voici à Barra.C’est une petite communauté rurale situéeà une vingtaine de kilomètres de Banjul.Ici, c’est à trente que l’on vit par cour. Par-tager les récoltes et le gain de la reventedu riz cultivé est vite réglé cette année. Lasaison des pluies a été très courte. Avantmême que les grains ne soient arrivés àmaturité, plus une seule goutte ne tom-bait. Résultat : sur un champ de 300 mètres

carrés, le riz a séché sur pied. Pas un seulgrain n’a été sauvé, et les autres culturesn’ont pas trop donné. Le seul sac de 50 kilosde maïs a déjà été mangé, de même quecelui de millet. Les deux sacs de haricotssont finis aussi. Seul le sac de sorgho estencore plein. Et la prochaine récolte n’estque dans neuf ou dix mois.

Pour trouver l’argent nécessaire à lasurvie, les cinq hommes de la famille en âgede travailler s’activent… après l’école, pourcertains. Ils arrivent à gagner 80 dalasis[2 euros] pour une journée de maçonnerieou de manutention, un peu moins lorsqu’ilscreusent un puits. Les femmes, elles, fontpousser des légumes dans un jardin financépar une ONG. Quand elles en cueillentassez pour la famille, elles en revendent unpeu. Elles dépensent tout pour faire lemarché et payer la facture d’électricité àcause du frigo et de la télévision. De tempsen temps, ils revendent un poulet et, dansles cas de grande pénurie, un mouton. Enattendant des temps meilleurs et un bonhivernage, ici, comme en ville, c’est bien ladébrouille au quotidien ! Naomi Monroe

Yahya Jammeh, 46 ans, dirige la Gambie depuis dix-sept ans. En juin 1994, jeune lieutenant de l’armée, il prend la tête d’une mutinerie et en profite pour orchestrer le renversement du président Daouda Diawara

et s’imposer à la tête du pays. Son règne commence dans le sang.D’autres militaires contestent la légitimité du jeune officier de 29 ans et tentent de le renverser.L’accrochage fait 40 morts, mais le régime de Jammeh tient bon.

S’installe dès lors une dictatureféroce. Le nouveau président met le pays au pas. Les exécutions se multiplient. Le pouvoir sombre dans la paranoïa. La presseindépendante est muselée.

Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012 � 37

GUINÉE-BISSAU

GUINÉE

GAMBIE

CASAMANCE

Dakar

Banjul

Bissau

200 km

SÉNÉGAL

OcéanAtlantique

Chiff

res :

201

1 ; ta

ux d

e cr

oiss

ance

: 20

10. S

ourc

es :

FMI,

Pnud

, Ban

que

mon

dial

e. *

en p

arité

de

pouv

oir d

’ach

at.

Superficie : 11 295 km2

(≈ Ile-de-France)Population : 1,8 millionsd’habitantsPIB par habitant * :

1 536 dollars (France : 35 195)Taux de croissance : 5 % (2010)Classement selon l’IDH : 168e sur 187 EtatsPrincipales ressources : arachide, activités portuaires, tourisme

Poche de pauvreté

Gambie

La débrouille, ma patrie !

SEYL

LOU

/AFP

Page 38: Courrier International du 13 juin 2012

38 � Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012

Afrique

victorieuses du soulèvement de l’annéedernière. On a donc un enchevêtrementcomplexe de fiefs. Les associations dedéfense des droits de l’homme accusentun petit nombre de ces groupes de mal-traiter les prisonniers.

Nombre de Libyens craignent que leCSS, qui recrute auprès des anciens rebelleset des unités de sécurité intérieure de l’èreKadhafi, ne soit devenu un Etat dans l’Etat.

Ian Martin, représentant spécial desNations unies, a fait part de ses préoccu-pations au Conseil de sécurité le mois der-nier. “Le mécanisme d’intérim appelé Comitésuprême de sécurité, qui compte 60 000 à70 000 combattants, a jusqu’à un certain pointpermis d’avoir un commandement unifié. Ilest cependant essentiel qu’il ne devienne pasune force de sécurité parallèle.”

C’est pourtant exactement ce quis’est passé, selon ses détracteurs. Quandson collaborateur a été enlevé, Fatima Hamroush a écrit à Abdurrahim El-Keib,le Premier ministre par intérim, et au président Moustafa Abdel Jalil pour leurdemander leur aide. “Nous n’avons euaucune réponse”, déclare Hussam Bubash,du ministère de la Santé.

Abdurrahim El-Keib s’est rendu enGrande-Bretagne le mois dernier et s’estentretenu avec David Cameron [le 24 mai].Il a souligné que le Conseil national de tran-sition (CNT) s’engageait à défendre lesdroits de l’homme. Il a en outre soutenuun décret controversé pénalisant l’apolo-gie de l’ancien régime et “l’insulte aux objec-tifs de la révolution du 17 février”. Ce texteétait selon lui “transitoire”, et la futureConstitution de la Libye protégerait laliberté d’expression.

Le comportement du CSS est embar-rassant pour la Grande-Bretagne et laFrance, qui, l’année dernière, avaient prisla tête de la campagne de bombardementsde l’Otan qui a permis aux rebelles devaincre les forces de Muammar Kadhafi.

Par ailleurs, la Grande-Bretagne adépêché une responsable de la police

pour conseiller le nouveau ministère del’Intérieur libyen. Mais, à la veille d’élec-tions cruciales [prévues le 7 juillet], lepays demeure divisé.

De son côté, le Dr Khalid Urayath, directeur du centre médical de Tripoli

que Forjani devait relever deses fonctions, campe sur ses

positions. Il refuse de dé-missionner et affirme

avoir le soutien dupersonnel de l’hôpital. C’étaitla quatrième fois

cette année que leministère de la Santé

ordonnait à Urayath de se retirer. Celui-ci avait refusé et

Forjani avait, sur les instructionsde la ministre, appelé le bureau du pro-cureur général pour demander le concoursdes forces de l’ordre. Urayath est lui-même un spécialiste de chirurgie cardio-vasculaire hautement qualifié et membredu Collège royal de chirurgie du Royaume-Uni. Le British Libyan Business Council,groupe de pression puissant qui compteentre autres parmi ses membres BP [British Petroleum], Barclays et Glaxo -SmithKline [laboratoire pharmaceutique],lui a proposé le mois dernier du matérielinformatique.

Les réformes restent en fricheLe ministère de la Santé accuse Urayathd’avoir dilapidé les fonds publics en payant150 voyages à l’étranger à certains membresdu personnel. Celui-ci dément et ajouteque ses liens avec l’ancien régime se bor-naient à servir de mentor à Hanna, la filleadoptive du défunt dictateur, qui était étu-diante en médecine. “Le meilleur cardiochi-rurgien du pays, c’est moi, je le dis humblement.On ne pouvait pas dire non au Colonel.”

Les diplomates font discrètement pres-sion sur le gouvernement libyen pour qu’ilgarantisse la sécurité de Salem Forjani,mais, comme Urayath refuse de se retirer,les projets de réforme du ministère de laSanté restent en friche. Le service de santé,que la dictature de Kadhafi a rendu chao-tique, en aurait pourtant bien besoin.

La ministre de la Santé a pressé le gou-vernement d’arrêter les ravisseurs de SalemForjani, mais, deux semaines après l’enlè-vement, rien n’a été fait et le Premierministre n’a toujours pas lancé d’enquête.“Que pouvons-nous faire ? Nous ne pouvonspas chasser Urayath, nous n’avons pas deforces armées, confie Hussam Bubash. Je faispartie des personnes qui ont été menacées. LeConseil de sécurité suprême a dit : ‘Vous voyezce qui vous arrivera.’”

Dans ce contexte, le ministère de l’Intérieur n’a pas donné suite à nos appelset le porte-parole du CNT a annulé l’entretien dont nous étions convenus.Chris Stephen

Des forces de sécurité chargéesde contrôler les milices enlèventet torturent un défenseur desdroits de l’homme. Le pays est-ilprêt pour son premier scrutinlibre, prévu pour le 7 juillet ?

The Guardian (extraits) Londres

�L es membres d’une unité d’éliteconstituée par le gouvernementpour neutraliser les milices rivales

sont accusés d’avoir enlevé et passé à tabacl’un des chirurgiens les plus éminents dupays. Salem Forjani, spécialiste en chirur-gie cardiaque, qui travaillait pour le minis-tère de la Santé, a été enlevé le 17 mai aucentre médical de Tripoli, le plus grandhôpital de la ville, où il s’était rendu surl’ordre de la ministre pour relever le direc-teur de ses fonctions en raison des liens decelui-ci avec le régime déchu de Kadhafi.

Salem Forjani s’est retrouvé face à desmembres du Comité suprême de sécurité(CSS) qui l’attendaient dans le bureau del’intéressé. Ils l’ont traîné dans l’hôpitalet l’ont battu si sévèrement qu’il a perduconnaissance devant le personnel horrifié.Un médecin a photographié des membresdu CSS portant Forjani, sans chemise etles jambes écartées, le long de la rampe desambulances pendant qu’un soldat menaçaitde son arme les agents de sécurité désarmésqui les poursuivaient. Le médecin a été jetédans une voiture, puis incarcéré dans unebase de Naklia, dans la banlieue de Tripoli,où il a été de nouveau si gravement battuqu’il souffre de la rupture d’un testicule.

Il s’en est tiré, mais, pendant cinq jours,ni sa famille ni Fatima Hamroush, la

ministre de la Santé, n’ont su où il étaitni même s’il était toujours vivant. Aprèsl’avoir transféré à l’aéroport Mitiga de Tripoli, le CSS a contacté le ministère dela Santé, puis relâché le chirurgien sansl’avoir mis en accusation, ni même expli-qué la raison de ces violences.

Forjani, qui a été menacé de représailless’il parlait, se cache depuis à Tripoli. “Je nesais pas comment une chose pareille a pu seproduire : la Libye a changé, nous a-t-il confié.Je n’arrêtais pas de leur demander : ‘Qui êtes-vous, pourquoi faites-vous ça ?’”

Ce qui choque les Libyens, mainte-nant que la photographie se répandcomme une traînée de poudre sur Face-book, c’est que Forjani est une personna-lité de premier plan de la défense desdroits de l’homme. Expert auprès de lacommission gouvernementale sur les per-sonnes disparues, il a présidé une enquêtesur un massacre de prisonniers commispar le régime Kadhafi dont le rapport aété communiqué aux Nations unies et àla Cour pénale internationale.

Un enchevêtrement de fiefsDepuis son enlèvement et les tortures qu’ila subies – dans le silence du gouverne-ment –, nombre de Libyens s’inquiètentpour l’avenir. “C’est un enlèvement”, déclareson frère Salah, membre d’une associationde défense des droits de l’homme. “Le CSSest plus puissant que la police, et c’est voulu.”Les choses n’étaient pas censées tournerainsi. Le CSS a été constitué sous les aus-pices du ministère de l’Intérieur pour per-mettre à l’Etat de reprendre le contrôle surles diverses milices. La plus grande partiedu pays est contrôlée par les quelque500  milices rebelles qui sont sorties

Libye

Une violence chasse l’autre

� Dessin de Cost, Belgique.

Contexte La Libye se prépare pour ses premières élections libres depuis quarante-deux ans. Sous le régime de Kadhafi, il n’y avait aucun pouvoir exécutif ou législatif, aucune Constitution. Sur les 3,5 millions de Libyens en âge

de voter, 2,7 millions se sont inscritsentre le 1er et le 21 mai sur les listesélectorales. Ils vont choisir, le 7 juillet, parmi 4 013 candidats,dont 374 affiliés à des partispolitiques, les 200 membres de laprochaine Assemblée constituante.

Page 39: Courrier International du 13 juin 2012

Dossier emploiCourrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012 � 39

L’engagement des citoyens sur le plan local favorise l’emploi, constatent diversesétudes. Démonstration en Caroline du Sud.

The Christian Science Monitor(extraits) Boston

�B ien avant que quiconque ne pro-nonce le mot “récession”, leshabitants du comté de Chatham,

en Caroline du Nord, s’étaient rendu compteque l’économie commençait à cafouiller. Ils

voyaient que les prix augmentaient et queles revenus baissaient. Pour s’en sortir, ilsont commencé à s’entraider.

Roxanne Hollander, qui est kinésithé-rapeute, a ouvert une clinique qui, à cer-tains moments de la semaine, propose dessoins pour le quart du prix habituel. LeePollard a offert 500  ordinateurs à desjeunes et à des personnes âgées dans lebesoin en remettant à neuf de vieillesmachines que les gens apportent à sonmagasin de réparation.

Tony Sullivan vend et répare des ins-truments de musique. Ces temps-ci, toutle monde vient vendre ses instruments,

personne n’en achète. Il gagne de moinsen moins d’argent en donnant des cours,car les parents au chômage ne peuvent pluspayer de leçons à leurs enfants. Il continuetout de même à enseigner, mais gratuite-ment. “Je suis un très mauvais homme d’af-faires, observe-t-il. Mais toutes les personnesqui passent ma porte sont plus ou moins desamis, vous savez. Ce sont mes voisins et ils sonten difficulté. Je veux les aider le plus possible.”

Elizabeth Anderson, la propriétaire deslocaux, est d’accord. Début 2012, elle abaissé le loyer. “Moi aussi, j’aurais bien besoinde ces 100 dollars, mais pas autant que cetteboutique, explique-t-elle. A long terme,

Mobilisation

La solidarité, c’est bon pour trouver du travail

� La lutte contre le chômagene passe pas uniquementpar les politiques publiques.L’engagement des citoyens,l’entraide, l’implication des entrepreneurs permettent également de soutenir l’économie et de mettre en adéquationl’offre et la demande de travail. � Des Etats-Unisau Liban, en passant par la Hongrie, les Pays-Bas ou le Portugal,les acteurs locaux se mobilisent et contribuentà la création d’emplois.

Etats-Unis

Rien de tel qu’une communauté soudée

� 40

DES

SIN

DE

JUST

INE

BEC

KET

T, N

OU

VELL

E-ZÉ

LAN

DE.

Page 40: Courrier International du 13 juin 2012

et le taux d’inscription sur les listes élec-torales sont également corrélés à destaux de chômage plus faibles.

Pour David Smith, qui dirige la NCoC,il ne s’agit pas de coïncidences. Les réseauxcommunautaires aident les gens à déve-lopper des compétences dont ils peuventse servir dans un contexte profession-nel. Par ailleurs, ils permettent de diffu-ser des informations. “Les gens trouventsouvent du travail par le biais d’amis ou decollègues, explique-t-il. Lorsqu’ils s’enga-gent et tissent des liens au sein d’une com-

la corrélation entre les deux facteurs esttrès forte, la NCoC s’est associée à laKnight Foundation [qui soutient l’enga-gement au sein des communautés] pourtenter de déterminer comment l’atta-chement à une communauté influence laprospérité économique.

L’industrie a souffertComme beaucoup d’autres régions, lecomté de Chatham a souffert de la crise.Une bonne partie de ses 65 000 habitantstravaillent dans d’autres villes, commeChapel Hill, Raleigh, Durham et Greens-boro. Depuis des années, le nombre d’em-plois industriels et agricoles diminue.Trois usines de transformation de volailleont fermé ces dernières années, laissant2 000 employés sur le carreau. En jan-vier, le plus grand restaurant de Pittsboroa fait faillite. Si cette solidarité entre voi-sins n’existait pas, la région aurait bienplus de mal à encaisser le choc, assureCharlie Horne, administrateur du comtéde Chatham. “Car la demande de servicesserait plus forte, et nous ne pourrions pasforcément la satisfaire. Les organisationslocales comblent ce vide. Les personnes quis’entraident ont probablement moins ten-dance à faire appel aux services publics.”

De fait, ici, les chiffres sont plutôt bons.Outre un taux de chômage de 7,3 %, soitl’un des plus bas de toute la Caroline duNord, le comté a enregistré une croissancede près de 29 % depuis l’an 2000, contre18,5 % pour l’ensemble de l’Etat.Leda Hartman

ça en vaut la peine, car permettre auxgens de contribuer à l’économie favorise leurbien-être et celui de la ville.”

Si l’altruisme adoucit le quotidien desmembres d’une communauté, il est éga-lement rentable financièrement. Selonune étude publiée en octobre dernier parla National Conference on Citizenship(NCoC), un groupe de réflexion biparti-san de Washington DC, les Etats et lesvilles où le civisme est développé ontdes taux de chômage plus faibles queles autres. Pour l’instant, rien ne prouvela relation de cause à effet. Mais la corré-lation est forte.

Bénévolat et engagementPour mesurer le civisme, les chercheursont utilisé les données de l’enquête sur lapopulation active effectuée par le Bureaudu recensement et le Bureau des statis-tiques du travail. Cinq grands indicateursont été analysés : la fréquence à laquelleles personnes font du bénévolat et se ren-dent à des réunions publiques, le nombrede personnes qui aident leurs voisins,s’inscrivent sur les listes électorales etvont voter. Certains facteurs extérieursqui pourraient influer sur l’économielocale ont aussi été pris en compte : la pré-sence de pétrole et de gaz, l’état du marchéimmobilier, le pourcentage de personnesayant fini leurs études secondaires et quioccupent un emploi qualifié.

Les Etats qui ont perdu le moinsd’emplois entre 2006 et 2010 (Alaska,Dakota du Nord, Dakota du Sud, Kansaset Minnesota) ont aussi le taux de béné-volat le plus élevé. A l’inverse, la popu-lation fait preuve de moins d’engagementdans ceux qui ont perdu le plus d’emplois(Nevada, Californie, Alabama, Floride,Rhode Island). Pour l’ensemble desEtats-Unis, une hausse de 4 % de l’en-traide correspond à une baisse de 1 % dunombre d’emplois perdus ; une haussede 4 % du taux de présence aux réunionspubliques semble produire le même effet.Dans une moindre mesure, le bénévolat

40 � Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012

Dossier emploi

munauté, il est plus facile de faire corres-pondre l’offre et la demande.”

C’est ce qui se passe actuellement àAjo, une ville pauvre [d’environ 4 000 habi-tants] située en plein désert d’Arizona quitente de se reconstruire depuis que lesmines de cuivre ont fermé, dans lesannées 1980. Des entrepreneurs se sontalliés à une association locale à but nonlucratif, l’International Sonoran DesertAlliance (Isda), pour travailler sur un projetde rénovation urbaine et, par la même occa-sion, proposer aux habitants une forma-tion dans le bâtiment. Même s’il existe peud’emplois formels à Ajo, le savoir-faire queles habitants acquièrent est très demandé,explique Aaron Cooper, directeur du déve-loppement économique de l’Isda. “C’estl’aspect le plus innovant de notre programme :non seulement nous faisons appel à la main-d’œuvre locale, mais nous essayons de mettreen contact les personnes qui cherchent du tra-vail avec celles qui sont susceptibles de lesembaucher.” Si le projet réussissait, il pour-rait devenir un modèle de développementéconomique local.

“Pour que le capital financier ait un effetréellement positif au sein des communautés,reprend David Smith, il faut d’abord queces communautés disposent d’un capitalhumain susceptible de le faire fructifier. Lesinvestissements sont alors bien plus efficaces.Plus d’emplois seront créés dans ces locali-tés et y resteront.” David Smith et les cher-cheurs de son équipe ne prétendentpas que le civisme permette à lui seulde créer des emplois. Toutefois, comme

Liban

L’émancipation par la cuisinePlusieurs centaines de villageoises font désormaispartie d’un réseau de coopératives spécialiséesdans les produits du terroir.

Now Lebanon (extraits) Beyrouth

�L e plateau de zestes d’orangeconfits occupe presque toute latable. Zainab Ahmud les enfourne

par poignées dans des sachets en plastique.A ses côtés, cinq autres femmes portantbonnets et gants de protection rangentdivers produits dans des boîtes en carton.

Toutes viennent d’Arab Salim, petitvillage situé à 8 kilomètres de Nabatieh,dans le sud du Liban. Le bâtiment danslequel elles travaillent se trouve sur lacolline qui domine le village. Les produitsqu’elles fabriquent sont destinés à laboutique Namlieh de Beyrouth.

Namlieh, qui signifie en arabe “garde-manger”, est le nom d’un projet lancépar le Collectif pour la recherche et laformation pour le développement-action

(CRTDA) en 2003. “Nous voulions monterpour les femmes des zones rurales un projet dedéveloppement socio-économique dont l’objetserait de fournir des produits ancrés dans latradition libanaise mais difficiles à trouver dansla capitale”, explique Nathalie Chemaly,la coordinatrice du projet.

Financé par des fonds venant entreautres du Canada et d’Espagne, le projetregroupe désormais 32 coopératives etemploie plus de 500 femmes dans tout lepays. La boutique Namlieh, située près duMusée national, propose un peu de tout,du grand classique comme l’eau de rose àdes choses plus inhabituelles comme lesolives vertes fourrées aux amandes ou laconfiture de potiron à la vanille. L’objec-tif : préserver les recettes traditionnelleset aider les villageoises à s’émanciper touten protégeant l’environnement.

Les femmes participent pleinement àla prise de décision. Au début de chaquesaison, elles se réunissent avec les gérantsde Namlieh pour décider de ce que chacunefournira. “Nous, les femmes, sommes devenuesplus autonomes”, affirme Samira Hara à lafin d’une dure journée de travail. “Et nous

avons mis en œuvre une belle dynamique éco-nomique dans le village.” Les villageoises ontappris à négocier et savent s’affirmer quandelles achètent les matières premières auxagriculteurs. “Il n’y a pas de concurrence avecles hommes parce qu’ils proposent des produitsdifférents. Et les matières premières qu’ils achè-tent localement sont également différentes”,explique Nathalie Chemaly.

Même les hommes reconnaissentque les projets les plus solides sont ceuxde la coopérative féminine. Au début,ses membres gagnaient à peine 50 dollars[40 euros] par saison. Aujourd’hui, cettesomme peut atteindre 2 000 dollars[1  600  euros]. “Une femme âgée nous araconté qu’elle pouvait désormais donner del’argent à ses petits-enfants sans avoir àdemander à son mari, raconte Nathalie Che-maly. Une autre pourra enfin réaménagersa maison, ce qui était impensable depuis lamort de son mari, il y a longtemps.”

Les coopératives cherchent aujourd’huià pénétrer de nouveaux marchés. Elles étu-dient la possibilité de vendre leurs produitsaux restaurants, voire de les exporter.Nicolas Lupo

� Dessins (Pages 39 et 40) de Justine Beckett, Nouvelle-Zélande.

Etats-Unis

39 �

Page 41: Courrier International du 13 juin 2012

JESSIE J ERYKAH BADU NAS MAGIC SYSTEMSHARON JONES & THE DAP-KINGS

TINARIWEN PSY4 DE LA RIME IMANYJOSHUASON OF KICKLEE & OMAR PERRY ft. Adrian Sherwood & The HomeGrown BandCOLLIE BUDDZ & NEW KINGSTONBOBAN & MARKO MARKOVIC ORCHESTRATHE EXCITEMENTS

SEAN PAUL DE LA SOUL GENTLEMAN THE SUBS RUZZO & ROLDANCHINESE MAN LE PEUPLE DE L’HERBE CARAVAN PALACE JALIBJ SCOTTMOKOOMBABOMBA ESTÉREO ADMIRAL TLA CHIVA GANTIVASARAH CARLIERKAER

STEPHEN MARLEY PUBLIC ENEMY ORQUESTA BUENA VISTA SOCIAL CLUB® ft. Omara PortuondoBRIGITTEAYO ZEBDABEN L’ONCLE SOULGOGOL BORDELLO GENERAL ELEKTRIKSHYPNOTIC BRASS ENSEMBLE LES BOUKAKES CHILDISH GAMBINOTHE PEAS PROJECTSEBASTIAN STURM

(ORISHAS)

Lee Perry29/06

Nas 29/06

Erykah Badu 29/06

Jessie J 29/06

Sean Paul 30/06

Ruzzo & Roldan 30/06

Stephen Marley 01/07

TOUR & TAXISBRUXELLES

30JUIN JUILLETSAM DIM

29VEN JUIN

with

PRESENTS

5 scènes, plus de 50 concerts & 5 Dj’s !

sur le site du festival !

pour les non-Bruxellois et +16 ans

50% de réduction sur le ticket de train à partir du vendredi 29/06 jusqu’au lundi 02/07 inclus.

Voyagez gratuite-ment avec le réseau de la STIB (bus, tram, métro) et grâce aux navettes de nuit de Couleur Café !

UTILISER LES TRANSPORTS EN COMMUN

En prévente :1 day ticket : € € 3636******Combi 3 days : € € 7979******Combi 3 days + Camping : € € 9595*** + frais de réservation

L’entrée est gratuite pour les enfants de moins de 10ans accompagnés par un adulte.

TICKETS couleurcafe.be/mobility

WWW.COULEURCAFE.BELine-up complet & tickets :

CAMPING ZEN

Page 42: Courrier International du 13 juin 2012

Pays-Bas

Jeunes, autistes et fondus d’informatique

dans un seul domaine.” Seuls deux d’entreeux sont diplômés de l’enseignementsecondaire général, les autres ont undiplôme technique – ou rien du tout.

Les formations de ce genre sont rares,et donc très demandées. “Des mères ou destravailleurs sociaux nous appellent tous lesjours pour inscrire quelqu’un”, ajoute JeroenVan Schaik, directeur de la création deNoXqs. Vingt candidats sont sur la listed’attente. Les autistes n’ont guère de pers-pectives d’emploi. “La plupart passent leurjournée dans un établissement spécialisé, oùon les occupe tant bien que mal, déploreMarcel Hurkens. Un vrai gâchis. Beaucoupde gens talentueux sont ainsi mis au rebut.”

Généralement, ceux qui trouvent unemploi dans l’informatique testent des logi-ciels. Un travail répétitif. “On pense souventqu’un autiste veut faire la même chose tous lesjours”, note Marcel Hurkens. Mais ce n’estpas forcément le cas. “Ces jeunes sont trèscréatifs, ajoute Jeroen Van Schaik. Ils aimentse lancer des défis et sont donc particulièrementadaptés à la programmation. Concentration,

d’irritation. Jeroen, 24 ans, estassis devant un grand écran. Ilest en train de concevoir un siteInternet pour handicapés men-taux. Ses doigts courent sur leclavier. “Avant je travaillais dansun magasin d’ordinateurs. Quandj’arrivais dix minutes en retard,on me faisait aussitôt uneremarque. Ce n’était vraiment pasun endroit pour moi.”

Liste d’attenteLorsqu’il avait à peine unedizaine d’années, Jeroen concevait déjàdes jeux informatiques. Maintenant, ilconstruit ses propres ordinateurs. Surles treize jeunes, cinq ont 19 ou 20 ans,les autres sont plus âgés. A l’école pri-maire, ils ont tous obtenu un bon scoreau test du CITo [Centraal Instituutvoor Toetsontwikkeling, Institutnational pour le développement de testsscolaires]. Puis tout est allé de travers.“Pour réussir sa scolarité, il faut savoir un peutout faire. Or ces jeunes excellent justement

Les autistes sont créatifs,persévérants, et aiment se lancerdes défis. Autant de qualités quifont d’eux des programmeurshors pair, estime un concepteurnéerlandais de logiciels.

NRC Handelsblad (extraits) Rotterdam

�D ans la vie courante certaines carac-téristiques de l’autisme créent descontraintes, mais dans le domaine

des technologies de l’information et de la com-munication elles constituent au contraire unavantage”, affirme Marcel Hurkens, direc-teur général de NoXqs (qui se prononce “noexcuse”). En octobre 2010, ce concepteur delogiciels installé à Tilburg a embauché treizejeunes autistes dotés d’une intelligencesupérieure à la moyenne et passionnés d’in-formatique. La société leur propose une for-mation à la programmation en trois ans dansle cadre du projet NoXqs Labs.

De petites cloisons séparent leursbureaux, afin de limiter les causes éventuelles

Dossier emploi42 � Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012

persévérance, souci du détail, ils onttoutes ces capacités.”

Les sites Internet et les appli-cations de NoXqs Labs suscitentun grand enthousiasme, car lesprogrammeurs néerlandaissont une espèce rare. SelonMarcel Hurkens, le fait queNoXqs soit une véritable entre-prise commerciale joue en safaveur. Le projet NoXqs Labs ad’ailleurs été lancé pour des rai-sons économiques et non idéo-logiques, insiste-t-il. “Nous

avions besoin de personnes douées, maisnous ne voulions pas payer le prix fort. Parconséquent, cette solution nous convient.Et elle leur convient aussi, car nous leurproposons une structure où ils se sententà l’aise et où leurs talents sont mis à profit.”

La société s’efforce de développerchaque année son activité pour se pré-

parer au tarissement des subventions etdes primes de tutorat [voir encadré]. La pre-mière année, elles représentaient 90 % duchiffre d’affaires de NoXqs Labs. Cetteannée, c’est seulement 50 %. L’objectif estde générer un chiffre d’affaires suffisantpour embaucher quelques jeunes et lesrémunérer comme des salariés perma-nents. “Nous avons actuellement deux ou troisapprentis qui seraient très appréciés sur lemarché du travail. Nous les formons pour enfaire des professionnels, ce qui veut dire qu’àla fin de l’apprentissage il faudra les payercomme des professionnels.”

Travail, repas, sport, travailCette approche froidement commercialene semble toutefois pas être le seul moteurde l’opération. Marcel Hurkens et JeroenVan Schaik ont un beau jour découvert queJoeri, 19 ans, ne dormait plus. Et pourcause : en dehors de son travail chez NoXqs,il gérait sa propre petite affaire de créationd’applications. Ils ont donc décidé que Joerise consacrerait uniquement à son entre-prise, mais dans les locaux de NoXqs. “Ilconçoit de nombreuses applications, ce quiest plutôt lucratif pour lui, mais il a besoindu rythme que nous lui offrons ici.” En cemoment, Joeri est particulièrement occupé,car il épargne pour s’acheter une voitureélectrique. Il passe sa journée ainsi : travail,repas, sport, puis travail de nouveau. Ilproduit deux applications par semaine.“Mais maintenant, au moins, je dors.”

“Tu savais que Bill Gates [le fondateur deMicrosoft] était autiste ?” me lance JeroenVan Schaik. “Comme toute la haute hiérar-chie de Philips !” Il ôte ses lunettes en sou-pirant. “Ecoute, bien sûr qu’il y a du sentimentdans cette histoire ! Nous aimons les gens quis’écartent de la norme. Et puis je me reconnaisdans ces jeunes. Moi aussi, je suis une catas-trophe quand il s’agit de m’organiser. Si onm’examinait, on me trouverait sûrementquelque chose.” Lisa Van der Velden

Un projet subventionné

NoXqs Labs a été lancé en collaborationavec l’UWV (équivalent de Pôle emploi)et le centre de l’autisme Leo-Kannerhuis.NoXqs, qui reçoit des subventions et des primes de tutorat, verse aux jeunes le salaire minimum. La société devrait ouvrircette année un nouvel établissement et, à terme, quatre autres. Elle attend pourcela le feu vert de l’UWV. “Mais le budget de l’UWV diminue, la moitié de son personnela été licencié, et le Wajong [système d’aide àla recherche d’emploi destiné aux jeunes ayantgrandi avec un handicap] est remis en cause”,s’inquiète le patron de NoXqs, Marcel Hurkens.

� Dessin de Walenta, Pologne.

Page 43: Courrier International du 13 juin 2012

professionnelle, il a dû réfléchir aux moyensde faire fonctionner une cuisine avec dessalariés ayant des capacités réduites.

Le restaurant partage son toit avec lafondation L’Oiseau bleu, qui soutient leprojet. Sa création doit beaucoup à un orga-nisme américain qui aide les entreprises àcaractère social, le Nonprofit Enterpriseand Self-sustainability Team (NESsT).L’idée trottait dans la tête de la gérante,Andrea Mészáros, depuis qu’elle avaitdécouvert, dans les années 1990, une ini-tiative semblable aux Pays-Bas. “On vou-lait un lieu où les personnes handicapéesrencontrent du monde. On voulait aussi fairetomber les préjugés.”

Avant d’être engagés, les travailleurshandicapés ont dû faire un stage d’un anpour obtenir une qualification. Leur groupede départ s’est finalement réduit à unnoyau de cinq personnes. Presque toussont employés à temps partiel et touchentle salaire minimum des ouvriers qualifiés.

Marika compte parmi les employés pré-férés du chef. “Elle sait s’y prendre avec lesclients et travaille bien.” Il suffit de la voir

sortir de la cuisine avec les assiettes desoupe pour s’en convaincre. Elle accueilleles clients par leur nom, bavarde avecchacun d’eux, et manœuvre son fauteuilhabilement entre les six tables. “J’aime lesgens. Dans mon travail, c’est le contact avecles clients que je préfère. Ce que j’aime le moins,c’est le ménage.” Ses emplois précédents nela réjouissaient guère. Elle accomplissaitdes tâches monotones sans rapport avec

ses compétences : ranger des figurines dansdes œufs Kinder, plier des sacs d’aspira-teur, fabriquer des gants de protectionindustriels…

“Je touche du bois : je n’ai encore renverséaucun plat, dit-elle en riant. Lorsque je sersles clients, je lis la crainte dans leurs yeux :‘Elle va lâcher l’assiette !’” Les habitués,qui représentent la moitié de la clientèle,

ne se posent plus la question. “Avec le temps,ajoute le chef, ils ont compris qu’ils ne devaientpas les aider. Ce sont des professionnels.”

Vers 11 heures, tout doit être prêt. Lespremiers clients arrivent vers 11 h 15, laruée commence une demi-heure plus tard.Marika jongle avec les assiettes : elle enporte trois avec la main gauche et une avecla droite, tout en manipulant le joystickde son fauteuil avec le petit doigt.

Huit mois après son ouverture, le res-taurant était déjà rentré dans ses frais ;au bout de deux ans, il était rentable. Iln’est cependant pas à l’abri de la crise.Le nombre des clients est devenu fluc-tuant : parfois ils font la queue pouravoir une table, parfois la salle n’est qu’àmoitié pleine.

Le service prend fin à 15 heures. Marikaenchaîne alors avec des tâches adminis-tratives, jusqu’à 16 heures. Puis elle enlèveson uniforme et rentre chez elle. “Cettejournée était plus calme que de coutume : nousn’avons eu qu’une soixantaine de clients.Sans doute parce qu’on est à la veille d’un longweek-end.” Barbara Vincze

Hongrie

“Je n’ai encore renversé aucun plat”Dans ce restaurant de province,la serveuse se déplace enfauteuil roulant et les cuisinierssont malentendants.

Origo (extraits) Budapest

�C haque matin à 8  h  15, MarikaKecskemeti, dans sa chaise rou-lante électrique, quitte sa maison,

située dans un quartier pavillonnaire deSzekszárd [dans le sud-ouest de la Hon-grie], pour se rendre dans le centre-ville.Elle travaille sept heures par jour au res-taurant Izlelő [Dégustation] : elle fait le ser-vice, le ménage, et un peu d’administration.

Les cuisiniers embauchent à 7 heures.Le chef, Sándor Both, leur distribue lestâches. Ils sont tous malentendants etlisent les consignes sur ses lèvres. SándorBoth dirige la cuisine depuis l’ouverturede l’établissement, en 2007. “Pour moi c’étaitun défi : j’ai longtemps été mal à l’aise avec lespersonnes handicapées”, confie-t-il. Malgréses quarante-trois années d’expérience

Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012 � 43

Les cuisiniers lisent les consignes du chefsur ses lèvres

LA LIBRE FAITTRAVAILLER LES MOLLETS AUTANT QUE LE CERVEAU.

RECEVEZ VOTRE 7ÈME BALADE ENTRE LORRAINE ET ARDENNES

CE JEUDI 21 JUIN, JEUDI 21 JUIN,

AVEC SA CARTE IGN DÉTAILLÉE.

DÉCOUVREZ NOS BALADES À VÉLO

AU CŒUR DES 9 PARCS NATURELS DE WALLONIE

DÉCOUVREZ NOS BALADES À VÉLO

Page 44: Courrier International du 13 juin 2012

leurs rendez-vous médicaux, ainsi qu’uneaide modique pour l’alimentation et autrespetites dépenses.

Une population généreuseA ce soutien de la municipalité s’ajoutentles petits cadeaux des gens du coin qui, enbons habitants du Trás-os-Montes, n’ontpas honte de partager ce que leur donne laterre. “Laitues, carottes, choux, pommes deterre, les gens nous donnent un peu de toutde ce qu’ils produisent. Au début, nous étionsétonnées, mais si nous refusons, ils se vexent”,raconte l’infirmière, qui a travaillé aupara-vant vingt-deux ans dans l’hôtellerie.

Deux mois après son lancement, l’ini-tiative est une réussite qui dépasse leursattentes. “Nous allons tout faire pour que leprojet soit maintenu”, annonce le maire,Moisés Esteves. D’une part, diverses asso-ciations de la région vont être invitéesà y participer. D’autre part, une nouvelleassociation sera chargée de collecter les

Dossier emploi44 � Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012

excédents agricoles de la commune,de l’huile principalement, pour lesvendre et dégager des bénéfices qui

permettront de verser un salaire auxdeux infirmières.

Plus que les soins, c’est l’aspectaffectif du projet qui enchante les

anciens d’Atenor. “La tendresse, sur-tout”, confesse dans un sourire

Isabel Moreira. En plus de lasanté, c’est une compagnie que

ces infirmières apportent aux habitants.Parmi les bénéficiaires du projet

Laços, 90 % ont plus de 65 ans. “Lamoyenne d’âge dépasse 70 ans”, disentles infirmières. “Je critiquais ma propre

région, celle de Mêda [dans le nord-ouest dupays], mais la situation est bien pire ici”,reconnaît Isabel entre deux visites. Agé de66 ans, le patient dont elle vient de s’oc-cuper, Fernando Marcos, est une bonneillustration de ces statistiques. Sa vue esttrès dégradée par un glaucome, malgrédouze opérations. L’infirmière lui a pris satension, un peu plus élevée que d’habi-tude, a mesuré son taux de glycémie,lui a donné ses médicaments. Puis il s’estmis à bavarder, assis sur le banc de sacuisine. “Ce projet est une excellente idée.Nous sommes mieux accompagnés, mieuxsurveillés, et elles nous aident à passer letemps”, explique-t-il sous le regard attentifde son épouse Isabel. Ce service “est trèscommode pour les médicaments.”

Quelques minutes d’attentionUn peu plus loin, de l’autre côté de la ruepavée du hameau de Teixeira, vit Gregó-rio, qui a fait une chute la veille. “Aller chezle médecin ? Pas question. Je suis allé une foisaux urgences, et ils ont bien failli m’achever”,raconte-t-il, sous le regard réprobateur desa femme, Natividade da Purificação, quien profite à son tour pour égrener sesplaintes : “Vous savez, moi aussi je consultedepuis 1999. Il faut que je prenne de l’oxygène,vu que j’ai une bronchite chronique très grave.”

Le pansement est changé, les médi-caments donnés : il est temps de partirvers un autre “client”. “Attendez, aujour-d’hui vous ne me prenez pas ma tension ?”rappelle au dernier moment Gregório,qui estime bien avoir droit à quelquesminutes d’attention de plus. A la fin, ildemande encore : “Ça fait combien  ?…Rien ? Vous ne voulez même pas un petitverre ?” Mais il se fait tard, et il y a encoreFelicidade qui attend. “C’est juste pourlui prendre sa tension et lui apporter un peude compagnie”, dit doucement IsabelMoreira, déjà repartie. Pendant ce temps,Tânia va prendre la tension d’un autrehabitant, M. Altino, lui-même pressé – ilfaut qu’il aille aux champs.

En tout, une cinquantaine de per-sonnes attendent régulièrement, sur le pasde leur porte, l’arrivée des infirmières. Detoute évidence, le projet a réussi à créer desliens. António Gonçalves Rodrigues

Suède

Employer unefemme de ménagen’est plus tabouGöteborgs-Posten (extraits)Göteborg

�J ouer au foot avec les enfantsou faire le ménage ? Pour lessociaux-démocrates, la réponse

a longtemps coulé de source : faire net-toyer ses saletés par quelqu’un d’autreétait tout simplement tabou. C’était avantl’arrivée du nouveau gouvernement et l’in-troduction du programme RUT [depuis2007, celui-ci offre aux utilisateurs de ser-vices à la personne une réduction d’im-pôt de 50 % du coût de la main-d’œuvredans la limite de 5 000 euros par contri-buable ou 10  000  euros par foyer]. Amesure que les Suédois découvraient lesavantages du système, les sociaux-démo-crates eux-mêmes ont commencé à sedemander s’il était bien judicieux dedéconsidérer certains métiers.

Aujourd’hui, le programme RUT nerecueille leur agrément que pour les per-sonnes âgées et les familles. Les autresutilisateurs risquent d’être pointés du

doigt en cas de basculement du pouvoir[à gauche]. Mais, même timide, cette évo-lution des mentalités est préférable au statuquo. Les parents travaillant à plein-tempspourront désormais s’offrir quelquesheures de plus avec leurs enfants mais lechangement est surtout positif pour lesentreprises de services à la personne nou-vellement créées ou en pleine croissance.

La proportion de femmes d’origineétrangère est particulièrement élevéeparmi ces nouveaux entrepreneurs.Un grand nombre d’entre elles, qui tra-vaillaient jusqu’ici au noir, peuvent aujour-d’hui bénéficier d’une protection socialeet d’une plus grande sécurité de l’emploi.

Par ailleurs, il y a lieu de se féliciterde l’augmentation du nombre d’emploisdans le secteur, ainsi que de l’élargis-sement de l’offre. Même si les tâchesménagères y sont encore prédominantes,d’autres types de services ont le vent enpoupe, comme le jardinage ou la garded’enfants, avec ou sans soutien scolaire.La demande ne montre aucun signe defléchissement. Car un dos fatigué ou uneurgence au bureau sont difficiles à conci-lier avec une haie à tailler ou des enfantsà aller chercher.

Autre avantage du dispositif  : destâches ménagères jusque-là invisibles etnon rémunérées ont désormais un prix.C’est une bonne nouvelle pour l’égalitédes sexes. �

Deux infirmières au chômageont décidé d’aller travaillerbénévolement à lacampagne. La communeest tellement satisfaitequ’elle souhaitedésormais les salarier.

Público (extraits) Lisbonne

�A près huit mois de chô-mage, deux infirmièresfraîchement diplômées sont

parties sur les routes vers l’extrême norddu pays. Elles ont atterri avec armes etbagages à Atenor, hameau de la communede Miranda do Douro, réputée pour sesefforts de protection des ânes de bât.

Sans espoir de décrocher un postedans un hôpital ou un centre de santé,Isabel Moreira, 39 ans, a lancé un défi à sacamarade de classe Tânia Dias, 22 ans :mettre en place sur le plateau mirandaisun projet de solidarité locale intitulé Laços[“liens”], reposant dans un premier tempssur le bénévolat. Les deux jeunes femmesespèrent, d’ici à l’été, avoir semé desgraines qui leur permettront plus tard derécolter un salaire. Elles offrent à la com-munauté tous leurs services (prise de latension artérielle, mesure de la glycémie,accompagnement aux consultations médi-cales, aide à la médication, pansements).

“Nous nous sommes fixé trois moispour cette expérience, de façon à nous faireconnaître, nous et notre travail”, expliqueIsabel Moreira. La mairie leur apporte sonsoutien, précise-t-elle, en leur fournissantun logement, un véhicule pour se déplaceret accompagner les personnes âgées à

Portugal

Echange soins contre un logement et des choux

� Dessin de Walenta, Pologne.

C’est aussi une bonne nouvelle pour l’égalité des sexes

Page 45: Courrier International du 13 juin 2012

Séries télé

CuisineInsolit

eLibérer 500 kilo

s

de serpen

ts,

c’est b

on pour

le karma —

p. 55

Découvrir les spécia

lités d

e l’“axe du mal” —

p. 49

Le regard critiq

ue de l’artis

te marocaine Lalla Essa

ydi — p. 4

6

Les meille

urs scénarios s’

écrivent en Israël —

p. 50

Long

courri

er

Orientalisme

Page 46: Courrier International du 13 juin 2012

Arts plastiques

L’orientalisme revu et corrigé de Lalla Essaydi

46 � Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012

Long

courri

erCette peintre et photographe marocaine établie aux Etats-Unis démonte dans son œuvre les clichés circulant à propos des femmes du monde arabe. Elle explique sa démarche à l’occasion de la granderétrospective qui lui est consacrée en ce moment à Washington.

Page 47: Courrier International du 13 juin 2012

réotypes, et c’est ma première exposition indi-viduelle rassemblant des œuvres faisant appelà différentes techniques. Cette approche holis-tique montre le dialogue que j’entretiens avecdifférents modes d’expression, différentesconventions historiques en matière d’art et dif-férentes histoires culturelles, ainsi que ma maî-trise de la composition et de la couleur. Il s’agitd’une rétrospective.

En quoi votre travail interroge-t-il le genre, l’identité et l’espace ?Mon travail est hanté par l’espace, réel et méta-phorique, vécu et pensé. J’ai commencé à prendredes photos parce que je ressentais le besoin degarder une trace d’espaces réels, en particulierceux de mon enfance. Je me suis rendu compteque, pour progresser en tant qu’artiste, il fallaitque je retourne physiquement dans la maisonde mon enfance, au Maroc, et que je garde unetrace de ce monde que j’avais quitté physique-ment, mais qu’au fond, bien sûr, je n’ai jamaiscomplètement abandonné.La sexualité des femmes, dans le monde arabe,

Jadaliyya Washington

Depuis des siècles, les questions degenre, de mentalité, d’identité etd’espace s’entrechoquent pourdonner une vision faussée desfemmes arabes. La peinture orien-taliste a produit des scènes de

femmes dans des harems, cachées et isolées der-rière des voiles et des murs. L’artiste d’originemarocaine Lalla Essaydi récupère et déconstruitces images qui continuent d’influer sur l’idée quese font les Occidentaux des femmes arabes. Dansl’exposition “Lalla Essaydi: Revisions” – qui setient jusqu’au 24 février 2013 au SmithsonianNational Museum of African Art, à Washington –, elle évoque son passé à travers son vécu defemme arabe habitant en Occident.

Quels sont les principaux thèmes de votre exposition et en quoi sont-ilsreflétés dans son intitulé ?Lalla Essaydi Le but de cette exposition esteffectivement de réviser, de corriger des sté-

est ce qui définit l’espace public et l’espace privé.Les femmes arabes ont toujours occupé l’espaceprivé, mais où qu’une femme se trouve, dès qu’unhomme pénètre dans cet espace, il le rend public.Cette séparation du public et du privé témoignedu pouvoir de la sexualité féminine. Elle contri-bue également à expliquer pourquoi les femmesarabes ont été sexualisées par le regard occi-dental. En un sens, l’Occident a aboli la fron-tière entre public et privé, et –  c’est là un pointcrucial – le monde arabe a réagi en rétablissantcette séparation, en la rendant encore plus nette.Derrière le voile, une femme arabe préserve unespace privé, même en public.

La calligraphie a joué le rôle de substitutde la représentation figurée dans l’artislamique. Quel rôle joue-t-elle dansvotre travail ?Dans mon enfance, la calligraphie n’était pasenseignée à l’école, mais on pouvait s’y initierpar des cours particuliers. Elle ne figure au pro-gramme des écoles d’art marocaines que depuispeu. En ce qui me concerne, je n’ai aucune

Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012 � 47

� 48

Harem Série réalisée dans le palais Dar El-Bacha, Marrakech (2009).

Musée

Inaugurée le 9 maidernier, l’exposition“Lalla Essaydi:Revisions” auSmithsonian NationalMuseum of AfricanArt, à Washington,présente jusqu’au24 février 2013 unesélection des sériesphotographiques, des tableaux et des installationsmultimédias réaliséspar la plasticiennemarocaine dans les années 2000. Plus d’informationssur le site du musée(africa.si.edu).

LALL

A ES

SAYD

I/C

OU

RTES

Y ED

WYN

N H

OU

K G

ALLE

RY, N

EW Y

ORK

Page 48: Courrier International du 13 juin 2012

formation en calligraphie et je l’ai abor-dée comme un artiste aborde une nouvelle tech-nique  : avec la pratique, j’ai acquis descompétences. J’ai créé ma propre méthode pourtranscrire mes textes calligraphiés : j’appliquedu henné avec une seringue. Le texte est écritdans un style abstrait, poétique, de façon à acqué-rir une universalité et à dépasser les frontièresculturelles. En revanche, le texte inscrit sur lesfemmes est volontairement indéchiffrable : cesont des formes inventées qui rappellent la cal-ligraphie coufique [le plus ancien style de calli-graphie arabe, développé au VIIe siècle dans laville de Koufa, dans l’actuel Irak], mais qui nedonnent pas réellement d’informations. De cettemanière, les interactions entre le symbolismegraphique et la signification littérale, ainsi quecette idée européenne selon laquelle l’écrit estle meilleur moyen d’accéder à la réalité sontconstamment remises en question.Dans mon esprit, puisque la calligraphie, lapoésie et l’architecture sont considérées commedes arts nobles dans la tradition islamique,comme on le voit à travers l’histoire de l’art, jem’en sers pour récupérer la riche tradition dela calligraphie en l’associant à l’art éminemmentféminin du henné. J’ai pu ainsi exprimer – etabolir – les contradictions qui existent dans maculture entre hiérarchie et fluidité, entre espace

48 � Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012

public et espace privé, entre la richesse et lesaspects oppressants des traditions islamiques.

Comment vos expériences en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, d’une part,dans le monde occidental, d’autre part,ont-elles influé sur votre démarched’artiste ?Le fait d’être une artiste arabe vivant en Occidentme confère une perspective unique pour obser-ver les deux cultures, deux cultures qui m’ont éga-lement marquée. D’une certaine manière, j’ai lesentiment d’occuper (et peut-être même d’incar-ner) un “carrefour” où les cultures se rencontrent,fusionnent, s’entremêlent et parfois s’affrontent.En tant qu’artiste, j’habite un terrain non pas seu-lement géoculturel, mais aussi imaginaire. Cetespace ne cesse de se définir, de se dévoiler etd’évoluer, et mon travail (et ma passion) est detenter de le comprendre et de produire des œuvresqui découlent de cette recherche permanente.L’espace que j’habite en Occident est un espaced’indépendance et de mobilité. C’est de là que jepeux retourner au paysage de mon enfance auMaroc et l’aborder avec du recul, sous un nouveaujour. Quand j’observe ces espaces aujourd’hui, jevois les deux cultures qui m’ont façonnée – et quisont déformées lorsqu’on les regarde à travers leprisme orientaliste de l’Occident.

Que cherchez-vous à faire lorsque vous reproduisez les images “exotiques”et “mystérieuses” de femmes arabesdans des harems, tirées de la peintureorientaliste ?Je ne reproduis pas les images “exotiques” et“mystérieuses” de femmes arabes tirées de lapeinture orientaliste. Je déconstruis ces tableauxen utilisant les mêmes stéréotypes que l’y ontrouve.Mon travail va au-delà de la culture islamique etintègre la fascination occidentale pour l’oda-lisque, le voile et le harem, si visible dans la pein-ture. Il suffit de regarder autour de soi pour voirque ces images de harems et d’odalisques sontencore très répandues de nos jours. Je me sersdu corps féminin pour remettre en cause les pré-jugés et ébranler la perspective orientaliste. Jesouhaite que le spectateur prenne conscienceque l’orientalisme est une projection des fan-tasmes sexuels d’artistes masculins occidentaux,c’est-à-dire une tradition de voyeurisme quiimplique de scruter et de dénaturer l’espace privé.

Votre travail étant de plus en plus connu du public occidental, quel rôleaimeriez-vous qu’il joue dans le cadre du discours sur les femmes arabes ?J’espère qu’il amènera les spectateurs à prendreconscience de ce qu’ils attendent de la peintureorientaliste – c’est-à-dire un certain contenusexuel – en décevant ces attentes. Je veux ren-voyer les spectateurs à eux-mêmes, pour lesobliger à voir la dynamique à l’œuvre dans leregard orientaliste.Mais, en invoquant la tradition orientalisted’une façon qui rend le spectateur conscient deses stéréotypes, je n’entends pas déclencher une“chasse au coupable”. Mon but est plutôt dedélivrer les spectateurs, arabes comme occi-dentaux, de l’emprise de ces préjugés.Propos recueillis par Samia Errazzouki

Les femmes du Maroc “Après le bain” (2008). La calligraphie associée à l’artéminemment féminin du henné.

47 �

Profil

Orient-Occident,allers-retours

Une jeune fille grandit dans un harem au Maroc.

Elle est assise, seule, dans une maisonabandonnée au milieu

des oliviers. C’est sa punition pour être

“sortie de l’espace autorisé”et s’être rebellée contre des règles qui donnent plus de liberté à ses frères.Cloîtrée pendant un mois dans cettemaison avec les domestiques pour seulecompagnie, la jeune Lalla Essaydi amorcesa réflexion sur les espaces privés où sontcantonnées les femmes du monde arabe.Aujourd’hui âgée de 55 ans et établie à New York, elle retournera des décenniesplus tard dans ce lieu de bannissementpour comprendre l’artiste qu’elle estdevenue.Le père de Lalla Essaydi, propriétaired’oliveraies et notable d’une petitelocalité, était réputé être un descendantdirect du prophète Mahomet. Il a eu onzeenfants de ses quatre épouses. La mère de Lalla était la plus jeune.A l’âge de 16 ans, Lalla Essaydi quitte le Maroc pour entrer au lycée à Paris. Peu après ses 20 ans, elle rentre dans son pays, où elle rencontrera son mari, un fonctionnaire. Le couple s’installe en Arabie Saoudite. Leur mariage ne durera que six ans, mais Lalla Essaydirestera dans ce pays treize années de plus, vivant seule avec ses deuxenfants.Au début des années 1990, Lalla Essaydi retourne à Paris pour étudier aux Beaux-Arts. C’est lors d’un coursd’histoire de l’art qu’elle découvre les fantasmes des artistes occidentaux sur la vie au harem. “C’est là, à cet instant,que ma fascination est née.”Parmi ces tableaux, il y a bien sûrl’emblématique Grande Odalisque peintepar Jean-Auguste-Dominique Ingresen 1814. Mais d’autres œuvres intéressentaussi Lalla Essaydi : celles de Jean-LéonGérôme, Frederic Leighton, John SingerSargent et Eugène Delacroix – auteurnotamment de Femmes d’Alger dans leurappartement, en 1834, où il dépeint des femmes arabes dans un haremexotique. Ces tableaux incitent l’artiste à se lancer dans des “recherches sur l’orientalisme” et sur la représentationde la femme arabe dans la peintureoccidentale.En 1996, Lalla Essaydi s’installe à Boston,où elle poursuit ses études et décrocheen 2003 un master en beaux-arts. La distance qui la sépare de son pays lui offre une nouvelle perspective.DeNeen Brown The Washington Post(extraits) Washington

LALL

A ES

SAYD

I/C

OU

RTES

Y ED

WYN

N H

OU

K G

ALLE

RY, N

EW Y

ORK

Je ne reproduis pas les images“exotiques” et “mystérieuses”de femmes arabes tirées de la peinture orientaliste. Je déconstruis ces tableaux

Page 49: Courrier International du 13 juin 2012

Los Angeles Times (extraits) Los AngelesDe Pittsburgh

Jon Rubin avait une question impor-tante et savait où trouver la réponse :à l’ambassade de Corée du Nord à LaHavane, où il s’est rendu en mars avecquelques compatriotes américains. Lepetit groupe a sonné à la porte de la

mission diplomatique, située dans le quartierdu Vedado, dans la capitale cubaine. Un hommeen survêtement et en tongs est venu à leur ren-contre. Les Américains lui ont demandé : “Qu’est-ce qu’on mange exactement en Corée du Nord ?” “Ilétait un peu surpris”, se remémore Dawn Weleski,l’associée de M. Rubin. On ne peut pas repro-cher à l’attaché coréen d’avoir cru que les Amé-ricains n’étaient pas uniquement en quête de larecette du kimchi [chou chinois ou navet, fer-menté et pimenté].

M. Rubin et Mme Weleski ont l’habitude desusciter des réactions embarrassées depuis qu’ilsont ouvert Conflict Kitchen, un café de Pittsburghqui sert uniquement des plats de pays en conflitavec les Etats-Unis et dont la carte change régu-lièrement, en fonction de la guerre ou du conten-tieux diplomatique du moment.

Lorsque le café a ouvert ses portes, en 2010,la cuisine iranienne était à l’honneur. On y aensuite servi des mets afghans, puis vénézuéliens.En mai, Conflict Kitchen a décidé de revenir à lacuisine iranienne en raison des tensions persis-tantes entre Washington et Téhéran. Le restau-rant a même organisé récemment un dîner auquelont participé en simultané des habitants de Pitts-burgh et de Téhéran, reliés par visioconférence.

Le restaurant propose en ce moment des platscubains, inspirés des idées glanées par l’équipelors de son séjour à La Havane. Viendront peut-être ensuite des spécialités nord-coréennes.

Témoignages sur les emballagesEn discutant avec le diplomate coréen – lequels’est montré poli, mais n’a pas laissé ses visiteurspénétrer dans l’enceinte de l’ambassade  –,M. Rubin a notamment appris que la cuisine deCorée du Nord n’était pas très différente de celledu Sud. Dans un espagnol parfait, le diplomateleur a rappelé que les deux pays n’en formaientqu’un jusqu’en 1945. Il a cependant précisé queles Nord-Coréens préféraient les nouilles de sar-rasin aux nouilles de riz.

Pour l’instant, Conflict Kitchen n’est ouvertqu’à l’heure du déjeuner et ne fait que de la venteà emporter. Les bons jours, il sert entre trente etcinquante clients, parfois plus. Cet été, ConflictKitchen déménagera dans le centre de Pittsburghet deviendra un véritable restaurant. Mais, que

qu’à travers sa cuisine ?” opine Laura Goodman,qui est venue au Conflict Kitchen avec un grouped’amis et attend sa commande. Marc Parenteau,un habitué, ajoute : “La cuisine est un terrain d’en-tente. Peu importe la nature du conflit, peu importele camp dans lequel on se situe : tout le monde a besoinde se nourrir.”

Curcuma et cannelleDans la minuscule cuisine qui dessert à la fois leWaffle Shop et le Conflict Kitchen, les gaufres, lebeurre et le sirop voisinent avec le cumin, l’aneth,la menthe, l’ail et d’autres condiments typiquesde la cuisine iranienne. Des pots de curcuma, decannelle et de graines de sésame noires côtoientdes bocaux de farine et de noix hachées. Unemployé transporte 5 kilos de viande de bœufhachée provenant d’une boucherie halal, qui ser-viront à préparer des kebab-e-koubideh [brochettesde viande hachée] pour les sandwichs. Dans leréfrigérateur, un immense récipient contient lekookoo sabzi, une omelette aux herbes, destinée àgarnir les sandwichs végétariens.

Au Conflict Kitchen, chaque plat coûte 5 dol-lars, et seuls les paiements en espèces sont accep-tés. Le restaurant est également financé par desassociations artistiques et sollicite les dons surson site Internet.

En dépit de la démarche inhabituelle du res-taurant, personne ne se souvient d’un client quise serait emporté contre un employé parce qu’ilservait des plats de pays comme le Venezuelade Hugo Chávez. Une seule fois, en juillet 2010,une femme s’est plainte sur le site du café : ellereprochait à l’équipe de ne pas se soucier du sort d’une Iranienne [Sakineh Mohammadi Ashtiani]condamnée à mort par lapidation pour adultère.“Si vous devez gagner votre vie de cette façon, veillezau moins à nous informer correctement sur l’Iran”,écrivait-elle. (La peine a été suspendue, mais cettefemme iranienne est toujours en prison.)

Les choses pourraient se compliquer avec ledéménagement du restaurant dans le quartierd’affaires. On peut en effet supposer que les pro-fessions libérales et les employés de bureau sur-menés chercheront avant tout à engloutir un repasrapide et impersonnel. “C’est l’une des raisons quinous poussent à déménager”, souligne le conseillerculinaire du café, Robert Sayre. “Nous aimons beau-coup le quartier d’East Liberty et tous ceux qui noussoutiennent, mais l’idée, c’est justement d’amener lesgens à réfléchir à des choses auxquelles ils n’auraientpas réfléchi autrement.” Tina Susman

Cuisine

Un peu de géopolitiquedans l’assietteA Pittsburgh, le café “Conflict Kitchen”sert des spécialités de pays mis au ban par les Etats-Unis. Une façond’éduquer le palais et de nourrir la réflexion des gourmets du cru.

les clients soient assis à une table dans le quar-tier d’affaires de Pittsburgh ou debout sur un trot-toir dans le quartier d’East Liberty, l’intérêt durestaurant est autant la cuisine que l’on y sert queles conversations que l’on peut y avoir. Lesemployés sont notamment recrutés pour leurcapacité à débattre de l’actualité internationale.“Nous ne cherchons pas à simplifier, mais plutôt àcomplexifier la façon dont les gens perçoivent les autrespays”, explique M. Rubin, qui est également pro-fesseur d’arts plastiques à l’université CarnegieMellon. Avec son associée, il cherchait un usagepour le petit local attenant au café Waffle Shop,son premier établissement, ouvert en 2008. C’estainsi qu’il a eu l’idée de créer Conflict Kitchen. “Nous avons choisi de faire de la vente à emporterparce que nous voulions discuter avec les passants etque nous n’avions pas vraiment la place de mettre destables”, explique Mme Weleski, une ancienne étu-diante de M. Rubin, qui assure aujourd’hui lagérance du Waffle Shop. Les deux associés s’étaientdéjà fait une clientèle avec ce café, où les employésaniment des émissions diffusées en direct surInternet, tandis que les clients dévorent leursgaufres. “Au Waffle Shop, on se sert de la cuisinepour inciter les gens à venir parler au micro ; auConflict Kitchen, on s’en sert pour les inciter à s’ou-vrir et à parler aux inconnus”, souligne M. Rubin,qui s’est spécialisé dans les interventions artis-tiques dans l’espace public.

Le concept du Conflict Kitchen se décline jusquedans les emballages. Des témoignages de per-sonnes originaires des pays dont la cuisine estmise à l’honneur sont imprimés sur les sachets desandwichs. Par exemple : “En général, les Iraniensn’ont rien contre les Juifs” ou bien “La plupart desAméricains que j’ai rencontrés pensent que les Ira-niens sont dangereux, agressifs, violents, que ce sontdes terroristes, des islamistes, des gens peu civilisés”.

Ces deux commentaires figuraient sur lessachets des sandwichs servis par Lauren Pucci unsamedi de la fin avril. “Ce n’est pas toujours facilede faire parler un client qui n’en a pas envie”, expliquela jeune employée. Ce n’était pas un problème cejour-là : les conversations allaient bon train surle trottoir devant le guichet de vente à emporter.“Y a-t-il une meilleure façon de comprendre un pays

Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012 � 49

Long

courri

er

Conflict Kitchen Le café change de devanture en fonction de la cuisine qu’il met à l’honneur.

En savoir plus

Le site duConflict Kitchen(conflictkitchen.org)regorge d’informationssur le restaurant, son histoire et les différentsévénements qui y sontorganisés. Après avoirservi de la cuisineiranienne en mai, le Conflict Kitchenpropose depuis le 1er juin desspécialités cubaines.

CO

NFL

ICT

KIT

CH

EN

Page 50: Courrier International du 13 juin 2012

“Hatufim”Lancée en 2010, la série a reçu en Israël le prix de la meilleure série dramatique.

“Homeland”L’adaptation américaine de “Hatufim” sera diffusée en France à partir de septembre sur Canal+.

Séries télé

Tel-Aviv cartonne à HollywoodLa série Homeland, adaptée d’une idée originale israélienne, a créé l’événement à la rentrée 2011 auxEtats-Unis. Un signe parmi d’autres de l’inventivité des fictions télévisées produites dans l’Etat hébreu.

KES

HET

MED

IA G

ROU

PRU

E D

ES A

RCH

IVES

/BC

A

50 � Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012

Page 51: Courrier International du 13 juin 2012

The Jewish Journal (extraits) Los Angeles

En décembre 2009, Avi Nir, le patronde Keshet, l’une des principalessociétés israéliennes de productionet de distribution, invite l’agent hol-lywoodien Rick Rosen à Tel-Aviv.Lors d’un déjeuner, il lui parle d’une

nouvelle série israélienne intitulée Hatufim– “Prisonniers de guerre”, en hébreu.

Rosen a raconté leur conversation dans uneinterview récente. “Vous voyez qui est GiladShalit  ?” lui demande Nir [en référence auFranco-Israélien capturé en 2006 dans la bandede Gaza, alors qu’il effectuait son service mili-taire dans l’armée israélienne]. “Alors, imaginezqu’il n’y ait pas un mais trois Gilad Shalit et quedeux d’entre eux reviennent au pays en héros ; etpuis on découvre que les apparences peuvent êtretrompeuses et que l’un d’eux travaille peut-être pourles services secrets. Vous pensez que ça pourraitmarcher aux Etats-Unis ?” Rosen réfléchit uneseconde. “Absolument, répond-il, si les protago-nistes sont des soldats américains qui rentrent d’Irakou d’Afghanistan.”

Avant le 11 septembre 2001, les Américainsn’auraient sans doute pas eu envie de regarderune série leur disant qu’ils vivaient dans un paysperpétuellement en guerre – ou ils ne l’auraientpas comprise. Mais, désormais, Israël et lesEtats-Unis se retrouvent sur un même terrainpsychologique.

“Je connais la personne parfaite pour adapterHatufim, ajoute alors Rosen : Howard Gordon.”Rosen se rappelle l’enthousiasme de Nir à l’idéeque Gordon, le producteur de 24 Heures chrono[série culte diffusée sur la chaîne américaineFox entre 2001 et 2010, et en France à partir de2002], travaille sur une série israélienne.Quelques jours plus tard, Rosen appelle Gordonde l’aéroport de Los Angeles, où il vient d’at-terrir. “J’ai ta prochaine série”, lui annonce-t-il.Homeland était née.

Israël sous un nouveau jour Homeland est la preuve qu’une idée israéliennepeut faire un carton aux Etats-Unis. La série,un thriller psychologique, met en scène CarrieMathison, une femme agent de la CIA, psycho-logiquement instable. Elle soupçonne un anciencombattant de retour d’Irak, Nicholas Brody,d’avoir été “retourné” par des terroristes. Ins-pirée de Hatufim, Homeland a remporté en jan-vier 2012 le Golden Globe de la meilleure sériedramatique et a permis à la chaîne câblée Show-time d’augmenter son nombre d’abonnés aupoint de talonner sa concurrente, HBO.

A Hollywood et à 15 000 kilomètres de là,en Israël, tout le monde considère désormaisHomeland comme LE modèle. Le secteur israé-lien du divertissement apporte sa capacité d’in-novation et sa créativité, et Hollywood faitoffice à la fois de mentor et de marché en aidantle petit Etat du Proche-Orient à transformerson inventivité nationale en marchandise inter-nationale. Actuellement, au moins six “for-mats” (en jargon hollywoodien, le termedésigne les synopsis sur lesquels se fondent lesadaptations) israéliens en sont à des stades plusou moins avancés de développement. Et lesallers-retours entre les deux pays ont pris unetelle ampleur ces derniers temps que beaucoupde scénaristes, de producteurs et même degrandes chaînes en Israël sont aujourd’huireprésentés par des agences artistiques amé-ricaines. “Tout Israélien qui prend la plume – avec

ou sans talent – s’imagine à présent qu’il va deve-nir millionnaire aux Etats-Unis. Ça devient un peuridicule”, regrette Rosen.

Une chose est sûre : beaucoup de gens àHollywood estiment qu’il est trop tôt poursavoir si la frénésie actuelle est appelée à durer.A ce jour, seules deux séries – In Treatment [Enanalyse dans la version française] et Homeland –ont réussi leur greffe aux Etats-Unis. D’autresont été des échecs cuisants, comme Traffic Light[inspirée de Ramzor, autre succès israélien] surla chaîne Fox, qui n’est restée que quatre moisà l’antenne en 2011.

Mais quiconque connaît les Israéliens saitqu’ils ne baissent pas les bras facilement. Et cen’est pas un coup de malchance qui les feracapituler tant que leur lien avec Hollywood leuroffrira la possibilité de triompher doublementsur la scène internationale. A tout le moins, cesadaptations permettent d’injecter des sommesconsidérables dans l’économie israélienne ;elles offrent également une possibilité rare depeser sur les discours et les opinions publiques.Car imaginez ce que cela peut signifier, pourun téléspectateur espagnol, français ou chinois,de découvrir que sa série préférée vient d’Is-raël. A terme cela pourrait, comme beaucoupl’espèrent ardemment, montrer Israël sous untout autre jour. “Dieu sait combien de personnes,en apprenant qu’In Treatment et Homelandétaient des séries israéliennes, se sont dit : ‘Peut-être que [les Israéliens] ne sont pas des sau-vages’, relève l’actrice israélienne Noa Tishby,qui a produit In Treatment. ‘Peut-être que cen’est pas l’Afghanistan, là-bas’.”

Israël compte environ 8 millions d’habitants,selon les dernières estimations de la Banquemondiale. Un marché trop restreint pour assu-rer la rentabilité d’une superproduction. Etencore plus restreint si l’on retranche les Arabesisraéliens et les Palestiniens arabophones (envi-ron 1,6 million de personnes), ainsi que les juifsultraorthodoxes (environ 1 million), qui ne sontpas consommateurs d’audiovisuel.

Public ultra-exigeant “Le marché israélien est prisonnier de deux para-mètres sur lesquels personne n’a prise”, expliqueNoa Tishby, qui vit aujourd’hui à Los Angeles.L’un est la taille du marché, l’autre le goût dupublic. “Les Israéliens sont un public ultra-exigeant, très instruit, aux opinions très arrêtées.Ils sont capables d’éteindre la télé et de vous érein-ter dans la minute qui suit sur les forums Internets’ils n’aiment pas ce que vous faites. Alors, on a inté-rêt à trouver de bons scénarios.”

Il existe actuellement cinq écoles de cinémaen Israël, mais le secteur de la télévision estrelativement jeune. A la fondation d’Israël,en 1948, le Premier ministre, David Ben Gou-rion, avait freiné l’arrivée de la télévision dansles foyers, “de peur qu’elle ne sape sa tentative pourcréer une vraie culture israélienne”, expliqueNechemia Meyers, chercheur à l’Institut Weiz-mann des sciences. Mais l’Histoire l’a obligé àinfléchir sa position : pendant la guerre des Six-Jours, en 1967, Ben Gourion lance une chaîneunique, contrôlée par l’Etat, pour combattre lapropagande arabe. Ce n’est qu’en 1993 que cettechaîne – aujourd’hui connue sous le nom � 52

Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012 � 51

Repères

� Hatufim (Israël)Série diffusée depuis2010 sur la chaîneisraélienne Aroutz 2.L’intrigue. Troissoldats israéliens ont été capturés lorsde la guerre du Liban(1975-1990). Dix-septans plus tard, deux d’entre eux sontlibérés, le troisièmerevient dans un cercueil. La sérieraconte la difficultédes deux premiers à se réinsérer,étroitement surveilléspar les services de sécurité israéliens.L’audience. Enormesuccès en Israël, la série a été venduedans plus de trentepays. En mai 2011, la chaîne britanniqueSky Arts 1 a entreprisde la diffuser en VO sous-titrée, une première au Royaume-Uni pourune série en hébreu.

� Homeland(Etats-Unis)Adaptation de Hatufim, diffuséedepuis 2011 sur la chaîneaméricaine Showtime.L’intrigue. Un marineaméricain retrouve sa famille après huitans de captivité en Irak. Une analystede la CIA, certainequ’il a été “retourné”par ses ravisseurs,entreprend de prouverqu’il constitue une menace pour les Etats-Unis. Elle le traque et l’espionne, dans l’illégalité la plus complète.L’audience. Applaudipar la critiqueaméricaine, Homelanda fait l’événement aux Etats-Unis. La série sera diffuséesur Canal+ à partir de septembre 2012.

Long

courri

er

Page 52: Courrier International du 13 juin 2012

israéliennes sont maintenant vendues dans lemonde entier comme une sorte de capital intellectuel. Pour le producteur israélien AviArmoza, c’est une démarche plus sûre que dedévelopper des adaptations en Israël même. Legouvernement et les municipalités essaientdepuis longtemps d’attirer les productions hol-lywoodiennes dans l’Etat hébreu, mais le coûtdu travail y est prohibitif. Assurer un tournagedans l’une des régions les plus instables dumonde est déjà assez dissuasif, mais le paysn’offre pas non plus les incitations fiscales suffi-santes pour compenser le temps et les frais liésà un long voyage.

Comme toujours, la réussite comporte sesécueils, et les intérêts des deux industries neconvergent pas toujours. Côté américain, oncraint que les Israéliens, à trop vouloir vendre

d’Aroutz 2 – est devenue une entreprisecommerciale, diffusant des séries américainescomme Seinfeld ou Friends.

Le gouvernement a toutefois rapidementcompris que la popularité des programmes amé-ricains menaçait la production locale. Au débutdes années 2000, il a commencé à réglementerle temps d’antenne accordé aux émissions étran-gères. Aujourd’hui, l’Etat impose que 40 % à50 % des programmes diffusés sur les télés israé-liennes soient produits localement.

Vouloir tout maîtriser “Pour qu’Israël réussisse, il faut que ses idées voya-gent dans le monde, clame Ben Silverman, PDGd’Electus, un studio de production américain.Hollywood n’est qu’une étape de ce périple.” A l’ins-tar du secteur des hautes technologies, les idées

51 �

52 � Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012

Long

courri

er

RUE

DES

ARC

HIV

ES/B

CA

RUE

DES

ARC

HIV

ES/B

CA

Q+RGideonRaff

Le créateur de Hatufimest aussi scénariste et producteur exécutif de la version américaine, Homeland. En 2010, la série Hatufim a faitpolémique en Israël. Pourquoi ?Gideon Raff En Israël, les prisonniers de guerre sont un sujet très sensible, une blessure ouverte. Aborder la question a mis les téléspectateurs mal à l’aise. Pour la première fois en prime time, une sériemontrait ce qui attendait les captifs à leurretour – les retrouvailles familiales, maisaussi les interrogatoires par les servicessecrets. D’habitude, on considère que l’histoire prend fin avec le retour des prisonniers. Pour moi, c’est le début.Des gens se sont indignés que l’on traite le sujet en prime time, surtout alors que Gilad Shalit était encore en captivité [le soldat franco-israélien a été libéré en octobre 2011]. Cette réaction avaitquelque chose de primitif. Car ceux quis’indignaient étaient aussi ceux qui louaientDémineurs, de l’Américaine KathrynBigelow, oscar du meilleur film en 2010 : un film dur sur la guerre d’Irak, tourné alorsque le conflit était en cours. Les Israéliensadoraient ce film, mais refusaientd’affronter leurs traumatismes à eux.En quoi Hatufim diffère-t-elle de son adaptation américaine, Homeland ?Ce qui intéressait les téléspectateursisraéliens, c’était de suivre d’anciensprisonniers de retour de captivité, et de découvrir qu’ils pouvaient êtresurveillés par les services secrets – un faitavéré. Homeland introduit un nouveau défiavec le personnage de Nicholas Brody. Ce sergent des marines, blanc, revient de huit ans de captivité en Irak. Une analystede la CIA le suspecte d’avoir été retournépar ses ravisseurs et d’être devenuterroriste. On a pu lire récemment dans The New York Times qu’une bonne partiedes terroristes présumés arrêtés aux Etats-Unis sont des Blancs. Qui s’enserait douté ? Aujourd’hui, les Américainsne savent plus qui sont leurs ennemis.Hatufim et Homeland poussent às’interroger : dans une société en guerrecontre le terrorisme, qu’est-ce qu’uncomportement suspect ?Dans Homeland, on voit le sergent Brody chez lui, en train de prier en arabe.Quand j’ai écrit cette scène, je me suisinterrogé : vais-je faire de Brody un musulman converti ? Cela ne va-t-il pas automatiquement faire de lui un méchant ? Ces questions m’ont incité à écrire la suite, pour voir la réaction des téléspectateurs. Plus tard, Brodyexplique comment sa foi islamique l’a aidéà tenir en captivité. Mais la premièreréaction des téléspectateurs en le voyantprier a été : zut, il était pourtantsympathique ! Propos recueillis par Marie Béloeil, Courrier international

“Golden Globe”Claire Danes a été récompenséecette année pour son interprétationd’une agente de la CIA bipolairedans “Homeland”.

Trop parfait ?Devant les médias, les Brodysoffrent l’apparence d’une familleunie et soudée.

Page 53: Courrier International du 13 juin 2012

leur production à l’étranger, ne transigent surl’originalité. “Ecrire une série dans l’intention dela vendre aux Américains n’a pas de sens, souligneNoa Tishby, car, dans ce cas, on écrit souvent deschoses qui sont ‘américaines’ et qui n’ont pas l’au-thenticité d’une histoire vraiment sentie.”

L’inverse aussi est vrai – le pouvoir peutdénaturer le contenu. Certains créateurs israé-liens en ont aujourd’hui assez de cette tendanced’Hollywood à vouloir tout maîtriser, surtoutdans le domaine de l’adaptation. Car tous lesscénarios ne sont pas transposables, et l’alté-ration d’un synopsis original peut changer ledestin d’une série. La série israélienne Ramzor,par exemple, suit trois amis qui se connaissentdepuis l’université et qui, devenus trentenaires,se retrouvent l’un célibataire, l’autre avec unepetite amie, le troisième marié avec un enfant.Ramzor en est à sa quatrième saison en Israëlet à sa troisième en Russie, mais son adapta-tion américaine, Traffic Light, a été un échecaux Etats-Unis. “La télévision israélienne a ten-dance à être plus audacieuse, plus avant-gardisteet un peu plus directe que la télévision américaine”,analyse la productrice Lisa Shiloach-Uzrad, dela société israélienne July August Productions.“Il fallait que la version américaine de Ramzorsoit gentille, mignonne, réconfortante. Du coup,elle a perdu de son mordant.”

“On ne fait pas de chichis” Certaines de ces différences de personnalité semanifestent également dans les négociationscommerciales. Les Israéliens se plaignent desdécideurs américains, qu’ils jugent timorés etévasifs. “En Israël, on ne fait pas de chichis, on sefiche des convenances !” s’exclame Noa Tishby.Comme elle joue les intermédiaires entre les

deux parties, il lui arrive souvent, explique-t-elle, de devoir composer avec les différencesde comportement. “Aux Etats-Unis, on est beau-coup plus subtil. Quand un Américain dit ‘génial’,ça ne veut pas dire : ‘Génial ! Faisons affaire.’ Celapeut vouloir dire : ‘Génial ! Je ne veux plus jamaisvous revoir.’ Pour quelqu’un qui n’est pas familierdes deux cultures, c’est très difficile à déchiffrer.Les Américains peuvent trouver les Israéliens extrê-mement grossiers et les Israéliens trouver les Amé-ricains hypocrites. C’est très déroutant.”

Pourtant, côté américain, le producteur BenSilverman est formel : “Israël reste le pays où ilest le plus difficile de conclure un accord. Ce sontles négociateurs les plus redoutables – quand oncroit le marché conclu, ils trouvent toujours encoreun point sur lequel pinailler.”

Heureusement, les deux parties semblentprendre ces petites différences culturelles avechumour, ne serait-ce que parce que les inter-locuteurs de part et d’autre sont à 99 % des

Juifs. “Il allait de soi pour moi [quand je suis alléen Israël] que les chaînes israéliennes fonction-naient exactement de la même façon que les chaînesaméricaines, raconte Rosen. La seule différence,c’est que les [Israéliens] sont tous en tee-shirts eten tongs.”

L’épreuve de la réalité “Pour ce qui est des valeurs, des centres d’intérêt,nous sommes très semblables”, reconnaît Tishby.Evitez simplement de demander à une per-sonne impliquée dans les relations Hollywood-Israël si elle se laisse guider par ses sentiments.“Je suis producteur, dit Gordon. Mon but est degagner de l’argent.” Mais Gordon connaît éga-lement ses limites. “Ce serait super qu’un jourune adaptation de Homeland marche dans lemonde arabe et que les téléspectateurs égyptiens,yéménites et saoudiens se disent : ‘Tiens, cette sérievient d’Israël’.”

Cependant, si cet intérêt accru pour Israëlest utile, nul ne sait s’il durera. “On parle d’unsecteur qui est encore en transition”, tempère NinaTassler, présidente de CBS Entertainment. “Ilévolue, il se développe, il mûrit.” “L’épreuve de laréalité sera décisive dans les deux ans à venir. Onverra alors ce qui a vraiment marché”, acquiesceNoa Tishby.

Bien sûr, il y a toujours la crainte qu’ungrand succès à Hollywood n’incite les créateursisraéliens à quitter en masse leur pays, mais lesIsraéliens ne s’en inquiètent visiblement pas.“En général, on est fiers lorsqu’une série israéliennecartonne à l’étranger. Et puis il y a des vols directsLos Angeles-Tel-Aviv, ce qui fait qu’on peut ren-trer chez soi à tout moment”, plaisante Lisa Shiloach-Uzrad.Danielle Berrin

Courrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012 � 53

En savoir plus

En avril dernier,Gideon Raff, le cocréateur de Hatufim et de Homeland,était l’invité du festivalSéries Mania, au Forum des images,à Paris. On peut lire une interview de lui (en anglais) sur le site du Forum(bit.ly/GidRaff).

La télévision israélienne a tendance à être plusaudacieuse, plus avant-gardiste et plus directe quela télévision américaine”

ACTUELLEMENT EN LIBRAIRIE

DÉTOURS EN FRANCE,LE SEUL MAGAZINE CONSACRÉ AU TOURISME EN FRANCE

€6,95

Page 54: Courrier International du 13 juin 2012

FM : ARLON 101 - BRUXELLES 101.4 - CHARLEROI 101.4 - COMINES 91.7 - DINANT 107.2 - FERRIÈRES 106.4FLORENVILLE 105.7 - GEMBLOUX 90.1 - HUY 105.6 - JODOIGNE 107.9 - LA LOUVIÈRE 95.6 - LIÈGE 103.2 - MARCHE 105.5

MONS 107.2 - NAMUR 99.7 - NIVELLES 107.1 - SPA 107.9 - ST-HUBERT 106 - TOURNAI 106.5 - VERVIERS 107.6VIERSET 97.4 - WATERLOO 106.9 - WAVRE 95.4 - WWW.TWIZZRADIO.BE - Belgacom TV : canal 866 - VOO : canal 436

un MAX de placeun MAX de place

Page 55: Courrier International du 13 juin 2012

InsolitesCourrier international | n° 1128 | du 14 au 20 juin 2012 � 55

“Si nous devons détruire 1 000 œuvres, nous le ferons”

0,21 % de son budget alors qu’il assure abri-ter la moitié du patrimoine mondial. Lesinstitutions ferment et Pompéi s’effrite.Un acte terrible et pour l’instant inefficace.Le musée brûle et personne ne bouge.Nous vous avions interviewé à la mi-avril. Où en êtes-vous maintenant ?Antonio Manfredi Nous continuons àdétruire des œuvres parce que personne nenous a répondu sur rien. Il y a une heure [le7 juin], j’ai brûlé la photographie d’un artistecroate. Cela a été retransmis via Skype ettoutes les vidéos sont mises en ligne. De

toute façon, si le musée doit fermer demainfaute de soutien financier, ces œuvres fini-ront également par être détruites.Vos gestes désespérés n’ont cepen-dant entraîné aucune réaction ?Aucune, c’est comme si nous n’existionspas, comme si nous ne faisions rien. C’esttrès étonnant, parce que cela fait plus d’unmois maintenant que nous avons com-mencé cette révolution. Nous sommes enrevanche soutenus par nombre d’artistes.Les auteurs des œuvres détruites donnenttoujours leur accord et beaucoup d’autresont également brûlé des créations en signede solidarité.Qu’en est-il au niveau local ?Casoria est une ville morte, une cité-dortoir. Les gens d’ici sont occupés àgérer leurs problèmes avec la Camorra[mafia]. La culture est bien le dernierde leur souci.Y a-t-il des gens qui dénoncent votreconduite ?Non, parce que nous ne sommes pas unmusée traditionnel. Nous n’avons pas ladémarche d’une galerie privée ou d’uneinstitution publique patrimoniale. Notrepremier but est de changer la société. Nouspensons que l’art a ce pouvoir, et c’est vrai-ment capital dans une région comme lanôtre, rongée par les problèmes sociaux,politiques et économiques.Pensez-vous que la situation de la cul-ture puisse s’améliorer avec le gou-vernement Monti, comparé à l’èreberlusconienne ?Cela ne change absolument rien. Ce gou-vernement est obnubilé par les problèmeséconomiques. Il se fout de la culture.Craignez-vous de devoir tout brûler ?En effet, mais, si nous devons en arriver làet détruire les 1 000 œuvres que nous pos-sédons, alors nous le ferons. En commen-çant, il y a un mois, j’espérais que celaprovoquerait assez vite des réactions, cen’est malheureusement pas le cas. Propos recueillis par Caroline Stevan Le Temps Genève

Libérer 500 kilosde serpents, c’estbon pour le karma

Le 17 avril, Antonio Manfredi, directeur dumusée d’art contemporain de Casoria, prèsde Naples, brûlait une peinture de l’artistefrançaise Séverine Bourguignon. Depuis,ce sont 19 œuvres qui ont été détruites :une photographie de l’Indien Ashis Gosh,une sculpture de l’Italien Luciano Campi-telli (à coups de massue), une toile de l’Al-lemande Astrid Stöfhas…Le directeur, qui est lui-même artiste,entend ainsi alerter l’opinion publique etles autorités sur l’état déplorable de la cul-ture dans son pays. L’Etat n’y consacre que

Le nucléaire expliqué au sexe faibleL’Agence pour l’énergie atomiquejaponaise a supprimé une pagepédagogique de son site Internet. Uneillustration y comparait les radiationsaux cris d’une épouse en colère contre

son mari, la radioactivité à sa fureur croissante et les matériaux radioactifs à lafemme elle-même. L’agence a déclaré qu’elle essayait juste de fournir uneinformation accessible au profane – “une enquête ayant montré que les femmes

avaient un niveau de compréhension moindre à l’égard de l’information de basesur l’énergie nucléaire”. Paradoxalement, note The Japan Daily Press,

l’illustration est l’œuvre de six femmes. Celles-ci vivent à Tokaimura, près d’une usine de préparation de combustible nucléaire où s’est

déclenchée une réaction de fission incontrôlée en 1999.

Méfiez-vous des contrefaçons

Du nouveau au rayon contrefaçons : le

faux

acteur. L’in

dustrie cinématographique

indonésienne a accouché d’un Mister Bean

bidon. Le comédien, q

ui ressemble trait

pour trait au comique britannique, est

à l’affi

che du film M

r. Bean Kusurapan DP

(“Mister Bean obsédé par D

P”, autrement

dit Dewi Persik, la

pop star indonésienne).

Le vrai nom du clone ne figure pas

au générique, indique Asia

Sentinel.

Relâcher des animaux captifs dans lanature ? Rien de tel pour améliorer sonkarma. Mais cet acte de miséricorde n’a pas toujours les résultats escomptés.Un millier de serpents libérés par un groupe de bouddhistes pékinois ontrécemment causé la panique dans un village de la province du Hebei,rapporte le Global Times. Les reptilesn’ont pas pu goûter longtemps à leurliberté retrouvée : des centaines d’entreeux ont été tués, rapporte le quotidienchinois. Les libérateurs, qui avaientacheté 500 kilos de serpents sur un marché pékinois, ont dû s’acquitterd’une amende de 40 000 yuans(5 000 euros). “Les gens pensent quelibérer des animaux captifs est unebonne action, mais le faire sans avertirl’administration est illégal. Cela peutmettre des vies en danger et perturbersérieusement l’équilibre écologique”,tempête Wang Minzhong, des servicesforestiers du comté de Xinlong. “Il n’y a rien de mal à relâcher des serpents,mais l’endroit était mal choisi, si bienque ces créatures ont été tuées au lieud’être sauvées, ce qui est un très mauvaisexemple.” En mai, 100 reptiles ont étéécrasés par des voitures après avoir étérelâchés en montagne dans le districtde Fangshan. L’an passé, note The DailyTelegraph, des renards libérés s’ensont pris à un élevage de 20 000 poules.La pratique bouddhiste plurimillénairedu fang sheng est devenue une véritableindustrie en Chine. Le rituel de libérationdes animaux est un commerce juteuxpour les vendeurs de tortues, deserpents ou de poissons de Pékin.Chaque week-end, des groupes partentvers la campagne pour relâcher desanimaux achetés dans la capitale. La libération du serpent, animal mal-aimé, est particulièrement payantespirituellement pour les libérateurs.Mais l’élévation des uns fait le malheurdes autres. Cinq habitants du village de Suizhong – une destination de choix pour les bouddhistescompatissants – ont été mordus par des reptiles rendus à la nature. L’un d’eux n’aurait pas survécu, indique The Daily Telegraph.

� Mr. Bean – version contrefaçon – et la star Dewi Persik.

AFP

DR

Page 56: Courrier International du 13 juin 2012

OFFRE SPÉCIALE !Le meilleur de la presse mondiale pendant 12 mois pour seulement 109 € au lieu de 190 € !

VOTRE CADEAU DE BIENVENUE Un superbe coffret de 4 mini-cocottes rondes Le Creuset aux couleurs d’été.Le cadeau idéal pour toutes vos préparations culinaires !Valeur : 59 €

+ L’accès gratuit au site internet + Les archives depuis 1997 + Le pdf gratuit

Bulletin d’abonnement ❏ Oui, je désire profi ter de votre offre au prix de 109 € pour 49 numéros au lieu de 191 € (prix de vente au numéro).

Soit 82 € de réduction - 5 mois entièrement gratuits.Je recevrai en cadeau un coffret Le Creuset de 4 mini cocottes. Plus simple et plus rapide, je m’inscris en ligne sur http://abo.saipm.com/creusetci ou par courrier (adresse ci-dessous)

Nom.......................................................................................................................................... Prénom .........................................................................................................................

Adresse .................................................................................................................................................................................................. N° .....................................................................

CP ..........................................................Localité .............................................................................................................................................................................................................

Tel ..................................................................................................................................... Gsm .........................................................................................................................................

E-mail......................................................................................................................TVA (si facture) ............................................................................................................................

A retourner dès aujourd’hui sous enveloppe à Courrier international – Service Abonnements – Rue des Francs 79 – 1040 Bruxelles ou par fax au 02/211.31.65. Je ne paie rien maintenant et j’attends votre bulletin de virement. Offre valable en Belgique jusqu’au 30 août 2012 pour un nouvel abonné.*Prix de vente au numéro.

Abonnez-vous maintenant !

43 % de réduction

Adaptée pour la cuisson au four, jusqu’à 260°C, et sous un gril / rôtissoire.Résistante au four micro-ondes, au congélateur et au lave-vaisselle.N’absorbe pas les odeurs ou les arômes.Résistante et durable. Résiste au ternissement, à l’écaillage et au craquèlement.La céramique Le Creuset est garantie à 5 ans.