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Licence 2 Cognition & motricité ________________________________________________________________________ 2004 – 2005 Yves Kerlirzin

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LLiicceennccee 22

CCooggnniittiioonn && mmoottrriicciittéé

________________________________________________________________________________________________________________________________________________ 22000044 –– 22000055 YYvveess KKeerrll iirrzziinn

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Plan du cours

********

IInnttrroodduuccttiioonn,, ddééffiinniittiioonnss

II-- RRaappppeellss ssuu rr llee cceerrvveeaauu

AA-- CCaarraaccttéérriissttiiqquueess

BB-- LL''eexxiisstteennccee dd''uunnee nneeuurroo ggeennèèssee

CC-- DDéétteerrmmiinniissmmee ggéénnééttiiqquuee eett ééppiiggeennèèssee

DD-- LLaa tthh ééoorriiee dduu ddéévveellooppppeemmeenntt dduu ssyyssttèèmmee nn eerrvveeuuxx ppaarr ééppiiggeenn èèssee

EE-- LLaabbii ll iittéé eett ddééggéénnéérreesscceennccee ssyynnaappttiiqquueess

FF-- PPllaassttiicciittéé dduu ssyyssttèèmmee nn eerrvveeuuxx eett ppéérriiooddeess ccrriittiiqquueess

IIII-- CCoonnnnaaiissssaanncc ee dduu cceerrvveeaauu

UUnn ppeeuu dd''hhiissttooiirree

AA))-- UUnnee aapppprroocchhee iinnttuuiittiivvee

BB))-- AApppprroocchhee eexxppéérriimmeenn ttaallee

CC))-- IImmaaggeerriiee ccéérréébb rraallee

c1)- La tomographie par émission de positons

Intérêt médical de la Tomographie par émission de positons

c2) L'imagerie par résonance magnétique

Imagerie par résonance magnétique fonctionnelle

c3) L'électroencéphalographie

c4) La magnétoencéphalographie

c5) Bilan et conclusion

IIIIII-- LL''aatttteenn ttiioonn

IInnttrroodduuccttiioonn,, ddééffiinniittiioonnss

AA-- AAtttteennttiioonn eett vviiggii llaannccee

BB-- DDéétteeccttiioonn eett ddiissccrriimmiinnaattiioonn dd''uunn ssiiggnnaall

CC-- TThhééoorriiee ddee llaa ddéétteeccttiioonn dduu ssiiggnnaall eett pprraattiiqquuee ssppoorrttii vvee

DD-- LLeess tthhééoo rriieess ccooggnniittiivveess ddee ll''aatttteennttiioonn

a) L'hypothèse du canal unique de traitement

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b) Théorie du filtrage

c) Filtre sélectif précoce de Broadbent

d) D'autres filtres sélectifs plus tardifs

e) Des ressources multiples

f) Le paradigme de la double tâche

EE-- OOrrii eennttaattiioonn vvii ssuueell llee eenn ssppoorrtt

Emprunts, références, sources

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Cognition & Motricité -1- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ IInnttrroodduuccttiioonn,, ddééffiinniittiioonnss

La cognition peut se définir par l'ensemble de processus mentaux comprenant l'acquisition, le

stockage, la transformation et l'utilisation des connaissances. Ces processus mentaux sont par

exemple la perception, la mémorisation, le raisonnement, le traitement de l'information, la

résolution de problèmes, la prise de décision, etc.

Ces processus mentaux sous-tendent la réalisation d'habiletés motrices complexes et

notamment les habiletés motrices sportives. Cognition et motricité sont donc intimement liées,

que ce soit dans la vie au quotidien ou lors de la pratique d'activités physiques et sportives, et le

cerveau joue un rôle tout à fait central et essentiel dans le déroulement de ces activités

cognitives et motrices. Il assure au quotidien les différentes fonctions permettant l'adaptation

de l'individu à son environnement, que cet individu soit sédentaire ou très actif, sportif.

II-- RRaappppeellss ssuu rr llee cceerrvveeaauu

AA-- CCaarraaccttéérriissttiiqquueess

Le cerveau se caractérise par son extrême complexité. Il comprend environ 1012, soit cent

milliards de cellules nerveuses (les cellules gliales, terme qui pourrait se traduire par l'idée de

glu, et les neurones), pèse chez l'adulte environ 1400g (300g à la naissance environ) pour un

volume d'environ 1200 cm3.

L'unité fonctionnelle du système nerveux, le neurone, assure l'émission et la propagation du

message nerveux sous forme de signaux électriques (potentiels d'action). De ces neurones

partent deux types de prolongements, l'axone et les dendrites.

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Cognition & Motricité -2- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________

Neurone complet - Otto Deiters - 1865 Structure du neurone. D'après Bear et al., 2002

L'accroissement de masse du cerveau coïncide avec la poussée des axones et des dendrites.

Le corps cellulaire reçoit un ou plusieurs prolongements assez courts appelés "dendrites". Ces

dendrites sont les organes récepteurs du neurone, ceux qui conduisent l'influx vers le corps

cellulaire. Celui-ci émet par ailleurs un prolongement en général long par où part l'influx : l'axone.

Certains neurones ont des axones de plus de 50 cm.

Les neurones assurent la transmission de l'information (influx nerveux, message nerveux) par

des liaisons (synapses) reliant chacun d'eux à un ou plusieurs autres neurones. Cette transmission

est à la fois électrique (à l'intérieur du neurone) et chimique (à la sortie du neurone) se

traduisant par la libération d'un neurotransmetteur (une substance chimique comme l'adrénaline

par exemple) qui provoque une réaction électrique dans le neurone récepteur.

Le terme synapse fut forgé en 1897 par un helléniste, à la demande de Sherrington,

physiologiste anglais, afin de donner un nom (dont la traduction française pourrait être «agrafe»)

à un concept plus qu’à l’image d’une réalité reconnue. En effet, à cette époque, plus d’un

cytologiste (cyto = cellule) niait l’individualité cellulaire du neurone et croyait à la continuité et

non à la contiguïté des liaisons interneuronales, à l'existence en quelque sorte d'un véritable

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Cognition & Motricité -3- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ réseau continu, un réticulum. Ceci a donné naissance à la théorie dite réticulariste ou réticulaire,

dont l'un des partisans les plus connus fut Camillo Golgi (1843-1926), en opposition avec Ramon y

Cajal (1852-1934). La réponse à cette question ne fut apportée que dans les années 1950, grâce

aux progrès du microscope électronique confirmant l'hypothèse de la contiguïté et non de la

continuité.

Illustration simplifiée d'une synapse

On observe donc dans le cerveau une extrême diversité de réseaux, de relations ou

interconnexions neuronales : chaque cellule nerveuse reçoit ou transmet entre 5000 et 90 000

échanges fonctionnels, permettant de véhiculer l'information. Le cerveau doit ainsi être

appréhendé en premier lieu comme le lieu privilégié de relations et d'échanges avec le milieu

environnant. Il a pour cela à sa disposition de nombreux capteurs différenciés, spécialisés,

traduisant en potentiels électriques (potentiels d'action) les stimuli du monde extérieur. Ces

derniers, grâce aux propriétés caractéristiques d'excitabilité de la membrane neuronale,

permettent la transmission des différentes informations aux diverses structures cérébrales.

Une fois le potentiel d'action parvenu à la terminaison nerveuse, l'information électrique est

traduite en information chimique et libérée au niveau synaptique (fente), lieu de contacts et

d'échanges entre les différents neurones (les synapses présentent des temps de fonctionnement

de l'ordre de la milliseconde). Ces informations permanentes nous permettent de construire du

monde une image unifiée, cohérente, stable, par l'intégration au niveau du cerveau des données

sensorielles et motrices. Cette cohérence entre la perception et l'action est essentielle à la fois

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Cognition & Motricité -4- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ pour la survie de l'individu, mais également dans une perspective développementale. Bien sur, la

survenue d'un accident particulier (choc, tumeur, etc.) affectant les différentes structures

mises en jeu dans la circulation des informations peut interrompre, compromettre la

communication entre les régions concernées du cerveau et entraîner, de façon temporaire ou

permanente des incapacités (lecture, langage, compréhension) ou l'installation de handicap

(séquelles définitives).

Les illustrations précédentes rappellent brièvement les différentes structures et régions

spécifiques du cerveau. On constate ainsi que le cortex cérébral est constitué de circonvolutions

appelées (gyrus ou gyri) séparées les unes des autres par des sillons plus (scissures) ou moins

profonds (sulcus ou sulci).

Quelques rappels ou précisions : Le cortex préfrontal joue un rôle essentiel dans les activités

cognitives. La zone de Broca, importante dans la fonction du langage, est normalement située

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Cognition & Motricité -5- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ dans le lobe frontal de l'hémisphère gauche à côté de la région qui contrôle le mouvement de

certains muscles faciaux : ceux de la langue, des mâchoires et de la gorge. L'atteinte de cette

zone (caractérisant l'aphasie de Broca) entraîne pour le sujet des difficultés à émettre des sons,

à effectuer par exemple les mouvements de la langue. La lecture ou la compréhension ne sont pas

affectées mais l'écriture devient difficile.

Les lobes occipitaux, avec notamment le cortex visuel, interviennent dans le traitement des

informations visuelles (rappel de la décussation d'une partie des voies nerveuses visuelles avec

l'interprétation des différents espaces). Les lobes temporaux jouent un rôle dans l'audition, la

constitution de la mémoire, le langage, la parole (ils comprennent la zone de Wernicke mise en jeu

dans certaines aphasies : le sujet entend les mots – les siens ou ceux d'autres personnes - mais

se trouve dans l'incapacité de leur attribuer un sens) Les lobes pariétaux interprètent

simultanément les différentes informations sensorielles en provenance des autres régions du

cerveau.

Enfin, le cervelet joue un rôle central dans la coordination et l'exécution des mouvements,

dans le contrôle de notre équilibre et de notre posture (cf. cours contrôle moteur).

Le cerveau n'arrive à maturité chez l'homme qu'après une période d'environ dix ans. Durant

cette période développementale, comme au cours de l'existence plus tardive du sujet, vont se

mettre en place progressivement et se développer des échanges, des interactions parfois

complexes mettant en jeu divers processus qui relèvent pour partie d'un mécanisme de

maturation (mettant en jeu le patrimoine génétique) et pour une autre partie des relations que le

sujet va pouvoir nourrir avec son environnement, créant ainsi les conditions propices à différents

apprentissages, à la construction notamment de la mémoire.

BB-- LL''eexxiisstteennccee dd''uunnee nneeuurroo ggeennèèssee

Deux grandes périodes peuvent être distinguées dans le développement du système nerveux :

une phase précoce, essentiellement prénatale, et une phase plus tardive, débordant largement

sur la vie post-natale. Le cortex se forme chez l'être humain par différenciation du tube neural.

Dès la sixième semaine de vie embryonnaire, la vésicule la plus antérieure du tube neural se divise

en deux compartiments qui vont donner chacun naissance à un hémisphère cérébral. Les cellules

qui composent la paroi du tube neural vont se diviser, produisant jusqu'à 250 000 cellules par

minute. Cette division cellulaire s'arrête environ seize semaines après la fécondation. Pour

certains, cela signifie que l'être hu main vient au monde avec un nombre maximal de cellules

nerveuses corticales, nombre qui ne fera que décroître par la suite. Pour d'autres, cette

neurogenèse, c'est-à-dire la formation et le développement de nouveaux neurones fonctionnels,

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Cognition & Motricité -6- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________

Invagination progressive du

tube neural

se poursuit dans le cerveau adulte, et ce tout au long de la vie. C'est dans les années 1960 que

l'on s'est aperçu pour la première fois que de nouveaux neurones apparaissaient dans le cerveau

des mammifères adultes. Jusqu'à cette période, on considérait le cerveau adulte comme un

organe dépourvu de toute capacité régénératrice et condamné à perdre définitivement ses

éléments les plus précieux, les neurones. La plasticité cérébrale (notion sur laquelle nous

reviendrons) était expliquée par le développement synaptique (la constitution de liaisons), à la

suite principalement des travaux de Pasko Rakic, de l'université de Yale.

Mais en 1965, les expériences de Joseph Altman et Gopal Das (MIT) et différentes

expérimentations menées sur le rat adulte montrent qu'outre le renouvellement après lésion de

certaines cellules (gliales) d'un type particulier, d'autres cellules présentant des

caractéristiques semblables à celles des neurones (rien d'affirmatif, le doute subsistant sur la

nature réelle de ces nouvelles cellules, i.e. gliales ou neurones) apparaissaient à partir de

différentes zones germinatives (en l'occurrence le gyrus dentelé de l'hippocampe et le système

olfactif) constituée de cellules souches, Ces cellules souches sont des cellules indifférenciées,

capables de s'auto renouveler, de se reproduire afin de maintenir d'une part un réservoir

permanent de leur type et d'autre part de donner naissance à des cellules différenciées

présentant des spécificités particulières (fonctionnelles, morphologiques, durée de vie, etc.). Il

existe différents types de cellules souches."

Ces données ont été confirmées dans les années 1980 par l'apparition de nouveaux neurones

(quelques cellules possédant des synapses) dans le cerveau de canaris lors de l'apprentissage de

nouveaux chants (ce phénomène de neurogenèse est relativement abondant chez certains reptiles

et certains oiseaux). Ce n'est qu'au début des années 1990 que l'utilisation de marqueurs

spécifiques a permis de montrer que le nombre de cellules nerveuses nouvellement nées était

abondant. Les travaux d'Elisabeth Gould rapportent la naissance de nouveaux neurones dans

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Cognition & Motricité -7- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ l'hippocampe de rat. Ses conclusions, notamment dans la fin des années 1990, précisent le rôle

joué par l'environnement dans la formation (un environnement enrichi par des stimulations

diverses, un animal entraîné) ou le ralentissement de la formation (le stress, la dépression, un

environnement appauvri) de ces nouvelles cellules nerveuses. Cette neurogenèse a depuis été

décrite chez toutes les espèces de mammifères étudiées, dont l'homme, mettant en jeu des

zones cérébrales plus étendues qu'on pouvait le penser de prime abord (d'abord semble-t-il

localisé au niveau du bulbe olfactif et d'une partie de l'hippocampe), comme certaines régions du

cortex (néocortex) des primates. Or, nous savons le rôle essentiel joué par cette structure dans

les processus cognitifs les plus élaborés. Mais il semble également probable qu'on ne puisse pas

découvrir de neurogenèse dans toutes les régions cérébrales. Une récente étude sur le

néocortex des primates a mis en évidence des neurones nouveaux dans trois régions du cortex

associatif (les zones préfrontale, temporale inférieure et pariétale postérieure) ; en revanche,

malgré un examen attentif, il n'a été observé aucun renouvellement dans le cortex strié. Ce

résultat est particulièrement intéressant, car le cortex associatif joue un rôle important dans

les fonctions cognitives de haut niveau, alors que le cortex strié, également dénommé cortex V1

(pour aire visuelle primaire) intervient dans le traitement des informations d'origine visuelle.

Cette différence donne à penser que la neurogenèse pourrait jouer un rôle clé dans des fonctions

plastiques par essence, alors qu'elle serait sans objet pour des fonctions comme le traitement

des données sensorielles, qui sont en général stables tout au long de la vie. Cette idée cadre bien

avec ce que l'on sait de la neurogenèse dans le reste du cerveau."

"Les données expérimentales publiées en 1998 par Fred Gage (Institut Salk, La Jolla,

Californie) et Peter Eriksson (Université de Göteborg, Suède) ont confirmé l'existence de

cellules souches neuronales chez l'homme à partir de l'observation de tissus cérébraux prélevés

sur des patients décédés qui avaient reçu, dans le cadre d’un traitement anticancéreux, une

substance radioactive destinée à mesurer la vitesse de croissance des tumeurs. L’analyse de

l’hippocampe de ces sujets (zone cérébrale essentielle pour la mémoire et pour l’apprentissage) a

révélé la présence de neurones porteurs de ce marqueur, qui avaient donc été produits,

vraisemblablement par prolifération et différenciation de cellules souches, après l’administration

de la substance 82. Cette observation a pu être faite chez cinq personnes décédées entre 16 et

781 jours après l’injection du produit radioactif. " "Les travaux ont été repris sur les rongeurs à

la suite de cette découverte. Les recherches précédentes avaient révélé que de nouveaux

neurones apparaissaient tout au long de la vie des animaux dans l’hippocampe et dans les zones

cérébrales du système olfactif. Des cellules souches sont également présentes dans certaines

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Cognition & Motricité -8- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ zones du cerveau telles que le septum (qui participe aux émotions et à l’apprentissage), le

striatum (qui intervient dans les activités motrices de précision) et la moelle épinière. Toutefois,

dans les conditions normales, seules les cellules souches de l’hippocampe et du système olfactif

semblent produire de nouveaux neurones. "

Ceci énoncé, il semble à l'heure actuelle difficile d'affirmer que ce renouvellement constaté

puisse concerner tous les types de neurones. "Aujourd'hui encore, on ne sait pratiquement rien

de l'identité des nouveaux neurones corticaux, on ignore notamment s'ils appartiennent ou non à

un seul sous-type neuronal." Le développement embryonnaire se poursuit donc sous une forme

silencieuse chez l'adulte par la génération de nouvelles cellules souches qui vont migrer, se

différencier et s'insérer dans de nouveaux réseaux neuronaux, et ce jusqu'à la mort. De ce point

de vue, la question du vieillissement est sans doute à re poser. On pense en effet généralement

que ce dernier se caractérise par une perte de fonctions à partir d'un âge donné.

Même si ces questions demeurent l'objet de débats dans la communauté scientifique, ces

premiers résultats, démontrent que de nouveaux neurones peuvent naître, se développer dans

certaines parties du cerveau et établir des connexions fonctionnelles avec les différents réseaux

pré-existants. La neurogenèse pourrait ainsi nous fournir un certain nombre de réponses ou de

voies de recherche pour comprendre et peut-être prévenir et traiter différentes maladies

neurodégénératives comme par exemple la maladie d'Alzheimer. "Des expériences de

transplantation de cellules souches neuronales pour le traitement de la maladie de Parkinson et

d’autres affections neurologiques sont en cours, tant aux Etats-Unis qu’en France, sur des

modèles animaux.

CC-- DDéétteerrmmiinniissmmee ggéénnééttiiqquuee eett ééppiiggeennèèssee

Le développement du cerveau, son unité, s'effectuent sous le contrôle du patrimoine

génétique (on compte environ 30 000 gênes dans le génome humain, dont 15 000 sont de

fonctions supposées et 5 000 assez bien connues), celui-ci mettant au service de ce

développement un nombre élevé de combinaisons possibles (il faut rappeler de ce point de vue que

la construction du cerveau humain ne suit pas un programme particulier). Il est erroné d'affirmer

que le développement de la formidable complexité cérébrale répond à un déterminisme strict (ou

à un sur déterminisme) du génome. Cette prégnance du génome introduirait l'idée de l'existence

d'invariants au niveau comportemental. Cette notion est fondamentale car cela signifie que si l'on

accepte l'idée d'un sur déterminisme génétique, toute possibilité d'apprentissage semble a priori

exclue, le développement suivant alors de façon stricte le "programme" imposé par le génome du

sujet. De ce point de vue, comme le propose Changeux, "il paraît utile d'introduire le terme

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Cognition & Motricité -9- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ d'enveloppe génétique pour délimiter les caractères invariants soumis au strict déterminisme des

gênes et ceux qui font l'objet d'une importante variabilité phénotypique.". Ce déterminisme est

responsable des divers processus développementaux mis en jeu dans la maturation du système

nerveux (par exemple, le comportement du cône de croissance, la mise en place des connectivités,

l'existence d'activité spontanée dès les premiers stades de l'assemblage des circuits nerveux).

A partir d'un même génotype, des phénotypes différents pourront voir le jour en fonction des

expériences singulières des sujets. C'est le cas pour les vrais jumeaux, dits monozygotes

(provenant d'un seul et même ovule fécondé par un seul spermatozoïde). A partir d'un patrimoine

génétique supposé identique (les vrais jumeaux sont dits isogéniques), les variabilités

phénotypiques constatées ne devraient être dues qu'à des environnements différents. Un travail

récent (Bartley et al., 1997) montre que même les cerveaux de vrais jumeaux se révèlent être

différents. Ces auteurs ont montré que le volume du cerveau humain serait presque entièrement

déterminé par des facteurs génétiques alors que le dessin des circonvolutions cérébrales (ceci

laisse à penser que les populations cellulaires corticales, qui sous-tendent la forme de ces

circonvolutions, ne sont pas réparties de la même façon chez des sujets supposés génétiquement

identiques) dépendrait surtout des conditions environnementales. Ceci confirme l'idée selon

laquelle le système nerveux comporte une part d'individualisation qui n'est pas dictée par le

génome.

DD-- LLaa tthh ééoorriiee dduu ddéévveellooppppeemmeenntt dduu ssyyssttèèmmee nn eerrvveeuuxx ppaarr ééppiiggeenn èèssee

Un certain nombre d'auteurs ont proposé une théorie dite épigénétique du développement. Ce

terme n'est pas nouveau (il était déjà utilisé au dix-huitième siècle – en 1759 par C. F. Wolf),

bien que son acception ait changé depuis un siècle environ. La doctrine de l’épigenèse propose une

thèse selon laquelle la forme individuelle d’un être vivant n’est pas présente à la fécondation.

Cette forme n’apparaît que progressivement, et cette formation lente va durer tout au long de la

gestation, de l’incubation, de la métamorphose ou de la germination. Depuis un siècle, cette thèse

a été étendue à la neurogenèse postnatale, ainsi qu'à la psychogenèse. Cette thèse entre en

contradiction avec la doctrine de la préformation qui postule que la forme singulière, unique,

préexiste matériellement, bien qu’invisible, dans un germe. De ce point de vue, l’ontogenèse serait

ainsi un simple "agrandissement", l’ordre des parties restant invariant du germe à l’individu

achevé. L'épigenèse peut se définir, selon Changeux, comme un "mécanisme combinatoire ne

faisant plus intervenir de modification du matériel génétique, s'exerçant au niveau des

ensembles de cellules nerveuses. Il possède pour origine la topologie (c'est-à-dire la disposition

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Cognition & Motricité -10- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ géographique) du réseau des connexions qui s'établissent entre neurones au cours du

développement."

L’épigenèse propose l'idée selon laquelle l'organisme, confronté aux contraintes particulières

d'un environnement donné, mettrait en place, puis sélectionnerait et stabiliserait les connexions

qui sont effectivement sollicitées et mises en œuvre au cours du développement. Par exemple, le

développement de la vision, l'apprentissage et le développement dans l'acquisition de la langue

maternelle, procèdent de tels mécanismes. Ces derniers se placent dans le cadre d'une

conception interactionniste de l'individu avec son environnement (on retrouve cette perspective

dans les relations de l'enfant avec l'adulte ou d'autres enfants, les attitudes et conduites des

uns et des autres étant modulées, réorganisées en fonction des relations établies –échanges,

mimiques, etc.). Cette conception interactionniste a donné lieu à de nombreux travaux en

théories du développement et de l'apprentissage.

Ainsi, à l'échelon neurobiologique, les conditions de la synaptogenèse, c'est-à-dire de la

formation de synapses, de relations qui progressivement s'établissent entre les différentes

cellules nerveuses, ont montré qu'au cours du développement de la jonction neuromusculaire

s'opérerait une sélection et une stabilisation de l'un des contacts synaptiques établis, sur la base

de l'exercice fonctionnel de la transmission (une synapse devient fonctionnelle à partir du

moment où elle assure une transmission d’information entre neurone émetteur et neurone

récepteur, par l’intermédiaire d’une substance chimique, le neuromédiateur que sécrète le

neurone émetteur) : seule la terminaison la plus fréquemment sollicitée serait retenue, les autres

venant à disparaître. En clair, l'exercice plus ou moins fortuit du fonctionnement d'une structure

au cours du développement serait en pareil cas la condition de son maintien.

En bref résumé, comme le rappelle A. Prochianz (2000), plus nous sommes stimulés, plus nous

développons des constructions épigénétiques diversifiées. Ainsi, tous les individus, bien

qu'appartenant à une même espèce sont différents. L'usage et l'influence de l'environnement sur

tous les systèmes sensoriels de l'individu participe de façon déterminante à la construction de

ses fonctions et modifient pour chacun la construction de ses représentations au niveau du

système nerveux central. L'épigenèse peut être appréhendée comme un processus adaptatif se

poursuivant tout au long de l'existence.

EE-- LLaabbii ll iittéé eett ddééggéénnéérreesscceennccee ssyynnaappttiiqquueess

Cependant, les connexions nerveuses restantes vont se caractériser au cours de l'évolution du

système par leur labilité, c'est-à-dire une absence de stabilité et une possible dégénérescence

dues notamment à l'absence d'activité de ces éléments nerveux. Ceci a pu être montré lors

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Cognition & Motricité -11- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ d'expériences de section ou de destruction de trajets nerveux particuliers. Il se produit alors

des phénomènes de dégénérescence transneuronale ou transsynaptique, pouvant toucher

différents niveaux de contacts synaptiques, avec effet antérograde lorsque cette section suit le

trajet de fibres nerveuses afférentes, et rétrograde lorsqu'il s'agit de fibres nerveuses

efférentes. On peut évoquer alors un processus de propagation de cet effet de dégénérescence,

conduisant à une réorganisation de la structure initiale, une modification anatomique des cellules

concernées et la disparition à terme des cellules désormais inactives.

Il se produit donc au cours du développement, qui peut être perçu à juste titre, comme une

période de prolifération tous azimuts des connexions nerveuses, des phénomènes de régression.

La mort des cellules fait partie intégrante du développement du système nerveux. A la naissance,

chez le mammifère (le rat, l'homme) existe une sur-innervation d'un même territoire de fibres

musculaires, caractéristique d'une redondance du système. Ce redoublement des jonctions, cette

redondance transitoire va peu à peu s'éliminer par la disparition progressive d'un certain nombre

de terminaisons nerveuses actives. Ceci semble logique si l'on se réfère à la somme des

potentialités offertes par ce développement. Toutes en effet ne pourront être mises en jeu,

actualisées. Les cellules non sollicitées, c'est-à-dire non impliquées de façon fonctionnelle dans

un circuit donné, vont passer d'un état transitoirement stable à un état labile, puis finalement à

un état dégénéré. Le nombre de potentialités réellement exercées va diminuer avec la

maturation. C'est la sollicitation, l'exercice, la mise en relation qui va commander un processus de

stabilisation sélective d'une population particulière de cellules, éliminant ainsi peu à peu la

redondance. Ce qui ressort en définitive d'un tel modèle, c'est la capacité de la fonction à créer

peu à peu la structure à partir de données physiologiques qui pré-existent, procédant par le jeu

de combinatoires et d'éliminations successives, à la stabilisation de combinatoires ou de

connexions nouvelles, stables, fonctionnelles.

De nombreux travaux sont venus étayer cette thèse d'apprentissage par sélection synaptique,

de stabilisation fonctionnelle des connexions neuronales, et de régression. L'expérience de

privation sensorielle de Wiesel & Hubel (1963, 1965) a mis en œuvre une approche différente

afin de mettre en évidence ce processus de régression. Il faut ici préciser que ces expériences

ont porté sur des chatons, mais que la reproductibilité ou la généralisation des résultats obtenus

pour la vision doit être envisagée avec prudence, que ce soit au regard d'espèces différentes ou

au regard d'autres aspects (au niveau du système moteur par exemple).

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Cognition & Motricité -12- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________

FF-- PPllaassttiicciittéé dduu ssyyssttèèmmee nn eerrvveeuuxx eett ppéérriiooddeess ccrriittiiqquueess

Une possible démarche expérimentale utilisée pour mettre en évidence l'existence de

processus donnés procède par perturbation de l'exercice normal d'une fonction particulière d'un

sujet, de façon à tester les limites de fonctionnement du système sans compromettre

globalement l'exercice de cette fonction. Les réactions du système nerveux à ces manipulations

mettent à jour soit la difficulté ou l'impossibilité pour le système de faire face à cette

perturbation, de façon transitoire ou permanente, définitive, soit une certaine plasticité, c'est-

à-dire la capacité pour ce système de compenser, de réorganiser ou d'orienter son

développement en fonction des contraintes rencontrées. Une autre possibilité consiste en

réalisant des lésions (sections de nerfs par exemple). Hubel & Wiesel ont soumis de jeunes

chatons à des conditions de déprivation sensorielle par suturation unilatérale des paupières

réalisée au cours des six premières semaines de vie de l'animal. Ils ont constaté chez les sujets

non seulement un arrêt de la croissance, mais on noté également une importante diminution de la

taille des cellules neuronales au niveau du corps genouillé latéral, structure impliquée dans la

vision et recevant les projections de cet œil, ainsi qu'une diminution des afférences sensorielles

en direction des zones occipitales. Cette diminution se révèle moindre si l'occlusion est réalisée

simultanément sur les deux yeux. Ce déficit observé chez le chaton présente un caractère

réversible (plasticité) permettant la récupération des effets de la déprivation si la suturation

est interrompue au bout de trois semaines. Il existerait donc une période de sensibilité critique

au cours de laquelle les atteintes sont partiellement réversibles, surtout si les conditions

normales sont rétablies avant la fin de cette période. Il faut noter, dans le prolongement de tels

travaux, que la privation de lumière, c'est-à-dire la mise en place de l'absence de stimulation

électrique du nerf optique, à une période critique de 4 semaines à 3 mois après la naissance,

provoque une lésion irréversible des voies optiques et entraîne la cécité définitive de cet œil

chez le sujet adulte.

On sait par ailleurs qu'il existe une différence de plasticité, de capacité à se modifier en

réponse à des perturbations de l'environnement, entre le cerveau d'un enfant et celui d'un

adulte, considéré comme anatomiquement stable. Les facultés de récupération après lésion sont

beaucoup plus importantes chez le premier que chez le second. Cette différence - qualitative en

apparence - de plasticité entre le cerveau en développement et le cerveau adulte a été introduite

dans les théories sur le fonctionnement du cerveau. Cependant, la neurogenèse à l'âge adulte

modifie la manière dont il faut envisager le fonctionnement normal du cerveau. Depuis quelques

années, on observe de plus en plus de signes de plasticité anatomique du cerveau adulte, à

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Cognition & Motricité -13- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ plusieurs niveaux, et notamment en ce qui concerne la forme et le nombre des synapses. Au jeu

des hypothèses, on peut se risquer à envisager deux aspects non contradictoires, mais bien

plutôt complémentaires, qui permettraient à la fois aux tenants d'un cerveau stable, sans

modification anatomique, et aux autres protagonistes, prenant en compte les données actuelles, à

savoir le fait désormais avéré que certains neurones de régions importantes dans les processus

d'apprentissage se renouvellent continuellement (ce qui constitue une modification anatomique

relativement importante) de tomber d'accord. L'idée serait d'imaginer un modèle à la fois plus

complexe et plus souple mettant en jeu un système de relations et d'échanges au sein de

certaines structures entre des populations neuronales où se produisent des phénomènes

neurogéniques et des populations de neurones réputées stables. Ceci n'entrerait pas en

contradiction avec les théories fondées sur la nécessaire stabilité du cerveau afin que les

pensées et les souvenirs, inscrits dans un processus de mémoire à long terme, puissent se

conserver tout au long de l'existence. Si le cerveau est capable de mémoire à long et parfois très

long terme, il est également capable d'occulter un certain nombre d'informations ou de procéder

à, sans que l'on sache trop comment ces processus se déroulent, l'élimination ou l'effacement

d'autres informations non utilisées. Il est intéressant de rappeler que l'une des fonctions

attribuées à l'hippocampe serait celle de transformer les souvenirs à court terme en souvenirs à

long terme. Dans cette perspective, il est possible que les neurones à longue durée de vie, peu

plastiques, soient essentiels pour la mémoire à long terme, ainsi que pour des fonctions sensitives

et motrices qui n'ont pas besoin de changer beaucoup à l'âge adulte, alors que la neurogenèse

pourrait mettre en jeu de nouvelles populations de neurones intervenant dans les processus

rapides d'apprentissage et de mémoire à court terme.

La notion de plasticité que nous avons évoquée précédemment sous-tend un certain nombre de

processus qui ont été traités l'an passé, processus faisant appel aux notions d'équipotentialité,

d'équivalence motrice, de vicariance, de substitution, de réorganisation fonctionnelle, de

flexibilité fonctionnelle. Cette plasticité dépend d'un certain nombre de facteurs. L'âge du qujet

(animal ou humain) semble représenter le facteur déterminant, ainsi que les modalités et la

localisation de la lésion (les effets seront différents si la lésion porte sur des systèmes dits

d'association, mettant en jeu différentes structures) ou sur des systèmes somato-sensoriels

primaires (moindre plasticité dans ce cas).

Il faut également mentionner l'importance prise, dans l'étude des influences épigénétiques,

par la méthode de l'élevage différentiel. Celui-ci consiste en la comparaison entre le

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Cognition & Motricité -14- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ développement d'animaux témoins élevés en milieu conventionnel ou standard et celui d'animaux

expérimentaux placés, à une phase donnée de leur développement postnatal, soit en milieu

appauvri (par exemple, pour l'étude de rats (Rosenzweig et al., 1972) une petite cage au lieu

d'une grande en situation dite enrichie, un flux de simulations restreint), soit en milieu enrichi

(flux de stimulations accru, possibilités d'exercice et de jeu plus diversifiées).

Un environnement amélioré favorise mieux qu'un petite cage la neurogenèse dans le gyrus denté de

l'hippocampe. Certains neurobiologistes cherchent quelles caractéristiques de l'environnement ont le plus

d'effets sur la neurogenèse. La comparaison de la neurogenèse chez des souris élevées dans des cages

normales (milieu)et des cages pourvues d'une roue (à gauche) montre que l'utilisation intensive de cette

roue favoriserait la neurogenèse. Source Pour la Science, 2001.

De façon générale, l'enrichissement du milieu révèle un cerveau significativement plus lourd

(correspondant à une multiplication de certaines cellules dites gliales ou de soutien -

"l'intendance" des neurones -, à une augmentation de taille des neurones avec notamment une

arborisation dendritique plus dense) et entraîne un développement plus rapide et plus achevé, y

compris au plan du comportement ; l'appauvrissement se traduit par un ralentissement dans le

développement des potentialités comportementales. Ce fait a surtout été vérifié à de

nombreuses reprises chez le rat et la souris, encore immatures au plan nerveux à la naissance. En

même temps, la maturation nerveuse est tributaire aussi du flux de stimulations sensorielles et

sociales. Le rôle de ces facteurs d'enrichissement, passant très vraisemblablement par

l'exercice actif des fonctions sensori-motrices, met en jeu de la manipulation, du jeu. Chez les

mammifères, le rôle fonctionnel du jeu semble indéniable, non seulement pour l'accomplissement

de conduites caractéristiques de l'espèce, mais également pour confirmer et stabiliser le

potentiel de flexibilité comportementale du sujet. L'enfant par exemple existe par le jeu, il ne

joue pas pour apprendre, mais il apprend parce qu'il joue.

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Cognition & Motricité -15- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________

On peut donc, d'une façon générale, conclure à l'existence d'un déficit cognitif permanent

consécutif aux privations ou à l'absence de stimulations de tous ordres dans les premiers mois de

la vie. Ceci énoncé, la période des nécessaires stimulations ne se limite pas aux premiers mois de

l'existence, elle se prolonge tant que la plasticité nerveuse peut encore être sollicitée.

IIII-- CCoonnnnaaiissssaanncc ee dduu cceerrvveeaauu

UUnn ppeeuu dd''hhiissttooiirree

Ce dessin anonyme du 15esiècle illustre les

théories précartésiennes du cerveau, basées sur les

idées d'Aristote (384-322 av J.C) Les sens du goût

et du toucher sont connecté&s au cœur et les

petites boîtes dans la tête représentent les

"cellules cérébrales" dans lesquelles sont localisées

des facultés mentales telles que la mémoire et

l'imagination.

Comme nous l'avons précisé en introduction à notre cours, le cerveau joue un rôle tout à fait

central et essentiel dans le déroulement et l'exercice des différentes fonctions quotidiennes

favorisant l'adaptation de l'individu à son environnement. Le cerveau est relation au monde, il

donne du sens à ce que nous vivons. il se développe en agissant. Quelles que soient les différentes

activités envisagées, les différents sentiments, sensations, activités cognitives, nous le

sollicitons nécessairement. La recherche d'une connaissance approfondie de cet organe n'est pas

une préoccupation récente, nous le savons. "La première mention relative au fonctionnement du

cerveau dans un texte historique remonte au XVIIème siècle avant notre ère : un papyrus égyptien

décrit les symptômes de deux blessés présentant des fractures du crâne et met en relation les

signes observés avec des lésions cérébrales. 1200 ans plus tard, Hippocrate (466-377) affirmait

: "Les hommes doivent savoir que du cerveau et du cerveau seulement naissent nos plaisirs, nos

joies, nos rires et plaisanteries aussi bien que nos peines, nos douleurs, nos chagrins et nos

larmes...". Puis suivit une très longue période d'apparente absence d'intérêt pour ce sujet. Au

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Cognition & Motricité -16- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ XVIème siècle, Descartes (1596-1660) commença en quelque sorte à poser la question de la

relation entre le corps (le cerveau) qui seul est une machine, et l'esprit (ou l'âme), en émettant

l'hypothèse que l'un puisse affecter l'autre et réciproquement. Il posait également d'une

certaine façon le problème des localisations en pensant par exemple que la glande pinéale

(l'épiphyse) était le "siège de l’âme".

Organisation du SN d'après Descartes. Ce

schéma a été publié en 1662. Les nerfs issus des

yeux projettent vers les ventricules cérébraux.

L'esprit influence la commande motrice au travers

de la glande pinéale (H) qui sert de valve pour

contrôler les déplacements de l'esprit animal qui

gonfle les muscles par les nerfs.

Sources Neurosciences A la découverte du

cerveau M. F. Bear, B.W. Connors & M.C. Paradisio.

Editions Pradel, 2002.

AA))-- UUnnee aapppprroocchhee iinnttuuiittiivvee

Au XIXème siècle, le problème de la relation entre le corps et l'esprit prit une importance

accrue, avec toujours comme corollaire, notamment par les travaux de l’anatomiste allemand

Franz Joseph Gall (1758-1828), la question de la localisation des fonctions cérébrales (existe -t-il

une correspondance stricte, linéaire, directe, entre l'organe ou la région précise et particulière

du cerveau et la fonction ?).

Selon ce médecin, le cortex était l’organe assurant les

fonctions mentales et morales, ces fonctions étant

localisées en des endroits précis des circonvolutions

cérébrales, imprimant même une marque sur la zone de la

boîte crânienne située en regard (cf. infra). En 1807, il

donne à Paris un cours public consacré aux "facultés

morales et intellectuelles" de l'homme. En collaboration

avec son élève Spurzheim (1776-1832) (auquel certains

auteurs attribuent la paternité du terme phrénologie en

1810), il développe ses théories relatives à la localisation

Franz Joseph Gall (1758-1828)

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Cognition & Motricité -17- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ cérébrale des facultés mentales (en fait, de leur substrat organique). Deux ouvrages en

attestent : (F. J. Gall and J. C. Spurzheim. Anatomie et physiologie du système nerveux en

général et du cerveau en particulier; avec des observations sur la possibilité de reconnaître

plusieurs dispositions intellectuelles et morales de l'homme et des animaux par la configuration

de leur tête, Paris, F. Schoell, 1810-1819. - F. J. Gall. Sur les fonctions du cerveau et sur celles

de chacune de ses parties, avec des observations sur la possibilité de reconnoitre les instincs, les

penchans, les talens, ou les dispositions morales et intellectuelles des hommes et des animaux,

par la configuration de leur cerveau et de leur tête, J. B. Ballière, 1822-1825).

Gall est un partisan de la psychologie des facultés. Selon lui, elles existent dans l'esprit en

grand nombre. Il en retient 27 ou "forces fondamentales, penchants et sentiments", comme

l'amour de la progéniture (ou comportement maternel), de la gloire, de l’autorité, l’aptitude au vol

la dévotion, le goût pour les rixes et les combats (ou agressivité), l'instinct de propagation (ou

sexuel), l'intelligence, la localisation spatiale, la mémoire, la perception, le sens des mots, etc.

Si Gall assigne à chacune de ces facultés une localisation cérébrale particulière, il semble que

cette intuition puisse être rapportée à une idée singulière, émise quelques années auparavant,

lors de ses études. Se trouvant à l'époque surclassé par des camarades retenant leurs leçons par

cœur, il écrivait alors : "Quelques années après je changeai de séjour, et j’eus le malheur de

rencontrer encore des individus doués d’une aussi grande facilité d’apprendre par coeur. C’est

alors que je remarquai que tous ressemblaient à mes anciens rivaux par des grands yeux saillants.

Deux ans plus tard, j’allai à l’université ; mon attention se fixa d’abord sur ceux de mes nouveaux

condisciples qui avaient les yeux gros, saillants, à fleur de tête. On me vanta généralement leur

excellente mémoire, et, quoiqu’ils ne fussent pas sous beaucoup de rapports les premiers, tous

l’emportaient cependant sur moi lorsqu’il s’agissait d’apprendre promptement par coeur, et de

réciter de longs passages avec exactitude. Cette même observation m’ayant été confirmée par

les étudiants des autres classes, je dus naturellement m’attendre à trouver une grande facilité

d’apprendre par coeur chez tous ceux en qui je remarquerais de grands yeux saillants. Je ne

pouvais pas croire que la réunion des deux circonstances qui m’avaient frappé dans ces diverses

occasions, fût uniquement l’effet du hasard. Après m’en être assuré davantage, je commençai à

soupçonner qu’il devait exister une connexion entre cette conformation des yeux et la facilité

d’apprendre par cœur".

Il semblait alors logique à Gall que cette observation puisse s'appliquer à toutes les autres

facultés intellectuelles. Il entreprit alors l’observation de la conformation crânienne de tout

individu présentant une faculté particulièrement développée, palper le crâne revenant en quelque

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Cognition & Motricité -18- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ sorte pour lui à examiner le cortex. Il dresse une cartographie des "protubérances" (chaque

région exercerait une pression sur la partie du crâne qui lui correspond ce qui donnerait lieu à

des proéminences osseuses, des protubérances, des bosses) et met au point une méthode

d'évaluation diagnostique ou prédictive par palpation du crâne (la mise en évidence de ces bosses

permettant de procéder à un inventaire de ses facultés). Ainsi après la craniologie naît la

phrénologie selon laquelle les protubérances et les dépressions du crâne reflètent les facultés

mentales de l'individu.

Cartographie proposée par Gall

Ce terme provient des mots grecs phrénos, esprit, et

logos, discours (elle a été liée à la physiognomonie, terme

provenant des mots venant des mots grecs signifiant

nature et interprétation, tentative de comprendre l'esprit

et la personnalité en évaluant divers traits faciaux comme

le nez, les yeux, le menton et la forme des pommettes;

bref, juger les personnes d’après leurs visages). Gall a

palpé, touché, évalué puis collectionné les crânes d’hommes

célèbres (Napoléon 1er par exemple qui lui reprocha

d'attribuer à des " bosses " des " penchants et des crimes

" qui ne viennent que de la société), de malades mentaux,

de criminels (Lacenaire).

Sa théorie localisationniste a déclenché bien des passions et des polémiques, a été très

controversée (certains médecins comme P. Flourens développant des thèses opposées, dites

holistiques ou globales, selon lesquelles les fonctions du cerveau ne sont pas basées sur des

localisations anatomiques précises, sur des régions spécifiques. implications théologiques).

Convaincu par les travaux de Gall, Broussais fonda à son tour en 1832 la Société Parisienne de

Phrénologie Comptant environ deux cents membres dont des médecins, des politiques, des

artistes, des hommes de lettres et des juristes, elle bien connut une durée de vie bien limitée.

Cependant, si la phrénologie présente des aspects naïfs et réducteurs, elle n'en constitue pas

moins l'origine des recherches actuelles menées sur les fonctions du cortex cérébral. Gall, grand

anatomiste, a par ailleurs notamment montré que le cerveau est constitué de substance grise

(contenant les corps cellulaires des neurones) et de substance blanche, constituée de leurs

prolongements (les axones ou fibres nerveuses); est formée de fibres entourées de myéline. ".

Paradoxalement, cette idée fausse qu'est la phrénologie perdure encore de nos jours d'une

certaine façon au travers de certaines expressions familières ou quotidiennes (avoir la bosse des

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Cognition & Motricité -19- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ maths) ou de l'utilisation explicite ou non au quotidien d'une certaine morphopsychologie. Le

danger de l'utilisation déformée d'une telle approche peut rapidement conduire à des dérives

racistes ou eugéniques. "La Phrénologie ... admettait que le front bien développé de l'homme

civilisé était la preuve de son intellectualisme, en comparaison avec le front fuyant de nos

premiers ancêtres. Au contraire, le sur développement de la base du crâne était la marque de

l'homme primitif, indiquant un fort instinct. Une haute, et large tête révélait une capacité plus

grande aux sentiments qu'une basse3" (Gibson et Gibson, 1964 p.304).

BB))-- AApppprroocchhee eexxppéérriimmeenn ttaallee

Les thèses anti localisationniste s défendues par Flourens (les thèses de Gall présentaient des

conséquences théologiques, c'est pourquoi Flourens avait l'accord de l'église car ses thèses

personnelles étaient en faveur de l'unité de l'âme) semblent en ces débuts de XIXème prévaloir

au sein de la communauté scientifique. Cependant, dès 1825, J-B. Bouillaud, neurologue passionné

par les travaux de Gall, tenta de montrer que la proposition de celui-ci de localiser la "mémoire

verbale" ou langage dans les lobes frontaux était fondée (en fait, selon Gall, toutes les facultés

intellectuelles étaient selon lui localisées dans les lobes frontaux alors que les lobes postérieurs

contenaient toutes les facultés plus primitives liées à l'instinct. Le pas était ensuite facilement

franchi de postuler que plus les lobes frontaux d'un individu étaient développés, plus grande

était son intelligence). Pendant une quarantaine d'années, Bouillaud décrivit plus d'une centaine

de cas de lésions cérébrales chez l'homme afin de démontrer le lien entre les lésions du lobe

frontal et la perte de la parole. Mais ses travaux ne convainquirent qu'une minorité de médecins.

"De la même façon, dès 1836, un certain M. Dax avait présenté devant la Société Médicale de

Montpellier un court mémoire dans lequel il rapportait que, sur plus de quarante patients

aphasiques, il n'avait pas trouvé un seul cas d'altération de l'hémisphère droit. Il en concluait que

chaque moitié du cerveau contrôle des fonctions différentes et que le langage devait être sous la

dépendance de l'hémisphère gauche. Ce mémoire ne suscita à l'époque aucun intérêt."

En 1861, cherchant à vérifier la thèse de Bouillaud, le Dr P. Broca apporta la confirmation

partielle des hypothèses de Gall et de Bouillaud, grâce à l’étude anatomique post-mortem de

certains patients (en pratiquant l'autopsie de M. Leborgne, patient lui ayant été présenté 6 jours

avant son décès). Ce premier patient est connu sous le nom de "Tan tan", le seul mot qu'il put

prononcer. Son autopsie révéla une lésion des lobes frontaux du cerveau, lésion vasculaire située

dans la troisième circonvolution frontale de l'hémisphère gauche. Tan tan souffrait d'aphasie

(aphémie à l'époque), considérée alors comme une maladie mentale. Bien que l'appareil phonatoire

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Cognition & Motricité -20- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ de ce patient soit intact (ni sa langue ni ses lèvres n'étaient paralysées), il lui était impossible

d'articuler, de prononcer les mots alors qu'il semblait comprendre ce qu'on lui disait.

Paul Broca (1824-1880)

Le cerveau de M. Leborgne (Tan tan) est conservé au

musée Dupuytren (Paris).

"Six mois plus tard, un deuxième cas d'aphasie suivit celui de Tan tan, celui de M. Lélong. A

nouveau, l'autopsie révéla une lésion située à la hauteur des circonvolutions postérieures des

lobes frontaux, et en particulier dans la troisième circonvolution frontale. Les deux cas cités ne

suffirent pas à réorienter l'opinion scientifique et médicale en faveur de la théorie localisatrice ;

ils représentèrent toutefois un premier pas, capital ; rapidement suivi par de nombreux autres

cas de provenances diverses, qui étaient en tout état de cause susceptibles de conforter la thèse

relative à un lien entre la perte de la capacité de parler (avec maintien de la compréhension du

langage) et une lésion de la troisième circonvolution du lobe frontal du cerveau."

Aires de Broca et de Wernicke Sources

Neurosciences A la découverte du cerveau M. F.

Bear, B.W. Connors & M.C. Paradisio. Editions

Pradel, 2002.

La découverte de cette zone particulière nécessaire au langage (Broca parlait de "la faculté

du langage articulé"), appelée depuis l'aire de Broca (aire 44 de Brodman), a permis d'apporter

expérimentalement la preuve de l'existence d'un lien entre le langage (bien articulé, fluent) et

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Cognition & Motricité -21- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ une région particulière du cortex (la partie postérieure de la circonvolution frontale inférieure

de l'hémisphère gauche). Ceci a été confirmé par les travaux de Wernicke sur les aphasies (lobe

temporal gauche, zone dite de Wernicke : le discours est rapide et parfois logorrhéique, avec des

paraphrasies, un mot pour un autre, une absence d'écoute de son discours par le sujet), et

actuellement a été confirmé par les techniques d'imagerie médicale.

A la suite de ces différents travaux, d'autres expérimentations ont permis de mettre en

évidence l'existence de plus en plus de régions spécialisées dans des fonctions sensorielles ou

motrices. Dans les années 50, les travaux du neurochirurgien canadien W. Penfield et des ses

collaborateurs ont montré, grâce à la stimulation électrique systématique sur des cerveaux

d'épileptiques en état de veille avant l'intervention chirurgicale (expériences indolores étant

donné l'insensibilité du cerveau à la douleur), "que chaque muscle est commandé par une région

précise du cortex frontal et que chaque modalité sensorielle dépend également de zones

corticales précises.

Homonculus : du latin homo (homme) et culus" , qui en bas latin diminue en quelque sorte le sens du mot

auquel il s'attache. On pourrait ainsi traduire homonculus par petit homme. Proposé par Wilder Penfield et

Théodore Rasmussen en 1950 (Unité de Neurophysiologie du Royal Victoria Hospital de Montréal).

Les cartes somato sensorielles du cortex pariétal élaborent une cartographie, une représentation

somatotopique du corps en fonction de l'importance fonctionnelle relative et de la sensibilité sensorielle

(c'est-à-dire en rapport avec la densité en récepteurs de la zone correspondante) de chacun des organes

représentés. Par exemple, la bouche et la main occupent une place très importante dans cette

représentation.

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Cognition & Motricité -22- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________

"Les enquêtes de Penfield en salle opératoire aboutirent à l'élaboration de ses célèbres

homunculi moteurs et sensoriels : ces dessins stylisés mettaient en évidence les différentes

parties de la superficie corporelle, sans refléter leurs dimensions effectives, mais l'importance

de leur représentation corticale ; celle-ci reflétait à son tour l'importance relative de ces

différentes parties dans les activités sensorimotrices quotidiennes. Ainsi, dans l'homunculus

moteur, le pouce et les doigts de la main atteignent une taille énorme et grotesque, tandis que ce

sont les lèvres et la langue dans l'homunculus sensoriel ; alors que dans les deux dessins, la

structure de l'oreille et les genoux sont relativement petits."

"Cette première carte précise du cortex cérébral montrait que Elle montrait aussi que la

quantité de tissu nerveux commandant un muscle était proportionnelle non pas au volume du

muscle mais à la finesse des mouvements dont il est capable : ainsi, le volume de cerveau

commandant les mouvements du pouce est plus grand que celui commandant les mouvements de la

jambe, du tronc et du bras réunis. De même, la zone recevant les sensations en provenance des

lèvres est-elle plus étendue que celles recevant les sensations en provenance de la peau des

jambes et des bras."

CC))-- IImmaaggeerriiee ccéérréébb rraallee

Une découverte fortuite : le lien entre flux sanguin et l'activité cérébrale.

Appareil utilisé par Mosso pour enregistrer les

pulsations du cerveau. Source L'esprit en images

Posner & Raichle, 1998

L'histoire dit que ce lien a été découvert

pour la première fois par le physiologiste

italien Angelo Mosso, à la fin du 19e, lors

d'études des pulsations du cerveau humain. Il

remarqua chez l'un de ses sujets une brusque

augmentation de l'intensité des pulsations au

niveau des lobes frontaux lors de la survenue

d'un événement particulier (carillon d'une

horloge sonnant midi, soit l'heure de la

prière). En questionnant son sujet pour

vérifier cette hypothèse, il constata une

nouvelle augmentation des pulsations

cérébrales (sans aucune modification dans les

deux cas du rythme cardiaque ou de la

pression sanguine). Cette augmentation des

pulsations se produisit à nouveau chez le sujet lors de la réalisation de calculs mathématiques

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Cognition & Motricité -23- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ simples et lors de l'énoncé de la réponse

.

Les enregistrements de Mosso pris à l'avant-

bras (A) et au cerveau (C) présentent des

pulsations cérébrales plus élevées à la suite de la

stimulation cérébrale par les événements marqués

par la flèche. Source L'esprit en images Posner &

Raichle, 1998

A la suite de cette expérience princeps, les expérimentations menées en 1890 par C. Roy et C.

Sherrington au laboratoire de pathologie de l'Université de Cambridge leur permirent, à la suite

d'expérimentations animales, de formuler dans cet ordre d'idées l'hypothèse de l'existence d'un

"mécanisme automatique" régulant l'apport sanguin au niveau du cerveau, afin de pouvoir

s'adapter à des variations locales d'activité cérébrale. Cette influence de la variation de

l'activité cérébrale sur le flux sanguin, se traduisant notamment par une augmentation de celui-

ci, fut également vérifiée plus tard (entre 1926 et 1928) par les travaux menés par le Dr J.

Fulton à l'hôpital Peter Bent Brigham de Boston sur l'un de ses patients, Walter K., un marin

américano-allemand âgé de 26 ans. Ce dernier avait souffert pendant longtemps de maux de tête

et perdait progressivement la vision à la suite d'une malformation congénitale des vaisseaux

sanguins (artérioveineuse) nourrissant son cortex visuel. "Contrairement au flux sanguin circulant

dans les vaisseaux, habituellement calme et silencieux, le flux sanguin passant dans ces vaisseaux

anormaux était agité et provoquait à chaque battement du cœur une sorte de son brusque,

comme le bruit provoqué par une pompe à vélo. Le patient pouvait entendre ce son, ainsi que le

médecin (stéthoscope) à travers un défaut du crâne. Dès que le patient ouvrait les yeux, le son

augmentait, particulièrement lors de la lecture d'un journal." On avait donc là à nouveau une

preuve patente d'un lien étroit existant entre activité cérébrale et flux sanguin. Il était alors

possible de nourrir l'espoir de rendre compte de l'activité cérébrale par des méthodes non-

invasives, non traumatisantes ou à risque ou enfin non post-mortem. Par ailleurs, les modifications

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Cognition & Motricité -24- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ de l'activité cérébrale, électrique ou chimique, ne sont pas observables d'un simple point de vue

anatomique. L'idée était de passer d'une imagerie anatomique descriptive à une imagerie

anatomique fonctionnelle.

Crâne de Walter K. La flèche montre le défaut

chirurgical à l'arrière de la tête de Walter K., là où

le bruit pouvait être entendu. Source L'esprit en

images Posner & Raichle, 1998

Les enregistrements du crâne de Walter K

présentent peu d'activité lorsque ses yeux sont

fermés (tracé supérieur) mais bien plus lorsqu'il est

en train de lire (les deux tracés inférieurs). Source

L'esprit en images Posner & Raichle, 1998

La prise en compte des hypothèses et conclusions des travaux cités supra dans le domaine de

l'hémodynamique, ainsi que les progrès technologiques dans les domaines de la détection de

rayonnements et de l'informatique, ont permis dans la deuxième partie du XXème siècle (les

années 1970, avec l'invention du scanner) de développer de nouveaux moyens d'investigation,

essentiellement par les techniques d'imagerie cérébrale, permettant de détecter localement des

modifications dans le débit sanguin cérébral. Ces avancées représentent un progrès majeur dans

l’histoire de la biologie, des neurosciences. Grâce à l’imagerie cérébrale, il devient désormais

possible de voir en temps réel et avec une grande précision le cerveau en action, de comprendre

par exemple les mécanismes de la pensée, du calcul, les aires nécessaires à ces opérations ou à

d'autres comme la mémoire, la vision, etc. En effet, comme le rappelle B. Mazoyer (2003), "une

fonction cognitive est en effet une séquence temporelle d'activités neuronales, électriques et

neurochimiques, distribuées en réseau, et engendrant des variations locales à la fois du champ

électromagnétique, du métabolisme énergétique et du débit sanguin cérébral (DSC). Les

modifications locales du champ électromagnétique sont directement observables à la milliseconde

près, "en temps réel ", à la surface du scalp (MEG). L'observation des événements

neurochimiques, métaboliques et hémodynamiques nécessitent le recours à un marqueur de ces

événements dont la concentration en chaque endroit du cerveau doit être détectable de

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Cognition & Motricité -25- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ l'extérieur.

Ces différentes techniques, dites de neuro-imagerie cognitive, sont la tomographie par

émission de positons (TEP), l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMF) et la

magnéto-électro-encéphalographie (MEG). L'électroencéphalographie (EEG), dont les premières

expérimentations ont été réalisées chez l'homme dès les années 1930, permet pour sa part de

rendre compte des patrons d'activité neuronale.

En effet, à tout moment, le cerveau nécessite une grande concentration d'énergie dans les

zones d'intense activité. D'où une augmentation importante du flux sanguin cérébral dans ces

zones actives. Il est alors possible d'observer une image de l'activité cérébrale en mesurant le

flux sanguin à l'aide d'un marqueur radioactif injecté dans le sang. On peut ainsi demander à un

sujet d'exécuter une tâche cogniti ve pendant une durée donnée (40s) – lire un mot précis

désignant un objet et de penser à l'usage de cet objet. On note alors la correspondance entre

l'activité cognitive et les concentrations du flux sanguin. Les TEP scans peuvent être mesurés

pour l'étude de processus cognitifs comme l'attention, les images mentales ,la lecture. Le

principe général est simple : lors de leur activation, les neurones nécessitent plus d'oxygène et

de glucose (demande alimentaire plus élevée en quelque sorte). La vascularisation cérébrale

répond à cette demande en augmentant localement les flux sanguins porteurs de ces nutriments

essentiels (vitaux) pour les neurones. Ainsi, les changements de débit sanguin détectés par le

TEP-scan ou l'IRMf révèlent les régions du cerveau qui sont les plus actives dans des

circonstances particulières et bien standardisées.

Les avantages procurés par ces méthodes ont ainsi permis aux scientifiques de pénétrer pour

la première fois les mystères du cerveau humain. Cela représente des moyens d'investigation

formidables pour résoudre les bases des fonctions cérébrales et en particulier des processus

cognitifs.

cc11 ))-- LLaa ttoommooggrraapphhiiee ppaarr éémmii ssssiioonn ddee ppoossiittoonn ss

L'objectif de cette méthode est de produire une image

tridimensionnelle de la coupe d'un organe (en l'occurrence le

cerveau). Le patient est placé sur une table qui se déplace

dans le sens longitudinal à l'intérieur d'un court anneau;

contenant un tube à rayons X qui génère un faisceau d'un

épaisseur de 1 à 10 mm qui va tourner autour de la tête du

patient dans le plan de la coupe désirée, en 0.5 à 1 seconde.

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Cognition & Motricité -26- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________

Chaque tour, permettant de recueillir les données sous différents angles produit une

"tranche", une image d’une coupe transversale de l’organe En face du tube sont disposés des

milliers de détecteurs qui vont mesurer l'intensité résiduelle du faisceau qui a traversé le corps.

Puis ces données sont traitées par ordinateur et analysées à l'aide d'un algorithme de

traitement. Après plusieurs tours, l’ordinateur devient en mesure d’additionner les tranches pour

créer une image tridimensionnelle de l’organe scanné. Le CT scan permet d'obtenir des mages

présentant un degré élevé de résolution par rapport aux rayons X classiques et peut donc déceler

des tumeurs ou des lésions à un stade plus précoce.

Image d'un scanner (source :

www.lecerveau.mcgill.ca)

La tomographie (tomographie est dérivé du mot grec

qui signifie couper) assistée par ordinateur (Computed

Tomography ou CT scan) a été mise au point par Godfrey

Housfield et Allan Cormack (prix Nobel pour cela en

1979), inventeurs du scanner en 1972. Elle se fonde sur

l'idée que certains rayonnements électromagnétiques,

comme les rayons X, traversent le corps et sont

absorbés par des tissus radio-opaques. Le scanner

utilise cette propriété des rayons X d'être absorbés de

façon différente suivant les régions traversées pour

mesurer des densités dans une tranche du corps (coupe

axiale ou transverse).

Pour la TEP ou tomographie par

émission de positons (l'acronyme

anglophone ou PET-scan pour Positon

Emission Tomography est aussi

utilisé), le principe de base, simple,

est fondé sur l'émission radioactive

de positons (ou positrons, on

rencontre les 2 termes). L'émission

de positons est de la radioactivité

dite artificielle, obtenue en

fabriquant à l'aide d'un accélérateur

de particules (cyclotron par exemple) des noyaux présentant des protons en excès. On injecte

par voie intraveineuse au sujet placé dans la machine une solution (de l'eau par exemple dans le

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Cognition & Motricité -27- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ cas du 15O) contenant un traceur radiooactif (traceur car injecté à faible dose pour ne pas

perturber le processus biochimique), un atome émettant des positons (e+). Au bout d'une minute,

l'eau radioactive mêlée à la circulation sanguine s'accumule dans le cerveau proportionnellement

au flux sanguin régional. Plus ce flux est important, plus nombreux sont les événements

enregistrés. Puis on procède à la mesure du rayonnement de ce traceur sur des capteurs

externes (détecteurs de radiation). Il existe différents traceurs comme le 15O (pour la

perfusion, le débit sanguin), le 18F-deoxyglucose ou FDG (pour le métabolisme du glucose), le 18F-

dopa (pour la synthèse de la dopamine). Ce traceur radioactif est un isotope (l'isotope d'un

élément est un atome possédant le même nombre de protons mais pas de neutrons. Un isotope

très connu est le carbone 14, isotope du carbone 12. Par exemple, l'oxygène 16O, oxygène stable

et non radioactif que nous respirons possède 8 protons et 8 neutrons tandis que son isotope le 15O possède 8 protons mais seulement 7 neutrons. Pour les isotopes d'un même élément, le

nombre d'électrons de chaque atome reste le même (donc leurs propriétés chimiques également)

ainsi que le nombre de protons tandis que le nombre de neutrons varie (la masse atomique est

donc différente). Cette modification de la proportion de neutrons dans le noyau, cette déficience

du noyau en neutrons peut rendre l'atome instable, rendant certains isotopes radioactifs,

chargés positivement.

TEP pour expérimentation animale TEP pour expérimentation humaine

Le taux de radioactivité produit par l'15O diminue rapidement, la moitié de la radioactivité

administrée disparaît au bout de deux minutes environ (123 s), elle a pratiquement disparu

totalement au bout de 10 mn, ce qui permet de ne pas exposer les sujets aux effets

potentiellement nocifs des radiations ionisantes et de pouvoir répéter les mesures de flux

sanguin plusieurs fois au cours d'une même expérience.

Lors de sa désintégration radioactive le traceur émet un positon qui va se déplacer

brièvement dans la matière (1 à 3 millimètres), perdant peu à peu son énergie cinétique jusqu'à sa

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Cognition & Motricité -28- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ rencontre (attraction par la charge négative) avec son antiparticule (ou son antimatière),

l'électron. L'antimatière est une notion difficile à imaginer ou à se représenter. C'est le

théoricien P.A.M. Dirac qui développa en 1928 une théorie selon laquelle, lorsque de la matière

est créée, une quantité égale d'antimatière, dotée des propriétés exactement opposées, doit

être crée en même temps. La plupart des antiparticules, comme l'antiproton et l'antineutron,

n'existent pas à l'état naturel sur notre planète. L'antimatière est indispensable à certaines

applications médicales pour lesquelles il est nécessaire d'employer des isotopes radioactifs. Un

accélérateur de particules est nécessaire pour produire ces isotopes (une petite dose

d'antimatière pourrait permettre de fabriquer les isotopes nécessaires sans accélérateur à

condition toutefois que l'on puisse la transporter en toute sécurité).

La durée de vie de la paire positon-électron est extrêmement brève. Lors de la rencontre de

ces deux particules (particule-antiparticule, matière-antimatière) positon-électron, quel que soit

l'endroit où elles se trouvent, un phénomène d'annihilation va se produire: le choc en résultant va

entraîner l'émission de deux photons d'annihilation, partant dans des directions exactement

opposées. Leur masse est transformée selon la formule E = mc2 en une énergie constante

(l'énergie de cette paire e+, e- est conservée) en rayons gamma due à cette annihilation.

Processus d'annihilation. Source

http://www.cermep.fr/activite

Le photon est un concept imaginé par Albert Einstein en 1905. C'est une énergie transportée

sans support matériel, par un rayonnement électromagnétique de longueur d'onde définie. Plus la

longueur d'onde est petite, plus l'énergie est grande. La matière reçoit et émet de l'énergie

électromagnétique par paquets de valeur bien déterminée (ou quanta). Les photons sont donc ces

sortes de paquets d'énergie élémentaires ou quanta de rayonnement électromagnétique qui sont

échangés. "Grâce à cette énergie (511 kiloélectron volts), les photons traversent et quittent la

tête à la vitesse de la lumière.

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Cognition & Motricité -29- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________

Une caméra à positrons est constituée d'un dispositif formé d'un grand nombre de

détecteurs de radiation disposés en couronne autour de la tête du sujet.

Par un procédé automatisé commandé

par ordinateur, les photons qui résultent de

l'émission de positons atteignant chacun

des détecteurs (des scintillateurs,

composés de cristaux organiques, et

émettant de la lumière au moment du choc

du photon sur ce scintillateur) sont

enregistrés. En plaçant deux détecteurs de

radiations en opposition de chaque côté de

l'événement d'annihilation, il est possible

d'enregistrer un événement se produisant entre les deux détecteurs. En réalité, chaque

détecteur dans une couronne est en coïncidence avec de multiples détecteurs opposés; ce qui

augmente la possibilité de recueillir des informations. Les nombreuses couronnes améliorent

l'efficacité de la détection (une simple

couronne ne peut prendre en charge qu'une

tranche de 1cm d'épaisseur). Les

détecteurs sont couplés électroniquement

de telle sorte qu'ils n'enregistrent un

événement radioactif que lorsqu'ils sont

atteints par les photons d'annihilation

simultanément. Ce type de couplage

électronique est connu sous le nom de

fenêtre de coïncidence. Les collisions

simultanées (événements) sont dénombrées

et converties en une image du flux sanguin

cérébral durant la minute d'acquisition.

L'image est créée à partir des événements

récoltés."

La ballade des photons

Source L'esprit en images Posner & Raichle, 1998

Ces images tridimensionnelles obtenues représentent la concentration en eau radioactive,

variant de façon proportionnelle au débit sanguin cérébral. Il est ainsi possible d'établir des

cartes du cerveau lorsque le sujet effectue des tâches particulières, par exemple cognitives. La

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Cognition & Motricité -30- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ question qui se pose alors, outre celle de mettre en évidence plus facilement la région activée

sélectivement, est celle de savoir si les données recueillies correspondent bien aux variations

dues à la réalisation de la tâche par le sujet.

Ces images TEP de flux sanguin ont été obtenues (figure ci-dessus)

chez un seul sujet lorsque celui-ci se reposait calmement les yeux

fermés. Les enregistrements étaient constitués de 31 coupes

horizontales prises à travers le cerveau, à partir de la coupe 1 au

sommet du cerveau jusqu'à la coupe 31 à la base (figure de droite). La

quantité de flux sanguin dans chaque partie du cerveau est représentée

par les couleurs que l'on trouve sur l'échelle à droite de l'image. Les

aires présentant un taux de flux sanguin maximal sont coloriées en

blanc suivi des couleurs rouge et jaune. On voit clairement sur ces

images que, même au repos, le flux sanguin est important dans le cortex

(le bord extérieur du tissu cérébral) et dans différents noyaux situés

en profondeur dans le cerveau, tandis que les aires profondes qui

consistent en des fibres de connexions présentent relativement peu de

flux sanguin, comme on peut le voir par les différentes nuances de bleu

et de mauve. Source L'esprit en images M.I. Posner & M.E. Raichle,

1998.

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Cognition & Motricité -31- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________

Il existe en effet au niveau du cerveau un débit sanguin cérébral de base correspondant aux

besoins élémentaires de fonctionnement des différentes cellules nerveuses. Lors de l'exécution

d'une tâche, ce débit va varier, se moduler et c'est cette variation qui doit être calculée. Pour

cela, on utilise généralement un paradigme de différence, permettant de soustraire de la valeur

observée lors de l'exécution de la tâche la valeur observée d'une tâche dite de référence,

standard ou contrôle (lire à haute voix, par exemple). Certains auteurs parlent de soustraction

pairée, mettant en jeu un paradigme expérimental fondé sur une complexité croissante de la

tâche comportementale. On présente au sujet une série de tâches de complexité croissante, puis

on soustrait la valeur du flux sanguin obtenue par la tâche la plus simple de celle obtenue par la

tâche suivante, plus compliquée, etc.

La rangée supérieure de ces images en TEP montre la soustraction de la condition contrôle (dans ce cas ici,

le repos avec la simple fixation d'un point d'une condition expérimentale consistant à observer un damier

oscillant positionné à 5.5 degrés du point de fixation). La soustraction produit une image quelque peu

différente pour chaque sujet, comme on peut le voir sur la rangée du milieu. Ces images sont moyennées afin

d'éliminer du bruit, ce qui produit l'image du dessous. Sources L'esprit en images M.I. Posner & M.E.

Raichle, 1998.

La figure ci-dessous montre un exemple résultant du paradigme expérimental habituellement

utilisé dans l'approche de la TEP. Ce paradigme est hiérarchique dans la mesure où, à un premier

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Cognition & Motricité -32- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ niveau, pendant l'exécution de la tâche la plus simple, le sujet fixe un réticule (+) au centre d'un

écran. A un deuxième niveau, une tâche visuelle consiste à présenter au sujet un nom commun qui

apparaît sous le réticule, ou bien une tâche auditive qui consiste à faire entendre au sujet le

même mot. Dans la situation auditive comme dans la situation visuelle, les sujets voient ou

entendent les mots de façon passive. A un troisième niveau, le sujet doit prononcer le mot vu ou

entendu. Enfin, à un quatrième niveau, le sujet doit donner un verbe qui décrit le nom commun vu

ou entendu (par exemple, un marteau peut être utilisé pour frapper). Sources Neurosciences A la

découverte du cerveau M. F. Bear, B.W. Connors & M.C. Paradisio. Editions Pradel, 2002.

Lorsque le sujet regarde passivement les mots, la région la plus active se situe dans le cortex occipital (zone visuelle, pour mémoire). Lorsqu'il écoute passivement les mots, c'est la zone du cortex temporal qui est la plus active. La tâche de prononciation des mots active les régions motrices de la zone pariétale du cerveau. Enfin, la tâche qui consiste à générer des verbes associés aux mots suscite une activation du cortex frontal ainsi que la partie postérieure du cortex temporal. La TEP a ainsi permis de mettre en évidence une diversité de régions cérébrales impliquées dans le traitement neurobiologique du langage. Source Sources Neurosciences A la découverte du cerveau M. F. Bear, B.W. Connors & M.C. Paradisio. Editions Pradel, 2002.

IInnttéérrêêtt mmééddiiccaall ddee llaa TToommooggrraapphhiiee ppaarr éémmiissssiioonn ddee ppoossiittoonnss

La recherche actuelle en Tomographie par Emission de Positons représente une aide très

importante pour le diagnostic et l'évaluation. Son apport concerne de très nombreux domaines,

que ce soit celui de la cancérologie (détection et localisation de tumeurs comme les cancers ORL,

du poumon, du tube digestif, du sein, les lymphomes, les mélanomes, suivi des patients après

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Cognition & Motricité -33- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ l'application des traitement en oncologie. Elle utilise comme traceur radioactif un sucre analogue

au glucose marqué au fluor 18, le 18F-FDG, déjà évoqué, dont la durée de vie peut aller environ de

15 à 110 mn. Les cellules cancéreuses présentent la particularité d’accroître leur consommation

de glucose, le FDG s’y accumule donc préférentiellement., de la cardiologie (maladies

coronariennes, hypertrophie ventriculaire), de la neuro-psychiatrie, le traitement de différentes

pathologies (e.g. pathologies vasculaires cérébrales : "en cas d’accident vasculaire cérébral avec

occlusion de l’artère, on peut mesurer instantanément la zone de diminution de circulation

cérébrale dans le tissu touché et la consommation d’oxygène de ce tissu" -JC Baron), l'étude de

maladies dégénératives comme les maladies de Parkinson et d'Alzheimer (possibilité de détection

des premiers symptômes de démence par la mise en évidence d'un dysfonctionnement très

localisé au niveau du cortex), (voir ppt), la neurobiologie du langage.

Elle joue un rôle également dans le développement de l’innovation thérapeutique, le coût du

développement de nouveaux médicaments (il a fallu par exemple huit ans et plusieurs milliers de

patients pour fixer, par des méthodes conventionnelles la posologie et les doses limites d’un

médicament contre la schizophrénie. Par tomographie par émission de positons, ces essais n’ont

nécessité que onze patients et quelques jours pour aboutir à un résultat équivalent et même plus

précis – source www.cea.fr), dans une meilleure connaissance des processus mis en jeu dans le

métabolisme ou la pharmacocinétique des liaisons médicaments-récepteurs.

Cependant, même si le TEP-scan est une méthode d'investigation très importante, elle n'en

comporte pas moins certaines limites. En particulier, la résolution spatiale, de l'ordre de quelques

(5 à 10 mm3, de 4 à 8 mm selon les auteurs), reste faible, ce qui représente l'activité de plusieurs

milliers de cellules. Par ailleurs, l'acquisition de données est relativement lente, de l'ordre de une

à plusieurs minutes (90 secondes en moyenne) pour acquérir un seul scan. Cela, sans compter avec

les radiations encourues par le sujet, même si la dose radioactive injectée demeure faible, limite

le nombre d'examens qu'il est possible de mener sur un seul sujet dans une période de temps

raisonnable.

c2) L'imagerie par résonance magnétique

C'est pourquoi peu à peu l'Imagerie par résonance magnétique (IRM) supplante la TEP. Mise au

point dans les années 1970 (les premières images RMN ont été réalisées aux Etats -Unis en 1974

par Paul Lautebur sur un animal vivant), l'IRM ne nécessite pas l'utilisation de rayons X pour

mener une analyse détaillée de l'organisation anatomo -fonctionnelle du cerveau. Il est désormais

possible grâce à certains systèmes de réaliser des images avec une résolution temporelle allant

jusqu'à 0,02 seconde. Cette technique utilise l'information fournie par la mise en résonance des

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Cognition & Motricité -34- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ atomes d'hydrogène soumis à un champ magnétique intense. Les signaux électromagnétiques

correspondent à la perturbation du champ électromagnétique naturel émis par les atomes. Ils

sont détectés par une série de capteurs et enregistrés par un ordinateur puissant qui va

reconstruire le cerveau en trois dimensions.

L'imagerie par résonance magnétique repose sur l'utilisation d'un électro aimant entourant le

patient. Cet électro aimant est constitué de très nombreux fils hélicoïdaux (entre 20 et 30 km)

supraconducteurs. A condition d'être placé dans des conditions de température très basses (par

exemple, les fils hélicoïdaux sont disposés à 4.2° C au-dessus du zéro absolu, l’appareil est

maintenu dans le vide et placé dans un réservoir rempli d’azote liquide), un supraconducteur

n'oppose aucune résistance au passage d'un courant électrique . En d’autres termes, lorsqu’un

courant électrique est introduit dans les fils, il n'y a donc aucune dissipation d'énergie par effet

Joule, le courant se maintient à pleine vitesse pendant des années.

L'IRM consiste à observer les tissus biologiques à travers les propriétés magnétiques de l'un

de leurs constituants très majoritairement présent, le noyau d'hydrogène (par exemple, les

molécules d'eau, représentant plus de 80% du poids du cerveau, contiennent deux atomes

d'hydrogène). Dans la méthode la plus simple, l'IRM va donc en quelque sorte quantifier ces

atomes d'hydrogène.

La résonance magnétique utilise le magnétisme afin d'agir sur les atomes de l’organisme.

Chaque noyau d'un atome possède des protons (e+) et des neutrons. Chaque proton possède son

propre champ ou moment magnétique avec un pôle nord et un pôle sud (le proton se comporte

comme une aiguille aimantée), et possède un mouvement propre de rotation autour de son axe

(comme pour une toupie, spin en anglais) à une fréquence donnée dite fréquence de Larmor.

L'unité S.I. de l'intensité d'un champ magnétique est le Tesla (Nikola TESLA était un Ingénieur

américain, né à Smiljan, Croatie le 10 juillet 1856 et mort à New York City le 7 janvier 1943).

Dans un champ magnétique comme celui classiquement utilisé en RMN (i.e. de 1;5 Tesla ou 15000

Gauss), la fréquence de Larmor d'un proton est de 63.87 MHz, ce qui correspond à 63.87 millions

de rotations par seconde).

Lorsqu’un patient est introduit dans l’appareil, la bobine haute fréquence émet des ondes

radio, créant un champ magnétique qui va amener les protons de son organisme (et donc les spins

des noyaux d'hydrogène) à s'orienter, à s'aligner dans la direction du champ magnétique (B0) de

l’appareil, soit dans le même sens (majoritairement), soit en sens inverse. La somme algébrique de

tous les spins n'étant plus nulle, il apparaît alors un moment magnétique résultant (M0)

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Cognition & Motricité -35- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ caractérisant en quelque sorte l'aimantation exercée en tous points du cerveau. Tout se passe en

effet comme si le sujet était aimanté.

D'après D. Dormont (Pitié Salpêtrière

Paris). Source Line Garnero, Laboratoire

de Neurosciences Cognitives & Imagerie

Cérébrale CNRS UPR640, Centre de

Magnétoencéphalographie

Antenne de radio-fréquence dite "cage oiseau" entourant la

tête du sujet et utilisée à la fois pour générer les impulsions

de champ et pour recueillir le signal de résonance magnétique.

Source http://www.inrp.fr/Acces/biotic/neuro/techniques/imagerie

Mais il est difficile de calculer ce moment M0 car il est aligné sur B0 et de faible valeur

comparée à B0. L'idée est donc d'écarter ce moment de façon à pouvoir calculer par exemple sa

composante perpendiculaire (Mxy) par rapport à B0. On utilise donc un champ magnétique B1

perpendiculaire à B0 qui va permettre d'écarter M0 en exerçant sur lui un moment de torsion (cf.

figures ci-dessous).

Source Line Garnero, Laboratoire de Neurosciences Cognitives & Imagerie Cérébrale CNRS UPR640,

Centre de Magnétoencéphalographie.

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Cognition & Motricité -36- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________

Cependant, pour que cette action soit efficace, il est nécessaire que le champ B1 tourne

exactement à la même fréquence de rotation que les spins. C'est ce qu'on appelle le phénomène

de résonance magnétique. Lorsque le champ B1 est coupé, il se produit ce qu'on alors une phase de

relaxation (i.e. la reprise par les protons de leur orientation initiale). On mesure alors en chaque

point des tissus analysés non pas l'aimantation résultante, mais en fait ce qu'on appelle la

relaxation de cette aimantation. Cette relaxation répond à différents paramètres (T1, T2, T2*)

et permet, selon ces paramètres, de produire des types d'images différents. La réorientation

des protons libère de l’énergie qui génère un voltage détecté par un résonateur qui fait office de

récepteur. Ce voltage est ensuite converti en signaux numériques qui forment la base des clichés

RM. L'aimantation est proportionnelle à la quantité de noyaux d'hydrogène présents. La force

des signaux émis par les différents tissus dépend notamment de leur composition chimique. La

répartition différentielle de l'eau (et donc des noyaux d'hydrogène) dans ces tissus permet de

dessiner une carte des aimantations résultantes reproduisant l'anatomie des tissus. Des

anomalies comme les tumeurs, les lésions cérébrales s'accompagnent d'une augmentation de la

proportion d'eau et produisent des signaux qui peuvent alors être différenciés des tissus

cérébraux sains. On peut détecter par exemple une démyélinisation de la substance blanche, mais

également localiser des tumeurs, des inflammations tissulaires.

IImmaaggeerriiee ppaarr rrééssoonn aannccee mmaaggnn ééttiiqquuee ffoonnccttiioonnnneell llee

Etat de Repos

Etat d'Activation

Phénomène physique à la base de l'IRMf (extrait de Scientific American, 270:41, 1994).

L'IRMf a été développée dans les années 1990. Elle permet d'obtenir des variations du débit

sanguin cérébral toutes les 5 secondes. L'IRMf fournit des images du cerveau beaucoup plus

précises que la TEP et à un coût moindre. Elle est réellement non invasive puisqu'elle ne nécessite

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Cognition & Motricité -37- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ pas l'injection d'un traceur radioactif, mais endogène, le désoxy-Hb (i.e. de l'hémoglobine non

porteuse d'oxygène) dont la concentration varie dans le sang. L'IRMf se fonde sur l'observation

pratiquement en temps réel des modifications de signal liées aux variations d’oxygénation

sanguine locale (méthode BOLD, Blood Oxygenation Level Dependent) lors de l'activation

cérébrale. L'augmentation de l'activité neuronale d'une zone du cerveau entraîne au début une

importante augmentation de son flux sanguin cérébral local associé à une augmentation (plus

faible) de la consommation en oxygène. Ceci génère à ce moment une augmentation transitoire de

la concentration veineuse locale en désoxy hémoglobine (désoxy-Hb).

Puis le débit et le volume sanguin augmentent de façon plus marquée, provoquant l'afflux de

globules rouges oxygénés et abaissant par conséquent la concentration relative en désoxy

hémoglobine (effet ou signal BOLD). L'hémoglobine contient un atome de fer. Lorsqu'elle se

trouve sous la forme de déoxyhémoglobine, la présence d'un atome de fer isolé (plus lié à

l'oxygène) la rend paramagnétique, créant une petite homogénéité du champ magnétique.

Ce paramagnétisme de la désoxyhémoglobine a pour conséquence de créer un phénomène dit

de susceptibilité magnétique caractérisant son influence sur le champ magnétique local (en

l'occurrence, la diminution du signal). La diminution de concentration en désoxyhémoglobine

pendant l'activation cérébrale diminue ces effets de susceptibilité magnétique et on observe

donc une augmentation localisée et faible (1 à 5 %) du signal dans la zone activée par rapport à

l'état de repos.

L'oxygène libéré au niveau des capillaires cérébraux, entraîne la réduction du fer qui se retrouve à

l'état d'ion ferreux (Fe++), laissant deux électrons non appariés au sein de la molécule de déoxy-

hémoglobine. Ces électrons sont à l'origine du paramagnétisme de cette molécule et génèrent une

modification (une inhomogénéité) du champ magnétique local.

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Cognition & Motricité -38- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________

c3) L'électroencéphalographie

Les méthodes précédemment évoquées nous permettent à la fois de mener sur les différentes

localisations cérébrales des études descriptives mais également fonctionnelles. Cependant, elles

ne rendent pas compte de la durée de ces activités, pas plus que de l'activité – l'excitation -

neuronale (ceci étant du principalement à la rapidité des communications inter neuronales, de

l'ordre d'1 milliseconde, et au temps nécessaire avec ces techniques, d'une quarantaine de

secondes, pour obtenir et enregistrer des modifications du flux sanguin). On utilise donc

d'autres moyens, comme l'enregistrement des phénomènes électriques ou magnétiques

permettant de recueillir les bouffées d'activité neuronales et de les retranscrire graphiquement.

Ceci a été rendu possible par l'utilisation de l'électroencéphalographie. Cette technique date de

la première partie du XXè siècle. (en fait, on peut situer l'origine de l'électroencéphalographie à

la fin du XIXè par la découverte, chez l'animal, de variations électriques provenant du cerveau,

Caton, 1875). Le terme électroencéphalographie fut proposé en 1929 par Hans Berger, un

neuropsychiatre allemand. Berger a été le premier a enregistrer l'activité électrique globale du

cerveau humain (1924-1929). Il a montré qu'il était possible de réaliser des enregistrements de

l'activité électrique cérébrale à travers la boîte crânienne. En effet, quelle que soit l'activité à

laquelle se livre le sujet, son cerveau humain est le siège d’une activité spontanée biochimique et

électrique, reflet de l'activité neuronale. Cette activité électrique neuronale globale et continue

Hans BERGER (1873-1941)

peut être recueillie en surface par de très nombreuses

électrodes situées à différents endroits sur le scalp du sujet. Le

détecteur est une cupule métallique (de l'argent par exemple)

fixée sur le scalp du sujet par une patte conductrice. Le contact

électrique est assuré par l’introduction d’un gel conducteur entre

l’électrode et le cuir chevelu. Ces électrodes sont réparties soit

selon une disposition correspondant à des standards

internationaux, soit différemment selon le but de

l'expérimentation.

Le nombre d'électrodes est donc variable. La plupart du temps, le bonnet porté par le sujet en

comporte 32 ou 64, auxquelles s'ajoutent plusieurs électrodes dites de référence, disposées en

des lieux où le signal cérébral n'apparaît pas, et dont on retranchera la valeur afin de tenir

compte d'enregistrements extra cérébraux (précaution méthodologique de traitement de signal).

Les potentiels mesurés en EEG peuvent être générés soit par les courants pré synaptiques,

associés aux potentiels d'action, soit par les courants associés aux potentiels post-synaptiques

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Cognition & Motricité -39- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ (PPSI et PPSE), soit par une combinaison des deux. En fait, la plupart du temps, les signaux

physiologiques recueillis en EEG (et en MEG) proviennent des potentiels post-synaptiques,

beaucoup plus persistants que les potentiels d'action. Les courants recueillis sont surtout ceux

générés au niveau des dendrites des neurones pyramidaux que l’on retrouve massivement dans le

cortex. En EEG, le signal recueilli est très faible, il n'est pas possible de mesurer les courants

générés par une seule cellule. On enregistre donc généralement le courant produit par un

ensemble de cellules, en considérant que le signal récupéré représente la somme des signaux

produits par différents groupes neuronaux. L'électroencéphalogramme standard est enregistré

chez le patient éveillé, autant que possible au repos, détendu.

Casque géodésique pour un enregistrement EEG

Les fréquences caractérisant l'activité cérébrale recouvrent une plage s'étendant de 0.25 Hz

à 64 Hz (pour mémoire, une fréquence de 1 hertz correspond à une réponse ou une excitation par

seconde). Selon l'état de conscience du sujet, les fréquences observées seront différentes.

L'onde ou rythme alpha, découvert par Berger en 1924 (il porte parfois son nom), est

constitué d'ondes régulières dont la fréquence varie de 8 à 13 Hz 12 Hz et l'amplitude de 25 à

100 mV. Ce rythme est recueilli avec une prédominance occipitale bilatérale et s'étend plus ou

moins largement vers les régions antérieures. Il caractérise un sujet alerte, en situation

confortable, sans traitement actif de l’information, par exemple, avec parfois les yeux clos. Le

rythme alpha, élément dominant du tracé de veille, disparaît au cours de la somnolence ou du

précoma, comme d'ailleurs lors des réactions d'attention ou d'orientation (accroissement de la

vigilance).

Le sujet alerte, attentif, les yeux ouverts, traitant activement de l’information, fonctionne

sur un rythme bêta, rythme d'éveil caractérisé par des fréquences élevées (de 13 à 30 Hz). La

fermeture des yeux ralentit ce rythme (on se dirige vers un rythme alpha), leur ouverture fait

disparaître à nouveau le rythme alpha.). Ces rythmes bêta sont surtout visibles au niveau des

régions fronto-rolandiques.

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Cognition & Motricité -40- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________

Les rythmes thêta ont une fréquence de 4 à 7 Hz, correspondant à la phase du sommeil léger.

Physiologiques chez l'enfant, ils peuvent traduire une souffrance corticale discrète, ou une

souffrance sous-corticale (thalamique par exemple). Sont le signe de l'activité limbique (mémoire et

émotions).

Enfin, les rythmes du sommeil profond, les ondes delta, présentent des fréquences se

répartissant entre 0.5 et 4 Hz, avec de grandes amplitudes (jusqu'à 200 µV) . Ces ondes prennent

un caractère pathologique chez l'adulte éveillé. Leur ralentissement (elles peuvent

progressivement descendre jusqu'à jusqu'à ½ Hz ou même 1/3 d'Hz) et permettent de suivre

l'évolution d'une souffrance cérébrale. La poursuite de ce ralentissement peut aboutir à

l'absence de signal décelable, signant ainsi l'apparition de la mort cérébrale (formule commune,

un encéphalogramme plat).

Cette méthodologie exploratoire électroencéphalographique a permis d'obtenir des

informations très précises sur l'activité cérébrale en temps réel par la technique des potentiels

évoqués. Elle permet de repérer les changements brusques de l'activité électrique cérébrale

dans des zones identifiées par exemple par la TEP. Ainsi, si l'on demande à un sujet de traiter un

mot et de penser à un verbe associé à ce mot (e.g. marteau et frapper), le cortex frontal est

activé après un délai de 200 ms, tandis que le cortex temporal est activé après un délai de 700

ms. Cette signature électroencéphalographique particulière permet de relier différentes

fonctions cognitives ou motrices à des patrons caractéristiques d'activité neuronale. Il faut

cependant garder à l'esprit que, comme pour la MEG, l'activation simultanée de plusieurs sources

rend parfois difficile ou non linéaire leur localisation. Par ailleurs, dans ces expérimentations, la

faible sensibilité du signal recueilli (il est systématiquement amplifié) nécessite un grand nombre

de répétitions. La cellule (ou plutôt la région, la population de cellules) est stimulée de

nombreuses fois. On considère ainsi généralement que le nombre de stimulations nécessaire pour

un traitement perceptif est de 50 stimuli par condition et de 100 stimuli par condition pour un

traitement cognitif. Les variations de potentiels recueillies sur le scalp, chez l'homme, résultent

de l'activité synchrone et sommée de nombreuses populations de neurones (un signal ne peut être

observé en EEG, comme en MEG, que si environ un million de synapses sont activées

simultanément) . La sommation des enregistrements des réponses aux stimulations permet de

donner une image moyenne assez précise de la réponse du (des) neurone(s) et des variations de

cette réponse à la stimulation. Néanmoins, ces potentiels évoqués cognitifs reposent sur

l’hypothèse de l'existence d'une relation quasi linéaire entre le stimulus et la réponse, mettant

de côté la question de l'apprentissage de la réponse au cours des répétitions. Se pose donc alors

le problème de la fiabilité de cette réponse moyenne d'un grand nombre d'enregistrements.

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Cognition & Motricité -41- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________

c4) La magnétoencéphalographie

Schéma du dispositif de capteurs. On y voit

l’emplacement des gradiomètres et le réservoir à

Hélium liquide garantissant le refroidissement des

SQUIDs. Source http://sipi.usc.edu/~silvin/docs

Une photographie de l’intérieur du

casque(CTF Systems Inc., Vancouver, Canada).

Source http://sipi.usc.edu/~silvin/docs

L’appareil de magnétoencéphalographie de l’hôpital

de la Salpêtrière.151 canaux MEG, 64 EEG simultanés,

fréquence d’échantillonnage : 2kHz

Chambre blindée assurant l’isolation

électromagnétique & phonique

Une autre technique proche de l’EEG est la magnétoencéphalographie (MEG), que nous

évoquerons brièvement. Comme l’EEG, la MEG enregistre les excitations neuronales du cerveau.

La communication de ces cellules du cerveau s'effectue grâce à de minuscules impulsions

électriques qui s'accompagnent, comme n'importe quel courant, de champs magnétiques. Les

sources électrophysiologiques demeurent donc les mêmes, mais l'avantage de l'utilisation des

champs magnétiques, malgré leur valeur très faible (10-15 Teslas) , est une moindre déformation

des lignes de courant entre des tissus présentant des propriétés de conduction différentes (e.g.

la peau et les os), ce qui permet d'obtenir au niveau du scalp des images moins diffuses. Ce sont

les variations de ces champs magnétiques extrêmement faibles (10 milliards de fois plus faibles

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Cognition & Motricité -42- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ fois celui de la Terre), dues aux courants intra et extra cellulaires traversant le magnétomètre,

qui vont être détectés, recueillis et amplifiés à l'extérieur de la tête du sujet par des capteurs

très sensibles comme le SQUID (Superconducting QUantum Interference Device). Comme pour

l'IMGf, le système repose sur l'utilisation de supraconducteurs, i.e. ne présentant pas de

résistance au passage du signal (avec donc les mêmes contraintes, l'existence d'une enceinte

cryogénique).

c4) Bilan et conclusion

Signal TEP IRMf EEG MEG

Source Débit sanguin

cérébral

Désoxyhémoglobine PPS PPS

Lieu Capillaires

artériels

Capillaires veinules Dendrites Dendrites

Type Radio activité Photons gamma Signal

électrique

Champ

magnétique

Résolution

spatiale

5mm 3 mm >6mm >6mm

Résolution

temporelle

8mn 1 à 6s 1ms 1ms

Intégration

temporelle

90s 1 à 6s 1ms 1ms

Il est possible de mener une comparaison des principales techniques d'imagerie cérébrale

précédemment évoquées. C'est là le but des tableaux supra . Il montrent chacun en ce qui les

concerne que chaque technique possède des caractères spécifiques (apports et limites). On peut

séparer ces techniques en deux familles, la première comprenant les méthodes mesurant de

façon indirecte les effets de l'activation cérébrale comme la TEP, l'IRMf, la seconde

comprenant les méthodes permettant seules de rendre compte en temps réel de l'activité

cérébrale, comme l'EEG et la MEG. Ces techniques n'apparaissent pas en concurrence, l'intérêt

commun, à la fois médical et expérimental, étant bien évidemment de tenter de coupler,

d'intégrer leurs différents apports (par exemple, comme cela se déroule à l'heure actuelle par

exemple par le couplage entre les techniques hémodynamiques et électromagnétiques).

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Cognition & Motricité -43- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________

Computed tomography (CT scan)

Apports Limites

Sujets sains et pathologiques

Relativement non invasif

Image structurelle

Localisation parfois peu précise

Très onéreux

Tomographie à émission de positons (TEP)

Apports Limites

Sujets sains et pathologiques

Résolution spatiale élevée

Images en 3D

Corrélation avec la tâche

Invasif (radioactivité)

Résolution temporelle très faible (5 min)

Très onéreux (nécessité d'un accélérateur de

particules type cyclotron)

Peu de sujets

Imagerie par Résonance Magnétique Fonctionnelle (IRMf)

Apports Limites

Sujets sains et pathologiques

Non invasive

Résolution spatiale très élevée (1mm)

Images en 3D

Corrélation avec la tâche

Moins onéreux que la TEP

Liaison structure/fonction

Résolution temporelle très faible (250 ms)

Difficile pour les sujets (Claustrophobie)

Très onéreux

Parfois Artefacts provenant du placement de

la tête, d'effets transitoires du scan, etc.

Electroencéphalographie (EEG)

Apports Limites

Sujets sains et pathologiques

Non invasif

Résolution temporelle élevée (1 ms)

Peu coûteuse, temps réel, portable

Localisation parfois peu précise

Nombre très important de neurones

Signal très faible

Artefacts

Magnétoencéphalographie (MEG)

Apports Limites

Sujets sains et pathologiques

Non invasif

Résolution temporelle élevée

Meilleure localisation que l'EEG

Localisation parfois peu précise

Sujets nécessairement immobiles

Très onéreux, chambre protégée

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Cognition & Motricité -44- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ IIIIII-- LL''aatttteenn ttiioonn

IInnttrroodduuccttiioonn,, ddééffiinniittiioonnss

L'individu est en relation permanente avec son environnement et construit progressivement sa

connaissance de cet environnement grâce à une acti vité perceptive et attentionnelle constante.

L'attention est un facteur essentiel de l'adaptation de l'homme à son environnement. La

perception utilise nos sensations, nos différentes modalités sensorielles. Cependant, dans les

processus perceptifs et attentionnels, seule une partie de ces différentes informations est

enregistrée et utilisée. C'est cette partie sur laquelle se focalise notre attention et dont nous

prenons conscience.

L'attention peut se définir comme la capacité à sélectionner les informations, de façon plus ou

moins marquée (on distingue habituellement une attention sélective et une attention partagée –

nous y reviendrons). Pour James (1890), l’attention "c’est quand l’esprit prend possession, sous

une forme vive et claire, d’un objet ou d’une pensée parmi ceux qui se présentent simultanément.

Focalisation, concentration de la conscience lui sont essentiels. Ceci implique de se retirer de

certaines choses pour en traiter d'autres effectivement."

Comme nous le précisent les illustrations ci-dessous, attention est un terme polysémique. Cela

s'explique aisément si l'on fait référence à sa racine étymologique. Attention est un emprunt

(1536) au latin attentio, dérivé supin du verbe attendere, au sens du latin classique tendre

l'esprit vers. On trouve ainsi et l'on utilise quotidiennement par extension les expressions prêter

attention à, être l'objet d'attention(s), faire attention (souci de la préservation de l'intégrité

physique du sujet), attention perçue comme un avertissement. Dans le domaine des activités

physiques et sportives, l'activité perceptive et la mise en jeu des processus attentionnels sont

permanentes. L'attention visuelle, son orientation apparaissent déterminantes dans l'organisation

du pratiquant, et ce plus particulièrement dans des activités de type ouvert, mettant en jeu un

degré élevé d'incertitude. Tout le plaisir de certaines activités d'opposition peut d'ailleurs être

envisagé comme la capacité à orienter l'attention de son adversaire en un lieu ou sur un

événement particulier de façon à le leurrer et à l'empêcher ainsi de développer des stratégies de

gain de l'opposition. On peut ainsi formuler l'hypothèse que le champion est celui qui sait

focaliser son attention sur l'information pertinente, possède les ressources lui permettant de

maintenir cette attention sans se laisser distraire par les leurres ou feintes produits par son

adversaire ou par les actions sonores ou visuelles de ses supporters.

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Cognition & Motricité -45- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________

Différentes acceptions du

terme attention (écoute,

focalisation sur un point

particulier, être l'objet de,

avertissement ou prévention).

L'attention apparaît ainsi dès le départ comme un processus volontaire d'allocation de

différentes ressources psychologiques, cognitives, mentales, mnésiques. C'est une tension (au

sens de tendre vers) de l'esprit vers un objet, un effort développé par le sujet dans la

perception et le traitement le plus efficient possible d'un signal. On peut également définir

l'attention focalisée comme un processus d'exclusion, certains signaux étant privilégiés au

détriment d'autres ignorés ou exclus.

AA-- AAtttteennttiioonn eett vviiggii llaannccee

On le voit, un certain nombre de termes traduisant différents processus et phénomènes sont

liés à cette notion d'attention. Evoquer l'aspect volontaire du processus attentionnel nous

rappelle l'ambiguïté de ce terme. On assimile très souvent la notion d'attention et l'idée de

vigilance. Il existe en effet un lien direct entre attention et vigilance. Celle-ci, comme l'attention

soutenue, implique chez le sujet la capacité à maintenir à un niveau élevé (maximal ou optimal

selon l'état du sujet) une attention focalisée pendant un intervalle de temps déterminé. La

vigilance répond cependant à une définition plus restrictive par rapport à l'attention. Elle peut

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Cognition & Motricité -46- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ être comprise comme une préparation de l'organisme à détecter et à répondre à des

changements se produisant dans l'environnement de façon hypothétique ou à des intervalles la

plupart du temps irréguliers. Quel que soit le domaine (monde du travail, pratique sportive, etc.)

dans lequel elle s'exprime, la performance réalisée par le sujet est due en partie à l'état de

vigilance du sujet, état physiologique qui dépend du niveau d'activation du système nerveux

central. La vigilance est liée à la notion d’éveil. Etre vigilant, c'est savoir lutter contre la fatigue,

l'assoupissement, le relâchement, contre toute distraction. Sa baisse momentanée peut se

traduire par le bâillement qui joue probablement un rôle dans le maintien de cette vigilance. Des

expériences ont été menées chez les rats par Ikuko Sato -Suzuki et son équipe (Tokyo) et ont

montré que l'injection d'hypocrétine (hormone liée à la régulation du sommeil et de la prise

alimentaire) dans le noyau paraventriculaire de l'hypothalamus, déclenchait des bâillements

accompagnant une élévation du niveau de vigilance de l'animal (Walusinski, 2003). (La formation

réticulaire qui s’étend depuis le bulbe rachidien jusqu’à l’hypothalamus joue un rôle central dans la

régulation de la vigilance). Il existe une relation forte entre la qualité de l'éveil (ou de la

vigilance, si l'on accepte cette linéarité), c'est-à-dire la mise en jeu d'une activation particulière

des processus attentionnels et la performance produite par le sujet. La loi de Yerkes-Dodson

(dénommée ainsi à la suite des travaux de ces chercheurs, R.M. Yerkes et J.D. Dodson, en 1908)

rend compte des conditions dans lesquelles la meilleure performance est réalisée. Ces chercheurs

ont montré que des chocs électriques de faible intensité délivrés à des souris après production

d'une réponse incorrecte favorisaient un apprentissage discriminatif. Ces chocs contribueraient,

si leur intensité n'est pas trop élevée, à l'élévation du niveau d'activation cérébrale, favorisant

ainsi l'efficience du traitement des informations. Par contre, des chocs plus importants

ralentissent au contraire ces apprentissages.

Courbe en U inversé

Source : R.A. Schmidt & T.D. Lee, 1999

Hebb a repris ces travaux en 1955 en

montrant que cette loi d'optimum ou

d'activation optimale observait une forme en U

inversé, reliant le niveau d'éveil (arousal) à la

fonction informative des stimuli. La relation

entre éveil et performance n'est pas linéaire

mais curvilinéaire. Ceci nous rappelle qu'à

partir d'un certain seuil, les performances ne

sont plus favorisées mais au contraire

perturbées.

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Cognition & Motricité -47- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________

Il existe donc des seuils d’activation intermédiaire qui en permettent l'expression optimale.

(Pour mémoire, dans le cadre de ces théories de l'activation sous-tendue par une courbe en U

inversé – la théorie de l'activation a été proposée par Lindsley en 1951 -, il est possible de

remplacer le terme d'éveil par celui de motivation).

Cette notion de vigilance (terme utilisé par Henry

Head, neurologue anglais) est tout à fait centrale dans

l'exercice de certaines professions. Il en est ainsi par

exemple de la profession de contrôleur aérien. Celle-ci

sollicite les fonctions cognitives d’attention sélective,

d'attention soutenue, de mémoire. Elle nécessite le traite -

ment de nombreuses informations de différentes natures et impose de prendre rapidement et

précisément des décisions qui peuvent s'avérer vitales la plupart du temps. Il existe donc des

variations du niveau de vigilance. Ceci peut-être imputé au moment de la période d'observation

par le sujet (on constate dans ces tâches correspondant à l'observation d'un seul phénomène, une

diminution du taux de détection des cibles durant une période d'au moins une demi-heure, alors

que le taux de cibles détectées au début de la période vigile est proche de 100 %), au moment de

la journée, à l'état du sujet, à la charge mnésique. Ce déclin (ou décrément) de vigilance d'un

observateur a fait l'objet de nombreuses expériences, avec évidement l'idée de mieux

comprendre les processus mis en jeu et de proposer un traitement ou une formation appropriés.

L'une des premières et des plus communément évoquées est celle menée par Norman H.

Mackworth en 1948 et connue sous le nom de test de l'horloge. Un certain nombre d'études

menées durant la seconde guerre mondiale avaient permis de montrer de montrer que la vigilance

des observateurs radars baissait de façon très significative après 30 minutes d'observation

continue. Le test de l'horloge consiste pour le sujet à repérer sur une longue période (durée du

test = 2 h), le nombre de fois où l'aiguille (elle parcourt le cadran en 100 secondes), au lieu de se

déplacer d'un cran (0,3 pouce) toutes les secondes, se déplace de deux crans (0,6 pouce) à la

fois. Ce signal intervient de façon irrégulière (aléatoire), à des intervalles variant entre 45

secondes et 10 minutes, et ce 12 fois sur une période de 30 minutes. Cette période était répétée

4 fois. L'expérimentateur note dans ce test le nombre de détections exactes du signal, ou bien

encore le nombre de fausses alarmes (le sujet pense que le signal est survenu alors qu'il n'y a eu

aucun changement) ou d'omissions (le sujet n'a pas vu le saut plus important de l'aiguille) ou bien

enfin le temps de réaction du sujet. Les résultats confirment l'existence d'une relation linéaire

forte entre le niveau de vigilance et la qualité de l'éveil (celui-ci étant comme nous l'avons

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Cognition & Motricité -48- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ brièvement évoqué précédemment dépendant de plusieurs facteurs). Un niveau élevé d'éveil

permet de meilleures détections. Ils montrent par ailleurs un déclin progressif mais relativement

limité de la détection correcte du phénomène (83% durant la première demi heure, puis 73, 73 et

72% au cours des trois autres demi heures) en fonction de la durée de l'épreuve.

Ce test est intéressant car il permet de mettre en évidence ce processus décrémentiel de la

vigilance. Il demeure cependant limité dans la mesure où il ne travaille que sur une dimension et

n'offre donc qu'une explication ou une élucidation partielle par rapport à la complexité et à la

multidimensionnalité des processus mis en jeu. De façon claire, cela signifie que dans un certain

nombre de situations parfois plus complexes il est vrai, une diminution des détections n'implique

pas nécessairement un plus bas niveau d'éveil. En effet, d'autres aspects doivent être pris en

compte, comme le critère de décision (de détection du signal) que se fixe le sujet. Nous abordons

ici un autre aspect qui entre dans le cadre de la théorie de la détection du signal.

BB-- DDéétteeccttiioonn eett ddiissccrriimmiinnaattiioonn dd''uunn ssiiggnnaall

L'idée de détection va de pair avec la notion de seuil, qui peut être défini comme la limite de

perception d'une stimulation (Bonnet, 1986). Un seuil absolu permet d'établir une distinction

nette : au dessous de la valeur définissant ce seuil absolu, le sujet ne détecte pas de stimulus.

L'expérimentation classique en audition pour la détermination de ce seuil absolu est connue sous

le nom de méthode des limites. Elle consiste à présenter au sujet un signal sonore de hauteur

(fréquence) constante d'abord inaudible puis progressivement audible. On note à quel moment

(quelle intensité) le sujet entend ce signal (méthode dite des séries ascendantes). Puis on agit de

la même façon de avec des séries descendantes (audible à inaudible). Cette méthode présente

cependant des limites (il arrive que les seuils trouvés lors des séries ascendantes ne

correspondent pas aux seuils trouvés lors des séries descendantes) dues notamment à ce qu'on

appelle chez l'erreur de persévération du sujet.

Un seuil n'est pas toujours absolu, il peut également permettre d'identifier, de caractériser,

de discriminer la variation de l'intensité d'un stimulus. Nous nous situons alors dans le cadre d'un

seuil différentiel. Le seuil différentiel est la plus petite variation ?I d'un stimulus d'intensité I

qui est juste perceptible par le sujet. Ce seuil différentiel est une fonction linéaire de l'intensité

appliquée. ?I = k x I ou ?I/I = k. C'est sous cette dernière forme que la loi de Weber est la plus

connue, celle de la constance de la fraction différentielle ?I/I quel que soit le niveau d'intensité

du stimulus (dans le domaine des modalités sensorielles, cette fraction prend des valeurs très

différentes - de 5 à 30% selon la modalité).

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Cognition & Motricité -49- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________

CC-- TThhééoorriiee ddee llaa ddéétteeccttiioonn dduu ssiiggnnaall eett pprraattiiqquuee ssppoorrttii vvee

La détection et la décision sont deux facteurs qui jouent un rôle déterminant dans la prise de

décision du sujet en situation, notamment dans le cadre d'une pratique physique compétitive.

Pour la plupart des activités sportives, l'optimisation de la performance du pratiquant dépend de

sa capacité à mobiliser un certain nombre de facteurs : efficacité de la prise d'information,

sélection de la stratégie motrice la mieux adaptée, etc. Parmi ces facteurs, la lecture de

l'événement (et son influence sur l'activité décisionnelle) revêt un caractère particulièrement

important dans l'optimisation de la performance. La notion de prise de décision est centrale, la

connaissance des déterminants du comportement présente un grand intérêt, tant pour

l'entraîneur que pour le pratiquant.

Source : club Charleroi

La prise de décision en sport ne s'effectue pas par hasard.

Elle est le fruit d'une activité d'analyse et de compréhension

de la situation par l'athlète. Le gain de l'affrontement sportif

ne dépend pas lui non plus du hasard, mais de l'habileté à

prendre l'adversaire en défaut et à déjouer ses projets. Pour

le pratiquant de savate boxe française ou de kendo par

exemple, cela implique la gestion d'un certain nombre de

contraintes : identification des techniques qui lui sont portées

(réellement ou non) par l'adversaire, rapidité à déceler chez ce dernier des ouvertures (c'est-à-

dire une attitude posturale plaçant très brièvement le plus souvent cet adversaire en état

d'infériorité manifeste : par exemple, l'opposant baisse ou ouvre sa garde, ne se protégeant plus

ainsi de façon efficace). Chacun des protagonistes doit produire de l'incertitude tout en

s'attachant à recueillir le maximum d'informations pertinentes, c'est-à-dire en réduisant

l'incertitude que son adversaire applique à la situation.

En savate boxe française, en kendo, l'athlète doit donc fonctionner sur des ajustements

constants. Il doit s'adapter aux feintes ou aux coups portés par son adversaire, à la distance de

garde (distance optimale de frappe entre les deux boxeurs), etc. La proximité des protagonistes

explique la rapidité avec laquelle le tireur doit lire l'événement et prendre une décision juste.

Travaillant sous pression temporelle le plus souvent (i.e. temps disponible/temps nécessaire), il

s'avère déterminant pour lui de procéder à une bonne lecture événementielle. Celle-ci repose sur

la détection précoce d'indices pertinents lui permettant de prévoir, avec un pourcentage faible

d'erreur, quel coup va lui être porté. Dans les pratiques d'opposition, les indices et les signaux

n'existent pas en tant que tels. Ils ne prennent leur signification que par rapport aux

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Cognition & Motricité -50- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ caractéristiques de la situation au sein de laquelle ils s'inscrivent. En savate boxe française

comme en kendo (ou d'autres activités physiques et sportives), ces caractéristiques concernent

une quantité d'incertitude et une pression temporelle élevées.

Par ailleurs, si ce décodage c'est-à-dire l'identification des événements, permet au tireur de

répondre de façon juste, appropriée, il peut lui permettre d'initier plus tôt sa réponse (qu'elle

soit de type offensif ou défensif), c'est-à-dire de travailler en anticipation (anticiper, c'est

donner tout ou partie de la réponse à un signal avant l'apparition de ce signal, c'est déclencher

une action motrice avant que l'événement auquel cette action doit répondre ne se soit produit).

L'anticipation implique donc une prédiction, de type événementiel ou temporel, et c'est

l'interaction de ces deux dimensions qui va déterminer l'efficacité de la réponse donnée. Ce qui

est à la base de l'anticipation est la signification accordée aux indices. Il semble acquis qu'en

fonction de l'expérience, on assiste à une capacité plus élevée chez les sujets expérimentés à la

fois à prélever les indices et à leur associer une signification L'étude de la conduite de prise de

décision des joueurs de raquette (squash, tennis, badminton, etc.) par exemple a permis de

mettre en évidence chez les joueurs l'existence de stratégies particulières destinées à rendre

leur conduite plus efficiente. Ces stratégies se fondent sur la probabilité accordée à tel ou tel

événement pour qu'il se produise, plutôt que tel ou tel autre. Enfin, dans le gain du match,

intervient la valeur de la décision (par exemple sur l'intérêt de la prise de risque à un moment

donné) prise par l'athlète. Celle-ci peut dépendre du moment de la rencontre, du score.

Tout ce qui précède nous rappelle la complexité de la situation sportive et l'importance d'une

bonne détection sur la bonne prise de décision en sport. L'efficacité de l'athlète dépend de sa

capacité à traiter un nombre élevé d'informations qui possèdent parfois un statut ambigu.

Confronté à la fiabilité des indices produits par son adversaire, il doit prendre la décision juste

et exécuter sa réponse avec le maximum de précision le plus rapidement possible (il doit gérer au

mieux le conflit vitesse-précision).

La métaphore indices pertinents assimilés à des "signaux" opposés aux indices non pertinents

assimilés à des "bruits" est inspirée de la théorie de la détection du signal. Cette métaphore, de

même que le modèle général de cette théorie, a été fréquemment utilisée pour décrire les

opérations mentales élaborées dans les activités sportives. Ces activités proposent à la lecture

des acteurs des événements qui peuvent être assimilés à des "signaux", par opposition aux

"bruits" provoqués par l'adversaire en vue de masquer ou d'atténuer ces signaux. Ceci permet

d'assimiler ces situations à des situations classiques, étudiées en laboratoire, de détection de

signal.

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Cognition & Motricité -51- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________

Elaborée dans le cadre strict des transmissions (s'attachant à la détection de stimuli sonores

et visuels), la théorie proposée par Tanner et Swets (1954) cherche à mettre en évidence les

opérations de détection du signal dans ce domaine particulier. Elle propose une distinction

explicite entre ce que perçoit le sujet, c'est-à-dire ce qui relève de sa sensibilité et peut être

attribué à la qualité de traitement des capteurs sensoriels (il perçoit plus ou moins bien), et ce

qui relève de l'effet produit sur ses réponses par ses valeurs et ses attentes, c'est-à-dire sa

décision (une stratégie singulière mise en œuvre en fonction de l'interprétation par le sujet de la

situation). En d'autres termes, comme le précise Nougier (1989), "des effets de sensibilité

peuvent avoir une origine attentionnelle, tandis que des effets de stratégie relèvent par nature

d'un choix tactique, indépendant des processus attentionnels".

Cette théorie conçue pour la détection de signaux faibles sur fond de "bruit" (c'est-à-dire ce

qui fausse ou masque la perception du signal) peut, par extension, s'appliquer à n'importe quelle

situation où l'information sensorielle d'entrée est ambiguë. Le sujet "se comporte comme un

statisticien en se demandant si l'observation qu'il vient de faire est plus représentative de la

présence à détecter ou du bruit qui l'accompagne" (Tiberghien, 1984).

Modèle de la Théorie de la détection du signal. Chaque secteur représenté ici traduit les réponses du

sujet : p(s/S = probabilité conditionnelle pour que le sujet réponde signal (s) alors que le signal (S) est

présenté, etc. Source Claude Bonnet (cours)

Les bruits et les signaux, qui représentent l'ensemble des événements possibles, sont

distribués sur deux courbes normales, possédant la même dispersion, mais avec des moyennes

différentes. Les deux critères de la performance sont l'indice d' et l'indice ß. L'indice d',

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Cognition & Motricité -52- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ considéré comme un indice de discrimination, traduit la sensibilité perceptive du sujet, rend

compte du rapport signal/bruit. Plus le sujet est sensible (ou mieux il discrimine), plus l'écart

entre les deux courbes sera faible. La sensibilité se mesure en unités d'écart-type, elle traduit

la distance entre les moyennes de chaque distribution. Plus d' est grand, plus la détection est

aisée. L'indice ß traduit la position du critère de décision, reflétant la stratégie adoptée par le

sujet. Selon la position de ce critère, le sujet estime vraisemblable ou non que l'événement

détecté appartienne à la distribution du bruit ou à la distribution du signal. Il établit ainsi un

rapport de confiance ou de vraisemblance (likehood) sur lequel il peut bâtir sa décision. La

position de ce critère permet ainsi de voir si le sujet préfère opter pour des réponses négatives

plutôt que pour des réponses positives en cas d'incertitude ou, exprimé d'une façon différente,

s'il choisit pour la même sensibilité de minimiser les fausses alarmes (préférant augmenter les

omissions) ou les omissions (préférant augmenter les fausses alarmes).

Ce paradigme expérimental permet de mener une analyse plus fine que l'utilisation de la

méthode des seuils absolus par exemple ou le seul recueil du nombre de bonnes réponses ou

d'erreurs.

SIGNAL

Présent Absent

OUI Détection

correcte Fausse

alarme

REPONSE

NON Omission Rejet correct

Matrice stimulus-réponse pour une procédure "Oui/Non" en détection du signal.

D'après Bonnet, 1986.

Chaque situation expérimentale possède ainsi quatre issues possibles :

- soit une détection correcte (hit) : répondre oui quand le signal est présent

- soit une omission (miss) : répondre non quand le signal est présent

- soit une fausse alarme (false alarm) : répondre oui en l'absence de signal

- soit un rejet correct (correct rejection) : répondre non en l'absence de signal.

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Cognition & Motricité -53- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________

Cette présentation de la théorie de la détection du signal, évidemment très simplifiée, se

propose simplement, dans le cadre de l'étude des processus attentionnels et des opérations de

détection et de discrimination qui l'accompagnent, de montrer l'utilité d'une telle approche dans

l'étude des facteurs explicatifs sous-tendant le développement de stratégies décisionnels chez

les pratiquants. C'est un modèle général qui a été fréquemment utilisé dans des domaines

d'étude plus complexes que les domaines initiaux, ce qui n'est pas sans poser de nombreux

problèmes. Abernethy (1985) souligne notamment que la nature très statistique de ce modèle le

rend impropre à rendre compte des phénomènes psychologiques très complexes et risque de

rendre vaine toute tentative de généralisation.

Autre représentation du modèle de la Théorie de la détection du signal, avec la séparation de chaque

secteur correspondant à chacune des réponses possibles. Tout événement situé à droite du critère de

décision ß correspond à une réponse positive, tout événement situé à gauche de ce critère amène une

réponse négative. Source Claude Bonnet. (cours)

Cependant, l'économie générale de ce modèle fournit des moyens d'analyse de la performance

du sportif tout à fait pertinents. Nous l'avons nous-mêmes utilisé voici quelques années (1990)

dans le cadre d'une étude portant sur le traitement des informations visuelles et la prise de

décision en boxe française. Cette expérimentation avait pour objectif, outre l'enregistrement du

comportement exploratoire visuel, de calculer les temps de réaction (TR) des sujets et de

mesurer à la fois les capacités de ces sujets à détecter/identifier un événement et à prendre

une décision par rapport à cet événement. Nous avons utilisé pour cela certains termes,

empruntés au modèle de la théorie de la détection du signal (détections correctes, fausses

alarmes, bruit, etc.). Les résultats nous ont permis de mettre en évidence des différences

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Cognition & Motricité -54- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ significatives de comportement entre trois populations de tireurs (internationaux, nationaux et

novices) dans ces tâches de détection-identification et de décision.

DD-- LLeess tthhééoo rriieess ccooggnniittiivveess ddee ll''aatttteennttiioonn

aa)) LL''hhyyppootthhèèssee dduu ccaannaall uunniiqquuee ddee ttrraaiitteemmeenntt

Il est parfois difficile voire impossible de prêter attention à différents événements ou

informations survenant en même temps. Si deux messages sont adressés en même temps à un

sujet, ce dernier va être amené à trier, à opérer une sélection de façon à privilégier un message

(l'objet, la cible) au détriment d'un autre (le distracteur). La notion de filtre est souvent utilisée

pour rendre compte de ces processus. Il semble que, comme pour la mémoire, l'esprit ne puisse

appréhender en même temps d'une façon distincte et claire (i.e. qui a du sens) qu'une quantité

limitée d'informations. Différents modèles ont été proposés pour rendre compte de ce filtrage

des informations. Ils se fondent au départ sur l'idée que cette difficulté à traiter en même

temps (en parallèle) plusieurs informations provient peut-être de la structure, de l'organisation

du système attentionnel qui ne permet de traiter qu'un seul message à la fois. Welford (1952,

1959) a proposé pour cela l'hypothèse de l'existence d'un canal unique de traitement. Selon

cette hypothèse, le sujet possèderait des capacités limitées de traitement et une charge

attentionnelle trop importante amènerait à la saturation de ce canal unique.

Cette proposition de Welford s'est appuyée initialement sur la connaissance d'un phénomène

psychologique appelé période réfractaire psychologique. En quoi ce phénomène, découvert par

Telford en 1931, consiste-t-il ? Sa mise en évidence repose sur un paradigme expérimental de

temps de réaction. On propose à un sujet un premier signal ou stimulus S1 à l'apparition duquel le

sujet doit produire le plus rapidement possible une réponse R1 (par exemple, appuyer sur un

bouton). Dès l'exécution de R1, un autre signal S2 est présenté au sujet qui doit produire le plus

rapidement possible une réponse R2. Il est ainsi possible de mesurer deux temps de réaction, un

TR1 et un TR2.

Si l'on modifie ensuite le délai de présentation du deuxième stimulus en le proposant au sujet

avant qu'il n'ait pu produire la réponse R1 (ce qui revient alors dans ce cas à lui demander de

fournir le plus rapidement possible et successivement les deux réponses), on constate une

augmentation importante du TR2. Tout se passe en quelque sorte comme si le sujet ne traitait S2

qu'après avoir produit R1 . La différence de temps observée entre les R2 des deux conditions

expérimentales correspond à cette période réfractaire psychologique durant laquelle le sujet

s'avère incapable de traiter correctement (de répondre aussi rapidement) le second stimulus.

Cette période réfractaire diminue lorsque l'écart temporel entre la présentation des deux

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Cognition & Motricité -55- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ stimuli diminue. Ces résultats s'appuient sur un mode de traitement strictement sériel et

correspondent à l'idée sous-tendue par l'hypothèse du canal unique, hypothèse selon laquelle le

sujet ne peut traiter efficacement qu'une information à la fois. (L'expérimentation permet de

confirmer cela en ne présentant au sujet que S2 de façon à mesurer exactement ce TR2).

Illustration du paradigme expérimental de double stimulation mettant en évidence la période réfractaire

psychologique. D'après Fortin & Rousseau, 1989.

L'hypothèse du canal unique sera remise en cause, pour différentes raisons. Le TR2 par

exemple n'est pas une fonction directe du temps de recouvrement entre S1 et S2. Par ailleurs,

différents facteurs peuvent intervenir dans ce TR2 comme la pratique (elle permet de réduire ce

TR2), la nature du stimulus (TR de simple ou double choix), la complexité de la réponse, la

compatibilité stimulus-réponse. Il existe ainsi parfois des interférences structurelles (nous y

reviendrons pour le paradigme de la double tâche) intervenant sur le TR2. Pour éviter cela,

l'expérimentateur peut proposer pour S1 une diode qui s'allume, pour S2 un son, pour R1 une

réponse produite par la main droite et enfin pour R2 une réponse initiée par la main gauche. Cet

appel à des modalités sensorielles différentes pour les stimuli et à des effecteurs également

différents permet d'éviter les possibilités d'interférence structurelle, phénomène qui peut se

traduire de façon simple par la demande adressée au sujet de répondre avec la même main. Un

Intervalle inter stimuli

S1 S2

S1 S2

Intervalle inter stimuli

TR1 (150 ms) TR2 (150 ms)

R1 R2

TR1 (150 ms) TR2 (190 ms)

R1

R2

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Cognition & Motricité -56- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ autre exemple bien connu d'interférence est l'effet Stroop (1935, du nom de son "auteur", J.R.

Stroop). Dans certaines conditions expérimentales, on demande au sujet de dire le plus

rapidement possible la couleur dans laquelle est imprimée un mot. Dans un premier temps (a),

couleur et mot correspondent. Puis, dans un deuxième temps (b), le mot représente une couleur

différente de celle qui est imprimée (par exemple, le mot rouge est imprimé en vert, mais le

sujet doit énoncer vert). De nombreuses variantes de ce test existent. Elles montrent toutes une

augmentation du TR par rapport à la condition dans laquelle la couleur imprimée correspond au

mot lui-même (situation d'incompatibilité), même si la consigne précise au sujet qu'il ne faut pas

lire le mot. Une interprétation possible réside dans l'hypothèse que les deux stimuli (mot et

couleur) sont présentées simultanément au sujet et qu'il lui est impossible, les traitant ensemble,

de favoriser l'un en ignorant l'autre.

a) Rouge Vert Bleu Jaune Rose

Orange Bleu Vert Bleu Blanc

Vert Jaune Orange Blanc Bleu

Brun Rouge Bleu Jaune Vert

Rose Jaune Vert Bleu Rouge

b) Rouge Vert Bleu Jaune Rose

Orange Bleu Vert Bleu Blanc

Vert Jaune Orange Blanc Bleu

Brun Rouge Bleu Jaune Vert

Rose Jaune Vert Bleu Rouge

Une illustration possible de l'effet Stroop

bb)) TThhééoorriiee dduu ffii llttrraaggee

Un brève évocation du fonctionnement de la mémoire (cf. modèle proposé par Atkinson &

Shiffrin) nous permet de rappeler que le traitement d'un stimulus nécessite dans un premier

temps l'enregistrement de ce dernier en mémoire sensorielle. Entre cette mémoire sensorielle et

le passage en mémoire à court terme ou de travail, les différentes processus attentionnels

permettent l'identification des différents caractères élémentaires spécifiques à ce stimulus

(couleur, forme modalité sensorielle). Il est cependant difficile de situer à quel moment

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Cognition & Motricité -57- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ s'effectue l'opération permettant de sélectionner ce stimulus parmi d'autres. On suppose pour

cela qu'il existe un filtre permettant cette opération.

Les expériences de filtrage d'information comptent parmi les premières expériences menées

dans le domaine de l'attention, dans les années 50-60 (Rousseau & Fortin, 1989). Cherry (1953)

en sera à l'origine avec des travaux portant sur le problème désormais classique de la cocktail

party. Il est en effet difficile dans ce genre de raout de prêter attention à toutes les

conversations se déroulant simultanément. On n'écoute alors généralement qu'une seule

conversation. Cherry s'est proposé de reproduire expérimentalement ce type de conditions en

mettant en place un type de paradigme original consistant en des situations d'écoute binaurale

(avec la présentation simultanée du même message aux deux oreilles du sujet) ou d'écoute

dichotique (chaque oreille du sujet reçoit simultanément un message différent). Dans le cas

d'une écoute dichotique dite de filature (shadowing), la consigne est de répéter le plus

fidèlement possible (i.e. mot à mot, c'est une tâche de filature, le sujet colle au mot comme à son

ombre) l'un des messages au fur et à mesure de son audition. S'il veut répondre correctement à

la consigne donnée, il doit donc ignorer l'autre message. L'expérimentateur vérifie ensuite ce que

le sujet, placé sous cette contrainte d'une attention constante portée à l'un des messages, peut

restituer des deux messages.

Si les premiers résultats de Cherry montrent une très faible quantité d'information retenue

par le sujet sur le second message, ils mettent néanmoins en évidence que certaines

caractéristiques physiques du stimulus ignoré (ce peut être simplement le fait que chaque

message est lu par une personne différente ou bien encore l'énonciation furtive du nom du sujet

glissée dans le second message) permettent quand même son enregistrement.

Illustration de la tâche de

filature proposée par Anne

Treisman (in Rousseau & Fortin,

1989).

Anne Treisman notamment utilisera ce même paradigme par la suite (1960, 1964, cf. figure

supra). Ses résultats permettront de moduler ou d'élargir les données de Cherry. En effet, les

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Cognition & Motricité -58- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ travaux de Treisman montreront entre autres que dès lors que le message à ignorer présente une

signification pour le sujet, celui-ci développe probablement une stratégie d'écoute ou alloue une

attention, particulières à ce message, et en retient l'essentiel, en tous cas ce qui lui semble en

rapport avec le message à filer. Le filtrage s'effectuerait donc non pas simplement au niveau des

caractéristiques physiques du stimulus, mais aussi plus tard, lors du traitement de la signification

de ce stimulus.

cc)) FFii llttrree sséélleeccttiiff pprrééccoocc ee ddee BBrroo aaddbbeenntt

Représentation schématique très simplifiée du modèle du filtre dans le traitement de l'information.

D'après Broadbent, (1958)

L'un des premiers modèles théoriques de sélection des informations a été proposé par

Broadbent en 1958. Reposant sur l'idée du canal unique de traitement, il suppose l'intervention

précoce d'un filtre qui ne permettra qu'à un type d'information, sélectionnée et retenue sur la

base de ses caractéristiques élémentaires. Il s'agit ici véritablement d'un blocage, d'un rejet

définitif de l'information ne correspondant pas à celle qui est attendue par le système (ou par le

canal sensoriel sélectionné par ce système), comme si le filtre se donnait pour mission de lui

éviter toute surcharge attentionnelle. (Coquery, 1994, rappelle que "la notion de canal sensoriel

doit être distinguée de celle de récepteur sensoriel ou de voie afférente. Il s'agit d'un canal de

transmission d'information qui n'a pas nécessairement de support physique ou nerveux

spécifique. Toute dimension permettant de décrire un stimulus peut être considérée comme un

canal : position, hauteur tonale, couleur, date d'arrivée, etc. Les canaux sensoriels réalisent une

première analyse sur la base de ces dimensions, la plupart du temps des caractéristiques

SSttiimmuull ii MMéémmooiirree sseennssoorriieellllee

FFiillttrree RReeggiissttrree àà ccoouurrtt tteerrmmee

CCaannaall àà ccaappaacciittéé lliimmiittééee

EEffffeecctteeuurrss

MM..LL..TT..

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Cognition & Motricité -59- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ physiques ; puisqu'ils fonctionnent en parallèle et sans limitation de capacité, aucune attention

n'est requise à ce stade. Les opérations du filtre seront toutefois plus efficaces quand elles

porteront sur des messages prétraités, présentant les mêmes différences physiques.")

d) D'autres filtres sélectifs plus tardifs

Le modèle de Broadbent s'est en fait trouvé rapidement remis en question, notamment à la

lumière des travaux de Treisman montrant que le sujet était capable de retenir des parties du

message ignoré pourvu que ces éléments présentent du sens pour lui. Il était donc possible pour

un sujet, sous certaines conditions, de traiter plusieurs informations simultanément. Treisman en

1960, puis d'autres auteurs comme J.A. Deutsch & D. Deutsch en 1963, Norman en 1968, Keele

en 1973 ont proposé l'idée qu'en fait les signaux non sélectionnés ou moins pertinents pour le

système n'étaient pas définitivement rejetés, mais plus simplement atténués, sélectionnés et

traités plus tardivement.

La focalisation de l'attention vers le message pertinent n'utiliserait donc pas pleinement les

possibilités de traitement mises en jeu. Ainsi, dans ce cadre d'une attention partagée, il est

possible que les messages normalement ignorés, bloqués par le filtre, puissent interférer avec le

message à retenir et perturber les réponses du sujet. En situation d'écoute dichotique avec

filature, le rejet du message ignoré n'est pas toujours total. Certains ordres donnés dans ce

message ne sont pas exécutés, mais le deviennent une fois sur trois si l'on fait précéder ces

ordres du nom du sujet.

Dans ces modèles appartenant aux théories de la sélection tardive, le traitement des

différents stimuli est effectué en parallèle. Les processus attentionnels interviennent pour

sélectionner les stimuli en fonction du sens qu'ils possèdent ou de la pertinence qu'ils présentent

dans une situation donnée. Il existe ainsi un traitement sémantique en profondeur des

informations ignorées. Selon les auteurs, les différentes théories proposées, bien que

semblables, placent simplement le filtre à des moments différents du processus de traitement

(Keele par exemple, place ce filtre au moment de la sélection de la réponse). Pour eux, c'est

l'information la plus pertinente qui capte l'attention afin de produire une réponse spécifique.

Dans le cadre de ces modèles reposant sur l'idée de l'existence d'une capacité limitée de

traitement de l'information, limite entraînant une détérioration de la réponse dès lors que les

demandes de la tâche excèdent les ressources du sujet, un des modèles les plus populaires dans

le domaine du sport est, selon Williams et al. (2000) le modèle proposé par Norman (1968, 1969).

Selon cet auteur, les informations prélevées dans l'environnement via les différents capteurs

sensoriels passent par un premier filtre sensoriel (le mécanisme d'analyse des stimuli). Cette

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Cognition & Motricité -60- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ analyse permet d'extraire les caractéristiques de ces stimuli et de voir où ils sont stockés en

mémoire. Pour Norman, ceci s'effectue de façon infra (sub) consciente chez le sujet, ne

nécessitant pas de ressources particulières.

Modèle de l'attention sélective de Norman. La sélection dépend à la fois de la qualité de l'entrée

sensorielle et de la base cognitive de connaissances. Williams et al. (2000) rappellent que ce modèle peut

illustrer la métaphore de l'esprit humain comparé à un ordinateur (la partie gauche du modèle

représenterait les éléments sensoriels structurels de l'organisme, le hard, alors que la partie droite

proposerait une illustration des représentations symboliques (sélection ,traitement, encodage), le soft.

D'après Norman, 1969. Source Williams et al., 2000.

En même temps qu'est menée cette première analyse est mené en mémoire à long terme un

examen des signaux précédents (antérieurs). Ce traitement permet, par la comparaison entre

l'expérience et le contexte actuel, de déterminer des événements ou classes d'événements

pertinents dans l'analyse de la situation vécue par le sujet. L'idée proposée ici par Norman est

que le sujet s'est construit au travers de son expérience une base cognitive de connaissances lui

permettant, dans des situations semblables à celles qu'il a déjà vécues, de traiter les

événements auxquels il se trouve confronté. Ce sujet développerait ainsi grâce à son expérience

une capacité à distinguer les signaux pertinents de non pertinents ou à formuler des probabilités

MMééccaanniissmmee dd''aannaallyyssee ddeess ssttiimmuullii

CCaapptteeuurrss

sseennssoorriieellss

SSttoocckkaaggee sseennssoorriieell àà ccoouurrtt tteerrmmee

CCee qquuii eesstt aatttteenndduu

PPeerrttiinneennccee

IInnffoorrmmaattiioonn

ccoonntteexxttuueellllee

IInnffoorrmmaattiioonn ddee ll''eennvviirroonnnneemmeenntt

MMéémmooiirree àà ccoouurrtt tteerrmmee MMéémmooiirree àà lloonngg tteerrmmee

SSéélleeccttiioonn eett

aatttteennttiioonn

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Cognition & Motricité -61- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ sur les possibilités d'occurrence de certains événements (signaux, informations)

préférentiellement à d'autres.

e) Des ressources multiples

Reprochant aux modèles précédents une approche trop rigide, sans souplesse, d'autres

modèles ont été proposés, notamment par Kahneman en 1973.

Modèle de Kahneman de capacité flexible attentionnelle. Adapté de Kahneman, 1973.

Source : Williams et al., 2000

Ces nouvelles propositions (Kahneman, 1973, Navon & Gopher, 1980, Wickens, 1980) s'appuient

sur l'hypothèse de l'existence chez l'individu de ressources attentionnelles conscientes

AAccttiivviittéé ppoossssiibbllee

EEvveeiill ______________________________

CCaappaacciittéé ddiissppoonniibbllee

PPrroocceesssseeuurr cceennttrraall aalllloouuaanntt lleess rreessssoouurrcceess

EEvvaalluuaattiioonn ddeess ddeemmaannddeess ddee

ccaappaacciittéé

DDiissppoossiitt iioonn ppeerrmmaanneennttee

IInntteennttiioonnss mmoommeennttaannééeess

RRééppoonnsseess

DDiivveerrsseess mmaanniiffeessttaattiioonnss dd''éévveeiill

DDéétteerrmmiinnaannttss ddiivveerrss

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Cognition & Motricité -62- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ multiples nous permettant par exemple d'exécuter deux tâches simultanément pourvu qu'elles

fassent appel à des réservoirs différents. L'attention est ici appréhendée comme un ensemble

de capacités rendues disponibles par le sujet à mesure de l'augmentation des contraintes.

Si cet ensemble demeure globalement limité, le fonctionnement proposé par Kahneman offre

une certaine souplesse dans la gestion des ressources. Son modèle (cf. infra) dispose en quelque

sorte d'un processeur central, un système de gestion qui alloue les ressources à une activité

préférentiellement à une autre (il est difficile, étant donnée la nature limitée du réservoir de

ressources, de répondre à toutes les demandes des différentes tâches) en fonction d'intentions

momentanées du sujet (buts ou objectifs spécifiques à un moment donné) et de disposition(s)

permanente(s) liée(s) par exemple au fonctionnement du système, à la nécessité de sa survie, à

des processus d'attention involontaire (attirée brusquement en un lieu particulier par un élément

surprenant ou inattendu). Comme le précise le schéma ci-dessous, la quantité de ressources

disponibles à un moment particulier est fonction du niveau d'éveil. Il se peut d'ailleurs que la

demande en ressources attentionnelles entraîne une élévation du niveau d'éveil et donc de ces

ressources elles-mêmes. C'est donc bien ici la tâche à réaliser qui va déterminer le montant des

ressources qui va être alloué par le processeur. Lorsque la demande excède les possibilités du

système, celui-ci est amené à effectuer un choix et à allouer les ressources à la tâche dont la

demande va être satisfaite.

Ce modèle des ressources attentionnelles, bien que critiqué lui aussi (par exemple, il n'apporte

pas de solution au problème de l'interférence ente tâches) valide l'hypothèse selon laquelle il est

possible sous certaines conditions de mener deux activités (d'effectuer deux tâches) en même

temps. Cette problématique n'est pas récente puisqu'en 1898 déjà Welch avait noté qu'il était

possible d'ajouter une tâche secondaire (force maximale de saisie de la main) à une tâche

primaire (calcul, lecture) afin de mesurer la demande attentionnelle.

f) Le paradigme de la double tâche

Nous effectuons au quotidien un certain nombre d'actions en même temps (jouer d'un

instrument en lisant la partition, prendre des notes en écoutant un conférencier, …). Beaucoup de

ces activités sont devenues automatiques, ce sont des routines que l'on met en route sans y

prêter une attention particulière. Il est intéressant d'essayer de comprendre comment réagit

l'organisme lorsqu'il est placé dans la situation de réaliser deux actions simultanément. Ce

paradigme est connu sous l'appellation du paradigme de la double tâche. Si le sujet est engagé

dans la réalisation d'une tâche (1) et qu'il doit simultanément en réaliser une seconde (2), avec

comme critères de réussite la vitesse (temps de réaction) et la justesse de la réponse,

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Cognition & Motricité -63- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ différents cas de figure peuvent se produire : (1) et (2) peuvent ne pas être affectées, (1) peut

être perturbée et non (2), (2) peut être affectée et non (1), les deux réponses peuvent toutes

deux être affectées, ou tout simplement l'une des deux tâches peut finalement ne pas être

réalisée. Ce paradigme consiste à ajouter une tâche secondaire à une tâche principale pour

laquelle la demande en attention est mesurée. La diminution des performances dans la réalisation

de la tâche secondaire (c'est celle pour laquelle les dégradations de la performance sont

mesurées) permet de déduire la demande en attention requise pour la tâche principale. Le

décrément ou la baisse de qualité de la réponse est mesuré en comparant les résultats en

situation de simple et de double tâche. Le statut de chacune de ces tâches peut varier en

fonction de différents facteurs. Les consignes données par l'expérimentateur peuvent par

exemple définir une priorité. Pour cela, cette distinction s'avère parfois quelque peu artificielle

(il est tout à fait possible de demander une égale réussite aux deux tâches). Elle peut s'avérer

utile si l'expérimentateur cherche à mesurer l'habileté du sujet à commu ter, à déplacer son

attention sur deux actions concurrentes plutôt qu'estimer la demande en ressources

attentionnelles de la tâche principale.

Répartition de l'attention en fonction de la demande de la tâche principale

Lorsque aucune consigne de priorité n'est donnée, l'attention va généralement se répartir

entre les deux tâches, impliquant (voir cas de figures précédents) selon les cas une forte

dégradation dans la réponse à l'une des deux tâches. Il est possible de représenter les relations

entre ces deux tâches par une courbe d'efficacité. Cette représentation que Norman et Bobrow

(1975) ont proposé d'appeler POC (Performance Operating Characteristic) ou courbe des

AAtttteennttiioonn aalllloouuééee àà llaa ttââcchhee sseeccoonnddaaiirree

AAtttteennttiioonn aalllloouuééee àà uunnee ttââcchhee sseeccoonnddaaiirree ssiimmppllee

AAtttteennttiioonn aalllloouuééee àà uunnee ttââcchhee sseeccoonnddaaiirree ccoommpplleexxee

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Cognition & Motricité -64- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ caractéristiques opérationnelles de la performance, permet de mettre en évidence le

déplacement des ressources attentionnelles (cf. document fourni en TD).

EE-- OOrrii eennttaattiioonn vvii ssuueell llee eenn ssppoorrtt

Le sportif est constamment confronté à la réalisation simultanée de différentes tâches. Dans

un sport collectif, il doit se déplacer, maîtriser à la main et/ou au pied un ballon, prendre en

compte les placements et déplacements de ses partenaires et adversaires, développer des

stratégies pertinentes et efficientes, etc. La question qui se pose évidemment est celle de

l'automatisation des différentes habiletés caractéristiques de la pratique de ce sportif. Il est

trivial de rappeler qu'avec la pratique, l'exécution d'actions requiert de moins en moins

d'attention. Dans ce type de situations, on distingue généralement deux types de processus, des

processus automatiques et des processus contrôlés. Pour le formateur comme pour l'entraîneur,

l'objectif sera d'automatiser au maximum ces processus de façon à pouvoir allouer aux processus

contrôlés le maximum possible de ressources attentionnelles. Les tra vaux les plus connus et sans

doute les plus conséquents dans ce domaine ont été réalisés par Walter Schneider et Richard

Shiffrin en 1977 sur des tâches de prospection visuelle (trouver une cible parmi un ensemble

d'éléments, par exemple pouvoir dire si la lettre F apparaît dans un ensemble de phrases) ou

mnémoniques, impliquant l'examen d'éléments mémorisés (il est demandé au sujet de mémoriser

un certain nombre de lettres, il doit ensuite pouvoir dire si une lettre particulière faisait partie

de celles qu'il a stockées en mémoire). Ces travaux ont permis de définir précisément les

processus automatiques et les processus contrôlés, en mettant en évidence leurs propriétés

respectives. Le tableau ci-dessous en présente une synthèse.

Processus automatiques Processus contrôlés

Traitement rapide Traitement lent

Pas d'interférence d'autres tâches Interférence possible d'autres tâches

En parallèle En série

Non volontaires (le traitement est souvent

inévitable)

Volontaires (possibilité de les arrêter)

Cette approche se fonde sur une démarche de type coûts et bénéfices, concept développé par

Posner et Snyder (1975). Pour ces auteurs, trois critères permettent de définir le caractère

automatique d'une habileté : elle est produite sans intention de la part du sujet, elle ne nécessite

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Cognition & Motricité -65- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ pas une attention consciente et enfin elle n'interfère pas avec une autre activité mentale

(illustration possible avec l'évolution du débutant au ski). L'amélioration de la réponse du sujet se

traduit par un bénéfice attentionnel (baisse du temps de réaction, plus grande précision) alors

que la dégradation de cette réponse se traduit par un coût attentionnel (augmentation du temps

de réaction, probabilité plus élevée de réponses incorrectes). Cependant, une difficulté possible

dans cette automatisation est l'accès plus difficile aux processus de contrôle (modifier un

automatisme n'est pas chose aisée). Le traitement automatique ne présente donc pas que des

avantages; l'automaticité confinant parfois dans les tâches quotidiennes à la manie.

Orienter l'attention visuelle du sportif s'inscrit dans une perspective de ce type. L'idée est

de permettre au pratiquant de traiter plus vite et mieux les informations à prélever dans un

contexte événementiel chargé. Comme nous l'avons déjà évoqué, dans de nombreuses situations

sportives, l'athlète doit développer des capacités attentionnelles sélectives, identifier sur la

base de certains indices (sources) la pertinence de signaux, définir des priorités, discriminer

entre une action réelle et une feinte afin de pouvoir mieux anticiper ou initier leur réponse, etc.

L'hypothèse est que l'orientation de l'attention vers une région donnée de l'espace va entraîner

une facilitation du traitement de l'information présentée dans cette zone et une inhibition dans

les autres. Par rapport à une condition où aucune source d'information n'est privilégiée, porter

son attention en un point donné se traduit par un bénéfice dans le traitement de l'information

présentée en ce point et un coût pour les autres sources potentielles.

Deux formes d'orientation de l'attention sont possibles. Comme le précise Posner (1980), "il

est important de distinguer entre les modifications "overt" dans l'orientation qui peuvent être

observées dans les mouvements de la tête et des yeux, et les orientations purement "covert" qui

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Cognition & Motricité -66- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ peuvent être réalisées par les mécanismes centraux seuls". Overt peut se traduire par

l'expression manifeste, c'est-à-dire un déplacement visible du regard, de la tête et/ou du corps

dans son ensemble. Si l'athlète est alerté de la survenue d'un événement par sa vision

périphérique, l'"overt orienting attention" va lui permettre d'amener cette cible en vision

centrale ou fovéale de façon à pouvoir qualifier, identifier, analyser cet événement. Le terme

covert peut se traduire par la notion de latence (l'orientation visuelle va se produire, mais avec

un délai). Celle-ci traduit un processus central d'orientation de l'attention ou des ressources

cognitives du sujet sans modification apparente de sa posture ou de la direction de son regard. Il

peut par exemple choisir de fixer un point particulier dans l'espace de façon à mobiliser son

attention sur la survenue d'événements en périphérie. Cette stratégie, qui lui permet

d'appréhender l'ensemble des informations nécessaires à un traitement efficace et à une prise

de décision rapide et pertinente a été qualifiée "d'inter-événementielle" par Ripoll (1988). Le

sujet fixe un espace vide (c'est-à-dire ne possédant apparemment aucun élément susceptible de

fournir une information), espace cependant pertinent puisqu'il permet au sujet d'obtenir la ou les

informations recherchées. Cette stratégie a été mise en évidence par Ripoll (1988) dans une

tâche de résolution de problème "consistant à mettre en évidence une structure complexe de

volley-ball présentée en vidéo". Ces travaux font apparaître que les joueurs experts positionnent

leur regard au centre de la structure de jeu, de façon à pouvoir appréhender et à mettre en

relation l'ensemble des événements se déroulant à l'intérieur de cette structure. S'il semble

exister une relation fonctionnelle entre ces deux systèmes (attention et déplacement du regard

ou orientation visuelle latente), cela n'implique pas nécessairement une relation directe et

réciproque entre eux. Ceci a été montré par Klein en 1980. Si toute orientation du regard postule

le déplacement préalable de l'attention, celle-ci peut être orientée dans le champ visuel sans

déplacement du regard. En d'autres termes, l'exploration visuelle n'est pas toujours une

traduction fidèle de l'intérêt que l'athlète porte aux différentes sources potentielles

d'information présentes dans son champ visuel.

L'orientation de l'attention visuelle permet de comparer cette attention à un spot lumineux

(spotlight, métaphore proposée par Posner en 1980), un projecteur se déplaçant dans

l'environnement, balayant le champ visuel du sujet en éclairant de façon privilégiée certaines

zones de l'espace au détriment d'autres. Pour Posner, l'attention visuelle peut être orientée

dans l'espace de deux façons : l'orientation exogène, brève, de nature réflexe, serait le fruit de

la détection en périphérie d'un événement, alors que l'orientation endogène, plus longue,

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Cognition & Motricité -67- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ fonctionnant sur un mode contrôlé, bénéficierait d'une pré information indiquant au sujet dans

quel partie de son environnement visuel se trouve probablement l'information qu'il recherche.

Dans le domaine des activités physiques et sportives, l'étude de l'orientation visuelle a

principalement porté sur les stratégies de déplacement du regard en relation avec la prise de

décision. Les expérimentations que nous avons conduites voici quelques années s'inscrivent dans

cette problématique. Au plan de la prospection visuelle et de l'orientation de l'attention, il nous a

paru intéressant de parvenir à identifier les diverses sources informationnelles utilisées par les

pratiquants de savate boxe française. La logique de l'activité permet l'utilisation des deux poings

et des deux pieds, ce qui implique chez l'athlète un nombre important de points à fixer. En effet,

si dans une activité comme l'escrime par exemple où le danger potentiel concerne l'arme, il

semble que le plus grand nombre d'informations soit prélevé sur la coquille de celle-ci, en savate

boxe française le pratiquant dispose de quatre armes qui peuvent intervenir de façon

équivalente, ce qui accroît notablement l'incertitude véhiculée par la situation. Il faut noter

cependant que la charge attentionnelle requise peut être pondérée par la prise en compte de

certaines données, comme l'attitude posturale de l'adversaire, sa garde, la connaissance que

l'athlète possède des caractéristiques de cet adversaire. On peut finalement se demander si

cette équiprobabilité d'utilisation a priori des différentes armes n'entraîne pas au plan de la

prospection visuelle un coût trop élevé et si le boxeur ne fixe pas plus simplement un point situé

en dehors de ces différentes armes, déléguant ainsi aux mécanismes périphériques de la vision le

soin de l'alerter sur la probabilité et la survenue d'un événement. Ainsi, certains pratiquants de

boxe française adoptent une stratégie inter-événementielle (cf supra), choisissant de ne

regarder que les yeux ou le buste de leur adversaire (d'autres facteurs interviennent dans ce

choix, notamment d'ordre psychologique). Par ailleurs, dans la logique de ce qui précède, nous

avons formulé l'hypothèse qu'en fonction du niveau de compétences atteint dans l'activité, les

zones prospectées visuellement par les sujets étaient différentes. En d'autres termes, les

experts et les non experts n'accordent sans doute pas la même importance aux mêmes lieux

consultés chez leur opposant. Ceci pourrait peut-être partiellement expliquer la différence entre

ces populations et constituer une voie à explorer dans l'apprentissage et l'entraînement de cette

discipline.

Les hypothèses formulées étaient celles d’une distribution hiérarchique des stratégies

exploratoires visuelles. Dans cet ordre d’idées, le tireur privilégierait la consultation du regard

de son adversaire/partenaire et de l'arme située à hauteur des épaules (le poing), puis du buste

(plexus), du bassin et enfin des appuis, bien que ces derniers ne soient que très rarement l'objet

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Cognition & Motricité -68- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ de l'attention visuelle du pratiquant de savate boxe française, du moins pour les boxeurs

confirmés. En adme ttant que les coups portés sont initiés par les appuis (placements,

déplacements, poids du corps), on pouvait également être amené à penser qu'une lecture très

rapide de l'événement devrait intégrer la prise en compte de ces appuis. Les hypothèses

suivantes avaient donc été avancées : (h 1), les experts ont un nombre de consultations moins

élevé que les non-experts ; (h 2), les experts consacrent plus de temps par fixation que les non-

experts, (h 3), les zones fixées en priorité par les experts concernent d'abord la tête, puis les

membres supérieurs et le buste de leur partenaire, (h 4), les experts ne consultent pas les

appuis, (h 5), elle est une conséquence des hypothèses 3 et 4 : les experts privilégient la vision

périphérique dans la recherche d'indices pertinents.

Ouverture Technique poing avant Technique pied avant

Différents événements proposés aux sujets

Comme les photos ci-dessus l'indiquent, différents événements (technique, ouverture, feinte)

ont été proposés aux sujets. Ceux-ci étaient équipés d'un vidéo oculographe (NAC 5) permettant

à l'expérimentateur d'enregistrer les déplacements de leur regard.

Les principaux résultats de l'analyse de l'exploration visuelle apportent un certain nombre de

précisions susceptibles d'éclairer d'une part les caractéristiques informationnelles de la savate

boxe française et, d'autre part, les caractéristiques de l'orientation de l'attention visuelle et du

du traitement de l'information visuelle en relation avec le niveau d'expertise du tireur. On

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Cognition & Motricité -69- Yves Kerlirzin __________________________________________________________________________________________ remarquera tout d'abord que les patrons de prospection visuelle (cf. infra) sont significatifs du

niveau des boxeurs. En effet, ces patrons sont d'autant plus "éclatés" que le niveau des boxeurs

est faible. L'essentiel des fixations visuelles concerne trois éléments chez les experts (tête,

membres supérieurs, buste). Ici, la tête semble bien jouer un rôle de pivot visuel autour duquel

l'ensemble de la prise d'information visuelle s'organise. Cette zone semble constituer un point

d'ancrage informationnel déterminant, délimitant ce "champ utile de vision" à partir duquel

s'organise de la façon la plus efficace possible le recueil des informations. En effet, le calcul des

relations entre les différents lieux prospectés fait apparaître, pour cette population, un nombre

important de liaisons entre la tête et le buste, entre la tête et les membres supérieurs.

Débutants Compétiteurs Experts

Zones consultées selon le niveau d’expertise des tireurs

Apparaissent ensuite respectivement comme paramètres consultés le bassin (chez les

compétiteurs), le bassin et les membres inférieurs (chez les débutants). Une analyse plus fine du

pourcentage de fixations par zone démontre l'existence de stratégies en relation avec le niveau de

pratique. En effet, la tête constitue chez les internationaux la zone privilégiée (42,6%), à la

différence des compétiteurs pour lesquels cette zone et les membres supérieurs (29,9% versus

34,5%) sont consultés de façon comparable, et des débutants où cette zone arrive largement

derrière celle des membres supérieurs (19,7% versus 33,8%). Tout se passe en fait comme si le

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débutant privilégiait la zone supérieure la plus basse (les poings), puis, à mesure que le niveau

d'expertise augmente, accordait un "poids" égal à la tête et aux membres, avant de confier, au plus

haut niveau de pratique, un rôle privilégié à la tête.

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