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Cours M2 DAIT Droit et politiques sociales de l’Union Considérations générales : intégration positive vs intégration négative L’intégration positive, dans l’Union, s’est toujours réalisée en décalé par rapport à l’intégration négative. Celle-ci s’est réalisée dans une large mesure grâce à l’intervention de la Cour, et à la jurisprudence (sur la notion d’entrave ou encore en matière de concurrence). On voit d’ailleurs comme la Cour définit les formes de cette intégration dans l’Union (on pense à l’arrêt Altmark). Il existe bien au niveau européen un risque de déséquilibre entre l’intégration négative et l’intégration positive. Le développement asynchrone de ces deux formes d’intégration est de nature à stimuler la concurrence entre les droits : l’approfondissement des libertés permet aux opérateurs économiques d’opérer des choix entre les systèmes nationaux. Cette concurrence pourrait être vertueuse si elle favorisait l’amélioration de la qualité des droits soumis à la concurrence. Les grandes dates de l'évolution ont été marquées par la succession des révisions des traités sur la Communauté puis sur l'Union européenne. Ces révisions ont permis de passer d'une "Communauté économique européenne" à une "Communauté européenne" s'insérant dans une "Union européenne", avant que la Communauté ne vienne finalement disparaître au profit de l'Union européenne et se fondre dans les deux traités, "sur l'Union européenne" d'une part et "sur le fonctionnement de l'Union européenne", d'autre part, issus du traité de Lisbonne. Cette évolution générale des dispositions des traités relatives à la matière sociale sera brièvement présentée pour commencer. Il conviendra ensuite, au titre des questions d'ordre général, de préciser quels sont les objectifs sociaux que se sont donnés les traités et comment ces objectifs ont pu être, avec le temps, refaçonnés et enrichis. Influence UE sur droit du travail français Le droit du travail français n'est plus le seul fruit d'une histoire nationale, dans lequel il s'est émancipé du droit civil pour gagner son autonomie. Il est aujourd'hui soumis à l'influence d'autres systèmes juridiques (3) .La mondialisation du droit du travail français a ainsi été soulignée (4) , de même que le rôle de la Convention européenne des droits de l'homme. Mais l'influence la plus prégnante est incontestablement celle de l'Union européenne (5) . Certes, le système juridique communautaire s'inspire des droits nationaux. En ce sens, le Préambule du Traité sur l'Union européenne énonce que les États membres sont « désireux d'approfondir la solidarité entre leurs peuples dans le respect de leur histoire, de leur culture ». Mais le droit communautaire possède surtout sa logique propre : assurer la liberté de circulation des personnes, des marchandises, des services et des capitaux entre les États membres. Cette prééminence des libertés économiques peut apparaître comme une menace pour le droit français (6) . Les relations entre le droit communautaire et le droit du travail français ont ainsi été examinées en termes de confrontation, l'un prenant le pas sur l'autre (7) . Il existe cependant une autre influence du droit communautaire, plus souterraine, qui ne doit pas être négligée : celle sur les divisions du droit du travail français. La construction européenne conduit en effet à repenser les catégories juridiques nationales.

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Cours M2 DAIT Droit et politiques sociales de l’Union

• Considérations générales : intégration positive vs intégration négative

L’intégration positive, dans l’Union, s’est toujours réalisée en décalé par rapport à l’intégration négative. Celle-ci s’est réalisée dans une large mesure grâce à l’intervention de la Cour, et à la jurisprudence (sur la notion d’entrave ou encore en matière de concurrence). On voit d’ailleurs comme la Cour définit les formes de cette intégration dans l’Union (on pense à l’arrêt Altmark). Il existe bien au niveau européen un risque de déséquilibre entre l’intégration négative et l’intégration positive. Le développement asynchrone de ces deux formes d’intégration est de nature à stimuler la concurrence entre les droits : l’approfondissement des libertés permet aux opérateurs économiques d’opérer des choix entre les systèmes nationaux. Cette concurrence pourrait être vertueuse si elle favorisait l’amélioration de la qualité des droits soumis à la concurrence.

Les grandes dates de l'évolution ont été marquées par la succession des révisions des traités sur la Communauté puis sur l'Union européenne. Ces révisions ont permis de passer d'une "Communauté économique européenne" à une "Communauté européenne" s'insérant dans une "Union européenne", avant que la Communauté ne vienne finalement disparaître au profit de l'Union européenne et se fondre dans les deux traités, "sur l'Union européenne" d'une part et "sur le fonctionnement de l'Union européenne", d'autre part, issus du traité de Lisbonne. Cette évolution générale des dispositions des traités relatives à la matière sociale sera brièvement présentée pour commencer. Il conviendra ensuite, au titre des questions d'ordre général, de préciser quels sont les objectifs sociaux que se sont donnés les traités et comment ces objectifs ont pu être, avec le temps, refaçonnés et enrichis.

• Influence UE sur droit du travail français

Le droit du travail français n'est plus le seul fruit d'une histoire nationale, dans lequel il s'est émancipé du droit civil pour gagner son autonomie. Il est aujourd'hui soumis à l'influence d'autres systèmes juridiques (3) .La mondialisation du droit du travail français a ainsi été soulignée (4) , de même que le rôle de la Convention européenne des droits de l'homme. Mais l'influence la plus prégnante est incontestablement celle de l'Union européenne (5) .

Certes, le système juridique communautaire s'inspire des droits nationaux. En ce sens, le Préambule du Traité sur l'Union européenne énonce que les États membres sont « désireux d'approfondir la solidarité entre leurs peuples dans le respect de leur histoire, de leur culture ». Mais le droit communautaire possède surtout sa logique propre : assurer la liberté de circulation des personnes, des marchandises, des services et des capitaux entre les États membres. Cette prééminence des libertés économiques peut apparaître comme une menace pour le droit français (6) . Les relations entre le droit communautaire et le droit du travail français ont ainsi été examinées en termes de confrontation, l'un prenant le pas sur l'autre (7) .

Il existe cependant une autre influence du droit communautaire, plus souterraine, qui ne doit pas être négligée : celle sur les divisions du droit du travail français. La construction européenne conduit en effet à repenser les catégories juridiques nationales.

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Un tel mouvement résulte déjà bien évidemment du caractère transnational du droit communautaire. Ainsi, le comité d'entreprise européen, instauré par la directive 94/45 du 22 septembre 1994 (8) bouscule la répartition des compétences entre comité d'entreprise et comité de groupe en droit français.

Chapitre 1 – Les sources du droit social européen

Section 1 - Evolution générale

Traité de Rome - Le traité de Rome créant la Communauté économique européenne, signé la 25 mars 1957, faisait reposer l'"Europe sociale" sur une double base : la libre circulation des travailleurs, c'est-à-dire des ressortissants communautaires actifs (art. 48 et s. du traité, devenus art. 39 et s. TCE), une politique sociale (art. 117 à 128 du traité, devenus art. 136 et s. TCE), dont les objectifs ne manquaient pas d'ambition, mais dont les moyens d'action étaient limités.

L'ancien article 117 misait largement sur une harmonisation spontanée des législations sociales. Celle-ci devait résulter naturellement de la réalisation du marché commun. L'interventionnisme communautaire devait rester exceptionnel et subsidiaire.

L'ex-article 118 du traité, dans la rédaction du traité de Rome, s'était borné à confier à la Commission une mission tendant à promouvoir la collaboration entre États membres dans le domaine social. Une telle mission débouchait naturellement sur un simple pouvoir de formuler des avis ou des recommandations, actes qui, suivant les termes de l'article 288 TFUE (reprenant ceux des ex-art. 189, puis 249 TCE), "ne lient pas".

Une politique sociale a malgré tout pu prendre naissance. Des attributions spéciales de compétence l'ont, d'une part, permis dans certains domaines, notamment, après l'Acte unique européen, pour la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. D'autre part, même là où aucune attribution spéciale de compétence n'avait été prévue, cette absence a pu être suppléée par le recours à des pouvoirs d'action prévus par le traité à des fins générales de rapprochement des législations, lorsque ce rapprochement permet d'assurer "l'établissement et le fonctionnement du marché" intérieur (suivant les prévisions de l'ex-art. 100, devenu art. 94 TCE, puis art. 115 TFUE). La politique sociale a aussi pu prendre appui, s'agissant en particulier de l'égalité entre hommes et femmes, sur les dispositions du traité permettant à la Communauté d'agir, alors même que le traité n'a pas prévu les pouvoirs d'action requis, lorsqu'une action de la Communauté apparaît nécessaire pour atteindre l'un des objectifs visés par les traités (ex-art. 235, devenu art. 308 TCE, puis art. 352 TFUE).

En dehors du strict domaine de la politique sociale, des compétences avaient d'emblée été mises au service de la Communauté en vue de permettre la liberté de circulation des travailleurs dans l'espace intérieur de la Communauté.

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Ces données limitatives ont été profondément modifiées avec le traité d'Amsterdam. L'article 137 TCE, devenu article 153 TFUE, a attribué à la Communauté puis à l'Union européenne les compétences requises pour soutenir et compléter l'action des États membres en matière de politique sociale. Un système de compétences spéciales, propres au domaine social, permettant à l'Union de légiférer par voie de directives, a pris forme.

Ce changement n'a pas empêché de maintenir les missions "douces", ne liant pas, confiées à la Commission par l'ancien article 118. L'article 157 TFUE, remplaçant l'article 141 TCE qui avait lui-même remplacé, après modification, l'article 118 du traité CEE, énonce aujourd'hui que "la Commission encourage la coopération entre les États membres et facilite la coordination de leur action dans tous les domaines de la politique sociale".

Acte unique européen - L'Acte unique européen, signé à Luxembourg le 17 février 1986 et à La Haye le 28 février 1986, n'a pas modifié les structures et ses effets ont principalement été de permettre un essor de la politique sociale, dans certaines directions tout au moins, telle la protection des travailleurs dans le milieu du travail. Avec l'Acte unique européen, une petite partie de la politique sociale a pu désormais se décider à la majorité qualifiée du Conseil, en coopération avec le Parlement, alors qu'auparavant elle requérait toujours un vote unanime du Conseil, le Parlement étant simplement consulté. L'Acte unique européen s'est également marqué par une première apparition du "dialogue social" européen, auquel le traité initial n'avait ménagé aucune place.

L’Acte Unique Européen de 1986 a permis d’approfondir le cadre initial, grâce à l’article 118 A qui permit le vote à la majorité qualifiée de directives relatives aux questions de santé et de sécurité sur le lieu de travail1 et à l’article 118 B2 qui, en encourageant le dialogue social, permettait, en principe, d’aménager de nouveaux espaces pour une action communautaire qui restait au demeurant limitée. Toutefois, les diverses directives adoptées sur le fondement de l’article 118 A, devenu article 137 du traité CE, autorisent un degré élevé de flexibilité entre Etats membres3. Leur objectif étant souvent d’établir des prescriptions minimales – comme cela ressort de leur formulation même - la Cour reconnaît aux Etats la possibilité d’établir une protection nationale renforcée.

1 K. BANKS, « L’article 118 A. Elément dynamique de la politique sociale communautaire », CDE, 1993, pp. 537 à 554. 2 L’article 118 B, formellement abrogé par le Traité d’Amsterdam (mais de fait complété dès le Protocole sur la politique sociale de 1992), prévoyait que « La Commission s’efforce de développer le dialogue entre partenaires sociaux au niveau européen, pouvant déboucher, si ces derniers l’estiment souhaitable, sur des relations conventionnelles ». 3 S. VAN RAEPENBUSCH, D. HANF, «Flexibility in Social Policy», in B. de WITTE, D. HANF, E. VOS (dir.), The Many Faces of Differenciation in EU Law, Anvers, Intersentia, 2001, pp. 65 à 81, spéc. p. 67. V. aussi les développements dans la thèse de S. MARCIALI, La flexibilité du droit de l’Union européenne, prec., spéc. p. 97.

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Traité de Maastricht - Faisant suite à la déclaration solennelle que fut la proclamation de la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux, "adoptée" le 9 décembre 1989, le traité de Maastricht instituant l'Union européenne, signé le 7 avril 1992, a placé l'"Europe sociale" sous le signe de la dissociation. D'un côté, le traité communautaire n'a subi que des retouches assez légères, de l'autre a été greffé au traité un ensemble constitué par le protocole sur la politique sociale et par l'Accord sur la politique sociale, annexé au protocole, où s'exprime une volonté de refondation de la politique sociale européenne. Reprenant l'accord qu'ils avaient conclu le 31 octobre 1991, le traité permet aux partenaires sociaux de faire une entrée en force dans le fonctionnement des rouages institutionnels de la Communauté. Sous l'empire du traité de Maastricht, les actes de la politique sociale communautaire pouvaient se fonder soit sur les dispositions du traité, soit à l'exclusion du Royaume-Uni, sur celles de l'Accord sur la politique sociale.

Sur le plan des principes intéressant le droit social, le traité de Maastricht apporte également du nouveau : la Communauté "économique" européenne devient Communauté européenne ; la Citoyenneté européenne prend naissance.

Les avancées du Protocole sur la politique sociale annexé au Traité de Maastricht, intégré dans le corps du traité à la suite du Traité d’Amsterdam ont élargit la palette d’outils en matière de politique sociale communautaire. La reconnaissance officielle de la source conventionnelle (art. 138 TCE), la collaboration des États membres sous l’égide de la Commission (art. 140), l’accroissement du rôle dévolu au Fonds social européen (art. 123) et surtout la possibilité pour la Communauté d’appuyer l’action des Etats par voie de directives (art. 137) témoignent d’une pluralité de moyens d’action4. Dans ce contexte, l’introduction de la SEE et de la MOC était censée approfondir ces instruments, en allant plus loin que la simple collaboration visée à l’article 140 et en touchant aux domaines sensibles traditionnellement réservés aux États. Toutefois, cette diversification des instruments ne s’accompagne pas d’une modification de l’équilibre entre compétences communautaires et nationales dans le cadre de la politique sociale. Si, certes, le traité de Nice a offert une base timide au développement de la MOC en matière sociale en étendant la compétence communautaire à des domaines sensibles tels que la lutte contre l’exclusion sociale et la modernisation des systèmes de protection sociale5 , cette extension se borne « au degré minimal de l’attribution des compétences dévolues à la Communauté »6. L’introduction de la MOC dans le domaine social ne peut dès lors se comprendre qu’en ayant à l’esprit cette tendance récurrente à circonscrire les compétences sociales de la Communauté à un rôle complémentaire.

Traité d'Amsterdam - Le traité d'Amsterdam, signé le 2 octobre 1997, a introduit d'importants changements. Pour commencer, il a rendu son unité à la politique sociale communautaire en intégrant l'Accord sur la politique sociale dans le corps du traité.

4 S. SCIARRA, « Social Values and the Multiple Sources of European Social Law », ELJ, vol. 1, n° 1, 1995, pp. 60 à 83. 5 Articles 137.1 j) et 137.1 k) tels que modifiés par le traité de Nice. 6 S. MARCIALI, La flexibilité du droit de l’Union européenne, préc., p. 98.

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Il a consacré de ce fait à un degré encore plus considérable la fonction institutionnelle des partenaires sociaux. Désormais, celle-ci vient directement en concurrence du rôle accru qu'a reçu le Parlement européen en matière de politique sociale. Les domaines dans lesquels les actes sont pris par codécision du Parlement et du Conseil - statuant à la majorité qualifiée - se sont en effet multipliés. Or, parallèlement, les partenaires sociaux ont acquis une fonction de "quasi-législateurs" de l'Union.

Le traité d'Amsterdam a aussi étendu le champ des compétences communautaires dans de nouveaux domaines, de singulière importance : l'immigration en provenance des pays tiers, la lutte contre les discriminations. La coordination des politiques nationales de l'emploi y acquiert également ses titres institutionnels.

Le traité d'Amsterdam a été en outre l'occasion de procéder à la rénumérotation des dispositions des deux traités, sur la Communauté et sur l'Union européenne, rendue nécessaire par l'adjonction successive de nouveaux éléments de texte.

Conseil européen de Nice - L'apport du Conseil européen de décembre 2000 et du traité de Nice, signé le 26 février 2001, est contrasté. La proclamation de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, faite en marge de la révision du traité, est richement porteuse d'avenir ; les droits qui y sont consacrés intéressent, directement ou indirectement, les travailleurs et les relations de travail. Mais les compétences communautaires sont restées en l'état, la procédure de codécision parlementaire et de majorité qualifiée du Conseil n'a pas connu directement de nouvel essor, le traité de Nice ménageant toutefois la possibilité d'un passage vers l'application de cette procédure ("passerelle") dans des domaines pour lesquels la règle du vote à l'unanimité du Conseil a continué d'être posée.

§1 Etat du droit positif

§1 La compétence de l’Union en matière sociale

A. La nature des compétences

1. Les compétences partagées

Domaines couverts - Les domaines couverts par la possibilité d'édicter des directives de politique sociale s'étendent à une très large partie du champ couvert par le droit social. Le texte de l'article 153 TFUE, reprenant sans le changer celui de l'ex-article 137 TCE, qui, introduit par le traité d'Amsterdam, avait fait l'objet d'une nouvelle rédaction par le traité de Nice, énonce au paragraphe 1 que :

l'Union soutient et complète l'action des États membres dans les domaines suivants :

a) l'amélioration, en particulier, du milieu de travail pour protéger la santé et la sécurité des travailleurs ;

b) les conditions de travail ; c) la sécurité sociale et la protection sociale des travailleurs ; d) la protection des travailleurs en cas de résiliation du contrat de travail ; e) l'information et la consultation des travailleurs ;

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f) la représentation et la défense collective des intérêts des travailleurs et des employeurs, y compris la cogestion, sous réserve du paragraphe 5 ;

g) les conditions d'emploi des ressortissants des pays tiers se trouvant en séjour régulier sur le territoire de l'Union ;

h) l'intégration des personnes exclues du marché du travail, sans préjudice de l'article 166 ; i) l'égalité entre hommes et femmes en ce qui concerne leurs chances sur le marché du travail et le

traitement dans le travail ; j) la lutte contre l'exclusion sociale ; k) la modernisation des systèmes de protection sociale, sans préjudice du point c).

Des directives d’harmonisation minimale. Pour développer sa politique sociale dans le champ défini par l'article 153 TFUE (V. supra n° 15), l'Union procède par voie de directives établissant "des prescriptions minimales applicables progressivement, compte tenu des conditions et des réglementations techniques existant dans chacun des États membres"(art. 153, § 2, b), TFUE). Ces prescriptions minimales de droit communautaire peuvent faire l'objet, au niveau national, d'améliorations favorables aux droits des travailleurs. Les dispositions prises sur le fondement de l'article 153 TFUE (ex-art. 137 TCE)"ne peuvent empêcher un État membre de maintenir ou d'établir des mesures de protection plus strictes compatibles avec les traités"(art. 153, § 4, TFUE).

Que faut-il entendre par prescriptions minimales ? Pour la Cour de justice, la notion doit se comprendre en relation avec le pouvoir des États d'instituer une protection renforcée des travailleurs. Elle "signifie (...) que les États membres sont autorisés à adopter des normes plus rigoureuses que celles qui font l'objet de l'intervention communautaire" (CJCE, 12 nov. 1996, aff. C-84/94, Royaume-Uni c/ Cons. : Rec. CJCE 1996, I, p. 5755). Contrairement, à ce que le gouvernement du Royaume-Uni avait soutenu, elle n'a pas pour sens de venir limiter l'intervention communautaire à un faible niveau protecteur, voire au plus faible niveau national. "Minimal" signifie améliorable ou renforçable et non pas de faible niveau.

Le droit des États membres d'assurer une protection renforcée des droits des travailleurs, quant à lui, ne peut certes pas se traduire en normes ou mesures incompatibles avec les traités, mais n'est pas pour autant limité par l'application du principe de proportionnalité (CJCE, 17 déc. 1998, aff. C-2/97, Sta Italiani Petroli SpA : Rec. CJCE 1998, I, p. 8597. - V. infra n° 33).

La compétence de l'Union pour édicter, dans les conditions décrites, des directives de politique sociale ne s'étend pas à la lutte contre l'exclusion sociale et à la modernisation des systèmes de protection sociale, bien que l'Union ait une compétence dans ces matières (art. 153, § 1, j) et k), TFUE. - V. supra n° 15). Cette compétence se limitera à encourager la coopération des États membres (V. art. 153, § 2, a), TFUE).

2. Les compétences coordonnées

3. Les compétences exclues

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Domaines exclus - L'article 153, paragraphe 5, TFUE, après l'article 137, paragraphe 5, TCE, a écarté des compétences communautaires en matière de politique sociale, les rémunérations, le droit d'association (qui comprend le droit syndical), le droit de grève et le lock-out.

Quelle est la portée exacte de l'exclusion de compétence ? On peut s'interroger.

Il convient en premier lieu de rappeler que les États membres ont l'obligation de ne pas "mettre en péril les objectifs de l'Union" et par conséquent de s'abstenir de prendre des mesures, normes ou décisions, qui s'opposeraient à l'application du droit de l'Union : idée d'"intégration négative", liée au principe de coopération loyale (V. art. 4, § 3, TFUE et ex-art. 10 TCE). Alors même que l'Union n'a pas de compétence dans un domaine d'action déterminé, son droit pèsera parfois sur l'exercice par les États membres d'une compétence qui leur est cependant réservé. On l'a clairement vu pour la grève, du fait de l'interférence possible de l'exercice du droit de grève avec le jeu des libertés économiques consacrées par le droit de l'Union (V. infra n° 19).

L'analyse doit même être conduite plus loin, jusqu'à la perspective d'interventions normatives de l'Union dans ces domaines qui échappent cependant à sa compétence. Le réservoir de compétence potentielle que ménagent les dispositions de l'article 115 TFUE (ex-art. 100 puis art. 94 TCE), celles de l'article 352 TFUE (ex-art. 235 puis art. 308 TCE), voire encore celles de l'article 114 (ex-art. 100 A, puis 95 TCE), est en effet très largement ouvert. Si la réalisation du marché intérieur ou, plus largement, celle d'un objectif des traités le justifient, des mesures communautaires dans l'un des domaines exclus par l'article 153 TFUE (ex-art. 137 TCE) pourraient être envisagées. On se demande s'il ne pourrait être passé outre aux exclusions proclamées, en particulier si l'intervention de l'Union se fait principalement au titre de la politique économique plutôt qu'à celui de la politique sociale, en raison de menaces sur la concurrence ou l'exercice d'une liberté de circulation consacrée par le droit de l'Union.

Rémunérations - Les matières relevant du droit des relations individuelles de travail sont couvertes sous leurs différents aspects par la compétence normative reconnue à l'Union, à l'exclusion notable des rémunérations.

L'exclusion toutefois n'est pas entière. L'Union veille de longue date à faire respecter l'égalité des rémunérations entre hommes et femmes. Le principe d'égalité des rémunérations entre hommes et femmes a au demeurant des effets sur les mécanismes de rémunération l'ensemble des travailleurs, en imposant notamment un réexamen global de la valeur comparée des emplois. L'égalité des rémunérations entre travailleurs nationaux et ressortissants des autres États membres s'impose également (V. art. 45 TFUE), le "combat" contre les discriminations réclamé par l'article 19 TFUE (ex-art. 13 TCE) englobe la question des rémunérations. D'autres réglementations communautaires peuvent interférer accessoirement avec la rémunération, en matière d'aménagement du temps de travail par exemple.

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C'est la détermination du montant ou du niveau des rémunérations qui, en l'état, échappe à la politique sociale de l'Union, lorsque celle-ci est conduite par voie de directives, tout en pouvant faire l'objet de négociations salariales au niveau européen. L'exclusion traduit l'idée que la détermination des niveaux de rémunérations doit relever de la négociation collective plutôt que de la loi.

Droits d'association et d'action collective - L'exclusion de compétence est-elle nettement tranchée ? Le doute vient des dispositions mêmes de l'article 153 TFUE (ex-art. 137 TCE). Le texte reconnaît en effet à l'Union compétence pour régir "la représentation et la défense collective des intérêts des travailleurs et des employeurs"(art. 153, § 1, f), TFUE). Or que font les syndicats, sinon représenter et défendre les intérêts des travailleurs ? À quoi sert la grève, sinon à... ? La ligne de partage doit être précisée.

Il apparaît en outre que droit d'association, droit de grève et droit de l'Union européenne peuvent occasionnellement se "rencontrer" d'une façon telle que le droit de l'Union fera céder, partiellement au moins, le droit national de la grève, malgré l'incompétence de l'Union pour régir celle-ci. La grève peut participer d'un abus de position dominante condamnée par le droit communautaire ou encore d'une entrave aux importations d'autres États membres. On l'a vu en particulier avec l'affaire Merci Porto di Genova c. Siderurgica à propos du blocage du port de Gênes par la grève des dockers, titulaires de droits exclusifs pour charger et décharger les navires (CJCE, 10 déc. 1991, aff. C-179/90 : Rec. CJCE 1991, I, p. 05889 ; JDI 1992, p. 477, obs. M.-A. Hermitte. - V. également, CJCE, 12 juin 2003, aff. C-112/00, Schmidberger, blocage de l'autoroute du Brenner). Dans ses arrêts Viking et Laval, la Cour de justice des Communautés européennes, tout en reconnaissant au droit de grève la valeur d'un droit fondamental, a estimé que son exercice pouvait buter sur les règles du traité relatives à la liberté d'établissement ou de prestation de services. Elle a donc opéré une conciliation entre le droit d'action collective et le respect des libertés économiques qui sont au fondement de la Communauté (CJCE, 11 déc. 2007, aff. C-438/05, International Transport Workers' Federation c/ Viking Line : Rec. CJCE 2007, I, p. 10779. - CJCE, 18 déc. 2007, aff. C-341/05, Laval un Partneri Ltd : Rec. CJCE 2007, I, p. 11767. - V. P. Rodière, Les arrêts Viking et Laval, le droit de grève et le droit de négociation collective : RTDE 2008, p. 47 ; Rev. dr. trav., févr. 2008, p. 80, chron. E. Pataut et S. Robin-Olivier).

Sécurité sociale - Elle est à mettre à part. L'article 153 TFUE, comme le faisait l'article 137 TCE, prend soin de préciser que le droit communautaire ne porte pas atteinte à la "faculté reconnue aux États membres de définir les principes fondamentaux de leur système de sécurité sociale" et ne doit "pas en affecter sensiblement l'équilibre financier". En la matière, les compétences de l'Union restent étroitement bridées (V. également la réserve prévue par l'art. 48 TFUE).

B. Exercice de la compétence

1. Critères de l’exercice de la compétence

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L'analyse des compétences de l'Union européenne, comme l'était celle de la Communauté européenne, est guidée par trois principes. Principe de spécialité ou d'attribution pour commencer, inscrit à l'article 5, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne, voulant que l'Union n'agisse que "dans les limites des compétences que les États membres lui ont attribuées...". Principe de subsidiarité, visé à l'article 5, paragraphe 3, TUE, ensuite qui, lorsque la compétence de l'Union n'a pas un caractère exclusif, soumet l'action de celle-ci à la constatation que l'action des États membres est insuffisante pour permettre de réaliser les objectifs de l'Union de façon satisfaisante. Principe de proportionnalité enfin, en vertu duquel selon ce que dit l'article 5, paragraphe 4, TFUE, "Le contenu et la forme de l'action de l'Union n'excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs des traités".

Les trois principes étaient déjà inscrits dans l'article 5 du traité CE. Le traité de Lisbonne, tout en les déplaçant dans le traité sur l'Union européenne, a remanié partiellement leur formulation antérieure, dans les termes que l'article I, 11 du traité constitutionnel avait prévus. L'article article 5 du traité sur l'Union européenne, énonce liminairement, dans son paragraphe 1 : "le principe d'attribution régit la délimitation des compétences de l'Union. Les principes de subsidiarité et de proportionnalité régissent l'exercice de ces compétences".

Ces principes s'expriment dans le domaine social comme dans les autres domaines des compétences communautaires, tout en connaissant des infléchissements propres à la matière. On examinera d'abord comment sont délimitées les compétences de l'Union, comment elles s'exercent ensuite.

Subsidiarité et proportionnalité de l'action de l'Union - Les deux principes conditionnent l'exercice des compétences communautaires. Ils ont en commun d'appeler à une certaine retenue ou modération dans l'action communautaire et se chevauchent parfois ; ils traduisent cependant une idée générale qui est propre à chacun. La subsidiarité renvoie au principe et à l'objet des actions communautaires. Les autorités communautaires auront à justifier les raisons qu'elles ont de substituer leur action à celle des États membres. La proportionnalité est relative à la mesure de l'action communautaire ainsi qu'à sa forme, qui devront être justement appropriées et éviter que le droit communautaire ne pénètre plus que de besoin les droits nationaux. La subsidiarité a sa place avant l'action communautaire, la proportionnalité dans l'action.

Formulés par l'article 5 TUE, dans des termes remodelés (V. ex-art. 5 TCE), les principes sont complétés et explicités par un protocole annexé aux traités. Les institutions de l'Union les appliquent "conformément au protocole"(art. 5, § 3 et § 4, TUE), sous le contrôle de la Cour de justice.

S'agissant plus spécialement du principe de subsidiarité, le protocole veut que toute proposition de texte législatif de l'Union comporte une déclaration justifiant qu'elle poursuit un objectif communautaire et que cet objectif peut être mieux réalisé à l'échelon communautaire. Elle devra faire apparaître, comparativement, que l'action des États membres est insuffisante ou insatisfaisante, d'une part, qu'une action communautaire serait, compte tenu de ses dimensions et de ses effets, utile pour réaliser des objectifs du droit

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communautaire, d'autre part. Le principe de subsidiarité bride le pouvoir d'initiative de la Commission.

Avec le traité de Lisbonne, le protocole a été remanié en vue de permettre un contrôle des parlements nationaux sur le respect du principe de subsidiarité par les autorités communautaires : la Commission communique ses propositions législatives aux parlements nationaux en même temps qu'elle en saisit le législateur de l'Union ; tout parlement national peut, sous délai de huit semaines, envoyer un avis motivé sur l'application du principe de subsidiarité, dont les autorités communautaires "tiennent compte" ; si les avis négatifs émis par les parlements nationaux représentent au moins un tiers des voix qui leur sont attribuées, la Commission est tenue de réexaminer sa proposition et de motiver sa décision de maintenir, modifier ou retirer sa proposition. La Cour de justice est compétente pour connaître des recours formés par les États membres pour violation du principe de subsidiarité.

Subsidiarité : énoncé du principe - "En vertu du principe de subsidiarité, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la Communauté n'intervient, conformément au principe de subsidiarité, que si et dans la mesure où les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central qu'au niveau régional ou local, et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire ". Ce que dit ainsi l'article 5, paragraphe 3, fait une distinction entre compétence exclusive de l'Union et compétence partagée avec les États membres. Le principe de subsidiarité, par hypothèse, ne s'applique pas lorsque la compétence n'appartient qu'à l'Union.

Subsidiarité des actions de politique sociale de l'Union - Or en matière sociale, les compétences sont partagées. Les traités le précisent aujourd'hui de façon explicite, clarifiant une classification jusque-là assez confuse. L'article 4 TFUE, depuis le traité de Lisbonne, vise la politique sociale au titre des compétences partagées (art. 4, § 2, b). Plus largement, ce texte fait entrer tout le champ du "social" dans les compétences partagées, qu'il s'agisse de la cohésion économique, sociale et territoriale, de l'espace de liberté, sécurité et justice (circulation des travailleurs), voire du marché intérieur dont la réalisation peut sous certains aspects intéresser le droit social.

On rappellera complémentairement ce que la Cour de justice avait dit, dans son avis 2/91 du 19 mars 1993 (Rec. CJCE 1993, I, 01061), au sujet de l'adoption de la convention 170 de l'OIT, sur une possible mutabilité des compétences communautaires : "le caractère exclusif ou non de la compétence communautaire ne découle pas seulement des dispositions du traité, mais peut également dépendre des mesures qui ont été prises par les institutions communautaires (...), qui sont de nature à priver les États membres d'une compétence qu'ils pouvaient exercer auparavant à titre transitoire". Il convient de comprendre non pas tellement que la nature de la compétence change, mais que la Communauté, aujourd'hui l'Union ont pu investir un domaine de compétence partagée à un point tel que la compétence nationale ne trouve plus guère à s'exprimer de façon autonome. Le partage de compétence s'en trouve grandement déséquilibré.

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C'est d'ailleurs ce que l'article 2, paragraphe 2, TFUE dit aujourd'hui en énonçant que "les États membres exercent leur compétence dans la mesure où l'Union n'a pas exercé la sienne", pour ajouter qu'inversement : "les États membres exercent à nouveau leur compétence dans la mesure où l'Union a décidé de cesser d'exercer la sienne".

Dans le domaine social, de telles manifestations d'une intense présence du droit de l'Union dans des domaines de compétences "partagées" sont patentes, spécialement en matière d'égalité socio-professionnelle de l'homme et de la femme, ou encore pour la protection de la santé et la sécurité dans le milieu de travail. En sens inverse, on peut aussi souligner que nombreux sont les champs de compétence de l'Union laissés vierges de toute intervention de celle-ci par voie de directive (exemple le régime général de la protection des salariés en matière de licenciement).

Prépondérance de la compétence nationale - Le principe que les compétences de l'Union sont subsidiaires va de pair avec une prépondérance des compétences nationales. La Cour de justice affirme effectivement qu'en l'état, les compétences relatives à la matière sociale appartiennent en principe aux États membres.

L'appréciation des "choix politiques et économiques" gouvernant la détermination des réglementations sociales "appartient, en l'état actuel du droit communautaire, aux États membres", a-t-elle dit, à propos du travail dominical, dans l'arrêt Torfaen (CJCE, 23 nov. 1989, aff. 145/88, Torfaen Borough Council c/ B & Q PLC : Rec. CJCE 1989, p. 3851. - V. antérieurement, CJCE, 14 juin 1981, aff. 155/80, Oebel : Rec. CJCE 1981, p. 1993. - ultérieurement, CJCE, 28 févr. 1991, aff. C-312/89, Conforama : Rec. CJCE 1991, I, p. 997. - CJCE, 28 févr. 1991, aff. C-332/89, Marchandise : Rec. CJCE 1991, I, p. 1027).

La Cour de justice, dans son avis 2/91 du 17 mars 1993, a énoncé également qu'"en l'état actuel du droit communautaire, la politique sociale relève d'une manière prépondérante du domaine de la compétence des États membres". Elle l'a fait en s'interrogeant sur la compétence que possèdent les États membres pour participer à la "négociation" d'une convention de l'OIT (Conv. n° 170, lorsque celle-ci porte sur une matière - en l'espèce la sécurité et la santé des travailleurs - entrant dans un domaine de compétence communautaire.

En matière de sécurité sociale, la cour dit aussi, de longue date que "le droit communautaire ne porte pas atteinte à la compétence des États membres pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale" (depuis CJCE, 7 févr. 1984, aff. 238/82, Duphar, concl. F. Mancini : Rec. CJCE 1984, p. 523). L'article 153, paragraphe 4, TFUE (ex-art. 137, § 4, TCE), depuis le traité de Nice, souligne le principe que la compétence normative reste avant tout nationale et bride étroitement la compétence de l'Union (V. supra n° 19).

Proportionnalité de l'action de l'Union - "En vertu du principe de proportionnalité, le contenu et la forme de l'action de l'Union n'excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs du traité ". C'est ce qu'énonce, depuis le traité de Lisbonne, l'article 5, paragraphe 4, TUE, précisant, par rapport au texte antérieur (art. 5 TCE), que le principe s'applique aussi bien à la forme qu'au contenu de l'action.

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Commandant, à efficacité comparable, la préférence pour l'action de moindre "intensité" réglementaire, il oriente le choix vers la directive plutôt que vers le règlement, vers la directive-cadre ou générale plutôt que vers des prescriptions précises et détaillées. Il recommande des systèmes de reconnaissance mutuelle ou des actions d'encouragement à l'action des États plutôt que des actes contraignants de rapprochement des législations (V. le point 6 du protocole sur les principes de subsidiarité et de proportionnalité annexé au traité d'Amsterdam).

L'important arrêt Commission c/ Royaume-Uni du 12 novembre 1996 (CJCE, 12 nov. 1996, aff. C-84/94, Comm. c/ Royaume-Uni), concernant la directive 93/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993 sur l'aménagement du temps de travail (Cons. UE, dir. 93/104/CE, 23 nov. 1993 : Journal Officiel des communautés européennes 13 Décembre 1993 à 24), a permis à la Cour de justice de préciser plusieurs points relatifs à l'application du principe de proportionnalité en matière de politique sociale.

La Cour de justice y a établi un lien entre le principe de proportionnalité et la possibilité d'apporter des dérogations à la directive par des normes de droit national (V. infra n° 93). Il y a d'autant plus de raisons de considérer que le Conseil a su conserver la juste mesure dans son action normative qu'il a prévu une certaine souplesse d'application de la directive et permis aux partenaires sociaux (et à un moindre degré aux autorités publiques) de déroger aux prescriptions de la directive (V. points 61 à 63).

L'existence d'une période transitoire autorisant des États membres à retarder la mise en application de certaines prescriptions de la directive est également mentionnée comme un signe que le Conseil n'est pas allé au-delà du nécessaire (point 64).

L'action de l'Union doit veiller à laisser aux autorités nationales une marge "d'ajustement" suffisamment large et à leur offrir des solutions différentes pour réaliser les objectifs des mesures communautaires (protocole sur la subsidiarité et la proportionnalité annexé au traité d'Amsterdam, point 7).

Un autre intérêt de l'arrêt Royaume-Uni c/ Conseil du 12 novembre 1996 est d'avoir précisé que si la Cour de justice exerce un contrôle sur le respect du principe de proportionnalité, c'est un contrôle minimum ou léger. Un large pouvoir d'appréciation doit être reconnu au Conseil, s'agissant d'un domaine impliquant des choix de politique sociale et des appréciations complexes. Le contrôle juridictionnel doit donc se limiter à examiner s'il n'y a pas eu erreur manifeste ou détournement de pouvoir du Conseil ou si celui-ci n'a pas manifestement dépassé les limites de son pouvoir d'appréciation (point 59).

Le principe de proportionnalité ne se limite pas à l'action de l'Union. Il diffuse ses effets vers l'action des États membres. Libres de leur choix de politique sociale, les États membres ont l'obligation de retenir l'exercice de leurs compétences, dans le respect du principe de proportionnalité, si le jeu des libertés économiques consacrées par le droit communautaire vient à en pâtir (V. spécialement, CJCE, 11 déc. 2007, aff. C-438/05, Viking Line citée supra n° 18. - CJCE, 18 déc. 2007, aff. C-341/05, Laval citée supra n° 18). S'agissant des exceptions ou dérogations qui sont susceptibles d'être apportées à

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l'application des règles de droit communautaire, le principe de proportionnalité joue un rôle extrêmement actif. Des exceptions à telle règle du droit communautaire peuvent parfois être légitimées, mais l'exception doit être réduite strictement à ce que justifie le but légitime qui est poursuivi. Il en va d'un élément central de toute la jurisprudence de la Cour de justice. L'égalité professionnelle entre hommes et femmes en est une illustration marquante.

Quid toutefois des mesures que les autorités nationales sont admises à prendre pour améliorer les droits des travailleurs, lorsque ceux-ci sont fixés par une directive de politique sociale, portant "prescriptions minimales" (V. supra n° 27) ? La Cour de justice a, ici, refusé de mettre en oeuvre le principe de proportionnalité. Celui-ci ne peut pas être invoqué en vue de limiter une mesure de protection nationale renforcée des conditions de travail (CJCE, 17 déc. 1998, aff. C-2/97, Sta Italiana Petroli SpA : Rec. CJCE 1998, I, 8597).

2. Cadre normatif de l’action

Action contraignante et action douce - La politique sociale de l'Union est appelée à se développer par l'édiction de directives, dont la transposition en droit national est obligatoire. Les États membres sont tenus d'en assurer la réalisation effective dans leur ordre juridique. Le droit social de l'Union peut aussi prendre la forme encore plus prégnante de règlements, voire celle de décisions. Directives, règlements, décisions, en toute hypothèse, il s'agira d'actes "qui lient"(art. 288 TFUE, ex-art. 189 puis 249 TCE).

Cette méthode législative classique a été et est utilisée dans le domaine social. À son côté et depuis l'origine du marché commun, une autre méthode, plus souple, non contraignante, a également servi la construction communautaire. Placée sous l'impulsion de la Commission, elle recherchait la coopération des États membres, leur consentement à "coordonner" leurs politiques, spécialement dans le domaine social.

Depuis quelques années, cette seconde méthode a pris une importance grandissante. Au nom d'une meilleure "gouvernance européenne", elle a été théorisée sous l'expression de "méthode ouverte de coordination" (MOC). Au lieu de procéder par l'édiction de normes de droit "dur" ou contraignant, l'idée est de gouverner souplement, sans contraindre, une convergence des politiques nationales. L'orientation politique prend le pas sur la norme juridique.

Cette méthode a naturellement sa place dans des domaines qui ne relèvent pas d'une compétence harmonisatrice de l'Union européenne. Toutefois son utilisation dans des domaines qui relèvent d'une compétence harmonisatrice de l'Union n'est nullement exclue.

Une question importante soulevée par la MOC tient justement à sa mise en oeuvre dans des domaines qui permettent des actions communautaires de droit "dur". On conçoit volontiers que pareille méthode, souple et dialoguée, puisse "préparer le terrain" par une action "douce" dans des domaines qui ne se prêtent pas d'emblée à une action contraignante. Comme les recommandations non contraignantes de l'OIT précèdent traditionnellement l'adoption de conventions créatrices d'obligations. On se demande aussi si, plus radicalement, La MOC n'aurait pas vocation à remplacer, au moins partiellement, la méthode communautaire

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classique là où celle-ci s'exprimait jusqu'à présent. Ces questions se posent tout particulièrement pour la matière sociale (S. Sciarra, La constitutionnalité de l'Europe sociale, entre droits sociaux et soft law : in Une constitution pour l'Europe, Réflexions sur les transformations du droit de l'Union européenne, dir. O. de Schutter et P. Nihoul : Larcier, 2004, p. 171 ; The convergence of European labour and social rights : opening to the open method of coordination : in Law and governance in an enlarged European Union (G.A. Bermann et K. Pistor, dir.) : Hart, Oxford, 2004, p. 155).

Il convient donc de distinguer action législative dure de l'Union et action normative douce

C. Diversité des méthodes

1. Le recours aux directives d’harmonisation minimale

processus décisionnel7. Cet encadrement de l’autorégulation se limite aux instruments produits par les partenaires sociaux, interprofessionnels ou sectoriels, reconnus à l’échelle communautaire8. Une telle mise en avant de l’autonomie conventionnelle traduit la recherche d’alternatives à la voie de l’harmonisation des législations nationales du travail par des directives ou des règlements9.

1. Une autonomie affichée Dès 1986, l’Acte unique européen a posé les bases de la reconnaissance du dialogue social en droit communautaire en donnant mission à la Commission de le développer et en envisageant des relations conventionnelles entre partenaires sociaux européens (article 118B issu de l’AUE). L'accord conclu le 31 octobre 1991 entre l'UNICE, le CEEP et la CES10 est l’un des principaux points d'ancrage du dialogue social dans le processus décisionnel communautaire en matière sociale. Il a établi un cadre de nature à garantir leur consultation systématique par la Commission sur les propositions sociales, leur autonomie conventionnelle et la possibilité de mettre en ouvre leurs accords par la voie d'une directive ou par leurs affiliés dans chaque Etat membre. Bien que repris dans l’Accord sur la politique sociale annexé au traité de Maastricht, il faudra néanmoins attendre le traité d'Amsterdam pour sa pleine intégration en droit primaire. Depuis lors, le traité CE réserve une

7 Pour un panorama complet de l’ensemble de ces procédures, voir D. GABDIN, «L’association des partenaires économiques et sociaux organisés aux procédures de décision en droit communautaire», RTDE 2000, vol. 36, nº 1, pp. 1 à 46. 8 Ce qui soulève logiquement la question lancinante de leur représentativité. La communication de la Commission sur le dialogue social de 2004 (COM 2004, 557 final du 12.8.2004) établit une liste de près de soixante-dix organisations à consulter au titre de l’article 138 du traité sans véritablement établir les critères de leur représentativité. 9 Sur ce processus voir E. MAZUYER, L’harmonisation sociale européenne. Processus et modèle, Bruylant, Coll. Travaux du CERIC, Bruxelles, 2007, préface A. JEAMMAUD. 10 Union des industries de la Communauté européenne, désormais Business Europe ; Centre européen des entreprises à participation publique et des entreprises d’intérêt économique général ; Confédération européenne des syndicats.

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place particulière aux partenaires sociaux dans le domaine de la politique sociale. Leur intervention puise ses racines dans le principe de subsidiarité11. Sous l’appellation de subsidiarité horizontale, la promotion du rôle des partenaires sociaux est conçue comme devant prévaloir sur l’action législative, limitée pour sa part sous l’effet de la subsidiarité verticale12. De son côté, par son ordonnance UEAPME, le Tribunal de première instance est allé jusqu’à considérer que l’intervention des partenaires sociaux, sur le fondement de l’article 138 CE, est une voie « alternative » au principe démocratique fondamental selon lequel « les peuples participent à l’exercice du pouvoir par l’intermédiaire d’une assemblée représentative »13.

Les articles 138 et 139 CE14 ouvrent une procédure qui confère aux partenaires sociaux européens le privilège d’interrompre le processus législatif ordinaire en faisant état de leur volonté de négocier. Par le jeu de ces dispositions, les acteurs sociaux disposent de la liberté d’entamer des négociations et de conclure des accords collectifs susceptibles d’intégrer le droit dérivé de l’Union15.

A leur demande, ils peuvent, après avoir conclu un accord, demander au Conseil de lui conférer la qualité de décision sur proposition de la Commission. Plusieurs accords interprofessionnels illustrent le recours à ce mécanisme, dans le domaine du congé parental, du travail partiel ou du contrat à durée déterminée16. Des accords-cadres sectoriels ont également été conclus selon ce schéma17. En pareille hypothèse, l’élaboration de la norme est confiée à des institutions privées professionnelles, son caractère contraignant résultant de la décision du Conseil qui transforme l’accord en directive. L’article 139 permet également aux 11 Voir sur cette question M. SCHMITT, Autonomie collective des partenaires sociaux et principe de subsidiarité dans l’ordre juridique communautaire, PUAM, Coll. Berthold GOLDMAN, Aix-en-Provence, 2009. 12 P. VIELLE, S. GILSON, « La subsidiarité et la vie sociale : les relations de travail et la sécurité sociale », in F. DELPEREE, Le principe de subsidiarité, Bruylant, Bruxelles, 2002, pp. 101-112.

13 TPICE, Ordonnance du 17 juin 1998, Union européenne de l’artisanat et des petites et moyennes entreprises (UEAPME) c. Conseil, aff. T-135/96, Rec. II-2335. E. FRANSEN, A.T. JACOBS, « The question of representativity in the European social dialogue », CMLR 1998, vol. 35, pp. 1295-1312; M-A. MOREAU, « Sur la représentativité des partenaires sociaux européens », Droit Social 1999, pp. 53-59 ; R. MEHDI, comm. JDI 1999, n° 2, pp. 536 à 540. Comme le souligne justement le professeur MEHDI dans son commentaire, il est permis de voir dans cette prise de position « une conception inédite et à tout prendre assez ambiguë du principe de démocratie », dans la mesure où « il peut paraître imprudent de confondre la légitimité d’une institution politique avec celle de groupements d’intérêts, leur représentativité fut-elle reconnue sans équivoque par la Commission ». 14 Dans l’hypothèse, encore incertaine, de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne signé le 13 décembre 2007, ces dispositions deviendraient respectivement les articles 154 et 155 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne. 15 C. VIGNEAU, Etude sur l’autonomie collective au niveau communautaire, RTDE 2002, pp. 653-683. 16 Accord-cadre sur le congé parental, JOCE L 145 du 19.06.1995 ; Accord-cadre sur le travail à temps partiel, JOCE L 14 du 20.01.1998 ; Accord-cadre sur le travail à durée déterminée, JOCE L 175 du 10.07.1999. 17 Directive 99/63 du 21 juin 1999 concernant un accord européen du 30 septembre 1998 relatif à l’organisation du temps de travail des gens de mer, JOCE L 167 du 2.07.1999 ; Directive 2000/34 du 22.06.2000 concernant un accord européen sur l’aménagement du temps de travail dans les chemins de fer, JOCE L 302 du 1.12.2000.

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partenaires sociaux de conclure des accords autonomes, à savoir des accords conclus entre eux et mis en œuvre conformément aux procédures et pratiques propres aux partenaires sociaux et aux États membres. Conclus dans des domaines tels que le télétravail, le stress professionnel ou encore le harcèlement et la violence au travail18, ces accords sont repris dans les ordres nationaux tout en demeurant des conventions privées qui ne sont pas intégrées à l’ordre communautaire19. Si leur existence et leur légitimité sont impulsées par le droit communautaire, leur normativité découle des règles propres aux partenaires sociaux et aux Etats membres. L’opposabilité de ces normes contractuelles dépend dès lors non du droit communautaire mais du régime juridique des règles conventionnelles dans les ordres nationaux. Dès lors, la mise en œuvre de ces accords peut emprunter les voies les plus diverses, y compris prend la forme d’actes de soft law. C’est, d’ailleurs, en recourant à du droit non contraignant que l’Irlande et le Royaume uni ont transposé l’accord-cadre sur le télétravail, à travers la conclusion d’un code de conduite qui propose des lignes directrices non contraignantes à destination des employeurs de télétravailleurs.

2. Une autonomie ambivalente

L’intérêt d’une autorégulation inscrite dans le traité doit être apprécié à sa juste valeur. Dans la mesure où l’intervention de la directive permet aux accords collectifs de bénéficier de la force juridique qui s’attache au droit communautaire dérivé, ceux-ci revêtent les caractéristiques d’une norme de hard law. Le relais que constitue la directive est essentiel, faute de quoi ces accords collectifs pourraient être dénués de force contraignante. Si son efficacité ne saurait être remise en cause, le recours à cette voie n’en demeure pas moins relativement circonscrit.

En reconnaissant la possibilité de conclure des accords collectifs repris par voie de directive ou des accords volontaires, l’article 139 CE établit un cadre somme toute inédit. Il pose un socle institutionnel qui a permis la structuration des partenaires sociaux européens et a ouvert un cadre propice au développement de la pratique de l’autorégulation. Sans une telle reconnaissance institutionnelle, l’édiction à leur échelle de codes de conduite, d’accords-cadres ou d’accords autonomes n’eût, sans doute, pas été envisageable. Les justifications d’une telle association des partenaires sociaux sont multiples. Inspirée par les idées de la démocratie chrétienne20, elle permet à la Commission de bénéficier d’interlocuteurs susceptibles d’appuyer ses propositions en matière sociale. Confrontée à certains Etats particulièrement réticents à l’égard d’une politique sociale européenne21, fut-elle

18 Accord-cadre sur le télétravail du 16 juillet 202, Accord-cadre sur le stress professionnel du 8 octobre 2004, Accord-cadre sur le harcèlement et la violence au travail du 26 avril 2007. Voir J-M. SERVAIS, Droit social de l’Union européenne, Bruylant, Bruxelles, 2008, n° 60. 19 Pour la France, voir l’Accord National Interprofessionnel (ANI) sur le stress au travail, 2 juillet 2008, transposant en droit français l’accord européen du 8 octobre 2004. P-Y. VERKINDT, « L’ANI du 2 juillet 2008 sur le stress au travail : entre lumière et ombre », JCP Social 2008, actualité n° 483. 20 C. DIDRY, A. MIAS, Le moment Delors, les syndicats au cœur de l’Europe sociale, Bruxelles, PIE Peter Lang, 2005. 21 Songeons, à ce titre, à la forte opposition du Royaume-Uni vis à vis de la directive sur le temps de travail. Refusant toute initiative communautaire en la matière, son recours en annulation pour défaut de base juridique à l’égard de la directive

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embryonnaire, les procédures de dialogue ouvertes par le traité ont permis à la Commission de s’appuyer sur des partenaires dont la légitimité et la représentativité, bien que limitée, lui permettaient de contourner ces blocages. Certains auteurs sont allés jusqu’à y voir une forme de néo-corporatisme à l’échelle régionale : de la même manière que les Etats membres ont associé à l’élaboration de leurs politiques publiques des groupes d’intérêts, le cadre d’association des partenaires sociaux européens, inscrit aux articles 138 et 139 CE, traduirait une collaboration entre la Commission et ceux-ci. La production de la norme communautaire repose sur la confiance dans la capacité des parties intéressées à fixer les règles les concernant et à en assurer le respect. Tandis que la Commission y gagne en légitimité, les partenaires sociaux sont, en contrepartie, associés à l’élaboration des normes sociales communautaires.

En dépit de son extrême originalité, il faut néanmoins reconnaître que l’intercession d’une directive pour assurer la mise en œuvre de l’accord collectif tend à dénaturer son caractère originaire. Passée la phase de préparation et de négociation de l’accord, qui est la seule à pouvoir à se rattacher, quoique qu’imparfaitement, à une pratique d’autorégulation22, celui-ci devient une annexe à une directive qui devient le seul instrument lisible. La mise en œuvre de l’accord, de même que son interprétation, échappent, dans une large mesure, aux parties signataires23. L’abondance de la jurisprudence en la matière traduit l’efficacité de l’inscription dans le cadre communautaire, en même temps qu’elle reflète les limites d’une autorégulation qui ne bénéficie pas de ce relais. Par ses interprétations des directives pertinentes, la Cour de justice a, en effet, conclu à l’incompatibilité de mesures nationales contraires à l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée24 ou à celui relatif au temps partiel25.

Si l’inscription de l’autorégulation dans le cadre institutionnel et normatif communautaire est de nature à garantir son efficacité, il ne faut toutefois pas perdre de vue le faible nombre d’accords qui ont pu en bénéficier. Les trois principaux accords-cadres interprofessionnels ont été conclus dans des domaines où le Conseil, statuant à l’époque à l’unanimité, n’avait pu parvenir à un accord26, mais où, paradoxalement, un 93/104/CE fut rejeté par la Cour de justice dans son arrêt du 12 novembre 1996, Royaume-Uni c. Conseil, aff. C-84/94. 22 Il y a autorégulation en ce que l’accord résulte d’une décision entre les partenaires sociaux, mais il s’agit d’une autorégulation plus incitée que véritablement spontanée dans la mesure où l’initiative en revient à la Commission. 23 A. LYON-CAEN, « Le rôle des partenaires sociaux dans la mise en œuvre du droit communautaire », Droit Social 1997, pp. 68-74. 24 Il s’agit de l’accord-cadre à l’origine de la jurisprudence la plus abondante. V. not. CJCE, arrêt du 4 juillet 2006, Adeneler e.a., aff. C-212/04, Rec. p. I-6057 ; CJCE, arrêt du 13 septembre 2007, Del Cerro Alonso, aff. C-307/05, Rec. p. I-7109 ; CJCE, arrêt du 15 avril 2008, Impact, aff. C-268/06, Rec. p. I-2483. Cette dernière espèce illustre la portée de l’interprétation de l’accord-cadre par le juge communautaire, lequel souligne que “la clause 4, point 1, dudit accord-cadre, interdisant, d’une manière générale et dans des termes dépourvus d’équivoque, toute différence de traitement non objectivement justifiée à l’égard des travailleurs à durée déterminée en ce qui concerne les conditions d’emploi, est inconditionnelle et suffisamment précise pour pouvoir être invoquée par un particulier devant un juge national. Tel n’est pas le cas, en revanche, de la clause 5, point 1, de ce même accord-cadre, laquelle assigne aux Etats membres un objectif général consistant en la prévention de l’utilisation abusive de contrats à durée déterminée successifs, tout en leur laissant le choix des moyens pour y parvenir » (pt. 79 et 80). 25 CJCE, arrêt du 12 octobre 2004, Wippel c. Peek, aff. C-313/02, Rec. p. I-9483. Comm. L. IDOT, « Première prise de position sur l’accord-cadre sur le travail à temps partiel », Europe, décembre 2004, n° 405. 26 Avant de forme la prendre d’accords-cadres repris par voie de directive, la Commission avait proposé des directives relatives à certains aspects des relations de travail, qui ne purent toutefois aboutir. V. Proposition de directive relative à

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consensus pouvait aisément être obtenu compte tenu de l’homogénéité des législations nationales en la matière. Les deux accords-cadres relatifs aux contrats précaires traduisent, en effet, des compromis peu coûteux, les normes minimales fixées étant déjà adoptées dans 80% des Etats membres27. Il faut surtout y voir une généralisation du principe d’égalité de traitement, qui était déjà bien ancré dans la jurisprudence de la Cour. A côté de ces situations relativement accommodantes, il apparaît que le recours à l’autorégulation ne permet pas de surmonter les échecs de négociation : faute de compromis, celles-ci n’ont, par exemple, pas pu aboutir dans le domaine du travail intérimaire. Il s’agit là d’un dossier où les oppositions paraissent durables, au point que la Commission n’ait pas jugé opportun de le réinscrire dans son dernier agenda social. Comme cela a été justement souligné28, cet échec peut s’expliquer par les effets de la soft law déployée en matière sociale par les institutions elles-mêmes. N’y a-t-il pas quelque paradoxe à ce que la Commission invite à la conclusion d’un accord collectif en ce domaine tout en invitant les Etats, à travers certaines lignes directrices en matière d’emploi, à promouvoir les formes flexibles de travail29 ? La promotion de l’autorégulation, d’une part, et la détermination d’orientations relevant de la soft law, d’autre part, sont loin d’être systématiquement harmonieuses. Mal agencées, elles peuvent créer des situations plus frictionnelles que véritablement cohérentes.

2. Le recours aux méthodes dites de co / auto régulation

§3 L’encadrement par le droit du Conseil de l’Europe

A.L’influence progressive de la Convention européenne des droits de l’homme

La CEDH le devient progressivement sous l’effet des méthodes d’interprétation de la Cour : en dépit de son silence initial vis-à-vis des droits sociaux, le texte conventionnel pénètre progressivement le terrain des droits sociaux. L’interprétation évolutive des articles 8 et 11 de la Convention l’explique largement. Le désormais célèbre arrêt Demir c. Turquie, qui

certaines relations de travail en ce qui concerne les conditions de travail (sur le fondement de l’ancien article 100 TCE, COM (90) 228 final et proposition de directive relative à certaines relations de travail en ce qui concerne les distorsions de concurrence (également sur le fondement de l’ancien article 100 CE), COM (90) 228 final. Le blocage de ces propositions initiales s’explique logiquement, eu égard à la base juridique retenue, par l’exigence d’unanimité au Conseil. L’accord sur la politique sociale a, par la suite, permis d’étendre le vote à la majorité qualifiée aux conditions de travail. 27 Ch. VIGNEAU, « L’accord-cadre européen sur le travail à durée déterminée », Droit Social 1999, pp. 928- 28 M-A. MOREAU, « L’accord collectif et la convention collective en Europe comme source d’analyse de l’échange des droits dans l’Union européenne », in S. ROBIN-OLIVIER, D. FASQUELLE (Dir.). Les échanges entre les droits, l’expérience communautaire, Bruylant, Bruxelles, 2008, pp. 45-58 29 Dans un contexte caractérisé par la recherche d’une plus grande flexibilité du marché du travail, le fait de renvoyer aux partenaires sociaux la conclusion d’accords collectifs en matière de temps de travail ou d’organisation du travail permet de relayer utilement la politique de flexibilisation des marchés nationaux du travail, telle qu’elle ressort de la stratégie européenne pour l’emploi. V. S. SCIARRA, "Integration through Coordination: the Employment Title in the Amsterdam Treaty", Columbia Journal of European Law, vol. 6, 2000, p. 212. Au demeurant, certaines lignes directrices en matière d’emploi étaient directement adressées aux partenaires sociaux (jusqu’à la révision de la SEE en 2005), notamment celles qui invitaient à un réexamen du cadre réglementaire du travail. V. Décision du Conseil du 18 février 2002 sur les lignes directrices pour les politiques de l’emploi des Etats membres en 2002, JOCE n° L 60/60 du 1.3.2002.

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reconnaît le droit à l’action collective sur le fondement de l’article 11 de la Convention, confirmé par l'arrêt Enerji Yapi Yol Sen c. Turquie30, en est un exemple éclairant.

B. La Charte sociale européenne

Signée à Turin le 18 oct. 1961 et entrée en vigueur en 1965, la Charte sociale européenne compte 27 Paries contractantes. Le but central de la Charte est la promotion de l’unité européenne dans le domaine sociale.

Initialement conçue sur un mode volontaire, la Charte sociale a été substantiellement modifiée par une Charte sociale révisée en 1996. Dans un souci de rénovation, elle procède à la fois à une réactualisation des garanties, par exemple en allongeant la durée minimale du congé de maternité de 12 à 14 semaines ou la durée minimale du congé payé annuel de 12 à 4 semaines.

La caractéristique de la Charte sociale révisée est de reposer sur un système de protocole additionnel, qui met en œuvre une procédure nouvelle en prévoyant un système de réclamations collectives. Les partenaires sociaux et certaines organisations non gouvernementales acquièrent en effet le droit de présenter des allégations de violation de la charte devant le Comité européen des droits sociaux.

Les titulaires de ce droit de réclamation, habilités à saisir le Comité, sont d’abord les organisations internationales de travailleurs et d’employeurs qui participent aux travaix : CES, Business Europe et OIE. Mais d’autres organisations internationales non gouvernementales dotées du statut consultatif peuvent bénéficier de cet accès. Le droit de réclamation est par ailleurs offerts aux organisations nationales d’employeurs et aux syndicats de la Partie contractante mise en cause, ainsi qu’à d’autres ONG. Les réclamations, visant exclusivement des Etats liés par le procotole, sont déposés auprès du Comité européen des droits sociaux qui statue en deux temps, d’abord sur la recevabilité puis sur le fond.

30 Cour EDH, Gr. Ch.,12 nov. 2008, Demir et Baykara c/ Turquie, req n° 34503/97 ; Cour EDH, 21 avril 2009, Enerji yapi yol serv. c/ Turquie, req n° 68959/01.

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Ch. 2

§1 L’encadrement des conditions de travailleurs

C Santé et sécurité au travail

L'intervention de l'Union en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans le milieu de travail a donné lieu à l'adoption de plusieurs dizaines de directives. Parmi celles-ci, il convient de souligner la directive 89/391, du 12 juin 1989, relative à la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la santé et de la sécurité des travailleurs (Dir. 89/391, 12 juin 1989 : JOCE n° L 183/1, 29 juin 1989) prise sur le fondement de l'article 118 A du traité CE. Cette directive dite "directive-cadre" ou "directive de base" a été suivie de plusieurs directives d'application appelées directives particulières couvrant certains risques particuliers ou certaines catégories de travailleurs (les femmes enceintes, les jeunes...). La santé et la sécurité des travailleurs font également partie des thèmes abordés par les accords négociés par les partenaires sociaux européens, notamment celui relatif au télétravail et celui sur le stress au travail.

5. – Stratégie communautaire de santé et de sécurité – La santé et la sécurité des travailleurs font l'objet d'une stratégie communautaire. Les objectifs actuels résultent d'une Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 21 février 2007 intitulée “Améliorer la qualité et la productivité au travail : stratégie communautaire 2007-2012 pour la santé et la sécurité au travail”(COM(2007)62 final). La Commission souhaite que la législation communautaire soit non seulement davantage mise en oeuvre, mais soit aussi appliquée de façon équivalente dans tous les États membres afin que tous les travailleurs européens soient protégés de façon égale. Elle souligne la nécessité d'adapter le cadre juridique à l'évolution du monde du travail et aux derniers progrès techniques, notamment en matière de risques musculo-squelettiques ou dans le domaine des agents cancérigènes. Dans une formulation qui a suscité l'inquiétude des syndicats européens, la Commission entend simplifier et rendre plus efficace le cadre juridique. La Commission souligne que la simplification de la législation doit se faire sans toutefois réduire les niveaux de protection existants. Les États membres sont invités à définir des stratégies nationales, notamment dans quatre domaines : la prévention et la surveillance de la santé, la réhabilitation et la réintégration des travailleurs, les réponses aux changements sociaux et démographiques (vieillissement de la population, travail des jeunes), la coordination entre, d'un côté, les politiques de santé et de sécurité au travail et, de l'autre, les politiques de santé publique, de développement régional et de cohésion sociale, de marchés publics, d'emploi ainsi que les politiques en matière de restructurations.

Directives "nouvelle approche" – Un autre aspect de la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs a été initié à partir de l'Acte unique européen. Il s'agit, sur le

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fondement de l'article 95 du traité CE relatif à l'instauration du marché intérieur, de faciliter la libre circulation des produits par l'adoption de directives “nouvelle approche”. Des directives importantes concernent la sécurité sur le milieu de travail. Il en va ainsi des machines (Dir. 89/392/CEE, 14 juin 1989 modifiée par Dir. 98/37/CE, 22 juin 1998 : Journal Officiel des communautés européennes 23 Juillet 1998 et refondue par Dir. 2006/142/CE, 17 mai 2006 : Journal Officiel de l'union européenne 9 Juin 2006) et des équipements de protection individuelle (Dir. 89/686/CEE, 2 déc. 1989 : Journal Officiel des communautés européennes 30 Décembre 1989 mod. par dir. 93/95/CE, 29 oct. 1993 : Journal Officiel des communautés européennes 9 Novembre 1993 et par dir. 96/58/CE, 3 sept. 1996 : Journal Officiel des communautés européennes 18 Septembre 1996). Ces directives se limitent à harmoniser les exigences essentielles de sécurité que les États doivent reprendre impérativement. Les spécifications techniques des produits qui répondent à ces exigences font l'objet de normes harmonisées et élaborées par des organismes privés européens de normalisation (CEN/CENELEC). Les produits couverts par les directives “nouvelle approche” doivent respecter les exigences essentielles et si les produits sont fabriqués conformément aux normes harmonisées, ils sont présumés conformes aux exigences essentielles (avec l'apposition d'un marquage CE). Ce processus de normalisation, avec les procédures d'attestation, d'évaluation de la conformité et de certification qui l'accompagnent, ne seront pas étudiés dans le présent fascicule. Ils ont déjà fait l'objet d'utiles développements dans le JurisClasseur Europe Traité (V. Fasc. 560, Normes techniques et certifications par Fl. Aubry-Caillaud). Notons seulement que ce processus répond à une logique différente de l'harmonisation sociale. S'il convient de retenir un niveau élevé de protection des travailleurs, il s'agit surtout de faciliter les échanges entre opérateurs économiques. Par conséquent, les États membres ne sont pas libres d'adopter et d'exiger des normes plus sévères. Ils ne peuvent agir que dans le cadre de procédures de sauvegarde prévues par l'article 95 du traité CE et dans les directives “nouvelle approche”, dont la maîtrise appartient aux institutions communautaires.

Nous nous centrerons sur l'action en matière de santé et de sécurité des travailleurs prise sur le fondement de la politique sociale. Nous examinerons successivement le cadre général de prévention établi par la directive 89/391 du 12 juin 1989 (A), deux directives particulières s'intéressant l'une à la protection de la travailleuse enceinte accouchée ou allaitante et l'autre à la protection des jeunes au travail (B). Il convient aussi de prendre en compte les dispositions sur le thème de la santé et de la sécurité dans les accords-cadres européens sur le télétravail (C) et le stress au travail (D).

La Directive-cadre 89/391 du 12 juin 1989

La directive 89/391 du 12 juin 1989 concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail constate la différence des systèmes législatifs en matière de sécurité et de santé sur le lieu de travail qui "méritent d'être améliorés" et qui “peuvent conduire à des niveaux de protection de la sécurité et de la santé différents et permettre une concurrence qui s'effectue au détriment de la sécurité et de la santé”(Dir. 89/391, consid. 9).

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8. – Objet – La directive 89/391 “comporte des principes généraux concernant la prévention des risques professionnels et la protection de la sécurité et de la santé, l'élimination des facteurs de risque et d'accident, l'information, la consultation, la participation équilibrée conformément aux législations et/ou pratiques nationales, la formation des travailleurs et de leurs représentants, ainsi que des lignes générales pour la mise en oeuvre desdits principes”(Dir. 89/391, art. 1er).

La directive 89/391 comporte une section consacrée aux obligations de l'employeur et une autre relative aux obligations des travailleurs. Le parallèle s'arrête à cette présentation formelle. La directive 89/391 insiste sur la responsabilité principale de l'employeur. Toutefois, elle consacre des obligations à l'encontre des travailleurs, ce qui ne peut pas être indifférent sur le plan de la responsabilité.

La Cour de justice a précisé qu'en tant que telle, cette directive “ne vise pas une harmonisation totale de la réglementation des États membres relative à l'environnement de travail”(CJCE, 15 juin 2006, aff. C-459/04, Comm. c/ Royaume de Suède, point 34 : Rec. CJCE 2006, I, p. 79 ; comm. J. Cavallini : JCP S 2006, 1636 ; obs. F. Meyer : D. 2007, p. 465).

Champ d'application et définitions

9. – La directive a un champ d'application large dans la mesure où elle s'applique à tous les secteurs d'activités, privés ou publics (Dir. 89/391, art. 2, § 1).

Facultés d'exclusion – Elle n'est toutefois “pas applicable lorsque des particularités inhérentes à certaines activités spécifiques dans la fonction publique, par exemple dans les forces armées ou la police, ou à certaines activités spécifiques dans les services de protection civile s'y opposent de manière contraignante”(Dir. 89/391, art. 2, § 2, al. 1). Il reviendra toutefois dans ce dernier cas “à ce que la sécurité et la santé des travailleurs soient assurées, dans toute la mesure du possible”(Dir. 89/391, art. 2, § 2, al. 2).

La Cour de justice des Communautés européennes donne une interprétation restrictive de ces facultés d'exclusion, compte tenu de l'objectif d'amélioration de la santé et de la sécurité des travailleurs au travail poursuivi par la directive-cadre. Dans une affaire relative au temps de travail des médecins des équipes de premiers soins, qui mettait en jeu la directive 2003/88 relative à certains aspects de l'aménagement du temps de travail, la Cour estime que “dans des conditions normales, l'activité du personnel des équipes de premiers soins ne peut pas être assimilée à de telles activités”(CJCE, 3 oct. 2000, aff. C-303/98, Simap, point 37 : Rec. CJCE 2000, I, p. 7963 ; Dr. soc. 2001, p. 76, note J. Barthélémy ; obs. M. Bonnechère : Dr. ouvrier 2000, p. 505. – CJCE, ord., 3 juill. 2001, aff. C-241/99, CIG : Rec. CJCE 2001, I, p. 5139).

Dans une affaire mettant en cause l'activité de secouristes accompagnant une ambulance ou un véhicule médical d'urgence, dans le cadre d'un service de secours, la Cour de justice rappelle que “l'article 2, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 89/391 exclut du champ d'application de cette dernière non pas les services de protection civile en tant que tels, mais uniquement “certaines activités spécifiques” de ces services dont les particularités

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sont de nature à s'opposer de manière contraignante à l'application des règles énoncées par ladite directive”(CJCE, 5 oct. 2004, aff. C-397/01 à C-403/01, Pfeiffer, point 53 : Rec. CJCE 2004, I, p. 8835 ; obs. M. Bonnechère : Dr. ouvrier 2004, p. 575 ; chron. J.-Ph. Lhernould : RJS 2004, p. 871). Selon la Cour de justice, “cette dérogation n'a été adoptée qu'aux seules fins de garantir le bon fonctionnement des services indispensables à la protection de la sécurité, de la santé ainsi que de l'ordre public en cas de circonstances d'une gravité et d'une ampleur exceptionnelles – par exemple une catastrophe – qui se caractérisent par le fait qu'elles ne se prêtent pas, par nature, à une planification du temps de travail des équipes d'intervention et de secours”(CJCE, 5 oct. 2004, Pfeiffer, point 55, préc.). Tirant les conséquences de ces principes, la Cour de justice des Communautés européennes a estimé que l'activité normale des sapeurs-pompiers relevait du champ d'application de la directive 89/391 (CJCE, 14 juill. 2005, aff. C-52/04, Personalrat der Feuerwehr Hamburg, points 48 à 57 : Rec. CJCE 2005, I, p. 7111. – V. dans le même sens s'agissant de l'exclusion de la RATP et de la SNCF du champ d'application de la directive 89/391, CJCE, 5 juin 2008, aff. C-226/06, Comm. c/ France, point 23 : Rec. CJCE 2008, I, p. 86 ; Europe 2008, comm. 267, obs. L. Driguez ; RJS 2008, p. 765, obs. F. Meyer et M. Schmitt).

"Travailleur" et "employeur" – Au sens de la directive 89/391, le "travailleur" vise “toute personne employée par un employeur ainsi que les stagiaires et apprentis, à l'exclusion des domestiques”(Dir. 89/391, art. 3, a), tandis que l'"employeur" désigne “toute personne physique ou morale qui est titulaire de la relation de travail avec le travailleur et qui a la responsabilité de l'entreprise et/ou de l'établissement”(Dir. 89/391, art. 3, b). Il en résulte que c'est la personne qui est liée par une relation de travail qui est responsable.

"Représentants des travailleurs" – Les “représentants des travailleurs” sont ceux qui, “ayant une fonction spécifique en matière de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, toute personne élue, choisie ou désignée, conformément aux législations et/ou pratiques nationales, pour être le délégué des travailleurs en ce qui concerne les problèmes de la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail”(Dir. 89/391, art. 3, c).

Cette disposition n'impose pas une procédure d'élection des représentants des travailleurs. De plus, si le choix de l'élection a été fait, la directive 89/391 n'impose pas que la législation nationale précise dans le détail toutes les modalités applicables à cette procédure. Il incombe toutefois, aux États, d'assurer que les travailleurs puissent procéder à l'élection de leurs représentants conformément aux législations et/ou pratiques nationales (CJCE, 12 juin 2003, aff. C-425/01, Comm. c/ République portugaise, points 20 à 22 : Rec. CJCE 2003, I, p. 6025).

"Prévention" – La directive-cadre définit enfin le terme clef du texte, la "prévention" qui désigne “l'ensemble des dispositions ou des mesures prises ou prévues à tous les stades de l'activité dans l'entreprise en vue d'éviter ou de diminuer les risques professionnels”(Dir. 89/391, art. 3, d).

Obligations des employeurs

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14. – La section II de la directive-cadre, consacrée aux obligations des employeurs, constitue le coeur de la directive. Elle comporte en effet l'obligation de prévention et énonce les principes généraux de prévention.

Selon la directive 89/391, “l'employeur est obligé d'assurer la sécurité et la santé des travailleurs dans tous les aspects liés au travail”(Dir. 89/391, art. 5, § 1). 15. – Étendue des obligations – Avant d'en énoncer le contenu, la directive 89/391 délimite l'obligation de l'employeur.

Si l'employeur fait appel à des compétences extérieures à l'entreprise, il n'est pas pour autant déchargé de ses responsabilités (Dir. 89/391, art. 5, § 2).

Par ailleurs, “les obligations des travailleurs dans le domaine de la sécurité et de la santé au travail n'affectent pas le principe de la responsabilité de l'employeur”(Dir. 89/391, art. 5, § 3). 16. – Exonération de responsabilité – Les États membres peuvent diminuer ou exclure la responsabilité des employeurs “pour des faits dus à des circonstances qui sont étrangères à ces derniers, anormales et imprévisibles, ou à des événements exceptionnels, dont les conséquences n'auraient pu être évitées malgré toute la diligence déployée”(Dir. 89/391, art. 5, § 4, al. 1). La directive 89/391 précise que “les États membres ne sont pas tenus d'exercer cette faculté d'exonération de responsabilité”(Dir. 89/391, art. 5, § 4, al. 2).

La Cour de justice a limité l'étendue de l'obligation de l'employeur (CJCE, 14 juin 2007, aff. C-127/05, Comm. c/ Royaume-Uni : Rec. CJCE 2007, I, p. 4619 ; obs. M. Bonnechère : Dr. ouvrier 2008, p. 90 ; obs. P. Chaumette : Dr. soc. 2007, p. 1037 ; obs. E. Lafuma : RJS 2007, p. 783 ; obs. S. Laulom : Sécurité sociale Lamy suppl. 1338, 28 janv. 2008, p. 35 ; F. Meyer : Rev. dr. trav. 2008, p. 113). Dans cette affaire, la Commission agissait en manquement contre le Royaume-Uni qui impose aux employeurs d'assurer la sécurité et la santé des travailleurs dans tous les aspects liés au travail à une obligation de ne le faire que “pour autant que ce soit raisonnablement praticable”. La Cour refuse de reconnaître dans l'article 5, paragraphe 1, de la directive 89/391, une responsabilité sans faute. Selon la Cour, “cette disposition se borne à consacrer l'obligation générale de sécurité pesant sur l'employeur, sans se prononcer sur une quelconque forme de responsabilité”(CJCE, 14 juin 2007, Comm. c/ Royaume-Uni, préc., point 42). Le contenu de cette obligation serait précisé par les articles suivants de la directive 89/391 et par plusieurs directives particulières. De plus, l'article 5, paragraphe 4, alinéa 1, de la directive 89/391 ne fait que préciser “la marge de manoeuvre dont disposent les États membres dans la transposition de celles-ci en droit national” et “il ne peut en être déduit un régime de responsabilité sans faute des employeurs”(CJCE, 14 juin 2007, Comm. c/ Royaume-Uni, préc., point 49). La Cour de justice reprochait également à la Commission de ne pas avoir prouvé dans cette affaire, en quoi l'exclusion de la responsabilité sans faute limite la responsabilité des employeurs en méconnaissance de la directive 89/391, ni en quoi la clause litigieuse, qui concerne une responsabilité pénale, est de nature à influer sur l'étendue de l'obligation générale de sécurité incombant à l'employeur prévue par la directive. Comme le relève S. Laulom, “la lecture par la CJCE de l'article 5 de la directive conduit à vider de sens ce dispositif”(SSL 2008, préc.). La décision laisse toutefois ouvert le débat sur l'étendue de l'obligation de sécurité de l'employeur. 17. – Contenu – La directive 89/391 conçoit l'obligation générale de sécurité de l'employeur comme une obligation transversale puisque “l'employeur prend les mesures nécessaires pour

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la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, y compris les activités de prévention des risques professionnels, d'information et de formation ainsi que la mise en place d'une organisation et de moyens nécessaires”(Dir. 89/391, art. 6, § 1, al. 1).

Cette obligation impose l'adaptation de ces mesures “pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes”(Dir. 89/391, art. 6, § 2, al. 1). 18. – Principes généraux de prévention – Ces mesures doivent prendre pour base les “principes généraux de prévention”. Ces principes guident l'action de l'employeur dans une approche liée à la gravité et au niveau du risque encouru. La priorité est mise sur la suppression des dangers à la source et par l'instauration de protections collectives. Par ailleurs, l'employeur doit intégrer la sécurité dans l'ensemble des activités de l'entreprise, c'est-à-dire lors de la mise en oeuvre des méthodes de travail et de production.

La directive-cadre dresse une liste de ces principes généraux de prévention. Il s'agit de :

a) éviter les risques ;

b) évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

c) combattre les risques à la source ;

d) adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment d'atténuer le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

e) tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;

f) remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

g) planifier la prévention en visant un ensemble cohérent qui intègre dans la prévention la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants au travail ;

h) prendre des mesures de protection collective par priorité à des mesures de protection individuelle ;

i) donner les instructions appropriées aux travailleurs (Dir. 89/391, art. 6, § 2). 19. – Évaluation des risques – L'employeur doit évaluer les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs. Cette évaluation doit tenir compte de la nature des activités et s'appliquer au choix des équipements de travail, des substances ou préparations chimiques, et dans l'aménagement des lieux de travail. Cette évaluation doit “garantir un meilleur niveau de protection de la sécurité et de la santé de travailleurs” et être intégrée “dans l'ensemble des activités de l'entreprise et/ou de l'établissement et à tous les niveaux de l'encadrement”(Dir. 89/391, art. 6, § 3, a).

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Selon la Cour de justice, il ressort tant des objectifs de la directive que du libellé de cette disposition que “les employeurs sont obligés d'évaluer l'ensemble des risques pour la sécurité et la santé des travailleurs”(CJCE, 15 nov. 2001, aff. C-49/00, Comm. c/ République italienne, point 12 : Rec. CJCE 2001, I, p. 8575).

L'employeur doit prendre en considération les capacités du travailleur en matière de sécurité et de santé lorsqu'il lui confie des tâches (Dir. 89/391, art. 6, § 3, b).

La planification et l'introduction de nouvelles technologies doivent faire “l'objet de consultations spécifiques avec les travailleurs et/ou leurs représentants”(Dir. 89/391, art. 6, § 3, c).

L'employeur doit “prendre les mesures appropriées pour que seuls les travailleurs qui ont reçu des instructions adéquates puissent accéder aux zones de risque grave et spécifique”(Dir. 89/391, art. 6, § 3, d).

Lorsque, dans un même lieu de travail, les travailleurs de plusieurs entreprises sont présents, les employeurs doivent coopérer à la mise en oeuvre des dispositions relatives à la sécurité, à l'hygiène et à la santé, coordonner leurs activités dans ce domaine, s'informer mutuellement des risques professionnels et en informer leurs travailleurs respectifs et/ou leurs représentants (Dir. 89/391, art. 6, § 4).

La directive 89/391 interdit que les mesures concernant la sécurité, l'hygiène et la santé au travail entraînent des charges financières pour les travailleurs (Dir. 89/391, art. 6, § 5). 20. – Protection nationale renforcée – En interprétant la directive particulière 90/394 du 28 juin 1990 concernant la protection des travailleurs contre les risques liés à l'exposition à des agents cancérigènes au travail, la Cour de justice a estimé que l'obligation pour l'employeur de réduire ou de remplacer l'utilisation de l'agent cancérigène n'est pas liée aux résultats de l'appréciation du risque. Une législation nationale peut donc prévoir une mesure de protection nationale renforcée en ne subordonnant pas expressément au résultat de l'appréciation du risque l'obligation d'éviter ou de réduire l'exposition des travailleurs à l'agent cancérigène. Selon la Cour de justice, une telle disposition nationale accroît la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs et ne remet pas en cause “la cohérence de l'intervention communautaire dans le domaine de la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs”(CJCE, 17 déc. 1998, aff. C-2/97, Società italiana petroli SpA (IP), point 37 : Rec. CJCE 1998, I, p. 8597). La Cour constate que cette disposition s'applique de manière non discriminatoire et ne gêne pas l'exercice des libertés fondamentales garanties par le traité. La Cour refuse enfin, s'agissant d'une mesure de protection nationale renforcée, de se prononcer sur le respect, par la réglementation nationale et ses sanctions, du principe de proportionnalité (CJCE, 17 déc. 1998, aff. C-2/97, Società italiana petroli SpA (IP), préc., point 39).

21. – Services de protection et de prévention – L'employeur doit désigner un ou plusieurs travailleurs pour s'occuper des activités de protection des risques professionnels de l'entreprise et/ou de l'établissement. Si les compétences internes sont insuffisantes pour organiser ces activités, l'employeur doit faire appel à des compétences extérieures à l'entreprise et/ou à l'établissement (Dir. 89/391, art. 7).

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Recours subsidiaire à des compétences extérieures – La Cour de justice a déjà eu l'occasion de préciser que cette disposition prévoit une obligation pour l'employeur d'organiser un service de prévention et de protection des risques professionnels interne ou, si les compétences à l'intérieur de l'entreprise sont insuffisantes, de faire appel à des compétences extérieures (CJCE, 15 nov. 2001, aff. C-49/00, Comm. c/ République italienne, citée supra n° 19, point 23).

Par ailleurs, cette disposition comporte “une hiérarchie des obligations qui sont imposées aux employeurs”(CJCE, 22 mai 2003, aff. C-441/01, Comm. c/ Royaume des Pays-Bas, point 21 : Rec. CJCE 2003, I, p. 5463. – V. dans le même sens, CJCE, 6 avr. 2006, aff. C-428/04, Comm. c/ République d'Autriche, points 49 à 53 : Rec. CJCE 2006, I, p. 3325). La transposition en droit national doit refléter la hiérarchie définie à l'article 7 de la directive-cadre. Selon la Cour de justice, “la directive a pour objectif de favoriser la participation équilibrée des employeurs et des travailleurs aux activités de protection et de prévention des risques professionnels. C'est donc en privilégiant l'organisation de ces activités au sein de l'entreprise que l'effet utile de la directive peut être assuré le mieux possible”(CJCE, 22 mai 2003, Comm. c/ Royaume des Pays-Bas, préc., point 54). Il ne peut donc être question de laisser le choix à l'employeur entre l'organisation de ces activités au sein de l'entreprise ou le recours à des compétences extérieures à celle-ci.

Si l'employeur désigne un ou plusieurs travailleurs, ceux-ci ne doivent subir aucun préjudice en raison de leurs activités liées aux risques professionnels et doivent disposer “d'un temps approprié”(Dir. 89/391, art. 7, § 2).

Qu'il s'agisse des compétences internes ou externes, les personnes concernées doivent avoir les capacités (travailleurs désignés), les aptitudes nécessaires (personnes ou services extérieurs) et les moyens requis (Dir. 89/391, art. 7, § 5). Les personnes ou services extérieurs sont l'objet d'une information spécifique (Dir. 89/391, art. 7, § 4).

Les travailleurs désignés et les personnes ou services extérieurs consultés doivent être en “nombre suffisant”, “en tenant compte de la taille de l'entreprise et/ou de l'établissement, et/ou des risques auxquels les travailleurs sont exposés ainsi que de leur répartition dans l'ensemble de l'entreprise et/ou de l'établissement”(Dir. 89/391, art. 7, § 5, 3e tiret).

Les capacités et aptitudes nécessaires et le nombre suffisant sont définis par les États membres (Dir. 89/391, art. 7, § 8). Selon la Cour de justice, il est loisible aux États “de définir d'autres critères objectifs destinés à guider les employeurs dans leur appréciation des compétences existant dans leur entreprise”(CJCE, 22 mai 2003, aff. C-441/01, Comm. c/ Royaume des Pays-Bas, préc., point 24).

Les activités peuvent être assurées par un ou plusieurs travailleurs, par un seul service ou par des services distincts, que ce soit en interne ou en externe et "collaborer" entre eux en tant que de besoin (Dir. 89/391, art. 7, § 6).

Prise en charge directe par l'employeur. Les États membres peuvent définir, compte tenu de la nature des activités et de la taille de l'entreprise, les catégories d'entreprises dans lesquelles l'employeur, s'il a les capacités nécessaires, peut assumer lui-même la prise en charge des activités de protection et de prévention (Dir. 89/391, art. 7, § 8).

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Selon la Cour de justice, l'article 7, paragraphe 8, de la directive 89/391 implique “l'adoption par les États membres de mesures législatives ou réglementaires conformes aux exigences de la directive et qui sont portées à la connaissance des entreprises concernées par des moyens appropriés afin de permettre à celles-ci de connaître leurs obligations en la matière et aux autorités nationales compétentes de vérifier que ces mesures sont respectées”(CJCE, 15 nov. 2001, aff. C-49/00, Comm. c/ République italienne, citée supra n° 19, point 36. – CJCE, 22 mai 2003, Comm. c/ Grand-Duché de Luxembourg : Rec. CJCE 2003, I, p. 5531. – CJCE, 15 juin 2006, aff. C-459/04, Comm. c/ Royaume de Suède, point 39 : Rec. CJCE 2006, I, p. 79). Un État membre ne peut pas confier à l'employeur la responsabilité de déterminer ces capacités et aptitudes nécessaires pour exercer les activités de protection et de prévention des risques professionnels.

Premiers secours, lutte contre l'incendie, évacuation des travailleurs, danger grave et immédiat – L'employeur doit prendre, en matière de premiers secours, de lutte contre l'incendie et d'évacuation des travailleurs, les mesures nécessaires et adaptées, et organiser des relations nécessaires avec des services extérieurs, notamment en matière de premiers secours, d'assistance médicale d'urgence, de sauvetage et de lutte contre l'incendie (Dir. 89/391, art. 8, § 1).

Les travailleurs chargés de mettre en pratique ces mesures doivent être désignés par l'employeur et “doivent être formés, être en nombre suffisant et disposer de matériel adéquat”(Dir. 89/391, art. 8, § 2, al. 2).

La directive 89/391 impose la désignation des travailleurs concernés, indépendamment de la nature des activités et de la taille de l'entreprise et/ou de l'établissement. Les tâches que ces travailleurs sont chargés d'assurer ont trait à des événements qui sont susceptibles de se produire sur les lieux de travail, indépendamment de la taille de l'entreprise et/ou de l'établissement (CJCE, 6 avr. 2006, aff. C-428/04, Comm. c/ République d'Autriche, citée supra n° 22, point 66).

Procédure en cas de danger grave et immédiat – La directive 89/391 prévoit une procédure en cas de risque de danger grave et immédiat (Dir. 89/391, art. 8, § 3). L'employeur doit informer le “plus tôt possible” tous les salariés qui sont ou qui peuvent être exposés sur ce risque et sur les dispositions prises ou à prendre en matière de protection. L'employeur doit “prendre des mesures et donner des instructions pour permettre aux travailleurs, en cas de danger grave, immédiat et qui ne peut être évité, d'arrêter leur activité et/ou de se mettre en sécurité en quittant immédiatement le lieu de travail”(Dir. 89/391, art. 8, § 3, b).

L'employeur doit s'abstenir de demander aux travailleurs de reprendre leur activité s'il persiste un tel risque, “sauf exception dûment motivée”(Dir. 89/391, art. 8, § 3, c).

Un travailleur qui s'éloigne de son poste de travail et/ou d'une zone dangereuse dans cette situation, “ne peut en subir aucun préjudice et doit être protégé contre toutes conséquences dommageables et injustifiées, conformément aux législations et/ou pratiques nationales”(Dir. 89/391, art. 8, § 4).

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Lorsque le travailleur est dans l'impossibilité de contacter son supérieur hiérarchique en cas “de danger grave et immédiat pour sa propre sécurité et/ou celle d'autres personnes”, l'employeur doit faire en sorte que ce travailleur soit en mesure de prendre les mesures nécessaires pour éviter un tel danger. Ces mesures doivent tenir compte des connaissances et des moyens techniques de ce travailleur (Dir. 89/391, art. 8, § 5, al. 1). L'action de ce travailleur n'entraîne pour lui aucun préjudice, “à moins qu'il n'ait agi de manière inconsidérée ou qu'il ait commis une négligence lourde”(Dir. 89/391, art. 8, § 5, al. 2).

Documents et instructions – L'employeur doit disposer d'une évaluation des risques professionnels “y compris ceux concernant les groupes des travailleurs à risques particuliers”(Dir. 89/391, art. 9, § 1, a), déterminer les mesures de protection à prendre et le matériel de protection à utiliser, tenir une liste des accidents du travail ayant entraîné une incapacité de trois jours de travail, établir à l'intention de l'autorité compétente, des rapports concernant les accidents du travail. Il revient aux États de définir,“compte tenu de la nature des activités et de la taille des entreprises”, les obligations que doivent satisfaire les différentes catégories d'entreprise lors de l'établissement de ces documents (Dir. 89/391, art. 9, § 2).

Les États membres doivent prévoir une obligation expresse pour l'employeur de tenir une liste des accidents du travail. Une information des représentants des travailleurs sur ce thème est insuffisante (CJCE, 5 juin 2008, aff. C-226/06, Comm. c/ France, citée supra n° 10, points 34 et 35).

Information des travailleurs – La directive 89/391 impose à l'employeur de prendre les mesures appropriées pour que les travailleurs reçoivent les informations nécessaires sur les risques professionnels et les mesures de protection et de prévention dans l'entreprise. La Cour de justice veille à ce que les États membres ne dispensent pas les employeurs de cette obligation en fonction du nombre de leurs salariés.

L'employeur prend les mesures appropriées pour que les travailleurs et/ou leurs représentants dans l'entreprise et/ou l'établissement reçoivent, conformément aux législations et/ou pratiques nationales, qui peuvent tenir compte en particulier de la taille de l'entreprise et/ou de l'établissement, toutes les informations nécessaires concernant “les risques pour la sécurité et la santé ainsi que les mesures et activités de protection et de prévention concernant tant l'entreprise et/ou l'établissement en général que chaque type de poste de travail et/ou de fonction”, les mesures prises en matière de premiers secours, de lutte contre l'incendie et d'évacuation des travailleurs (Dir. 89/391, art. 10, § 1).

Une législation nationale qui permet d'exclure en fonction du nombre de salariés, une certaine catégorie d'entreprises de l'obligation d'information des travailleurs incombant à l'employeur n'est pas conforme à l'article 10, paragraphe 1, de la directive 89/391 (CJCE, 5 juin 2008, aff. C-226/06, Comm. c/ France, citée supra n° 10, point 58). L'étendue de l'obligation ne saurait varier en fonction du nombre de salariés (obs. F. Meyer, préc. et M. Schmitt, préc.).

L'employeur prend les mesures appropriées pour que les employeurs des travailleurs des entreprises et/ou établissements extérieurs intervenant dans son entreprise ou son

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établissement reçoivent des informations adéquates sur ces points destinées aux travailleurs en question (Dir. 89/391, art. 10, § 2).

L'employeur prend les mesures appropriées pour que les travailleurs ayant une fonction spécifique en matière de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, ou les représentants des travailleurs, ayant une fonction spécifique en cette matière, aient accès, pour l'accomplissement de leur fonction, à l'évaluation des risques et aux mesures de protection, à la liste et aux rapports prévus par la directive 89/391, ainsi qu'à l'information provenant tant des activités de protection et de prévention que des services d'inspection et organismes compétents pour la sécurité et la santé (Dir. 89/391, art. 10, § 3).

La Cour de justice constate qu'une disposition qui, pour certains types d'entreprises, notamment en fonction du nombre de travailleurs qu'elles emploient, donne à l'autorité publique compétente le pouvoir d'exonérer les médecins d'entreprise et le personnel spécialisé en matière de sécurité du travail de l'établissement de rapports sur l'appréciation des conditions de travail apparaît clairement contraire aux articles 9, paragraphe 1, sous a), et 10, paragraphe 3, sous a), de la directive-cadre, dès lors que des entreprises employant dix travailleurs ou moins pourraient ainsi se voir dispensées de l'obligation de disposer d'une évaluation des risques sous la forme de documents (CJCE, 7 févr. 2002, aff. C-5/00, Comm. c/ RFA, point 35 : Rec. CJCE 2002, I, p. 1305).

Consultation et participation des travailleurs – La directive 89/391 consacre des développements importants au sujet de la consultation et la participation des travailleurs. Elle prévoit deux procédures, l'une destinée aux travailleurs et à leurs représentants, l'autre destinée aux travailleurs ayant une fonction spécifique en matière de prévention de la santé et de la sécurité.

S'agissant de la consultation des travailleurs et de leurs représentants, selon l'article 11, paragraphe 1, de la directive-cadre,

les employeurs consultent les travailleurs et/ou leurs représentants et permettent leur participation dans le cadre de toutes les questions touchant à la sécurité et à la santé au travail.

Cela implique :

– la consultation des travailleurs ;

– le droit des travailleurs et/ou de leurs représentants de faire des propositions ;

– la participation équilibrée conformément aux législations et/ou pratiques nationales.

S'agissant cette fois des travailleurs ou de leurs représentants ayant une fonction spécifique en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, ceux-ci“participent de façon équilibrée, conformément aux législations et/ou pratiques nationales, ou sont consultés au préalable et en temps utile par l'employeur” sur toute action qui peut avoir des effets substantiels sur la sécurité et la santé, la désignation des travailleurs chargés des activités de protection et de prévention des risques professionnels de l'entreprise et/ou de l'établissement et ceux chargés de mettre en oeuvre les mesures de premiers secours, lutte contre l'incendie et

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d'évacuation des travailleurs, ainsi que sur les mesures de protection et de prévention, les diverses informations et documents que doit transmettre et établir l'employeur, sur l'appel à des compétences (personnes ou services) extérieures à l'entreprise et/ou à l'établissement, sur la conception et l'organisation de la formation des travailleurs (Dir. 89/391, art. 11, § 2). Cette obligation de participation et de consultation des travailleurs chargés des activités de protection et de prévention se distingue de l'obligation générale pour les employeurs de consulter les travailleurs et/ou leurs représentants sur ces questions (CJCE, 6 avr. 2006, aff. C-428/04, Comm. c/ République d'Autriche, citée supra n° 22, points 76 et 85).

L'obligation de participation et de consultation des travailleurs ayant une fonction spécifique en matière de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs persiste lorsqu'il est fait appel à des compétences extérieures à l'entreprise et/ou à l'établissement (CJCE, 6 avr. 2006, aff. C-428/04, préc., point 91).

La "participation équilibrée" – La directive 89/391 fait référence à la notion de “participation équilibrée”, tout en se dispensant de définir cette notion. Après l'adoption de la position commune, le Conseil et la Commission ont fait inscrire une déclaration au procès-verbal, aux termes de laquelle “la notion de participation équilibrée comprend une gamme de plusieurs formes de participation des travailleurs, qui varient considérablement d'un État membre à l'autre. La présente directive ne comporte aucune obligation pour les États membres de prévoir une forme déterminée de participation équilibrée”(Document du Conseil 9869/88 RESTREINT SOC 282, 12 déc. 1988, p. 22). Il est certain que cette modalité doit se distinguer de la consultation ou de la possibilité de faire des propositions. L'article 11, paragraphe 2, de la directive-cadre en réduit la portée en la présentant comme une alternative à la consultation, sans donner les raisons objectives qui permettent de distinguer les situations dans lesquelles l'employeur doit y recourir.

Les représentants des travailleurs, ayant une fonction spécifique en matière de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, ont le droit de demander à l'employeur qu'il prenne des mesures appropriées et de lui soumettre des propositions en ce sens, de façon à pallier tout risque pour les travailleurs et/ou à éliminer les sources de danger (Dir. 89/391, art. 11, § 3).

Statut des travailleurs ou leurs représentants ayant une fonction spécifique en matière de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs – Les travailleurs et les représentants des travailleurs ayant une fonction spécifique en matière de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs ne peuvent subir de préjudice en raison de leurs activités (Dir. 89/391, art. 11, § 4).

L'employeur est tenu d'accorder aux représentants des travailleurs “une dispense de travail suffisante sans perte de salaire et de mettre à leur disposition les moyens nécessaires pour permettre à ces représentants d'exercer les droits et fonctions découlant de la présente directive”(Dir. 89/391, art. 11, § 5).

Recours à l'autorité compétente en matière de santé et de sécurité au travail – Les travailleurs et/ou leurs représentants ont le droit de faire appel, conformément aux législations

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et/ou pratiques nationales, à l'autorité compétente en matière de sécurité et de santé au travail, s'ils estiment que les mesures prises et les moyens engagés par l'employeur ne sont pas suffisants pour garantir la sécurité et la santé au travail (Dir. 89/391, art. 11, § 6, al. 1).

Les représentants des travailleurs doivent pouvoir présenter leurs observations lors de visites et vérifications effectuées par l'autorité compétente (Dir. 89/391, art. 11, § 6, al. 2). Formation des travailleurs – L'employeur doit assurer que chaque travailleur reçoit une formation à la fois suffisante et adéquate à la sécurité et à la santé, notamment sous forme d'informations et d'instructions, à l'occasion de son engagement, d'une mutation ou d'un changement de fonction, de l'introduction ou d'un changement d'un équipement de travail, de l'introduction d'une nouvelle technologie, et spécifiquement axée sur son poste de travail ou sa fonction. Cette formation doit être adaptée à l'évolution des risques et à l'apparition de risques nouveaux et être répétée périodiquement si nécessaire (Dir. 89/391, art. 12, § 1). La formation des travailleurs doit se passer durant le temps de travail (Dir. 89/391, art. 12, § 4, al. 2).

L'employeur doit s'assurer que les travailleurs des entreprises et/ou établissements extérieurs intervenant dans son entreprise ou son établissement ont bien reçu des instructions appropriées en ce qui concerne les risques pour la sécurité et la santé pendant leur activité dans son entreprise ou son établissement (Dir. 89/391, art. 12, § 2).

Formation des représentants des travailleurs – Les représentants des travailleurs, ayant une fonction spécifique dans la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, ont droit à une formation appropriée (Dir. 89/391, art. 12, § 3). Cette formation doit se passer durant le temps de travail ou conformément aux pratiques nationales, soit à l'intérieur, soit à l'extérieur de l'entreprise et/ou de l'établissement (Dir. 89/391, art. 12, § 4, al. 3).

La formation des travailleurs ou de leurs représentants ne peut être mise à leur charge (Dir. 89/391, art. 12, § 4).

3° Obligations des travailleurs

34. – La troisième section de la directive 89/391 est consacrée aux obligations des travailleurs (Dir. 89/391, art. 13).

Une obligation relative – Il incombe à chaque travailleur de prendre soin, selon ses possibilités, de sa sécurité et de sa santé ainsi que de celles des autres personnes concernées du fait de ses actes ou de ses omissions au travail, conformément à sa formation et aux instructions de son employeur (Dir. 89/391, art. 13, § 1). Cette obligation est relative puisqu'elle dépend des possibilités et de la formation du travailleur et des instructions de l'employeur. L'obligation ne se limite pas aux collègues de travail puisqu'elle vise toutes autres personnes concernées du fait des actes et omissions au travail (clients, sous-traitants, fournisseurs...).

Objet de l'obligation – L'article 13 de la directive-cadre précise ensuite l'objet de l'obligation. Les travailleurs doivent

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en particulier, conformément à leur formation et aux instructions de leur employeur :

a) utiliser correctement les machines, appareils, outils, substances dangereuses, équipements de transport et autres moyens ;

b) utiliser correctement l'équipement de protection individuelle mis à leur disposition et, après utilisation, le ranger à sa place ;

c) ne pas mettre hors service, changer ou déplacer arbitrairement les dispositifs de sécurité propres notamment aux machines, appareils, outils, installations et bâtiments, et utiliser de tels dispositifs de sécurité correctement ;

d) signaler immédiatement, à l'employeur et/ou aux travailleurs ayant une fonction spécifique en matière de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, toute situation de travail dont ils ont un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et immédiat pour la sécurité et la santé ainsi que toute défectuosité constatée dans les systèmes de protection ;

e) concourir, conformément aux pratiques nationales, avec l'employeur et/ou les travailleurs ayant une fonction spécifique en matière de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, aussi longtemps que nécessaire, pour permettre l'accomplissement de toutes les tâches ou exigences imposées par l'autorité compétente afin de protéger la sécurité et la santé des travailleurs au travail ;

f) concourir, conformément aux pratiques nationales, avec l'employeur et/ou les travailleurs ayant une fonction spécifique en matière de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, aussi longtemps que nécessaire, pour permettre à l'employeur d'assurer que le milieu et les conditions de travail sont sûrs et sans risques pour la sécurité et la santé à l'intérieur de leur champ d'activité (Dir. 89/391, art. 13, § 2).

S'agissant de cette disposition, la Cour de justice rappelle que la directive 89/391 "n'a pas seulement pour objet d'améliorer la protection des travailleurs contre les accidents du travail et la prévention des risques professionnels, mais vise également à mettre en oeuvre des mesures spécifiques d'organisation de cette protection et de cette prévention" (CJCE, 5 juin 2008, aff. C-226/06, Comm. c/ France, citée supra n° 10, point 48). Il en résulte que les obligations des travailleurs prévues à l'article 13 § 2 sous a), c), e), et f) de la directive 89/391 doivent être expressément transposées en droit national. Le fait de préciser que les obligations incombant aux travailleurs doivent être assumées conformément aux instructions données par l'employeur ne revêt, à ce titre, aucune pertinence (CJCE, 5 juin 2008, aff. C-226/06, Comm. c/ France, préc., point 53).

4° Surveillance de santé et groupes à risques

37. – Des mesures nationales doivent permettre d'assurer la surveillance appropriée de la santé des travailleurs en fonction des risques concernant leur sécurité et leur santé au travail (Dir. 89/391, art. 14, § 1). Il doit en résulter que chaque travailleur doit pouvoir faire l'objet, s'il le souhaite, d'une surveillance de santé à intervalles réguliers (Dir. 89/391, art. 14, § 1). La surveillance de santé peut faire partie d'un système national de santé (Dir. 89/391, art. 14, § 3).

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Les groupes à risques particulièrement sensibles doivent être protégés contre les dangers les affectant spécifiquement (Dir. 89/391, art. 15).

6° Mise en oeuvre

39. – Comité – Lorsqu'il s'agit de faire des adaptations de nature strictement technique des directives particulières en fonction de l'adoption de directives en matière d'harmonisation technique et de normalisation et/ou du progrès technique, de l'évolution des réglementations ou spécifications internationales et des connaissances, la Commission est assistée par un comité composé des représentants des États membres et présidé par le représentant de la Commission (Dir. 89/391, art. 17).

40. – Délai de mise en oeuvre et rapports – Les États membres avaient jusqu'au 31 décembre 1992 pour se conformer à la présente directive. Tous les cinq ans, les États membres font rapport à la Commission sur la mise en oeuvre de la directive-cadre, en indiquant les points de vue des partenaires sociaux. De plus, la Commission présente périodiquement un rapport sur la mise en oeuvre de cette directive (Dir. 89/391, art. 18).

§2 La représentation du personnel

A. L'information et la consultation des travailleurs

• Reconnaissance du droit à l'information et à la consultation

Le droit de l'Union européenne aborde la représentation des travailleurs dans l'entreprise au travers du droit des travailleurs à l'information et à la consultation sur la vie de l'entreprise et les événements qui l'affectent. Sous le titre “Droit à l'information et à la consultation des travailleurs au sein de l'entreprise”, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne énonce à l'article 27, que “les travailleurs ou leurs représentants doivent se voir garantir, aux niveaux appropriés, une information et une consultation en temps utile, dans les cas et conditions prévus par le droit de l'Union et les législations et pratiques nationales”. La Charte sociale européenne révisée (1996) proclame de son côté que les travailleurs ont droit à l'information et à la consultation au sein de l'entreprise (partie I, point 21) et exige des États parties qu'ils prennent les mesures propres à permettre aux travailleurs ou à leurs représentants de l'exercer utilement (partie II, art. 21). On retrouve encore le droit des travailleurs d'être informés et consultés au sein de l'entreprise ou du groupe, notamment lorsque ceux-ci présentent une dimension interétatique européenne, dans la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux de 1989 (points 17 et 18).

Le droit des travailleurs à l'information et à la consultation dans l'entreprise est donc clairement consacré dans l'ordre juridique européen en tant que droit fondamental.

Par leur formulation, les textes mentionnés le font apparaître comme un droit qui, conféré aux travailleurs, est exercé par ces derniers directement ou l'est au travers de l'action de leurs représentants, représentation s'entendant en la matière d'une représentation collective et non

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pas individuelle. La pratique montre toutefois que l'information et la consultation des travailleurs sont synonymes de représentation collective et ne prend de réalité ou de consistance qu'à partir d'un seuil minimum d'effectif de l'entreprise. L'information et à la consultation des travailleurs n'a guère d'emprise juridique dans les petites entreprises. Le droit de l'Union européenne vérifie cette observation d'expérience.

La Cour de justice, visant la directive 98/59/CE relative aux licenciements collectifs (V. infra n° 29 à 43) a dit que le droit d'information et de consultation qu'elle prévoit "est destiné aux représentants des travailleurs, et non aux travailleurs pris individuellement" (CJCE, 16 juill. 2009, aff. C-12/08, Mono Car Styling, point 38). Ce droit est conçu "au bénéfice des travailleurs en tant que collectivité et possède donc une nature collective" (même décision, point 42).

• La reconnaissance progressive du droit à l'information et à la consultation

Le droit de l'Union européenne a procédé par étapes successives.

Le droit à l'information et à la consultation est apparu de longue date avec les directives 75/129/CEE du 17 février 1975 relative aux licenciements collectifs (V. infra n° 29 à 43) et 77/187/CEE du 14 février 1977 concernant les droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprise (V. infra n° 44 à 53), textes qui l'un et l'autre ont prévu que les opérations de restructuration visées fassent l'objet d'une information et d'une consultation des travailleurs. La mise en oeuvre de ces directives impliquait donc l'existence au sein des entreprises d'un organe de représentation du personnel susceptible d'être informé et consulté. Mais ces mêmes textes n'avaient pas pour objet la création de pareils organes de représentation, question laissée à l'action autonome des États membres.

La première date majeure correspond à la directive 94/45/CE du 22 septembre 1994 concernant l'institution d'un comité d'entreprise européen (citée supra n° 5). Par ce texte, le droit de l'Union européenne a réclamé la création d'un mécanisme d'information et de consultation du personnel (institution ou procédure) dans les entreprises ou les groupes ayant une dimension communautaire, c'est-à-dire possédant des implantations dans différents États membres. Compte tenu de la dimension communautaire de l'entreprise, la création d'une structure de représentation du personnel ne pouvait être laissée à l'autonomie normative des États membres. Mais n'ont été concernés que les seules entreprises ou groupes européens d'une taille importante.

L'autre date importante est constituée par la directive 2002/14/CE du 11 mars 2002 (citée supra n° 4). Dite "cadre général", la directive 2002/14/CE a pour objet de généraliser le droit des travailleurs à l'information des travailleurs en l'imposant dans l'ensemble des entreprises et établissements situés dans la Communauté (Dir., art. 1), qui devront donc se doter des moyens organiques, représentation permanente du personnel, propre à en permettre l'exercice. Des grandes entreprises et groupes de dimension communautaire, on passe aux entreprises et

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établissements nationaux, dans la Communauté (Dir., art. 1), à partir d'un seuil d'effectif minimum (Dir., art. 3, § 1).

"Cadre général", la directive 2002/14/CE l'est de deux façons complémentaires. La directive vient en premier lieu directement encadrer les droits nationaux. Elle fournit un socle de règles minimales communes que tous les États membres devront respecter en en imposant uniformément l'application dans les entreprises situées sur leur territoire. Le cadre qu'elle a créé concerne en second lieu le droit de l'Union lui-même et au travers de celui-ci, indirectement, les droits nationaux. La directive représente l'apparition d'un droit commun de l'information et de la consultation des travailleurs, droit général auquel des textes d'objet spécial du droit de l'Union viendront déroger. Mais par les règles générales qu'elle pose, par les définitions qu'elle a introduites, elle peut permettre nourrir et clarifier l'interprétation des directives spéciales ou encore en combler des lacunes. C'est la fonction d'un droit commun.

Un troisième volet de l'oeuvre normative de l'Union européenne concerne non plus les entreprises – notion caractéristique de droit du travail – mais les sociétés – notion de droit commercial – relevant d'un statut de droit européen : société européenne, société coopérative européenne. Ces sociétés, qui correspondent d'ailleurs par hypothèse à des entreprises de dimension pluri-étatique européenne, doivent elles aussi se doter des moyens institutionnels permettant une information et une consultation du personnel. Mais les directives sur les droits des travailleurs dans les sociétés européennes, débordent le champ de l'information et de la consultation des travailleurs pour couvrir plus largement celui de l'"implication" des travailleurs dans la société, en s'étendant à la participation à la direction de l'entreprise. C'est là leur intérêt propre. Placé sous des contraintes venues du droit allemand de la cogestion ou de la cosurveillance salariales, le droit de l'Union européenne, sous des conditions complexes, ouvre aux travailleurs des sociétés de droit européen ou soumises au droit européen un droit de participer ou d'influer sur les décisions des organes de gestion de l'entreprise.

Adoption de la directive 2002/14/CE "Cadre général " – La directive 2002/14/CE du 11 mars 2002 a pour objet d'établir “un cadre général relatif à l'information et à la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne”(Dir. 2002/14/CE, 11 mars 2002 : Journal Officiel des communautés européennes 23 Mars 2002. –

Fondée sur l'article 137 du traité TCE (devenu art. 153 TFUE), la directive a été adoptée après que les partenaires sociaux aient été consultés, conformément aux dispositions de l'ex-article 138 du traité CE (art. 154 TFUE), sans manifester de commune volonté de tenter la négociation d'un accord sur le sujet. L'adoption du texte, en tant qu'il portait sur l'information et la consultation des travailleurs (V. supra n° 3), a donc suivi la “procédure législative ordinaire” de l'ex-article 251 du traité (art. 294 TFUE) conduisant à son adoption par décision conjointe du Parlement et du Conseil (pour la proposition de directive présentée le 17 novembre 1998 par la Commission, V. Doc. COM(1998)612 final et Journal Officiel des communautés européennes 5 Janvier 1999).

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Le délai de transposition a été fixé au plus au 23 mars 2005 (Dir., art. 11). Considérant que l'état de son droit interne était déjà conforme aux prescriptions de la directive 2002/14/CE, la France n'a pas jugé devoir opérer de transposition formelle de la directive.

Champ. La directive 2002/14/CE s'applique dans les entreprises ou dans les établissements situés dans la Communauté, les petites unités en étant toutefois exclues. Il appartient aux États membres de décider si la directive s'applique aux "entreprises", à partir d'un seuil d'emploi de cinquante travailleurs au moins (référence française), ou aux "établissements", à partir de vingt travailleurs au moins (référence allemande). Les effectifs sont calculés en décomptant le nombre de salariés employés “dans un État membre”(Dir., art. 3).

Bien que la directive énonce que “les États membres déterminent le mode de calcul des seuils de travailleurs employés”(Dir., art. 3, 2e al.), la Cour de justice estime que tous les travailleurs – au sens du droit national intéressé – doivent être décomptés. Aucune catégorie ne doit être exclue, même momentanément. C'est pourquoi doit être condamnée l'exclusion des salariés âgés de moins de vingt-six ans prévue par une réglementation française (CJCE, 18 janv. 2007, aff. C-385/05, CGT, CFDT et al., concernant l'ordonnance française du 2 août 2005 relative à l'aménagement des règles de décompte des effectifs de l'entreprise).

Écartée pour les petites entreprises, l'application des règles constitutives du cadre général relatif à l'information et à la consultation des travailleurs n'est pas non plus prévue dans les groupes.

Sens général de la distinction – Dans le texte finalement adopté, la directive 2002/14/CE sépare le régime des “principes” et des “définitions”, d'un côté, des “modalités” de l'information et de la consultation, de l'autre. Les principes correspondent à des exigences essentielles de l'information et de la consultation dans l'entreprise et ont une portée générale et impérative. Les procédures d'information et de consultation doivent,... par définition !, respecter les définitions de l'information et de la consultation. Les “modalités” précisent le contenu des principes et définitions, mais ne s'imposeront qu'en fonction des transpositions étatiques et du degré d'autonomie que celles-ci laisseront à la négociation entre les partenaires sociaux.

Deux principes : effet utile et esprit de coopération – L'information et la consultation des travailleurs, quelles qu'en soient les modalités, doivent obéir à deux principes.

1° Les États membres doivent veiller à “assurer l'effet utile de la démarche”(Dir. 2002/14/CE, art. 1, § 2). L'information et la consultation “en temps utile” sont une “condition préalable à la réussite des processus de restructuration et d'adaptation” des entreprises, dit aussi le préambule de la directive (Dir., consid. 9).

2° Les partenaires intéressés doivent coopérer. L'employeur et les représentants des travailleurs, “lors de la définition ou de la mise en oeuvre” du mécanisme d'information et de la consultation, “travaillent dans un esprit de coopération et dans le respect de leurs droits et obligations réciproques en tenant compte à la fois des intérêts de l'entreprise et de ceux des travailleurs”(Dir. 2002/14/CE, art. 1, § 3).

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On aurait tort de déduire du principe d'“effet utile”, comme de son complément en termes de “temps utile”, que l'information et la consultation doivent par conséquent avoir un caractère préalable à la décision de restructuration ou d'adaptation de l'entreprise. C'est une condition préalable, mais à la réussite de l'opération. On retrouvera ce point de discussion plus loin (V. infra n° 23).

L'esprit de coopération, dont parle le texte, représente certainement plus que le voeu ou l'incantation sans portée, contredisant la réalité sociale, naguère inscrite dans le Code du travail français (“le comité d'entreprise coopère avec la direction”, affirmait l'ex-art. L. 432-1 du Code du travail, dans une disposition qui a été abrogée en 1982). Certes il s'agit là d'une notion cadre, notion vague, sans implication prédéfinie. Mais c'est bien une notion juridique, qui renvoie à une obligation de comportement des deux partenaires. La coopération réclame bonne foi ou loyauté. L'interprétation, par la Cour de justice notamment, devrait donner force concrète au principe.

L'esprit de coopération va-t-il jusqu'à impliquer la recherche d'un accord ? Exige-t-il des parties qu'elles fassent preuve d'une bonne volonté de négocier loyalement pour tenter de s'entendre ? On peut en douter car l'obligation de conduire la consultation “en vue d'aboutir à un accord” appartient aux “modalités” de la consultation, et que la détermination de ces modalités peut être laissée à la libre appréciation des partenaires sociaux au sein de l'entreprise (V. infra n° 22).

B. La représentation collective transnationale

De la directive 94/45/CE à la directive 2009/38/CE – La directive 94/45/CE du 22 septembre 1994 a pour objet d'assurer l'exercice du droit à l'information et à la consultation des travailleurs dans les entreprises et les groupes de dimension européenne. Son titre complet indique que l'information et la consultation des travailleurs doivent être assurées par “l'institution d'un comité d'entreprise européenne ou d'une procédure”(Dir. 94/45/CE, 22 sept. 1994 : Journal Officiel des communautés européennes 30 Septembre 1994).

Adoptée sur la base d'une proposition de directive présentée par la Commission le 5 décembre 1990 (Comm. CE, proposition de directive, 5 déc. 1990 : Journal Officiel des communautés européennes 15 Février 1991), puis amendée le 3 décembre 1991 (Journal Officiel des communautés européennes 31 Décembre 1991), la directive 94/45/CE fait suite et remédie à l'échec d'une première tentative de la Commission d'instituer un mécanisme d'information et à la consultation des travailleurs "des entreprises à structure complexe, notamment les entreprises multinationales" (Proposition présentée par la Commission au Conseil, 24 oct. 1980 : Journal Officiel des communautés européennes 15 Novembre 1980. – V. F. Vandamme, La proposition de directive sur l'information et la consultation des travailleurs... in L'information et la consultation des travailleurs dans les entreprises multinationales (ss dir.) J. Vandamme : PUF et IRM 1984, p. 133). La proposition "Vredeling" avait rencontré un fort

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mouvement d'opposition de la part d'entreprises multinationales. Modifiée et "adoucie" par une proposition "Richard" du 13 juillet 1983 qui en allégeait les contraintes, elle n'en avait pas moins dû être mise en sommeil.

Ce n'était que partie remise et, relancé par la Commission, le projet devait finalement se traduire par l'adoption de la directive 94/45/CE, en dehors du Royaume-Uni, sur le fondement de l'article 2, paragraphe 2, de l'Accord sur la politique (sur cet accord, V. JCl. Europe Traité, Fasc. 600), suivant une procédure de majorité qualifiée du Conseil, en coopération avec le Parlement.

L'utilisation de la base juridique de l'article 2, paragraphe 2, de l'Accord sur la politique sociale (devenu art. 137, § 2, TCE, puis art. 153, § 2, al. 2, TFUE), permettant d'éviter l'épreuve de l'unanimité, a pu être contestée. La directive, a-t-on protesté, ne concerne pas seulement l'information et la consultation des travailleurs et la procédure majoritaire applicable dans ce domaine ; elle s'étend à la représentation collective des intérêts des travailleurs qui relève quant à elle de l'article 2, paragraphe 3, de l'accord (devenu art. 137, § 3, TCE, puis art. 153, § 2, al. 3, TFUE) et d'une procédure d'unanimité (V. supra n° 3).

La directive 94/45/CE a été modifiée par la directive 2009/38/CE du 6 mai 2009 (Dir. 2009/38/CE, 6 mai 2009 : Journal Officiel de l'union européenne 15 Mai 2009). Le nouveau texte ne révise pas l'ancien, il vient simplement l'enrichir de nouvelles règles, en tenant compte, comme l'usage en est établi, de la jurisprudence de la Cour de justice.

Le délai de transposition et de mise en application des éléments nouvellement introduits a été fixé au 5 juin 2011 (Dir. 2009/38/CE, art. 16), la directive 94/45/CE étant abrogée et remplacée par la directive 2009/38/CE à compter du 6 juin 2011 (Dir. 2009/38/CE, art. 17). Une loi du 22 mars 2011 a autorisé le gouvernement français à prendre par voie d'ordonnance, dans un délai de huit mois, les dispositions législatives nécessaires à la transposition de la directive 2009/38/CE (L. n° 2011-302, 22 mars 2011 : Journal Officiel 23 Mars 2011). L'ordonnance n° 2011-1328 du 20 octobre 2011 a réalisé cette transposition dont l'objet se limite aux éléments nouveaux ajoutés à la directive 94/45/CE par la directive 2009/38/CE, le texte issu de la loi du 12 novembre 1996 restant pour le reste en vigueur (Journal Officiel 21 Octobre 2011).

Objectif et méthode de la directive – On peut décrire brièvement l'objectif général de la directive et la méthode qu'elle met en oeuvre pour y parvenir, en cinq points.

1° Son objectif est “d'améliorer le droit à l'information et à la consultation des travailleurs dans les entreprises et les groupes d'entreprises de dimension communautaire”(Dir. 94/45/CE et 2009/38/CE, art. 1, § 1).

2° Le droit à l'information et à la consultation doit couvrir l'ensemble des établissements de l'entreprise ou des entreprises du groupe situés à l'intérieur du territoire de l'Union européenne, que la direction centrale de l'entreprise ou du groupe soit située ou non à l'intérieur de ce territoire (V. le 13e considérant du préambule de la directive 94/45/CE et l'article 4, § 2, des directives 94/45/CE et 2009/38/CE).

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3° L'exercice de ce droit passe préférentiellement par l'institution auprès de la direction centrale de l'entreprise ou du groupe d'un comité d'entreprise européen, mais une simple procédure d'information et de consultation peut y suffire.

4° “Conformément au principe de l'autonomie des parties”(14e considérant du préambule de la directive 94/45/CE, 19e considérant de la directive 2009/38/CE), il revient préférentiellement aux partenaires du travail dans l'entreprise ou le groupe d'instituer par voie d'accord, à leur choix, le comité ou la procédure.

Domaine d'application

Domaine spatial – La directive régit les entreprises ayant des établissements et les groupes comportant des entreprises dans deux États membres différents au moins (Dir. 94/45/CE et 2009/38/CE, art. 2, § 1 a)). Les entreprises et groupes de dimension nationale lui échappent, les entreprises de dimension nationale relevant cependant, désormais, au-dessus d'un certain seuil, des dispositions de la directive 2002/14/CE "Cadre général" (V. supra n° 9 à 26).

La localisation du centre de décision de l'entreprise ou du groupe importe peu. La directive s'applique, que ce centre de décision, " direction centrale " suivant l'expression retenue par la directive (V. la définition de l'article 2, § 1 e)), soit ou non situé à l'intérieur de l'Union européenne ; les obligations et responsabilités de la direction centrale sont alors déplacées vers son représentant dans l'Union et, à défaut d'un tel représentant, incombent à la direction de l'entreprise ou de l'établissement employant le plus grand nombre de travailleurs dans un État membre (Dir. 94/45/CE et 2009/38/CE, art. 4, § 2).

59. – Taille de l'entreprise ou du groupe – Seules sont visées les entreprises ou les groupes de taille importante. L'entreprise ou le groupe doivent employer au moins 1000 travailleurs à l'intérieur de la Communauté et au moins 150 travailleurs dans deux États membres différents (Dir. 94/45/CE et 2009/38/CE, art. 2, § 1 a) et c)). Les seuils d'effectifs sont fixés d'après le nombre moyen de travailleurs employés au cours des deux années précédant le calcul, y compris les travailleurs à temps partiel, chaque État membre précisant les modalités du calcul pour les unités situées sur son territoire (Dir. 94/45/CE et 2009/38/CE, art. 2, § 2).

Les deux seuils prévus déterminent l'applicabilité de la directive, qui, s'ils sont franchis, couvrira l'ensemble du personnel de l'entreprise ou du groupe, y compris celui qui relève de petites unités de travail, d'un effectif inférieur à cent cinquante salariés.

Notion de groupe – Forme un "groupe d'entreprises" au sens de la directive, l'ensemble formé d'une “entreprise qui exerce le contrôle” et des “entreprises contrôlées” (définition de l'article 2, § 1 b) des directives 94/45 et 2009/38). Les règles de la directive "Comité d'entreprise européen" relatives au contrôle d'une entreprise sur l'autre sont inspirées de celles de la directive 83/349/CEE du 13 juin 1983 concernant les comptes consolidés dans les groupes de sociétés (Dir. 83/349/CEE, 13 juin 1983 : Journal Officiel des communautés européennes 18 Juillet 1983).

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Qu'est-ce que l'entreprise qui exerce le contrôle ? C'est celle qui peut exercer une influence dominante sur une autre entreprise, que ce soit du fait d'un droit de propriété, d'une participation, de règles statutaires,... (Dir. 94/45/CE et 2009/38/CE, art. 3, § 1).

Une présomption d'influence dominante, présomption susceptible de preuve contraire, est établie si :

– une entreprise détient la majorité du capital de l'autre entreprise ;

– ou dispose de la majorité des voix attachées aux parts émises par l'autre entreprise ;

– ou peut nommer une majorité des membres du conseil d'administration, de direction ou de surveillance de l'autre entreprise (l'article 3, § 3, 4 et 5 des directives 94/45/CE et 2009/38/CE précise les conditions d'application des présomptions posées).

Loi applicable – Pour déterminer si une entreprise “exerce le contrôle”, la loi applicable est “celle de l'État membre dont relève l'entreprise en question”. Si toutefois cette législation n'est pas celle d'un État membre, la loi applicable sera celle de l'État membre sur le territoire duquel est situé le représentant de l'entreprise dominante ou, à défaut de représentant, celle de l'État membre sur le territoire duquel se trouve “la direction centrale de l'entreprise qui emploie le plus grand nombre de travailleurs”(Dir. 94/45/CE et 2009/38/CE, art. 3, § 6).

Ces règles déterminant la loi applicable n'empêchent que la directive fixe elle-même des règles matérielles relatives au contrôle ou à l'influence dominante, qui devront être mises en oeuvre quelle que soit la loi applicable.

On remarquera que la loi française met en oeuvre les mêmes règles de délimitation du groupe pour l'institution du comité de groupe interne français et pour le groupe de dimension communautaire, règles directement transcrites de la directive 94/45/CE (V. les dispositions de C. trav., art. L. 2331-1, ex-art. L. 439-l, telles que modifiées par L. 12 nov. 1996 transposant la directive 94/45/CE).

Mutations du groupe – Il convient cependant de tenir compte des mutations que la structure d'un groupe est régulièrement appelée à connaître et d'adapter le comité d'entreprise européen, pour sa composition notamment, à ces évolutions. La directive 94/45/CE ne l'avait pas fait.

La loi française de transposition a partiellement remédié à cette carence en visant le comité "légal" créé faute d'accord des parties pour venir l'instituer volontairement (V. infra n° 96 à 98). Le texte français prévoit que les modifications de composition du comité d'entreprise européen que justifient les changements intervenus “dans la structure ou la dimension” du groupe ou de l'entreprise, peuvent être décidées par accord entre "l'employeur et les représentants des salariés" au comité en place (C. trav., art. L. 2343-6, ex-art. L. 439-17, al. 1 et 2).

La directive 2009/38/CE, dans un article 13 nouveau, prévoit des négociations d'“adaptation” aux “modifications significatives” qui interviennent dans la structure de l'entreprise ou du groupe, “par exemple en cas de fusion, d'acquisition ou de scission”(V. Dir. 2009/38/CE,

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consid. 40). Une négociation s'engage, dit-elle, “soit en l'absence de dispositions prévues par les accords en vigueur, soit en cas de conflits entre les dispositions de deux ou de plusieurs accords applicables”(Dir. 2009/38/CE, art. 13, 1er al. – V. C. trav., art. L. 2341-10, introduit par Ord. n° 2011-1328, 20 oct. 2011, citée supra n° 56). L'hypothèse est celle d'un ou de comités créés par voie d'accord (pour les accords d'"anticipation", V. aussi infra n° 75).

La procédure à suivre sera celle qui correspond à la création volontaire d'un comité d'entreprise européen ; elle fait intervenir le “groupe spécial de négociation”(V. infra n° 82), dans une composition en partie modifiée : au moins trois membres du comité ou des comités d'entreprise européen existants sont appelés à y siéger (Dir. 2009/38/CE, art. 13, 2e al. – V. C. trav., art. L. 2341-10, introduit par Ord. n° 2011-1328, 20 oct. 2011, préc. supra n° 56).

Qu'en sera-t-il cependant dans l'hypothèse d'un comité "légal" créé en l'absence d'accord des parties ? Les prescriptions subsidiaires, applicables en pareil cas, ne résolvent pas la difficulté, sinon au travers des règles relatives à la composition du comité (V. infra n° 97).

2° Organes de représentation

63. – Constitution des organes de représentation – Les mêmes règles générales gouvernent la constitution du “groupe spécial de négociation”(Dir. 94/45/CE et 2009/38/CE, art. 5, § 2) chargé de négocier la mise en place un comité d'entreprise européen ou la procédure qui le remplace et celle, à défaut de succès de la négociation, du comité d'entreprise européen, tel qu'il doit être créé en vertu des prescriptions subsidiaires de la directive (point 1 b) et d) des prescriptions subsidiaires). La loi française de transposition a réuni ces règles dans des dispositions communes (V. C. trav., art. L. 2344-1 à 2344-6, ex-art. L. 439-18, 19 et 20).

1° Est d'abord posé le principe de représentation de l'ensemble des travailleurs de l'entreprise ou du groupe de dimension communautaire. Le personnel de chaque État membre dans lequel l'entreprise ou le groupe a une implantation doit être représenté par un délégué au moins, le reste de la représentation étant proportionnel aux effectifs employés dans chaque État.

Énoncé pour le groupe de négociation et pour le comité d'entreprise européen "subsidiaire" ou "légal", le principe de représentation de l'ensemble des travailleurs vaut également pour les comités d'entreprise européens volontairement créés (V. 10e et 13e considérants du préambule de la directive 94/45/CE).

2° Les modalités de constitution de l'organe de négociation ou de représentation relèvent des législations nationales. Aux droits nationaux en particulier de choisir entre élection et désignation. Mais quel droit national ? Chaque État membre applique ses propres règles aux établissements et entreprises intéressés qui sont situés sur son territoire (Dir. 94/45/CE et 2009/38/CE, art. 5, § 2 a)).

La loi française de transposition a donc d'une part fixé les règles applicables aux établissements et entreprises implantés en France et choisi un système mêlant désignation et élection (C. trav., art. L. 2344-2, ex-art. L. 439-19, 1er al.) et a renvoyé d'autre part aux règles et usages des autres États d'implantation (C. trav., art. L. 2344-4, ex-art. L. 439-19, in fine).

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Il revient à la législation de l'État membre sur le territoire duquel se trouve la direction centrale de déterminer les modalités de composition de l'organe de représentation et en particulier de procéder à l'application de la règle de proportionnalité entre les États membres.

Désignation ou élection seront normalement le fait d'organes eux-mêmes désignés ou élus sur les différents territoires nationaux : élections ou désignations au deuxième degré. La directive a cependant eu égard aux situations nationales qui se traduisent par une absence de représentation locale. Un processus de désignation ou d'élection directes par les travailleurs doit alors être institué. Le texte de la directive précise également que ses dispositions ne portent pas atteinte aux règles nationales concernant les seuils de constitution des instances représentatives (Dir. 94/45/CE et 2009/38/CE, art. 5, § 2 a), 2e al.).

La loi française donne compétence au tribunal d'instance du siège de l'entreprise ou de la filiale dominante du groupe pour connaître des contestations relatives à la désignation des membres du groupe spécial de négociation et des représentants au comité d'entreprise des établissements ou des entreprises implantés en France (C. trav., art. L. 2344-7 et R. 2344-3). Le texte ne précisant pas que le tribunal statue en dernier ressort, la Cour de cassation a jugé que le pourvoi en cassation est irrecevable lorsqu'il est dirigé contre le jugement du tribunal. La voie d'appel est ouverte (Cass. soc., 18 juin 2003 : Bull. civ. 2003, V, n° 200. – sur la compétence du juge d'instance, en cas d'accord d'anticipation – infra n° 75 à 80 – lorsque l'accord a été modifié, Cass. soc., 4 nov. 2009 : Bull. civ. 2009, V, n° 241).

Ces différentes règles expriment le principe de territorialité des lois relatives aux institutions représentatives du personnel (V. sur ce thème, spéc., M.-A. Moreau, Activités transnationales et représentation collective des salariés : Dr. soc. 1991, p. 53).

– Protection des représentants – Les représentants des travailleurs ayant une mission dans la mise en oeuvre de la directive jouissent d'une protection et de garanties qui doivent être similaires à celles qui sont prévues par la législation et/ou les pratiques de leur pays d'emploi. Cette protection concerne les membres du groupe spécial de négociation, les membres du comité d'entreprise européen ou, à défaut de ce comité, les représentants du personnel participant à la procédure d'information et de consultation (Dir. 94/45/CE, art. 10, al. 1er. – Dir. 2009/38/CE, art. 10, § 3).

Il n'est toutefois question, dans le corps du texte, que de garanties relatives au paiement du salaire et indemnités pour l'exercice des fonctions de représentation et la durée d'absence nécessaire à cet exercice (Dir. 94/45/CE, art. 10, 2e al. – Dir. 2009/38/CE, art. 10, § 3, 2e al.). C'est seulement le préambule (Consid. 21) qui énonce le principe qu'ils doivent jouir d'une protection adéquate en matière de licenciement et d'autres sanctions, ajoutant qu'ils ne doivent “subir aucune discrimination du fait de l'exercice légitime de leur activité” de représentation.

La loi française de transposition du 12 novembre 1996 étend aux représentants des travailleurs agissant dans le cadre de la mise en oeuvre de la directive, la protection des membres du comité d'entreprise prévue par le Code du travail (C. trav., art. L. 2411-11 et L. 2342-4, ex-art. L. 439-23). C'est d'ailleurs à l'occasion du vote de la loi du 12 novembre 1996 que le Conseil constitutionnel a déclaré que les représentants des

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travailleurs doivent jouir d'un statut de nature à leur permettre de procéder à "l'exercice normal de leurs fonctions en toute indépendance par rapport à l'employeur". Il en va, dit-il, des garanties légales permettant au principe constitutionnel de participation de s'exprimer (Cons. const., déc. 6 nov. 1996, n° 96-383 DC. – V. M.-L. Morin : Dr. soc. 1997, p. 25. – G. Lyon-Caen : Dr. ouvrier 1996, p. 479).

Suivant la tradition française et conformément au principe d'équivalence entre sanctions du droit national et sanctions du droit de l'Union, la loi française de transposition énonce également que les entraves apportées à la création ou au fonctionnement du comité d'entreprise européen ou de la procédure d'information et de consultation des travailleurs de l'entreprise ou du groupe de dimension communautaire sont sanctionnées pénalement (C. trav., art. L. 2346-1, ex-art. 483-1-2).

3° Information et consultation

65. – Définitions – L'influence de la directive "Cadre général" du 11 mars 2002 sur la révision de la directive 94/45/CE est sensible. La directive 2001/23/CE définit de façon plus précise et détaillée la notion de consultation et définit dans le même esprit la notion d'information, que la directive 94/45/CE n'avait pas définie. Ces définitions sont inspirées de la directive "Cadre général" (V. supra n° 20 à 22).

L'information est définie comme : “la transmission par l'employeur de données aux représentants des travailleurs afin de permettre à ceux-ci de prendre connaissance du sujet traité et de l'examiner ; l'information s'effectue à un moment, d'une façon et avec un contenu appropriés, qui permettent notamment aux représentants des travailleurs de procéder à une évaluation en profondeur de l'incidence éventuelle et de préparer, le cas échéant, des consultations avec l'organe compétent de l'entreprise de dimension communautaire ou du groupe d'entreprises de dimension communautaire”(Dir. 2009/38/CE, art. 2, § 1 f. – V. C. trav., art. L. 2341-7, introduit par Ord. n° 2011-1328, 20 oct. 2011, citée supra n° 56).

La consultation est : “l'établissement d'un dialogue et l'échange de vues entre les représentants des travailleurs et la direction centrale ou tout autre niveau de direction plus approprié, à un moment, d'une façon et avec un contenu qui permettent aux représentants des travailleurs d'exprimer, sur la base des informations fournies et dans un délai raisonnable, un avis concernant les mesures proposées qui font l'objet de la consultation, sans préjudice des responsabilités de la direction, lequel pourra être pris en compte au sein de l'entreprise de dimension communautaire ou du groupe d'entreprises de dimension communautaire”(Dir. 2009/38/CE, art. 2, § 1 g. – V. C. trav., art. L. 2341-6 introduit par Ord. n° 2011-1328, 20 oct. 2011, citée supra n° 56).

Ces définitions entremêlent des éléments contenus dans les définitions et les "modalités" de l'information et de la consultation de la directive "Cadre général" (V. supra n° 20 à 22) et les enrichissent même d'éléments nouveaux. Elles vont d'ailleurs au-delà de la stricte définition d'une notion pour en décrire le régime juridique de base, tel qu'il doit s'exprimer pour l'ensemble de la mise en oeuvre des prescriptions de la directive 2009/38/CE.

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66. – L'esprit de dialogue – Dans tous les cas de figure (comité d'entreprise européen, comité imposé par application des prescriptions subsidiaires, procédure au lieu d'un comité), la directive prolonge l'information en consultation, celle-ci se caractérisant par “l'échange de vues et l'établissement d'un dialogue” (définition de l'article 2, § 1 f) de la directive 94/45/CE reprise et complétée par l'article 2, § 1 g) de la directive 2009/38/CE). La consultation suppose qu'une discussion se noue. Il ne suffit pas d'informer et d'attendre un avis en réponse.

Quant au dialogue, il doit se développer dans un esprit de collaboration. La règle en est posée à propos de la négociation relative à l'institution du comité ou de la procédure (Dir. 94/45/CE et 2009/38/CE, art. 6, § 1). On la retrouve pour le fonctionnement du comité ou de la procédure (art. 9 des deux directives). Le texte paraît bien vouloir formuler une obligation, faisant devoir aux parties d'entretenir – loyalement – un esprit de collaboration ; il ne s'agit pas simplement d'un voeu, ou d'une pétition de principe.

Sur deux points importants, la directive marque cependant les limites de ses exigences relatives au dialogue.

1re limite. Sur une obligation de négocier. – Le dialogue doit-il être conduit "en vue de parvenir à un accord" ? La directive le dit pour la négociation qui tend à créer le comité d'entreprise européen ou la procédure qui lui est substituée (Dir. 94/45/CE et 2009/38/CE, art. 6, § 1). On peut ici affirmer l'existence d'une obligation de négocier dans un esprit loyalement tourné vers la conclusion d'un accord. La directive ne reprend cependant pas la formule lorsqu'elle vise plus loin le fonctionnement du comité ou de la procédure, silence qui est toutefois circonstancié par l'exigence de dialoguer dans un esprit de collaboration qui reste posée.

2e limite – Sur le caractère préalable de la consultation. – Faut-il au moins que la consultation soit préalable à la décision qui la justifie ? Le droit français définit la consultation – du comité d'entreprise – par son caractère préalable à la décision (C. trav., art. L. 2323-2, ex-art. L. 431-5). La directive "comité d'entreprise européen" n'a pas introduit l'antériorité dans sa définition de la notion de consultation. Elle ne parle pas même de consultation en temps utile. Visant les décisions de la direction pouvant affecter considérablement les intérêts des travailleurs, elle se contente d'une réunion “dans les meilleurs délais”(point 3, 3e al., de l'annexe relative aux prescriptions subsidiaires). Qui plus est, elle énonce que “cette réunion ne porte pas atteinte aux prérogatives de la direction centrale”(point 3, avant-dernier al., de l'annexe "Prescriptions subsidiaire"), formule peu explicite mais pouvant signifier que la direction n'est pas tenue d'attendre la réunion pour prendre sa décision. On rappellera que la directive "Cadre général" conçoit de manière générale l'information et la consultation sur les restructurations de l'entreprise comme une garantie de réussite de l'opération sans en faire nécessairement un processus préalable à la décision (V. supra n° 23).

La difficulté a été mise en pleine lumière par l'affaire "Renault-Vilvoorde", à propos de la fermeture d'un établissement de Renault en Belgique (TGI de Nanterre, 4 avr. 1997, et cour d'appel de Versailles, 7 mai 1997 : Dr. soc. 1997, p. 493, M.-A. Moreau, "À propos de l'affaire Renault" et p. 509, obs. A. Lyon-Caen). La cour d'appel de Versailles observe que ni la directive 94/45/CE ni l'accord ayant institué le comité de groupe européen de Renault, ne

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prévoient, comme modalité obligatoire et substantielle, l'antériorité qui caractérise au contraire la procédure de droit interne français. Invoquant "l'impératif de temps utile ou plus simplement d'effet utile", elle estime cependant, combinant ainsi droit de l'Union et droit interne français, que l'annonce publique de fermeture d'une unité de production aurait dû être précédée par l'information et la consultation du comité européen.

La Cour de cassation, dans une décision plus récente relative au projet de fusion Gaz de France – Suez, a jugé que le comité d'entreprise européen du groupe GDF devait avoir été consulté, dans un délai suffisant, avant que le processus de décision ne soit achevé. Elle s'est prononcée sur les fondements combinés de la directive 94/45/CE, de l'article L. 2341 (C. trav., ex-art. L. 439-6) du Code du travail relatif à sa transposition et – point essentiel – en visant les dispositions de l'accord du 14 novembre 2001 ayant institué le comité d'entreprise européen de GDF (Cass. soc., 16 janv. 2008, n° 07-10.597, GDF : Bull. civ. 2008, V, n° 6).

• Comités d'entreprise ou de groupe "volontaires"

Autonomie des parties – La directive 94/45/CE et à sa suite la directive 2009/38/CE favorisent la création volontaire du comité d'entreprise européen et ouvrent une large liberté aux partenaires de l'entreprise ou du groupe pour mettre en place le mécanisme d'information et consultation de leur convenance. La directive 94/45/CE fait une distinction entre les accords qui ont été conclus avant que ses prescriptions n'entrent en application et ceux qui le sont après. Les effets des accords dits d'"anticipation" ou accords "pré-directive" sont appelés à perdurer après expiration du délai de transposition. Ils ont été "sécurisés" et le resteront sous l'empire de la directive 2009/38/CE.

On visera d'abord les accords d'"anticipation", ensuite les accords d'"application".

1° Accords d'anticipation

75. – De l'article 13 de la directive 94/45/CE à l'article 14 de la directive 2009/38/CE – Sous le titre "Accords en vigueur", l'article 13 de la directive 94/45/CE énonce que“ne sont pas soumises aux obligations découlant de la directive” les entreprises et les groupes d'entreprises de dimension communautaire, “dans lesquels il existe déjà”, à la date d'entrée en application des prescriptions de la directive, soit au plus tard le 22 septembre 1996, “un accord applicable à l'ensemble des travailleurs, prévoyant une information et une consultation transnationale des travailleurs”.

L'idée est donc de reconnaître rétrospectivement validité aux accords ayant anticipé l'application de la directive, accords "d'anticipation" ou accords "pré-directives", de les "sécuriser" en permettant leur maintien et même leur reconduction. “Lorsqu'ils arrivent à expiration, les parties à ces accords peuvent, conjointement, décider de les reconduire”(Dir. 94/45/CE, art. 13, § 2), “ou de les réviser”, ajoute la directive 2009/38/CE (Dir. 2009/38/CE, art. 14, § 2). L'ordonnance du 20 octobre 2011, conformément aux dispositions de la directive 2009/38/CE, s'attache à délimiter les cas dans lesquels les accords peuvent être maintenus, reconduits ou révisés (V. Ord. 20 oct. 2011, citée supra n° 56, art. 5, I).

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Conformément à une prescription générale de la directive nouvelle (V. supra n° 62), la directive 2009/38/CE demande que les accords soient adaptés aux modifications de la structure de l'entreprise ou du groupe, ceci tout en continuant d'échapper “aux obligations découlant de la directive”(Dir. 2009/38/CE, art. 14, § 1 et § 2). C'est pourquoi l'ordonnance du 20 octobre 2011 ne permet pas le maintien des accords en vigueur en cas de modifications significatives dans la structure de l'entreprise ou du groupe (V. Ord. 20 oct. 2011, citée supra n° 56, art. 5, II).

L'article 13 de la directive 94/45/CE a donné aux négociateurs une large autonomie qui s'est traduite dans la conclusion de nombreux accords d'anticipation. Un nombre considérable (plus de 600) de groupes de dimension communautaire s'est ainsi doté d'un comité européen, parfois d'une procédure d'information et consultation, créés par accord d'anticipation.

Des conditions sont cependant mises à leur validité de principe. Elles concernent d'abord le domaine et le contenu des accords d'anticipation, qui doivent respecter des prescriptions minimales formulées par la directive. Elles se justifient également concernant la négociation des accords, la directive ayant cependant laissé cette dernière difficulté sans réponse. a) Une négociation libre ?

76. – Quelle loi appliquer à la négociation de l'accord ? – La directive vise des accords qui existent déjà, sans rien préciser des conditions applicables à leur formation, tout en ajoutant qu'ils permettent aux entreprises et groupes qu'ils concernent d'échapper à ses prescriptions. Faut-il comprendre que ces accords peuvent être conclus sans l'encadrement d'aucune norme juridique, de la façon la plus entièrement libre ? La réponse du droit positif est clairement négative. La volonté des contractants ne peut être laissée entièrement libre et doit être mesurée à l'aune d'une norme qui décidera de sa validité et en mesurera les effets. La théorie du "contrat sans loi" n'est qu'une théorie.

La question reste bien de savoir quelles normes régiront l'accord "d'anticipation", normes communautaires ou nationales, combinaison des deux ? Elle a été portée à deux reprises devant le tribunal de grande instance de Paris. Trois indications d'ordre général en ressortent, indications dont la combinaison ou la conciliation ne vont pas de soi. 1) La loi du lieu de situation de la direction centrale de l'entreprise ou du groupe a un rôle prééminent à jouer. 2) Il convient d'en adapter les dispositions aux conditions spécifiques de ce type de négociation. 3) Un rôle doit être reconnu aux lois des autres États membres dans lesquels le groupe ou l'entrepris a des implantations, en ce qui concerne la représentation de leurs travailleurs dans le processus de négociation.

77. – Comité européen du groupe AGF – La direction des AGF avait négocié un accord d'anticipation avec une émanation du comité central d'entreprise. Était reproché à la direction du groupe d'avoir négocié avec un organe élu, une émanation du comité central d'entreprise, sans avoir appelé à la négociation l'ensemble des organisations syndicales représentatives dans le groupe. Elle n'avait pas non plus intégré à la négociation une représentation appropriée des travailleurs de ses filiales étrangères. L'accord avait-il été valablement négocié ? Non, répond le tribunal de grande instance en bâtissant de toutes pièces une solution novatrice (TGI Paris, 18 juin 1996, FO c/ AGF : JCP E 1996, II, 894, obs. Teyssié).

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Le tribunal commence par s'interroger sur l'application de normes de droit communautaire. Puisque l'existence de ce type d'accord est prévue par une directive communautaire, il serait logique qu'il soit régi par le droit communautaire. Mais, d'une part la directive qui le vise prévoit elle-même qu'elle ne s'y applique pas, d'autre part il n'existe à ce jour aucun corps de règles de droit communautaire réglementant de manière générale la formation des conventions et accords collectifs. Le droit communautaire, en particulier, ne donne aucune réponse précise aux difficultés spécialement portées devant le tribunal : la détermination des parties appelées à négocier l'accord. L'“absence d'un droit spécifique applicable à l'échelon européen” ne permet donc pas de se fonder sur les règles du droit communautaire.

Faut-il alors se tourner vers un droit national ? C'est une solution tentante, quitte à devoir en passer par le règlement d'un conflit de lois en vue de déterminer la loi nationale applicable.

Quelle serait la loi nationale applicable ? Une circulaire ministérielle française du 6 novembre 1995 estime que les accords intéressant les entreprises et groupes "français" doivent répondre “aux conditions de validité des accords d'entreprise selon les règles applicables dans notre droit du travail”. Elle rejette clairement l'idée que ces accords puissent être détachés des contraintes du droit national, mais elle néglige la dimension européenne de l'accord et oublie le rôle qu'il conviendrait de reconnaître à la loi des autres pays intéressés à la négociation de l'accord.

On a également pu suggérer, en doctrine, que l'accord ne devrait pas être régi par les dispositions du droit national applicable concernant la formation des conventions et accords collectifs de travail, mais par les règles générales du droit des contrats (V. B. Teyssié, obs. préc.).

Ce n'est pas la voie suivie par le tribunal de grande instance de Paris. Les accords d'anticipation de la directive ont, dit-il, une nature sui generis. Ils sont liés au droit communautaire ; mais celui-ci ne comporte aucune réglementation qui leur soit applicable. Il convient d'adapter à ce contexte particulier les règles relatives à la négociation collective. La présence d'élus du personnel aux côtés de délégués syndicaux peut constituer une formule adaptée à ce type de négociation, admet-il ainsi, alors qu'en général le droit français confère aux syndicats représentatifs un droit exclusif de négocier les conventions et accords collectifs.

Mais si des adaptations à une négociation sui generis pouvaient se justifier, en aucun cas, ajoute le tribunal, on ne pouvait admettre que l'accord ait été conclu dans “la méconnaissance des principes généraux du droit de la négociation collective”, et permettre à l'employeur de prendre pour partenaires des représentants qu'il avait préalablement choisis lui-même.

La décision ne s'explique pas plus avant sur ces principes généraux du droit de la négociation collective. On ne discerne pas en particulier s'ils s'inspirent du droit de l'Union européenne ou s'ils traduisent une conception française de la négociation collective. On observera cependant que le droit de l'Union européenne n'a pas la même hostilité de principe que le droit français à l'égard des procédures de négociation collective associant des salariés élus par le personnel des entreprises.

Le tribunal de grande instance de Paris, s'inspirant ici directement de la directive 94/45/CE, dit en outre que l'accord litigieux étant destiné à s'appliquer à l'ensemble des travailleurs, il aurait donc fallu qu'il soit négocié par des représentants de ce même ensemble. Les prescriptions de la directive concernant la négociation des accords d'application de la directive

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et l'économie générale de la directive montrent en effet une claire volonté que tous les travailleurs soient représentés non seulement dans les consultations, mais en amont, dans la négociation permettant la création du mécanisme de consultation.

78. – Comité européen du groupe Marks & Spencer – Cette autre affaire a permis au tribunal de grande instance de Paris de préciser et revoir sa position (TGI Paris, 19 sept. 2001, CFDT c/ Marks & Spencer France : RJS 2002, n° 196). Il confirme la possibilité que la négociation relative à la création du comité européen " anticipé" puisse avoir lieu avec des négociateurs émanant d'institutions élues. Mais il met aussi en avant le rôle de la loi du pays où se situe la direction centrale du groupe.

Un syndicat faisait grief à Marks & Spencer d'avoir négocié la création du comité européen "avec des représentants des travailleurs désignés au sein des institutions représentatives de chaque pays", alors que selon elle, la négociation aurait dû se dérouler avec les organisations syndicales représentatives, en ce qui concerne tout au moins les négociateurs représentant les intérêts des travailleurs des implantations françaises du groupe. À cette objection invoquant les règles du droit français, le tribunal, la rejetant, répond que "rien n'interdisait de procéder" ainsi, d'autant qu'on ne pouvait soutenir qu'"une réelle représentation des travailleurs" n'avait pas été assurée.

"Il convient que l'accord qui a présidé à la création du comité soit conforme aux règles de droit applicables dans le pays dont dépend la société dominante du groupe", y dit le tribunal de Paris. En l'espèce, la société dominante réelle était au Royaume-Uni qui, à l'époque des faits, échappait encore à l'application de la directive (V. supra n° 56). Mais la société dominante anglaise ayant désigné la société irlandaise pour être son représentant dans les États membres soumis à la directive (conformément à l'article 4, § 2, de la directive). Le droit irlandais était donc applicable. On ne retrouve pas les "principes généraux du droit de la négociation collective", apparus dans la précédente décision.

b) Un contenu libre ?

Prescriptions minimales applicables – Elles tiennent en deux éléments : l'accord doit être “applicable à l'ensemble des travailleurs”, il doit prévoir “une information et une consultation transnationale des travailleurs”.

Le premier élément concerne le périmètre d'application de l'accord. Tous les travailleurs employés dans les établissements situés dans la Communauté d'une entreprise de dimension communautaire doivent être couverts. Tous les travailleurs d'un groupe d'entreprises situées dans la Communauté, tel que le groupe est délimité en application des critères de la directive, doivent l'être. L'évolution de la structure de l'entreprise ou du groupe nécessite d'ouvrir une négociation d'adaptation (V. Dir. 2009/38/CE, art. 14).

Que faut-il précisément entendre par information et consultation transnationale ? Quel doit être l'objet de l'information ? La consultation peut-elle se limiter à l'examen de la situation de l'entreprise ou du groupe et prétendre exclure les décisions affectant le personnel, etc. ?

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La notion d'effet utile peut remplir sa fonction interprétative usuelle. Il convient que l'information et la consultation aient un contenu suffisamment substantiel pour ne pas vider de portée les exigences minimales fixées par la directive. Quant à la consultation sur les décisions importantes, elle est au coeur même de la directive et plus généralement de la construction juridique communautaire relative à l'information et à la consultation des travailleurs. Et les prescriptions subsidiaires, peuvent-elles jouer un rôle ? Si elles ne sont par hypothèse pas applicables aux accords d'anticipation, elles traduisent néanmoins une conception générale de l'information et de la consultation dont l'interprète peut s'inspirer.

La directive 2009/38/CE a précisé la définition de la notion de "consultation" que la directive 94/45/CE avait très succinctement donnée ; elle a introduite une définition détaillée de la notion d'information, notion que l'ancienne directive ne définissait pas (Dir. 2009/38/CE, art. 2, § 1, f) et g). – V. supra n° 64). Le respect de ces définitions nouvelles s'impose-t-il pour décider de la validité d'accords conclus, par hypothèse, antérieurement à leur entrée en application ? 80. – Jurisprudence française – Le contentieux ne s'est guère développé sur la validité des accords d'anticipation, hormis les difficultés apparues concernant les règles applicables à la négociation des accords (V. supra n° 76-78). Les tribunaux sont toutefois saisis de questions relatives à la portée et à l'interprétation des accords, s'agissant notamment de décider de l'articulation entre l'intervention du comité d'entreprise européen et celle du comité d'entreprise français – objets respectifs, chronologie – (V. supra n° 70).

Accords d'application

Généralités – Les accords conclus après le 22 septembre 1996, date marquant la fin du délai de transposition, sont quant à eux soumis aux obligations découlant de la directive, contrairement aux accords d'anticipation. Soumission qui se présente sous un jour contrasté. L'attention du législateur de l'Union est allée à la procédure de négociation plutôt qu'à son résultat, l'accord qui en résulte. La procédure de négociation fait l'objet d'un dispositif précis, alors que la détermination du contenu de l'accord est largement laissée à l'appréciation des parties.

Pas plus que les accords d'anticipation, les accords d'application, du moment qu'ils ont été valablement conclus, ne sont soumis aux “prescriptions subsidiaires”(Dir. 94/45/CE et 2009/38/CE, art. 6, § 4) ; “sauf dispositions contraires de ces accords”, ajoute le texte dans une réserve qui n'est nullement d'ordre théorique, comme on le verra (V. infra n° 94).

a) Ouverture de la négociation

Constitution d'un "Groupe spécial de négociation" – La directive dit de la direction centrale qu'elle est "responsable" de la création des conditions et moyens nécessaires à l'institution des mécanismes d'information et consultation qu'elle requiert (Dir. 94/45/CE et 2009/38/CE, art. 4, § 1). Lorsque la direction centrale est située hors de l'Union, cette responsabilité se déplace vers le représentant qu'elle aura désigné dans un État membre de l'Union ou, à défaut d'une telle désignation, vers l'unité de travail ayant l'effectif le plus important située dans un État membre (Dir. 94/45/CE et 2009/38/CE, art. 4, § 2).

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Le processus de négociation du mécanisme d'information et de consultation est engagé par la direction centrale, soit à son initiative, soit à la demande écrite de cent travailleurs au moins ou de leurs représentants relevant d'éléments de l'entreprise ou du groupe de deux États membres différents au moins (Dir. 94/45/CE et 2009/38/CE, art. 5, § 1). Est constitué à cette fin, du côté des travailleurs, un “groupe spécial de négociation”, qui sera l'interlocuteur de la direction centrale ou de son substitut intracommunautaire pour les besoins de cette négociation (Dir. 94/45/CE et 2009/38/CE, art. 5, § 1).

La composition du groupe spécial de négociation obéit aux règles générales qui ont été indiquées précédemment (V. supra n° 62), la directive précisant que le groupe spécial de négociation est composé de trois membres au minimum, de dix-sept au maximum.

La directive 2009/38/CE a voulu que les organisations syndicales puissent être associées au processus de création des comités d'entreprise européens. Elle reconnaît le rôle qui, à cette fin, revient spécialement aux organisations reconnues comme “partenaires sociaux européens”(V. Dir. 2009/38/CE, consid. 27. – et V. JCl. Europe Traité, Fasc. 600). Des représentants "des organisations syndicales compétentes et reconnues au niveau communautaire" peuvent, avec la qualité d'experts, participer ("assister", dit le texte) aux réunions de négociation, “(...) à la demande du groupe spécial de négociation”(Dir. 2009/38/CE, art. 5, § 4). 83. – Informations préalables à l'ouverture de la négociation – Une difficulté préalable peut se présenter dans les groupes d'entreprises, lorsque la demande de création du groupe spécial de négociation est, face à l'inaction de la direction, formulée par les travailleurs ou leurs représentants. L'obligation de constituer le groupe de négociation suppose que l'existence d'un groupe soit avérée, que la direction centrale en soit identifiée et que le périmètre du groupe soit connu. Ces données supposent des informations que les travailleurs et leurs représentants risquent de ne pas posséder ou de ne posséder qu'incomplètement. L'engagement du processus de négociation en sera-t-il empêché ?

84. – (Suite) Arrêt"Bofrost". – D'où la question portée devant la Cour de justice des Communautés dans l'affaire "Bofrost" : en vue d'enclencher le processus de négociation, un comité d'entreprise prétendant que son entreprise fait partie d'un groupe de dimension européenne, peut-il demander à sa direction les informations nécessaires sur la structure et l'organisation du groupe ? Peut-il en particulier le faire auprès d'une direction dont il n'est pas encore établi qu'elle exerce le contrôle du groupe ?

La Cour de justice a répondu qu'"il est indispensable de garantir aux travailleurs concernés l'accès aux informations leur permettant de déterminer s'ils ont le droit d'exiger l'ouverture de négociations". Sur la base de cette affirmation générale, elle précise que "lorsque les données sur la structure ou l'organisation d'un groupe d'entreprises font partie des informations indispensables à l'ouverture des négociations pour l'institution d'un comité d'entreprise européen, il appartient à une entreprise de ce groupe de fournir lesdites données, qu'elle détient ou qu'elle est en mesure d'obtenir, aux organes internes de représentation des travailleurs qui en font la demande". Elle a précisé que l'obligation s'en impose "même s'il n'est pas encore établi que la direction à laquelle les travailleurs s'adressent est celle d'une entreprise exerçant le contrôle au sein d'un groupe" (CJCE, 29 mars 2001, aff. C-62/99, Betriebsrat der Bofrost : RJS 2001, n° 948).

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85. – (Suite) Arrêt"Kühne & Nagel". – L'affaire "Kühne & Nagel" a de son côté concerné le cas d'un groupe dont l'entreprise entreprise "qui exerce le contrôle", donc la direction centrale, était établie en Suisse. Si la direction centrale n'avait pas désigné de représentant dans la Communauté, il apparaissait, prima facie, que l'entreprise Kühne & Nagel ayant son siège en Allemagne était celle qui employait l'effectif le plus important dans un État membre. La direction de la société allemande pouvait donc être regardée comme celle qui devait assumer la position de direction centrale intracommunautaire avec les obligations y afférentes. Elle ne le contestait pas.

Saisie par son comité d'entreprise d'une demande d'information sur le groupe et les différentes entreprises le composant à l'intérieur de l'Union européenne, la direction de la société allemande, direction centrale "présumée", sans contester son obligation de communiquer les informations, affirme qu'elle ne peut pas l'exécuter, faute de les posséder et en raison du refus de la direction centrale véritable, en Suisse, de les lui transmettre.

Afin de tenter de lever l'obstacle, la Cour de justice énonce que "cette direction centrale présumée est tenue de demander aux autres entreprises du groupe situées sur le territoire des États membres, et a le droit de recevoir d'elles les informations indispensables à l'ouverture des négociations". Elle ajoute, invoquant l'effet utile de la directive, que "les autres entreprises membres du groupe situées dans les États membres ont l'obligation d'aider la direction centrale présumée à remplir ses obligations" et doivent donc "fournir les informations qu'elles détiennent ou qu'elles sont en mesure de détenir". La Cour ajoute que les États membres ont l'obligation de garantir l'exécution de ces obligations d'information, mentionnant toutefois le droit des entreprises à une protection appropriée des informations de caractère confidentiel (CJCE, 13 janv. 2004, aff. C-440/00, concl. Tizzano).

On observera que la Cour n'entend pas forcer l'obstacle en prétendant imposer à la direction centrale située hors Communauté de respecter les prescriptions de la directive. Ce serait tenter de donner un effet extra-territorial aux règles du droit communautaire. Les obligations qu'elle impose sont uniquement appelées à s'exécuter à l'intérieur du territoire communautaire.

Conclusions – Ces deux arrêts de la Cour de justice organisent donc, partiellement, la communication des informations préalables nécessaires à l'ouverture des négociations sur la création d'un comité d'entreprise européen.

1° Le comité d'entreprise d'une entreprise présumée entrer dans un groupe de dimension communautaire

a) peut, à l'intérieur de l'Union européenne, les demander à la direction de l'entreprise et a le droit de les obtenir d'elle ;

b) peut le faire en s'adressant à la direction de l'entreprise, même s'il n'est pas encore établi qu'elle est l'"entreprise qui contrôle" un groupe et qu'elle en aurait donc la direction centrale.

2° Si elle ne possède pas les informations, une direction centrale

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a) peut les demander aux autres entreprises du groupe situées à l'intérieur de l'Union et a le droit de les obtenir d'elles ;

b) lorsque la direction centrale réelle est en dehors du territoire de l'Union, la direction centrale présumée – direction située à l'intérieur de l'Union et y représentant la direction centrale extérieure (article 4 § 2 de la directive) – a ces mêmes prérogatives.

87. – Directive 2009/38/CE – La nouvelle directive, pour résoudre ces difficultés concernant les conditions d'ouverture de la négociation, énonce, en s'inspirant de la jurisprudence de la Cour de justice, que “toute direction d'une entreprise comprise dans le groupe d'entreprises de dimension communautaire ainsi que la direction centrale ou la direction centrale présumée (V. article 4 § 2 de la directive), de l'entreprise ou du groupe d'entreprises de dimension communautaire est responsable de l'obtention et de la transmission aux parties intéressées par l'application de la présente directive des informations indispensables à l'ouverture de négociations (sur l'institution du mécanisme d'information et de consultation), particulièrement les informations relatives à la structure de l'entreprise ou du groupe et à ses effectifs”(Dir. 2009/38/CE, art. 4, § 4).

L'ordonnance du 20 octobre 2011 transpose ces dispositions nouvelles tout en désignant plus précisément que le texte de la directive, quels sont les responsables de l'obtention et de la transmission des informations : chef d'une entreprise dominante ; chef d'une entreprise appartenant à un groupe de dimension communautaire ; chef d'un établissement appartenant à une entreprise ou groupe de dimension communautaire ; s'agissant d'un groupe ou entreprise dominé par une entité extérieure à l'Union, si aucun représentant n'a été désigné à l'intérieur de l'Union et si c'est en France que sont occupés le plus grand nombre de salariés, le chef d'entreprise ou établissement situé sur le territoire français(C. trav., art. L. 2342-3 modifié par Ord. n° 2011-1328, 20 oct. 2011, citée supra n° 56).

b) Déroulement de la négociation

88. – Objet et règles de négociation – La tâche du groupe spécial de négociation est de fixer avec la direction centrale les règles gouvernant le comité d'entreprise européen ou les modalités de la procédure d'information et consultation (Dir. 94/45/CE et 2009/38/CE, art. 5, § 3).

La négociation doit être conduite par les parties dans un esprit de collaboration en vue de parvenir à un accord (Dir. 94/45/CE et 2009/38/CE, art. 6, § 1). Il y a donc obligation de négocier. L'accord doit être conclu par écrit (Dir. 94/45/CE et 2009/38/CE, art. 5, § 3).

Le groupe spécial de négociation peut se faire assister d'experts de son choix (Dir. 94/45/CE et 2009/38/CE, art. 5, § 4). La directive 2009/38/CE précise que ces experts peuvent être des représentants d'organisations syndicales "reconnues", qui, si le groupe de négociation le demande, assisteront à titre consultatif à ses réunions (Dir. 2009/38/CE, art. 5, § 4, 2e al. – C. trav., art. L. 2342-7 modifié par Ord. n° 2011-1328, 20 oct. 2011, citée supra n° 56. – V. supra n° 72). La directive 2009/38/CE ajoute également que le groupe spécial de négociation est en droit de se réunir, hors la présence de la direction centrale, avant et après les réunions

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avec celle-ci (Dir. 2009/38/CE, art. 5, § 4. – C. trav., art. L. 2342-5 modifié par Ord. n° 2011-1328, 20 oct. 2011, citée supra n° 56. – V. supra n° 72). Les dépenses relatives à la négociation sont supportées par la direction centrale, qui doit permettre aux négociateurs de s'acquitter de leur mission de façon appropriée, avec une prise en charge qui peut cependant être limitée à un unique expert (Dir. 94/45/CE et 2009/38/CE, art. 5, § 6).

89. – Refus de la négociation – Le groupe de négociation a toutefois un important pouvoir de refus. Il peut décider de ne pas ouvrir la négociation ou encore d'annuler une négociation en cours (Dir. 94/45/CE et 2009/38/CE, art. 5, § 5). Il y faut une “majorité des deux tiers des voix”. S'il en décide ainsi, la négociation n'a pas lieu et les prescriptions subsidiaires ne s'appliquent pas, alors qu'un refus de la direction centrale d'ouvrir la négociation entraînera au contraire la création du comité, en application des prescriptions subsidiaires (V. infra n° 94). En pareil cas, aucun mécanisme d'information et consultation ne sera mis en place pour l'entreprise de dimension européenne et pour cette dimension européenne. En revanche celle qui est en vigueur dans les différents droits nationaux correspondant aux implantations territoriales de l'entreprise ou du groupe devra néanmoins être respectée.

c) Contenu de l'accord

90. – Une liberté variable – La directive procède de façon différente suivant que l'accord met en place un comité d'entreprise européen ou une procédure d'information et consultation. On laisse à l'autonomie des parties une grande liberté d'expression dans le premier cas, tout en précisant sur quels objets cette autonomie s'exerce. On la canalise vers les objectifs d'information et de dialogue qui sont ceux de la directive, dans le deuxième.

91. – Création d'un comité – La directive fixe une liste de questions qu'il appartient à l'accord de régler, concernant le périmètre de l'entreprise ou du groupe, la composition du comité, ses attributions, son fonctionnement, ses moyens et ressources, la durée de l'accord et sa renégociation (Dir. 94/45/CE et 2009/38/CE, art. 6, § 2). Elle ne dit rien en revanche du contenu de l'accord sur chacune de ces questions. Bien plus, elle réserve l'autonomie des parties d'une façon telle que la liberté de celles-ci paraît pouvoir également s'exprimer quant à l'objet des informations et de la consultation qui s'ensuit, sous réserve de respecter les exigences minimales qui correspondent à la définition même des deux notions.

La directive 2009/38/CE a entendu remédier à une lacune du dispositif antérieur. Celui-ci ne réglait pas la question pourtant importante de l'articulation entre information et consultation du comité d'entreprise européen et des instances nationales de représentation du personnel (V. supra n° 69). Les droits nationaux pouvant ne pas l'avoir fait de leur côté, tel le droit français, les modalités de cette articulation sont restées incertaines. En résultait une insécurité juridique (V. Dir. 2009/38/CE, consid. 7). La nouvelle directive demande aux parties de procéder par voie d'accord à la détermination de ces modalités, dans le respect des compétences et des domaines d'intervention respectifs des instances de représentation des travailleurs (Dir. 2009/38/CE, art. 6, § 1 c. – V. C. trav., art. L 2342-9, 4° modifié par Ord. n° 2011-1328, 20 oct. 2011, citée supra n° 56), la compétence du comité d'entreprise européen étant limitée aux seules questions transnationales (Dir. 2009/38/CE, art. 1, § 3).

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La nouvelle directive apporte également des précisions relatives à la durée et au devenir de l'accord. Il revient aux parties de déterminer la date d'entrée en vigueur de l'accord et sa durée, les modalités de renégociation, de dénonciation et d'amendement (révision) de l'accord. Une renégociation doit être prévue en particulier lorsque des modifications interviennent dans la structure de l'entreprise ou du groupe de dimension communautaire (Dir. 2009/38/CE, art. 6, § 1, g. – V. C. trav., art. L 2342-9, 8° créé par Ord. n° 2011-1328, 20 oct. 2011, citée supra n° 56. – V. supra n° 62).

92. – Institution d'une procédure – Outre la nécessité de satisfaire aux exigences basiques des notions d'information et de consultation, dont on a vu qu'elles ont été développées et enrichies dans la directive 2009/38/CE (V. supra n° 64), la procédure créée, le cas échéant, à la place d'un comité d'entreprise européen devra répondre à deux exigences minimales de fond. Les représentants des travailleurs – représentants faisant partie des instances de représentation institués dans les entreprises ou groupes de dimension interne – substitués au comité européen doivent se voir reconnaître le droit de se réunir pour procéder "à un échange de vues" sur les informations communiquées. Les informations communiquées portent notamment sur les questions transnationales qui affectent considérablement les intérêts des travailleurs (Dir. 94/45/CE et 2009/38/CE, art. 6, § 3). Un dialogue, décentralisé, doit malgré tout se nouer ; il porte obligatoirement sur les décisions transnationales de la direction centrale ayant des conséquences importantes pour le personnel.