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Craquelures dans les couches picturales des peintures d’art Pauchard Ludovic, Lazarus V´ eronique, B´ ereng` ere Abou, Sekimoto Ken, Aitken Genevi` eve, Lahanier Christian To cite this version: Pauchard Ludovic, Lazarus V´ eronique, B´ ereng` ere Abou, Sekimoto Ken, Aitken Genevi` eve, et al.. Craquelures dans les couches picturales des peintures d’art. Reflets de la Physique, vol. 3 (Mars 2007). 2007. <hal-00158845> HAL Id: hal-00158845 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00158845 Submitted on 29 Jun 2007 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destin´ ee au d´ epˆ ot et ` a la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publi´ es ou non, ´ emanant des ´ etablissements d’enseignement et de recherche fran¸cais ou ´ etrangers, des laboratoires publics ou priv´ es.

Craquelures dans les couches picturales des peintures d'art...Reflets de la Physique n 3 5 Craquelures dans les couches picturales des peintures d’art Avancées de la recherche Ludovic

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Craquelures dans les couches picturales des peintures

d’art

Pauchard Ludovic, Lazarus Veronique, Berengere Abou, Sekimoto Ken,

Aitken Genevieve, Lahanier Christian

To cite this version:

Pauchard Ludovic, Lazarus Veronique, Berengere Abou, Sekimoto Ken, Aitken Genevieve, etal.. Craquelures dans les couches picturales des peintures d’art. Reflets de la Physique, vol. 3(Mars 2007). 2007. <hal-00158845>

HAL Id: hal-00158845

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00158845

Submitted on 29 Jun 2007

HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestinee au depot et a la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publies ou non,emanant des etablissements d’enseignement et derecherche francais ou etrangers, des laboratoirespublics ou prives.

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Reflets de la Physique�n°3 5

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rcheCraquelures dans les couches

picturales des peintures d’artLudovic Pauchard1 ([email protected]),Véronique Lazarus2,Bérengère Abou3, Ken Sekimoto3, Geneviève Aitken4, Christian Lahanier41 - Laboratoire Fluides, Automatique et Systèmes Thermiques, Université Paris 11, 91405 Orsay2 - Laboratoire de Modélisation en Mécanique, Université Pierre et Marie Curie, 75005 Paris 3 - Laboratoire Matière et Systèmes Complexes, Université Denis Diderot, 75005 Paris 4 - Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France, Palais du Louvre, 75001 Paris

Les craquelures dans

les couches picturales

sont depuis longtemps

un moyen de juger

l’authenticité des

peintures d’art et de

retracer la manière

dont l’artiste a œuvré.

Nous avons étudié les

figures de craquelures

dans la série de peintures

de Georges de La Tour

consacrée aux Apôtres,

pour laquelle peintures

de l’artiste et copies

n’ont pas été clairement

dissociées jusqu’à présent.

Nous nous sommes

basés sur des expériences

modèles de séchage de

suspensions colloïdales,

qui aident à comprendre

les morphologies des

craquelures observées

sur les œuvres réelles.

Les études scientifiques appliquées aux peintures d’art ont pourprincipaux objectifs de donner des éléments de datation et d’authentificationet d’analyser les techniques employées par les artistes. Pour cela, lesméthodes d’examen des peintures sont principalement basées,d’une part,sur des analyses par prélèvement permettant,entre autres,une identificationdes pigments employés et, d’autre part, sur des études par traitementd’images. Si ces deux catégories d’examen sont complémentaires, lapremière reste locale et destructive, tandis que la seconde donne desrenseignements sur l’ensemble de l’œuvre et préserve son intégrité. Lesétudes par traitement d’image révèlent avec précision les morphologiesdes craquelures qui se sont développées dans la peinture. On sait depuislongtemps que ces figures de craquelures, bien qu’indésirables, présententun intérêt crucial pour juger de l’authenticité d’une peinture. Mais cen’est que très récemment qu’on cherche à les relier au matériau qui constituela couche picturale, ainsi qu’aux méthodes employées par l’artiste [1].

Les caractéristiques des morphologies de craquelures sont en effet liéesà la nature de la matière picturale (pigments,vernis,enduits de préparation)et au mode de conservation, représentatifs de l’époque et de l’artiste.Une classification des figures de craquelures montre leur grande variété [2].Néanmoins, malgré leur complexité apparente, leur formation obéit àcertaines règles. Elles sont en effet les empreintes laissées par lescontraintes* mécaniques, accumulées au cours du temps dans la couchepicturale et qui se dissipent lors de la formation des craquelures. De cefait, elles nous renseignent sur ces contraintes, ainsi que sur leurs origines :fragilisation au cours du séchage, sollicitations mécaniques (déplacementsou forces), vieillissement.

Nous nous sommes intéressés récemment à une série incomplètede dix Apôtres et un Christ bénissant, œuvre de Georges de La Tour(1593-1652), conservée au musée Toulouse-Lautrec d’Albi [1]. Les toilesoriginales figuraient dès 1698 dans la cathédrale Sainte Cécile d’Albi.Mais la plupart des originaux ont laissé la place à des copies à une datequi reste inconnue.Ainsi, parmi les toiles conservées, seules Saint Jacquesle Mineur et Saint Jude Thaddée (représentée en image de couverture)seraient des œuvres autographes. De ce fait, les questions suivantes seposent : s’agit-il de copies faites par un autre artiste ? De variantes réaliséespar Georges de La Tour ou par son atelier ? Comment distinguer lesoriginaux des copies, des variantes ? Pour y répondre, nous avons classécette série de toiles suivant les différentes morphologies de craqueluresobservées. Quelques exemples sont donnés sur la figure 1, où l’on peutobserver des réseaux plus ou moins denses de craquelures lisses ousinueuses, ou des craquelures en germes isolés.

• Les termes suivis d’un astérisque sontdéfinis dans la nomenclature p. 7.

• Cette étude bénéficie du soutien de l’ANR« Morphologies ».

Figure 1 : Quelques morphologies de craquelures tirées de la série des Apôtres. (a) Réseau dense de craquelures lisses formant des polygones plus ou moins réguliers, caractéristiques d’une couche rigide dans unerégion sombre de Saint Jacques le Mineur. (b) Craquelures sinueuses dans une région sombre de Saint André. (c) Réseau peu dense de longues craquelures sinueuses dans les carnations de Saint Thomas. (d) Craquelures en germes isolés dans les carnations de Saint Matthias. (Chaque cliché a la même dimension ; longueur de la barre du cliché (a) : 1 cm).

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D’autres craquelures sont organisées demanière ordonnée, comme le montre la figure 2.

L’étude des morphologies de craquelures sursystème modèle peut aider à comprendre cellesque l’on observe sur les œuvres réelles. Dans cequi suit, nous mettons en évidence les contraintesmécaniques induites lors du séchage d’un systèmemodèle, l’influence de la composition des couchesd’une part et de leur épaisseur d’autre part surles morphologies de craquelures. Quelqueséléments de réponses seront ensuite donnés quantau regroupement de certaines peintures de la sériedes Apôtres à partir des figures de craquelures.

Origines des craquelures dans les couches picturales

La présence de craquelures traduit l’existencede tensions mécaniques importantes qui se sontdissipées dans la couche picturale.Ces craquelurespeuvent avoir de multiples origines. Nous endistinguerons deux types, caractérisés par deuxéchelles de temps très différentes : d’une part lescraquelures dues à la consolidation de la couchepicturale, apparaissant lors du séchage ; d’autrepart, les craquelures « d’âge » qui se sont produitesultérieurement, résultat d’un vieillissement de lacouche elle-même ou de tensions appliquées àla toile.

Le premier type de craquelures peut êtreinfluencé par le procédé d’application de lapeinture : la contrainte imposée sur la couchepar le pinceau induit une direction privilégiéeaux craquelures qui apparaissent par la suite [3] oubien une fragilisation locale qui pourra provoquer

des craquelures.Après application de la peinture(particules de pigments, de dimensions inférieuresau micron, en suspension dans un diluant) surle support, la couche sèche sous l’effet del’évaporation des diluants.Les pigments constituantla couche se concentrent alors progressivement,formant une matrice solide poreuse dont lesinterstices sont remplis du diluant (fig. 3). Aucours de l’évaporation du diluant,une rétractionprogressive de la matrice solide poreuse a lieu.Mais cette rétraction n’est pas libre : elle estlimitée par l’adhésion de la matrice poreuse ausupport ou à une sous-couche. Il s’ensuit destensions dans la couche qui s’opposent à larétraction. Lorsque ces contraintes mécaniques,qui augmentent au cours du séchage, atteignentune valeur critique, on observe la nucléation decraquelures à partir des défauts de la couche picturale(hétérogénéités en surface ou volume,aspérités…).Ceci permet de relâcher les contraintes mécaniques.

Le second type de craquelures, que nousqualifions de craquelures « d’âge », permettentd’obtenir certaines informations sur l’histoire de lapeinture.Elles peuvent résulter d’un vieillissementchimique de la couche picturale elle-même. Paropposition au processus de consolidation parséchage, souvent qualifié de vieillissement physique,le vieillissement chimique est la conséquence dedifférents processus impliquant une modificationde la structure chimique des constituants de lacouche picturale et de leurs interactions.Citons, par exemple, l’effet de l’oxygène de l’air,l’action de la chaleur, les variations du tauxd’humidité relative ou bien l’altération due à lalumière (rayonnement UV). Ce vieillissementchimique conduit à des réarrangements lents

Figure 2 : Exemples de craquelures d’originemécanique. (a) Craquelures formant desportions de spirale, sur la toile représentantSaint Matthias. (b) Intersection de deuxréseaux de longues craquelures parallèlesdans la peinture de Saint Jacques leMajeur. (c) Craquelures longues, fines etparallèles entre elles, sur la toile représentantSaint Jacques le Mineur (certaines craqueluresont été surimprimées pour guider l’œil). © C2RMF (P. Cotte, R. Pillay).

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de la microstructure des couches picturales, quimodifient leur comportement mécaniquemacroscopique.Des craquelures « d’âge » peuventalors nucléer dans la couche lorsque lescontraintes mécaniques sont trop importantes.Elles sont généralement plus fines que les cra-quelures liées au séchage.

Dans cette classe de craquelures, nous ran-geons également celles d’origine purementmécanique, dues par exemple à des chocs ou àdes tensions appliquées à la toile en vue de larestaurer. Différentes causes de ce type peuventêtre distinguées dans la série des Apôtres :

• de nombreuses toiles présentent des régionsoù existent des craquelures circulaires ou formantdes portions de spirale. Un exemple est donnésur la peinture de Saint Matthias (fig. 2a). Cescraquelures sont probablement dues à des chocssurvenus perpendiculairement au plan de lacouche ;

• la peinture de Saint Jacques le Majeur pré-sente clairement l’intersection de deux réseauxde longues craquelures parallèles entre elles etéquidistantes sur la globalité de la couche pictu-rale (fig. 2b). La direction moyenne de chaqueréseau est proche des diagonales du tableau.Ceci suggère que des tensions mécaniques ont étéappliquées à la toile, sans doute dans le butd’une restauration (procédé de rentoilage* oude transposition de toile sur toile*) ;

• les longues craquelures, fines, parallèlesentre elles et horizontales, présentes dans lacouche picturale de Saint Jacques le Mineur (fig. 2c) suggèrent, quant à elles, que la toile asubi un enroulement.

Finalement, cette classe de craquelures« d’âge » inclue également celles dues à deschangements climatiques. Les variations de

l’hygrométrie et de la température, auxquellessont exposés les tableaux, peuvent être unesource de contrainte mécanique, rendant alorsinstable le réseau de craquelures. La couchepicturale, microporeuse, absorbe l’humidité dumilieu environnant, qui peut s’évaporer ensuitesi l’hygrométrie diminue.L’évaporation induiraalors des tensions dans la couche picturale,conduisant à la formation de nouvelles craquelures.

Modélisation expérimentaledes craquelures de séchage

Afin de modéliser la formation de la couchepicturale, nous considérons des suspensions debilles colloïdales (de taille inférieure au micron)dont les propriétés mécaniques diffèrent enfonction de leur constitution physico-chimique.Au cours de l'évaporation du solvant, commedécrit plus haut, les billes se rapprochent etforment une matrice poreuse solide qui serétracte progressivement (fig.3).Cette rétractionest contrariée par l’adhésion au support, ce quise traduit par l’apparition de contraintes interneset (éventuellement) de craquelures.

Les contraintes mécaniques de rétraction sedéveloppant au cours du séchage peuvent êtremises en évidence à l’aide du dispositif suivant.Une couche de suspension colloïdale est déposéesur une lame métallique flexible, dont lespropriétés mécaniques sont parfaitementconnues : l’une de ses extrémités est fixe, tandisque l’autre est libre. Au cours de la consolida-tion et de la rétraction de la couche, le systèmelame/couche fléchit (fig. 4-I) ; la mesure de ladéflexion de la lame, qui reste dans le domaineélastique, nous permet d’obtenir l’évolutiondes contraintes moyennes dans la couche [4].

Les craquelures se présentent sous des for-mes différentes selon la vitesse de séchage de lacouche, l’adhésion de celle-ci sur le support, lacomposition de la couche et son épaisseur. Onconstate en effet qu’une couche consolidéelentement présente moins de craqueluresqu’une couche consolidée rapidement, et queplus l’adhésion est importante, plus il y a decraquelures.Quant à l’influence de la compositionet de l’épaisseur, elle est étudiée plus en détaildans ce qui suit.

Figure 3 : Représentation schématique dela formation d’une matrice poreuse aucours du séchage d’une suspension de billescolloïdales. Sous l’effet de la pression capil-laire*, les billes se rapprochent en surface (a),formant ainsi une matrice solide dont lesinterstices sont remplis de solvant (b). Lesinterfaces solvant/air localisées à la surfacede la couche (ligne bleue du schéma (a)) secourbent alors de plus en plus (b), conduisantà une dépression dans le liquide occupantles interstices. Ceci entraîne une rétractionprogressive et importante de la matriceporeuse sous l’effet des pressions capillaires.L’adhésion sur un support (c) limite cetterétraction, induisant des contraintes detension dans la matrice. Ces dernièrespeuvent atteindre des valeurs très impor-tantes, auxquelles la couche ne peutrépondre que par la formation de craquelures.

• Contrainte :notion de la mécanique des milieuxcontinus, permettant de décrireles efforts surfaciques internes àun matériau. Les contraintes sontassociées à des déformations élas-tiques. Lorsqu’elles excèdent unevaleur critique, il en résulte desendommagements mécaniques,tels les craquelures.

• Pression capillaire :variation de pression induite parla courbure d’une interface. Elleest donnée par la relation deLaplace, Pcap= - 2γLV/r, où γLVdésigne la tension superficiellesolvant/air et r le rayon de cour-bure des interfaces solvant/air. Lavaleur de r est régie par la tailledes pores, donc par celle des billescolloïdales : plus cette dernièresera faible,plus la pression capillairesera grande. Pour des billes de20 nm de diamètre, la pressioncapillaire peut atteindre 107Pa.

• Rentoilage :technique pratiquée en Francedepuis le XVIIe siècle. Pourrenforcer la toile originale, fragi-lisée par le vieillissement desfibres et par divers accidents, unetoile neuve est apposée au revers àl’aide d’un adhésif à base de collede farine ou de cire-résine.

• Transposition de toile sur toile :opération drastique qui consisteà éliminer par le revers une toileextrêmement dégradée et à laremplacer par une toile neuve.

Nomenclature

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Figure 4 : Expériences modèles mettant enévidence les contraintes moyennes derétraction au cours de la consolidation decouches de différentes compositions. (I) Schéma du montage en vue de profil. (II) Évolution des contraintes moyennespour des couches de billes de latex, d’épais-seur initiale 1 mm, présentant des proprié-tés mécaniques différentes : couche com-posée de billes dures (a), d’un mélange de80% de billes dures et de 20% de billes mol-les (b), et uniquement de billes molles (c).Une coupe schématique d’un empilementde billes modèles a été représentée pour lesdeux cas extrêmes (a) et (c). (III) La morphologie typique de craquelurescorrespondant au système constitué debilles dures est présentée sur l’image (a),tandis que celle correspondant au mélangede billes dures et molles est présentée surl’image (b). Aucune craquelure n’apparaîtdans le cas d’une couche constituée uni-quement de billes molles.

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(a)

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particules mollesparticules dures0100%

20%80%100%0

(a)

(c)(b)

(a)

lame flexible

couche en consolidation

schéma du montage

(b)

Influence de la compositionNous avons entrepris l’étude de couches

constituées de deux types de billes colloïdales(billes de latex de différentes températures detransition vitreuse) dans des pourcentages contrôlés :des billes « molles », déformables, et des billes« dures », indéformables [5].

• Prenons le cas d’une suspension colloïdaleconstituée uniquement de billes « dures ». Aucours du séchage de la couche, les contraintesmécaniques augmentent jusqu’à une valeurmaximale (courbe bleue de la figure 4-II). Descraquelures apparaissent alors (fig. 4-IIIa), per-mettant la relaxation de ces contraintes.

• En revanche, pour une couche formée àpartir d’une suspension ne comportant que desbilles molles, les contraintes mécaniques généréesau cours du séchage par la pression capillairesont essentiellement dissipées par la déformationdes billes. Les contraintes mécaniques résiduellesn’augmentent que légèrement (courbe verte dela figure 4-II). Leur valeur est suffisamment faiblepour ne pas conduire à la formation de craque-lures : la couche reste homogène.

• Utilisons maintenant une couche forméepar un mélange de billes dures et de billes molles.Ces dernières se déforment sous l’effet de larétraction induite par la pression capillaire, relaxantainsi partiellement les contraintes internes. Parconséquent, ces contraintes augmentent jusqu’àune valeur maximale moins importante quedans le cas d’une couche constituée uniquementde billes dures, tout en restant supérieure à cellecorrespondant à des billes molles (voir courberouge du graphe de la figure 4-II).

On observe expérimentalement que les cra-quelures se forment pour une concentration seuilde billes molles inférieure à 30% en masse. Auvoisinage de cette concentration seuil, les cra-quelures forment des germes isolés (figure 4-III b).

Au-dessus, le nombre de germes de craqueluresdiminue avec la concentration de billes mollesprésentes, jusqu’à devenir inexistant.

Influence de l’épaisseur de la coucheAfin de quantifier cet effet, le système

modèle que nous considérons maintenant estuniquement constitué de billes « dures ». Lesexpériences modèles sont basées sur le séchagede ces suspensions colloïdales dans des coupellesplanes pour différentes épaisseurs de couche.

On constate qu’au-dessous d’une certaineépaisseur, la couche reste affranchie de toute for-mation de craquelures. Cette épaisseur critiqueest propre au système constitué par la coucheadhérant au support.Pour des couches d’épaisseursupérieure à la valeur critique, deux cas sont àdistinguer : les couches plus minces dans lesquellesseuls des germes isolés sont présents (fig. 5a), etdes couches plus épaisses où les craqueluresenvahissent toute la couche, formant un réseaudense et plus ou moins connecté (fig. 5b et 5c).Ces différentes figures de craquelures résultentde la compétition entre le processus de nucléationet celui de propagation d’une craquelure. Eneffet, la nucléation a lieu d’autant plus facilementque la couche est plus mince, donc plus sensibleaux hétérogénéités. Dans le cas d’une couchemince, la propagation des craquelures est entravéepar les hétérogénéités. Il en résulte que les couchescomprenant de nombreux germes (fig. 5a)correspondent à des épaisseurs de l’ordre destailles des hétérogénéités, alors que les couchesprésentant de longues craquelures, en plus faiblenombre, correspondent à des couches épaisses(fig. 5c) [6]. La figure 5b montre une figure decraquelures relative à une épaisseur intermédiaire :un réseau de craquelures lisses présentant unedernière génération de craquelures sinueusesnon connectées entre elles.

I

II

III

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-b-

-c-

Figure 5 : Expériences modèles présentantles morphologies de craquelures dans descouches de billes de silice de différentesépaisseurs. (a) Pour des couches très fines :germes de craquelures isolés. (b) Pour descouches d’épaisseur intermédiaire : de longuescraquelures se forment puis coexistentavec des germes sinueux. (c) Pour des cou-ches épaisses : réseau de craquelures lissesformées de manière hiérarchique. (Chaque image a la même dimension ;longueur de la barre de l’image (a) : 20 µm).

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Références[1] Ouvrage collectif,Les Apôtres de Georges de La Tour.Réalités et virtualités,Hermann Éditeur des Sciences et des Arts (2004).

[2] S. Bucklow,Formal Connoisseurship and thestudy of paintings techniques,ICOM Committee forConservation (1996), disponibleau C2RMF.

[3] A. Nakahara,Y. Matsuo,“Transition in the pattern ofcracks resulting from memoryeffects in paste”, Phys. Rev. E 74,045102 (2006).

[4] C. Petersen, C. Heldmann,D. Johannsmann,“Internal stresses during film formation ofpolymer lattices”, Langmuir 15,7745 (1999).

[5] L. Pauchard, F. Parisse,C. Allain,“Influence of the salt content on the crack patterns formed by colloidal suspension dessication”,Phys. Rev. E 59, 3737 (1999).

[6] S. Bohn, L. Pauchard,Y. Couder,“Hierarchical crackpattern as formed by successivedomains”, Phys. Rev. E 71,046214 (2005).

craquelures lisses

craqueluressinueuses

réseau peu dense

réseau dense

craqueluressinueuses nonconnectées

germes isolés

St Jude Thaddée • •St Jacques le Mineur • •St Jacques le Majeur • •St Paul •St Simon •St Matthias •St André • •St Philippe • • •St Thomas • •St Pierre • • •

Tableau 1: Premiers résultats sur la classification des peintures des Apôtres selon différentes catégories de morphologies decraquelures.

Figure 6 : Exemple de comparaison entre lesexpériences modèles et une morphologie decraquelures dans une couche picturale.L’image (a) a été réalisée en superposant lesimages des figures 5a et 5c : de longues cra-quelures lisses forment un réseau de poly-gones plus ou moins réguliers, dans lesquelsde nombreux germes isolés sont observa-bles. La morphologie obtenue peut êtrecomparée, de manière qualitative, avec unextrait du réseau de craquelures dans lapeinture de Saint Jacques le Mineur (b).Cette morphologie est analogue à ce quel’on pourrait observer dans le cas d’unecouche mince craquelée, adhérant à unesous-couche. Les germes isolés sont unique-ment présents dans la couche mince, tandisque le réseau de longues craquelures s’étenden profondeur de la couche superficielle à lacouche sous-jacente. (Longueur de la barre dans l’image (a) :20 µm ; longueur de la barre dans l’image(b) : 1 cm).

0

Discussion

Des expériences modèles, nous pouvonsconclure que les réseaux de craquelures lisses,connectées entre elles (fig.1a), sont caractéristiquesd’une couche rigide plutôt épaisse, alors que lescraquelures sinueuses, connectées entre elles etformant un réseau dense ou peu dense (fig. 1c),sont caractéristiques de la présence d’hétérogé-néités. Une répartition de craquelures isoléescomme le montre la figure 1d est, quant à elle,typique d’une couche ductile. En classant lesdifférentes peintures de la série des Apôtres selonplusieurs catégories reliées à des figures de cra-quelures caractéristiques, nous obtenons letableau 1.On constate que les peintures représentantSaint Jacques le Mineur et Saint Jude Thaddée ontpu être associées, tandis que la peinture de SaintMatthias ne peut être rapprochée d’une autrepeinture de la série en question. Ceci recoupe la

conclusion obtenue par d’autres investigations,selon laquelle seules les peintures de Saint Jacquesle Mineur et Saint Jude Thaddée sont des œuvresautographes.

Les informations que l’on peut obtenir en l’étatactuel des connaissances sont encore qualitativeset partielles, notamment à cause de la com-plexité d’une œuvre picturale. En particulier, ladiversité des morphologies de craquelures tientnon seulement dans la délimitation de domainespolygonaux dans le plan de la couche mais aussidans l’organisation des craquelures en profondeur,c’est-à-dire en tenant compte des sous-couchessuperposées. Néanmoins, la figure 6 montrequ’en superposant les réseaux de craqueluresobtenus avec des monocouches,on peut retrouverde manière saisissante les réseaux de craqueluresrésultant de la superposition de couches picturales.Cette figure est à cet égard prometteuse desrésultats que l’on peut attendre de telles études.■

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