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Écri TERRE S PÉCIAL C OMMÉMORATIONS N°2 2 e division blindée Été 2019

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2Chronologie

CHRONOLOGIE de la 2e division blindée 1941-1944

Soldats de FranceSpécial commémorations n°2 - Été 2019

1er mars 1941 : la colonne du colonel Leclerc s’empare de Koufra (Libye).

Février 1943 : la colonne Leclerc devient la Force L dans le cadre de la 8e armée britannique (combats de Libye et de Tunisie).

30 mai 1943 : la Force L devient la 2e division française libre (DFL).

24 août 1943 : la 2e division française libre (DFL) devient la 2e division blindée (DB) commandée par le général Leclerc.

11 avril 1944 : embarquement de la 2e division blindée à Casablanca et Mers el-Kébir pour le Royaume-Uni.

6 juin 1944 : débarquement en Normandie (opération Overlord).

1er- 5 août : débarquement de la 2e division blindée à Utah Beach, elle est aussitôt engagée dans la bataille de Normandie.

19 août : fermeture de la poche de Falaise. Début de l’insurrection à Paris.

20 août : la 2e DB est à Chambois pour fermer la poche de Falaise et reçoit l’ordre de foncer sur Paris.

21 août : un détachement léger part pour la capitale afin de se renseigner sur les forces ennemies y tenant garnison.

23 août : après accord des Américains, la 2e DB se regroupe et se lance vers Paris.

24 août : au terme d’une progression souvent ralentie par de vives résistances et par les encombrements dus à une foule en délire, l’objectif est atteint : grâce à des renseignements fournis par les FFI insurgés, le capitaine Dronne

entre dans la ville à 22 heures et rejoint la préfecture de police.

25 août : les trois groupements de la 2e division blindée entrent à leur tour dans Paris, réduisent une à une les diverses résistances et contraignent le général commandant le «Groß Paris», le général Dietrich von Choltitz, à signer l’acte de capitulation.

26 août : à 15 heures, le général de Gaulle fait son entrée officielle dans Paris libérée.

26-31 août : occupée à nettoyer les dernières résistances et à maintenir l’ordre dans la capitale, la 2e division blindée se remet ensuite en condition avant de reprendre la route vers l’est.

8 septembre : la 2e division blindée quitte Paris. Débouchant de Troyes, elle participe avec la 3e armée américaine (général Patton) à la poursuite des Allemands en direction de la Moselle.

12 septembre : jonction entre les troupes de l’opération Overlord et celle de Dragoon : la 2e DB prend contact près de Châtillon-sur-Seine avec des éléments de l’armée B, venant de Provence, qui devient 1ère armée française le 19 septembre.

13-14 septembre : la 2e division blindée écrase la 112e Panzerbrigade à Dompaire.

1er octobre : le XVe corps d’armée américain, auquel est rattachée la 2e DB, quitte la 3e armée pour la 7e armée venue de Provence.

31 octobre : couvrant toujours le flanc gauche des forces venues du Sud, la 2e DB passe à la 7e armée avec son corps d’armée et avance en direction de Baccarat.

La fin de l’année 1944 et l’année 1945 seront l’occasion d’une nouvelle épopée pour la 2e DB.

Illustration page de couverture : Jacques Ernotte, peintre de l’armée, Paris, août 1944, Acrylique sur toile (130 x 97), 1993.

“Paris libéré, un matelot de la brigade de fusiliers marins et un FFI tournent une page de l’histoire, recouvrant la période sombre de l’occupation. Différents éléments de la 2e DB sont représentés : spahis, coloniaux, différentes sortes de blindés sans oublier les fantassins de la 4e Division d’infanterie US. En arrière plan la silhouette du Panthéon.”

Directeur de la publication : Général Dominique Cambournac

Rédacteur en chef : Lieutenant-colonel Rémy Porte

Rédacteur en chef adjoint : Monsieur Benoit Beucher

Sous-lieutenant (R) Jean Tartare

Comité de rédaction : Colonel (H) Paul Gaujac

Lieutenant-colonel (R) Antoine Champeaux

Adresse mail : [email protected]

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La 2E dIvIsION bLINdéE

Soldats de FranceSpécial commémorations n°2 - Été 2019

Créée au Maroc le 24 août 1943 à partir de la 2e division légère française libre avec un tiers d’unités issues de Forces Françaises Libres et deux tiers de formations de l’armée d’Afrique du Nord, la 2e division blindée est regroupée en Angleterre le 1er juin 1944. Sa mission – du point de vue national – est de représenter l’armée française parmi les forces américaines débarquant en Normandie.

Mise à terre du 1er au 5 août sur une plage du Cotentin, elle est aussitôt engagée dans la bataille de Normandie au sein de la 3e armée. Le 10 elle franchit la Sarthe, libère Alençon et Sées le 12, puis Argentan le 14. Combattant vers le nord avec la 1re armée pour fermer la poche de Falaise, elle s’arrête le 20 dans la région de Chambois lorsqu’elle reçoit l’ordre de foncer sur Paris.

Depuis toujours, le général de Gaulle souhaite en effet que la capitale soit libérée par une action militaire et que cette action soit française. Aussi, dès le 21, un détachement léger part pour Paris afin de se renseigner sur les forces ennemies tenant la capitale. Puis après accord des Américains, la division regroupée se lance sur Paris le 23. Au terme d’une progression souvent ralentie par de vives résistances et par les encombrements dus à une foule en délire, l’objectif est atteint : grâce à des renseignements fournis par les FFI insurgés, le capitaine Dronne entre dans la ville le 24 à 22 heures et rejoint la préfecture de police.

Le lendemain 25, les trois groupements entrent à leur tour dans Paris, réduisent une à une les diverses résistances et contraignent le général commandant le «Groß Paris» à signer l’acte de capitulation. Le 26 à 15 heures, le général de Gaulle fait son entrée officielle dans Paris libérée. Occupée jusqu’au 31 août à nettoyer les dernières résistances et à maintenir l’ordre dans la capitale, la division se remet ensuite en condition avant de reprendre la route vers l’Est.

À partir du 8 septembre, débouchant de Troyes, la 2e DB participe avec la 3e armée américaine à l’exploitation en direction de la Moselle. Après avoir libéré Contrexéville et Vittel, elle prend contact le 12 près de Châtillon-sur-Seine avec des éléments de l’armée B venant de Provence. Puis les 13 et 14, elle se heurte à Dompaire à une Panzerbrigade qu’elle met en déroute. Couvrant toujours le flanc gauche des forces venues du Sud, elle passe à la 7e armée avec son corps d’armée et se lance à l’attaque de Baccarat le 31 octobre. Le lendemain, la Meurthe est franchie et la ville libérée.

Puis le 16 novembre débute la «charge de Strasbourg». Franchissant les Vosges à Saverne, à la Petite-Pierre et à Dabo, la division pénètre en Alsace le 20. Puis ses colonnes convergent le 23 sur Strasbourg atteinte le jour même à 10 heures. Le 26 novembre la capitale alsacienne est libre : le général Leclerc et ses hommes ont tenu le serment de Koufra.

La 2e division blindée

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4 Soldats de FranceSpécial commémorations n°2 - Été 2019

LE GéNéRaL LECLERC

Le général Leclerc

Né en 1902, Philippe Marie de Hautecloque entre à Saint-Cyr en 1922 (promotion Metz et Strasbourg). Officier de cavalerie, il commence sa carrière au Maroc et il est reçu premier à l’école de Guerre. Deux fois prisonnier et évadé en mai-juin 1940, sous le nom de capitaine «Leclerc», il rejoint le général de Gaulle à Londres. Commandant le régiment de tirailleurs sénégalais du Tchad, il devient gouverneur du Cameroun puis commandant militaire de l’AEF. Il joue un rôle essentiel pour rallier l’Afrique équatoriale française à la France Libre. Il part du Tchad avec une colonne des Forces françaises libres (la Force L) et conquiert Koufra sur les Italiens le 1er mars 1941. En décembre 1942, il part à nouveau du Tchad, et rejoint à Tripoli, le 2 février 1943, les troupes alliées du général Montgomery. Il participe ensuite à la campagne de Tunisie, avant de mettre sur pied en Afrique du Nord, la 2e division blindée qu’il commande de 1943

à 1945. Débarqué en Normandie, il entre dans Paris avec la 2e DB le 24 août 1944, et reçoit la capitulation de la garnison allemande, avant de libérer Strasbourg, fidèle à son serment, le 23 novembre 1944. La 2e DB franchit le Rhin le 26 mars 1945 et s’empare du Nid d’aigle de Hitler, à Berchtesgaden, le 4 mai 1945. Commandant supérieur des Forces françaises en Indochine, le général Leclerc reçoit, pour la France, le 2 septembre 1945, la capitulation du Japon. Devenu en 1946 inspecteur des forces terrestres, maritimes et aériennes d’Afrique du nord, il meurt en service dans un accident d’avion, près de Colomb-Béchar, en 1947. La dignité de Maréchal de France lui est conférée à titre posthume en 1952. La 133e promotion de l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr (1946-1948) a pris le nom de promotion Général Leclerc.

Jacques Ernotte, peintre de l’armée,Leclerc, 2e DB, Acrylique sur toile (130 x 97), 1993.“Le général Leclerc sur fond de blindé M.7 frappé de l’insigne de la DB, au second plan on aperçoit des silhouettes de l’oasis de Koufra, de Notre-Dame de Paris, de la cathédrale de Strasbourg et du Berghof en Bavière.”

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5 Soldats de FranceSpécial commémorations n°2 - Été 2019

La 2E db dE UtaH bEaCH à PaRIs (1ER aOUt aU 7 sEPtEmbRE 1944)

La 2e DB de Utah Beach à Paris

En août 1944, la 2e division blindée du général Leclerc a joué un rôle considérable en libérant Paris et en permettant l’installation au pouvoir du gouvernement provisoire de la République française (GPRF) du général de Gaulle. Première grande unité alliée à faire son entrée dans la capitale, conformément à la promesse américaine de décembre 1943, elle obtient la capitulation du gouverneur militaire allemand, le général von Choltitz, et permet ainsi la reddition rapide des centres de résistance et des points d’appui allemands. C’est encore la 2e DB, qui assure la sécurité du défilé du 26 août, de l’Arc de triomphe à Notre-Dame, grâce auquel le général de Gaulle peut s’imposer à la Résistance intérieure et aux Alliés. C’est enfin la 2e DB qui garantit l’ordre dans la capitale, jusqu’à ce qu’elle reprenne sa progression vers l’Est, le 8 septembre 1944.Le rôle joué par la 2e DB a ainsi éclipsé celui du corps expéditionnaire français (CEF) du général Juin en Italie et celui de la 1ère armée du général de Lattre, et le général Leclerc lui doit en grande partie sa réputation de tacticien hors pair.

Pourtant, tout au long de cette première phase de la libération du territoire national, la division Leclerc a connu des échecs sur lesquels la légende ne s’appesantit guère, mais qu’on ne peut passer sous silence si l’on veut que l’histoire éclaire le présent et l’avenir : lourdes pertes des premiers jours de combat face à un ennemi disposant pourtant de moyens réduits ; retards causés à l’avance générale des Alliés au moment de la fermeture de la poche de Falaise (12 au 21 août), qui ont eu des retombées sur la progression même de la 2e DB ; délai supplémentaire pour la libération de Paris qui devait avoir lieu le 24 août et qui a été reportée au 25.

Ces difficultés remettent-elles en cause les capacités de la 2e DB ? Ne sont-elles pas surtout le résultat des tensions entre la

mission politique que Leclerc avait reçue du général de Gaulle (libération de Paris pour y permettre l’installation du GPRF), et la mission tactique donnée par ses chefs américains, qui consistait à participer à la destruction des forces allemandes ? Répondre à ces questions constitue une bonne approche pour étudier le parcours de la 2e DB d’Utah à Paris.

Il apparaît ainsi que la hâte qu’avait Leclerc de remplir sa mission politique l’a amené à commettre de nombreuses erreurs tactiques qu’il a finalement surmontées, non sans être aidé par les Alliés et par des circonstances favorables. Ceci est vrai de la progression de la 2e DB jusqu’à Alençon, puis de sa participation à la fermeture de la poche de Falaise et, enfin, de sa contribution à la libération de Paris.

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6 Soldats de FranceSpécial commémorations n°2 - Été 2019

La 2E db dE UtaH bEaCH à PaRIs (1ER aOUt aU 7 sEPtEmbRE 1944)

La 2e DB de Utah Beach à Paris

La progression jusqu’à Alençon

Après le débarquement de la 2e DB à Utah Beach, le 1er août, et son arrivée dans la région du Mans, le 9 août 1944, la hâte que Leclerc met à marcher vers Alençon et Ecouché-Argentan, pour couper la retraite de la masse de manœuvre allemande encore engagée dans la contre-offensive de Mortain, est la cause de nombreux déboires initiaux pour la 2e DB. Insuffisamment entraînée au combat interarmes, elle dispose en outre d’une organisation du commandement peu satisfaisante pour des opérations dynamiques face à un ennemi résolu.

Effectuée au sein du XVe corps d’armée américain, qui dépend lui-même de la 3e armée du général Patton, la progression de la 2e DB vers Alençon ne débute pas dans de bonnes conditions du fait des bombardements de nuit subis par les unités de chars de l’un de ses trois groupements tactiques (GT), celui du colonel Billotte, dont l’engagement est différé d’un jour1.

Les deux GT disponibles (Dio et Langlade) sont toutefois loin d’être engagés de manière optimale. Les quatre sous-groupements tactiques qu’ils comprennent progressent en effet en étant rivés aux axes, sans reconnaissance préalable et sans s’éclairer, alors que le terrain du nord de la Sarthe est coupé et vallonné. Aussi les pelotons de chars de tête tombent-ils dans les embuscades successives que leur tend la 9e division de Panzer2, qui fait pourtant également face à la 5e DB US plus à l’est, alors qu’elle dispose de moyens réduits3. L’infanterie motorisée qui suit à plusieurs centaines de mètres de distance n’intervient qu’avec retard au profit des chars, tandis que l’artillerie, elle-même en mouvement, a besoin de délais importants avant de pouvoir appuyer les unités au contact. Quant à l’aviation tactique alliée, elle attaque les blindés de la 2e DB dont les équipages ont négligé de mettre en place leurs panneaux air-sol, alourdissant ainsi les pertes et ajoutant à la confusion initiale. Dépité par ces échecs, Leclerc déclare à son état-major que la 2e DB est la plus grande déception de sa carrière et il fait prendre des mesures énergiques pour remédier à la situation.

C’est surtout sur la pratique du combat interarmes que portent les efforts : dès le 11 août, la progression est éclairée par des automitrailleuses M8, les chars de tête sont accompagnés par les half-tracks de l’infanterie, tandis que l’artillerie est en batteries, prête à intervenir, et qu’elle effectue des tirs à priori sur les points hauts pouvant servir d’observatoires à l’ennemi. La nécessité de fournir des détachements de liaison et d’observation aux unités de tête s’impose par ailleurs rapidement4.

1 Ces bombardements ont eu lieu après que des plans sont tombés aux mains des Allemands, à la suite d’une reconnaissance imprudente effectuée dans la région de Mortain.2 13 chars Sherman sont détruits le 10 août.3 Elle ne dispose notamment que d’un bataillon de panzer IV, son bataillon de chars Panther ayant été détaché au profit d’un corps d’armée engagé contre les anglo-canadiens.4 Les efforts accomplis concernent surtout le GT Langlade, qui a beaucoup souffert le 10 août. Le GT Dio commet en revanche des erreurs telles que la 2e DB perd finalement plus de Sherman le 11 que le 10.

Sherman de la 2e DB débarquant à Utah Beach, le 2 août 1944Source : US Army

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7 Soldats de FranceSpécial commémorations n°2 - Été 2019

La 2E db dE UtaH bEaCH à PaRIs (1ER aOUt aU 7 sEPtEmbRE 1944)

Faisant effort en terrain libre, entre les routes menant à Alençon, Leclerc parvient à enfoncer le dispositif ennemi à l’Ouest de Rouessé-Fontaine avec une masse de manœuvre constituée par ses soins qui regroupe plusieurs dizaines de blindés. Ne laissant pas aux Allemands le temps de se rétablir, le groupement atteint les lisières sud d’Alençon, le 11 soir, et Leclerc donne alors l’ordre à l’une des compagnies de tête de conduire une reconnaissance jusqu’au centre de l’agglomération. Réveillé en pleine nuit par des tirs de mortiers allemands, il réalise que l’unité désignée s’est assoupie. Après avoir fait réveiller son capitaine il l’entraîne avec lui jusqu’au pont qui enjambe la Sarthe. Une erreur de topographie sur le chemin du retour, la rencontre fortuite avec une voiture de liaison allemande qu’elle entraîne et la saisie de plans qui en résulte, amènent Leclerc à envoyer des renforts à Alençon à peine tenue par les Allemands qui ne s’attendaient pas à ce que la 2e DB y parvienne aussi rapidement. Ils perdent ainsi une importante base logistique et la contre-attaque dont elle devait assurer le soutien est compromise.

La fermeture de la poche de Falaise

Désireux de déjouer les plans ennemis tout en participant à la fermeture de la poche de Falaise, Leclerc crée toutefois des désordres qui empêchent la pleine exploitation des succès qu’il vient de remporter et des résultats obtenus par la division blindée américaine voisine.

Jugeant que la zone d’action (ZA) de la 2e DB favorise les Allemands du fait du massif forestier d’Ecouves et du terrain accidenté qu’emprunte la route située en lisière Ouest,

il renonce à faire effort dans cette direction avec le GT Billotte maintenant au complet. Il l’engagera à l’est du massif, dans la ZA ouverte et faiblement ondulé de la 5e DB US, convaincu que les Américains ont pris du retard. Pendant ce temps, le GT Dio, affaibli par les combats de la veille, s’emparera des lisières Nord et Nord-Ouest d’Alençon tandis que le GT Langlade, également éprouvé, le rejoindra après avoir quitté la partie est de la ZA divisionnaire. Les deux GT progresseront ensuite par les itinéraires initialement prévus pour le GT Billotte, vers Carrouges et Ecouché5.

Il s’avère cependant qu’un GT américains (combat command A) a dépassé Sées dès le 11 août, si bien qu’en pénétrant dans la localité le GT Billote cause des embouteillages qui entravent le ravitaillement en carburant de

GTD et L 19/08

BAIE DE SEINE

Caen

Falaise

Ecouché Argentan

Carrouges Sées

Alençon

Le Mans

Rennes

Mamers

Saint-Lô

Chambois

2e DB FR

01/08 Utah

06-08/08

11/08

10/08

09/08

12-14/08

GT 19/08

Seine

Avranches

Fougères

Le Havre

GTD GTL

50 km

Vitré Laval

Mortain 07 au 11/08

N

La 2e DB en NormandieLCL Christophe Gué (Tous droits réservés)

5 A lieu de cela, un seul sous-groupement s’en est approché le 12 soir.

La 2e DB de Utah Beach à Paris

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8 Soldats de FranceSpécial commémorations n°2 - Été 2019

La 2E db dE UtaH bEaCH à PaRIs (1ER aOUt aU 7 sEPtEmbRE 1944)

cette unité. La progression américaine vers Argentan s’en trouve retardée de 6 heures, délai que les Allemands mettent à profit pour s’installer en défensive. Le 12 soir, les chars Sherman qui entrent dans Argentan sont canalisés entre la gare de triage bouleversée par les bombardements alliés et des prairies inondées, et ils se heurtent à des obstacles antichars battus par les feux précis des canons de 88 et des pièces de 75 des Panther. Paradoxalement, pendant cette journée du 12, l’itinéraire situé à l’ouest de la forêt d’Ecouves était pratiquement libre d’Allemands : en l’empruntant le GT Billotte pouvait arriver en forces jusqu’à Ecouché . Mais le lendemain, la 2e Panzer accourt. Les GT Langlade et Dio qui lui infligent des pertes sévères n’en sont pas moins arrêtés au Nord de Carrouges, tandis que les Américains échouent de nouveau devant Argentan.Le 13 août, au grand regret de Patton, les difficultés rencontrées, conjuguées à la crainte d’une contre-attaque allemande venant de l’ouest, amènent le général Bradley, commandant le groupe d’armées, à ordonner l’arrêt de la progression en direction de Falaise.

L’action de la 2e DB a certes amené d’importants résultats tactiques, avec la destruction quasi-complète d’unités des 9e, 2e et 116 divisions de Panzer rencontrées dans la forêt d’Ecouves et dans ses environs6. L’organisation du commandement de la division a par ailleurs été améliorée avec la création d’un PC tactique. Remplaçant avantageusement la simple Jeep qu’utilisait jusqu’alors le général Leclerc pour se porter en avant, il lui permet désormais de garder à la fois le contact avec les unités subordonnées et l’échelon supérieur.La 2e DB est cependant maintenant

immobilisée jusqu’au 17 août, date à laquelle la fermeture de la poche de Falaise, un moment remise en cause, est reportée. Deux des divisions US de son corps d’armées sont alors en route vers la Seine depuis le 15 août. Au général Leclerc qui l’a appris et qui a rappelé aux Américains leur engagement, ces derniers ont répondu que ces divisions franchiraient le fleuve sans pénétrer dans la capitale où la 2e DB ferait son entrée en temps voulu.Ne se contentant pas des promesses américaines, Leclerc parvient à soustraire la 2e DB aux opérations s’annonçant coûteuses de fermeture de la poche, tout en préparant son mouvement en direction de Paris. Ainsi, le 21 août, avant même d’avoir obtenu le feu vert américain, il envoie le sous groupement Guillebon vers la capitale avec ses 10 chars légers, ses 10 automitrailleuses et ses semi-chenillés. Apprenant la présence du détachement au sud-est de Dreux, le général Gerow donne à la 2e DB l’ordre de le renvoyer à son point de départ. Mais la situation qui s’est dégradée dans la capitale amène le haut commandement allié à donner l’autorisation attendue. Le 23 matin, le gros de la DB part pour Rambouillet qu’elle atteint après un parcours de plus de 200 km. Grâce à cette incontestable performance, elle est prête à aborder Paris le 24 matin.

La libération de Paris

La hâte de libérer Paris qui anime le général Leclerc l’a cependant amené à commettre une erreur similaire à celle qui a précédé l’abordage de la forêt d’Ecouves. Interprétant de manière erronée les renseignements qui lui ont été communiqués par Guillebon et par la Résistance, il croit que les Allemands sont en force dans la ZA que les Américains

6 Du 12 au 15 aout, près de 4000 Allemands auraient été tués et 8000 faits prisonniers, plus de 100 chars et canons automoteurs ayant été détruits, ainsi que des centaines de véhicules divers.

La 2e DB de Utah Beach à Paris

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9 Soldats de FranceSpécial commémorations n°2 - Été 2019

La 2E db dE UtaH bEaCH à PaRIs (1ER aOUt aU 7 sEPtEmbRE 1944)

lui ont attribuée à l’Ouest de Paris, entre Trappes et Versailles, où des chars ont été aperçus. Il se convainc alors que les défenses sont sensiblement plus faibles au Sud, dans le secteur de la 4e DI américaine, où l’on n’a vu que des éléments légers. Leclerc décide d’y pénétrer sans en aviser les Américains.En place dans un rayon de 30 à 40 km autour de Paris depuis le 19 août, ces derniers seraient pourtant à même de le renseigner. Ils pourraient notamment lui signaler que les chars de la route de Versailles, qui ne représentent en réalité qu’une force limitée, ont été vus du fait de l’élimination des avant-postes allemands par des unités américaines, tandis que les éléments légers du Sud, qui n’ont pas été attaqués, masquent une puissante trame antichar que les reconnaissances n’ont pas décelée.

Le 24 août, à la suite de la décision prise par Leclerc, les groupements tactiques se heurtent à de puissantes résistantes sans pouvoir bénéficier de l’appui de l’artillerie du 5e corps d’armées qui est trop éloignée. En dépit de l’allant des unités, celles-ci ne progressent que lentement. Le respect des axes qui leur est imposé, comme la RN

20 dans le cas du GT Billotte, accroît les difficultés en facilitant l’action des pièces antichars allemandes. A cela s’ajoute la foule en liesse qui retarde encore l’avance des unités françaises. Le soir du 24, les défenses extérieures de Paris ne sont toujours pas percées.

Les conséquences du retard pris par la 2e DB, qui irrite fortement le chef du 5e corps américain dont elle dépend désormais, sont néanmoins surmontées. Renseigné par la Résistance, Leclerc se prépare à relancer vigoureusement l’action le lendemain matin, et le soir même il envoie dans la capitale un détachement de reconnaissance commandé par le capitaine Dronne. De source sûre, Leclerc sait en effet que von Choltitz souhaite se rendre sans attendre l’arrivée de renforts qui lui imposeraient une résistance acharnée. Le 25 matin, la 2e DB pénètre donc sans difficulté dans Paris, les défenseurs de la ceinture extérieure s’étant repliés pendant la nuit. Les unités attaquent les principaux centres de résistance. Surtout, le colonel Billotte qui a compris que l’ «effet majeur» consistait à capturer von Choltitz pour qu’il donne l’ordre aux unités allemandes de cesser le feu, prend les dispositions qui s’imposent pour agir dans ce sens. Des contacts sont établis avec l’état-major allemand via le consul de Suède et plusieurs intermédiaires. Choltitz est disposé à se rendre, mais il ne le fera qu’après un baroud d’honneur destiné à le mettre sa famille à l’abri des représailles du régime hitlérien. L’assaut de l’hôtel Meurice qui suit, en début d’après-midi, permet de faire prisonnier le gouverneur militaire allemand et de faire cesser la résistance de centres et points d’appuis qui aurait pu se prolonger encore longtemps, comme au Luxembourg7.

Abordage de Paris là où les défenses allemandes sont les plus étoffées (Tous droits réservés)

7 Il est à noter que la 2e DB a bénéficié d’une aide importante de la part de la 4e DI US qui a libéré la moitié est de Paris.

La 2e DB de Utah Beach à Paris

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10 Soldats de FranceSpécial commémorations n°2 - Été 2019

La 2E db dE UtaH bEaCH à PaRIs (1ER aOUt aU 7 sEPtEmbRE 1944)

Le rôle du général de Gaulle, arrivé le jour même, s’en trouve singulièrement facilité. Il peut s’adresser à la population parisienne en célébrant la libération de Paris «par son peuple avec le concours des armées de la France» et, dès le lendemain, défiler de l’Etoile à la Concorde, puis se rendre à Notre- Dame.

Des fusillades dont les auteurs ne sont pas identifiés sont déclenchées, mais la présence de la 2e DB permet de garder la situation sous contrôle. Outrepassant une nouvelle fois les ordres américains, Leclerc a utilisé les deux tiers de ses effectifs pour assurer la sécurité du défilé et un tiers seulement pour couvrir Paris face aux forces allemandes arrivant du Nord-Est, qui sont repoussées les jours suivants. La présence de la 2e DB à Paris jusqu’au 7 septembre, conjuguée à l’appui que les Américains acceptent d’apporter à de Gaulle pendant cette période, consolident son autorité et celle du GPRF. Ce dernier sera définitivement reconnu par les Alliés le 23 octobre 1944.

Conclusion

En août 1944, la 2e DB est ainsi parvenue à remplir sa mission en surmontant de nombreuses difficultés. Sans la détermination de Leclerc et l’allant des exécutants, les événements auraient pu prendre un tour tragique, malgré l’aide américaine, du fait de l’arrivée des renforts allemands dans la capitale et de la résolution de la composante extrémiste de la Résistance8 à s’emparer coûte que coûte du pouvoir ou à y conquérir une position clé9.Si la 2e DB a atteint l’objectif politique qui lui était fixé, son désengagement au moment de la fermeture de la poche de Falaise a en revanche amené de lourdes conséquences. Fermée à grand-peine, le 19 août, la poche a été rouverte le 20 grâce à une contre-attaque menée de l’extérieur par des unités blindées SS qui en avaient été retirées pendant les jours précédents. Isolés sur le mont Ormel, les Polonais de la 1ère DB n’ont pu empêcher 25 000 Allemands environ d’échapper à l’anéantissement ou à la capture, les 20 et 21 août. Début septembre, les divisions remises sur pied grâce à ces rescapés contribueront à l’enrayement de la progression alliée, à Arnhem notamment10. Si les capacités de la 2e DB ne sont pas en cause dans cet épisode, nous avons noté qu’elles le furent en revanche, au moins partiellement, dans l’échec de la première tentative de fermeture de la poche et dans l’abordage des défenses de Paris.Il n’en demeure pas moins que la 2e DB a effectué d’importants progrès pendant toute cette période et qu’ils seront confirmés pendant la suite de la campagne qui la mènera

8 Pour reprendre la formule d’Adrien Dansette.9 A plusieurs reprises, Roll Tanguy, chef de la Résistance en Île-de-France avait annoncé que Paris valait bien 200 000 morts, point de vue qui était largement partagé au sein de la composante extrémiste de la Résistance.10 Elles seront aidées en cela par les problèmes de ravitaillement en carburant des Alliés auxquels la libération de Paris, et l’effort logistique qu’elle a nécessité, ne sont pas étrangers.

La descente des Champs Elysées, le 26 août 1944 Source : Imperial War Museum

La 2e DB de Utah Beach à Paris

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11 Soldats de FranceSpécial commémorations n°2 - Été 2019

La 2E db dE UtaH bEaCH à PaRIs (1ER aOUt aU 7 sEPtEmbRE 1944)

jusqu’à Strasbourg, objectif du serment de Koufra prononcé en mars 1941.Sans avoir participé à des opérations aussi remarquables que celles du corps expéditionnaire français en Italie et de ses grandes unités, ni avoir atteint le niveau des divisions de Panzer à leur apogée, la 2e DB de 1944 n’en constitue pas moins un outil de combat efficace. «L’esprit guerrier» qui la caractérise aurait sans doute contribué à changer le cours des événements à Sedan, en mai 1940, s’il avait inspiré les chefs qui annulèrent la contre-attaque blindée de Stonne, les 14 et 15 mai, du fait de leur manque de confiance, ou animé leurs subordonnés qui acceptèrent de tels ordres alors que les équipages étaient plein d’allant.

Lieutenant-colonel Christophe GuéOfficier référent Histoire à la Délégation au Patrimoine de l’armée de Terre

La 2e DB de Utah Beach à Paris