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Crimes rituels : sur l'autel de la puissance et de l'impunité 10/06/2014 à 19:01 Par François Soudan x Après une onction à l'essence et au gros sel, cette fillette est symboliquement découpée à la m © Gwenn Dubourthoumieu Enfants kidnappés, albinos massacrés, cadavres mutilés... Pour s'attirer fortune et pouvoir, certains monnaient cher cérémonies macabres ou trafics d'organes. Enquête sur un scandale qui, étrangement, refait surface avant chaque élection. C'est une litanie fortement déconseillée aux âmes sensibles, un long martyrologue dont les journaux du continent font leur miel, la chronique d'une barbarie ordinaire et terriblement actuelle. Dimanche 25 mai 2014, quartier Mimboman, à Yaoundé, Cameroun : pour la troisième fois en deux semaines, le corps mutilé d'une jeune femme est découvert, gisant dans les broussailles, à quelques dizaines de mètres du terrain vague où, il y a un an et demi, sept de ses soeurs d'infortune avaient été éventrées. Mercredi 14 mai, province de Simiyu, dans le nord de la Tanzanie : pour la énième fois, la police procède à l'arrestation d'un couple de guérisseurs, meurtriers d'une albinos dont ils avaient prélevé les jambes après l'avoir massacrée à coups de hache. >> Lire aussi : Swaziland : les Albinos dans la peur des crimes supersitieux avant les élections http://www .jeune

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Crimes rituels : sur l'autel de la puissance et de l'impunit10/06/2014 19:01 Par Franois SoudanxEnvoyer un articleHaut du formulaireVotre Nom *Votre Email *Le nom de votre ami *Adresse Email de votre ami *Message *

Tous les champs marqus * sont obligatoiresBas du formulaireAprs une onction l'essence et au gros sel, cette fillette est symboliquement dcoupe la m Gwenn Dubourthoumieu Enfants kidnapps, albinos massacrs, cadavres mutils... Pour s'attirer fortune et pouvoir, certains monnaient cher crmonies macabres ou trafics d'organes. Enqute sur un scandale qui, trangement, refait surface avant chaque lection.C'est une litanie fortement dconseille aux mes sensibles, un long martyrologue dont les journaux du continent font leur miel, la chronique d'une barbarie ordinaire et terriblement actuelle. Dimanche 25mai2014, quartier Mimboman, Yaound, Cameroun : pour la troisime fois en deux semaines, le corps mutil d'une jeune femme est dcouvert, gisant dans les broussailles, quelques dizaines de mtres du terrain vague o, il y a un an et demi, sept de ses soeurs d'infortune avaient t ventres.Mercredi 14mai, province de Simiyu, dans le nord de la Tanzanie : pour la nime fois, la police procde l'arrestation d'un couple de gurisseurs, meurtriers d'une albinos dont ils avaient prlev les jambes aprs l'avoir massacre coups de hache.>> Lire aussi : Swaziland : les Albinos dans la peur des crimes supersitieux avant les lectionstat de Benue, sud du Nigeria, le mme jour : deux adolescents rescaps par miracle racontent comment ils ont t enlevs sur le chemin de l'cole et amens dans une clairire, o une dizaine de jeunes attachs l'un l'autre attendaient d'tre dcapits sur l'ordre d'une vieille femme.Ibadan, troisime ville du Nigeria, le 22mars. Une unit antigang donne l'assaut une btisse abandonne, frocement dfendue par des miliciens arms de fusils, d'arcs et de machettes. l'intrieur de ce que la presse appellera "la maison de l'horreur" : un cauchemar de squelettes, de corps dcoups, et quinze prisonniers enchans dans un tat de malnutrition extrme.De la Cte d'Ivoire l'Afrique du Sud, du Togo au Kenya, des enfants, des handicaps, des adultes continuent d'tre engloutis dans la spirale mortifre de la fascination pour les valeurs matrielles et les enjeux de pouvoir.Makokou, chef-lieu de la province de l'Ogoou-Ivindo, lieu de haute concentration ftichiste dans le nord-ouest du Gabon, en fvrier : la police enqute sur le cas d'une douzaine de Camerounaises disparues sans laisser de traces.Ici comme ailleurs, de la Cte d'Ivoire l'Afrique du Sud, du Togo au Kenya, des enfants, des handicaps, des adultes continuent d'tre engloutis dans la spirale mortifre de la fascination pour les valeurs matrielles et les enjeux de pouvoir.Les crimes rituels et les trafics d'organes sont devenus un commerce transnational, attractif et florissant o tout s'achte et tout se vend en pices dtaches : coeur, yeux, pnis, clitoris, cerveau, membres, cheveux, ongles, sang, langue... Les organes les plus priss, donc les plus chers (jusqu' l'quivalent de 2 000euros, voire trois fois plus lorsqu'il s'agit de rmunrer en outre l'assassin fournisseur), tant ceux des albinos, des mtis, des Pygmes, des jumeaux et de leurs parents. Dans un pays comme le Nigeria, la pointe de l'innovation mercantile en ce domaine, plusieurs "usines bbs", o des femmes venaient livrer contre rmunration leur progniture des fins de mise en pices, ont ainsi t dmanteles en2011 et2012. Personne ne se fait d'illusions : ce n'tait l que la partie merge d'un iceberg de meurtres rituels.La peur du vampirismePartout, le niveau de frquence de cette criminalit s'accrot brusquement l'approche des chances sociales et politiques, surtout par temps prlectoraux. Au Gabon, au Cameroun, dans les deux Congos, en Afrique de l'Est, au Nigeria et jusqu'en Guine-Bissau, la population vit alors un tat de stress permanent. Reviennent le syndrome de la voiture aux vitres teintes qui guette les gamins isols la sortie des coles et la danse macabre des visiteurs nocturnes de cimetires la recherche frntique d'ossements humains. On vite les plages et les ruelles mal claires. La peur du vampirisme est omniprsente.Pour fonde qu'elle soit -les exemples de politiciens ayant recours ce type de pratiques sont nombreux-, cette psychose collective rcurrente n'en est pas moins admise comme banale et culturellement intgre par les populations. Presque toutes les personnalits occupant des postes suprieurs dans la fonction publique, les ministres et en premier lieu les chefs d'tat passent en Afrique centrale pour des individus qui la sorcellerie a t favorable. Et il est courant, Brazzaville, Libreville, Kinshasa ou Kampala, que la richesse des hommes d'affaires et le pouvoir des politiques soient apprhends, ainsi que l'a analys l'universitaire gabonais Joseph Tonda, "sur le schma de la mise mort des autres et de leur consommation".Ce pouvoir sorcier, que l'on dtient aprs avoir "mang", au sens propre ou occulte, le principe vital d'une victime, voire de son propre enfant, explique souvent aux yeux de l'opinion l'ascension sociale, la fortune, ou encore le maintien indfini sur le trne prsidentiel. Aprs tout, les chefs d'tat africains ne sont pas les derniers dambuler dans un univers sotrique et mondialis peupl de magie vaudoue ou indienne, de kabbale new age et de talismans chamaniques. L'animal totem d'un Mobutu n'tait-il pas la panthre carnivore ?Dans des pays o le ftichisme politique cohabite avec de trs fortes ingalits sociales, il n'est pas tonnant que la classe politique soit systmatiquement accuse de commanditer des meurtres rituels.>> Lire aussi : la sorcellerie au coeur du pouvoir : petits secrets de PalaisDans des pays o le ftichisme politique cohabite avec de trs fortes ingalits sociales et o la russite dpend beaucoup plus de l'appartenance une famille et un clan qu'au travail individuel de chacun, comme au Gabon, en Guine quatoriale, au Congo voire au Nigeria, il n'est pas tonnant que la classe politique soit systmatiquement accuse de commanditer des meurtres rituels, lesquels demeurent gnralement impunis, afin de brler les tapes qui la mnent au sommet.Fables d'anthropophagieCertes, nous sommes ici aussi dans le domaine empoisonn des fausses rumeurs, comme celle des "voleurs de sexes", reste fameuse et qui fit des dizaines de victimes innocentes lynches mort au Sngal, au Ghana, au Gabon et au Nigeria, entre1999 et2001 -et qui vient de rapparatre Nkongsamba, au Cameroun, dbut 2014. Certes, la fable colporte par ses opposants selon laquelle le prsident quato-guinen Obiang Nguema aurait pour habitude de dvorer des testicules humains n'a pas plus de ralit que l'anthropophagie attribue Jean-Bedel Bokassa ou que le vampirisme des rabbins russes du XIXesicle, coupables, selon la police du tsar, de confectionner du pain azyme avec le sang des chrtiens.Il n'empche : qu'on le veuille ou non, les crimes rituels sont une ralit qu'il convient de dnoncer et de punir, alors que la justice et la police sont trop souvent impuissantes, ttanises voire complices face ce phnomne en pleine expansion. Il serait galement souhaitable, sauf courir le risque de voir leurs analyses constamment dmenties par les faits, que les diplomates, ONG, institutions financires et mdias occidentaux sortent de leurs prismes europo-centrs et prennent srieusement en compte cette "autre Afrique" au sens large, surtout lorsqu'ils prtendent dcrypter les trajectoires des politiciens et les lections pluralistes.Ces croyances et leurs expressions parfois tragiques s'imposent tous les acteurs de la scne politique et conomique africaine, y compris ceux -et ils sont nombreux, particulirement dans les sphres dirigeantes- passs experts dans l'art de renvoyer leur interlocuteur venu du Nord le visage et le langage que ce dernier attend d'eux. Peau noire, masques blancs...Du pain bnit pour la presseLes images de mauvaise qualit tales en une des quotidiens sont insoutenables, le titre sans quivoque : "Crimes rituels", l'expression fait vendre. Entre fantasme et ralit, les rcits et les conclusions les plus hasardeuses noircissent une presse avide de sensations fortes et qui trouve sans difficult un lectorat paranoaque. Cette brusque flambe de notorit est rcente, explique Franois Ndjimbi, directeur de la rdaction de Gabonreview.com : "Avant la diffusion d'un reportage intitul Les organes du pouvoir sur Canal+, puis l'intervention de la premire dame du Gabon, ces crimes taient traits normalement dans les pages des faits divers." Depuis, les histoires se sont multiplies, au risque de conclure au crime rituel un peu vite. Au Cameroun, un homme d'affaires a t jet en pture l'opinion publique par un ministre, ruinant durablement la rputation du businessman. Tout rcemment, dans le cadre des expulsions de migrants RDCongolais du Congo-Brazzaville, certains d'entre eux ont t accuss sans preuve par les mdias d'avoir vol des enfants des fins rituelles. Michael Pauron