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Critique du Seigneur Des Anneaux

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Critique et analyse détaillée de la trilogie du Seigneur Des Anneaux par Clément Bastie.

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Remerciements

Je tiens à remercier mes parents pour leur soutien et leur compréhension pour ma passion plus que dévorante. Merci de toujours m’avoir laissé libre de vivre cet amour et de m’en avoir donné les moyens.

Merci à ma sœur pour l’intérêt qu’elle porte à mes penchants et son inaltérable manie de me pousser à me passionner encore plus pour cet univers (ainsi qu’aux autres). Merci aussi de m’avoir permis d’assister au concert philarmonique de la symphonie d’Howard Shore, un moment unique que je ne suis pas prêt d’oublier.

Enfin et surtout, je tiens à remercier mon vieil ami. Parce que nous partageons le même attachement à ce monde fabuleux ; que la même flamme rêveuse, utopique et mélancolique nous anime. Mon imaginaire et ma passion du cinéma se sont nourris de nos interminables discussions. Et mon chemin de vie s’est pavé de ces expériences communes, de notre éternelle amitié. Merci.

Droit d’Auteur

TOLKIEN est une marque déposée de The Tolkien Estate Limited. LE SEIGNEUR

DES ANNEAUX est une marque déposée de The Saul Zaentz Company d/b/a Tolkien Enterprises. Les noms, références et concepts exposés restent la propriété de leurs auteurs et de leurs ayants droit respectifs. Cette analyse n'est ni autorisée, ni affiliée, ni agrée par les ayants droit de J.R.R. Tolkien ou par New Line Cinema. L'ensemble des images et citations utilisées sont la propriété de leurs auteurs respectifs et utilisées à but illustratif et non lucratif.

Toute reproduction totale ou partielle de ce qui suit est interdite sans l'accord de l'auteur.

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Avant-Propos

Comment argumenter sur le film qui a profondément changé le cours de ma vie ? Cette œuvre qui m’a initié à l’héroic-fantasy, et qui m’a fait découvrir un monde imaginaire si vaste qu’il dépasse tout ce dont j’avais rêvé. Comment oser, dès lors, en parler objectivement quand l’œuvre même, fait partie de nous ? Il y a des choses que le temps ne peut faire disparaître ; un amour si profond, qu’il s’est emparé de vous…

Qu’importe ! Me voilà décidé à coucher noir sur blanc ma passion pour ce chef-d’œuvre, ou plutôt ces chefs-d’œuvre puisque je vais vous parler des trois films qui composent la trilogie du Seigneur des Anneaux. Même s’il est difficile de les séparer, ayant été tournés ensemble et possédant une continuité unique, ces trois volets étaient nécessaires, et il convient donc d’en respecter le découpage. Heureusement d’ailleurs que Peter Jackson a été intransigeant sur ce point là car les studios ne voulaient faire qu’un ou deux films au maximum… Il est aujourd’hui très dur d’imaginer les parties, toutes essentielles, de l’histoire qui seraient alors passées à la trappe.

Quelle histoire ? Il me semble opportun de revenir un instant sur le véritable phénomène qu’a été, est et sera Le Seigneur des Anneaux. Une œuvre phare de la littérature, et pas seulement de la fantasy. Une aventure intemporelle dans un univers d’une richesse inégalée, un style littéraire tout particulier et une aisance dans la création et la maîtrise des différents peuples, personnages, faune et flore, cartographie et langues imaginaires. Pas si irréels pourtant puisque Tolkien a dressé de superbes cartes, et inventé de nombreuses langues, avec chacune leur alphabet, leur étymologie et leur histoire. Ne se contentant pas de raconter une légende mais créant un monde unique, vaste et féerique comme seul un génie peut le faire, il marque un profond renouveau dans la littérature fantastique.

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Son auteur, John Ronald Reuel Tolkien est un professeur d’université anglais, né en 1892. Très jeune orphelin, il passe son enfance dans la campagne anglaise, ce qui lui inspirera plus tard les paysages de la Comté. Son adolescence lui permet d’affirmer son goût pour la poésie et les langues, il fonde même un club privé avec ses amis, se réunissant pour lire et échanger leurs idées. Malheureusement cette époque d’insouciance est interrompue par la Première Guerre Mondiale, et après un entrainement en Angleterre, il est envoyé en France pour servir d’officier de liaison. Il sera rapatrié à cause de la fièvre des tranchées et parviendra à en guérir lentement. Malheureusement nombre de ses amis tombent aux champs d’honneur et cette époque le marquera terriblement. Après sa convalescence, il devient professeur de lettres, rencontre C.S. Lewis qui deviendra son ami proche, et écrit les premiers Contes Perdus. Dessinant peu à peu les contours de son univers fantastique, son « legendarium » comme il aimait à l’appeler. Il écrit Bilbo le Hobbit pour ses enfants et en 1937 et qui sera finalement publié. Après son immense succès il en entame la suite : Le Seigneur des Anneaux. Il lui faudra douze ans pour clore son histoire, qu’il n’avait pas originellement séparée en trois tomes, le prix du papier l’y a tout simplement forcé. 150 millions d’exemplaires seront vendus à travers le monde, traduits dans une trentaine de langues.

Avant de passer au vif du sujet avec le premier film, il convient de rendre hommage à Peter Jackson. Ce jeune réalisateur néo-zélandais, avec pour quasi seule filmographie des films gores, certes devenus cultes mais au public très restreint, caresse le rêve de porter à l’écran cette œuvre de Tolkien réputée inadaptable.

En effet en 1957, soit seulement deux ans après la parution du livre, trois producteurs en achètent les droits et commencent l’écriture du script, ce dernier déplaira totalement à Tolkien et l’abandon du projet pour raisons financières mettra fin au problème. Il faudra attendre seulement trois ans pour qu’une nouvelle adaptation soit imaginée, et cette fois par les Beatles ! Les cinq garçons dans le vent s’imaginent déjà dans les rôles principaux. Heureusement pour nous, il leur sera impossible d’acquérir les droits car United Artists vient de les obtenir pour confier la réalisation à John Boorman, monsieur Excalibur. Son script tient sur un film de deux heures-trente, dans lequel il ajoute des références psychologiques et sexuelles outrageusement éloignées du récit de Tolkien. Finalement rejetée par la direction de United Artists,

l’adaptation de Boorman ne verra pas le jour et c’est donc uniquement en dessin-animé que l’on pourra voir notre histoire prendre vie, à la fin des années 70. Le film de Ralph Bakshi est un échec commercial et également artistique pour beaucoup, un étrange découpage, un dessin approximatif et des raccourcis effrayants plombent les suites initialement prévues.

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Il faudra donc attendre trente ans pour que le projet soit à nouveau d’actualité. Peter Jackson reçoit des propositions d’Hollywood ; deux remakes : celui de King Kong et celui de La Planète des singes et l’adaptation du Seigneur des Anneaux. Le second est confié à Tim Burton et Jackson choisit le fameux gorille, un de ses rêves d’enfant, tout en mettant une option sur la trilogie. Mais les sorties de Godzilla puis de Mon ami Joe font repousser le projet, il décide alors de s’attaquer à cet incroyable défi, et y consacrera sept ans de sa vie.

C’est sa manière de travailler et son implication totale dans le projet qui seront pour beaucoup dans la réussite de la trilogie. Il opte en effet pour un tournage très long et très épuisant pour les acteurs et pour toute l’équipe, les trois films seront tournés en même temps. Les acteurs vivent ensemble dans de simples caravanes pendant plus d’un an, une ambiance familiale unique dans ce genre de projet s’installe sur les plateaux et les amitiés devant la caméra deviennent alors bien réelles. Les journées sont extrêmement longues, surtout pour les acteurs portant de lourds artifices. Les heures de maquillage épuisent mais rapprochent également. Les équipes de Weta Workshop travaillent elles aussi d’arrache-pied, la quantité d’objets à inventer, dessiner et façonner est tout simplement ahurissante. Elles seront aidées par deux des plus grands dessinateurs de fantasy : Alan Lee et John Howe. Ces deux génies à l’imagination débordante veilleront au respect de l’œuvre de Tolkien lors de son passage du rêve à la réalité. Peter Jackson, comme toute une bonne partie de ses équipes, ne dormira presque pas. Les phases de pré et post-production seront terriblement intenses pour lui, son épouse Frances Walsh et Phillipa Boyens avec qui il a coécrit le scénario. C’est de ce travail colossal effectué par tous et de cette véritable vie en communauté que la sincérité de l’œuvre s’explique le mieux. Une manière de faire très rare et qui porte pourtant une grande part de l’excellence de l’œuvre.

Je vous conseille vivement d’écouter la symphonie d’Howard Shore durant votre lecture, pour une immersion totale dans cet univers merveilleux.

Je tiendrai mon analyse sur la version longue de la trilogie, puisqu’il s’agit là du tableau complet et final de l’œuvre. Les scènes supplémentaires étant vraiment très enrichissantes pour le récit, il est plus que recommandé de la voir sous cette forme définitive.

Dans cette étude, tout à fait personnelle, j’essaierai d’être le plus objectif possible ; bien qu’elle ne se veuille en aucun cas idéologique ou doctrinal. Si parfois mon style se pare du ton de la certitude, c’est la ferveur qui m’habite qui en sera seule responsable.

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La Communauté de l’Anneau

Premier volet de la trilogie, La Communauté de l’Anneau sort en 2001 et devait frapper fort, les deux autres films ayant déjà été tournés. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le pari est largement remporté. Sa sortie mondiale est un immense succès, avec presque 900 millions de dollars de recettes. Il recevra quatre oscars « techniques » dont celui de la meilleure musique originale.

Cette dernière est un des piliers du film mais aussi de toute la trilogie. La musique qu’a composée Howard Shore est une véritable symphonie qui n’a rien à envier aux grands classiques. Là où la plupart des films ne se contentent que de musiques d’ambiance et au mieux, d’un thème pour les accompagner, ici la composition est tout simplement considérable. Sa seule écoute permet d’ailleurs de vivre ou de revivre tous les évènements relatés, un peu à la manière de Prokofiev ou de Wagner. Un récital tout bonnement unique dans l’histoire du cinéma, où jamais un compositeur ne sera allé si loin, et avec autant de génie.

Mais la musique ne suffit pas au cinéma ! Les images aussi ont leur importance, ce qui semble encore plus vrai pour ce premier film. Elles sont à couper le souffle, les couleurs sont réellement sublimes et la lumière magnifiquement utilisée. Le spectateur est aussitôt plongé dans la Terre du milieu par une superbe photographie (elle aussi récompensée par un oscar) mais aussi grâce à un style tout particulier. Délaissant le ton parodique ou souvent décalé de certaines adaptations, Peter Jackson nous livre ici une histoire pure et sensible sans les artifices de l’humour ou de l’onirisme. Le pari était donc amplement risqué, car l’œuvre devait être parfaitement maîtrisée pour faire face aux fans et surtout au temps. La sincérité dont j’ai parlé plus haut a donc ici toute son importance, ce qui permettra au film d’être apprécié tant par le public que par la critique.

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L’histoire nous est parfaitement contée à travers les sublimes paysages de la Terre du Milieu, ou plutôt de la Nouvelle-Zélande, on ne sait plus vraiment car on finit par superposer ces deux magnifiques territoires. La Comté est frappante de véracité, Isengard et la tour d’Orthanc dont les pierres noires nous font frémir. Semblant plus vraies que nature, les Mines de la Moria me laissent toujours aussi ébahi que la première

fois… Tous les décors ont été si bien dessinés et conçus que l’on se met immédiatement à voyager dans ce monde pourtant inaccessible. Le réalisme avec lequel l’histoire a été traitée était lui aussi un pari dangereux, mais sa réussite totale confère encore plus de mérite et d’authenticité à l’œuvre.

A noter également, même si cela reste un détail est n’a que peu d’importance vu qu’il ne s’agit pas de la version originale, la qualité du doublage français. En effet, pour toute la trilogie et à l’exception de Legolas, l’ensemble des personnages sont parfaitement doublés et l’adaptation des dialogues est tout à fait remarquable. Un film, ou plutôt trois, qui se regardent tout autant en VF qu’en VO, c’est assez rare pour être souligné ! Mention spéciale à Jean Piat, dont la voix, belle et gutturale, sera à jamais associée à Gandalf.

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L’ouverture du film avec l’extraordinaire prologue (qui sous une autre direction artistique aurait pu très vite sombrer dans le téléfilm fantastique de piètre qualité) est en elle-même une folle réussite. Le ton est donné, et la suite va tenir toutes ses promesses. Le titre apparaît sur Bilbon commençant son récit. Il l’entame par une touchante description des us et coutumes des Hobbits, tout comme Tolkien l’a fait dans son livre. Un bien bel hommage pour commencer une adaptation.

Au contraire de Gandalf à l’intérieur de Cul-de-sac, on se sent incroyablement petit face à l’immensité de la Terre du Milieu mais aussi face à la grandeur de l’histoire que l’on découvre ici. Dès les premières minutes, les émotions sont là : joie, émerveillement, mais aussi nostalgie avec le vieux Bilbon sur le départ. Les personnages se présentent presque d’eux-mêmes, évitant ainsi des lourdeurs scénaristiques. Comme par exemple l’immaturité des deux compères Merry et Pippin avec la scène des feux d’artifices, ou l’étrange lien unissant Frodon et son oncle Bilbon, ainsi que la fragilité de ce dernier lors de leur dialogue sous la tente au cours de la fête.

En quelques minutes seulement, la Comté nous est déjà parfaitement familière, ce qui sera essentiel pour notre engagement aux côtés des quatre petits héros dans leurs aventures pour sa protection. Et celles-ci commencent lorsque l’œil de Sauron apparaît pour la première fois à Gandalf lorsqu’il effleure l’Anneau laissé par Bilbon. Dès lors, l’intensité du récit se fait sentir. La vision de Barad-Dur reconstruite au bas de laquelle Gollum est torturé, ainsi que Gandalf arrivant à Minas Tirith ne font que le confirmer : nous allons vivre de très grandes choses avec ces personnages. L’ambiance change du tout au tout avec l’arrivée des Esprits Servants, terriblement effrayants, surtout mis en parallèle avec l’insouciance régnant à la Comté.

Gandalf lui-même, que l’on croyait au dessus de toute menace, semble apeuré par le pouvoir de l’Anneau. La peur s’empare alors de nous, derrière qui pouvons-nous nous protéger de ce mal ? Apparemment personne, et sûrement pas Saroumane chez qui le magicien voulait chercher de l’aide. La célèbre réplique de Gandalf : « Ne me tentez pas Frodon ! » illustre pour la première fois de toute la saga le plus grand danger de l’Anneau, sa capacité à corrompre les plus sages esprits. Ce qui guidera la suite de l’histoire, le conseil d’Elrond, la tentation de Boromir, puis celle de Galadriel.

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Frodon quitte alors la Comté pour commencer son périple, accompagné par son ami Samsagace Gamegie. C’est la première grande liberté prise avec le livre, dans lequel plusieurs années s’écoulent entre la découverte des pouvoirs de l’Anneau et le départ de Frodon. Une liberté tout à fait justifiée selon moi, instaurant une notion d’imminence du danger et de suspens très bénéfique pour le récit cinématographique. Autre différence importante : la rencontre fortuite de Frodon et Sam avec Merry et Pippin du film est un accord longuement mis en place dans le livre. Ce changement est lié à la rapidité du départ de Frodon et semble toute à fait naturel, confiant ainsi à leurs personnages un caractère plus « enrôlés de force » dont ils pourront se défaire par choix au cours de l’histoire.

Vient ensuite la rencontre avec Grands-Pas, subtilement amenée dans une auberge de Bree criante de vérité. La mise au doigt de l’Anneau accidentelle par Frodon marque aussi son premier passage dans le royaume des ombres, nous plongeant un peu plus dans un univers risqué et particulièrement effrayant. Idée renforcée par l’arrivée des Spectres et leur tentative d’assassinat de nos compères. Grands-Pas semble alors un allié de taille dans les difficultés à venir… Ou comment, encore un fois, une

simple petite scène pose d’emblée un personnage aussi passionnant et universel qu’Aragorn. Le héros solitaire à la mémoire alourdie par le passé de ses ancêtres, amoureux d’une princesse inaccessible : un savant mélange de Lancelot, Tristan et Siegfried.

La soumission de Saroumane aux volontés de Sauron a pour conséquence la déforestation de l’Isengard et l’industrialisation massive de la région. Un message écologique cher à Tolkien qui est ici parfaitement traduit. La grandeur des elfes, avec leur vie en osmose avec leur environnement l’illustre aussi très bien. Mais ceci est pourtant loin d’être simpliste, en nous présentant par exemple des cités humaines magnifiques ou une maîtrise parfaite de la nature par la race naine, teintée de respect et d’admiration.

L’extraordinaire scène où Gandalf saisit au vol un papillon sur le toit d’Orthanc, sublimée par une superbe voix chantée en bande-son est la première d’une des trois scènes les plus visuellement poétiques. Une dans chacun des films, toujours avec Gandalf et un chant pur et intense en arrière-plan. Dans Les Deux Tours ce sera sa chute avec le Balrog au dessus du lac souterrain dans le rêve de Frodon, et dans Le Retour du Roi, sa course devant Minath Tirith pour éloigner les Nazguls.

Nouvelle liberté prise avec l’œuvre originale : c’est Arwen qui conduit Frodon à Fondcombe, alors que dans le livre ce rôle revient à Glorfindel. Un choix tout aussi sage puisqu’il évite l’apparition d’un nouveau personnage secondaire éphémère et permet d’établir la relation entre Aragorn et Arwen. La découverte de Fondcombe est d’ailleurs

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un éternel ravissement, les couleurs d’automne et la mélancolie toute particulière planant sur cette cité ancestrale tiennent réellement du génie.

Le conseil d’Elrond nous fait découvrir trois nouveaux personnages qui feront partie de la Communauté. Boromir, le fils de l’Intendant du Gondor nous est présenté comme fort et fier, sûr de pouvoir maîtriser le pouvoir de l’Anneau pour le bien de son peuple. Posé et pragmatique, il incarne un homme sensé et raisonnable, un personnage majeur qui sera encore mieux cerné par la suite, surtout dans sa relation avec son père. Gimli et Legolas semblent faits pour se détester, ils lançent le débat stérile sur la race devant porter l’Anneau en Mordor, ce qui offre à Frodon la « chance » de se proposer comme porteur. La Communauté est alors formée dans une scène qui commence sur un ton grave et historique et qui flirte avec la légèreté et la bonne camaraderie avec l’arrivée des trois petits Hobbits.

C’est là que la première partie de l’histoire s’arrête… Eh oui, le seul inconvénient

de la version longue, c’est que les films sont coupés en deux, sur deux DVD séparés. Ce qui reste tout de même un problème bien faible face aux trente minutes d’images en plus. De plus cette coupure existe aussi dans les livres de Tolkien, qui sont chacun divisés en deux, faisant six livres au total. La première partie de la Communauté de l’Anneau pose les prémisses de l’aventure : le voyage jusqu’à Fondcombe et la création de la Communauté alors que la suite nous en présentera les péripéties.

Un constat est alors fait par tous les amateurs de l’œuvre de JRR Tolkien : nous

ne verrons pas Tom Bombadil à l’écran ! Ce personnage haut-en-couleur a été abandonné par Peter Jackson et son équipe, non sans regret mais également non sans

raisons ! Effectivement le côté tout à fait fantasque et irréel de l’individu et de son royaume idyllique auraient été en parfait décalage avec le reste de l’adaptation. Il est vrai qu’il est difficile d’imaginer comment ce bonhomme farceur aurait pu se retrouver au milieu de l’épopée tragique qui se met en place. D’ailleurs, personnellement, je n’affectionne pas particulièrement ce passage du livre ; plus proche des contes pour enfants que Tolkien écrivait que de la réelle dramaturgie du Seigneur des Anneaux. Son abandon et donc pour moi tout à

fait justifié, une excellente manière de recentrer l’histoire sur l’action principale et de gagner en intensité.

Cette première fraction de la saga est donc une formidable introduction, nous présentant de manière touchante et subtile les différents personnages que nous suivront par la suite, mettant en place la trame scénaristique et le contexte magique et pourtant incroyablement crédible dans lequel notre histoire est amenée à se dérouler.

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La seconde partie s’ouvre sur les chapeaux de roues avec le thème principal aux cuivres sur des scènes lointaines magistrales, d’abord au passage du Sud puis au col de Caradhras. L’aventure de la Communauté commence bel et bien. Au col, justement, Frodon perd l’Anneau en chutant dans la neige, et Boromir le lui rend après une brève absence. Difficile d’imaginer comment il aurait pu lui échapper si facilement, surtout compte-tenu de la longueur relative de la chaîne placée sous la cape du petit Hobbit. Il est donc facile de voir ici la volonté propre de l’Anneau s’exprimer, faisant tout pour retrouver son porteur, quitte à en séduire un temporaire pour y parvenir. Et la méfiance de Frodon et d’Aragorn envers Boromir s’accentue donc, alors que ce dernier tente de lutter intérieurement entre les volontés de son père et sa propre sagesse…

« Nous n’avons plus le choix désormais, nous devrons affronter les ténèbres de la Moria » Gandalf

Le col de Caradhras est impossible à franchir, la décision revient donc au porteur de l’Anneau : la Communauté passera par les Mines de la Moria. Ce choix nous offre un des plus beaux moments de la trilogie. L’extérieur de ce lieu (les murs de la Mine, le lac et son monstre) comme l’intérieur (la Tombe de Balin et la grande cité de Cavenain) sont de purs bijoux de conception et de réalisation. Un sentiment de puissance et d’insécurité, ainsi qu’une étrange sensation de liberté dans un endroit pourtant si oppressant nous envahissent. Le travail des équipes de Weta Workshop et Digital est réellement remarquable sur cet environnement crée de toutes pièces.

Le dialogue entre Gandalf et Frodon est un des instants les plus touchants et les plus pénétrants des trois films. Ce dernier lui dispense ses derniers conseils les plus sages : « Nombreux sont les vivants qui mériteraient la mort et les morts qui mériteraient la vie. Pouvez-vous leur la rendre Frodon? Alors ne soyez pas trop prompt à dispenser mort et jugement. Même les grands sages ne peuvent connaître toutes les fins. ». Quatre phrases superbement prononcées par un Ian McKellen bouleversant de sincérité qui mettent en lumière le caractère imprévisible de la vie, la nécessité de suspendre son jugement et l’importance de chaque action sur le destin de tous. Et avec « Comme tous ceux qui vivent des heures si sombres, mais ce n'est pas à eux de décider. Tout ce dont nous devons décider, c'est que faire du temps qui nous est imparti.» il confirme que si le destin a sa part de responsabilité, notre rôle et d’agir selon notre volonté et notre conscience, sans se laisser envahir par le découragement.

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Un passage bien philosophique précédant une scène à couper le souffle : la découverte de la grande cité de Cavenain. C’est le cœur serré par une musique déchirante et un visuel extraordinaire que nous pénétrons avec eux dans cette majestueuse ville souterraine. C’est ensuite par une idiotie de Pippin, qui sera loin d’être la dernière, que l’action s’amorce. Toutes les engeances habitant ces mines se ruent vers la tombe de Balin, accompagnées par un Troll en chair et en os qui nous offre la première bataille de notre aventure. Celle-ci est rude, tant par son déroulement que par le caractère nerveux de la mise en scène. Les techniques de combat se laissent aussi deviner : Legolas avec son adresse et son arc, Gimli et sa puissance dévastatrice, Aragorn par sa stratégie et sa dextérité, Boromir lui se bat comme un véritable chevalier, Gandalf manie de manière surprenante et pourtant tout à fait crédible (à contrario de Yoda dans Star Wars) l’épée et le bâton, les Hobbits quant-à-eux font plus preuve de leur profond courage que de leur habileté.

Pas le temps de respirer, le Troll à peine à terre qu’une créature bien plus terrible pourchasse nos compagnons, sans que pour autant nous ne puissions la voir. L’utilisation de la lumière et des teintes enflammées nous fait prendre conscience du danger et de l’arrivée imminente du démon. Et lorsque celui-ci débarque, il convient de souligner la qualité des effets spéciaux : comment une simple silhouette imprégnée de flammes peut paraître aussi réelle ? Un vrai coup de maître visuel auquel il faut rendre hommage, car la crédibilité du combat contre Gandalf n’en est que renforcée.

« Vous ne passerez pas ! » Gandalf

Ce qui est sûr, c’est que cette réplique passera les âges, elle. L’affrontement entre la bête des profondeurs et le magicien reste un des moments cultes de la trilogie, grâce

à une simplicité apparente (deux individus représentant chacun le bien et le mal s’affrontant au dessus du vide, comme s’il n’y avait plus qu’eux deux et rien d’autre) mais surtout à une réalisation sans faille, au jeu époustouflant de Sir McKellen et à des effets numériques bluffants.

« Fuyez, pauvres fous… » Gandalf

A l’issue du combat, Gandalf tombe dans les ténèbres avec le démon. Ce qui donne la première scène aussi forte émotionnellement, et aussi les premières larmes pour certains. Le caractère absurde de sa chute alors qu’il avait réussi à défier le monstre, mais aussi la notion de sacrifice pour le bien de la Communauté rendent l’émotion encore plus puissante. Elle est renforcée par l’utilisation du ralenti lors de la fuite des survivants, ici parfaitement justifiée, ce qui est très rare de nos jours ou les réalisateurs en usent et en abusent. Ici il symbolise le concept de temps qui s’effacent de tous les esprits, le sentiment que tout s’arrête et que rien ne sera plus comme avant

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pour nos compagnons meurtris. Frodon pleure d’ailleurs son protecteur, il est important de le souligner car cela prouve son humanité encore préservée, ce qui sera amené à changer par la suite.

Pas de repos pour les braves. Nos amis doivent surmonter leur chagrin pour rejoindre la forêt de la Lothlorien. Ce qui nous permet de découvrir avec eux la magie

sombre et pourtant si lumineuse qui règne dans leur forêt. Elle paraît sombre parce qu’immémoriale et dangereuse, mais la grandeur des elfes et la lumière dans laquelle ils baignent l’éclairent d’une manière frappante. Un paradoxe qui se poursuit avec le personnage prophétique de Galadriel qui rassure tout

en nous effrayant. Tout cela pour dépeindre une culture elfique d’une richesse incroyable et impossible à comprendre dans son entièreté.

Boromir présente un nouveau visage : il prend soin des Hobbits et essaye de soulager Frodon du fardeau de la mort de Gandalf, quand les mots de Galadriel le mettent à mal. Il se confie à Aragorn et lui dit avoir vu la chute du Gondor, son désespoir grandit de jour en jour et le poussera à la faute plus tard. Grands-pas reste méfiant et manque peut-être là une occasion de ramener Boromir dans le droit chemin.

La magie du lieu s’exprime encore dans la scène suivante : la vision de l’avenir par Frodon dans la coupe de Galadriel. Il y voit la Comté ravagée par les Orcs de Saroumane, les Hobbits esclaves de ce dernier et les prés verts transformés en usines à charbon. Cette vision a une importance majeure puisque c’est ce qu’il arrive dans le livre de Tolkien, mettant ainsi en lumière le caractère mondial du conflit et le Mal qui se répand dans toute la Terre du Milieu. Personne n’est à l’abri, pas mêmes les insouciants Hobbits dans leur petites maisons de bois. Ce qui est important puisque cela dessine une menace généralisée contre laquelle on ne peut se protéger et que l’on doit à tout prix combattre, rappelant aisément le caractère mondiale des deux guerres vécues par Tolkien. Cet épisode sera occulté à la fin du Retour du Roi, une ellipse tout à fait légitime afin d’éviter une rupture dans le rythme endiablé de cet épilogue.

La tentation de Galadriel lorsque Frodon lui propose l’Anneau ajoute encore à la complexité du personnage et surtout montre une fois de plus les pouvoirs incommensurables de l’Anneau, pouvant corrompre un esprit aussi sage que la figure royale des elfes. Galadriel parvient à résister à cette épreuve, et confie des cadeaux aux membres de la Communauté. Mais le plus beau des présents sera cette phrase : « Même la plus petite personne peut changer le cours de l’avenir ». Une vision proche de celle de Gandalf et qui définit parfaitement l’ensemble de la saga.

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Après ce bref passage en forêt, nos amis se dirigent vers les chutes du Rauros, passant au travers de L’Argonath. Ces deux colosses représentent Isildur et son père et donnent une dimension épique voire même mythologique à notre aventure. Mais pendant ce temps le mal gronde, les Uruk-haï se rapprochent, avec pour seul but de détruire la Communauté. Celle-ci coure déjà un grand danger venu de l’intérieur avec l’incompréhension entre Aragorn et Boromir qui s’intensifie. Le fils de Denethor se sent trompé par l’héritier du trône et craint pour l’avenir du Gondor si la Communauté échoue.

« Je ne requiers que la force de défendre mon peuple ! » Boromir

C’est cette peur mêlée de la volonté de satisfaire son père et les attentes de son peuple qui conduisent Boromir à violenter Frodon pour obtenir l’Anneau. Cette erreur marque une nouvelle fois le pouvoir de l’Anneau, en effet le guerrier du Gondor semble possédé pendant cette séquence et prend immédiatement conscience de sa faute après-coup. Une épreuve difficile pour Frodon qui s’aperçoit que Gandalf avait raison, il ne peut faire confiance à personne. Il en devient même suspicieux à l’encontre d’Aragorn, lequel a le courage de le rassurer en lui murmurant : « Jusqu’au bout j’aurais été à vos côtés. Jusque dans les flammes du Mordor. »

Frodon a pris sa décision : il partira seul, sûr qu’il ne peut placer sa confiance en personne et soucieux de protéger Sam. Aragorn se plie à sa volonté et le défend de l’arrivée massive des Uruk-haï. Merry et Pippin aussi comprennent son choix et tentent de faire diversion, ils sont malheureusement acculés et c’est Boromir qui surgit à leur secours. S’en suit alors un combat dantesque dans les sous-bois d’Amon Hen. Boromir fait preuve d’une extraordinaire bravoure en attendant les renforts.

Mais les troupes d’ennemis sont trop nombreuses, et c’est un personnage inventé pour le film qui va venir mettre fin à l’héroïsme du guerrier du Gondor : un imposant Uruk-haï nommé Lurtz, que Saroumane a fait chef de ce bataillon. Il a surtout un intérêt cinématographique : celui de dresser un personnage fort et singulier pour tuer le fils du Gondor et affronter Aragorn. Il aurait en effet était moins « simple » de le faire occire par un guerrier lambda, car notre logique préfère des oppositions valables et justifiées. Le film contient d’ailleurs juste assez de scènes avec Lurtz, pour nous le décrire comme plus fort et plus rusé que les autres Uruk-haï, mais sans en faire un personnage à part entière (d’ailleurs son nom n’est jamais prononcé), ce qui aurait été un sacrilège.

Ses trois flèches transpercent Boromir sous les yeux des deux Hobbits mortifiés. Une scène déchirante à nouveau remarquablement réalisée et dans laquelle la musique The Breaking of the Fellowship finit de nous plonger dans la souffrance et la désolation. Le bref combat avec Aragorn nous

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montre encore la puissance de Lurtz, mais face à la bravoure et à la détermination du rôdeur, l’issue du combat était connue d’avance. Un affrontement au profil plus libre et décomplexé qu’auparavant : avec le bouclier prenant Aragorn à la gorge contre l’arbre, le couteau elfique de ce dernier planté dans la jambe nue de son ennemi, et puis son démembrement jusqu’à la décapitation finale. Un brin de spectacle donc mais surtout un escalade de la violence pour pouvoir se défendre du Mal…

« Pardonnez-moi, je n’avais pas réalisé… A cause de moi vous avez tous échoué. » Boromir

Malheureusement, c’est trop tard pour Boromir. Aragorn se penche alors sur lui et entend ses dernières paroles. Celles-ci commencent d’abord par son inquiétude pour les Hobbits, Merry et Pippin qui ont été enlevés et Frodon qu’il n’a plus revu depuis son dérapage. Aragorn de le rassurer et de lui dire que son honneur est sauf, mais Boromir n’en a que faire, il souhaite surtout expier ses fautes et se laisser encore aller un peu plus loin dans le noir pessimisme de l’avenir des hommes que lui a inculqué son père. Le descendant des Dunedains parvient à lui redonner courage et espoir aux portes de la mort avec cette promesse : « J'ignore quelles sont les forces qui me restent, mais je vous jure que je ne laisserais pas prendre la Cité Blanche. Ni notre peuple échouer. » Ce à quoi Boromir répond, dans une phrase désormais célèbre : « Notre peuple ! Notre peuple ! Je vous aurai suivi mon frère, mon capitaine, mon roi ! » Outre la beauté de la tournure, c’était un indéniable défi que de la rendre réelle et surtout crédible. Une fois encore, le challenge est remporté haut-la-main grâce à une intensité et à un jeu parfaits. Un instant de pure fraternité qui en précède un autre, tout aussi bouleversant…

Sam ne peut ni ne veut abandonner Frodon. Le porteur de l’Anneau a pour lui le rôle d’un père protecteur et spirituel en plus d’être son compagnon de route, concept renforcé par le fait que Sam le vouvoie en permanence. La promesse qu’il a faite à Gandalf n’est qu’un prétexte pour ne pas avouer qu’il est profondément attaché à Frodon. Ce dernier pleure en laissant derrière lui ses amis, et aussi en hissant sur ses épaules la tâche faramineuse qui lui a été confiée. Mais Maître Gamegie ne l’entend pas de cette oreille et prend le risque de se noyer pour le rejoindre. Et dans une scène aussi marquante graphiquement qu’émotionnellement, leur amitié devient, dès lors, indéfectible.

Devant l’apparente dislocation de la Communauté, Aragorn donne une nouvelle mission à Gimli et Legolas : retrouver Merry et Pippin. Quant à Frodon et Sam, ils entament leur voyage pour le Mordor, plus soudés que jamais. Cette deuxième partie de La Communauté de l’Anneau, plus romanesque et touchante, lance véritablement la suite de la trilogie.

Le premier film est donc une merveilleuse introduction à un univers si riche, mais aussi une œuvre profondément généreuse. Puisqu’elle nous offre des scènes et des réflexions inoubliables, de l’aventure à l’état pur : une fresque féérique fortement humaine ; une bulle de rêve ancrée au réel par une humanité sans faille.

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Les Deux Tours

Second volet du triptyque, sorti en 2002, Les Deux Tours avait la lourde tâche de satisfaire tous les admirateurs du premier film, tout en assurant la partie centrale de l’histoire. Ce qui est toujours difficile étant donné que le film ne contient ni le début ni la fin de l’histoire : une partie charnière qui est souvent compliquée à réussir (Matrix, Prélogie Star Wars, Jason Bourne…). Avec encore plus de recettes que La Communauté de l’Anneau, un accueil de la presse et des fans tout aussi exceptionnel et encore deux oscars techniques : la suite est donc unanimement plébiscitée.

La musique d’Howard Shore prend un nouveau tournant, devenant plus épique, elle suit parfaitement l’évolution de l’aventure. Se teintant de sonorités nordiques pour évoquer le Rohan et s’assombrissant pour les scènes avec Gollum par exemple. Les plans extérieurs filmés depuis hélicoptères sont bien plus nombreux, et superbement accompagnés par la musique homérique qu’il a créée.

La narration change également de configuration pour ce deuxième film. En effet les parcours séparés de Frodon et Sam, Legolas Gimli et Aragorn et de Merry et Pippin permettent une histoire plus complexe de destins mis en parallèle ou en opposition. Une fresque héroïque dressée par ces chemins s’entrecroisant et cette multitude de menus tableaux tragiques. Pour des raisons de lisibilité et de compréhension, je regrouperai leurs aventures en ne respectant pas toujours le découpage du film. Car s’il est parfaitement justifié et réalisé en images, il me serait impossible de le rendre digeste à l’écrit ; n’est pas Tolkien qui veut !

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La scène d’ouverture nous ramène au cœur du premier film avec la fin de Gandalf le Gris. Elle est introduite par un diaporama de montagnes enneigées magnifiques derrière lesquelles se laissent deviner des cris à l’intérieur de la Moria. La façon dont la caméra semble traverser la montagne et se retrouver à l’intérieur de la mine est un petit secret de fabrique de Peter Jackson qu’il avait déjà utilisé dans Fantômes contre

Fantômes (avec une fenêtre cette fois). Scène dont j’avais déjà souligné la beauté et la poésie, la chute du Balrog et de Gandalf au dessus du lac souterrain est un exemple de ce qu’on peut faire de mieux comme tableau vivant au cinéma.

Commencer ce film avec cette sorte de piqure de rappel émotive nous permet d’apprécier la suite de l’histoire avec quasiment la même sensibilité que si La Communauté de L’Anneau venait juste de finir. Manière très subtile de nous remémorer le fait marquant du premier film sans faire de redite et surtout de nous laisser entrevoir la possibilité d’une fin différente pour le magicien de celle que l’on avait imaginée…

« Il faut se rendre à l’évidence… On est perdu ! » Sam

L’aventure recommence vraiment avec Frodon et Sam en difficulté dans un défilé rocailleux fonctionnant très bien visuellement. Leur amitié semble leur seule arme face aux menaces de la nature, du découragement et du sournois Gollum. Gollum que nous découvrons véritablement pour la première fois, étant donné qu’il n’était pas graphiquement achevé pour La Communauté de l’Anneau, il y était juste furtivement aperçu. Et force est de constater qu’il est incroyablement réussi, tant par son apparence correspondant très bien aux descriptions de Tolkien tout en restant assez réaliste que par la qualité des effets spéciaux.

L’interprétation d’Andy Serkis y est pour beaucoup tant il a lui aussi donné de sa personne et de son talent. Mais parvenir à un tel degré de réalisme et surtout de vie dans une créature entièrement virtuelle est vraiment une des grandes réussites techniques de la trilogie. L’oscar des meilleurs effets spéciaux pour ce film là me semble dès lors tout à fait justifié. Il faut se souvenir que la motion capture n’en était ici qu’à ses balbutiements au cinéma et Peter Jackson (qui a crée Weta) est en grande partie responsable de son utilisation régulière voire intense par la suite. Jamais depuis Jurrasic Park, je n’avais retrouvé cet aspect terriblement réel et vivant dans une chose crée par l’homme. Le fait que ce soit ici pour un personnage et pas seulement des monstres lui

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donne une nouveauté toute particulière, car c’est comme ça qu’il doit être vu, pas simplement comme un bijou de technologie.

Dès sa capture, Frodon et Sam sont divisés sur ce qu’il convient de faire de lui. Division que le vil Gollum a tout de suite saisie et qu’il n’aura de cesse de creuser, ce qui aura de lourdes conséquences. Malgré tout, Frodon prend pitié (se souvenant sans doute des paroles de Gandalf) et fait de lui leur guide pour le Mordor. Les marais des morts seront leur prochaine épreuve, paysage lugubre et terriblement morne. Le fait que Gollum joue avec un ver de terre avant de le manger fait immédiatement penser au flash-back ouvrant Le Retour du Roi. La chute de Frodon dans les marais illustre la tentation que l’Anneau lui fait subir de se laisser aller à la mélancolie, et par là même, à la mort. Il faudra tout le courage de Gollum, ou sa cupidité, (probablement les deux au vu de sa dualité intérieure) pour l’en sortir.

Frodon semble le seul à comprendre Gollum, qu’il appelle même Sméagol. Le lien les unissant balance au cou du Hobbit : l’Anneau. Ce sont tout deux des porteurs de l’Anneau, et cet amour étrange les rapproche indéniablement. Leur arrivée à la Porte Noire fait froid dans le dos, cette construction colossale inspirant la terreur est encore

une formidable création de l’équipe technique. La proposition de Gollum de passer par un autre chemin divise à nouveau Frodon et Sam, mais c’est encore Frodon qui aura le dernier mot. Quand il explique à Sam qu’il veut croire qu’il peut aider Gollum à

redevenir comme avant, c’est en fait lui qu’il veut sauver par procuration. S’il continue de croire que Gollum peut s’en sortir, il pense également que l’Anneau ne le détruira pas complètement. Et c’est cette projection qui va rapprocher Frodon de Sméagol et l’éloigner un peu plus de Sam.

La scène désormais célèbre de Gollum et Sméagol conversant ensemble dans un dialogue met en scène de façon remarquable sa dualité intérieure. Un passage extrêmement puissant, revisitant le mythe de Stevenson, et plus généralement le conflit entre la conscience et l’inconscient décrit par la psychanalyse. La folie qu’a instaurée l’influence de l’Anneau dans son esprit a fait ressortir la dualité qui existe en chacun de nous. Au final, Sméagol semble avoir vaincu Gollum, devenant même plus avenant avec les deux Hobbits. Jusqu’à ce qu’il se sente à nouveau blessé…

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Aragorn dirige de son côté le petit commando aux trousses des Uruk-haï détenant Merry et Pippin. Gimli et Legolas le suivent, avec plus de difficulté pour le premier. Cette mission qu’ils se sont donnée symbolise le lien unissant les membres de la Communauté : même face à l’adversité, aucun de ses membres ne doit en abandonner un autre. Le personnage de Legolas est peut-être le seul à avoir été un tant soit peu caricaturé ; beaucoup de ses répliques sont strictement celles du livre et décrédibilisent légèrement un Orlando Bloom apparemment plus à l’aise en pirate qu’en elfe. Du duo comique, Gimli est plus réussi selon moi. Son caractère acariâtre, ses pointes d’humour et son éternelle opiniâtreté le font correspondre parfaitement aux nains du legendarium de Tolkien.

De son côté, Saroumane s’imagine déjà dominer la Terre du Milieu avec Sauron. Mais ce dernier s’en sert simplement comme d’un pantin afin de détruire le Rohan et de prendre le Gondor en tenaille, ruse militaire et tacticienne utilisée en tout temps et dont

Tolkien s’est ici inspiré. Dans sa folie destructrice, il ordonne de piller la Forêt de Fangorn pour alimenter les fournaises de l’industrie, décision qui lui coutera très cher. En plus des Orcs et surtout de ses guerriers Uruk-haï, il exalte le besoin de vengeance des Hommes Sauvages pour qu’ils rejoignent son armée. Ces pauvres gens ont été chassés par les Rohirrim et participeront à la bataille du Gouffre de Helm, même si cela n’est pas montré dans le film. Il s’agit certes d’un petit détail mais cette force vengeresse a

son importance dans le nuancement du récit : ce ne sont pas uniquement des créatures sans âme qui prennent les armes. Leur simple évocation permet de nuancer la guerre qui se prépare et de complexifier un peu plus ce conflit.

Merry et Pippin vont réussir à s’échapper grâce à la guerre civile sévissant entre les Orcs et les Uruk-haï et surtout à la razzia menée par Eomer et ses cavaliers. La fuite des deux compères offrira une belle frayeur aux trois héros à leurs trousses et leur permettra de rejoindre le cœur de la forêt de Fangorn. C’est là qu’ils feront connaissance des Ents, arbres gardiens millénaires, les plus sages de toutes les créatures. Une espèce représentant parfaitement les croyances de l’esprit de la forêt, et plus généralement celles d’une nature intelligente ; idée connaissant un renouveau certain en ces temps de religion écologique. Du point de vue du détail, les scènes présentant Merry et Pippin sur Sylvebarbe ne sont pas une folle réussite visuelle. La technique du fond vert a beau être utilisée depuis un demi-siècle, elle reste toujours aussi imparfaite.

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Ceux-là auront la chance de retrouver un personnage familier avant leurs poursuivants. Celui qu’ils prennent tous pour Saroumane se fait désirer avant de se dévoiler dans une scène très marquante : Gandalf le Blanc. Passage très bien réalisé, avec le subtil mélange des voix de Saroumane et de Gandalf pour que la surprise soit totale. Concrètement, soit Gandalf s’est amusé à imiter son ancien maître devenu fou, soit cela exprime la capacité de notre cerveau à entendre ou à voir ce que l’on veut ou ce que l’ont imagine, ce qui me semble plus probable.

« Mais ce n’était pas la fin. Je sentis la vie revenir en moi » Gandalf

Sa couleur a changé, il est devenu Blanc, ce qui est le stade ultime des Istari. Le récit qu’il tient aux trois héros éberlués narre cette transformation. Avec des images saisissantes par leur beauté, il explique en réalité comment il est mort, puis renaquit pour accomplir sa tâche. C’est la figure même du prophète qui est ici décrite, tout comme le Christ ressuscitant pour délivrer son peuple, notion d’ailleurs purement chrétienne. Le nouveau Gandalf va faire appel à son vieux compagnon, le splendide Grispoil, dans une scène à l’éclat étincelant après ce long passage en forêt. Certes il n’a pas le pelage gris, mais cette traduction me semble meilleure que son nom original : Shadowfax, qui semble plus définir un vaisseau spatial que le roi des chevaux.

La version longue nous offre la découverte du corps meurtri de Theodred, le fils du roi. Une scène triste et poignante sublimée par une pluie battante (aussi morose que celle qui s’abattra sur le Gouffre de Helm pendant la bataille), mettant en lumière le mal qui frappe ces fiers guerriers et ce peuple tout entier. Peuple dont la cité, Edoras, nous apparaît brièvement, lorsque l’on rencontre Eomer et sa sœur Eowyn, leur oncle le roi Theoden ainsi que son infâme conseiller : Grima. Terriblement affaibli par des années de deuil, le roi n’est plus qu’un légume cédant à toutes les volontés de Grima, espion de Saroumane. Ce personnage symbolise certainement la tristesse et la mélancolie qui insufflent le désespoir à longueur de journées dans le cœur du roi. La magie de Gandalf qui parviendra à l’en libérer dans ce monde fabuleux illustre en réalité un message d’espoir et de foi en l’avenir. Cette évolution fait partie des messages catholiques auxquels Tolkien croyait fortement.

Pendant ce temps, dans les bois, Merry et Pippin font l’amère rencontre d’un vieil arbre qui referme ses immenses racines sur eux. Le vieux Sylvebarbe vient vite à leur secours mais ce court passage est un hommage à l’arbre magique de la rivière Tournesaule, au début du premier livre, juste après leur visite chez Bombadil. Un clin d’œil sympathique pour les fans de l’œuvre originale !

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Gandalf, qui accompagne maintenant Aragorn, Gimli et Legolas, se dirige vers Edoras. Une cité aussi belle qu’authentique puisque la forteresse et les maisons voisines

ont été entièrement construites sur place. Un travail dantesque pour un résultat non moins génial : cette ville semble avoir une véritable histoire. Rares sont les décors aussi réussis au cinéma.

« Fais silence ! Garde ta langue fourchue derrière tes dents. Je n’ai pas passé à travers le feu et la mort pour échanger des propos malhonnêtes avec un vil serpent ! » Gandalf

Pour Theoden, le deuil de son fils est un nouveau malheur qui l’accable. Mais ce ne sont plus les conseils de Grima qui l’épaulent, mais ceux de Gandalf le Blanc. La mort de l’enfant, souvent considéré comme une des épreuves les plus dures, a ici toute sa place dans cette œuvre dont Tolkien même disait que la Mort en était l’élément central. C’est en effet la Mort et l’immortalité qui sont dépeints tout au long de la saga, en faisant une œuvre profondément mythologique.

Pour clore cette première partie, nous faisons la rencontre de Faramir qui fait prisonnier Sam et Frodon. Celui-ci parle sagement lorsqu’il se demande s’il y avait vraiment du mal dans le cœur du haradrim qu’il vient de tuer. Posant la question de l’enrôlement des hommes pour la guerre, souvent effectué par l’usage de mensonges ou de menaces. Encore une vision chère à Tolkien qui dépeignait déjà ce caractère fallacieux dans son œuvre, tout en décrivant aussi une guerre qui peut paraître absolument nécessaire, mais dans le même temps causée par des choses dérisoires (un simple anneau pour celles du Troisième Age).

Une première partie relativement dense donc, possédant pourtant une réelle fluidité. La promesse de l’aventure fantastique que nous avait donnée La Communauté de l’Anneau est déjà amplement tenue, bien que la deuxième partie des Deux Tours soit encore plus audacieuse.

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La seconde partie s’ouvre sur le peuple du Rohan fuyant vers le Gouffre de Helm.

Malgré l’apparente tristesse de Theoden et les profondes blessures d’Eowyn, le ton y est bon enfant. Entre les âneries de Gimli et le ragoût raté de Dame Eowyn, on découvre un peuple qui réapprend à rire et à vivre, lentement.

Aragorn comprend bien l’intérêt qu’Eowyn lui porte, ce qui le renvoie à son propre amour : Arwen. Préférant renoncer à son immortalité pour lui, cette dernière s’oppose à son père Elrond. Choisir entre la vie éternelle sans lui ou une simple vie de mortelle avec son amour, voilà le douloureux dilemme qu’elle doit résoudre. Aragorn l’encourage à partir, il sait que son devoir est de la protéger, non de la condamner. On retrouve ici toute la dramaturgie immémoriale de l’amour impossible.

L’attaque des Wargs a été inventée pour le film. Outre le fait qu’elle fonctionne très bien en nous offrant un peu d’action bien salvatrice, elle nous montre aussi pour la première fois l’envie de combattre d’Eowyn et la réprobation de son oncle. Une liberté qui continue puisque la chute d’Aragorn de la falaise n’est pas non plus dans le livre. Le but était plus ici de mettre en relief les sentiments d’Eowyn que de vraiment chercher à nous toucher, car personne ne peut imaginer qu’il meure de cette façon.

La découverte, par les yeux imbibés de Grima, de la gigantesque armée de Saroumane est un moment visuellement saisissant. C’est la première fois que le logiciel Massive, crée par Weta, est utilisé de la sorte. Il donne vie à une cohorte d’Uruk-haï aussi vrais que nature. Cette qualité graphique alliée à la sinistre mais non moins superbe voix de Christopher Lee nous offre une scène puissante, annonçant avec fracas la bataille qui se prépare en Rohan.

Le petit résumé de la situation globale nous est donné par Galadriel parlant en voix-off. Une manière agréable de faire le point sur les raisons de la guerre s’annonçant et sur le danger que coure Frodon, et l’Anneau. Elle pose aussi la question de l’avenir des elfes, doivent-ils abandonner les peuples de la Terre du Milieu à leur sort ? Bien qu’ils fuient vers les Terres Immortelles, Elrond prendra la décision d’envoyer un bataillon combattre aux côtés des hommes.

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S’en suit peut-être le meilleur plan additionnel de toute la version longue : le flash-back de la prise d’Osgiliath par Boromir et son frère Faramir. Elle a l’immense

intérêt de présenter les relations fraternelles entre les deux, et surtout celles qu’ils ont avec leur père, Denethor. Obnubilé par Boromir, l’idolâtrant même, et rejetant son cadet parce qu’il lui rappelle sa défunte épouse. Cet aspect est essentiel pour bien comprendre ce qui poussera Faramir à sa mission suicide dans Le Retour du Roi, ainsi que pour

mieux saisir les raisons qui ont amenées Boromir à agir ainsi dans le premier film. Un passage aussi utile que magnifiquement interprété qui aurait eu toute sa place dans la version cinéma.

« Attendez ! Cette créature est liée à moi… Et moi à elle. » Frodon

Faramir tend un piège à Gollum, et à Frodon. Celui-ci se sent obligé de le sauver en reconnaissant qu’il l’accompagne. Pas seulement parce qu’il a besoin de lui comme guide, mais parce qu’il projette encore ses peurs et surtout ses espoirs en Sméagol. Il ne peut le laisser se faire tuer car c’est une partie de lui qui disparaîtrait. Mais en croyant le sauver, Frodon va le livrer aux hommes de Faramir. Gollum restera profondément blessé par ce qu’il croit être une trahison de son maître, Frodon lui répétant avant sa capture : « Faites confiance au maître, Sméagol ! ». Une blessure qui entrainera le retour de l’être malfaisant dans l’esprit du pauvre Gollum, le menant à la folie. En résistant à la tentation de livrer l’Anneau à son père et en relâchant Frodon, Faramir prouve qu’il est plus fort que son frère. Même si son père ne s’en rendra jamais compte…

La nouvelle liberté prise avec l’œuvre de Tolkien est que les Ents décident de ne pas entrer en guerre à la fin de leur assemblée. C’est la vision de la forêt ravagée qui va les y décider. Ce qui donne une entrée en guerre plus vengeresse et moins sage que dans le livre mais pour autant très actuelle ; comme quand les « sages » de l’ONU rejettent la guerre en Irak mais que les grandes nations y participent quand même.

Aragorn revenant au Gouffre de Helm grâce à sa complicité avec Arod est le juste révélateur de son comportement sur le tournage. En effet il s’est tellement lié d’amitié avec cet étalon tout au long de l’aventure qu’il l’achètera à la fin de l’aventure. Et nous voilà déjà au Gouffre de Helm, véritable prouesse artistique somme toute assez artisanale puisqu’il s’agit de maquettes et de constructions à l’échelle en mousse de polyuréthane. La bataille est sur le point de commencer quand on retrouve Theoden et Gamelin dans une scène magnifiant toute la mélancolie et le désespoir de ce roi las, et de ce peuple miséreux et tourmenté. Derrière le roi Theoden, une lumière intense, comme si l’espoir et la joie étaient à jamais derrière lui, de l’histoire ancienne. Une mise en scène subtile faisant écho aux splendides paroles prononcées par le roi.

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« Où sont le cheval et le cavalier ? Où est le cor qui sonnait ? Ils sont passés comme la pluie sur les montagnes, comme un vent dans les prairies. Les jours sont descendus à l’Ouest,

derrière les collines… dans l’ombre. Comment en est-on arrivé là ? » Theoden

L’arrivée d’Haldir et de la garnison elfe, nouvelle liberté du film, est une note d’espoir pour des soldats du Rohan découragés. Et c’est parti pour quasiment une heure de bataille, une des plus longues jamais montrées à l’écran, avec celle du Retour du Roi évidemment. Mais celle-ci possède une ambiance plus particulière, la nuit obscure et la pluie battante sublimant le combat pour la survie des Hommes. Un affrontement terrifiant qui l’est peut-être encore plus pour les femmes et les enfants cachés sous terre car dans les moments où on les voit, on croit sentir la terre trembler de ce fracas inouï. Une bataille parfaitement construite et chorégraphiée, plus lisible et efficace que celle de Minas Tirith que certains lui préfèreront donc.

Legolas faisant du skate sur les escaliers du mur d’enceinte est par contre un brin too-much, à croire que c’est inhérent au personnage vu son surf sur la trompe de l’Oliphant dans le troisième film. Ce sont des petites inclusions de pur film d’action divertissant qui n’étaient, à mon goût pas nécessaires. Mais dans presque douze heures d’une réalisation sans faute, nous pouvons bien pardonner à Peter Jackson d’avoir voulu s’amuser un peu comme le grand enfant qu’il est toujours resté.

« Autant de morts… Mais que peuvent les hommes face à tant de haine ? » Theoden

Alors que la bataille semble perdue, Aragorn réussit à insuffler assez de bravoure à Theoden pour chevaucher vers la fin du Rohan. Ce n’est pas vraiment l’espoir qui les pousse à courir vers l’ennemi, sachant bien que le Gouffre est perdu, mais plutôt

l’honneur et la fierté. Heureusement, Gandalf et Eomer arrivent enfin, à la tête d’une colonne de Rohirrim. Le plan de leur descente sur les Uruk-haï est réellement éblouissant, un exemple en matière de mise en scène et d’effets numériques, paré

d’une musique mémorable. Et c’est une grande trouvaille car Gandalf arrive avec des bataillons à pied et des Huorns dans le livre, ce qui aurait été tout de suite moins percutant. Néanmoins, le film tend encore à respecter l’œuvre en faisant éliminer les fuyards Uruk-haï par les Ents de la forêt voisine.

Autre instant marquant : l’épuration de l’Isengard par les Ents. Un défi graphique que de rendre crédible une bande d’arbres à feuilles jouer au bowling avec des cailloux autour d’une grande tour noire. Et une fois encore, c’est invariablement gagné. En grande partie grâce aux effets saisissants mais la réalisation et le montage sonore y sont aussi pour beaucoup. La destruction du barrage et l’inondation de la zone symbolisent très bien le retour de la vie en Isengard. La purification par l’eau est aussi un héritage très ancien, présent dans de très nombreuses religions et croyances.

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Le fabuleux monologue de Sam à Osgilitah pour redonner espoir à Frodon est un pur bijou, dans le fond comme dans la forme. Dans le fond parce qu’il est bouleversant de sincérité et de confiance en l’avenir, et dans la forme car habilement mis en parallèle avec des images de ce qui se passe ailleurs en Terre du Milieu qui n’en sont que plus éclatantes. Une technique venue de la bande-dessinée, trop peu exploitée au cinéma. Ouvert sur leur amitié, le film se termine aussi sur la fraternité entre Sam et Frodon. Une fin entachée par la vengeance que prépare Gollum et qui laisse présager une route pour le Mordor semée d’embuches.

« La bataille pour le Gouffre de Helm est terminée, celle pour la Terre du Milieu ne fait que commencer. » Gandalf

La deuxième partie des Deux Tours est centrée sur la bataille du Gouffre de Helm : première victoire sur les forces du Mal. Le tout donne un film tout à fait complet qui n’a pas à souffrir de sa position difficile au sein de la trilogie. Une vraisemblance et un déroulement tout à fait maîtrisés pour un film charnière, que certains désigneront même comme le clou de la saga. Chose à laquelle je me garderai bien de me risquer tant je ne peux les dissocier mais que je comprends parfaitement.

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Le Retour du Roi

Le Retour du Roi est le troisième et dernier film de cette formidable saga. Sa sortie mondiale a eu lieu le 17 décembre 2003 et fut un évènement international. Le soir de la première à Wellington, cent milles personnes se sont réunis devant le cinéma, soit plus de la moitié de la population de cette ville moyenne de Nouvelle-Zélande. C’est ce soir là que Peter Jackson lui-même découvre la version finale du montage, qu’il a terminé seulement 5 jours auparavant.

L’accueil du public est unanime, et après un démarrage exceptionnel, le film se paye même le luxe d’entrer dans l’histoire en devenant le troisième film à plus fort revenus de toute l’histoire du cinéma derrière Avatar et Titanic avec plus d’un milliard de dollars de recettes. En prenant en compte l’augmentation des places de cinéma, il reste néanmoins devant Avatar en terme de fréquentation. En janvier 2003 il est nommé dans 11 catégories aux Oscars, et un mois plus tard, il les remportera absolument tous, égalant Ben-Hur et Titanic. Exit les seuls prix techniques, Le Retour du Roi décroche entre-autres les oscars du meilleur film et du meilleur réalisateur. Il est admis que ces récompenses sont en partie destinées à l’ensemble de la trilogie, qui totalise donc 17 Academy Awards. Mais trêve de chiffres et de récompenses à relativiser, même si, lorsqu’elles sont si bien attribuées, gagnent en légitimité.

Le film devait clore une saga hors-norme, en respectant encore une fois l’œuvre originale tout en l’adaptant suffisamment pour en faire un grand film d’aventure. Un défi amplement relevé par un rythme incroyable, une relecture exemplaire du livre, une mise en scène légendaire et une utilisation illimitée mais pourtant parfaite des meilleurs effets visuels de l’époque. Au final, le film dure 4 heures et 9 minutes en version longue, faisant même preuve d’exception dans le cinéma. Habituellement, les films aussi longs justifiaient leur durée de par des choix narratifs et stylistiques (Le Parrain, Il était une fois en Amérique, Titanic) : une manière de raconter l’histoire de façon lente et démonstrative, tout à fait légitime pour ceux-là. Il faut néanmoins remonter aux six heures de La Révolution Française, le film historique français, pour retrouver un cas où c’est la richesse infinie du sujet qui est à l’origine de sa longueur. Car jamais un plan du

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Retour du Roi n’est étiré ou un dialogue rallongé pour durer ; le rythme ne s’arrête vraiment qu’à la toute fin, en même temps que mes battements cardiaques.

Une nouvelle fois, la symphonie d’Howard Shore suit l’évolution du récit. Il nous offre peut-être ici sa plus belle partition, moins féérique que celle du premier film et moins chevaleresque que celle du second, mais définitivement plus lyrique, je dirai même mythologique. L’ambiance musicale de Minas Tirith, avec des pistes comme Hope and Memory, Minas Tirith, The White Tree ou encore The Steward of Gondor, est désormais tout simplement indissociable de cette cité millénaire. Ce subtil et pourtant vibrant arrangement de violons transporte, année après année, spectateur après spectateur.

J’ai beaucoup redouté le jour où j’allais m’atteler à l’analyse de ce troisième film, qui par sa richesse et son intensité me laisse toujours sans voix. Le Retour du Roi contient tellement d’éléments, de concepts et d’émotions que je craignais d’être submergé par tout ça. Je prends donc une grande respiration et je commence ma dernière critique.

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Après la sublime Comté et les majestueuses Montagnes Bleues dans les deux premiers films, celui-ci s’ouvre sur un ver de terre entre les doigts d’un Hobbit. Contrepied absurde magistral que prend ici Peter Jackson d’ouvrir ce troisième volet sur un flash-back qu’il n’arrivait pas à placer dans son récit. Cette scène, en plus de nous décrire comment l’Anneau est parvenu à Sméagol, a le mérite de porter à l’écran Andy Serkis, une belle manière de le remercier du travail exceptionnel qu’il a accompli pour donner vie à Gollum. L’étranglement de Déagol est une nouvelle preuve de la justesse de l’équipe de réalisation, car bon nombre sont ceux qui auraient adjuver à cela une grande musique dramatique, cassant la véritable intensité de la scène en la rendant surfaite. Là au contraire, de simples cris lointains et des battements de cœur ressemblant étrangement au son d’une locomotive en action vient renforcer l’horreur du tableau et montrer que le mal est bien en marche. Sentiment renforcé par sa transformation, réellement impressionnante. L’équipe de maquillage a vraiment réussi à rendre cette évolution néfaste crédible.

Après un petit détour par l’avancée de Frodon, Sam et Gollum, le titre se déploie sur la magnifique forêt de Fangorn, aux abords de la tour d’Orthanc. Le paysage a bien changé depuis le passage des Ents et son assainissement, et c’est à cheval que les héros du Gouffre de Helm s’avancent vers Saroumane. Ses paroles funestes parviennent à toucher au cœur Gandalf et Theoden. Mais Grima lui, en a déjà trop vécu et entendu, cette humiliation sera la dernière et il poignarde Saroumane dans le dos. Pour tenter de

sauver le magicien et les informations qu’il détient, Legolas décoche une flèche sur Grima. Nouveauté par rapport au livre, cette scène est une belle idée même si elle souffre de quelques défauts, dont le plus grand est un problème

logique vu la hauteur faramineuse de la tour : comment s’entendent-ils parler en étant aussi éloignés les uns des autres ? Un petit détail vite oublié avec la mort terriblement violente de Saroumane, empalé sur une roue à pointes. On sent que Peter Jackson a du s’amuser en y pensant, et en plus d’être très visuelle, cette fin fait figure de double trahison. En effet, il est d’abord lacéré par son plus fidèle serviteur, puis transpercé à nouveau dans le dos par une roue mécanique, symbole de son industrie dévastatrice. L’engrenage l’entraine même sous l’eau, dernier reflet de la purification complète de l’Isengard. Une conclusion bien méritée pour celui qui a trahi les siens et toute la Terre du Milieu en s’alliant avec Sauron.

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La fête à Edoras, tournée pour la version longue, a nécessité la reconstruction de tout le décor qui avait déjà été démonté. Un travail supplémentaire bien récompensé par un passage festif et bon-enfant permettant de respirer après les deux scènes précédentes se soldant par un ou deux meurtres. Le dialogue entre Gandalf et Aragorn montre le rôle majeur que le rôdeur commence à avoir. En effet, le magicien semble douter de la survie de Frodon, peut-être à cause des mots de Saroumane ; et c’est Aragorn qui lui redonne confiance en lui demandant : « Que vous dit votre cœur ? ». Même quand tout semble perdu, il faut encore y croire ; c’est ce message d’espoir qui sera développé tout au long du film.

En pleine nuit, Sméagol entame une discussion avec son double, très adroitement placé dans son reflet dans la rivière. C’est d’ailleurs assez surprenant comme un changement minime de la taille des pupilles parvient à créer deux personnages différents. Pour en revenir à son dialogue, Gollum y reprend son idée d’aller livrer les Hobbits à une chose pour l’instant inconnue, qu’il appelle mystérieusement « elle ». Sam le surprend et intervient par un plan remarquable où il apparait dans les ondes à la surface de l’eau, faites par le caillou jeté par Gollum. Frodon retient Sam de l’étriper et n’écoute pas ses mises en garde, lui demandant simplement de lui faire confiance. C’est le prolongement de leur divergence à ce sujet là, qui va par la suite continuer de s’accentuer.

L’acte irréfléchi que commet Pippin en regardant à travers le Palantir est un nouveau témoignage de sa profonde curiosité et de sa bêtise naturelle. Cela montre, et ce de manière très subtile, que par la simple sottise et l’irresponsabilité, le mal peut parvenir à se répandre. Un concept tout à fait juste qui s’applique parfaitement à des situations bien réelles. Néanmoins, par son erreur, Pippin apparaît à Sauron comme le porteur de l’Anneau et offre donc à Frodon une chance de passer inaperçu. La Communauté se sépare à nouveau : Gandalf emmène Pippin à Minas Tirith pour le protéger et Aragorn se prépare à passer par une autre route pour le Gondor.

« Les choses qui sont en mouvement ne peuvent être arrêtées » Gandalf

Acceptant la proposition de sa fille, Elrond fait reforger les fragments de Narsil avant d’emmener lui-même cette épée royale à Aragorn. Une liberté prise avec le livre puisque dans celui-ci, il l’a en sa possession dès la fin du Conseil d’Elrond. Cette modification me semble tout à fait légitime, car cette épée fait de lui le roi face aux

spectres de l’armée des morts. Cette offrande a donc toute sa place dans Le Retour du Roi, sans compter qu’elle gagne en puissance placée ainsi dans le récit. Elle permet en plus de faire venir Elrond apporter Anduril prêt du Chemin des Morts, dans lequel ses fils et les Dunedains accompagnent nos héros dans le livre. Très belle trouvaille donc !

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La découverte de Minas Tirith est impressionnante : Gandalf et Pippin à cheval, gravissant les sept niveaux concentriques sur une musique magistrale. C’est l’immense qualité et la justesse des concept-arts, des maquettes puis des décors qui sont à l’origine d’une si grande crédibilité visuelle. La cité semble avoir réellement des milliers d’années d’histoire derrière elle grâce à une architecture romaine qui était pourtant restée floue dans les descriptions de Tolkien. Vient le moment de la rencontre avec Denethor, l’Intendant du Gondor. Il est voûté, enfoncé au fond de son siège austère, en dessous du trône royal, dans une salle froide et immense. Le jeu de John Noble est réellement incroyable, la justesse de son interprétation offre une stature toute particulière à ce personnage. Son attitude est par contre difficile à bien comprendre sans avoir lu les livres, on a en effet tendance à simplifier son état par la folie. Son trouble est pourtant lié à la perte de son épouse, à qui Faramir lui fait trop souvent penser, à la nostalgie des jours anciens dont parlait Gandalf et au sentiment d’impuissance face au retour du roi légitime.

Une scène de la version longue, très riche en enseignements, nous présente Gandalf expliquant à Pippin la raison du dépérissement du Gondor, au sommet de la cité blanche. « Les rois ont construit des tombes plus belles que les maisons des vivants. Et chérit le nom de leur ancêtre plus que celui de leur fils. Des seigneurs sans descendance sont assis dans de vieilles salles, méditant sur leur blason ou dans des hautes et froides tours interrogeant les astres. Ainsi le peuple du Gondor couru à la ruine. » Une fine analyse poétique, décrivant parfaitement les fins de civilisations (grecque, romaine, occidentale ?).

La cité de Minas Morgul, de par son aura verte fantomatique, semble flotter dans la brume du Mordor. Une nouvelle réussite esthétique remarquable que le puissant faisceau projeté dans les cieux permet de rapprocher de Gandalf et de Minas Tirith. Cela

sonne également le début de la bataille pour la Terre du Milieu, qui ne s’achèvera que deux heures et demie plus tard, un nouveau record pour la trilogie. La première étape arrive d’ailleurs très vite : la prise d’Osgiliath par les Orcs. Une escarmouche très bien réalisée et à l’ambiance très pesante, nous permettant de rencontrer une nouvelle création des trois scénaristes : Gothmog. Ce chef de guerre maléfique au

visage défiguré a été inspiré par l’extraterrestre de Bad Taste crée par Peter Jackson. Sa présence est judicieuse puisqu’en plus de mener les troupes à l’assaut, il permet de personnifier le Mal, ce qui est nécessaire dans ce genre de conflit. Tout comme Lurtz dans le premier film.

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Suivant les ordres de Gandalf, Pippin va accomplir sa mission en enflammant le premier feu d’alarme du Gondor. Cet ingénieux système de communication d’urgence nous offre un des plus beaux passages de toute la trilogie. Sur une musique inoubliable, des images à couper le souffle défilent devant nos yeux ébahis. Un formidable élan d’espoir s’empare de nous et de tous les peuples libres de la Terre du Milieu. Theoden répond à cette espérance en regroupant les Rohirrim pour la guerre contre les forces de Sauron.

Une scène culte en suit une autre puisque c’est bientôt le troisième passage d’un lyrisme graphique idéal avec la sortie de Gandalf de Minas Tirith pour éloigner les Nazguls des soldats battant en retraite d’Osgiliath. Une mise en scène parfaite toujours magnifié par un solo chanté tout bonnement fabuleux.

De leur côté, les deux Hobbits progressent dans leur cheminement périlleux vers le Mordor. Profitant de l’état de faiblesse de Frodon, Gollum murmure aux oreilles du pauvre Hobbit que Sam voudra lui prendre l’Anneau. Ce qui effrayera Frodon lorsque son compagnon lui proposera de l’alléger de son fardeau, le plongeant tout droit dans le piège de Gollum.

La superposition entre la charge héroïque mais suicidaire de Faramir et le repas gargantuesque du père incompréhensif sur le céleste chant de Pippin est un exemple frappant du génie de la mise en scène et du montage. Une subtilité qui va même jusqu’à ne pas nous montrer le carnage directement mais qui nous le suggère par du jus

de tomate s’écoulant de la bouche de Denethor. Cette vision en parallèle de l’action est enrichie d’un magnifique plan muet de Gandalf assis dans une ruelle déserte de la ville. Une image si belle et si parlante qu’elle n’a rien à envier à un véritable tableau de maître.

La route de Dimholt est un décor réel que Peter Jackson connaissait bien, et pour cause, il avait déjà tourné là-bas. L’armée des morts a été dessinée pour le film, n’ayant jamais eu de réelle apparence avant cela. Leur aspect de fantômes verdâtres n’est pas d’une grande originalité mais a au moins le mérite de faire son effet. Après avoir mis en déroute les légions de pirates d’Umbar, les spectres participeront à la bataille des Champs du Pelennor. Légère différence avec le livre puisque dans ce dernier, Aragorn les libère de leur serment d’allégeance au port de Minas Tirith. Un détail qui me parait néanmoins justifié, pourquoi se priverait-il d’une telle armée alors que la bataille n’est pas encore finie ?

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La mise en place de la bataille se poursuit au Rohan, au Gondor et en Mordor quand le corps de Faramir arrive à Minas Tirith, aux portes de la mort. La peur et le désespoir s’emparent de la cité et du cœur de son Intendant qui sombre définitivement dans la folie. Gandalf prend alors les rennes des forces défensives, juste avant le début de l’affrontement. Il endosse dès lors le rôle de meneur de troupes et de tacticien pour la grande bataille du Troisième Age.

Cette première partie est déjà extrêmement riche, tant par le contenu que par les émotions. Elle comprend toute la planification, la préparation et les premiers événements de la bataille, jusqu’aux portes de Minas Tirith qui n’ont pas encore cédé. Elle symbolise le temps de la discorde pour Frodon et Sam qui se séparent, celui du doute quant à la participation à la guerre de Merry et Pippin, et enfin celui de l’espoir pour la Terre du Milieu. Un espoir « passé » incarné par Gandalf, essayant de défendre la cité millénaire et son peuple, un espoir « présent » avec Frodon qui peut peut-être mettre un terme à cette guerre, et enfin un espoir « futur » que représente Aragorn, lui qui pourra régner sur le Gondor une fois la bataille achevée.

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La seconde partie s’ouvre sur l’attaque de la flotte des corsaires d’Umbar, avec les caméo de Peter Jackson et de beaucoup d’autres membres de l’équipe du film. Premier évènement de la bataille enfin remporté par les forces du Bien.

De son côté, Frodon est désormais seul dans l’antre d’Arachné. Un décor réellement effrayant qui aura donné du fil à retordre à l’équipe technique mais qui impressionne par son atmosphère étouffante si singulière. Toutefois, ce qui est encore plus effrayant, c’est Arachné elle-même. Elle fait frissonner grâce à une esthétique et une réalisation graphique parfaites. Et pour cause, Peter Jackson étant lui-même arachnophobe, il a dessiné lui-même l’araignée qui le terrifiait le plus et à tenu à un visuel du meilleur acabit. Le premier affrontement physique entre Frodon et Gollum à la sortie du repaire de la bête symbolise le combat intérieur du porteur de l’Anneau, entre le mal qui le ronge et l’espoir. Une preuve de cela est qu’une fois Gollum jeté du haut de la falaise, Frodon prend conscience de la situation et de son erreur d’avoir rejeté Sam.

Le plan durant lequel Frodon marche en dessous de l’araignée géante sans l’apercevoir est particulièrement réussi. Même si elle a eu le temps d’entoiler le Hobbit, Sam Gamegie le brave vole à son secours. En effet, alors que Frodon a fait l’erreur de l’avoir chassé, Sam trouve en lui la force et la bravoure de revenir pour le protéger. Si nous en sommes conscients, lui ignore même si Frodon a retrouvé de l’estime pour lui

lorsqu’il brave tous les dangers, à commencer par cette abominable créature. C’est cette démarche terriblement valeureuse et sincère qui le propulse comme héros central cette aventure.

Minas Tirith en flamme et de nuit rappelle forcément le siège de Jérusalem, la bataille prend dès lors un aspect légendaire. Une fois les portes brisées, le combat se déploie dans toute la cité, appuyant très justement sur la faiblesse du Gondor face à un envahisseur si déterminé et si nombreux. Cette faiblesse atteint même Denethor qui, par résignation et fierté, décide de se suicider en emportant son fils avec lui. Un geste qui peut rappeler le Hara kiri des samouraïs qui préféraient s’ôter la vie eux-mêmes plutôt que d’être fait prisonnier ou tué par l’ennemi. Il est néanmoins bien moins honorable puisqu’en plus de lui permettre de rester dans les mémoires, il a également pour but d’occulter la réalité, car l’Intendant a bien compris que même si le Gondor gagnait la guerre, il n’en serait que plus humilié. Sa chute enflammée de la pointe de l’esplanade de la Citadelle a beau être absolument impossible (il aurait dû faire plusieurs centaines de mètres à pieds et en feu pour arriver à cette ultime position), elle n’en reste pas moins visuellement très saisissante.

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En montant vers la citadelle, Gandalf croise sur son chemin le seigneur des neuf Esprits Servants, le Roi Sorcier d’Angmar. Celui-ci brise le bâton du magicien dans la seule scène vraiment regrettable de toute la trilogie. Elle accumule en effet quelques graves défauts : tout d’abord le fait qu’il vienne ainsi à bat si facilement du magicien qui a anéanti le Balrog n’est pas crédible vu la fin qui attend le Sorcier. C’est la première liberté vraiment déplacée prise avec le livre, dans lequel ils se rencontrent dans les mêmes conditions mais n’ont pas le temps de combattre. Ensuite, alors que Gandalf est à terre, le Roi Sorcier s’éclipse parce qu’un cor du Rohan résonne au loin. Une décision vraiment incompréhensible vu le faible laps de temps qu’aurait duré la fin de sa mission et pris aussi en compte le fait qu’on ne le voit pas intervenir dans la bataille avant dix bonnes minutes. Alors pourquoi une telle scène ? Très certainement pour ajouter du suspense en montrant un Roi Sorcier extrêmement puissant et un Gandalf pas si invincible qu’on pourrait le croire. Si les intentions sont louables, la scène reste pour autant une erreur logique et scénaristique. Il est tout de même important de rappeler qu’il s’agit de quarante petites secondes sur une trilogie en contenant mille fois plus.

La charge des Rohirrim est par contre un modèle de scène épique et fantastique. Le court mais illustre discours de Theoden avant l’assaut exhorte notre énergie et notre héroïsme en même temps que ceux de son armée. Un véritable sentiment chevaleresque nous envahit, prouesse en partie réussie grâce à une sublime musique et

à des images absolument prodigieuses. Le logiciel Massive prouve une nouvelle fois ses formidables qualités tant la scène paraît se dérouler sous nos yeux ébahis. La bataille paraissait gagnée lorsque les Haradrim et leurs terribles Mumakil surgissent. La deuxième charge des cavaliers du Rohan se teinte alors

d’un grand sentiment de désavantage, voire même de désastre. L’animation 3D des Oliphants est un summum du genre et n’a toujours pas pris une ride depuis maintenant sept ans.

« Finir ? Non le voyage ne s’achève pas ici. La mort n’est qu’un autre chemin, qu’il nous faut tous prendre. Le rideau de pluie grisâtre de ce monde s’ouvrira, et tout sera brillant comme

l’argent. Alors vous les verrez… Les rivages blancs. Et au-delà, la lointaine contrée verdoyante sous un fugace lever de soleil. » Gandalf

Cette réplique de Gandalf, toujours aussi poétique, tend à redonner courage à Pippin, et à nous par la même occasion. Il donne cet espoir non pas en nous promettant une issue favorable à cette terrible guerre, mais en nous rassurant sur la mort, n’en faisant qu’une étape nécessaire de l’existence. Une vision très religieuse de la chose qui, même si elle est différente de ma conception, m’émeut par son caractère mystique et spirituel.

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La scène durant laquelle Eowyn tue la bête ailée et l’Esprit Servant peut être déroutante pour certains. En effet tout cela se déroule assez rapidement et semble d’une facilité déconcertante, sans parler du célèbre : « Je ne suis pas un homme », qui peut paraître tombé comme un cheveu sur la soupe. À la décharge du film, il en va de même dans le livre. L’équipée de ce personnage est un élément féministe étrange dans l’œuvre de Tolkien, non pas que ce ne soit pas une considération tout à fait légitime et habituelle chez lui, mais cette ficelle narrative semble moins subtile que le reste du récit. Les scénaristes ont d‘ailleurs évité de nous dissimuler totalement Eowyn sous l’apparence d’un personnage masculin comme dans l’œuvre originale. Le fait que le Roi Sorcier vienne à bout aussi facilement du puissant Gandalf quelques minutes auparavant décrédibilise encore plus cet affrontement disproportionné. Il faut néanmoins souligner que cet épisode plaît à la gente féminine, qui aime voir son importance et ses pouvoirs dans l’histoire ainsi mis en valeur. Il ne s’agit donc qu’une moitié de problème.

Si la bataille des champs du Pelennor est gagnée, la situation est beaucoup plus compliquée en Mordor pour Frodon. Heureusement qu’une guerre civile entre les Orcs de Cirith Ungol va éclater et ouvrir la voie au vaillant Sam venant sauver une deuxième fois son compagnon. Pour le protéger des griffes des Orcs, Sam a porté l’Anneau pendant un bref moment. Quelques heures suffisantes pour faire de lui un des porteurs de l’Anneau, lui offrant un aller simple pour les Terres Immortelles dans le dernier bateau des elfes. Un voyage qui ne sera pas dans le film, ce qui se comprend parfaitement vu qu’il se fait très tard, après une longue vie paisible à la Comté.

Les scènes additionnelles des maisons de guérisons, douces et calmes, permettent de nourrir l’espoir grandissant tout en montrant du même coup la relation naissante entre Eowyn et Faramir. Pendant que ces deux là se remettent de leurs blessures, Aragorn conduit un escadron faire diversion devant la Porte Noire ; de quoi permettre à Frodon et Sam de traverser le Mordor. Une région superbement mise en image avec une chaleur et une pesanteur que l’on peut aisément ressentir. Sam prend alors conscience qu’ils ne reviendront certainement pas de ce périple mais garde pourtant courage, une force semblable à celle de Gandalf que j’ai décrite plus haut et à la volonté d’Aragorn et de ses compères de se sacrifier pour la destruction de l’Anneau. Un dessein qui est d’ailleurs encore plus audacieux après que la Bouche de Sauron ait apporté la cotte en mithril de Frodon comme preuve de sa mort. Mais il en faut plus pour décourager Aragorn qui parvient à susciter l’espoir chez ses troupes comme Theoden l’a fait pour les siennes.

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Un espoir que Sam semble incroyablement garder en lui, alors que Frodon est déjà résigné à l’échec. Il va même jusqu’à le porter sur ses épaules pour atteindre la Montagne du Destin. Une image particulièrement juste puisqu’on comprend que si

Frodon porte l’Anneau, Sam soutient lui les deux depuis le début de l’aventure. Frodon refuse même de détruire l’Anneau, l’esprit déjà trop corrompu par ce dernier. Il faudra que Gollum l’attaque dans une dernière volonté de le posséder et que Frodon tente de lui reprendre pour qu’il tombe enfin dans le feu. Un changement par rapport au livre

où Sméagol chute en glissant stupidement, alors que là c’est bien le pouvoir corruptible de l’Anneau et le besoin qu’il crée chez son porteur qui sera à l’origine de sa destruction.

Dans un moment de grâce et de pure beauté, les forces du Mordor s’écroulent et disparaissent. Les larmes sur le visage de Gandalf lorsque le volcan éructe est un instant d’émotion unique, magnifié par une musique bouleversante. Une fois Gollum est l’Anneau défaits, c’est la part sombre de Frodon qui s’échappe, revenant ainsi à la vie. Son émouvant dialogue avec Sam sur le rocher entouré de lave parvient à nous toucher par cette prodigieuse fraternité, mais aussi par la nostalgie qui est la leur de ne plus jamais revoir la Comté. Un véritable tour de force de nous émouvoir ainsi avec un amour pour une région chimérique, découverte quelques onze heures plus tôt.

Les émotions ne cessent de pleuvoir avec les émouvantes retrouvailles de toute la Communauté au chevet de Frodon. L’échange de regard entre Frodon et Sam est un magnifique moyen de montrer le lien unique qui s’est tissé entre eux. Le couronnement d’Aragorn, devenu Elessar, poursuit dans l’exaltation sensible avec une image d’une clarté inaperçue depuis de longues heures. Ajouté à cela les retrouvailles avec Arwen et l’agenouillement de tous les peuples devant les quatre valeureux Hobbits et un sentiment de profond épanouissement nous emplit.

« Comment reprendre le cours de son ancienne vie ? Comment continuer lorsque dans son cœur on commence à comprendre qu’on ne peut plus retourner en arrière ? » Frodon

Après leur retour à la Comté, c’est une nouvelle sensation que nous découvrons avec les Semi-hommes, comment apprécier cette vie paisible après toutes ces aventures ? Sam trouve sa solution en vivant son amour avec Rosie. Mais pour Frodon

c’est beaucoup plus dur, il vit dans ses souvenirs pendant plusieurs années, les couchant même sur papier à la suite du livre de Bilbon. Le vieil oncle part avec les elfes vers les Terres Immortelles, accompagné par Elrond, Galadriel, Celeborn et Gandalf. L’émotion est immense de voir partir le

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vieux magicien, ce phare éclairant toute l’aventure de sa sagesse. Un sentiment en plus légitimé lorsqu’il confie aux Hobbits : « Je ne vous dirai pas de ne pas pleurer, car toutes les larmes ne sont pas un mal. » Lorsqu’il invite Frodon à monter à bord, c’est une deuxième vague d’émoi qui nous submerge, le voyant ainsi quitter ses meilleurs amis après avoir confié son livre à Sam. L’émotion va crescendo jusqu’à l’adieu final d’avec son compagnon de toujours, celui qui l’a épaulé dans tous les obstacles de leur quête.

On peut remarquer que Frodon est le seul à ne pas pleurer, marque du profond vide laissé par l’accomplissement de sa mission et de l’immense blessure que représente l’Anneau. En tout cas, si lui ne peut plus pleurer, moi je le fais toujours autant en voyant Sam rentrer chez lui après tout ça. Tant d’épreuves traversées, tant de dangers et de courage, avant de profiter enfin de la vie et de ses plaisirs simples, entouré par son épouse et ses enfants. Une sensation de joie et de plénitude, celle d’une immense aventure terminée : la boucle est enfin bouclée, comme le dernier plan sur une petite porte ronde nous le suggère.

Le générique de fin nous offre, sur des superbes dessins d’Alan Lee (idée suggérée par Ian McKellen), la merveilleuse chanson originale Into the West, interprétée par Annie Lennox et primée aux Oscars.

Cette toute dernière partie de la trilogie est sans conteste la plus éclatante de toutes, nous offrant les émotions incomparables de la fin d’une histoire, la fin d’une époque, la fin d’un rêve. Comment rester insensible devant tant de lyrisme et de beauté ? Jamais une conclusion n’aura été si touchante et si puissante ; car en plus d’être celle d’une légende, c’est celle de sept ans de travail acharné pour toute l’équipe du film. Un sentiment d’accomplissement et de grandeur qui se ressent dans cette œuvre profondément humaine.

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Conclusion

C’est la gorge encore serrée par cette fin légendaire que je rédige cet épilogue. Que dire sinon qu’en trente-huit pages, j’ai l’impression d’avoir dit beaucoup de choses sans pour autant avoir répondu à toutes les questions, sans avoir saisi toutes les subtilités de cette formidable épopée. Il est certain qu’avec une œuvre aussi riche et profonde, je découvrirai de nouveaux éléments à chaque visionnage, et mon raisonnement sera probablement amené à évoluer avec le temps.

Ce dont je suis sûr, c’est que cette trilogie sera toujours pour moi une référence absolue. De par son récit mythologique fantastique à l’univers immense et de par une œuvre cinématographique unique, qui restera dans les annales du septième art. Elle me fait toujours penser que c’était ça, la bonne manière de faire des films : y mettre du cœur, de la volonté et faire travailler des gens différents sur le même projet, comme si c’était le dernier.

Je ne me lasserai jamais de replonger avec bonheur dans ce monde fabuleux, peuplé d’individus imaginaires mais qui font pourtant apparaître la vérité. Nul besoin de se regarder le nombril dans des films intimistes prétendument réalistes quand on peut comprendre les relations humaines à l’aide d’une fresque aussi épique que fascinante.

Yannick Dahan disait que les films qui vous donnent envie de devenir meilleur sont rares, et que celui-ci en est un. Et il est vrai que je me suis en partie construit avec ceux là, ils ont profondément inspiré et orienté mon existence. C’était ma manière de leur rendre hommage.