CROSSICK, Geoffrey. Le Quartier - Caractéristiques Économiques Et Sociales,

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le quartier

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  • Mlanges de l'Ecole franaise deRome. Italie et Mditerrane

    Le quartier : caractristiques conomiques et socialesGeoffrey Crossick

    RsumGeoffrey Crossick, Le quartier : caractristiques conomiques et sociales, p. 405-412.

    Le quartier a t abord dans l'analyse historique selon trois axes de recherches : les dfinitions territoriales, lescaractristiques conomiques et sociales, et les images socio-culturelles. Cette division analytique reste essentiellementartificielle, et il s'agit de dpasser la simplification du phnomne qui reste un problme central dans l'analyse historique duquartier. Aprs une considration de l'origine idologique de cette simplification, les remarques s'organisent autour de quelquesgrands thmes de rflexion. Le premier de ces thmes porte sur la tendance des discussions du quartier d'accentuer sonhomognit, quoiqu'il convienne de souligner les rapports de pouvoir, l'existence de conflits, et la complexit socio-conomique qui caractrisent le quartier historique. Ensuite, on soulve d'autres(v. au verso) thmes de rflexion : les rapports entre travail, march du travail, habitation et quartier; le quartier en tant que lieude consommation; le rle de la structure et des transformations urbaines; la stabilit rsidentielle et l'identification du quartier. Ilconvient donc de rflchir sur le quartier en tant qu'espace bti et il faut souligner galement le rle des forces structurelles,comme travail, logement, rapports entre lieu de travail et lieu d'habitation. Mais le quartier existe aussi comme espace vcu,comme reprsentation dans l'imagination des habitants. L'homognit du quartier n'est qu'une construction idologique et onrevient la question des conflits, du pouvoir, de l'exprience, des images.

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    Crossick Geoffrey. Le quartier : caractristiques conomiques et sociales. In: Mlanges de l'Ecole franaise de Rome. Italie etMditerrane, tome 105, n2. 1993. pp. 405-412.

    doi : 10.3406/mefr.1993.4283

    http://www.persee.fr/doc/mefr_1123-9891_1993_num_105_2_4283

    Document gnr le 23/09/2015

  • GEOFFREY CROSSICK

    LE QUARTIER : CARACTRISTIQUES CONOMIQUES ET SOCIALES

    Le quartier a t abord selon trois axes de recherche : les dfinitions territoriales, les caractrisations conomiques et sociales, et les images socio-culturelles. Si cette division analytique se rvle trs efficace, elle reste cependant artificielle. Le terrain le plus prcieux pour l'analyse du quartier, concept riche mais aussi ambigu, se situe au croisement de ces diffrents thmes. Ces remarques gnrales sur les caractristiques conomiques et sociales voudraient dpasser une question centrale dans l'analyse historique du quartier : la simplification du phnomne.

    Cette simplification trouve son origine dans l'histoire et la fonction de l'ide de quartier, ou plus exactement dans ses histoires et ses fonctions car la notion de quartier a eu des rles idologiques varis. Le concept de quartier reprsente l'expression d'une nostalgie, soit une nostalgie populaire la recherche du monde intime et solidaire d'autrefois, soit une nostalgie bourgeoise pour une communaut sans conflits de classes ni atomisation sociale. Ce n'est pas par hasard que les notions de village et de quartier se ctoient dans cette idalisation du quartier d'autrefois. En outre, le concept de quartier a jou un rle important dans les mouvements et les discours politiques; on pense par exemple aux mouvements des petits commerants en Europe vers la fin du XIXe sicle pour lesquels le quartier reprsente un univers limit, cloisonn et autarcique assurant la subsistance du menu peuple. Enfin, les historiens ont retrouv le quartier, les historiens en qute d'un terrain plus restreint pour ce que l'on appelle aujourd'hui la micro-histoire.

    L'ide du quartier est rductrice; elle en accentue l'homognit. Aussi m'attacherai-je en particulier aux questions de complexit. Je voudrais souligner les variables qui compliquent le monde simple du quartier : les paramtres sociaux et conomiques, les questions de pouvoir, l'existence de conflits. Il convient de souligner ces lments sinon le risque est grand de voir la complexit urbaine reculer, les questions de pouvoir et de classes s'effacer au profit de l'image d'une communaut homogne et chaleureuse. L'historiographie du quartier peut facilement se perdre dans le quartier lui-

    MEFRIM - 105. - 1993 - 2, p. 405-412. 30

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    mme, et peut facilement se structurer autour des images culturelles et idologiques du quartier de la nostalgie. Si l'image du quartier est une image de l'introspection, l'historien doit s'en distancier. Grce ce recul, l'historien peut tenir compte des forces qui structurent le monde du quartier, et surtout de plus larges rseaux : contraintes et pouvoirs conomiques, relations de dpendance, politique municipale, rapports sociaux dpassant la sphre du quartier.

    Une des problmatiques pralables, lorsque l'on parle de quartier, regarde la multiplication d'espaces sociaux homognes. Mais l'homognit constitue-t-elle une caractristique fondamentale du quartier? On peut en douter mme en ce qui concerne les quartiers mono-professionnels. Sduits par l'image du quartier dans la culture europenne de la fin du XXe sicle, nous avons tendance croire que si un territoire ne prsente pas une homognit sociale ce n'est pas un vritable quartier. Mais qu'entend-on par homognit? Comment sera-t-elle mesure? Retiendra-t-on la classe sociale, la profession, l'ethnicit? Il faut reconnatre que l'on ne trouve que rarement en histoire cette espce d'uniformit. On la rencontre plus souvent peut-tre dans les quartiers bourgeois, dans les quartiers urbains o l'absence d'activits productives ainsi que le prix des lotissements et de la proprit rsidentielle permettaient une exclusivit de voisinage. Parmi les quartiers populaires ou ouvriers, cette homognit est beaucoup plus rare.

    Le cas de Milan attire notre attention sur un autre aspect de cette notion de quartier uniforme. Une analyse des rseaux de rapports intensifs est propose afin d'tudier et d'identifier les quartiers. Une carte informatise pourrait rendre compte de ces rapports personnels. L'approche est intressante; mais elle implique que le quartier se dfinisse partir de la recherche des noyaux denses de ces rapports. Les rsultats seraient prcieux. Mais cette approche permet de souligner une caractristique de l'histoire sociale du quartier : la reconstitution du quartier travers le comportent des individus. L'analyse des rseaux quotidiens et sociaux est un projet important pour l'historien de la socit, mais cette approche du quartier pose le problme de partir d'une dfinition du quartier dans laquelle la densit des rapports constitue l'essentiel; le quartier comme complexit est exclu par dfinition.

    sujet des aspects conomiques et sociaux de ce que l'on appelle le quartier, je voudrais donc mettre en vidence un groupe de variables qui attirent notre attention sur des questions de diversit, de complexit et de changement historique.

    Le rapport entre quartier, travail et professions est un premier thme de rflexion. Pour l'historien, le quartier de production industrielle consti-

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    tue le quartier classique, l'idal-type; il sert de dfinition du vrai quartier comparer d'autres quartiers, tout comme une classe mobilise et en conflit sert dfinir une vritable classe. Nanmoins, ces espces de quartiers industriels effectivement mono-professionnels taient assez rares. On pense aux quartiers de la soie Spitalfields (Londres) ou la Croix-Rousse (Lyon), au quartier des armuriers de Birmingham, et, un peu partout, aux communauts minires. Si ces quartiers vraiment mono-professionnels taient minoritaires, les quartiers productifs en gnral taient plus rpandus. Au centre des grandes villes, et dans les petites villes industrielles d'Europe, la production artisanale et industrielle se trouvait au cur d'une grande partie des quartiers populaires. Peut-on identifier une transition, au cours des XVIIIe et XIXe sicles, entre les quartiers productifs d'une part et les quartiers rsidentiels d'autre part? La sparation entre le lieu de travail et le foyer, entre le lieu de production et de reproduction, a caractris l'urbanisation contemporaine. Ce changement, bien que lent et ingal, est l'origine du quartier rsidentiel au XX sicle.

    Les rapports entre travail et quartier ne se limitent pas la question de la production l'intrieur du quartier. Pour aborder le problme sous un angle diffrent, on peut considrer ces espaces vcus, ces quartiers, en tant qu'expression de deux matrices conomiques : le march du logement et le march du travail. Le caractre localis des renseignements et des marchs dans les grandes villes du XIXe sicle constituait une force fondamentale qui produisait des quartiers populaires et ouvriers. Les grandes villes taient en ralit fragmentes en petits mondes limits par le caractre trs modeste des rseaux de renseignements, mme en dehors des quartiers productifs. Ainsi, au sujet des renseignements sur les logements populaires, on sait que les dplacements rsidentiels taient nombreux parmi les classes populaires; mais ces dmnagements taient en ralit trs localiss, borns par le march du logement et le monde trs limit dans lequel s'taient rpandues les informations sur les logements. Il en allait de mme pour une grande partie des marchs du travail. Dans chaque ville, il y avait plthore de marchs du travail, diffrents pour chaque mtier ou profession. Comme l'a montr E. J. Hobsbawm, dans une tude novatrice, les marchs du travail Londres au XIXe sicle1 taient trs varis. Chaque section d'un syndicat reprsentait un march du travail localis. D'un march l'autre, il y avait donc la fois une grande diffrence et un chevauchement complexe. Si les ouvriers qualifis trouvaient leur travail dans une

    1 E. J. Hobsbawm, The labour market in nineteenth-century London, dans London : Aspects of Change, d. par R. Glass, 1964.

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    partie assez grande de la ville, il n'en tait pas de mme pour les journaliers : l'envergure de leur march et de leurs renseignements restait trs dpendante de leurs connaissances personnelles et de l'absence d'embauch rgulire. Les horizons crs par ces types de marchs du travail taient la fois locaux, personnels et limits. Certes, chaque march du travail ne constituait pas un quartier. Mais en tant que forces conomiques fixant les gens dans l'espace, les marchs du travail sont des variables importantes pour la construction des quartiers.

    Nous avons dj remarqu, au cours du XIXe sicle, la sparation ingale mais progressive du lieu de travail et du lieu d'habitation. L'histoire du quartier doit prendre en compte les consquences de cette sparation. Retenons notamment le dclin relatif des quartiers artisanaux, spcialement les quartiers dans lesquels les compagnons et les apprentis taient hbergs chez leurs matres. Par ailleurs, la pratique d'un voyage quotidien au travail se dveloppe, comme l'a montr Annie Fourcaut dans son tude des banlieues de Paris. Peut-on identifier un processus de distinction entre les quartiers en fonction des rapports plus diffrencis entre travail et habitation? Ce n'est qu'aprs le dveloppement de la grande industrie vers la fin du XIXe sicle que l'on identifie les quartiers vraiment proltariens.

    Le quartier en tant que lieu de consommation est une consquence de ce processus. Le travail et la consommation se ctoient toujours dans les quartiers - mme dans les quartiers de standing -, mais au cours du XIXe sicle, on assiste une modification de d'quilibre. Les quartiers populaires constituent de plus en plus des lieux de consommation familiale, de moins en moins des lieux de production ou de travail salari. C'est vident en ce qui concerne les quartiers bourgeois. Au dbut du XIXe sicle, les ngociants de Liverpool ont habit un quartier commercial dans lequel les maisons des grands ngociants taient la fois des bureaux et des foyers. Dans les annes 1830, une sparation rapide s'amorce. Dans une grande partie des villes europennes, les quartiers bourgeois - soit les quartiers des centre villes qui ont subi la reconstruction centrale, soit les suburbs sur le plan anglais - sont devenus la rgle. Mais cette sparation tait importante aussi pour les quartiers populaires. La pratique de quitter le quartier pour le travail devenait plus rpandue. La force motrice du quartier, la force unificatrice devenait - ou plutt a commenc devenir - la consommation. Les rapports quotidiens se dveloppaient autour de la consommation, et les questions de statut social, de respectabilit, se formaient de plus en plus autour de cette nouvelle force dominante. Est-ce qu'on peut trouver dans cette importance de la consommation une force affaiblissante pour le quartier, une force accompagne par une retraite vers le foyer, vers la priorit donne au monde priv? Peut-tre, mais il ne s'agit pas proprement par-

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    1er de la suppression du quartier, plutt de sa mutation. Il n'y a pas de dfinition unique du quartier.

    Le troisime thme de rflexion est celui du rle de la structure et des transformations urbaines. Il est important en effet de prendre en considration la situation du quartier dans la structure urbaine. Il y a une grande diffrence entre les faubourgs populaires en priphrie de grandes villes comme Paris et Lyon, les quartiers classiques dans le style anglais, le Whi- techapel de Jack l'ventreur dans l'imagination bourgeoise, ou des quartiers moins connus mais plus rpandus au centre de toutes les grandes villes anglaises avant la dcentralisation du XXe sicle. Une question pour l'histoire compare : peut-on constater des rsultats diffrents, dans les quartiers de centre ville et les quartiers priphriques, suivant l'cologie urbaine?

    Si le quartier existe, en est-il de mme pour la ville? La question de l'image et de l'exprience du quartier trouve sa place dans notre analyse historique, mais on n'a pas fait autant de recherches sur l'image de la ville dans l'esprit des citadins. Les mondes urbains sont habits et vcus par les gens : on parle du quartier comme d'un espace vcu. Mais dans quelle mesure y avait-il une conception de la ville dans les mentalits de ses habitants? Dans sa contribution ce volume, Saunier parle de l'oubli de la ville. Les habitants d'un quartier ne passent pas tout leur temps l'intrieur du quartier. Ils font des trajets, des dplacements quotidiens, et chacun des habitants dessine ainsi une carte personnelle de la ville. On trouve dans les journaux dtaills de deux jeunes gens de Liverpool dans les annes 1880 la construction de ce qui tait, en effet, une carte de la ville, tout fait diffrente pour chacun d'entre eux : pendant l'anne, ils ont rarement visit de mme endroit, la mme rue. La ville de l'un n'a pas touch la ville de l'autre. En ralit ils n'ont pas habit la mme ville, mme si leurs deux villes portent le nom de Liverpool.

    La ville est plus qu'une image dans l'esprit de ses habitants. Si nous voulons saisir le quartier dans ces aspects sociaux et conomiques, il faut donc s'interroger sur les rapports entre le quartier et la construction urbaine. L'historien, dans son analyse rapproche du quartier risque facilement d'oublier que la ville s'impose sur le quartier. On pense aux grandes transformations, surtout celles lances par Haussmann Paris pendant le Second Empire. Mais il faut penser aussi aux petites transformations du tissu urbain, comme par exemple les taudis et les vieux quartiers dmolis par le London County Council aprs 1889. Les consquences en sont complexes, beaucoup plus complexes que ce que l'on aurait imagin si l'on n'avait pour tmoignage que les dnonciations des contemporains qui ont fait les louanges de ces quartiers perdus (je me permets d'emprunter le titre

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    d'un roman frappant de Modiano sur le quartier imagin). Vraiment perdus? La rponse est complexe. F. Bourillon a constat, dans son tude du quartier des Arts-et-Mtiers Paris pendant la reconstruction haussman- nienne entre 1855 et 18722, que les grandes dmolitions, les nouveaux axes, la disparition de nombreuses entreprises constituaient effectivement une destruction. Mais, comme le constate F. Bourillon, une fois les travaux termins, le quartier s'adapte. Sa base conomique s'est restreinte mais elle a conserv des caractristiques artisanales semblables celles du quartier avant les travaux. La continuit est aussi importante que la rupture; cette continuit est impose par les rapports entre le quartier, son espace et la ville de Paris en pleine croissance.

    Les transformations de la morphologie urbaine ont des consquences sociales et politiques importantes pour la question du quartier populaire. Une tude monographique sur Preston3, ville cotonnire d'Angleterre, a mis en vidence les rapports entre la situation des quartiers populaires dans l'espace de la ville et le comportement politique des ouvriers. Ainsi, pendant des annes, dans les quartiers mixtes du centre ville dans lesquels ouvriers et petits bourgeois se brassaient dans un monde que l'on pourrait appeler le monde du menu peuple, la politique des ouvriers tait populaire plus que proltarienne, et elle fonctionnait l'chelle de la ville mme. Mais au dbut du XXe sicle et pendant l'entre-deux-guerres, les quartiers ouvriers se sont dplacs vers l'extrieur, vers les nouveaux quartiers du logement social. Leur monde se distanciait ainsi des petits bourgeois du centre car les coopratives de consommation avaient supplant les commerants individuels; un monde o l'organisation formelle avait remplac la politique informelle d'autrefois; un monde qui tait plus exclusivement un monde ouvrier; un monde des quartiers plus introspectifs, o le Parti travailliste l'emportait sur les traditions politiques plus gnralises. Le dplacement des quartiers ouvriers dans l'espace de la ville constituait donc un lment important pour les rapports politiques dans la ville.

    On est port, par consquent, vers le monde social du quartier et ses rapports aux mouvements des populations urbaines, notamment vers la question de la stabilit rsidentielle. L'ide de quartier et le concept de voisinage se sont imbriqus, et le quartier, en tant que force importante de la vie sociale, suppose quelques continuits dans les rapports personnels; ces continuits exigent une certaine dose de stabilit rsidentielle. Or les re-

    2 F. Bourillon, La rnovation de Pans sous le second Empire : tude d'un quartier, dans Revue historique, 1987.

    3 M. Savage, The Dynamics of Working-Class Politics. The Labour Movement in Preston, 1880-1940, Cambridge, 1987.

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    cherches d'histoire urbaine ou de gographie historique montrent le contraire : l'instabilit rsidentielle caractrise les quartiers populaires au XIXe sicle, l'chelle du btiment ou de la maison de rsidence, mais aussi du quartier. Les populations urbaines se dplaaient souvent dans l'espace de la ville, et d'une ville l'autre. Ces contatatins posent des difficults. Le quartier, tel qu'il est conu dans l'historiographie, prsume-t-il vraiment de sa population une stabilit dans l'habitat et dans l'espace? En gnral, les historiens du quartier n'ont pas tenu compte de ce manque de stabilit, ni de ses consquences pour leur concept du quartier. Les communauts trouvent-elles leurs fondements dans des rapports entre des individus stables? Dans l'affirmative, il faudrait admettre que les communauts sont trs rares. En ralit, il faut se distancier d'une approche trop fonde sur les comportements personnels et individuels. Il faut comprendre le quartier comme une structure, comme un effet des structures conomiques et urbaines voques plus haut, et il faut saisir l'identit sociale du quartier travers ses structures sociales plus qu'individuelles. Il convient de rechercher les lments de stabilit des quartiers : les institutions de sociabilit et le rle des habitants permanents. En interrogeant l'importance des magasins, des commerants, des ateliers - lments souvent permanents du quartier -, on trouverait les institutions, les entreprises, les lieux qui constituent l'ossature d'un quartier, les lieux d'une sociabilit quotidienne qui font la stabilit du quartier en dpit de l'instabilit des individus.

    D'o l'ide de l'importance de la petite bourgeoisie dans les quartiers populaires; le petit patronat est une force cratrice des continuits du quartier. Marcel Roncayolo a soulev, dans son introduction ce colloque le concept d' appartenance supporte par la mmoire. Qui cre cette mmoire? La riche tude d'un ethnologue4, peu connue des historiens, portant sur un quartier de Tokyo au XXe sicle, pourrait nous aider. D'aprs cet auteur, les institutions et la connaissance du quartier sont essentielles pour sa dfinition et son existence. Le patronat du quartier, petite bourgeoisie locale, se trouvait au centre de la vie du quartier. Il tait confront des rsidents qui taient moins dpendants du quartier pour leur travail ou mme pour leurs rapports sociaux : fonctionnaires, employs des grandes socits ou du gouvernement qui travaillaient autre part dans la ville, et pour lesquels le quartier n'tait qu'un lieu de rsidence. Dans ce contexte, le monde du quartier tait soutenu par le groupe qui pouvait le contrler, et

    4 T. C. Bestor, Neighbourhood Tokyo, Stanford, 1989.

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    qui, de plus, voulait le contrler. Parmi ces petits bourgeois, force cratrice du quartier, se trouvaient ceux qui ont maintenu, et peut-tre cr, sa mmoire, ses traditions, son existence.

    Le quartier en tant qu'espace bti est important; les modes de construction et de reconstruction du tissu urbain restent fondamentaux. Il faut souligner galement l'importance des forces structurelles : travail, logement, rapports entre lieu de travail et lieu d'habitation. Avec les donnes de la construction, elles ont une influence considrable sur le dveloppement du quartier. Le quartier existe cependant comme espace vcu, comme reprsentation dans l'imagination des habitants. Les quartiers homognes n'existaient pas, et l'homognit n'est pas un critre utile pour la dfinition du quartier. Je n'ai pas voqu d'autres aspects du dbat comme les ralits de gender par lesquelles se diffrencie l'exprience du quartier. Ainsi, au sein des quartiers populaires de Saint-tienne, il y avait au moins deux quartiers : le quartier masculin, structur autour de l'atelier, du caf, du jardin ouvrier, et le quartier fminin dfini travers le foyer, la rue, la boutique, le march5. Il en allait de mme partout. Les rapports entre les mnages taient fondamentaux pour les femmes, pour se soutenir, survivre, et souvent pour se dfendre contre leurs hommes dans ce petit monde de pauvret et d'ingalit. On revient la question des conflits, du pouvoir, de l'exprience, des images. L'espace a t prioritaire dans l'analyse du quartier, et de faon excessive. Le concept de quartier commence comme concept spatial; il se termine comme concept qui exige de l'historien la reconstruction des liens de pouvoir, des rapports sociaux et conomiques. L'historien doit surtout utiliser le quartier pour pntrer les liens qui se tissent entre l'espace, les structures et la vie quotidienne. C'est pourquoi il doit garder l'horizon de ses tudes sur le quartier deux phnomnes essentiels : les structures de la ville elle-mme et l'imagination des gens du quartier.

    Geoffrey Crossick

    J.-P. Burdy, Le Soleil noir. Un quartier de Saint-tienne, 1840-1940, Lyon, 1989.

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