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Médecine palliative — Soins de support — Accompagnement — Éthique (2008) 7, 199—202 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com 14 e CONGRÈS NATIONAL DE LA SFAP Culture et dépendance du psychologue en soins palliatifs Cultural background and dependency: The psychologist’s participation in palliative care Antoine Bioy Unité de prise en charge des douleurs et des soins palliatifs de l’adulte et de l’enfant/DAR, CHU Bicêtre, 78, rue du Général-Leclerc, 94275 Le Kremlin-Bicêtre cedex, France Rec ¸u le 28 mai 2008 ; accepté le 28 mai 2008 Disponible sur Internet le 24 juillet 2008 MOTS CLÉS Soins palliatifs ; Psychologie ; Diffusion de l’information ; Profession de santé Résumé Le psychologue, du fait de sa culture professionnelle et des méthodes qui en découlent, doit s’astreindre à une position où la pratique clinique doit être constamment repensée, comme la théorie qui la sous-tend. La dépendance à cette position professionnelle singulière est à la fois garante que le psychologue est bien dans sa fonction, mais aussi implique qu’il doive sans cesse composer avec des collègues qui n’ont pas la même culture professionnelle que lui. C’est cette position que nous interrogeons ici, ainsi que la question de la transmission des informations recueillies selon la méthode clinique en psychologie à des tiers, acteurs du soin. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Palliative care; Psychology; Information dissemination; Health professions Summary One of the members of the palliative care team, the psychologist, has a much different professional background than the other members. This implies a constant readapta- tion of clinical practices conditioned by the underlying psychological theory. The psychologist’s dependence on this unique professional position is both the guarantee that his/her interven- tions remain within the attributed functions, but also is a source of interrogation concerning the best way to transmit the information collected with a psychologist’s clinical methods to other healthcare partners. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. 14 e Congrès de la SFAP. Nantes, 19, 20 et 21 juin 2008. Cultures et soin: diversité des approches, complexité des réponses. Adresse e-mail : [email protected]. 1636-6522/$ — see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.medpal.2008.05.007

Culture et dépendance du psychologue en soins palliatifs

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Médecine palliative — Soins de support — Accompagnement — Éthique (2008) 7, 199—202

Disponib le en l igne sur www.sc iencedi rec t .com

14e CONGRÈS NATIONAL DE LA SFAP

Culture et dépendance du psychologue en soinspalliatifs�

Cultural background and dependency: The psychologist’s participation inpalliative care

Antoine Bioy

Unité de prise en charge des douleurs et des soins palliatifs de l’adulte et de l’enfant/DAR,CHU Bicêtre, 78, rue du Général-Leclerc, 94275 Le Kremlin-Bicêtre cedex, France

Recu le 28 mai 2008 ; accepté le 28 mai 2008Disponible sur Internet le 24 juillet 2008

MOTS CLÉSSoins palliatifs ;Psychologie ;Diffusion del’information ;Profession de santé

Résumé Le psychologue, du fait de sa culture professionnelle et des méthodes qui endécoulent, doit s’astreindre à une position où la pratique clinique doit être constammentrepensée, comme la théorie qui la sous-tend. La dépendance à cette position professionnellesingulière est à la fois garante que le psychologue est bien dans sa fonction, mais aussi impliquequ’il doive sans cesse composer avec des collègues qui n’ont pas la même culture professionnelleque lui. C’est cette position que nous interrogeons ici, ainsi que la question de la transmissiondes informations recueillies selon la méthode clinique en psychologie à des tiers, acteurs dusoin.© 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDS Summary One of the members of the palliative care team, the psychologist, has a muchdifferent professional background than the other members. This implies a constant readapta-

Palliative care;

Psychology;Information

tion of clinical practices conditioned by the underlying psychological theory. The psychologist’sdependence on this unique professional position is both the guarantee that his/her interven-tions remain within the attributed functions, but also is a source of interrogation concerning

dissemination;

Health professions the best way to transmit the inother healthcare partners.© 2008 Elsevier Masson SAS. Tou

� 14e Congrès de la SFAP. Nantes, 19, 20 et 21 juin 2008. Cultures et soAdresse e-mail : [email protected].

1636-6522/$ — see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droitsdoi:10.1016/j.medpal.2008.05.007

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ntroduction : une question de méthode

a psychologie clinique est actuellement en pleine muta-ion, tiraillée entre, d’une part, le souhait de conservern certain savoir interprétatif autour de la subjectivitéumaine et, d’autre part, de répondre aux soucis de’evidence-based medecine, afin de s’assurer une certaineégitimité dans le champ des sciences de la santé.

Dans ce contexte, le secteur des soinspalliatifs pourrait apparaître comme un secteurplutôt apaisé, presque pacifié, où peut s’exercer

une clinique où la parole conserve une placecentrale, et où la dynamique psychique n’a pas

besoin de subir une évaluation quantitative pourêtre légitimement approchée.

En effet, la méthode clinique qui a donné son nom à laorme de psychologie dont nous parlons est à peu de chosesrès celle qui fonde l’approche palliative. Elle consiste enne approche de l’autre souffrant, dans la totalité de sonvolution et de sa situation. Cette même méthode marque’importance d’une inscription relationnelle, tout autantu’elle défend la démarche de s’inscrire dans une tentativee compréhension de l’autre, afin que la prise en soins soita plus adaptée et respectueuse possible. Enfin, elle donnene place majeure aux données liées à l’environnement, etux interactions sociales et familiales en particulier. Unepproche finalement pleine de bon sens et d’humanité, danse que ce terme peut avoir de plus évident.

La raison pour laquelle la méthode revêt une si grandemportance est que la psychologie clinique a cela de par-iculier que, contrairement aux autres branches de lasychologie (sociale, cognitive, expérimentale, etc.), elle seéfinit par sa seule méthode. En effet, son objet d’étude,’humain et sa dynamique psychique, ne lui est pas spéci-que puisqu’elle le partage avec la psychopathologie, lasychiatrie et la psychanalyse. Seule la méthode cliniquea distingue non seulement de ces approches, mais aussi desutres branches de la psychologie. Notons cependant qu’il’agit là d’une particularité notamment francaise, puisquear exemple un psychologue aux États-Unis ne se spéci-e pas par sa méthode, mais par le secteur dans lequel ilravaille (d’où des branches comme la psycho-oncologie,ui ne possède pas en France de statut particulier, lessychologues travaillant en oncologie étant avant tout,u regard de la législation, des psychologues cliniciensui se trouvent exercer auprès de patients atteints deancer).

Et c’est cette méthode, une approche singulière de laubjectivité humaine au travers d’outils spécifiques (entre-iens, outils d’évaluation qui sont les seuls à pouvoir utiliser,tc.), qui fonde une certaine culture qui, comme nous leisions, trouve un écho au moins partiel dans l’approchealliative.

e la culture à la dépendance

ependant, si la culture du psychologue clinicien se trouvelobalement contentée dans celle développée plus large-ent dans le cadre des soins palliatifs, certains aspects de

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A. Bioy

a culture palliative sont plus difficiles à entrevoir dans leadre d’une pratique en psychologie clinique. Egalement,e praticien psychologue va devoir transiger, composer, éta-lir des compromis entre ses règles les plus strictes ete qu’il voit, entend, ou fait aux demandes qui lui sontdressées.

Probablement que le point d’achoppement leplus difficile entre les deux cultures, palliativeet psychologique, reste la notion de souffrance

spirituelle.

Car, même si notamment le dernier congrès de la Sfap’est attaché à démontrer avec plus ou moins de réus-ite que ce terme pouvait revêtir un sens laïque, ce sensà n’est pour le moins pas évident à saisir d’emblée nionceptuellement, ni dans sa mise en œuvre sur le ter-ain clinique. La psychologie clinique s’intéresse, en effet,lus à la notion de souffrance existentielle, qui déborde laotion de souffrance spirituelle et son jeu de valeurs et deroyances qui fonde en partie la notion d’identité. La souf-rance existentielle est, d’une certaine facon, le produites données spirituelles, mais non uniquement puisqu’ellentègre toutes les données pouvant intervenir dans la dyna-ique psychique d’un individu. La méthodologie cliniqueousse alors le psychologue à faire abstraction de tout pré-upposé ou référents théoriques pour écouter et entendree patient, dans l’ensemble des données qui le consti-uent (systèmes de valeurs, croyances, postulats, référencesntellectuelles et de vie, etc.).

Autrement dit, pour chaque patient, et à chaque ins-ant, le psychologue clinicien doit repenser toute la cliniquet accepter que l’autre, le patient, vienne totalementemanier les conceptions et théories qu’il a pourtant miseaucoup de temps à acquérir. On pourrait dire que poure psychologue clinicien, il existe autant de cliniques quee patients et à chaque fois qu’il est amené à tenter deomprendre la réalité de l’autre, il s’avance sur un terri-oire qui lui est parfaitement inconnu et nouveau. Il s’agità d’une approche qui le différencie de facon majeure dees collègues professionnels de santé, et des autres inter-enants auprès du patient (ministre du culte, bénévole,tc.). Là où ces professionnels et intervenants pensent leatient selon un certain nombre de valeurs et de connais-ances, la culture professionnelle du psychologue le pousseans une démarche où fondamentalement il doit avancerémuni, devant composer avec le sentiment d’impuissance,t faire avec le « non faire », le « non agir ». Et c’est bienà toute la substance de son intervention, de sa place,ais aussi son objet de dépendance car s’il quitte cetteosition, il n’est plus dans une démarche de psychologuelinicien.

nterroger son « savoir »

ntrer dans cet univers qui n’est plus peuplé que par

es représentations de l’autre, faire abstraction de sesonnaissances et valeurs, n’est cependant possible qu’à uneondition : que le psychologue clinicien reste le garant d’unadre, celui qu’il propose aux patients et qu’il demande àes collègues d’accepter. Autrement dit, qu’il conserve sa

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dapdecpdemprimordiale du cadre, et de ses règles explicites et impli-cites.

Ce point de vue, qui peut évidemment être source de

Culture et dépendance du psychologue en soins palliatifs

méthode, même si celle-ci n’est pas toujours comprise ouacceptée au sein d’un service.

Une méthode qui inclut notamment, non laculture du secret pour le secret, mais

l’impossibilité de dire et transmettre qui « est »l’autre, car simplement il ne peut déterminer

lui-même tout ce que ce verbe « Être » recouvrepour un patient.

Il ne peut que proposer une réflexion à partir d’élémentsrecueillis, ou aider à discuter de différentes options thé-rapeutiques en prenant pour référence non ce qu’est lepatient mais où il en est, en situation, à un moment donnéet de facon très partielle.

Il ne peut d’ailleurs s’agir que de « matière à penser »qui constitue l’objet d’une réflexion commune, et non defaits qui ne relève pas de ce que la psychologie cliniquepeut saisir, appréhender, ratifier. Y compris les mesuresqu’un psychologue clinicien peut prendre à l’aide d’outils(projectifs comme le Rorschach ou psychométriques commeune échelle de dépression) n’ont de sens, de valeur, quedans l’analyse qui en est faite au regard de la subjectivitédu patient, de la facon dont il vit sa réalité. Les don-nées ainsi recueillies ne sont jamais des faits en soi pourle psychologue clinicien. Je suis d’ailleurs très interroga-tif lorsqu’un confrère me dit qu’une partie de son travailest de participer activement à une décision thérapeutiquerelevant d’un acte médical jusqu’à parfois pouvoir poserun « veto » sur tel ou tel acte à réaliser. Je me demandetoujours ce qui, dans son savoir et sa méthode, peut luiaccorder une telle latitude d’action. De même, je restecirconspect lorsqu’une conduite humaine est analysée auregard d’une grille « culturelle » qui permet de décoder telou tel comportement ou idée, puisque la méthode en psy-chologie clinique en centrant son écoute sur le patient etsa seule réalité est à même de percevoir ce qui relèved’une position culturelle telle qu’elle a été réellementintériorisée ou non. Cela, sans avoir besoin au préalablede connaître lesdites données culturelles, puisque seulimporte ici ce que le patient va en révéler et qui fait échopour lui.

Il ne s’agit évidement pas de nier l’importance d’unsavoir conceptuel de base, ou la nécessité de référencesthéoriques. Mais paradoxalement, elles ne peuvent être quedes points de repères pour saisir, dans l’après-coup et nonl’actualité de la relation, les éléments en jeu. Il s’agit depoints cardinaux permettant d’aider à situer un patient à uninstant donné de son parcours, mais qui ne permettent enaucun cas de définir un patient en soi, qui il est réellementou même prédire ses mouvements à venir.

Culture du psychologue et autresintervenants

Là où la culture des autres professionnels de santé prennent

le réel du patient comme premier repère pour penser sasituation, le psychologue clinicien s’inscrit d’emblée dansun essai de compréhension de la réalité du patient (entant que positionnement du patient par rapport à un vécusubjectif).

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Là où les médicaux et paramédicaux cherchent légitime-ent des repères objectifs et formels pour agir1, la cultureu psychologue l’amène à quitter ses repères profession-els pour se laisser guider par l’inédit du patient, l’inconnue ses associations, l’expression inattendue de ses désirs etngoisses.

Là enfin où les non professionnels du soin qui accom-agnent le patient sont présents auprès de lui en fonctione ce qu’ils sont et ce en quoi ils croient, le psychologuee positionne comme un écran de projection, un miroir, auxeprésentations et croyances de l’autre.

Chacune de ces positions est bien sûr légitime en soinsalliatifs, et participe à une approche globale du patient,entrée sur lui. La position du psychologue dans ce sys-ème n’est pas simple, voire malaisée, tellement sa culturerofessionnelle, dont il est dépendant, peut paraître dif-érente, voire antinomique par rapport aux autres acteursans un service, voire à domicile. Cela dit, il me semble queette culture doit tenir compte de la méthodologie globalees soins palliatifs et, de fait, doit pouvoir donner lieu sinondes compromis au moins à des aménagements en bonne

ntelligence.Ces aménagements portent essentiellement sur le cadre

t les modalités de passage de « l’information ». La ques-ion reste cependant de savoir de quelle information il’agit, étant entendu comme nous l’avons dit qu’il neeut s’agir d’une information disant qui « est » le patient,ême si parfois les demandes au psychologue vont dans

e sens. Nous parlons ici certainement de la questionu contenu des entretiens, de ce qui a été véhiculésurant les rencontres patient—psychologue, et qui est sus-eptible d’être transmis à des tiers professionnels duoin. Disons d’emblée qu’il faut certainement en finirvec le fantasme d’une parole qui ne pourrait être diteu’au psychologue et il n’existe aucun « secret d’état » enoi.

Il s’agit donc bien, ici, de considérer non laqualité de l’information confiée au psychologue,mais les conditions où ces informations ont été

transmises.

En d’autres termes, aucune information ne peut êtreans l’absolue source d’une rétention si son contenu peutvoir une utilité dans la prise en soins dont bénéficie leatient. En revanche, il s’agit de préserver le fameux cadreont nous parlions et qui est le garant de la méthoden psychologie clinique. Je décentre ici volontiers le dis-ours autour du classique « préservation de l’intimité duatient et de la confiance dont le psychologue est leépositaire » vers une question de culture professionnellet de méthode. Il me semble, en effet, que le pre-ier point n’est, en fait, qu’une incidence de la question

iscussion, implique qu’il est parfois urgent de reconsidérer

1 Rappelons qu’organiser une « non action » éclairée et respec-ueuse du patient, aux vues d’une situation de fin de vie parxemple, reste une facon d’agir.

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os positions dogmatiques sur le contenu des informations.n argument qui laisse à réfléchir est que nos collèguesartagent leurs informations relevant pourtant du secretédical, sous couvert d’un secret partagé, et avec commeotif le bien du patient avant tout2. Pourquoi en serait-il dif-

érent pour les psychologues ? Il s’agit donc, à mon sens, none prendre une décision de principe concernant les infor-ations qui peuvent être transmises ou non, mais plutôte se poser la question de savoir comment transmettre ce

ui peut l’être tout en préservant le cadre des rencontresatient—psychologue. Et cette transmission inclue égale-ent le passage par l’écrit, bien souvent percu comme une

preuve, mais qui peut cependant être fort utile dans uneerspective de liaison optimale mais aussi de préparation

2 Nous pourrions ajouter que cet échange correspond aussiun souci d’interdisciplinarité en soins palliatifs, mais il y

urait beaucoup à dire sur cette question, et sur le différentieltopie/réalité. . .

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A. Bioy

e l’avenir (réflexions autour des décisions thérapeutiques,otamment).

Je ne crois pas qu’il existe de réponse absolue à cetteuestion du « comment informer, communiquer », mais desituations cliniques diverses. Non, nos collègues profession-els du soin n’ont pas (tous) un fantasme impur et perverse violation du secret des entretiens psychologiques. Et oui,ravailler en institution possède aussi des règles différentese la pratique libérale et que l’on ne peut balayer d’un trait

ar, que le psychologue salarié le veuille ou non, il fait par-ie de cette institution, ne serait-ce que par l’influence qu’ilexerce. Et c’est d’ailleurs là une autre forme de dépen-

ance, aussi légitime que celle qui nous lie à notre culturerofessionnelle. . .