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  • LA RENAISSANCE approche globale du XVIe sicle

    Le phnomne socioculturel nomm au dbut du XIXe sicle Renaissance a comme point de dpart le XVe sicle italien et se manifeste comme un enchanement dvnements non synchroniss qui se propagent successivement partout en Europe.

    En France, le renouveau des sciences et des arts propre au XVIe sicle avait affect tous les

    domaines : intellectuel, artistique, philosophique, religieux, thique, social, tous les modes de vie, individuels et collectifs, toutes les conceptions de la socit et du monde, tous les rapports de lhomme avec Dieu, avec ses semblables et mme avec lui-mme.

    Lapparition et les manifestations de cet esprit nouveau (lhumanisme, la Rforme, le baroque) naissent dabord en Italie, puis en Espagne, en France, en Angleterre, en Allemagne et plus tard en Russie et dans les pays de lest de lEurope.

    On parle gnralement de trois vnements qui avaient dclench cette mutation: linvention de limprimerie, la prise de Constantinople par les Turcs et la dcouverte de

    lAntiquit grecque et latine. La presse imprimer et lencre capable de raliser lcriture sur les deux faces du papier,

    inventes par Gutenberg en 1434, ont t successivement mises au point et, de 1450 1455, la technique typographique avait permis limpression du premier livre : la clbre Bible de Gutenberg. En 1470 la premire presse franaise a t installe la Sorbonne. Linfluence de limprimerie a favoris lexpansion des ides nouvelles, humanistes et rformes, mais il ne faut pas oublier quen Italie, la Renaissance a t antrieure cette dcouverte.

    On retient habituellement la prise de Constantinople par les Turcs en 1453 comme date

    qui marque la fin du Moyen ge. partir de ce moment nous assistons un exode de lettrs grecs qui cherchaient asile en Occident. Les rfugis apportaient des quantits de manuscrits et, en plus, leur immense culture dont lItalie, en tant que pays daccueil, devait profiter. Mais il ne faut pas oublier que Ptrarque avait vcu un sicle auparavant, et par son esprit il avait normment contribu au renouveau des ides, car, part ses clbres sonnets, il avait eu une remarquable activit culturelle, il avait frquent les milieux drudits, anim dune vritable fascination pour lAntiquit et avait crit de nombreuses uvres en latin, pour ne plus parler de Dante qui crivait dj, au XIIIe sicle, De Monarhia, trait de politique, o il parlait de lunification europenne sous le sceptre dun monarque qui devait dassurer la paix universelle.

    Sur le plan politique, les agitations populaires qui au XVe sicle staient produites en

    France, en Angleterre et en Espagne se sont calmes et la monarchie en est sortie victorieuse Les rpubliques italiennes ont t remplaces par des principauts. La cause monarchique

    triomphe en Espagne, avec Charles Quint, en Angleterre, avec les Tudors, en France, avec les

    successeurs de Charles VII, protgs par une arme permanente. Une nouvelle politique devait prvaloir en Europe : un systme dquilibre ne permettra plus une puissance de sagrandir aux dpens des autres pays, ni aux forts dcraser les faibles et laction sera dtermine non plus par compassion ou gnrosit, mais par calcul.

    Du point de vue culturel, le Moyen ge navait plus rien donner. Un esprit nouveau tait ncessaire pour ranimer les cendres.

    Le monde bougeait. Le Gnois Christophe Colomb qui cherchait pour le compte de lEspagne une route commerciale vers les pices des Indes dcouvre, en prenant la direction de louest, les actuelles Carabes et la cte de lAmrique centrale. Aprs lui, les navigateurs ont compris quil sagissait dun nouveau continent. Le voyage vers lOrient continuera de hanter les penses dautres navigateurs, dont Magellan et Vasco de Gama. Ce dernier dcouvrit la route des Indes par le cap de Bonne Esprance, fonde des comptoirs portugais sur les ctes africaines et devint vice-roi des Indes portugaises en 1524. Toutes ces grandes dcouvertes faites pour des buts commerciaux taient animes par lesprit daventure et la curiosit des navigateurs dsireux surtout de trouver des terres nouvelles et de senrichir.

  • Louverture du grand monde est un vritable choc pour les Europens, qui veulent semparer des nouveaux territoires par la violence. Les plus sages en tirent la conclusion de cette exprience : dans lunivers humain tout est relatif.

    Si les hommes avaient fait lexprience de la rondeur de la Terre, (aprs la mort de Magellan, un de ses navires est rentr en Espagne en contournant lAfrique, en 1522) les dcouvertes dans le domaine de lastronomie avaient prouv linfinit de lunivers. Le philosophe allemand Nicolas de Cuse avait dj imagin linfini, dpourvu de centre, compltement diffrent du cosmos ferm dAristote et de Ptolme. En plus, Copernic ayant situ le Soleil au milieu du mouvement circulaire des plantes, Giordano Bruno reprend lide dun Univers par rapport auquel la Terre ne reprsente pas grand chose et lhomme dautant moins. Pour ces ides il finit sur le bcher. Galile, au XVIIe sicle, en sera seulement menac.

    Lide de limmensit de lUnivers est si sduisante quon pense par analogie que lhomme est un Univers de dimensions rduites, mais comparable au grand Univers par ses ides en expansion. Cette analogie contribue la reconsidration de la dignit humaine dautant plus que lart, la mdecine, la physique et les mathmatiques sagencent tablir les proportions du corps humain. La peinture dcouvre la perspective et met vidence lespace infini par rapport au point de vue de lartiste observateur.

    Cette nouvelle attitude devant lhomme fonde un phnomne culturel de grande envergure. LItalie joue un rle principal dans ce mouvement gnral dont lesprit novateur se propage vite en Europe, grce surtout aux guerres, comme autant de voyages ltranger. On assiste au XVI

    e sicle des choses surprenantes : les livres contenant les penses et les ides les plus

    avances sont la porte de tous. Les expditions militaires au-del des Alpes, en Italie, mettent les Franais en prsence des monuments antiques et des productions des artistes italiens. Sans avoir gain de cause, les Franais rentrent plus riches, aprs avoir connu la faon de penser et de vivre des Italiens, leur mentalit, leur art.

    En essence, la Renaissance signifie dun ct la dcouverte de lAntiquit grecque et romaine et, dun autre, la dcouverte du grand monde et de tous les problmes qui sensuivaient et dont la rsolution imposait ladoption dun esprit nouveau, centr sur lhomme.

    Toutes les conditions conomiques taient dj parvenues au point apte permettre lapparition dune pense nouvelle, ce qui devait conduire lapparition dune nouvelle socit.

    Le Prince des humanistes a t rasme [Didier Erasme, en latin Desiderius Erasmus, n Rotterdam en 1469, lauteur du clbre Eloge de la Folie, ddi Thomas Morus] dont la pense, faite de mesure et prudence, chercha concilier ltude des Anciens et les enseignements de lvangile. Erudit, philosophe et philologue, interlocuteur des ttes couronnes, des rois et des papes, ami, puis adversaire de Luther, il a t en relation pistolaire avec toutes les personnalits europennes dont Rabelais, lhellniste franais Guillaume Bud et le savant anglais Thomas Morus.

    cette poque on ne se contente plus de lire le grec, on apprend lhbreu, dont lhumaniste allemand Reuchlin conseille ltude, et larabe, quenseigne Postel, le plus remarquable orientaliste de son temps.

    Peu peu, de mme quon veut restituer lauthenticit des textes sacrs, malgr lopposition des autorits ecclsiastiques, la Sorbonne en particulier, cette initiative favorisera la Rforme, entreprise de purification radicale de lglise. On assiste la chasse aux sorciers qui finissent sur des bchers allums, ct des partisans de la Rforme.

    Il est cependant un point sur lequel la Renaissance se manifeste par une constance

    exemplaire : la conqute progressive par le franais de tous les domaines jusque-l rservs au latin. Les philologues sengagent dans des disputes sur le langage et sur lorigine des langues. Le franais remplace le latin en 1539, en tant que langue administrative, judiciaire et diplomatique, par

    lordonnance royale de Villiers-Cotterts. Lcole potique de la Pliade y joue son rle, point ngligeable, (nous navons qu comparer la langue de Rabelais et de Marot celle de Montaigne et de Malherbe) et les crations littraires attachent une attention plus spciale la technique potique, la mtrique, au thtre. On dcouvre les possibilits de lalexandrin en franais, on cre la tragdie

  • et la comdie en franais. Les anciennes formes fixes mdivales sont remplaces par lptre, llgie, lglogue, lode et surtout le sonnet, daprs le modle de Ptrarque.

    Toutes ces nouveauts ne tombaient pas du ciel, mais avaient t longuement prpares par les efforts conjugus des potes des gnrations antrieures. Durant la fin du XVe sicle et le dbut du XVI

    e sicle, la cour de Bourgogne, puis, celles de Bretagne et de France assistent la naissance

    et lactivit dune cole de potes qui pratiquaient la seconde rhtorique la posie, par rapport la prose, la premire rhtorique. Ces potes sont les Rhtoriqueurs.

    Les potes taient rimeurs gages, mais ils tenaient en haute considration leur mission de versificateurs, quils voulaient joindre celle dhistoriographes, conseillers et confidents de leurs employeurs, lexemple de Georges Chastellain, le plus illustre dentre eux.

    Dans le domaine des arts visuels et plastiques, les peintures, les sculptures, les tapisseries,

    les ftes officielles ou les ftes de la cour contribuent autant que limprimerie la diffusion de lesprit nouveau, en familiarisant le public avec les grands sujets de lAntiquit.

    Au milieu de toute cette effervescence, lglise catholique se constituait en opposante et la question religieuse devenait de plus en plus proccupante, car la volont de rnovation se manifestait aussi sur le plan religieux. Nous assistons, en France, un mouvement religieux qui prescrivait une plus rigoureuse fidlit lesprit des vangiles, soutenu par lvque de Meaux et par la soeur de Franois I, Marguerite dAngoulme, duchesse dAlenon et, plus tard, reine de Navarre.

    Mais la vritable Rforme arrive de lAllemagne. Le moine augustinien Thomas Luther slve contre la puissance temporelle de lglise. Il est excommuni mais, au mme moment, Zwingli prend la relve en Suisse, suivi par Jean Calvin qui, chass de France, sinstalle Genve o il institue une socit thocratique.

    Lglise ne reste pas les bras croiss et organise la Contre-Rforme, en rtablissant lInquisition en 1542. Ignace de Loyola, jeune gentilhomme basque fonde lordre des Jsuites qui se propose dextirper lhrsie. Les Jsuites, qui sintitulent soldats de Dieu, sentranent par des exercices spirituels et, conduits par le Gnral de lordre, se font connatre partout dans lAncien et le Nouveau Monde, par leur oeuvre denseignement et leur pratique missionnaire.

    Cette situation complexe prsente le XVIe sicle franais comme une mosaque. Au dbut, Franois Ier est ouvert aux manifestations intellectuelles soutenues aussi par sa

    soeur, Marguerite dAngoulme, mais il se montre de plus en plus inquiet des ventuelles consquences politiques de la Rforme. En 1534, des manifestes protestant contre loffice divin catholique sont colls partout, jusqu la porte de la chambre du roi, au chteau dAmboise. Cet vnement, connu sons le nom de l Affaire des placards , compromet la cause de la Rforme et de lhumanisme. Franois Ier fait arrter et condamner tous les suspects dhrsie et ferme lImprimerie royale. Lhumaniste tienne Dolet finit sur le bcher ct de tous ceux qui taient considrs comme hrtiques.

    Dans lensemble culturel de lpoque on distingue, malgr le grand dsordre gnral, une cohrence intellectuelle qui vise lobtention de quelques buts et qui allait se manifester pleinement, un sicle plus tard : il sagit de restituer les disciplines, dinstaurer les langues, de dfendre et dillustrer la posie franaise. On rve dun monde o lhomme se comprenne lui-mme pour vivre en harmonie avec la nature et avec soi-mme.

    La Renaissance littraire en France est une poque de recherches et dexprimentations. Vers 1500, apparaissent les signes dune volution littraire surprenante: - la fiction narrative se rpand (on enregistre les premires nouvelles imites de litalien) ; - la cration littraire en latin subsiste et imite les Anciens considrs comme des modles parfaits. Les contacts, par le biais dItalie, avec les sources antiques entranent des renouvellements dans la langue et dans la pense ; - lindividu saffirme la dcouverte de sa personnalit, comme Michel de Montaigne, dont les Essais posent de nombreuses interrogations sur lhomme et la socit. Chez Rabelais, une truculence encore mdivale se mle la philosophie humaniste pour crer une uvre extrmement inventive ;

  • - aprs la vogue dune langue trs technique et dun style savant (les Grands Rhtoriqueurs), une tendance de retour au naturel apparat en posie avec Clment Marot. Il cherche purer la posie de son temps de la strilit du langage et de la prouesse rhtorique et introduit en France le sonnet italien ;

    - dautre part, Maurice Scve, le pote le plus reprsentatif de lcole lyonnaise, se veut le disciple de Ptrarque ; - la rupture avec le Moyen-Age est dfinitivement consomme avec la parution de la Dfense et Illustration de la langue franaise de Joachim du Bellay. Les potes de la Pliade donnent la langue franaise la mme valeur littraire quaux langues anciennes et russissent trouver les accents dun lyrisme nouveau. Ils refusent avec vhmence les formes mdivales (rondeau, virelai, ballade) et accueillent les formes antiques (odes, popes) et surtout le sonnet italien. Ils considrent que leur but nest pas la nouveaut en soi, mais limitation cratrice.

    CLEMENT MAROT

    1. Le profil de Clment Marot (fiche bio-bibliographique, prcurseurs) Clment Marot marque, laube de la Renaissance, un moment essentiel dans lhistoire des

    lettres franaises, car son une uvre, dune diversit tonnante, se caractrise par une fusion progressive entre llment mdival et le courant vivifiant de la modernit. Ce pote apparat comme une figure charnire entre deux poques, place entre lhritage paternel et lhumanisme naissant. Sa voix, qui russit moduler sans cesse les genres et les tons, passe facilement du registre anecdotique de la posie de cour, au style grave de la foi vanglique.

    La vie de cet illustre reprsentant de lhumanisme et de lvanglisme se trouve sous lempreinte de quelques aspects essentiels : dune part, il est le fils de Jean de Maretz ou Marot, un pote de la Grande Rhtorique, dont il a appris lart des rimes, des allitrations et des calambours ; dautre part, il a la chance dentrer, 23 ans, au service de Marguerite dAngoulme, la sur de Franois I, pour devenir aprs la mort de son pre le valet de chambre du roi. En tant que pote officiel de la cour de Franois I, il prend une part active aux ftes occasionnes par la vie royale et il flatte ensuite ses mcnes dans des pices de circonstance. Il a t trs admir de son vivant et son uvre a connu en son sicle une centaine dditions, mme sil a t attaqu sur tous les plans littraire, moral et religieux par Sagon, un thoricien obscur.

    En 1536 il lance, sous le haut patronage de la duchesse de Ferrare, un concours de blasons

    (pomes crits la louange dun objet quelconque), auquel participe Maurice Scve. A cause de son esprit indpendant, Marot est mal vu par lautorit catholique, dont les reprsentants le font emprisonner deux reprises (en 1526 pour ne pas avoir respect le jene prescrit par l'Eglise durant le Carme et en 1527 pour avoir particip l'vasion d'un prisonnier). Rebelle toute autorit, ecclsiastique ou civile, il rvle son talent par des ptres pleines de sel et d'ironie qui, par deux fois, lui valent la grce du roi. Au moment de laffaire des Placards (1534), le roi signe un dcret contre les luthriens vus comme des proscrits, comme des hrtiques, et Marot doit senfuir ; il sexile en Italie, chez Rene de France, (la fille de Louis XII, acquise la Rforme). Il sy initie aux subtilits du ptrarquisme dcadent, ct du pote Tebaldeo. Rentr en France, il abjure le luthranisme pour retrouver les faveurs de la cour, mais il doit sexiler de nouveau, cette fois-ci Genve, o, sous la direction de Calvin, dite cinquante Psaumes traduits en franais, qui deviennent immdiatement un lment essentiel du culte protestant. A ct de Marguerite de Navarre et dAgrippa dAubign, Marot peut tre considr comme un porte-parole des espoirs et des inquitudes qui accompagnent la qute fervente de lvanglisme.

    Les repres marquants de la vie de Marot se refltent pleinement dans lvolution de son lyrisme. Form lcole des Grands Rhtoriqueurs, il commence par composer des pomes forme fixe, hrits du XVe sicle - rondeaux, ballades, chansons et chants royaux dans lesquels il se montre aussi habile et ingnieux que ses prdcesseurs et les formes courtes (huitains, dizains), tout en reprenant les acrobaties de style de ses devanciers. Il dlaisse limpersonnalit des

  • Rhtoriqueurs au moment o il se proclame adepte de lvanglisme et choisit de transposer les tribulations de sa vie - gnres par le conflit invitable avec la Sorbonne -, dans des genres potiques puiss dans la tradition antique (cest lui quon doit le premier sonnet, lapparition en France de lglogue, de llgie, de lode). Ce type de lyrisme personnel, dpourvu demphase et de recherches savantes, devient donc source dinspiration nouvelle, en plein accord avec les proccupations spirituelles de cette poque.

    Son recueil de Posies compltes (1544) comprend un grand nombre de pomes qui suivent les modles du Moyen ge, des pices de circonstances (trennes, souhaits de bonne anne, blasons, complaintes, lgies funbres, pitaphes) et des pices composes l'imitation des genres antiques - pigrammes (o Marot fait excellemment usage de sa verve et son esprit), glogues (glogue au roi, 1539), des lgies et de nombreuses ptres (dont les plus connues sont l'ptre Lyon Jamet, l'ptre au roi pour succder l'tat de son pre (1526), l'ptre au roi pour le dlivrer de prison (1527) et l'ptre au roi pour avoir t drob (1532).

    Clment Marot est un vritable homme de la Renaissance, la fois crateur de vers, traducteur et diteur des Anciens. Il traduit en vers franais les Psaumes de la Bible, les Mtamorphoses dOvide, quelques pomes de Virgile et de Martial, les Colloques dErasme et 6 sonnets de Ptrarque. Il manifeste un vif intrt pour le patrimoine littraire national, rditant Le Roman de la Rose, luvre de Franois Villon (ayant eu lui aussi subir des dmls avec la justice, il sentait peut-tre une fraternit particulire avec l'auteur de la Ballade des pendus) et les pomes de son pre, dans une forme rajeunie et plus accessible ses contemporains.

    Marot a joui de la gloire d'un grand pote de son vivant et pendant toute la priode classique (Boileau et La Bruyre l'voquent en termes logieux, La Fontaine le reconnat comme son matre) ; mme au XVIIIe, Fnelon, Voltaire et Rousseau voient en lui un initiateur de la littrature potique classique.

    UVRES : 1515 : Le Temple de Cupido ou la Qute du Ferme Amour 1526 : LEnfer 1529 : Le Roman de la Rose (traduction)

    1532 : LAdolescence Clmentine 1533 : Les uvres de Franois Villon revues et remises en leur entier par Clment Marot (adaptation)

    1534 : La Suite de l'Adolescence Clmentine 1544 : Posies compltes 2. Clment Marot hritier des Grands Rhtoriqueurs et inventeur de genres nouveaux

    La majorit des opinions critiques formules sur la valeur des premires oeuvres de Marot, crites surtout avant 1527, prsente le pote comme un simple continuateur des Grands Rhtoriqueurs. Tout en considrant la posie comme une seconde rhtorique, plus savante et plus raffine, Marot ne ferait que suivre lexemple de ses devanciers, de vritables exprimentateurs du langage potique. On peut cependant observer le fait quil ne privilgie pas les combinaisons strophiques, les jeux verbaux et les figures de style.

    Dans la deuxime moiti de sa carrire littraire, Marot, en tant que vritable humaniste, imprgne son uvre de lesprit contestataire de la Renaissance, mettant en cause les juges abusifs, les institutions rtrogrades de lpoque, les superstitions, la torture et la guerre (LEnfer, 1542). Le texte suivant illustre le genre dans lequel Marot excelle lptre, llgant badinage , aux dires de Boileau et transcrit un drame que le pote a rellement vcu en tant qu hrtique . Il adresse le sot crit de cette XIe Eptre (1527) au roi Franois Ier, aprs avoir t emprisonn, avec la demande expresse de le librer. Conu dans un style bas (selon la formule des reprsentants de la Pliade), sans comparaison ou hyperboles, ce texte pistolaire en vers, dune apparence trs simple, met laccent sur les jeux de mots, les traits satiriques, lironie, la flatterie et la plainte. Le pote sollicite la gnrosit du roi avec beaucoup desprit et de grce et russit ainsi mettre son suprieur de son ct. Cest dans cette apparence bouffonne que se trouve la sve du pome.

  • 3. Lart de Marot Marot cre dans la posie franaise les premiers textes lgiaques, lance la mode des blasons

    de lanatomie fminine et cre le coq--lne (une bizarre parodie de lptre, dans laquelle lauteur passe dun sujet a lautre en toute libert, sans respecter la cohrence logique, ce qui anticipe le mouvement baroque). Mais llment original essentiel qui fait Marot mriter sa place dans lhistoire littraire franaise est reprsent par son humour subtil, lingnuit savante et la fausse navet avec lesquels il traite des sujets dangereux.

    Maniant avec aisance le dcasyllabe, il contribue purer la langue de son temps, s'exprimant avec un pittoresque (inventions verbales) et une clart vants par Boileau et La Fontaine.

  • L les plus grands les plus petits dtruisent, L les petits peu ou point aux grands nuisent,

    L trouve lon faon de prolonger Ce qui se doit et se peut abrger; L sans argent pauvret n'a raison, L se dtruit mainte bonne maison, Les biens sans cause en causes se

    dpendent, L les causeurs les causes s'entrevendent, L en public on manifeste et dit La maulvaisti de ce monde maudit, Qui ne saurait sous bonne conscience

    Vivre deux jours en paix et patience ;

    Dont j'ai grand'joie avecque ces mordants,

    Et tant plus sont les hommes discordants

    Plus a discord mouvons leurs courages

    Pour le profit qui vient de leurs

    dommages;

    Car s'on vivait en paix, comme est mtier, Rien ne vaudrait de ce lieu le mtier; Pour ce qu'il est de soi si anormal

    Qu'il faut exprs qu'il commence par mal, Et que quelqu'un quelque autre mfasse, Avant que nul jamais profit en fasse.

    Bref en ce lieu ne gagnerions deux

    pommes,

    Si ce n'tait la maulvaisti des hommes. (Clment Marot, L'Enfer)

    Tant que vivrai en ge florissant, Je servirai Amour, le dieu puissant,

    En faits, en dits, en chanson et accords.

    Par plusieurs jours m'a tenu languissant,

    Mais aprs deuil m'a fait rjouissant,

    Car j'ai l'amour de la belle au gent corps.

    Son alliance

    C'est ma fiance:

    Son coeur est mien,

    Le mien est sien.

    Fi de tristesse,

    Vive liesse,

    Puisqu'en amour j'ai tant de bien !

    Quand je la veux servir et honorer,

    Quand par crit veux son nom dcorer, Quand je la vois et visite souvent,

    Ses envieux n'en font que murmurer ;

    Mais notre Amour n'en saurait moins durer :

    Autant ou plus en emporte le vent.

    Malgr envie, Toute ma vie

    Je l'aimerai

    Et chanterai:

    C'est la premire, C'est la dernire, Que j'ai servie et servirai.

    (Clment Marot, Chanson XII)

    Sur le printemps de ma jeunesse folle

    Sur Ie printemps de ma jeunesse folle,

    Je ressemblais l'arondelle qui vole

    Puis a, puis l : lge me conduisait Sans peur ni soin o Ie coeur me disait. En la fort (sans la crainte des loups) Je m'en allais souvent cueillir le houx,

    Pour faire glu prendre oiseaux ramages, Tous diffrents de chants et de plumages; Ou me soulais, pour les prendre,

    entremettre

    A faire brics, ou cage pour les mettre ;

    Ou transnouais les rivires profondes, Ou renforais sur le genou les fondes. Puis d'en tirer loin et droit j'apprenais

    Pour chasser loups et abattre des noix.

    Oh ! quantesfois aux arbres grimp j'ai, Pour dnicher ou la pie ou le geai, ou pour jeter des fruits j murs et beaux A mes compains, qui tendaient leurs

    chapeaux !

    Aucunes fois aux montagnes allais,

    Aucunes fois aux fosses dvalais,

    Puisque le jour de mon dpart arrive

    Puisque le jour de mon dpart arrive, C'est bien raison que ma main vous crive Ce que ne puis vous dire sans tristesse,

    C'est savoir: or Adieu, ma Matresse ! Doncques Adieu, ma Matresse honore, Jusque au retour, dont trop la demeure Me tardera; toutefois cependant

    II vous plaira garder un coeur ardant

    Que je vous laisse au partir pour otage,

    Ne demandant pour lui autre avantage

    Fors que veuillez contre ceux le dfendre

    Qui par dsir voudront sa place prendre. S'il a mal fait, qu'il en soit hors jet; S'il est loyal, qu'il y soit bien trait ! Que plut Dieu qu'en ce coeur puissiez lire ; Vous y pourriez mille choses lire; Vous y verriez votre face au vif peinte;

    Vous y verriez ma loyaut empreinte; Vous y verriez votre nom engrav Avec le deuil qui me tient agrav Pour ce dpart; et en voyant ma peine,

  • Pour trouver l les gtes des fouines, Des hrissons ou des blanches hermines, Ou pas pas le long des buissonnets Allais cherchant les nids des chardonnets

    Ou des serins, des pinsons ou linottes.

    (Clment Marot, Eglogue au Roi sous les noms de Pan et Robin)

    Certes, je crois, (et ma foi n'est pas vaine)

    Qu'en souffririez pour le moins la moiti Par le moyen de notre amiti, Qui veut aussi que la moiti je sente Du deuil qu'aurez d'tre de moi absente. (Clment Marot, Les Elgies)

    D'Anne qui lui jeta de la neige

    Anne par jeu me jeta de la neige,

    Que je cuidais froide certainement:

    Mais c'tait feu, l'exprience en ai-je, Car embras je fus soudainement. Puisque le feu loge secrtement Dedans la neige, o trouverai-je place Pour n'ardre point ? Anne, ta seule grce Eteindre peut ce feu que je sens bien,

    Non point par eau, par neige ni par glace,

    Mais par sentir un feu pareil au mien.

    (Clment Marot, Oeuvres potiques)

    AU ROI , POUR LE DELIVRER DE PRISON

    Roi des Franais, plein de toutes bonts; Quinze jours a, je les ai bien compts, Et ds demain seront justement seize Que je fus fait confrre au diocse De Saint-Marry, en l'eglise Saint-Pris.

    Si vous dirai comment je fus surpris,

    Et me dplat qu'il faut que je le die. Trois grands pendards vinrent l'tourdie En ce palais me dire en dsarroi : Nous vous faisons prisonnier, par le Roi. Incontinent, qui fut bien tonn ? Ce fut Marot, plus que s'il eut tonn. Puis m'ont montr un parchemin crit, O il n'y avait seul mot de Jsus-Christ : II ne parlait tout que de plaiderie,

    De conseillers et d'emprisonnerie.

    Vous souvient-il, ce me dirent-ils lors, Que vous tiez lautre jour l-dehors, Qu'on recourut un certain prisonnier

    Entre nos mains ? Et moi de le nier ! Car, soyez sr, si j'eusse dit oui, Que le plus sourd d'entre eux m'eut bien oui

    Et d'autre part, j'eusse publiquement

    Et menteur : car, pourquoi et comment Eusse-je pu un autre recourir,

    Quand je n'ai su moi-mme secourir ? Pour faire court, je ne sus tant prcher Que ces paillards me voulsissent lcher. Sur mes deux bras ils ont la main pose, Et m'ont men ainsi qu'une pouse, Non pas ainsi, mais plus roide un petit.

    Et toutefois j'ai plus grand apptit De pardonner leur folle fureur Qu' celle-l de mon beau procureur: Que male mort les deux jambes lui casse !

    II a bien pris de moi une bcasse, Une perdrix, et un levraut aussi,

    Et toutefois je suis encore ici !

    Encor je crois, si j'en envoyais plus,

    Qu'il le prendrait ; car ils ont tant de glus

    Dedans leurs mains, ces faiseurs de pipe, Que toute chose o touchent est grippe. Mais, pour venir au point de ma sortie,

    Tant doucement j'ai chant ma partie Que nous avons bien accord ensemble,

  • Si que n'ai plus affaire, ce me semble,

    Sinon vous. La partie est bien forte : Mais le droit point o je me rconforte, Vous n'entendez procs non plus que moi. Ne plaidons point ; ce n'est que tout moi. Je vous en crois, si je vous ai mfait. Encor pos le cas que l'eusse fait, Au pis aller n'y cherrait qu'une amende :

    Prenez le cas que je la vous demande ;

    Je prends le cas que vous me la donnez,

    Et si plaideurs furent onc etonns Mieux que ceux-ci, je veux qu'on me dlivre, Et que soudain en ma place on les livre.

    Si vous suppli, Sire, mander par lettre Qu'en libert vos gens me veuillent mettre ; Et si j'en sors, j'espre qu' grand peine M'y reverront, si on ne m'y ramne.

  • Lcole lyonnaise. Maurice Scve, Pernette du Guillet, Louise Lab

    Dans la priode 1500 - 1560, la ville de Lyon est un important carrefour conomique et culturel, qui devient un vritable creuset de lhumanisme: dune part, cest une mtropole commerciale et bancaire qui voit se dvelopper deux grandes industries la soie et limprimerie ; dautre part, ce dveloppement est doubl dune vie intellectuelle intense et dun panouissement exceptionnel des lettrs (des personnalits comme Etienne Dolet ou Franois Rabelais ont choisi dy vivre), car la suprmatie conomique entrane un niveau de vie permettant un haut dveloppement culturel. Dans les demeures des plus riches familles lyonnaises se multiplient les salons et les cercles, o la posie et la musique accompagnent les divertissements mondains et lapprofondissement des techniques cratrices. En outre, la ville de Lyon ralise une forte liaison entre lItalie et la France, rendant ainsi possible lapparition dun groupe denviron cinquante potes et potesses, parmi lesquels se distinguent Maurice Scve, Louise Lab, Pernette de Guillet et Pontus de Tyard.

    Ce foisonnement artistique se situe du point de vue chronologique entre Clment Marot et la Pliade, ou, pour reprendre les formules du critique V. L. Saulnier, entre la France des ducs, bourguignonne, du XV

    e sicle (les potes Rhtoriqueurs), et la France royale, celle de Paris et de la

    Loire, du milieux du XVIe sicle (la Pliade) .

    Maurice Scve (1500? 1562)

    Issu dune famille de riches bourgeois, ce pote rudit, ptri de latin, croit dcouvrir en 1533 le tombeau de Laure, la dame chante par Ptrarque, morte en Avignon deux sicles auparavant. Grce cette trouvaille, il obtient la clbrit et la reconnaissance de Franois I. Aprs avoir remport le premier prix au concours de blasons organis par Clment Marot en 1536, Scve est admir comme le matre des potes lyonnais. Dans ltape ptrarquiste de sa cration, il clbre les mystres complexes du dsir amoureux.

    UVRES 1535 : La Dplorable Fin de Flamete, (traduction dun roman espagnol inspir dune nouvelle

    de Boccace)

    1544 : Dlie, objet de plus haute vertu 1561 : Le Microcosme (grand pome cosmologique)

    Le pote fait vers 1536 la connaissance de Pernette, quil choisit de chanter sous le nom de Dlie dans un recueil compos de 449 dizains dcasyllabiques, suivant la rime ABABBCCDCD - Dlie, objet de plus haute vertu (1544). Cette forme potique carre - et donc symboliquement parfaite est reprise dans la distribution des pices (qui sont rparties de manire srielle au moyen de gravures, dont chacune est pourvue d'une devise comme emblme). Cette femme a vingt ans de moins que le pote au moment de leur rencontre et est promise une autre union. Lamour apparat donc de faon invitable comme inaccompli, platonique et toujours insatisfait. Au centre de la parole potique de Maurice Scve se trouve la femme vue comme invitation la vertu, dans un cadre raliste suggr avec une fermet prcise et claire. Lamour est ds le dbut plac sous le signe du coup de foudre et dune rduction un asservissement dfinitif la femme aime.

    Pernette du Guillet

    (1520 1545) `

    Cette potesse est linspiratrice, la Dlie de Maurice Scve, sa Cousine . Elle participe au dialogue potique initi par son admirateur avec des pomes trs personnels, forms de vers nobles et

  • plus clairs. Elle y elle exige le respect de lhomme aim et naccepte pas dtre vue comme un simple objet amoureux.

    uvres Rimes, 1545

    Louise Lab (1524 ? 1566)

    Fille dun riche artisan cordier, Louise Lab reoit une bonne ducation, centre sur ltude du latin, de litalien, de la musique et de lquitation. Elle ouvre les portes de son salon aux intellectuels de Lyon et a une liaison avec le pote Olivier de Magny, un ami de Joachim du Bellay et de Ronsard. Son uvre choque par la revendication de la libert des femmes, qui doivent regarder un peu au-dessus de leurs genoux et de leurs fuseaux . Ses arguments fministes lui ont valu la disgrce de ses contemporains : Jean Calvin est le premier la traiter de putain et de dbauche , condamner sa vie trop libre ; aprs lui, les critiques littraires des sicles suivants considrent que le surnom de belle cordire drive de son statut de courtisane.

    uvres 1554 : Sonnets

    1555: uvres

    La publication en 1555 dun petit recueil compos de vingt-quatre sonnets et trois lgies est clbre comme un vritable vnement littraire par tous ceux qui participaient la vie mondaine et culturelle de Lyon. Cette femme riche et admire, considre comme une nouvelle Sapho, se trouve loppos de Pernette de Guillet : elle prche pour un abandon total de la femme - matresse la passion amoureuse et la sensualit. Elle revendique lardeur des amours charnelles, dans une posie qui clbre lamour passion, lamour voluptueux et qui avoue sans complexe ses amours provocatrices. Dailleurs, son but dclar est un affranchissement de la femme par le refus total de ses attributs traditionnels. Louise Lab ddie ses pomes Clmence de Bourges, la fille dun magistrat lyonnais. Dans son Epitre ddicatoire, date le 24 Juillet 1555, la potesse numre ses arguments en faveur des activits intellectuelles des femmes :

    Etant venu le temps, mademoiselle, ou les svres lois des hommes nempchent plus les femmes de sappliquer aux sciences et disciplines, il me semble que celles qui en ont la commodit doivent employer cette honnte libert, que notre sexe a autrefois tant dsire () Mais lhonneur que la science nous procurera sera entirement notre, et ne pourra nous tre te, ni par finesse de larron, ni force dennemis, ni longueur du temps. () Mais ayant passe partie de ma jeunesse a lexercice de la musique, et ce qui mest reste de temps layant trouve trop court pour la rudesse de mon entendement, et ne pouvant de moi-mme satisfaire au bon vouloir que je porte a notre sexe de le voir non en beaut seulement, mais en science et vertu dpasser ou galer les hommes, je ne puis faire autre chose que prier les vertueuses Dames de () semployer a faire entendre au monde que si nous ne sommes faites pour commander, nous ne devons tre ddaignes pour compagnes tant dans les affaires domestiques que publiques de ceux qui gouvernent et se font obir.

  • Comme Hcate, tu me ferras errer

    Et vif, et mort, cent ans parmi les ombres ;

    Comme Diane au Ciel me resserrer,

    Do descendis en ces mortels encombres ;

    Comme rgnante aux infernales ombres

    Amoindriras ou accrotras mes peines.

    Mais comme lune infuse dans mes veines

    Celle tu fus, es, et seras Dlie,

    QuAmour a joint a mes penses vaines

    Si fort, que Mort jamais ne len dlie. (Dlie, dizain 22, 1544, orthographe modernise)

    Apercevant cet Ange en forme humaine,

    Qui aux plus forts ravit le dur courage

    Pour le porter au gracieux domaine

    Du Paradis terrestre en son visage,

    Ses beaux yeux clairs par leur priv usage

    Me dorent tout de leurs rais pandus.

    Et quand les miens jai vers les siens tendus,

    Je me recre au mal ou je mennuie,

    Comme bourgeons au Soleil tendus,

    Qui se refont aux gouttes de la pluie.

    (Maurice Scve, Dlie, dizain 409)

    Tu es le Corps, Dame, et je suis ton ombre,

    Qui en ce mien continuel silence

    Me fais mouvoir, non comme Hcate l'Ombre

    Par ennuyeuse et grande violence,

    Mais par pouvoir de ta haute excellence,

    En me mouvant au doux contournement

    De tous tes faits, et plus soudainement

    Que l'on ne voit l'ombre suivre le corps,

    Fors [sauf] que je sens trop inhumainement

    Nos saints vouloirs tre ensemble discords.

    Moins je la vois, certes plus je la hais ;

    Plus je la hais, et moins elle me fche.

    Plus je lestime et moins compte jen fais ;

    Plus je la fuis, plus je veux quelle me sache.

    En un moment deux divers traits me lche

    Amour et haine, ennui avec plaisir.

    Forte est lamour, qui lors me vient saisir,

    Quand haine vient, et vengeance me crie ;

    Ainsi me fait har mon vain dsir

    Celle pour qui mon cur toujours me prie.

    (Maurice Scve, Dlie, dizain 43, 1544)

    Etant venu le temps, mademoiselle, ou les svres lois des hommes nempchent plus les femmes de sappliquer aux sciences et disciplines, il me semble que celles qui en ont la commodit doivent employer cette honnte libert, que notre sexe a autrefois tant dsire () Mais lhonneur que la science nous procurera sera entirement notre, et ne pourra nous tre te, ni par finesse de larron, ni force dennemis, ni longueur du temps. () Mais ayant passe partie de ma jeunesse a

  • lexercice de la musique, et ce qui mest reste de temps layant trouve trop court pour la rudesse de mon entendement, et ne pouvant de moi-mme satisfaire au bon vouloir que je porte a notre sexe de le voir non en beaut seulement, mais en science et vertu dpasser ou galer les hommes, je ne puis faire autre chose que prier les vertueuses Dames de () semployer a faire entendre au monde que si nous ne sommes faites pour commander, nous ne devons tre ddaignes pour compagnes tant dans les affaires domestiques que publiques de ceux qui gouvernent et se font obir. (Louise Lab, Epitre ddicatoire des uvres, 1555)

    Oh, si j'tois en ce beau sein ravie

    De celui-l pour lequel vais mourant,

    Si avec lui vivre le demeurant

    De mes courts jours ne m'empchoit envie ;

    Si m'accolant me disoit : Chre Amie,

    Contentons-nous l'un de l'autre ! s'assurant

    Que j tempte, Euripe ne courant

    Ne nous pourra disjoindre en notre vie ;

    Si, de mes bras le tenant accol,

    Comme du lierre est l'arbre encercl,

    La mort venoit, de mon aise envieuse,

    Lorsque, souef plus il me baiseroit,

    Et mon esprit plus sur ses lvres fuiroit,

    Bien je mourrois, plus que vivante, heureuse.

    Je vis, je meurs ; je me brle et me noie.

    Jai chaud extrme en endurant froidure ;

    La vie mest trop molle et trop dure

    Jai grands ennuis entremls de joie.

    Tout un coup je pleure et je larmoie,

    Et en plaisir maint grief tourment jendure ;

    Mon bien sen va et jamais il dure ;

    Tout en un coup, je sche et je verdoie.

    Ainsi Amour inconstamment me mne.

    Et quand je pense avoir plus de douleur,

    Sans y penser je me trouve hors de peine.

    Puis, quand je crois que ma joie est certaine,

    Et tre au haut de mon dsir heur,

    Je me remets en mon premier malheur.

    (Louise Lab, Je vis, je meurs, Sonnets, XVII, 1554)

  • Joachim du Bellay

    (1522 1560)

    Issu dune famille illustre, clbre et vnre (ses oncles ont t de hauts personnages de lEtat), Joachim du Bellay perd ses parents lge de deux ans et mne une enfance triste et solitaire. Pendant les tudes de droit Poitiers, il frquente les milieux littraires, rencontre Ronsard et dcide, deux ans aprs, de sinscrire au collge Coqueret de Paris, ou acquiert une vaste culture littraire et linguistique. Des 1550 il est atteint par la tuberculose et la surdit. Trois ans plus tard, parti pour Rome comme secrtaire de son oncle Jean du Bellay (cardinal et diplomate), il vit une longue priode dennui et de dgot, qui succde lenthousiasme initial de la dcouverte de lItalie. En 1558, de retour en France, il publie tous les pomes composs pendant son sjour romain. Un recueil complet de ses posies parat aprs la mort prmature du pote, en 1568, comme un tmoignage essentiel de son vif intrt pour le devenir des lettres franaises.

    uvres Dfense et Illustration de la langue franaise, 1549 Vers lyriques, 1549 (pices de circonstance) Olive, 1550

    Le Tombeau de Marguerite de Valois, 1551

    Inventions, 1552

    Enide (traduction de quelques chants), 1552 Recueil de posie, 1553 Les Antiquits de Rome, 1558 Les Regrets, 1558

    Divers Jeux rustiques, 1558

    Poemata (pome compos en latin), 1558 Le Pote courtisan, 1559 uvres franaises de Joachim du Bellay, 1568-1569

    Le recueil LOlive (1549-1550) comprend 115 sonnets dcasyllabiques qui imitent le style de Ptrarque. La langue y est vue comme un code que seul le pote peut matriser pour rendre compte dune exprience amoureuse tout fait particulire. Dailleurs, lamour nest quun prtexte visant la construction dun langage exquis, parfaitement organis. Le titre du recueil se prte toute une srie danagrammes et de jeux de mots centrs sur le mot olive vol , voile , voix et a connu des interprtations renvoyant aux mots tissu et texte . Ce nom de femme aurait donc une signification littraire et servirait attirer lattention sur limportance de la cration littraire dans la conqute de limmortalit.

    Dans le plus clbre de ses recueils romains Les Regrets -, du Bellay abandonne le thme de lamour et limitation de Ptrarque au profit de la prsentation satirique des vices de la Rome moderne et de la cour pontificale. Les 191 sonnets qui forment ce recueil impressionnent le lecteur

    par leur brivet et par lart simple, conscient et matris qui y est mis en uvre. La Dfense et Illustration nest pas un simple manuel scientifique. Les reprsentants de la

    Pliade nont pas t de simples doctrinaires, mais avant tout les utilisateurs gniaux de leur propre thorie. A leur ambition thorique rpond une pratique qui illustre de faon incontestable cette langue franaise quils veulent rgnrer.

    LOlive (1550), le premier recueil de vers de Du Bellay, met en uvre les principes exposs par lauteur dans La Dfense : premirement, il y pratique limitation, en empruntant aux Italiens surtout (il est influenc la fois par le ptrarquisme et par lidalisme platonicien) et poursuit le perfectionnement formel commenc par ses modles. Il a le got dune criture recherche, cisele, raffine, o lon peut facilement percevoir lidal de puret et de beaut plastique de ce pote et son obsession de versificateur. Laspiration une langue ractive et civilise trouve ici ses premires limites.

  • REGROUPEMENT DE TEXTES

    Je ne veux point fouiller au sein de la nature,

    Je ne veux point chercher lesprit de lunivers, Je ne veux point sonder les abmes couverts, Ni dessiner du ciel la belle architecture.

    Je ne peins les tableaux de si riche peinture,

    Et si hauts arguments ne recherche mes vers ; Mais suivant de ce lieu les accidents divers,

    Soit de bien, soit de mal, jcris laventure.

    Je me plains mes vers, si jai quelque regret ; Je me ris avec eux, je leur dis mon secret,

    Comme tant de mon cur les plus srs secrtaires.

    Aussi ne veux-je tant les peigner et friser,

    Et de plus braves noms ne les veux dguiser Que de papiers journaux, ou bien de commentaires.

    (Joachim du Bellay, Les Regrets, 1558)

    ***

    Le fort sommeil, que cleste on doit croire, Plus doux que le miel, coulait aux yeux lasss, Lorsque damour les plaisirs amasss Entrent en moi par la porte divoire.

    Javais li ce col de marbre, voire Ce sein dalbtre, en mes membres enlacs, Non moins quon voit les ormes embrasss Du cep lascif, au fcond bord de Loire.

    Amour avait en mes lasses moelles

    Darde le trait de ses flammes cruelles,

    Et lme errait par ces lvres de rose,

    Prte daller au fleuve oblivieux, Quand le rveil, de mon aise envieux, Du doux sommeil a les portes closes. (Joachim du Bellay, LOlive, 14, 1550)

    ***

    France, mre des arts, des armes et des lois, Tu mas nourri longtemps du lait de ta mamelle. Ores, comme un agneau qui sa nourrice appelle,

    Je remplis de ton nom les antres et les bois.

    Si tu mas pour enfant avou quelquefois, Que ne me rponds-tu maintenant, cruelle ! France, France, rponds ma triste querelle !

  • Mais nul, sinon Echo, ne rpond ma voix.

    Entre les loups cruels jerre parmi la plaine. Je sens venir lhiver, de qui la froide haleine Dune tremblante horreur fait hrisser ma peau.

    Las, les autres agneaux nont faute de pture, Ils ne craignent le loup, le vent ni la froidure :

    Si ne suis-je pourtant le pire du troupeau.

    (Joachim du Bellay, Les Regrets)

    ***

    Afin que ton honneur coule parmi la plaine

    Autant quil monte au Ciel engrav dans un Pin, Invoquant tous les Dieux, et rpandant du vin, Je consacre ton nom cette belle Fontaine.

    Pasteurs, que vos troupeaux friss de blanche laine Ne paissent ces bords : y fleurisse le Thym, Et la fleur, dont le matre eut si mauvais destin, Et soit dite jamais la Fontaine dHlne.

    Le Passant en t sy puisse reposer, Et assis dessus lherbe lombre composer Mille chansons dHlne, et de moi lui souvienne.

    Quiconques en boira, quamoureux il devienne : Et puisse, en la humant, une flamme puiser

    Aussi chaude, quau cur je sens chaude la mienne. (Pierre de Ronsard, Sonnets pour Hlne)

  • La Pliade

    La seconde moiti du XVIe sicle fait le premier effort dtablir une doctrine potique vaste par ses sujets et minutieuse dans ses dtails. Il y a dans cette priode plusieurs arts potiques :

    Thomas Sbillet, LArt potique pour linstruction des jeunes studieux et encore peu avancs en la posie franaise, 1549 o lavocat parisien soutient lide que lart potique est difficile et labor et o il multiplie les conseils techniques, en prenant lexemple des meilleurs des Anciens. Les potes de la Pliade y ont trouv des ides chres qui exprimaient justement leurs propres principes, sur la ncessit de connatre les langues et les littratures anciennes, de cultiver le sonnet, lpigramme, llgie, lglogue, donc exactement les genres prconiss par Ronsard et du Bellay, sur la distinction faire entre pote et rimeur. Il dfend quand mme les tendances marotiques, en insistant sur les mrites du style doux et en dnonant les genres nouveaux qui corrompent le got de la langue, et ne servent sinon porter tmoignage de notre ignorance . Tout cela scandalise la jeune gnration des potes franais, qui le prend pour cible : Il faut renoncer une posie ornementale, pur divertissement mondain, inadapte au gnie franais .

    Jacques Peletier du Mans, Art potique, 1555 uvre dune importance capitale dans lvolution de la doctrine de la Pliade, car Peletier sefforce de constituer une doctrine en abordant les principes des genres et lessence du gnie. Lauteur dfinit un modle potique largement domin par lpope, qui a la libert de modifier lordre attendu et de confrer une nouvelle ncessit lagencement original des pisodes. Les catgories rhtoriques invention, disposition, locution - sont redfinies en fonction de cette grande posie narrative, posie totale, posie-monde. Il en trouve le modle parfait dans lEneide de Virgile. Dans ses uvres potiques (1547), Jacques Peletier du Mans sintresse lorthographe, objet dpres dbats. Il labore un systme original, fond sur la notation rigoureuse des phonmes et plaide en faveur de la langue maternelle .

    Laudun, 1598 proteste contre lautorit des Anciens et met en cause certaines de leurs rgles.

    Vauquelin de la Fresnaie, 1605 crit sur linfluence de la Pliade etc. Les Humanistes veulent liquider le Moyen-Age au profit dune plus grande perfection

    artistique. Dans la masse des uvres littraires mdivales, rien ne vient instruire lcrivain sur son mtier dcrivain. Il croyait quune imagination fertile et heureuse, une sensibilit dlicate et puissante, une expression aise taient suffisantes pour plaire. Mais lart a ses propres lois, montrent les Humanistes.

    Quelques jeunes potes se groupent vers 1550 en Pliade. Avant dcrire, avant de crer, ils veulent apprendre. Les uvres antiques leur paraissent infiniment suprieures celles de leurs contemporains les plus glorieux. Ils mprisent le prsent ; cest de luvre des Antiques quils doivent dgager certains principes.

    Les manifestes de la Pliade - Dfense et Illustration, les prfaces des Odes (1550) et de la Franciade (1572) et certains pomes doctrinaux de Ronsard, son Abrg dart potique (1565) et la prface de lOlive de J. du Bellay (1549) - sont en France les premiers essais de rflexion sur les conditions gnrales de luvre potique et sur les lois particulires de chaque genre. La Pliade prpare le terrain sur lequel va spanouir le classicisme, par ses principes.

    Les Pliades sont les sept filles dAtlas, qui deviennent des constellations dtoiles ; de l provient le nom de Pliade donn un groupe de sept potes grecs de lpoque alexandrine (IIIe sicle av. J. Ch.), nom employ pour dsigner des groupes de savants ou de potes dont lclat rappelait celui des astres. Ronsard et ses amis, fascins par le prestige du chiffre 7 et par lexemple des Anciens, ont repris leur compte cette appellation, mme si leur groupe de jeunes auteurs enthousiastes tait grossi dune foule dadeptes et dimitateurs.

  • A lorigine il y avait deux groupes celui du Collge de Coqueret (Ronsard, Baf, du Bellay, sous la frule de Dorat, et le groupe du collge de Boncourt (Jodelle, Belleau, La Peruse, qui suivent les cours de Muret. La fusion entre eux a lieu en 1553, lors de la reprsentation de Cloptre captive, de Jodelle.

    Les sept toiles de la Pliade sont des potes qui manifestaient la volont dtre modernes et qui manifestaient les mmes gots, rvant dimmortalit potique : Jean Dorat humaniste (matre de grec) et pote (auteur de vers latins, grecs et franais), qui guide les jeunes potes de la Pliade, ayant un rle essentiel dans la cration dune doctrine potique nouvelle ; Pierre de Ronsard ; Joachim du Bellay ; Jean-Antoine de Baf ; Remy Belleau ; Etienne Jodelle ; Pontus de Tyard.

    Ils prennent contact avec Homre, Sophocle et les potes alexandrins. Ils connaissent directement les chefs-duvre de la posie grecque, certains des potes latins les plus dlicats et les potes italiens de la Renaissance qui avaient crit en latin, ayant ainsi la rvlation de la beaut littraire.

    Le programme de la Pliade Dfense et Illustration de la langue franaise explication du titre, gense, sources dinspiration, buts, chos et descendants

    Dfense et Illustration de la langue franaise renferme une dfense et un loge du franais, dans un programme qui nest pas labor par lcrivain qui signe le manifeste par les initiales I.D.B.A. Joachim du Bellay Angevin-, mais qui est lexpression de la volont de tous les reprsentants de la Pliade.

    Cet ouvrage, vritable profession de foi collective, tait anim, en gnral, par trois buts essentiels :

    - instaurer limitation des Anciens ; - proclamer les valeurs de la langue nationale ; - remplacer la versification des anciens potes franais par de nouvelles formes et surtout par

    un nouvel esprit potique. Le manifeste de la Pliade critique sur un ton polmique et agressif louvrage de Sbillet ; on ny

    peut chercher ni un plan rigoureux ni une originalit totale, car du Bellay cherche et transpose directement des arguments, des ides et des expressions formuls par Sperone Speroni dans son Diologo delle lingue (1542), par Quintilian dans lInstitution oratoire, par Tacite dans Le dialogue des orateurs, par Bembo, par Machiavel etc., ce qui a dtermin les critiques y voir une mosaque dides reues . Dailleurs, on a dj vu que du Bellay fait suite une multitude de traits franais, parus entre 1430 et 1540, visant tous peu prs au mme but : panouir et enrichir la langue. Du Bellay compile des ides qui sont plus ou moins admises par tous, y compris par ceux quil attaque, tel Sbillet. Il cre pourtant lvnement , car il sait cristalliser des thories parses et imposer un manifeste qui reflte les tendances dune poque.

    La Dfense est le premier Livre, form de 12 chapitres ; il souvre sur des conditions gnrales sur lorigine des langues et exprime la conclusion que toutes les langues sont dune mme valeur. Le franais nest ni barbare ni infrieur aux langues anciennes ou litalien, car le peuple franais sest trop souci du bien faire au lieu de bien dire ; il faut cesser de ngliger la langue (1-3). Les traductions sont utiles, elles prouvent lhabilet du franais, mais elles ne peuvent seules faire exister cette langue ; dautre part, traduire les potes trangers, cest les trahir. Il faut donc imiter et non traduire de pie lev (4-8), mais pour ce faire, il faut connatre les Anciens de lintrieur, les assimiler, remonter comme eux aux archtypes afin de construire une culture nationale.

    Limitation - appele par Du Bellay innutrition dans la prface de lOlive - reprsente le grand moyen prconis par la Pliade pour que la posie franaise puisse rivaliser avec les posies antique et italienne. Cette imitation, tant dans le domaine de la langue que dans celui du style et des

    thmes, est conue non comme une soumission, mais comme une conqute, un moyen de drober les moyens de ladversaire pour mieux le battre . On a souvent accus les potes de la Pliade davoir reni et mpris la longue et riche tradition littraire de la France, mais leur attitude est

  • pareille toute gnration littraire qui aspire au renouveau de commencer par rejeter firement le pass .

    Du Bellay offre lexemple des Romains, qui ont enrichi leur langue imitant les meilleurs auteurs grecs, se transformant en eux, les dvorant et, aprs les avoir bien digrs, les convertissant en sang et nourriture.

    La deuxime partie de louvrage lIllustration offre, en douze livres, le moyen denrichir la langue, de la rendre illustre afin de lemployer de nobles ouvrages . Un pote a besoin dun don, sans doute, mais plus encore de travail et de culture ; lacte crateur est envisag comme un dur labeur.

    Les genres moyengeux sont remplacs par les genres antiques ; mais il faut garder la noblesse du propos et le souci de perfection artistique qui caractrisent les uvres des Anciens. Il faut crer un style potique, il faut rehausser la posie au-dessus de la prose. Elle se cre son style en usant des priphrases qui ajoutent la dsignation pure et simple de lobjet ou de laction plusieurs notions particulires qui orientent limagination vers certains aspects de la chose considre. Les comparaisons et les descriptions sont les nerfs et les tendons des Muses ; cest ce qui donne la posie son caractre concret. La syntaxe de la posie doit tre plus audacieuse que celle de la prose. Le vers contraint le pote largir les lois de la grammaire ; lexpression trange prend une force nouvelle, pour tre plus frappante et pour transporter lesprit dans un domaine trange la prose. Les reprsentants du groupe de la Pliade rclament aussi lappel aux mots dialectaux, le plus souvent de saveur paysanne, et aux mots techniques de la langue des mtiers. Tout cela tmoigne de leur souci dlargir la langue potique en y incorporant tous les aspects de la vie nationale. Il faut protger la langue franaise contre la tentation de latiniser . Le franais, langue vivante, a le mme avantage doffrir lartiste une matire plus souple que le latin, langue morte, muette et ensevelie sous le silence de tant despaces dans. Les potes franais doivent utiliser la langue maternelle, mais ils doivent enrichir le langage potique. Il faut puiser aux dialectes provinciaux (gascon, poitevin, normand, lyonnais, picard) et au vieux franais que lon trouve dans les romans du Moyen-Age. Il faut utiliser aussi des termes de mtier, connatre et utiliser le vocabulaire de tous les artisans, de ces gens mcaniques , qui est si fertile en mots propres. Le pote doit crer des mots nouveaux, condition quils soient mouls et faonns sur un patron dj reu du peuple , donc on peut former un verbe ou un adjectif ou adverbe dun substantif dj existant. Cest ce quon appelle le provignement .

    Lexagration consiste dans le fait que du Bellay repousse le patrimoine franais, nglige les grands monuments de la littrature produits au Moyen-Age (les chansons de geste, le lyrisme courtois etc.). Il propose denrichir le vocabulaire par deux moyens inventer des mots nouveaux (franciser les noms propres) et rajeunir les mots anciens. Il faut user des nologismes, et des archasmes puiss dans les vieux romans (ajourner, assener). Quant la transcription des noms propres, il donne le conseil de franciser et de dire Hercule et non pas Hercules, Thse et non pas Theseus etc.

    Louvrage tout entier reprsente, de nos jours encore, une revendication ardente de la dignit du franais et un plaidoyer en faveur de la culture nationale. Les potes de la Pliade changent le statut de la posie, qui nest plus considre comme un passe-temps, mais comme une activit difficile, de la plus haute importance, fixant, par l, une attitude qui marquera profondment les destins de la posie franaise.

    La Pliade a prpar le terrain sur lequel allait spanouir le classicisme, qui, tout en le ddaignant, a retenu lessentiel de ses coordonnes majeures : ladmiration de lAntiquit, le souci de la beaut formelle, les efforts constants vers la perfection. Dautre part, lcriture recherche des potes de la Pliade, surcharge dallusions littraires et faisant dfiler toutes les figures de rhtorique connues, enchante les Prcieux du XVIIe sicle.

  • Pierre de RONSARD

    Pierre de Ronsard, le Prince des Potes , est un cho sonore de son poque, car son uvre reflte lopinion publique du XVIe sicle. Il domine toute la vie littraire du XVIe sicle et dpasse mme le cadre de son temps. Son destin potique est unique en son genre dans lhistoire des lettres franaises ; il a t considr par ses contemporains comme un Homre ou un Pindare. Cest le chef de file de la Pliade ; il incarne cette cole littraire lui seul, il rsume en lui les grandes ambitions de la Renaissance. Pote, courtisan et humaniste la fois, il se consacre avec ardeur luvre de renouvellement du lyrisme franais. Les deux ples de lexistence de ce pote sont lambition et la solitude studieuse. Il est le page des fils de Franois Ier, puis du duc dOrlans ; une maladie qui le rend sourd lui interdit la carrire militaire ou diplomatique. Tonsur, il se dcide se mettre au grec sous la direction de Dorat, au collge de Coqueret, o il simprgne de posie grecque, dHomre Pindare, dHsiode aux Alexandrins et des Latins (Virgile et Horace surtout). Il commence crire aprs sa vingtime anne; ses premires publications lui ont confr une grande autorit et un norme prestige. Il connat immdiatement la gloire dans son pays et ltranger ; cette reconnaissance du pote par son sicle nest pas si courante dans lhistoire de la littrature franaise. Une telle concidence de luvre et du moment montre que Ronsard a su faire la synthse des gots humanistes ; son gnie a su capter et formuler les tensions et les rves de son temps. Il a su chanter les profondes hantises de lhomme du XVIe sicle : fuite du temps, dsir de retrouver une stabilit, en se rfugiant dans la nature ou dans lternit des cultures antiques.

    De son vivant, luvre de Ronsard est commente comme celle dun Homre ou dun Virgile. Ses uvres sont rdites jusqu' larrive de Malherbe la cour. Ce thoricien du classicisme a dvelopp sur la langue une thorie qui est lexacte antithse de celle de la Pliade : il ne veut pas enrichir la langue, mais la purifier et la soumette aux exigences de clart. Cest pourquoi Guez de Balzac et Boileau formulent des jugements svres en ce qui le concerne. Ds lors, les noms de Ronsard et de la Pliade sont souvent associs au risque de mauvais got, du dsordre linguistique et esthtique. Au XVIIe sicle, une vague de discrdit frappe lauteur. Lart des sonnets amoureux est plutt orient vers la jouissance esthtique que vers la connaissance.

    Sainte-Beuve (Tableau historique et critique de la posie franaise) rhabilite Ronsard. Il analyse le sicle de la Pliade comme un printemps potique. Les romantiques vouent un vritable culte au Moyen-Age. A la manire de Ronsard, Hugo commence sa carrire dcrivain en publiant un recueil dOdes (1822). Il place le nom de Ronsard en pigraphe de lune de ses pices. Les Parnassiens admirent, eux aussi, en Ronsard lartisan de la forme.

    Le mot ronsardiser , apparu avant 1695, a eu trs tt deux sens : celui neutre dcrire la manire de Ronsard et un sens pjoratif dcrire de faon pdantesque, en mlangeant les mots grecs et latins aux mots franais. Sa gloire renat au XIXe sicle, quand la posie franaise envisage des voies nouvelles. Sainte-Beuve consacre un sonnet au grand artisan de la reforme potique .

    Dans une premire partie de sa carrire littraire, Ronsard se propose dimiter fidlement les Anciens et denrichir leur style. Il rclame le parrainage des deux matres de la culture antique : Horace et Pindare. Dune part, il assimile lart de Pindare et apporte une rvolution dans la posie franaise. Ronsard reprend les priphrases obscures de Pindare, ses rfrences mythologiques compliques et minutieuses et compose des vers artificiels et pompeux. Cette partie de luvre une dizaine de pices a caus les jugements svres des critiques des XVIIe et XVIIIe sicles.

    Dans la deuxime partie de sa carrire littraire, son lyrisme acquiert une note nouvelle il devient plus simple, plus humain aussi. Cest une posie plus conforme ses lans intrieurs. Il subit linfluence dHorace, dAnacron, de Catulle, de Ptrarque et il reprend le fonds autochtone des vieilles chansons franaises qui parlent des plaisirs de la vie de chaque jour, du vin et de la nature. Dans cette priode, Ronsard devient le pote de lamour, des roses et des princes.

    Il essaie tous les genres, tous les styles et il russit crer ainsi une posie trs varie, trs diverse :

    - amoureuse : Les Amours, Les Folastries ; - lyrique : Les Odes (4 Livres) ; - pique : La Franciade ;

  • - pastorale : Les Eglogues ; - dramatique et festive : Mascarades, Combats et Cartels ; - lgiaque : Les Elgies (25 pomes) ; - philosophique et scientifique : Les Hymnes ; - funraire : Les Epitaphes ; - politique : Les Discours. Cest par les Odes que Ronsard commence (ex : Ode Michel de lHospital). Les Odes

    apparaissent sous la forme dune posie strophique, dont les rimes facilitent la mise en musique et qui ont pour mission de clbrer leur destinataire (sadressant au roi, la reine et aux princes). En 1548 il publie ses quatre premiers volumes dOdes une posie savante, dun grand pouvoir vocateur, qui lve les personnages au rang des dieux et qui clbre le terroir.

    En 1555 il fait publier les Hymnes des quatre saisons, de vastes dveloppements philosophiques sur les astres, les dmons, le ciel, la justice, lternit et la mort. Ce sont des pomes dinspiration philosophique. Cette posie comique et scientifique, dune grande valeur didactique, a un contenu intellectuel et a un aspect baroque, marqu de profondes mutations.

    Les Discours des misres de ce temps (1569) inaugurent en France la grande posie politique, par la chaleur passionne du ton et par la virulence de linvective et de la satire. Ronsard trouve des accents pathtiques pour peindre la France dchire et les horreurs de la guerre de religion de 1562.

    En dpit de cette varit, la fidlit de lcriture amoureuse est constante sur une production de plus de 30 annes : le recueil Les Amours reprsente lensemble le plus vivant de son uvre. Les images empruntes au paysage aim (lclat de laurore, la fracheur du matin, les fleurs du jardin, le miroir des sources) viennent se fondre dans la clbration de la beaut du corps dune jeune fille.

    On peut dceler plusieurs tapes de lcriture des Amours : a) Les Amours de Cassandre (1552) comprend 219 pices (183 sonnets et pour le reste

    chansons, stances, madrigaux) crites pour Cassandre Salviati, sa premire muse inspiratrice. Elle est la fille dun banquier italien, marie avec un seigneur du Vendmois, reprsentant pour Ronsard une femme idale et sensuelle qui forme le prtexte de ses rves amoureux et politiques. Ronsard sy soumet toutes les conventions de la mode ptrarquiste (larmes, soupirs et morts multiplies), ayant comme rsultat une posie qui sent lartifice.

    b) Continuation des Amours (1555) et Nouvelle Continuation (1556) forment un adieu au ptrarquisme ; la mythologie sefface, la syntaxe devient plus souple dans cette posie compose pour une simple paysanne Marie de Bourgueil. Ces recueils regroupent des pomes crits sur un ton diffrent, mme si plusieurs sonnets tmoignent encore de la fidlit Ptrarque. Le ton de la posie est plus familier, plus direct dans la requte amoureuse ; Ronsard utilise discrtement quelques thmes et quelques rythmes des vieilles chansons franaises lalouette et le rossignol, laubpin fleuri qui sont insparables de la grce de Marie.

    c) Les Amours de Marie (1578) part du prnom de Marie - anagramme du verbe aimer : Marie, qui voudrait votre nom retourner / Il trouverait aimer : aimez-moi donc, Marie . Cest un pot-pourri, ou lon trouve des exercices de style sophistiqus ct de badinages. Cest un ensemble de posies composes par devoir de courtisan, la mort de la princesse Marie de Clves, matresse dHenri III. Limage de la femme - fleur y atteint son suprme degr de grce et de perfection.

    d) Les Sonnets pour Hlne (1578) reprsentent une uvre de commande Catherine de Mdicis la invit clbrer la beaut et la vertu dune de ses demoiselles dhonneur, Hlne de Surgres, reste inconsolable la mort de son fianc. Le pote, arriv sur le seuil de la vieillesse ( 54 ans), veut saisir et fixer encore une fois la beaut dans les yeux dun tre jeune et aim. Cest un recueil domin par les jeux prcieux de la Cour ; il sadresse une femme et une cour (celle dHenri III), frues de culture italienne et trs raffines.

    Avec les Amours, Ronsard sencadre dans la longue tradition de la posie damour franaise et italienne. Les pomes inspirs par des femmes relles ou de pure invention ont contribu sa gloire et lui ont valu le titre de prcurseur des romantiques.

    La composition des sonnets connat deux grandes phases :

  • - les annes 1552- 1556 la priode la plus fconde ; - les annes 1569-1578 : Entre ces deux priodes, il crit les Hymnes. Il choisit des prnoms fminins homriques : la

    prophtesse Cassandre, qui a prdit longtemps avant les calamits que les Troyens risquaient sils recevaient Hlne.

    Le titre de ces recueils immortels, imite dOvide, est repris par beaucoup dautres potes du XVI

    e sicle il y toute une liste de titres qui nous indique la vogue des sonnets amoureux dans cette

    priode : Les Amours (1552) de Baf, LAmour des Amours (1555) de Peletier de Mans etc. Ronsard codifie les trois styles qui dominent la tradition littraire jusqu' la fin de la

    Renaissance :

    - le ptrarquisme lev du premier Livre des Amours ; - le lyrisme plus intime et naturel des Amours de Marie ; - le style mignard des chansons de Marie. La Franciade (1572) le roi Charles IX, le protecteur de Ronsard, engage celui-ci composer

    un grand pome pique la gloire de la monarchie et de la nation franaise pour rivaliser, en franais, avec les grandes popes antiques. Cest un long pome crit en dcasyllabes, qui na guerre de succs et qui reste inachev.

  • TEXTE RONSARD

    Sonnet Marie

    Je vous envoie un bouquet que ma main

    Vient de trier de ces fleurs panies ; Qui ne les et ce vpre cueillies, Chutes terre elles fussent demain.

    Cela vous soit un exemple certain

    Que vos beauts, bien quelles soient fleuries, En peu de temps seront toutes fltries, Et comme fleurs priront tout soudain.

    Le temps sen va, le temps sen va, madame. Las ! le temps, non, mais nous nous en allons,

    Et tt serons tendus sous la lame,

    Et des amours desquelles nous parlons,

    Quand serons morts nen sera plus nouvelle. Pour caimez-moi, cependant qutes belle. (Ronsard, Amours de Marie)

    Comme on voit sur la branche

    Comme on voit sur la branche au mois de may la rose,

    En sa belle jeunesse, en sa premire fleur, Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur,

    Quand lAube de ses pleurs au poinct du jour larrose ;

    La grce de sa fueille, et lamour se repose, Embasmant les jardins et les arbres dodeur ; Mais battue ou de pluye, ou dexcessive ardeur, Languissante elle meurt, fueille fueille dclose.

    Ainsi en ta premire et jeune nouveaut, Quand la Terre et le Ciel honoraient ta beaut, La Parque ta tue, et cendre tu reposes.

    Pour obsques recoy mes larmes et mes pleurs, Ce vase plein de laict, ce panier plein de fleurs,

    Afin que vif et mort ton corps ne soit que roses.

    (Ronsard, Second Livre des Amours, Sur la mort de Marie , 4 (1578)

    Ode Cassandre

    Mignonne, allons voir si la rose

    Qui ce matin avait dclose

  • Sa rose de pourpre au soleil,

    A point perdu cette vespre Les plis de sa robe pourpre Et son teint au votre pareil.

    Las ! voyez comme en peu despace, Mignonne, elle a dessus la place

    Las ! las ! ses beauts laiss choir ! O vraiment martre Nature, Puisquune telle fleur ne dure Que du matin jusques au soir !

    Donc, si vous me croyez, mignonne,

    Tandis que votre ge fleuronne En sa plus verte nouveaut, Cueillez, cueillez votre jeunesse :

    Comme a cette fleur la vieillesse

    Fera ternir votre beaut. (Pierre de Ronsard, Odes, I, 17, 1552)

    Quand vous serez bien vieille, au soir, la chandelle, Assise auprs du feu, dvidant et filant, Direz, chantant mes vers, en vous merveillant : Ronsard me clbrait du temps que jtais belle !

    Lors, vous naurez servante oyant telle nouvelle, Dj sous le labeur demi sommeillant, Qui au bruit de Ronsard ne saille rveillant, Bnissant votre nom de louange immortelle.

    Je serai sous la terre, et, fantme sans os, Par les ombres myrteux je prendrai mon repos :

    Vous serez au foyer une vieille accroupie,

    Regrettant mon amour et votre fier ddain. Vivez, si men croyez, nattendez demain : Cueillez ds aujourdhui les roses de la vie. (Pierre de Ronsard, Sonnets pour Hlne, II, XLIII, 1578)

    Le soir quAmour vous fit en la salle descendre Pour danser dartifice un beau ballet dAmour, Vos yeux, bien quil ft nuit, ramenrent le jour, Tant ils surent dclairs par la place reprendre.

    Le ballet fut divin, qui se soulait reprendre,

    Se rompre, se refaire, et tour dessus retour

    Se mler, scarter, se tourner lentour, Contre-imitant le cours du fleuve de Mandre.

  • Ores il tait rond, ores long, or troit, Or en pointe, en triangle en la faon quon voit Lescadron de la Grue vitant la froidure.

    Je faux, tu ne dansais, mais ton pied voletait

    Sur le haut de la terre ; aussi ton corps stait Transform pour ce soir en divine nature. Pierre de Ronsard, Sonnets pour Hlne, 1572)

    Si cest aimer, Madame, et de jour et de nuit Rver, songer, penser le moyen de vous plaire, Oublier toute chose, et ne vouloir rien faire

    Quadorer et servir la beaut qui ne suit :

    Si cest aimer de suivre un bonheur qui me fuit, De me perdre moi-mme, et dtre solitaire, Souffrir beaucoup de mal, beaucoup craindre, et me taire

    Pleurer, crier merci, et men voir conduit :

    Si cest aimer de vivre en vous plus quen moi-mme, Cacher dun front joyeux une langueur extrme, Sentir au fond de lme un combat ingal, Chaud, froid, comme la fivre amoureuse me traite :

    Honteux, parlant vous, de confesser mon mal ! Si cela cest aimer, furieux je vous aime : Je vous aime, et sais bien que mon mal est fatal :

    Le cur le dit assez, mais la langue est muette. (Ronsard, Sonnets pour Hlne, I, XLIX)

    Rossignol mon mignon, qui dans cette saulaye

    Vas seul de branche en branche ton gr voletant, Dgoisant lenvi de moi, qui vais chantant Celle, qui faut toujours que dans la bouche jai,

    Nous soupirons tous deux, ta douce voix sessaie De flchir celle-la, qui te va tourmentant, Et moi, je suis aussi cette-l regrettant, Qui ma fait dans le cur une si aigre plaie.

    Toutefois, Rossignol, nous diffrons dun point. Cest que tu es aim, et je ne le suis point, Bien que tous deux ayons les musiques pareilles,

    Car tu flchis tamie au doux bruit de tes sons,

  • Mais la mienne, qui prend dpit mes chansons, Pour ne les couter se bouche les oreilles. (Ronsard, Continuation des Amours)

    Celle, de qui lamour vainquit la fantaisie, Que Jupiter conut sous un Cygne emprunt : Cette sur des Jumeaux, qui fit par sa beaut Opposer toute Europe aux forces de lAsie,

    Disait son miroir, quand elle vit saisie Sa face de vieillesse et de hideuset, Que mes premiers maris insenss ont t De sarmer, pour jouir dune chair si moisie !

    Dieux, vous tes cruels, jaloux de notre temps ! Des Dames sans retour senvole le printemps : Aux serpents tous les ans vous tez la vieillesse.

    Ainsi disait Hlne en remirant son teint. Cet exemple est pour vous : cueillez votre jeunesse.

    Quand on perd son avril, en octobre on sen plaint. (Ronsard, Sonnets pour Hlne, II, XXVI)

  • Franois Rabelais (1494 ?-1553)

    Grce son ensemble romanesque, Franois Rabelais acquiert une place de premier plan parmi les intellectuels humanistes du XVI

    e sicle. Loriginalit de son uvre sexplique dune part

    par son caractre militant, qui se renouvelle de livre en livre, et dautre part par le fait quelle autorise une multitude dinterprtations - elle a t vue en mme temps comme farce, satire, allusion lactualit socio-politique et religieuse de la Renaissance franaise, symbole dune sagesse alchimique ou chrtienne et rflexion humaniste sur le langage humain.

    Mme si la vie de ce titan de la littrature universelle est mal connue dans ses dtails, on peut esquisser son parcours biographique partir de quelques repres essentiels, lis surtout sa formation intellectuelle. Issu de la bourgeoisie provinciale claire et destin par son pre la vie monacale, Franois Rabelais prend lhabit dans un couvent franciscain, Fontenay-le-Comte (en Poitou), o il entre en contact avec les uvres de lAntiquit grecque et latine et, par le biais de la correspondance, avec lhumaniste Guillaume Bud, quil appelle le prince des humanistes . Il y crit dj une traduction de lhistorien Hrodote. Mal vu dans ce milieu franciscain, il passe chez les Bndictins - ordre plus tolrant et plus favorable au travail intellectuel o il devient le secrtaire de lvque Geoffroi dEstissac, qui lemmne dans ses dplacements. Ainsi, Rabelais connat le monde et les gens et suit des cours de droit la facult de Poitiers. Il quitte ensuite la vie religieuse et sinscrit en 1530 la Facult de Mdecine de Montpellier; dans cette profession il devient clbre, notamment grce des publications qui visent restaurer les textes antiques de cette discipline (il donne un cours sur le Aphorismes dHippocrate et lArs parva de Galien, minents mdecins de lAntiquit, dont il explique les traits grce ses connaissances de langue grecque, sans recourir aux commentaires habituels en latin.) Par ses curiosits multiples, il apparat comme un savant, comme un intellectuel typique de son poque. Il part pour Rome en 1534, comme secrtaire du diplomate Jean du Bellay, vque de Paris. Rabelais parcourt Rome, admire les monuments et russit connatre si bien la ville, que plus tard, en 1534, il fait imprimer une Topographie de la Cit ternelle.

    Il fait ses dbuts en littrature en 1532, aprs la quarantaine ; mais ses deux premiers livres, runis en un volume, font lobjet dune condamnation de la Sorbonne1. Aprs la parution du Tiers Livre, il se rfugie Metz, en tant que mdecin, et se situe jusqu la fin de sa vie sous les censures de la Sorbonne (mais aussi de Calvin), tout en bnficiant de la protection de Jean du Bellay. Le Quart Livre parat en 1548, puis dans une version complte en 1552. La mort de Rabelais en 1553 est suivie de ldition du Cinquime Livre (1564), dont lauthenticit nest que partielle, et o sexprime une condamnation sans dtour de lEglise romaine. Humaniste dune culture tonnante, proche des milieux vanglistes, Rabelais est une prsence insolite dans lunivers intellectuel du XVI

    e sicle : son discours humaniste est travers par le rire franc dun homme qui, jusquau

    bonheur promis par lglise dans le monde dau-del, aime jouir de la vie terrestre. Franois Rabelais reste encore, ct de ses personnages, un des gants de la Renaissance, car il a t en mme temps philosophe, thologien, mdecin, mathmaticien, astronome et philologue.

    UVRES 1532 : Pantagruel. Les Horribles et pouvantables faits et prouesses du trs renomm Pantagruel, roi des Dipsodes (publi sous le pseudonyme dAlcofrybas Nasier) ; 1534 : La Vie trs horrifique du grand Gargantua, pre de Pantagruel, jadis compose par M. Alcofribas, abstracteur de Quinte-Essence.

    2 Livre plein de Pantagrulisme ;

    1 Les thologiens de la Sorbonne qui reprsentaient lautorit religieuse et universitaire du temps - taient alerts a

    cause de la parution dun commentaire dErasme de Rotterdam (lauteur de lEloge de la Folie), sur le texte grec des vangiles. La Sorbonne interdisait la lecture des livres grecs, pour viter le contact avec la pense des philosophes anciens. Cest pourquoi les deux premiers livres de Rabelais sont brls sur les places publiques. 2 Abstracteur de quinte essence signifie alchimiste .

  • 1546 : Le Tiers Livre des faits et dits hroques du bon Pantagruel (le nom de Franois Rabelais y apparat pour la premire fois, suivi dun titre exact : docteur en mdecine , et dun autre fantaisiste : Calloer des Isles Hieres ); 1548 : Le Quart Livre des faits et dits hroques du bon Pantagruel ; 1552 : LIle sonnante ; 1562 : Le Cinquime et dernier Livre des faits et dits hroques du bon Pantagruel.

    Lensemble romanesque de Rabelais comporte cinq livres centrs sur lvocation des aventures de trois gnrations de gants : Grandgousier, Gargantua et Pantagruel. Il comporte 251 chapitres introduits par ladverbe Comment . Lordre adopt est celui de la geste des hros, qui est parodie. En son ensemble, cest une critique profonde et piquante des vices ridicules de lhumanit tout entire. On y trouve des ides sur la guerre, sur les conqutes, sur les gouvernements des tats, sur lducation surtout, ct des folies les plus divertissantes, des plaisanteries les plus mordantes et les plus inattendues. La plupart des personnages de cette uvre sont devenus des types.

    Les deux premiers romans Pantagruel et Gargantua - nous racontent successivement la naissance, les enfances , la formation et les exploits des protagonistes, dans une structure qui se veut homogne. Chronologiquement, Pantagruel a paru deux ans avant Gargantua, dont il raconte cependant la suite. Nous allons suivre dans la prsentation de la trame narrative des livres lordre chronologique de leur parution et non pas celui logique de leur trame narrative.

    Les critiques ont observ maintes fois que lauteur reprend dans Gargantua les lignes majeures et le schma du premier livre, tout en mettant en avant les mmes problmes - lis lducation, la foi religieuse et la socit - auxquels il veut trouver des solutions. Dune part, la lutte mene dans Pantagruel entre les Dipsodes et les gants de lUtopie rpondent dans le deuxime livre les pisodes complexes de la guerre picrocholine3 ; des deux trames narratives se dgagent les mmes leons humanistes: lexercice du bon droit et le pardon final aux vaincus annoncent un avenir collectif meilleur. Dautre part, la proccupation de base des humanistes lducation de lenfant - se retrouve dans les deux livres. Il faut quand mme observer le fait que les thmes dj poss dans une composition lche et dsinvolte dans Pantagruel sont approfondis et plus systmatiquement explors dans Gargantua.

    ***

    Pantagruel (1532) - gense, sources dinspiration, trame narrative

    Le roman Les Horribles et pouvantables faits et prouesses du trs renomm Pantagruel, roi des Dispodes, mis en vente en novembre 1532 la foire de Lyon, se prsente comme une parodie des pomes chevaleresques ; cest le rcit des hauts faits, peu srieux, dun gant aux apptits joyaux. Dun personnage de la littrature du Moyen ge un petit diable marin qui personnifie la soif -, Rabelais fait un gant ; le sujet acquiert ainsi des proportions plus larges et fait de Pantagruel un roman bizarre, trange, inintelligible parfois, qui garde cependant les qualits dun chef-duvre de sagesse et de raison.

    Le livre raconte la naissance, lenfance, la jeunesse, le tour de France duniversit en universit et le sjour Paris de Pantagruel. Lvocation de lenfance du fils de Gargantua insiste sur sa stupfiante capacit dabsorption de nourriture et de boisson. Paris, Pantagruel rencontre Panurge (qui signifie Habile en tout ), avec lequel il se lie damiti. Il fait la connaissance dEpistmon - le savant, dEusthenes - le fort et de Carpalim - le rapide. Lapprentissage du monde se fait cependant au gr de rencontres diverses, et surtout sous le signe de lamiti, avec Panurge notamment, personnage occup jouer constamment des tours aux autres.

    3 Lensemble romanesque de Rabelais contient de trs nombreuses allusions l'actualit politique et religieuse du XVIe

    sicle. Les pisodes de la guerre ny pouvaient pas manquer, car les guerres taient trs frquentes cette poque-l.

  • un moment donn, Pantagruel est mis dans la situation difficile de sengager dans une guerre contre les Dipsodes (les Altrs), qui avaient envahi le royaume de son pre. Grce aux stratagmes de Panurge, il russit librer son pays lUtopie et conqurir le territoire ennemi.

    Le premier livre sachve de manire fantaisiste par la descente dEpistmon aux Enfers et par une visite de lauteur dans la bouche de son hros.

    Pantagruel, inspir comme Socrate par son Dmon, tend devenir une image du romancier lui-mme.

    ***

    Gargantua (1534) - - gense, sources dinspiration, trame narrative

    Le point de dpart du livre rabelaisien Gargantua nest pas original ; lcrivain sinspire dun ouvrage anonyme intitul Les Grandes Chroniques du grand et norme gant Gargantua qui jouissait lpoque dun grand succs dans les foires commerciales. Ctait une sorte de roman fantastique o Gargantua, gant cr par lenchanteur Merlin, luttait en Angleterre contre les ennemis du roi Arthur. Lauteur manifeste sa verve comique, sans abandonner les questions majeures quil se propose de dbattre. Dans le Prologue de ce livre, lauteur prsente son ouvrage au lecteur. A travers une srie dimages et de comparaisons, Rabelais prvient celui qui se prpare entamer la lecture de son livre que le contenu de celui-ci peut savrer assez diffrent de ce que laisserait prsager une lecture superficielle. Mme si le texte narratif semble ntre que plaisanteries et rcit lger, il recle un sens plus profond, un contenu riche et cach, quil faut savoir dcouvrir. Rabelais compare le lecteur un chien qui ronge un os et qui sait quil faut aller jusqu la moelle, car cest la partie la plus dlicieuse qui se trouve cache au centre. Le lecteur doit adopter la mme dmarche : il doit rompre los et sucer la substantifique moelle , il doit faire un effort pour aller au-del des apparences du texte, car cest l que se trouve lenseignement le plus prcieux quil lui faut extraire.

    Le livre dbute par la gnalogie de Gargantua, qui est une parodie des textes bibliques et des gnalogies des maisons princires. La naissance du gant se produit par loreille de sa mre. Au premier cri de lenfant - boire ! , - la remarque de son pre Grandgousier est : Que grand tu as ! (le gosier).

    Aprs lenfance, Gargantua doit aller lcole. Dans cette partie du livre, lauteur veut instaurer un savoir encyclopdique, un intrt manifeste pour lhomme actif et propose un programme complet, o la formation totale, scientifique est double par lentranement au travail manuel. Rabelais tablit une relation entre le progrs scientifique et le progrs moral ; la formule Science sans conscience nest que ruine de lme remplace lenseignement rduit la simple mmorisation par le jugement et oppose la tte bine faite labme de science . Lcrivain soppose galement aux mthodes scolastiques denseignement - aux thories abstraites de la thologie, de la logique et du droit, la critique malveillante, la paresse physique et intellectuelle et aux punitions corporelles.

    Gargantua participe ensuite une guerre, ayant toute la responsabilit dun grand roi. Il doit lutter contre le mchant roi Picrochole ( Bile acaritre, amre ), qui a envahi les tats de son pre. Le tyran Picrochole rappelle Charles-Quint, tandis que le hros principal renvoie lillustre figure de Franois Ier. Pendant la guerre, Gargantua remarque la vaillance de frre Jean des Entommeurs, moine hardi, aventureux, haut, maigre, bien fendu de gueule, bien avantag de nez et dcide de le rcompenser ensuite par la fondation de lAbbaye de Thlme ( Volont libre ) - un couvent paradoxal, o tout soppose lasctisme monastique et dont la rgle de base est Fais ce que voudras . Thlme runit des jeunes gens - filles et garons beaux et vertueux -, dont le comportement libre et noble produit une socit harmonieuse. Cest ce que signifie la devise ( clause ) de labbaye, qui fait allusion au thme de la libert chrtienne de saint Paul ou de saint Augustin.

    ***

  • Donc, le mieux que je pus, montai par dessus, et cheminai bien deux lieues sur sa langue,

    tant que je entrai dedans sa bouche. Mais dieux et desses, que vis-je l ? Jupiter me confonde de sa foudre trisulque si jen mens. Je y cheminais comme lon fait en Sophie Constantinople, et y vis de grands rochiers, comme les monts des Danois je crois que ctaient ses dents , et de grands prs, de grandes forts, de fortes et grosses villes non moins grandes que Lyon ou Poitiers. Le premier que y trouvai, ce fut un bonhomme qui plantait des choux. Dont, tout bahi, lui demandai : Mon ami, que fais-tu ici ? Je plante (dit-il) des choux. Et quoi ni comment ? dis-je. Ha, monsieur (dit-il), chacun ne peut avoir les couillons aussi pesants quun mortier, et ne pouvons tre tous riches. Je gagne ainsi ma vie ; et les porte vendre au march en la cit qui est ici derrire. Jsus (dis-je), il y a ici un nouveau monde ? Certes (dit-il) il nest mie nouveau. Mais lon dit bien que hors dici y a une terre neuve o ils

    ont et Soleil et Lune et tout plein de belles besognes : mais ceslui-ci est plus ancien.

    Voire mais (dis-je), mon ami, comment a nom cette ville o tu portes vendre tes choux ? Elle a nom (dit-il) Aspharage, et sont Christians, gens de bien, et vous feront grande chre. Bref, je dlibrai dy aller. Or en mon chemin, je trouvai un compagnon qui tendait aux pigeons. Auquel je demandai :

    Mon ami, dont vous viennent ces pigeons ici ? Cyre (dit-il), ils viennent de lautre monde. Lors je pensai que quand Pantagruel billait, les pigeons pleines voles entraient dedans sa gorge, pendant que ft un colombier. Puis entrai en la ville, laquelle je trouvai belle, bien forte, et en bel air. Mais lentre, les portiers me demandrent mon bulletin ; de quoi je fus fort bahi, et leur demandai :

    Messieurs, y a il ici danger de peste ? Seigneur (dirent-ils), lon se meurt ici auprs tant que le chariot court par les rues. Jsus (dis-je), et o ? quoi me dirent que ctait en Laringues et Pharingues, que sont deux grosses villes telles comme Rouen et Nantes, riches et bien marchandes. Et la cause de la peste a t pour une puante et infecte exhalation qui est sortie des abmes depuis na gures. Dont ils sont morts plus de vint et deux cent soixante mille personnes, depuis huit jours.

    Lors je pensai et calculai, et trouvai que ctait une puante haleine qui tait venue de lestomac de Pantagruel alors quil mangea tant daillade, comme nous avons dit dessus. De l partant, passai par entre les rochers, qui taient ses dents, et fis tant que je montai sus une, et l trouvai les plus beaux lieux du monde, beaux grands jeux de paume, belles galeries, belles prairies, force vignes, et une infinit de cassines la mode Italique par les champs pleins de dlices. Et l demouray bien quatre mois, e