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D9 - Lettre au Père Becheras Edouard, Curé d’Etables, du 05.05.1976 Chamical le 5 mai 1976 Cher Père curé, Je viens de recevoir votre lettre et comme j’allais envoyer des nouvelles par là-bas, je le fais à vous. Je vous remercie de ......... Ici la vie a augmenté à tel point que le commerce est paralysé. Les gens achètent le nécessaire pour ne pas mourir de faim. Tout ce qui est un peu superflu reste sur les étalages. Beaucoup de ceux qui avaient obtenu un emploi de fonctionnaire au moment du péronisme sont renvoyés, ce qui est une bonne chose d’un côté. Mais il n’y a pas d’autre travail et on commence à noter l’amplification des vols. Ceux qui croyaient que les militaires allaient tout résoudre sont déçus. Depuis plus d’un mois qu’ils sont au pouvoir, rien ne s’est amélioré. La vie a augmenté de plus de 50 % sans que les salaires aient changés. Et personne ne peut faire grève ni appartenir à un sindicat, ce sont des choses qu’on ne peut même plus nommer. A tous les échelons les militaires sont au pouvoir, depuis le président de la république jusqu'aux maires de tous les villages, quand ce ne sont pas eux, ce sont des gens à leur dévotion. Mais ne critiquons pas trop, ça pourrait nous retomber sur le crâne, car il y a beaucoup de chances que cette lettre soit lue.. La paroisse suit son cours. Le vicaire est un type épatant qui s’est chargé de beaucoup de choses, de même les sœurs, elles collaborent en tout : catéchisme, malades, réunions, enfin nous en avons une qui sait chanter et faire chanter ... L’autre jour je suis allé célébrer la messe dans la maison d’un paralytique qui vit presque seul à 10 km de toute route. La 2 CV a failli s’ensabler. Les maçons sont dans la maison, ils posent le carrelage, la pièce qui servira pour les réunions et qui ne s’achève jamais. En ce moment je suis en train de fabriquer 2 petits bancs, pour une sœur qui vient de terminer les études de pédicure et va soigner les pieds défectueux. Je lui avais fait une enseigne humoristique et je l’avais placardée à sa porte ; mais cela n’avait guère attiré de clients, elle l’a enlevée. On m’a chargé dans le doyenné de commenter dans les réunions l’encyclique "Evangelii nuntiandi", cela me donne un certain travail de préparation. J’espère que vous allez bien. Toutes mes amitiés. Bonjour à tous. Gabriel 1/5

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D9 - Lettre au Père Becheras Edouard, Curé d’Etables, du 05.05.1976

Chamical le 5 mai 1976

Cher Père curé,Je viens de recevoir votre lettre et comme j’allais envoyer des nouvelles par là-bas, je le fais à vous.

Je vous remercie de ......... Ici la vie a augmenté à tel point que le commerce est paralysé. Les gens achètent le nécessaire pour ne

pas mourir de faim. Tout ce qui est un peu superflu reste sur les étalages. Beaucoup de ceux qui avaient obtenu un emploi de fonctionnaire au moment du péronisme sont renvoyés, ce qui est une bonne chose d’un côté. Mais il n’y a pas d’autre travail et on commence à noter l’amplification des vols. Ceux qui croyaient que les militaires allaient tout résoudre sont déçus. Depuis plus d’un mois qu’ils sont au pouvoir, rien ne s’est amélioré. La vie a augmenté de plus de 50 % sans que les salaires aient changés. Et personne ne peut faire grève ni appartenir à un sindicat, ce sont des choses qu’on ne peut même plus nommer. A tous les échelons les militaires sont au pouvoir, depuis le président de la république jusqu'aux maires de tous les villages, quand ce ne sont pas eux, ce sont des gens à leur dévotion. Mais ne critiquons pas trop, ça pourrait nous retomber sur le crâne, car il y a beaucoup de chances que cette lettre soit lue.. La paroisse suit son cours. Le vicaire est un type épatant qui s’est chargé de beaucoup de choses, de même les sœurs, elles collaborent en tout : catéchisme, malades, réunions, enfin nous en avons une qui sait chanter et faire chanter ... L’autre jour je suis allé célébrer la messe dans la maison d’un paralytique qui vit presque seul à 10 km de toute route. La 2 CV a failli s’ensabler.

Les maçons sont dans la maison, ils posent le carrelage, la pièce qui servira pour les réunions et qui ne s’achève jamais.

En ce moment je suis en train de fabriquer 2 petits bancs, pour une sœur qui vient de terminer les études de pédicure et va soigner les pieds défectueux. Je lui avais fait une enseigne humoristique et je l’avais placardée à sa porte ; mais cela n’avait guère attiré de clients, elle l’a enlevée. On m’a chargé dans le doyenné de commenter dans les réunions l’encyclique "Evangelii nuntiandi", cela me donne un certain travail de préparation.

J’espère que vous allez bien. Toutes mes amitiés.Bonjour à tous.

Gabriel

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Dans la même enveloppe une autre lettre

Comme c’est la fête des mères un de ces dimanches de mai, j’ai écrit un petit poème pour ma mère en dialecte "tchékoslovaque" vous le lirez avant pour voir s’il vaut la peine. Mettez-y toute votre attention, car il y a sans doute des fautes.

Sove keyo deveya késé poyonpa ainvouilla Coumau lan vodrio’, tsacu ésurvaiya O tsaco ouro; dovonmo meizou yode phlikés Ké échaion deveyre toutocoké fozen. Lou mépocha éropa debure, depeuké loussoudas seon metu deper tou. Yoguet dobau unoretsertso djien momaizout Tsertsa von acoké po éda akélou do moki luta Oyon pré koquezus dotji elous oyonmeta Enboueito Koquedzou. Yoyo tretjuras, mouvezisLoumère dotji.creillou Kaîron tjienze. Loulerdzeron depeu. Mano lou mère, untjurax etrémaî , sounincaro dorié lo gryoPoréké loutjura oendjura pa mau deveya Lon tzondza, penchopa koumo dédovon, Yeura sorio pochade laoutre là. A Kailous liore protson deida loumoki Epenchar koumo F ;;;; X Omi, monpapré unofé mevengueron Tsertsa perin the roudza. Tsopuguêtana Dovon lou tsêfe dosoudas, deneu. Aoutroneu sounvengu nou tsertsaroméyoneu, perre protza acoké oyendïEnlo lieso Coumomi anavou pa domieüErouen locoudzo, maipa leva, Loudousaoutre fugueron, lio fopuguet endjurar daitre inthe roudza, djuron sezoura. Las cheux ke soun daubemi on pocha Undzour djien lomeizou delouphikes Onavon vouyodza daube lobagnolo. Lasaraictéroun alo chourti o efurneron tou, Ledzigueroun açoké pourtavon. Ledzigueroun açoké pourtavon. Unoneü, osopugueren depeu, navon venni Enser quia lo lieso e lameizou, oyon vegu Trode mound pocha dedien. Creillon Kerro Reou niuo « docamisards » d otji. Per bouneu sefogué ré dutou Depeu dokéla veya, mounes touma me Foziomau. Djuron tréneu lousuin séfuguéLous proumétin tsacoféké Chourtien ayokéPocha logar dodosouda. Ieloustsertsavon Djenlo bognolo com plaito ; fozion ubri toutola Veya , laitra, liuré. Eoco sepochè quant fugueren Olo retraeto dotjuras : enchourton yoyo phiques Detsakélà pé furdza açoké pourtaven Loussoudas voron tsossard otji kéloukélous Embétion, de lo lieso. Echaion o fair degrin

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Gular, lou Hermil dotji, kové vegu es estables. Dedza, l’on muzela, popa bartavela koumo dovonAu pochte popa djire coqué vau. Soun breysse fuguêt meta en boeito, yo unmé, Yeuraé revengu. Loudoudzoueine kéovè vegut Daubé mountsèfe esetables, ielous ossi ontsta delo Boueito, eyeura sounoforo oletrendzé Kailouské on eta maîcon tra delo lieso Yeura, éda pè loussoudas, soundevingu impleya Soun naou, poyon fa çoké volon Volondi viza loutjuraserétourn na alo liéso delousritsé .. Penchou kové coumpré Loveya. Lo foze pa veyre olou porens O lou freire è cheux, chi é olous tjuras, hermil, Poyon chové koumo éotji. Chi pouyè fa chové aou Paîre Pouget Ké lo meizou kedeviou faire daube louschôs , L’oyou coumen sa, maieura daubé kailous ploukésSe otchabo tou. « aitre ol’épairo ». Yeura loveya semblo ana mieu, Pachoro, esé atchaboron undzou lousritse.

eloussoudast

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Traduction de cette « lettre codée », au plus près du sens de l’occitan transcris en phonétiqueOn trouve une traduction améliorée dans le livret « Padrecito Gabriel, Vie et mort argentines »

Edité par Dial. Supplément au n° 1122 – 10 juillet 1986

« Vous savez qu’il y a des choses qui ne peuvent pas s’envoyer comme on voudrait, chacun est surveillé. A chaque heure, devant ma maison il y des fliques (policiers)qui essayent de voir tout ce que nous faisons. Le mois passé ce n’était pas du beurre, depuis que les soldats se sont mis de partout.Il y a eu d’abord une recherche dans ma maison,ils cherchaient ce qui peut aider le maquis (d’ici)? oluta. Ils avaient pris quelques uns d’ici et les avaient emmenésen boîte quelques jours. Il y avait trois curés, mon voisin,le maire d’ici. Je crois qu’ils étaient quinze. Ils les lâchèrent depuis, mais pas le maire, et un curé parmi. Ils sont encore derrière la grille. Il paraît que le curé endura pas mal de choses. Ils l’ont changé, il ne pense pas comme avant, maintenant il serait passé de l’autre côté. A ceux là ils leur reprochent d’aider le maquis et de penser comme un communiste. Moi ils ne m’ont pas pris. Une fois ils vinrent me chercherpour interroger. Il fallut aller devant le chef des soldats, de nuit. Une autre nuit ils sont venus nous chercher à minuit pour reprocher ce que nous avions dit à l’église. Comme j’allais pas des mieux, j’étais au lit je ne me suis pas levé. Les deux autres y allèrent, il leur fallut être interrogés durant six heures. Les sœurs qui sont avec moi ont passé un jour dans la maison des fliques. Elles allaient voyager avec la voiture, ils les arrêtèrent à la sortie et fouillèrent tout, (?) ce qu’elles portaient. Une nuit on le sut dans la suite, ils devaient venir encercler l’église et la maison, ils avaient vu trop de monde passer dans la maison. Ils croyaient que c’était une réunion de camisards d’ici. Par bonheur rien ne se passa. Depuis cette chose mon estomac me faisait mal. Durant trois nuits le sommeil me quitta. Les premiers temps chaque fois qu’on sortait « yiké »? passait la garde des soldats. Ils cherchaient dans la voiture complètement. Ils faisaient ouvrir toutes les choses, lettres, livres. Et cela se passait quand nous fûmes à la retraite des curés. En sortant il y avait des fliques de chaque côté pour fouiller ce que nous portions.Les soldats veulent chasser d’ici ceux qui les embêtent, de l’église. Ils cherchent de faire dégringoler l’Hermil d’ici: que vous avez vu à Etables. Déjà ils l’ont muselé, peut plus parler bartaveler (parler) comme avant, au prêche il ne peut pas dire ce qu’il veut. Son Breysse (vicaire général) fut mis en boîte il y a un mois. Maintenant il est revenu. Les deux jeunes que vous avez vus avec mon chef à Etables eux aussi ont tâté de la boîte, maintenant ils sont dehors à l’étranger.Ceux qui ont été beaucoup contre l’église, maintenant aidés par les soldats, sont devenus employés, ils sont hauts, ils peuvent faire ce qu’ils veulent. Ils (les soldats) veulent diviser les curés et retourner à l’église des riches.

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Je pense que vous avez compris l’affaire. Ne faites pas voir (cette lettre) à mes parents ni à mon frère ni à mes sœurs. Si, aux curés, Hermil ils peuvent savoir comment j’ai agi, oui vous pouvez le faire savoir au Père Pouget,que la maison que je devais faire avec les sous je l’avais commencée mais maintenant avec ces « ploukès » ça finit tout. « Etre à l’espaire (attente) ». Maintenant la chose semble aller mieux. Passera, et finiront un jour les riches et les soldats. »

Fin de la lettre D9

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