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Dada s en va-t-en-guerre le XX e siècle par les yeux de Tristan Tzara Marie Bellando Mitjans, CIMER M2, 2014-2015

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Dada s’en va-t-en-guerrele XXe siècle par les yeux de Tristan Tzara

Marie Bellando Mitjans, CIMER M2, 2014-2015

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L’idée

Quelle étrange époque que le XXe siècle et quel étrange mouvement que Dada ! Habituellement, ce mouvement est présenté comme révolutionnaire d’un point de vue esthétique et surtout comme éphémère, ne devant que le temps de se fondre dans le Surréalisme. Certes, il est le précurseur du Surréalisme, mais il ne disparaît pas à l’intérieur de celui-ci, pour des raisons diverses, et notamment une différence d’esprit et de posture. Dans les expositions Dada, il manque généralement l’aspect politique et d’actualité de l’époque qui a vu sa naissance. Il manque le contexte1, et en ce qui concerne l’Art, et Dada plus encore, c’est pourtant l’essentiel. Vouant personnellement une véritable passion à la personne de Tristan Tzara, créa-teur du mouvement dadaïste, mais également personnalité complexe et par bien des as-pects « symptomatique » du XXe siècle, j’ai choisi d’axer mon exposition autour de sa per-sonne. Né en 1916 sous la plume de Tristan Tzara, Dada bouleverse l’histoire de l’art en faisant descendre de force l’art dans l’arène de la vie. L’art devient à cet instant précis un acte politique, un miroir tendu à son temps. Tristan Tzara est lui-même un miroir du siècle où il vécut : étudiant rebelle des confins de l’Empire austro-hongrois, de confession juive, laïc, résistant, communiste pour un temps, promoteur de la « négritude », il fut de presque tous les fronts. À la fois témoin et narrateur, c’est à travers ses yeux que la présente expo-sition vous propose de revivre le XXe siècle en mettant face à face événements politiques et œuvres d’art.

1 – le contexte de création étant un aspect essentiel de l’œuvre si l’on veut en comprendre la porté et la force, comme le mettent en évidence P. Francastel et M.-J. Mondzain.

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L’exposition

Chaque salle sera dotée d’un fond sonore avec textes lus, afin de rappeler l’ambiance dadaïste des manifestes proclamés. Pour un plus grand confort d’écoute, des bancs seront présents dans chaque salle, tandis que la retranscription des textes sera disponible à l’en-trée de la salle. Le visiteur pourra emporter ces pages comme souvenir de sa visite. Pour pouvoir présenter les revues, dessins fragiles, portfolio de collages, etc., des tables tactiles seront à disposition dans chaque salle. Ce dispositif permet ainsi au visiteur de feuilleter des ouvrages qu’il ne serait pas possible d’exposer ou qu’il ne pourrait mani-puler. L’exposition se divise en cinq salles, chronologiquement.

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Parcours

Salle 1 : Roumanie

Cette salle a pour but de faire appréhender au visiteur le bagage culturel de Tris-tan Tzara, né Samuel Rosenstok le 16 avril 1896, à Moinesti, Roumanie. Il fera ensuite ses études à Bucarest, aux côtés d’Ion Vinea et Marcel Janco, avec qui il fondera la revue Sim-bolul (Symbole). Seront présentés, outre une carte d’Europe de l’époque situant la Roumanie, Moi-nesti et Bucarest, l’Empire austro-hongrois..., des photographies d’époques et des objets issus des collections de la BNF, du MuCEM et de la Cité de l’immigration. (Dû aux difficul-tés d’accès de ces collections, je ne peux malheureusement pas présenter d’image de ces pièces.)

Le papier monnaie dans les divers pays : Roumanie. (MuCEM)

Carte de l’Europe, 1er quart du XXe siècle. (MuCEM)

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Salle 2 : Dada Zurich, 1916-1920

Tzara, arrivé à Zurich en 1915 pour des études de philosophie, accompagné de Marcel Janco, fait la connaissance de Jean Arp, d’Hugo Ball et de Sophie Taeuber. Il fonde avec eux le mouvement Dada. Le 14 juillet 1916, le manifeste Dada est lancé au Cabaret Voltaire. Il s’agit d’un cri de jeunes créateurs face à la violence et l’absurdité du monde qui les entoure et se retrouve alors à feu et à sang. Les œuvres de Jean Arp explorent l’aléatoire, à la recherche d’une harmonie entre hasard et volonté ; contrairement à une époque où la surpuissance de la volonté humaine annihile la nature humaine dans une guerre fratricide. Il faut rappeler ici l’origine alsa-cienne de Jean Arp, qui est donc particulièrement sensible aux combats de la Première Guerre mondiale. Hugo Ball et Marcel Janco, quant à eux, opèrent un « retour aux origines » en se tournant vers ce que l’on nomme alors l’art nègre. Ils s’approprient son langage formel brut et non occidental ; assimilant de ce fait une esthétique, jusque là méprisée, à l’avant-garde de l’art. Le premier quart du XXe siècle est également l’époque de la mécanisation, point auquel s’attaque Francis Picabia dans ses œuvres, en les disséquant et proclamant « Cette machine a le pouvoir ». Sophie Taeuber, formée aux arts appliqués réalise des sculptures et marionnettes inspirées de la psychanalyse. Ses marionnettes ont été commandées par Carlo Gozzi pour son spectacle Le Roi cerf qui met en lumière la controverse sur la libido entre Freud et Jung.

AudioCette salle présente comme contenu audio les manifestes de 1916 et 1918.

Manifeste de monsieur Antipyrine, 14 juillet 1916.DADA est notre intensité : qui érige les baïonnettes sang conséquence la tête sumatrale du bébé alle-mand ; Dada est la vie sans pantoufles ni parallèles ; qui est contre et pour l’unité et décidément contre le futur ; nous savons sagement que nos cerveaux deviendront des coussins douillets, que notre anti-dog-matisme est aussi exclusiviste que le fonctionnaire et que nous ne sommes pas libres et crions liberté ; nécessité sévère sans discipline ni morale et crachons sur l’humanité. DADA reste dans le cadre européen des faiblesses, c’est tout de même de la merde, mais nous voulons dorénavant chier en couleurs diverses pour orner le jardin zoologique de l’art de tous les drapeaux des consulats.

Repères chronologiques• 21 février – 19 décembre 1916 : bataille de Verdun, 286 000 morts et 412 000 blessés.• 1er juillet – 18 novembre 1916 : bataille de la Somme, 443 000 morts et 616 000 blessés.• 16 avril 1917  : suite à une pénurie générale (charbon, vivres et couvertures), une grève massive se lève en Allemagne. Les dirigeants syndicaux sont arrêtés.• 13 mai 1917 : à Fatima (Portugal), trois enfants affirment avoir vu la Vierge Marie.• Octobre 1917 : révolution d’octobre en Russie.• 1917-1918 : famines en Allemagne et dans l’Empire austro-hongrois.• 23 janvier 1918 : création de la République socialiste fédérative soviétique de Russie.• 24 avril 1918 : affrontements entre chars de combat à Villers-Bretonneux, c’est la première fois qu’une bataille est livrée par des engins mécaniques.• 11 novembre 1918 : armistice de Rethondes entre Allemands et Alliés.

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Nous sommes directeurs de cirque et sifflons parmi les vents des foires, parmi les couvents, prostitu-tions, théâtres, réalités, sentiments, restaurants. ohi oho, bang, bang. Nous déclarons que l’auto est un sentiment qui nous assez choyé dans les lenteurs de ses abstractions et les transatlantiques et les bruits et les idées. Cependant nous extériorisons la facilité, nous cherchons l’essence centrale et nous sommes contents pouvant la cacher ; nous ne voulons pas compter les fenêtres de l’élite merveilleuse, car DADA n’existe pour personne et nous voulons que tout le monde comprenne cela, car c’est le balcon de Dada, je vous assure. D’où l’on peut entendre les marches militaires et des-cendre en tranchant l’air comme un séraphin dans un bain populaire pour pisser et comprendre la parabole. DADA n’est pas folie, ni sagesse, ni ironie, regarde-moi, gentil bourgeois. L’art était un jeu noisette, les enfants assemblaient les mots qui ont une sonnerie à la fin, puis ils pleu-raient et ciraient la strophe, et lui mettaient les bottines des poupées et la strophe devint reine pour mourir un peu et la reine devint baleine, les enfants couraient à perdre haleine. Puis vinrent les grands ambassadeurs du sentiment qui s’écrièrent historiquement en chœur : Psychologie Psychologie hihi Science Science Science Vive la France Nous ne sommes pas naïfs Nous sommes successifs Nous sommes exclusifs Nous ne sommes pas simples et nous savons bien discuter l’intelligence. Mais nous, DADA, nous ne sommes pas de leur avis, car l’art n’est pas sérieux, je vous assure, et si nous montrons le crime pour dire doctement ventilateur, c’est pour vous faire du plaisir, bons auditeurs, je vous aime tant, je vous assure et je vous adore.

MANIFESTE DADA 1918Pour lancer un manifeste il faut vouloir : A.B.C., foudroyer contre 1, 2, 3, s’énerver et aiguiser les ailes pour conquérir et répandre de petits et de grands a, b, c, signer, crier, jurer, arranger la prose sous une forme d’évidence absolue, irréfutable, prouver son non-plus-ultra et soutenir que la nouveauté ressemble à la vie comme la dernière apparition d’une cocotte prouve l’essentiel de Dieu. Son existence fut déjà prouvée par l’accordéon, le paysage et la parole douce. Imposer son A.B.C. est une chose naturelle, donc regrettable. Tout le monde le fait sous une forme de cristalbluffmadone, système monétaire, produit pharmaceutique, jambe nue conviant au printemps ardent et stérile. L’amour de la nouveauté est la croix sympathique, fait preuve d’un jem’enfoutisme naïf, signe sans cause, passager, positif. Mais ce besoin est aussi vieilli. En donnant à l’art l’impulsion de la suprême simplicité : nouveauté, on est humain et vrai envers l’amusement, impulsif, vibrant pour crucifier l’ennui. Au carrefour des lumières, alerte, attentif, en guettant les années, dans la forêt.J’écris un manifeste et je ne veux rien, je dis pourtant certaines choses et je suis par principe contre les manifestes, comme je suis aussi contre les principes (décilitres pour la valeur morale de toute phrase – trop de commodité ; l’approximation fut inventée par les impressionnistes). J’écris ce manifeste pour montrer qu’on peut faire les actions opposées ensemble, dans une seule fraîche respiration ; je suis contre l’action ; pour la continuelle contradiction, pour l’affirmation aussi, je ne suis ni pour ni contre et je n’explique pas car je hais le bon sens. DADA voilà un mot qui mène des idées à la chasse ; chaque bourgeois est un petit dramaturge, invente des propos différents, au lieu de placer les personnages convenables au niveau de son intelligence, chry-salides sur les chaises, cherche les causes ou les buts (suivant la méthode psychanalytique qu’il pratique) pour cimenter son intrigue, histoire qui parle et se définit. Chaque spectateur est un intrigant, s’il cherche à expliquer un mot (connaître !). Du refuge ouaté des complications serpentines, il faut manipuler ses instincts. De là les malheurs de la vie conjugale. Expliquer : Amusement des ventrerouges aux moulins des crânes vides. DADA NE SIGNIFIE RIEN Si l’on trouve futile et si l’on ne perd son temps pour un mot qui ne signifie rien... La première pensée qui tourne dans ces têtes est de l’ordre bactériologique : trouver son origine étymologique, historique ou psychologique, au moins. On apprend dans les journaux que les nègres Krou appellent la queue d’une vache sainte : DADA. Le cube et la mère en une certaine contrée d’Italie : DADA. Un cheval de bois, la nourrice, double affirmation en russe et en roumain : DADA. De savants journalistes y voient un art pour les bébés, d’autres saints jésusapellantlespetitsenfants du jour, le retour à un primitivisme sec et

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bruyant, bruyant et monotone. On ne construit pas sur un mot la sensibilité ; toute construction converge à la perfection qui ennuie, idée stagnante d’un marécage doré, relatif produit humain. L’œuvre d’art ne doit pas être la beauté en elle-même, car elle est morte ; ni gaie ni triste, ni claire, ni obscure, réjouir ou maltraiter les individualités en leur servant les gâteaux des auréoles saintes ou les sueurs d’une course cambrée à travers les atmosphères. Une œuvre d’art n’est jamais belle, par décret, objectivement, pour tous. La critique est donc inutile, elle n’existe que subjectivement, pour chacun, et sans le moindre carac-tère de généralité. Croit-on avoir trouvé la base psychique commune à toute l’humanité ? L’essai de Jésus et la bible couvrent sous leurs ailes larges et bienveillantes : la merde, les bêtes, les journées. Comment veut-on ordonner le chaos qui constitue cette infinie informe variation : l’homme ? Le prin-cipe : « aime ton prochain » est une hypocrisie. « Connais-toi » est une utopie mais plus acceptable car elle contient la méchanceté en elle. Pas de pitié. Il nous reste après le carnage l’espoir d’une humanité puri-fiée. Je parle toujours de moi puisque je ne veux convaincre, je n’ai pas le droit d’entraîner d’autres dans mon fleuve, je n’oblige personne à me suivre et tout le monde fait son art à sa façon, s’il connaît la joie montant en flèches vers les couches astrales, ou celle qui descend dans les mines aux fleurs de cadavres et des spasmes fertiles. Stalactites : les chercher partout, dans les crèches agrandies par la douleur, les yeux blancs comme les lièvres des anges. Ainsi naquit DADA d’un besoin d’indépendance, de méfiance envers la communauté. Ceux qui appartiennent à nous gardent leur liberté. Nous ne reconnaissons aucune théorie. Nous avons assez des académies cubistes et futuristes : laboratoires d’idées formelles. Fait-on l’art pour gagner de l’argent et caresser les gentils bourgeois ? Les rimes sonnent l’assonance des monnaies et l’inflexion glisse le long de la ligne du ventre de profil. Tous les groupements d’artistes ont abouti à cette banque en chevauchant sur diverses comètes. La porte ouverte aux possibilités de se vau-trer dans les coussins et la nourriture. Ici nous jetons l’ancre dans la terre grasse. Ici nous avons le droit de proclamer car nous avons connu les frissons et l’éveil. Revenants ivres d’éner-gie nous enfonçons le trident dans la chair insoucieuse. Nous sommes ruissellements de malédictions en abondance tropique de végétations vertigineuses, gomme et pluie est notre sueur, nous saignons et brûlons la soif, notre sang est vigueur. Le cubisme naquit de la simple façon de regarder l’objet : Cézanne peignait une tasse 20 centimètres plus bas que ses yeux, les cubistes la regardent d’en haut, d’autres compliquent l’apparence en faisant une section perpendiculaire et en l’arrangeant sagement à côté. (Je n’oublie pas les créateurs, ni les grandes raisons de la matière qu’ils rendirent définitives.) Le futuriste voit la même tasse en mouvement, une succession d’objet l’un à côté de l’autre agrémentée malicieusement de quelques lignes-forces. Cela n’empêche que la toile soit une bonne ou mauvaise peinture destinée au placement des capitaux intel-lectuels. Le peintre nouveau crée un monde, dont les éléments sont aussi les moyens, une œuvre sobre et définie, sans argument. L’artiste nouveau proteste : il ne peint plus (reproduction symbolique et illu-sionniste) mais crée directement en pierre, bois, fer, étain, des rocs, des organismes locomotives pouvant être tournés de tous les côtés par le vent limpide de la sensation momentanée. Toute œuvre picturale ou plastique est inutile ; qu’il soit un monstre qui fait peur aux esprits serviles, et non douceâtre pour orner les réfectoires des animaux en costumes humains, illustrations de cette triste fable de l’humanité. Un tableau est l’art de faire se rencontrer deux lignes géométriquement constatées parallèles, sur une toile, devant nos yeux, dans la réalité d’un monde transposé suivant de nouvelles conditions et possibilités. Ce monde n’est pas spécifié ni défini dans l’œuvre, il appartient dans ses innombrables variations au spectateur. Pour son créateur, il est sans cause et sans théorie. Ordre = désordre ; moi = non-moi ; affirmation = négation : rayonnements suprêmes d’un art absolu. Absolu en pureté de chaos cosmique et ordonné, éternel dans la globule seconde sans durée, sans respiration, sans lumière, sans contrôle. J’aime une œuvre ancienne pour sa nouveauté. Il n’y a que le contraste qui nous relie au passé. Les écrivains qui enseignent la morale et discutent ou améliorent la base psychologique ont, à part un désir caché de gagner, une connaissance ridicule de la vie, qu’ils ont classifiée, partagée, canalisée ; ils s’entêtent à voir danser les catégories lorsqu’ils battent la mesure. Leurs lecteurs ricanent et continuent : à quoi bon ? Il y a une littérature qui n’arrive pas jusqu’à la masse vorace. Œuvre de créateurs, sortie d’une vraie nécessité de l’auteur, et pour lui. Connaissance d’un suprême égoïsme, où les bois s’étiolent. Chaque page doit exploser, soit par le sérieux profond et lourd, le tourbillon, le vertige, le nouveau, l’éternel, par la blague écrasante, par l’enthousiasme des principes ou par la façon d’être imprimée. Voilà un monde chancelant qui fuit, fiancé aux grelots de la gamme infernale, voilà de l’autre côté : des hommes nou-veaux. Rudes, bondissants, chevaucheurs de hoquets. Voilà un monde mutilé et les médicastres littéraires en mal d’amélioration. Je vous dis : il n’y a pas de commencement et nous ne tremblons pas, nous ne sommes pas sentimen-

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taux. Nous déchirons, vent furieux, le linge des nuages et des prières, et préparons le grand spectacle du désastre, l’incendie, la décomposition. Préparons la suppression du deuil et remplaçons les larmes par les sirènes tendues d’un continent à l’autre. Pavillons de joie intense et veufs de la tristesse du poison.DADA est l’enseigne de l’abstraction ; la réclame et les affaires sont aussi des éléments poétiques. Je détruis les tiroirs du cerveau et ceux de l’organisation sociale : démoraliser partout et jeter la main du ciel en enfer, les yeux de l’enfer au ciel, rétablir la roue féconde d’un cirque individu. La philosophie est la question : de quel côté commencer à regarder la vie, dieu, l’idée, ou n’importe quoi d’autre. Tout ce qu’on regarde est faux. Je ne crois pas plus important le résultat relatif, que le choix entre gâteau et cerises après dîner. La façon de regarder vite l’autre côté d’une chose, pour imposer indirecte-ment son opinion, s’appelle dialectique, c’est-à-dire marchander l’esprit des pommes frites, en dansant la méthode autour. Si je crie : Idéal, idéal, idéal Connaissance, connaissance, connaissance, Boumboum, boumboum, boumboum, j’ai enregistré assez exactement le progrès, la loi, la morale et toutes les autres belles qualités que diffé-rents gens très intelligents ont discutés dans tout des livres, pour arriver, à la fin, à dire que tout de même chacun a dansé d’après son boumboum personnel, et qu’il a raison pour son boumboum, satisfaction de la curiosité maladive ; sonnerie privée pour besoins inexplicables ; bain ; difficultés pécuniaires ; estomac avec répercussion sur la vie ; autorité de la baguette mystique formulée en bouquet d’orchestre-fantôme aux archets muets, graissés de philtres à base d’ammoniaque animal. Avec le lorgnon bleu d’un ange ils ont fossoyé l’intérieur pour vingt sous d’unanime reconnaissance. Si tous ont raison et si toutes les pilules ne sont que Pink, essayons une fois de ne pas avoir raison. On croit pouvoir expliquer rationnel-lement, par la pensée, ce qu’il écrit. Mais c’est très relative. La psychanalyse est une maladie dangereuse, endort les penchants anti-réels de l’homme et systématise la bourgeoisie. Il n’y a pas de dernière Vérité. La dialectique est une machine amusante qui nous conduit/d’une manière banale/aux opinions que nous aurions eues de toute façon. Croit-on, par le raffinement minutieux de la logique, avoir démontré la vérité et établi l’exactitude de ses opinions ? Logique serrée par les sens est une maladie organique. Les philosophes aiment ajouter à cet élément : le pouvoir d’observer. Mais justement cette magnifique qualité de l’esprit est la preuve de son impuissance. On observe, on regarde d’un ou de plusieurs points de vue, on les choisit parmi les millions qui existent. L’expérience est aussi un résultat du hasard et des facultés individuelles. La science me répugne dès qu’elle devient spéculative-système, perd son caractère d’utilité tellement inutile mais au moins individuel. Je hais l’objectivité grasse et l’harmonie, cette science qui trouve tout en ordre. Continuez, mes enfants, humanité, gentils bourgeois et journalistes vierges... Je suis contre les systèmes, le plus acceptable des systèmes est celui de n’en avoir par principe aucun. Se compléter, se perfectionner dans sa propre petitesse jusqu’à remplir le vase de son moi, courage de combattre pour et contre la pensée, mystère du pain déclochement subit d’une hélice infernale en lys économiques : LA SPONTANÉITÉ DADAISTE Je nomme je m’enfoutisme l’état d’une vie où chacun garde ses propres conditions, en sachant toutefois respecter les autres individualités, sinon se défendre, le two-step devenant hymne national, magasin de bric-à-brac, T.S.F. téléphone sans fil transmettant les fugues de Bach, réclames lumineuses et affichage pour les bordels, l’orgue diffusant des œillets pour Dieu, tout cela ensemble, et réellement, remplaçant la photographie et le catéchisme unilatéral. La simplicité active. L’impuissance de discerner entre les degrés de clarté  : lécher la pénombre et flotter dans la grande bouche emplie de miel et d’excrément. Mesurée à l’échelle Éternité, toute action est vaine (si nous lais-sons la pensée courir une aventure dont le résultat serait infiniment grotesque donnée importante pour la connaissance de l’impuissance humaine). Mais si la vie est une mauvaise farce, sans but ni accouchement initial, et parce que nous croyons devoir nous tirer proprement, en chrysantèmes lavés, de l’affaire, nous avons proclamé seule base d’entendement : l’art. Il n’y a pas l’importance que nous, reîtres de l’esprit, lui prodiguons depuis des siècles. L’art n’afflige personne et ceux qui savent s’y intéresser, recevront de caresses et belle occasion de peupler le pays de leur conversation. L’art est une chose privée, l’artiste le fait pour lui ; une œuvre compréhensible est produit de journaliste, et parce qu’il me plaît en ce moment de mélanger ce monstre aux couleurs à l’huile : tube en papier imitant le métal qu’on presse et verse automatiquement, haine lâcheté, vilenie. L’artiste, le poète se réjouit du venin de la masse condensée en un chef de rayon de cette industrie, il est heureux en étant injurié : preuve de son immuabilité. L’auteur, l’artiste loué par les journaux, constante la compréhension de son œuvre : misérable doublure d’un man-teau à utilité publique ; haillons qui couvrent la brutalité, pissat collaborant à la chaleur d’un animal qui

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couve les bas instincts. Flasque et insipide chair se multipliant à l’aide des microbes typographiques. Nous avons bousculé le penchant pleurnichard en nous. Toute filtration de cette nature est diarrhée confite. Encourager cet art veut dire la digérer. Il nous faut des œuvres fortes, droites, précises et à jamais incomprises. La logique est une complication. La logique est toujours fausse. Elle tire les fils des notions, paroles, dans leur extérieur formel, vers des bouts, des centres illusoires. Ses chaînes tuent, myriapode énorme asphyxiant l’indépendance. Marié à la logique, l’art vivrait dans l’inceste, engloutissant, avalant sa propre queue toujours son corps, se forniquant en lui-même et le tempérament deviendrait un cauche-mar goudronné de protestantisme, un monument, un tas d’intestins grisâtres et lourds. Mais la souplesse, l’enthousiasme et même la joue de l’injustice, cette petite vérité que nous pratiquons innocents et qui nous rend beaux : nous sommes fins et nos doigts sont malléables et glissent comme les branches de cette plante insinuante et presque liquide ; elle précise notre âme, disent les cyniques. C’est aussi un point de vue ; mais toutes les fleurs ne sont pas saintes, heureusement, et ce qu’il y a de divin en nous est l’éveil de l’action anti-humaine. Il s’agit ici d’une fleur de papier pour la boutonnière des messieurs qui fréquentent le bal de la vie masquée, cuisine de la grâce, blanches cousines souples ou grasses. Ils trafiquent avec ce que nous avons sélectionné. Contradiction et unité des polaires dans un seul jet, peuvent être vérité. Si l’on tient en tout cas à prononcer cette banalité, appendice d’une moralité libidineuse, mal odorante. La morale atrophie comme tout fléau produit de l’intelligence. Le contrôle de la morale et de la logique nous ont infligé l’impassibilité devant les agents de police cause de l’esclavage, rats putrides dont les bourgeois ont plein le ventre, et qui ont infecté les seuls corridors de verre clairs et propres qui restèrent ouverts aux artistes. Que chaque homme crie : il y a un grand travail destructif, négatif, à accomplir. Balayer, nettoyer. La propreté de l’individu s’affirme après l’état de folie, de folie agressive, complète, d’un monde laissé entre les mains des bandits qui déchirent et détruisent les siècles. Sans but ni dessein, sans organisation : la folie indomptable, la décomposition. Les forts par la parole ou par la force survivront, car ils sont vifs dans la défense, l’agilité des membres et des sentiments flambe sur leurs flancs facettés. La morale a déterminé la charité et la pitié, deux boules de suif qui ont poussé comme des éléphants, des planètes et qu’on nomme bonnes. Elles n’ont rien de la bonté. La bonté est lucide, claire et décidée, impitoyable envers la compromission et la politique. La moralité est l’infusion du chocolat dans les veines de tous les hommes. Cette tâche n’est pas ordonnée par une force surnaturelle, mais par le trust des mar-chands d’idées et des accapareurs universitaires. Sentimentalité : en voyant un groupe d’hommes qui se querellent et s’ennuient ils ont inventé le calendrier et le médicament sagesse. En collant des étiquettes, la bataille des philosophes se déchaîna (mercantilisme, balance, mesures méticuleuses et mesquins) et l’on comprit une fois de plus que la pitié est un sentiment, comme la diarrhée en rapport avec le dégoût qui gâte la santé, l’immonde tâche des charognes de compromettre le soleil. Je proclame l’opposition de toutes les facultés cosmiques à cette blennhorragie d’un soleil putride sorti des usines de la pensée philosophique, la lutte acharnée, avec tous les moyens du DÉGOÛT DADAISTE Tout produit du dégoût susceptible de devenir une négation de la famille, est dada ; protestation aux poings de tout son être en action destructive : DADA ; connaissance de tous les moyens rejetés jusqu’à présent par le sexe publique du compromis commode et de la politesse : DADA ; abolition de la logique, danse des impuissants de la création  : DADA ; de toute hiérarchie et équation sociale installée pour les valeurs par nos valets  : DADA ; chaque objet, tous les objets, les sentiments et les obscurités, les apparitions et le choc précis des lignes parallèles, sont des moyens pour le combat : DADA ; abolition de la mémoire : DADA ; abolition de l’archéologie : DADA ; abolition des prophètes : DADA ; abolition du futur : DADA ; croyance absolue indiscutable dans chaque dieu produit immédiat de la spontanéité : DADA ; saut élégant et sans préjudice d’une harmonie à l’autre sphère ; trajectoire d’une parole jetée comme un disque sonore cri ; respecter toutes les individualités dans leur folie du moment : sérieuse, craintive, timide, ardente, vigoureuse, décidée, enthousiaste ; peler son église du tout accessoire inutile et lourd ; cracher comme une cascade lumineuse la pensé désobligeante ou amoureuse, ou la choyer avec la vive satisfaction que c’est tout à fait égal avec la même intensité dans le buisson, pur d’insectes pour le sang bien né, et doré de corps d’archanges, de son âme. Liberté : DADA DADA DADA, hurlement des douleurs crispées, entrelacement des contraires et de toutes les contradictions, des grotesques, des inconséquences : LA VIE.

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Œuvres présentées Jean Arp, La Mise au tombeau des oiseaux et pa-pillons (Portrait de Tristan Tzara) (1916-1917), bois peint, 40 x 32,5 x 9,5 cm, conservé à la Kunsthaus de Zurich.

Jean Arp, Sans titre, (vers 1915), collage, 28,5 x 23 cm, conservé au Centre Georges Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne.

Hugo Ball, Karawane, épreuve de 1919 avec reproduc-tion d’une photographie d’Hugo Ball en costume cubiste, prise en 1916 par Marcel Janco, 32 x 24 cm, Israël Museum, Jérusa-lem, The Arturo Schwarz Collection.

Marcel Janco, trois masques, (1919), assemblage, h. 35 cm, 55 cm et 45 cm, conservés au Centre Georges Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne.

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Francis Picabia, Fille née sans mère, (1916), gouache et peinture métallique sur papier, 50 x 65 cm, conservé à la Scottish National Gallery, Édimbourg.

Francis Picabia, Portrait de Tristan Tzara, (1918), aqua-relle et mine graphite sur papier, 62  x  45  cm, conservé au Centre Georges Pompidou, Paris, Musée national d’art mo-derne.

Francis Picabia, Réveil Matin, (1919), encre sur papier, 31,8 x 23 cm, conservé au Tate Modern, Londres.

Sophie Taeuber, marionettes, (1918), bois, métal, peinture à l’huile, 55 x 18 cm, et 61 x 18 cm, conservées à la Schweizerisches Marionettentheater, Zürich.

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Table tactile La première aventure céleste de M. Antipyrine, textes de Tristan Tzara illustrés par des gravures sur bois de Jean Arp. Vingt-cinq poèmes et Vingt-cinq et un poèmes, textes de Tristan Tzara illustrés par des gravures sur bois de Jean Arp.

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Salle 3 : Dada Paris, 1920 – 1939

Tristan Tzara arrive à Paris en 1920. Il s’insère alors dans un groupe d’avant-garde actif qui deviendra bientôt le mouvement surréaliste. Parallèlement il communique avec le mouvement Dada de Berlin. Cette période est caractérisée par une recherche intense de nouveaux modes d’expressions, d’art total et accessible à tous, notamment les « prolétaires » dans le but assumé de sortir l’artiste de sa tour d’ivoire aimable aux « bourgeois ». Les œuvres de cette époque sont volontairement choquantes, abstraites, rendant parfois compte (comme chez Dix ou Grosz) de la sombre réalité de l’après-guerre. D’autres se réfugient dans le rêve et crée de nouveaux univers, plus agréables et divertissants que le réel. Pour se faire, ils coupent, collent, manifestent, se travestissent, font appel au hasard. Derrière ces œuvres qui peuvent paraître légères ou faciles, se cache la double nature de l’entre-deux guerre : violence et insouciance. Peu à peu, ces artistes, bientôt qualifiés de « dégénérés » par le régime Nazi, vont s’engager dans le communisme, la guerre d’Espagne, la construction d’un monde nouveau idéal. La salle se divise en deux, le mur de gauche est occupé par les dadaïstes allemands tandis que le mur de droite est consacré aux artistes parisiens.

Repères chronologiques• 24 février 1920 : à Munich, le Parti ouvrier allemand devient le Parti national-socialiste des travailleurs allemands (nazi).• 25 janvier 1921  : la conférence de Paris fixe les réparations dues par l’Allemagne à 226 milliards de marks-or. Cette dette sera ramenée à 132 milliards lors de la conférence de Londres, quelques mois plus tard.• 31 octobre 1922 : Mussolini est élu Président du Conseil italien, il promulgue une série de lois rendant son régime totalitaire.• 21 janvier 1924 : mort de Lénine.• 20 décembre 1924 : Adolf Hitler, amnistié par le gouvernement bavarois, sort de prison après 13 mois au lieu des 5 ans prévus. Il y a rédigé son manifeste Mein Kampf (Mon com-bat) qui paraîtra en 1925.• 9 janvier 1929  : Heinrich Himmler prend le commandement des SS et en fait un corps d’élite.• 22 janvier 1929 : Staline devient le chef incontesté du PCUS.• 24 octobre 1929 : « Jeudi Noir » le krach boursier à Wall Street.• Mars 1930 : création en Roumanie de la Garde de fer, organisation militaire de la Légion de l’Archange Michel, dirigée par Corneliu Codreanu, pour lutter contre le communisme.• 7 avril 1930 : création des goulags en Sibérie.• 13 mars 1932 : Hitler obtient 30,1 % des suffrages au premier tour des présidentielles.• 25 juin 1932 : début de la dictature de Salazar au Portugal.• 30 janvier 1933 : Hitler devient chancelier du Reich.• 14 juillet 1935 : naissance du Front populaire (France)• 15 septembre 1935  : adoption des lois de Nuremberg discriminatoires à l’encontre des Juifs en les privant de leur citoyenneté et de leurs droits politiques.• 18 juillet 1936  : début de la guerre civile espagnole déclenchée par le soulèvement des généraux insurgés contre la République.• 26 avril 1937 : destruction de la ville de Guernica par les aviateurs de la légion Condor.• 20 — 22 décembre 1937 : la Garde de fer, parti fasciste et antisémite roumain, remporte 16 % des suffrages. Des lois antisémites sont adoptées, les Juifs commencent à être vic-times de pogroms.• 13 mars 1938 : Anschluss, Hitler proclame l’annexion de l’Autriche à l’Allemagne.

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AudioCette salle présente comme contenu audio le manifeste « Tristan Tzara » de 1920, prononcé à Paris, le texte de la conférence Dada prononcé à Weimar et Iéna en 1922 et l’article « Aux avant-postes de la Liberté » en soutient aux républicains espagnols, 1938.

Manifeste Tristan Tzara, 1920.Regardez-moi bien !Je suis idiot, je suis un farceur, je suis un fumiste.Regardez-moi bien !Je suis laid, mon visage n’a pas d’expression, je suis petit.Je suis comme vous tous !Mais demandez-vous, avant de me regarder, si l’iris par lequel vous envoyez des flèches de sentiment liquide, n’est pas caca de mouche, si les yeux de votre ventre ne sont des sections de tumeurs dont les regards sortiront une fois par une partie quelconque de votre corps, sous forme d’écoulement blennor-ragique.Vous voyez avec votre nombril – pourquoi lui cachez-vous le spectacle ridicule que nous lui offrons ? Et plus bas, des sexes de femmes, à dents, qui avalent tout – la poésie de l’éternité, l’amour, l’amour pur, naturellement – les beaftecks saignants et la peinture à l’huile. Tous ceux qui regardent et qui com-prennent, se rangent aisément entre la poésie et l’amour, entre le beafteck et la peinture. Ils seront digé-rés, ils seront digérés. On m’a accusé récemment d’un vol de fourrures. Probablement parce qu’on me croyait encore parmi les poètes. Parmi ces poètes qui satisferont leurs besoins légitimes d’onanie froide dans des fourrures chaudes : H a h u, je connais d’autres plaisirs, aussi platoniques. Appelez votre famille au téléphone et pissez dans le trou réservé aux bêtises musicales gastronomiques et sacrées.

DADA propose 2 solutions :PLUS DE REGARDS !PLUS DE PAROLES !

Ne regardez plus !Ne parlez plus !

Car moi, caméléon changement infiltration aux attitudes commodes – opinions multicolores pour toute occasion dimension et prix – je fais le contraire de ce que je propose aux autres.

j’ai oublié quelque chose :

où ? pourquoi ? comment ? c’est-a-dire :ventilateur d’exemples froids servira au serpent fragile de cavalcade et je n’ai jamais eu le plaisir de vous voir my dear, rigide l’oreille sortira d’elle-même de l’enveloppe comme toutes les fournitures marines et les produits de la maison Aa & C° le chewing-gum par exemple et les chiens ont des yeux bleus, je bois la camomille, ils boivent le vent, DADA introduit de nouveaux points de vue, on s’assoit maintenant aux coins des tables, des attitudes glissées un peu à gauche et à droite, c’est pourquoi je suis fâché avec Dada, demandez partout la suppression des D, mangez du Aa, frottez-vous avec la pâte dentifrice Aa, habillez-vous chez Aa. Aa est un mouchoir et le sexe qui se mouche, l’écroulement rapide – en caoutchouc – sans

• 28 – 30 septembre 1938 : conférence de Munich. Croyant préserver la paix en Europe, la France et le Royaume-Uni autorise Hitler à envahir les Sudètes (Tchécoslovaquie)• 9 novembre 1938 : Nuit de Cristal, 191 synagogues ont été incendiées, 76 ont été démolies et 7500 commerces juifs ont été détruits en Allemagne.• 1939 : expension progressive du Reich en Europe centrale.• 1er avril 1939 : fin de la guerre d’Espagne, Franco met en place une dictature sur tout le territoire.• 1er septembre 1939 : Mobilisation générale en France.

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bruit, n’a pas besoin de manifestes ni de livre d’adresses, il donne 25 % de rabais habillez-vous chez Aa il a les yeux bleus.

Conférence sur Dada, à Weimar et Iéna, 1922. Vous savez déjà que pour le grand public, pour vous, gens du monde, un dadaïste est l’équivalent d’un lépreux. Mais cela n’est qu’une forme de langage. Lorsqu’on nous parle de près, on garde envers nous le reste d’élégance due à l’habitude qu’on a de croire au progrès. À dix mètres de distance la haine recommence. Ça c’est dada. Si vous me demandez pourquoi, je ne saurais vous répondre.Une autre caractéristique de Dada est la séparation continuelle de nos amis. Un se sépare et on démis-sionne. Le premier qui ait donné sa démission du Mouvement Dada c’est moi. Tout le monde sait que Dada n’est rien. Je me suis séparé de Dada et de moi-même aussitôt que j’eus compris la véritable portée du rien. Si je continue à faire quelque chose, c’est parce que cela m’amuse, ou plutôt parce que j’ai un besoin d’activité que je dépense dans tous les sens. En vérité, les vrais dadas étaient toujours séparés de Dada. Ceux pour qui dada était encore assez important pour s’en séparer bruyamment, n’agissaient que par un besoin de réclame personnelle et prouvaient que les faux-monnayeurs se sont toujours faufilés comme des vers immondes parmi les plus pures et plus claires entreprises de l’esprit. Je sais que vous vous attendez à des explications sur Dada. Je n’en donnerai aucune. Expliquez-moi pourquoi vous existez. Vous n’en savez rien. Vous me direz : j’existe pour créer le bonheur de mes enfants. Au fond vous savez que ce n’est pas vrai. Vous direz : j’existe pour sauvegarder ma patrie des invasions barbares. Ce n’est pas suffisant. Vous direz : j’existe parce que Dieu le veut. C’est un conte pour les enfants. Vous ne saurez jamais pourquoi vous existez mais vous vous laisserez toujours facilement entraîner à mettre du sérieux dans la vie. Vous ne comprendrez jamais que la vie est un jeu de mots, car vous ne serez pas assez seuls pour opposer à la haine, aux jugements, à tout ce qui demande de grands efforts, un état d’esprit plane et calme où tout est pareil et sans importance. Dada n’est pas du tout moderne, c’est plutôt le retour à une religion d’indifférence quasi-boudd-bique. Dada met une douceur artificielle sur les choses, une neige de papillons sortis du crâne d’un pres-tidigitateur. Dada est l’immobilité et ne comprend pas les passions. Vous direz que cela est un paradoxe parce que Dada se manifeste par des actes violents. Oui, les réactions des individus contaminés par la destruction, sont assez violentes, mais ces réactions épuisées, annihilées par l’insistance satanique d’un « à quoi bon » continuel et progressif, ce qui reste et domine est l’indifférence. Je pourrai d’ailleurs, avec le même ton convaincu, soutenir le contraire. J’admets que mes amis n’approuvent pas ce point de vue. Mais le Rien ne peut s’exprimer qu’en tant que reflet d’une individualité. C’est pour cela qu’il sera valable pour tout le monde, chacun n’accordant de l’importance qu’à sa propre personne. Je parle de moi-même. Cela est déjà de trop. Comment oserais-je parler de tout le monde à la fois et le contenter ? Il n’y a rien de plus agréable que de dérouter les gens. Les gens qu’on n’aime pas. À quoi bon leur expliquer ce qui ne peut intéresser que leur curiosité ? Car les gens n’aiment que leur personne, leur rente et leur chien. Cet état de choses dérive d’une fausse conception de la propriété. Si l’on est pauvre d’esprit, on possède une intelligence sûre et inébranlable, une logique féroce, un point de vue immuable. Tâchez d’être vides et de remplir vos cellules cérébrales au petit bonheur. Détruisez toujours ce que vous avez en vous. Au hasard des promenades. Vous pourrez alors comprendre beaucoup de choses. Vous n’êtes pas plus intelligents que nous, et nous ne sommes pas plus intelligents que vous. L’intelligence est une organisation comme une autre, l’organisation sociale. L’organisation d’une banque ou l’organisation d’un bavardage. Un thé mondain. Elle sert à créer de l’ordre et à mettre de la clarté là où il n’y en a pas. Elle sert à créer la hiérarchie dans l’état. À faire des classifications pour un travail rationnel. À séparer les questions d’ordre matériel de celles d’ordre moral, mais de prendre très au sérieux les premières. L’intelligence est le triomphe de la bonne éducation et du pragmatisme. La vie, heureusement, est autre chose, et ses plaisirs sont innombrables. Leur prix ne s’évalue pas en monnaie d’intelligence liquide. Ces observations des conditions quotidiennes nous ont amenés à une connaissance qui constitue notre minimum d’entente, en dehors de la sympathie qui nous lie et qui est mystérieuse. Nous ne pou-vions pas la baser sur des principes. Car tout est relatif. Qu’est-ce le Beau, la Vérité, I’Art, le Bien, la Liberté ? Des mots qui pour chaque individu signifient autre chose. Des mots qui ont la prétention de mettre tout le monde d’accord, raison pour laquelle on les écrit la plupart du temps avec des majuscules. Des mots qui n’ont pas la valeur morale et la force objective qu’on s’est habitué à leur donner. Leur signi-fication change d’un individu à l’autre, d’un pays à l’autre. Les hommes sont différents, c’est leur diversité

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qui en crée l’intérêt. Il n’y a aucune base commune dans les cerveaux de l’humanité. L’inconscient est inépuisable et non contrôlable. Sa force nous dépasse. Elle est aussi mystérieuse que la dernière particule de cellule cérébrale. Même si nous la connaissons, qui ose affirmer que nous pourrions la reconstruire viable et génératrice de pensées ? À quoi nous ont-elles servi les théories des philosophes ? Nous ont-elles aidés à faire un pas en avant ou en arrière ? Où est « avant » où est « arrière » ? Ont-elles transformé nos formes de contentement ? Nous sommes. Nous nous disputons, nous nous agitons, nous nous débattons. Les entr’actes sont parfois agréables, souvent mélangés d’un ennui sans bornes, un marécage orné des barbes d’arbustes mori-bonds. Nous avons assez des mouvements réfléchis qui ont dilaté outre mesure notre crédulité dans les bienfaits de la science. Ce que nous voulons maintenant c’est la spontanéité. Non parce qu’elle est plus belle ou meilleure qu’autre chose. Mais parce que tout ce qui sort librement de nous-mêmes sans l’inter-vention des idées spéculatives, nous représente. ll faut accélérer cette quantité de vie qui se dépense facilement dans tous les coins. L’art n’est pas la manifestation la plus précieuse de la vie. L’art n’a pas cette valeur céleste et générale qu’on se plaît à lui accorder. La vie est autrement intéressante. Dada se vante de connaître la juste mesure qu’il faut donner à l’art ; il l’introduit avec des moyens subtils et perfides dans les actes de la fantaisie quotidienne. Et réciproquement. En art, Dada ramène tout à une simplicité initiale mais relative. Il mêle ses caprices au vent chaotique de la création et aux danses barbares des peuplades farouches. ll veut que la logique soit réduite à un minimum personnel et que la littérature soit destinée, avant tout, à celui qui la fait. Les mots ont aussi un poids et servent à une construction abstraite. L’absurde ne m’effraie pas, car d’un point de vue plus élevé, tout dans la vie me paraît absurde. Il n’y a que l’élasticité de nos conventions qui met un lien entre les actes disparates. Le Beau et la Vérité en art n’existent pas ; ce qui m’intéresse est l’intensité d’une personnalité, transposée directement, clairement, dans son œuvre, l’homme et sa vitalité, l’angle sous lequel il regarde les éléments et la façon dont il sait ramasser dans le panier de la mort les sensations et les émotions, ces dentelles de mots. Dada essaie de savoir ce que les mots signifient avant de s’en servir, non pas du point de vue gram-matical, mais de celui de la représentation. Les objets et les couleurs passent aussi par le même filtre. Ce n’est pas une nouvelle technique qui nous intéresse, mais l’esprit. Pourquoi voulez-vous qu’une rénova-tion picturale, morale, poétique, sociale ou poétique nous préoccupe ? Nous savons tous que ces rénova-tions des moyens ne sont que les costumes successifs des différentes époques de l’histoire, des questions peu intéressantes de modes et de façades. Nous savons fort bien que les gens en habits Renaissance étaient à peu près les mêmes que ceux d’aujourd’hui et que Dchouang-Dsi était aussi dada que nous. Vous vous trompez si vous prenez Dada pour une école moderne, ou même pour une réaction contre les écoles actuelles. Plusieurs de mes affirmations vous ont paru vieilles et naturelles, c’est la meilleure preuve que vous étiez dadaïstes sans le savoir et peut-être avant la naissance de dada. Vous entendrez souvent dire  : Dada est un état d’esprit. Vous pouvez être gais, tristes, affligés, joyeux, mélancoliques ou dada. Sans être littérateurs vous pouvez être romantiques, vous pouvez être rêveurs, las, fantasques, commerçants, maigres, transportés, vaniteux, aimables ou dada. Plus tard, au cours de l’histoire, quand Dada deviendra un mot précis et habituel, et quand la répétition populaire lui donnera le sens d’un mot organique avec son contenu nécessaire, on sera dada sans honte ni péjoration, car qui pense encore aujourd’hui à la littérature en qualifiant de romantique un lac, un paysage, un caractère ? Peu à peu, mais sûrement, il se forme un caractère dada. Dada est là, un peu partout, tel qu’il est, avec ses défauts, avec la différence entre les gens, qu’il admet et qu’il regarde avec indifférence. On nous dit très souvent que nous sommes incohérents, mais on veut mettre dans ce mot une injure qu’il m’est assez difficile de saisir. Tout est incohérent. Le monsieur qui se décide de prendre un bain, mais qui va au cinéma. L’autre qui veut rester tranquille, mais qui dit ce qui ne lui passe même pas par la tête. Un autre qui a une idée exacte sur quelque chose, mais qui n’arrive qu’à exprimer le contraire dans des paroles qui pour lui sont une mauvaise traduction. Aucune logique. Des nécessités relatives découvertes a posteriori, valables non du point de vue de leur exactitude, mais comme explications. Les actes de la vie n’ont ni commencement ni fin. Tout se passe d’une manière très idiote. C’est pour cela que tout est pareil. La simplicité s’appelle dada. Vouloir concilier un état inexplicable et momentané avec la logique, me paraît un jeu amusant. La convention du langage parlé nous est amplement suffisante, mais pour nous seuls, pour nos jeux intimes et notre littérature, nous n’en avons plus besoin. En peinture, les choses se passent de la même façon. Les peintres, les techniciens, qui font très bien ce qu’un appareil photographique enregistre beaucoup mieux, continueront le jeu. Nous ferons le nôtre. Nous ne savons pas pourquoi ni comment. Avec tout ce qui nous tombe sous la main. Il sera mal fait, mais nous nous en fichons.

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Les débuts de Dada n’étaient pas les débuts d’un art, mais ceux d’un dégoût. Dégoût de la magnifi-cence des philosophes qui depuis 3.000 ans nous ont tout expliqué (à quoi bon ?), dégoût de la prétention de ces artistes représentants de dieu sur terre, dégoût de la passion, de la méchanceté réelle, maladive, appliquée là où cela ne vaut pas la peine, dégoût d’une nouvelle forme de tyrannie et de restriction, qui ne fait qu’accentuer l’instinct de domination des hommes au lieu de l’apaiser, dégoût de toutes les caté-gories cataloguées, des faux prophètes derrière lesquels il faut chercher des intérêts d’argent, d’orgueil ou du maladies, dégoût de ces séparateurs entre le bien et le mal, le beau et le laid. (Car pourquoi est-ce plus estimable d’être rouge au lieu de vert. à gauche ou à droite, grand ou petit ?), dégoût en fi n de la dialectique jésuite qui peut tout expliquer et faire passer dans les cerveaux pauvres des idées obliques et obtuses n’ayant pas de racines ni de base, tout cela au moyen d’artifices aveuglants et d’insinuantes promesses de charlatans. Dada, après avoir de nouveau attiré l’attention du monde entier sur la mort, sur sa présence constante parmi nous, marche en détruisant de plus en plus, non en extension, mais en lui-même. De tous ses dégoûts il ne tire d’ailleurs aucun parti, aucun orgueil et aucun profit. Il ne combat même plus, car il sait que cela ne sert à rien, que tout cela n’a pas d’importance. Ce qui intéresse un dadaïste est sa propre façon de vivre. Mais ici nous abordons les lieux réservés au grand secret. Dada est un état d’esprit. C’est pour cela qu’il se transforme suivant les races et les événements. Dada s’applique à tout, et pourtant il n’est rien, il est le point où le oui et le non se rencontrent, non pas solennellement dans les châteaux des philosophies humaines, mais tout simplement au coin des mes comme les chiens et les sauterelles. Dada est inutile comme tout dans la vie. Dada n’a aucune prétention comme la vie devrait être. Peut-être me comprendrez-vous mieux quand je vous dirai que dada est un microbe vierge qui s’introduit avec l’insistance de l’air dans tous les espaces que la raison n’a pu combler de mots ou de conventions.

Aux avant-postes de la Liberté « Atencion, atencion, aqui, Madrid en armas... Madrid en armes vous parle… » C’est la voix émou-vante du poète Serrano Plaja qui annonce les émissions des Jeunesses socialistes et communistes à la Radio-Union. Et Madrid en armes n’est pas le titre d’un livre de poèmes, c’est la réalité de fait contre laquelle tout le long de la journée vous vous heurtez, c’est le fondement même de l’indicible atmosphère dans laquelle un million d’habitants ont trouvé le pouvoir de vivre et de s’accommoder à un degré si élevé de l’humaine activité que les notions habituelles que nous avons de la nature de la vie en sont bouleversées. Dans la nuit noire et vide, Madrid retentit des coups de fusils dans ses rues, rendant plus familière, plus proche, l’inhumaine canonade, les obus, les bombes, les explosions. Ce sont les fascistes, oiseaux de nuit, camouflés en républicains, qui tirent sur les sentinelles, ce sont les sentinelles qui arrêtent quelque voiture-fantôme dans laquelle l’esprit malfaisant de Franco a trouvé des fous pour le représenter. Madrid, ville martyre, Madrid, une des rares villes d’Espagne qui, au cours des siècles, n’a pas poussé de la terre violette, comme les autres villes, au gré d’une ancestrale habitude de vivre en compa-gnie des pierres et des plantes, polies par l’incessant frottement des mains de soleil et de vent, Madrid, ville bâtie par les hommes et les dominant et non pas, comme les autres villes, réduite à la familière expression d’un proverbe étincelant, Madrid ville moderne, capitale du capital, Madrid était, il y a encore un mois, la ville la plus laide d’Espagne. Mais la passion a passé par là et a étreint Madrid et l’a rendue à l’homme. Et, à travers l’homme, son histoire est désormais liée à la destinée du monde moderne. La grande passion humaine a secoué ses branches les fruits pourris. Un feu collectif et intérieur brûlant dans chaque poitrine resplendit et projette sur les pierres meurtries de Madrid une flamme plus pure et bien plus puissante que celle que les hordes d’incendiaires ont semée au hasard des édifices. Madrid meurtri, Madrid entouré des barricades de poings serrés, est aujourd’hui la plus belle ville du monde : une ville bâtie de cœurs d’hommes, des pleurs des femmes qui savent désormais qu’il n’y a plus de détresse humaine qui ne comporte un espoir dans l’avenir de l’homme, et de la grâce des enfants qui, ayant vu des enfants tués, blessés, amputés, affamés, ont peuplé leurs jeux des légendes indestructibles de ces temps modernes et des contes merveilleux qui se dégagent de l’histoire et qui l’animent. C’est tout l’avenir d’un monde plus humain, plus conforme à la saveur de l’homme et du sol qui le nourrit, qui plane sur la ville palpitante à laquelle sont attachées des millions d’inquiétudes à travers les continents et de cœurs qui battent pour la lumière qui s’y lève. Sous le ciel froid de la Castille, l’acier a remplacé le prestigieux folklore d’un des rares peuples qui a gardé entière une manière de vivre et de sentir selon la conformation de la terre. Mais si l’acier brûle et

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détruit, c’est dans une mesure bien plus grande que disparaissent les frontières entre les hommes. C’est dans la souffrance que se construit là-bas, sur les bases d’une vieille culture, cette société nouvelle, lumi-neuse et large, qui sera faite pour les hommes, à l’encontre de l’actuelle où les hommes sont rétrécis à sa sordide mesure. Ces hommes extraordinaires, opprimés jusqu’à présent par une couche féodale, mince mais puissante, en ont déjà brisé les frontières coutumières. La fraternité humaine, qui, pour eux, n’est pas un vain mot, déferle désormais sur la vie quotidienne, sur l’héroïsme qui n’a pas de nom car il adhère à la vie, à l’échange naturel dont sont faites les sociétés. Il y a une économie du sentiment qui précède, prépare et conditionne les transformations sociales qui à leur tour, engendrent de nouveaux sentiments et les canalisent. Ainsi naît le courage militaire d’un peuple pacifique et la discipline librement consentie qui n’est pas la suppression de la personnalité, mais, au contraire, son dépassement. Telle est la guerre dans toute son horreur : guerre imposée à un peuple par une « minorité agis-sante  », et telle se manifeste-t-elle dans toute la splendeur qui ensemence un peuple dont la pleine conscience de ce qu’il attend est, plus fortement encore que la mitraille, nécessaire mais abhorrée, le meilleur gage de victoire. « Aqui Madrid en armas... ›› Dans le local parfaitement aménagé de la Radio-Union, s’entassent des sacs de sable, de ces sacs protecteurs qui vous obsèdent à travers tout Madrid au front dans les rues et à l’intérieur des édifices. Aux fenêtres, il y a les matelas qui empêchent les éclats de verre de tomber. Matelas, matelas, matelas, dans les métros ou vivent les réfugiés, matelas couvrant le pauvre mobilier sauvé des ruines, matelas sur les toits des autos qui transportent les évacués vers le Sud, matelas sur le sol des maisons de la Cité Universitaire où se reposent les miliciens, matelas aux fenêtres derrière les-quelles se trouvent les tirailleurs et les mitrailleurs, jamais on n’a vu autant de matelas et jamais ils n’ont été employés à tant d’usages. En eux se trouve concrétisée la consolation de l’homme harassé fatigué et qui porte avec lui la promesse de repos. Promesse à longue échéance, promesse souvent non tenue. Jour et nuit tombent les obus et les bombes. L’esprit d’investigation a pris le dessus sur l’horreur et systéma-tise l’expérience : « Est-ce un obus de tel engin de guerre, est-ce le canon anti-aérien, est-ce une bombe incendiaire, est-ce le canon ennemi ? » On a peine à croire que l’oreille arrive à distinguer les provenances et les calibres selon les bruits et les distances, et que le sentiment musical puisse prendre des formes aussi barbares quoique fines, dans le discernement des vibrations. Et l’horreur aussi est systématisée et soumise au calcul des probabilités : l’organisation des assassinats en masse par les armées de Franco a transformé Madrid en une immense loterie de la mort. Le tirage a lieu à tout moment ; jour et nuit, à tout instant, il y a des gagnants, il y a des perdants. Le Palace Hôtel, où j’habite, est transformé en hôpital. 50 à 60 morts par jour. Chaque fois que l’on ouvre la porte, l’odeur douceâtre de cadavre envahit la pièce. La merveilleuse organisation moderne de cet hôpital n’empêche qu’en traversant les couloirs on entende le râle de quelque blessé nouvellement arrivé. Je suis à table avec KOLTZOV, cet écrivain pour qui chaque pensée est une action avec SORIA et quelques autres. REGLER et STERN sont là. Ils viennent d’enterrer plusieurs de leurs camarades, com-missaires comme eux à la Brigade Internationale, morts en un même jour au cours d’une attaque. Ces « intellectuels » dont Hitler s’est bien souvent moqué, savent marcher à la tête de leurs troupes. Dans la bataille, le conseiller politique doit toujours accompagner la parole de l’exemple. Mais, déjà, se dessinent, sur le ciel de Madrid, les prémisses de la vengeance. Le combat aérien, au cours duquel 80 avions sont engagés, tourne à l’avantage de l’armée populaire. La nette supériorité de l’aviation gouvernementale sur la rebelle est faite du même esprit de sacrifice, car si, de ce côté, la guerre a un sens, celui de défendre l’intégrité de l’homme, de l’autre côté tout est absurde et sordide, les alliances malsaines et monnayables et la tendance à faire de l’homme une machine et un esclave. Les lourds Junkers chassés de l’air pur de Madrid, ne pourront plus ce jour-là laisser tomber leurs bombes sur quelque nouveau Palais du duc d’Albe, sur quelque autre Bibliothèque Nationale. Ils se contenteront, dans leur fuite, de lâcher au hasard leurs cargaisons de mort, dont quelques-unes tomberont dans leurs propres lignes. Mais ils reviendront la nuit et de nouvelles maisons seront ouvertes de haut en bas, découvrant leur misère et amassant au cœur de ceux qui les regarderont des raisons encore plus fortes de lutter avec acharnement sur le front de la liberté. Dans un sursaut de pudeur pour sa race, un écrivain espagnol, et non des moindres, honteux devant l’étranger qui se trouve en face de lui, essayera de le persuader qu’il est impossible que des Espa-gnols, aussi cruels, aussi haïssables fussent-ils, puissent commettre de pareils crimes. Il n’y a que les Allemands et les Italiens capables de détruire une ville, tuer ses habitants, incendier des œuvres d’art. Hélas ! l’internationale du Capital n’a pas de ces subtiles pudeurs ! C’est là la confirmation du principe marxiste de la contradiction interne de la société capitaliste qui, après avoir joué son rôle historique, se détruit lui-même et, avec ses valeurs les plus élevées, annihile ses productions les plus chargées de sens humain. Qu’a-t-elle fait, cette vieille civilisation, des notions de l’honneur, de la sincérité, de la bonté, des

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vertus chrétiennes, de son propre patrimoine idéologique ? Le président de l’ « Alianza des Intelectuales antifascitas », le grand écrivain catholique, le fin penseur, JOSÉ BERGAMIN, a tiré les conséquences qui s’imposaient. Avec lui, ce que le monde intellectuel compte de meilleur est réuni à l’Alianza. ALBERTI et MARIA TEBESA LEON s’occupent de la rédaction de « Mono Azul ». Ils organisent des meetings au front et des tournées à l’arrière-garde. SENDER est capitaine sur le front de la Casa del Campo, le poète CER-NUDA lutte dans les milices alpines de la Guadarrama, le grand poète d’origine paysanne FERNANDEZ dirige le bataillon des CAMPESINOS du 5e régiment.Autour de ce 5e régiment, se groupe l’intellectualité de Madrid ; l’architecte de la Cité Universitaire, ARCOS, dont on est en train de démolir l’œuvre, y prend une part active. J’y ai rencontré le bon poète LEON FELIPE qui, depuis des années, établi à Panama, est accouru au secours de la République, le poète PRADOS, de Malaga, et combien d’autres : je ne veux pourtant pas omettre ceux qui, attachés aux ser-vices des trains blindés, n’ont pas oublié que s’il y a des vers qui font parfois plus de mal que les balles, il y en a d’autres qui, souvent, remplacent le pain. Dans le silence de Madrid, car le bruit du bombardement se superpose, pourrait-on dire, à un silence très particulier, et séparé de ce silence comme si deux mondes, celui du ciel et de la terre, voisi-naient aux confins de la vie humaine, on entend brusquement sous les fenêtres de l’hôtel-hôpital un cri de femme, des sanglots. Un deuil nouveau vient d’être inscrit sur la conscience du monde. Qu’ont-ils fait, les pays dits civilisés pour arrêter la main du criminel ? Deux enfants fouillent dans un tas de papiers réunis sur le trottoir et s’en vont avec des boîtes en carton sous le bras. Des tas de gravats attendent le service de nettoyage. Le vide. Puis une terrible explosion. Les vitres se brisent. Quelques commentaires, sobres par la résolution farouche qui se dessine sur les visages crispés et c’est tout. Puis cela recom-mence. C’est l’enfer de la ville de Madrid. Les jours y sont mélangés de nuit, et les nuits de flaques de jour. Mais le sang coule. La mort court les rues. Pourtant les bêtes féroces qui traquent Madrid il faut hautement le dire, ont trouvé leur maître. Le peuple s’est organisé et sa force qui, au début, était faite de l’idée de la justice, de la confiance dans les autres peuples frères, à défaut de l’assistance effective entre les démocrates encore opprimées par les intérêts financiers, cette force a su s’armer. C’est à la Cité Universitaire, reconquise maison par maison, que l’on peut se rendre compte de ce que représente un peuple en armes, décidé à se défendre, et de ce que la solidarité du prolétariat est capable d’accomplir. Accourus de tous les pays du monde, des ouvriers, des paysans, des fonctionnaires, des intellectuels, des artisans, des commerçants, sont venus s’enrôler dans la Brigade internationale. Ceux qui, pour l’instant, sont dans l’impossibilité de combattre le fascisme dans leurs pays, sont aux côtes de leurs frères espagnols. Ceux qui, ayant compris que le fascisme victorieux en Espagne lèverait bientôt la tête dans leur pays non encore contaminé, sont venus le combattre en Castille et sur les bords du Manzanarès. Au désintéressement de ces hommes conscients de leur devoir historique, de la mission civilisatrice assignée au prolétariat, à ces hommes qui donnent leurs vies en sachant que rien de ce qu’ils donnent ne sera perdu et que toute la somme de leurs vies appartient au bien commun de fraternité humaine, les fascistes ne peuvent opposer que des mercenaires ou des aventuriers. Concessions de mines, promesses de territoires, menaces, intérêts de sociétés concur-rentes, haute finance, exploitations, toute la veille canaillerie du vieux monde s’est mobilisée pour briser l’élan d’une jeunesse nouvelle et la pureté d’un peuple qui a trouvé dans sa tradition matière suffisante pour imposer son droit à la vie. Au nord du Parc de l’Ouest et en continuation de la Casa del Campo, le nouveau quartier de la Cité Universitaire, dont la construction de la plupart des édifices était sur le point d’être terminée, devait réu-nir toutes les institutions scientifiques, les facultés et les laboratoires de Madrid. Les rues en sont tracées, mais non encore pavées, et c’est la boue de cet immense chantier qui sépare les deux faces antagonistes, en présence, d’un même monde que l’égoïsme de quelques insensés empêche de s’unir. Dans ces diffé-rents bâtiments dont l’initiale affectation paraît aujourd’hui tragiquement ironique, se sont fortifiés les combattants de la République. Si quelques immeubles sont encore au pouvoir de l’ennemi, le séjour des Marocains à la Faculté de Philosophie – je parle de ces Marocains qui, en échange du droit de pillage, ont vendu leur conscience à Franco – a dû réjouir ce vieux fou d’Unamuno qui, après avoir trahi son peuple, vient d’être destitué par Franco de sa fonction de recteur à vie de l’Université de Salamanque pour avoir déclaré devant les caporaux de la philosophie et les philosophes du sabre : « Vous vaincrez, mais vous ne convaincrez pas ! » On rencontre à la Cité Universitaire de très jeunes Anglais qui demandent si la ville qu’ils défendent est belle, car, venus de leur propre gré pour combattre un ennemi commun à toutes les libertés, les ava-tars de la guerre les ont amenés dans les tranchées sans avoir vu Madrid. On y rencontre des Estoniens aussi blonds que ceux des bataillons Thaelmann, et des hommes très bruns, de rudes montagnards, an-ciens camarades de combat de Wallisch, dont le dialecte témoigne d’une archaïque culture terrienne qui

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rendrait jaloux bien des nazis. Que les lecteurs des canards qui batifolent dans l’eau trouble des intérêts mal définis ne se réjouissent pas trop vite : on y rencontre aussi des Russes. Mais ce sont des Russes qui parlent français, le français caractéristique des nombreux chauffeurs de taxis à Paris. Ce sont ces Russes ou leurs fils qui ont reconnu la grandeur de l’U.R.S.S. et le bien-fondé de sa politique sociale et qui, groupés dans « L’Union pour le Rapatriement », rachètent sur le front de Castille, l’erreur de ne pas avoir combattu en son temps pour la Révolution de leur pays. ll est frappant de voir le nombre de tous ceux qui ont quitté un travail rémunérateur, une famille, et que la conviction profonde de leur nécessité inté-rieure a amenés à l’étonnante prise de conscience anti-fasciste que constitue ce risque de mort dans la lutte librement consentie. Et si je parle surtout de la Brigade Internationale, c’est que les déceptions et les détresses du peuple espagnol pour ce qui est de la politique étrangère de la plupart des gouvernements, empêtrés comme ils sont dans la moisissure des discussions stériles, ont trouvé une récompense dans cette aide populaire, la solidarité des travailleurs. On comprend pourquoi le peuple espagnol manifeste une telle admiration pour ses frères venus de tous les points du globe, de tous les horizons idéologiques. Dans une cour de l’École de Médecine, le cadavre d’un milicien français gisait depuis la nuit précédente. Les balles ennemies empêchaient de l’enlever. Au moment même où je me trouvais là, un milicien espa-gnol, au péril de sa vie, descendit pour attacher une corde à la ceinture du mort. Il put revenir mais, en tirant, la ceinture s’étant défaite, tout l’effort semblait perdu. Il redescendit dans la cour et, quoiqu’une balle l’atteignît à la cuisse, il réussit à fixer solidement la ceinture. L’admirable scène à laquelle on put, par la suite, assister, entre Espagnols et Français, prouvait surabondamment que la fraternité acquise sur la ligne de feu était aussi forte que l’impérissable substance dont sont faites les antiques légendes. Les mêmes socialistes, communistes, radicaux, sans parti, qui, le 14 juillet, défilaient dans toute la France et ne croyaient pas que des paroles pouvaient aussi ne pas être des actes, défient aujourd’hui la mort qu’en transparence, on distingue derrière le visage de Franco. Ils luttent, ceux-là, pour le peuple espagnol ; ils offrent leurs corps en lieu et place des marchandises que la France refuse de vendre au Gouvernement régulier d’un pays ami. Et, malgré ce refus, malgré son pacifisme instinctif, malgré son manque de préparation, le peuple vaincra. C’est l’impression nette que je rapporte de ma visite au front de Madrid. Ce n’est plus maintenant uniquement une nécessité idéologique qui détermine cette supério-rité de l’armée populaire, c’est aussi une réalité matérielle et la mise en valeur de sa nouvelle organisa-tion. De retour à Valence, je rendis visite à mes amis de l’Alianza. Le poète PLA Y BELTRAN, ancien ber-ger, jusqu’à 18 ans sachant à peine lire. GIL-ALBERT, auteur d’héroïques Romanceros, CHABAS MANUEL ALTOLAGUIRRE, et bien d’autres, nous étions réunis dans un café. Valence n’avait jamais été bombardée. Ce soir-là, les sirènes donnèrent l’alerte, les avions qui avaient bombardé Alicante se dirigeaient vers Valence. Les canons anti-aériens entrèrent en action. Une foule de femmes, la plupart avec des enfants sur les bras, envahirent le café dont les caves étaient aménagées en refuges. Des femmes commencèrent à pleurer et bientôt une scène effroyable de désespoir, une crise nerveuse collective, eut lieu dans cette salle de café. C’étaient des évacuées de Madrid qui, pendant des semaines, là-bas, avaient supporté avec stoïcisme le bombardement, et qui, maintenant qu’elles avaient échappé à l’enfer, voyaient ce même enfer les poursuivre, comme si jamais il ne devait plus les lâcher. Mes compagnons s’employèrent à les exhor-ter de leur mieux. Alors, à travers les pleurs, une femme dit : « Je sais qu’ils ne passeront pas, ce n’est pas pour cela que je pleure. » Même physiquement amoindri, ce peuple ne perd pas l’espoir de vaincre. Car s’il a le droit et la jus-tice pour lui, il possède aussi d’incomparables qualités humaines, dont le rayonnement éblouira encore le monde et en forcera l’admiration. Madrid vient d’ajouter un nom glorieux à l’histoire de ce monde.

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Œuvres présentées Anonyme (culture Gouro, Côte d’Ivoire, Afrique), Masque, bois peint, 43  x  17  x  13  cm, conservé au Musée du Quai Branly.

Jean Arp, Tête paysage, (1924 — 1926), bois peint, 58 x 40,5 x 4,5 cm, conservé au Centre Georges Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne.

Jean Arp, Horloge, (1924), bois peint, 65,3 x 56,8 x 5 cm, conservé au Centre Georges Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne.

Jean Arp, Coquille formée par une main humaine, (1935), plâtre, 19  x  35  x  25  cm, conservé au Centre Georges Pompidou, Paris, Musée national d’art mo-derne.

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Robert Delaunay, Portrait de Tristan Tzara, (1923), huile sur carton, 104,5 x 75 cm, conservé au musée national et centre d’art Reina Sofia, Madrid.

Otto Dix, Les Joueurs de skat, (1920), huile sur toile, 110 x 87 cm, conservé à la Nationalgalerie, Berlin.

Max Ernst, Il ne faut pas voir la réalité telle que je suis, (1923), huile sur plâtre déposée sur toile, 175 x 80 cm, conser-vé au Centre Georges Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne.

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Max Ernst, Colombe, (1928), frottage de mine graphite sur papier, 30,8 x 22,9 cm, conservé au Centre Georges Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne.

George Grosz, Jour Gris, (1923), huile sur toile, 115 x 80 cm, conservé à la Nationalgalerie, Berlin.

George Grosz et John Heartfield, Der wildgewordene Spiesser Heartfield. Elektro-mecanische Tatlin-Plastik (Le Petit bourgeois Heartfield devenu fou. Sculpture Tatline électro-mé-canique), (original 1920, reconstitution de 1988), assemblage, 220 x 45 x 45 cm, conservé à la Berlinische Galerie, Landesmu-seum für Moderne Kunst, Fotografie und Architektur, Berlin.

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John Heartfield, Preussischer Erzengel, (original 1920, reconstitution de 2001), assemblage, ? cm, conservé à la Neue Galerie, New York.

André Masson, Portrait de Louis Aragon, (1923), encre de chine et crayon sur papier, 32,1 x 24,6 cm, conservé au Centre Georges Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne.

André Masson, Le labyrinthe, (1938), huile sur toile, 120 x 61  cm, conservé au Centre Georges Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne.

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Joan Miro, Portrait d’une danseuse, (1928), assemblage, 10 x 80 cm, conservé au Centre Georges Pompidou, Paris, Mu-sée national d’art moderne.

Joan Miro, Femme en révolte, (1938), aquarelle et mine graphite sur papier, 57,4 x 74,3 cm, conservé au Centre Georges Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne.

Francis Picabia, L’Œil cacodylate, (1921), huile et collage sur toile, 148,5 x 117,5 cm, conservé au Centre Georges Pompi-dou, Paris, Musée national d’art moderne.

Francis Picabia, Sans titre, couverture de Littérature, (1922), mine graphite et encre sur papier, 27,7  x  22,4  cm, conservé au Centre Georges Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne.

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Francis Picabia, Le masque et le miroir, (1930 — 1945), huile sur contreplaqué, 85,2  x  69,9  cm, conservé au Centre Georges Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne.

Raoul Hausmann, Mechanischer Kopf, (vers 1920), assem-blage, 32,5 x 21 x 20 cm, conservé au Centre Georges Pompi-dou, Paris, Musée national d’art moderne.

Raoul Hausmann, Grün, (vers 1920), mine graphite sur papier, 28,2 x 21,9 cm, conservé au Centre Georges Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne.

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John Heartfield, Adolf — le surhomme, avale de l’or et raconte des bêtises, (1932), photomontage, ? cm, conservé au BPK, Berlin.

John Heartfield, Affiche : Madrid 1936, ils ne passeront pas ! Nous passerons !, (1936), photomontage, ? cm, conservé au BPK, Berlin.

Yves Tanguy, Dessin automatique, (1926), encre et gouache sur papier, 33 x 25,5 cm, conservé au Centre Georges Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne.

Yves Tanguy, À quatre heures d’été, l’espoir..., (1929), huile sur toile, 129,5 x 97 cm, conservé au Centre Georges Pompi-dou, Paris, Musée national d’art moderne.

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Table tactile Cadavres exquis des collections du Centre Georges Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne. Max Ernst, La femme 100 têtes, (1929), série de collage, Centre Georges Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne. George Grosz, Le visage de la classe dirigeante (Das Gesicht der herrschenden Klasse), 57 dessins politiques, petite collection révolutionnaire No 4 (Kleine revolutionäre Bibliothek), 1921, conservés à la Kunstbibliotek, Berlin

Possibilité « d’élargissement » de la salle Pour la présentation de cette exposition dans un lieu plus vaste, il est envisageable d’ajouter aux œuvres précédentes des photographies et publications de Merz – Tzara étant également en lien direct avec Kurt Schwitters, des œuvres de Devětsil – mouvement éga-lement en relation épistolaire avec Tzara qui s’est d’ailleurs rendu à Prague, des plans et photographie des réalisations d’Adolf Loos – architecte autrichien créateur de la maison Tzara à Paris en 1926.

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Salle 4 : La guerre 1940-1945

Tristan Tzara a eu une expérience particulière de la guerre ; recherché par Vichy et la Gestapo, il entre en clandestinité et collabore aux journaux de résistance : Confluences, Les Étoiles du Quercy, Les Lettres Françaises, Le Point. Il se refuse à écrire durant ces an-nées noires, seuls deux poèmes « Une route seul soleil » et « Ça va » seront publier dans les journaux. En 1945, il est chargé de mission aux Services de la Propagande à Toulouse et dirige l’émission littéraire de la Résistance à Radio Toulouse. Durant cette période, il proclame l’indiscosiabilité de la poésie et du vécu : la poésie ne doit pas être engagée comme le sou-haite Sartre, mais elle doit émaner de la vie.

Repères chronologiques• 9 avril 1940 : le Danemark et la Norvège sont envahis par l’Allemagne.• 15 mai 1940 : les Pays-Bas capitulent.• 20 mai 1940 : ouverture du camp de concentration d’Auschwitz, en Pologne.• 22 juin 1940 : signature de l’armistice entre la France et l’Allemagne Nazie, la France est coupée en deux entre zone occupée et zone libre.• Juin 1940 : la Roumanie aligne sa politique intérieure sur celle des puissances de l’Axe.• 10 juillet 1940 : Pétain obtient les pleins pouvoirs.• 5 août 1940 : début de la bataille d’Angleterre.• Janvier 1941 : publication du premier numéro des journaux de la résistance française Val-my et Libération.• 25 — 26 février 1941 : grève générale à Amsterdam contre la déportation des Juifs.• 28 avril 1941 : la Grèce capitule.• 14 mai 1941 : à Paris, 1er rafle de juifs étrangers organisée par la Préfecture de Police.• Mai 1941 : le port de l’étoile jaune est imposé aux Juifs en zone occupée.• 22 juin 1941 : déclenchement de l’opération Barbarossa.• 5 avril 1942 : la Gestapo s’installe officiellement en zone occupée.• 16-17 juillet 1942 : Rafle du Vélodrome d’Hiver.• 23 juillet 1942 : Laval accepte de livrer à l’Allemagne les milliers de Juifs étrangers réfugiés en zone libre• 21 août 1942 : début de la bataille de Stalingrad.• 16 octobre 1942 : création d’un comité de coordination des mouvements de Résistance en zone sud.• 11 novembre 1942 : invasion de la zone libre par les troupes allemandes et italiennes.• 16 février 1943 : instauration du STO.• 6 juin 1944 : débarquement allié en Normandie.• Juillet 1944 : libérations des premiers camps de concentration par l’Armée rouge.• 15 août 1944 : débarquement de Provence.• 31 août 1944 : installation du Gouvernement provisoire de la République française à Paris.• 6 octobre 1944 : inauguration à Paris du Salon d’automne, baptisé Salon de la Libération présentant des œuvres de Pablo Picasso, Paul Klee, Joan Miró, Max Ernst, Nicolas de Staël.• 4 — 11 février 1945 : conférence de Yalta.• 8 mai 1945 : reddition de l’Allemagne.

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Audio

Une route seul soleilles couteaux sont debout le souffle nous manque les corbeaux répartis les départs annulés l’année de la pierre s’est abattue sur nous

que de fumée j’ai vu défiler de printemps interrompus la chaîne des brumes brisée sur la hutte et de liberté perdue

je marche sur la mousse la sourde oreille une nuit m’est venue ronde comme une châtaigne par delà les silences

elle parlait d’un homme elle mimait un songe jetait du soleil aux pauvres que nous sommes plus riches que des montagnes

et j’ai suivi l’étoilej’ai deviné la joieparoles au cœur de menthequel est cet espacequi rayonne en moi

Ça vatrotte trotte petit chevalla maison s’écrouleles coups de la voix se brisent contre l’enclumela fumée vous happehommes ou vous qui avez cru l’êtrepauvres petits morceaux de bois égarésles mots hachésenlevez-les tuez-les à même l’arbreles enfantseux au moins ont le sang menusur les routes des lèvres s’enfuient des regardsqui ne peuvent plus porter les corps dans leur pitiési mince berceuse qu’à jamais se déchire le lienmais qu’importe tortureyeux crevés de nacremâchoires de serpenuit envenimée par des postescachettes de braisetout autour la solitude un seul cristal chacun pour soitrotte trotte petit cheval

la meute sauvage a pénétré dans le sangil gicle des tempes les silex sous le ferla mort ne vient pas il faut courir longtemps après elleun coup de poing le mot dans la gorge fêléetempes démanteléeset la tension dans l’ombre des muscles de l’attentelà-bas tout est flamme et ceux qui s’enfuient – des lapinspauvres flammes hagardesvont tomber dans la flamme battanteet alors que ne parlez-vous roses magnétiquesdes vents de la faim de la soif ces doux jardins de l’homme enfantind’autrefois d’amour trouble de froidle mot noyé dans la gorge un râle antiquetout cela là-baset le pollen des cendres aux neiges titubantestrotte trotte peut cheval

défaltes la lèpre des repasdélivrez les scorpions lunairesouvrez les écluses de boueet les trappes de l’indignitédéfoncez les barragesque le flot de cadavres liquides submerge nos murset de toute la puanteur de ce nouvel enfantementque l’homme se gorge jusqu’aux repaires de sa mémoire d’amourjusqu’au crachat des visagesécrasez-les tuez-les à même l’arbrejusqu’aux maudites tendresses des mères ici-baset a la confiance végétale des enfants qu’importedes piques et des cadenasdes mouches vous dis-je des mouches de colleet toujours des visages d’enfant parmi les chairset de bruissantes corolles d’alphabets égrenéscomme un commencement du monde déjà putréfié défiguréavant d’avoir goûté au cœur fruité du ventle lait floral des fins envolsune seule larme immobiletrotte trotte petit cheval

rien au bout des doutesrien dans les poches de l’eauoù vas-tu chargé de paysages mortsà ne pas voir ni sentir le temps aux couturesje ne sais plus sabletrotte trotte petit cheval

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Œuvre présentée Pablo Picasso, Pigeon, (4 décembre 1942), encre de chine et gouache sur papier, 64 x 45,9 cm, conservé au musée Picas-so, Paris.

Table tactile Confluences, No 1 à 6, 1941, BNF. Confluences, No 16 à 27, 1943, BNF.

Les Lettres Françaises, No 1 à 19, 1942 à 1944, BNF.

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Salle 5 : au delà de l’engagement, un monde à refaire 1946-1963 Après la guerre, Tzara obtient sa naturalisation française. Inscrit au Parti communiste, il visite fréquemment l’Europe centrale et orientale, à l’occasion de conférences artistiques et littéraires. De ces expériences, il tire une certaine méfiance envers le régime communiste, il rendra sa carte au parti en 1956. Opposé à Sartre – qui réclame une poésie et un art engagé et de circonstance – il répond : « pour ma part, à la poésie de circonstance, je préfère la poésie de la circonstance. Je veux dire par là que, du particulier, il s’agit de passer à l’universel. » Les combats politiques sont nombreux à cette période, dans une guerre froide naissante tout le monde cherche son camp entre Est, Ouest ou non-alignés. C’est également à cette époque que naît le concept de « négritude » (1947) et le mouvement politique et littéraire qui en découle. L’art de cette époque cherche à reconstruire le monde, en se tournant soit vers l’abstraction, soit vers le mysticisme... Cela sans renier les traumas et douleurs de la période antérieure. Les artistes présentés sont pour la plupart des amis de Tzara, ou des artistes dont il a fait la critique. Tzara meurt en 1963, juste après son seul et unique voyage en Arique sub-saharienne, lui qui a été un grand collectionneur d’art africain.

AudioCette salle présente des textes où Tzara livre ses réflexions sur l’Europe centrale, le Surréalisme, le pro-grès, dressant en quelque sorte le bilan de son chemin de pensée et de sa propre vie...

[Sur la Roumanie libérée]C’est pour moi aujourd’hui une grande joie de pouvoir de Paris libéré saluer la Roumanie libérée. C’est en Moldavie sur les contreforts des Carpates, que, il y a plus de quarante-neuf ans, je suis né. Jamais le souvenir de mon enfance passée dans ces pays auréolés par la splendeur du soleil et le mystère du monde ouvert à mes jeunes yeux, ne m’a quitté. Je ne puis évoquer qu’avec émotion ce pays dur, où les valeurs essentielles de la vie, sous leur aspect rude et tendre à la fois, si proche de la nature, ont gardé la fraîcheur de la jeunesse du monde.Une ère nouvelle commence dans l’histoire de la civilisation. Nous tous actuellement au processus dou-loureux de l’enfantement. À travers les indécisions, les soubresauts et les difficultés, nous avons la cer-titude qu’un âge nouveau est en train de naître, celui où la justice et l’humanité ne seront plus de vains

Repères chronologiques• octobre 1946 : fin du procès de Nuremberg.• 19 décembre 1946 : début de la guerre d’Indochine.• 1948 : création de l’État d’Israël et première guerre de Palestine.• 1948 – 1950 : soviétisation progressive des gouvernements centre-européens.• février 1948 : coup de Prague.• 17 mars 1948 : création de l’OTAN.• juin 1948 – mai 1949 : Blocus de Berlin.• 1950 – 1953 : guerre de Corée.• 18 avril 1951 : création de la CECA, qui préfigure la Communauté européenne.• 1954 – 1962 : guerre d’Algérie.• avril 1955 : conférence de Bandung et création des « Non-allignés », les pays refusants d’être intégrés aux blocs de l’Est ou de l’Ouest.• 7 mai 1954 : fin de la bataille de Diên Biên Phu, un désastre meurtrier côté français.• 14 mai 1955 : création du Pacte de Varsovie.• 1956 : insurection anti-communiste en Hongrie menée par Imre Nagy, réprimée violem-ment par Moscou.

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mots, mais des réalités vivantes, des valeurs palpables, des valeurs faites à notre mesure d’homme. C’est pour moi un grand honneur de pouvoir, à l’orée de cette vaste espérance, vous saluer, vous tous qui avez lutté et souffert et qui bâtissez sur les ruines du passé la belle cité des hommes à venir.

Interview de Tristan Tzara à travers les Balkans Chargé de mission par les Relations culturelles, Tristan Tzara vient d’achever une série de conférences sur la littérature résistante française en Yougoslavie, Roumanie, Hongrie et Tchécoslovaquie. Et comme il fut, avec Jean-Richard Bloch, le représentant des Lettres françaises au Congrès des écrivains yougos-laves, c’est tout naturellement de ce congrès et du pays dans lequel il s’est déroulé que Tristan Tzara parle d’abord.

Yougoslavie :– La Yougoslavie actuelle groupe six républiques autonomes, et le Congrès de leurs écrivains m’a donné l’occasion de constater que les luttes entre les diverses nationalités, si fréquentes avant-guerre, avaient fait place à l’esprit national collectif et constructif jusqu’alors inconnu dans ce pays.– Pouvez-vous nous parler des problèmes qui se posent actuellement pour les écrivains yougoslaves ?– D’après les travaux de leur Congrès, le problème principal est de fournir un aliment intellectuel aux larges masses appelées à prendre une part de plus en plus active dans la direction du pays. Il s’agit main-tenant, dans la mesure du possible, de les rendre à leur activité propre.– La littérature est-elle dirigée dans ce pays ?– Dans tous les pays balkaniques que j’ai visités, le problème de la culture se pose en quelque sorte par son abc : apprendre à se nourrir, se vêtir, ou habiter de façon rationnelle, c’est-à-dire passer du stade d’une culture rudimentaire à celui d’une culture populaire moderne. La culture n’est pas un amas incohé-rent de connaissances, comme nous le prouve le récent exemple de l’Allemagne, incapable d’endiguer et même servant de tremplin à l’hitlérisme. Pour être valable, la culture doit être, en fonction de la société, orientée vers la libération de l’homme. La Yougoslavie se rend compte que l’ensemble des phénomènes allant de la religion aux arts en passant par l’hygiène et les mœurs fait partie intégrante de la société nouvelle qu’elle se propose de construire. Il est bien entendu que la littérature, comme les sciences, jouit d’une grande liberté dans l’ensemble du mouvement culturel nettement orienté dans un sens populaire.– La culture française avait, avant la guerre, une influence considérable en Yougoslavie. En est-il toujours ainsi ?– Si la peinture est toujours sous l’influence de l’École de Paris, il faut bien dire que l’influence culturelle française, en général, est beaucoup moins importante qu’auparavant. Nos livres et nos journaux ne par-viennent pas encore régulièrement là-bas. Mais des pourparlers, auxquels j’ai pu assister, viennent d’être engagés à ce sujet par les deux gouvernements. D’autre part, la bibliothèque de l’Université de Belgrade, par exemple, en grande partie composée de fonds français, a été incendiée par les Allemands lors de leur départ. Les Anglais ont, depuis la Libération, fourni les universités en livres scientifiques... ce qui explique, entre autres choses, que, dans les lycées, le coefficient des élèves qui choisissent le français comme langue étrangère soit tombé à 35 %, les autres ayant choisi l’anglais. Il est indispensable et extrê-mement urgent que des envois massifs de livres français parviennent dans les universités yougoslaves. Ceci d’autant plus que l’on a gardé là-bas la sympathie la plus vivace pour la culture française, pour la tradition révolutionnaire de notre pays et qu’il règne une grande curiosité pour notre littérature progres-sive actuelle. J’ai pu le constater, aussi bien à Belgrade qu’à Skopje en Macédoine, lorsqu’au cours d’une conférence sur les sources révolutionnaires de notre poésie contemporaine, je m’aperçus que, malgré le manque presque total de relations culturelles avec la France, mon auditoire connaissait déjà les poèmes d’Aragon, d’Éluard, de Cassou et de Moussinac que je fus amené à lui lire.

Roumanie :– Si nous parlions maintenant de la Roumanie, où vous avez passé toute votre jeunesse et où vous n’étiez pas, je crois, retourné depuis trente-deux ans ?– C’est exact. Quoi qu’il en soit, l’activité littéraire est là-bas des plus vivantes. On y compte de très grands écrivains, de classe internationale, comme le poète Tudor Arghezi, les prosateurs Sodaveanu, président de la Chambre, et que nous aurons bientôt l’occasion de saluer à Paris, ou Galaction, également député, qui est un prêtre. En Transylvanie, d’où les magnats hongrois et roumains qui alimentaient les rancunes nationales pour mieux assurer leur domination ont été chassés et où la minorité hongroise vit maintenant en parfaite intelligence avec le reste du pays, il me faut encore citer, parmi tant d’autres, les noms d’Isaac et de Blaga. Les longues années d’oppression et d’occupation n ont pu, semble-t-il, effacer en Roumanie la volonté des écrivains de faire accéder leur pays à la démocratie en se consacrant notam-

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ment, aujourd’hui, à faire disparaître le contraste profond entre l’élite intellectuelle et l’ensemble de la population. C’est là un problème qui se pose moins ouvertement pour nous. Mais on constate pourtant, comme en France, et, plus ou moins, comme dans tous les pays que j’ai traversés, que bon nombre de poètes d’origine surréaliste, se sont aussi, là-bas, résolument engagés dans la voie de la révolution. Quant à l’influence de la culture française, elle est toujours, en Roumanie, considérable. L’institut français y fait un excellent travail, facilité d’ailleurs par la popularité dont a toujours joui notre langue et notre littérature. Je ne veux en prendre qu’un exemple, trop peu connu, celui du Roumain Ange Pechr-nejo qui, en 1866 – c’est-à-dire alors que la Roumanie n’était encore qu’un État très arriéré et qu’en France le nom de Baudelaire était à peine connu – écrivit au poète des Fleurs du mal pour lui dire que la lecture de ses poèmes l’inspirait à les traduire en formes géométriques coloriées, semblables à la contexture de maints tapis persans et châles indiens. Je ne sais si cette anticipation du cubisme permet de situer en Roumanie la patrie de l’avant-garde. Mais un tel exemple tend en tous cas à prouver combien sont pro-fondes, dans ce pays, les racines de notre culture toujours aussi vivaces depuis. Je veux enfin mentionner le théâtre Giorghu Dej, un splendide édifice de marbre entièrement bâti depuis la guerre, en plein quartier des usines. Les places y valent le prix de deux journaux quotidiens et un public nombreux et enthousiaste peut y assister aux représentations données par la troupe du Conser-vatoire ouvrier de Bucarest. Les acteurs les plus célèbres lui prêtent leur concours et c’est en jouant à leur côté sur les planches, que les élèves parachèvent leur éducation théâtrale. L’Opéra et les théâtres natio-naux ne dédaignent pas d’y venir donner leurs représentations pendant que la troupe du Conservatoire part en tournée. Ce qui lui arrive fréquemment. Le public roumain est en effet très avide de théâtre et des troupes, animées par certains poètes d’avant-garde, sillonnent maintenant la campagne, jouant dans les villages, sur des tréteaux improvisés, comme Lorca le fit en Espagne.

Hongrie :– Votre voyage vous a mené, ensuite, en Hongrie. Les problèmes doivent s’y poser de façon sensiblement différente – Je n’ai malheureusement pu passer que quelques jours en Hongrie. Suffisamment pourtant pour me rendre compte que le problème de la démocratie s’y pose d’une façon tout aussi complexe qu’en Rou-manie. Une longue domination féodale – qui vient à peine de prendre fin – y a en effet laissé des traces profondes qui ne sauraient disparaître du jour au lendemain.Néanmoins, ici aussi, les intellectuels s’efforcent d’aplanir les difficultés existant entre l’élite cultivée et le peuple. La tradition de la littérature progressive et nationale personnifiée par Petöfi et Ady, s’est bril-lamment perpétuée avec Joseph Attila, mort il y a quelques années, Maraï, l’auteur des Révoltés, qui doit se rendre prochainement à Paris, Illyès Gyula, que nous recevions au C.N.E. il y a quelques jours, sont parmi les meilleurs tenants actuels de cette tradition, plus vivante que jamais. Si l’influence culturelle française y est encore importante, c’est en grande partie grâce à l’activité déployée par M. Gachot, délé-gué de presse à l’ambassade qui – même sous le gouvernement Horty – s’est efforcé de combler l’absence de l’Institut français dont la réinstallation à Budapest est envisagée pour un avenir très prochain. J’ajou-terai que beaucoup parmi les dirigeants actuels du pays ont passé chez nous de longues années d’exil au cours desquelles ils ont lutté à nos côtés dans les rangs de la Résistance. C’est une raison de plus pour assurer la solidité des liens spirituels qui unissent la Hongrie à la France. – C’est par la Slovaquie, nous dit Tristan Tzara que, venant de Budapest, je suis entré en Tchécoslovaquie, et je fis ma première conférence à l’Université de Bratislava. Julien Benda devait m’y succéder quelques jours après.– La Slovaquie a un caractère national très marqué. Comment se manifeste-t-il sur le plan culturel ? – Nous pouvons y assister à la création d’une littérature spécifique qui doit faire face à des problèmes sensiblement analogues à ceux que nous avons vus se poser en Hongrie ou en Roumanie. La question de la démocratie y est également beaucoup plus complexe qu’en Bohême, en raison d’une évolution histo-rique différente et d’une structure sociale assez arriérée. Mais la Slovaquie compte néanmoins de nom-breux écrivains, comme le poète Novomeski, ancien surréaliste, actuellement commissaire à l’Éducation, Fabry, qui vient d » obtenir le prix littéraire national slovaque, et le docteur Ponican, secrétaire général de l’association des écrivains. Ce dernier m’a d’ailleurs fait les honneurs du château mis par l’État à la disposition des écrivains, comme celui de Dobrice pour les Tchèques. Comment ne pas regretter qu’en France certains châteaux historiques, la plupart du temps inutilisés, ne soient pas, de la même façon, mis à la disposition des organisations culturelles ! – L’étape suivante, Prague, était aussi la dernière. Vous avez dû être heureux de terminer votre tournée de conférences dans cette ville admirable.– Oui, car je la revois toujours avec un plaisir accru. Prague est une des villes qui m’est au monde parmi

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les plus chères, avec Rome et Paris. J’y ai retrouvé de vieux amis : Hoffmeister qui vient d’être décoré de la Légion d’honneur (il n’est pas sans humour de rappeler qu’en 1939 M. Daladier l’avait envoyé dans un camp de concentration), Nezval, Halas, qui vont prochainement publier tous les deux, à Paris, leurs poèmes en français, le fameux novateur de la mise en scène Burian, et de nombreux autres dont le talent comme le patriotisme sont bien connus dans leur pays, mais aussi dans le nôtre. Beaucoup d’écrivains tchécoslovaques, comme Pucik, mort sous la torture, ou Vancura, fusillé comme otage, ont payé de leur vie le dévouement à la cause nationale.– Il semble qu’en Tchécoslovaquie comme dans les autres pays que vous avez traversés, les écrivains aient joué un rôle important dans la clandestinité d’abord, puis dans la reconstruction du pays après sa libération...– Oui. Et ce n’est pas en outre par hasard que dans tous ces pays en voie de transformation sociale, les écrivains d’avant-garde notamment, ont été amenés à prendre parti : parce que leurs conceptions esthé-tiques étaient étroitement liées au problème de la libération de l’homme, ils ont tout naturellement été amenés à combattre l’occupant et à s’associer à la construction d’une démocratie qui ne se contente pas de solutions formelles, mais s’efforce de correspondre aux volontés et aux forces réelles du peuple.– La Tchécoslovaquie est un pays qui nous est particulièrement cher, et 1’influence de la culture française y était très importante avant-guerre. Pensez-vous que les années d’occupation et surtout, que Munich, aient jeté sur elle un discrédit ?– Munich a certainement ébranlé la foi des intellectuels tchécoslovaques dans le génie français. Au moins temporairement. Si cette blessure a pu être effacée, c’est grâce au fait que les anti-Munichois français d » alors ont prouvé que cette politique de trahison menait tout droit à la trahison de la France et que, du point de vue de l’intérêt des peuples, elle ne souffrait aucune excuse. M. Julien Benda ne citait-il pas récemment la fameuse note rédigée à l’époque par Hitler publiée par le journal Paris-Prague : « Ce qui fut obtenu est inouï. Est-ce que vous croyez que moi-même je considérais comme possible que la Tché-coslovaquie soit offerte par ses amis comme sur un plateau ? »– Vous a-t-on posé là-bas des questions sur l’attitude des intellectuels français à ce sujet ?– Bien sûr. Et je dois dire que l’on y comprend mal le genre de raisonnement suivant lequel Munich « ne pouvait peut-être pas être évité ». Car son attachement à la France est tel que si la Tchécoslovaquie a d’abord souffert dans sa chair de cette trahison, elle a peut-être autant souffert du fait qu’une partie de l’opinion française ait pu l’abandonner en 1938 et même se réjouir d’un tel abandon.– Mais nos amis tchécoslovaques ont certainement compris que dans cette partie de l’opinion devaient se recruter la plupart des futurs collaborateurs semblables à ceux qu’on a vus surgir dans presque tous les pays occupés par les vainqueurs de Munich ?– Certes. Et c’est ce que je me suis efforcé de leur dire. Il ne faut pas manquer de signaler en outre l`immense intérêt qu’ils portent à notre littérature de combat contre les occupants qui étaient aussi les leurs, à ceux de nos écrivains dont ils savent qu’ils ont toujours profondément ressenti leur malheur. C’est là un des facteurs qui ont puissamment contribué à dissoudre les malentendus entre nos deux pays. Car nos amis tchécoslovaques ont ainsi retrouvé le vrai visage de la France, celui qu’ils n’ont jamais cessé d’aimer.– La diffusion de la culture française est-elle normalement assurée en Tchécoslovaquie ?– En général oui. Et l’institut français fait un excellent travail dans ce sens. Mais si le théâtre est assez bien représenté là-bas, on ne peut s’empêcher de regretter le peu d’efforts que nous avons faits pour la musique et le cinéma surtout, alors que les Américains par exemple ont fait pour la distribution de leurs films un effort commercial considérable.– Croyez-vous à la possibilité d`un développement des relations culturelles entre la France et la Tchécos-lovaquie ?– Certainement. Vous savez d`autre part que la Tchécoslovaquie est sans doute le pays se rapprochant le plus du niveau d’avant-guerre. Le standard de vie y est de plus en plus élevé. Ce qui prouve la vitalité extraordinaire de cette nation. Et le fait que l`influence française y soit toujours très vive est pour nous de la plus haute importance. Souvenez-vous des anciens combattants qui au moment de Munich défi-lèrent par milliers devant l’Ambassade de France, à Prague, pour jeter leurs décorations acquises sur des champs de bataille français. Croyez-vous qu’ils auraient fait ce geste s’ils n’avaient aimé profondément notre pays ? J’en veux encore une fois pour preuve la joie que les Tchécoslovaques ont à retrouver à tra-vers notre littérature progressive la France de toujours.

J.-F. CHABRUN

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Dada est un microbe vierge– Puisque vous considérez que Dada a fait son temps, quel intérêt présente pour vous la réédition de ces « Manifestes » ?Tristan Tzara – Aucun.– Tout de même vous avez relu ces textes, qu’en avez-vous pensé ?T. T. – Je ne les aurais pas écrits comme ça aujourd’hui, les idées : sont mêlées à la poésie, il y a de la fantaisie, des naïvetés, c’est attendrissant… Mais je trouve drôle de voir combien tant d’idées « révolution-naires » à l’époque sont aujourd’hui passées dans le commun...– Lesquelles ?T. T. – Un humour nouveau, par exemple. Voyez entre autres ce qui s’est passé avec le film d’Alain Res-nais, L’Année dernière à Marienbad. Des tas de gens qui n’y comprenaient rien l’ont accepté et en ont dit beaucoup de bien. Jamais une chose pareille n’aurait eu lieu avant Dada et le Surréalisme. Il y a même eu, dans des journaux aussi sérieux que Le Monde, des discussions sur Marienbad... Il y avait ceux qui étaient pour, ceux qui étaient contre... C’est Dada, ça…– Trouvez-vous qu’on a progressé depuis Dada ?T. T. – Progressé ? Le mot « progrès ›› demanderait à être discuté... En tout cas, sur le plan de la culture, par exemple, je trouve que nous subissons, en ce moment, une crise épouvantable.– De quel ordre ?T. T. – L’objet. On assiste aujourd’hui à un phénomène curieux et inquiétant : la primauté de l’objet, du décor, des articles fabriqués en série sur ce qui est humain. Voyez les ravages que fait la publicité : elle impose aux gens des goûts qu’ils n’ont pas, elle leur prépare un avenir préétabli. L’homme n’a pas besoin de toutes ces choses dont on lui fait une obligation. Dada faisait de l’homme et de l’humain son centre de préoccupation, sans se laisser fasciner par les instruments, les « gadgets » dont l’homme se sert... Il y a pire encore que la fascination de l’objet.– Quoi donc ?T. T. – La planification. Je crois que c’est le grand danger, la grande menace de l’époque. Elle dépasse de loin celle de la production en série. Pour savoir ce qui va arriver, il suffit d’observer la société américaine. L’homme arrive à un déséquilibre, non seulement sur le plan de la vie courante mais également en art : cette planification, cette primauté de l`objet sur l”humain, cette mécanisation. Je vois avec une certaine appréhension que tout un courant littéraire s’applique à la décrire sans la dénoncer, ce qui, par consé-quent, est l’adopter. Dada, quand il se faisait absurde, insolent, scandaleux, illogique, avait une valeur d’antiphrase, ce qu’il attaquait, il le dénonçait...– À quoi vous attaquiez-vous ?T. T. – À tout. La Guerre, la Patrie, la Famille, la Religion, la Logique, l’Ordre – bien des choses, à cette époque, s’écrivaient avec une majuscule. Nous ne voulions plus de ces institutions préétablies, qui d’ail-leurs nous avaient conduits à la guerre. J’avais repris une phrase de Descartes, non parce qu’elle était de Descartes, mais parce qu’elle correspondait exactement à ce que nous pensions : « Je ne veux même pas savoir s’il y a eu des hommes avant moi ››...– Qu’est-ce qui vous a brouillé avec André Breton et le surréalisme ?T. T. – Eh bien ! justement la notion de « moderne ››. Nous sentions sous cette notion un dessèchement, une objectivation, qui risquait de devenir déshumanisante. Par exemple, il y eut une revue intitulée L’Esprit nouveau, qui était une revue d’architecture mettant l’accent sur tout ce qui était « moderne ›› : le genre hygiénique, fonctionnel, inhumain, tout ce qu’on allait voir tragiquement fleurir par la suite. Nous, les dadaïstes, nous ne voulions pas de ça... Breton, lui, était pour : il était pour l’objectivation, tandis que nous, nous étions contre, contre tous les systèmes, et pour l’individu. Nous étions même contre le manque de système s’il devenait un principe, Dada était pour la spontanéité, pour l’action individuelle. Nous n’étions unis que par des liens d’amitié...– Seriez-vous contre le progrès ?T. T. – Je crois à un progrès et je ne voudrais pas être injuste avec l’époque présente. Mais parfois je me demande...-- Quoi donc ?T. T. – Cette multiplication, a-t-elle toujours de bons résultats ? Maintenant il y a multiplication de tout : de livres, de lecteurs, d’expositions, de tableaux... On fait la queue dans les musées. Je ne m’en plains pas, grâce à cela j’ai vu des choses admirables, que je n’aurais pas vues sans de longs et coûteux voyages, les expositions de ces dernières années, par exemple, sur les arts du Mexique, d’Espagne, d’Italie... Seule-ment je me pose quand même une question...– Laquelle ?T. T. – Cette vulgarisation, à quoi sert-elle, est-on sûr qu’elle soit bénéfique ? Atteint-elle vraiment le but

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de l’art qui est l’accroissement de l’humain ? Je me demande parfois si le snobisme de la masse n’est pas pire que le snobisme des riches : celui-là pouvait avoir une fonction, le mécénat, il permettait à des artistes de valeur de subsister, d’être découverts... Mais le snobisme populaire ? Un snobisme à vide, entretenu par des slogans publicitaires, il faut avoir vu ci et ça, telle exposition, assister à tel festival... Les artistes deviennent des vedettes... L’art en tire-t-il un bénéfice ? Et l’humain ? Où se trouve, là-dedans, l’accroissement des valeurs humaines ?– Peut-être y a-t-il, tout de même, quelques petits progrès de faits sur le plan de la liberté ?T. T. – Je n’en sais rien. Nous vivons une époque de transition, la guerre n’est sans doute pas terminée. Les gens vivent sous la menace du la bombe atomique, de la destruction totale. Ils sont pris par une sorte de fureur de vivre, tout est permis ou peu s’en faut...– Cette réflexion étonne de votre part... Et pour Dada, alors, est-ce que tout n’était pas permis ou peu s’en faut ?T. T. – Ah pardon ! Dada avait un but humain, un but éthique extrêmement prononcé ! L’écrivain ne faisait aucune concession à la situation, à l’opinion, à l’argent... On se laissait malmener, par la presse, par la société, cela prouvait que nous n’avions pas composéavec elle. En somme nous étions très révolutionnaires et très intransigeants : Dada n’était pas seulement l’absurde, mais seulement une blague, Dada était l’expression d’une très forte douleur des adolescents, née pendant la guerre de 1914 et pendant la souffrance. Ce que nous voulions, c’était faire table rase des valeurs en cours, mais au profit, justement, des valeurs humaines les plus hautes...– Et la génération de 1920, pensez-vous également qu’elle poursuivait un but éthique ?T. T. – Peut-être y eut-il, après la guerre de 1914, chez certaines gens, après cette guerre qui devait être « la der des der ››, un certain débordement… Mais dans un élan, un jaillissement, une véritable renais-sance ! Je crois que la civilisation a fait un pas en avant à ce moment-là : tout arrivait en même temps, pensez-y, le jazz, les films de Charlot. Le premier film de Charlot à Zurich, en 1918 ! C’était extraordi-naire. La reconnaissance de Guillaume Apollinaire, la revue Littérature, la revue Nord-Sud de Reverdy, les tableaux cubistes de Léonce Rosenberg. Et Joséphine Baker ! Et le Théâtre des Champs-Élysées, les Ballets russes ! Quoi de comparable maintenant ? Je me suis souvent dit qu’entre 1840 et la guerre de 1940 la France a connu une période extraordinaire, qui apparaître plus tard comme une véritable « Renais-sance ». Et pas seulement en qualité, en quantité aussi…– Et maintenant, sommes-nous en période de régression ?T. T. – Il me semble… Tenez, je suis allé en Afrique, en Rhodésie, il n’y a pas longtemps, invité à un colloque sur la culture africaine. D’ailleurs, je me suis intéressé très tôt à l’art africain, depuis 1916, j’ai toujours été attiré par le peuple noir qui incarnait, du temps de Dada encore, une sorte d’explosion de la liberté, sur un plan proche de la nature. J’ai même adapté de la poésie noire. Eh bien ! j’ai été frappé par ce qui se passe là-bas  : tout change, tout est en mouvement. C’est un nouveau monde, influencé par l’Europe et l’Occident, mais qui absorbe les valeurs de notre civilisation, les interprète, les recrée… L’ancien art africain a disparu, mais il naît une nouvelle classe de Noirs, en Afrique du Sud, celle des ouvriers des villes, et qui invente, dans tous les domaines  : par exemple, on édite des disques pour les noirs, une musique nouvelle inspirée par le jazz américain, mais qui recréer, accompagnée par des instruments d’enfants, des instruments de pacotille, n’importe quoi entrechoqué, des objets, des casse-roles… Bien sûr, ce sera long, une nouvelle civilisation ne peut pas naître sur commande, il faut briser les liens anciens, mais je suis très optimiste : l’humanisation nous reviendra peut-être de là-bas, ils nous redonneront ce qui nous manque. Moi, en tous les cas, j’ai eu la révélation d’un monde totalement nou-veau, qui se développe à toute vitesse…– À quoi vous intéressez-vous d’autre ?T. T. – J’aime tout, l’archéologie, la préhistoire, les arts anciens, François Villon, Rabelais… – Et la littérature ?T. T. – Je m’intéresse surtout à la poésie. Je trouve que les jeunes poètes sont d’emblée, aujourd’hui, à un très bon niveau, ils savent tout de suite ce qu’il faut ne pas faire, ne pas écrire – cela se produit aussi en peinture – mais il est très rare de voir un éclat, une personnalité qui s’affirme. D’une certaine façon, la recherche de l’originalité à tout prix – en peinture comme en poésie — l’emporte sur la qualité.– Vous même, écrivez-vous ?T. T. – Oui, j’écris toujours, j’écris des poèmes. Je crois vraie la formule d’Éluard, « L’amour, la poésie ››. Il n’y a que ça. Et aussi la révolution… Je vous ai parlé de beaucoup de choses, mais au fond il n’y en a qu’une que je retrouve au fond de tout ; la poésie. C’est le résidu de tout, de tout événement, de toute action...– Pour vous ?T. T. – Pour tout le monde. Tous les individus sont des poètes à des degrés différents, d’une façon plus

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ou moins consciente, plus ou moins vague. Même lorsqu’un promeneur dit « c’est beau ››, ou qu’il envoie des cartes postales, c’est une activité poétique. Dès qu’on rêve, qu’on s’abandonne à son imagination, on est dans la poésie...

Œuvres présentées Anonyme (culture Bete ou Gouro, Côte d’Ivoire, Afrique), Masque anthropomorphe – ancienne collection Tristan Tza-ra, bois, peau de singe, fibres végétales, métal et pigments, 42 x 28 x 15,3 cm, conservé au musée du Quai Branly.

Anonyme (culture Sénoufo, Côte d’Ivoire, Afrique), Por-pianong, bois, peau de singe, fibres végétales, métal et pig-ments, 42 x 28 x 15,3 cm, conservé au musée du Quai Branly.

Anonyme, Sans titre [B. Holas et deux visiteurs devant une statue d’oiseau en bois, musée de la Côte d’Ivoire à Abidjan], tirage sur papier baryté, 19 x 23,6 cm, conservé au musée du Quai Branly.

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Jean Arp, Jeu après minuit, (1962), dessin, collage, 64 x 50 cm, conservé au centre Georges Pompidou, Paris, Mu-sée national d’art moderne.

Jean Arp, Squelette d’oiseau, (1947), plâtre, 34 x 22 x 18 cm, conservé au centre Georges Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne.

Marc Chagall, Résistance et Libé-ration, (1937-1952), huile sur toile de lin, en dépôt au Musée Marc Chagall, Nice.

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Nicolas de Stael, Composition 1950, (1950), peinture à l’huile sur planche, 124 x 79 cm, conservé à la Tate, Londres.

Sonia Delaunay, Triptyque, (1963), huile sur toile, 99 x 200 cm, propriété de la Tate, Londres, en dépôt aux centre Georges Pompi-dou, Paris, Musée national d’art moderne.

Raoul Dufy, Bal Populaire, (1950), gouache sur papier, 42 x 63 cm, collection privée.

Max Ernst, L’imbécile, (1950), bronze, 70 x 31 x 25 cm, conservé au centre Georges Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne.

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Raoul Hausmann, Ballet, (1951), photogramme, épreuve gélatino-argentique, 23 x 18,3 cm, conservé au centre Georges Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne.

František Kupka, Traits animés, (1957), huile sur toile, 80,5 x 59,5 cm, conservé au centre Georges Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne, dépôt aux palais des Beaux-Arts de Lille.

Wifredo Lam, Umbral, (1950), huile sur toile, 185 x 170 cm, conservé au centre Georges Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne, dépôt aux palais des Beaux-Arts de Lille.

Valentine Hugo, Tristan Tzara, (1960), stylo bille et crayon rose sur papier marbré, 27  x  20,6  cm, conservé au centre Georges Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne.

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Fernand Léger, Les Loisirs, (1948-1949), huile sur toile, 154 x 185 cm, conservé au centre Georges Pompi-dou, Paris, Musée national d’art moderne.

Man Ray, L’Astrolabe, (1953-1957), épreuve gélatino-ar-gentique, 5,6 x 5 cm, conservé au centre Georges Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne.

Man Ray, Indestructible objet, (1923-1959), métronome et collage de photographie, 22,2 x 12 x 11 cm, conservé au centre Georges Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne.

Le Corbusier, Le Modulator, (1950), collage, 70 x 54 cm, conservé au centre Georges Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne.

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Francis Picabia, Les points, (1949), huile sur toile, 56 x 38,5 cm, conservé au centre Georges Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne.

Pablo Picasso, La colombe, (1949), lavis, 56 x 76 cm, conservé au musée Picasso, Paris.

Georges Rouault, Homo homini lupus, (1944-1948), huile sur papier marouflé sur toile, 64,7 x 46 cm, conservé au centre Georges Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne.

Joan Miró, Bleu II, (1961), huile sur toile, 270 x 355 cm, conservé au centre Georges Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne.

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Jean Tinguely, Méta-matic No 1, (1959), assemblage mobile, 96 x 85 x 44 cm, conservé au centre Georges Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne.

Jacques Villon, Orly, (1954), huile sur toile, 226 x 370 cm, Gallerie Louis Carré & Cie.

Georges Rouault, Paysage biblique, (1949-1956), huile sur papier marouflé sur toile, 22,5 x 30,5 cm, conservé au centre Georges Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne.

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Table tactile Raoul Hausmann, Jeux Mécaniques, (1957), portfolio de 12 épreuves gélatino-argen-tiques, Centre Georges Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne. Sonia Delaunay (illustrations), Juste Présent (un recueil de Tristan Tzara), 1961.

Possibilité « d’élargissement » de la salle Pour la présentation de cette exposition dans un lieu plus vaste, il est envisageable d’exposer plusieurs œuvres des artistes évoqués, d’élargir à d’autres artistes de cette époque : anciens surréalistes, néo-dadaïstes américains, etc. Mais également des artistes contemporains des pays d’Europe centrale visités par Tzara.

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Anonyme (culture Bete ou Gouro, Côte d’Ivoire, Afrique)Masque anthropomorphe – ancienne collection Tristan Tzarabois, peau de singe, fibres végétales, métal et pigmentsmusée du Quai Branly, Paris

Tempore ni quo corem apis ent que nisqui atem aspien-dunto et venecti rernat exerferio. Nam aut officipsae po-rum ut alia verferferspe iur?Ecestrum, sequo maionsequam dem hiciur soloruptat ali-tis distis commolu

Couverture du catalogue

Cartels

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Lieux d’expositions et partenariats

Partenariat scientifique •HenriBéhar,historiendelalittératurefrançaise,spécialisteDadaetSurréalisme. •MarcDachy,historiendel’art,spécialistedumouvementDada. •GérardNoiriel,historiendel’immigrationenFrance. •JeanVigreux,historiendelarésistanceetdespartisdegauches.

Lieux d’expositions possibles •Muséenationald’artmoderne,Paris •Muséed’artmodernedelavilledeParis •KunsthausdeZürich

Partenariat économiqueJ’ai sélectionné ces partenaires pour leur habitude de soutenir des expositions d’art mo-derne de cette époque. •FondationPierre-BergéYvesSaint-Laurent •FondationTotal •GDFSuezPour les aspects technologiques, à la fois sonore et de tables tactiles, je pense à des parte-nariats avec des industries spécialisées : •Bose •Samsung

Partenariat médiatique •arte •Franceculture •LeMagazinelittéraire •Libération •Lire :

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Activités périphériques

L’exposition étant axée sur une personnalité et son époque, je pense nécessaire d’organiser en parallèle un cycle de conférences sur les thèmes suivants : •lemouvementDada •lesartistesimmigrésenFranceauXXe siècle •les« artsdégénérés »etlenazisme •lespoètesdelarésistance •lesartistesetleParticommunistefrançaisdanslaGuerrefroide

J’aimerais également organiser des séances de lectures des œuvres de Tristan Tzara par des acteurs de la Comédie Française.