Dans la besace du berger… Elle ne naissait pas élégante par volonté, la musette, car ce n’est pas ce que le berger lui demandait. Comme les objets utilitaires bien conçus et solides, elle a fini par atteindre la perfection. Ainsi, pendant que disparaissent transhumances et estives, et que le coffre de la voiture remplace la musette du berger, les maroquineries de luxe l’ont copiée et vendent aux urbains nostalgiques chics la besace du berger, le parapluie du berger, le couteau du berger, le chapeau du berger, à des prix que le berger ne peut sûrement pas s’offrir… ! Bizarre, cynique, la vie « moderne ».

Musette en peau ou en grosse toile…

… besace en peau ou cuir souple…

… sacoche semi rigide en cuir, ou encore havresac en toile, peau ou cuir, le berger en avait besoin pour ranger son matériel, ce qui servait aux premiers soins de ses brebis. Et puis il fallait loger le pain, la pièce de lard, le saucisson, le fromage et la fillette ou la gourde de vin qu’on tiendra chaude contre soi ou qu’on mettra au frais dans le ruisseau proche… Très organisé, le berger éloigné de la ferme ou de la bergerie ! Et soigneux avec ce qui lui a coûté, qui lui est d’un usage quotidien, et qui doit durer, si possible, autant que lui-même. Initialement une besace était composée de deux grandes poches et était porté à l’épaule ; le havresac (sac à avoine, étymologiquement) était un grand fourre-tout populaire ; la musette était une poche portée en bandoulière, un peu comme la sacoche, plus petite. Tous ces termes se sont bien mélangés. L’essentiel pour le berger est que le port de son sac lui laisse les mains libres et que ses multiples poches, grandes et petites, contiennent sans les mélanger toutes les choses dont il a besoin, lui, ses brebis et les agneaux parmi lesquels les nouveaux nés esseulés y trouveront un nid provisoire… Que sont-elles donc, ces choses, outre ce dont le berger se nourrit ? Le couteau. Il est indispensable. Le berger l’a sous la main pour le repas, pour couper une ficelle ou une corde, un bâton, les onglons d’une brebis, mille autres choses. Souvent le couteau aura deux lames. Une pour les usages courants, et l’autre mieux adaptée à des usages plus précis. Chaque région a son modèle et sa forme de couteau traditionnel. En Auvergne et Velay on trouve un grand nombre de modèles parmi lesquels l’Issoire et l’Yssingeaux au poinçon ou alène caractéristique, aussi appelés « marchand de vin » ; le couteau de Gaspard (Gaston) Cognet, à l’étrange destinée africaine ; l’Aurillac, etc…

De nombreux modèles d’autres régions ont été copiés et forgés à Thiers et, de là, se sont répandus en Auvergne, Velay et alentours.

Ainsi le Berger et le Piétain (ou Piétin ; originaire du Limousin), caractérisés par leurs deux lames dont la petite est courbe et bien dessinée pour couper les ongles des brebis et soigner l’inflammation des pieds dite « piétin » ;

le Pradel qui est une marque. Bien commode pour un berger isolé, le « Charretier » aux nombreuses fonctions et le « Cavalier » qui possède entre 10 et 20 « lames », poinçon, alène, scie, tournevis, etc…

L’Aveyron (L’Aveyronnais, le Laguiole, etc.) et les Pyrénées ont fourni un grand nombre de modèles appréciés. Le Corse est caractérisé par une lame assez courte et large, courbe, dont le dos permet, par exemple, le décor gravé et sculpté des bâtons et cannes. Sans oublier le célèbre Opinel d’origine Alpine, simple, pratique et bon marché. La petite pierre à aiguiser Une pierre à aiguiser est bien commode, petite, italienne, ultra fine. Sinon une pierre du chemin ou du buron faisait l’affaire. Le coffin est bon pour la pierre à faux. Celle du couteau est dans la poche ou… dans la besace.

La craie. Un petit bout de craie « d’écolier » ou de craie de scieur-abatteur permet de marquer une brebis dont il va falloir s’occuper ou qu’il faudra soigner et qu’on retrouvera ainsi plus facilement dans le troupeau. Bien sûr, les nouveaux matériaux sont passés par là et le marqueur synthétique ou la bombe de couleur ont remplacé la craie calcaire naturelle.

La pipe. Comme il y a mille couteaux, il y a mille pipes. Celle du berger était (est ?) celle qui est produite ou vendue le plus près de la ferme, et à un prix abordable. De toute manière le quincailler, quand il y en avait, ou le marchand itinérant qui faisait sa tournée à pied puis en Tub ou en camionnette, savait très exactement ce que pouvait payer le Toine ou le Baptiste. Alors on ne cherchait pas midi à quatorze heures et la bonne Saint-Claude convenait à tout le monde. Elle n’était pas made in China. Certains savaient fabriquer leurs pipes et les échangeaient contre un panier, un pailha, voire des esclops.

La blague à tabac. Il le savait bien, le berger, que la vessie de porc est parfaite, souple et étanche juste comme il faut et pas plus, pour conserver son indispensable tabac. Il y avait des blagues à tabac en forme de bourse, fermées par un lacet, et des blagues plates qui s’ouvraient façon portefeuille. Nombre de bergers savaient fabriquer leur petit sac à tabac. Des vessies de porc et de la peau souple d’agneau, il avait tout cela sous la main, le berger qui, de plus, savait éviter que son tabac sèche en glissant une bonne rondelle de carotte dans la blague. Au XVIIIe siècle déjà on fermait le tabac dans une blague… qu’on devrait d’ailleurs nommer « balgue à tabac » par fidélité à son origine Balte. De nos jours encore les bonnes maisons qui fabriquent des blagues à tabac, les doublent de vessie de porc.

La flamme. La flamme est un instrument de soin des animaux, notamment des ruminants, et en ce qui nous occupe, des brebis. La flamme est une sorte de couteau suisse du berger. Le couteau « le Berger » en est d’ailleurs assez proche. On y trouve des scalpels pour saigner, extraire un corps étranger ou un parasite, une lancette pour percer la panse d’une brebis qui gonfle après une injestion excessive ou inadéquate, une curette qui sert, comme la rainette, à curer et soigner un pied malade du piétin, un eczéma qui atteint les tissus où se forme l’onglon et qui peut se compliquer en gangrène si le berger n’intervient pas à temps, dès qu’il voit une bête boiter. Bref ces instruments permettent au berger de réaliser à peu près toutes les interventions qui vont sauver ses brebis, agneaux et béliers.

La rénette. La rénette, originellement « roinette ou rouannette, est un instrument qui, en grand format, sert à couper les sabots des chevaux ou des gros ruminants, ou, plus petite, à couper les onglons d’ongulés plus petits, dont les brebis. Il en existe aussi chez le charpentier et le bourrelier. L’extrémité recourbée de « la lame » est tranchante. Sa conception réduit les risques de blesser la bête lors de l’intervention du berger. Rénette et flamme ne sont pas nécessairement à portée du berger dont les « moutons » (on emploie plus souvent le mot brebis, feda en patois Vellave Occitan, prononcé fed’) sont à l’herbe à proximité de la bergerie. Mais on comprend bien que le berger en estive, isolé dans des alpages difficiles d’accès, doit emporter par précaution ce dont il peut avoir besoin pour la santé du troupeau qu’on lui a confié ou qui est sien. Une zone humide et c’est le piétin qui se déclenche. Un sentier très abrasif et les « pieds sensibles » appellent au secours. Une saison qui s’allonge et il faut réduire la pousse des ongles. Médecin, infirmier et pédicure…

Des onguents… Jadis, au Moyen Âge, c’était la bergère qui composait pommades, crèmes et onguents à base de plantes, de suif, de miel, ces deux derniers éléments donnant la bonne consistance. Cette médication était toujours en usage au début du XXe s. De nos jours les vaccins ont supprimé une partie de la « pharmacopée pastorale » et le reste a trouvé d’autres excipients à base de vaseline par exemple. Dans la besace du berger on peut trouver des bases essentielles pour le troupeau, ses chiens et lui-même. Et puis… Et puis la besace renfermera les petites choses qui feront le confort du berger lors des changements de temps. Par exemple le mouchoir à carreaux s’il n’est pas dans la poche du jean ; l’imperméable léger (vous voyez le K auquel je pense… mais ça, c’est pour le jeune berger d’aujourd’hui…) ; le téléphone mobile avec son chargeur à énergie solaire ; une montre gousset car peu de bergers portent une montre bracelet, trop exposée aux chocs et aux bains inopinés ; de même l’alliance, une médaille, un souvenir personnel, s’ils ne sont pas suspendus autour du cou. Un ou deux pompons de berger ou autres « doudous du berger » confectionnés par la copine, l’épouse ou un des p’tiots… Le soleil ou un clocher au loin dit l’heure. Le portable aussi… mais une montre offerte par un proche sera bienvenu dans la besace si elle n’est pas déjà trop lourde… Un ami m’a dit qu’il emportait parfois un crucifix ou un chapelet enfermé

dans un faux œuf en bois et qui avait appartenu à sa mère. On parle aussi des pierres à venin.

La besace en bandoulière pourra encore recevoir l’agneau nouveau-né un peu perdu. Lorsqu’elle est équipée de pattes de cuir et de boucles, on accrochera sur ou sous la besace une toile ou une couverture, le parapluie, un crochet (houlette courte pour attraper une brebis ou un agneau si le berger pense qu’à la main ce sera… sportif. Dans de rares circonstances un chien de taille moyenne sera comme suspendu sous la besace (pour franchir un petit pont étroit par exemple).

Il y a cela, tout le reste, et les petits bouts de bois sculptés ou gravés au couteau, dans la besace du berger…

G. Duflos 2013