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DANS LES BRAS DE LA PASSION De CATHY WILLIAMS CHAPITRE 1 Depuis la terrasse de sa chambre, Nico Toyas avait une vue plongeante sur l’allée imposante qui conduisait jusqu’à la somptueuse villa de son grand-père. Il était 18 h 30, la chaleur implacable commençait à décliner et Nico, simplement vêtu d’un bermuda et d’une chemisette, savourait l’instant en sirotant un whisky bien frappé, mollement installé sur les coussins d’un fauteuil en osier. Quel paysage somptueux ! Sur la droite, tout près, une piscine aux eaux limpides se fondait dans le bleu de la mer, qu’elle surplombait. Tout autour, de magnifiques jardins, fort bien entretenus, s’étendaient jusque sur les flancs du célèbre volcan de l’île de Santorin. Nico n’y était pas venu depuis si longtemps qu’il avait oublié combien cet endroit était paisible. Presque trop, à vrai dire. D’habitude, il n’avait guère le temps de se délasser en contemplant la nature. Il menait une vie trépidante entre Londres, Athènes et New York, à diriger la compagnie de navigation fondée par son grand-père, reçue en héritage. Très rares étaient ses moments de loisir. Toute la famille se réunissait pour fêter le quatre-vingtième anniversaire du patriarche, dans la villa qu’il avait fait construire sur l’île où il avait connu sa femme. La plupart des invités venaient de la Grèce continentale, à bord d’avions spécialement affrétés pour l’occasion ; certains arrivaient de plus loin, et même du Canada. Evidemment, ces derniers en profiteraient pour séjourner quelque temps en Grèce, renouer avec des membres de la famille perdus de vue. Nico, quant à lui, avait prévu de rester trois jours. Cela lui semblait suffisant pour témoigner du respect qu’il devait à son grand-père. Il retrouverait ensuite le rythme frénétique de ses activités professionnelles. Un taxi s’immobilisa devant le porche et il plissa ses yeux noirs pour regarder descendre les passagers : son frère Michael, d’abord, puis sa compagne. Le moment était enfin venu de découvrir cette femme mystérieuse, soudainement apparue sur la scène pour le plus grand soulagement de tous, et en particulier de sa mère et de son grand-père, qui s’inquiétaient beaucoup pour Michael. Nico, lui, avait beau être célibataire, il menait une vie agitée. Il appréciait la compagnie des jolies femmes. Il avait en outre l’esprit très pragmatique et saurait se montrer raisonnable en temps utile. Oui, le moment venu, il épouserait la jeune fille qui conviendrait, issue du milieu qu’il fallait, dans le souci de préserver les intérêts du clan. Il avait d’ailleurs promis de se marier avant ses quarante ans. En attendant ce jour, il avait demandé à tout le monde de le laisser tranquille et de ne pas se mêler de sa vie privée.

Dans Les Bras de La Passion

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ROMAN

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Page 1: Dans Les Bras de La Passion

DANS LES BRAS DE LA PASSION

De

CATHY WILLIAMS

CHAPITRE 1

Depuis la terrasse de sa chambre, Nico Toyas avait une vue plongeante sur l’allée imposante qui conduisait jusqu’à la somptueuse villa de son grand-père. Il était 18 h 30, la chaleur implacable commençait à décliner et Nico, simplement vêtu d’un bermuda et d’une chemisette, savourait l’instant en sirotant un whisky bien frappé, mollement installé sur les coussins d’un fauteuil en osier.

Quel paysage somptueux ! Sur la droite, tout près, une piscine aux eaux limpides se fondait dans le bleu de la mer, qu’elle surplombait. Tout autour, de magnifiques jardins, fort bien entretenus, s’étendaient jusque sur les flancs du célèbre volcan de l’île de Santorin.

Nico n’y était pas venu depuis si longtemps qu’il avait oublié combien cet endroit était paisible. Presque trop, à vrai dire. D’habitude, il n’avait guère le temps de se délasser en contemplant la nature. Il menait une vie trépidante entre Londres, Athènes et New York, à diriger la compagnie de navigation fondée par son grand-père, reçue en héritage. Très rares étaient ses moments de loisir.

Toute la famille se réunissait pour fêter le quatre-vingtième anniversaire du patriarche, dans la villa qu’il avait fait construire sur l’île où il avait connu sa femme. La plupart des invités venaient de la Grèce continentale, à bord d’avions spécialement affrétés pour l’occasion ; certains arrivaient de plus loin, et même du Canada. Evidemment, ces derniers en profiteraient pour séjourner quelque temps en Grèce, renouer avec des membres de la famille perdus de vue.

Nico, quant à lui, avait prévu de rester trois jours. Cela lui semblait suffisant pour témoigner du respect qu’il devait à son grand-père. Il retrouverait ensuite le rythme frénétique de ses activités professionnelles.

Un taxi s’immobilisa devant le porche et il plissa ses yeux noirs pour regarder descendre les passagers : son frère Michael, d’abord, puis sa compagne.

Le moment était enfin venu de découvrir cette femme mystérieuse, soudainement apparue sur la scène pour le plus grand soulagement de tous, et en particulier de sa mère et de son grand-père, qui s’inquiétaient beaucoup pour Michael. Nico, lui, avait beau être célibataire, il menait une vie agitée. Il appréciait la compagnie des jolies femmes. Il avait en outre l’esprit très pragmatique et saurait se montrer raisonnable en temps utile. Oui, le moment venu, il épouserait la jeune fille qui conviendrait, issue du milieu qu’il fallait, dans le souci de préserver les intérêts du clan. Il avait d’ailleurs promis de se marier avant ses quarante ans. En attendant ce jour, il avait demandé à tout le monde de le laisser tranquille et de ne pas se mêler de sa vie privée.

Il en allait différemment pour Michael. De cinq ans son cadet, il avait toujours été un enfant fragile, vulnérable, sujet aux maladies. On l’avait gardé à la maison, alors qu’on avait envoyé Nico en pension en Angleterre dès sa treizième année, ce qui lui avait donné la formidable indépendance d’esprit qui constituait la base de sa forte personnalité.

Lina Toyas n’avait jamais pu se résoudre à se séparer de son deuxième fils sensible et délicat pour lequel, du reste, elle continuait à se faire du souci. Comme il ne lui avait jamais présenté de petites amies, elle avait eu peur que sa timidité ne fasse de lui un vieux garçon solitaire, ce qui, pour elle, était une destinée pire encore que la mort. La brusque apparition d’une femme dans sa vie l’avait transportée de joie ; Lina avait aussitôt téléphoné à Nico pour lui annoncer la nouvelle.

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Nico était loin de partager son enthousiasme. Sans qu’il sache précisément pourquoi, il avait la sensation très nette que quelque chose clochait, dans cette histoire. Et sa perspicacité d’homme d’affaires averti le trompait rarement

Pourquoi son frère n’avait-il jamais prononcé le nom d’Abigail Clinton, jusque-là ? Il ne devait pas la connaître depuis bien longtemps… Sinon, Michael aurait de temps à autre évoqué son existence, au cours des innombrables coups de fil qu’il passait à leur mère depuis sa demeure de Brighton. En fait, il en avait parlé pour la première fois quinze jours plus tôt, en annonçant la nouvelle fracassante de ses fiançailles avec une jeune Anglaise.

Naturellement, Nico s’était bien gardé d’alarmer sa mère en formulant sa suspicion à voix haute. Mais il s’était juré d’observer cette fille de près pendant son séjour à la villa, afin de s’assurer que ce n’était pas une aventurière uniquement intéressée par l’argent. Ce n’est pas parce que Michael possédait deux restaurants et une boîte de nuit qu’il ne profitait pas de la fortune familiale. Il avait investi d’importants capitaux dans les chantiers navals et détenait de nombreux portefeuilles d’actions en Bourse. Même s’il ne menait pas une vie tapageuse de golden boy, il était richissime. Il suffisait de feuilleter un bottin mondain pour s’aviser des liens qui l’unissaient au fabuleux empire des Toyas. A moins d’être stupide, sa fiancée était forcément au courant…

En tout cas, Nico était fermement décidé à faire tout ce qui était en son pouvoir pour défendre les intérêts de Michael et le protéger contre les visées d’une intrigante. Michael était incorrigiblement naïf. Il faisait trop confiance aux gens, ce qui le rendait encore plus vulnérable.

Nico se pencha pour observer la silhouette qui émergeait du taxi. Elle était très mince, presque menue, avec de longs cheveux blonds, clairs comme le lin, qui lui tombaient jusqu’au milieu du dos. D’un geste nerveux, elle les releva en queue-de-cheval, les roula en chignon, et les relâcha de nouveau. Les lèvres légèrement écartées, elle considérait la riche demeure qui s’offrait à sa vue.

Sans doute évaluait-elle le nombre de zéros attachés à la fortune de Michael, songea Nico cyniquement.

Il était bien obligé de reconnaître que son frère avait du goût. Il n’arrivait pas à distinguer nettement les traits de son visage, mais elle avait une allure de mannequin, avec de longues jambes fuselées et un corps un peu androgyne qui flottait presque dans sa robe courte à bretelles. Contrairement à lui, Michael n’avait jamais manifesté d’intérêt pour les beautés grecques, voluptueuses et bien en chair.

Sans abandonner le sujet de ses réflexions, Nico rentra dans sa chambre, vida d’un trait le reste de son whisky et posa le verre sur une commode. Comme dans les autres pièces de la maison, des tapis aux couleurs vives réveillaient l’ocre des murs et du carrelage. Au-dessus d’un coffre syrien incrusté de nacre, une peinture du volcan au soleil couchant jetait une tache rouge et or. Insensible au décor, Nico méditait sur la meilleure façon d’aborder la jeune fille sans mécontenter son frère ou sa mère.

La difficulté de cette tâche n’était pas pour lui déplaire. Loin de là…

Il songeait encore aux moyens de débusquer l’aventurière quand il gagna le grand salon à l’heure du cocktail, quelques instants plus tard. Pour cette première soirée, seuls les membres proches de la famille seraient présents. Son grand-père bien sûr, sa mère, ses oncles et tantes avec leurs enfants.

Les grandes baies vitrées, largement ouvertes, donnaient sur les jardins illuminés par des lanternes multicolores.

— Tu as soigné le décor. C’est splendide ! déclara Nico en passant un bras autour des épaules de sa mère.

Lina sourit affectueusement à son fils aîné.

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— N’est-ce pas ? George est ravi. Regarde-le, il est fier comme un paon. Quel dommage que ton père ne soit pas là…

Nico hocha la tête.

— Cela fait bien longtemps que la famille ne s’est pas réunie… Cinq ans, je crois. Depuis le mariage d’Elena et de Stefano.

— Ils arrivent demain avec leurs deux enfants. Toi aussi, tu pourrais être père de famille, ajouta Lina sans ambages. Tu n’es plus tout jeune. Quand te décideras-tu à fonder un foyer ? La dynastie a besoin d’héritiers.

— Chaque chose en son temps, répondit Nico sur un ton conciliant. Ne t’inquiète pas.

— Alexis Papaeliou sera des nôtres, risqua Lina. C’est un beau parti. Vous seriez bien assortis… Son grand-père est un ami d’enfance de George. Ils sont toujours très liés, même si leurs relations ne sont plus aussi étroites que par le passé.

— Papaeliou… Oui, ça me dit quelque chose. C’est joli, comme prénom, Alexis. Et j’avoue que ces trois mois de célibat commencent à me peser.

Il éclata de rire en voyant sa mère s’empourprer, mais s’excusa bien vite quand elle lui reprocha, très gentiment, son impertinence.

— De toute manière, rien ne presse, reprit-il en balayant d’un regard désinvolte les petits groupes d’invités. Michael m’a devancé dans la course au mariage…

— Nico, s’il te plaît…

— C’est juste une remarque, ma chère maman…

— Sur un ton que je ne suis pas certaine d’apprécier. J’ai fait la connaissance de cette jeune femme et elle m’a paru très aimable, même si, au premier abord, elle semblait perdue et désorientée.

Elle se ferait rapidement à son nouvel environnement, songea Nico. Juste le temps de calculer le nombre de millions qui se profilaient à l’horizon… Il ouvrit la bouche pour exprimer quelques-unes de ses craintes, mais se ravisa. Sa mère aurait beau jeu de l’accuser encore une fois de cynisme, quand bien même, pour lui, il ne s’agissait que de simple prudence.

— Où sont-ils ? s’enquit-il nonchalamment.

— Ils ne vont pas tarder à descendre. Nico… Sois raisonnable.

— Je le serai, je te le promets.

Lina soupira.

— Michael aime cette femme. Ne va pas tout gâcher…

— Je suivrai tes conseils, maman.

Avant qu’elle ne lui extorque des promesses qu’il n’avait aucune intention de respecter, il la prit par le bras pour l’entraîner vers le buffet. Du coin de l’œil, il continuait à surveiller l’arrivée de son frère.

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Il n’était pas le seul à guetter le jeune couple. Dès qu’ils se montrèrent, tous les regards convergèrent vers eux, et la jeune femme serra le bras de son compagnon d’un air effarouché. Ce dernier la rassura d’un sourire, en lui prodiguant à l’oreille des paroles d’encouragement.

Nico n’était pas dupe de cette petite mise en scène. Pas plus que ne l’impressionnait la discrétion de la robe rose pâle, au décolleté très sage, à peine marqué. L’expression nerveuse de la débutante ingénue ne le trompait pas. Cette vulnérabilité apparente dissimulait une ambition coupable.

Réprimant un grincement de dents impatient, il se dirigea vers eux pour saluer son frère, puis se tourna vers elle.

— Ma fiancée, fit Michael avec fierté. Abby. Mais j’imagine que tu es déjà au courant…

Se penchant vers Abby, il ajouta :

— Dans la famille, les nouvelles circulent à la vitesse de la lumière.

Elle se contenta de sourire. Michael lui parlait beaucoup de son frère Nico, qu’il admirait énormément, et elle avait imaginé quelqu’un à son image, doux, attentif, doté du même humour chaleureux qui lui avait plu instantanément.

Elle n’aurait pas pu se tromper davantage.

Cet homme n’avait absolument rien de doux ni de gentil, même s’il parvenait à sauver les apparences en bavardant agréablement avec eux. Physiquement, il avait les mêmes traits que son frère, mais poussés à l’extrême, avec une expression dure, implacable. Il portait les cheveux un peu plus longs sur la nuque et ses yeux avaient le coupant du silex. Abby se sentait si intimidée que des petits frissons parcoururent sa colonne vertébrale. Aussitôt, sans qu’elle comprenne pourquoi, Nico lui inspira une peur irrépressible.

Il lui parlait, maintenant, la questionnant sur le climat de Brighton. En dépit de l’insignifiance du sujet, elle ne put s’empêcher de penser qu’il la testait, et qu’il analyserait sans indulgence le moindre de ses propos.

Elle se serra instinctivement contre Michael et perçut un tressaillement derrière le masque impassible et poli. Rien n’échappait à cet homme qui exsudait la puissance et l’autorité. Impressionnée malgré tout, elle s’entendit bredouiller une banalité et poursuivit d’une voix hésitante :

— Quel bonheur, cette chaleur, alors que nous avons quitté Brighton sous la pluie !

Quand Michael s’éclipsa pour aller chercher à boire, la panique la submergea. D’autant plus que Nico ne fit rien pour la mettre à l’aise.

— Pourtant, vous n’avez pas l’air d’avoir très chaud. Vous tremblez !

— Oh… Un peu de nervosité, sans doute… Tous ces gens que je ne connais pas…

Elle baissa les yeux. Il la scrutait toujours sans bienveillance.

— Vous n’avez rien à craindre de la famille de Michael. Même si je reconnais qu’il est plus facile de s’attaquer à mon frère… qu’à nous tous.

— S’attaquer ? Quel mot bizarre ! s’écria-t elle.

Sans répondre, il la prit par le bras.

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— Venez. Je vais vous présenter le reste du clan.

Elle sursauta à son contact, et dut se faire violence pour ne pas s’écarter.

Cette réaction ne seyait pas à une femme amoureuse n’ayant rien à cacher, se dit Nico en l’entraînant du côté de sa mère.

Il l’observa pendant toute la soirée. Michael était aux petits soins avec elle, ce qui la réconfortait grandement. Mais dès que lui-même s’approchait, elle se crispait. Sans doute se sentait-elle menacée par la méfiance qu’il manifestait. Elle n’avait donc pas la conscience tranquille…

Lors du dîner, il s’assit en face d’elle, afin de l’étudier à loisir. Comme il était de coutume dans ce genre d’occasions, le vin coula à flots, et la conversation devint de plus en plus animée. Chacun levait son verre à tour de rôle pour porter un toast à la santé du grand-père, qui s’en montrait ravi.

Après le café, Nico profita d’une accalmie pour attirer l’attention de tout le monde en faisant tinter sa cuillère contre une carafe. Toutes les têtes se tournèrent vers lui, et il lui sembla déceler une certaine appréhension dans l’expression d’Abby. En tout cas, se dit-il, elle avait de très beaux yeux. Immenses, frangés de longs cils, ils pouvaient certainement paraître innocents à un homme sans expérience…

Il leva son verre en la défiant du regard :

— A la belle Abigail Clinton et à ses fiançailles avec mon frère ! lança-t il.

Tandis que tout le monde s’empressait d’approuver bruyamment, il poursuivit, sans la quitter des yeux :

— Même si ces fiançailles sont un peu précipitées…

Réprimant un frémissement devant sa mine inquiétante, presque mauvaise, Abby releva le défi.

— Pourquoi perdre du temps quand on sait ce qu’on veut ?

Autour d’eux, les gens faisaient tellement de bruit que cet échange passa inaperçu — comme si ces propos voilés, ce chuchotement électrique ne concernaient qu’eux. Dominant son trouble, Abby parvint à esquisser un sourire moqueur.

Nullement déconcerté, Nico leva son verre et avala une grande gorgée, la regardant toujours. Ce fut elle qui se détourna la première, cherchant désespérément l’aide de Michael, occupé à raconter à l’un de ses oncles ses dernières escapades dans les hauts lieux de la nuit londonienne. Elle dut tousser pour attirer son attention. A son grand soulagement, il saisit l’allusion et, lui tendant une main secourable, se leva pour prendre congé de tous. Ils firent une sortie précipitée, tandis qu’elle évitait soigneusement de croiser de nouveau le regard si troublant de Nico. 

Elle ne se détendit qu’une fois la porte de la chambre fermée à double tour, et poussa un long soupir.

— Eh bien, demanda Michael, que penses-tu de ma famille ?

— Ils sont très… sympathiques.

Elle marcha vers la coiffeuse, passant les doigts dans ses cheveux pour défaire sa tresse, et s’y assit.

— Ta mère est absolument merveilleuse. Et très gentille. J’appréhendais un peu de faire sa connaissance ; les femmes sont souvent terriblement possessives dès qu’il s’agit de leur fils…

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— Grâce au ciel, je ne suis pas l’aîné, repartit Michael. Le rôle le plus difficile incombe à Nico. Il ne semble pas s’en sortir trop mal.

— Toi non plus, Michael.

— Je ne sais pas…

Il s’approcha pour masser les épaules crispées de la jeune femme et s’absorba un instant dans ses pensées.

— Tu comprends mieux à présent, reprit-il, pourquoi ta présence à mes côtés m’est aussi précieuse. Abby, tu es la seule personne en qui j’ai réellement confiance et je ne te remercierai jamais assez…

— N’en dis pas plus, murmura-t elle en se retournant pour lui faire face. Moi aussi, j’ai une totale confiance en toi. Nous nous rendons mutuellement service. J’espère seulement que…

Il s’agenouilla devant elle pour avoir les yeux à la même hauteur.

— Qu’y a-t il ?

— Ton frère n’a pas l’air de m’aimer beaucoup. As-tu remarqué comment il me dévisageait ? Il m’a observée toute la soirée. Et pendant que tout le monde parlait, il a réussi à me glisser à l’oreille que nos fiançailles étaient prématurées.

— Ne t’inquiète pas… Il a toujours joué les grands frères protecteurs avec moi. Nous n’allions pas à l’école ensemble, parce qu’il était pensionnaire en Angleterre. Mais je me rappelle que quand il était en vacances, il venait toujours m’attendre à la sortie du collège…

Un sourire tendre éclaira le visage de Michael.

— Des types de ma classe me brutalisaient. Je ne voulais pas en parler à ma mère, déjà très anxieuse. Il a suffi qu’il se montre pour que tout rentre dans l’ordre. Nico est comme ça. Il a toujours été là quand j’ai eu besoin de lui.

— Mais…

— Ne te fais pas de souci, la coupa-t il en lui caressant le bras. Il sera rassuré en voyant que nous sommes heureux et que nous nous entendons bien.

Abby, cependant, n’était pas convaincue. Deux heures plus tard, incapable de trouver le sommeil, elle songeait toujours à Nico, sans parvenir à chasser de son esprit les traits de son visage si séduisant, qui la considérait sévèrement, bien résolu à la percer à jour.

Dans l’obscurité, elle distinguait la silhouette de Michael, allongé sur le divan près de la fenêtre. Sa respiration paisible soulevait régulièrement son torse. Il dormait tranquillement, sans crainte. Il ne se méfiait pas assez des autres. Abby, elle, percevait plus facilement les zones d’ombre chez les gens. Nico Toyas la remplissait de crainte et d’appréhension. Même là, dans le sanctuaire de sa chambre, elle frissonnait rien qu’en pensant à lui.

La réalité lui sembla plus légère le lendemain matin.

Elle s’éveilla de bonne heure, avec la conscience de se trouver dans un environnement étranger. Son fils, surtout, lui manquait. Michael dormait encore et elle sourit en le voyant enroulé dans sa couverture. Ils auraient très bien pu coucher dans le même lit, elle n’en aurait éprouvé aucune gêne. Néanmoins, elle s’était sentie soulagée quand il avait choisi le canapé.

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Il était encore tôt, mais, depuis la naissance de Jamie, elle avait perdu l’habitude de faire la grasse matinée. Elle s’approcha de Michael sur la pointe des pieds et lissa ses cheveux en bataille, avant de chuchoter à son oreille :

— Où puis-je trouver un téléphone ? J’ai promis à Rebecca et à Jamie que je les appellerais tous les jours.

— Hmm… Je te prête mon portable, marmonna Michael en soulevant une paupière. Tu n’as qu’à descendre et sortir sur la terrasse, près de la piscine. Comme ça, tu ne réveilleras personne. Veux-tu que je t’accompagne ?

— Tu plaisantes ? Dors, tu as besoin de te reposer.

Après avoir brossé ses cheveux et enfilé un jean et un T-shirt, Abby quitta la chambre. C’était la première fois qu’elle se séparait de son fils, et elle avait hâte de lui parler, même si elle n’avait aucune raison de se faire du souci, puisque Rebecca s’était installée chez eux pour la semaine.

Tout en composant le numéro, elle tomba en arrêt devant la beauté du paysage. Au-delà des jardins luxuriants, la pente douce du volcan, éclairée par les premières lueurs de l’aube, se reflétait dans l’eau calme du lac.

Tournant le dos au panorama, elle s’assit sur les coussins d’une chaise longue pour bavarder avec Rebecca, qui ne tarda pas à lui passer Jamie. Un sourire de bonheur s’épanouit sur ses lèvres et elle ferma les yeux pour imaginer plus à son aise sa frimousse de petit garçon tandis qu’il lui racontait les mille et une aventures de sa vie quotidienne. Il était sûrement juché sur le tabouret de la cuisine, les jambes dans le vide, revêtu de son uniforme et prêt à partir pour l’école.

— Passe une bonne journée, lui dit-elle d’une voix émue. Et n’oublie pas de faire le dessin que tu m’as promis. Nous l’afficherons sur le frigo, à côté du dinosaure.

Après avoir raccroché, elle demeura un instant perdue dans ses pensées, les yeux clos.

Debout sur la terrasse de sa chambre, Nico l’observait en pinçant les lèvres. Pour lui, cela ne faisait aucun doute : il n’y avait qu’un homme pour susciter pareille expression sur les traits d’une femme. D’ailleurs, elle n’aurait pas pris la peine de se glisser au-dehors à 6 h 30 du matin si elle n’avait rien eu à cacher.

D’un geste fluide et souple de félin, il se saisit d’une serviette et se dirigea vers la piscine.

Encore absorbée dans ses songes, Abby ne l’entendit pas approcher et sursauta violemment au son de sa voix. Dès qu’elle l’aperçut, un frisson incoercible la traversa. Il émanait de lui une puissance virile qui manquait un peu à Michael. Dans la lumière incertaine de l’aube, il paraissait encore plus imposant et énigmatique que la veille.

— Je suis toujours très matinal, même en vacances. Vous aussi, apparemment.

— Vous me surveillez ? répliqua Abby, en se demandant depuis combien de temps il était là à la regarder.

Avait-il entendu sa conversation téléphonique ? D’un commun accord, Michael et elle avaient décidé de ne pas parler tout de suite de Jamie. De toute manière, maintenant qu’elle connaissait Nico, Abby était sûre que ce serait une grave erreur de mentionner l’existence de son fils.

Il continuait à la dévisager avec insolence.

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Elle paraissait fragile, pas du tout sophistiquée, mais sa jeunesse et son naturel ne le trompaient pas. Elle savait sans doute jouer de ces atouts pour piéger les hommes.

— Auriez-vous quelque chose à cacher ? reprit-il.

Pour sa plus grande honte, Abby s’empourpra violemment. Elle ouvrit la bouche pour répondre ; aucun son n’en sortit. Finalement, au bout d’une minute interminable, elle se leva sur ses jambes chancelantes.

— Je rentre, articula-t elle faiblement.

— Pourquoi ? Tout le monde dort. Personne ne sera levé avant au moins une heure. Faites comme moi, profitez-en pour vous baigner.

Nico était furieux contre lui-même. Un bon chasseur ne devait pas effrayer sa proie, mais la mettre en confiance. Il s’était montré fort maladroit en l’attaquant de front.

— Non… Je ne veux pas vous déranger…, dit elle en reculant.

Alors, changeant de tactique, il lui adressa un sourire au charme dévastateur, qui la subjugua — tout en la mettant terriblement mal à l’aise.

— Restez. Vous ne me dérangez absolument pas, bien au contraire. Je n’aime pas la solitude.

— Je vous plains… mais…

— Allez chercher votre maillot de bain, nous continuerons à discuter dans la piscine. A moins que vous ne préfériez bronzer ?

— Oui… Euh… Non !

— D’ailleurs, Michael serait ravi que nous fassions plus ample connaissance, vous et moi. Même si nous n’avons pas véritablement grandi ensemble, nous sommes très proches. Il serait très ennuyé d’apprendre que je vous intimide

Chapitre 2

Abigail devait réagir. De nature combative, elle ne supportait pas que quiconque lui en impose. Elle avait des ressources de dynamisme et de vitalité, toute sa vie le prouvait. Après sa rupture avec le père de Jamie, qui lui avait porté un coup presque fatal, elle avait mené sa grossesse à terme sans aide d’aucune sorte, et depuis lors élevait seule son enfant. Sans parents ni famille proche sur qui compter, elle n’avait eu pour atouts que sa détermination à mettre son enfant au monde et la certitude qu’elle avait infiniment d’amour à lui offrir.

Elle ne laisserait pas Nico Toyas insinuer qu’elle avait peur de lui.

Michael dormait toujours profondément quand elle revint dans la chambre pour prendre son chapeau, sa crème solaire et son livre. Il travaillait le soir et jusque tard dans la nuit ; il avait toujours du sommeil à rattraper.

Nico avait raison. Dans la maison, personne n’était levé.

Décidée à contrer la brutalité de cet homme présomptueux et imbu de lui-même, elle regagna la terrasse. Il nageait déjà, aussi à l’aise qu’un dauphin. Fascinée par le jeu de sa musculature, elle le regarda un moment avant de s’installer sur une chaise longue.

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Elle s’évertua à contempler la vue magnifique, mais ses yeux revenaient se poser malgré elle sur le nageur. Il l’attirait tel un aimant. De guerre lasse, elle enfonça son chapeau sur sa tête et s’allongea en fermant les paupières.

Cette fois-ci, il ne la prit pas au dépourvu. Elle l’entendit sortir de l’eau et approcher un siège pour s’établir auprès d’elle.

— Je ne pensais pas que vous répondriez à mon invitation, dit-il en détaillant sa frêle silhouette.

Son T-shirt moulait ses petits seins ronds et laissait apparaître la naissance de son ventre, au-dessus du jean taille basse.

— Pourquoi ? répliqua-t elle. Vous m’avez convaincue. Michael souhaite probablement que nous soyons amis, ou en tout cas que nous fassions des efforts dans ce sens.

— Hum. C’est la première fois que vous venez en Grèce ?

La blancheur de sa peau l’hypnotisait mais Nico se força à détacher son regard. Au même instant, Abby ouvrit les yeux. Il était encore tout mouillé et le soleil faisait briller des gouttelettes d’eau sur son torse puissant. Elle aurait préféré qu’il enfile une chemise…

— Je ne connaissais pas Santorin, mais j’avais séjourné à Athènes, il y a quelques années.

— En famille ?

— Non.

Comme, à l’évidence, elle n’avait pas l’intention d’en dire plus, il garda le silence et attendit. Tôt ou tard, elle se sentirait obligée de parler. Il était passé maître dans l’art de manipuler les gens. S’il se montrait assez patient, elle lui fournirait tous les détails qu’il souhaitait.

— Je n’ai pas de famille, dit elle enfin, avec une pointe d’irritation. En tout cas pas en Angleterre. Mes parents ont émigré en Australie il y a sept ans. Je ne les vois plus guère.

— Alors vous étiez avec des amis ? La vie nocturne est très animée, à Athènes, et attire beaucoup de jeunes gens.

— Sans doute, acquiesça Abby, sans mordre à l’hameçon.

De toute manière, elle n’avait aucune envie d’évoquer ce bref séjour dans la capitale grecque. Cela la rendait trop nostalgique. Ç’avait été la dernière fois qu’elle s’était sentie pleinement heureuse, en toute innocence. Elle croyait être amoureuse, à l’époque… Comme cela semblait loin ! Et comme elle avait changé, depuis…

— Vous ne savez donc pas beaucoup de choses sur notre île, reprit Nico, en dissimulant à peine son impatience. Sauf si Michael vous en a parlé. J’ai du mal à me souvenir à quand remonte son dernier séjour.

— Non, il ne m’a pas dit grand-chose. Simplement que la villa était un lieu de vacances qui appartenait à son grand-père.

— Elle correspond à l’image que vous vous en faisiez ? s’enquit-il d’une voix doucereuse.

Abby se raidit.

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— Je n’imaginais rien.

— Allons, ce n’est pas possible, je ne vous crois pas. On essaie forcément de se représenter le décor, quand on part en villégiature à l’étranger…

— En tout cas, la villa est magnifique. Et immense, surtout pour une seule personne. Je suppose que votre grand-père n’y séjourne jamais seul.

Se tournant vers lui, elle lui jeta un regard empreint de froideur, avant d’ajouter :

— Ma réponse vous suffit-elle, cette fois-ci ?

Si elle ne devait pas avoir plus de dix-neuf ans, elle possédait sans nul doute un esprit rusé et perspicace. Elle se gardait de poser trop de questions, pour ne pas éveiller les soupçons. Malgré sa naïveté, Michael lui-même se serait méfié si elle l’avait trop interrogé.

— A l’époque où la maison a été construite, ma grand-mère était encore en vie, expliqua Nico. Tous les enfants étaient là, et même les petits-enfants, pendant un temps. Ensuite, le mode de vie a changé, mais mon grand-père est resté très attaché à cette île, et il y vient le plus souvent possible. Il en apprécie la tranquillité. Evidemment, le tourisme s’est beaucoup développé depuis, mais la villa est à l’écart. On ne s’en rend pas trop compte, quand on est ici.

— Il ne se sent pas seul ?

Le sujet de la conversation paraissait sans danger ; en outre, Abby avait du mal à résister à la voix de Nico, grave et veloutée.

— Ma mère l’accompagne chaque fois qu’elle le peut, et amène des amies. Mon grand-père est âgé. Ce serait plus stressant pour lui de changer d’habitudes. Timos et Maria, qui s’occupent de la villa en son absence, sont là depuis toujours. Ils sont presque aussi vieux que lui et il les considère comme des amis. D’ailleurs, ils prennent leurs repas ensemble, quand ils ne sont que tous les trois.

— Et vous ? Vous venez souvent en vacances ici ?

— Je prends rarement des vacances, fit il platement.

— Pourquoi ?

— Pardon ?

— Pourquoi ne prenez-vous pas de vacances ? Faites-vous partie de ces gens qui considèrent que c’est un péché de se détendre et de profiter de la vie ?

Il lui lança un regard incrédule. Cette question frisait l’impertinence, et personne ne se permettait jamais aucune insolence à son égard, surtout pas les femmes. En avisant son expression presque dédaigneuse, il sentit les battements de son pouls s’accélérer et le rouge de la colère lui monta au front.

Cette vulgaire petite aventurière osait le provoquer !

Je dirige un vaste complexe financier, miss Clinton. Vous l’ignorez peut-être, mais les loisirs ne sont pas vraiment la clé du succès, ironisa-t il.

— Tout le monde aime se sentir indispensable, mais en réalité personne ne l’est vraiment, répondit-elle, pas du tout décontenancée. Michael répète à tout bout de champ que sa tâche essentielle est de

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former des employés qui sachent faire tourner la boutique aussi bien que lui quand il n’est pas là. C’est un peu la même chose avec les enfants. Certes ils ont besoin de leurs parents, mais une éducation bien menée doit les rendre autonomes et leur donner assez de confiance en eux pour qu’ils volent de leurs propres ailes.

— Qu’en savez-vous ? Vous êtes bien jeune, pour parler comme une mère de famille.

Abby se serait giflée. Quelle sotte, de manquer de vigilance à ce point ! Il ne fallait surtout pas baisser la garde devant cet homme.

— Je dis simplement qu’il faut voir plus loin que le bout de son nez, précisa-t elle en haussant les épaules avec une nonchalance étudiée.

Puis elle se détourna ostensiblement pour contempler le paysage.

Excédé, Nico demeura toutefois courtois.

— Tout le monde ne réagit pas de la même façon. J’ai des collaborateurs de qualité, très compétents. Mais je tiens à garder les rênes de mon organisation bien en main.

Elle avait un visage bien dessiné. Un petit nez droit, parsemé de taches de rousseur, et des sourcils à l’arc parfait, étonnamment foncés pour quelqu’un de si blond. Se surprenant une nouvelle fois en train de l’admirer, Nico se mit à grincer des dents.

— Libre à vous, répondit-elle. Chacun mène sa barque comme il veut.

Il la trouvait de plus en plus effrontée.

— Depuis combien de temps connaissez-vous mon frère ? demanda-t il, changeant brusquement de sujet.

— Oh, à peu près deux ans.

— J’ai du mal à croire que vous sortez ensemble depuis si longtemps. Michael appelle notre mère toutes les semaines. C’est curieux qu’il n’ait jamais mentionné votre nom une seule fois.

— Je n’ai pas dit que nous étions tout de suite devenus intimes, l’informa-t elle avec hauteur.

Elle s’aventurait sur un territoire dangereux. Dès le début, elle avait senti chez Nico un esprit soupçonneux. Il ne servait à rien de le heurter de front et de s’en faire un ennemi. Au contraire, mieux valait essayer de le tranquilliser.

Elle lui adressa un sourire qu’elle souhaitait le plus chaleureux possible.

— Nous nous sommes tout de suite très bien entendus. Michael a toutes les qualités que j’admire chez un homme. Il est gentil, attentionné, modeste. On n’a pas l’habitude de se représenter ainsi les cadres et les dirigeants, mais cela lui réussit. Tout le monde l’adore.

— Comment l’avez-vous rencontré ?

Même si elle paraissait sincère, Nico continuait à se défier d’elle. Le conte de fées était trop beau pour être vrai.

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— Je travaillais avec lui. C’était mon patron, plus exactement. Je m’occupais, à leur ouverture, de la comptabilité de ses restaurants. Il a eu de plus en plus de succès et son équipe s’est agrandie au fil des ans. Vous n’êtes jamais venu le voir, à Brighton ?

Il est plus facile de nous rencontrer à Londres. Généralement, nous déjeunons ensemble. Bien que les occasions se soient raréfiées, ces derniers temps. Nous avons tous les deux des emplois du temps très chargés.

— Ses restaurants valent le déplacement, fit vivement Abby, ravie de se trouver en sécurité sur ce terrain-là. Le premier a un chef français qui sert des menus très raffinés. Le deuxième est plus simple et décontracté, un peu dans le style des pubs de campagne, mais avec une cuisine tout aussi excellente. Nous achetons de bons produits du terroir. Les gens sont très sensibles à la qualité des matières premières. On réserve deux mois à l’avance pour être sûr d’avoir une table chez nous.

— Votre enthousiasme est communicatif. Si vous mettez autant d’ardeur dans votre travail, mon frère a beaucoup de chance de vous avoir.

Abby s’efforça de ne pas trahir l’intense antipathie que lui inspirait l’arrogance de cet homme. Il l’exaspérait, avec ses remarques ironiques. Il tentait de la cerner, décrivant des cercles de plus en plus étroits, cherchant la faille qui le conforterait dans la piètre opinion qu’il s’était formé.

— En tout cas, il peut compter sur moi, rétorqua-t elle. Ce n’est jamais facile de se lancer dans ce genre d’affaires. On a besoin de tout le soutien des autres.

— C’est donc à ce moment-là que vous avez su vous rendre indispensable ?

— Pas plus que d’autres. Je n’étais pas la seule à croire en sa réussite.

Mais certainement la seule à savoir user de son charme pour exercer son influence, songea Nico. Même si Abigail Clinton ne frappait pas d’emblée par son sex-appeal, elle ne manquait pas d’un certain pouvoir de séduction.

— Vous devriez vous mettre en maillot de bain, suggéra-t il. L’eau est délicieuse.

— Je n’en ai pas apporté.

— Pardon ? dit il, croyant avoir mal entendu.

Elle détourna le regard en rougissant.

— Je ne nage pas très bien. C’est sans doute pour ça que j’ai oublié d’en prendre un…

Quand un sourire amusé se peignit sur les lèvres de Nico, elle devint de plus en plus cramoisie. Pour la première fois, l’hostilité et l’appréhension, en elle, cédaient le pas à l’embarras.

— Cela n’a rien d’extraordinaire ! Il y a des milliers de gens comme moi. Vous, vous avez grandi au soleil, à côté de la mer. Je n’ai pas eu cette chance, en Angleterre.

La jeune femme intriguait Nico. Voilà qu’au lieu de la coincer, il lui découvrait des côtés sympathiques !

— Je croyais que tous les enfants avaient des cours de natation, dans les écoles anglaises…

— Sans doute.

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Elle avait parlé sans réfléchir. D’autres questions allaient suivre, inévitablement…

— Vous n’êtes pas allée à l’école en Angleterre ? Vous avez fait vos études en Australie, là où sont vos parents ?

— Non… Je n’ai pas reçu une éducation traditionnelle, marmonna-t elle de mauvaise grâce.

Il se pencha vers elle, les coudes sur les genoux, l’air intéressé

— Comment cela ?

Pourquoi insistait-il ? Ne voyait-il pas combien elle était gênée ? Il manquait décidément de tact et de délicatesse… En tout cas, elle n’avait rien à cacher sur ce plan-là. Il n’y avait pas de secrets.

— Mes parents étaient… des originaux. Ils voyageaient beaucoup.

— C’étaient des tziganes ?

— Pas du tout ! Quelle idée ! Remarquez, je n’ai rien contre les tziganes, mais vraiment, avec des cheveux blonds comme les miens, ce serait pour le moins étonnant, vous ne croyez pas ?

Elle ôta son chapeau pour prendre une mèche de cheveux, qu’elle lui mit sous les yeux. La conversation prenait un tour surréaliste qui amusait Nico. Il se saisit de la mèche, qu’il fit mine d’examiner.

— Ce n’est peut-être pas votre couleur naturelle.

— Bien sûr que si ! protesta-t elle, outrée.

— Alors, racontez-moi.

— D’accord. Puisque vous tenez absolument à tout savoir. Mes parents étaient… un peu… hippies.

Elle marqua une pause, s’attendant à un éclat de rire, mais il continuait à l’écouter attentivement.

— Ils n’étaient absolument pas matérialistes et n’ont jamais voulu s’installer, ni posséder quoi que ce soit. Quand j’ai été en âge de comprendre, ma mère m’a expliqué qu’elle considérait la vie comme une grande aventure. Il n’était pas question pour elle de s’endetter pour acheter une maison et de travailler comme fonctionnaire pour rembourser les emprunts à la banque. Ils préféraient voyager, voir du pays. J’ai fréquenté l’école, bien sûr, mais jamais très longtemps au même endroit…

— Pas assez longtemps pour apprendre à nager et vous faire des amis ?

— Si, j’ai eu beaucoup d’amis ! Sans doute beaucoup plus que la plupart des adolescents.

Malgré tout, le mouvement perpétuel qui plaisait tant à ses parents, le tourbillon incessant de gens qui allaient et venaient au gré des rencontres, la fatiguaient et lui pesaient. Le plus souvent, elle hésitait à se lier d’amitié, sans parler des relations amoureuses, forcément trop brèves, et elle avait souffert de cette errance. Avec le recul, elle comprenait que cela l’ait rendue vulnérable. Après le départ de ses parents en Australie, elle avait espéré trouver enfin la stabilité. Hélas, l’expérience lui manquait et elle s’était trompée d’histoire d’amour. Elle était tombée sous le charme d’Oliver James, sans rien percevoir des défauts qui auraient sauté aux yeux de n’importe quelle autre fille.

Cela dit, ses désillusions ne regardaient pas Nico Toyas, qui n’en saurait rien.

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— Vous avez eu des parents très égoïstes, commenta-t il. Pourquoi sont-ils partis en Australie ?

— L’immensité de ce continent les attirait. Ils ont ouvert une boutique de produits biologiques et se sont même acheté une maison ! Ils ont l’intention de venir passer trois mois de vacances en Angleterre l’année prochaine.

— Cela me plairait de les rencontrer.

Nico se rendit compte trop tard de l’incongruité de cette repartie. Tout en essayant d’imaginer la vie qu’avait menée Abigail, il se dit que c’était une raison de plus pour elle d’aspirer à un riche mariage : il lui offrirait la sécurité qui lui avait tant fait défaut.

Je n’ai jamais eu l’occasion de côtoyer des gens comme eux, reprit-il pour se justifier.

Du reste, cette histoire charmante n’avait rien à voir avec le problème qu’il avait à résoudre. Il se leva abruptement.

— J’ai envie d’un dernier plongeon avant le petit déjeuner. Au fait, ne vous attendez pas à être servie comme une reine. Ce sera un buffet, ce matin. Chacun se débrouille. Avec tous les préparatifs de la fête, les domestiques sont débordés.

Sur ces mots, il la planta là. Abby, résistant à l’envie de lui jeter son livre à la figure, décida de rentrer.

Curieusement, l’espace de quelques instants, elle avait presque oublié combien il était méprisant et antipathique. A l’avenir, il lui faudrait faire plus attention. Sinon, elle risquait de faire du tort à Michael…

Ce dernier dormait encore et elle lui tapota plusieurs fois l’épaule pour le réveiller.

— Tu ne peux pas passer tes journées au lit ! lui reprocha-t elle gentiment.

— Tu me parles comme si j’étais ton mari !

— Michael, sois un peu sérieux !

— Je le suis !

Il éclata de rire, avant d’ajouter :

— Où étais-tu ?

— A la piscine.

— Tu ne sais pas nager.

— Je sais, Michael. J’étais avec ton frère, et je commence à penser que cette histoire de fiançailles n’est pas une bonne idée du tout.

Du coup, Michael s’assit d’un bond. Il portait un pyjama Paisley de soie beige. Il en avait toute une collection et Abby se demanda si son frère Nico avait les mêmes goûts. Probablement pas, songea-t elle. Il était plutôt du genre à dormir nu. Un peu honteuse de se laisser aller à de telles pensées, elle s’admonesta vivement et reporta son attention sur son compagnon, qui la dévisageait d’un air inquiet.

— Mais si, c’est une bonne idée. Tu ne vas pas me lâcher maintenant, j’espère ?

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— J’aurais dû réfléchir davantage avant d’accepter. Si je comprends parfaitement tes raisons, je répugne à tromper ta mère et ton grand-père. Ils méritent plus de considération.

— C’est justement parce que je les aime que je fais cela. Je t’en prie, Abby, ne me laisse pas tomber.

— En plus, ton frère soupçonne quelque chose.

— Quoi ?

— Il croit que j’en veux à ton argent.

— Ce n’est pas très grave. En tout cas, il est loin du compte.

— Peut-être. Mais il s’acharnera jusqu’à ce qu’il découvre la vérité.

— Il ne reste que trois jours, Abby. Cela ne suffit pas pour mener une enquête sérieuse.

Cela ne suffirait pas à un homme normal, répliqua Abby en son for intérieur. Mais pour ce qui est de ton frère, je ne jurerais de rien. Il est très intelligent, et extrêmement perspicace. »

— J’essaierai de l’éviter, déclara-t elle.

— Auquel cas il pensera que tu as effectivement quelque chose à cacher. Il vaut mieux le convaincre qu’il se trompe. Parle-lui, au contraire. Il faut lui donner l’impression que nous nous adorons, tous les deux. Ce qui est vrai, d’ailleurs.

Il parvint à lui communiquer sa bonne humeur et elle lui sourit tandis qu’il poursuivait :

— Ne t’inquiète pas. Nous ne sommes ici que pour une semaine. Tout redeviendra normal dès que nous serons de retour en Angleterre.

Il se leva pour la serrer affectueusement dans ses bras.

— Après le petit déjeuner, nous ferons un peu de tourisme, reprit-il pour la rassurer tout à fait.

La tension qu’elle avait éprouvée en compagnie de Nico se dissipa et elle poussa un soupir de soulagement. L’amitié de Michael était l’un de ses biens les plus précieux et il lui inspirait une tendresse infinie.

— Promets-moi de ne pas fuir la présence de Nico. Il se douterait de quelque chose, sinon. Tu n’as rien à craindre de lui. Il est foncièrement honnête…

— Dans ce cas…

— Mais terriblement vieux jeu dans sa façon d’être, la coupa-t il. Accorde-moi quelques minutes pour m’habiller et nous prendrons le petit déjeuner ensemble.

Une demi-heure plus tard, tandis qu’ils se mêlaient aux autres invités, Nico, assis dans un coin, les observait attentivement. Leur attitude dénotait une grande complicité, mais il continuait à avoir des doutes.

Abigail avait tressé ses cheveux. Son expression spontanée et chaleureuse l’irritait beaucoup. Tout en se servant en fruits et en fromage, elle se pencha pour murmurer quelque chose à l’oreille de Michael, qui lui sourit. Un mot tendre, sans doute ? Pauvre Michael… Il était trop naïf. Il déchanterait vite,

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malheureusement, quand cette séductrice lui imposerait le divorce en exigeant une pension exorbitante. Mais sa famille et son frère veillaient sur lui et protégeraient ses intérêts…

Se rendant brusquement compte qu’on l’épiait, Abby leva les yeux et croisa son regard. Aussitôt, elle se détourna d’un air gêné. « Même si elle prend mon frère pour un imbécile, avec moi, elle aura affaire à forte partie… », pensa Nico avec une satisfaction mauvaise.

Il abandonna sa tasse pour les rejoindre, posant ses paumes sur la table dans une pose avantageuse.

— Eh bien, quels sont vos projets pour la journée ?

Il parlait à la cantonade, mais en guettant les réactions d’Abigail.

Apparemment, les femmes aideraient dans la cuisine, tandis que les hommes, peu enclins à se démarquer de la tradition, se contenteraient de lézarder au bord de la piscine.

— Nous allons explorer le village, annonça Abby.

Cinq minutes plus tôt, elle était parfaitement à l’aise et détendue ; depuis qu’elle avait remarqué la présence de Nico, elle se sentait inhibée, et incapable de se comporter normalement.

— Et vous ? reprit-elle avec un sourire forcé.

Elle l’imaginait mal en train d’éplucher des oignons ou de dresser le couvert. De toute manière, comme le lui avait dit la mère de Michael quelques instants plus tôt, un traiteur se chargeait de tout.

— Nous voulons profiter pleinement de cette fête, avait-elle expliqué. George est encore très alerte, mais avec sa maladie de cœur, son quatre-vingtième anniversaire, hélas, pourrait être le dernier.

Toute la famille craignait pour la santé du patriarche. C’était même ce qui avait poussé Michael à débarquer avec une fiancée à lui présenter.

— J’ai du travail, répondit Nico.

— C’est dommage, fit Michael.

Se tournant vers Abby, il ajouta :

— Ma chérie, j’avais promis de te faire visiter Santorin, mais…

Abby fronça les sourcils, dardant sur lui un regard de reproche et d’avertissement. Puis, en lui donnant un coup de pied dans les tibias, elle déclara :

— Cela n’a pas d’importance. Nous irons une autre fois.

Ayant parfaitement deviné l’idée qu’il avait derrière la tête, elle espérait avoir désamorcé son plan.

C’était mal le connaître…

— Je voulais justement te demander d’accompagner Abby à ma place, Nico, reprit Michael. Elle a hâte de faire cette excursion, or j’ai un problème d’approvisionnement à régler avec un transporteur.

— Tom est parfaitement capable de gérer cela, protesta-t elle.

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Michael secoua la tête avec une expression accablée.

— Il est au lit avec une mauvaise grippe ! Si Nico ne peut pas t’accompagner, je te suggère de prendre la voiture. Evidemment, ce sera beaucoup moins intéressant de te balader seule…

— Mes dossiers n’ont rien d’urgent, intervint Nico d’un air décidé.

Il était tellement patent qu’Abby Clinton voulait à tout prix éviter sa compagnie ! Il ne lui donnerait pas ce plaisir…

Abby masqua tant bien que mal sa déception. Elle aurait volontiers étranglé Michael…

— Je serai ravi de vous servir de guide, lui dit Nico. Retrouvons-nous ici dans une heure.

Il se réjouissait méchamment de lui infliger ce que, de toute évidence, elle redoutait comme une torture. Et il bénissait le ciel, et Michael, de lui offrir comme sur un plateau quelques heures de tête-à-tête avec elle. Il saurait en tirer parti…

Chapitre 3

3.

Nico l’attendait. Nonchalamment appuyé contre le capot de sa voiture, il lui tournait le dos ; il téléphonait. Dès qu’elle l’aperçut, Abby se sentit anéantie. Jamais elle ne serait à la hauteur…

Michael avait très vite désamorcé sa réaction rageuse et ses velléités de vengeance. Armé de son irrésistible sourire juvénile, il l’avait convaincue de se montrer sous son meilleur jour auprès de son frère ; ainsi, elle persuaderait Nico de sa gentillesse foncière et il cesserait de s’intéresser à elle de trop près. Abby avait capitulé à contrecœur. Michael avait toujours raison de ses réticences, car elle lui vouait une confiance aveugle. Jamais il ne l’avait déçue.

Malgré tout, maintenant qu’elle était au pied du mur, elle avait du mal à réprimer une appréhension très vive.

Elle était passée par la cuisine, pour s’excuser auprès de Lina, dans l’espoir que la vieille dame réclamerait son aide pour les préparatifs. Malheureusement, loin de la retenir, Lina avait exprimé sa satisfaction de savoir que Nico s’occupait d’elle et avait promis de lui consacrer du temps dès qu’elle serait libérée des tracas de la réception.

En l’entendant approcher, Nico éteignit son portable et le fourra dans sa poche. Il était vêtu d’un bermuda kaki et d’une chemisette assortie, et réussissait le tour de force de paraître sophistiqué dans cette tenue décontractée. Ses lunettes de soleil le rendaient encore plus inaccessible et énigmatique.

— Il ne faut pas vous sentir obligé de vous mettre en quatre pour moi, dit Abby. Vous avez du travail et je serai pour ma part tout à fait contente de passer mon après-midi avec un livre à l’ombre d’un arbre ou au bord de la piscine.

Inclinant légèrement la tête pour toute réponse, Nico lui ouvrit la portière.

— Ce serait un peu terne, surtout après avoir imaginé des aventures plus palpitantes, dit il en s’installant au volant.

— Je n’avais rien imaginé du tout, protesta Abby. Je ne pensais même pas que nous aurions le temps de visiter l’île. Michael m’avait prévenue que nous serions très pris.

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Pour affronter la balade au soleil, Abby avait passé une jupe vert clair, toute simple, et un petit haut blanc sans manches. Si Nico ne semblait pas manifester le moindre intérêt pour ses jambes nues, elle se sentait néanmoins un peu trop exposée, et regrettait d’avoir abandonné le pantalon.

— L’île est située sur un volcan qui a été l’un des plus violents de la planète, lui dit Nico. D’aucuns pensent qu’il a complètement détruit la civilisation minoenne, il y a trois mille ans. Le tourisme ne s’est développé que très récemment, avec la mode des plages de sable noir.

— Vous le déplorez ?

Il ne répondit pas tout de suite, mais s’arrêta pour attirer son attention sur la couleur de la roche, comparant le paysage avec d’autres îles grecques. Puis il reprit le sujet qu’ils avaient entamé.

— Naturellement, les habitants de Santorin sont tous plus ou moins engagés dans la promotion touristique de leur île, leur niveau de vie en découle directement. Mais cela nuit considérablement à l’authenticité de l’endroit, non ?

— Si j’étais pauvre et que j’avais la possibilité d’obtenir un toit et du pain en étant simplement polie avec quelques touristes pendant quelques mois de l’année, je crois que je n’hésiterais pas.

— Vous êtes une femme pragmatique.

« Ou intéressée… », songea-t il dans son for intérieur.

— Moi qui pensais que toutes les femmes étaient d’incorrigibles romantiques ! ajouta-t il à voix haute.

— Ce n’est pas parce que j’ai l’esprit pratique que je ne suis pas romantique, répliqua Abby.

« Je dois être ouverte, gentille et chaleureuse », se répéta-t elle en lui jetant un coup d’œil à la dérobée.

— Mais c’est vrai que j’ai les pieds sur terre. Quand on déménage constamment, et qu’on doit s’adapter à un environnement plus ou moins accueillant, on est forcément attentif à la réalité. Malgré tout, j’ai eu de la chance. Loup et Rivière préféraient la campagne à la ville.

— Loup et Rivière ?

Abby avait parlé sans réfléchir. Même Michael ignorait ces surnoms stupides que ses parents s’étaient donnés. Rouge d’embarras, elle expliqua :

— Ils trouvaient que ces surnoms correspondaient mieux à leur nature profonde. Moi, je continuais à les appeler papa et maman, tout bêtement.

— Ça ne devait pas leur faire très plaisir.

— Ils ne m’en voulaient pas de… de ne pas être comme eux. Mais laissons ce sujet ennuyeux. Ce site volcanique n’est plus dangereux ?

La jupe courte de la jeune femme avait remonté sur ses cuisses et le regard de Nico s’égara un instant sur sa peau très claire — puis il se concentra de nouveau sur la mission qu’il s’était fixée.

— Et vous ? Vous aviez aussi un surnom ?

— Torrent. Je leur avais fait promettre de ne jamais m’appeler ainsi en public. Nous parlions des risques volcaniques, je crois ?

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— Effectivement, devant des camarades, il y avait de quoi être gênée…

Abby se souvenait très précisément de la honte qu’elle avait éprouvée quand ses parents, un jour, étaient venus la chercher à la sortie de l’école, et l’avaient hélée au moyen de ce sobriquet. Curieusement, elle faillit presque s’en ouvrir à Nico. Elle se retint in extremis, tâchant une fois de plus de ramener la conversation sur des questions plus générales.

A son grand soulagement, Nico n’insista plus.

La dernière éruption d’importance avait eu lieu trois mille six cents ans plus tôt, provoquant un raz de marée qui avait dévasté les côtes de la Turquie. D’autres cratères s’étaient formés à la suite de cette catastrophe, mais ils étaient éteints, quoique sous surveillance.

— A présent, je vous emmène en téléphérique, annonça-t il avec un sourire éclatant.

Il avait des dents singulièrement blanches, qui contrastaient avec sa peau bronzée. Son charisme était tel qu’Abby en frissonna. Une force d’un rare magnétisme, indéniablement sexuel, l’attirait vers cet homme, malgré elle.

Pendant le trajet jusqu’au port, dans la petite cabine suspendue au-dessus du vide, Abby fut prise de vertige et s’accrocha à plusieurs reprises au bras de Nico. Elle cacha même son visage au creux de son épaule pour ne plus voir le gouffre formidable qui béait sous leurs pieds. Quand ils furent enfin parvenus à destination, elle tremblait comme une feuille.

— Vous auriez pu me prévenir, fit-elle sur le ton du reproche.

Il se mit à rire, tout en la considérant avec étonnement. Se pouvait-il qu’une intrigante dénuée de scrupules soit aussi émotive et spontanée ? Pour la première fois, il se demanda s’il ne commettait pas une erreur de jugement. Pourtant, il se trompait rarement…

— Pour vous remettre de vos frayeurs, je vous propose un peu de shopping dans les boutiques du port.

— Je ne suis pas très dépensière, répondit-elle.

En fait, elle voulait acheter un ou deux souvenirs pour Jamie, mais avec Nico qui la surveillait comme un gardien de prison, c’était hors de question.

— Dans ce cas, vous ferez du lèche-vitrines en m’attendant.

Abby ne résista pas à l’envie de le moquer. Mine de rien, il avait réussi à lui extorquer une foule d’informations, alors qu’elle ne savait pratiquement rien de lui. Michael lui avait un peu parlé de son frère aîné, mais en termes vagues.

— Je n’imaginais pas un homme d’affaires en train de faire du shopping. N’est-ce pas un peu… féminin ?

— Que voulez-vous dire ? Vous me trouvez efféminé ?

Apparemment, il était vexé. Elle décida d’enfoncer le clou.

— Il n’y a pas de mal à avoir une sensibilité développée ou à porter de beaux vêtements à la dernière mode. Cela peut même constituer un atout et une arme de séduction.

— Je veux bien croire que ça marche avec certaines femmes. Mais probablement pas avec vous ! Je me trompe ?

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— Non.

— Seriez-vous tombée amoureuse de mon frère s’il s’habillait avec des vieux jeans et des pulls troués ?

— Je l’aimerais avec n’importe quels vêtements. De toute façon, la plupart du temps, il est en jean, vous savez. Même s’il ne porte pas de pulls troués.

— Je devrais aller plus souvent à Brighton.

Abby se crispa.

— Il est si occupé que vous ne le verriez pas beaucoup.

— Il consacrerait tout de même un peu de temps à son grand frère, j’espère ! Maintenant qu’il est fiancé, j’ai très envie d’aller fêter cela avec vous deux et de vous inviter au restaurant.

— Je croyais que vous résidiez surtout à Athènes.

— C’était vrai jusqu’à l’année dernière. Depuis que j’ai diversifié mes activités, j’ai pris un appartement à Londres, dans le quartier de Knightsbridge.

— Nous pourrions aller vous voir, suggéra Abby, qui craignait que Nico ne furète dans sa vie privée à Brighton. Ça me donnerait une occasion de me rendre à Londres. C’est si rare !

Si Nico découvrait sa condition de mère célibataire, cela apporterait de l’eau à son moulin. Il y verrait une raison de plus pour qu’elle mette le grappin sur un homme riche. S’il se braquait là-dessus, Michael finirait par craquer. Leur mise en scène visait essentiellement à tranquilliser le grand-père. Si jamais le frère aîné perçait à jour son secret… Cette pensée effrayait Michael.

Abby commençait à regretter de s’être embarquée dans cette histoire. Elle n’avait pas l’habitude de faire semblant et ne se sentait pas l’étoffe d’une comédienne de talent…

— Pourquoi ne le faites-vous pas ?

— Quoi donc ?

— Aller à Londres. Mon frère n’exige sûrement pas une compagnie de tous les instants ?

— Non, évidemment ! Mais… Vous savez ce que c’est, on se laisse étouffer par le quotidien. Petit à petit, on oublie ses rêves, ses projets…

— Vous en avez beaucoup ?

— Comme vous, comme tout le monde. Le travail ne suffit pas à faire notre bonheur.

— Je ne passe pas ma vie à travailler. J’ai beaucoup de distractions.

— Ah bon ? Quels sont vos loisirs préférés ? s’enquit-elle poliment.

Il se mit à rire doucement.

— Ceux qui impliquent le sexe opposé.

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Dans le silence qui suivit, Abby devint cramoisie, sous le regard amusé de Nico qui finit par voler à son secours.

— Je suis aussi un grand sportif. Je fréquente une salle de musculation au moins une fois par semaine, et je pratique régulièrement la natation. Ce n’est pas toujours facile, car je suis souvent en déplacement, même si je ne mène pas une existence de nomade comme vos parents.

Ils avaient pris un taxi pour revenir jusqu’à la petite ville et ils étaient arrivés. Bientôt, Nico s’arrêtait devant la porte d’une jolie boutique.

— Puisque vous n’avez pas emporté de maillot de bain, c’est le moment de réparer cette étourderie…

Effarée par les prix qu’elle lisait sur les étiquettes, dans la vitrine, Abby tenta de résister.

— Je n’en ai pas besoin.

— Je ne suis pas d’accord. Pour la bonne raison que je vous emmène à la plage et que vous serez très mal à l’aise si vous restez toute habillée.

— Je n’irai pas à la plage avec vous !

— Ah bon ? Pourquoi ? Cela fait partie de la visite touristique.

— Cela ne plairait pas à Michael…

— Pourquoi ?

— Parce que…

Elle s’interrompit, troublée, en se rendant compte qu’ils bouchaient le passage.

— Il croirait que je vous ai fait des avances ?

— Pas du tout ! Vous êtes grossier !

Il rejeta la tête en arrière et éclata de rire.

— Cette réflexion est vraiment drôle, de votre part, dit il en recouvrant son sérieux et en l’examinant derrière ses lunettes de soleil.

— Que voulez-vous dire ?

Sans répondre, Nico la saisit brusquement par le bras pour la coincer contre le mur. Puis il pencha son visage tout près du sien, si près qu’elle eut la sensation d’étouffer.

— Cessons ce petit jeu, vous et moi, murmura-t il d’une voix glaciale.

Il posa une main sur le mur, au-dessus de sa tête, pour l’empêcher de bouger et la forcer à l’écouter.

— Nous savons parfaitement ce qu’il en est de ces pseudo-fiançailles. Je vous ai longuement observée, en espérant que je me leurrais. Je suis persuadé que la seule chose qui vous plaise chez mon frère, c’est sa fortune. Et malheureusement, rien de ce que vous avez dit ou fait ne m’a convaincu du contraire.

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— Comment osez-vous dire une chose pareille ? articula Abby, le visage blême.

— Je ne suis ni sot, ni naïf, moi.

— Contrairement à Michael ?

— Michael… n’est pas comme tout le monde. A quatorze ans, alors que tous les autres garçons de son âge découvraient les joies de la testostérone, il essayait des recettes de cuisine et inventait de nouvelles marinades. Il vit dans son monde et s’imagine que les autres sont dignes de sa confiance. Il ne se rend pas compte de l’importance de l’argent pour la majorité des gens qui l’entourent.

Abby était atterrée, mais pas en mesure de rétablir la vérité…

— Vous n’avez rien compris.

— Vraiment ?

Incapable de proférer un son, elle demeura immobile, consternée, jusqu’à ce que Nico finisse par secouer la tête avec une expression exaspérée.

— Allons acheter ce maillot de bain. Du reste, l’endroit n’est pas idéal pour ce genre de conversation.

— Je ne risque pas de vous suivre à la plage, alors que vous venez de m’accuser… de…

— Nous n’en avons pas terminé. Tôt ou tard, il nous faudra épuiser le sujet. Si ce n’est pas maintenant, ce sera à la villa.

Il était impensable d’avoir une telle discussion dans la maison familiale, où n’importe qui pourrait les entendre…

— L’argent de votre frère ne m’intéresse pas ! fit valoir Abby une dernière fois en se demandant bien quels arguments auraient raison de son obstination.

Pour toute réponse, Nico la poussa à l’intérieur de la boutique. Là, il s’assit sur une chaise tandis que deux employées s’affairaient autour d’eux en minaudant. Abby n’avait jamais été l’objet de tant d’attentions dans un magasin.

— Je ne veux pas de maillot de bain, dit elle d’une voix plaintive.

La vendeuse la regarda sans comprendre, avec un sourire indulgent. Nico lui parla en grec. Une demi-heure plus tard, Abby ressortait avec un Bikini noir sous ses vêtements

Dans la voiture, Nico lui annonça qu’il avait un sac de plage dans le coffre, avec des serviettes et un pique-nique que la gouvernante avait préparé au dernier moment. Il avait donc tout manigancé à l’avance… Après avoir endormi sa méfiance avec quelques visites touristiques et des échanges de banalités, il passait à l’attaque et avait toute l’après-midi pour ruiner ses défenses.

Abby avait la désagréable impression que les battements de son cœur résonnaient dans le silence de l’habitacle.

— Les plages des petites îles alentour sont plus jolies, mais elles ne sont accessibles qu’en bateau, dit Nico en se garant.

Abby ne répondit rien. Maintenant que les intentions de Nico étaient claires, elle avait hâte d’en finir, même si elle ne voyait vraiment pas comment sortir de ce mauvais pas. Elle avait beau avoir suivi les

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conseils de Michael, s’être montrée polie et gentille, cela n’avait servi à rien. Son frère n’avait pas tort : Michael vivait dans un monde à part, sans soupçonner combien les autres pouvaient être arrogants ou même menaçants.

Pendant que Nico cherchait un endroit tranquille pour leur pique-nique, Abby le suivit à contrecœur, contemplant d’un air boudeur la célèbre plage de sable noir baignée par les eaux claires de la Méditerranée.

— Ce n’est pas la peine d’avoir l’air si déprimée, marmonna Nico en étendant les serviettes de plage.

— Je ne suis pas déprimée, rétorqua-t elle sèchement, je suis simplement très en colère. Vous m’avez prise en otage pour me reprocher des griefs totalement infondés ! Pour qui vous prenez-vous ? Avez-vous l’intention de vous acharner sur moi pour me faire craquer ? Vous êtes d’un mépris et d’une morgue insupportables ! Vous ne méritez pas d’avoir un frère aussi adorable, qui vous porte aux nues et qui vous admire.

Elle le foudroya du regard, croisant les bras dans une attitude de défi. Quelle petite peste ! pensa Nico. Il aurait presque pu se laisser prendre à son jeu… En tout cas, elle avait bel et bien embobiné son frère avec ses airs de sainte-nitouche. Lui-même avait bien failli croire à son personnage. Or le masque tombait, maintenant. Elle crachait son venin.

Ignorant cet éclat, il ôta sa chemisette et s’assit sur le sable.

— Eh bien ? lança Abby. Vous ne dites plus rien ?

— Asseyez-vous et calmez-vous. Vous êtes complètement hystérique.

— Et vous, modérez vos propos, monsieur Nico Toyas. Rien ne vous autorise à me parler sur ce ton supérieur.

— Je peux malgré tout vous donner un conseil avisé. Ne restez pas debout au soleil, vous allez attraper une insolation. De toute façon, vous n’avez aucune possibilité de regagner la villa par vos propres moyens.

Ecarlate, elle se laissa tomber rageusement sur la serviette.

— Venez-en au fait, lâcha-t elle abruptement.

— A quand est fixé le mariage ?

— Pardon ?

— La cérémonie. Avez-vous arrêté une date ?

— Non.

— Non ? Vous m’étonnez. A quoi bon des fiançailles si ce n’est pas pour convoler en justes noces le plus rapidement possible ?

— Cela bouscule votre théorie, n’est-ce pas ? railla-t elle. Vous imaginiez sans doute que je me promenais avec une calculatrice de poche pour additionner les millions que je convoitais. Eh bien, je suis désolée de vous décevoir, mais nous n’avons même pas encore fait de projets de mariage.

Elle était d’autant plus à l’aise pour en parler que c’était la stricte vérité.

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— Pourquoi ? fit Nico en scrutant son visage.

Il se trompait rarement quand il s’agissait de débusquer les émotions ou les sentiments de ses interlocuteurs. Il avait acquis ce talent à force de guetter les réactions de ses adversaires dans le monde implacable de la finance, où une simple erreur de jugement peut entraîner, en une fraction de seconde, des pertes colossales.

Il avait également une grande expérience des femmes.

— Toutes les femmes n’ont pas pour seul et unique objectif de glisser une bague à leur doigt, repartit elle avec une ironie mordante.

— Peut-être. Cependant, d’aucunes n’hésiteraient pas si on leur faisait miroiter des avantages financiers exorbitants.

— Je m’étonne, alors, que personne n’ait encore réussi à vous mettre le grappin dessus.

— Oh, rassurez-vous, elles ont été nombreuses à essayer.

— Pauvre Nico. Condamné au célibat et à la solitude parce qu’il croit que toutes les femmes en veulent à son argent !

— Nous ne sommes pas ici pour parler de moi, coupa-t il, glacial. D’ailleurs, je préfère aller droit au but : je ne vous laisserai pas épouser Michael.

On ne pouvait pas être plus brutal ni plus direct. Abby en resta bouche bée.

— Vous êtes extrêmement habile, reprit-il. Si vous n’avez pas encore fixé la date du mariage, c’est tout simplement pour ne pas paraître trop précipitée. Michael est peut-être naïf, mais vous savez comme moi qu’il n’est pas idiot. En manifestant une trop grande hâte, vous auriez risqué d’éveiller ses soupçons.

Abby n’en croyait pas ses oreilles. Débarrassé de son masque courtois, Nico se montrait sous son jour véritable. Dur, insensible, autoritaire.

— Vous n’avez pas à me dire avec qui je peux me marier ou pas, répondit-elle enfin, prise de court.

— Si, quand cela concerne ma famille. Autrement, il va de soi que je me fiche éperdument de vos projets matrimoniaux.

Il feignit de ne pas remarquer le léger tremblement de sa bouche. Elle prodiguait pour rien ses talents d’actrice !

— Je suis affligée par ce que j’entends, chuchota Abby.

— Vous auriez dû vous attendre à rencontrer un peu de résistance. Maintenant, il ne me reste plus qu’à évaluer avec vous le prix de votre rupture.

Au début, il avait pensé l’obliger à se dévoiler devant Michael. Mais il lui aurait fallu davantage de temps. En trois jours, il n’y parviendrait pas.

— Je ne comprends pas où vous voulez en venir, dit-elle, abasourdie par tant de cynisme.

Nico soupira.

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— Je vous ai bien observée avec mon frère. Il n’y a aucune passion entre vous, c’est évident. Malgré tout, je ne peux pas nier les liens de tendresse qui vous unissent. Je suis juste et honnête…

— Comment ?

Abby faillit s’étrangler de rire, tandis qu’il poursuivait, sans prêter attention à son interruption :

— Je suis prêt à vous dédommager généreusement, si vous acceptez de rompre vos fiançailles. Je ne sais pas quel motif vous invoquerez et à vrai dire ça ne m’intéresse pas. Mais je vous fais confiance, vous trouverez une solution qui satisfera tout le monde. Ainsi, je pourrai repartir l’esprit tranquille. J’évite à mon frère la rude désillusion qui l’aurait anéanti le jour où vous auriez demandé le divorce. De plus, je vous laisse la possibilité de conserver intacte votre amitié avec lui. Prenez autant de temps qu’il vous sera nécessaire pour rompre en douceur. En échange, vous y gagnerez de l’argent. C’est tout bénéfice pour vous.

Le sang afflua aux joues de la jeune femme, qui devint rouge de honte et de colère à la fois. Incapable de maîtriser sa réaction, elle se pencha pour lui asséner une gifle retentissante.

Chapitre 4

Michael avait insisté pour offrir une robe de soirée à Abby. Elle avait d’abord refusé poliment, puis avait fini par se rendre à ses raisons. Elle n’avait pas les moyens de rivaliser avec les femmes du monde qui assisteraient à la réception et se serait sentie ridicule ou déplacée avec une tenue trop ordinaire.

Abby examina son reflet dans la grande glace. Le taffetas grenat mettait en valeur la délicatesse de son teint de blonde et pour une fois, elle avait pris la peine de se maquiller. Avec ses talons aiguilles, elle avait de l’allure.

Elle pivota légèrement pour voir le dos très décolleté — presque jusqu’à la taille. Avant de s’éclipser pour accueillir les invités qui commençaient à arriver, Michael lui avait assuré qu’elle tournerait la tête de tous les hommes. Abby en connaissait au moins un qui resterait insensible à son charme, mais elle s’était bien gardée de rien dire, tout comme elle s’était abstenue d’évoquer les propositions « généreuses » dont elle avait été l’objet.

Elle eut un soupir las. A 7 h 30 passées, il était temps de descendre pour se mêler à la fête. Elle avait téléphoné en Angleterre et bavardé avec Jamie. Hélas, même la petite voix de son fils n’avait pas réussi à dissiper la tension qui lui nouait l’estomac.

Dieu merci, Nico devait repartir le lendemain, dans l’après-midi. Il ne serait pas trop difficile de l’éviter jusque-là, avec tout ce monde…

La journée épouvantable qu’elle avait passée avec lui repassait inlassablement dans sa tête, telle une vidéo en boucle, jusqu’à la gifle qui l’avait si fâcheusement clôturée. Naturellement, cela n’avait rien arrangé, mais au moins ce geste l’avait soulagée.

— Je vous pardonne pour cette fois, avait soufflé Nico entre ses dents serrées. Mais ne vous avisez jamais de recommencer. Et si j’ai un bon conseil à vous donner, réfléchissez à ma proposition. De toute façon, avec ou sans argent, vous quitterez Michael. Sachez au moins préserver vos intérêts.

Ils étaient revenus à la villa dans un silence mortel. Pendant tout le trajet, Abby s’était recroquevillée contre la portière, les yeux perdus dans le vague. A l’évidence, il était inutile de discuter avec Nico pour tenter de se disculper. Il ne l’aurait même pas écoutée.

— Bon, il est temps de faire mon apparition, dit elle à son reflet. Je vais tâcher de ne pas me cacher dans les coins…

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Elle sortit de la chambre la tête haute, bien résolue à ne pas s’écraser devant Nico Toyas. Il avait l’habitude qu’on lui obéisse au doigt et à l’œil. Tous courbaient l’échine ou rampaient devant lui. Un froncement de sourcils, et on accourait pour le satisfaire, de peur de subir sa colère.

Mais il ne l’intimidait pas ; elle ne céderait pas devant lui.

Une foule nombreuse se pressait dans les salons. Si Abby avait rencontré quelques-uns des invités au retour de son excursion désastreuse, la plupart lui étaient inconnus. Ils étaient arrivés au dernier moment, par bateau ou hélicoptère, et repartiraient par les mêmes moyens à la fin de la soirée.

Durant quelques secondes, submergée par une panique irraisonnée, elle faillit rebrousser chemin. Malgré tout elle s’obligea à avancer vers la première personne qu’elle reconnut, tout en essayant de localiser Michael. Elle s’efforça aussi d’apercevoir Nico, afin de se tenir le plus loin possible de lui.

Des serveurs en gants blancs présentaient des flûtes de champagne et des plateaux de canapés fins, dans une ambiance gaie et animée. Les rires éclataient un peu partout ; des groupes se formaient ou se défaisaient, au gré des conversations.

Redoutant de se sentir à l’écart, Abby avait figé un sourire poli sur ses lèvres, se préparant à échanger des banalités avec des inconnus. Cependant, à sa grande surprise, on l’accueillit avec enthousiasme et intérêt. Les femmes la complimentèrent sur sa toilette et des messieurs d’âge mûr, très respectables, mirent un point d’honneur à lui parler dans un anglais qu’ils maîtrisaient parfaitement, sauf pour l’accent.

Elle avait beau chercher Michael, il n’était nulle part…

Elle pestait intérieurement contre lui lorsqu’une voix chuchota à son oreille ce qu’elle pensait tout bas :

— Mon frère néglige sa compagne. Ce n’est pas bien de sa part. Il devrait veiller sur vous.

Abby se figea. Puis elle prit une profonde inspiration, et se tourna vers Nico.

Il émanait de lui un charme extraordinaire, dévastateur. Il portait un pantalon noir mais, bravant les conventions, il avait ôté la veste de son smoking et roulé les manches de sa chemise blanche au-dessus des coudes. Il avait également dénoué son nœud papillon pour déboutonner son col.

D’où avait-il surgi ? Il avait dû rôder et l’épier pendant un bon moment, prêt à bondir sur sa proie quand le moment propice se présenterait.

— Savez-vous où est Michael ? s’enquit-elle froidement.

— Je l’ignore. Mais je sais qu’il devrait surveiller sa fiancée, surtout dans cette tenue.

— Que voulez-vous dire ?

Abby avala d’un trait le reste de sa flûte, sans parvenir pour autant à se décrisper.

— Avec ce décolleté plongeant dans le dos, on a envie d’en découvrir davantage côté face.

Abby rougit. Cette voix grave, sensuelle et provocante, avait fait naître un frisson le long de sa colonne vertébrale.

— Je suis désolée, mais il faut que je retrouve Michael.

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— Pourquoi ? Vous vous débrouillez très bien sans lui. C’est bizarre, d’ailleurs.

— Je ne vois pas ce que cela a de bizarre, répliqua-t elle sur un ton irrité.

— Vous êtes fiancés depuis peu. A ce stade, on répugne à se séparer, même pour quelques minutes. On reste main dans la main, les yeux dans les yeux, à se contempler et à se murmurer des mots d’amour.

— Je n’imaginais pas qu’un homme comme vous ait des conceptions aussi romantiques, répondit Abby.

Mais il avait raison. Michael aurait dû se tenir fièrement à ses côtés, ravi de la présenter à sa famille et ses amis.

— Moi, en tout cas, je veillerais jalousement sur ma petite amie, si j’étais lui.

— Les mentalités ont évolué, en Angleterre. On n’est plus aussi possessif qu’au Moyen Age.

— Ce qui explique pourquoi les Anglaises manquent parfois tant de féminité. Trop d’indépendance nuit aux relations entre les sexes.

Piquée au vif, Abby oublia qu’elle s’était promis de fuir cet homme dangereux pour se lancer dans la discussion.

— Les suffragettes du début du XXe siècle qui ont combattu pour le droit des femmes seraient ravies de vous entendre ! Elles finiraient probablement par vous lyncher. Pour votre gouverne, apprenez que l’indépendance est non seulement souhaitable, mais indispensable. Un homme confiant et sûr de lui n’a pas besoin d’une femme aux petits soins qui le place sur un piédestal.

Malheureusement, la vie s’était chargée de lui donner des leçons douloureuses et elle en savait long sur la question…

— Vous vous méprenez. Je suis un farouche défenseur des droits des femmes. En particulier, je ne tolère pas ces patrons qui pratiquent la discrimination sexuelle en abaissant systématiquement le niveau des salaires féminins. Je crois sincèrement en l’égalité des sexes, dans tous les domaines. Ma remarque sur l’absence de Michael n’a rien à voir avec le fait que vous soyez émancipée ou pas. Vous êtes toute seule, au milieu de gens que vous ne connaissez pas. Il me semble que la place de votre fiancé est à vos côtés.

Désarmée, Abby resta un instant sans voix.

— Michael…, commença-t elle. Michael a beaucoup de monde à voir. Il serait resté avec moi, si j’avais insisté. Je suis parfaitement heureuse ainsi, à passer de groupe en groupe. J’adore observer les gens. Cela me divertit…

— C’est ce que vous faites en Angleterre, quand vous êtes invités à des fêtes ou des réceptions ?

— Nous ne sortons pas beaucoup, repartit Abby, circonspecte. N’oubliez pas que Michael a des horaires très particuliers. Il travaille beaucoup le soir. De plus, il s’occupe d’une association qui lui prend beaucoup de temps.

— Cela ne vous ennuie pas ?

— Ne restons pas à l’écart. Nous devrions parler aux autres.

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— Je suis curieux.

— Simplement ? lança Abby, sarcastique. A mon avis, vous cherchez plutôt des arguments à l’appui de votre théorie. Vous m’avez déjà exposé vos soupçons. Inutile de discuter davantage. Cela ne changerait rien !

— Quelles que soient vos raisons d’épouser mon frère, vos réponses m’intéressent. Expliquez-moi pourquoi une femme envisagerait de se marier avec un homme qui n’est jamais à la maison.

Il fit signe à un serveur, prit deux flûtes de champagne sur un plateau et lui en tendit une. Il était sincèrement curieux de cette femme souriante et radieuse. Elle l’intriguait, avec ses cheveux incroyablement blonds, très raides, sans apprêt. Ils lui donnaient un air de gamine qui ajoutait encore à son charme et son sex-appeal. Elle avait une allure folle. Comment Michael pouvait-il la délaisser ?

A sa place…

— Le cas n’est pas si rare. Il y a des tas de femmes mariées à des hommes qui travaillent la nuit ou…

— Je ne parle pas du problème en général. Ce qui m’intéresse, c’est vous, en particulier.

Abby but une gorgée de champagne comme on prend un médicament. Aussitôt l’alcool échauffa ses joues. Son intuition lui commandait de fuir la présence de Nico, dont toutes les questions étaient orientées vers un seul but : trouver la faille dans son armure pour lui porter le coup fatal. Il avait décidé une fois pour toutes de l’empêcher de mettre la main sur les millions des Toyas. Elle en avait la nausée. Pourtant, en même temps, quelque chose d’indéfinissable la contraignait à désobéir à son instinct.

Deux verres de champagne dans un estomac vide n’arrangeaient rien et lui délièrent la langue, réveillant des souvenirs dans sa mémoire engourdie.

— Les gens ont besoin de respirer, dans un couple, dit elle en haussant les épaules. Ça leur permet de prendre du recul.

Nico ne la quittait pas des yeux.

— Vous pensez que c’est nécessaire ?

— Bien sûr. Quand on réfléchit, on domine mieux ses émotions. On a moins de chances de se tromper et de se ridiculiser en faisant confiance à quelqu’un qui ne le mérite pas.

Elle esquissa un faible sourire, avant d’ajouter :

— Je parle en général, naturellement.

— Qui était-ce ?

— Je ne comprends pas de quoi vous parlez.

Le brouhaha des rires et des conversations semblait subitement très lointain. Cet homme avait réussi à l’attirer dans son orbite. Le cœur d’Abby se mit à cogner très fort dans sa poitrine ; ses battements résonnaient contre ses tempes.

— Mais si, vous me comprenez très bien, murmura-t il, presque étonné qu’elle puisse nier l’évidence.

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Les lumières jetaient des ombres sur son visage un peu anguleux, créant une aura de virilité, attirante et plus du tout menaçante.

Abby frissonna.

— Eh bien ? Qui était-ce ? Il ne s’agit évidemment pas de Michael. De qui parliez-vous, à l’instant ?

A la lueur des lampions qui éclairaient le jardin, les cheveux de la jeune femme brillaient comme de l’or. L’espace d’une seconde, il dut résister au désir complètement insensé de tendre la main pour les toucher.

Abby émit un petit rire gêné.

— Oh, juste quelqu’un que j’ai connu et… il était complètement différent de celui que je croyais.

Une nouvelle pulsion, plus déraisonnable encore, s’empara de Nico. L’envie de tuer l’homme responsable d’une telle désillusion… Devant le cours délirant que prenaient ses pensées, il se ressaisit dans un brusque sursaut.

Mais sa curiosité n’était toujours pas assouvie…

L’arrivée impromptue de Michael l’irrita, surtout lorsque son frère passa un bras autour des épaules d’Abby pour la serrer contre lui, en déclarant :

— C’est la reine du bal, n’est-ce pas ? Au fait, mama voudrait te présenter ta future épouse. Alexis Papaeliou.

Il cligna de l’œil d’un air espiègle avant d’ajouter, en levant son verre :

— Tu vas avoir du mal à te défiler…

En dépit de son envie d’envoyer Michael au diable, Nico plaqua un sourire sur ses lèvres. Même sans regarder Abby, il avait une conscience aiguë de sa présence, jusque dans les moindres fibres de son être. C’était… pure folie.

— Alexis Papaeliou… Le nom me dit quelque chose, en effet.

— Tout à fait ton genre, frangin. Très brune, des courbes opulentes, avec une robe extravagante qui ne dissimule rien… Je m’étonne que mama ne vous ait pas encore mis en présence, tous les deux.

« Bien en chair et pas grand-chose dans la cervelle. Ça ne m’étonne pas », songea Abby en regrettant aussitôt cette pensée peu charitable, dictée uniquement par le besoin de se venger de la méchanceté de Nico.

— Je n’ai pas un « genre » particulier, protesta Nico.

— Mais si, se récria Michael, qui prenait un malin plaisir à taquiner son frère. Souviens-toi de la première petite amie que tu as ramenée à la maison ! Tu avais dix-sept ans.

Il se pencha à l’oreille d’Abby pour murmurer, assez fort cependant pour être entendu :

— Elle s’appelait Rachel. Nico était très fier de sa conquête. Elle lui avait avoué dix-neuf ans, alors qu’elle en avait trente… Elle avait aussi un enfant.

— Elle faisait très jeune, argua Nico nerveusement.

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— Ensuite, il y a eu Nora. Une beauté brune, elle aussi. Pulpeuse. Mais pas très futée.

— Elle avait d’autres atouts.

— Allez vite rejoindre Alexis, intervint Abby en s’efforçant de garder son sérieux. C’est peut-être la femme de votre vie, cette fois-ci !

Nico hésita en fronçant les sourcils devant cet ange blond qui lui inspirait des sentiments si contradictoires. La fiancée de son frère, en plus ! Michael et Abby partageaient la même chambre, dormaient dans le même lit… Les émotions qui l’agitaient étaient complètement déplacées. Il perdait la tête !

Dieu merci, Alexis Papaeliou avait tout ce qu’il fallait pour remettre ses idées en place. Vive, spirituelle, intelligente… Fort émancipée de surcroît, et avec des ambitions professionnelles très affirmées. Tout en lui parlant, il chercha des yeux Abby, de nouveau abandonnée par Michael, mais courtisée par un aréopage de distingués jeunes gens. En plus de donner des conseils à son frère, il faudrait aussi le mettre en garde…

Alexis évoquait à présent ses hobbies. Elle pratiquait l’équitation et envisageait de s’inscrire à des cours de peinture pour s’occuper, lorsque le temps serait venu de se marier et d’avoir des enfants.

C’est à ce moment-là que Nico décida de couper court à la conversation. Malheureusement, sa chère mère l’avait placé à côté de ce beau parti pour le dîner, ce qui l’empêcha de battre définitivement en retraite. Assise entre grand-papa Silvio et Michael, Abby avait le rose aux joues et parlait avec animation. Avait-elle bu beaucoup de champagne ? Nico, qui n’avait plus vu son grand-père rire depuis la mort de sa femme, plus de vingt ans auparavant, aurait donné cher pour entendre ce qu’Abby lui disait. Silvio n’était d’ailleurs pas le seul à apprécier la jeune femme, qui se mit à bavarder gaiement avec une de leurs tantes. Manifestement, elle avait conquis la famille et se partageait la vedette avec le patriarche.

S’arrachant à cette observation indiscrète, Nico reporta son attention sur sa compagne, qu’il réussit à charmer sans peine, même s’il évitait de trop se livrer. Les mets les plus exquis se succédèrent tandis que les serveurs professionnels, engagés pour l’occasion, passaient de table en table pour servir les invités, au nombre de quatre-vingts. Naturellement, les vins millésimés étaient à la hauteur ; mais Nico, qui préférait garder la tête froide, ne but que parcimonieusement.

Un peu avant minuit, Silvio réclama le silence en cognant son couteau contre son verre en cristal. Il s’acquitta avec élégance du discours de circonstance, remerciant ses hôtes de s’être déplacés pour lui souhaiter son anniversaire, sans oublier d’évoquer la mémoire de sa tendre et regrettée épouse.

Quand les applaudissements retombèrent, plusieurs personnes prirent la parole à leur tour, dont Michael, depuis toujours le préféré du grand-père. Puis ce fut Nico qui, très solennel, retraça la vie de Silvio, avec cocasserie ; certains passages pleins d’émotion, toutefois, firent monter des larmes aux yeux de Lina.

Au moment de lever son verre une nouvelle fois, Abby frémit en croisant le regard de Nico. Pourquoi lui faisait-il si peur ? Tout au long de la soirée, elle s’était interdit de tourner la tête de son côté, malgré une conscience aiguë de sa présence. Maintenant, ses yeux perçants la mettaient horriblement mal à l’aise. Le souvenir de son corps bronzé et musclé, tel qu’il lui était apparu sur la plage, s’imposa à son esprit, se superposant à l’image du nageur dont elle avait admiré la prestesse, le premier jour, du bord de la piscine.

Sans doute, contrairement à son habitude, avait-elle un peu trop bu…

On était à la fin du repas, et les gens commençaient à se lever pour embrasser le vieil homme, ou simplement se délasser en se promenant dans les jardins. Quelques couples dansaient sur une

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chanson de Nat King Cole, dont on avait retrouvé tous les disques dans les archives familiales, avec d’autres standards qui remontaient à l’époque de la jeunesse de Silvio.

— Il est peut-être temps de s’éclipser ? suggéra Abby en se penchant vers Michael.

— La nuit ne fait que commencer, répondit-il en la serrant contre lui. Tu as été merveilleuse, ma chérie. Tu as plu à tout le monde.

— Je suis un peu fatiguée…

— Accorde-moi au moins cette danse. Ensuite, tu iras te coucher si tu veux. Moi, en tout cas, je compte bien continuer à m’amuser.

Elle obtempéra de bonne grâce et ils se mêlèrent aux couples qui évoluaient sur la terrasse. Du coin de l’œil, elle aperçut Nico, qui serrait sa compagne de très près. Passeraient-ils la nuit ensemble ? Pourquoi éprouvait-elle ce curieux pincement au cœur ? Rouge de confusion, elle se cacha au creux de l’épaule de Michael, qui était un merveilleux danseur, et se laissa guider en fermant les yeux. Quel instant agréable ! songea-t elle en prêtant l’oreille à ses réflexions et ses commentaires pleins d’humour.

La voix de Nico la tira brutalement de sa demi-torpeur et elle sursauta, sans comprendre tout de suite qu’il l’invitait à danser avec lui. Avant même qu’elle puisse refuser, Michael avait changé de cavalière, et elle quitta à regret le refuge de ses bras, en s’efforçant de maintenir à bonne distance son nouveau partenaire.

— Détendez-vous, lança Nico, sarcastique. Suivez le rythme de la musique au lieu de vous crisper.

— Déjà lassé par votre fiancée ? répliqua-t elle avec insolence.

Pour toute réponse, il eut un petit rire qui lui donna la chair de poule. Malgré le désordre de son esprit, elle avait clairement conscience de le trouver terriblement séduisant. Et la manière dont son propre corps réagissait à son contact l’effrayait. La pointe de ses seins s’était durcie…

— Alexis n’est pas ma fiancée, fit il tranquillement. Bien qu’elle corresponde tout à fait au profil idéal.

— Au profil idéal ? répéta Abby, s’écartant pour voir s’il plaisantait à ses dépens.

Quand il la serra de nouveau contre lui, les battements de son cœur redoublèrent. Il les entendait forcément, s’affola-t elle.

— Nous autres Grecs sommes très traditionalistes, répondit Nico. Selon nos critères, Alexis est parfaite. Elle est issue d’un excellent milieu ; sa famille entretient les meilleures relations avec la nôtre ; et elle nourrit les ambitions les plus respectables. Elle espère mettre au monde de nombreux bébés, auxquels elle se consacrera, ainsi qu’à son mari…

— Quel modèle, en effet ! l’interrompit Abby avec une pointe de dédain.

— Que signifie ce ton méprisant ? Vous croyez valoir mieux ?

La tiédeur de la nuit, le champagne, la musique, tout concourait pour envahir Abby d’une langueur qui émoussait son agressivité. Elle retrouva cependant assez de mordant pour rétorquer :

— Comment le pourrais-je ? Vous oubliez qui je suis : une aventurière sans scrupules, uniquement préoccupée par l’état de son compte en banque. Je ne suis vraiment pas quelqu’un de recommandable.

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Nico ressentit une brusque secousse d’adrénaline.

— Michael n’a sans doute pas eu l’occasion d’essuyer vos remarques acerbes. Vous avez une vraie langue de vipère.

— N’exagérez pas. A vous entendre, on me prendrait pour une mégère… De toute façon, je suis fatiguée. Je vais me coucher.

— Je ne sais pas si Michael sera d’accord pour vous accompagner. Il a plutôt l’air de s’amuser…

— Il compte rester jusqu’à la fin. Nous en avons parlé tout à l’heure et il a bien raison de se distraire. Je m’en voudrais de le brimer. Il travaille tellement dur, en Angleterre…

— N’êtes-vous pas un peu trop tolérante ? Vous n’avez pas peur qu’il en profite, un jour ou l’autre, pour commettre des infidélités ?

Abby ne put s’empêcher de glousser. Puis, comme Nico l’attirait sur le côté pour la considérer d’un air perplexe, elle tenta de se justifier :

— Pardonnez-moi, c’est le champagne. Je n’ai pas l’habitude de boire…

Le comportement de cette femme intriguait de plus en plus Nico, qui ne savait plus que penser.

— Vous êtes très sûre de vous, pour croire que Michael serait incapable de vous tromper…

Abby recouvra promptement ses esprits.

— Ce n’est pas du tout ça… Simplement… Je ne suis pas dans mon état normal.

— Je vous raccompagne jusqu’à votre chambre.

— Non !

— Par courtoisie, rien d’autre…

Jetant un coup d’œil en direction de son frère, il ajouta :

— Apparemment, il est en train de raconter une histoire drôle. Je ne voudrais pas priver son auditoire de la chute.

Abby se tourna elle aussi vers Michael et un sourire indulgent se peignit aussitôt sur ses lèvres.

— Quel gamin, vous ne trouvez pas ?

De nouveau, l’expression de la jeune femme sema le trouble et la confusion dans l’esprit de Nico. Il avait peur de se tromper. Pourtant, cette complicité mêlée d’indulgence…

Qu’est-ce donc qui le poussait à vouloir pénétrer davantage dans l’âme de cette femme ? Il ne pouvait se résoudre à la quitter si vite. Or il partait le lendemain… L’espace de quelques secondes, il éprouva une sensation qu’il n’avait encore jamais connue, de toute son existence… comme s’il perdait totalement le contrôle de ses réactions.

— Venez, murmura-t il en la prenant par le coude.

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Hypnotisé par la pâleur de son décolleté, il devina, dans l’ombre, la présence d’Alexis, qui devait s’étonner, et peut-être se fâcher, qu’il l’ait plantée là sans le moindre ménagement. Heureusement, sa mère et son grand-père étaient partis se coucher depuis un bon moment. Il aurait eu du mal à leur expliquer pourquoi il raccompagnait Abby, et surtout pourquoi il avait tant envie de prolonger cet instant d’intimité avec elle…

Chapitre 5

Maintenant qu’elle ne se sentait plus obligée de faire bonne figure, Abby se rendait compte du stress que cette soirée avait généré en elle. Le trac l’avait épuisée et elle n’avait qu’une envie : se débarrasser au plus vite de l’importun qui l’escortait galamment jusqu’à sa chambre. Mais il s’obstinait à lui parler…

— J’espère que vous comprenez le motif de mes inquiétudes, Abby.

— Je ne veux plus discuter avec vous. Je suis fatiguée et j’ai sommeil.

Nico se hérissa. Son séjour sur l’île touchait à sa fin et son enquête ne l’avait mené nulle part. Il n’avait rien découvert dont il puisse se servir pour mettre en garde sa mère ou Michael contre les visées de cette femme. Elle n’avait même pas mordu à l’appât lorsqu’il avait essayé de l’acheter…

Et voilà qu’elle le congédiait, sans formalités.

— Michael risque d’être déçu s’il vous trouve endormie en rentrant de sa folle soirée.

— Je ne crois pas.

Abby aperçut avec soulagement la porte de sa chambre. L’immense villa, presque vide à leur arrivée, était maintenant pleine de monde, et cette pensée la rassura.

— Au fait, reprit Nico, vous vivez ensemble, tous les deux ?

Cela expliquerait, songea-t il, la grande familiarité de leurs relations. Et la facilité avec laquelle Abby avait rejeté son offre financière. Si elle profitait déjà de la fortune de Michael, en partageant son toit et son mode de vie, la proposition qu’il lui avait fait miroiter perdait de son attrait. Sans être matérialiste, Michael aimait les belles choses et savait s’entourer d’objets de valeur. Nico s’en voulait, maintenant, de ne lui avoir jamais rendu visite à Brighton. Il se serait rendu compte par lui-même de la situation, au lieu de se perdre en conjectures.

— Non, répondit Abby. J’ai un appartement. Eh bien… Merci infiniment de votre obligeance, me voici arrivée à bon port. Quoique je ne me serais certainement pas égarée toute seule !

Elle lui adressa un large sourire.

— Ah, vous ne vivez pas ensemble ? Je suis très surpris.

Avec un geste qui la prit totalement de court, il tendit la main pour ouvrir la porte et s’insinua à l’intérieur sans lui laisser le temps de protester.

Puis il lui fit face.

— Je ne pensais pas que les fiancés restaient, à notre époque, si attachés aux conventions.

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Debout sur le seuil de la pièce, Abby croisa les mains dans son dos pour tâcher de dissimuler sa nervosité. Derrière Nico, la lampe posée sur la commode éclairait le canapé sur lequel Michael avait fait la sieste, et qu’il n’avait pas pris le temps de remettre en ordre.

Jusque-là, ils avaient sauvé les apparences et tout rangé scrupuleusement avant l’arrivée des femmes de ménage, le matin, pour éviter ragots et bavardages. Abby aurait préféré avoir une chambre à elle, mais la famille de Michael n’aurait pas manqué de relever cette bizarrerie et elle y avait renoncé. A présent, avec les draps froissés et les oreillers en désordre, toute la mise en scène s’effondrait…

— J’aime bien disposer de mon espace personnel, marmonna-t elle sur un ton d’excuse. Et avec les horaires si particuliers de Michael, nous passons rarement nos soirées ensemble, ce qui fait que nous avons chacun nos habitudes

L’image de Jamie éparpillant ses jouets dans le salon traversa fugitivement son esprit. Encore une chose qu’il fallait cacher à tout prix… Il lui tardait de plus en plus de se débarrasser de cet indiscret.

— C’est tout de même plus pratique et moins onéreux de vivre sous le même toit. Dans une grande maison, par exemple…

Pourquoi insistait il si lourdement ?

— Sans doute. Bon…

Elle bâilla ostensiblement et recula d’un pas pour l’inviter à sortir. Mais il ne bougea pas. Au contraire, il alluma le lustre et s’avança pour ramasser, sur le tapis, les coussins du canapé. Repoussant le drap chiffonné, il les remit en place avec un sourire ironique.

— Vous avez eu un différend ? Une petite scène de ménage, peut-être ?

— Vous ai-je dit combien j’étais fatiguée ?

— Oui, plusieurs fois.

— Si vous étiez doté d’une once de politesse, vous auriez la décence de me laisser tranquille.

— De plus en plus curieux… Expliquez-moi…

— Il n’y a rien à expliquer, l’interrompit-elle le plus sèchement qu’elle put. Michael a fait la sieste sur le divan, voilà tout.

— Alors qu’il y avait un lit confortable juste à côté ?

— Je n’ai rien à vous dire de plus !

Nico s’approcha, et elle se retrouva coincée contre le mur.

— Vous ne couchez pas avec mon frère ! lui dit-il, comme s’il l’en accusait.

— C’est ridicule !

Pourtant, sa conclusion était des plus logiques… Comme elle s’en voulait, à présent, de ne pas avoir rangé un peu avant de partir ! Mais elle était tellement anxieuse, au début de la soirée, qu’elle n’avait pas prêté attention au désordre de la pièce. De toute manière, personne, normalement, n’aurait dû rentrer dans leur chambre.

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— Je me demande bien pourquoi…

— Sortez ! lui ordonna-t elle. Sinon…

— Sinon quoi ? Vous allez crier ? Appeler au secours ? Me frapper ?

Il marqua une pause, en éprouvant un délicieux sentiment de triomphe. Il l’avait mise au pied du mur. D’une manière inattendue, certes, mais elle était vraiment très embarrassée.

Et elle ne couchait pas avec Michael, se dit il, avec un soulagement inexplicable.

— Mon frère ne vous attire pas ?

— Je ne répondrai à aucune de vos questions. Et quand Michael saura que vous m’avez harcelée…

— Moi ? Vous harceler ? Je suis simplement curieux.

Une lueur s’alluma au fond de ses yeux noirs.

— Vous êtes peut-être une perverse ? Vous aimez jouer les tentatrices ? Vous exhiber sans qu’on ait le droit de vous toucher ?

— Quelle horreur ! Je ne vous permets pas !

— Ou alors, l’attirance physique ne compte pas parce que vous êtes frigide…

Abby sentit son cœur résonner dans sa poitrine et des petites gouttes de transpiration perlèrent sur ses tempes. Jamais elle ne s’était sentie prise au piège comme ce soir-là. Elle avait l’impression d’être une biche acculée par un loup écumant. Et elle avait peur, même si elle se répétait qu’il ne pouvait rien savoir, rien deviner.

Nico ne fut pas décontenancé par son silence. Il ne savait plus ce qui le poussait, son désir de protéger son frère ou l’envie de découvrir la vérité intime de cette frêle jeune femme qu’il retenait prisonnière et qui le considérait avec de grands yeux pleins de méfiance. Malgré un calme apparent, le pouls qui battait à la base de son cou trahissait son émotion. Il avait envie d’effleurer cette veine du bout du doigt…

— Je me moque de ce que vous pensez, Nico…

— Faux.

— Pourquoi m’en soucierais-je ? Vous êtes trop sûr de vous.

— Vous êtes bien obligée de tenir compte de mon opinion. Que cela vous plaise ou non, Michael ne vit pas dans un no man’s land, et je suis son frère. Si, comme vous le prétendez, sa fortune ne vous intéresse pas, et s’il ne vous attire pas physiquement, pourquoi entretenir une relation avec lui ?

— Je n’ai jamais dit qu’il ne me plaisait pas. D’ailleurs, je le trouve très beau.

— Mais pas assez pour coucher avec lui. Le respect est une valeur que j’estime énormément. Seulement, que se passera-t il le jour où Michael en aura assez de son rôle de gentleman ? Insisterez-vous pour qu’il vous passe la bague au doigt avant de l’inviter dans votre lit ? Vous jouez habilement de votre soi-disant pudeur. Plus une femme se rend inaccessible, plus on a envie de la conquérir…

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Mue par la panique, Abby leva la main dans un geste de colère ; cette fois-ci Nico la retint en saisissant fermement son poignet.

— Vous m’avez giflé une fois. Cela ne se reproduira pas. Du reste, c’était une fois de trop.

Il l’attira vers lui, et l’atmosphère se chargea d’une électricité presque palpable. Le souffle court, les pupilles dilatées, Abby se mit à trembler de tous ses membres. Cette réaction n’échappa pas à Nico qui en fut d’autant plus troublé qu’il ressentait lui-même un désir vertigineux. Il ne trouvait pas d’autres mots pour décrire la sensation qui s’emparait de lui.

Une succession d’images défila dans son esprit, depuis la première fois qu’il l’avait vue, quand elle était descendue du taxi, jusqu’à ce soir.

— J’ai envie de vous frapper ! lança Abby d’une voix étranglée.

Il la dévisageait de ses yeux noirs qui semblaient percer ses défenses, et les coins de sa bouche s’ornaient d’un rictus ironique… Comme elle détournait le regard, il murmura :

— Je suis sûr que vous avez d’autres envies…

— Je ne vois pas ce que vous voulez dire, bredouilla-t elle.

— Mais si, vous me comprenez parfaitement.

Il lâcha son poignet, sans reculer. Au contraire, il appuya ses deux mains sur le mur, les coudes légèrement pliés, sans la toucher mais en la frôlant, à quelques centimètres seulement.

Abby suffoquait. Pourtant, l’intensité de ses sensations ne lui déplaisait pas. Dans un éclair de lucidité, elle se rendit compte qu’elle évitait depuis des années tout contact avec le sexe opposé. Elle sortait en groupe, avec des amis, flirtait même un peu, mais uniquement en paroles. Elle ne laissait jamais personne l’approcher. Quel mystère faisait que cet homme avait réussi à briser les barrières qui la protégeaient ?

Elle entrouvrit les lèvres pour protester avec énergie ; aucun son n’en sortit. Quand il se pencha pour poser sa bouche sur la sienne, elle eut un gémissement sourd. Puis il prit son visage entre ses mains — et elle se sentit perdue.

Tous les désirs, les besoins qu’elle avait si sévèrement réprimés refirent surface avec une brutalité qui la désarma. Remuée jusqu’au fond de l’âme, elle répondit de tout son être à ce bouleversant baiser.

Cependant, presque aussitôt, les leçons qu’elle avait tirées de ses expériences, et l’image de Michael, s’imposèrent à son esprit et lui dictèrent plus de retenue. Elle repoussa Nico pour se dégager.

Il recula, sans insister. Quelques mèches de ses superbes cheveux blonds cachaient à moitié son visage et il résista difficilement à l’envie de les caresser. Il aurait voulu prolonger cet instant, très, très longtemps…

— Comment osez-vous ? lança-t elle avec colère.

— Il est un peu tard pour vous offusquer, non ? répliqua Nico. Apparemment, Michael ne produit pas le même effet sur vous… Ou alors, vous avez changé de cible !

— Vous êtes ignoble !

— Vous êtes pourtant sensible à mon charme…

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Il s’écarta, satisfait d’avoir enfin acquis la preuve que la fiancée chérie de son frère n’était pas aussi chaste et pure qu’il y paraissait.

Il aborderait le sujet avec son frère avant de repartir pour Athènes. Cette femme disparaîtrait pour toujours de la vie de Michael et il n’aurait plus à poser les yeux sur elle.

— Je…

— Oui ? Je vous écoute.

— Partez, maintenant.

— C’est tout ce que vous avez à dire ?

— Michael peut arriver d’une minute à l’autre…

— Ne faites pas semblant d’attacher de l’importance à ce qu’il pense. Vous venez de prouver exactement le contraire.

Ils se turent tous deux pendant quelques secondes oppressantes, aussi lourdes d’accusation que de sensualité. Très pâle, Abby se frottait les mains, comme pour s’empêcher de trembler.

Nico, lui, était assailli par des pensées traîtreusement coupables. Il regrettait de ne pas être allé jusqu’au bout de cet instant de folie. Il aurait dû lui arracher sa robe, exposer la nudité de son corps, goûter la saveur de ses petits seins ronds… Il échouait à chasser ce sentiment d’inachèvement.

— Je vous octroie la faveur de ne pas révéler moi-même à Michael votre duplicité. Je vous laisse libre de rompre vos fiançailles, de la façon qui vous semblera la plus appropriée.

— C’est très généreux de votre part, mais vous ne savez même pas ce que je veux. Ni comment Michael réagirait si vous lui parliez de… euh… de ce baiser…

Nico ne s’attendait pas à cela.

— Même si mon frère passait outre, ma mère et mon grand-père adopteraient certainement un point de vue très différent. Ce qui ne manquerait pas de l’influencer, car il éprouve le plus grand respect pour eux.

Abby s’empourpra.

— Très bien.

— Et n’essayez pas de me jouer un mauvais tour.

— Que voulez-vous dire ?

— Vous obstiner dans vos projets de mariage. Je serai à Athènes pendant quelques semaines, mais je pourrais toujours téléphoner à Michael pour me tenir au courant.

Il se dirigea vers la porte, l’ouvrit et se retourna.

— Je parie que vous vous mordez les doigts, maintenant, d’avoir refusé ma proposition financière.

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Abby pâlit, mais garda le silence. A quoi bon discuter ? Quand il referma la porte, doucement, comme l’aurait fait un amant, elle prit conscience de son état de tension extrême. Comme une automate, elle alla dans la salle de bains, se démaquilla et enfila une chemise de nuit. Autant elle avait maudit Michael, un peu plus tôt dans la soirée, de la délaisser, autant maintenant elle espérait qu’il tarderait à la rejoindre. Il lisait en elle comme dans un livre ouvert et son bouleversement lui sauterait aux yeux…

Le pire était d’affronter ce qu’elle avait ressenti au contact de Nico Toyas. Comme si une digue s’était rompue, elle avait été submergée par un flot tumultueux de sensations. Un désir fou s’était emparé d’elle, si ardent qu’il ne s’était pas encore calmé, au mépris du bon sens et de la raison.

Elle se mit à frissonner convulsivement sous les draps, en poussant de petits geignements désespérés.

Les yeux ouverts, elle entendait la voix chaude et grave qui la captivait et la séduisait, pour mieux la blesser ensuite au moyen d’accusations perverses. Mais si elle fermait les paupières, elle revivait la scène du baiser, assistant alors en spectatrice impuissante à la terrible erreur qu’elle avait commise.

Pourquoi ne l’avait-elle pas repoussé ? Il aurait suffi d’un mot, d’un geste exprimant sa réticence pour le décourager. Il n’était pas homme à s’imposer par la force à une femme. Elle ne pouvait pas non plus incriminer l’alcool qu’elle avait bu. L’épisode l’avait dégrisée. Elle avait les idées très claires.

Si elle ne l’avait pas repoussé, c’est pour la seule et unique raison qu’elle le désirait follement.

Abby se mit à gémir faiblement dans l’oreiller. Elle se sentait mise à nu, terriblement exposée. Les défenses qu’elle avait péniblement érigées au cours des dernières années s’effondraient brutalement.

Naturellement, elle parlerait à Michael de ce revirement dramatique. Mais le plus abominable et le plus douloureux, c’était que Nico parviendrait à ses fins ; puis il disparaîtrait, gardant d’elle une image fausse. Celle d’une aventurière sans scrupules qui aurait mis le grappin sur son frère s’il ne l’avait pas démasquée. Il se féliciterait de sa propre habileté, d’avoir réussi par l’action là où les mots avaient failli.

Le sommeil eut finalement raison de ses sombres pensées. Elle passa une nuit agitée. Le lendemain, comme Michael faisait la grasse matinée, elle n’eut pas le cœur de le réveiller pour lui parler. A quoi bon lui gâcher sa journée ? D’ailleurs, à bien y réfléchir, il valait mieux préserver le repos que lui permettaient ces vacances et attendre leur retour en Angleterre pour se lancer dans de douloureux aveux.

La villa bruissait d’agitation. De nombreux invités, sur le départ, avaient entreposé leurs bagages dans le hall. Lina veillait à tous les détails, s’assurant que chacun avait un moyen de transport jusqu’à l’avion ou le bateau. Un sourire convenu figé sur ses lèvres, Abby participa aux adieux, serrant des mains, embrassant des joues, faisant des commentaires appropriés sur le succès de cette belle fête d’anniversaire. Cette grande famille accueillante lui plaisait et elle aurait sincèrement aimer les revoir. L’existence de nomade que lui avaient fait mener ses parents l’avait frustrée de cet esprit de clan si réconfortant. Elle en conservait la nostalgie de n’avoir pas connu ces relations chaleureuses entre oncles et tantes, cousins, neveux et nièces.

Heureusement, la seule personne qu’elle n’avait pas envie de voir ne se montra pas. Probablement dormait-il encore, comme Michael, ou bien, à présent qu’il avait l’esprit libéré, s’était-il replongé dans ses dossiers.

Après le petit déjeuner, Abby s’installa avec un livre dans un coin du jardin, le plus à l’écart possible pour ne pas être dérangée. Or elle était incapable de se concentrer assez pour s’absorber dans la lecture.

Cela faisait des années qu’elle n’avait pas touché ou embrassé un homme. Qu’elle n’avait éprouvé le désir de le dévêtir pour se serrer contre son corps nu. Le surgissement d’une telle pulsion était déjà effrayant en soi. Mais que Nico Toyas en fût l’agent la terrifiait littéralement.

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Les mots dansaient devant ses yeux brouillés et elle cilla, déterminée à ne pas pleurer. Abandonnant son livre, elle ferma les yeux en se renversant sur la chaise longue. La brise tiède caressait son visage. D’où elle se tenait, on n’entendait plus aucun bruit de la villa, seulement le clapotis des vagues, en contrebas.

Accablée de lassitude, heureuse d’oublier les griefs qui la tourmentaient, Abby s’assoupit avec un soupir.

Lorsqu’un bruit la réveilla, elle n’avait absolument aucune idée de l’heure. Elle se trouvait maintenant à l’ombre, mais pas parce que le soleil avait tourné.

Nico Toyas se tenait debout à côté de sa chaise longue.

Le cœur battant, les joues rouges, elle se redressa vivement. Il portait un pantalon écru et une chemisette en coton, dans des tons gris et bleus ; ses cheveux mouillés étaient rejetés en arrière. Même en se blindant pour résister à son charme, Abby s’avisa qu’elle n’avait aucune prise sur les émotions et les sensations qui l’envahissaient. De plus, à la lumière du jour, la réalité se teintait de couleurs encore plus inquiétantes.

— Que me voulez-vous ? s’enquit elle d’une voix tendue.

— Vous vous cachez de moi ?

— Cela vous étonne ?

Sa franchise plut à Nico et il lui adressa un sourire flegmatique qui la troubla, même si elle le considérait encore d’un air hostile.

— Pourquoi me harcelez-vous ? reprit-elle. Vous avez pourtant obtenu ce que vous vouliez, non ?

— Je ne sais pas. Vous avez parlé à Michael ?

— Pas encore.

— Pourquoi ?

— Il dormait ! Cette raison vous suffit, j’espère !

Nico eut un hochement de tête amusé. Sous son agressivité apparente, cette femme ne manquait ni de cran, ni d’humour.

— Quand comptez-vous lui annoncer la nouvelle ?

— Dès notre retour en Angleterre.

Elle avait posé la main en visière devant ses yeux pour s’abriter du soleil, et comme il avait du mal à voir son expression, il s’accroupit.

— Très bien, fit il sur un ton doucereux. Je m’en assurerai, ne l’oubliez pas.

— Vous ne partez pas ? demanda-t elle poliment. Je m’en voudrais de vous retenir.

— Vraiment ? Si, je m’en vais dans quelques instants. Mes affaires me réclament.

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— Vous voyagez seul ?

— Oui, repartit il avec un autre de ces sourires dont il avait le secret, et qui faisait craquer Abby. Vous imaginiez peut-être que la délicieuse Alexis m’accompagnerait ?

Il secoua la tête avec une expression de regret avant d’ajouter :

— Elle exprime trop de désirs auxquels je ne me sens pas capable de répondre actuellement. Des déclarations d’amour, des bagues avec de gros diamants, des serments devant l’autel…

— Vous préférez continuer à mener une vie dissolue, commenta Abby, méprisante.

— C’est votre point de vue, pas le mien. J’estime avoir des relations honnêtes avec les femmes. Je ne leur fais jamais des promesses que je n’ai pas l’intention de tenir.

Son jet privé l’attendait et s’il tardait encore, il raterait sa réunion de l’après-midi avec des personnalités du monde de la finance internationale, lesquelles ne le lui pardonneraient sans doute pas…

— Pourquoi m’avez-vous posé cette question ? reprit-il. Vous êtes jalouse ?

— Jalouse ? bredouilla Abby, scandalisée. Vous êtes l’homme le plus arrogant et le plus égocentrique que j’aie jamais rencontré !

— Vous n’avez pas vraiment répondu à ma question…

Ses lèvres entrouvertes étaient comme une invitation et cette fois-ci il y céda sans se sentir coupable. Elle ne couchait pas avec Michael. Elle se contentait de se servir de lui. Même si elle ne l’avait pas complètement admis, elle l’avait avoué à demi mot.

Quand il l’embrassa, il sentit en elle, comme la veille, un mélange de colère et de désir qui le galvanisa. Son sexe se dressa et il prit ses lèvres avec une ardeur redoublée. Quelques secondes plus tard, elle capitula en passant les bras autour de son cou. Il glissa la main sous son T-shirt ; elle se contenta d’acquiescer plaintivement. Elle ne portait pas de soutien-gorge. Comment son frère pouvait-il résister à la tentation ? L’aiguillon du désir le transperçait. Tant pis pour la réunion. Il appellerait pour annoncer un léger retard. Les autres seraient furieux mais ils l’attendraient. Bien obligés. Il était trop puissant pour qu’on l’écarte des négociations.

Il releva complètement le T-shirt d’Abby. Les pointes de ses seins se dressaient fièrement, et il se pencha pour les sucer, les mordiller. Ondulant de plaisir, Abby s’offrit de bonne grâce à ses caresses. Jamais, de sa vie, elle n’avait ressenti pareille fièvre. Emmêlant ses doigts dans les cheveux de sa robuste nuque, elle appuya sa tête contre sa poitrine, priant le ciel ou l’enfer, qu’importait, que cet instant dure longtemps, très longtemps…

Ce ne fut que lorsque sa main descendit vers la moiteur de ses cuisses qu’une vague conscience de la réalité poignit dans son esprit embrumé. Dans un sursaut de lucidité, elle le repoussa violemment.

— Non ! cria-t elle, éperdue.

D’un geste sec, elle remit son haut en place et darda sur Nico un regard profondément choqué. Sous la fine étoffe de coton, ses seins palpitaient et elle tremblait de tout son corps, sans parvenir à se calmer.

Nico mit plusieurs secondes à enregistrer sa réaction et à comprendre ce qui lui arrivait. Il avait failli perdre complètement le contrôle de ses réactions. Que se passait-il ? Il s’écarta, les jambes chancelantes, abasourdi. Devant lui, le rouge aux joues, Abby paraissait à la fois consternée et frappée de stupeur.

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— Pour vous donner matière à réflexion et vous rappeler pourquoi vous devez rompre vos fiançailles, déclara-t il avec une froideur qui le surprit lui-même.

Sur ces mots, il tourna les talons. En le regardant s’éloigner, Abby se demanda comment, après la mortification qu’elle avait subie la veille au soir, elle avait pu se laisser ridiculiser aussi stupidement une seconde fois. Elle aurait voulu que la terre l’engloutisse, que le volcan tout proche se réveille, qu’une coulée de lave l’emporte !

Il lui fallut de longues minutes pour se calmer. Quand elle retourna vers la villa, Nico, Dieu merci, n’était plus là ; elle était pour toujours débarrassée de sa présence.

Chapitre 6

As-tu des nouvelles de ton frère ?

Michael était vautré sur le canapé. Il avait fait très beau, ce dimanche, et ils avaient pique-niqué à Pavilion Gardens, avec Jamie et quelques jeunes couples de leurs amis. Etant le seul enfant, Jamie monopolisait l’attention du groupe et tous s’occupaient de lui très gentiment. Mais il arrivait à un âge où il commençait à poser beaucoup de questions, en particulier sur son père, qu’il ne voyait jamais ; et Abby craignait qu’il n’en souffre.

Elle était perdue dans ses pensées lorsque lui parvint la réponse de Michael.

— Il t’a appelé ? répéta-t elle avec un sursaut.

Cela faisait maintenant trois semaines qu’ils étaient rentrés de Grèce et elle avait espéré que Nico ne mettrait pas sa menace à exécution. Après tout, ce qui avait semblé si important là-bas, à Santorin, perdait de sa consistance quand la réalité quotidienne reprenait le dessus. Nico était sûrement trop occupé pour songer à la situation de son frère.

— Que lui as-tu dit ? Il ne va pas venir nous voir, j’espère ?

La panique perçait dans sa voix. Ces derniers temps, elle s’était persuadée que les émotions incompréhensibles et déplacées qu’elle avait éprouvées pour lui s’expliquaient par l’énervement du voyage et le dépaysement. C’était aussi sa première séparation avec son fils. Il était bien normal de se sentir désorientée.

Hélas, en ce moment même, l’image de cet homme arrogant et terriblement séduisant resurgissait dans sa mémoire, avec autant d’effet qu’un coup de poing dans l’estomac.

— Il ne faut pas qu’il vienne ici, Michael. Je ne veux pas le voir.

— Tu as peur de lui !

Michael se redressa sur un coude et ajouta en riant :

— Quel méli-mélo !

— Ce n’est pas drôle !

— Si, quand on juge de la situation avec du recul. Nous étions là à échafauder nos projets tranquillement, et tu finis par tomber amoureuse de mon frère ! Qui l’eût cru ?

Il s’absorba quelques secondes dans ses réflexions avant de poursuivre :

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— En fait, j’aurais dû m’y attendre. Nico a toujours exercé une fascination extraordinaire sur les femmes. Mais je dois te mettre en garde… C’est un dangereux séducteur.

— Je ne m’en serais pas doutée, railla Abby.

Elle se leva, pas du tout complexée de porter un pantalon de pyjama qui lui tombait au-dessous du nombril et un vieux T-shirt sans manches au rouge délavé. Il était un peu plus de 20 heures, et Jamie dormait sagement dans sa chambre, à l’étage. Comme ils n’avaient rien prévu pour la soirée, ils regarderaient sans doute un film à la télévision. Puis, comme souvent, Michael aurait la flemme de rentrer chez lui et il finirait par dormir sur le canapé du salon.

— De toute façon, je ne suis pas amoureuse de lui, reprit-elle. Il est arrogant et désagréable.

— Mais irrésistible.

— J’ai fait une bêtise. Cela ne t’est jamais arrivé, peut-être ?

— Trop souvent, certes. Mais là n’est pas la question

Abby revint au sujet qui la préoccupait.

— Que lui as-tu raconté ?

— Pas grand-chose. Je n’étais pas très disponible quand il a appelé.

— T’a-t il demandé si nous étions toujours fiancés ?

— A mon avis, il attend plutôt que je lui en parle.

Naturellement, songea Abby. Il n’avait aucune raison de poser cette question, puisqu’elle était supposée amener la rupture en douceur, sans mentionner ce qui s’était passé entre Nico et elle.

— Que vas-tu lui dire ?

— Je n’en ai pas la moindre idée.

Michael se mit à fixer le plafond d’un air absent.

— Je n’aime pas mentir, fit il au bout de quelques minutes. Mais maman sera morte d’inquiétude si elle apprend que j’ai rompu mes fiançailles. Elle m’imaginera le cœur brisé, seul dans mon appartement, à noyer mon chagrin dans la vodka… En plus, mon grand-père est très fatigué, en ce moment. Nico, qui ne s’inquiète jamais sans raison, se fait du souci pour sa santé. Nous devons nous voir à Londres la semaine prochaine. Je pourrai peut-être éviter le sujet de nos fiançailles et remettre la discussion à plus tard…

Abby en doutait… Malgré tout, une chose la rassurait : c’était Michael qui irait à Londres.

— Quand le vois-tu, exactement ?

— Nous n’avons pas encore fixé de date. Nico est toujours extrêmement difficile à joindre.

Une certaine admiration perçait dans la voix de Michael, qu’Abby refusait de partager.

— Il a vraiment toutes les qualités ! ironisa-t elle.

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— Il est charmant, je t’assure. Méfie-toi !

Pour toute réponse, Abby lui lança un coussin sur la tête.

En fait, malgré une intuition souvent remarquable, Michael n’arrivait pas à se faire une idée précise des sentiments qui agitaient Abby. Il la connaissait assez pour savoir qu’elle n’avait pas embrassé Nico sur un simple coup de tête, mais il savait également qu’elle était assez équilibrée pour tempérer et maîtriser ses élans. Abby, quant à elle, n’aurait pour rien au monde avoué à Michael à quel point sa rencontre avec Nico l’avait bouleversée. Quand elle se surprenait à y penser, elle était partagée entre l’envie de se moquer d’elle-même et le dépit de ne pouvoir l’oublier.

— En tout cas, tu me diras quel jour tu pars et tu me raconteras comment ça s’est passé.

Elle frissonna. Cela lui donnait la chair de poule de penser que Nico serait bientôt en Angleterre, tout près, sous le même ciel.

— Bien sûr.

Michael se leva avec un soupir.

— Il faut que j’y aille.

En dépit des protestations d’Abby, il fit valoir qu’il ne pouvait faire autrement que de passer au night-club, où un nouveau groupe se produisait — un petit orchestre de jazz qui venait d’Edinburgh. Il tenait à les écouter pour se rendre compte par lui-même de leurs qualités. Abby n’insista pas trop. La journée l’avait épuisée et elle avait hâte de se coucher.

Elle venait de le raccompagner et était en train d’éteindre les lumières dans la cuisine quand la sonnette de la porte d’entrée retentit. Elle se précipita pour ouvrir, de peur que Jamie se réveille.

Et d’un seul coup, il fut là, devant elle. Elle n’en crut pas ses yeux et cilla comme s’il pouvait disparaître ou se métamorphoser en Michael.

Il était là. Grand, séduisant, une expression énigmatique figée sur ses traits.

— Que faites-vous ici ? dit elle enfin.

— Je passais, et j’ai vu de la lumière…, répondit-il nonchalamment.

Abby avait du mal à respirer.

— C’est impossible, marmonna-t elle. Vous ne savez pas où j’habite.

— Pas besoin d’être Sherlock Holmes pour obtenir ce genre d’information. Comme je savais déjà où vous travailliez, il m’a suffi d’un coup de téléphone.

— Le personnel n’a pas le droit de communiquer mon adresse !

— Vous oubliez que je suis le frère de Michael ! J’ai l’impression que vous ne voulez pas m’inviter à entrer… Pourtant, je n’ai pas l’intention de continuer à discuter sur le pas de votre porte, même s’il ne fait pas très froid.

— Vous voyez Michael la semaine prochaine. Vous et moi n’avons rien à nous dire.

— Ce n’est pas mon avis. Et si vous ne me laissez pas passer, je rentrerai de force.

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Une expression désemparée se peignit sur les traits de la jeune femme. Nico avait réussi à glisser un pied à l’intérieur. Si elle essayait de lui claquer la porte au nez, il résisterait et elle n’était pas de taille à lutter contre lui. Elle s’écarta de mauvaise grâce et il pénétra chez elle en inspectant les lieux avec intérêt.

Elle avait acheté cette petite maison six ans plus tôt, en s’endettant, bien sûr, mais avec un taux d’emprunt assez raisonnable et des modalités de remboursement très étalées dans le temps. C’était une demeure modeste, mais agréable, avec deux chambres et un petit jardin qu’elle prenait plaisir à cultiver. De plus, le quartier était tranquille et ils habitaient tout près de l’école primaire.

Abby, qui avait des goûts hardis en matière de décoration, aurait voulu donner une touche originale à sa demeure, mais ses premières tentatives en rouge et vert s’étaient soldées par un désastre. L’espace était bien trop petit pour supporter ce genre de modernités. Elle s’était donc rabattue sur des teintes plus conventionnelles, ivoire, blanc et coquille d’œuf. Seules les chambres dénotaient un esprit plus audacieux. Celle de Jamie était turquoise, avec des meubles jaunes qu’elle avait peints elle-même. La sienne était agrémentée de voilages et de velours cramoisis, tout droit échappés des Mille et Une Nuits.

— Voulez-vous que j’appelle Michael ? demanda Abby, indécise. Je sais où il est.

Nico ne se hâta pas de répondre. Au contraire, il continua à examiner le décor en prenant tout son temps. Certes, il aurait pu attendre quelques jours de plus pour découvrir ce qu’il voulait savoir. Non qu’il doutât, d’ailleurs, du dénouement. Abby n’avait guère le choix, si elle tenait à sa réputation. Si elle n’avait rien dit à Michael, il se chargerait de divulguer son hypocrisie. Fiancée à l’un des frères et acceptant les avances de l’autre… Elle avait vraiment de quoi avoir honte.

Mais ce n’était pas ce qui préoccupait Nico. Il avait beaucoup pensé à Abby, au cours des dernières semaines, bien plus qu’il n’aurait dû, et cela l’avait profondément agacé.

Abby l’interrogeait de ses beaux yeux noisette, agrandis par la curiosité, et qui contrastaient si joliment avec le lin doré de ses cheveux.

Je ne serais pas venu ici si je voulais voir mon frère, dit enfin Nico. C’est à vous que je veux parler.

Il regrettait presque, à présent, d’avoir entrepris ce voyage pour une femme qui, à l’évidence, supportait difficilement sa présence…

— Apparemment, vous n’avez pas cessé vos relations avec mon frère…

Avisant une porte entrouverte, il se dirigea vers la lumière et s’arrêta sur le seuil de la cuisine. La pièce était minuscule, mais bien aménagée, avec un décor coquet. Cependant, il ne prêta qu’un œil distrait à l’ensemble. Un seul détail attira son attention, au point de l’hypnotiser littéralement : des dessins d’enfant, très colorés, sur le frigo, mais aussi sur les murs et sur un tableau magnétique.

En le rejoignant, Abby surprit la direction de son regard. Elle n’allait tout de même pas s’excuser d’avoir un enfant. Cela ne le regardait pas !

— Très intéressant, commenta Nico en contemplant un paysage sous-marin, puis un portrait de famille avec une maman aux cheveux blonds et un enfant brun souriant.

Abby s’humecta nerveusement les lèvres, en s’exhortant à se détendre.

— C’est l’œuvre de mon fils.

— Vous avez un fils ? Ce n’est pas… ?

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— Non, il n’est pas de Michael.

Son expression s’était fermée, tandis qu’une lueur de curiosité, au contraire, s’allumait dans les yeux de Nico.

— Cela ne vous dérange pas si je m’assois un instant ?

— Si. Il est tard.

— Vous avez rompu vos fiançailles ? Non, bien sûr, vous portez toujours votre bague.

Elle ne chercha pas à le détromper, ni même à se justifier.

— Je ne vous autorise pas à me harceler dans ma propre maison, fit-elle avec force, en croisant les bras.

Comme cet homme l’intimidait ! Mais, en même temps, il l’attirait avec une violence inouïe, inconcevable. Sa présence ici, en chair et en os, réveillait brutalement toutes sortes d’émotions et de sentiments profondément enfouis en elle, que le bon sens et la raison lui commandaient pourtant de garder cachés. Quand leurs regards se croisèrent, son corps se souvint traîtreusement du baiser passionné qu’ils avaient échangé, de ses caresses sur ses seins…

Elle ferma un instant les paupières, comme pour chasser ces images importunes.

— Je ne veux pas me disputer avec vous, reprit-elle. Jamie a le sommeil très léger.

Elle éprouvait le besoin d’évoquer l’existence de son fils, comme pour se raccrocher solidement à la réalité, au lieu de s’égarer dans des rêveries absurdes.

— Jamie… Quel âge a-t il ?

— Cinq ans.

— A quoi ressemble-t il ?

— Pourquoi me posez-vous toutes ces questions ?

Je suis curieux. Pourquoi n’en avez-vous parlé à personne ? Même pas à ma mère ?

— Le moment ne me semblait pas très bien choisi…

— Ah bon ? Qu’attendiez-vous ? Que ma mère vous demande si vous aviez des enfants ? Une question qu’on ne manque pas de poser à sa future belle-fille, évidemment.

— Ce n’est pas drôle !

Elle secoua la tête avec colère et des mèches folles lui tombèrent sur les yeux, balayant ses joues. Sans réfléchir, elle ôta un chouchou de son poignet et ramena ses cheveux en queue-de-cheval.

— Vous pensiez probablement avoir trouvé en Michael un papa pour votre enfant, mais vous n’osiez pas l’annoncer tout de go à tout le monde. Vous préfériez avancer prudemment, à petits pas.

— Et vous, vous vous croyez sans doute très malin ! s’écria-t elle furieusement.

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Nico frappa du poing sur la table, si violemment qu’elle tressaillit.

— Je cherche une explication plausible ! Je me suis posé beaucoup de questions à votre sujet. Vous n’avez pas l’air d’une aventurière, arriviste et sans scrupules. Mais je ne possède pas tous les éléments pour en juger… Combien gagnez-vous ?

— Quoi ? Cela ne vous regarde pas !

— Assez pour vivre correctement, j’imagine. Et même pour vous offrir quelques plaisirs superflus. Mais un enfant coûte cher. Est-ce la raison qui vous a poussée à rechercher un soutien financier ? Michael est un homme sensible, et une cible facile. Comment l’avez-vous apitoyé ?

— Arrêtez, cela n’a aucun sens !

— Où est le père de votre enfant ? Il ne vous verse pas de pension alimentaire ?

— Ça suffit ! Comment osez-vous me parler ainsi ? J’ai supporté vos insultes en Grèce, quand j’étais chez vous, mais je n’admettrai pas que vous en usiez de même chez moi.

Elle avait blêmi et le toisait avec hostilité. Puis, tout à coup, elle se rendit compte qu’il ne la regardait plus mais fixait un point derrière elle, près de la porte. Elle se retourna alors et aperçut Jamie, complètement terrorisé. C’était la première fois qu’il entendait sa mère crier, comme si toutes les émotions qu’elle avait refoulées au long des dernières années se donnaient soudain libre cours.

Elle s’approcha et s’accroupit devant lui en tremblant.

— Mon chéri. Tu ne devrais pas être debout à une heure pareille. Il y a école demain.

— Le bruit m’a réveillé. Qui c’est ?

— Personne.

— Je suis Nico, le frère de Michael.

Tout en serrant Jamie entre ses bras protecteurs, Abby foudroya du regard le détestable personnage qui venait de l’accuser d’une manière aussi immonde. Mais, se dégageant prestement, le petit garçon s’assit par terre en tailleur et considéra à loisir le nouveau venu.

— Tu ressembles à tonton Michael. Pas vrai, maman ?

— J’ai remarqué quelques différences, répliqua-t elle en serrant les dents.

Nico réprima un sourire. En dépit de la situation et de tout ce qu’ils s’étaient dit, elle avait un air angélique. Oui, elle ressemblait à un ange en colère.

— Ah bon ? lança-t il innocemment. D’ordinaire, on nous trouve très ressemblants.

— Il se trouve toujours des gens pour confondre les vipères et les couleuvres. Jusqu’à ce qu’ils se fassent piquer.

Nico se retint pour ne pas éclater de rire. Abby n’avait pas sa langue dans sa poche !

En entendant parler de serpents, Jamie se mit à raconter une histoire que son maître lui lisait à l’école, où il était surtout question de tapis volants et de bons génies. L’enfant avait les mêmes cheveux que sa mère, incroyablement blonds, et les mêmes yeux.

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Qui était son père ? Où était-il ? Le voyaient-ils souvent ? Peut-être couchait-il de temps en temps avec Abby ? Nico chassa cette idée désagréable de son esprit.

L’ange blond était en train de sermonner vigoureusement son fils, qui négociait son retour au lit contre un carré de chocolat. Nico suivit la suite du marchandage avec intérêt. On passa du chocolat au jus de fruit, pour tomber d’accord sur un verre de lait.

Ils avaient l’un et l’autre oublié la présence de l’intrus, qui continuait à les observer sans mot dire. Michael avait-il été attendri par ce genre de scène ? se demanda Nico quand Abby ramena l’enfant à l’étage. Jamie et sa mère formaient un tableau charmant, d’autant que cette dernière, en plus de son visage angélique, possédait un corps de rêve.

Quelque chose l’intriguait, sans qu’il parvienne à définir quoi exactement. Abby, à la fois fragile et forte, fière d’assumer sa maternité, était pourtant sur la défensive… Mécontent de se heurter à un mystère, Nico résolut de le percer à jour. Il fallait d’abord découvrir pourquoi Abby avait repoussé à une date ultérieure la rupture de ses fiançailles. Qu’entendait-elle gagner, sinon un peu de temps ?

Il avait fait du café lorsqu’elle le rejoignit dans la cuisine, quelques instants plus tard.

— Encore là ! s’écria-t elle sur le seuil, en croisant les bras.

— Je ne serais tout de même pas parti sans vous dire au revoir ! Vous prenez du sucre ? s’enquit il en lui tendant une tasse.

Abby s’assit en soupirant, sans prendre la peine de répondre.

— Je n’ai pas envie de me disputer avec vous, reprit-il.

— Je sais, murmura-t elle avec lassitude. Vous voulez simplement éviter que votre frère tombe entre mes griffes de rapace.

Nico ne put s’empêcher de rougir. Elle disait tout haut ce qu’il pensait tout bas, mais du coup il se retrouvait dans le rôle du méchant et elle dans celui de l’innocente brebis. Elle avait l’air épuisée ; il décida de manœuvrer autrement. Il ne servait à rien de la braquer.

— Votre fils est très mignon, fit il doucement.

— Mais il coûte cher, répliqua-t elle du tac au tac.

— Excusez-moi, je n’aurais pas dû dire cela. J’ai parlé sans réfléchir.

— Vraiment ? Bah. Cela n’a pas d’importance.

Gênée par la façon appuyée dont il l’examinait, sous la lumière crue du plafonnier, elle prit sa tasse et s’éloigna.

— Je préfère m’asseoir dans le salon. Buvons ce café, et ensuite vous partirez.

Elle se recroquevilla sur les coussins du canapé tandis qu’il prenait place dans le fauteuil près de la porte. Il n’avait que quelques centimètres de plus que Michael et pourtant sa présence occupait tout l’espace.

— Ne vous inquiétez pas, je ne m’accrocherai pas à votre frère, dit-elle au bout d’un moment, avec un mélange de regret et de résignation.

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Du reste, cette idée de fiançailles n’avait aucun sens, même si elle leur avait rendu service à tous les deux… Elle lança un regard de défi à la silhouette massive qui lui faisait face.

— Ce n’est pas un homme pour vous, repartit Nico en hochant la tête imperceptiblement.

— Vous avez peut-être raison, acquiesça Abby amèrement.

Il n’y aurait plus jamais aucun homme pour elle… Son cœur s’était refermé depuis longtemps. Nico avait réussi à s’infiltrer par une fissure, et elle avait répondu comme n’importe quelle jeune femme normalement constituée. Jusque-là, elle ne s’était même pas rendu compte à quel point le sexe lui manquait ; il avait ravivé des questions terriblement douloureuses…

— Personne ne… J’ai été stupide de penser…

Elle s’interrompit, honteuse de ses bredouillements sans suite. Pour comble de ridicule, ses yeux s’emplirent de larmes et elle cilla désespérément pour les refouler.

Nico s’approcha pour lui tendre un mouchoir qu’elle accepta avec des remerciements embarrassés, sans oser le regarder en face. Il pensait sans doute qu’elle jouait encore la comédie, tâchait de l’attendrir pour gagner sa sympathie. De toute manière, il imaginait toujours le pire, à son sujet.

— Arrêtez de vous excuser, dit Nico en passant un pouce sur sa joue pour l’essuyer.

Elle frissonna à son contact, à la fois irrépressiblement attirée vers lui et furieuse de ne pouvoir se contrôler.

— Vous devriez partir, chuchota-t elle, les paupières baissées. Vous avez obtenu ce que vous vouliez. Vous avez ma parole.

— Que vous a-t il fait ?

— Michael ? Rien…

En levant sur lui des yeux étonnés, elle comprit à qui il faisait allusion.

— Sait-il qu’il a un fils ?

— Vraiment, il est très tard…

— Ne refusez pas d’en parler. C’est très mauvais de rester prisonnière de son passé.

— Qu’en savez-vous ? rétorqua-t elle avec véhémence. Vous n’avez jamais connu aucune difficulté. Vous êtes né dans un monde de privilégiés. Il vous suffit de claquer des doigts pour être obéi !

— Avoir un destin tout tracé n’est pas forcément le chemin le plus facile.

Pourquoi lui confier une pensée tellement secrète qu’il n’y avait pratiquement jamais songé lui-même ? Nico n’était pas homme à s’analyser ; il condamnait l’introspection comme une maladie occidentale.

Michael a toujours été libre de mener sa vie comme il voulait, expliqua-t il brièvement. Moi, en tant qu’aîné et héritier de l’empire commercial, je n’ai jamais eu le choix. Ce qui ne veut pas dire que je passe mon temps à me lamenter…

— Je ne me plains pas non plus, répliqua Abby. J’ai tiré les leçons de mon expérience.

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— Que vous a-t il fait ? insista Nico. Vous le voyez encore ? Sans doute, lorsqu’il vient chercher son fils.

— Il… Il ne connaît pas Jamie.

Devant l’expression incrédule de Nico, elle déversa brusquement toute l’amertume qu’elle avait refoulée, tel un torrent de bile.

— Un homme marié n’est pas exactement ravi d’apprendre que sa maîtresse est enceinte…

— Vous avez eu une liaison avec un homme marié ? s’écria-t il avec une pointe de déception qu’il ne comprenait pas.

En soupirant, Abby replia ses jambes et appuya son menton sur ses genoux.

— Au début, j’ignorais qu’il était marié. J’avais dix-neuf ans, il en avait dix de plus que moi et était terriblement séduisant. J’ai connu dix-huit mois de bonheur, jusqu’au jour où j’ai commis l’erreur de tomber enceinte.

— Et votre chevalier en armure s’est révélé avoir des pieds d’argile.

— C’est à ce moment-là qu’il m’a appris l’existence de sa femme, avec laquelle il avait une fille de deux ans. Il avait simplement pris du bon temps avec moi, quand il venait à Londres. Voilà. Vous savez tout.

Elle se leva d’un bond et le repoussa vivement.

— Maintenant, allez-vous-en ! Avant de me dire que je n’ai eu que ce que je méritais !

Sans lui laisser le temps de réagir, elle s’enfuit, courant presque, et sortit de la maison en claquant la porte.

Se levant en hâte pour la suivre, il l’entendit pousser un cri de douleur, puis un gémissement étouffé…

Chapitre 7

Ce fut comme si quelqu’un l’avait frappée à la cheville avec un marteau. Abby se retrouva étendue par terre, le nez dans les graviers de l’allée, étourdie par le choc.

Furieuse contre elle-même d’avoir bêtement raté une marche, elle s’assit pour masser sa cheville endolorie, cependant que Nico la rejoignait.

— Que s’est-il passé ? fit il en s’agenouillant à côté d’elle.

— Ce n’est rien. J’ai simplement trébuché.

Elle essaya de se mettre debout, mais retomba aussitôt avec une grimace.

— Ne bougez pas. Soyez raisonnable.

Sourd à ses protestations, il la souleva dans ses bras pour la transporter jusqu’au salon, où il la déposa précautionneusement sur le canapé.

— Bien. Laissez-moi regarder, maintenant.

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Il palpa du bout des doigts le pied qui commençait déjà à enfler. Instinctivement, Abby se rétracta ; ce simple geste lui arracha une plainte douloureuse.

— Vous vous êtes fait mal, dit-il en jetant un coup d’œil sur son visage crispé.

En tout cas, elle avait réussi à le mettre à ses pieds, songea-t il. Il garda cette pensée pour lui ; elle souffrait manifestement trop pour apprécier ce trait d’humour.

— Merci pour la précision de votre diagnostic, marmonna-t elle entre ses dents. Figurez-vous que j’en étais arrivée à la même conclusion.

— Je vais vous donner un calmant avant de vous emmener aux urgences.

— Je ne peux pas laisser mon fils tout seul.

— Il n’y a personne pour le garder ? Un voisin, peut-être ? Qui s’occupait de lui pendant que vous jouiez les amoureuses en Grèce avec mon frère ?

Abby ignora la raillerie, qu’il avait faite presque malgré lui.

— Je connais à peine les voisins. Pas assez, en tout cas, pour leur demander de garder Jamie. Rebecca, qui s’est installée ici pendant la semaine que j’ai passée en Grèce, habite dans le centre de Brighton. Ce n’est pas tout près.

Elle s’interrompit avec une grimace.

— Il y a des cachets dans un tiroir de la cuisine.

Nico se leva en fronçant les sourcils et revint une minute plus tard avec de l’aspirine et un verre d’eau.

— Il faudra réveiller votre fils pour l’emmener avec nous.

— Mon pied attendra.

Avec un peu de chance, l’analgésique ne tarderait pas à agir et atténuerait les élancements, cruels comme des coups de poignard. Mais Nico se montra inflexible.

— Il faut consulter un médecin tout de suite. Si vous ne pouvez pas vous déplacer, nous allons en appeler un.

— Un dimanche soir, vous n’y pensez pas !

— Et si votre cheville est cassée ?

Abby gémit. Avec un petit garçon de cinq ans qui réclamait constamment son attention, l’immobilité était un luxe qu’elle ne pouvait pas se permettre… Des larmes de frustration perlèrent à ses paupières. Sa condition de mère célibataire, sans famille pour l’aider, pesait parfois trop durement sur ses épaules. D’autant plus que la plupart de ses amies étaient jeunes, et libres d’attaches. Cédant pour une fois à ce qu’elle jugeait une faiblesse, elle s’apitoya sur son sort. Son travail à plein temps l’empêchait de nouer des contacts avec les mères des autres enfants, à la sortie de l’école, car Jamie restait à la garderie du soir. A une ou deux reprises seulement, un copain l’avait invité à venir jouer chez lui.

— Quel est le numéro de votre cabinet médical ?

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Abby le lui donna d’une voix maussade. Le message enregistré sur le répondeur apprit à Nico le numéro personnel du médecin de garde, à joindre en cas d’extrême urgence seulement. Nico l’appela sans hésiter, de son ton autoritaire, et sans douter un seul instant que le Dr Hawford sacrifierait sa soirée du dimanche soir pour venir examiner un pied enflé.

— Vous avez un peu moins mal ? s’enquit-il après avoir raccroché.

Il approcha un pouf pour installer plus confortablement la jambe de la jeune femme, qui lui répondit du bout des lèvres.

— Merci… Vous pouvez partir, maintenant. Il est tard, et Londres n’est pas tout près.

Nico jeta un coup d’œil à sa montre.

— Cela ne vaut même plus la peine de songer à regagner Londres. Je préfère rester.

— Pas ici ! se récria Abby, horrifiée. De toute manière, la maison est trop petite, il n’y a pas de place pour vous.

Des images horriblement embarrassantes lui traversèrent l’esprit. Elle ne pouvait tout simplement pas envisager que Nico utilise sa salle de bains, se rase devant son lavabo, se sèche avec une de ses serviettes…

— Je ne vais pas me tuer sur la route pour vous faire plaisir ! Quoi qu’il en soit, rassurez-vous, je ne songeais pas à loger chez vous, mais chez mon frère, bien sûr.

— C’est impossible.

Les mots étaient sortis sans qu’elle puisse les retenir.

— Il faut d’abord lui téléphoner pour le prévenir, reprit-elle plus posément. Michael a des horaires de travail complètement imprévisibles. Vous risqueriez de vous casser le nez sur sa porte et de l’attendre pendant des heures.

— Un dimanche soir ? demanda Nico tranquillement.

Comme elle s’empourprait, il ajouta :

— Vous avez raison. Je vais l’appeler. De toute manière, il faut le prévenir de ce qui vous arrive.

Nico justifia brièvement sa présence chez Abby, expliquant à son frère qu’il s’était attendu à l’y trouver lui. Si ces raisons sonnèrent totalement faux aux oreilles de la jeune femme, Michael parut s’en accommoder. Puis il raconta le petit accident qui s’était produit, sans rentrer dans les détails, évidemment.

— Maintenant que je suis là, poursuivit Nico, je ne vais pas retourner à Londres à une heure pareille. Tu peux m’héberger, j’imagine ?

D’où elle était, Abby entendit la réponse enthousiaste de Michael. Mais il avait hésité, à peine un quart de seconde, ce qui n’avait pas échappé à la sagacité de Nico, car il fronça les sourcils avec une expression perplexe.

Au fait, je suis désolé, pour la rupture de vos fiançailles…, ajouta-t il, l’air de rien.

— Comment osez-vous ? Quel toupet ! s’écria Abby, cramoisie, dès qu’il eut raccroché.

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— J’ai préféré court-circuiter votre promesse. Après tout, vous avez failli à votre parole, pendant ces quelques semaines. C’est bizarre, Michael n’a pas du tout réagi comme je pensais…

— Que voulez-vous dire ? fit Abby, mal à l’aise.

— Il s’est tu pendant quelques secondes. Puis il a immédiatement exprimé des regrets. Sans marquer aucune surprise, alors qu’une telle assertion aurait dû faire l’effet d’une bombe ! Il aurait même dû se ruer jusqu’ici pour discuter, tenter de comprendre ce qui se passait…

— Vous n’aviez pas le droit d’agir ainsi.

— Vous ne m’avez pas laissé le choix. Selon vous, pourquoi mon frère a-t il accueilli ce coup de théâtre avec autant de flegme ?

Quelque chose ne tournait pas rond, décidément. En théorie, ses suppositions semblaient fondées mais, dans la pratique, il manquait au puzzle quelques pièces maîtresses.

— Je… Nous… En fait, je l’avais préparé à la nouvelle, bredouilla Abby.

— Pourquoi ne m’en avez-vous rien dit ?

— Parce que cela ne vous regarde pas ! explosa-t elle.

Elle détourna le visage en priant le ciel pour que le docteur se dépêche d’arriver. Pour une fois, ses prières furent exaucées : une portière claqua bientôt et des bruits de pas se rapprochèrent de la maison. Elle réprima un soupir de soulagement quand la sonnette retentit.

Mécontent de devoir mettre un terme à cette conversation, Nico alla ouvrir.

La cinquantaine, avec des manières très douces, le Dr Hawford était un médecin efficace et rassurant.

— Voyons cela, miss Clinton, dit il en s’agenouillant auprès de la jeune femme.

Il manipula délicatement son pied, s’efforçant de déterminer quels mouvements étaient les plus douloureux et posant les questions qui permettraient un diagnostic sûr.

Nico attendait dans l’ombre. « Comme un prédateur qui rôde », songea Abby.

— C’est une entorse, déclara enfin le docteur en refermant sa trousse. Vous avez déchiré quelques ligaments. La bonne nouvelle, c’est que vous n’avez pas besoin d’une intervention à l’hôpital. La mauvaise, en revanche, c’est que vous devrez vous reposer quelques jours sans bouger. Une semaine.

— Cela m’est absolument impossible, docteur.

— Vous en avez informé votre pied ?

Il se tourna vers Nico.

— Allez me chercher des glaçons dans la cuisine.

Quand Nico se fut éclipsé, il la considéra avec sympathie.

— Je sais que vous élevez seule votre petit garçon. Cependant, si vous ne suivez pas mes recommandations, vous risquez d’être immobilisée plus longtemps encore…

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Mais…

— Il faut que vous obéissiez. Je vais vous prescrire des anti-inflammatoires qui aideront votre cheville à désenfler et calmeront la douleur, reprit-il en sortant son ordonnancier. Votre jeune ami ira à la pharmacie demain matin à la première heure…

— Ce n’est pas mon jeune ami, repartit elle au moment où Nico revenait avec un torchon et de la glace.

— Il faudra aussi mettre une attelle et louer des cannes anglaises, ajouta le Dr Hawford en signant l’ordonnance.

Abby s’affaissa tristement sur les coussins du canapé pendant que Nico raccompagnait le médecin.

— Il vaut mieux que j’annule mon projet de dormir chez Michael, annonça Nico en la rejoignant.

— Ce n’est pas la peine.

Mais elle savait déjà que rien ne le ferait changer d’avis…

Ignorant, une fois de plus, ses protestations, il la souleva dans ses bras.

— Je fermerai tout et j’éteindrai les lumières quand vous serez couchée.

— Je vous interdis… !

— Rappelez-vous les ordres du médecin. Vous ne devez pas poser le pied par terre.

— Bon, écoutez, lui dit-elle, essayant une approche plus adulte et raisonnable. Quand vous m’aurez montée à l’étage, je me débrouillerai. J’appellerai la maman de Peter demain matin pour qu’elle passe prendre Jamie. Ce ne sera pas difficile d’organiser les trajets pour l’école, et Rebecca acceptera sûrement de me faire quelques courses.

— Où est votre chambre ?

— A droite. Vous avez entendu ce que j’ai dit ?

— Naturellement, répliqua-t il en poussant la porte de l’épaule.

Puis il alluma la lumière avec son coude, sans la lâcher.

— Je n’ai pas répondu parce que vos bavardages n’ont aucun sens. Vous le savez aussi bien que moi.

Après l’avoir posée délicatement sur son grand lit, il l’enveloppa d’un regard plein de sévérité.

— Expliquez-moi comment vous comptez vous occuper de votre fils si vous ne pouvez pas vous lever ? Avec une baguette magique ?

Comme elle gardait un silence boudeur, il reprit :

— Je ne vois pas d’autre solution que de rester ici. Surtout maintenant que la rupture avec Michael est consommée… Ce serait déplacé de demander des services à un fiancé que vous venez d’éconduire.

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Une nouvelle fois, il sortit son portable de sa poche. La communication fut très brève. Deux minutes à peine.

— Pas la moindre suggestion de réconciliation, ni de passer vous réconforter et voir si vous avez besoin de quelque chose, dit-il en raccrochant. Déçue ?

— Michael est très occupé. Il n’a pas une minute à lui, murmura Abby sombrement.

Quand on aime une femme, on parvient toujours à se libérer. Il devrait tout de même avoir envie d’une explication, après le coup qu’il vient de recevoir !

— C’est votre faute, pas la mienne. Vous n’aviez pas le droit de lui asséner la nouvelle aussi brutalement.

Sans daigner répondre, Nico se dirigea vers la commode et ouvrit le premier tiroir, sous le regard horrifié d’Abby.

— Il faut vous changer. C’est ça que vous mettez pour dormir ? s’enquit-il en extirpant un vieux T-shirt délavé. Je vais vous aider.

— Certainement pas ! Je ne suis pas invalide.

— Si. Un faux mouvement est vite arrivé et il ne faut exercer aucune pression sur votre cheville. Ne vous conduisez pas en petite fille. Laissez-moi faire.

Abby poussa un long soupir déchirant. C’était déjà bien assez ennuyeux d’être réduite à l’impuissance, mais se retrouver à la merci de cet homme arrogant et imbu de lui-même atteignait les limites de l’intolérable. D’autant qu’il paraissait très gai et d’humeur badine. Parce qu’il était arrivé à ses fins. Doutant de la promesse qu’elle lui avait faite, il avait préféré prendre les choses en main. Sans scrupules ni états d’âme. Et sans s’interroger sur les conséquences de ses actes. Il était persuadé d’avoir agi pour le mieux en supprimant les obstacles qui l’embarrassaient, fût-ce en piétinant l’amour-propre de ceux qui se tenaient en travers de sa route. Il n’avait pas le temps de se soucier des sentiments des autres.

La jeune femme était scandalisée. Et si ses fiançailles avec Michael avaient été sérieuses ? Elle lui téléphonerait dès que possible pour lui expliquer comment tout s’était passé.

En attendant…

Elle grinça des dents et ferma les paupières pendant que Nico lui ôtait son pantalon. Puis il ramena les couvertures sur elle et plaça le T-shirt sur l’oreiller.

— Je vous rends service à tous les deux, murmura-t il.

Abby rouvrit les yeux pour l’observer d’un air sceptique.

— Je comprends que la fortune de Michael vous ait tentée. Mais, franchement, auriez-vous été heureuse en vivant aux côtés d’un homme pour lequel vous n’éprouvez rien ?

— Vous vous trompez !

Assez étrangement, ce n’était pas tout à fait ce que Nico avait envie d’entendre… Pinçant les lèvres, il s’assit au bord du lit.

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— Vous avez déjà souffert une fois. Peut-être éprouvez-vous en effet quelque chose pour Michael, mais je ne pense pas que ce soit véritablement de l’amour.

Il la considéra rêveusement avant de poursuivre :

— Je me suis sans doute trompé sur vous… Je vous ai prise pour une vulgaire aventurière, avide de mettre le grappin sur un riche mari. A bien y réfléchir, vous ne correspondez pas tout à fait à cette image. Même s’il existe toutes sortes de femmes malhonnêtes.

Abby se sentit rougir sous son regard insistant. Malgré tout, au fond d’elle-même, elle se réjouissait de ne plus être jugée par Nico comme la dernière des dernières. Elle avait beau se répéter qu’elle se moquait bien de son opinion, des petites bulles de plaisir éclataient dans son cœur, même si ses traits demeuraient impassibles.

Dois-je vous remercier d’avoir révisé votre jugement ? Alors que vous vous êtes arrogé le droit d’intervenir dans ma vie privée ? Ce n’était pas à vous de parler à Michael le premier.

— C’est regrettable, j’en conviens.

— Vous ne trouvez rien d’autre à dire ? Vous êtes vraiment odieux !

Elle se laissa aller à la colère pour réprimer le frémissement qui remontait insidieusement le long de sa colonne vertébrale, maintenant que Nico se penchait, plaçant les mains de chaque côté de son corps allongé.

— Ce n’est pas la première fois que vous me lancez cette accusation au visage, souffla-t il. Pourtant, je vous fais éprouver des choses que vous n’avez jamais connues avec mon frère. Admettez-le, au lieu de nier. Je ne sais pas si vous seriez allée jusqu’à épouser Michael, mais je continue à penser que je vous ai rendu un fier service à tous deux.

— Comment avez-vous l’audace de légitimer votre conduite avec autant de flegme ?

— C’est la vérité. Je suis assez honnête pour reconnaître mes torts quand je commets une erreur. Certes, vous vouliez vous marier avec Michael par intérêt, mais vos motifs n’étaient pas aussi vils que je le craignais. Vous êtes une mère célibataire et vous concevez une grande méfiance envers le sexe opposé. Michael vous prodiguait tendresse et protection. Vous étiez à l’abri de vos émotions, mais également enfermée dans une relation très terre-à-terre, sans étincelle, sans magie. Votre histoire était vouée à l’échec.

Abby considéra le beau visage penché au-dessus d’elle avec un mélange de fascination et de répulsion. Il y avait beaucoup de vrai dans ce qu’il disait, et tellement de faux aussi…

— J’ai eu ma part d’émotions et de sentiments et cela ne m’a rien apporté de bon, s’entendit-elle dire à voix haute.

— Avec un homme qui ne vous convenait pas, murmura Nico.

Elle respirait d’une manière irrégulière et il était comme hypnotisé par le mouvement de sa poitrine qui, dans la pénombre, se soulevait et s’affaissait tour à tour. L’image qui le hantait depuis des semaines s’imposa subitement à lui avec une clarté troublante. Quel désir il avait de poser ses mains sur ses petits seins ronds, de sentir leur goût dans sa bouche… Il fallait absolument qu’il sorte au plus vite de cette chambre, pour éviter de se comporter comme le dernier des idiots. Il n’allait tout de même pas abuser d’une femme réduite à l’impuissance…

Il se leva et se détourna.

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— J’ai besoin d’un drap, déclara-t il. Je vais m’installer sur le canapé du salon. En laissant les portes ouvertes, je pourrai vous entendre si vous avez besoin de quoi que ce soit.

— Ce n’est pas la peine…

— Si, j’y tiens. Tout est arrivé par ma faute, et je me sens responsable de ce qui vous arriverait si vous ne respectiez pas les consignes du médecin.

Abby poussa un soupir de soulagement. Il était plus confortable de penser qu’il agissait par pur égoïsme. Dès que cette motivation cessait de coller à son comportement, elle perdait pied, comme tout à l’heure, lorsque, assis sur le bord de son lit, il discourait avec calme et naturel. Cela suffisait à l’affoler et son cœur, dans sa poitrine, battait la chamade.

— Vous ne supporteriez pas de vous sentir coupable, n’est-ce pas ? lança-t elle d’une voix sarcastique. Vous trouverez des draps et des oreillers dans le placard du palier.

Bien. Où est l’école de Jamie ?

— Je demanderai à la maman d’un de ses camarades de passer le prendre.

— Je l’accompagnerai.

Comme il ne paraissait pas disposé à discuter, elle lui donna brièvement les indications nécessaires. Jusque-là, elle n’avait songé qu’à elle, à l’inconfort de cette présence, à la menace que cet homme représentait pour son fragile équilibre affectif. L’idée ne l’avait pas effleurée que ce magnat des affaires puisse lui aussi être dérangé par les contretemps que la situation lui imposait.

— Merci, fit elle simplement. Je sais que vous ne restez que parce que vous vous y sentez contraint, mais je vous en suis… reconnaissante.

— Ne vous croyez pas obligée de me remercier. De toute façon, les hommes adorent jouer les protecteurs.

S’il ne fallait pas accorder trop d’importance à cette marque de galanterie, Abby ne put s’empêcher de sourire. Elle se sentait effectivement en sécurité, avec lui dans la maison. Peut-être devait-elle réviser son jugement, elle aussi ? Autrefois, elle avait prêté à Oliver des sentiments altruistes et chevaleresques, alors qu’il n’était qu’un monstre d’égoïsme. Nico, au contraire…

Elle se ressaisit, s’interdisant de s’aventurer sur ce terrain.

Dès qu’il eut quitté la pièce, elle appela Michael, qui lui parut maussade.

— Ton frère m’avait dit que tu prenais la nouvelle plutôt bien, remarqua-t elle, surprise.

— Ne t’inquiète pas. Je tiendrai mon rôle de fiancé éconduit.

— Tu n’es pas obligé. J’ai laissé entendre à Nico que nous avions discuté de notre avenir pour convenir que le mariage n’était peut-être pas pour nous la solution idéale.

— Cela ne me déplaît pas de jouer les cœurs brisés…

Puis, changeant de sujet, Michael lui demanda des nouvelles de son pied.

— Je passerai t’apporter des provisions, promit il. Mais comment vas-tu te débrouiller, si tu es immobilisée ? Rebecca pourra-t elle se libérer ?

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Il n’était pas question de faire de nouveau appel à son amie, décida Abby. Du reste, quoi qu’en dise le docteur, elle réussirait bien à se déplacer avec des cannes anglaises. Il fallait rassurer Michael qui, autrement, n’hésiterait pas à engager une aide domestique pendant quelques jours. Sa fortune personnelle lui avait toujours permis de résoudre toutes sortes de problèmes matériels, mais elle ne tenait pas à se sentir redevable de trop de services.

Elle lui certifia donc que tout était réglé, et coupa court à ses interrogations quant à la présence de son frère, en lui assurant qu’il quitterait les lieux dès le lendemain matin.

Elle ne l’aperçut pas moins, à son réveil, en train de frapper poliment à sa porte entrouverte. Il était déjà tard et le soleil filtrait à travers les rideaux.

— 10 h 30 ! s’écria-t elle. Vous n’auriez pas dû me laisser dormir !

— Vous aviez besoin de vous reposer, répondit-il en s’approchant avec un verre d’eau et deux cachets. J’ai demandé à Jamie de ne pas faire plus de bruit qu’une petite souris et il a beaucoup aimé le jeu.

Abby bougea les jambes, et ce simple mouvement lui arracha une petite grimace de douleur.

— Avalez cela, lui ordonna-t il.

Elle obtempéra et l’écouta lui raconter sa matinée. Il s’était levé à 6 heures, avait accompagné Jamie à l’école et s’était arrêté à la pharmacie sur le chemin du retour. Il avait aussi cherché une boutique pour s’acheter des vêtements de rechange ; en l’occurrence, un pantalon clair et une chemisette à rayures — force lui était de reconnaître qu’ils lui allaient bien, mais tout lui allait.

— Bien, conclut-il. Vous allez vous appuyer sur mon bras jusqu’à la salle de bains. Ensuite, je vous porterai au rez-de-chaussée pour le petit déjeuner. A moins que vous préfériez que je vous monte un plateau ?

Abby n’en revenait pas. Loin de sembler sur le départ, Nico prenait ses responsabilités très au sérieux. Un peu trop à son goût. Et il n’avait pas le droit d’être si séduisant !

— Je suis désolée d’avoir créé toutes ces complications et je ne voudrais surtout pas gâcher votre journée. Vous avez certainement besoin de regagner Londres rapidement. Je sais que vous n’avez pas une minute à vous, en temps ordinaire.

— Certes. Mais je me suis heureusement muni de mon ordinateur portable et je peux très bien gérer la plupart de mes affaires à distance. J’ai juste dû annuler deux rendez-vous. Pour le reste, mes collaborateurs sont sur la brèche. Je les paie assez cher pour qu’ils puissent me remplacer de temps à autre. Il faut bien qu’ils justifient leurs salaires !

Il lui adressa un sourire qui la fit frissonner.

— Mais…

— Je vais vous faire couler un bain, annonça-t il en s’éclipsant.

Elle eut subitement l’impression que le sol se dérobait sous ses pieds. Lorsqu’il revint, elle ne s’était pas encore résignée à l’inévitable.

— Juste pour aujourd’hui, alors, bredouilla-t elle quand il la souleva dans ses bras.

— Comme vous voudrez, murmura Nico.

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Il sentait son corps tiède et vulnérable tout contre lui, ainsi que les battements de son cœur. Une force nouvelle coulait dans ses veines, comme s’il retrouvait les émotions de ses dix-huit ans…

Chapitre 8

Cette femme était pleine de contradictions.

Nico fixait distraitement l’écran de son ordinateur, posé sur la table de la cuisine. Il n’arrivait même plus à lire ses mails, tant il avait la tête ailleurs. Lui qui d’habitude était capable de travailler n’importe où !

Tout en maugréant contre le temps perdu, il se leva pour se verser une tasse de café. La personnalité d’Abby le déconcertait. Pour une femme prête à se jeter dans un mariage sans amour afin d’obtenir des compensations financières, elle faisait montre d’une pruderie étonnante. Elle s’était barricadée dans la salle de bains, refusant son aide catégoriquement, même s’il lui avait fallu cinq fois plus de temps pour se débrouiller seule. Elle n’avait réclamé son assistance que pour descendre au rez-de-chaussée. Et encore, en insistant pour se déplacer à cloche-pied avec seulement l’appui de son bras, car il était hors de question qu’il la porte. Comme la cheville avait beaucoup désenflé depuis la veille, il avait cédé.

Ce soir, Michael lui rendrait visite comme si de rien n’était. Cela n’avait aucun sens ! Nico n’avait jamais été plaqué par aucune femme, mais il n’imaginait pas comment son frère pouvait passer prendre le thé chez son ex-maîtresse et s’occuper de régler quelques détails matériels alors qu’elle venait à peine de rompre. Quelle histoire invraisemblable ! Nico détestait les mystères… Sur une impulsion, il vida sa tasse dans l’évier, prit son ordinateur sous le bras et se dirigea vers le salon.

Abby était installée sur le canapé, les jambes sur un coussin, légèrement surélevées. Elle avait bandé sa cheville tant bien que mal. Plutôt mal que bien, d’ailleurs, songea Nico. Si elle n’avait pas été aussi orgueilleuse, il lui aurait proposé de refaire son pansement.

A son approche, elle leva les yeux de son livre. Avec son visage très doux, ses cheveux tirés en arrière et sagement tressés dans le dos, elle coïncidait parfaitement avec la première image qu’il avait eue d’elle en Grèce, lorsqu’elle était descendue de taxi, fragile femme-enfant qui contemplait avec émerveillement la maison de son grand-père.

— Oui ? fit elle en haussant les sourcils. Vous voulez quelque chose ?

— Vous ne vous ennuyez pas, assise là, toute seule ? Vous n’avez pas envie de regarder la télévision ? Si vous voulez, je vous donne la télécommande.

Il posa sa sacoche sur la table et se mit à arpenter nerveusement la pièce, s’arrêtant de temps à autre devant les fenêtres pour regarder le jardinet. Toute une collection de jouets en plastique étaient rangés sur les graviers d’une petite terrasse.

— Arrêtez de vous agiter comme ça, Nico, vous me fatiguez.

Comme il se retournait, elle poursuivit :

— Vous avez l’air d’un lion en cage. Ne vous croyez pas obligé de rester ici pour moi. Je vous l’ai déjà dit, je suis parfaitement capable de me débrouiller seule. En prenant mon temps, c’est vrai, mais je n’ai pas particulièrement besoin de me dépêcher.

— Je resterai jusqu’à ce que vous soyez complètement rétablie.

— Complètement rétablie ? répéta Abby, abasourdie. Je pensais que vous partiriez aujourd’hui !

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— Avant le passage de mon frère ? Cela vous arrangerait, j’imagine.

— Quelle idée ! Je ne comprends pas…

Vous avez peut-être peur que je lui pose une ou deux questions bien précises… ?

Il avait envie de la provoquer car, curieusement, il était jaloux de l’espèce de tendresse qu’il percevait entre elle et Michael. Sans comprendre pourquoi, il avait brusquement des doutes sur l’opportunité de son ingérence dans leur histoire. Certes, il avait cru protéger son frère, mais qui sait si une amitié platonique ne constituait pas, finalement, une base solide entre un homme et une femme ? Après tout, l’attirance sexuelle ne durait jamais très longtemps. Combien de fois n’avait-il pas lui-même fait passionnément l’amour à une femme, tout en sachant qu’il la quitterait un jour ?

— De toute manière, là n’est pas la question, reprit-il. Vous ne m’avez pas répondu. Vous ne vous ennuyez pas ?

— Bien sûr que non.

Dehors, la bruine se transformait petit à petit en pluie drue et serrée. Après une longue période de beau temps inespéré, le soleil, c’était le cas de le dire, avait filé à l’anglaise. Les prévisions météorologiques pour les prochains jours étaient désastreuses.

— Le temps est idéal, ajouta-t elle. Au moins, je ne suis pas tentée de sortir.

Elle se déridait un peu. Abandonnant toute idée de travailler, Nico approcha une chaise et s’assit en face d’elle.

— Mais vous ne pouvez rien faire.

— Je lis, répondit-elle en lui montrant la couverture de son roman policier. Je n’ai pratiquement plus de temps pour la lecture. Dès qu’on a des enfants, on n’a plus une minute à soi.

— Je sais.

— Au fait, Jamie n’a pas posé de problèmes, ce matin ?

— Il est très gentil et très bien élevé. Je crois même qu’il était ravi que je l’emmène à l’école.

— Parce que vous êtes un homme…

Nico Toyas ne correspondait pas vraiment à l’image de l’homme moderne et domestiqué du XXIe siècle… Elle continua :

— Il arrive à l’âge où les garçons s’intéressent au foot et aux voitures et il est jaloux de ses camarades qui partagent ces centres d’intérêt avec leurs papas.

— Même si Michael représente une présence masculine, il ne s’est jamais passionné pour ce genre de choses, objecta Nico.

— Ce n’est pas un grand sportif, mais il a une magnifique Porsche et Jamie adore s’asseoir à côté de lui au volant pour faire semblant de conduire.

— J’imagine que vous n’avez pas beaucoup de loisirs. Mais vous saviez sûrement à quoi vous attendre. N’avez-vous jamais pensé…

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— A avorter ? Certainement pas ! J’ai désiré mon bébé dès que j’ai appris que j’étais enceinte. Pour moi, un autre choix était tout simplement inconcevable.

— Excusez-moi, c’était juste une question.

— Et vous-même, envisageriez-vous de demander à une maîtresse ou à une épouse d’avorter parce que vous refusez la paternité d’un enfant ?

Non, en aucun cas. Mais avant tout je m’assurerais que la situation ne se produise pas. Dieu merci, la contraception nous garantit la parfaite maîtrise de notre sexualité.

La conversation prenait un tour qui commençait à embarrasser Abby. Elle baissa les yeux.

— Quoi qu’il en soit, j’adore rester à la maison les jours de pluie, même sans rien faire. C’est très reposant. Vous devriez essayer.

Il la gratifia d’un sourire dévastateur.

— C’est exactement ce que je fais aujourd’hui…

Quand elle penchait la tête ainsi, son cou gracile paraissait encore plus délicat. Tout à coup, un désir fou le traversa, si fort qu’il serra les poings pour y résister, jusqu’à enfoncer ses ongles dans les paumes de ses mains. Sans cela, il se serait agenouillé devant le canapé pour repousser les petites mèches couleur de lin qui tombaient sur ses yeux, il aurait caressé son visage…

— Vous avez votre ordinateur portable avec vous…

— Oui, mais il est déjà midi et je n’ai pratiquement rien fait. Un manque de productivité totalement inhabituel chez moi…

Abby tenta de donner un autre tour à la conversation, qui devenait un peu trop personnelle à son goût.

— Eh bien, il faut vite vous mettre au travail ! lança-t elle avec désinvolture. Sinon, vous regretterez votre oisiveté.

— Malgré tout, je n’ai pas été totalement inutile, observa-t il d’une voix moqueuse. J’ai un peu servi de garde-malade…

— Je ne vous ai rien demandé !

— Je sais… Puisque je n’ai pas pu me rendre au bureau aujourd’hui et que ce sera sans doute vraisemblablement la même chose demain…

Il fallut plusieurs secondes à Abby pour assimiler cette dernière information ; elle ne comprit pas tout de suite, non plus, le reste de la phrase, si bien qu’elle dut en répéter mentalement les mots avant de pouvoir répondre.

— Vous voulez que je travaille pour vous ?

— Juste le temps de ma présence ici. J’ai quelques lettres à dicter et vous tapez probablement beaucoup plus vite que moi.

Elle tressaillit à son contact quand il installa l’ordinateur sur ses genoux. Il se plaça ensuite derrière elle pour lui montrer quelques fonctions du clavier.

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— Vous êtes familière de l’informatique, je présume ?

— Naturellement, mais je ne sais pas si je serai à la hauteur de vos espérances.

Ses cheveux très clairs, presque blancs à force d’être blonds, fleuraient bon la menthe et l’eucalyptus… Il sursauta en entendant le son de sa voix ; elle lui demandait comment ouvrir un dossier ; et il se pencha par-dessus son épaule pour cliquer sur l’icône correspondante. Puis, de nouveau, son esprit battit la campagne, et il se perdit dans la contemplation de ses longs doigts très fins courant sur le clavier.

Il vous manquera ? murmura-t il.

Le cœur de la jeune femme bondit dans sa poitrine.

— De qui parlez-vous ?

— De mon frère. En rompant vos fiançailles, vous le perdez.

Des petits cheveux blonds voletèrent sous son souffle, mais il ne s’écarta pas. Il se sentait bien ainsi, tout près, à humer son parfum, à observer sa brusque tension.

— Michael et moi continuerons à nous voir de toute façon, déclara-t elle tranquillement.

Abby se gratta la gorge, en s’évertuant à masquer son trouble. Pourquoi se tenait-il si près ? Elle n’arrivait plus à se concentrer. Tout juste si ses cordes vocales fonctionnaient encore…

— Nous sommes liés par une profonde amitié, reprit-elle en cherchant ses mots. Je n’ai pas l’habitude d’abandonner mes amis dès que surgit un problème.

Nico recula, puis fit le tour du canapé pour s’accroupir devant elle.

— Pourtant il ne s’agit pas simplement d’une amitié… platonique. Même si votre relation amoureuse n’a jamais été consommée.

— Laissons cette conversation et remettons-nous au travail, dit elle en rougissant. Je ne suis pas secrétaire de métier…

Le regard de Nico fixé sur elle la mettait horriblement mal à l’aise.

— Je… Je commence à m’ankyloser. J’ai besoin de changer de position.

— Vous avez une crampe ? Je vais chercher des glaçons dans la cuisine, proposa-t il aussitôt.

Cela donnait au moins à Abby quelques minutes de répit…

Une fois de retour, il posa sur son pied une poche de glace enveloppée dans une serviette.

— Un quart d’heure suffira, décréta-t il. Pendant ce temps, je vais vous masser les jambes. L’immobilité est très mauvaise pour la circulation du sang.

— Si on reste très longtemps sans bouger, ce qui n’est tout de même pas mon cas ! protesta Abby.

Cependant, sourd à ses arguments, il se mit à genoux devant elle et déboucha un tube de crème qu’il avait rapporté de la salle de bains.

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— Détendez-vous. Vous êtes abominablement crispée.

Petit à petit, elle ferma les paupières en se renfonçant dans les coussins. Avec une douceur étonnante, il entreprit de masser son pied valide, depuis le bout des orteils jusqu’au talon, avant de remonter vers la cheville et le long du mollet. Comment ne pas se laisser aller, s’abandonner à la douce langueur qui la gagnait ?

Rouvrant subitement les yeux, elle aperçut la tête brune de Nico, penché au-dessus de ses jambes, complètement absorbé par ce qu’il faisait.

Merci, articula-t elle, la gorge sèche. Je me sens beaucoup mieux et prête à travailler, maintenant.

Elle se redressa et Nico approcha une table basse sur laquelle il installa son pied blessé. Il la touchait sans arrêt. Mais c’était sans arrière-pensée, se répétait-elle pour tâcher de s’en convaincre.

Elle se concentra avec soulagement sur le maniement du logiciel de traitement de texte. Nico dicta son courrier avec clarté et rapidité, sans jamais hésiter. Ses tournures étaient élégantes et concises à la fois. Vers 13 h 30, il s’interrompit parce qu’il avait faim.

— Je vous emmène dans un pub. Je garerai ma voiture le plus près possible. Vous vous appuierez sur mon bras.

— Mais…

Quelle excuse invoquer ? Qu’elle redoutait de découvrir des aspects sympathiques ou agréables de sa personnalité ? Il était tellement plus simple de s’en tenir à ses premières et calamiteuses impressions, pour ne pas avoir à se poser trop de questions…

— Il vaudrait mieux que vous retourniez à Londres. Vous ne me devez absolument rien. Après tout, je ne suis qu’une vulgaire aventurière. L’auriez-vous oublié ?

— J’ai changé d’avis.

Il l’observa un instant en silence et elle en eut la chair de poule.

— Auriez-vous peur de moi ? demanda-t il enfin, très doucement.

Abby, cela va de soi, nia farouchement.

— Bon. Alors quel est le problème ?

Moins d’une demi-heure plus tard, ils se retrouvèrent attablés dans un petit restaurant français très à la mode, dont Nico avait l’adresse dans son agenda. Pour alimenter la conversation, Abby s’ingénia à lui poser toutes sortes de questions insignifiantes, auxquelles il répondit de bonne grâce. Le personnage tout d’une pièce se transformait peu à peu en un homme bien réel, vif et plein d’esprit, courtois et très divertissant. « Mais pas du tout le genre d’homme qui peut m’intéresser », se répétait-elle pour se tranquilliser.

— Nous devrions prendre Jamie à l’école sur le chemin du retour, dit il au moment de payer l’addition.

Le temps avait filé très vite…

— Et votre travail ? répliqua-t elle. Une fois que Jamie sera rentré, vous ne pourrez plus rien faire.

— Nous attendrons qu’il soit couché. Ou demain.

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Il comptait donc rester encore… Et à son grand désarroi, elle s’en félicitait presque. D’où jaillissait ce contentement à peine avouable ? Sans doute ne s’agissait-il que de gratitude. Il s’était montré si serviable et si généreux… Comment n’aurait-elle pas éprouvé de la reconnaissance ?

La présence de Jamie créa bientôt une diversion qui l’empêcha de s’appesantir sur le sujet. Il raconta sa journée avec entrain, leur montrant fièrement ses dessins et posant toutes sortes de questions, d’une naïveté désarmante parfois, comme le font tous les enfants

En rentrant, Abby observa avec un léger pincement au cœur le comportement de Nico avec son fils. A la différence de Michael, qui n’aimait pas beaucoup bouger, son frère se dépensait sans compter, construisant des tours en Lego, tirant des buts dans le jardin en faisant fi des recommandations d’Abby concernant les fenêtres ou les fleurs des voisins… Il partit même à vélo avec Jamie chercher des hamburgers à l’épicerie du coin, et le bain se transforma en une aventure extraordinaire et pleine d’imprévu.

— D’où tire-t il toute cette énergie ? s’enquit Nico en profitant d’une pause.

Abby éclata de rire. Elle aurait pu retourner la question à Nico, qui débordait lui aussi de vitalité…

Après le repas, elle raconta à son fils son histoire quotidienne ; il s’endormit avant la fin et Nico monta le coucher.

— L’expérience vous a plu ? lui dit-elle lorsqu’il réapparut cinq minutes plus tard et s’affala sur une chaise.

Il esquissa un sourire. En fait, il ne s’était pas autant amusé depuis très longtemps.

— J’ai décommandé Michael, répondit il, éludant la question.

— Comment ?

— Vous avez bien entendu. Je lui ai dit que vous étiez trop fatiguée pour recevoir des visites. Moi, je le verrai avant de repartir. Et vous, vous aurez tout le temps de lui parler une autre fois.

— Vous ne m’avez même pas consultée ?

— C’est exact.

— Vous… Vous n’avez pas le droit d’intervenir ainsi dans ma vie privée sans me demander mon avis.

— C’est trop tard, répliqua-t il très calmement tandis qu’elle continuait à protester, en s’étouffant presque.

— Michael aurait été ravi de passer la soirée avec nous. Il doit être horriblement vexé… Il faut que je l’appelle…

— C’est inutile.

Le ton commençait à monter. Nico ne comprenait pas pourquoi il avait de nouveau la sensation désagréable que la situation lui échappait.

— Pourquoi vous souciez-vous à ce point de ce que pense mon frère ? Vous avez peur de lui ?

Abby lui jeta un regard sincèrement étonné.

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— Pas du tout ! Pourquoi aurais-je peur de lui ? C’est la personne la plus gentille que je connaisse !

— Dans ce cas, il ne vous en voudra pas si vous vous reposez.

Un frémissement incoercible la parcourut. Elle percevait dans son intonation une pointe d’agressivité, qu’elle ne s’expliquait pas. Quand il avança vers elle, elle humecta ses lèvres sèches.

De plus, poursuivit Nico dans un murmure rauque qui acheva de la déstabiliser, c’est peut-être une très bonne chose que Michael ne soit pas là ce soir avec nous. Même s’il a plutôt bien pris la rupture de ses fiançailles, je ne sais pas comment il réagirait dans cette… atmosphère.

— Quelle atmosphère ?

Abby se sentait partagée entre un désir hystérique d’éclater de rire, et une sorte d’angoisse sans objet qui l’étreignait de plus en plus fort.

— Vous me comprenez parfaitement.

Nico se trouvait maintenant devant elle et observait sans cacher sa satisfaction sa respiration saccadée et irrégulière. Il tendit la main pour lui caresser le bras et elle poussa un soupir à peine audible.

— Nous avons déjà éprouvé cela en Grèce, reprit-il, sans lui laisser le temps de recouvrer ses esprits.

Puis il s’agenouilla et se pencha pour l’embrasser délicatement au creux du cou, juste au-dessus de la clavicule.

Abby frissonna.

— Non, articula-t elle faiblement.

— Si, répliqua-t il. Vous ressentez pour moi un désir que vous n’avez jamais éprouvé pour mon frère. J’en ai déjà eu la preuve une fois, mais, ce soir, j’en veux l’absolue certitude.

— Vous ne pouvez pas…

— Osez prétendre le contraire !

Du bout des lèvres, il suivit la ligne de sa mâchoire.

— Dites-moi que vous n’avez pas envie de ça, et je vous laisserai tranquille. Je ne me mêlerai même plus de votre histoire avec Michael. Si vous avez toujours envie de l’épouser, quelles que soient vos raisons, je m’effacerai.

— Je n’ai pas l’habitude de… de coucher avec le premier venu…

— Mais vous épouseriez un homme qui ne vous inspire aucun désir à seule fin d’obtenir la sécurité financière. Moralement, c’est encore plus discutable.

Abby se dégagea.

— Laissez-moi tranquille.

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— Je vais vous porter jusqu’à votre chambre. Nous serons mieux là-haut pour faire l’amour. Ne vous inquiétez pas, je serai très doux avec vous.

Abby fondait littéralement. Le désir insensé qui s’était emparé d’elle croissait à chaque pas qui les rapprochait de sa chambre. Elle ne se souvenait pas avoir jamais éprouvé pareille fièvre, même avec Oliver. Les longues années d’abstinence et de solitude dont elle avait tant souffert en étaient sûrement la cause…

Nico poussa la porte avec son épaule, referma à clé derrière eux et la déposa sur le lit. Le silence d’Abby était plus éloquent que n’importe quelle déclaration. Son cerveau lui commandait de résister, mais son corps refusait d’écouter. Un instant, en allumant la petite lampe de chevet, Nico se demanda comment il réagirait si elle le repoussait. Naturellement, malgré le désir impérieux qui le torturait et qui réclamait son assouvissement, il se détournerait. Mais à quel prix…

Je suis heureux de constater que vous ne protestez plus, dit il en la dévorant des yeux.

Sa jupe, remontée sur ses cuisses, exposait la blancheur de sa peau nue. Elle le regardait fixement, comme ensorcelée, incapable de bouger ni de rien dire. Lentement, il déboutonna sa chemise et le jeta à terre. Puis, les yeux toujours rivés aux siens, il posa la main sur la boucle de sa ceinture. Il atteindrait bientôt le point de non-retour. Dieu, comme c’était difficile de contenir son impatience et de mesurer ses gestes alors qu’il avait envie d’arracher ses vêtements pour se jeter sur elle…

— Ne t’arrête pas, chuchota Abby.

Les mots, qui étaient sortis tout seuls de sa bouche, scellaient ce qui allait suivre. Mais peu importait maintenant. Tant pis s’il ne s’agissait que d’une brève rencontre. Tant pis si Nico se servait d’elle ou s’il condamnait la légèreté de sa conduite. Elle avait envie qu’il la possède, entièrement, absolument.

Il lui avait promis de la douceur, mais de cela aussi elle se moquait. Elle se surprenait même à désirer sa brutalité.

Elle continua à le regarder pendant qu’il se déshabillait. Quel homme magnifique ! Les épaules larges, bronzé, il irradiait une force peu commune. Quand il fut nu devant elle, un gémissement s’échappa de sa gorge.

— Je te plais, Abby ? murmura-t il en se penchant.

Elle se contenta de hocher la tête timidement et il lui sourit.

— A ton tour, maintenant.

— Je risque de te décevoir…

— Ne t’inquiète pas.

S’installant sur elle à califourchon, il lui ôta son T-shirt, et elle fit le geste de dégrafer son soutien-gorge ; il l’en empêcha.

— Laisse-moi faire. Lentement. Nous avons tout notre temps…

Il ne se reconnaissait pas ; ses mains tremblaient comme celles d’un adolescent inexpérimenté… Il avait si souvent rêvé de ses seins qu’il eut beaucoup de mal à contenir son émotion lorsqu’il fit coulisser les bretelles sur ses épaules. Bientôt, il goûterait leur saveur, leurs pointes se durciraient sous sa langue et elle se cambrerait contre lui. Pour l’heure, il n’avait pas fini d’explorer son corps…

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Il défit la ceinture de la jupe et descendit la fermeture Eclair, avant de faire glisser le vêtement le long de ses longues jambes fuselées. Quelle minceur ! Comment, jusque-là, avait-il pu être attiré par les courbes généreuses des femmes bien en chair ? Il ne restait plus qu’à ôter le slip, ce qu’il fit en retenant son souffle, émerveillé de découvrir le trésor de sa féminité…

Alors, tout en s’exhortant sans cesse à la patience, il l’embrassa. Sur les lèvres, le cou, les seins. Jamais il ne se rassasierait de cette peau satinée. Puis, plus bas encore, sa bouche déposa des baisers sur son ventre, et d’autres encore sur la moiteur humide de son sexe. Posant chacune de ses mains à l’intérieur de ses cuisses, il les écarta doucement et entreprit de donner du plaisir à Abby, lui arrachant plaintes et gémissements. Elle enfouit ses doigts dans les cheveux de sa nuque tout en ouvrant ses jambes plus grand encore, s’abandonnant totalement à son avide exploration…

Chapitre 9

Aux prises avec des sentiments contradictoires, Abby observait paresseusement Nico en train de s’habiller. D’un côté, elle adorait le regarder. D’un autre, elle détestait ce moment qui, comme tous les autres dimanches, marquait la fin du week-end et l’heure toute proche des adieux et de la séparation.

Depuis six semaines que durait sa liaison avec Nico, elle avait encore du mal à croire à ce qui lui arrivait, et surtout à accepter sa situation. Elle était devenue dépendante d’un homme qui ne l’aimait pas, au point de s’en sentir l’esclave. Leur relation était pour elle une sorte de drogue dont elle ne pouvait se passer. Mais le besoin qu’elle avait de Nico n’étant pas réciproque, hélas, et la douleur du manque qui la tourmenterait inévitablement lorsqu’il déciderait de rompre la terrifiait par avance. Pas une seule fois il n’avait murmuré un mot de tendresse à son oreille. Pas même dans les instants de passion intense et dévorante qu’ils avaient partagés.

Il appréciait les moments qu’il passait en sa compagnie et le lui disait, mais… il n’était jamais question d’amour ni de sentiments. Même s’il avait révisé son opinion et ne la considérait plus comme une vile aventurière, elle restait à ses yeux une femme qui avait envisagé de sacrifier ses principes et sa moralité en échange de la sécurité financière et du respect des conventions. De la même manière qu’elle s’était servie de son frère, même si elle n’avait jamais voulu l’admettre, il se servait maintenant d’elle sans le moindre scrupule.

Abby se retrouvait dans la pire des situations, insoluble de surcroît, mais elle s’était résignée parce qu’il lui était impossible de faire autrement.

Nico arrivait le vendredi, quelquefois le samedi, et repartait toujours le dimanche soir, une fois que Jamie était couché. Qu’il soit à Athènes, à Londres ou ailleurs, il faisait le voyage.

Mais il ne s’agissait que de sexe. Pour lui, en tout cas. Abby avait d’ailleurs parfois l’impression qu’il regrettait cette faiblesse. Quand, dans le feu de l’amour, il lui arrivait de l’appeler sa petite sorcière, elle sentait bien que ce mot, dans sa bouche, n’était pas un compliment.

Cependant, elle avait beau se faire toutes sortes de reproches, rien n’y faisait. Elle était de plus en plus amoureuse de lui. Certes, il n’était pas marié, comme Oliver, mais il était tout aussi dangereux pour son équilibre. Davantage, même, peut-être. Parce que les sentiments qu’elle avait éprouvés pour Oliver n’avaient rien à voir avec l’amour fou qu’elle portait à l’homme dont elle contemplait le dos, comme il enfilait son pantalon.

— Je te sens préoccupée, lui dit-il, sans se retourner, en attrapant sa chemise. A quoi penses-tu ?

« A nous », avait-elle envie de répondre. « A notre relation sans avenir, forcément vouée à l’échec. A ce qui m’arrivera quand tu te lasseras de moi et que tu me quitteras pour une autre. Est-ce qu’au moins tu m’avertiras ? Ou est-ce que simplement, un beau jour, tu cesseras de venir me voir, sans crier gare ? Après tout, une femme sans principes moraux ne mérite pas des adieux formels. »

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— Oh, à rien, dit elle à voix haute. C’est demain lundi. Je n’aime pas les débuts de semaine. Il faut recommencer à travailler…

— Démissionne !

Nico se retourna et finit de boutonner sa chemise avant de s’appuyer sur le montant du lit en fer forgé.

— Quelle bonne idée ! s’écria Abby en riant. Et je vivrai de l’air du temps !

Il promena lentement les yeux sur son corps nu. Il aimait la regarder ainsi, quand elle s’offrait à lui dans des poses impudiques et qu’il était tout habillé

Je suis riche. Je pourrais t’aider.

Il haussa les épaules, mais l’acuité de son regard démentait sa nonchalance.

Abby eut la sensation d’une gifle en plein visage, mais elle dissimula ses réactions du mieux qu’elle put.

— En effet, tu as les moyens de m’acheter et de faire de moi une femme entretenue.

— Je n’ai pas besoin de t’acheter. Tu es déjà à moi.

— Oh, Nico !

Abby roula sur le côté et ramena la couverture sur elle en ravalant les larmes qui lui brûlaient les yeux.

— Parfois, tu me sidères !

— Je me contente de dire les choses comme je les sens, déclara-t il en venant s’asseoir à côté d’elle sur le lit. Tu es épuisée quand arrive la fin de la semaine. Quel mal y a-t il à ce qu’un homme se soucie de la santé physique de sa maîtresse ?

— Nous vivons sans doute sur des planètes différentes, parce que, pour moi, cela n’a aucun sens. Je suis une femme émancipée. Je gagne ma vie. Jamais je n’accepterai de dépendre d’un homme financièrement.

— Tu étais pourtant prête à franchir le pas avec mon frère.

Il regretta presque aussitôt cette allusion à Michael, alors qu’il était sur le point de partir. Abby continuait à le voir, il le savait, et Michael l’invitait de temps en temps avec Jamie au restaurant. A la guerre comme en amour, tous les moyens étaient bons… Michael avait sans doute bien le droit de conserver l’amitié de la femme qu’il avait perdue, mais cette pensée le rongeait comme un feu qui couverait sous la braise, prêt à se rallumer à la moindre étincelle.

Abby demeurait silencieuse. Michael et elle avaient réussi à garder leur secret, mais elle savait bien que leur amitié irritait Nico. Ce n’était pas une question de jalousie, car nul autre que lui ne lui inspirait du désir. Simplement, il aurait préféré que la situation soit plus nettement tranchée. Sans doute devinait-il que quelque chose échappait à sa compréhension.

— Eh bien ? insista Nico, ignorant la petite voix intérieure qui lui recommandait la prudence. Tu ne réponds pas ? Puisque j’ai encore plus d’argent que Michael, je ne vois vraiment pas où est le problème. En plus, Jamie devrait fréquenter une institution privée. Il est trop brillant pour gâcher son intelligence dans l’école du quartier.

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La mention de son fils émut Abby. Nico parlait rarement de Jamie. Pourtant, il entretenait d’excellentes relations avec lui, avec un savoir-faire étonnant. Jamie l’adorait.

Encore une complication qu’il faudrait affronter, le moment venu.

Au début, Abby s’était lancée dans l’aventure avec les meilleures intentions du monde. Elle avait cédé à l’attirance que Nico exerçait sur elle en se disant qu’il n’y avait aucun mal à profiter un peu des plaisirs de la vie. Pourquoi se serait-elle privée d’une vie sexuelle épanouie ? Elle avait essayé de laisser Jamie en dehors de cette histoire, mais petit à petit la situation avait évolué, sans qu’elle s’en aperçoive, et ils avaient commencé à avoir des activités tous les trois pendant la journée. Et puis, c’était tellement agréable de voir la gaieté éclater sur le visage de Jamie chaque fois que Nico venait à la maison ! En vertu de quoi se serait-elle défendu ces instants de bonheur, même fugitifs ?

Quand elle s’était rendu compte que les choses lui échappaient, il était trop tard pour réagir. Et de toute façon, elle n’en avait pas envie.

— L’éducation de mon fils ne te regarde pas, Nico.

Si, immédiatement, Nico se crispa, dans son for intérieur, il convenait qu’elle avait raison, tout en se félicitant de ne pas avoir voix au chapitre.

— Je me contentais de donner un point de vue.

— Je te remercie. Mais je n’ai pas les moyens de mettre Jamie dans le privé.

— Toi, peut-être pas. Moi si.

— Remettons cette discussion à plus tard, si tu veux bien.

— Pourquoi ? Cela fait déjà deux mois que nous nous connaissons.

Abby se redressa, comme interloquée, tandis qu’une pensée lui traversait l’esprit, l’emplissant d’une panique épouvantable.

— Qu’est-ce que tu as dit ? fit elle, la bouche sèche.

Nico la considéra en plissant les yeux.

— Qu’y a-t il ?

— Pardon ? Quoi ?

Abby cilla. Elle n’avait plus hâte que d’une chose : que Nico s’en aille pour qu’elle puisse consulter son agenda.

— Laissons cela. Je dois vraiment partir.

Il lui prit le menton dans la main pour déposer un baiser sur ses lèvres. Très souvent, il devait retarder son départ parce qu’un geste, une caresse inattendue dégénéraient en une fougueuse étreinte. Cette fois-ci, Abby se rendit à peine compte qu’il l’embrassait.

— C’est incroyable, murmura-t il. L’effet que tu produis sur moi ne s’estompe pas du tout, bien au contraire…

— Extraordinaire, en effet ! répliqua Abby un peu plus vivement qu’elle ne le voulait.

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— Que veux-tu dire ?

— Aux yeux de la plupart des gens, deux mois ne constituent pas vraiment un exploit ou un record de durée.

Elle lui sourit pour atténuer le sarcasme qui perçait dans sa voix, et ajouta :

— Mais nous savons bien, toi et moi, que tu es très différent de la plupart des hommes… Tu devrais t’en aller, maintenant. Il est déjà 23 heures passées. Je me demande d’ailleurs comment tu arrives à travailler convenablement avec si peu de sommeil.

— Parce que je ne suis pas comme les autres, précisément. Je n’ai pas besoin de dormir autant que tout le monde.

— Il faudrait pourtant apprendre à te ménager. La fatigue n’épargne personne, et c’est justement dans ces moments-là que les maladies attaquent l’organisme.

— Je suis heureux de voir que tu te fais du souci pour moi, ma chérie.

Il l’embrassa longuement, puis sa bouche descendit vers ses seins, qu’il se mit à titiller langoureusement. « Un tendre souvenir à emporter avec moi pour le voyage », songea-t il en levant les yeux pour surprendre l’expression de son amante. Les préoccupations d’Abby s’étaient apaisées, et elle soupira d’aise, reléguant momentanément à l’arrière-plan la consultation du calendrier de son agenda. Elle enfouit les doigts dans les cheveux de Nico, qu’il avait laissé pousser un peu, sur sa demande, pour lui plaire.

— Je n’ai pas du tout envie de te quitter…, chuchota-t il au creux de son oreille, avec un sourire ravi.

— Nico, ce n’est pas raisonnable… D’ailleurs, je dois me lever tôt demain matin…

Il reconnaissait à peine sa voix. Assourdie, altérée. Sous l’effet du désir ?

— Alors je ne serai pas long…

Il rejeta la couette qu’elle avait ramenée sur elle et écarta ses cuisses pour enfouir son visage dans la moiteur au goût de miel de sa féminité, lui arrachant aussitôt un petit cri de plaisir.

Nico était tout sauf un amant égoïste et le plaisir d’Abby comptait au moins autant que le sien. Plus, peut-être. Il adorait plus que tout la sentir frémir à son contact, et s’arc-bouter contre lui en s’agrippant à ses épaules. Sous sa langue, son clitoris se durcit et s’épanouit, tandis que peu à peu elle perdait le contrôle de son corps ; des ondes de plaisir la traversaient, qui se muèrent bientôt en secousses convulsives.

Abby entrouvrit des yeux langoureux lorsqu’il effleura le coin de ses lèvres d’un baiser léger comme une plume.

— Fais de beaux rêves, souffla-t il. Mais je t’interdis de rêver à un autre homme que moi.

— Comme si j’osais, chuchota-t elle en réponse.

« Comme si je le pouvais », songea-t elle in petto.

Dès qu’elle entendit la porte d’entrée se refermer derrière lui, la tentation fut grande de sombrer dans le sommeil. Mais la lucidité reprit vite le dessus. S’endormir sur un problème n’avait jamais aidé personne à le résoudre…

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Elle se releva et, s’enveloppant dans sa robe de chambre, descendit sur la pointe des pieds au rez-de-chaussée. Il n’y avait aucun problème, se dit-elle résolument. Un retard de règles ne voulait rien dire. Son horloge biologique avait toujours fonctionné de manière très capricieuse et, de toute façon, elle prenait la pilule. Il était impossible qu’elle soit enceinte. Elle n’avait pas à s’inquiéter.

Par ailleurs, des symptômes de toutes sortes avaient annoncé la grossesse de Jamie. Là, rien. Pas la moindre nausée, aucune fatigue… Inutile, donc, d’acheter un test en pharmacie.

C’est pourtant ce qu’elle fit le lendemain, à la pause du déjeuner, et il lui fallut toute la force de sa volonté pour attendre le soir avant d’ouvrir la boîte.

Plus tard, beaucoup plus tard, elle se demanda si elle n’avait pas été avertie par une sorte de pressentiment. Jamais elle n’aurait pu continuer à travailler comme si de rien n’était après avoir découvert la vérité qu’elle redoutait. Elle avait eu raison d’attendre d’avoir couché Jamie.

Etendue sur son lit dans l’obscurité, elle tâchait de se convaincre de la réalité du cauchemar qui fondait sur elle. Comment cela avait-il pu se produire alors qu’elle prenait la pilule ? Elle se souvint vaguement avoir eu une indigestion. Probablement au moment le plus mal choisi de son cycle…

Comment se tirer de cet embrouillamini ? Elle ne pouvait rien dire à Nico. Il lui était absolument impossible de s’imaginer lâchant cette bombe dans la conversation. Quelle serait sa réaction ?

Rien que d’y penser, elle en avait la nausée.

Nico ne voulait pas s’attacher, et surtout pas avec elle. Non seulement la nouvelle le rendrait fou furieux, mais il croirait sans doute qu’elle le piégeait délibérément. Pire, il insisterait pour lui octroyer une aide financière. Une autre pensée lui vint, plus épouvantable encore. Chercherait-il à lui enlever l’enfant, pour l’élever loin d’elle ?

Des larmes perlèrent à ses paupières et se mirent à ruisseler sur ses joues, sans qu’elle prenne la peine de les essuyer.

De quelque façon qu’elle envisage le problème, il était impossible de concevoir une conclusion optimiste. Même si Nico avait révélé des facettes inattendues de sa personnalité, il demeurait l’homme dur et intransigeant qu’elle avait connu en Grèce et qui l’avait agressée de prime abord.

Elle finit par s’endormir, écrasée par le poids de son tourment. Au réveil, malheureusement, le cauchemar ne s’était pas dissipé.

La situation était infiniment pire que la première fois où elle était tombée enceinte. A l’époque, elle croyait que la nouvelle comblerait de joie Oliver, et qu’ils formeraient ensemble une famille heureuse. Quand ses espoirs s’étaient effondrés, elle n’avait pas eu à s’interroger sur la suite du scénario, qui était tout tracé. Abandonnée par Oliver, il ne lui restait plus qu’à élever seule son bébé.

Cette fois-ci, elle ne voyait que des raisons de désespérer. Sans trop savoir quelle serait l’issue de cette histoire, elle sentait que Nico ne lâcherait pas prise facilement. Il avait la fibre paternelle. A le voir avec Jamie, cela ne faisait aucun doute.

Donc, de deux choses l’une. Soit il userait de son pouvoir pour lui retirer la garde de l’enfant, soit il exigerait une garde conjointe, ce qui l’obligerait à conserver des contacts avec lui pendant de longues et douloureuses années. Petit à petit, elle verrait l’homme qu’elle aimait s’éloigner d’elle, la haïr peut-être. Il continuerait à la voir mais uniquement par obligation, et finirait par trouver la femme de sa vie tandis qu’elle resterait à l’écart, vouée à la solitude et au chagrin.

Ce n’est qu’à la fin de la semaine qu’elle entrevit une petite lueur d’espoir. Très fragile, minuscule, mais qui brillait tout de même à l’horizon.

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Quand Nico lui avait proposé une aide financière, elle avait refusé avec vigueur de devenir une femme entretenue. Malgré tout, elle essaierait de revenir sur le sujet, pour tâter le terrain. Cela lui permettrait de le sonder. S’il se montrait sous un bon jour, elle lui dirait tout, en espérant qu’ils parviendraient à trouver un arrangement à l’amiable.

Dans le cas contraire, elle romprait définitivement et disparaîtrait. Elle perdrait du même coup Michael, son cher Michael, mais comment faire autrement ?

Abby était encore une boule de nerfs quand arriva le vendredi. A son habitude, Nico l’avait appelée plusieurs fois pour lui dire combien elle lui manquait, combien il regrettait de ne pas sentir la chaleur de son corps à côté de lui le matin, au réveil. Nul doute qu’elle perdrait de ses attraits quand il apprendrait qu’elle était enceinte…, songea-t elle tandis qu’il lui annonçait son arrivée tardive, aux environs de 22 heures.

— Ça ne fait rien, je suis fatiguée, répondit elle.

Nico marqua un silence. Elle ne l’avait pas habitué à ce genre de réaction… Mais que pouvait-elle dire d’autre, quand les ruminations de son esprit tourmenté butaient constamment sur le même écueil ? Elle ne connaîtrait bientôt plus le merveilleux bonheur de ces week-ends sensuels auprès de l’homme qu’elle aimait…

— La semaine a été longue, expliqua-t elle. Le système informatique est tombé en panne et tout le monde a dû faire des heures supplémentaires.

— Nous en parlerons de vive voix, répliqua Nico.

Sur ces mots, il raccrocha, ce qui parut de très mauvais augure à Abby.

Il arriva encore plus tard que prévu, vers 23 heures.

— J’ai apporté du champagne pour me faire pardonner, annonça-t il avec un de ces sourires charmeurs dont il avait le secret.

Maintenant qu’elle s’était résignée à la rupture, Abby prenait conscience de l’importance qu’il avait dans sa vie. Elle l’avait dans la peau. Comment se passer de la manière sexy, terriblement troublante, qu’il avait de la regarder ? Elle regretterait jusqu’à son odeur, mentholée et poivrée, si masculine.

— Qu’est-ce qu’il y a ? fit Nico brusquement, en la dévisageant.

— Rien.

— Rien ? Tu m’as dit que tu étais fatiguée, au téléphone. C’est la première fois que je t’entends prononcer ce mot-là.

— Tout le monde n’a pas ton énergie, Nico.

Elle baissa les yeux avant d’ajouter, le cœur battant :

— Je te remercie pour le champagne. Mais je m’écroulerais à la première gorgée, si j’en buvais.

— Je t’ai déjà suggéré une solution à ce problème de fatigue, dit Nico en ôtant sa veste.

Il posa la bouteille de champagne sur un meuble et souleva Abby dans ses bras, avant de se diriger vers le salon.

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— Je préférerais aller dans ta chambre, reprit il. Mais nous avons à parler. Te porter ainsi dans mes bras me rappelle la première nuit que j’ai passée chez toi, quand tu t’étais foulé la cheville. Tu te souviens ? C’est à ce moment-là que j’ai réalisé combien tu m’attirais.

L’attirance, le désir… Ces mots s’enfonçaient dans le cœur d’Abby comme des morceaux de verre, terriblement coupants…

— Tu as raison, Nico. Il faut que nous parlions.

Il s’assit à côté d’elle en plaçant ses pieds sur ses genoux et commença à les lui masser doucement.

— Tu as réfléchi à ma proposition ?

Evidemment, il ne lui viendrait pas à l’esprit qu’elle puisse refuser… Abby ramena ses pieds sous elle, hors de sa portée

Oui, j’ai réfléchi, commença-t elle, en se demandant comment exprimer le fond de sa pensée. Je ne te comprends pas. Tu méprises les femmes entretenues.

— Je n’ai jamais prétendu cela, rétorqua Nico avec irritation. Je méprise les femmes qui manigancent pour en arriver là. C’est différent.

— Comment peux-tu envisager une relation aussi inégale ? Combien de temps cela durerait-il ? Tu sais bien…

— Continue, la pressa-t il comme elle s’interrompait.

La gorge d’Abby se contracta douloureusement.

— Nous nous fréquentons depuis presque deux mois. J’aimerais savoir ce que tu penses de notre relation. Quel avenir tu envisages, si toutefois nous en avons un.

Nico plissa le front.

— L’avenir ? C’est ça qui te préoccupe ? Tu as peur que je te quitte ?

— De toute façon, tu ne t’attaches pas. Tu me l’as dit toi-même. Tu te lasses très vite.

— Je ne m’ennuie pas, avec toi.

— En tout cas pas encore.

Ils se fixèrent un instant sans mot dire. Nico avait l’air surpris et embarrassé, comme un enfant pris en faute et privé de dessert. Si la situation n’avait pas été aussi grave, Abby aurait trouvé cela comique.

— Que veux-tu que je te dise, Abby ?

— Où notre relation nous mène. Ce n’est pourtant pas une question très difficile.

— Comment veux-tu que je le sache ? Je n’ai pas une boule de cristal !

— Certes. Mais regarde les choses en face. Je ne suis pas le genre de femme que tu recherches et à laquelle tu peux te lier durablement.

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Comme il ne servait à rien de tourner autour du pot, elle ne s’embarrassa pas de nuances diplomatiques.

— J’ai été fiancée à ton frère. Je suis anglaise, et j’ai un enfant d’un autre homme. Je suis tout le contraire d’un parti enviable, comme cette jeune fille de bonne famille que ta mère t’a présentée à Santorin !

— Tu as raison. Je n’ai jamais envisagé d’épouser une femme comme toi.

Ces mots tombèrent comme un couperet. Qu’avait-elle donc espéré ? Qu’il lui parle d’amour, tout d’un coup ? Elle ne croyait pas aux miracles.

Nico regarda le masque sombre de la défaite se figer sur les traits de la jeune femme. Pourquoi n’avait-il pas anticipé cette explication ? Il était pourtant évident que, tôt ou tard, Abby réclamerait davantage qu’une relation purement physique. Mais, tout compte fait, il n’était pas mécontent que cela arrive maintenant. Depuis qu’il l’avait rencontrée, il se focalisait beaucoup moins sur le travail — le seul objectif, pourtant, qu’il jugeait digne d’intérêt dans l’existence. Abby prenait trop de place dans ses pensées, bien qu’elle ne corresponde pas à sa vision de la femme idéale — grecque, naturellement, issue du même monde que lui. Cela pouvait paraître affreusement conventionnel, mais la vénérable institution du mariage exigeait le respect des formes et des traditions.

Une expression lointaine, énigmatique, s’était maintenant figée sur les traits d’Abby. Tout en tâchant de la déchiffrer, Nico éprouvait subitement un mélange de dépit et de colère. Bientôt, il ne la verrait plus, il ne la toucherait plus… Il se défendit de son mieux contre la peur de la perdre.

— Comment, de toute façon, aurais-je envisagé une relation durable avec toi, alors que tu t’apprêtais à épouser mon frère pour des motifs bien peu avouables ? lança-t il sur un ton froid et détaché. Je ne suis pas un monstre, mais, sans me flatter, j’ai un brin d’intelligence.

Sans rien répondre, Abby détourna des yeux embués de larmes et se mit à se ronger les ongles.

— D’ailleurs, qui sait si tu n’as pas changé de cible parce que je suis plus riche et que je te plais davantage ?

— Tu es injuste et cruel !

— Non, tout simplement logique.

— Et cette logique implacable tient toute la place dans ta vie, n’est-ce pas ? Même les relations humaines doivent s’y plier. Les émotions et les sentiments n’existent pas dans le monde de Nico Toyas !

— Cette conversation est ridicule.

— Non, nécessaire. Toutes les femmes ont besoin de savoir où elles vont, dans une relation.

— Mais enfin, Abby, que croyais-tu ? Que je te conduirai à l’autel au son de la marche nuptiale ?

Il poussa un long soupir avant d’ajouter :

— Je pensais que tu étais heureuse ainsi, comme moi. Pourquoi tout gâcher ?

— Va-t’en. Laisse-moi.

— C’est grotesque !

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Il se leva et se mit à faire les cent pas dans la pièce. Soudain, il tapa du poing sur le mur et elle sursauta, relevant enfin son visage vers lui. La soie de ses cheveux retombait souplement sur ses épaules et une irrépressible envie de la caresser le saisit. Furieux contre lui-même, il s’approcha en réprimant cet accès de faiblesse.

— Pourquoi s’interroger sur l’avenir alors même que ces interrogations détruisent le présent ? fit il avec colère.

Abby songea à la vie qu’elle portait en elle. C’était une bonne raison de songer à l’avenir… Mais il ne fallait pas beaucoup d’imagination pour prévoir la réaction de Nico si elle lui avouait la vérité.

— Tu ne tiens pas beaucoup à moi. Parfois, je me demande même si je te plais vraiment.

— Pour l’amour du ciel ! Arrête de dire des sornettes et de t’apitoyer sur toi-même ! Crois-tu que je coucherais avec toi, si tu ne me plaisais pas ?

Abby se contenta de regarder fixement la porte du salon. Il fallait qu’il parte. Vite. Tout de suite. Elle ne supportait plus de respirer le même air que lui.

Eh bien ? reprit Nico. Tu ne dis plus rien ?

Abby haussa les épaules.

— Tu couches bien avec moi sans avoir confiance…

Elle l’observa du coin de l’œil. Il se tenait appuyé contre le mur, dans une pose agressive, les mains enfoncées dans les poches de son pantalon. Il se moquait bien de tout ce qu’elle pensait, de toute manière. Pourvu qu’elle n’exige rien de lui, aucune promesse, aucun engagement. Il ne pouvait lui donner que de l’argent, car cela renforçait son pouvoir sur elle. Mais rien d’autre. En aucun cas.

— Tu veux rompre, n’est-ce pas ? Et tu as déjà pris ta décision ?

Interprétant son mutisme comme un signe d’assentiment, il ajouta :

— Pourquoi aurais-je confiance en toi, alors que tu refuses toute discussion ?

— Parce que…

— Parce que nous nous entendons bien au lit ? Ce n’est pas une raison suffisante.

Sa remarque blessa Abby comme un coup de poignard. Elle avait de plus en plus de mal à maîtriser ses émotions tumultueuses.

Rien d’autre ne comptait donc pour lui ? Les rires qu’ils avaient partagés, les jeux avec Jamie, les conversations complices… Tout se ramenait uniquement à l’acte sexuel ?

Elle rassembla ce qui lui restait de forces pour lui montrer la porte du doigt et lui crier :

— Dehors !

— Si je franchis le seuil de ta maison, je ne reviendrai pas. Je n’ai jamais supplié aucune femme et je ne commencerai pas aujourd’hui avec toi.

Abby se détourna en serrant les dents. A quoi bon prolonger une conversation qui ne menait nulle part ? Il n’éprouvait rien pour elle et ne l’aimerait jamais…

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Nico commença à s’éloigner, puis s’immobilisa.

— Que vas-tu dire à Jamie ?

— Ça t’intéresse ?

Elle vit sa mâchoire se contracter tandis qu’elle ajoutait :

— Je lui dirai… que tu as dû repartir en Grèce et que nous ne te reverrons probablement pas. Il comprendra. Les enfants ont d’extraordinaires facultés d’adaptation. Dans quinze jours, il t’aura complètement oublié.

Elle remarqua à peine l’ombre qui voila son regard.

— Bien.

Bon sang, se dit Nico, ils allaient se quitter sur des paroles bien amères… Alors qu’il était arrivé avec du champagne pour se faire pardonner son retard ! Mais tout était sans doute mieux ainsi. Ils avaient passé ensemble des moments très agréables, qu’il était inutile, et impossible, de prolonger. Tout de même, il aurait préféré garder l’initiative jusqu’au bout et avoir le dernier mot.

Comme Abby ne se décidait toujours pas à lever les yeux, il tourna les talons, enfila sa veste et sortit.

Dès que la porte se fut refermée, Abby se sentit devenir toute molle, telle une poupée de chiffon. Un instant, elle crut qu’il allait revenir, et attendit son coup de sonnette. Mais non. La portière de sa voiture claqua dans la nuit, le vrombissement du moteur retentit, puis s’éloigna. Nico disparaissait à tout jamais de son existence.

Alors, elle s’autorisa à fondre en larmes.

Beaucoup plus tard, quand ses sanglots se calmèrent, elle réfléchit à la situation et aux décisions qui s’imposaient.

Quitter Brighton. Pour ne pas courir le risque qu’il la voie enceinte s’il lui venait l’idée de rendre visite à son frère. Elle partirait comme une voleuse, et affronterait seule sa grossesse, comme elle l’avait déjà fait une fois par le passé.

Ses parents avaient peut-être erré aux quatre coins du monde ; au moins ils étaient restés unis, avaient continué à s’aimer. Tandis qu’elle…

Elle posa une main sur son ventre et ferma les yeux. Il ne servait à rien de s’apitoyer sur son sort. Elle ferait face, une fois de plus, et agirait pour le mieux.

Chapitre 10

— Tu remues encore des idées noires, Abby. Ce n’est pas bon pour Jamie. Il le sent et en est malheureux.

Abby força un sourire sur ses lèvres en levant les yeux sur sa mère. Avec ce ton vif et décidé, ses tailleurs-pantalons et ses cheveux coiffés en chignon strict, elle ne la reconnaissait pas.

Depuis qu’elle avait décroché le téléphone pour appeler ses parents, le lendemain de sa rupture avec Nico, tout s’était précipité et le mois qui venait de s’écouler avait été riche en révélations de toutes sortes.

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Au lieu des vagues paroles de réconfort auxquelles Abby s’était attendue, sa mère avait immédiatement réagi en achetant un billet d’avion pour l’Angleterre. Elle avait aidé sa fille à vendre sa maison de Brighton et s’était montrée d’un grand secours, sur tous les plans.

Les deux femmes visitaient un cottage dans les Cornouailles. Le cinquième.

— Eh bien, qu’en penses-tu ? demanda Mary Clinton en ouvrant le carnet où elle prenait des notes.

— Maman… Je ne sais pas… Et si jamais tu ne te plais pas ici ? Vous vivez depuis si longtemps à Melbourne, avec papa…

Mary tapota gentiment l’épaule de sa fille, qui paraissait épuisée.

— Ne t’inquiète pas pour nous. De toute façon, nous avions l’intention de revenir en Angleterre l’an prochain. Nous attendions Noël pour te l’annoncer.

Sa mère était vraiment un amour, songea Abby. Mais comme elle avait changé… Même si elle était restée aussi svelte que dans ses jeunes années, elle semblait épanouie et irradiait le bonheur.

Comme l’avait appris Abby au cours de leurs nombreuses et interminables conversations, le magasin de produits biologiques de ses parents s’était peu à peu transformé en restaurant chic et en galerie d’art aborigène. Ils étaient devenus beaucoup plus entreprenants, avec l’âge, et géraient à présent un commerce florissant. Leur projet d’installation dans les Cornouailles participait d’ailleurs de l’extension de leurs affaires. Un ami à eux les remplacerait à Melbourne jusqu’à ce qu’ils réinvestissent leur capital dans un hôtel de luxe, pour touristes exigeants, amateurs de gastronomie bio.

Ils en avaient longuement discuté tous les trois, des soirées entières ; dans un premier temps, Abby s’installerait chez eux pour les aider, aussi longtemps qu’elle le souhaiterait. Nico était le seul sujet qu’ils n’abordaient jamais, par la faute d’Abby, car elle se sentait incapable de parler de lui sans fondre en larmes. Peut-être, au fil des mois, parviendrait-elle à maîtriser ses émotions… Pour l’heure, elle souffrait trop. Chaque fois qu’on lui posait des questions, elle éludait, si bien que sa mère avait fini par renoncer à lui tirer les vers du nez.

Dieu merci, Jamie était là. Sans lui, Abby aurait certainement succombé au désespoir. C’était un rayon de lumière qui illuminait la nuit de son cœur. Il avait accueilli sa grand-mère avec beaucoup de chaleur et d’affection et acceptait sans aucune appréhension le projet d’installation dans les Cornouailles.

Michael n’avait pas complètement disparu de sa vie. S’ils se voyaient rarement, ils se téléphonaient souvent, et cela lui apportait un réconfort et un soutien appréciables.

Grâce à lui, si elle le désirait, il serait toujours possible d’avoir des nouvelles de Nico. Peut-être même, un jour, parlerait-elle à Michael de sa grossesse, quoique pour le moment ce soit très improbable : cela l’aurait mis dans une position intenable.

Quittant brusquement ces pensées, Abby se rappela qu’ils avaient promis à Jamie de l’emmener se promener sur la plage.

— Tu n’as pas besoin de venir avec nous, si tu préfères rester ici, lui dit sa mère.

Mary détestait voir sa fille si triste. Elle se consolait en se persuadant qu’Abby finirait par oublier l’homme qui lui avait infligé une blessure aussi douloureuse. Il fallait seulement un peu de patience, et, en attendant, le courage d’affronter la réalité en face.

Abby se contenta de hocher la tête avec un sourire reconnaissant et resta assise à la table de la cuisine, les yeux dans le vague, tandis que le petit garçon enfilait un anorak et glissait sa main dans celle de sa grand-mère. Au bout d’une dizaine de minutes, elle se leva pour faire une dernière visite du

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cottage, s’efforçant de ranimer quelques étincelles d’enthousiasme. Oh, elle était heureuse d’avoir quitté Brighton et la maison qui recelait tant de souvenirs, mais, malgré le changement de décor et le dépaysement, elle se sentait déprimée. Sa grossesse de deux mois ne contribuait pas à lui redonner de l’énergie…

Cependant, elle se réjouissait de porter le bébé de Nico. C’était un peu de lui qui continuerait à vivre à ses côtés.

En redescendant l’escalier, elle entendit un crissement de pneus sur le gravier. Certainement l’agent immobilier qui revenait, un peu plus tôt que prévu, pour connaître leurs impressions. Il ne perdait pas de temps… Dommage qu’il ait manqué sa mère d’un quart d’heure à peine, car Mary Clinton, avec son caractère bien trempé, n’avait pas son pareil pour expédier les importuns.

Les petits coups polis frappés à la porte devinrent plus insistants et comme l’agent avait sûrement sa clé, Abby abandonna l’idée de se cacher en faisant la sourde oreille et se décida à aller ouvrir. Surprise par le soleil éblouissant, elle cligna des yeux. La silhouette imposante du visiteur se détachait en contre-jour et elle mit sa main en visière. Alors, un vertige la saisit. Autour d’elle, tout se mit à tourbillonner. Elle eut une horrible sensation d’étouffement et tenta de reprendre sa respiration — tout en sachant que c’était peine perdue : elle était en train de s’évanouir.

Lorsqu’elle recouvra ses esprits, elle était étendue sur le canapé du salon. Pendant quelques minutes, complètement désorientée, elle se demanda si elle s’était assoupie et avait fait un cauchemar. Puis, brusquement, elle ouvrit les yeux et elle le vit à côté d’elle, tout près, agenouillé par terre. Elle cilla plusieurs fois, s’attendant à voir le fantôme disparaître. Or il ne s’évanouit pas. Au contraire, il se mit à parler.

— Tu as perdu connaissance. Ne bouge pas, je vais te chercher un verre d’eau.

— Que fais-tu ici ? demanda-t elle faiblement, d’une voix où perçait la panique.

Elle se redressa et le fixa d’un air hébété. Il avait les yeux cernés et les traits tirés.

— Je suis allé chez toi. Imagine ma surprise en découvrant que tu avais vendu ta maison. En l’espace d’un mois !

Elle continua à le dévisager comme si un spectre se tenait devant elle.

— Pourquoi m’as-tu suivie jusqu’ici ? Comment m’as-tu retrouvée ?

Il approcha une chaise pour s’asseoir.

— Mon frère avait essayé de me joindre à plusieurs reprises, mais je ne répondais pas à ses messages. Finalement, je me suis décidé à lui rendre visite à Brighton. Pourquoi ne m’avoir rien dit ?

— A quel sujet ?

— Pourquoi m’as-tu laissé croire… ?

Il s’interrompit et croisa les bras, comme s’il cherchait à dominer une émotion trop forte. Encore sous le choc de son arrivée, Abby attendit en silence.

— J’ai vécu l’enfer, ces quatre dernières semaines, reprit-il enfin. Je… je ne m’attendais pas à te trouver seule. Je croyais que ta mère et Jamie seraient avec toi… J’espérais… disposer d’un peu de répit avant de te parler…

— Explique-toi…

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— Michael m’a dit que tu étais partie t’installer dans les Cornouailles avec ta mère. J’ai téléphoné à tous les agents immobiliers de la région.

Il se mit à rire avant d’ajouter :

— Je ne croyais pas avoir l’étoffe d’un détective, mais certaines situations nous poussent à révéler des talents cachés.

— Je ne comprends toujours pas…

— Moi non plus, la coupa-t il, une lueur d’amusement au fond des yeux. J’ai passé un mois entier à essayer de remettre ma vie sur ses rails. Mais je n’arrivais plus à m’intéresser à mon travail. J’avais perdu l’appétit et même mes vieux amis ne me divertissaient plus. Une seule personne occupait mes pensées… Toi.

Abby en resta bouche bée. « Si c’est un rêve, se dit-elle, je veux continuer à dormir pour l’éternité. »

— Michael m’appelait sans arrêt mais j’étais incapable de lui parler. En fait, j’étais furieux contre lui et… terriblement jaloux, avoua-t il en rougissant.

Le cœur d’Abby se gonfla de tendresse. Quel aveu difficile pour cet homme orgueilleux !

— Finalement, n’y tenant plus, je me suis rendu à Brighton. C’est là qu’il m’a tout raconté. Maintenant, je veux seulement savoir…

— Que t’a-t il dit exactement ? souffla Abby.

— Qu’il est homosexuel. Que vous avez concocté cette histoire de fiançailles, tous les deux, afin de préserver sa respectabilité au sein de notre famille. Que cela te permettait aussi de tenir à distance les hommes indésirables.

— Pauvre Michael, murmura Abby, les larmes aux yeux. Cette révélation a dû lui coûter énormément. Il avait tellement peur de vous décevoir, toi, ta mère et ton grand-père… Evidemment, moi, je ne pouvais rien te dire…

— Tu as préféré me laisser croire…

— Je n’avais pas le choix.

— Je ne t’en aime que davantage.

Pendant quelques précieux moments, le temps parut s’arrêter. Cela faisait si longtemps quelle rêvait de l’entendre prononcer ces mots ! Cet homme, si beau, puissant et invincible, l’aimait ! Puis, d’un seul coup, la pensée du bébé qu’elle portait secrètement la ramena sur terre. La gorge serrée, elle se leva pour aller se poster devant la fenêtre, les bras croisés.

Un frisson de peur secoua Nico. Il n’avait pas établi un plan d’action précis, quand il avait pris la route comme un fou, en serrant dans sa main le bout de papier sur lequel il avait inscrit le nom des deux cottages qu’elle devait visiter avec sa mère. Il voulait simplement la voir, à n’importe quel prix, pour lui révéler les sentiments qui l’habitaient et qu’il ne pouvait plus étouffer.

Mais que se passait-il ? Le scénario ne se déroulait pas comme il l’avait souhaité. Pourquoi le rejetait-elle ?

— Nico…

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— J’en ai trop dit, l’interrompit-il durement.

Abby prit son courage à deux mains :

— Nico, je t’aime. Il me semble que je t’aime depuis toujours… Mais il y a une chose que je dois te dire et qui ne va pas te plaire. Tu seras même sûrement très en colère… En tout cas, ce n’est pas ma faute…

— Tu m’aimes, c’est tout ce qui compte.

Il s’approcha, prêt à livrer toutes les batailles pour conquérir la femme qui l’avait séduit.

— S’il y a un autre homme dans ta vie, tu le quitteras. Moi, je ne pourrai plus jamais vivre sans toi.

En la voyant frissonner, il voulut l’envelopper de son étreinte ; elle le repoussa.

— Tu te souviens de notre dernière conversation ? Tu n’avais aucune confiance en moi. Tu m’as dit que j’étais la dernière femme avec laquelle tu envisagerais de bâtir une relation durable…

— Il faut me pardonner, murmura-t il d’une voix rauque, méconnaissable. Je ne me rendais pas compte de ce que j’éprouvais pour toi, à ce moment-là. J’imaginais que j’étais capable de vivre sans toi…

Abby humecta nerveusement ses lèvres sèches.

— J’avais si peur que tu me haïsses, chuchota-t elle.

— Pourquoi ?

Elle ferma les yeux pour trouver la force de poursuivre.

— J’attends un bébé…

Elle guetta vainement sa réaction. Puis elle rouvrit les paupières.

— Tu es… enceinte ?

— J’avais peur que tu me détestes. Que tu m’accuses de l’avoir fait exprès pour te piéger…

— Tu portes notre bébé dans ton ventre !

Devant l’émerveillement qui perçait dans la voix de Nico, Abby reprit espoir, timidement d’abord, puis avec davantage d’assurance.

— Tu n’es pas fâché ?

— Si je le suis, c’est parce que j’ai stupidement gâché de longues semaines à te laisser dans l’incertitude au lieu de te rendre heureuse. Je comprends pourquoi tu avais peur de mes réactions, et je suis furieux contre moi-même…

Il marqua une pause et cette fois-ci Abby se pelotonna dans le refuge de ses bras, en poussant un soupir de contentement.

— Tu seras obligée de te marier avec moi, tu le sais ?

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— Nico… Pas de précipitation…

— Nous fêterons cela dans l’intimité, mais ma famille est grande…

Il la considéra tendrement, et ajouta :

— Je veux t’épouser. J’y tiens. J’insiste.

Il prit son menton entre le pouce et l’index et déposa un baiser sur ses lèvres.

— Dans ce cas… J’accepte, murmura-t elle. Oui. Oui, oui, oui !

Se hissant sur la pointe des pieds, elle lui rendit son baiser, avec passion. Et lorsqu’il plaça une main sur son ventre, elle crut défaillir de joie.

Plus tard, beaucoup plus tard, quand Nico eut rencontré et charmé sa mère, et quand Jamie fut enfin couché et endormi, ils sortirent tous les deux se promener au clair de lune.

Abby parla longuement de ses parents, du tour inattendu et inespéré qu’avaient pris leurs relations. Ils discutèrent également de Michael, de son parcours parfois difficile et de son honnêteté exemplaire.

Abby avait l’impression de marcher sur un nuage rose. Etourdis par tant de bonheur, ils s’embrassèrent et firent l’amour comme deux adolescents, sur le siège arrière de la luxueuse voiture de Nico, en pleine campagne. Quel délicieux sentiment de sécurité, quand on aimait et qu’on se savait aimé…

— Nous nous conduisons comme des enfants ! fit Nico, ravi.

Puis, contemplant la nudité d’Abby, il poursuivit rêveusement :

— Tes seins sont déjà plus lourds. Comme il me tarde de voir grossir ton ventre ! Tu m’as tellement manqué, tout au long de ces semaines interminables… Jamais plus je ne te quitterai.

Abby eut un petit gémissement de plaisir quand, insatiable, il se remit à la caresser. Elle était à lui pour toujours. Elle avait réussi à le conquérir, lui, cet amant merveilleux qu’elle avait cru, pendant si longtemps, inaccessible…

- FIN -