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Franca Henriette CORAY ROMAN La révélation d’une femme de valeur Daphné

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Une trentenaire à la recherche du bonheur... «Très franchement, tout ce que je voulais, c’était quelques jours de vacances dans une belle ville... Je n’ai rien d’un top-modèle, de ces femmes fatales qui font se retourner les hommes sur leur passage. Rien de tel chez moi. Je suis une de ces personnes qui passent inaperçues partout où elles vont.» La trentaine bien entamée, Daphné travaille dans l’hôtellerie en Suisse centrale. Célibataire, elle a un emploi du temps bien rempli. Des valeurs, aussi. Et elle ne désespère pas de faire la rencontre qui changera sa vie. Sera-ce le cas lors de ses vacances à Paris?

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DaphnéLa révélation d’une femme de valeur

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voulais, c’était quelques jours de vacances dans une belle ville… Je n’ai rien d’un top-modèle, de ces femmes fatales qui font se retourner les hommes sur leur passage. Rien de tel chez moi. Je suis une de ces personnes qui passent inaperçues partout où elles vont.»

La trentaine bien entamée, Daphné travaille dans l’hôtellerie. Célibataire, elle a un emploi du temps bien rempli. Des valeurs, aussi. Et elle ne désespère pas de faire la rencontre qui changera sa vie. Sera-ce le cas lors de ses vacances à Paris?

Née en 1955 en Suisse romande, installée depuis son adolescence au Tessin (Suisse italienne), Franca Henriette Coray a travaillé dans l’hôtellerie avant de se mettre à l’écriture. Elle signe ici son premier roman.

ISBN 978-2-88913-002-3CHF 17.00 / € 15.50

9 782889 130023

roman

La révélation d’une femme de valeur

Daphné

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Franca Henriette Coray

Daphné La révélation d’une femme

de valeur

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Les textes bibliques sont tirés de la version Segond 21http://www.universdelabible.net

Photo de couverture: L. Focarete (un hôtel de Muralto)

© et édition: Editions Ourania, 2011Case postale 1281032 Romanel-sur-Lausanne, SuisseE-mail: [email protected]: http://www.ourania.ch

Tous droits réservés

ISBN édition imprimée 978-2-88913-002-3ISBN format epub 978-2-88913-501-1ISBN format pdf 978-2-88913-915-6

Imprimé en Allemagne par FGB – Freiburger Graphische Betriebe GmbH & Co. KG

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[ Table des matières]Un mot de l’auteur pour commencer ............................................................... 7Chapitre 1 ............................................................................................................... 9Chapitre 2 .............................................................................................................23Chapitre 3 ............................................................................................................. 39Chapitre 4 ............................................................................................................. 51Chapitre 5 .............................................................................................................69Chapitre 6 .............................................................................................................83Chapitre 7 ............................................................................................................. 97Chapitre 8 ...........................................................................................................115Chapitre 9 ...........................................................................................................131Chapitre 10 ......................................................................................................... 141Chapitre 11 .........................................................................................................157Chapitre 12 ........................................................................................................169Chapitre 13 ........................................................................................................ 179Chapitre 14 .........................................................................................................193Un mot de l’auteur pour conclure .................................................................201

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[ Chapitre 1 ]

Donnez-lui du fruit de son travail et qu’aux portes de la ville ses œuvres fassent son éloge!

Proverbes 31.31

Très franchement, tout ce que je voulais, c’était quelques jours de vacances dans une belle ville. Je comptais bien essayer quelques res-tos et m’acheter quelques fringues élégantes, pas trop chères quand même. Car, si je n’ai pas vraiment d’occasion de me pavaner en grande tenue, je dois cependant être bien habillée pour mon travail. Je voulais aussi voir de près les grands monuments dont parlent entre eux ceux qui ont voyagé. Tout cela avant les fêtes de Noël, car je n’ai jamais de vacances en été.

Après avoir balancé entre plusieurs options de villes européennes, j’ai finalement opté pour deux destinations pendant mes deux semaines de vacances en novembre. Comme j’étais dans l’incapacité de choisir entre Paris et Florence, ce sera donc une semaine à Paris et une autre en Toscane. Venise m’attirait cependant aussi, ainsi que Vienne, Amsterdam, Londres et… mais décide-toi donc enfin!!!

Mon hôtel 3 étoiles correspond à mes attentes: propre, confortable, tranquille. Situé dans une rue piétonne près de l’Hôtel de Ville, il me per-mettra de visiter les divers arrondissements sans recourir au métro, que je déteste, car je souffre d’un peu de claustrophobie. Comme je déteste aussi loger dans les hauteurs, car je souffre également de vertiges, j’ai retenu avec attention un établissement de 4 étages seulement, doté d’une vingtaine de chambres.

Me voilà donc installée. Ma chambre est confortable mais petite, avec un grand lit, dont j’utiliserai seulement la moitié, car il n’y aura certai-nement personne qui aura envie de s’y rouler avec moi… Vous ne me croyez pas? C’est que je ne me suis pas encore présentée. Vous allez vite comprendre.

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Je n’ai rien d’un top-modèle, de ces femmes fatales qui font se retour-ner les hommes sur leur passage. Rien de tel chez moi. Je suis une de ces personnes qui passent inaperçues partout où elles vont. Je fais partie de cette catégorie de femmes que ma grand-mère appelait «le gros tas», la masse incolore.

La banalité même. Voyez plutôt, ou plutôt essayez d’imaginer: taille moyenne, yeux bruns, cheveux bruns mi-longs, âge moyen… eh oui! Finie la prime jeunesse. J’ai 37 ans. Pas encore 40, ouf! Mes 20 ans? Je ne m’en souviens même pas. C’était il y a fort longtemps, juste après la disparition des dinosaures. D’ailleurs, je n’en ai pas profité beaucoup, de ma belle jeu-nesse. J’ai fait partie de cette catégorie de jeunes auxquels on a dit: «Vous êtes jeunes et forts, alors travaillez de l’aurore aux étoiles pour vous faire les os!» Etrangement, il y avait dans mon village d’autres jeunes, en fait une majorité, auxquels on disait: «Vous êtes jeunes, profitez-en, amusez-vous des étoiles à l’aurore aussi souvent que possible, car la jeunesse ne dure pas longtemps!» Mais ça, c’est une autre histoire, en tout cas pas la mienne…

Alors je suis tout ce qu’il y a de plus banal, disais-je, et pourtant non. Il y a quelque chose que je n’ai pas encore raconté. Je suis née avec quelques pro-blèmes physiques. Oh, rien de grave, rassurez-vous! J’ai mes deux jambes, deux bras, toute ma tête. C’est du côté esthétique que les choses n’étaient pas parfaites. Les fées de la beauté ayant oublié de se pencher sur mon ber-ceau, j’ai découvert très tôt que j’étais myope et pourvue de mâchoires très, très décalées. J’ai encore une photo de mes sept ans dans un tiroir. C’était à Barcelone, sur une charrette tirée par une chevrette: difficile de me distin-guer de l’animal! Quand je regarde cette photo, je comprends pourquoi mes parents me laissaient me promener seule (à 7 ans!) dans les rues de cette grande ville. Personne n’aurait eu envie de me kidnapper. Inimaginable! Mais peut-être avaient-ils envie de se débarrasser de moi?

C’est que je n’ai jamais été une enfant facile et soumise. Je me rappelle m’être roulée par terre une fois ou deux… hem! Revenons plutôt à ces pe-tites imperfections physiques. J’ai grandi en partageant mon temps entre les visites chez l’oculiste et celles chez l’orthodontiste. Ce que j’en ai bavé avec ces appareils dentaires! Et dans tous les sens du mot! Depuis l’âge de 6 ans jusqu’à 15 ans, 9 ans sans chewing-gum. Et tout ça pour rien. Chaque fois que quelqu’un venait nous rendre visite à la maison, le même scénario se répétait: on arrivait au café et, tout à coup, je m’entendais dire:

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Chapitre 1 ]

– Quel dommage, ces dents! Vous n’avez jamais eu l’idée de faire quelque chose?

Tous avaient une adresse, un conseil, et je devenais tout à coup très intéressante. Enfin, pas moi, mes dents. Et je me repliais sur moi-même. Finalement, j’ai compris que tous voyaient en moi seulement mes malheu-reuses incisives, mon profil d’australopithèque, et l’on compatissait ou l’on se moquait, c’était selon. Si je voulais que l’on me considère comme une personne digne d’attention, il me fallait enlever cette concurrence déloyale…

Alors, aussitôt que j’en ai eu les moyens, j’ai pris en main la situation très énergiquement. A 18 ans, je me suis procuré des lentilles de contact et, après trois jours, je les portais toute la journée, laissant mes lunettes dans un tiroir, les y oubliant bien vite. Pour les dents, il a fallu plus de temps, mais, à 23 ans, je me suis allongée sur une table d’opération dans une cli-nique spécialisée zurichoise et, quatre heures plus tard, j’en ressortais les mâchoires parfaitement alignées. Ouf! Une bonne chose de faite!!

Mes défauts physiques réglés, je pensais bien que j’allais avoir enfin plus de succès avec la gent masculine. Effectivement, cela n’a pas manqué mais, entre-temps, j’étais devenue beaucoup plus difficile, et, comme je semblais attirer beaucoup de ratés, je me suis limitée à une seule expé-rience sexuelle. Le mot est bien choisi, car c’était quasiment scientifique, avec un résultat peu encourageant qui m’a amenée à la ferme décision d’attendre la perle rare pour répéter la chose. Les années ont passé. Mon objectif primaire étant d’accumuler des économies pour me garantir un peu de tranquillité financière, je n’ai pas cessé de travailler, me privant de vacances, de sorties… pendant une dizaine d’années. Jusqu’à ce séjour parisien que je considère presque comme un investissement.

Me voilà donc ressortant de mon hôtel, heureuse comme personne et bien décidée à tirer profit de chaque instant de cette semaine. Je longe les bords de la Seine, arrive au Louvre qui vient de fermer car la nuit tombe. Place des Pyramides, je prends un bus Sightseeing qui offre une visite de la ville lumière. Des écouteurs sur les oreilles, j’entends les noms de lieux qui me font rêver depuis très longtemps. Je me promets d’aller tous les visiter à partir du lendemain matin: Notre-Dame, la Tour Eiffel, le Grand Palais, le Trocadéro, l’Ecole militaire, le Panthéon…

En longeant les Champs-Elysées, j’imagine une rencontre fortuite avec le président de la République française, où il me parlerait de ses

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problèmes comme à une amie. Tu parles! Ne rêvons pas, ma fille! Tes dents bien droites et tes yeux sans écran ne suffiront pas à l’intéresser, et pourtant, cela pourrait certainement être instructif, autant pour lui que pour moi, n’est-ce pas?

Une chose est sûre: la vie nocturne parisienne n’est pas faite pour moi. Les moulins, je les préfère tournant au bord d’une rivière, éventuellement transformés en auberges de campagne. Mon rêve à moi, c’est justement d’avoir une auberge, rêve que je poursuis en constituant mon fameux pécule. En attendant, je travaille comme assistante de direction dans un hôtel 4 étoiles au bord du lac des Quatre-Cantons, en Suisse, au pied d’une montagne célèbre, pas loin de Lucerne. J’ai un poste fixe, à l’année, bien heureusement, car je n’ai nulle envie d’aller pointer au chômage, consciente que mes précieuses économies fondraient comme neige au soleil si je n’étais plus occupée comme je le suis, entre douze et quinze heures par jour, dans les divers départements de cette maison de grand standing, au renom qui dépasse les frontières de la Suisse.

La plupart du temps, je suis à l’accueil avec mes réceptionnistes. Etant la seule responsable du contact avec la clientèle, je décide des tarifs à appliquer, distribue les chambres, organise les banquets en collaboration avec le chef de cuisine et le maître d’hôtel; je suis aussi cheffe du person-nel. Mon travail me plaît beaucoup, car j’aime être parmi des gens actifs.

De temps en temps, je fais un brin de causette avec les vieilles dames en vacances, les hommes d’affaires, les couples d’amoureux, les retraités fadas de montagnes suisses, et parfois de hauts personnages. Pour chacun, j’essaie d’avoir le bon mot, le conseil et l’info utiles au bon moment, mais sans m’imposer, importuner, être envahissante… et sans oublier qui je suis: une employée qui se doit de rester discrète et efficace.

– Madame? Le chauffeur du bus me regarde curieusement. Tous les passagers sont

descendus, et il n’attend plus que je me décide pour rentrer chez lui.– Excusez-moi, j’ai dû m’assoupir. Je rougis, descends et retourne à mon hôtel. C’est que ma première

journée de vacances a été rude, le voyage long, et sans transition car hier encore, j’ai travaillé jusqu’à 22 heures depuis 6 heures du matin, pour prendre de l’avance. En plus, il m’a fallu promettre de laisser mon por-table allumé, au cas où le système informatique ferait des siennes, et aussi dans l’éventualité où un client poserait problème. De mon côté, j’ai fait

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Chapitre 1 ]

promettre solennellement à mes collaboratrices de ne pas prendre d’ini-tiative hasardeuse sans m’en parler d’abord…

La nuit est tombée depuis longtemps. Je n’ai pas dîné, mais je n’ai pas faim. Un sandwich mangé sur le pouce suffira. Je longe lentement la Seine, regardant passer des bateaux-mouches semi-déserts. C’est la sai-son morte en ce moment, il n’y aura pas trop de file d’attente dans les musées, et c’est tant mieux.

J’aperçois une jolie péniche amarrée le long des quais, juste sous le Louvre. Des amoureux s’embrassent sur un banc, je les vois rire, se re-garder dans les yeux. La femme me voit et me dévisage un instant, puis revient à son amoureux. Je détourne le regard, rougis et reprends mon chemin à pas plus rapides. Me voilà devenue indiscrète maintenant?

Je croise des couples qui se tiennent par la main, tous très jeunes. Un homme séduisant, seul, dans la trentaine, arrive dans l’autre sens. On va se croiser. Je le regarde, il me jette un coup d’œil indifférent. Je résiste difficilement à l’envie de lui sourire. Il me dépasse, disparaît derrière moi. Dommage, c’était un bel homme élégamment vêtu qui avait l’air sympa. Ingénieur, vendeur, avocat, plombier? Je ne le saurai jamais.

Me revoilà devant mon hôtel. La façade est jolie, ça a l’aspect d’un ancien hôtel particulier avec une cour intérieure. Je remarque la plaque d’une chaîne hôtelière: NZ-Group sur fond d’île. Jamais entendu parler de cette chaîne… L’employée à la réception qui m’a reçue quelques heures plus tôt a cédé sa place au portier de nuit. J’entrevois un matelas derrière une porte entrouverte. Il me regarde sans sourire. Il doit être pressé de se recoucher.

– Bonsoir. Vous allez dormir ici? Vous attendez encore beaucoup de clients ce soir?

Ne pensez pas à mal, j’ai le contact facile, j’aime les gens. Il me regarde mieux, les commissures de ses lèvres se soulèvent en un sourire qui se veut aimable.

– Oui, mais la plupart sont déjà rentrés.– Vous êtes de quelle nationalité? Son visage basané me fait supposé qu’il doit être arabe.– Je suis égyptien.– Maronite? J’ai vu la croix que vous portez autour du cou.– Oui, vous connaissez? Une étincelle s’allume dans son regard.

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– Pas vraiment, je sais seulement que les chrétiens ont des problèmes avec les intégristes, qui voudraient transformer l’Egypte en république islamique.

– Oui, c’est d’ailleurs pour cette raison que je suis venu ici. Avant, j’étudiais dans mon pays, mais mes parents ont pensé qu’il valait mieux prendre des distances.

Il soupire, va peut-être se confier, mais la porte de l’entrée s’ouvre à nouveau, livrant passage à un couple. Le portier se redresse, un sourire commercial sur les lèvres.

– Bonsoir, monsieur, mademoiselle. Il leur tend une clé, se précipite pour leur ouvrir obséquieusement la

porte du lift. Le couple s’engouffre dans l’ascenseur sans un mot ni même un sourire, sauf un bref signe de tête de l’homme, qui croise mon regard. C’est un très bel homme, grand, brun, dans la quarantaine. Ses tempes sont déjà parsemées de fils gris. J’entrevois des yeux gris acier. Il est aussi très élégant, distingué même, mais austère au possible.

Son accompagnatrice est bien moins distinguée, du moins à mon avis, mais peut-être suis-je trop critique. Je la regarde mieux. C’est une splendide blonde, jeune, très jeune, 16 ou 18 ans. Elle porte un blou-son de cuir. J’ai le temps de voir son nombril avec plusieurs piercings… Comment fait-elle pour ne pas attraper la mort, si peu vêtue par cette froide nuit de novembre?

L’ascenseur s’ébranle, sans moi évidemment. Le portier se détend, je le sens impatient d’être seul. Il y a une pile de livres à côté de son matelas.

– Je vous souhaite une bonne nuit. Je m’engage dans l’escalier recouvert d’un tapis d’Orient.– Bonne nuit, madame.Qu’est-ce qu’ils ont tous à m’appeler madame? Ai-je l’air si vieux?

J’inspecte mon image dans le miroir de ma chambre. Mes cheveux sont relevés en queue de cheval, mon visage est encore lisse, mes yeux sont grands, la forme de mon visage aux pommettes hautes est vaguement orientale, mes lèvres sont relevées en un léger sourire, ma peau est nette de maquillage. Je me maquille seulement au travail, à la réception, car c’est obligatoire. Obligatoire aussi le chignon, interdiction de cheveux libres sur les épaules, de vêtements provocants. Jamais je n’aurais eu la permission de montrer mon nombril. Au fait, voyons au peu… Je m’enfile sous la douche, m’examinant sous toutes les coutures.

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Chapitre 1 ]

Mon ventre est plat, mes jambes sont jolies et ma taille fine, mes seins petits mais honnêtes, mon nombril est parfait en tout point. Rien à redire. Dommage que ce ne soit pas ce que les hommes regardent en premier… dans mon cas du moins.

J’enfile mon pyjama de flanelle et m’installe dans le grand lit. Avant de m’endormir, j’entends le fond sonore d’ébats d’amoureux provenant de la chambre d’à côté. Le couple de tout à l’heure? Non. J’ai vu le monsieur appuyer sur le bouton du dernier étage… mais elle était quand même un peu jeune, la fillette. Est-ce légal?

Le lendemain, journée bien remplie! Debout à 7 heures tapantes pour être parmi les premiers dans la salle du petit-déjeuner, car j’aime l’ambiance d’un hôtel qui se réveille le matin. Le parfum du café, le va-et-vient des serveuses qui préparent le buffet. Comme j’aime voir arriver le boulanger avec ses paniers de croissants encore chauds…

La salle est près de la réception, la serveuse est seule. C’est, comme souvent dans les hôtels en ville, une toute jeune personne sans aucune expérience. Je soupire en la voyant poser des œufs (cuits ou crus?) sur le buffet, attendant de voir ce qu’elle va faire avec les yogourts. Elle va probablement les laisser se réchauffer pendant toute la matinée, pareil pour le plat de charcuterie, les jus de fruits, le fromage, les portions de beurre, le pot de lait destiné à arroser les céréales. Mais bon, un des avantages de se lever tôt le matin, c’est d’avoir un petit-déjeuner un peu plus hygiénique que celui des flemmards.

Ma serveuse s’approche timidement de moi. Je suis la première arrivée.

– Bonjour, madame, vous logez à l’hôtel? Je lui montre la clé de ma chambre.– Bonjour, ça va? La journée commence bien pour vous?– Bien, merci. Je vous apporte du café? – Non, un thé, Darjeeling si vous avez, sinon un thé noir quelconque

fera l’affaire, sans lait.La fille est hindoue, jolie, avec des yeux de biche, et mariée, puisqu’elle

porte une pastille rouge sur le front. Je la sens mal à l’aise, tendue et peu sûre d’elle. Pour ma part, je ne la laisserais pas seule: elle ne me semble pas assez à son affaire. Effectivement, mon thé arrive après bien trop de temps. Peut-être l’ai-je effrayée avec mon envie de Darjeeling? Enfin, elle pose devant moi une théière remplie d’eau bouillante et un choix de

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tisanes parmi lesquelles je déniche, ô miracle, un Darjeeling digne de tout respect.

– Merci! Je lui en suis reconnaissante. Elle m’a épatée, vraiment.– Le Darjeeling est aussi celui que je préfère; ma famille est originaire

des contreforts de l’Himalaya, me révèle-t-elle tout d’un coup.– Là où circule le petit train? Je lui parle en anglais maintenant.– Yes, madam. Et la voilà qui m’explique, en anglais, presque la larme

à l’œil, que son père travaille sur une plantation de thé et qu’il utilise ce fameux petit train pour se déplacer.

L’arrivée d’autres clients la renvoie à son travail, mais elle est plus détendue maintenant. Parler de son pays, de son papa, lui a fait du bien. Je me dirige vers le buffet et me sers abondamment, mais sans excès. J’ai horreur de ceux qui se jettent sur les buffets parce que c’est compris dans le prix. Là où je travaille, nous nous amusons à observer les clients. Essayez de le faire, vous aussi, la prochaine fois que vous prendrez le petit-déjeuner dans un hôtel. Vous verrez, c’est très éclairant. Dommage quand même pour le gâchis. A ce propos, je vous raconte une petite anecdote. Il y avait, dans un hôtel, des clients qui prenaient au buffet du petit- déjeuner de quoi alimenter leur pique-nique du déjeuner, ce qui n’est évidemment pas correct. Un matin, le chef de service a remarqué qu’une dame enfilait des «provisions» sous son chapeau. C’était l’été, et il faisait chaud sur la terrasse. Il a retenu la dame et bavardé très longtemps avec elle, jusqu’à ce qu’une trainée jaune pâle lui descende sur les joues et dans les cheveux: la portion de beurre pour son pique-nique!

Quand je reviens à ma table avec un bircher muesli, une tranche de pain noir, une lamelle de fromage et une portion de beurre, je m’aperçois que le beau brun d’hier soir est assis seul à une table d’angle. Je croise son regard, qui est indifférent. Je décide alors de lui donner une leçon d’éducation,

– Bonjour. Je lui souris. Il me regarde, un peu surpris, finalement hoche la tête

sans sourire.– Bonjour, madame. Il a un accent étranger: américain?La jeune Hindoue s’approche timidement.– Café, noir, fort. De la machine à café, pas du café filtre, s’il vous plaît.

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Chapitre 1 ]

Je vois la fille hésiter, indécise, ne sachant que faire. La pauvre! Deux clients, deux commandes compliquées! Qui sait pourquoi, elle me regarde. Je voudrais bien l’aider, mais comment faire devant le client? Le monsieur a compris son dilemme et il lui explique:

– Versez trois espressi dans une cafetière que vous aurez préalable-ment réchauffée à l’eau bouillante.

Tiens, tiens, le monsieur sait de quoi il parle? Voilà qui est surprenant! Tandis que je déguste tranquillement mon premier petit-déjeuner de vacances, j’entends son portable sonner. Il répond à voix basse, dit quelques mots puis raccroche. J’ai entendu quelques mots d’une langue inconnue, peut-être du grec, car il me semble avoir entendu «parakalò». Je compte bien apprendre quelques rudiments de cette langue, un jour ou l’autre, car la connaissance des langues est une de mes passions.

La fille revient avec le café du monsieur et il la remercie. J’entends qu’il lui demande son nom en anglais.

– Salima.– Merci, Salima, je vous souhaite une bonne journée.Je la vois s’illuminer. Son pas est plus décidé. Bravo le monsieur, un

point pour vous!Je lève les yeux et rencontre son regard sur moi, je lui souris à nouveau,

puis je me replonge dans ma tasse de thé. Il s’agit de ne pas trop en faire, ma fille!

D’autres clients sont arrivés et Salima va à leur rencontre, un sourire sur les lèvres.

– Vous êtes seule?La question manque me faire avaler mon thé de travers. Sa voix est

ferme mais douce, son accent, chantant. J’ouvre la bouche pour répondre, puis je m’aperçois à temps que ce n’est pas à moi qu’il s’adresse. Une autre cliente est entrée, une jeune femme très élégante. Elle semble le connaître car elle s’approche de sa table. Il s’est levé pour l’accueillir. Je tends l’oreille.

– Oui.– Alors puis-je vous inviter à me tenir compagnie? Ma fille dort encore.– Bien volontiers. Bonjour, monsieur Zatkos.– Bonjour, madame Schumacher. Vous prendrez un café?– Seulement un thé léger avec des toast chauds, une tranche de saumon

fumé et deux œufs brouillés, s’il vous plaît.

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Seulement? Je perçois le désarroi de Salima: comment faire des œufs brouillés avec des œufs durs et où trouver des toasts chauds et du saumon fumé quand la cuisine est encore fermée? Quand elle passe devant moi, je vois ses yeux se charger de larmes. Pourquoi ne dit-elle pas tout simplement qu’elle ne peut pas servir la dame? Elle s’enferme à l’office tandis que la salle continue à se remplir de clients de l’hôtel. Je perçois nettement les signaux prémonitoires d’une situation de crise, mais je ne suis qu’une cliente, ce n’est pas mon affaire. Je suis en vacances! Je lève les yeux, regarde quand même autour de moi. Toutes les tables sont occupées, et Salima qui ne re-vient pas! Finalement je la vois réapparaître, un plateau dans les mains. Elle s’approche timidement de mes voisins. La voix de la cliente retentit jusqu’au fond de la salle; toutes les têtes se lèvent.

– Mais, ma pauvre fille, ce thé est de l’eau sale, et mes œufs du vrai mastic, vous êtes une incapable! Vous avez vu ça, monsieur Zatkos? C’est incroyable ce que ces étrangers peuvent être ignorants! Et pourtant, ils ont fréquenté une école professionnelle avant d’être engagés, n’est-ce pas?

Salima fond en larmes et s’enfuit en courant. La tension est palpable dans la salle.

– Ils ont tous fréquenté les cours professionnels du groupe hôtelier, mais vous avez commandé quelque chose d’un peu particulier. Je dois dire que Salima s’est donné beaucoup de mal pour tenter de vous servir ce que vous avez demandé. Malheureusement, elle aurait dû vous avertir que la cuisine est encore fermée à cette heure-ci. Maintenant, le service est perturbé. Excusez-moi, je vais voir ce que je peux faire pour y remédier.

Sous mes yeux ébahis et ceux de la dame offusquée, mon voisin de table s’est dirigé à grands pas vers l’office, d’où proviennent des bruits peu encourageants. Instinctivement, je me suis levée et je l’ai suivi.

Salima était assise par terre parmi les débris d’un plateau renversé. Du café brûlant coule sur sa main, elle gémit.

– Excuse me, I’m so sorry, please don’t fire me, Sir! (Pardonnez-moi, je suis tellement désolée, ne me licenciez pas, S.V.P., monsieur!)

Le monsieur s’est accroupi près d’elle. Il se retourne en me voyant arriver.

– Ne vous en faites pas, madame, un instant et nous allons vous servir, me dit-il d’un ton froid.

– Je viens pour vous aider, pas pour réclamer. Il vous faut mettre cette main sous l’eau courante, dis-je à Salima.

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Chapitre 1 ]

– Vous êtes médecin? Le monsieur me regarde, très surpris.– Non, mais en professionnelle de la restauration j’ai vu et soigné

beaucoup de brûlures et de coupures. Je passe à l’anglais pour m’adresser à la serveuse, qui pleure toujours.– Courage, Salima, il faut vite mettre ta main sous l’eau froide, si tu

veux guérir vite. En attendant, je vais m’occuper de tes clients. Quelqu’un devrait demander à la direction d’envoyer un autre employé.

– J’y vais, me répond le monsieur, toujours en anglais. Il sort de la pièce à grands pas, tandis que Salima place sa main sous le robinet d’eau froide.

J’ai eu le temps de remarquer que le costume du monsieur est taché de café. J’espère pour lui que ça part au lavage, mais j’en doute fort. Je regarde autour de moi, repère la machine à café, le thermos de lait. Tout est facile, alors, allons-y!

Une demi-heure plus tard, j’ai servi tous les clients et j’assiste au départ de Salima pour les premiers secours. Une autre employée arrive, contactée par la direction. Je peux rendre mon tablier. Le monsieur n’est pas réapparu. Ma blouse en soie grège est encore intacte, heureusement, et mon tailleur pantalon anthracite aussi.

– Ce n’était pas à vous d’accomplir ce travail, me dit le directeur en arrivant finalement, avec un certain retard.

C’est un homme rondouillard à l’aspect correct, sans plus, et le ton de sa voix est à peine aimable. Il n’a pas apprécié du tout mon intervention. Je ne voulais rien dire, mais sa manière de faire ne me plaît pas, alors je lui dis très franchement, trop franchement:

– On ne laisse pas seule une employée sans expérience, vous avez tort de lésiner sur le service du petit-déjeuner. Il vous faut une serveuse expérimentée qui lui apprenne le métier. Cette jeune femme est de bonne volonté, ce n’est pas sa faute, c’est la vôtre, monsieur le directeur. Vous ne savez pas organiser le travail… et puis, faites aménager un buffet réfrigéré, qui garde au frais la charcuterie et les produits laitiers.

– Mêlez-vous de ce qui vous regarde, je connais mon métier.– Moi aussi, et probablement beaucoup mieux que vous.Je me retourne et me dirige d’un pas rapide et furieux vers ma chambre.

Qu’est-ce que j’ai, à me mêler de ce qui ne me regarde pas? Je suis en vacances! En vacances! Et puis zut!!

Une heure plus tard, je suis devant la statue du scribe, au Louvre. Tandis que la majorité des visiteurs passent outre, je m’assieds là et je

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[ Daphné – La révélat ion d’une femme de valeur

l’observe attentivement. Il est si bien fait qu’on s’attendrait à ce qu’il se mette à parler. Cette œuvre me plaît, car elle montre un homme fixé pour l’éternité dans son travail. C’était un homme cultivé, probablement un noble. Son regard est intelligent, sage même. J’aurais bien aimé le rencon-trer pour faire un brin de causette, voire plus…

– Bonjour!Je sursaute. Tiens, qui revoilà? Le monsieur de l’hôtel! Il a échangé son

costume contre des jeans et un blazer, et ça lui va bien. Je lui souris.– Re-bonjour à vous aussi! Votre costume était abîmé? Il me regarde sans comprendre pendant quelques secondes, puis la

lumière se fait. Il sourit.– Oui, tant pis. Les jeans vont aussi bien quand il n’y a pas de réunion

d’affaires.Je l’examine attentivement de haut en bas, comme le ferait une mère,

mais avec des arrière-pensées un peu différentes, car il est très, très sédui-sant, et c’est vrai que les jeans lui vont bien. Que me dit-il?

– Je voulais vous remercier, pour tout à l’heure. Le temps de changer de vêtements, d’avertir le directeur et de faire venir une autre employée, et vous aviez déjà accompli tout le travail.

– Pourquoi vous changer? Oh, oui, je comprends. Mais ce n’était pas plus à vous qu’à moi de servir les petits-déjeuners.

– Moi, c’était mon devoir. L’hôtel m’appartient. Mais vous, vous êtes une cliente…

– L’hôtel vous appartient? Ah bon! je croyais qu’il faisait partie d’une chaîne.

– Effectivement, la chaîne est à moi. Je l’ai confié à une direction. Pas très efficace…

Il esquisse une grimace.– En effet, le personnage n’est pas bien compétent, ni aimable. Ni

sérieusement à son affaire, ce qui est encore le pire, car sans espoir de s’améliorer.

– Vous êtes du métier?– Je suis actuellement assistante de direction, mais je suis hôtelière.– Quelle formation avez-vous faite?– J’ai pris des cours de gestion qui me permettent de gérer n’importe

quel hôtel. Tout le reste je l’ai appris sur le tas, en pratiquant le métier depuis ma petite enfance. Mon père avait un hôtel trois étoiles en Suisse.

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Chapitre 1 ]

– C’est la meilleure des écoles, la pratique… Il me regarde en souriant aimablement.

– Franchement, je ne connaissais pas votre chaîne avant. C’est nouveau?

– Oui, j’ai commencé il y a environ quinze ans en Grèce, ensuite cette année ici à Paris, et je vais ouvrir quelque chose en Italie l’année prochaine.

– Où ça, en Italie?– Un village touristique au bord de la mer, en Toscane.– Splendide région, très touristique. Vous avez eu une bonne idée. Il

fau dra tisser des liens avec la Suisse et avec l’Allemagne, pour la promotion.Assis sur le banc, à côté de moi, il m’écoute attentivement. Nous en

oublions où nous nous trouvons: en face du scribe égyptien. Un groupe de touristes japonais se place devant nous, interrompant notre conversation. Il regarde sa montre, soulève un sourcil, fait une grimace.

– Excusez-moi, ma fille m’attend devant la Victoire de Samothrace. On se revoit à l’hôtel? J’aimerais bien reparler de tout cela avec vous, vous me semblez être une personne compétente.

– Merci, volontiers. Votre fille est très jolie. Quel âge a-t-elle?– 18 ans, elle vient de commencer ses études à la Sorbonne. Je lui

rends visite.– Elle habite à l’hôtel?– Non, elle vit avec sa mère, ici à Paris.– Grecque?– Française. Mon ex-femme est française. Il se lève, le visage sévère, coupant court à mon envie de poursuivre la

conversation.– Alors, au revoir, monsieur Zatkos.– Au revoir, madame… Comment vous appelez-vous au fait?– Daphné Martin.Encore une poignée de main énergique, et le voilà parti à grands pas. Je

le regarde, soupire. Encore un qui ne voit en moi qu’une professionnelle, même si c’est déjà gratifiant de l’avoir favorablement impressionné…

Je reviens à «mon» scribe. Il semble qu’il me fait un clin d’œil! Impossi-ble, direz-vous, et pourtant… entre professionnels, on se comprend…