Darwin - Les Plantes Insectivores

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Charles Darwin(1809 - 1882)

Les plantes insectivoresOuvrage traduit de langlais par dmond Barbier Prcd dune Introduction biographique et augment de notes complmentaires par Charles Martins

C. Reinwald et Cie, Libraires-diteurs, Paris, 1877Un document produit en version numrique par Jean-Marc Simonet, bnvole, professeur retrait de lenseignement de lUniversit de Paris XI-Orsay Courriel: [email protected] Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales" Site web: http://classiques.uqac.ca/ Une collection dveloppe en collaboration avec la Bibliothque Paul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec Chicoutimi Site web: http://bibliotheque.uqac.ca/

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Cette dition lectronique a t ralise par Jean-Marc Simonet, bnvole. Courriel: [email protected] partir du livre de :

Charles Darwin(1809-1882)

Les plantes insectivoresOuvrage traduit par Edmond Barbier.Prcd dune Introduction biographique et augment de notes complmentaires par Charles Martins Professeur dHistoire naturelle la Facult de mdecine de Montpellier, Correspondant de lInstitut

C. Reinwald et Cie, Libraires-diteurs, Paris, 1877, 540 pages, 30 figures dans le texte.

Polices de caractres utilise : Pour le texte: Times New Roman, 14 points. Pour les notes de bas de page : Times New Roman, 10 points. dition lectronique ralise avec le traitement de textes Microsoft Word 2004 pour Macintosh. Mise en page sur papier format : LETTRE (US letter), 8.5 x 11) dition numrique ralise le 13 janvier 2007 Chicoutimi, Ville de Saguenay, province de Qubec, Canada.

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TABLE DES MATIRES

Introduction biographique.

Chapitre premier. Le Drosera rotundifolia.Nombre des insectes capturs. Description des feuilles ; leurs appendices ou tentacules. Remarques prliminaires sur laction des divers organes et sur le mode de capture des insectes. Dure de linflexion des tentacules. Nature de la scrtion. Procd par lequel les insectes sont amens au centre de la feuille. Preuve que les glandes ont une puissance dabsorption. Petitesse des racines.

Chapitre II. Mouvements des tentacules au contact des corps solides.Inflexion des tentacules extrieurs lorsque lon excite les glandes du disque par des attouchements rpts ou quon laisse les objets en contact avec elles. Diffrence de laction des corps selon quils contiennent ou non des matires azotes solubles. Inflexion des tentacules extrieurs cause directement par des objets mis en contact avec leurs glandes. Priode du commencement de linflexion et du redressement subsquent. Extrme petitesse des particules qui suffisent peur provoquer une inflexion. Action sous leau. Inflexion des tentacules extrieurs quand on excite leurs glandes par des attouchements rpts. Les gouttes de pluie ne provoquent pas linflexion.

Chapitre III. Agrgation du protoplasma lintrieur des cellules des tentacules.Nature du contenu des cellules avant lagrgation. Diffrentes causes qui excitent lagrgation. Cette agrgation commence lintrieur des glandes et se propage le long des tentacules. Description des masses agrges et de leurs mouvements spontans. Courants de protoplasma le long des parois des cellules. Action du carbonate dammoniaque. Les granules du protoplasma qui circulent le long des parois se confondent avec les masses centrales. Une quantit extrmement petite de carbonate dammoniaque suffit peur dterminer lagrgation. Action des autres sels dammoniaque. Action dautres substances, de liqueurs organiques, etc. Action de leau, de la chaleur. Redissolution des masses agrges. Causes immdiates de lagrgation du protoplasma. Rsum et conclusions. Observations supplmentaires sur lagrgation dans les racines des plantes.

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Chapitre IV. Effets de la chaleur sur les feuilles.Nature des expriences. Effets de leau bouillante. Leau tide provoque une inflexion rapide. Leau porte une temprature plus leve ne provoque pas une inflexion immdiate, mais ne tue pas les feuilles, ce que prouvent leur redressement subsquent et lagrgation du protoplasma. Une temprature encore plus leve tue les feuilles et fait coaguler les parties albumineuses des glandes. Conclusions.

Chapitre V. Effets produits sur les feuilles par les liquides non azots et les liquides organiques azots.Liquides non azots. Solutions de gomme arabique, de sucre, damidon, dalcool tendu, dhuile dolive. Infusion et dcoction de th. Liquides azote. Lait. Urine, albumine liquide. Infusion de viande crue. Mucosits impures. Salive. Solution de colle de poisson. Diffrence de laction exerce par ces deux sries de liquides. Dcoction de pois verts. Dcoction et infusion de choux. Dcoction de brins dherbe.

Chapitre VI. Puissance digestive de la scrtion du Drosera.Lexcitation directe ou indirecte des glandes rend la scrtion acide. Nature de lacide. Substances digestibles. Albumine ; les alcalis arrtent la digestion ; laddition dun acide la fait recommencer. Viande. Fibrine. Syntonine. Tissu arolaire. Cartilages. Fibro-cartilage. Os. mail et dentine. Base fibreuse des os. Phosphate de chaux. Glatine. Chondrine. Lait, casine et fromage. Gluten. Lgumine. Pollen. Globuline. Hmatine. Substances indigestes. Productions pidermiques. Tissu fibro-lastique. Mucine. Pepsine. Ure. Chitine. Cellulose. Fulmi-coton. Chlorophylle. Graisses et huiles. Amidon. Action de la scrtion sur les graines vivantes. Rsum et conclusions.

Chapitre VII. Effets produits par les sels dammoniaque.Manire dont ont t faites les expriences. Action de leau distille comparativement laction des solutions. Les racines absorbent le carbonate dammoniaque. Les glandes absorbent la vapeur dune solution de carbonate. Gouttes sur le disque. Gouttes microscopiques appliques des glandes spares. Feuilles plonges dans des solutions faibles. Petitesse de la dose qui provoque lagrgation du protoplasma.. Azotate dammoniaque ; expriences analogues faites avec des solutions de ce sel. Phosphate dammoniaque ; expriences analogues. Autres sels dammoniaque. Rsum et conclusions sur laction des sels dammoniaque.

Chapitre VIII. Effets produits sur les feuilles par divers sels et par divers acides.Sels de soude, de potasse et autres sels alcalins, terreux et mtalliques. Rsum de laction produite par ces sels. Acides divers. Rsum de leur action.

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Chapitre IX. Effets produits par certains poisons alcalodes, par dautres substances et par des vapeurs.Sels de strychnine. Le sulfate de quinine narrte pas rapidement les mouvements du protoplasma. Autres sels de quinine. Digitaline. Nicotine. Atropine. Vratrine ; Colchicine ; Thine. Curare. Morphine. Hyoscyamine. Le poison du Cobra capello semble acclrer les mouvements du protoplasma. Le camphre est un stimulant puissant. Sa vapeur agit comme narcotique. Certaines huiles essentielles provoquent linflexion. Glycrine. Leau et certaines solutions retardent ou empchent laction subsquente du phosphate dammoniaque. Lalcool est inoffensif ; la valeur dalcool agit comme narcotique et comme poison. Chloroforme, ther sulfurique et ther azotique ; leur proprit stimulante, vnneuse et narcotique. Lacide carbonique est un narcotique, mais il nagit pas comme poison rapide. Conclusions.

Chapitre X. De la sensibilit des feuilles et de la direction dans laquelle limpulsion se propage.Les glandes et le sommet des tentacules sont seuls sensibles. Propagation de limpulsion dans les pdicelles des tentacules et travers le limbe de la feuille. Agrgation de protoplasma ; cest une action rflexe. La premire dcharge de limpulsion est soudaine. Direction des mouvements des tentacules. Limpulsion motrice se propage travers le tissu cellulaire. Mcanisme des mouvements. Nature de limpulsion motrice. Redressement des tentacules.

Chapitre XI. Rcapitulation des principales observations faites sur le Drosera rotundifolia. Chapitre XII. Structure et mouvements de quelques autres espces de Drosera.Drosera anglica. Drosera intermedia. Drosera capensis. Drosera spathulata. Drosera filiformis. Drosera binata. Conclusions.

Chapitre XIII. Diona muscipula.Structure des feuilles. Sensibilit des filaments. Mouvement rapide des lobes caus par lirritation des filaments. Les glandes, leur facult de scrtion. Mouvements lents causs par labsorption de matires animales. Preuves de labsorption tires de lagrgation dans les glandes. Puissance digestive de la scrtion. Action du chloroforme, de lther et de lacide cyanhydrique. Mode de capture des insectes. Utilit des poils marginaux. Nature des insectes capturs. Transmission de limpulsion motrice et mcanisme des mouvements. Redressement des lobes.

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Chapitre XIV. Aldrovandia vesiculosa.Capture des crustacs. Conformation de ses feuilles comparativement celles de la Dione. Absorption par les glandes, par les processus quadrifides et par des pointes sur les bords replis. Aldrovandia vesiculosa, var. australis. Capture de certaines proies. Absorption des matires animales. Aldrovandia vesiculosa, varit verticillata. Conclusions.

Chapitre XV. Drosophyllum. Roridula. Byblis. Poils glanduleux dautres plantes. Conclusion sur les Drosraces.Drosophyllum. Structure des feuilles. Nature de la scrtion. Mode de capture des insectes. Facult dabsorption. Digestion des substances animales. Rsum sur le Drosophyllum. Roridula.. Byblis. Poils glanduleux dautres plantes ; leur facult dabsorption. Saxifrages. Primula. Pelargonium. Erica. Mirabilis. Nicotiana. Rsum sur les poils glanduleux. Remarques finales sur les Drosraces.

Chapitre XVI. Pinguicula.Pinguicula vulgaris. Conformation des feuilles. Nombre des insectes et des autres objets capturs. Mouvement des bords des feuilles. Utilit de ce mouvement. Scrtion, digestion et absorption. Action de la scrtion sur divers matires animales et vgtales. Effets sur les glandes des matires qui ne contiennent pas de substances azotes solubles. Pinguicula grandiflora. Pinguicula lusitanica, capture des insectes. Mouvement des feuilles, scrtion et digestion.

Chapitre XVII. Utricularia.Utricularia neglecta. Conformation de la vessie. Destination des diffrentes parties. Nombre des animaux emprisonns. Mode de capture. Les vessies ne peuvent pas digrer les matires animales, mais elles absorbent les produits de leur dcomposition. Expriences sur labsorption de certains liquides par les processus quadrifides. Absorption par les glandes. Rsum des observations sur labsorption. Dveloppement des vessies. Utricularia vulgaris. Utricularia minor. Utricularia clandestina.

Chapitre XVIII. Utricularia (suite).Utricularia montana. Description des vessies qui se trouvent sur les rhizomes souterrains. Insectes capturs par les vessies des plantes ltat cultiv et ltat sauvage. Absorption par les processus quadrifides et par les glandes. Tubercules servant de rservoir pour leau. Diverses autres espces dUtricularia. Polypompholyx. Genlisea ; nature diffrente de la trappe pour capturer les insectes. Conclusion : Modes divers dalimentation des plantes.

Table analytique.

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Introduction biographique.

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Les grands naturalistes se distinguent de la foule des savants estimables vous ltude des tres organiss par un ensemble de qualits qui, toujours isoles et incompltes chez le plus grand nombre, se trouvent runies et concentres dans le gnie de ces grands hommes. Le talent dobservation, labsence dides prconues, la mfiance de soi-mme, la patience, la sincrit, caractrisent le naturaliste ordinaire: les grandes vues, lesprit de comparaison et de gnralisation, le pouvoir de se dgager des conceptions dogmatiques antrieures, lapplication de nouvelles mthodes dinvestigation, lui font dfaut ; ses travaux agrandissent les domaines de la Zoologie, de la Botanique ou de la Palontologie, mais ils nembrassent pas lensemble des tres organiss et ne modifient en rien la philosophie de la science. Les heureux novateurs dont la mmoire se rattache linauguration des grandes phases que lhistoire naturelle a traverses, rsumaient au contraire en eux toutes les qualits dont la combinaison est seule capable de la transformer. Tels furent Aristote, Linne, Lamarck, Cuvier, les Jussieu, Robert Brown, Jean Mller et Alexandre de Humboldt. Tous se montrrent la fois des observateurs exacts et de hardis gnralisateurs, tous dcouvrirent et signalrent des horizons lointains, peine entrevus par leurs prdcesseurs. Charles Darwin appartient cette noble famille, et lre fconde dans laquelle entre lhistoire naturelle, prpare par Lamarck, Gthe, Geoffroy Saint-Hilaire, de Baer et Agassiz, porte et portera dsormais son nom. Lide dvolution a clair la Zoologie, la Botanique, la Palontologie et lEmbryologie dun jour nouveau; elle les a leves

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du rang de sciences purement descriptives celui de sciences dans laquelle lobservation et lexprience sont fcondes par le raisonnement. Les ouvrages de M. Darwin portent cette double empreinte tous sont des modles dobservation attentive, minutieuse, dexprimentation habile et patiente, de dductions sobres et rigoureuses ; tels sont, en Botanique : le livre sur la fcondation des Orchides, les recherches sur les formes et les relations sexuelles des Linum, des Lythrum et des Primula, le volume sur les mouvements et les habitudes des plantes grimpantes, celui suries fcondations croises et enfin le prsent ouvrage dont les vgtaux insectivores sont lobjet.Il nen est aucun, o lauteur ait dploy plus de persvrance, de suite et de finesse dobservation pour analyser les phnomnes de mouvement et dabsorption des plantes carnivores. Un nombre considrable dexpriences institues avec mthode comme celles des physiciens et des chimistes, se contrlant rciproquement et rptes des centaines de fois, lui ont permis dapprcier numriquement laction des agents physiques et celle de doses infinitsimales dune foule de substances azotes sur les organes impressionnables de ces vgtaux. La capture et labsorption de petits animaux vivants et de ces substances ont t mises hors de doute, par M. Clark (Journal of Botany, septembre 1875). Cet observateur a fait macrer des mouches dans une solution de citrate de lithium dont le spectre prsente des raies trs-caractristiques. Il plaait ces mouches sur des feuilles de Drosera et de Pinguicula, et examinait ensuite au spectroscope les tissus de la feuille. Toujours ils ont donn des signes de la prsence du lithium. M. Ed. Morren a achev la dmonstration en montrant (note, p. 423) que la digestion vgtale et la digestion animale sont des oprations chimiques analogues par lesquelles les substances alimentaires sont assimiles lconomie. La question du rle utile et profitable la plante de ces substances animales absorbes par les feuilles nen reste pas moins indcise : elle doit tre lucide par des expriences subsquentes, celles publies jusquici tant contradictoires ou peu dcisives. La solution de cette partie du problme incombe donc aux Botanistes et aux Chimistes qui complteront ces recherches en suivant les mthodes inaugures par lauteur.

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Les expriences contradictoires faites jusquici soulvent dailleurs une question prjudicielle. Tout le monde convient aujourdhui quon observe chez les vgtaux comme chez les animaux des organes rudimentaires et inutiles ltre organis qui les possde. On est, par consquent, en droit de se demander sil nexiste pas des fonctions qui se trouvent dans le mme cas ; si ces captures dinsectes, la dissolution et labsorption de leurs parties molles par les feuilles de la plante ne seraient pas un mode dassimilation sinon anormal, du moins accidentel, comparable labsorption de substances actives par la peau chez les animaux suprieurs. On peut, cartant toute ide de finalit, aller encore plus loin; en effet, cette absorption de matriaux qui, daprs certains observateurs, ne contribuent en rien lalimentation du vgtal, ne serait-elle pas lbauche dune fonction sans profit pour lui, mais qui dj dans les animaux infrieurs les plus rapprochs des vgtaux et immobiles comme eux, tels que les Polypes, les Coraux, les Actinies, devient la fonction nutritive principale. Nulle chez les vgtaux qui absorbent par leurs racines leau charge de principes nutritifs et par leurs feuilles les gaz qui composent lair atmosphrique, cette fonction devient le principal et le seul mode de nutrition chez les animaux infrieurs fixs sur des pierres, dpourvus de racines absorbantes. mais qui capturent aussi des animalcules vivants au moyen de tentacules mobiles, les digrent, les absorbent, se les assimilent et sen nourrissent exclusivement. Lavenir dcidera cette question. Jetons un rapide coup doeil sur les publications de M. Darwin, pour montrer par quels travaux aussi nombreux que varis il stait prpar aux grandes gnralisations qui ont illustr son nom. En Zoologie, les ouvrages spciaux et descriptifs de M. Darwin sont la Monographie des Cirripdes vivants et fossiles, lAnatomie du Sagitta et la Description de quelques Planaries terrestres ou marines. En Gologie, je citerai le volume sur la structure et la distribution des rcifs coralliens, les observations sur les les volcaniques, les les Falkland, les terrasses parallles de Glen-Roy en cosse, la distribution des blocs erratiques dans lAmrique du Sud, la gologie de ce continent, lorigine des dpts salifres de la Patagonie, etc., etc. Quoique tous ces ouvrages renferment les vues gnrales qui simposent ncessairement un esprit suprieur

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embrassant les trois branches de lhistoire naturelle, ils sont nanmoins le rsultat de travaux dont lobservation est le caractre dominant, mais qui nauraient pas profondment modifi la philosophie des sciences de la nature. Ceux qui ont amen les progrs et la transformation dont nous sommes tmoins sont les ouvrages sur lOrigine des espces, sur les Variations des vgtaux et des animaux sous linfluence de la domestication, sur la Descendance de lhomme et sur lExpression des motions : ils ont eu pour rsultat de dtruire ou de modifier les anciennes ides sur la cration, la succession, les affinits des tres organiss, la notion de lespce, du genre et de la famille, en Zoologie comme en Botanique. M. Darwin ayant bien voulu mautoriser faire prcder son ouvrage dune notice biographique et de le complter de notes additionnelles rsumant les principales observations faites, sur les plantes insectivores depuis la publication de son ouvrage en anglais, je vais essayer de rpondre la confiance de lauteur en lui consacrant une courte notice biographique. Les notes signes CH. M., quon trouvera dans le cours du texte, contiennent lanalyse de toutes les recherches sur les plantes carnivores qui sont venues ma connaissance. Les lacunes quelles peuvent prsenter tiennent limpossibilit o je me trouvais dtre inform de tout ce qui a t publi sur ce sujet, non dune omission volontaire. Quant aux critiques vagues rsultant dides prconues ou de prjugs religieux, elles ne mont pas paru devoir tre mentionnes, la recherche scientifique base sur lobservation et lexprience ayant seule droit lattention du public comptent. Voici la biographie de lauteur telle quelle a paru dans le journal anglais Nature, du 4 juin 1874, avec le consentement de M. Darwin, qui a bien voulu me lenvoyer comme tant le rcit abrg, mais exact, de sa laborieuse vie. Charles-Robert Darwin naquit Shrewsbury, le 12 fvrier 1809. Il est le fils du Dr Robert Waring Darwin, membre de la Socit royale, et petit-fils du Dr Erasmus Darwin, galement membre de la Socit royale et auteur de la Zoonomia, ou lois de la vie organique, du Jardin botanique, pome en deux chants, et de la Phytologie, ou philosophie de lagriculture et de lhorticulture. Du ct de sa mre il est petit-fils

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du clbre fabricant de faences Josiah Wedgwood. Charles Darwin fut lev Shrewsbury dans une cole dirige par le Dr Butler depuis vque de Lichfield. Dans lhiver de 1825, il se rendit comme tudiant luniversit ddimbourg; il y resta deux ans, sappliqua ltude des animaux marins et lut la Socit Plinienne deux courtes notes sur les mouvements des ufs des Flustres. Ddimhourg, M. Darwin se rendit au Christ-college de Cambridge o il obtint le grade de bachelier s arts, en 1831. Dans lautomne de la mme anne le capitaine Fitzroy ayant offert de cder la moiti de sa cabine un naturaliste qui voudrait laccompagner dans un voyage autour du monde, M. Darwin se prsenta comme volontaire sans accepter aucune indemnit, mais la condition de rester le matre de ses collections, dont il a dispos depuis en faveur de plusieurs tablissements publics. Le Beagle, ctait le nom du navire, quitta lAngleterre le 27 dcembre 1831, et revint le 22 octobre 1836, aprs avoir accompli son voyage de circumnavigation. M. Darwin pousa sa cousine, Marie Wedgwood, au commencement de 1839, et, depuis 1842, il habite Down-Beckenham, dans le canton de Kent dont il est lun des magistrats. La Socit royale lui accorda en 1853 la mdaille royale et en 1864 celle de Copley. En 1859, la Socit gologique de Londres lui dcerna la mdaille de Wollaston; il est membre honoraire de plusieurs socits savantes trangres et chevalier de lordre prussien du Mrite. Depuis son retour de lAmrique du Sud sur le Beagle, la vie de M. Darwin a t sans vnements; les seuls notables ont t la publication de ses ouvrages et de ses mmoires, beaucoup plus nombreux quon ne le suppose gnralement; en voici la liste complte :

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PUBLICATIONS DE M. CH. DARWIN.

OUVRAGES GNRAUX. A Naturalists Voyage round the world on board of H. M. S. Beagle, traduit en franais par M. Edmond Barbier, sous le titre : Voyage dun naturaliste autour du monde, de 1831 1836. Paris, 1875. Journal of researches into the natural history and geology of countries visited by H. M. S. Beagle 1845. Journal de recherches dhistoire naturelle et de gologie dans les contres visites par le Beagle. The Variation of plants and animals under domestication, 2 vol., 1858. De la variation des animaux et des plantes sous laction de la domestication, traduction par J.-J. Moulini, avec prface de Carl Vogt, 1868. On the origin of species by means of the natural selection, 1 vol., 1859. Lorigine des espces par la slection naturelle, traduite en franais sur la 6e dition anglaise par M. Ed. Barbier, 1876. On the variation of organic beings in a state of nature (Journal of the Linnan Society, t. III, Zoology, 1859, p. 46). Sur les variations des tres organiss dans ltat de nature (Journal de la Socit Linnenne, 1859). The Descent of man and selection in relation to sex, 2 vol., 1871. La Descendance de lhomme et la slection sexuelle, traduction par J.-J. Moulini avec prface de Carl Vogt, 2e dition, revue par M. Edmond Barbier, 1874. The Expression of the emotions in man and animals, 1 vol. 1871. LExpression des motions chez lhomme et les animaux. Traduction par Samuel Pozzi et Ren Benot. Paris, 1874.

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ZOOLOGIE. The Zoology of the voyage of H. M. S. Beagle edited and superintended by Ch. Darwin, 1840, consisting in fire parts. La Zoologie du voyage du Beagle, dite et dirige par Ch. Darwin, 1840. Observations on the structure of the genus Sagitta. Ann. nat. hist., vol. XIII, 1844. - Observations sur lanatomie du genre Sagitta. Annales dhistoire naturelle, t. XIII. Brief Description of several terrestrial Planari and of some marine species. Ann. nat. hist., vol. XIV, 1844. Description abrge de quelques Planaries terrestres et marines. Ann. dhist. naturelle, t. XIV, p. 241. A Monograph of the Cirripedia. Part. I, Lepadid Ray. Soc., 1851, pp. 400. Monographie des Cirrhipdes. 1re Partie, Lepadid, publie par la Socit de Ray. A Monograph of the Cirripedia. Part. II, Balanid, 1854, p. 684. Monographie des Cirrhipdes, Balanid, publie par la Socit de Ray. A Monograph of the fossil Lepadid. Pal. Society, 1851, pp. 86. Monographie des Lepadides fossiles, publie par la Socit palontologique. Monograph of the fossil Balanid and Verrucid. Pal. Soc., 1851, pp. 86. Monographie des Balanides et des Verrucides fossiles, publie par la Socit palontologique, 44 pages.

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BOTANIQUE. On the action of sea-water on the germination of seeds. Journ. Linn. Soc., vol. I, 1857. Bot., p. 130. Sur linfluence de leau de mer sur la germination des graines. Journ. de la Socit Linnenne, 1857. On the agency of bees in the fertilisation of papilionaceous flowers. Ann. nat. hist., vol. II, 1858, p. 459. Sur le rle des abeilles dans la fcondation des fleurs papilionaces. Ann. dhistoire naturelle, t. II, p. 459. 1858. On the two forms or dimorphic condition of the species of Primula. Journ. Linn. Soc., vol. VI, 1862. Bot., p. 77. Sur les deux formes ou le dimorphisme des espces de Primula. Journ. de la Soc. Linnenne, t. VI, p. 77. On the various contrivances by which British and Foreign Orchids are fertilised, 1862. Des diffrents modes suivant lesquels les Orchides anglaises et exotiques sont fcondes, 1 vol. traduit par M. Rrolle avec le titre : De la fcondation des Orchides par les insectes. On the existence of two forms and their reciprocal sexual relations in the genus Linum. Journ. Linn. Soc., vol. VII, 1863. Bot., p. 69. Sur lexistence de deux formes et leurs relations sexuelles rciproques dans le genre Linum. Journ. de la Soc. Linnenne, t. VII, p. 69. On the sexual relations of three forms of Lythrum. Jour. Linn. Soc., vol VIII, 1864, p. 169. Sur les relations sexuelles des trois formes de Lythrum. Journ. de la Soc. Linnenne, t. VIII, 1864, p 169. On the character and hybrid-like nature of the illegitimate offspring of dimorphic and trimorphic Plants. Jour. Linn. Soc., vol. X, 1867. Bot., p. 393. Sur les caractres et la nature hybride des produits adultrins de plantes dimorphiques et trimorphiques. Journ. de la Soc. Linnenne, t. X, 1867.

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On the specific difference between Primula veris and P. vulgaris and the hybrid nature of the common Oxslip. Journ. Linn. Soc., vol. X, 1867 Bot., p. 437. Sur la diffrence spcifique entre les Primula vulgaris et P. reris et la nature hybride du Museau de boeuf (Primula grandiflora Jacq.). Journ. de la Soc. Linnenne. Bot., X, p. 437. Insectivorous Plants, 1 vol., 462 p., 1875. Les Plantes insectivores, traduction par E. Barbier, avec prface et notes complmentaires par Ch. Martins, 1877. On the movements and habits of climbing Plants. Journ. Linn. Soc., vol. IX, 1865. Bot., p. I. Ce mmoire a t publi avec additions, en 1875, en un volume avec le mme titre et traduit en franais par le Dr R. Gordon, sous celui de : Les Mouvements et les habitudes des Plantes grimpantes, 1877. The Effects of cross and self fertilisation in the vegetal kingdom, un vol. in-12, 482 p., 1876. Les Effets de la fcondation propre ou croise dans le rgne vgtal, dont la traduction franaise par le professeur E. Heckel est sous presse.

GOLOGIE. On the formation of mould. Trans. geolog. Soc., vol. V, p. 505, read Nov. 1837. Sur la formation de la terre vgtale. Mmoires de la Soc. gologique de Londres, t. V, p. 505, lu en novembre 1837. Origin of the saliferous depots of Patagonia. Journ. Geol. Soc., vol. II, 1838, p. 127. Origine des dpts salifres de la Patagonie. Journ. de la Soc. gologique de Londres, 1838, p. 127. On the connection of the volcanic phenomena in South America. Transact. Geolog. Soc., vol.V, read March 1838. Sur la connexion des phnomnes volcaniques dans lAmrique du Sud. Transactions de la Socit gologique de Londres, t. V. Mmoire lu en mars 1838.

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On the parallel roads of Glen-Roy. Trans. Phil. Soc., 1839, p. 39. Sur les terrasses parallles de Glen-Roy. Transactions philosophiques, 1839, p. 39. On the distribution of the erratic boulders in South America. Trans. Geolog. Soc., vol. VI, read April 484l. Sur la distribution des blocs erratiques dans lAmrique du Sud. Mmoires de la Soc. gologique de Londres, t. VI. Mmoire lu en avril 4841. On a remarkable bar of sandstone of Fernambuco. Phil. Mag., oct 1841, p. 257. Sur un barrage remarquable de grs devant Fernambouc. Magasin philosophique, 1841, p. 257. Notes on the ancient glaciers of Caernarvonshire. Phil. Mag., vol. XX, 1842, p. 180. Notes sur les anciens glaciers du Caernarvonshire. Magasin philosophique, t. XXI, p. 180. The Structure and Distribution of coral-reefs, 1844, pp. 214. Second edition, 1874. La Structure et la distribution des rcifs de coraux. 2e dition. Geological Observations on volcanic islands, 1842, pp. 175. Second edition, 1875. Observations gologiques sur les les volcaniques, 2e dition, 1875. An account of the fine dust which often falls on the vessels in the Atlantic Ocean. Proceed. Geolog. Soc., 1845, p. 26. Note sur la fine poussire qui tombe parfois sur les navires dans locan Atlantique. Bulletin de la Socit gologique de Londres, 1845, p. 26. On the geology of the Falkland islands. Journ. Geol. Soc., 1846., p. 247. Sur la gologie des les Falkland (Malouines). Journal de la Soc. gologique de Londres, 1846, p. 247. On the transportal of erratic boulders from a lower to a higher level. Journ. Geol. Soc., 1848, p. 315. Sur le transport des blocs erratiques dun niveau plus bas un niveau plus lev. Journal de la Soc, gologique de Londres, 1848, p. 315.

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On the power of icebergs to make grooves on a submarine surface. Phil. Mag., Aug. 1855. Sur le pouvoir des glaces flottantes de graver des stries sur des surfaces sous-marines, aot 1855. Geological Observations on South America, 1846, pp. 279. Second edition, 1875. Observations golologiques sur lAmrique mridionale, 2e dition, 1875. CH. MARTINS.Jardin des plantes de Montpellier, mars 1877.Retour la Table des Matires

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LES PLANTES INSECTIVORES

Chapitre premier. Le Drosera rotundifolia.Nombre des insectes capturs. Description des feuilles ; leurs appendices ou tentacules. Remarques prliminaires sur laction des divers organes et sur le mode de capture des insectes. Dure de linflexion des tentacules. Nature de la scrtion. Procd par lequel les insectes sont amens au centre de la feuille. Preuve que les glandes ont une puissance dabsorption. Petitesse des racines. Retour la Table des Matires

Me trouvant pendant lt de 1860 dans les landes du comt de Sussex, je remarquai, avec une grande surprise, le nombre considrable dinsectes saisis par les feuilles du Rossolis (Drosera rotundifolia). Javais entendu dire que les feuilles de cette plante capturent les insectes ; mais l se bornait tout ce que je savais ce sujet 1 . Je pris au hasard une douzaine de plantes portant cinquante-six1 Le Dr NITSCHKE ayant donn (Bot. Zeitung, 1860, p. 229) la bibliographie du Drosera, il est inutile que jentre ici dans aucun dtail ce sujet. La plupart des mmoires publis avant 1860 sont trs-courts et trs-peu importants. Le mmoire le plus ancien, publi ce sujet, semble tre aussi celui qui a le plus de valeur ; il a t crit par le Dr ROTH en 1782. Le Dr MILDE a publi, en 1852, dans la Bot. Zeitung, p. 50, un mmoire fort intressant, mais malheureusement trop court, sur les habitudes du Drosera. MM. GROENLAND et TRCUL ont insr, en 1855, dans les Annales des sc. nat. bot., t. Ill, p. 297 et 304, des mmoires accompagns de figures sur la conformation des feuilles du Drosera ; mais M. Trcul va jusqu douter que ces feuilles possdent aucune facult de mouvement. Les mmoires du Dr Nitschke dans la Bot. Zeitung, 1860 et 1861, sont de beaucoup les plus importants qui aient t publis sur les habitudes et la conformation de cette plante, et jaurai frquemment loccasion de les citer. Ses aperus sur plusieurs points, par exemple sur la transmission de

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feuilles bien ouvertes, sur trente et une desquelles se trouvaient des insectes morts ou des dbris dinsectes. Sans aucun doute, ces mmes feuilles auraient saisi encore un grand nombre dinsectes, et les feuilles qui ntaient pas dveloppes au moment o je les vis en auraient infailliblement pris un plus grand nombre encore. Les six feuilles que portait lune des plantes avaient saisi chacune sa proie ; sur dautres plantes, beaucoup de feuilles avaient attrap plus dun insecte. Je trouvai, en effet, sur une grande feuille, les restes de treize insectes diffrents. Les mouches (Diptera) sont captures beaucoup plus souvent que les autres insectes. Linsecte le plus gros que jaie vu saisir par une feuille est un petit papillon (Caenonympha pamphilus) ; mais le Rv. H.-M. Wilkinson mapprend quil a trouv une grosselexcitation dune partie de la feuille lautre, sont tout particulirement excellents. Le 11 dcembre 1862, M. J. SCOTT a lu un mmoire devant la Socit botanique ddimbourg, mmoire publi plus tard par le Gardeners Chronicle, 1863, p. 30. M. Scott a dmontr que si lon irrite un peu les poils qui recouvrent la feuille, ou que si lon place un insecte sur la feuille, les poils tendent sinflchir en dedans. M. A.-W. BENNETT a lu aussi, en 1873, devant lAssociation britannique pour lavancement des sciences, un intressant mmoire sur les mouvements des feuilles du Drosera. Pendant la mme anne, le Dr WARMING a publi un mmoire dans lequel il dcrit la structure des prtendus poils, intitul : Sur la diffrence entre les Trichomes, etc., extrait des Annales de la Socit dhistoire naturelle de Copenhague. Jaurai aussi bientt occasion de parler dun mmoire de Mme TREAT, de New-Jersey, sur quelques espces amricaines de Drosera. Le Dr BURDON SANDERSON a lu devant lInstitution royale (publi dans Nature, 14 juin 1874), un mmoire sur la Dione, dans lequel a paru pour la premire fois un court rsum de mes observations sur la vraie puissance digestive que possdent le Drosera et la Dione. Le professeur ASA GRAY a appel lattention sur le Drosera et dautres plantes ayant des habitudes analogues dans la Nation (1874, p. 232 et 261) et dans dautres publications scientifiques. Le Dr HOOKER, dans son important discours sur les plantes carnivores (British Association, Belfort, 1874), a trac lhistorique des travaux faits sur ces plantes. (Ce dernier mmoire a t publi par la Revue des cours scientifiques, 21 nov. 1874. Note du traducteur.) Depuis la publication du prsent ouvrage en anglais, quelques mmoires ont paru sur le mme sujet. Nous les mentionnerons ici dans lintrt du lecteur dsireux de connatre ltat actuel de la question. Abb BELLYNCK, les plantes carnivores (Prcis historiques, t. XXIV, fvrier 1875). Ed. MORREN, Observations sur les procds insecticides des Pinguicula (Bulletin de lAcadmie de Belgique, juin 1875. La Belgique horticole, 1875, p. 290). ED. MORREN, Note sur les procds insecticides du Drosera rotundifolia, Bulletin de lAcadmie de Belgique, juillet 1875, et Belgique horticole, 1875, p. 308). ED. MORREN, Note sur le Drosera binata, Lab., sa structure et ses procds insecticides (Bulletin de lAcadmie de Belgique, novembre 1875). ED. MORREN, La thorie des plantes carnivores et irritables (Bulletin de lAcadmie de Belgique, novembre 1875). TH. BALFOUR, Account on some experiments on Dionaea muscipula. TH. BALFOUR, Venus Fly-trap (Gardeners chronicle, 3 juillet 187i. Transactions of the botanical Society of Edinburgh, vol. XII, p. 334.) REES und WILL, Einige Bemerckungen ber fleischfressende Pflanzen (Botanische Zeitung 1875, n 44). LAWSON TAIT, Experiments (Nature, 29 juillet 1875). J. E. PLANCHON, Les plantes carnivores (Revue des Deux Mondes, 1er fvrier 1876). Ch. M.

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libellule vivante emprisonne entre deux feuilles. Cette plante est extrmement commune dans quelques districts ; aussi le nombre des insectes dtruits par elle chaque anne doit-il tre prodigieux. Beaucoup de plantes causent la mort des insectes, les bourgeons visqueux du marron dInde (sculus hippocastanum), par exemple ; mais, autant toutefois que nous pouvons le savoir, sans en tirer aucun avantage. Il devint, au contraire, bientt vident pour moi que le Drosera est tout particulirement adapt un but spcial, celui de saisir les insectes, et ce sujet me sembla digne de recherches attentives. Ces recherches mont permis dobtenir des rsultats trsremarquables, dont les principaux sont : 1 la sensibilit extraordinaire des glandes quand on les soumet une lgre pression ou quand on les traite par des doss infinitsimales de certaines liqueurs azotes, sensibilit qui se traduit par les mouvements des poils ou tentacules ; 2 la facult que possdent les feuilles de rendre solubles ou de digrer les substances azotes, puis de les absorber ; 3 les changements qui se produisent lintrieur des cellules des tentacules, quand on excite les glandes de diffrentes faons. Mais il est tout dabord indispensable de dcrire brivement la plante. Le Rossolis porte deux ou trois, et quelquefois cinq ou six feuilles, tendues ordinairement dans une position plus ou moins horizontale, mais quelquefois aussi se dressant verticalement. La fig.

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1. reprsente la forme et laspect gnral dune feuille vue de face, et la fig. 2 une feuille vue de ct. Les feuilles sont ordinairement un peu plus larges que longues ; mais tel nest pas le cas dans celle que reprsente la fig. 1. Toute la face suprieure de la feuille est recouverte de filaments portant des glandes ; jappellerai ces filaments

des tentacules, cause de leur mode daction. Jai compt les tentacules de trente et une feuilles, et le nombre moyen des glandes sest trouv tre de 192 ; mais quelques-unes de ces feuilles taient extraordinairement grandes. Le nombre le plus considrable de glandes trouves sur une feuille est de 260 et le plus petit de 130. Chaque glande est entoure de larges gouttes dune scrtion extrmement visqueuse ; ces gouttes, brillant au soleil, ont valu la plante son nom potique de rossolis 2 .2 Nous possdons en France quatre espces de Drosera ; savoir : 1 D. rotundifolia, L., la plus commune de toutes ; 2 D. obovata, M. K. ; 3 D. longifolia, L., et 4 D. intermedia, Hayn. Elles habitent toutes les marais tourbeux et les prairies spongieuses. Ainsi aux environs de Paris on trouve lune ou lautre des quatres espces, Montmorency, Dampierre, Saint-Lger, Rambouillet, Compigne, Russe-Montigny, Malesherbes, etc. Le Drosera obovata est le plus rare de tous. La premire et la dernire espce sont signales en Bretagne et en Vende par M. Lloyd. La premire est commune en Bourgogne, la dernire y est rare. Aux environs de Lyon, M. Balbis mentionne la premire et la troisime au Pilat et dans les marais de Dessines. Communs dans les Alpes, le Jura et les montagnes de lAuvergne, les Drosera disparaissent avec les marais tourbeux dans les plaines de la Provence et du Languedoc. Le Drosera rotundifolia seul existe encore sur les derniers contre-forts des Cvennes vers le Sud et de la montagne Noire ; il reparat ensuite dans toute la chane des Pyrnes. Cette espce stend en latitude, du Cap nord de la Laponie jusquen Portugal et en Syrie ; en longitude, des les Aloutiennes au Canada, cest--dire sur presque toute la circonfrence du globe. Ce petit vgtal, dou de proprits physiologiques si extraordinaires, est originaire du Nord et sest propag vers le sud pendant lpoque glaciaire. On peut consulter cet gard mes observations sur lorigine glaciaire des tourbires du Jura neuchtelois et la vgtation

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Les tentacules du disque ou partie centrale de la feuille sont courts et droits ; leurs pdicelles sont verts. Ils deviennent de plus en plus longs mesure quils se rapprochent davantage du bord de la feuille, et sinclinent de plus en plus en dehors ; les pdicelles de ces derniers sont pourpres. Les tentacules, placs sur le rebord mme de la feuille, stendent dans le mme plan que celle-ci, ou plus ordinairement ils sont considrablement rflchis (voir fig. 2). Quelques tentacules slvent de la base, de la queue ou ptiole ; ce sont les plus longs de tous, car ils atteignent quelquefois prs dun quart de pouce (6 millim.) de longueur. Sur une feuille portant 252 tentacules, le nombre des tentacules courts du disque, ayant des pdicelles verts, tait au nombre des tentacules plus longs du bord et de lextrme bord, ayant des pdicelles pourpres, comme 9 est 16. Un tentacule consiste en un pdicelle, droit, mince, ressemblant un poil, et portant une glande lextrmit suprieure. Le pdicelle est quelque peu aplati et est form par plusieurs ranges de cellules allonges, remplies dun fluide pourpre ou de matires granuleuses 3 . On remarque cependant chez les longs tentacules, juste au-dessous de la glande, une zone troite de couleur verte, et, prs de la base, une zone plus large, verte aussi, Des vaisseaux spiraux, accompagns de simples tissus vasculeux, partent des membranes vasculaires de la feuille et traversent les tentacules pour aboutir dans les glandes. Plusieurs physiologistes minents ont longuement discut sur la nature homologique de ces appendices ou tentacules ; la question est, en effet, de savoir sil faut les considrer comme des poils (trichomes) ou comme des prolongements de la feuille. Nitschke a dmontr quon trouve dans ces appendices tous les lments propres la feuille, et le fait quils contiennent des tissus vasculaires et t autrefois une preuve suffisante que ce ne sont que de simples prolongements de la feuille ; mais on sait aujourdhui que ces vaisseaux pntrent quelquefois dans les vrais poils 4 . La facult de se mouvoir que possdent ces appendices estspciale qui les caractrise, insres dans le Bulletin de la Socit botanique de France, t. XVIII, p. 406, et celles de M. Magnin sur la flore des marais tourbeux du Lyonnais, ibid., t. XXI, p. 46, 1874. Les autres espces du genre Drosera, au nombre de 50 environ, sont toutes exotiques et distribues en Australie, dans les deux Amriques, en Asie et en Afrique. CH. M. Selon Nitschke (Bot. Zeitung, 1861, p. 224), le fluide pourpre provient de la mtamorphose de la chlorophylle. M. Sorby a examin cette matire colorante laide du spectroscope, et il me dit quelle se compose de lespce la plus commune drythrophylle que lon trouve souvent dans les feuilles qui ont peu de vitalit et dans les parties de la feuille, telles que le ptiole, qui accomplissent de faon imparfaite les fonctions propres la feuille. Tout ce que lon peut donc dire, cest que les poils (ou tentacules) sont colors comme lest la partie dune feuille qui ne remplit pas ses fonctions. Le Dr Nitschke a discut ce sujet dans la Bot. Zeitung, 1861, P. 211, etc. Voir aussi le Dr Warming (Sur la diffrence entre les Trichomes, etc., 1873), qui renvoie diverses autres

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un fort argument pour ne pas les considrer comme des poils. Je donnerai, dans le chapitre XV, la conclusion qui me semble la plus probable, cest--dire que ces appendices taient, dans le principe, des poils glandulaires ou de simples formations de lpiderme, et quil faut encore considrer ainsi leur partie suprieure ; mais que la partie infrieure, la seule qui soit doue de la facult du mouvement, est un prolongement de la feuille, les vaisseaux en spirale stendant de cette partie jusqu lextrmit suprieure. Nous verrons ci-aprs que les tentacules terminaux des feuilles denteles de la Roridula se trouvent encore dans une condition intermdiaire. Les glandes, lexception de celles portes par les tentacules situs au bord extrme de la feuille, sont ovales et ont une grandeur presque uniforme, peu prs 4/500e de pouce de longueur (0,2 millim.). Leur conformation est remarquable et leurs fonctions complexes, car elles scrtent et elles absorbent divers stimulants et sont affectes par eux. Ces glandes consistent en une couche extrieure de petites cellules polygonales, contenant des matires pourpres ltat granuleux ou ltat fluide ; les cloisons qui sparent ces cellules sont plus paisses que celles des pdicelles. A lintrieur de cette couche de cellules, il y a une seconde couche dautres cellules qui ont une forme diffrente et qui sont aussi remplies dun fluide pourpre ; mais cette liqueur a une teinte quelque peu diffrente et le chlorure dor laffecte diffremment aussi. Parfois, on peut trs-bien voir ces deux couches quand on a cras la glande ou quon la fait bouillir dans une solution de potassepublications. Voir aussi Groenland et Trcul, Annales des sc. nat. Bot. (4e srie), t. III, 1855, p. 297 et 303.

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caustique. Selon le Dr Warming, il y a encore une autre couche de cellules beaucoup plus allonges, ainsi quon le voit dans la coupe ci-dessus (fig. 3), que jai emprunte son ouvrage. Toutefois, Nitschke na pas vu ces cellules et je ne les ai pas vues plus que lui. Au centre de la glande, se trouve un groupe de cellules cylindriques allonges, de longueur ingale, termines en pointe grossire leur extrmit suprieure, et tronques ou arrondies leur extrmit infrieure ; elles sont troitement presses les unes contre les autres. Il est remarquer quelles sont entoures par une ligne en spirale que lon peut isoler comme une fibre distincte. Ces dernires cellules sont remplies dune liqueur limpide, laquelle, aprs une longue immersion dans lalcool, dpose une quantit considrable de matires brunes. Je suppose que ces cellules sont en relation immdiate avec les vaisseaux spiraux qui se prolongent jusqu lextrmit des tentacules ; car, dans plusieurs occasions, jai vu ces derniers se diviser en deux ou trois branches extrmement minces, dont on pouvait suivre la trace jusquaux cellules spirales. Le Dr Warming a dcrit leur dveloppement. Le Dr Hooker mapprend quon a observ des cellules de la mme espce dans dautres plantes ; jen ai observ moi-mme dans les bords de la feuille de la Pinguicula. Quelle que puisse tre la fonction de ces cellules, elles ne sont ncessaires ni la scrtion de la liqueur digestive, ni labsorption, ni la communication dune impulsion motrice dautres parties de la feuille, comme la structure des glandes dans quelques autres genres de Drosraces nous autorise le penser. Les tentacules qui se trouvent sur le bord extrme de la feuille diffrent lgrement des autres. Leur base est plus large, et, outre leurs propres vaisseaux, ils comprennent un prolongement trs-mince de ceux qui pntrent dans les tentacules qui les entourent. Leurs glandes sont trs-allonges et se trouvent enfouies dans la surface suprieure du pdicelle au lieu de reposer sur le sommet. Sous les autres rapports, ces tentacules ne diffrent pas essentiellement des tentacules ovales ; sur un chantillon, jai trouv toutes les transitions possibles entre les deux tats ; sur un autre spcimen je nai pas trouv de glandes allonges. Ces tentacules du bord de la feuille perdent leur irritabilit plus tt que les autres ; quand on applique un stimulant au centre de la feuille, ils se mettent en mouvement aprs les autres. Quand on plonge dans leau des feuilles coupes, ce sont souvent les seuls qui sinflchissent. La liqueur pourpre ou la matire granuleuse qui remplit les cellules des glandes diffre, jusqu un certain point, de celle qui remplit les cellules des pdicelles.En effet, quand on plonge une feuille dans leau chaude ou dans certains acides, les glandes deviennent entirement blanches et opaques, tandis que les cellules des pdicelles tournent au rouge brillant, lexception de celles qui se trouvent immdiatement au-dessous des glandes. Ces dernires cellules perdent leur teinte rouge ple ; les matires vertes quelles contiennent en commun avec les cellules de la base, prennent une teinte verte plus brillante. Lee

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ptioles partent beaucoup de poils multicellulaires, dont quelques-uns, selon Nitschke, sont surmonte par quelques cellules arrondies qui paraissent tre des glandes rudimentaires. Les deux surfaces de la feuille, les pdicelles des tentacules, surtout les cts infrieurs des tentacules extrieurs et les ptioles, sont couverts de petites papilles (poils ou trichomes) ayant une base conique, et portant leur sommet deux et parfois trois ou mme quatre cellules arrondies, contenant beaucoup de protoplasma. Ces papilles sont ordinairement incolores ; quelquefois, cependant, elles renferment un peu de liqueur pourpre. Leur grandeur varie et, comme le constate Nitschke 5 et ainsi que je lai observ bien des fois, elles se transforment graduellement eu longs poils multicellulaires. Ces derniers, aussi bien que les papilles, sont probablement les rudiments de tentacules qui existaient autrefois. Je puis ajouter ici, afin de navoir plus moccuper des papilles, quelles ne scrtent pas de liqueur, mais quelles se laissent facilement traverser par diffrents fluides ; ainsi, quand on plonge des feuilles mortes ou vivantes dans une solution compose dune partie de chlorure dor ou dazotate dargent et de 437 parties deau, les papilles noircissent rapidement et la dcoloration stend bien vite aux tissus environnants. Les longs poils multicellulaires ne sont pas affects aussi rapidement. Aprs une immersion de dix heures dans une faible infusion de viande crue, les cellules des papilles avaient videmment absorb des matires animales ; car, au lieu de contenir une liqueur limpide, elles contenaient alors de petites masses agglutines de protoplasma, qui changeaient constamment mais lentement de forme.On obtient le mme rsultat par une immersion de quinze minutes seulement, dans une solution dune partie de carbonate dammoniaque et de 218 parties deau ; les cellules avoisinant les tentacules sur lesquels reposent les papilles, contiennent alors aussi des masses agglutines de protoplasma. Nous pouvons conclure de ces faite que, lorsquune feuille sest compltement referme sur un insecte quelle vient de saisir de la faon que nous allons dcrire, les papilles qui font saillie sur la surface suprieurs de la feuille et des tentacules absorbent probablement quelques parties des substances animales dissoutes dans la scrtion ; mais il nen peut tre de mme pour les papilles places la surface infrieure des feuilles ou sur les ptioles.

Observations prliminaires sur laction des diverses parties et sur le mode de capture des insectes.Retour la Table des Matires

Si on place un objet organique on inorganique sur les glandes qui se trouvent au centre dune feuille, ces glandes transmettent une5 Nitschke a admirablement dcrit et figur ces papilles ; Bot. Zeitung, 1861, p. 234, 253, 254.

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impulsion aux tentacules marginaux. Les tentacules les plus rapprochs sont les premiers affects et sinclinent lentement vers le centre de la feuille ; ce mouvement se communique progressivement jusqu ce quenfin tous les tentacules de la feuille sinflchissent pour reposer sur lobjet. Ce rsultat final se produit en un temps trsvariable, cest--dire en une heure, ou bien en quatre ou cinq heures, ou mme plus. Cette diffrence de temps dpend de beaucoup de circonstances dabord de la grosseur de lobjet et de sa nature, cest-dire sil contient des matires solubles qui conviennent la plante ; de la vigueur et de lge de la feuille ; du laps de temps qui sest coul depuis quelle a agi ; et, enfin, selon Nitschke 6 , de la temprature, observation que jai t mme de confirmer. Un insecte vivant fait inflchir les tentacules plus rapidement quun insecte mort, parce quen se dbattant il appuie sur les glandes de beaucoup dentre eux. Un insecte tel quune mouche, dont les tguments sont minces et travers lesquels, par consquent, les substances animales en solution passent facilement pour se mler la scrtion paisse qui les environne, cause une inflexion plus prolonge quun insecte larmure paisse, tel quun scarabe. Les tentacules sinflchissent indiffremment la lumire et dans lobscurit, la plante ntant pas sujette au mouvement nocturne quon dsigne ordinairement sous le nom de sommeil. Si lon touche plusieurs fois, ou si lon chatouille les glandes qui se trouvent sur le disque, bien quon ny laisse aucun objet, les tentacules marginaux sinflchissent vers le centre. Si lon place sur les glandes centrales des gouttes de diffrents liquides, par exemple quelques gouttes de salive ou dune solution dun sel dammoniaque, le mme rsultat se produit rapidement, quelquefois mme en moins dune demi-heure.

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Bot. Zeitung, 1860, p. 216.

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Les tentacules, quand ils sinflchissent, traversent un large espace ; ainsi, un tentacule marginal stendant dans le mme plan que la feuille dcrit un angle de 180 ; jai vu les tentacules trs-rflchis dune feuille qui, ltat naturel, se tenaient parfaitement droits, dcrire un angle de 270. La partie apte se courber est confine un court espace auprs de la base ; toutefois, une portion un peu plus grande des tentacules extrieurs plus longs se courbe lgrement ; la moiti libre restant droite. Les tentacules courts, placs au centre du disque, ne sinflchissent pas quand on les excite directement, mais ils peuvent sinflchir sils sont excits par un mouvement qui leur a t communiqu par dautres glandes places une certaine distance. Ainsi, si on plonge une feuille dans une infusion de viande crue ou dans une faible solution dammoniaque (si la solution est un peu forte, la feuille est paralyse), tous les tentacules extrieurs sinflchissent vers le centre de la feuille (voir fig. 4), except, toutefois, ceux situs prs du centre qui restent droits ; mais ces derniers se courbent vers un objet plac sur un des cts du disque comme on peut le voir dans la fig. 5. On peut remarquer, dans la fig. 4, que les glandes forment un vritable anneau autour du centre ; cela provient de ce que les tentacules extrieurs augmentent en longueur, proportionnellement leur loignement du centre. On peut tudier avec plus de fruit le mode dinflexion des tentacules si lon excite la glande de lun des longs tentacules extrieurs, parce que, dans ce cas, ceux qui lenvironnent ne sont pas affects. La figure 6 reprsente un tentacule sur lequel on a plac une parcelle de viande ; il sincline vers le centre de la feuille tandis que les deux autres conservent leur position originelle. On peut exciter une glande en la touchant simplement 3 ou 4 fois, ou en la mettant en contact prolong avec des objets organiques ou inorganiques et avec diffrents liquides. Au moyen dun verre grossissant, jai pu observer

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distinctement quun tentacule commence sinflchir dix secondes aprs quun objet a t plac sur la glande ; jai remarqu souvent une inflexion fortement prononce en moins dune minute. Il est remarquer quun morceau fort petit dune substance quelconque, tel quun fil, un cheveu, ou un clat de verre, plac en contact immdiat avec la surface dune glande, suffit pour faire inflchir le tentacule. Si lobjet que ce mouvement a transport au centre de la feuille nest pas trs-petit, ou sil contient des substances azotes solubles, il agit sur les glandes centrales ; celles-ci transmettent leur tour une impulsion aux tentacules extrieurs et les font sinflchir vers le centre. Quand une substance trs-excitante ou quun liquide est plac sur le disque, les tentacules ne sont pas les seuls sinflchir ; la feuille elle-mme se recourbe souvent, mais pas toujours. Une goutte de lait ou une goutte dune solution dazotate dammoniaque ou de soude sont particulirement aptes produire cet effet. La feuille se transforme alors en une sorte de petite coupe. Le mode dincurvation varie beaucoup. Quelquefois le sommet seul de la feuille, quelquefois un des cts, quelquefois mme les deux cts sinflchissent vers lintrieur. Par exemple, jai plac quelques parcelles duf dur sur trois feuilles ; chez lune delles, le sommet sest inclin vers la base ; chez la seconde les deux bords se sont considrablement inflchis, de telle sorte que la feuille tait presque devenue triangulaire, cest l, dailleurs, le cas le plus commun ; la troisime na pas t affecte, bien que les tentacules se soient aussi compltement inflchis que dans les cas prcdents. Dordinaire aussi, la feuille entire se soulve ou se redresse, et forme avec la tige un angle plus petit quauparavant. A premire vue, on pourrait prendre ce mouvement pour un mouvement distinct, mais il provient de linflexion de cette partie de la feuille qui

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est attache la tige, inflexion qui amne la feuille entire prouver un mouvement de bas en haut. Le laps de temps pendant lequel les tentacules, aussi bien que la feuille elle-mme, restent inflchis sur un objet plac sur le disque dpend de diverses circonstances ; cest--dire de la vigueur et de lge de la feuille, et, selon le docteur Nitschke, de la temprature ; en effet, pendant le froid, alors que les feuilles sont inactives, elles reprennent leur position normale beaucoup plus rapidement que lorsque le temps est chaud. Toutefois, la nature de lobjet est de beaucoup la circonstance la plus importante ; de nombreuses observations mautorisent conclure que les tentacules restent fixs beaucoup plus longtemps sur des objets qui fournissent des matires azotes solubles que sur ceux, organiques ou inorganiques, qui ne fournissent pas de matires semblables. Aprs une priode variant de un sept jours, les tentacules et la feuille reprennent leur position normale et sont prts agir une seconde fois. Jai vu la mme feuille sinflchir trois fois de suite sur des insectes placs sur le disque, et il est probable quelle aurait pu agir un bien plus grand nombre de fois. La scrtion des glandes est si visqueuse quelle peut stirer en longs fils. Elle parat incolore, cependant elle tache le papier en rose ple. Ds quun objet, quel quil soit, est plac sur une glande, celleci, je crois pouvoir laffirmer, met toujours des scrtions plus abondantes ; mais la prsence mme de lobjet rend la preuve de cette assertion trs-difficile. Dans quelques cas, cependant, leffet est trsmarqu, quand on met, par exemple, sur la glande une parcelle de sucre ; il est vrai que, dans ce cas, labondance de la scrtion est probablement due lexosmose. La prsence de parcelles de carbonate et de phosphate dammoniaque et de quelques autres sels comme, par exemple, le sulfate de zinc, augmente aussi la scrtion. Limmersion dans une solution contenant une partie de chlorure dor ou de quelques autres sels pour 437 parties deau augmente aussi considrablement la scrtion des glandes ; dautre part, le tartrate dantimoine ne produit aucun effet semblable. Limmersion dans beaucoup dacides (dilus dans la proportion dune partie dacide pour 437 parties deau) cause aussi une scrtion si abondante que, quand on sort la feuille du

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liquide, on y voit pendre de longs fils de liqueur trs-visqueuse. Dautre part, quelques acides nagissent pas de cette faon. Laugmentation de la scrtion ne dpend pas ncessairement de linflexion des tentacules, car les particules de sucre et de sulfate de zinc ne provoquent aucun mouvement. Il est beaucoup plus remarquer que, quand on place sur le disque dune feuille un objet tel quun morceau de viande ou un insecte, les glandes des tentacules environnants produisent une scrtion beaucoup plus abondante ds quils sont trs-inflchis. Jai observ ce fait en choisissant des feuilles dont les gouttes de scrtion taient gales de chaque ct et en plaant des morceaux de viande sur un des cts du disque ; ds que les tentacules de ce ct taient trsinflchis, mais avant que les glandes ne touchassent la viande, les gouttes scrtes devenaient beaucoup plus grosses. Jai rpt cette observation bien des fois, mais je nai enregistr que les rsultats de treize expriences, sur lesquelles la scrtion sest augmente visiblement neuf fois ; dans les quatre autres cas, jai attribu le dfaut daugmentation, soit ce que les feuilles taient peu actives, soit ce que les morceaux de viande taient trop petits pour causer une grande inflexion.Il faut donc conclure de ces faits que les glandes centrales, quand elles sont fortement excites, transmettent quelque influence aux glandes des tentacules de la circonfrence et provoquent chez elles des scrtions plus abondantes. Un fait encore plus important, comme nous le verrons avec plus de dtails quand nous traiterons de la puissance digestive de la scrtion, cest que la scrtion des tentacules qui sinflchissent, non-seulement devient plus abondante, mais change de nature et devient acide, soit parce que les glandes centrales ont t stimules mcaniquement, ou quelles se trouvent en contact avec des matires animales ; ce changement se produit avant que les glandes aient touch lobjet plac au centre de la feuille. Cet acide a une nature diffrente de celui qui est contenu dans le tissu des feuilles. Aussi longtemps que les tentacules restent fortement inflchis, les glandes continuent scrter, et la scrtion est acide ; de telle sorte que, si on neutralise cette acidit au moyen du carbonate de soude, la scrtion redevient acide au bout de quelques heures. Jai observ sur une feuille dont les tentacules taient troitement inflchis sur des substances assez

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indigestes, telles que de la casine prpare chimiquement, que ces tentacules ont dvers sur ces matires leurs scrtions acides pendant huit jours conscutifs et pendant dix jours sur des morceaux dos. Cette scrtion, comme les sucs gastriques des animaux plus levs, semble possder quelque puissance antiseptique. Jai plac, tout auprs lun de lautre, par un temps trs-chaud, deux morceaux dgale grosseur de viande crue, lun sur une feuille de Drosera, lautre sur de la mousse humide. Je les ai examins au bout de quarante-huit heures ; le morceau plac sur la mousse grouillait dinfusoires et tait si putrfi quon ne pouvait plus distinguer les stries transversales des fibres musculaires ; au contraire, le morceau plac sur la feuille et qui baignait dans les scrtions ne contenait pas un seul infusoire et les stries taient parfaitement distinctes dans les parties centrales non encore dissoutes. Jai expriment de la mme faon sur des petits cubes dalbumine et de fromage ; ceux que jai placs sur de la mousse humide ont prsent bientt des signes de moisissure et leur surface dcolore semblait sur le point de se dsagrger ; tandis que ceux placs sur les feuilles de Drosera ont conserv leur couleur sans montrer aucun signe de moisissure, lalbumine se transformant en un liquide transparent. Ds que les tentacules, aprs tre rests troitement inflchis pendant plusieurs jours sur un objet, commencent se redresser, la scrtion diminue ou cesse mme compltement et les glandes restent sches. Dans cet tat, elles sont recouvertes dune couche de substance blanchtre demi-fibreuse qui se trouvait en solution dans la scrtion. Le desschement des glandes pendant lacte du redressement rend quelques petits services la plante ; jai remarqu souvent, en effet, que le moindre souffle dair suffit alors pour enlever les objets qui adhrent aux feuilles ; elles sont ainsi dbarrasses et libres de recommencer leurs fonctions. Nanmoins, il arrive souvent que toutes les glandes ne se schent pas compltement ; dans ce cas, les objets dlicats, tels que les petits insectes, sont quelquefois dchirs en morceaux par le redressement des tentacules, et ces morceaux sont rpandus sur toute la feuille. Ds que le redressement est complet, les glandes se remettent immdiatement scrter, et du moment que les gouttes de scrtion ont atteint leur grosseur normale, les tentacules sont prts saisir un nouvel objet.

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Quand un insecte se pose sur le disque central il est immdiatement englu par la scrtion visqueuse ; quelques moments aprs, les tentacules environnants commencent sinflchir et unissent par lenserrer de tous cts. Daprs le docteur Nitschke, un quart dheure suffit ordinairement pour tuer un insecte, parce que les traches sont fermes par la scrtion. Si un insecte se pose sur quelques glandes des tentacules extrieurs, ceux-ci sinflchissent bientt et portent leur proie aux tentacules situs plus prs de lintrieur de la feuille ; ceuxci, leur tour, sinclinent et font passer linsecte, par une sorte de curieux mouvement de rotation, jusquau centre de la feuille. Puis, aprs un certain intervalle, tous les tentacules sinflchissent et viennent baigner leur proie dans leurs scrtions, comme si linsecte stait pos dabord sur le disque central. Un insecte trs-petit, et cest l un fait fort curieux, suffit pour provoquer cette action ; par exemple, jai vu un jour un cousin, appartenant une des plus petites espces (Culex), qui venait de poser dlicatement ses pattes sur les glandes des tentacules les plus extrmes ; ceux-ci commenaient dj sinflchir quoique pas une glande net encore touch le corps de linsecte. Si je ntais pas intervenu, ce petit cousin aurait t certainement port au centre de la feuille et saisi de tous cts. Nous verrons, ci-aprs, quelle dose excessivement petite de certains liquides organiques et de certaines solutions salines suffisent pour causer de fortes inflexions. Je ne saurais dire si les insectes se posent sur les feuilles par pur hasard et pour se reposer, ou sils sont attirs par lodeur de la scrtion. Jai lieu de penser que lodeur les attire daprs le nombre des insectes capturs par quelques espces anglaises de Drosera, et daprs ce que jai pu observer sur quelques espces exotiques que je cultive dans mon orangerie. Dans ce dernier cas, on pourrait comparer les feuilles un pige amorc ; dans le premier cas, on pourrait les comparer un pige plac sur une route frquente par beaucoup de gibier, mais sans amorce. Les glandes changent presque immdiatement de couleur et prennent une teinte plus fonce quand on leur donne une petite quantit de carbonate dammoniaque, ce qui prouve quelles possdent la facult dabsorption ; ce changement de couleur est principalement ou exclusivement d lagrgation rapide de leur

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contenu. Quand on ajoute certains autres liquides, elles deviennent roses. Ce qui prouve le mieux, dailleurs, cette facult dabsorption, ce sont les rsultats si divers que lon obtient quand on place des gouttes de divers liquides azots ou non azots, ayant la mme densit, sur les glandes du disque ou sur une seule glande marginale ; ce sont aussi les longueurs de temps si diffrentes pendant lesquelles les tentacules restent replis sur des objets selon quils contiennent ou non des substances azotes solubles. On aurait pu, dailleurs, tirer cette mme conclusion de la conformation et des mouvements des feuilles qui sont si admirablement adaptes pour capturer les insectes. Labsorption des substances animales fournies par les insectes quelles capturent, explique comment il se fait que le Drosera puisse vivre dans les terrains tourbeux trs-pauvres, dans les endroits mme o rien ne pousse lexception des mousses, et on sait que les mousses tirent absolument toute leur nourriture de latmosphre. Bien quau premier abord les feuilles du Drosera ne paraissent pas vertes cause de la couleur pourpre des tentacules, un examen plus attentif rvle, cependant, que les surfaces suprieures et infrieures du limbe de la feuille, les pdicelles, les tentacules du centre et les ptioles contiennent de la chlorophylle, de telle sorte que, sans aucun doute, la plante se procure et sassimile lacide carbonique contenu dans lair. Nanmoins, si lon considre la nature du sol o elle pousse, la plante ne pourrait se procurer quune fort petite quantit dazote, en admettant mme quelle pt sen procurer si elle navait pas la facult de trouver cet important lment dans les insectes quelle capture. Cela nous explique comment il se fait que les racines du Drosera sont si peu dveloppes ; ces racines, en effet, ne consistent dordinaire quen deux ou trois radicelles peu divises, ayant de 12 25 millimtres de longueur et garnies de filaments absorbants. Il semble donc que les racines ne servent qu absorber lhumidit, bien que, sans aucun doute, elles absorberaient dautres substances nutritives si elles en trouvaient dans le sol, car nous verrons ci-aprs quelles absorbent une faible solution de carbonate dammoniaque. On peut dire quun pied de Drosera, avec ses feuilles recourbes de faon former un estomac temporaire, dans lequel les glandes des tentacules troitement inflchis dchargent leurs scrtions acides qui dissolvent les substances animales pour les absorber ensuite, se nourrit exactement comme un animal. Mais, au contraire dun animal, il boit

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par ses racines et il doit boire beaucoup pour pouvoir former tant de gouttes de liquide visqueux autour des glandes ; or, jen ai compt quelquefois plus de deux cent soixante, exposes toute la journe aux rayons brlants du soleil.

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Chapitre II. Mouvements des tentacules au contact des corps solides.Inflexion des tentacules extrieurs lorsque lon excite les glandes du disque par des attouchements rpts ou quon laisse les objets en contact avec elles. Diffrence de laction des corps selon quils contiennent ou non des matires azotes solubles. Inflexion des tentacules extrieurs cause directement par des objets mis en contact avec leurs glandes. Priode du commencement de linflexion et du redressement subsquent. Extrme petitesse des particules qui suffisent peur provoquer une inflexion. Action sous leau. Inflexion des tentacules extrieurs quand on excite leurs glandes par des attouchements rpts. Les gouttes de pluie ne provoquent pas linflexion.

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Dans ce chapitre et dans les chapitres suivants, je relaterai quelques-unes des nombreuses expriences qui servent le mieux indiquer le mode et ltendue des mouvements des tentacules quand on les excite de diffrentes faons. Les glandes seules, dans tous les cas ordinaires, sont susceptibles dtre excites. Quand on les excite elles ne bougent pas elles-mmes et ne changent pas de forme, mais elles transmettent une impulsion la partie mobile de leurs propres tentacules et des tentacules adjacents qui les transportent alors vers le centre de la feuille. A proprement parler, on devrait appliquer aux glandes le terme irritable, car le terme sensitif implique ordinairement la conscience de lacte accompli ; personne ne suppose, cependant, que la sensitive ait conscience de ses mouvements ; aussi, comme je trouve le terme sensitif plus commode, je lemploierai sans aucune espce de scrupule. Je commencerai par tudier les mouvements des tentacules extrieurs quand on les excite indirectement par des stimulants appliqus aux glandes des tentacules courts qui se trouvent sur le disque. Je dis indirectement, dans ce cas, parce quon nagit pas directement sur les glandes des tentacules extrieurs. Limpulsion partant des glandes du disque agit directement sur la partie mobile des tentacules extrieurs, partie situe auprs de leur base ; elle ne se

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propage pas dabord, comme nous le prouverons plus tard, travers les pdicelles jusquaux glandes qui renverraient ensuite cette impulsion la partie mobile. Nanmoins, une certaine influence parvient jusquaux glandes, leur fait produire des scrtions plus abondantes et les rend acides. Je crois que ce dernier fait est tout nouveau dans la physiologie des plantes ; on na mme dmontr que tout rcemment que, dans le rgne animal, une impulsion peut se transmettre le long des nerfs jusquaux glandes et modifier leur puissance de scrtion indpendamment de ltat des vaisseaux sanguins.

Inflexion des tentacules extrieurs lorsque lon excite les glandes du disque par des attouchements rpts ou quon laisse des objets eu contact avec elles.Retour la Table des Matires

Jai excit les glandes centrales dune feuille avec un petit pinceau de poils de chameau un peu durs : au bout de soixante-dix minutes, plusieurs tentacules extrieurs taient inflchis ; au bout de cinq heures tous les tentacules marginaux taient inflchis ; le lendemain matin, aprs un intervalle denviron vingt-deux heures, ils staient compltement redresss. Dans tous les cas suivants je compte le temps partir de la premire excitation. Chez une autre feuille traite de la mme faon, quelques tentacules sinflchirent au bout de vingt minutes ; au bout de quatre heures tous les tentacules, marginaux et quelques-uns des tentacules du bord extrme staient inflchis, aussi bien que les bords eux-mmes de la feuille ; au bout de dix-sept heures ils taient compltement redresss. Je plaai alors une mouche morte au centre de cette dernire feuille ; le lendemain matin, tous les tentacules staient ferms sur elle ; cinq jours aprs, la feuille stait redresse et les glandes des tentacules couvertes de scrtions taient toutes prtes agir de nouveau. Jai plac bien des fois sur des feuilles des morceaux de viande, des mouches mortes, des parcelles de papier, de bois, de mousse dessche, dponge, de cendre, de verre, etc. ; tous ces objets sont embrasss par les tentacules dans des priodes de temps qui varient

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entre une heure et vingt-quatre heures, puis la feuille et les tentacules reprennent leur position normale dans des priodes variant de un, deux, sept, ou mme dix jours, selon la nature de lobjet. Je plaai un jour une mouche sur une feuille qui avait dj captur naturellement deux mouches et qui stait dj ferme et ouverte une, ou plus probablement deux fois ; au bout de sept heures, cette mouche fut modrment embrasse, ou bout de vingt et une heures elle ltait compltement et les bords de la feuille taient inflchis. Deux jours et demi aprs, la feuille avait presque repris sa position normale ; lobjet excitant tant un insecte, cette priode extraordinairement courte dinflexion tait probablement due ce que la feuille avait t rcemment mise en action. Je laissai cette mme feuille se reposer pendant un seul jour, puis je plaai sur elle une autre mouche ; les tentacules sinflchirent de nouveau, mais trs-lentement. Cependant, en moins de deux jours, ils avaient compltement embrass la mouche. Quand on place un petit objet sur les glandes du disque, dun ct de la feuille, aussi prs que possible de la circonfrence, les tentacules placs de ce ct sont les premiers affects ; ceux placs du ct oppos de la feuille sinflchissent beaucoup plus tard et souvent mme ils ne sinflchissent pas du tout. Jai fait ce sujet de nombreuses expriences eu me servant de morceaux de viande. Je me contenterai, toutefois, de citer ici un seul exemple : une mouche trspetite vint se poser naturellement sur le bord gauche du disque central dune feuille et ses pattes adhrrent aux glandes. Les tentacules marginaux de ce ct de la feuille sinflchirent et turent la mouche. Quelque temps aprs, le bord mme de la feuille, de ce mme ct, sinflchit aussi et resta en cet tat pendant plusieurs jours ; mais, ni les tentacules situs de lautre ct de la feuille, ni le bord de la feuille lextrmit oppose ne furent affects le moins du monde. Quand on exprimente sur des feuilles jeunes et actives, une parcelle dun corps inorganique, peine grosse comme la tte dune petite pingle, place sur les glandes centrales suffit parfois pour faire inflchir les tentacules extrieurs. Mais ce rsultat sobtient plus srement et plus rapidement si lobjet contient des matires azotes qui peuvent tre dissoutes par les scrtions. Jobservai une fois la circonstance extraordinaire suivante. Je plaai sur plusieurs feuilles

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des petits morceaux de viande crue (substance qui agit plus nergiquement que toutes les autres), de papier, de mousse dessche, une barbe de plume, et tous ces objets furent galement embrasss dans un dlai denviron deux heures. Dautres fois, jemployai les substances que je viens dindiquer, ou, plus ordinairement, des clats de verre, des parcelles de charbon prises dans le foyer, des petites pierres, de la feuille dor, de lherbe dessche, du lige, du papier buvard, du coton, des cheveux rouls en petites pelotes ; or, bien que ces substances fussent quelquefois compltement embrasses, il arrivait souvent quelles ne provoquaient aucun mouvement dans les tentacules extrieurs, ou seulement un mouvement trs-faible et trslent. Cependant, ces feuilles taient en pleine activit, ce dont je massurai en les excitant au moyen de substances contenant des matires azotes solubles, telles que des morceaux de viande crue ou rtie, le blanc ou le jaune dun uf cuit, des fragments dinsectes de toute espce, araignes, etc. Je ne citerai que deux exemples. Je plaai des mouches trs-petites sur les disques de plusieurs feuilles et, sur dautres, des boulettes de papier, de mousse, de barbes de plume, ayant peu prs la mme grosseur que les mouches ; ces dernires furent toutes embrasses par les tentacules au bout de quelques heures ; tandis quaprs avoir sjourn vingt-cinq heures sur les feuilles, les autres objets navaient produit linflexion que dun petit nombre de tentacules. Jenlevai alors les boulettes de papier, de mousse, de barbes de plume et je les remplaai par des morceaux de viande crue ; presque immdiatement aprs tous les tentacules sinflchirent nergiquement. Derechef je plaai sur le centre de trois feuilles des petits morceaux de charbon pesant un peu plus que les mouches employes clans la dernire exprience ; aprs un intervalle de dix-neuf heures, lun de ces morceaux tait assez bien embrass ; un second, par quelques tentacules seulement ; le troisime navait provoqu aucun mouvement dans la feuille. Jenlevai alors les deux morceaux placs sur ces deux dernires feuilles et je les remplaai par des mouches rcemment tues. Ces mouches furent assez bien embrasses au bout de sept heures et demie et compltement au bout de vingt heures et demie ; les tentacules restrent inflchis pendant plusieurs jours. Dautre part, la feuille qui avait, en dix-neuf heures, embrass dans une certaine mesure, le morceau de charbon, et laquelle je navais

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pas donn de mouches, avait repris sa position normale et tait, par consquent, prte agir de nouveau trente-trois heures aprs, cest-dire cinquante-deux heures partir du moment o le morceau de charbon avait t plac sur elle. Il rsulte de ces expriences, ainsi que dune foule dautres quil est inutile de rapporter ici, que les substances inorganiques ou certaines substances organiques qui ne sont pas attaques par la scrtion, agissent sur la feuille beaucoup moins rapidement et beaucoup moins efficacement que les substances organiques contenant des matires solubles que la plante peut absorber. En outre, jai observ fort peu dexceptions la rgle suivante : les tentacules restent inflchis sur les corps organiques de la nature de ceux que nous venons dindiquer beaucoup plus longtemps que sur ceux sur lesquels la scrtion na aucun effet ou que sur les objets inorganiques ; et encore ces exceptions semblent sexpliquer naturellement par le fait que la feuille avait t rcemment en action 7 .

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Jai fait de nombreuses experiences, en mentourant de toutes les precautions possibles, pour vrifier les opinions extraordinaires exprimes par M. Ziegler (Comptes rendus, mai 1872, p. 122), cest--dire que les substances albumineuses acquirent la proprit de faire contracter les tentacules du Drosera si on tient ces substances un instant entre les doigts, mais que, si on ne les touche pas elles perdent cette facult. Le rsultat de mes expriences na pas confirm cette opinion. Jai expriment en me servant dclats de charbon pris tout rouges dans le foyer, de morceaux de verre, de fils de coton, de papier buvard, de lige, que je plongeais dans leau bouillante avant de men servir ; je plaais alors ces substances, en ayant soin de plonger aussi dans leau bouillante tons les instruments avec lesquels je les touchais, sur les glandes de diffrentes feuillen ; leur action est exactement la mme que celle dautres parcelles semblables qui avaient t tenues dessein dans les doigts pendant quelque temps. Des morceaux duf cuit, coups avec un couteau qui avait t lav leau bouillante, agirent exactement comme toutes les autres substances animales. Je soufflai sur quelques feuilles pendant plus duns minute, et je rptai cette action deux ou trois fois en plaant ma bouche tant prs de la feuille ; mais cela ne produisit aucun effet. Je puis ajouter ici, pour prouver que lodeur des substances azotes na aucune adieu sur les feuilles, que je plaai aussi prs que possible de plusieurs feuilles des morceaux de viande crue, sans permettre toutefois quelles les touchassent, et quaucun effet se fut produit. Dautre pari, comme nous le verrons bientt, les vapeurs de certaines substances volatiles et de certains liquides, tels que le carbonate dammoniaque, le chloroforme, certaines huiles essentielles, etc., provoquent linflexion. M. Ziegler constate quelques autres faits aussi extraordinaires, relativement au pouvoir de certaines substances animales places immdiatement auprs, mais non pas en contact absolu avec le sulfate de quinine. Je dcrirai, dans un prochain chapitre, laction des sels de quinine. Depuis la publication du mmoire auquel je viens de faire allusion, M. Ziegler a publi sur le mme sujet un volume intitul : Atonicit et Zocit, 1874.

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Inflexion des tentacules extrieurs cause directement par des objets mis en contact avec leurs glandes.Retour la Table des Matires

Jai fait un grand nombre dexpriences en plaant, au moyen dune aiguille trs-fine, humecte deau distille, et en me servant dune loupe, des parcelles de diverses substances sur les scrtions visqueuses qui entourent les glandes des tentacules extrieurs. Jai rpt ces expriences sur les glandes ovales et sur les glandes allonges. Quant on place ainsi une parcelle dune substance quelconque sur une seule glande, on peut facilement observer les mouvements du tentacule, dautant mieux que tous ceux qui lenvironnent restent immobiles (voir, p. 13, la fig. 6). Dans quatre expriences, des petites parcelles de viande crue ont fait considrablement inflchir les tentacules au bout de cinq ou six minutes. Jai observ avec beaucoup de soin un tentacule trait de la mme faon, et jai pu massurer quil changeait de position au bout de dix secondes ; cest, dailleurs, le mouvement le plus rapide que jaie jamais observ. Au bout de deux minutes trente secondes, ce tentacule avait dcrit un angle denviron 45 ; ces mouvements, observs au moyen dune loupe, ressemblent ceux dune aiguille sur une horloge. Au bout de cinq minutes, il avait dcrit un angle de 90, et, dix minutes plus tard, la parcelle de viande avait t transporte au centre de la feuille ; ce tentacule avait donc excut son mouvement dinflexion complet en moins de dix-sept minutes trente secondes. Au bout de quelques heures, ce petit morceau de viande, mis en contact avec quelques glandes du disque central, avait agi sur tous les tentacules extrieurs, qui tous staient compltement inflchis. Des fragments de mouches placs sur les glandes de quatre tentacules extrieurs, projets dans le mme plan que la feuille, causrent aussi linflexion de ces tentacules ; trois dentre eux dcrivirent en trentecinq minutes un angle de 180 pour porter ces fragments au centre de la feuille. Le fragment pos sur le quatrime tentacule tait trs-petit, et il ne fut amen au centre quau bout de trois heures. Dans trois autres cas, des petites mouches ou des parties de grosses mouches furent portes au centre de la feuille au bout dune heure trente secondes. Dans ces sept expriences, les petites mouches ou les

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fragments de mouches, qui avaient t amens aux glandes centrales par un seul tentacule, causrent linflexion de tous les autres tentacules dans un espace de temps qui a vari de quatre dix heures. Jai plac, de la mme faon, sur les glandes de six tentacules extrieurs de feuilles diffrentes, six petites boulettes de papier roules laide de pinces de faon ne pas les toucher avec les doigts. Trois de ces boulettes furent amenes au centre au bout dune heure environ ; les trois autres, au bout dun peu plus de quatre heures. Mais ce nest que vingt-quatre heures aprs que deux des six boulettes furent embrasses par tous les autres tentacules de la feuille. Il est possible que la scrtion ait dissous une trace de colle ou de matire animalise dans ces boulettes de papier. Je plaai alors quatre parcelles de cendre de charbon sur les glandes de quatre tentacules extrieurs ; lun de ces tentacules atteignit le centre de la feuille au bout de trois heures quarante minutes ; le second, au bout de neuf heures ; le troisime, au bout de vingt-quatre heures, mais ce dernier navait dcrit quun angle fort petit au bout de neuf heures ; quant au quatrime, il navait, en vingt-quatre heures, parcouru quune faible partie de la distance et tait alors rest stationnaire. Sur les trois morceaux de cendre de charbon qui avaient t ports au centre, un seul causa linflexion de la plupart des autres tentacules. Il est donc vident que des corps tels que des parcelles de cendres ou des petites boulettes de papier, aprs avoir t amens par les tentacules extrieurs jusquaux glandes centrales, agissent sur les autres tentacules de toute autre faon que ne le font les mouches. Jai fait, sans noter avec beaucoup de soin le laps de temps employ par les mouvements, beaucoup dessais analogues avec dautres substances, telles que des clats de verre blanc ou bleu, des parcelles de lige, des petits morceaux de feuille dor, etc. Le nombre proportionnel des cas o les tentacules portrent leur fardeau jusquau centre de la feuille ou ne parcoururent quune petite partie de la distance, ou ne bougrent pas du tout, a beaucoup vari. Un soir, je plaai, sur douze glandes environ, des parcelles de verre et de lige un peu plus grosses que celles que jemployais ordinairement ; le lendemain matin, cest--dire environ treize heures aprs, chaque tentacule avait transport son petit fardeau jusquau centre ; il est probable que la grosseur extraordinaire des morceaux employs

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explique ce rsultat. Dans un autre cas, les 6/ 7es des particules de cendre, de verre et de fil, placs sur des glandes spares, provoqurent une inflexion ou furent portes jusquau centre ; dans un autre cas, jobtins le mme rsultat pour les 7/ 9es ; dans un autre, pour les 7/ 12es ; et, enfin, dans un dernier cas, pour les 7/ 26es ; il est probable que cette dernire proportion, si minime, tait due, an moins en partie, ce que les feuilles taient assez vieilles et inactives. Quelquefois, en me servant dune loupe puissante, jai pu voir une glande charge de son petit fardeau parcourir une trs-petite distance, puis sarrter ; cela arrivait surtout quand jemployais des parcelles extrmement petites, cest--dire beaucoup plus petites que celles dont je vais indiquer ci-aprs les dimensions. On peut donc atteindre ainsi les limites de laction sur les tentacules. Jai t tellement surpris de la petitesse des parcelles qui causent une inflexion considrable des tentacules, quil ma paru utile de massurer avec soin jusqu quel point on pourrait rduire ces parcelles, condition toutefois quelles causent un mouvement. Jai donc demand M. Trenham Reeks de peser avec soin, dans lexcellente balance qui se trouve dans le laboratoire de JermynStreet, des longueurs dtermines dune bande fort troite de papier buvard, de fil de coton fin et de cheveux de femme. On a commenc par mesurer et par couper, laide dun micromtre, des morceaux extrmement petits de papier, de fils et de cheveux, de faon ce que le poids de ces diffrents objets puisse tre facilement calcul. Je plaai ces petits morceaux sur la scrtion visqueuse entourant les glandes des tentacules extrieurs, en prenant toutes sortes de prcautions afin de ne pas toucher la glande elle-mme ; un simple attouchement naurait dailleurs produit aucun effet. Je plaai une parcelle de papier buvard, pesant 1/ 465e de grain (0,l4 de milligr.), de faon ce quil repost sur trois glandes en mme temps ; or, les trois tentacules se mirent lentement en mouvement ; en supposant que le poids ait t distribu galement, chaque glande navait supporter que le 1/ 1395e de grain, ou 0,0464 de milligramme. Jemployai alors cinq morceaux peu prs gaux de fils de coton et tous provoqurent linflexion. Le plus court de ces morceaux avait 1/ 50e de pouce (0,508 de millim.) de longueur et pesait 1/ 8197e de grain (0,00793 de milligr.) Le tentacule, dans ce cas, sinflchit considrablement en une heure trente minutes, et le morceau de fil fut port au centre de la

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feuille en une heure quarante minutes. Je plaai sur deux glandes, aux cts opposs dune mme feuille, deux morceaux coups lextrmit la plus mince dun cheveu de femme ; lun de ces morceaux avait 18/ 1000e de pouce (0,457 de millim