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Darynda Jones Charley Davidson - Créer un blog ...ekladata.com/.../Charley_Davidson_6_-_Au_bord_de_la_sixieme_tom… · Darynda Jones Charley Davidson Tome 6 Au bord de la sixième

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DaryndaJones

CharleyDavidson

Tome6

AuborddelasixièmetombeTraduitdel’anglais(Etats-Unis)parIsabelleVadori

Milady

Résumé

LaplupartdesfillesyréfléchiraientàdeuxfoisavantdesefianceràReyesFarrow….Jenesuispascommelaplupartdesfilles.Ilestlefilsuniquedudiableetmoiunefaucheuseenformationaccroaucafé.Cequidevraitnousrendreincompatibles.Etmêmeennemis.Maisilest aussi ténébreux, sensuel, sexyà sedamneret tout cedont j’ai jamais rêvé.Et je suisaussi détective privée. Alors quand un fichier du FBI concernant l’enfance de Reyes metombeentrelesmains…jesaisquejenedevraispasl’ouvrir.Saufquejenepeuxpasm’enempêcher.Etça,c’estunetrèsmauvaiseidée!

«Hilarantetémouvant,sexyetsurprenant.Indispensable!»J.R.Ward,auteuredeLaConfrériedeladaguenoire

En 2009,Darynda Jones a remporté le Golden Heart du meilleur roman de paranormalromancepoursonlivrePremièretombesurladroite.Daryndan’arrivepasàserappeleruneépoque où elle n’était pas occupée à coucher desmots sur le papier. Elle vit auPays del’Enchantement,qu’onappelleaussiNouveau-Mexique,avecsonmari,qu’elleaépousévoilàplusdevingt-cinqans,etleursdeuxmagnifiquesgarçons,aliaslesMightyJonesBoys.

Dumêmeauteur,chezMilady:

CharleyDavidson:

1.Premièretombesurladroite

2.Deuxièmetombesurlagauche

3.Troisièmetombetoutdroit

4.Quatrièmetombeaufond

5.Cinquièmetombeauboutdutunnel

6.Auborddelasixièmetombe

Celivreestégalementdisponibleauformatnumérique

www.milady.fr

Traduitdel’anglais(États-Unis)parIsabelleVadori

MiladyestunlabeldeséditionsBragelonne

Titreoriginal:SixthGraveontheEdge

Copyright©2014byDaryndaJones

©Bragelonne2014,pourlaprésentetraduction

ISBN:978-2-8112-1369-5

Bragelonne-Milady60-62,rued’Hauteville-75010Paris

E-mail:[email protected]

SiteInternet:www.milady.fr

PourMichaeletCathy,

rendentlessamedissoirplusamusants

qu’unenuitauComedyClub

Remerciements

Toutd’abord,merciàvous,merveilleuxlecteurs,d’affronterunenouvelleaventuredanslemonde de Charley Davidson. Allons, encore une fois à la brèche, mes amis. Puisse cevoyagevousapporterjoie,riresetmaintssentimentsaussichaleureuxqueconfus.

Un merci spécial (ainsi que ma gratitude éternelle), comme toujours, à mon agentexceptionnel,Alexandra«LaPile»Machinist,magénialissimeéditrice,Jennifer«LeGénie»Enderlin,etàtoutesleséquipesdeStMartin’sPress,MacmillianAudio,etJanklow&NesbitAssociates. Je serai éternellement reconnaissante de vous avoir! Et merci à l’ultratalentueusenarratricedeslivresaudio,l’adorableLoreleiKing.

EtunmotpourLoren…LOREN!…quim’aquittéepourunautreauteur.Ou,plutôt,destas d’autres auteurs.Mais ça va. Non, vraiment, *sniff* j’ai Nick, à présent. Tout va bien.Maisjetesouhaitetoutlemeilleur,mister!

MerciàElianiTorres!Jenecomprendrai jamaiscommenttuarrivesàmesupporter,moiet mon usage abusif et répété de certains mots que je ne listerai pas ici de peur de teprovoquer une crise cardiaque.Merci infiniment pour tonmerveilleux talent fou. Et àmesbetas,Theresa,CaitetRhiannon.Vosretourset idéesétaient inestimables.Theresa, je tedoisunefièrechandelle!Mercidem’avoirsibrillammentépauléedurantlapremièrecrise.

Merci, merci, merci à mes extraordinaires Grimlets ! Votre générosité est démentielle.J’aimeraisvraimentquevoussachiezàquelpointvouscomptezpourmoi.UnmercispécialàJowanna,aliasMarnaGrimlet,quimefaitrirecommepersonne.

À toutema familleetmesamis,pourvotreamouretvotresoutien.Oùenserais-jesansvous?(Nerépondezpas.)Etunmercispécialàmescompagnonsd’écriture,l’incomparableJacquelynFrank et la super hotCLParker.Et, puisqu’on en parle,merci infinimentà J.R.Warddem’avoirdissuadéedesauterparlafenêtrequelquessecondesavantquejepasseàl’acte.Jevousaimetoutes!

Et dernière, mais loin d’être desmoindres, mon assistante, Dana, l’immense, exubérantcoupdeventdeforce9sousmesailes.Tum’émerveillesetmepoussesàdonnerlemeilleurdemoi-mêmejouraprèsjour.

Chapitrepremier

Mêmeenreliantdespoints,j’arriveàmeplanter.

Tee-shirt

— Une fille, un mocha latte et un fantôme à poil entrent dans un bar, dis-je en meretournantversletypetoutnuetmortquiétaitassissurmonsiègepassager.

Levieuxtypenuetmortqui jouait lespassagersclandestinsdansmaJeeprougecerise,aussiconnuesousledouxnomdeMisery,depuisdeuxjoursàprésent.Onétaitenmissionsurveillance.Jen’avaisaucuneidéedecequelevieuxtoutnucherchait.Danslamesureoùil devait bien avoir cent douze ans, probablement des médicaments pour faire baisser sapression artérielle. Ou contre le cholestérol. Et, à en juger à l’état de son service troispièces, que je ne pouvais m’empêcher de voir chaque fois que je me tournais dans sadirection, duViagra. Si je devaismettre un hashtag à cemoment, ce serait probablementquelquechosedugenreimpressionnée.

Jelefélicitaienlevantmesdeuxpouces,puismeretournaiverslamaison,contented’êtreassisedansMisery. Jevenaisde lasortirde l’hôpitaldesvoituresdeux joursplus tôt.Elleavait subi plusieursopérationspour réparer sesparties intimesparcequ’undangereux foufurieuxl’avaitemboutie.Ill’avaitbrutaliséeaupointqu’elleétaitau-delàduréparable,etmoi,quimetrouvaisà laplaceduconducteuràcemoment-là, j’étais tombéedans lespommes.J’étaisrestéeainsisuffisammentlongtempspourqueM.DangereuxFouFurieuxm’emmènesurunpontdésertdans lebutdemetuer. Ilavaitéchouéetétaitmortencoursderoute,maisMiseryavaitpayé leprix fortpoursesmachinationsnéfastes.Pourquoi lesméchantss’enprenaient-ilstoujoursàceuxquej’aimais?

Etcelui-ciétaitparvenuàsesfins.Miseryétaitblessée.Gravement.Personnenevoulaits’occuper d’elle. Ils disaient qu’elle ne pouvait plus être sauvée. Qu’il fallait l’emmener aucimetièredespiècesdétachées.Heureusement,unamide la famille,propriétairedegaragefigurantsurquelquesphotoscompromettantesquis’étaientmiraculeusementretrouvéesenmapossession,avaitacceptédelefaireendépitdesagranderéticence.

Noni l’avaitgardéependantdeux longuessemainesavantdem’appelerpourm’apprendrequ’il avait failli la perdre à quelques reprises,mais qu’elle s’en était sortie comme un chef.Quand j’avais eu enfin le feu vert pour aller la chercher, j’étais sortie si vite de monappartement que j’avais laissé un nuage de poussière derrièremoi, ainsi quemameilleureamie, confondue, qui était jusque-là en train de me parler du couple en 3C. Ils venaientapparemment de semarier, à en croire à leur énergie pour la chose - sesmots exacts -chaquesoir, toute lanuit.Quoiqu’ilensoit, j’avaisdû fairedemi-tourpour revenirverselleparcequejen’avaispasdevoitureetqu’ilfallaitquequelqu’unmeconduiseaugarage.

QuandnousavionsrécupéréMisery,Noniavaitessayédemeracontertoutcequ’ilavait

dû lui faire subir afin de la faire fonctionner de nouveau, mais j’avais levé les mains pourl’arrêter,incapabledesupportersoncompte-rendu.C’étaitdeMiseryqu’onparlait.Pasd’unevulgaireJeepderue.C’étaitmaJeep.Mameilleureamie.Monbébé.

Bonsang,ilfallaitquejetrouveunsensàmavie.

IlfallaitrendrejusticeàNoni,parcontre.Miseryétaitcommeneuve.Enmeilleurétatquemoi,entoutcas.Depuiscettenuit-là,j’avaisdelapeineàdormir.Jefaisaisdescauchemarsterribles et me réveillais en criant dans mon oreiller. Et je sursautais chaque fois quequelqu’unlaissaittomberuneplume.

Mais au moins, Misery allait bien. Genre, vraiment bien. C’était étrange. Sa toux avaitdisparu.Sontempsderéactiondigned’unescargotn’étaitplusunproblème.Etsaréticenceàse réveiller lematin,quandellecrachaitsadésapprobationchaque foisque j’essayaisdemettrelesgaz,avaitdisparu.Àprésent,elledémarraitdupremiercoup,negrognaitetneseplaignaitpas,etelleronronnaitcommeunchatonquivenaitdenaitre.JenesauraijamaiscequeNoniavaitfaitpourrénoversonintérieuraussibienquesonextérieur,maiscetypeétaitdoué. Noni était mon nouveau meilleur ami. Enfin, après Misery. Et Cookie, ma vraiemeilleureamie.EtGarrett,monespèced’àpeuprèsmeilleurami.EtReyes,mon…mon…

Qu’était Reyes ? A part le sombre et sensuel fils du mal ? Mon gigolo ? Mon esclavesexuel?Monplanculdispoàtouteheure?

Non.

Enfin,si.

Ilétaittoutesceschoses,maisilétaitaussipresquemonfiancé.Jen’avaisplusqu’àdireouiàlademandeenmariagequ’ilavaitinscritesurunPost-it,etilseraitmonfiancépourdevrai.Jusque-là,cependant,ilseraitmonpresquefiancé.

Non,monfuturfiancé.

Non!Monquasi-fiancé.

Ouais,çaferaitl’affaire.

Je me retournai vers le type à poil, m’enfournai quelques crackers au fromage dans labouche,etconfessaimondernierpéché.

—Jeplaisante,dis-jeenmâchant,regrettantdeluiavoirfaitattendreunesuitealorsqueje n’avais pas de chute, et encoremoins de conclusion. Je ne connais aucune blague quicommencepar«Unefille,unmochalatteetunfantômeàpoil…»Désoléedevousavoirfaitespérer.

Ça ne semblait toutefois pas le déranger. Il restait assis, à fixer droit devant lui commetoujours, de ses yeux gris brumeux et humides en raison de son âge, insensible à moncharme,àmarepartieouàmonintelligence.Ilétaitentraindem’ignorer!

Çaarrivait.

—Uncracker?luiproposai-je.

Rien.

—Trèsbien,maisvousn’avezpasidéedecequevousratez,là.

Jenepouvaisplusqu’espérerqu’ilsedécideraitàmeparlerun jour ;autrement,çaallaitêtre une relation à sens unique. Je me frottai les mains pour enlever la poussière descrackersetmeremisaudessinquej’avaiscommencé.Danslamesureoùilneparlaitpas,jen’avaisaucunmoyendedécouvrirsonidentité.Et,dansmahâteàéviterdeposerlesyeuxsurlepénisduvieuxtoutnu,j’avaisaussinégligéquelquesautresindicescapitauxsurcettefameuseidentité.Enpremierlieu,ilavaitunelonguecicatricequipartaitdesonbrasgauche,sepoursuivaitsursacage thoraciqueetse terminaitàsonnombril.Quellequ’enaitété lacause, ça n’avait pas dû être agréable. Mais ça pourrait se révéler vital pour l’identifier.Ensuite,ilavaituntatouagesurlebicepsgauchequifaisaittrèsvieilleécolemilitaire.Ilétaitpasséetl’encreavaitunpeudébordé,maisonpouvaittoujoursreconnaitreunaigledontlesserres tenaient un drapeau américain. Finalement, il y avait un nom de famille sous letatouage,probablementlesien:«Andrulis.»J’avaissortimoncarnetetunstyloetétaisentrain de dessiner le tatouage, puisque je n’avais pas encore trouvé d’appareil photo quipouvaittirerleportraitdesdéfunts.

Je fisdemonmieuxpourdessiner le tatouage toutengardant lepaquetdecrackersenéquilibre contre le tableau de bord, à portée de main, et en surveillant la demeure desFoster.Malheureusement,j’étaisnulledansdeuxdecestâchessurtrois.Surtoutaudessin.Jen’avais jamaischopé lecoupdemain.J’étaisnulleenpeintureauxdoigtsenmaternelle,aussi.Çaauraitdûmemettrelapuceàl’oreille,maisj’avaistoujoursrêvéd’êtrelaprochaineVermeerouPicassoou,aumoins, laprochaineClydeBrewster,ungarçonavecqui j’étaisalléeàl’écolequidessinaitdesmurs,desmaisonsetdesimmeublesquiexplosaient.Hélas,mondestinnesetrouvaitpasdansleslignesdegraphiteoudanslescoupsdepinceau,maisreposaitdanslesmainsdedéfuntssouffrantdeSPMT:Syndromepost-mort-traumatique.

Oh, bon.Ça aurait pu être pire.ClydeBrewster, par exemple, avait fini en prison aprèsavoiressayéde faireexploserunesupérette.Dieumerci, il étaitmeilleurpour lesartsquepourladémolition.Ilm’avaitinvitéeàsortirplusieursfois,aussi.#Jelaiéchappébelle

— Je sais que vous n’aimez pas trop vous mettre à nu, dis-je en regardant le corpsdénudédeM.Andrulis,métaphoriquement parlant,mais si vous voulez ou avez besoin dequelquechose,jesuiscellequ’ilvousfaut.SurtoutparcequepeudegenssurTerrepeuventvousvoir.

Je rajoutai une ombre sur la tête de l’aigle à l’aide de mon stylo bleu, essayant de luidonnerl’airnoble.Çan’aidapas.Onavaittoujoursl’impressionqu’illouchait.

—Etceuxquipeuventvoirlesdéfuntsnevoientengénéralqu’unbrouillardgrislàoùvousvoustrouvez.Ouilsressententuncourantd’airfraisquandvouspassezprèsd’eux.Maisjepeuxvousvoir,voustoucher,vousentendre,etvousfaireàpeuprèsn’importequoi.

Peut-êtrequesij’ajoutaisdesnotesclairessursonbec,ilressembleraitplusàunaigleetmoinsàuncanard.

—Jem’appelleCharley.

Maisj’utilisaisunstylo.Jenepouvaispaseffacer.Laplaie.Ilfallaitquejeréfléchisseavantd’agir.Lesvraisartisteslefaisaient.Jen’entreraisjamaisauLouvre,àcerythme.

—CharleyDavidson.

J’essayaidegratterunpeude l’encreencoinçantmoncalepincontremonvolant.Jene

réussisqu’àdécouperunpetittroudanslepapieretjuraiàmi-voix.

—Jesuis laFaucheuse,continuai-je lesdentsserrées,maisn’enfaitespastoutunplat.Cen’estpasaussi négatif queçaena l’air.Et jen’aurais jamaisdûmettredecilsà votreaigle.OndiraituneversiontravestiedeDaffyDuck.

Jetant l’éponge, j’inscrivis le nomsous le dessindont la forme rappelait vaguement celled’un aigle, me consolant à l’idée que l’art abstrait faisait fureur, avant de sortir montéléphone pour prendre une photo de mon chef-d’œuvre. Après avoir essayé différentsanglesafinquecenesoitpasflou,jemerendiscomptequel’aigleavaitmeilleureminequandilétaittournésurlecôté.Ilfaisaitplusmasculin.Moins…volailleaquatique.

Je gardai la meilleure et étais en train d’effacer les autres quand une voiture s’arrêtadevantlamaisondesFoster.Unfrissonnerveuxmeremontal’échiné.Jereposaimonstyloetlecalepinetprisunegorgéedemochalatte,meforçantàmecalmertandisquej’attendaisdevoirquiconduisait laPriusdorée.J’étaisentraind’épier lesFoster,quivivaientdansunquartiermodestedeNortheastHeights, parcequ’uneamieàmoime l’avait demandé.ElleétaitagentspécialauFBI,commesonpèreavantelle,etils’agissaitdesonaffaireàlui,unedesraresquin’avaient jamaisétérésoluessoussasupervision.J’essayaisd’aider,mêmesirésoudre était peut-être unmot un peu fort. Si mon intuition était la bonne, et j’aimais àpenserquec’étaitlecas,j’avaisaccèsàdesinformationsdepremierordreauxquelleslepèredemon amie n’avait jamais eu droit.M. Foster possédait une compagnie d’assurances etMmeFostergérait lesbureauxd’unpédiatre local.Et, environ trenteansplus tôt, leur filsavaitétéenlevéetilsnel’avaientplusjamaisrevu.J’étaisàpeuprèssûreàcentpourcentdesavoircequiluiétaitarrivé.

Je venais deme pencher en avant pourm’appuyer contre le volant, histoire d’avoir unemeilleurevuesurleconducteur,lorsquelavoixdetanteLilmeparvintdusiègearrière.

—C’estqui,cecanon?demanda-t-elle tandisquesescheveuxbleusetsarobeàfleurssesolidifiaientautourd’elledansmonrétroviseur.

Jeluiadressaiunclind’œilpar-dessusmonépauledroite.

—Hey,tanteLil.CommentétaittonvoyageauBangladesh?

—Oh,lanourriture!(Elleagitaunemaindemanièreextravagante.)Lesgens!J’étaisauparadis,jeteledis.Paslittéralement,cependant.

Ellesemitàrireàsapropreblague.

Tante Lil était morte dans les années 1960, chose qu’elle n’avait que récemmentdécouverte. Donc elle n’avait pas pu réellement manger ou interagir avec la populationautochtone.Dumoins,paslapopulationvivante.Jen’avaisjamaissongéqu’ellepuisseallervisiterdesdéfuntslorsqu’ellevoyageait.Ceseraitvraimentfascinant.

Elle pointa un pouce en direction de mon ami le plus récent et joua de ses sourcilsdessinés.

—Tucomptesnousprésenter?

Laportedugaragecommençaàseleveretleconducteuravançasonvéhicule,maisilnerefermapasderrièrelui.Celamedonnadel’espoir.Jevoulaisjusteunaperçu.

— Il n’est pas très bavard, répondis-je en plissant les yeux pour affiner ma vision au

moment où la porte du conducteur s’ouvrait. Mais je crois que son nom de famille estAndrulis.C’estécritsursontatouage.

—Ilauntatouage?

EllesepenchaenavantetremarqualepaquetdeM.A.C’étaitdifficileàmanquer.

—Bontédivine!s’exclama-t-elleenroulantdesyeuxdemanièreappréciative.

Laportedugaragecommençaàsefermeravantquejepuisseapercevoirleconducteur.

— Mince, chuchotai-je, penchant la tête au rythme de la porte jusqu’à ce que cettedernièrebloquetotalementmavue.

J’avais vu un pied féminin sortir de la voiture juste avant que le garage ne soitcomplètementrefermé.Etc’étaittout.

—Iladetouteévidenceétébéni,dit-elle.

J’appuyai la tête contre le volant et expirai bruyamment alors que la déception mesubmergeait.Onm’avait remisundossierqui contenait peut-êtrebeaucoupde réponsesàl’énigmequ’étaitReyesAlexanderFarrow,monquasi-fiancé,etlesFosterétaientunegrossepiècedupuzzle.Leur filsavaitétékidnappépendantqu’il faisait lasiestedanssachambre.Danslamesureoùaucunedemandederançonn’avaitjamaisétéfaiteetqu’iln’yavaitaucuntémoin, la piste s’était presque aussitôt refroidie en dépit d’une recherche massive et desupplicationspubliquesdesparents.Mais l’agentduFBIchargéde l’enquêten’avait jamaislâché l’affaire. Ilavait toujourssoupçonnéque lekidnappingcachaitquelquechosedeplus.Etsafilleétaitdumêmeavis.Nousavionstravaillésurquelquesaffairestouteslesdeuxparlepassé.Elleconnaissaitmaréputationenmatièrederésolutiondecrimesdifficiles,etellem’avait demandé deme pencher sur cette vieille affaire qui avait été la bête noire de sonpère.

Etc’étaitlejouroùlekidnappingdeReyesm’étaittombétoutcuitentrelesmains.C’étaitlui,l’enfantquiavaitétéenlevépresquetrenteansplustôt.Jejetaiuncoupd’œilaudossier,quej’avaisglisséentremonsiègeetlaconsolecentrale.Ilyavaittellementdepotentieldanscesquelquespages.Etlargementdequoisebriserlecœur.

—Tun’espasdecetavis?

JeclignaidesyeuxenrelevantlatêtepourregardertanteLildanslerétroviseur.

—Quelavis?

—Qu’ilaétébéni.

—Ah,ouais,jepense.(Jenepusm’empêcherdelancerunrapideregard.)Maisc’estjustetellement…là.Tellementimpossibleàéviter.(Jedétachailesyeuxetpointaisontatouagedudoigt.)Alors,lenomAndrulis.Çateditquelquechose?

—Non,mais jepeuxenquêter.Voirceque je trouve.Enparlantdeça, j’aiune idéequej’aimeraistesoumettre.

Jemetournaitotalementafindemieuxlavoir.

—Vas-y.

—Jecroisqu’ondevraittravaillerensemble.

Elle me donna un coup de coude osseux dans les côtes de manière encourageante,passantàtraverslesiègeconducteurpourm’atteindre.

—Oooooookay,dis-jeengloussantlégèrement.

—Ha!jesavaisquec’étaitunebonneidée.

Sonvisages’illumina,redonnantmomentanémentunpeudecontrasteauxtonsgrisâtresdesonteintd’outre-tombe.

Ça pouvait le faire. On pourrait être Batman et Robin. Mais sans les capes,malheureusement. J’avais toujours rêvé de faire de bonnes actions en portant une caperouge.Ou,aupire,uneserviettedebainmauve.

Après avoir pris une nouvelle gorgée demonmocha latte à présent tiède - ce qui étaitlargementmieuxquepasdemochalattedutout-,jedemandai:

—Tucomptesentirerunsalaire?

—Amonavis,ondevraitpartagerlesbénéficesfifty-fifty.

Jemeretinsdesourire.

—Àtonavis,hein?

—Oh,etjecroisqu’ondevraitutiliserdesnomsdecode.

Sonidéemefitavalermagorgéesuivantedetravers.

—Desnomsdecode?demandai-jeentoussant.

—Etdesphrasescodées,dugenre:«Lesoleilnesecouchejamaisàl’est.»Çapourraitsignifier :«OnpasseauplanB.»Oualors :«Allonsmangerquelquechoseavantque lacavalerienedébarque.»

—Lacavalerie?

Elleavaitvraimentréfléchiauxdétails.

—Ouçapourraitvouloirdire:«Commentfait-onpartirdestracesdesangsurdelasoie?»Parcequ’entantquedétectivesprivées,onaurabesoindesavoircegenredetrucs.

—Je suis sûre que tu as raison. (Le dossier attira de nouveaumonattention, et jemeretournaiverslamaisondesFoster.)Lesangpeutêtrecoriace.

Peut-êtrequejedevraissimplementallerfrapperàlaporte.Jepourraistoujoursexpliquerque j’aidais une amie avec une vieille affaire. Je pourrais demander s’il y avait eu denouveaux développements dont on n’avait pas été informés. S’ils savaient que l’hommerécemment libéré de prison après avoir croupi dix ans derrière les barreaux pour un crimequ’il n’avait pas commisétait leur fils.S’ils savaient cequ’il avait traversé, cequ’il avait dûendurerentrelesmainsdel’hommequil’avaitélevé.Maisest-cequ’ajouterdelaculpabilitéàtoutleresteferaitdubienàquelqu’un?

—Toutvabien,mapetitecitrouilleensucre?

Jesecouailatêtepourmesortirdemespensées.

—Ouais, c’est juste que…Eh bien, deux heures de planque, et pour quoi ? (Je fis ungesteendirectionde lamaisondesFoster.)Unechaussureconfortablequiconduisaitune

voiturepratique.

Ellejetaunregarddel’autrecôtédelarue.

—Qu’espérais-tuvoir?

Saquestionmepritaudépourvu.Mêmemoi, jemedemandaisceque je faisaisvraimentlà. Est-ce que j’avais juste envie d’apercevoir la femme qui avait peut-être donné la vie àl’hommedemesrêves?Est-cequejevoulaisvoirceluiquiétaitpeut-êtresonpèrehumain?

Reyesétait le filsdeSatan, forgédans les feuxde l’enfer,mais ilétaitnésurTerrepourêtreavecmoi.Pourgrandiràmescôtés.Ilavaitfaitdesrecherchesetavaitjetésondévolusuruncouplesolideetprofessionnelpourêtresesparentshumains.Ilavaitprévuqu’oniraitdanslesmêmesécoles,feraitnoscoursesdanslesmêmesmagasinsetmangeraitdanslesmêmes restaurants. Malheureusement, même les plans les mieux préparés partaient ensucette.

—Jesaispastrop,tanteLil.

Qu’avais-je espéré ? Un aperçu du passé de Reyes ? De son futur ? De ce à quoi ilressembleraitdanslesannéesàvenir?Danslamesureoùilnes’étaitécouléquequelquesjours depuis qu’un fou furieuxavait essayédeme tuer, je voulais éviter deplonger tête lapremièredansquelque situationque ce soit, peu importeàquel point elle pouvait paraitreinoffensive.J’avaisdécidédeprendrelasemainedecongé.Lescomportementsimprudentsdevraientattendrequej’aieguériunpeuplus.

—Bon sang, ça n’ira pas. Tu ne peux pasm’appeler tante Lil à tort et à travers.On adéfinitivementbesoindenomsdecode.Quepenses-tudeCléopâtre?

Jegloussaidoucement.

—C’estparfait.

—Oh!desimperméables!Ilnousfautdesimpers!

—Desimpers?

—EtdesBorsalino!

Avant que j’aie pu la questionner davantage, elle disparut. « Pouf », envolée. J’adoraiscette femme. Elle donnait un tout nouveau sens au mot excentrique. Quoi qu’il en soit,j’avais des choses à faire, et rester assise dans ma voiture dans le simple butd’entrapercevoir lesFosterétaitridicule.JedémarraiMisery,puisattrapai lescrackerspourenenfournerunepoignéedansmaboucheàl’instantoùletéléphonesonna.Biensûr.Parcequ’ilnepouvaitpassonneràunautremoment.

Je me dépêchai de mâcher avant de répondre à l’appel de ma meilleure amie. Cookietravaillait pour un salaire ridicule, ce qui faisait d’elle la meilleure réceptionniste de toutAlbuquerque,àmonhumbleavis.Maiselleétaitégalement trèsdouéepourson job.Je luiavais donné la mission de trouver tout ce qu’elle pouvait au sujet des Foster. Elle étaitautantfascinéequejel’étais.

Aprèsuneautrepetitegorgéepourfairedescendrelesmiettes,jerépondisenfin.

—Tupensesquesi jemenourrissaisuniquementdecrackersau fromageetdecafé, jefiniraisparmourirdefaim?

—Ilsontunautrefils,dit-elled’unevoixémerveillée.

Jenevoyaispasdutoutlerapportavecmaquestion.

—Est-cequ’ilmangedescrackersaufromage?

—LesFoster.

Jemeredressaid’uncoup.

—Tupeuxrépéter?

—LesFosteronteuunautrefils.

—Paspossible.

—Possible.(J’entendissesdoigtsdeféepianotersursonclavier.)Vraimenttrèspossible.

—AprèsReyes?

—Oui.Troisansaprèssonenlèvement.

—Tusaiscequeçasignifie?demandai-jed’unevoixaussiémerveilléequelasienne.

—Sansl’ombred’undoute.

—ReyesFarrow…

—…aunfrère.

#Putaindemerde.

Chapitre2

Noteàmoi-même:Mercidetoujoursêtrelàpourmoi.

Tee-shirt

Je continuai à mâcher dans un état de stupéfaction brumeuse. Cookie m’imita. Nousgardâmesun silence total, qui n’était briséquepar lebruit des crackersbroyésentremesdents,pendantdelonguessecondestendues.

—Tuestoujoursenplanque?demandafinalementCookie.

J’avalai.

—Oui.JecroisqueMmeFosterestrentrée,maislaportedesongarages’estreferméeavantquejepuissel’apercevoir.Parcontre,j’aisympathiséavecletypetoutnuquisquattemonsiègepassager.

—Ehbien,c’estdéjàça.

—N’est-cepas?Ilauntatouage.Jet’envoieunephoto.

—Desontatouage?demanda-t-elle,surprise.

— Demon dessin de son tatouage. Attends deux secondes. (J’envoyai l’image avec laphrase«Nemejugepas».)OK,commentsepassentleschosesauQ.G.?

—UnM.Joyceestpasséetainsistépourtevoiraujourd’hui.Ilavaitl’airvraimentagité.Iln’apasvoululaissersonnumérodetéléphoneoudonnerd’autresmoyensdelejoindre.Jeluiaiditquetuseraisderetourcetaprès-midi.Est-cequec’estunnouveaugenredetestdeRorschach?demanda-t-elleenparlantdemondessin.

—Fais-lepivotersurlecôté.

—Oh,d’accord.Andrulis.

—Tuleconnais?m’écriai-je,lavoixchargéed’espoir.

—Non.Désolée.J’aiconnuunAndrus,unefois.Ilétaittrèspoilu.

JeregardaiM.A.delatêteauxpieds.

—Cetypen’estpasassezvelu.Ilestbienmonté,parcontre.

—Charley,dit-elle,choquée.Tuasvraimentl’espritmalplacé.

—Hé,c’estjustelà,sousmonnez.C’estpascommesijepouvaisl’éviter.

—Oh,lepauvrehomme.Çateplairait,toi,detepromeneràpoiljusqu’àlafindestemps?

—Tuviensdedécriremonpirecauchemar.

—Jecroyaisquetonpirecauchemarétaitdemangeruncornichontellementépicéqu’iltebrûleleslèvresaupointqu’ellesgonflentetqueçatedonnel’aird’avoirfaitdesinjectionsdecollagène?

—Ouais, ilyacelui-là,aussi.Mercidemelerappeler.Jevaisvraimentbiendormircettenuit.

—Tuasappelétononcle?

MononcleBob,undétectivedelapoliced’Albuquerque,enpinçaitpourCookie,etCookieenpinçaitpour lui,maisaucundesdeuxnevoulait faire lepremierpas.Lesvoirsetournerautouravaitfinipartellementmefatiguerquej’avaisdécidéd’agir.J’avaisarrangéunrendez-vousentreCookieetunamiàmoipour rendre jalouxoncleBob,ouObie,comme j’aimaisl’appelerdurantmessessionsavecmapsy,quandj’essayaisd’expliquerpourquoij’avaisunepeurpaniquedesmoustaches.Peut-êtrequ’unpeudecompétition luidonnerait lecoupdepiedauculdontilavaitbesoin.LefameuxculquifaisaitcraquerCookie.

—Biensûr.Commentseprésentetonplan?

—Tuveuxdiretonplan?

—Trèsbien,commentseprésentemonplan?

—Jenesuispassûrequecesoitunebonne idée,Charley.Jeveuxdire,siRobertavaitenviedesortiravecmoi,ilmeleproposerait,non?Jenecroispasqu’essayerdelerendrejalouxsoitunebonneidée.

IlmefallaittoujoursplusieurssecondespourcomprendrequiétaitRobert.

— Tu plaisantes ? C’est une idée géniale. On parle d’oncle Bob, là. Il a besoin d’êtremotivé.

JejetaiundernierregardàlamaisondesFosteravantdem’enaller.

—Etsiçaluifaisaitperdretoutintérêt?

—Cook, ça t’est déjà arrivé de perdre tout intérêt pour une paire de chaussures parcequequelqu’und’autrelaregarde?

—Jenecroispas.

—Çanet’apasdonnéencoreplusenviedelesposséder?

—Jen’iraispasjusque-là.

JetournaisurJuan-Taboetprisladirectiondubureau.

—OK,jesuisenchemin.Onmangeensemble?

—Çameva.Jeteretrouveenbas.

Mon bureau se situait au deuxième étage de la meilleure brasserie d’Albuquerque. Elleavaitrécemmentchangédepropriétaire,Reyesl’ayantrachetéeàmonpère.ImaginerReyesenchefd’entreprisemeréchauffaitlecœur.

—Ilaunfrère,dis-je,toujourssouslechoc.

—Ilaunfrère,confirma-t-elle.

Ilfallaitquejevoieça.

Jeslalomaientretablesetchaisespourparvenirjusqu’àCookie.Heureusement,ellenousavait trouvé une place avant que l’endroit ne soit pris d’assaut. Depuis que Reyes avaitreprisleCalamity,lesaffairesavaientexplosé.Onn’avaitjamaiseuàseplaindreavant,mais,avec un nouveau propriétaire qui se trouvait également être une célébrité locale - Reyesavait fait launedes infosnationalesquand l’hommepour lemeurtreduquel ilavaitété jetéen prison avait été découvert vivant - et l’ajout d’une brasserie dans l’immeuble voisin, laclientèleavait triplé.Aprésent, l’endroitétait remplid’hommesqui voulaientdesbreuvagesfraichementbrassésetdefemmesquivoulaientlebrasseur.Lescoquines.

Je passai avec raideur devant la pire d’entre elles : mon ex-meilleure amie, qui avaitapparemment décidé d’emménager ici. Jessica était venue au restaurant tous les joursdepuisplusdedeuxsemaines.Laplupartdutemps,plusd’unefoisparjour.Jesavaisqu’elleenpinçaitpourmonmec,maisbonsang.

Je devais de toute évidence dire oui à Reyes rapidement. Ça devenait ridicule. Il fallaitqu’onluipasseunebagueaudoigt,etvite.Pasqueçadissuaderaittoutessesadmiratrices,mais,avecunpeudechance,çaferaitdiminuerletroupeau.

Des éclats de rire s’élevèrent de la table de Jessica lorsque je passai devant. Elle étaitprobablementen trainde leur raconter l’histoiredeCharleyDavidson, la fillequiprétendaitpouvoir parler aux morts. Si seulement elle savait. Si par hasard elle mourait bientôt, jel’ignoreraiscomplètement.Etelleauraitenviequejeluiparle,siçaseproduisait.

—Tum’asapportéunefleur,ditCookiealorsquejem’asseyaisenfaced’elle,melaissanttombersurlesiègeavecunsensdumélodramequejeréservaisengénéralpourlessoiréescocktails.

—Biensûr.

Jeluitendislamarguerite.

—Unclochard,hein?

J’acquiesçai.

—Ouais,ilétaitaucoindelarue,etilatraversépourmeladonner.

—Combien?demanda-t-elleavecunsourireentendu.

—Cinq.

—Tuaspayé5dollarspourça?Elleestenplastique.Etsale.(Ellesecoualafleurpourenleverunecouchedeterre.)Ill’aprobablementvoléesurlatombedequelqu’un.

—C’esttoutcequej’avaissurmoi.

Ellesecoualatête,déçue.

—Commentfont-ilspourtoujoursrepérerlespigeonsaupremiercoupd’œil?

—Aucuneidée.T’ascommandé?

— Pas encore. J’étais déjà contente d’avoir trouvé une table. Ce type est revenu, M.Joyce. Il est toujours aussi agité et il n’était pas très content d’apprendre que tu ne

reviendraispasaubureauavant13heures.

—Eh bien, il va falloir qu’il se calme un peu. Les détectives privés ont aussi besoin demanger.

—Ettameilleureamieestderetour.

JejetaiunregardenarrièreàlatabledeJessica.

—Jecroisqu’ondevraitluidemanderunloyer.

—Jesuisd’accordàdeuxcentspourcent.

Une douce tiédeur s’était répandue autour de moi lorsque j’avais parlé. La chaleur quientouraitReyess’enroulaautourdemoicommedelafumée.Jepouvaissentirsaprésence.Son intérêt brûlant. Sa faim indéniable. Mais avant que j’aie le temps de le chercher duregard,uneautreémotionmefrappa.Bienplusfroideetdure,maispasmoinspuissante:leregret.Jemeretournaietvismonpèrearriverversnotretable.

—Salutpapa,dis-jeenpoussantdupiedunechaiselibreànotretable.

Illarepoussa.

— Je suis juste passé pour boucler la paperasse. (Il jeta un coup d’œil circulaire sur leCalamity.)Jecroisquecetendroitvamemanquer.

—Asseyez-vous,Leland,proposaCookie.

Ilseretournavivementdansnotredirection.

—C’estgentil,maisj’aiquelquestrucsàfaireavantdefiler.

— Papa, commençai-je, mes poumons essayant désespérément d’aspirer de l’air sousl’écrasantetristesseetlesregretsquiémanaientdelui.Tun’espasobligédet’enaller.

Ilquittaitmabelle-mèrepourunvoilier.Pasquejeluienveuille.Unvoilierseraitaumoinsutile.Maispourquoimaintenant?Pourquoiaprèstoutescesannées?

Ilesquissaunsignedelamainpourbalayermaréserve.

—Non,ceserasuper.J’aitoujoursvouluapprendreànaviguer.

—Etdonctucommencespartraverserl’Atlantique?

— Je ne vais pas le traverser, dit-il avec un sourire qui était censé me rassurer. Pasintégralement.

—Papa…

—Jeseraiprudent.Jetelepromets.

—Maispourquoi?Pourquoitoutd’uncoup?

Ilsoupiramalgrélui.

—Jen’ensaisrien.Jenerajeunispas,etonnevitqu’unefois.Oupeut-êtredeux,dansmoncas.

—Jen’airienàvoiravecça.

—Tuas toutàvoiravecça,contra-t-ilenposantunemainsursoncœur.Je lesais.Je

peuxlesentir,justelà.

Ilprétendaitmordicusquejel’avaisdébarrassédesoncancer,maisjen’avaisjamaisguériquiquecesoitdemavie.Cen’étaitpasdansmoncahierdescharges.Jem’occupaisplutôtdel’aspectopposéàlavie.L’après-coup.

—Nelaquittepasàcausedemoi.S’ilteplait.

S’ilavaitquittémabelle-mèrepourmoi,àcausede lamanièredontellem’avait traitée, ilarrivaittroptard,bienaprèslabataille.Ilauraitdûlefairequandj’avaisseptans,pasvingt-sept.Jepouvaislagérer.J’avaisapprisàlefaireàmesdépens.

Cookie fit semblant d’étudier lemenu tandis que papa se balançait d’un pied sur l’autre,malàl’aise.

—Cen’estpaslecas,mapuce.

—Jecroisquesi.

Lorsqu’ilbaissaleregardpourleposersurlepotdesucreaulieuderépondre,j’ajoutai:

—Etsic’estlecas,tulefaispourdemauvaisesraisons.Jesuisunegrandefille,papa.

Quandilmeconsidéradenouveau,ilétaitdéterminé.

—Tuesformidable.J’auraisdûtelerépétertouslesjours.

Jeposaiunemainsurlasienne.

—Papa,s’ilteplait,assieds-toi.Parlons-en.

Ilvérifiasamontre.

—J’airendez-vous.Jeviendraitevoiravantdepartir.Onpourraparleràcemoment.

Commejeplissailesyeux,ilajouta:

—Jetelepromets.Faisattentionàtoi,mapuce.

Ilsepenchapourdéposerunbaisersurmajoueavantdesortirparlaportearrière.

—Ilal’airtrèstriste,ditCookie.

—Ilestperdu,jecrois.Boufféparlesregrets.

—Tuvasbien?

Jeprisuneprofondeinspiration.

—Jevaistoujoursbien.

—Hmm,mmm.

Ledouteexpriméparsaréponsefitdoublermonenviedememoquerd’ellepubliquement.

—Etsinon,qu’est-cequi t’apousséeàcroirequ’un topà rayures fuchsia iraitbienavecdujaune?

—Tuéviteslesujet.

—Ouaip.C’estprécisémentcequejefais.C’estquoi,leplatdujour?

—C’estvrai.Mais,sérieusement,continua-t-elleenseredressant,çanevapasensemble

?

Elleétaitmagnifique,maisjenepouvaispasvraimentluidireça.

JesentisReyesprèsdemoi.Ilm’avaitregardéediscuteravecmonpère.Jelerepéraiversle tableauqui listait les spécialités du jour lorsque je tournai la tête. Il portait un tablier ets’essuyaitlesmainsàl’aided’uneserviettetoutenmarchantdansnotredirection.

Cookielevitégalement.

— Sainte Marie mère de toutes les choses sexy, dit-elle en l’observant de la tête auxpieds.

—Totalement.

—Est-cequejevaisjamaism’habitueràça?demanda-t-elle,sanspourautant lequitterdesyeux.

—AufaitqueReyessoitsiappétissantavecuntablier?

—AcequeReyessoitsiappétissanttoutcourt.

Jegloussaiavantdedire:

—Ehbien,tusaiscequ’ondit:c’estenforgeantqu’ondevientforgeron.

—J’auraibesoindebeaucoupforger.

—Moiaussi.

Aunetable,des femmes, toutesassezâgéespourêtresagrand-mère, lui firentsigne. Ils’arrêtaetlesécoutas’extasiersursacuisine,maisgardasonregardbrillantfixésutmoi.Ilmecoupaitlesouffle.Toutcequileconcernaitmecoupaitlesouffle.Delamanièredontilseséchait les mains sur cette serviette à la façon dont il baissait timidement les cils alorsqu’ellesluifaisaientdesavances.

Ellesluifaisaientdesavances!

Bordelde…!

—Noussommestrèssouples,dit l’uned’ellesentirantsur laficellequiretenait le tablierdeReyes,qu’ilavaitnouéesurledevant.

Cookieétaiten traindeprendreunegorgéed’eau fraichequandellesemità tousserdemanièreincontrôléeenentendantl’effronteriedecellequivenaitdeparler.

LorsqueReyesme regardadenouveau,maboucheétait grandeouverte. Je la refermaiaussitôt,espérantsincèrementquejeneressemblaispasàunevache.Maisilseretournaendirection des femmes comme s’il était soudainement intéressé par la marchandise. Dansleursrêves.

Cookierespiraitbruyamment,essayantd’aspirerdel’airparsonœsophagemeurtri,maisjen’avaispasletempsdem’eninquiétersurlemoment.Jedevaisregagnermonhomme,queces cougars aux cheveux argentés essayaient de me piquer. L’une d’elles avait undéambulateur,pourl’amourdeDieu!Àquelpointpouvait-elleêtresouple?

—Excusez-moi,garçon!dis-jeenclaquantdesdoigtsenl’airpourattirersonattention.

Ilm’ignora,maisjeremarquaibiensonsourireencoin.Jesentiségalementleplaisirquelui

procuraitmonintérêt.Ilirradiaitdesonessenceetvenaits’échouercontremapeaucommeunetrainedesoie.

—Garçon,répétai-jesèchement,plusfort.Parici.

Ilfinitpars’excuserauprèsdescougarsquiflirtaientaveclui,leurexpliquantquesoncœurappartenaitàuneautre,avantdesedirigerversnotretable.

—Garçon?demanda-t-ilens’arrêtantdevantnouseten regardantdemanière inquièteuneCookierougepivoine.

Elleprituneautregorgéeetlesaluadelamain.

Jedésignaisontablier.

—Turessemblesàuncommisdecuisine.

—Danscecas,puis-jenettoyerquelquechosepourtoi?

—Tupourraiscommencerpartonespritimpur,leprovoquai-je.Tut’amusaisbien?

Jedésignailatabledumenton.

—Ellesmecomplimentaientsurmacuisine.(Ilsepenchatrèsprèsdemoi.)Ilparaitquejesuistrèsdouépourfairerevenirleschoses.

Ellesn’avaientpastort.Ilétaitvraimentdouépourmefairerevenirdanssonlit.

— C’est merveilleux, dis-je en faisant semblant de m’en ficher. Mais on a besoin demanger.

—Tun’aspasentendu?J’aiétéreléguéaurangdecommisdecuisine,alorsilfaudraquetuenparlesauserveur.Jenecroispasquelescommispuissentprendrelescommandes.

—Tuvasprendremonordre,ettuvasaimerça.

Illaissaéchapperunriredouxetprofond.

— À vos ordres, m’dame. Puis-je vous suggérer le poulet de Santa Fe avec sonaccompagnementderizàl’espagnole?

— Tu peux, mais je prendrai le poulet margarita avec des frites recouvertes de pimentrouge.

—JeprendrailepouletdeSantaFe,ditrapidementCookie,tombantdanssonpiège.

Il avait très certainement commandé trop de poulets deSanta Fe et était obligé de lesvendre lui-mêmeà la clientèlepour s’endébarrasser.Aquelpoint lespouletsdeSantaFepouvaient-ilsêtredifférentsdesautres?

IladressaunsouriresimagnifiqueàCookiequemoncœurmanquaplusieursbattements.

—PouletSantaFecesera.Est-cequetuaimeraisduthéglacé,avec?medemanda-t-il.

Comme j’hésitais, essayant de me décider entre du thé et un latte macchiato allégé etextralargeavecunsupplémentdecrèmecarameletrecouvertdechantilly,ilajouta:

—C’estunesimplequestionàlaquelleilfautrépondreparouiounon.

Jefailliséclaterderire.Depuisqu’ilm’avaitdemandéenmariagesurunPost-it, ilm’avait

poséénormémentdequestionsauxquellesilfallaitrépondreparouiounonpourinsistersurlefaitquesademandeenétaitégalementune.

Jehaussailesépaules.

—Parfoisleschosesnesontpasaussisimples.

—Biensûrquesi.

Cookie,quisavaittrèsbiencequisepassait,décidaderecommenceràétudiersonmenu.

—Danscecas,maréponseestoui.Ilsefigea,attendantlachute.

—Oui, jeprendraiduthéglacéavecmonrepasetensuiteun lattemacchiatoextra largeavecunsupplémentdecrèmecarameletrecouvertdechantilly.

—Enavantpour le théglacé,dit-il sanssedémonter. Il se retourna,mais je l’arrêtaienposantunemainsutsonbras.

—Tuvasbien?demandai-je.Tuasl’air…(jebaissaid’unton)pluschaudqued’habitude.

—Jevais toujoursbien,dit-il, reprenant la réponseque j’avaisdonnéeàCookieunpeuplustôt.

Ilpritmamaindanslasienneetydéposaundouxbaiser.Lachaleurquisedégageaitdeseslèvresétaitbrûlante.

Cenefutqu’unefoisReyespartiquejeprisconsciencequelapièceentièreétaitdevenuesilencieuse.Touslesyeuxétaientbraquéssurnous.Enfin,touslesyeuxféminins.Jejetaiuncoupd’œilàJessica,etnosregardsserencontrèrentpendantun instantdésagréable.Elleétait jalouse,etcelanemedonnaitaucunesatisfaction.Pourquoiêtre jalousealorsqu’ellen’avait aucune chance avec Reyes ? Enfin, la jalousie se situait dans une catégorie bienspéciale.Unequiavaitsaplaceentre l’instabilitéet l’insécurité.Mais lasiennemegriffait lapeaucommedesonglesacérés.

LajalousiedeReyesétaitunechose,maiscelledeshumainsavaitungoûtdifférent,uneautre texture. Elle était bouillante et corrosive. C’était comme enfiler un habit qui sort àpeineduséchoir.

—Quandest-ceque tuvas luidonner ta réponse?demandaCookie,attirantainsimonattention.

—Quandilleméritera,répondis-jeàlavolée.

—Tesauverlavieunnombreincalculabledefoisn’estpassuffisantpourlemériter?

—Biensûrquesi,maisiln’apasbesoindelesavoir.

Uncoindesaboucheserelevaenunsouriremalicieux.

—C’estvrai.

Etc’étaitquelquechosequejeneressentaisjamaisdelapartdeCookie.Lajalousie.Elleen pinçait autant pour Reyes que n’importe qui, mais elle n’était jamais jalouse de notrerelation.Elleétaitheureusepourmoi,etc’était làlanatured’unevéritableamie.J’avaiscruqueJessicaétaitmameilleureamie,mais,aveclerecul,j’avaiscomprisqu’ellem’avaitenviéeà plusieurs occasions lorsque nous allions en cours ensemble. Ça aurait dûmemettre lapuceàl’oreille,maisjen’avaisjamaisétéconnuepourmaperspicacité.

—OK,commentcomptes-tulefairevenir?

—Ehbien,danslamesureoùilhabitel’appartementd’àcôté,jepensequejen’auraisqu’àfrappercontrelemur.

—PasReyes.Robert.Robertqui?Ah,oui.

—Laisse-moimechargerd’oncleBob.

CommeCookiedevenaitnerveusepourlamillièmefois,jeluiexposaidenouveaumonplandudébutàlafin.Engrandepartieparcequ’ilétaitexcellent,maisaussiparcequesiCookiene s’y pliait pas, toute cette excellence passerait à la trappe, un peu commemon amour-proprechaquefoisquejecroisaisJessica.

—Lepremier rendez-vousn’estque lecommencement. Jem’arrangeraipourqu’il passepileaumomentoùtonrencardviendratechercher.Ilseratellementprisaudépourvuqu’ilnesaurapascommentréagir.(Jecommençaiàgloussercommeunpatientd’asilepsychiatriqueenypensant.)Jeluiexpliqueraiquetuasrejointunservicederencontresenligne.

—Quoi?s’exclamaCookie.Ilvapenserquejesuisdésespérée!

—Ilvapenserquetuesprêteàt’engagerdansunerelation.

—Unerelationdésespérée,oui.

Ellecommençaàs’éventeràl’aidedumenu.

—Cook,des tasdegensont recoursàdesservicesde rencontres.Cen’estplusaussimalvuqu’àuneépoque.

—Etensuite,quesepassera-t-il?

—Ensuitetuaurasundeuxièmerendez-vous.

—Aveclemêmetype?

—Non,avecundifférent.

Lapeurlafitpaniquer.

—Quoi?Qui?Tuasditquetonplanseraitrapideetsansdouleur!

—Et il lesera.Jenesaispasencorequisera tondeuxièmerencard.Jen’aipasautantd’amisqueçaquimelaissentlesutilisersansscrupule.

Cookiegrogna.

—Çafonctionnera,Cook.Amoinsque tun’aiesenviede faireun truc totalement fouetdel’inviteràsortirtoi-même?

— Je ne pourrai jamais, répondit-elle en secouant la tête. S’il disait non ? Les chosesseraient vraiment bizarres, ensuite, et pour toujours. On aurait ce genre de silencesdérangeantsquimefonttranspirerdessourcils.

—Ouais,c’estpasjoliàvoir.Quoiqu’ilensoit,tontroisièmerencardseraledécisif.S’ilnet’apasinvitéeàsortird’icilà,ondevrapeut-êtreengagerunacteur.

—Unacteur?

—Cook,onenadéjàparlé.Pourquoiest-cequeturemetstoutencause?

—Jecroisquejemesuisvoilélaface.Maismaintenantquec’estvraimentsurlepointdeseproduire,jemesenscommecesgensquidisentqu’ilspeuventfairedusautàl’élastique,maisqui,unefoissurlepont,seprennentlaréalitéenpleineface.

—Ouais, ne tente jamais le saut à l’élastique. Il n’y a pas que la réalité que tu peux teprendreenpleineface.

—Aumoins,l’élastiquenelaissepasdecicatrice.

— Dieu merci. Donc, pour le troisième rendez-vous, on aura besoin de quelqu’un devraiment doué. Quelqu’un qui peut être à la fois sexy et se comporter en gros abruti.Quelqu’unqui…(J’eusunerévélationavantdeterminermaphrase.)J’aitrouvé.

Cookiesepenchaprécipitammentversmoi.

—Qui?

Unlentsourirediaboliquepritpossessiondemonvisage.

—T’inquiètepas,miss.Tulesaurasbienassezvitesionenarrivelà.Enattendant, ilvafalloirquejemarchande.

Unéclatderirerésonnaautourdemoi,etjejetaiuncoupd’œilàlatabledeJessica.Elleétaittoujoursaveclestroismêmesamies,etjemedemandaicequ’ellesfaisaientdanslavie.Ellesvenaientmangericiensemblepresquetouslesmidis.Etsouventlessoirs,également.Aucuned’entreellesn’avaitdefamille?Deresponsabilités?Unevie?

Jerepensaiaumomentoùtoutétaitpartienvrille,à l’université.Jessicaavaitditdetrèsvilaineschoses.Ellem’avait tourné ledossi viteque j’enavaisencoremalà lanuque.Aucœur, aussi.Un fait dont elle semblait se délecter. Lorsque je l’avais cuisinée et que je luiavaisdemandépourquoiellenevoulaitplusqu’onsoitamies,ellem’avait réponduqueriennepouvaitmeracheter.Qu’avait-ellebienpuvouloirdireparlà?

Cookieremarquacequej’observais.Ellemetapotalamainpourmerameneràlaréalité.

—Tupensesquejepeuxêtrerachetée?

Ellepassasesdoigtsentrelesmiens.

—Absolument. Tu es comme un bon rabais de trente pour cent. Non ! Quarante pourcent.Etjenedispasçaàlalégère.

—Merci.

De nouveau, je sentis la chaleur de Reyes avant de le voir. Il nous apportait nos platspersonnellement, un serviceauquel Jessicaet sesamiesn’avaient pasdroit.Pasplusqueles cougars aux cheveux argentés, même si ça ne semblait pas les déranger. Ellescontinuaient à lui adresser des clins d’œil, et l’une d’elles se lécha même les lèvres demanièresuggestive.C’étaittellementdéplacé.

—Oh,dis-jeaprèsqu’ileutdéposénosassiettes,j’aioubliédetedemander.Situétaisunustensile,queserais-tu?

Ilseredressa.

—Pardon?

—Unustensile.Tuseraisquoi?

Ilcroisalesbras,puisdemandademanièresuspicieuse:

—Pourquoiçat’intéresse?

—C’estpourunquiz.Ilgarantitdenousdiresionestcompatibles.Tusais,pourlegrandsaut.

—Vraiment?(Iltiraunechaise,lafitpivoter,ets’assitavecnous.)Tuasbesoindefaireunquizpoursavoirsionestcompatibles?

— Oui, répondis-je en essayant de me remettre de son dernier geste. (Il était toutbonnementtropsexy,àretournercettechaise,puisàcroiserlesbrassursondossier.)Oui.C’estquelquechosed’important,etilsontuntauxderéussitedequatre-vingt-dix-neufpourcent.C’estécrit.(Jesortismontéléphone,affichai letestenligneet le lui tendis.)Justelà,tuvois?

Iln’yjetamêmepasuncoupd’œil.CookieétaitoccupéeàdécoupersonpouletdeSantaFeetàretenirunrictusinapproprié.

—TunedevraispasfaireconfianceàquelquechosequetutrouvessurInternet.

—Biensûrquesi,répondis-je,totalementoutrée.

— Donc, si je postais un commentaire en prétendant que je suis un prince arabe duMilwaukee…?

—Ouais,mais toi, tuesungrosmenteur.Çanecomptepas.Jeveuxdire, regarde tonpère.Menteurpathologiquenumberone.Mentirestdanstesgènes.

Ilsepenchaenavant.

—Teshabitssontlaseulechosequimegêne,encemoment.

—Tucomptesprendremaquestionausérieuxoupas?Çapourraitêtre laclédenotreavenir.

—J’aiuneclédansunepochedemonjean.Tupourraislachercher.

Ilruinaittotalementnotrechanceaubonheur.

—T’asquoi,douzeans?

—Siècles,peut-être.

—Tuasdouzesiècles?

Ilgrimaça.

—Tuvoiscesfemmesquiprétendenttoujoursavoirvingt-neufans?

—Ouais.

—Jefaisàpeuprèslamêmechose,là.

— Non, sérieusement, tu as quel âge ? Attends ! (Une pensée venait de me frapper.Violemment.Commeunballondefoottirédepuislepointdepenalty.)J’aiquelâge?

Jen’avais jamaisréfléchiàçaencestermes.J’étaiscenséeêtre issued’uneraced’êtresvenusd’unautreunivers,d’unautrepland’existence.Quelâgeavais-je?

—Unemachette,dit-ilenserelevantdelachaiseavantdelarepousser.

—Quoi?

—Sij’étaisunustensile.

—Çacomptecommeustensile,ça?

Ilm’adressaunclind’œil.

—Dansmonmonde,oui.

—D’accord,trèsbien.Moi,jeseraisun…unecuillère-fourchette!Uneseconde,qu’est-ceque ça veut dire ? Je ne sais pas si une machette et une cuillère-fourchette sont trèscompatibles.

Ilattrapamonmentonetmefitleverlatêtedanssadirection.

—Jesuissûrqu’unemachetteetunecuillère-fourchetteiraienttrèsbienensemble.

Avantquejepuisseprotester,ilsepenchaetcollasabouchecontrelamienne.Lachaleurme brûla avant de pénétrer ma peau et de se répandre dans mon cœur comme du mielchaud. Le baiser se termina trop tôt, lorsqueReyes se redressa.Puis il surpritCookie enl’embrassant rapidement sur la joue avant de repartir en cuisine, m’offrant ainsi une vueimprenablesursesfesses.

Cookieouvrit laboucheettouchal’endroitoùles lèvresdeReyesl’avaienteffleurée,desétoilespleinlesyeux.

—Jeveuxlamêmechose,dit-elle,soudaindéterminée.

JeregardailaporteparlaquelleReyesvenaitdedisparaitre.

—Ehbien,tunepeuxpasl’avoir.Ilestàmoi.

—Non,pasça.Paslui.

Ellesecoualatêtepoursortirdesastupeur,puiscontinua:

—Jeveuxdire,biensûr,jeleprendraissansl’ombred’unehésitation,maisjeveuxça.Jeveux ce que vous avez tous les deux, bon sang. (Elle serra la mâchoire.) Faisons-le.Piégeonstonvauriend’onclebornéjusqu’àcequ’ilmesupplied’êtresienne.

—Yeah,Cookie!dis-jeenlevantlamainpourqu’ellem’entapecinq,maisellen’esquissapaslemoindregeste.J’attends.

—Ets’ilnem’invitaitpasàsortir?

Après avoir fait signe à un couple de parfaits inconnus qui venait de passer la ported’entréedanslebutdepréservermadignité,jebaissailamainetdis:

—Jecroisquelaquestionlaplusimportante,ici,est:est-cequetucroisqu’unemachetteetunecuillère-fourchettesontcompatibles?

—Charley,ilfautvraimentquetuarrêtescestestsridicules.

—Pasmoyen.Jedoissavoir.

—Trèsbien,maispourquoiunecuillère-fourchette?

—Parcequejesuisversatile.Jepeux«multi-tâcher»commepersonne.Etj’aimelesondecemot.C’esttellement…long.

Chapitre3

Lecaféneposepasdequestionstupide.

Lecafécomprend.

Autocollantdevoiture

Nous étions de retour au bureau depuismoins de dixminutes lorsque la porte d’entrées’ouvrit.Jem’attendaisàvoirdébarquerM.Joyce,letypestresséquiavaitdesproblèmes.Àlaplace,cefutDenisequifranchitleseuil.Mabelle-mèredel’enfer.Heureusement,M.Joyceétaitjustederrièreelle.Etilm’offraitl’excuseparfaitepournepasparleràlamégère.

Elleétaitpâleaupointd’enparaitrepresquegrise,etsesyeuxétaiententourésd’unrougesi vif qu’il n’avait pu être provoqué que par des larmes. J’ignorais sincèrement qu’elle étaitcapabledepleurer.

—Jepeuxteparler?demanda-t-elle.

—J’aiunclient.

Jedésignailetypequisetrouvaitderrièreellepourappuyermaréponse.

—Çafaitdeuxsemainesquetuasdesclients,dit-elleenrelevant lementondemanièredéterminée.J’aijustebesoind’uneminute.

Quandelleremarquaquej’allaismedéfendre,ellemesupplia:

—S’ilteplait,Charlotte.

M.Joycetenaitunecasquettedebase-ballqu’ilfaisaittournerentresesmains.Onauraitditquesonstressaugmentaitàchaquesecondequis’écoulait.

—J’aivraimentbesoindevousparler,MmeDavidson.

—Tuvois?dis-jeàDeniseenluiadressantunregarddereproche.Client.

Elle se tourna vers l’homme, son visage aussi froid et dur que du marbre. C’était uneexpressionquejeneconnaissaisquetropbien.

—Nousn’auronsbesoinqued’uneminute,luidit-elle,sontonaussitranchantqu’unelamederasoir.Ensuite,elleestàvous.

Ilrecula,levantunemainensignederedditiontandisqu’ils’arrêtaitprèsd’unechaisepours’yasseoir.

Monsangne fitqu’un tour,et jedusmeforceràrestercalme.J’avaisvingt-septans.Jen’avaisplusàsupporterlesinsultesdemabelle-mère.Sondégoût.Samanièremesquinedemeremettreàmaplace.Et jen’avaisvraimentpasbesoinqu’elleenvahissemes locauxetharcèlemesclients.

—Cen’étaitpasnécessaire,luidis-jelorsqu’elleseretournadansmadirection.

— Je te présente mes excuses, répondit-elle en changeant son fusil d’épaule. (Elle setournaversM.Joyce.)Jesuisdésolée.Jesuisdansunesituationdésespérée.

—Vousm’endireztant,dit-ilenesquissantungestevaguedureversdelamain.

Ilavaitdetouteévidencesespropresproblèmes.

Avec tout l’enthousiasme d’un prisonnier qui s’avance en direction de la potence, jeconduisisDenisedansmonbureauetrefermai laporte.MacolèreavaitdûattirerReyes. Ilsetrouvaitdanslapiècesousformeéthérée.

Puis je me souvins. Il n’aimait pas plus Denise que moi. Il lui reprochait la plus grandepartiedematristesselorsquej’étaisenfant.Biensûr,elleenétait laprincipaleorigine,maisReyes pouvait se montrer assez… têtu, quand on parlait de mon bonheur, ou de sonabsence.

—Tuveuxquejeluisectionnelamoelleépinière?

—Est-cequejepeuxyréfléchiretterépondre?demandai-jeenplaisantant.

Presque.

Denise examina le mur contre lequel il se tenait, celui que j’observais, et ne vitnaturellement rien. Mais là où sa réponse habituelle aurait été d’afficher une mouedésapprobatrice,elleréajustaundesesboutonsets’assit.

—Qu’est-cequetuveux?demandai-jed’untonaussifroidquel’étaitsoncœur.

—Tusaisquetonpèrem’aquittée.

—C’étaitlemoment.

Ellesursautacommesijevenaisdelagifler.

—Pourquoidis-tuunechosepareille?

—T’essérieuse?

—J’aimetonpère,rétorqua-t-elleenselevantpratiquementdesachaise.Jel’aitoujoursaimé.

Ça, j’enétais convaincue.Elleavait toujoursétéuneépouseattentionnée.Evidemment,attentionnéeenglobaitsesmanigancesdemanipulatricesournoiseetvénéneuse.Jen’auraisjamaiscrupouvoirdétesterautantquelqu’un,maisDeniseavait toujoursété lecailloudansla chaussure qu’était ma relation avec mon père. Elle avait fait tout ce qui était en sonpouvoirpournouséloignerl’undel’autre.Sajalousieétaitétrangeetpuérile.Quiavaitpeurdel’amourd’unpèrepoursafille?Çan’avaitaucunsensàmesyeux.Çan’enavait jamaiseu.

Etpourtant,ellenes’était jamaiscomportéecommeçaavecmasœur,Gemma.En fait,Gemmaet elle étaient plutôt proches. J’avais le sentiment queGemmaétait plus touchéeparlefaitquepapaavaitquittéDenisequ’ellen’étaitprêteàl’admettre.Elleconnaissaitmessentiments à l’égard de notre belle-merde, et le fait qu’elle ne pouvait pas venirme parleralorsqu’elleavaitbesoindesoutien faisaitdemoiune trèsmauvaisesœur.Mais telleétaitl’horrible vérité : elle ne pouvait pas. Je n’avais aucune sympathie lorsqu’il s’agissait de

Denise.Elles’enétaitassuréedèslepremierjour.

—Je…j’aibesoinquetuluiparles.Ilestmalade,iln’apaslesidéesenplace.

—Ettuvoudraisquejeluidisequoi?

Elleposasurmoiunregardexaspéré.

— J’aimerais que tu le convainques de revenir à la maison. Il est toujours affaibli. Il abesoind’unsuivimédical.

—Attends,demandai-jeavecungloussementsanshumour,tuvoudraisquejeconvainquemon père de rester avec toi ? Le fléau demon existence ? La femme qui a fait demonenfance un enfer ? Après tout ce que tum’as fait subir, tu veuxmon aide ? Tu as perdul’esprit?

Dommage que Gemma, qui était psychologue diplômée, soit à une conférence àWashington.Jel’auraisappeléeafindefixerunrendez-vouspourDeniseauplusvite.

—Qu’est-cequejet’aijamaisfaitsubir?

Monsangnefitdenouveauqu’untouretjeduslittéralementmemordrelalangueafinderestermaitressedemesémotions.Quand jeperdais lecontrôle, la terresedéplaçaitsousmoi.Untremblementdeterreaumilieud’Albuquerqueneferaitdebienàpersonne.

Reyesse tendit, commes’ilavait luiaussipeurque lasituationm’échappe.Je fermai lesyeuxetprisplusieursinspirations.Çanemeressemblaitpas.Jenehaïssaispaslesgens.Jeneleurfaisaispaspayerpourleursfautes.Tropdedéfuntsm’avaienttraversée.J’avaistropsouvent vu ce que les gens enduraient, ce qui les avait fait devenir ceux qu’ils étaient aumoment de leurmort. Je ne pouvais pas jugerDenise si je nememettaismêmepas cinqminutesàsaplace.Enagissantainsi, jenevaudraispasmieuxqu’elle.J’ouvris lesyeuxetcontemplai denouveau son visagedepierre, ce visagequi nem’avait rienapporté d’autrequetristesseetnœudsàl’estomac.Cinqminutesneseraientpassuffisantes.Peut-êtrequ’ilvalaitmieuxpartirsurcinqjours.

—J’aijusteunequestion,commençai-jeenessayantd’étoufferl’animositédansmonton,depeurdem’exprimercommeelle.Pourquoi?

—Pourquoi?

—Oui,pourquoi?Pourquoiest-ceque tum’asdétestéedès lepremier jour?Pourquoiest-cequetum’astraitéecommeuneépinedans lepied?Qu’est-ceque j’avaisbienputefaire,pourl’amourdeDieu?

Elle soupira de frustration et laissa son vrai visage apparaitre. Son impatience à monégard,àl’égarddetoutcequej’avaisàdire.

—Jen’airienfaitdetel,Charlotte.Jenetedétestepas.Çan’ajamaisétélecas.

Jemepenchaienavantetluiadressaimonplusbeaufauxsourire.

—Jevais tedire,quand tuserasprêteàadmettreque tum’ashaïedechaque fibredetonêtre,jet’aideraiàrécupérerpapa.Qu’est-cequet’endis?

—Jenediraijamaisunechoseaussihorrible.

Jevenaisdelafroisser.Bien.

—Donctupeuxleressentir,maistunepeuxpasl’admettre?

Elle serra le sac àmain qu’elle avait posé sur ses genoux, ses doigts se crispant à soninsu.

—Charlotte,est-cequ’onpeutparlersérieusement?

—Attendsuneseconde,dis-jealorsquelalumièresefaisait.Tuesiciparcequepapaenamarredelamanièredonttumetraites,ettupensesque,siondevientlesmeilleuresamiesdumonde,ilreviendraverstoi.

—Jesuisiciparcequej’aimeraisqu’onfasseunethérapietousensemble.PasuniquementLelandetmoi,maisnousquatre,avectasœur.

Reyescroisa lesbrasets’appuyadenouveaucontre lemuralorsque j’étaisen traindemijoteràpetitfeudansmonétonnement.

C’étaitunsacrénuméro.

—Etsituallaisenthérapiejustepourtoi?HistoirederedescendresurTerre.Et,quandceserafait,quandtuserasenmesured’êtrehonnêteavecmoi,onreparlera.

J’étais tellement méchante. J’avais envie de m’applaudir. Je n’étais pas une personneméchantedenature,etilfallaitdoncdéployerunesacréeénergiepourfairesortirlabêtequisommeillaitenmoiplusdetrentesecondes.Fichutroubledudéficitd’attention.Mais j’étaistellement fière de moi. Je n’étais plus disposée à servir de tapis sur lequel une autrepersonnepourraits’essuyerlespieds.Jenemelaisseraisplusmarcherdessus.

—Charley,ditCookieparl’interphone.

J’appuyaisurlebouton.

—Oui,Cookie?

—Euh…tuasbientôtfini?J’aibesoindecafé.

—Oh,pardon!Jevaisenpréparerett’enapporterunetasse.

—Merci.Etest-cequetupourraism’apporterlaboitedegaufrettespendantquetuyes?

— Bien sûr. (Je me relevai d’un bond et me dirigeai vers mon dealer de caféine.) Lespriorités,dis-jeàDenise.C’estlavie.(Jeremplisleréservoird’eauetversaiducafédanslecompartiment.)Etlecafé.Àpartirdemaintenant,jeseraimaproprepriorité.(Jeramassailaboite, sortis une gaufrette, et la fourrai dansma bouche afin de pouvoir parler tout en lamâchant.)Fini,FarleyleTapis.(Enfin,jemarmonnais.Denisedétestaitçadufondducœur.)Farley… (j’avalai)Charley le Tapis a été retiré, et les gens n’ont qu’àmarcher sur du boisvermouluetpleind’échardes.

Bonsang,j’étaisvraimentdouéepourlesmétaphores.

—J’auraiessayé,dit-elleenselevantetenreplaçantsonsacàmainsuruneépaule.

—Ouais.Ouais,t’asessayé.Quelnobleeffort.(Jedésignailaported’unemain,espérantqu’elleyverraitunindice.)Jenesuispassûred’avoircomprisquelétaitlebutdetoutça,detoute façon.Cen’estpascommesionpouvaitvraiment tousallerenthérapieensemble. Ilpartbientôtenmer.

Elle se retourna, la surprisepeintedanschacundeses traits.Elle clignadesyeux,et je

sentislacompréhensionlabalayer;puiselleaffichaunfauxsourire,pleindepitié,avecunepointedemépris.Unquej’avaisvubientropsouventenvingt-septans.

—Etmoiquicroyaisquetusavaisquandlesgensracontentdesmensonges.

Elles’approchadelaporteàgrandesenjambéesetl’ouvritavantquejepuissel’arrêter.

—Attends.Quelsmensonges?

—Jevais tedire, fit-elle, inversant le rapportde forceetsedélectantdupouvoirqu’ellevenait d’acquérir. Quand tu auras mûri et que tu seras prête à partager un peu de laresponsabilitévis-à-visdenosproblèmesrelationnels,jetediraicequetrameréellementtonpère.

Ellesortitsansrienajouter,melaissantsansvoix.

Ceque tramaitmonpère?Qu’avait-elle voulu dire par là ?Malheureusement, je n’avaispas le tempsd’enquêter là-dessusencemoment,maisoncleBobetmoiallionsavoir unegrande conversation dès l’instant où j’en aurais fini avecM. Joyce. En fait, ce seraitmonexcusepour le fairepasseràmonappartement lesoirmême. Iln’yavait riendemieuxquedefaired’unepierredeuxcoups.Maisçaparaissaitméchant.Quepourraientbientapercesdeuxpierres?Jedécidaidechangercetteexpressionen«Faired’unepierredeuxricochets».C’étaitmieux.Peut-êtrequeçaprendrait,qu’oncommenceraità l’utiliserdans lemondeentier.Ilétaitpermisderêver.

M.Joyceétaitdéjàdebout,attendantsontouravecl’impatienced’unécolierdematernellequifaitlepieddegruepoursongoûter.

—Entrez, luidis-jeen luidésignantunechaiseen facedemonbureau tandisque jemerendais jusqu’à mon dealer pour tenir la promesse faite à Cookie, qui aurait besoin d’unmassagecardiaquesijeneluiapportaispasrapidementunetassedecafé.Alors,commentpuis-jevousaider?

Je versai une tasse pour Cookie en ayant parfaitement conscience qu’elle n’avaitinterrompu mon « rendez-vous » avec Denise que pour me sauver des griffes de cettedernière. J’aimais cette femme.Cookie! PasDenise. Je lui apportai ensuite la tasse et luitendislepaquetdegaufrettesenluiadressantunclind’œil.Jelavisprendreunegorgéedubreuvage toutchaudaumomentoù je refermai laporteentrenosdeuxbureaux.Elleavaitlevé les yeux de plaisir au point qu’on en voyait plus que le blanc. Ça filait presque leschocottes.Onétaitvraimentsurlamêmelongueurd’onde.

—C’estunpeugênant,ditM.Joyceaprèsquejeluieusoffertunetasse,m’enfusverséuneetmefusrassiseàmonbureau.

Reyesavaitdisparucomme ilavait l’habitudede le fairequand iln’yavaitplusdedangerimmédiat.

—Etsivouscommenciezparledébut?

Je ressentis l’agitation qui le tenaillait demanière visible,mais également de l’anxiété etunepeurextrême.Legenrequivousprenaitauxtripes.

—Hmmm,d’accord.

Iltournalacasquettedanssesmainsavantdemeclouersurplaceduregard,deprendre

uneprofondeinspirationetdelâcher:

—J’aivendumonâmeaudiableetj’aibesoinquevouslarécupériezpourmoi.

C’étaitunepremière.

Jeclignaiplusieursfoisdesyeux,prisunelentegorgée,puisdemandai:

—Vousenavezobtenuunbonprix?

—Pardon?demanda-t-il,surprisparmaréaction.

—Votreâme.Vousavezobtenuquoi,enéchange?

Ilserenfrognaetrepartitàl’attaque:

—Jeneplaisantepas,MmeDavidson.

—Jevoisça.

— J’ai parlé à quelques… (il regarda autour de nous, inquiet à l’idée qu’on puissel’entendre) individusdansvotregenre,et ilsm’ont tous recommandéde faireappelàvous.Ilsontditquesiquelqu’unpouvaitlarécupérer,c’étaitvous.

—Vraiment?Quellesorted’individusdansmongenre?

— Vous savez, dit-il en posant sa casquette sur mon bureau et en se penchant pourchuchoter.Dugenresurnaturel.

—Ah.Biensûr.Parcequ’onentrouveàtouslescoinsderue.Donc,cedémonàquivousavezvenduvotreâ…

—Lediable,mecorrigea-t-ilenlevantunindex.Ils’agissaitdudiable.

— Très bien, alors avant tout, le diable n’est jamais dans ce plan d’existence à cettepériode de l’année, donc si le type qui a acheté votre âme vous a dit qu’il était le grandmanitou,ilamenti.

—Vousêtessérieuse?demanda-t-il,surpris.Ehbien,peut-êtrequ’iln’apasditqu’ilétaitlediable,maisiladespouvoirs,voussavez?Ilavaitcetteintensitéquejeressentaischaquefoisqu’ilm’observait,commesilesimplepoidsdesonregardpouvaitm’écraseretmeréduireenbouillie.Etilamonâme.Elles’enestallée.Jenepeuxpluslasentir.

Ilpalpaseshabitscommes’ilétaitàlarecherchedesonporte-monnaie.

Magnifique.M.Joyceétaitfou.Jesortisunstyloetuncarnet.

— Très bien, pourriez-vous me décrire votre âme en détail ? Je vais lancer un avis derecherche.

Ilselaissaallercontreledossierdesachaise,énervéparmoncomportement.Çaarrivait.

—Jecroyaisquevousplusquetoutautrecomprendriez.

Jereposaimonstylo.

—Pourquoimoiplusquetoutautre?

—Jesaiscequevousêtes,répondit-il.Ilmel’adit.

—Lediablevousl’adit?

—Non, le type. (Il se passa unemain dans les cheveux.) Le type qui a prismon âme.Peut-êtrequ’ill’aprisepourladonneraudiable.Jen’ensaisrien.

Mêmesi toutçaétaitonnepeutplusdivertissant, il fallaitque jepasseuncoupde filàoncle Bob pour lui demander ce qui se passait avec papa. Il était hors de question quej’appelle papa directement. S’il ne voulait pas que j’apprenne quelque chose, jamais je nel’apprendrais.

—D’accord,ehbien,merci,M.Joyce,mais…

—Hedeshi!cria-t-il,sesouvenantdunom.

Unnomquejeconnaissaisbien.

—Hedeshiestmort,dis-je,medemandantoù ilavaitentendu lenomdudémonenvoyépourmetuer.

Heureusement,lefilsdeSatan,ainsiqu’unrottweilerfantômedunomd’Artémis,veillaientsurmoi,sinonjeneseraismêmeplusdecemonde.

—C’estjuste,ilm’aparléd’Hedeshi.Iladitqu’ilétaitmort.Aucoursdelapartie,ila…

—Lapartie?

—Depoker,répondit-il,deplusenplusagité.Celledurantlaquellej’aiperdumonâme.

—Sijecomprendsbien,vousavezpariévotreâmedurantunepartiedepoker?

—Eh bien…non. Pas exactement. J’avais besoin d’argent. Il le savait. Il s’en est servicontremoi. (La honte le submergeaen une vaguebrûlante.)C’étaitPour la bonne cause.J’avaisbesoind’argentetilhébergeaitlejeuoùonpouvaitgagnerleplusgrospactoledelaville, alors j’ai tentéma chance. J’aimis en gage tout ce qu’on possédait pour obtenir unsiègeà la table,etensuite j’aiperduchaquecentimequ’ilnousrestait. (Ilse frotta le front,embarrassé.) Quand il a vu à quel point j’étais désespéré, il m’a fait une offre que je nepouvaispasrefuser,alorsj’aiditoui.Jeluiaivendumonâme.

—Biensûrquevousl’avezfait.Hedeshi,luirappelai-je.

Ilplissalesyeux,fouillantsessouvenirs.

—Cetype, leDealer,aditqu’ilyavaitunefaucheuseenvillequisemait lechaosauprèsde ses semblables. Il a dit que vous vous étiez débrouillée pour tuer un des meilleursgénérauxdel’enfer,unhommedunomd’Hedeshi.

Commentdiableest-cequeledealerd’untournoiilliciteavaitpuapprendreça?

—Etcommentsavez-vousquejesuiscettefaucheuse?

—Parcequetoutlemondemel’adit,répondit-ildemanièreplusassurée.Ecoutez,est-cequevouspourriezallerparleràcetype?Récupérermonâme?Jevouspaierai.

—Jecroyaisquevousn’aviezplusd’argent.Quec’était laraisonpourlaquellevousêtesalléàcettepartiedepoker.

—Ouais,ehbien,j’enaireçu.Destonnes.Vendresonâmeesttrèsrentable.(Ilpenchalatête, et le chagrin qui le traversa me piqua les yeux.) Mais il s’avère que même desmontagnesd’argentnepeuventguérirlecancer.

Merde.LegrandC.Monennemijuré.

—Ecoutez, j’ai justebesoindemonâme. Ilpeut reprendre le reste.Mais il fautque j’aiemonâmesijeveuxlaretrouverunjour.Jeluiaipromis.

Ainsi, une femmequ’il aimait étaitmorte, et il voulait à présent récupérer son âmepourêtreàsescôtés.Çaaussi,c’étaitunepremière.

—Vousêteslaseulequipeuttenirtêteàcestypes.Personned’autreneveutneserait-cequ’essayer.

—Ilyaunebonneraisonàça.Ilssontplutôtlétaux.

—Jeferain’importequoi.Vouspouveztoutavoir.L’argent.Lesvoitures.Tout.Monmarietmoisommesanéantis.

Jefusunefoisdeplussurprise.Justequandjepensaissavoircequisepassait.

—Votremari?

—Oui.Paul.Nousnoussommesmariésdans leMassachusettsdèsqu’ilsont légalisé lachose.

—Alorsquiestce«elle»avecquivousavezpromisdepasserl’éternité?

Les immenses larmesqui faisaientbrillersesyeux lorsqu’il releva la têtemecoupèrent lesouffleetmebrisèrentlecœur.

—Notrefille.Ellen’avaitquetroisansquandelleasuccombéàunneuroblastome.Jeluiai trouvé les meilleurs traitements que l’argent pouvait offrir, mais ça n’a fait aucunedifférence.

Il attrapa son portefeuille et en sortit une photo. Deux, en fait. En me les tendant, ildemanda:

—Voussavezcequ’on ressenten regardantunenfantde troisansmourir ducancer?Elle était tellement courageuse. Elle ne voulait qu’une seule chose… Qu’on lui promettequ’onlarejoindraitauparadisunjour.

Sa voix se brisa tandis que j’observais les photos. Unemagnifique petite fille avec desbouclesblondesetd’immensesyeuxbleussetrouvaitsurlapremière.Lasecondeavaitétépriseaprèsquelquespassagesenchimio,etsatête,chauvemaispasmoinsbelle,brillaitausoleiltandisqu’elledescendaituntoboggan,unsourireaussiradieuxquelecielduNouveau-Mexiquesurlevisage.

—Nousluiavonstouslesdeuxpromisqu’onsereverraitlà-haut.Paulnesaitpascequej’aidûfaire.Ilignorequejenepeuxpastenirmapromesse.

Jenesavaispassic’étaitsatristesseoulamiennequiformaitunebouledelatailled’unballondefootdansmagorge.Detoutemanière,jenepouvaispasempêcherleslarmesdecoulerenregardantlaphotodupetitangedanslesbrasdesespères.

—Quandvousa-t-ellequittés?parvins-jeàdemander,lecœurserré.

—Hier.

Et,en répondant, ils’écroulasur lebureauetsemitàpleurer, reniflantdans lecreuxdesesmains demanière incontrôlée. Je fis le tour et passai les bras autour de son torse et

pleuraiavec lui.C’était lapartiepour laquelle jen’étaispastrèsdouée.Cellequiconcernaitlessurvivants.Leurtristessepesaitplusqu’unrochersurmapoitrine.

JesentisReyes.Sachaleurfranchit leseuildelaporteavantqu’ilne lefasse.Ilnenousinterrompit pas. Il resta en retrait et veilla sur moi tandis que la douleur de la mort meréduisaitenpoussière.

Chapitre4

Monpetitamiditquejeleharcèle.

Bon,cen’estpastoutàfaitmonpetitami…

Miseàjourdestatut

Je conduisis M. Joyce jusqu’à la porte et lui promis de faire tout mon possible. Je nesavaistoujourspass’ilétaitfou,maisjecomptaisbienledécouvrir.

—Qu’est-cequ’ona?demandaCookied’unevoixdouce.

—Unclientquiavendusonâmeaudiable.

—Encoreun?

Ellesavait toujoursquoidire.Je luiadressai lesourire leplusradieuxdont j’étaiscapablemalgrémonlégerembarras.

—Exactement.Quandest-cequeceshommesvontapprendrelaleçon?(Jejetaiuncoupd’œilàReyes,quiavaitassistéàtoutl’échange.J’étaisplusquegênéequ’ilaitététémoindemoneffondrement.)Est-cequec’estpossible?

—C’estpossible,répondit-il.

Jesentisunregretsincèreémanerdelui.

—Danscecas,untournoidepokerm’attend.

Ilseredressaetmesuivitlorsquej’attrapaimonsacavantdemedirigerverslaporte.

—Tun’espassérieuse.

Jem’arrêtaietleregardaidemanièredéterminée.

—Jesuisaussisérieusequ’unneuroblastome.

Il se mordit la langue pour s’empêcher de répondre, parfaitement conscient que çan’aideraitenrien.Ilfaisaitdesprogrès.

JefishaltedevantlebureaudeCookie.

—Tuneprévoispasdeporterçacesoir,n’est-cepas?

—Qu’est-cequinevapasavecmatenue?

—Rien.Situprévoisdet’enfuirpourrejoindreuncirque.

Elleouvritlaboucheengrandavantdeplisserlespaupièresdemanièremenaçante.

—J’auraisdût’enfermerdanstonbureauavectabelle-mèreaulieudevoleràtonsecours

à l’aide de ces interphones ridicules que tu voulais absolument acheter à cet atroce vide-grenier.

Cefutàmontourd’ouvrirlaboucheengrand.Etj’ajoutaiunindexaccusateurpourlecôtédramatique.

—Cevide-grenierétaitgénial.Quin’aimepaslescollectionsdetaxidermistes?

Cesouvenirlafitfrissonner.

—Etcesinterphonesnesontmêmepasàmoitiéaussiridiculesquetatenue.

Sonexpressionsedurcitet jesentis lepoidsduregretdiminuer.Qu’ellesoitbénie.Je luiadressai un clin d’œil entendu avant de sortir du bureau à grandes enjambées afin demepréparerpourcesoir.

Mais,d’abord,oncleBob.

J’acceptaiunecartequemetendaitunsans-abriédentésurlaquelleétaitécrit«vivrelibreoumourir».Enéchange, je luidonnai lepeudemonnaieque j’avaisdansmapoche,puistraversai le parking en direction de mon immeuble. Et c’était littéralementmon immeuble.Reyesme l’avaitacheté.Jen’avaisaucune idéedeceque jepourraisbien faireavec,maissavoirqu’ilm’appartenaitmeplaisait.

—Tun’iraspasàcetournoi,ditReyes,quimesuivaitcommemonombre.

—Si.

Lachaleurquedégageaitsacolères’élevaautourdemoi.C’étaitunvraisauna.

Jemeretournaipourluifaireface.

—Quelestleproblème?

Ilcontinuaàavancerjusqu’àcequ’ilnesetrouveplusqu’àquelquescentimètres.

—Toi.On dirait que tu cherches les pires situations dans lesquelles te fourrer, les plusdangereuses,etqu’ensuitetuteprécipitestêtelapremièresansyréfléchiràdeuxfois.

—Jeréfléchissouventàdeuxfois,répondis-jeenpivotantpourreprendreladirectiondel’immeuble.Desfois,mêmequej’ypensetroisouquatrefois.

Ilm’attrapalebrasavantquej’aieletempsdefairedeuxpas.

—Cen’estpasdrôle.

Jemisunpoint d’honneuràbaisser les yeuxpour regarder samain, cellequime tenait,avantdereleverlevisageverslui.

—Non,çanel’estpas.

Ilrelâchamonbras.

—Tunepeuxpassauver toutes lesâmesendétresse,Dutch. (Lorsque jeme remisenmarche, ilmebloqua lepassage.)Tuvas te faire tuersi tucontinues,et jeseraibloqué icitout seul, tout ça parce que je suis amoureux d’une bonne âme qui préfère risquer sa viepourdesinconnusplutôtqued’écoutercequej’aiàdire.

Jechangeaidejambed’appui,relevantlahancheducôtéopposé.

—T’esamoureuxdemoi?

Ilserapprochaetposaunemainsurmahanche.

—Tusaistrèsbienqueoui.

—Ouais.Maislesflammesdetacolèrevontfinirparteconsumer.

Ilsepassalalanguesurlalèvreinférieuretandisqu’ilm’étudiait.

—Peut-êtrequej’aidelafièvre.

Je levaiunbraspourposer lamainsurson front,soudainement inquiète. Ilétaitbrûlant,maisquandnel’était-ilpas?

Ilvérifiasonfrontàsontour.

—Tuvois?J’aisûrementbesoindeprendreunbainpendantqu’onmenettoieàl’éponge,fit-il,taquin.

Aussisexyquesoitsonsourireencoin,jecommençaisàêtrevraimentinquiète.Jepalpaidenouveausonfront.

—Tuasvraimentdelafièvre?

—Depuislapremièrefoisoùj’aiposélesyeuxsurtoi.

Jenepusm’empêcherdeglousser.

—Sérieusement,Reyes.Est-cequetutesensmal?

—Seulementquandtun’espasauprèsdemoi.

—Ilt’arrived’êtremalade?

—Chaquefoisqu’onestséparés.

Çanemenaitnullepart.Ilnoyaitvolontairementlepoisson.

—Trèsbien.Maisj’iraiàcetournoi.J’aiunplanenbéton,ajoutai-jeenledépassantparlecôté.

—Ettesplansfonctionnenttoujourssibien.

Ilmesuivitàl’intérieur,puisenhautdel’escalier.

—C’estuneremarqueinjuste.

—Dutch,jeneplaisantepas.Lesdealersnesontpascequetucrois.

— Les dealers ? répétai-je, bouche bée, en m’arrêtant sur une marche. Tu étais aucourant?Tusavaisqu’ilétaitlà?

—Pasexactement,non,mais jesavaisqu’ilsexistent.Etsicetypeenesteffectivementun,ilesttrès,trèsintelligent.Ilpourraitconvaincreunemèredevendresesenfantscommeesclavespourdixcentimes.

— Je ne peux pas croire qu’un être comme ça existe réellement. Donc c’est vraimentpossibledevendresonâmeaudiable?

Ilacquiesça.

—Ettun’asmêmepasbesoind’alleràlacroiséedescheminspourlefaire.

—Bonsang.Pourquoijesuispasaucourantdetoutesceschoses,moi?

Jecontinuaiàmonterl’escaliertoutenfouillantmonsacàlarecherchedemesclés.

— Ce n’est pas exactement ce que tu crois, ajouta Reyes. Tu ignores beaucoup dechoses, et il y en a un paquet que tu n’as pas besoin de savoir, comme la manière des’occuperd’unDealer,parexemple.

—Alors,quesont-ilsexactement?

—Cesontdesdémons.Lesdéchus.

—CommeHedeshi?

—IlsressemblentbeaucoupàHedeshi,saufqu’ilsfontcavalierseul.

—Cavalierseul?(Jem’arrêtaisurlepalier.)Qu’est-cequeçasignifie?

—Çaveutdirequ’ils’agitdedémonsquisesontenfuisde l’enferetquiviventsurTerrecommedeshumains.Ilsneprêtentpasallégeanceàmonpère.Ilssecontententdevivreicietsenourrissentdesâmesdesautres.

—Dis-moiquetuplaisantes.

—J’aimeraisbien,maisilsdoiventmanger,commetoutlemonde.

—T’essaiesdemedirequelesâmessontleurplatderésistance?

— Exactement, mais ils ne peuvent obtenir une âme que si son propriétaire l’offrevolontairement.

—Pourquoiest-cequequelqu’undonneraitvolontairementsonâme?

Ilhaussalesépaules.

—Pouvoir.Argent.Santé.

—Jene…Toutçamelaissesansvoix.(Jeglissailaclédanslaserrure,maism’arrêtaiunenouvelle fois, essayant d’absorber toutes ces nouvelles informations.) Est-ce qu’il y a uncontrat?Commedanslesfilms?

—Non.Pas de contrat.Ça, c’est la versionHollywood duDealer.Dans la vraie vie, ilssontbienplusintelligentsqueça.

—Danscecas,commentl’affaireest-elleconclue?

—Lorsquel’humaindonnesaparole,leDealermarquesonâme.Ensuite,quandilafaim,il s’en empare. Crois-le ou non, mais on peut vivre un moment sans son âme. Paslongtemps,maisc’estpossible.

—EtM.Joyce?Est-cequ’ilaencorelasienne?

—Non. Ilavait raison.Sonâmen’estplus là,sûrementdepuisdeuxou troismois. Ilnetiendraplustrèslongtemps.Ilaététellementabsorbéparlamortdesafillequ’ilnes’estpasrenducomptequecequ’ilressentaitétaitlamaladiequisurvientquanduneâmes’enva.Lecorpsseflétrit.

Mince.Entendreçanemeplaisaitpasdutout.

—D’accord,alorsdis-moi:est-cequ’ilestpossiblederécupéreruneâmeunefoisqueledémonadéjàcommencéàs’ennourrir?

— Ça dépend depuis combien de temps il l’a et de s’il lui reste encore de l’énergie. Ilspeuventsenourrird’uneâmependantdesmoiss’ilsysontobligés.(Ils’approchapourquesonargumentsuivantsoitpluspercutant.)Et,aveclatienne,dit-ild’untond’avertissement,ilauraitdequoisenourrirpendantdescentainesd’années.Peut-êtremêmeunmillier.Entreren possession de ton âme serait comme gagner à la loterie pour lui, c’est la raison pourlaquelle tu ne l’approcheras pas. Il faut qu’il te piège pour l’obtenir et, crois-moi, c’estexactementceque feraundealer. Il yaunebonne raisonpour laquelleon lesappelledesembrouilleursdansvotremythologie.

—Mercipourlamarquedeconfiance.

—Dutch,cen’estpasunequestiondemanquedeconfianceentoi.C’estjustequejesuispersuadéquetuferastoutcequiestentonpouvoirpourrécupérerl’âmedecetype.Jet’aivue faire des centaines de fois. Tu te mets en danger, corps et âme, pour de parfaitsinconnus.C’est…inquiétant.

Iln’avaitpastort.J’ouvrislaporteetentrai.

—Encoreunefois,jeteledemande:commentsefait-ilquejenesoispasaucourantdeceschoses?

Reyescroisa lesbrasets’appuyacontre lecadrede laporte tandisque je jetaimonsacsurlecomptoirdemacuisineavantdemedirigerversM.Café.

—Parcequetuestoi,répondit-il,provocateur.

—Tunedoispasretourner travailler?demandai-jeendésignant ladirectiondubard’unsignedetête.

—Etmerde,grogna-t-il,dentsserrées.Eneffet,mais jen’enauraipaspour longtemps.Nefaisriensansmoi.

—Entendu,répondis-jeencroisantlesdoigtsdansmondos.

Ils’approchademoi.

—Dutch,jesuissérieux.Net’avisepasd’essayerdetrouvercetype.

—Je te lepromets, croixdebois, croixde fer, si jemens je vaisenenfer. (Je tendis lepetitdoigt.Ilnel’attrapapas.C’étaitladeuxièmefoisdelajournéequ’onmelaissaitenplanquand j’avais un membre en l’air.) Mais, ajoutai-je en pointant mon fameux petit doigt demanièreaussimenaçantequepossible,j’iraiautournoicesoir.

Ilserenfrogna,lesmusclesdesamâchoiresecontractantdanslemouvement.

—Alorsilnousfautunvraiplan,etpasundetestrucsaurabais.

—C’estquoi,mestrucsaurabais?

— Foncer tête baissée dans n’importe quelle situation mortelle en te fichant desconséquences.

—Ceplanamagnifiquementfonctionnépourmoipar lepassé, luirappelai-jeenfronçant

lessourcilspourleréprimander.

—Toutesmesexcuses,dit-il,maisjen’ycroispasuneseconde.(Iln’étaitpassincèrepourdeuxsous.)J’aitendanceàoublieràquelpointtesplanssontparfaits,danslamesureoùilspartent tous en sucette, y compris celui qui t’a fait te retrouver sur un pont désert encompagnied’untypequiavaitlafermel’intentiondetefairebrûlervive.

J’avaisdûmalentendre.

—Tum’enveuxtoujourspourça?(Commeilsecontentademefixerd’unregardnoir,lespupillesbrillantesdans la faible lumière, jecroisai lesbrasdemanièredéfensive.)Cen’étaitpasunplan,ça.C’étaituneattaquesurprise.Etjetel’aidéjàdit,j’aiessayédet’invoquer.Jen’aipasréussi.J’avaisunecommotion.

Jedésignaimatêtepourillustrermonpropos.Maispasavecmonpetitdoigt,cettefois-ci.

Il futaussitôtdevantmoi, l’animalen lui se rebellantpar réflexe,et il continuaàavancerjusqu’àceque j’aieassezreculépourbutercontreunmeubleetque jenepuisseplusallerplusloin.Aprèsavoirplacélesmainssurlecomptoirautourdemoi,ils’approchaencoreplusprès.

—Tupeuxm’invoquerquandtu ledésires,dit-il,sonsoufflechaudcaressantmonoreilleetfrôlantmanuque.Iltesuffitdepenseràmoi.

—Tusous-entendsquej’aifaitexprèsdenepast’invoquer?

Ilreculaafindemeregarder.

—Àtoidemedire.

—Jecroyaisquetudevaisallerbosser.

Ilfitlamoueavantdevérifiersamontre.

—J’étaissérieux.Nefaisrienavantqu’onaitunplan.Promets-le-moi.

—Jetelepromets.

Bonsang.Ilétaittellementméfiant.

Unechoseàlafois.JetraquaimontéléphoneetappelaioncleBob.

—Hey,mapuce,mesalua-t-il.

Ilétaitdetouteévidencedebonnehumeur.J’étaissurlepointdechangerça.

—J’aibesoinquetupassescesoir.

—Pasdeproblème.Qu’est-cequ’ilya?

—C’estpapa.

—Ilestlà?demanda-t-il,surpris.

—Non,maisDeniseestpasséemevoir.Ellesemblepersuadéequepapanepartpasenvoyageaugrandlarge.Tunesauraispasquelquechoseàcepropos,parunheureuxhasard?

—Pasvraiment.

Ilgardalesilencependantunlongmoment,puisajouta:

—Maisjem’endoutais.

—Tutedoutaisdequoi?demandai-je,inquiète.

— J’ai une réunion dans deuxminutes. On en parlera quand je serai là. A quelle heureveux-tuquejevienne?

Même si j’avais envie de répondre sur-le-champ - c’était demon père qu’il s’agissait -, ilfallait que je prenne en compte le plan que Cookie et moi-surtout moi-avionsmijoté pourqu’Obie invite cette dernière à sortir. Honnêtement, il aurait été plus facile d’arracher unedentàcethomme.

—Vers 18 heures ? (Ça laisserait assez de temps àCookie pour se préparer et à sonrencard pour venir depuis West Side. Il travaillait jusqu’à 17 heures, donc…) Ouais, 18heures,ceseraparfait.

—Çame va aussi. Tu veux qu’onmange un truc ? Je peux prendre quelque chose enchemin.

Mêmesi j’auraisdûmesentiraumoinsun toutpetitpeucoupable - j’étaisen trainde lepiéger,après tout -, j’enétais incapable.Lecoupmonté,ou,comme j’aimais l’appeler, le«planpourqueCookies’envoieenl’air»,étaitunmalnécessaire.OncleBobétaitd’habitudesisûrde lui,sidirect,maisajoutezCookieà l’équation,et il se transformaitenvraiepoulemouillée. Non pas que les poules devaient absolument être sèches pour être heureuses,maisquandmême.Ils’agissaitdeCookie.NotreCookie!Qu’est-cequ’ellerisquaitdefaire?Lemordre?

OK,c’étaituneéventualité,maisçaviendraitaprèsquenotrelabeurauraitportésesfruits.Cookiepouvaitsemontrertrèsculottée.

—Volontiers,répondis-je,épatéeparmestalentsd’actrice.

J’aurais dû partir à Hollywood quand j’en avais eu l’occasion,mais quand ce vieux typeavaitproposédem’yemmener,unsoirdansunestation-servicedéserteaumilieudenullepart, jen’avais tropsusi jepouvais lui faireconfiance.Surtoutparcequ’il sebaladaitavecunecorde,duchatterton,etdestonnesdepréservatifssursonsiègearrière.Malgrétout,jene saurai jamais ce que ça aurait pu donner. Jusqu’à quel échelon de la gloire j’aurais pugrimper.C’estlavie*.

*Enfrançaisdansletexte.(NdT)

—J’adorequandtuapportesàdiner.Qu’est-cequetudiraisdecerestoitaliensupercherdanslequeljenevaisjamaisparcequ’ilesthorsdeprix?

Ilricana.

—Çapeutlefaire.Est-cequetuvoudraisquejecommandelestrucslespluscoûteuxdumenu?

—Évidemment.Àtoute!Etnesoispasenretard,ajoutai-jeavantderaccrocher.

—Jet’enprie,tut’adressesàRobertDavidson,là.

Robertqui?Ah,oui!Jemefaisaischaquefoisavoir.

—Trèsbien,Robert,maisnesoispasenretard.

—Jeferaidemonmieux.

JeraccrochaietmerendiscomptequeM.Cafén’attendaitplusquemoi.Cettepenséefitremonter un frisson d’excitation le long dema colonne vertébrale. C’était étrange. Je meprécipitaiverslui,luiadressaiunclind’œilpolisson,puismeservisunetassedekawaavantd’y verser tous les trucs chimiques qui me tombèrent sous lamain enme demandant quiavaitunjoureul’idéed’appelerçadukawa.

Jemeretournaiensuiteetme lançaidansune longueobservationdemesmurs,prenantalorsconsciencequejen’avaisrienàfaire.Enréalité,si.Jepouvaisressasser lefaitqu’ilyavaitundémonen libertéquisenourrissaitde l’âmedesgens jusqu’àm’en rendremalade.Oujepouvaisruminerlefaitquelecancerestunenfoirésanscœurquimériteraitdemourirdemanière lenteetdouloureuse,encoreetencore, jusqu’à la findes temps.Ou jepouvaisréfléchiraufaitqueReyesavaitunfrèrehumain.Unbiologique.Maisaucunedecesoptionsneme tentait.Dans lamesureoùReyesavaitdéjouémesprojetsd’enquêtersur leDealerqueM.Joycem’avaitdécrit,j’étaisaupointmort.Dansmonappartement.Avecstrictementrienàfaire!C’étaitvraimentbizarre.

Je pouvais toujours fixerM.Wong,mon colocataire. Il avait emménagé ici avantmoi etflottaitdéjà,lenezdansuncoin,quandj’avaisvisitél’endroit,maisl’appartementmeplaisait.Non, l’immeuble me plaisait. On aurait dit qu’il m’appelait. Qu’il me courtisait avec sonarchitecture d’antan et ses lignes pleines de culture. Ça, ou alors j’avais bu trop demargaritascejour-là.

Même si je parlais à M. Wong tous les jours, je n’avais jamais vraiment essayé decommuniqueravec lui.Dedécouvrir lesscoopsdesonhistoire,desavie.Peut-êtreque jen’en avais pas envie. Je faisais souvent de mon mieux pour éviter les aspects les plusdouloureuxde l’existence,mêmesiçan’aidaitpas toujours ; iln’yavaitqu’àvoircomme jem’étaiseffondréeavecM.Joycedansmonbureaumoinsd’uneheureplustôt.

Maispeut-êtrequeM.WongétaitcommeM.Andrulissurmonsiègepassager.Peut-êtrequ’ilétaittoutsimplementperduetqu’ilavaitenviedetraverser,d’allerauparadis,maisqu’ilnesavaitpascommentfaire.Jen’avaisjamaisvraimentobservéM.Wongd’assezprèspourchercherdesmarquesoudestatouagesdequelquesorte.Sijedécouvraisquiilétait,cequiluiétaitarrivé, jepourraispeut-êtrelesortirdesatranseet l’aideràpasserdel’autrecôté.C’étaitpasmonjob,aprèstout?

JetiraiunechaiseversM.Wongetm’assis.

—Jesuislàpourvous,luidis-jeenoptantpouruneapprochetoutendouceur.(Sondosétaitraide,sesépaulesdroites,etsescourtscheveuxgrisunpeuébouriffésauraientjustifiéunpassagechezlecoiffeur.)Voussavezquevouspouveztraverser,sivousledésirez.

Une seconde, que se passerait-il, dans ce cas ? Que ferais-je sans lui ? Je m’étaistellementhabituéeàsaprésence,aufaitdepouvoirluiparleretpartagerdeschosesavecluiquejen’étaispassûredesavoircommentjem’ensortiraisicisanslui.

—Est-cequevouspouvezaumoinsmedirevotrenom?Jesuiscertainequecen’estpasM.Wong.

Je l’appelais commeçauniquementparceque…ehbien,parcequ’il ressemblait àunM.Wong.C’étaitlapremièrechosequim’étaitpasséeparlatête.

Commeilnerépondaitpas,jeposaimatasseetmelevaipourmeplaceràcôtédelui.Endépit du fait qu’il flottait à près de vingt centimètres du sol, sa tête ne dépassait pas lamienne.Ilnedevaitmêmepasatteindrelemètrecinquante.Sonuniformegrismerappelaiténormément lesphotosdecampsdedétentionchinoisque j’avaisvues.Desgensaffamésqu’onfaisaittravaillerjusqu’àcequ’ilss’écroulent.Littéralement.

Peut-être que c’était pour cette raison que je n’avais jamais réellement tenté decommuniqueraveclui.Peut-êtrequejen’avaispasenviedeconnaitresonhistoire,desavoirce qu’il avait enduré.Aussi surprenant que çapuisseparaitre aupremier coupd’œil, je negérais pasbien cegenrede trucs.Moncœur sebrisait bien trop souvent.Mêmepour lesgens qui avaient surmonté les difficultés, les douleurs qui les avaient brisés et vécu delonguesetheureusesvies;voircespartiesd’euxmeréduisaittoujoursenmorceaux.Doncpeut-être que je ne faisais que temporiser afin de ne pas devoir affronter l’inévitable, lavérité,etcenonpaspoursonbien,maispourlemien.

J’étaistellementégoïstequej’arrivaisencoreàm’étonnermoi-même.

Je tendis la main pour prendre la sienne. C’était notre premier vrai contact. J’avaistoujourseupeurqu’ildisparaissesij’essayais.Lesdéfuntsavaienttendanceàfaireça.Maisilnebougeapas.Ilmelaissaluitâterlesextrémitéstandisquejecherchaisn’importequellemarquequi aurait pum’aider à découvrir son identité.C’était probablement tropdemanderque d’espérer qu’il ait un tatouage comme celui de M. Andrulis, avec son nom écrit au-dessous.

Jerelevaiunedesesmanchesavecprécaution.Rien,maisilavaitbeaucoupdecicatrices,pourlaplupartdefineslignessursapeaufragile.Lamêmechosesursonautrebras.Jemepenchaietrelevaiunedesjambesdesonpantalondéchiré.Descicatricesdenouveau,maispasautant,ettoujoursaucuneautremarquedequelquesortequecesoit.

J’entendisCookieouvrirlaportetandisquej’inspectaissajambedroite.

—Qu’est-cequetufais?demanda-t-elleensedirigeantdroitversleCafé.

Jesoupçonnaiscesdeux-làde fricoterdepuisunmoment.Cookieétaitsoudaindevenuetrèsintéresséeparsesactivitésquotidiennesetletempsqu’illuifallaitpourtirerducafé.Ellel’observaitsansarrêt,lereluquait;jen’étaispasaveugle.Peut-êtrequeçaavaitunrapportavec le faitquesacafetièreavait rendu l’âmeaprèsun longcombatcontre le tartre. Ilmesemblait que sa pompe avait fini par lâcher.Mais elle feraitmieux d’arrêter de loucher surmonprécieuxsielletenaitàlavie.

—Je fais des papouilles àM.Wong, répondis-je en relâchant la jambede sonpantalonavantdemerelever.TuastrouvéquelquechosesurM.Andrulis?

—Biensûr.

JeregardaiderrièreM.WongpourapercevoirCookie.

—Sérieusement?Alors?

Elle touilla sa tasse avant de rincer la cuillère, puis marcha dans ma direction pour metendreunpapier.

—Est-cequec’estlui?

Je regardai la coupure de journal. C’était une photographie représentant plusieursvétérans,priseaucoursd’ungalad’ancienscombattants.Elleavaitdessinéuncercleautourde l’un d’entre eux, et une liste de noms sous la photo mentionnait un certain CharlesAndrulis.Jeplissailesyeuxpouressayerdefairelepointsurlaphoto.

—Tusaisquoi,çasepourrait.C’estdifficileàdire.Ilesttellementnu,àprésent.

— Selon la rubrique nécrologique, répondit Cookie en prenant place sur la chaise quej’avaispréalablementtrainéejusqu’àM.Wong,ilestmortilyaenvironunmoisetlaissesonépousedecinquante-septansderrièrelui.Maisellenevapastrèsbien.

—C’est peut-être pour ça qu’il est encore là, dis-je en tirant une autre chaise avant derécupérermatassedecafé.Peut-être,jesaispas,qu’ill’attend.

Cookiesoupira,descœurspleinlesyeux.

—Maisattends.Pourquoiilestàpoil,bonsang?

—Oh. (Elle fouillasonsacpourenextraireunepilede feuilles.)J’aiappelé lamaisonderetraite où sa femmeet lui habitaient et, selon un infirmier du nomde Jacob-qui avait l’airplutôt alléchant, au téléphone, je tiens à le signaler-, ils étaient en train de doucher M.Andrulisaumomentoùils’esteffondré.Ilestmortsurlecoupd’unecrisecardiaque.

—Oh,non.Lepauvre.

—Eneffet.C’estvraiment triste.L’infirmierJacobditquesonépouse ignorequ’ilnousaquittés.Mêmes’ilsleluidisaient,ellenes’ensouviendraitquequelquesminutesavantdeledemanderdenouveau,doncilsontpréférégarderlesilence.Ilsluirépètentsimplementqu’ilestsurlepointdevenirlavoir.

—Tu sais quoi ? demandai-je enme levant pour faire les cent pas sur les deuxmètrescarrésquimeservaientdesalon.C’estbon, j’enaimaclaque.Jeneveuxplusrienavoiràfaire avec lamort. (Je tenaisma tasse d’unemain,mais l’autre s’agitait d’indignation danstouslessens.)J’enaimarredeshistoirestristesquimefontpleureretmedonnentenviedemeroulerenbouledansuncoin.

Cookieseredressa.

—Mais, tuneseraispasunpeu laFaucheuse?Jeveuxdire, lamort, c’est tonboulot,non?

—Oui, répondis-jeenme rendantàgrandesenjambéesversmonbureau.Ça l’est,et jedémissionne.

Ellesedétenditetpritquelquesgorgéesdecaféavantdedemander:

—Alors,tufaisquoi?

—J’écrismalettrededémission.Commentest-cequetuépelles«désinstitutionnalisme»?

—Primo, je ne suis pas sûre de la signification de cemot si tu l’utilises dansune lettredémission.

Jem’arrêtaietobservaimalettre.

—Sérieux?

—Deuzio,jenesuispassûrequetupuissesdémissionner.

— Ah, ouais ? (Je recommençai à écrire, ajoutant quelques gros mots pour bien fairepasserlemessage.)Jevaismegêner.

Jesignaidelamanièrelaplusartistiquepossible,puispliailalettreentrois,essayaidelafaireentrerdansuneenveloppe,laressortispourégaliserlesplis,essayaidenouveauetlaressortis.

—Oh,bonsang,commentest-cequetufaisentrerunefichuelettredans…

— Tu veux entendre mon troisième point ? Je soufflai pour dégager une mèche decheveuxquim’étaittombéesurlevisageetmetournaiversCookie.

—Biensûr.

—Tertio,àquicomptes-tul’envoyer,aujuste?

Mince. Elle n’avait pas tort.Mais en regardant le dos deM.Wong, je vis à travers sonhabituséjusqu’àlacordequelquechosequejen’avaisencorejamaisremarquéauparavant.Je me précipitai vers lui, lâchant la lettre en chemin, me mis sur la pointe des pieds etregardaidanslecoldesachemisegrise.

— Mince alors, dis-je. (Son dos entier était recouvert de tatouages.) Je crois que M.Wongfaisaitpartiedelatriade.

—La triade?demanda-t-elleense relevant lentement.Est-cequ’ilsnesontpas,genre,dangereux?

— D’après ce que j’ai entendu, oui. (Je passai les mains autour de lui pour défaire lespremiersboutonsdesachemise.) Jesuisvraimentdésolée,M.Wong.Vraiment, vraiment,vraimentdésolée.

Aprèsenavoirsuffisammentouvertpourparveniràbaisserlachemisesursesépaules,jela retirai délicatement afin d’observer les tatouages. C’était impressionnant, mais ça neressemblaitpasàcequej’avaisvudanslesfilmssurlesyndicatducrimeorganisé,qu’ilsoitchinois ou autre. Il s’agissait bien là de symboles chinois, qui commençaient par une lignehorizontale, sous laquelle une pluie d’autres symboles formaient des lignes verticales detexte.Leseulproblème,c’étaitquejenepouvaispasleslire.

J’étaisnéeavecuneparfaiteconnaissancedetoutesleslanguesjamaisparléessurTerre.Les avantages du métier, je suppose. Et ça comprenait la faculté de lire et écrire danschacuned’entreelles.

Cookiesetenaitunpeuenretraitetm’observaitanxieusement.

—Alors?Ilfaitpartiedelatriade?

—Non.Jeveuxdire,jenepensepas.Jenesaispastropcequ’ilest.Cenesontquedesmots. Des caractères chinois. Mais je ne les reconnais pas. Je suis incapable de les lire.(Unepenséemefrappasoudainetjemetournaiverselle.)Tun’espascenséeêtreentraindetepomponnerpourtonfauxrencard?

Ellesemordillalalèvreinférieure.

—Jesaispastrop,Charley.

— Cook, lui dis-je en remettant la chemise de M. Wong en place au cas où il feraitréellementpartiedelatriadeetpourraitmettreunprixsurmatêteafinqu’onlaluilivredansunpaquetbrunpasse-partout,avantdem’approcherdemonamie.Ilfautquetutesecoues! (Je l’attrapai par les épaules pour lui donner une petite impulsion. Je ne la giflai pas,cependant.Çaauraitétéunpeuexcessif.)Tuenasenvie,tutesouviens?PourdesraisonsqueseulsDieuettoicomprenez,tuenpincespourmononcle.

Elleprituneprofondeinspirationetacquiesça.

—Tuasraison.C’estpoursonbien.

— Tu l’as dit, bouffi. Et ça va être tellement drôle de le regarder bouillonnersilencieusement.Jesuisimpatientedevoirlatêtequ’ilferaqu…

—Charley!

—Maiscen’estpaslaseuleraisonpourlaquellejelefais!Tuasmaparole.

—Tumenstellementmal.

Jegloussaietlaconduisisjusqu’àlaporte.

— Va te préparer pour ton faux rencard. Obie devrait être là vers 18 heures environ.Environ.Onnesaitjamaisvraiment,aveclui.

Elleacquiesçaunenouvellefois,metenditsatassepuistraversalecorridorpourrejoindresonappartement. Je récitaiuneprière rapide, implorantune interventiondivinepour l’aiderdans ses choix vestimentaires, puis retournai vers M. Wong. Quelques-unes des lignesdescendaientjusqu’aubasdesondosetdisparaissaientsoussonpantalon,maisilétaithorsdequestion que jem’aventure là en bas. Il avait le droit de garder aumoins uneonce dedignité.

Jepourraisessayerdedessinerses tatouages,commeje l’avais faitpourM.A.,maisçame prendrait une éternité, et je n’étais vraiment pas douée. Il était l’heure de faire d’unepierredeuxricochets.J’invoquaiAnge,lepetitvoyoudetreizeansquiavaitexigédemevoiràpoilavantd’accepterdedevenirmonenquêteur.J’étaisheureusedepouvoirconfirmerqu’ilnem’avait toujourspasvueentenued’Eveetqu’il travaillait toutdemêmepourmoi.Je luiavaisfaitduchantage.C’étaitmontruc.

—Bonjour,Charley,dit-ilenapparaissantderrièremoi.

Justederrièremoi.

Jem’éloignaietleregardaidelatêteauxpieds.

—Tuestrèspoli,aujourd’hui,dis-jesanscachermaméfiance.Qu’est-cequisepasse?

— Quoi ? demanda-t-il. (Il s’approcha de Sophie, mon canapé, et se laissa tomberdélicatementsursescoussinsconfortables.)Jenepeuxpassaluermafaucheusepréférée?

Oh,waouh.Ilmanigançaitdéfinitivementquelquechose.Jem’approchaideluietmelaissaitombersursonestomacpourl’immobiliser.Puisjecommençaiàlechatouillerjusqu’àcequ’ilmesupplied’arrêter.

—OK,OK!dit-ilenriantcommeungosse.(C’étaitadorable.)Jemerends.

—Pourquoit’esaussigentil?

Commeilhésitaitàrépondre,jeplongeaiunenouvellefoisendirectiondesescôtes.

—Non!D’accord,jevaistouttedire.Jesuisjusteheureux.Mamèrevavraimentbien.

—Ouais, grâce à l’augmentation que je t’ai donnée. Alors, elle amordu à l’hameçon etcroitaucoupdel’onclemortquiluialaissédel’argent?

Ils’essuyalesyeuxquandjelelaissaiseredresser.

—Ondiraitbien.Ellevabeaucoupmieux,maintenant.Quelquechoseachangé.

—Ange,peut-êtrequ’elleestheureuseparcequ’elleacomprisquetuétaistoujoursdanslesparages.

Sonvisages’assombritaussitôt.

—Non,c’estpasça.Jet’aidit,jeveuxpasqu’ellel’apprenne.

—Jesais.Bonsang.Jeneluiairiendit.Maiselles’endoute.Tuenasconscience,n’est-cepas?

Ils’appuyacontreledossieretcaressalefinduvetsursonmenton.

—Jesais.Maistantqu’ellen’enapasconfirmation,elleirabien.

—Commetuveux, répondis-jeenallant fairechauffermoncafé.Jesuiscontentequ’elleseportebien.

—Ouais,moiaussi.

—J’aideuxjobspourtoi.

— D’accord, mais j’ai décidé que j’avais besoin de prendre mes week-ends et desvacances.

—Pourquoi?

—Jesaispas.Çameparaitpasmal.Etj’aibesoind’avantages.

Jerestaiimpassible.

—Cen’estpasunpeutardpourdemanderunecouverturemédicale?

— Non, j’ai besoin d’autres avantages. Comme te voir à poil. Mais de manièreoccasionnelle.Jenesuispastropexigeant.

—Tunemeverraspasàpoil.Bon,tuveuxquejeteparledestrucsàfaire,oupas?

—Biensûr.Pourquoipas?Jesuismort,cen’estpascommesijepouvaisprotester.

Quandjem’assisàcôtédelui,ilplaçaunbrasautourdemesépaules.

—Onpeutsepeloter?

—Non.Tusaisdessiner?

Ilhaussalesépaules.

—J’étaisplutôtbon,àl’époque.Maisjen’aipastenudecrayondepuisàpeuprèstrenteans.

—Maistuarrivesàmanipulerdesobjets,desfois.Jet’aivu.

—Ouais.T’asbesoind’unportraitnu?

—Pourtedirelavérité,oui.

Ilseredressalégèrement.

—C’estvrai?

—Oui.DudosdeM.Wong.

Ladéceptionbarraaussitôtsonmagnifiquevisage.

—Cevieuxtype?Jenesuispassûrquecesoitunebonneidée.

—Pourquoi?

—Jesaispas.Ilest…escalofriante.

—AngeGarza,dis-jeenmepenchantversl’arrièrepourmieuxleregarder.M.Wongn’estpaseffrayant.Pourquoiest-cequ’iltefilelesjetons?

—Jesaispas,illefait,c’esttout.

—Cen’estpasgentil.

—Commetuveux,‘jita.

—Ettunepeuxpasm’appeler‘jita.Jesuisplusvieillequetoi.

Sonbrassetrouvaittoujourssurmesépaules,etuncoindesabouchecharnueserelevademanièrejoueuse.

—Tun’espasplusvieillequemoi.Situmelaissestevoiràpoil,jeteleprouverai.

ÀencroireAnge,lesdéfuntspouvaients’envoyerenl’air.Sérieusement?Est-cequ’ilsenétaient vraiment capables ? Il était hors de question que j’obtienne la réponse à cettequestionavecunadodetreizeans.

—Tunemeverraspasàpoil.J’aibesoinquetudessineslestatouagessursondos.

— Je veux bien essayer, mais je ne pense pas que ça lui plaira. Il est peut-êtrechatouilleux.

Jepinçailabouchepoursignifiermadésapprobation.

—Jenesaispasquoifaired’autre,àmoinsquetun’arrivesàluiparleretàdécouvrirquiilest.

—Jet’aidéjàditquejen’étaispaslananadeGhostWhisperer.Etsi tuvoyaiscequejevois,tunevoudraiscertainementpassavoirquiilest.

Jemeredressaid’unbond.

—Pourquoi?Qu’est-cequetuvois?

Jemerappelaialorsque,quandj’avaisétéblesséeetpratiquementbrûléevive, j’avaisvulanoirceurdeReyes,lesflammesquil’engloutissaientperpétuellement,lescitatricesdesonpassé.Reyesm’avaitexpliquéquejeleregardaisdepuisunautrepland’existence.Ilfaudraitquejemesouviennedecommentj’avaisfaitça.

JeposailesyeuxsurM.Wongetmeconcentrai.Puisplissailesyeux.Etlesplissaiencoreplusjusqu’àcequ’ilsetransformeenpetitetachegriseetfloue.

—Çafonctionne?demandaAngeenriantmalgrélui.

Jejetail’épongeensoupirant.

—Non.

— Tu es la putain de Faucheuse. Tu peux tout faire. T’as juste pas encore compriscomment.

—Disvoir,commentçasefaitquetuensachesplusquemoi?Est-cequemesfacultéssont,disons,denotoriétépubliquechezlesdéfunts?

—Non,répondit-ilenhaussantlesépaules.Maisdisonsqu’onapprenddeschosesquandonmeurt.C’estunpeucommeuneformationsurletas.

—C’estpareilpourmoi.Alors,quoi,parexemple?Dequoisuis-jecapabledont j’ignoretout?

—Jetel’aidit.Àpeuprèstout.

—Çam’aidetellement.Merci,dis-jeenjetantunenouvellefoisl’éponge.Qu’est-cequetuvois?

IltournalatêteversM.Wong,l’étudiaunlongmoment,puisdit:

—Dupouvoir.

J’écarquillailesyeux.

—Dupouvoir?Qu’est-cequetuveuxdireparlà?Quellesortedepouvoir?

— C’est tout. Juste du pouvoir. Il faudrait que tu voies pour comprendre.Me da malaespina.

Ehbien,çaallaiténormémentm’aider.

—Quelque chose de grave se prépare, hein ?Quand est-ce que ce n’est pas le cas ?J’aimeraisquetuessaiesdedessinerlestatouagesqu’iladansledossurdupapierdèsquetupeux.

Jeluidésignaimoncarnet.

—D’accord.Lecrayonmepasseraprobablementàtravers lesdoigts,maisonpeutfaireletestmaintenant,situveux.

—Non.Là,tuasunautretrucàfaire.

—OK.Jesuispayéunefoisetdemipourlesheuressup,c’estbiença?

—Non.J’aibesoinquetuaillesjeteruncoupd’œilàundémonquisefaitpasserpourunhomme.

—J’aimepaslesdémons.

—Moinonplus.

—C’estmarrant,ça,danslamesureoùtucouchesavecl’und’eux.

—Reyesn’estpasundémon.

—Continueàtebercerd’illusions,mijita.C’estleplusconnudetous.

—Bon,tuvassurveillercetype?

—Biensûr,maistunepourraspasdirequejenet’avaispasprévenuequandleprincedel’enferseretourneracontretoietdécideradetransformerlemondeenbrasier.

—Çamarche,répondis-jeenmeforçantàsourire.

Chapitre5

Jesuisiciuniquementpourmefournirunalibi.

Tee-shirt

J’indiquaiàAngeoùtrouverleDealerenluidemandantdesimplementsefaireuneopinionsurlepersonnage.Etsursespouvoirs.

—Maisnet’approchepastrop,ouilmangeratonâmeenguisedehors-d’œuvre,avais-jeajouté,cequiluiavaitfaitleverlesyeuxauciel.

Parfois, ilsecomportaitcommeunevraiedramaqueen.JemeremisàétudierM.Wong.Dupouvoir.Jenelevoyaissimplementpas.Duff!

Jemeredressaienunéclair.QuandDuff,undéfuntquim’avaitsuivieà lamaisondepuisunbarunbeausoir-longuehistoire-avaitvuM.Wong,ilavaitsemblé…surpris.Commes’ille connaissait. Ou le reconnaissait. Mission du moment : trouver Duff Je me rendis àl’appartementdans lequel ilvivait. Ildéménageaitsouvent,mais, ladernièrefoisqu’onavaitparlé, ilm’avaitditêtre retournéchezMmeAllen,auboutducouloir.ElleavaituncanichevicieuxdunomdePP.À ladéchargedePP,cependant, ilavaitessayédesebattrecontreunemeutededémonspourmevenirenaide.Depuis,j’avaisunpetitfaiblepourlui.

JefrappaichezMmeAllen,attendisunpeuetfrappaidenouveau.PPaboyaitcommeunfoufurieuxdel’autrecôtédelaporte,maisil fallutunmomentàMmeAllenpourfranchir ladistancequi la séparait de lapoignée,bienquesonappartementait étéaussi petit que lemien.

Elle entrebâilla la porte, sans retirer la chaine de sécurité, jusqu’à ce qu’elle mereconnaisseetlaretirepourmelaisserlaplaced’entrer.

—Bonjour,Charley,dit-elle,etjeremarquaiaussitôtqu’ellen’avaitpasmissondentier.

—Bonjour,MmeAllen. (Je n’avais pas pensé à une excuse pourma visite.) Euh, jemedemandaisjustecommentseportaitvotre…vosradiateurs.Lesmiensnefonctionnentplus.

—Mesradiateurs.(Ellemetirapratiquementàl’intérieur.)C’estatroce.Ilsnefonctionnentjamaiscorrectement,etcepauvrePPestfrileux.Çamebriselecœur.

Elleboitillajusqu’àsonthermostat.

—Vousvoyez?Ilestréglésurvingt-quatre,et jesaisqu’ilnefaitpasplusdevingt-troisdegrésici.

—D’accord,répondis-jeencherchantDuffduregard.

Acequ’on racontait, jepouvais invoquern’importequeldéfunt,comme je le faisaisavecAnge,maisjeneconnaissaispasvraimentDuff.Jen’avaispasenviedel’arracheràcequ’il

étaitentraindefaire.Maintenantquej’ypensais,quefaisaientlesdéfuntsdeleursjournées?

—Duff?murmurai-jeenenjambantPP,quigrognaitcommeundément,pourmedépêcherd’allerjeteruncoupd’œilparlaporteentrebâilléedelachambreàcoucher.

Nada.

—Et le fourn’a toujourspasétéréparé.J’enaiparléàcebonàriendeconcierge ilyadessemaines.

Jemeretournaiverselle.

— Votre four ne fonctionne pas ? (J’essayai de ta rejoindre, mais je dus de nouveauenjamberPP. Je jetais un regardnoir au seul et unique crocqui dépassait de sonhorriblemuseau.)Direquej’aicruqu’onétaitpotes,toietmoi.

Il aboya après moi pour s’assurer que j’arrêterais de me faire de fausses idées. Petitemmerdeurvicieux.

Personnedansl’immeubleendehorsdeReyesetdeCookie-pasmêmeleconcierge,M.Z.-nesavaitquej’étaisl’heureusepropriétairedecetaudis,doncMmeAllenignoraitqu’elles’adressaitàlapersonneresponsabledetouteslesréparations.

—Non,m’dame.Ilnefonctionnepas.Vousvoyez?(Ellemittouteslesplaquesenmarched’uncoup;aucunenes’alluma.)Commentsuis-jecenséefairemonragoût?

—Ehbien,jen’ensaistroprien,maisjevaisenprendrenoteetallerenparleràM.Z.

—Cefainéant.Ilneferarien.

C’étaitsurlepointdechanger.J’allaism’enassurer.

—D’accord,ehbien,merci.Jevoustiendraiaucourantdecequejedécouvre.

—Merci,machérie.PPvousatoujoursappréciée.

PP recommença à aboyer aprèsmoi et continua jusqu’à ce que je n’en puisse plus. JesortisprécipitammentetallaijusquechezCookie.JesavaisqueDuffyavaitpassédutempségalement. Jene l’avais jamaisdit àCookie.Çan’aurait fait que l’inquiéteret,mêmesi çaauraitététrèsamusant,jen’avaispasenviequ’ellesursautedèsqu’elleentendaitdubruitenpensantqu’ils’agissaitd’undéfunt.Sonimaginationauraitsurchauffé.

J’entraisansfrapper,sousprétextedevoircommentelles’ensortait.Ellesetrouvaitdanssa chambre, occupéeà changer d’habits et, si j’en croyais l’état de sonarmoire et de sestiroirs,ellen’avaitpasarrêtédepuisqu’elleétaitpartie.

— Je n’ai absolument aucune idée de quoi porter, dit-elle en jetant une jolie chemisebordeauxparterre.

—Ça,çaauraitététrèsbien.

—Non,jen’aimepaslamanièredontelletombe.

—Commentelletombe?

—Mal.Qu’est-cequetupensesdeça?

—Tunedevrais probablement pasporter de l’orangeet du violet enmême tempsàun

premierrendez-vous.Maisjenefaisquepenseràhautevoix.

—Maisc’estunfauxrencard.Quis’ensoucie?

Elleattrapaunverredontellevidalamoitiéducontenuavantquejemerendecomptequ’ils’agissaitd’alcool.

—Cookie,bonsang,qu’est-cequetubois?

—Jeviensdefairedelamargaritaglacéeaveclamachineàgranitéd’Amber.Nemejugepas.

J’étouffaiunpetitrireetregardaimamontre.

—Oh,monDieu!ilestpresque18heures.

—DouxJésus.Çafaitdesannéesquejen’aipaseuderendez-vousgalant.

CookieposasonverreetseremitàessayerdesblousestandisquejecherchaisDuff,quiétaitinvisibleiciaussi.Ellejetaitsacinquièmechemiselorsquejerevins.

—Qu’est-cequin’allaitpasaveccelle-ci?

—Lacouleur.Tuviensdedire…

—D’accord,d’accord.Mais,àcerythme,tuserasprêteen janvier.Bouge-toi lesfesses,miss!

Ellemelançaunregardnoir.C’étaitdûàl’alcool.J’enétaispersuadée.

—Hey, tuasdes trucsquiontbesoind’être réparésdans tonappartement?Jesuisentraindefaireuneliste.

—Oh.(Elleseredressaetcommençaàénumérerunelisteencomptantsursesdoigts.)Monfrigofaitundrôledebruit.Lerobinetdelasalledebainsaunefuite.

—Attends.(Jecourusjusqu’àmonappartementetrevinsavecdupapieretunstylo.)OK,alorsfrigo,robinet.

—Oui,et leparquetdusalongrince.Lafenêtred’Amberlaisseentrerpleind’air froid.Leplafondabesoind’êtrerepeintdepuiscettepiscine-partydésastreusequetuavaisorganiséesurletoit.

—Cen’étaitpasmafaute.Etc’étaitunepiscinepourgosses,pourl’amourduciel.

—Ah,etcesbarresmachinchosesdansmonarmoireontbesoind’êtrerefixées.

—Barresmachin…dansl’ar…moire,répétai-jetoutenprenantdesnotes.Ceseratout?

—J’yréfléchiraiencore.J’avaisoubliéquetueslanouvellepersonneresponsabledetoutça.(Elleclignadesyeux.)C’estassezeffrayant,quandonypense.

—Tum’endirastant.

Je visitai le reste des appartements en prétextant établir une liste de choses à réparerpourlenouveaupropriétaire.Aprèsêtrepassécheztousceuxquiétaientàlamaison,cequinereprésentaitquelamoitiédes locataires-etsanscompterunefemmeaupremierétagequi s’évertuait àm’appelerBertie et àme lancer des nouilles à la figure -, j’avais une listed’environsoixante-douzechosesquidevaientêtreremisesenétat.Soixante-douze!Lefait

d’être propriétaire pourrait vite devenir pénible. Heureusement, j’avais unmec qui était detouteévidencebourrédetune.C’étaitluiquim’avaitachetél’immeuble.S’assurerdelasantédesoncadeauétaitlemoinsqu’ilpouvaitfaire,àmonhumble-maistrèséclairé-avis.Saufquec’étaitM.Z.quidevraitsechargerdesréparations.

Jefisunedernièrehalteàsonappartement,quisetrouvaitégalementaupremierétage.Ilavaitprobablementparlédemoiàcette femme.Jene l’avais jamaisvueauparavant.Peut-êtrequ’ils’agissaitd’unereclusequin’aimaitpasquelesgensenvahissentsonterritoire.Jepouvaistoutàfaitcomprendreça,maisquiétaitBertie?

Malgrémoncircuit,aucunetracedeDuff.Jecommençaisàm’inquiéterdedevoirl’invoquerqu’illeveuilleounon,mais,d’abord,j’avaisbesoindevoirleconcierge/manutentionnaire.M.Zamoraouvritlaporteensalopetteettee-shirtgris.Latélévisionbeuglaitderrièrelui.Aulieudemesaluer, ilpinça labouche-cellequise trouvaitpilesousunemoustache touffue-poursignifiersonagacement.Jen’attendispas.

—Hey,MonsieurZ.J’aiunelistede…

Ilmeclaqualaporteaunezavantquej’aieletempsdefinir.Aunez!

Jerestaiinterditependantunbonmomentavantd’essayerdenouveau,frappantplusfortcettefois-cipourluifairecomprendrequejenem’eniraispas.

Ilrouvrit,meregardadehautenbas,puisfitminederefermer.

Jemisrapidementmabottedansl’embrasurepourl’enempêcher.

—Ce ne sont pasmes horaires de travail, dit-il en ouvrant la porte en grand. Vous nevoyezdoncpasquejesuisentraindediner?

Jeregardaià l’intérieuret,évidemment,unfestindigned’unroiétaitposésur latable.Silesroisétaientfansdehot-dogsetdechips.

—Jesuisdésoléedevousdéranger,maisj’aiunelistederéparationsquiontbesoind’êtrefaitesdansplusieursappartementsdel’immeuble.

— Ah, ouais ? dit-il enme prenant la liste desmains. (Il la parcourut des yeux, puis lachiffonnaetlalançasurmoi.)Jenepeuxfaireaucuneréparationsansavoiruneautorisationpréalable.Vousdevezpasserparlagérance.

La boule de papier m’avait atteinte en pleine poitrine et, après m’être remise de sonimpolitesse, je décidai de porter plainte. Je plaquai lesmains surmon torse etmepliai endeux,gémissantdedouleurtandisqu’ilm’observait.

—Vous avez terminé ? demanda-t-il, pas ému lemoins dumonde. C’est l’heure demasérie.

Jesautillaipourvoirpar-dessussonépaule.IlregardaitunerediffusiondeBreakingBad. Ilavaitaumoinsdebonsgoûtsenmatièredetélévision.

—J’adorecettesérie,luidis-je,essayantdelorgnerderrièreluipourreconnaitrel’épisodequipassait.J’emmènetoujoursMiseryàleurstationdelavageauto.

—Doncvousallezbien?Vousnevousêtespascoupéeavec lepapier?Est-ceque jedevraisappeleruneambulance?

—OK, si c’est commeçaquevousvoulez vouscomporter, pasdeproblème.Décrivez-moijustelaprocédureexactepourquelesréparationssoientfaites.

Jeramassailepapieretessayaidel’aplatircontremonventre.

—Jevousl’aidit.Vousdevezpasserparlagérance.Jetravaillepoureux,maintenant.Eteuxtravaillentpourlepropriétaire.

—Jenecroispasquevousdevrieztraiterleslocatairesdecettemanière.

—Dequellemanière?demanda-t-il,vexé.Jemepenchaiverslui.

—Enleurclaquantlaporteaunez,parexemple.

—Cenesontplusmesheuresdetravail,jevousl’aidit.

— Ça n’a pas d’importance. Ce sont des locataires. Ce sont eux qui financent votresalaire.Ilsméritentunpeuderespect.

—Ecoutez,Charley.Sivousvoulezdurespect,ilfaudraitégalementenfairepreuve.

—Quoi?demandai-je,vexéeàmontour.Quandest-cequejevousaimanquéderespect?

Ilbombaletorse.

— Vous êtes bruyante. Vous organisez des fêtes. Vous invitez des gens louches àn’importe quelle heure.Et vousme surnommezM.Moustache dansmondos.On dirait lenomd’unputaindechat.

—C’est totalement faux.Jevousappellecommeçaen faceaussisouventque je le faisdansvotredos.Etçafaitdesmoisquejen’aipasorganisédefête.

Ilpinçaleslèvres.

— Ça ne change rien au fait que vous devez suivre la procédure pour que je réparequelquechosesurcette liste.Mais jedoisvousmettreengarde.Nousavonsunnouveaupropriétaire.Jenesaispastropcequ’ilferadetoutça.

Ildésignamaliste.

—Jenesaispasnonplus.

Jen’yavaispas songé. Ilme faudrait un fondsde roulement. J’avaisbesoinqu’un vieuxpleinauxasm’entretienne.OuReyesFarrow.Peuimporte.

—Trèsbien,dis-jeenpliantma listeavantde la fourrerdansmapoche.J’irai trouver lenouveaupropriétairedirectement.

—Vousleconnaissez?demanda-t-il,surpris.

Bien sûr, il pensait que le nouveau propriétaire était un homme. Reyes avait achetél’immeuble avant de faire changer l’acte de propriété à mon nom, chose qui me laissaittoujoursperplexe.M’offrirunimmeubleétaitcommeoffriruneentreprisefigurantdanslalistedes«Fortune500»àungamindedouzeansenluidisant:«Maintenant,occupe-t’en.»

— Bien sûr, et je prévois de lui raconter en détail la manière dont j’ai été traitée iciaujourd’hui.

—Ouais?Danscecasjeluiraconterailecoupdel’autruche.

J’ouvrislaboucheengrand.

—Çanes’estproduitqu’unefois!Etelles’enestsortie.

—Hmm,mmm.Jepeuxfinirmondiner,maintenant?

—Oui.

Je fis demi-tour et partis en faisant degrandesenjambéespour luimontrer à quel pointj’étais en colère. Autruche, mon cul. Elle se portait comme un charme après que levétérinaireluiavaitretiréleTupperware.

J’appelaiDufftandisquejemerendaisàl’appartementdeReyes,espérantquecedernierserait déjà rentré du boulot. Fichu défunt. Un coup je ne pouvais pas l’empêcher de mesuivrecommemonombre,etensuiteilétaitimpossibleàretrouver.Unvraifantôme.

Je frappai à la porte deReyes en riant àma propre blague. Il fallait bien que quelqu’untrouve ça amusant, et j’étais un peu la seule personne àme comprendre. Jemenais uneexistencesolitaire.

Laportes’ouvritsurunReyesquisemblaitagacé.Qu’est-cequej’avaisencorefait?

—Salut,luidis-jeenvironunedemi-secondeavantqu’ilnemeclaquelaporteaunez.

Nomde…Jefrappaidenouveau,assezfortpourfairetremblerlaporte,cettefois-ci.

Il l’ouvrit en grand et s’appuya contre le chambranle avant de croiser les bras. Cetteposition lui plaisait beaucoup. Le fait que cette position lui plaisait beaucoup me plaisaitbeaucoup.

—Enquelhonneurt’asfaitça?demandai-je.

—Pourquoitun’aspasutilisélaclé?

— Parce que. (J’y avais réfléchi, mais j’avais toujours de la peine à débarquer sansprévenir.Jeluitendislaliste.)Jepensaisquetuétaisautravail.

—Étais.Jen’ysuisplusactuellement.

— Un homme de peu de parole. Eh bien, j’en ai quelques-unes de plus pour toi. (Jepoussailalistedansunedesesmains.)J’aibesoind’unfondsderoulement.

Ilparcourutlalisteduregard.

—Qu’es-tuprêteàfairepourqueMmeAllenobtienneunnouveaufour?

—SautersurplaceenchantantIfeelpretty?Qu’est-cequej’ensais?Onparled’unfour.

— J’aurai besoin d’un programme de motivation si tu veux que je débourse autant deliquide.

Jemeretinsderire.

—Unprogrammedemotivation,hein?Dis-moi,combienvautunfour,denosjours?

—Çadépend.Tuasununiformed’infirmière?

Jehaussaiunsourciltaquin.

—Non,maisj’ailecostumed’esclavedelaprincesseLeia.

Une faim dévorante traversa son regard. Ce qui fit naitre une douce chaleur dansmonventre,etseulementenpartieparcequ’ilsavaitàquoiressemblaitlecostumed’esclavedelaprincesseLeia.

—Ça fera l’affaire, dit-il. Et tout le reste est déjà pris en charge. (Il me rendit la liste.)Donne-lesimplementàlagérance.

—Ilsnevontpasmefairecourirdanstouslessens?

—Pass’ilssouhaitenttestertagérance.(Ilmarquaitunpoint.)TutienstoujoursàrendrevisiteauDealer?

Tandis qu’il parlait, une ombre attira mon attention. Parfois, les troubles du déficitd’attentionétaientunebonnechose.JemeretournaiàtempspourvoirDuffapparaitreprèsdemaporteavantdedisparaitretoutaussirapidement.

—Ne bouge pas, dis-je àReyes alors que je tournais surmoi-même pour observer lesenvirons.Duff!Montre-toitoutdesuite!

Ilm’obéit,maissematérialisaàl’autreboutducouloir.

—Qu’est-cequetufiches?

—R-r-rien.M-m-mebalade,répondit-il,sonbégaiementplusprononcéqu’àl’accoutumée.

Maiscen’étaitpasmoiqu’il regardait. IlsurveillaitReyeset ressemblaitàun lapinprêtàdéguerpir.

—Écoute,dis-jeenmarchantdanssadirection, j’ai justequelquesquestionsà teposer.Tuveuxbienvenirparici?

—J-jev-vaisresterici.Mercib-beaucoup.

Qu’ilétaitadorable.

—Jet’enprie.Maissérieusement,j’aibesoindeteparler…

J’esquissais un geste en direction de ma porte lorsque je remarquai l’air renfrogné deReyesdanslapériphériedemonchampdevision.Jemetournaiverslui.

—Qu’est-cequetufabriques?

—Commentça?

—T’esentraindel’intimider.

—Jesuisimmobile.

—Oui,demanièreintimidante.

Uncoindesaboucheserelevademanièrejoueuse.

—Etcommenttuvoudraisquejemetienne,aujuste?

—Pourcommencer,tupourraisarrêterdeluijeterunregardnoir.

IlposalesyeuxsurDuff,demanièrelenteetmenaçante,puisdit:

—Maisc’estmarrant.

— Reyes Alexander Farrow. (Je marchai jusqu’à lui.) Tu pourrais être sympa avec lesdéfuntsoupas?

Ilbaissalatête,faussementpénitent,puismeregardasousseslongscilsetdit:

—MaisDufficiprésentn’estpasn’importequeldéfunt,n’est-cepas,gamin?

Illuijetaunautreregardglacial,etDuffdisparut.

—Mince,à la fin,dis-jeendonnantuncoupdu reversde lamainsur l’épauledeReyes.D’oùtuleconnais?

—Duffetmoisommesdevieuxamis.Ilvenaitmerendrevisiteenprison.

—Quoi?(Jelançaiunregardenarrièrepar-dessusmonépaule,maisleprincipalintéressén’étaitpasréapparu.)Pourquoi?

—Ilmesurveillait.

IItenditlamainetfitcourirsesdoigtslelongdemonflanc.

—Pourquoiaurait-ilfaitça?demandai-je.

J’étaistoujourshorsducoup.

—Ils’inquiétaitpourtoi.Ondiraitqu’ilaunsacrébéguin.

Ehbenditesdonc.Sérieusement?

—C’est un défunt, Reyes. Ce n’est pas comme si on pouvait réellement entretenir unerelation.

— Si un humain pouvait avoir une relation avec un mort, ce serait toi. Et il en estparfaitementconscient.

Ilglissaundoigtdanslaboucledemaceintureettira.

—Reyes,ilestinoffensif.Soissympaaveclui.

Il posaunemaindans lecreuxdemes reins.Sachaleurétaità la limitedusupportable.Elle imprégnaitmapeauetmescheveuxetmedonnait la chair depoule.C’était tellementexcitant.

— C’est un des trucs qui me plaisent chez toi, dit-il en attrapant une mèche de mescheveuxqu’ilfitglisserentresesdoigtspouressayerdem’attirercontrelui.Tonincapacitéàvoirlemalchezlesgensavantqu’ilnesoittroptard.

Ilflirtaitdemanièreéhontée,unpeucommes’ilessayaitdechangerdesujet.

—TuessaiesdemedirequeDuffn’estpasquelqu’undebien?

—Jedisquetuestropbienpourlui.

Jelelaissaifinalementm’attireràluietsepressercontremoi.

—Jesuistropbienpourtoiaussi,jetesignale,luifis-jeremarquer.

Ilnemorditpasàl’hameçon.

—Jesuisentièrementd’accord,répondit-il,unesecondeavantdesepencherpourposersabouchecontrelamienne,noussoudantl’unàl’autre.

Ilenroulasesbrasautourdemoietmeretintcommeunétau.Sachaleurétaitcinglanteetirréelle à la fois, et je la ressentais jusqu’àmes orteils. Il mit fin au baiser et memordillal’oreille.

—Jecroisquec’estunebonnechoseque tupuissesavoirune relationavecundéfunt,dit-il.

—Pourquoiça?

—Onpourracontinueràsevoirunefoisquejeseraimort.

Je tentai de reculer pour le regarder, mais Reyes accéléra le mouvement de manièredrastique.Enuninstant,jemeretrouvaiplaquéecontrelemur,leslongsdoigtsd’unedesesmains retenantmes poignets au-dessus dema tête alors que l’autre se glissait sousmonpull. Elle remonta le long de ma taille, puis de mon dos, et suivit la ligne de ma colonnevertébrale.

—Tucherchesunpoint faible?demandai-jedoucement,parfaitementconscientedesonpenchantpoursectionnerlesmoellesépinières.

—Jeconnaisdéjà tespoints faibles, répondit-ilavantd’étayersesproposenglissantsamainsousmonsoutien-gorgepourprendreWillRobinsonencoupe,pinçant légèrement letéton.

L’excitationmesubmergeasirapidementquelemondetangua.

—Etjesaisexactementoùchercher,continua-t-il.

Ilm’écartalesjambesàl’aidedesahancheetsecollacontremoi.Lafrictiondenosjeansprovoquaunechaleurincendiairedansmonbas-ventre.

Jedégageaiundemespoignetset plaquaiunemain sur ses fessesd’acierpour l’attirerencore plus près. Un feulement rauque lui échappa. Le son se réverbéra contre mes os,roulant sous ma peau comme une lame de fond. Et, comme la lame, il m’engloutit toutentière.

Quelqu’un-unhomme-seraclalagorge.

Ilmefallutquelquessecondespourremarquerquenousavionsdelacompagnie.Lorsquecefutfait,jerelâchaiReyesensursautant.

—OncleBob,dis-jeenlissantmeshabitsetenmeredressantpourluifaireface.Tuesenavance.

—Enfait,jesuisenretard.

Ilrestaimmobileàmeregarder,danssoncostumebrun,lenœuddesacravatedesserré,l’airàlafoismalàl’aiseetsursesgardes.

Jejetaiuncoupd’œilàmamontre.Ilétait18h10.

—Oh,wow,j’aidûperdrelanotiondutemps.

—Sûrement,dit-ilavantdeleverlesacqu’ilportail.Tuasfaim?

—Jesuisaffamée.(Jejetaiuncoupd’œilàReyes,quiaffichaitdenouveauunregardnoir,cettefois-cidestinéàoncleBob.)Ettoi?luidemandai-je.Tuveuxtejoindreànous?

—Non,merci,répondit-ilenreculantendirectiondesonappartement.(L’airfroidsefaufilaentrenouslorsqu’ils’éloigna.)J’aimangéaubar.

—D’accord,ehbien,est-cequ’onpourraitparleraffairesplustard?

Le tournoinecommençaitpasavant21heures,nousaurionsdonc tout loisirde trouverun plan brillant qui nous permettrait à tous les deux de rester en vie. Et, avec un peu dechance,degardernosâmeségalement.

Jen’avaisaucuneenviequ’undémonsenourrissedelamienne.

Letimingd’oncleBobn’auraitpaspuêtreplusparfait.Pileaumomentoùonseretournaitpour rejoindremon appartement, le rencard deCookie apparut en haut de l’escalier et sedirigea droit vers la porte de Cookie pour y frapper. Oncle Bob s’arrêta net. Il examinal’hommedusommetdesacoupedecheveuxparfaiteàlapointedeseschaussuresvernies.C’étaitmarrant.Apeuprès.D’uncôté,j’avaisdelapeinepourlui.Del’autre,c’étaitsafaute.Cookien’allaitpaspassersavieàl’attendre.Elleavaitbesoinqu’onluifassedescâlins.

L’hommesetournadansnotredirectionpendantqu’ilattendaitCookie.Jeluiadressaiunclin d’œil. Barry était un vieil ami de lycée. On avait suivi quelques cours ensemble,notamment un sur le jazz. On s’était rapprochés parce que, quand on avait commencé,aucundenousn’aimaitparticulièrementcegenremusical,maisonavaitapprisàl’apprécier.Particulièrementsonhistoire.

J’avançai versma porte et tournai lentement la poignée, prenantmon temps, attendantqueCookiearrive.Commeellen’ouvraitpastoutdesuite,jecommençaiàm’inquiéter.Maislorsqu’elle le fit, toutesmespeurss’évanouirent.Elleétaità tomber.Elleportaitun tailleurbordeauxavecunchâlecrèmejeténégligemmentautourdesesépaules.Siçan’attiraitpasl’attentiond’oncleBob,riennelepourrait.

Ce dernier mit un point d’honneur à parler plus fort que nécessaire. Il me demanda denouveausij’avaisfaim.

Jericanaietrépondis,toutaussifort:

—Ehbien, oui, oncleBob.Comme je te l’ai dit il y aquelques secondesquand tum’asposélaquestion.Maismercidurappel.

—Oh,salutCookie,dit-ilenfaisantsemblantdenelaremarquerqu’àcetinstant.

Commesisesyeuxn’étaientpassortisdeleursorbitesàlasecondeoùil lesavaitposéssurelle.Ilétaittellementmauvaisenflirt.

Cookieluiadressaunsourireradieuxtandisqu’elleserraitlamaindeBarry.

— Salut à vous, Robert. Je vois que vous avez apporté le diner. Je suis désolée demanquerça.

OncleBobmesuivitàl’intérieuretmanquadetrébuchersurlepasdelaporteaumomentoùjefaisaishaltepourluilaisserplusdetemps.Ilseraclalagorgedemanièreembarrasséeetrépondit:

—J’ensuiségalementdésolé.

Barry laconduisitvers l’escalier,prenantsamaintandisqu’ilscommençaientàdescendreles marches. Ce qui n’échappa pas à oncle Bob. Il allait finir par se briser la nuque en

essayantdelessuivredesyeuxjusqu’àl’étageinférieur.

—Alors,qu’est-cequetusaisausujetdepapaquej’ignore?

Il sortit deux barquettes du sac : une remplie de spaghettis et l’autre de lasagnes. Jesautaisurlesspaghettisavantqu’iln’aitletempsdelesatteindre.

Ilhaussalesépaules,pritseslasagnes,etsedirigeaversmatabledecuisine.

— Je n’en sais probablement pas beaucoup plus que toi. Mais j’ai remarqué unchangementnetdanssoncomportement.

Je regardai oncle Bob, pas vraiment sûre de ce qu’il était en train de faire. Puis je prisconscience qu’il utilisait ma table de cuisine dans le but pour lequel elle avait été créée.Étrange.

—Merci,Sherlock. J’aurais pu te le dire également.Son combat contre le cancer et sarémissionsoudaineontfaitquej’aitrouvésondépartenvoyageplausible.Iladitqu’ilvoulaitapprendre à naviguer. Mais Denise n’a pas l’air de cet avis. Qu’est-ce qu’il pourrait bienmanigancer?

J’allaim’asseoirprèsd’oncleBob.C’étaitbizarre.Jen’avais jamaismangéàma tabledecuisine.C’étaitunenouvelleexpérience.

—Jedétestefairedessuppositions,répondit-iltandisqu’ilpoignardaitseslasagnes.Mais,sijedevaisessayerdedeviner,jediraisqueçaaquelquechoseàvoiravectoi.

—Moi?Pourquoimoi?

J’enroulaidesspaghettisautourdemafourchette.

—Tun’aspasremarquéque,aprèstout lemalqu’ils’estdonnépourtefairearrêterafinquetuquittestonjobdedétectiveprivée,ilalaissétomberplutôtfacilement?

—J’airemarquéqu’ilavaitessayédemetirerdessus.Leresteestunpeuflou.

— Je trouve juste que tout ce qu’il a fait dernièrement est plutôt louche. Si je ne leconnaissaispas, jediraisqu’ilenquêtesurquelquechose. Ilagissaitsouventde lasorte,àl’époque.Ilcommençaitàsemontrertrèssecretquandilétaitsurunepistealléchante.Surladéfensive.Çafaitbienlongtempsquejenel’aipasvucommeça.

— Mais sur quel genre d’affaire est-ce qu’il pourrait travailler ? Il n’est même plusinspecteur.

OncleBobreposasa fourchetteetm’offrit toutesonattention.Cequisignifiaitqu’ilallaitprobablementmedirequelquechosequejen’avaispasenviedesavoir.

—Disonssimplementqu’ilaposébeaucoupdequestionsausujetdetonpetitami.

Jereposaimafourchetteàmontour.

—Reyes?Pourquoidiableenquêterait-ilsurReyes?

— Je ne sais pas, ma puce. Je me trompe sûrement. Alors, comme ça, Cookie a unrendez-vousgalant?

Enfin.Jemedemandaisquandilallaitlamettresurletapis.

—Ouais.Jecroisqu’elles’estinscriteàundecessitesderencontresenligne.Deceque

j’aicompris,elleabeaucoupdesuccès.Elleaunrencardtouslessoirs,cettesemaine.

—Avecuntypedifférentchaquefois?demanda-t-il,horrifié.

—Avecuntypedifférentchaquefois.

Aprèsça,oncleBobsemblaperdrel’appétit.Iltouchaàpeineàseslasagnesetpartitavecuneexpression sombre.Onavait de toute évidence réussi à le faire réfléchir, songer à ceque son attitude négligente envers une délicieuse créature comme Cookie lui coûtait. Àprésent, jenedevaismeméfierplusqued’unechose: lamanied’oncleBobd’enquêtersurtout.S’il se rendait comptedecequ’onétait en trainde faire, ilmedéshériterait.Et ilmevendraitprobablementàuncomteroumain,ensuite.

Chapitre6

Parfois,jeluttecontremesdémonsintérieurs.

Lerestedutemps,onsefaitdespapouilles.

Autocollantdevoiture

Duffpointafinalementleboutdesonnezaprèsledépartd’oncleBob.Ilsemblaitgêné,etjemedemandais’ilavaitentenducequeReyesavaitditàsonsujet.Qu’ilétaitmauvais.Maisà quel point pouvait-il vraiment l’être ? Si j’avais bien compris, lorsque quelqu’un étaitréellementmauvais,ilallaitdirectementenenferaumomentdesamort.AlorspeuimportaitcequeReyesavaitdit,Duffnepouvaitpasl’êtreautantqueça.

—D-désolépourtoutàl’heure,fit-il,honteux,latêtebaissée.Jenev-voulaispasp-partirenc-courant.Reyesetmoinen-nousentendonspasvraiment.

—Reyesnes’entendpasavecbeaucoupdemonde,répondis-je.

Jem’étaispréparéducafé,et j’étaisen traindem’enverserune tasseaumomentoù ilétait arrivé. J’aurais besoin de toute l’énergie que je pouvais trouver pour faire face à ceDealer.Quiétaitunnomvachementcool.N’importequeldémonquisenourrissaitdesâmesdurementgagnéesd’êtreshumainsneméritaitpasunnomcool.C’étaitcommesi lapressedonnaitdesnomssympasauxtueursensérieetauxterroristes.Ilsn’avaientdroitàrienquiétaitcool,àmonavis.Etj’enavaisbeaucoup,d’avis.

—Reyesm’aditquetuavaisl’habitudedeluirendrevisiteenprison.

Si jen’avaispasétéparfaitement conscientedu fait queDuff n’avait pasdesangqui luicoulaitdanslesveines,j’auraisjuréqu’ilvenaitderougir.

—Oh,ç-ça.Jeles-surveillaisseulement.

—Pourquoi?demandai-jeenallantmerasseoiràmatabledecuisine.

C’étaitsympa,danslecoin.Jemesentaiscommechezmoi.

Ilcourbalesépaules,incapabledemeregarder.

—P-parceque.Ilvenaits-sansarrêttev-voir.

Saréponsemedérouta.Stupéfaite,jedemandai:

—Tuveuxdire,demanièreincorporelle?

—O-oui.Iln’auraitpasdû.

—Pourquoiça?

—P-parcequecen’estp-pasquelqu’undebien.

Intéressant.

—C’estmarrant.Ilditlamêmechoseàtonsujet.

Lasurpriseluifitreleverlatête.

—Ilnemec-connaitpas.Iln’étaitp-paslà.

Çadevenaitdeplusenplusintrigant.

—Iln’étaitpasoù?

—Chezm-moi. Là où ça s’est p-passé.Mais, à cause de ça, ilsm’ont pris, et c’est c-comme ça que j’ai r-rencontré Rey’aziel. J’ignorais que c’était le fils du d-diable à ce m-moment,parcontre.C’étaitjusteunp-prisonnier.Commemoi.

—Tuétaisenprison?demandai-je,prisedecourt.

Onvoyaitàsonexpressionqu’ilattendait,ouplutôtespéraitque lemondeallait finirparl’avaler.Sesépauless’affaissèrentencoreplus.Ilrentralementondehonte.

—O-oui,Charley, j’étaisenp-prison. Je savaisqueRey’aziel n’était p-pascommenous,maisjenes-savaispasàquelpointilétaitd-différentjusqu’àcequejemeure.

J’avais envie de lui demander pour quelle raison il avait fini derrière les barreaux, ce quis’étaitpasséexactement,mais,siDuffavaiteuenviequejelesache,ilmel’auraitdit.Jenevoulaispaslepousser,maisjedevaisenavoirlecœurnet.

—Est-cequetuesmortenprison,Duff?

—O-oui.Apeuprès.Jev-venaisd’être libérésurparoleet j’étaissur lep-pointdepartirquandc’estarrivé.

Çaexpliquaitlefaitqu’ilneportaitpasd’uniformeaumomentdesondécès.

—Tuasenvied’enparler?

—N-non.Çanechangerarienàcequis’estpassé.M-maistumech-cherchais?

—En effet. Je voulais te poser des questions au sujet deM.Wong. (Je désignai notrenouveausujetdeconversation,qui flottait danssoncoin.)Lapremière foisque tu l’asvu,quandtuespasséilyaquelquessemaines,tuaseul’airdelereconnaitre.

—N-non,jeneleconnaispas.

Ilreculad’unpas,commes’ilétaitsurlepointdepartir.

Jeme levai et posai unemain sur son épaule. Il pensait que je lui témoignais ainsimonsoutien, mais c’était un mensonge. Ce que je voulais, c’était l’empêcher de partir. J’avaisappris récemment que tant que je touchais un défunt, il ne pouvait pas disparaitre.C’étaitsuper.Mais dès le contact rompu, il pouvait s’évaporer sousmon nez et je n’avais aucunmoyende le faire revenir.En toutcas,c’étaitceque jepensais.Ange juraitque jepouvaisinvoquern’importelequeld’entreeuxdèsquejelesouhaitais.C’étaitunconceptintéressant.Un que j’essaierais d’appliquer un jour, mais, présentement, je voulais juste en apprendreplus au sujet de M. Wong. J’ignorais d’où me venait cette soudaine hâte. Mais ça mesemblaitimportant.

—Duff,jen’essaiepasdetemettremalàl’aise.J’aijustebesoindesavoircequetusais

àsonsujet.

Il jeta un regard par-dessus son épaule pour observermon colocataire, puis haussa lesépaules.

—Jenesaisrienàpartcequejevois.

—Qu’est-cequetuvois?

Ilprituneprofondeinspirationetlarelâchalentementpendantqu’ilétudiaitM.Wong.

—Jevois commeune f-force, commeunbouclier épaisqui l’entoure.C’est puissant. Jepeuxvoitç-çaaussi.DupouvoirDelaforce.Commes’ilenétaitf-fait.

Bonsang,j’avaisvraimentbesoind’apprendrecetour.

—Tunepeuxpaslevoir?demanda-t-il.

—J’aimeraisbien.J’aiessayé.Jenesaisjustepastropquoifaire.

—Jep-pourraist’aider,dit-ilens’approchant.

Peut-êtrequeReyesavait raison.Peut-êtrequ’ilavaitun faiblepourmoi.Maispeut-êtreaussiqu’ilpouvaitréellementm’aider.

—Commeça,continua-t-il,pleind’espoir,tupourraisvoircequ’estReyes.

Jesentislachaleurdecederniers’embraserautourdenous.Duffsursauta.

—Duff,ditReyesalorsqu’ilsematérialisaitsur lepasde laporte,est-cequetuessaiesdem’attirerdesennuis?

Ilavaitdenouveausonregardmenaçant.

Duffne répondit rien. Ilbaissa la têteenguisedesoumission.Oudepeur.Jenesavaispastrop.

—Reyes,dis-jed’untond’avertissement, jesuisjusteentraindeluiposerdesquestionssur M. Wong. On dirait que personne ne sait rien sur lui à part qu’il semble entouré depouvoiroudeforce.

Reyesjetaàcedernieruncoupd’œilpaslemoinsdumondeintéressé.

—Jen’avaisjamaisfaitattention,maisoui,ondirait.

Duffrit.

—Tuasenviedepartagerquelquechoseaveclerestedelaclasse?demandaReyes.

J’étaissurlepointdeluirappelerencoreunefoisd’êtrepoliquandDuffrépondit:

—C’étaituneerreur.

—Quoidonc?demandaReyes.

—Denepasremarquer.

Reyes fronça les sourcils. Il semblait troublé lorsqu’il regardaM.Wong de nouveau. Etencorepluslorsqu’ilseretournaversDuff.Ilavaitmaintenantl’airsuspicieux.Méfiant.

Je commençais à me poser tout un tas de questions, dont une des moindres était laraisonpourlaquelleDuffavaitsoudainementarrêtédebégayer.

J’avaisdupainsur laplanche :un type toutnu jouait lespassagersclandestins.LepetitAsiatiquequiflottaitdansuncoindemonsalonsemblaitfaitdequelquechosedepuissant,quoiqueçapuissevouloirdire.Unhommeavaitvendusonâmeàundémonquisemblaitseficherdufaitquec’étaitpourunebonnecause.Démonquis’amusaitàpiégerlesgenspourdéroberleursâmesafindepouvoirs’ennourrir.Cequiétaitrépugnant.Unemauvaisegrainede voisin qui m’avait demandée en mariage et qui attendait une réponse avant la fin dusiècle. Une affaire en cours d’enlèvement quime poussait à croire quemonmec avait unfrèredontilignoraitpeut-êtretout.Jen’étaispastrèsbonnepourrassemblerlesmorceaux.Et, par-dessus lemarché, j’étais à deux doigts de réussir à faire en sorte quemon onclecoucheavecmaréceptionniste/meilleureamie.

C’étaitvraimentn’importequoi.Peuimporte.Lavieétaitchouette.

Jusqu’àcequejeperde17millionsdedollarsàunjeudecartes.

Jeregardaiàl’autreboutdelatablequisetrouvaitaumilieudelasallesombreetenfuméed’un entrepôt et étudiai le Dealer. Le démon qui grignotait des âmes pendant son tempslibre.Cen’étaitpasvraimentceàquoijem’attendais.Mais,encoreunefois,àquoidevait-ons’attendrequandon rencontraitundémon?Ce typeétait terriblementséduisant,mêmesiunpeutropgothàmongoût,etbienplusjeunequejel’auraiscru.Ilnedevaitpasavoirplusdedix-neufouvingtans,etonauraitditqu’ilsortait toutdroitd’unromanvampirique,avecsescheveuxnoirsqui luiarrivaientauxépaules,sachemiseàvolantsetsonhaut-de-formequ’ilneretiraitàaucunmoment.Peut-êtrequec’étaitsaconfianceenlui.Sapeauparfaite.Ses longsdoigts pâles.Ou ses yeuxbronzepénétrants, une couleur si riche, si vive, telleque je n’en avais jamais vue. Je m’étais noyée dans son regard envoûtant à plusieursreprisesdurantlasoirée.

Mais je devaisme souvenir qu’il ne s’agissait pas réellement du démon. Il appartenait àl’humain peu chanceux qu’il avait choisi de posséder. La beauté qui l’entourait avait étévolée,toutcommelesâmesdontilsenourrissait.

Ilsemblait toutaussi fasciné.Sonattentions’étaitconcentréesurmoidès lemomentoùj’étaisarrivéeetilavaitrarementdétournélesyeux.Dansn’importequelleautresituation,cegenred’inspectionconstanteauraitététroublante.Cesoir,c’étaitensorcelant.

Laseulechosequirompaitlecharme,c’étaitcettenoirceurquemêmemoijepouvaisvoir.Elles’échappaitdeluilorsqu’iltournaitlatêtetropviteousepenchaittropbrusquement.Lanoirceur, le démon qui se cachait en lui, hésitait unemicroseconde de trop et laissait unetracedefuméesombre,témoignagedesonessence,commeunenfantquifaitducoloriageetneparvientpasàresterdans les lignes. Il fallaitsansarrêtque jemerappelleque,soussoncharismeetsoncharmeenvoûtantsetrouvaitlecœurd’unmonstrequivolaitl’âmedesgens.

Reyesn’aimaitpasparticulièrementleplanquej’avaismissurpied,maisjeneluiavaispaslaissé le choix. J’étais là pour l’âme de mon client, M. Joyce. Pas pour Reyes. Et, à maconnaissance,l’âmedeReyesseportaittrèsbien.Maisj’avaisfaitcequ’ilm’avaitdemandé.J’avaispasséunemainsous la tabledès l’instantoù jem’étaisassiseen faceduDealeretavaisappeléArtémis,magardienne rottweillerdont lapassionétaitd’égorgerdesdémons.Elle s’était élevéedusol jusqu’àcequesa tête touche leboutdemesdoigts.D’habitude,

elle roulait sur ledospourque je luigratte leventre,maiselleavait senti ledémonqui setrouvait dans la pièce dès qu’elle était arrivée et le tenait à l’œil depuis, attendant mesordres.

Je tapotaimabotte pourm’assurer queZeusétait toujours là. J’avais apporté la dagueque Garrett avait traquée, celle qui pouvait prétendument tuer n’importe quel démon surTerre.YcomprisReyes,cequiexpliquait le faitqueGarrett l’avaitassidûmentcherchéeenpremier lieu. Jeme sentaismieux en sachant qu’elle n’était pas loin. Je savais de quoi undémonétaitcapable.J’avaissenti le tranchantde leursdentsaiguiséesquandellesavaientplongé dansma chair. Leurs souffles glacés alors qu’ils s’apprêtaient àme déchiqueter. IlétaitdéfinitivementbondesavoirqueZeusn’étaitpasloin.

Jetapotaidenouveaumabotte.

Troisautresjoueursnousrejoignirent,tousdeshommes,tousdésespérés,cherchanttousquelquechosequ’ilsnepourraientpastrouveràuntournoidepoker.Savaient-ilsquiétaitleDealer?Cequ’ilpouvaitfairepoureux?Avaient-ilsconsciencedecequeçaleurcoûteraitsur le long terme?Mourir était une chose.Perdre son âmeen était une toute différente.C’étaitparveniràunefintotale.Cesserd’exister.

J’adressaiunsignede la têteàAnge lorsqu’il sematérialisa. Il restad’abordcachédansl’ombre,mais,lorsquelapartiecommença,ilsemitautravail.

C’était un jeu de hasard et de technique. Il exigeait une concentration totale. Tant pis.J’étaisnulleenmatièredeconcentration.Etjen’avaispasvraimentdechancenonplus.

ArtémissurveillaitleDealercommeunléopardétudiaitsaproie.Dèsqu’ilsepenchaitpourdistribuerourassembler lescartesou les jetons,ungrognementprofonds’échappaitdesapoitrine.Biensûr,personneendehorsdudémonnepouvaitl’entendre.Asadécharge,ilnebronchapasuneseulefois.Ilfitsemblantdenerienremarquer,maisilpouvaitprobablementvoir ce que j’étais. Il pouvait entendre Artémis et Ange. Ça ne semblait pas vraimentl’inquiéter,parcontre.Angeétaitaussinulquemoi.J’avaisperdudix-septmillions.Oumillesept cents. Probablement mille sept cents. J’avais arrêté de compter un bon momentauparavant et j’attendais à présent qu’il me fasse une offre, qu’il me propose d’oublier ladette en échange demon âme. Il ne l’avait pas encore fait, mais la soirée ne faisait quecommencer.Vraiment.Onn’avaitjouéqu’untour.

MêmeavecAngequisepromenaitautourde la tablepourm’informerdesmainsde tousmes adversaires, j’avais perdu. Sûrement parce que connaitre les cartes de chacun nechangeait rien. J’ignorais totalement quelles combinaisons l’emportaient. Si deux pairesétaient mieux qu’un brelan. Si les fulls battaient les couleurs, deux termes de poker quim’avaienttoujoursfaitpenseràlaGayPride.Jenesavaispastroppourquoi.

—Il fautque tu t’améliores,mijita,meditAnge.Tun’asemportéque2000dollarset tuviensd’enperdre1700.Enuntour.

Unsourire infimecourba les lèvresduDealer tandisqu’ilm’observait. Il pouvaitde touteévidence entendreAnge. Il était sûrement aussi capable le voir.Mais jeme demandais s’ilsentait Reyes. Le corps humain qu’il habitait agissait peut-être comme une barrière,l’empêchant de remarquer la chaleur qui envahissait la pièce pendant que Reyes noussurveillaitsanssematérialiser.Impossibled’enêtresûre.

—Sivousvoulezvraimentenvoyerungossem’espionner,neprenezpasunamateur.

Ainsidonc,ilétaitprêtàlaissertomberlesmasques.Çam’allait.Jen’avaisjamaisétéfanducarnaval,detoutemanière.

Angesevexa.Naturellement.

—C’estdemoiquetucauses,pendejo?

LeDealerleconsidérad’unœilamusé.

—Jepourraismenourrirde tonâme,monpetit,etavoirencoreassezdeplacepour ledessert.

Jemepenchaipourattirerdenouveausonattentionsurmoi.

—Vousnepouvezpasavoirsonâme.Vousnepouvezenprendreaucuneàmoinsquesonpropriétairevousladonnedesonvivant.Jeconnaislesrègles,trouduc.

—Quellangagecoloré,Faucheuse.Ettuasfaitdesrecherches.Jesuissurpris.Cen’estpastongenre.

Lesautreshommesseregardaientdiscrètement,confus,sedemandants’ilsavaientloupéquelquechose.

—Est-cequecequisetrouvedanstabotteestbiencequejepense?

Je portai instinctivement la main à mon pied. Comme je ne répondis pas, il continua,subjugué:

—Tul’astrouvée.Jenesavaismêmepassielleexistaitréellement.

—Elleexiste.Elleestmêmetrèsréelle.Maiscommentsais-tuquejel’aisurmoi?

—Parcequ’ellebrille,évidemment.Tunevoispas?

—Non.

Le fait de ne pas voir ce que les autres êtres surnaturels étaient en mesure de voircommençaitàmetapersurlesystème.

Ilméditamaréponse,uneexpressioncalculatricesurlevisage,puisexpliqua:

—Disonssimplementqueçaasonpetiteffet.

LeDealerrassemblalescartes,s’approchantunpeutropprèsdemoi,etArtémislâchaunnouveaugrognementguttural.Lespoilsdemanuquesehérissèrent.Heureusementqu’ellem’aimait.Jen’osaisimaginercequeledémonétaitentraindepenser.

Ilmélangealetasetditdemanièredétachée:

—Rappelletonchien.

Jebaissailamainetcaressailesoreillesd’Artémis.

—Elleesttrèsbienlàoùellesetrouve.

—Pascelui-là.(Ilcommençaàdistribuer.)Rey’aziel.

Illesentaitdoncbeletbien.Etilsavaitdetouteévidencequiilétait.

—Ilesttrèsbienlàoùilest,luiaussi.

Il finit de distribuer, ses longs doigts agiles maniant les cartes comme un professionnelchevronné.Mais,aprèstout,ils’agissaitprobablementd’unprofessionnelchevronné.

—Montre-toi,dit-ilàReyes.

EtReyessematérialisaàcôtédemoi.Jelevailatêtepourleregarder.

—Jenem’ensorspastrèsbien.

—Jevoisça.

Les hommes autour de la table étaientmaintenant totalement perdus.Ça devait être lepoker. LeHigh Stakes Poker.Pas le strip-poker auquel j’étais habituée. J’étais nulle danscelui-làaussi.EtlaconversationqueleDealeretmoiétionsentraind’avoirn’avaitniqueuenitête.Lepokerproduisaitceteffetsurlesgens.

—Rey’aziel,ditleDealersansreleverlesyeuxdescartes.Çafaisaitlongtemps.

Reyesfitquelquespassurlecôtépourallers’appuyercontrelemur.

—C’estmarrant,jenemesouvienspasdetoi.

Cet aveu sembla blesser le Dealer. Il grimaça, si rapidement que je faillis ne pas leremarquer.

—Biensûrquenon.

Lasurprises’emparadeReyes.IlseredressaetsemblaregarderdroitàtraversleDealer.Jel’observaiàmontour,maisnevisrien.

—Tuesmarqué,dit-il,ébahi.Tuétaisunesclave.

Lefantômed’unsouriresoulevauncoindelaboucheduDealer.

—Eneffet.

— Tu es un daeva. (Reyes rit demanière dédaigneuse, comme s’il était tout d’un coupdégoûtéparlacréaturequisetenaitenfacedelui.)Tuasétécrééàpartirdesâmesdemesfrèresperdus.Tun’asjamaisétéchasséduparadis.

LeDealerluiadressaunregardsanséquivoque.

—Toinonplus,l’aurais-tuoublié?

—Pasdutout.Jepensaisjustequej’auraispeut-êtreàmebattre.Maisçaseraviteréglé,ajouta-t-ilens’approchant.

LeDealerseleva,etsachaiserâpacontrelesolavantdetombertandisqu’ilsedressaitdevantlefilsdeceluiquil’avaitapparemmentcrééluiaussi.Sonvisages’illuminaunpeupluslorsqu’ilaffichaunimmenseetbrillantsoutire.

Angeattrapamonbrasetmetira.

—Charley,allons-nous-en.

—Tunemereconnaistoujourspas?demandaleDealeràReyes.

Mon quasi-fiancé rit doucement, surpris,mais ce n’était pas un rire amusé. Il était pleind’étonnementet,sijenem’abusais,d’unpeuderespect.

—Tut’eséchappé?demanda-t-ilcommesic’étaitcequilesurprenaitleplus.

Angetiradenouveau.

Jelerepoussaisurlecôtéetgardailebraspasséautourdeluidemanièreprotectrice.

—Ondevraits’enaller,murmura-t-ilàmonoreille.

LeDealerredressalementon,fierdesonexploit.

—Eneffet.Biensûr,jen’avaispasdecartepourmeguiderdanslenéant,commetoi.(IldésignalestatouagesquirecouvraientlehautducorpsdeReyes,ceuxquiconstituaientunecartedesportesdel’enfer.)Lesportesontétéunpeudifficilesàforcer,maisjesuislà.

—Etc’estlàquetumourras.

Ilhaussauneépaule,pasimpressionné.

— C’est bien ce que je pensais. J’ai juste besoin d’avoir une conversation avec laFaucheuse,etensuiteonpourraenfinir.

Reyesvintaussitôtseplaceràcôtédemoi,sonexpressiondemarbre.

—Jenecroispas.

Angemeserraencoreplusfort,essayantdes’éloignerdeReyesenm’emportantaveclui.

—Tuesamoureuxd’elle,ditleDealer.(Cen’étaitpasunequestion,maisuneobservationadmirative.Jenecomprenaispastroppourquoi.)Touts’explique.

—N’oublie pas qui je suis, dit Reyes d’un ton plus tranchant qu’une lame de rasoir, sapostureaussitenduequecelled’uncobrasurlepointdepasseràl’attaque.Tun’asbesoinderienqu’ellepuisset’offrir.

Ilhaussaunsourcil,commes’ilnesavaitpasquoifaired’autrepuisqueleDealersemblaitsipeuimpressionné.

—Biensûrquenon,votreAltesse.Maistoi,si.

—Etdequoiaurais-jebesoin?

—Delavictoire.

CommeReyesgardaitlesilence,ilcontinua:

—C’estcequejefais,situtesouviensbien.Jegagne.Etmaintenant,plusquejamais,tuasbesoindegagner.

L’aircrépitaitsouslatension,etlafrictionquienrésultaitcréaitunvortexdechaleur,tantlacolèredeReyesétaitpalpable.IlfitminedefoncersurleDealer,maisjeleretins.Angeselibérademonemprise.J’étaistropprochedeReyespourqu’ilsesenteensécurité.Ilreculaloindelamêlée,mais,àsadécharge,ilnesevolatilisapas.

Reyess’arrêtalorsquejeletouchaietmeregarda.Demanièrepastrèssympathique.

— Pourquoi est-ce qu’on aurait besoin de toi ? demandai-je au Dealer en ignorant M.Grognon.

Àl’instantoùilposaunregardintensesurmoi,Reyesgrogna.LeDealerledévisageadenouveauavantderépondre.

—Iln’yaqu’unseulmoyendebattre tonpère,etelledétient laclé. (Ilmedésignad’ungestedelatête.)Siellenesurvitpasàtoutça,laTerredeviendraunendroittrèssombre.

—Survivreàquoi?demandai-je.

MaisleDealergardaitlesyeuxrivéssurleprédateur.Ledangerleplusimmédiat.

—LesDouzesesontéchappés,dit-ilàReyes,etmêmesi jen’avaisaucune idéedequioucequ’étaientlesDouze,Reyes,lui,lesavait.

L’étonnementchassalacolèresursonvisage.Iln’étaitpasfaciledel’étonner.

— S’ils l’atteignent, commença-t-il, mais Reyes se reprit et l’interrompit avant qu’il nepuisseterminer,àmongrandregret.

—Ilsn’yparviendrontpas.

— Ils le feront si tu ne la surveilles pas de très près. Elle semet suffisamment dans lepétrin toute seule sans avoir besoin que les Douze en rajoutent une couche. Ils vont ladéchiqueteretteforceràregarder.

Reyesserembrunittellementquej’entendissesdentsgrincer.

—Ilsessaieront.

—Tuasbesoindemonaide,ettulesais.

—C’est commedans lesprophétiesqueGarrett a trouvées,dis-jeàReyesen tapotantsonbraspourleconvaincredem’écouter.Toietmoisommeslaclé,tutesouviens?

JetournaidenouveaulatêteendirectionduDealer,quin’osaitpascroisermonregard.

Mais,avantquejepuisseposerplusdequestions,Reyesdemanda:

—Etpourquoituvoudraisnousaider?

— Pourquoi pas ? J’ai envie qu’il meure au moins autant que toi. (Il se pencha et sabouchesetorditenrictus.)Encoreplus,jeparie,et,situasenviedegagnercetteguerre,jeteconseilled’écoutercequej’aiàdire.Iln’yaqu’unmoyendesedébarrasserdelui.OnnepeutpasmettrelaFaucheuseendangeràcausedetafierté.

Jesongeaisoudainaumomentoù j’étaisarrivée.LeDealern’avaitpassemblésurpris lemoinsdumonde,commes’ilm’attendait.

—Pourquoisuis-jeici?demandai-je.Tuasmistoutçasurpied?

Ilhaussauneépaule.

—J’aisimplementencouragéM.Joyceàtechercheràtraversquelquescontactsquej’ai.Ilétaitassezdésespérépourlefaire.

Je libéraiZeus, lasortantdemabotteet lapointantdanssadirectiondemanièreaussiassuréequejelepouvais.C’est-à-direpasbeaucoup.Jetremblais.Etj’avaisbesoindefairepipi.

—Tuessurmonterritoireettuprendsl’âmedebonnespersonnes.Ettuasvolélecorpsdanslequeltuvis.

—Jen’airienvolédutout.JesuisnésurTerre,commeleprince.

JeregardaiReyes,bouchebée.

—Ilpeutfaireça?

Ilacquiesçaaprèsunelonguehésitation.

—C’estunprocédécompliqué,maisoui.

—Waouh,OK,maistuvolesquandmêmedesâmes.

Ilhaussalesépaules,impuissant.

—Unhommenepeutpasvivreennesenourrissantquedepain.Etjenevolerien.Ellesmesontoffertesdebongré.Jepaieunprixtrèsélevépourlesâmesdontjemenourris.

—Pasassezélevé.

—Tuoubliesquecesonteuxquiviennentàmoietqu’ilsobtiennentcequ’ilsveulentenéchange.Toutlemondeestgagnant.

Commej’étaistropoccupéeàlefusillerduregardpourrépondre,ilajouta:

—Jenesuispastonennemi.Nousavonsunbutcommun.

—JeveuxqueturendessonâmeàM.Joyce.

Le Dealer pencha la tête en arrière et se mit à rire, et je sentis un plaisir pur dans saréaction, comme si je l’amusais autant qu’une mouche peut amuser une araignée. C’étaitvraimenténervant.

—Etensuite,continuai-jeenadoptantunsourirepatient, jevaisprendrecettedague, laplanterdanstoncœur,etteregardermourir.

— Eh bien, ce n’est pas une très bonne motivation pour que je fasse ce que tu medemandes,tunecroispas?

—Il fautquequelqu’un te règle toncompte.J’ensuissincèrementdésolée,maisçadoitêtrefait.

—Jetecrois,dit-il,surpris.Jepensequetuesdésolée,mêmesicen’estqu’àpeine.Etsijemecontentaisdesâmesdemauvaisespersonnes?Tusais, lesmeurtriers,ceuxquis’enprennentauxenfantsetceuxquidépassentlesgensdanslesfilesd’attenteaucinéma?

Jepouvaisvivreaveccetteidée.Enfin,pasladernièrecatégorie,mais…

—TupourraisêtrelaversiondémoniaquedeDexter.

—Toutàfait.

—Mais combien en as-tu déjà prises par le passé ? Combien de bonnes âmes dois-tucompenser?

Illevaunemainenguisedereddition.

— Je suis dans ce plan d’existence sous forme humaine depuis plus de deux siècles,répondit-il,cequimesidéra.Auhasard,jediraisunpetitpaquet.Maistunemetiendraspasrigueurpourmeserreurspassées,n’est-cepas?

Jem’approchai et il releva lementon. Il observaitZeusdemanièreattentive, commeonregarderaitunserpentvenimeuxprêtàattaquer.

—Nerecommencejamais.EtjeveuxqueturendessonâmeàM.Joyce.Jemefichedesavoirquelgenred’accordilapassé,j’exigequ’ilsoitannulé.

—Commeilteplaira.Maisjeveuxquelquechoseenéchange.

—Nemarchandepasaveclui,ditReyes.

Biensûr,jel’ignorai.

—Quoi?

IldésignaZeusd’ungestegracieuxdesonhaut-de-forme.

—Ladague.

Jericanai.

—Tuplaisantes.Laseulemanièrequetumetteslamainsurcettedague,c’estquejetelaplanteenpleinepoitrineetquetuessaiesdelaretirer.

Ilhaussalesépaules.

—Çavalaitlecoupd’essayer.EtsitumelaissaisvousaideraveclesDouze,danscecas,etonestquittes?

—Tupeuxfaireça?

—Dutch,m’avertitReyes,maisjelefistaireenlevantunindexdanssadirection.

Unindextrèspuissant,semblerait-il,carilmelaissacontinuer.

—Tupeuxlaluirendre?demandai-je.Commeneuve?

LeDealergrimaça.

—Neuveestpeut-êtreun termeunpeu fort,maiselle lui sera restituée.Cequ’il en faitensuiteneregardequelui.

Jebrandisdenouveauladague,maisilnebronchapas,mêmes’ilrestaitprudent.

—Ettuarrêtesdeprendredesâmes,c’estentendu?

—C’estentendu.Seulementcellesdesmauvaisespersonnes.

— Mais pas ceux qui trichent dans les files d’attente. Il faut qu’ils soient réellementmauvais,commedans«dangereuxpourl’espècehumaine».

—Cen’estpasunproblème.Jeconnaisunvioleurenbasdelarue.Jepeuxmenourrirdeluipendantplusieurssemaines.

—EtjeveuxqueM.Joycerécupèreimmédiatementsonâme.

Ilrenifladédaigneusement.

—Tumeprendspourunimbécile?

—Je pense en effet que tu en es un. Il est impossible de dire quand, oumême si, cesdouzejokersvontsemontrer.

—Tuasdetouteévidencedelapeineàfaireconfianceauxgens.Jeluirendraisonâmequandlafaveurmeseraretournée.

—Jepeuxlefairedèsmaintenantenplongeantcettelamedanstapoitrine.

Ilréfléchit,maisseulementunefractiondeseconde,avantderépondre:

—Tupensesqueceseraitunefaveur?

Commejen’étaispassûredecequ’ilvoulaitdireparlà,jechangeaidesujet.

—Jecommenceàmennuyer.Laissel’âmedeM.Joycetranquille.

Ensuite de quoi je fis demi-tour et m’en allai, pas sûre le moins du monde d’avoirréellementaccompliquelquechose.

Chapitre7

J’aiperdumavirginité,Maisj’aigardél’emballage.

Tee-shirt

Mêmesijen’enétaispassûreàcentpourcent,j’avaislatrèsnetteimpressionqueReyesétaitencolère.IlétaitassisdansMisery,ledosraide,leregarddétourné,lamâchoireaussidurequedumarbre.Et il était toujours incorporel. Il auraitpudisparaitre,mais il ne l’avaitpas fait.Est-cequ’ilvoulaitque jesacheàquelpoint ilétaitencolère,ouest-cequ’ilétaitinquietàproposdesDouze?Lorsqu’ilmelançaunregardnoir,jeleluirendis.

— Quoi ? demandai-je, l’adrénaline toujours bien présente dans mon sang et monincrédulitéredoublée.

Ilnes’inquiétaitpasausujetdesDouze.Ilétaitencolèrecontremoi.Moi!Qu’est-cequej’avaisfait,cettefois-ci?

Il secoua la têteet reporta sonattention sur le tableaudebord. Lorsqu’il parla, sa voixétaitbasse,calculée.

—Tuasfaitexactementcequej’avaisditquetuferais.

—Quoi?J’aiencoremonâme.Etmadignité.Iln’aeuaucunedesdeux.

—Çaresteàvoir.Tuasconcluunmarchéaveclui.

— En vue de la survie de l’humanité, rétorquai-je, sur la défensive. Ou quelque chosecommeça.QuisontlesDouze?

Ilmitunmomentàrépondre.Broyerdunoiravaittendanceàproduireceteffet.Çafaisaitprendre son temps. Réfléchir en oubliant que les autres attendaient impatiemment uneréponse.Justequandj’étaisprêteàcomblerlevidequeprovoquaitlesilencedansl’habitacleenchantantlethèmedeGilligan’sIsland,ilparla.Ladéceptions’emparademoi.

—Làd’où je viens, lesDouzesont communémentappelés lesbêtesde l’enfer,mais, icisurTerre,onlesappelleplutôtleschiensdel’enfer.

—Deschiensde l’enfer?demandai-je,stupéfaite.Pourdevrai?Cesontdeschiensdel’enfer?

—Oui.Ilsontétéemprisonnésilyadessiècles.Ondiraitqu’ilssesontéchappés.

Jesifflaibienmalgrémoi.

— Des chiens de l’enfer, des vrais de vrais. C’est incroyable. Pourquoi ont-ils étéemprisonnés?

—Tuenasdéjàcroiséun?(Ilroulalesmâchoires.)Ilssontingérables.Incontrôlables.Ils

tuent toutcequisetrouvesur leurpassage.C’estunedesexpériencesdemonpèrequiamaltourné.

Jeserrailesdoigtssurlevolant.

—Illesacréés?

—Oui.

—Commeilt’acréé?

—Non,pasexactement.Monpèrem’a fabriquéàpartir desaproprechair, raisonpourlaquelle je suis son fils. Il n’a créé aucun autre être de lamêmemanière. (Il me lança unregarddecôté.)Cen’estpasdel’arrogance.C’estjusteunfait.Undontjenesuispasfier.

J’étaistoujoursentraind’essayerdemefaireàl’idéedeschiensdel’enfer.

—Attends,etleDealer?Tuasditqu’iln’avaitpasétéchasséduparadis.

—C’étaitunesclave,unparmidesmillions,égalementcrééparmonpère.

—Tul’asappelé«daeva».

—Beaucoupd’éruditssurTerrepensentque lesdémonset lesdaevasontuneseuleetmêmechose.Ilsonttort.Lesdémons,lesvrais,ontétéchassésduparadis.Cesontlesfilsdéchus.

— Donc, genre, ce sont des pure-race alors que les daeva sont, je sais pas moi, desclones?

—Cesontdesesclaves,point.

Jedétestaiscemot,àpartquandilservaitàdésignerCookie.

—Tusais,engénéral,lesesclavesnesontqu’uneraceoucatégoriedepersonnessous-évaluée.Ilssonttoutaussibienetméritantsquetoietmoi.

—Lesdaevanesontpasdespersonnes,trancha-t-il,lavoixplusdure.C’estunecréationdemonpère.

—Pourquoiest-cequetulesdétestestellement?demandai-je,surprise.

—Qu’est-cequitefaitpenserquejelesdéteste?

—Allons,Reyes.

—C’estcompliqué,répondit-il.LorsqueDieuacréélesanges,onparlaitd’euxentantquefilsdeDieujusqu’àcequ’ilaitunvraifils,crééafindeconduireleshumains,deleurassurerunpassageauparadis.Danscesens,lorsquemonpèreacréélesdaeva,ilsétaientappelésfils de Satan jusqu’à ce qu’il ait un vrai fils. Moi. Depuis, ils ne sont rien d’autre que desdaeva.Ilsn’avaientpasétédéchus.Cen’étaitpaslesfils.Ilsexistaient,c’esttout.Etdelamêmemanièrequelesangesontétéfurieuxparcequ’ilsvoyaientcommeuneinjusticedelapartdeDieu,quifavorisait leshommesaudétrimentdesesproprescréations,certainsdesdaevaontétéfroisséslorsquemonpèreacherchéàmecréer.Çacompliquaitleschoses.

—Maistuleconnaissais?LeDealer?

—Tout lemonde leconnait.C’étaitunchampion.C’était leplus rapideet leplus fortdetous lesêtresde l’enfer,mais ilétaitesclave,destinéà le resterpour l’éternité.C’étaitune

positionquineluiplaisaitguère.

— Jeme demande bien pourquoi, répondis-je sans cacher une once demon sarcasme.(PuisjesaisislesensdesparolesdeReyes.)Attends,est-cequ’ilétaitplusrapidequetoi?

Ilacquiesçasansmeregarder.J’inspiraisprécautionneusement.

—Plusfort?

Aprèsunelonguepause,ilrépondit;

— Oui. Nous ne nous sommes jamais affrontés, mais, si tel avait été le cas, il auraitgagné.

Jen’auraispasétéplussurprisesiunepoutres’étaitmatérialiséeenfacedemoietm’avaitpercutéedepleinfouet.

—Alorsc’estvrai?Ilpeuttebattre?

—Jecroisqu’ilauraitpu,oui,maisc’étaitenenfer.Noussommessurunplandifférentrégipardesrèglesdifférentes.Quipeutdirecedontilestcapableici?

—Maispourquoias-tuessayéde t’enprendreà lui ?S’il est aussi dangereux,pourquoicourirlerisque?

Comme il ne répondait pas, je le poussai, fâchée à l’idée qu’il se mette en danger demanièreaussipuérile.

—Reyes,pourquoiagirdelasorte?

—Jesuistropestomaquépourrépondreàcettequestion.

—Commentça?Pourquoi?

—Jesuisabasourdiquetumeposesunetellequestion.

—Sérieux?Tumeconnaisvraimentsimal?

— Eh, ça en fait des révélations pour une journée, dis-je alors que Reyes et moimarchions deMisery jusqu’à l’immeuble. (Il n’avait de toute évidence pas l’intention demelâcherd’unesemelle.)Alorslesdouzebêtes,hein?Jesuissûrequ’ellesfontlafêtecommepersonne.

—Situaimeslesmassacres,oui,dit-ilenfouillantlesenvironsduregardtandisquenousavancions.

—Pasvraiment.Ilvaudraitmieuxéviterdelesinviterànotrefêtedefiançailles.

Lorsqu’ilmeregarda,surpris,j’ajoutai:

—Tusais,sionenaune.

Ilmesuivitenhautdesmarches.

—Eneffet.

—J’aimeraisensavoirplussurleDealer,dis-jepar-dessusmonépaule.Jeveuxdire,jenesavaismêmepasqu’ilyavaitdesesclavesenenfer.Cetendroitdoitdéjàêtreassezatroce

sansrajouterdesserviteursliésparcontratàl’équation.

—Monpèreenadesmillions.Ilpeutlescréeràpartirdesrestesdedémonsperdus.

—Genre,àpartirdeleurA.D.N.?

—Quelquechosecommeça.

—Etalors,ceDealerétaitunchampion?Dequoi?Devolley-ball?

—Essaieplutôtgladiateur.

—Sérieusement?Ilsorganisentdesjeuxdegladiateursenenfer?

Çaavaitl’airtrèsmystérieux.

—Onavaitbeaucoupdetempslibre.

Jem’arrêtai à un étage etme tournai vers lui alors qu’il finissait demonter lesmarchesderrièremoi.

— Reyes, j’aimerais que tu lui laisses une chance. Je pense qu’il veut réellement nousaider.Tupeuxm’envouloirsituveux,maisjecroissincèrementqu’ilsouhaitelachutedetonpère.

—Biensûrqu’illasouhaite.Tun’auraispasenvied’assisteràladéchéancedeceluiquiteretenaitprisonnier?Çaneveutpasdirequ’onpeutluifaireconfiance.

— Je crois que tu laisses tes a priori parler pour toi, dis-je en pivotant pour monter leprochainescalier.

—Dutch, fit-ilenm’attrapantpar lesépaulespourmeretourner, tunepourras jamais tefieràundaeva.Peuimporteàquelpoint ilst’aident.Peuimportecequ’ilsfontpourtoi,onnepeutsimplementpasleurfaireconfiance.

—Jecomprendsquetufassesunegénéralisation,maisilestdifférent.Ilaquelquechosedetrèsspécial,etj’ailesentimentqu’onvadécouvrircedontils’agit,unjour.

—Passitutemontresassezintelligente.

— Je ne suis pas stupide, rétorquai-je, lassée qu’il remette toutes mes actions enquestion.Jefaispreuvedebonsens.

— Il faudrait avoir du bon sens pour en faire preuve. Je me raidis. J’avais dû malcomprendre.

—Tun’aspasditcequejepensequetuasdit.

— Quand il s’agit d’humains, Dutch, tu es aveugle. Tu fais des choses pour eux quepersonned’autrene ferait.Etsi tupensesuneseulesecondequecedaeva t’aideraencesens,ilteprendratoutcequetupossèdes.

—Cequepersonned’autreneferaitpourmoi?Çamontrebienàquelpointtuconnaisleshommes. Tu en as peut-être été un ces trente dernières années,maism ignores tout denotreesprit.Denotrenaturegénéreuse.C’estdifférentpourtout lemonde,maislaplupartdesêtreshumainssontdenaturegentilleetgénéreuse.Etons’inquiètedubien-êtredenossemblables.

— J’en connais assez sur les hommes pour savoir que personne sur cette Terre ne

risqueraitsaviepoursauverlatienne.

—Tufaiserreur.Et,simoninstinctausujetduDealerest juste, turetirerascesparolesavant que toute cette histoire ne soit terminée. On a douze très vilaines créatures àcombattre,ilparait,etjeparieraismonderniersouqu’ilseraànoscôtésjusqu’àlafin.

—Momentqu’ilchoisirapourtedépouillerdetonâmeets’enempiffrerjusqu’àexploser.

Jedéverrouillaimaporteetluibloquail’accèsenjouantdesépaules.

—Jesuisfatiguée.Onseverrademain.

Il acquiesça d’un geste sec de la tête avant de se retourner pour rejoindre sonappartement.

Jefermaidoucementmaporte.Ilclaqualasienne.

Cookie rentraplus tardquemoi. J’entendis sonpas familier sur lesmarches.Elle frappadoucementavantd’ouvrir,cequineluiressemblaitpas.

—Tuesencoredebout?demanda-t-elle.

—Biensûr.Commentças’estpassé?

Elleétaitresplendissanteetsonvisagerayonnait.

—Attends,tun’aspasunfaiblepourBarry,quandmême?

—Oh,dieuxduciel,non.Maisonavraimentpasséunesupersoirée.C’étaitamusantdesortir.

—J’ensuisravie.

—Est-cequeRoberta,jesaispas,posédesquestions?

Jegloussai.

— Il l’a fait. Et c’était génial. Ilmourait d’envie de le faire,mais il n’a pas osé avant unmoment.Tuasvulatêtequ’ilafaitequandilavuBarry?

—Oui.Charley,jem’enveux.

Jefislamoue.

—Cook.Jepeuxressentirlesémotions,tutesouviens?Etc’estsafauteàlui.

—Oh,c’estvrai.(Ellesourit.)Jecroisqueçapourrait fonctionner.Ilétait tellementsouslechocqu’ilaperdulaparoledèsqu’ilavumonrencard.

—Machérie, luidis-jeenposantunemainsur lasienne, ilaperdu laparolequand il t’avue,toi.

—Tupenses?

—Absolument.Jenecroispasquelesmecssoienttellementsatassedethé.

Ellem’ignoraenesquissantungestedureversdelamain.

—Tusaistrèsbiencequejevoulaisdire.

Elleavaitdesétoilesplein lesyeux.Jen’avais jamais remarquéàquelpointellecraquaitpourObie.Jeveuxdire,c’étaitObie,quoi.Quil’eûtcru?

— Alors, dit-elle, se préparant le terrain pour les questions importantes de la soirée,comments’estpasséletournoi?

—J’yailaisséjusqu’àmesfesses.Ehbon,tulesasvues,unpeu?

Jelestapotaipourmettrel’accentsurlesprincipalesintéressées.

Elleritavantdesereprendre.

—Attends,sérieusement?Tuasperdudel’argent?

—Nan,j’airéussiàconvaincreleDealerqu’ilavaittoutintérêtàoubliermadette.

—Oh,bien.Alors,c’étaitvraimentundémon?

—Ouaip,ouundaeva,c’estleurnomofficiel.Unesclavedémon.

—Ilsontdesesclavesenenfer?

—Ondirait.C’estdingue,hein?

—Daeva.Çameplait.

Je lui expliquai ledéroulementde la soiréeàgrand renfort dedétails, surtout parcequej’avaismoi-mêmedelapeineàmerendrecomptedetoutcequis’étaitpassé.Lorsquej’eusterminé,onrestaassisesensilence.Àregarderdroitdevantnous.Pendanttrèslongtemps.

Jejetaiuncoupd’œilàM.Wong.

—Jecroisquejel’aicassée.

—Non, je vais bien,mais bon sang,Charley.Ça devient de plus en plus compliqué. Jeveuxdire,quandtum’asditquetuétais laFaucheuse, j’aipensé:«Qu’est-cequipourraitêtrepire?»Maisçavatellementplusloinqueça.Etmaintenant,lesDouze?Sérieusement?C’estsansfin.

—Jesais,etjesuisdésolée.Tun’aspassignépourtoutça.

—Tu plaisantes ? J’adore ces conneries. Je n’échangeraisma vie pour rien aumonde.Enfin,si,peut-êtrepour lemondeentier.Est-cequeleDealerserait intéresséparuneâmed’occasionunpeucabosséede trenteetquelquesannées?UnmanoirenFloridepourraitmeservir.EtuneBentley,aussi.Avecdesjanteschroméesetunesonodelamort.

Jeris,enpartieparcequej’étaissoulagée.

—JetevoyaisplusenfandeRolls-Royce.

—Jeseraiscontenteavecn’importelaquelledesdeux.

—Jesuisprêteàparierqu’ilaccepterait.Ilm’aplu,ajoutai-jeenrepensantàsonvisage.

—LeDealer?

—Ouais.Jeveuxdire,ilétaitsijeune.Enfin,ilenavaitl’air.

—T’asvraimentunfaiblepourlesgosses.Tuessûrequececin’expliquepascela?

—J’adorelesgosses.Ilssontvraimentdélicieuxavecdesfritesetunmilk-shake.

Ellericana.

—QuepenseReyesdelui?

—Illuiarracheraitlacolonnevertébralesijelelaissaisapprocher.

Elletapotamongenou.

—Jen’enattendaispasmoinsdelapartdufilsdumalincarné.C’estunchictype.

—Ouais,c’enestun,confirmai-je.Mêmes’ilatendanceàm’agacerauplushautpoint.

—Maisilestterriblementsexyentablier.

—N’est-cepas?

Nouscommençâmestoutesdeuxàrêvasserpendantquelquessecondes.

Jerevinsàlaréalitéenpremier.

— Bon, allons au lit. On a beaucoup de choses à faire demain. Pas de repos pour lesbraves,commeondit.

Cookie avait raison. Reyes était un chic type. Il avait fait tellement pour moi. Et avaitenduré tant de choses.Mais, encore une fois, il fallait que je supporte sa personnalité demâlealpha.Heureusementpourlui,j’avaisunself-controlexemplaire.Danslecascontraire,je luimettrais tous les jours une dérouillée avant de l’abandonner, roulé en boule dans uncoinentraindegeindre,etoùenserions-nous?

Jemepréparaiàallerau litetenfilaiquelquechosedeplusconfortable.Àsavoiruntee-shirtetunbassurlequelétaitécrit«Soulevezetdécouvrezleprix».Aprèsm’êtretressélescheveux, j’allais me pelotonner sur mon fabuleuxmatelas, celui que j’avais trouvé dans lecadre d’une liquidation pour cause de faillite, et m’enveloppai dans ma couverture BugsBunny.

Mais,même isolée, je pouvais sentir la chaleur deReyes.Elle filtrait à travers lemur etm’enveloppait d’une pellicule douce et tiède. Ça faisait quelques semaines qu’il habitait laporte à côté, à présent, et je me demandais si j’allais finir par m’habituer à sa délicieusechaleuretnemêmeplus la remarquer.Probablementpas.Etreprèsde luiétait commeseteniràcôtéd’unbrasier-pourmoi,entoutcas.Etàpeuprèsquepourmoi.SiCookies’étaittrouvée dans le lit, elle n’aurait rien senti, ce qui n’était pas du tout logique. Les humainspouvaientressentirlefroiddesdéfuntslorsqu’ilsétaientdanslecoin.TantlefroiddesmortsquelachaleurdeReyesétaientdesmanifestationssurnaturelles.Pourquoiremarquerl’unetpasl’autre?

MaislefaitquelachaleurdeReyespouvaittraverserlesmursm’avaitsurpriselapremièrefois que ça s’était produit. Nos lits étaient appuyés contre le même mur, et je pouvaisdéterminerl’instantprécisoùilsecouchaitchaquesoir.Etpasuniquementparcequej’étaisavecluilamoitiédutempsquandçaseproduisait.Mêmedansmonpropreappartement,jele ressentais. C’était quand il se mettait au lit qu’il était le plus chaud. Et, à mesure qu’ils’endormait,sachaleursedissipait.Ilétaittoujourssurnaturellementchaudlorsqu’ildormait,maispasautantquelorsqu’ilétaitéveillé.Etsurtoutpasautantquelorsqu’ilétaiténervé.Oudans les affres de la passion. Bouillant aurait été un adjectif plus approprié pour ces

moments-là.

Lachaleurquiflottaitjusqu’àmoicesoiravaitlatexturedelacolère.Jelevaiunemainetla posai sur la plaque de plâtre qui nous séparait. Elle était brûlante au point d’en êtrepresquedouloureuse.

Ouaip,ilétaitenpétard.

Ildevaits’êtrecouchéenpensantauxmeilleuresmanièresdesedébarrasserduDealer.Ilfaudraitque je trouveunmoyende le fairerevenirsursaposition.LeDealerétaitdifférentdes autres daeva. Il était né sur Terre. Il était, dans tous les sens du terme, humain. Enpartie,entoutcas.EttrèssemblableàReyeslui-même.

SiReyesavaitenviedemijoterdanssaproprecolère,grandbienluifasse.J’avaisfaitcequej’avaisàfaire,et iln’auraitqu’às’habitueràcette idée.Nousétionsquasipromis l’unàl’autre.Ildevaitaccepterleboncommelemauvais.Et,enplus,j’avaisdequoilefairepenseràquelquechosedebienmieux.

Jeme demandais s’il pouvait ressentirmes émotions à travers lemur quand sa chaleurcommençaàeffleurer lapulpedemesdoigtsetàremonter le longdemapaumecommesic’étaitfaitexprès.Commes’ilavaitquelquechoseentête.

Reyes pouvait faire des choses incroyables avec son essence. Il pouvait la projeter. Luifaire parcourirmon corps. L’enfouir au plus profonddemoi jusqu’à ce que jeme torde deplaisir.Jemedemandaissijeseraiscapabledefairepareil.

J’avais déjà quitté mon corps. J’avais même tué un homme. Cette expérience m’avaitapprisque j’étais capablede lamêmeprouesse,mais serais-jeenmesuredemecontrôleraussi bien que Reyes ? Il était venu à moi des centaines de fois, même lorsque nousgrandissions,avantque je sachequi, oucequ’il était.Monessence,monesprit, avait elleaussi quitté mon corps à une occasion depuis lors. Pourrais-je réitérer cet exploit ? Aumomentoùças’étaitproduit, j’étaisendanger.Cen’étaitpas lecasactuellement.Unpeustressée,peut-être.Unpeuconfuseaprèscequis’étaitpasséavecleDealer,aprèstoutcequ’ilnousavaitraconté,maisdéfinitivementpasendanger.

Quoiqu’ilensoit, j’étais laFaucheuse. Il fallaitque jeme ressaisisse.Que jecomprennecommentcesconneriesfonctionnaientavantdemefairedéchiqueterparunchiendel’enfer.Jedevaisdécouvrircedont j’étaiscapableounon,et il fallaitque j’apprenneà lecontrôler.Quelmeilleursujetquequelqu’unquiétaitpratiquementindestructible?JepourraisjouerlesscientifiquesfousetReyesseraitmoncobaye.Qu’est-cequipourraitmaltourner?

Je relevai la main sur la paroi en fermant les yeux. La sensation de feu se fit pluspressantetandisquejefaisaiscourirleboutsensibledemesdoigtssurlecrépi.Jelalaissaipasser. Je l’accueillis, lui demandantde se rapprocher, l’absorbai jusqu’à cequ’ellepénètremapeau,baignemesos jusqu’à lamoelleetremonte le longdemonbras.Elleeffleuramanuque, embrasa mes joues en une douce caresse, s’enroula autour de ma clavicule endescendantversmesseinsetinondamapoitrined’unechaleurmordante.DangeretWillsedébattirent dans les confins demon tee-shirt, leurs tétons pointant, la texture du tissu neservantqu’àlesdurcirencoreplus.Lafrictionprovoquaunéclairdeplaisirquiserépercutadans tout mon être, poussant la chaleur plus bas dans mon ventre, jusqu’à ce qu’elleconsumechaquemoléculedemoncorps.

Maisc’étaitmontour.C’étaitmoilescientifiquefoudanscescénario.Jevoulaisluirendrelapareille,pénétrersoncorpsetsonâmedelamêmemanièrequ’illefaisaitavecmoi.Jemedébattis contre le plaisir inimaginable qui coulait dans mes veines et me concentrai. Jepoussai. Jepropulsaimonénergie, la laissaiglisser le longdemes terminaisonsnerveusespourlafaireremontermonbrasjusqu’àcequ’elletraverselemurquisetrouvaitentrenous.JenepouvaistoujourspasvoirReyes,maisjelesentais.Jelesentaismêmetrèsbien.

Jelaissaimonénergiedéferlersurlui.Jelalaissaiexplorersesmusclessinueuxàmesurequ’ils se contractaient ou se relâchaient sousmon toucher. Je ressentis la douceur de sapeau,lafermetédesachairau-dessous,latensiondanssonventre.Jedescendisdeplusenplusbas,jusqu’àcequejesoisrécompenséeparunepousséesanguinesanséquivoque.

Reyes aspira l’air entre ses dents serrées tandis que je caressais son érection. Lesentimentdesatisfactionétaitenivrant,maisj’envoulaisplus.Jevoulaisentrerenluicommeilétaitentréenmoi.Jevoulais lefaire jouirde l’intérieur.Jevoulaisqu’ilsetordedeplaisir.Qu’il supplie pour que je le libère. Mais il opposait de la résistance. Il avait installé unebarrièrementalequelconque.Ilétaittoujoursinquietàl’idéedecequejepourraisvoirs’ilmelaissaitentrer.

Cen’étaitpastrèséquitable.

J’aiguisaimontoucher.Je laissaimesonglesgriffersapeau.L’amadouaiet lesuppliaideme laisser entrer. Ses bras reposaient au-dessus de sa tête, il avait serré les poings. Samâchoireétaitcrispée.

—Dutch,dit-ilsuruntond’avertissement.

Jenerépondisrien.J’ignoraissij’enseraiscapable.Maisjepoussaidenouveau,écartantsesjambes,etlaissaimonénergiepuisersursoncorpsenvaguesélectriques.Satêtepartitvers l’arrière, s’enfonçant dans l’oreiller tandis que ses doigts se fondaient dans les drapsqu’ilserrait.

Etilbaissasagarde.

J’entrai en lui à l’instant où cela se produisit. Nos énergies s’entrechoquèrent, meprocurantunsentimentdejoieintense,lesatomescréantunefrictionexplosive.Ilcourbaledosetessayademe repousser,etchacundenoussebattitpourgarder lecontrôle,pourfaireperdrepiedàl’autreenpremier.

Ilm’explorait pendant que je l’explorais. Ilme fallut unmoment pour prendre consciencequ’unepartiedeceque jeressentaisétaitmaproprepeau,qu’ilcaressait.Monproprefeu,qu’il attisait. Son énergie me cajolait, m’enveloppait et me pénétrait comme une fuméeliquide,sefondantavecchaqueparticuledemoncorpstandisqu’ilremuaitlesbraisesdemafièvre.Jeressentaissafaim,chaudeetpressanteentremesjambes,bruteetpuissante.L’airmemanqua lorsqu’une série de spasmes semit àm’agiter, gagnant en intensité à chaquebattement de mon cœur, m’attirant de plus en plus près du précipice jusqu’à ce qu’unorgasmedévastateuréclateauplusprofonddemonêtre.

Jem’étaisperduedansmonpropredésirgrandissant,mais il semblaitquemonorgasmeétait toutcequeReyesattendaitpourse laisserconsumeràson tourparune tempêtedefeu.Sesmusclessecontractèrentautourdemoialorsquejeressentaisladoucepiqûredesonplaisirserépandresursonventre.

Jelesentisdéchirerlesdrapstandisquel’orgasmelefaisaittrembler,nediminuantqu’unefraction de seconde avant de repartir de plus belle, accélérant son pouls. Après quelquessecondes insoutenables, ils’évapora lentement,ne laissantque larespiration laborieusedeReyesderrièrelui.Iltenaittoujourslesdrapsd’unepoignedefer.Ildémêlasesdoigtsetselespassasurlevisageavantdelerecouvrird’unbras.

Ilmeparlaàcemoment,savoixprofondeetrauque,épuisée.

—Viensdormiravecmoi.

Commejenerépondaispas,passûred’enêtrecapable, ilse levapourallersenettoyer.Je pouvais le voir plus clairement, à présent,maismon toucher était encore plus sensiblequemavisiondanscetétat.C’étaitunechosesurlaquellejedevraistravailler,quejedevraisrenforcercommes’ils’agissaitd’unmuscle.

Je restai auprès de lui jusqu’à ce qu’il se remette au lit et tire la couverture n’importecommentsurses jambes.Ilposaensuiteunemaincontre lemuret fermapresqueaussitôtlespaupières.Justeavantquejeneparte,ilmurmuradenouveau:

—Viensdormiravecmoi.

Maisilétaitdéjàloin.C’étaitétrangederessentirtoutcequ’ilressentaitsanspourautantle voir de mes propres yeux, uniquement avec mon esprit. Je pouvais tout d’un coupcomprendre pourquoi, en grandissant, il n’avait jamais su si j’existais réellement. Il pensaitalors que j’étais un rêve. C’était exactement l’impression que ça donnait. On se sentaitcommedansunétatsecond.C’étaitàlafoisvraietirréel.Tangiblemaisintouchable,commes’il allaitmeglisserentre lesdoigts si j’essayaisde l’attraper.Mais je venaisde le faire. Jel’avaistouché.Caressé.Jusqu’àcequ’iljouisse.

Jetrouvai lesommeilbaignéedanssonessence,danssongoût,satextureetsonodeurterreuse.Jem’endormiségalementaveclamainposéecontrelemur,sapaumeréchauffantlamienneàmoinsdequinzecentimètresdedistance.

Chapitre8

Habits?Enquantitésuffisante.

Clés?J’lesai.

Tassedecafé?Pleine.

Bonsens?Bonsens?

Tee-shirt

Jemeréveillaicequim’apparutcommequelquessecondesplustardavecunemainsurlabouche, et ce n’était jamais unemanière agréable de se réveiller. La peurme fit vibrer siprofondément et si vite que Reyes se matérialisa aussitôt, enveloppé dans son manteaud’ombres. Ilenflaitcommeunemaréeautourdemoi,et j’entendis lebruitd’une lamequ’onsortaitdesonfourreau.Maisjen’avaisaucuneidéedecequiétaitentraindesepasser.Jelevaiunemainpourl’arrêtertoutenessayantdetrouvermesrepères.Unhommeportantunmasque de ski noir se trouvait au-dessus de moi, une arme à feu dont l’extrémité étaitappuyéecontrematempedanslamaindroite.Détailquimemettaittrèsmalàl’aise.

Reyes grogna, et je sentis son besoin viscéral de découper l’homme, de lui régler soncompte.Il lerefoula.Leravala.Maiscen’étaitpaschoseaisée,etsoncontrôlenedureraitpaslongtemps.Cequisignifiaitquejedevraisagirvite.

Je me forçai à me détendre, à reprendre le contrôle sur mes émotions, et tentai dedécouvrirlesintentionsdel’intrus.Est-cequ’ilcomptaitmetuer?Sitelétaitlecas,j’allaisluicoller le fils enragé deSatan au cul.Mais je compris aussitôt la raison de sa présence. Ilexécutaitdesordres.Jeressentaisl’obligation,ainsiqu’unsentimentdérangeantdeplaisir.Ils’agissait d’un messager, fait qui soulevait une question importante : de qui provenait lemessage?

L’homme posa une feuille de papier sur ma poitrine, puis utilisa sa main libre pour meserrerlagorge.

— Tu as quarante-huit heures pour trouver où ils la cachent ou ton amie meurt. (Ilm’écrasa le larynx en me repoussant et enfonça l’arme dans ma tempe en guised’avertissement.)Etpasdeflics.

Ilappuyaunedernièrefoisavantdeserelever;l’instantd’après,ilétaitloin.

Je ne remarquai qu’ils étaient deux qu’à cet instant. Ils s’enfuirent par la porte de machambre sans avoir la moindre idée d’à quel point ils étaient passés près de se fairesectionnerlamoelleépinière.

Je toussai avant de prendre une profonde inspiration tandis que la robe de Reyes sedissipait.Ilseprécipitaversmoi.

—Quic’était,putain?

Jemepalpailanuqueettestaimagorgeendéglutissant.

—Jen’ensaisrien.Maisjevaisbien.

—Monœil.

—Attends,monamie?Iladitamiouamie?

Lapanique fit ricocher l’adrénaline le longdemacolonnevertébrale.Jebondisetcourusjusqu’à l’appartementdeCookie.Elle l’avait verrouillé,Dieumerci. Je tambourinaicontre laporte,puisfisdemi-tourpourallercherchermaclé,maiselleouvritavantquejelatrouve.

—Charley!s’écria-t-elleenseprécipitantversmoi.Qu’est-cequisepasse?

—Tuvasbien?

—Oui.

Cookie regarda autour de nous, se demandant de toute évidence pourquoi ce ne seraitpaslecas.

—Amber,dis-jeunesecondeavantdefoncerdans l’appartementdeCookiepourvérifierlachambredesafille.

Cookiesetrouvait justederrièremoi,ainsiqu’unReyesFarrowenchairetenos. Ilavaitenfilé un jean et était sorti de son appartement. J’ouvris la porte d’Amber et allumai. Elleétait profondément endormie, sa longue chevelure sombre répandue autour d’elle sur sonoreillercommeuneprincessedecontesdefées.

—Charley,qu’est-cequisepasse?murmuraCookiedansmondos.

J’éteignisetrefermailaporte.

— Je suis vraiment désolée, Cookie. Deux hommes viennent de s’introduire dans monappartement.

—Pourquoi,bord…,commençaReyesassezfortpourréveillerAmber.

—Reyes,sifflai-je.Pasici.

Il était de nouveau en colère contre moi. Les hommes et leurs sautes d’humeur. Lesfemmesn’avaientrienàleurenvier.

Je les conduisis tous deux àmon appartement et, à peine eus-je refermé la porte qu’ilrepartitàlacharge.

—C’étaitquoiça,bordel?

Il ne portait pas de tee-shirt et le bouton de son pantalon n’était pas fermé, aussi mefallut-ilunmomentpourrépondre.

—Quoi?Ilsontmenacéuneamie.Ouunami,jenaipasbienentendu.Ilsontditquesijenetrouvaispasunefemmed’iciàquarante-huitheures,cetteamiemourrait.

—Et?demanda-t-ilenserapprochant.

Sacolèrerayonnaitautourdemoi,chaudeetondulante.

—Ets’ilsdétiennentuneamieàmoi,jenepouvaispasvraimenttelaisserleursectionnermoelleépinière,si?

Ils’éloignabrusquementenpoussantungrognementénervé.

Cookieavaitportéunemainàsapoitrine,désemparée.

—Deuxhommessesontintroduitscheztoi?demanda-t-elleenlançantdesregardsauxalentours.

—Oui.Oh!lafeuille!

Je me précipitai dans ma chambre et rapportai la feuille avec laquelle il m’avaitpratiquement poignardée en pleine poitrine. Il s’agissait d’une photo sous laquelle un nométaitécrit.C’étaitça.

—OK,j’aiquarante-huitheurespourtrouvercettefemmeoumonamimeurt.(Jehaussailesépaules.)Commesi jen’enavaisqu’un.Quelami?Jenesaismêmepass’ilparlaitd’unhommeoud’unefemme!

— Je n’en ai pas lamoindre idée, répondit-elle en s’asseyant sur une chaise. Peut-êtrequ’on devrait appeler toutes les personnes auxquelles on pense. S’assurer que tout lemondevabien.Jeveuxdire,onauraitditqu’ilsavaienteffectivementenlevéquelqu’un?

—Àpeuprès,répondis-jeenyréfléchissant.Jenesaispastrop.Ças’estpassétellementvite.

Reyesétaitoccupéàarpenterlapiècecommeunanimalencage,etjenepusm’empêcherde remarquer qu’il était de plus en plus en harmonie avecmes émotions. Il était apparu àl’instantexactoùjem’étaissentieendanger.C’étaittroublant.

—Jesuisdésolée,moncœur,dis-jeenm’approchantde lui.Jenepouvaispascourir lerisque.J’avaisbesoindesavoirpourquoi ilsétaient làavantde lescondamneràunevieenchaiseroulante.

Jeme tus en voyant son changement d’expression. Il était toujours en colère,mais sestraitss’étaientadoucis.

Jelevailamainetremisunebouclederrièresonoreille.

—Quoi?

—Tum’asappelé«moncœur»,dit-ild’unevoixrauque.

Unrirelégerm’échappa.

—C’estunemarqued’affection.

Ilsemitàclignerdesyeux.

—Personnenet’ajamaisappelé«moncœur»avant?«Chéri»?«Monange»?

—Non.

Jemedemandaisbiencommentsesparentshumainslesurnommaientquandilétaitbébé.

—Jesuissûrequesi,maistunet’ensouvienspas.

—Tuauraisdûmelaisserlesréduireenpièces.

— Peut-être, et il se peut que je le regrette plus tard - en fait, si on se fie à mesantécédents,jesuispersuadéequeceseralecas-mais,pourlemoment,iln’enestrien.

Il caressamonavant-brasdubout d’undoigt, certainementparcequ’il ne voulait pas semontrertropdémonstratifdevantCookie.

—Onnedevraitpasappelerlapolice?demandacettedernière.

— Ilsontdit«pasdepolice». J’appelleraioncleBobpour lemettreaucourantdemainmatin.

Elleacquiesçaetserelevapourretourneràsonappartement.

—Oui,dis-jeenlasuivant.Vatereposerunpeu.

—Mereposer?(ElledésignaM.Café.)Toi, tuprépares lecafé.Moi, jem’habille.Onvacommenceràpasserdesappelsimmédiatement.

Bonsang,qu’est-cequej’aimaiscettefemme.

Nous appelâmes tous les amis que j’avais jamais eus depuis le jour de ma naissance.Enfin,pasvraiment,maisc’était l’impressionqueçadonnait.MonamiePari,unetatoueusequiavaitétéinterdited’ordinateurspourcausedehacking,seplaignitpendantvingtminutesquejel’avaisréveillée.Aprèsuneéternité,ellesetutfinalementassezlongtempspourquejepuisse lui demander si un groupe d’hommes portant desmasques de ski la retenaient enotage.Puisjedussupportervingtnouvellesminutesdurantlesquellesellem’expliquaàquelpointmaquestionétaitstupide.

—Çaneteparaitraitpassistupidesituavaisvraimentétéenlevéepardeshommesquiportentdesmasquesdeski,avais-jeargumenté.

Quoiqu’ilensoit,c’étaitladernièrefoisquejel’appelaisà4heuresdumatin.

À6heures,jen’avaisplusd’amisàcontacter.Pasqu’ilnousaitfalluaussilongtempspouraller au bout de la liste. C’était le temps qu’il avait fallu pour que les gens répondent autéléphone.Nousavionsdûenappeler certainsdemanière insistante,détail qu’ilsn’avaientpassembléapprécierlemoinsdumonde.

Laprochainefois,jelaisserailesméchantslesgarder.

OncleBobarrivaverssixheuresetdemieetnous luiexpliquâmescequis’étaitpassé. Iln’arrêtaitpasdereluquerCookie, inquietausujetdesévénementsmaismourantd’enviedesavoircomments’étaitpassésonrencard.Cen’étaitpasmoiquiallaisleluidire.

—Jevaisprendreunedouche,ditReyesenadressantunsignedelatêteàObie.

— Ne prends pas George. (Je lui lançai un regard d’avertissement. Sa douche étaitfantastique. Je l’avaisbaptiséeGeorge, parcequeTom,DickouHarryne lui allaient pas.)Oùest-cequetuvoudraisl’emmener?

Malgrésonhumeurinstable,lefantômed’unsourireapparutsurlevisagedeReyesetserépercuta jusqu’à ses yeux. Ilme donna un chaste baiser, sa bouche caressant lamienneavantderépéterlegestelelongdemajoueetdecontinuerendirectiondemonoreille.Sonsoufflechaudmeprovoqualachairdepoulelorsqu’ilchuchota:

—TumanquesbeaucoupàGeorge.

Puisilseredressaetm’adressaunclind’œilsalace.

Cequ’ilfitensuitesurprittoutlemondedanslapièce.Ilsepencha,embrassaCookiesurla joue, puis chuchota aussi quelque chose à son oreille. J’étais bouche bée. C’était ladeuxièmefoisenautantdejoursqu’illuifaisaitlabise.AprèsavoirpolimentsaluéObiedelatête,ils’enalla.

—Ilyauntrucdonttuvoudraismeparleràvotresujet?demandai-jeàCookie.

Il lui fallutquelques instantspour redescendresurTerre.Lorsquece fut fait, le rouge luimontaauxjoues.

—Ilm’aremerciéed’êtreunesibonneamiepourtoi.

Jeposaiunemainsurmoncœur.Celui-là…

— Il peut être si adorable quand il n’est pas occupé à tuer des démons ou d’autresconneriesdugenre.

—C’estvrai,répondit-elle.

Lebaiseravait euplusd’effet surObiequesurCookie. Jepouvais sentir unepointedejalousie dans lemélange d’émotions qui s’échappaient de lui. Parmi celles-ci se trouvaientégalement lemanquedeconfianceen lui, l’inquiétude,et ledoute.Lepauvre.S’ilproposaitsimplementàCookiedesortiraveclui,toutseraitterminé.Siseulementl’und’entreeuxétaitassezcourageuxpourfairelepremierpas.Fichuesmauviettes.

—Ouais, jevaism’enalleraussi,dit-ilenseraclant lagorgeavantdeserelever.Jevaisenvoyerunofficier…

—Non,oncleBob, tunepeuxpas. Ilsontdit«pasdepolice».Contente-toidetrouvertoutcequetupeuxausujetdecettefemme.Onadéjàpleindeprotectionsici.

Obiejuradanssabarbe,puisdit:

—J’enverraiunofficierencivil.Jeconnaislecandidatparfait.Ilpeutfairesemblantd’êtrevotreneveu,Cookie.Neleperdezpasdevueunseulinstant.Promettez-le-moi.

—Merci,Robert.Promis.

—Jereviendraicesoirpourvoircommentvousallez,lesfilles.

—Oh,tupeuxsituveux,répondis-jeenprenantlesdevants,maisCookieneserapaslà.Elleadenouveaurendez-vous.Populaire,tutesouviens.

Jeluiadressaiunclind’œil.

—Tuessûrequec’estunebonneidée?demanda-t-il.Auvudesévénements.

Cookieétaitoccupéeàmelancerunregardnoir,maisellesouritavantdesetournerverslui.

—C’estvrai,oui.J’avaispresqueoublié.Maissivousvoulezpasser,jepeuxannuler.

—Oh, non, dis-je en faisant ungestede lamain, oncleBobn’a sûrement pasenvie degâchertasoiréejustepourvenirparlerchiffons…N’est-cepas,Obie?

Illuifallutunmomentpourforcerlesmotsàfranchirsesdentsserrées.

— C’est vrai. Tu as raison. Allez vous amuser, Cookie. (Il se dirigea vers la porte.)J’appelleraicesoirpourm’assurerquevousallezbien.

—Pasbesoin,vraiment, lui répondis-je. (Maphrase futponctuéeparunpetitcri lorsqueCookiemefrappadansletibia.J’adressaiunsignedelamainàObiepourlesaluer,puismetournaiverselle.)Qu’est-cequetufais?

—Qu’est-cequejefais?Qu’est-cequetufais?

—Qu’est-cequetuveuxdireparqu’est-cequejefais?Jet’aidemandéenpremier.

—Ilvoulaitpasser,répondit-elleenpointant laportedudoigt.Ilavaitenviedepasserdutempsavecmoi.

—Foutaises,Cook.

Jemelevaietemportaimatasseàl’évier.Maisuniquementpourlarinceretlaremplirdenouveau.

—Foutaises?

—Oui, foutaises. Ilpasse tout le temps. Ilvitpratiquement ici,certainessemaines,maisest-ce que ça vous amenés quelque part ? Est-ce que vous êtes plus proches de sortirensemble ? De vous peloter sur mon canapé ? De jouer à la bête à deux dos dans lestoilettesduMcDo?Mesemblepas.

Ses épaules s’affaissèrent. Lentement. Comme un ballon avec un tout petit trou quiproduitunminusculecouinementensedégonflant.Saufqu’ellenecouinapas.

—Tuasraisonsurtoutelaligne.

—C’estvrai?(Jem’arrêtai,pensive.)Çanem’arrivepassouvent.

—Jesais.Profites-enpendantqueçadure.

Commejelaregardai,bouchebée,elleajouta:

—Quoi?Toutlemondesaitquec’estmoilecerveaudel’équipe.

Ellen’avaitpastort.

—Bon,jevaisallermedoucherpourmedébarrasserdesrésidusdesallesenfuméesetdetypesenmasquedeski.

Cookieselevaetcommençaàfairemavaisselle.

—Oh, non, tu n’espasobligée.S’il te plait, arrête. (J’ajoutai une touchedemélodramepourêtreplusconvaincante.)Vraiment,Cookie.

—Trèsbien,j’arrête.

—Jeplaisantais.Vas-y.Ilfautbienquequelqu’uns’occupedelavaisselle,etonsaittousqueM.Wongnefaitpassapartdestâchesménagères.

Je lançaiun regardaccusateurauprincipal intéresséavantdemedirigervers lasalledebains.

—Jenelavequecelles-cipendantqu’Amberseprépare.

Amber,quiétaitentraindesebrosserlescheveux,assiseàmatabledecuisineparcequeCookierefusaitdelalaisserseuleaprèsnosrécentespéripéties,protesta:

—J’auraispumepréparerdansnotresalledebains,maman.

—Il fautqu’onsedépêche,dit-elleen ignorantsaprogéniture,sinon tuserasencoreenregardàl’école.(Ellehaussaunsourcil,perplexe.)C’estdinguecommeçapeutlesénerver.

Jesecouailatête,confusemoiaussi,entraidanslasalledebainsetfermailaporte.Cenefut qu’à cet instant que je laissai les tremblements prendre le dessus et remarquai que jevoyais trouble et quemon pouls battait trop rapidement dès que je pensais aux hommesdansmachambre,auflinguesurmatempe.Jemeregardaidanslemiroir.J’étaisplusfortequeça.Jepouvaispasseroutre.Lapeurneprendraitpasledessusunenouvellefois.Plusjamais.

J’attrapaimabrosseàdentsetydéposaiune lignededentifrice.Mais je tremblais,et letubes’accrochasur lespoils.Lorsqu’ilsse redressèrent, ilsmeprojetèrentdudentifriceenplein œil. Du dentifrice à la menthe avec du fluor, un blanchisseur de dents et d’autresconneries.

Jehurlaietmerecouvrisl’œildesdeuxmains,trébuchaienarrièreetfistombermafigurinedelaPetiteSirènedel’étagère.

—Monœil!criai-jeenessayantdesurmonterladouleur.Monœilgauche!Çabrûle!

Avantquej’aieletempsdemereprendre,laportedemasalledebainss’ouvritàlavoléeetReyesapparutdans l’encadrement. Ilétaitessoufflé,et l’inquiétudes’échappaitde luienvaguesbrûlantes.

— Sainte Marie mère de Dieu ! s’exclama Cookie en portant des mains gantées deplastiquejauneàsabouche.

Cefutàcet instantprécisque jeremarquaiqueReyesétaitaussinuque le typetoutnuquisquattaitmaJeep.Etilétaitmouillé.Très,trèsmouillé.

ReyesseretournaversuneCookiebouchebée.

—Oups,dis-jeenmerendantcomptedecequej’avaisprovoqué.

Jel’avaispratiquementinvoquéavecmescrisd’agonie.

Il se tenait immobile,beaucommeundieudescendusurTerre,n’essayantmêmepasdecouvrirsonservicetroispièces,etdit:

—J’étaissousladouche.

—Comment vaGeorge ? demandai-je,mais, avant qu’il ne puisse répondre, nous noustournâmestousenmêmetempsverslaprincessedecontedeféesquisetenaitderrièresamère.

Amberavaitlabouchegrandeouverteetlesyeuxcommedessoucoupes.D’immensesettrèsheureusessoucoupes.Cookieplongeadanssadirectionpour tenterdecouvrir lesditsyeux de ses gants jaunes, mais Amber était rapide. Elle fit un pas sur le côté et déjouafacilement les plans de sa mère, ce qui lui permit de voir le fils de Satan de plein frontpendantvingtbonnessecondes.

C’étaitdangereuxpourtellementderaisonsdifférentes.

Jepassaiàl’actionàlasecondeoùjefuscapablededétournerlesyeuxdesonphysiqueparfait : de larges épaules, des fesses en acier, et cette si populaire chute de reins.Maisj’avais quelque chose à faire. Je me précipitai devant lui et ne manquai pas le clin d’œilespièglequ’iladressaàAmberalorsqueCookie la faisaitsortir.Ellerougitetgloussasouscape.

— Bon sang, Reyes, dis-je de monmeilleur ton de reproche. Tu ne peux pas t’exhibercommeçadevantunegaminededouzeans!

Cookiesedépêchadevenircherchersesaffaires.

—C’estvrai,dit-elletandisqu’elletrituraitsalistedechosesàfairedanslajournéetoutenessayantd’éviterdes’attardersurlecorpsdeReyesquiscintillaitdevantelle.

Jelevailesyeuxauciel,attrapaiuneserviettedebainetlapassaiautourdeseshanches.Ilm’adressaunsourireencointandisqu’ilmeregardaitfairesansessayerdem’aider.

Unsoupirvaincus’échappadeCookielorsqu’elles’autorisafinalementàleregarder.

—Tuasmislabarrebientrophaut,maintenant.Personnen’arriveraàlachevillede…(ellefitungestepourledésignerintégralement)detoutça.Tuasruinémafille.

—Désolée,dit-il.

Mais ilne l’étaitpas lemoinsdumonde.Je lesavais.Cookiesourit.Ellepointaundoigtaccusateurdanssadirection.

—Non,tunel’espas.

Ilhaussalesépaules.

—C’estvrai,pasvraiment.

—Racaille,dit-elleavantderefermerlaportederrièreelle.

Oud’essayer.Cettedernièrebutacontrelechambranleavantd’yrebondir.Cookieessayaunenouvellefoisetobtintlemêmerésultat.Puisencore.Etencore.

—Cook,c’estbon,dis-jeenluiprenantmaporteblesséedesmains,quiétaienttoujoursrecouvertesdemesgantsjaunesdevaisselle.Jem’enoccupe.

Elleacquiesçaetseremitenroute,aussiajoutai-je:

—J’aibesoinquetumerendescesgants.

J’examinaimaporte.Elleétaitenbonnesanté.Lechambranle,enrevanche,avaitvudesjoursmeilleurs.

— C’est toi qui as fait ça ? demandai-je à Reyes. Comment est-ce que je suis censéeverrouillermaportesijenepeuxmêmepaslafermer?

—C’estunproblème. (Ils’étaitapprochédansmondoset tenditunbraspar-dessusmatête,m’emprisonnant.)Jecroisquetuvasdevoirvenircrécherchezmoi.

Jebattisdescils.

—OuchezCookie.

Ilmerenditlaserviettedebain,uneexpressionsalacesurlevisagealorsqu’ilretournaitàsonappartement.Entièrementnu.Toutbrillantethumide.Cookieavaitraison.SainteMariemèredeDieu.

Après que l’officier en civil était arrivé chez Cookie, je l’avais laissé l’accompagner aubureaupendantquej’allaischercherMisery.Cookavaitunejournéebienchargéedevantelleavec tout ce que je lui avais demandé, et j’avais assez à faire également pourm’occuperpendantplusieursminutes.Probablementmêmequelquesdemi-heures.

J’avais besoin d’un homme.Un que je pourraismalmener et à qui je pourrais hurler desordres comme un commandant militaire. J’avais besoin d’un homme du nom de GarrettSwopes.C’était leseuldansnotregroupequiavaitvisité l’enfer.EndehorsdeReyes,biensûr. Je fouillai mon sac à la recherche des clés, qui étaient flambant neuves et neressemblaientpasdutoutàmesanciennesclés.JedéverrouillaiMiseryà l’aideduPlip.Çaaussi,c’étaitnouveau.Miseryn’avaitjamaisrieneuquis’opéraitàdistance.Elleétaitplutôtoldschool.Mettre la clé dans la serrure. Tourner. J’étais étonnée de ne jamais avoir eu lesyndrome du canal carpien à force de répéter ces mouvements. Mais, à présent, il mesuffisait d’appuyer sur un bouton. On se serait cru dans Les Jetson. J’imitai lebourdonnementdel’apesanteurchaquefoisqu’ondémarrait.

Après avoir ouvert la porte, j’essayai de monter en voiture. J’y serais parvenue si unrottweillerdequarantekilosn’avaitpasétéassissurlesiègeconducteur.

—Artémis, dis-je alors qu’elle frétillait joyeusement, sa queue trapue s’agitant aussi vitequelesailesd’unbourdon.Tunesaispasconduire.Ladernièrefoisquetuasessayé,tuaspratiquementtuélefacteur.

Elle glapit et posa une patte possessive sur le volant tout en m’adressant un regardsuppliantdesesgrandsyeuxbruns.

Je me penchai et regardai comment se portait M. Andrulis. Artémis ne semblait pas ledéranger.Jelagratouillaiderrièrelesoreilles.

—Écoute,jesaisque,traditionnellement,ceuxdetonespèceetdecellesdesfacteursnevousêtesjamaistrèsbienentendus,maisonn’apasledroitdelestuer.Onnedoitpaslesprendrepourcible.

Jenesavaisjamaissiellelefaisaitexprèsoupas.

Elle aboya bruyamment, désignant quelque chose par-dessusmon épaule. Je tournai latête dans la direction qu’elle indiquait et remarquai que j’avais de la compagnie. Un typed’une trentained’annéesquiportaitunsweat-shirtàcapuchegrisetunpantalonde treillisnousobservait.Enfin,seulementmoi,puisqu’ilnepouvaitpasvoirArtémis.

Je le saluai sympathiquement de la tête avant deme retourner vers Artémis et de dire,entremesdentsserrées:

—Sérieusement,magrande,ilfautquetubouges.

—Jepeuxvouslanettoyer,ditletypeens’avançantdeplusieurspas.

On avait récemment pointé un flingue sur ma tempe et je n’étais pas d’humeur pourd’autres entourloupes de la part d’individus de sexemasculin. Je portai la main dans une

poche intérieure de mon sac de manière aussi nonchalante que possible et enroulai lesdoigtsautourdeMargaret,monGlock.

—Jevousdemandepardon?

Si c’était un sans-abri, il ne l’était pas depuis longtemps. Il était propre et ses habitsétaientpresqueneufs.

—VotreJeep.Jepeuxlalaver.Jefaisçaàcôtédemontravailhabituel.

Il fitencoreunpasdansmadirectionetmetenditunecartedevisitefaiteàlamain.Elleavaitété impriméesurdupapierordinaire,puiscoupéeà l’aidedeciseaux.Parunélèvedematernelle,detouteévidence.

—Ehbien,jevousremercie,maisçavapourl’instant.

— Vous n’auriez pas quelques dollars sur vous, par hasard ? demanda-t-il en reniflantderrièreunemaingantéedemitaines.

—Reculezdequelquespas,etjeregarde.

—Sérieux?demanda-t-il,toutexcité.Merci.

Il recula, et je fouillai unenouvelle foismon sacpour en extrairemonportefeuille tandisquejejetaiuncoupd’œilderrièrelui.

J’avaiseupasmalde rencontresétrangesavecdessans-abricesderniers temps.Enfin,beaucoupdemesrencontresavecdessans-abriétaientétranges.Surtoutcettefoisoùuntypeavaitjetéunhamburgeràlamoutardesurmonpare-brisequandj’étaisarrêtéeàunfeurouge,jeneluiavaisrienfait,enplus.Maisilbeuglaitàtraversmafenêtreenplastique.

Maispeut-êtrequecesrencontresétaientunsignedeDieu.Peut-êtrequ’ilvoulaitque jetravailleaveclessans-abri.Ou,etjecommençaisàsortirdessentiersbattussurcecoup-là,peut-êtrequec’était un vastepiègebienorchestrédans lebutmeprendreenphotoaveccesgensafindepouvoirmefairechanterpar lasuitepourmeforceràfairequelquechosed’interdit par la loi. En général,mes pensées n’allaient pas trop dans cette direction,maisc’était lecascettefois-ci.Sûrementparcequ’ilyavaituntypeassisdansuneberlinebeigedel’autrecôtédelarouteavecunappareilphotogrand-anglebraquésurmoi.

Etrangement,j’avaisvucettemêmeberlinebeigetrèssouventcesdernierstemps.

Le typeavait l’aird’avoirpris lesclichésqu’ilvoulait. Ilavaitbaissésonappareilphotoetétaitentraindelesfairedéfilerquandjefrappaiàsavitre.Trèsbruyamment.

Ilsursautaetdevintlégèrementagitéenremarquantqu’ilavaitétésurpris.

—Etvousêtesqui,vous?demandai-jeenluihurlantpratiquementdessus.

Jen’allaispasmetournertranquillementlespoucespendantqu’onmepiégeait.

Biensûr,ilyavaitdesavantagesàcrier.Avecunpeudechance,çaattireraitl’attentiondetoutepersonnedanslesenvirons.S’ilm’attaquait,j’auraisdestémoins.

Je fouillai rapidement lesalentoursdu regard. J’auraisprobablementdû le faireavantdeprovoquerunétrangerquiavaitpotentiellementunAK-47planquédanssessous-vêtements.Heureusement,unhommeétait en traindesortir lespoubellesdupetit caféqui jouxtait leCalamity.Ilfitunepausedanssatâchepournousobserveravecunintérêtmodéré.

PasdeReyes,cependant.Sûrementquelaseulechosequ’ilressentait,cellequil’appelaitàmoi,étaitunpicd’adrénaline.J’essayaidegardermoncalmeafindenepas l’invoquer. Ilavaiteuunenuitchargée,avecnosénergiessexuellesquis’étaiententrechoquéescommedesatomesenpleinefusionnucléaire.Etensuiteilyavaiteulestypesauxmasquesdeski.Ajoutezàçaledentifrice,etReyesdevaitêtreaussiclaquéquemoi.

Jereportaimonattentionsurlepaparazzi.

—C’estquoicesconneries,mec?hurlai-je lorsqu’il se retournapourposersonappareilphotosurlesiègepassager.

Ilenfilalaclédansl’allumageet,pouruneraisonobscure-mesréflexesétantsifélins-,jetentaid’ouvrirsaportière.Jecomptaisbien letirerhorsdesavoiturepar lescheveuxet lefrapper jusqu’àcequ’ilvidesonsac.Dieumerci,saporteétaitverrouillée,parcequej’avaisdûperdremonsensdesréalitésàunmomentdonnéquandjem’étaisapprochéedelui.Sonmoteursemitenmarcheet,avantquej’aieletempsd’ajouterunautregrosmot,ildémarraentrombe,passantàdeuxdoigtsdemeroulersurlesorteils.

Je restai immobilependantunebonneminute, sous lechoc. Il n’étaitpassimplementenmissionpourmepiéger:alorsqu’ilmedépassait,j’avaisvuunevestesurlesiègearrière.Uninsigneétaitfixéàlapoche.Ils’agissaitunflic.

Chapitre9

Jenesaispasoùj’enseraissanslecafé.

Probablemententraindepurgerunepeinede15ou20ans.

Autocollantdevoiture

Putaindemerde.JemeprécipitaiversMiserydansl’espoird’attraperl’autretype-puisqu’ilétaitdetouteévidencedemècheaveccelui-ci-,maisilavaitaussimislesvoiles.Jeclaquailaportièreenjurantàmi-voixavantdeprendreconsciencequemonsacétaittoujourslà.Ilauraitpulevolersifacilement.Dieusoitloué.

Lorsque je rouvris laportière,Artémis s’était déplacéesur le siègearrière.Elle regardaitdroit devant elle, adorable comme tout, comme si elle avait vraiment voulu occuper cetteplacedepuisledébut.

—Jesuisdésolée,magrande,dis-je tandisque jeprenaisplace.M.Andrulis, jen’aipaspourhabitudedehurleretdeclaquer lesportières,maissefairesurveillerdans lecadredecequiestprobablementunesortedepiègemerendgrincheuse.

Ilneréponditpas,etjecommençairéellementàmesentirmalpourlui.Ildevaitavoirfroid.

JedémarraiMisery,lalaissaiàl’arrêtpendantcinqsecondes-cequiétaitquatresecondesdeplusqued’habitude-,puissortisduparkingàlarecherched’unhommeavecuncomplexed’infériorité.

Lorsquejem’arrêtaiàl’agencedanslaquelleGarrettSwopestravaillaitlaplupartdutemps,la réceptionniste m’apprit qu’il était parti en opération pour appréhender un fugitif. Jedemandaiàlacharmantejeunefemme,quiétaitbientropjeunepourtravaillerdanscegenred’endroit,oùsedéroulaitcettefameuseopération.

—Oh,jenepeuxpasvousdireça,MmeDavidson,répondit-elleenfaisantéclaterlabulledesonchewing-gum.Mononclemetuerait.Ilmel’adit.Ilamenacédemetrancherlagorgependantmonsommeilsij’avaislemalheurdevousdonnerlamoindreinformationsurunedenosaffaires.

—Waouh.C’estunpeudur,ça.Tononcle,hein?

—Oui.Ilm’apriseàl’essaipourvoirsijeconviendrais.

—C’estlecas?demandai-jeenladétaillant.Jeveuxdire,ondiraitqueoui.

Elleclignadesyeux,essayantdecomprendrecequejesous-entendais.

—Queouiquoi?

—Quetuconviens.

—Oh,fit-elleenrigolant.Onm’amiseengardecontrevous.Jenepeuxpasvousdireoùilsetrouve.Vousnemetirerezpaslesversdunez.

Elle recommença à mâcher son chewing-gum et à se passer du vernis à ongles, etj’acquiesçai.

—Je pense que tu feras du très bon boulot,ma grande.Swopes ne serait pas dans unimmeubleaucoindeGirardetLead,parhasard?

Elleouvritlaboucheengrand.

—Comment…?

Ehbien,c’étaittoutcedontj’avaisbesoin.

—Merci,mapuce.Passelebonjouràtononcledemapart.

Je luiadressaiunsignede lamain tandisque jesortais.Lapauvre.Elleavait toutes lesinformationsentripleexemplairedevantelle.Jen’avaispaseu lecouragede luidireque jesavaislireàl’envers.

Avec un peu de chance, elle s’en rendrait compte toute seule au bout d’un moment. Ilfaudrait qu’elle apprenne vite si elle comptait travailler avec son oncle. Il n’avait pas sonpareil pour retrouver lesgens, à l’époque. Il avait la réputationd’avoir la dent dureet unemâchoire en acier. Malheureusement, son nez n’était pas fait du même matériauindestructible. Il avait été cassé plus d’une fois et pointait à présent légèrement sur lagauche,maisc’étaitunchictype.

Enfin quand même, pourquoi était-il allé dire à sa nièce de ne me donner aucuneinformation ? On était amis de longue date. Et je lui avais présenté mes excuses pourl’incidentde l’ananasplusieursmoisauparavant. Il fallaitvraimentqu’il lâche l’affaire.Un telressentiment finissait par empoisonner les gens. Il finirait avec un ulcère s’il ne faisait pasattention. C’était un peuma spécialité, cependant. Provoquer des ulcères. Tout lemondeavaitledroitd’êtredouépourquelquechose.

Jemegarai derrièreun fourgonnoir et coupai le contact. J’avaisperduArtémisquelquepart entre Central et Juan-Tabo. Elle avait repéré un chat. Garrett se tenait au coude àcoude avec deux autres types. Ils portaient tous des badges autour du cou. Je prisrapidementconscienceque l’und’entreeuxétait l’onclede la réceptionniste,Javier.Et il luiavaitditdenepasmedonnerd’information.J’espéraisque jen’allaispas lamettredans lepétrin.

Ilssetournèrenttousversmoienmêmetemps.GarrettSwopesétaitungrandtypeà lapeauchocolatetauxyeuxgrisétincelants.Ilpossédaitégalementdesabdosàtomberàlarenverse.Pas qu’ilm’intéressait,mais il était difficile de passer à côté de ce détail vu qu’ilouvrait toujours la porte torse nu. Peut-être que c’était parce que jeme pointais toujourschezluiaumilieudelanuit.Marrantcommej’avaistoujoursbesoindelevoirvers4heuresdumatin.

Ilétaitentraind’enfilerungiletpare-balles.Celuiqu’ilsallaientappréhenderdevaitêtreunsaletype.IlenfallaitbeaucouppourqueSwopessorteleKevlar.

Javiermitquelquesinstantsàmereconnaitre.IlfronçalessourcilsetditquelquechoseàGarrettenpointantundoigtdansmadirectiondefaçonrépétée.Garrett le laissa fulminer,hocha la tête, puisme fit signe d’approcher. Je ne connaissais pas le troisièmehomme. Ilétaitaumoinspartiellementasiatiqueetavaitl’aird’avoirparticipéàtropdecombatsdebat.Maisbon,après tout,quiavait vraimentbesoinde toutessesdents?Onenavait trop,àmonavis.

JesortisdeMiseryetmedirigeaiverseuxd’unpasnonchalantenaffichantunsourirequil’étaittoutautant.

—Commentavez-voussuoùnousétions?demandaJavier.

—Jel’ignorais.JesavaisseulementoùtrouverSwopes,j’aibesoindeluiparler.Vousêteslacerisesurlegâteau.

Jebattisdescilsenleregardant.

Ilfronçavivementlessourcils.

—Vousn’avezpasapportédeC-4,n’est-cepas?

—Javier,ilfautquevouslaissieztomber.Ilyaprescription.

Ilsortitsonarmedepoingetretiralecrandesécurité.

—Jevaisvousenfaireune,moi,deprescription.

— Allons, allons, tempéra Garrett en se battant pour lui reprendre l’arme. Charley faitressortirlepireennoustous.Cen’estpassafaute.

—Ilaraison,dis-je.J’aiunproblème.

—Tuvois?continuaGarrett,montrantquiétaitlepatron.

Mêmesi,ilfallaitêtrehonnête,c’étaitluiquimenaitlabarqueetc’étaitgrâceàluiqueleurbusinessétaitaussiprospère.

—Onadutravail,Swopes,ditJavieravantdereculer.

Je me tournai vers Garrett, reconnaissante du soutien qu’il m’avait témoigné. Ilcommençaitàs’attacheràmoi.Unpeucommeons’attacheauxanimauxerrantsquinoussuiventpartout.

—Jepeuxvousaider.

Javierrevintàlachargeenentendantmaproposition.Ilavaitprévudem’envoyerbalader,maisilchangeasoudainementd’avis.

—Ouais,dit-ilenmeregardantdelatêteauxpieds.Vouspouvez.Allezfrapperàlaportedel’appartement504decetimmeuble.DitesquevousvenezdelapartdeCrystal.

Garrett ricanadanssabarbeetvérifiasonarme.Lesmusclesdesesbrasbiendessinésressortaientquandilfaisaitça.Bonsang,j’adoraislesbras.

—Onnepeutpasl’envoyerlà-haut.

—Biensûrquesi,contrai-je.Jesuisprêteàaideraumieuxdemescapacités,parcequec’est ce que font les amis les uns pour les autres. Ils se prêtent main-forte en temps decrise.Ilssesoutiennent.

Ilabaissasonarmeetmeprêtatoutesonattention.

—OK,dansquelpétrintut’esencorefourrée?

—Quoi?demandai-je,choquée.Moi?

—Ons’ymetoupas?demandaletroisièmetype.Mesbeaux-parentssontà lamaison.Ilsessaientdeconvaincremafemmequejesuisunbonàrien.Qu’elledevraitmequitteretrepartiràPortoRicoaveceux.Ilfautquejerentreavantqu’elleserendecomptequ’ilsontraison.

Jeris,etilhaussalesépaules.

—Çamechangeraitlesidées.Attends,Crystaln’estpasuneproxénète,n’est-cepas?

—Quisait,réponditJavier.Maissivousyallez,çam’aideraitgrandementàoubliercequis’estpassé.

—Latequilaaussi.Maisjevaislefaire.Jesuisprête.Envoyez-moienmission,chef.

—Jenesuispasvotrechef.

Jefronçailessourcils.

—Trèsbien,ditGarrettaprèsqueJavierm’eutmontrédesphotosdeDaniel,letypequ’ilsvoulaientappréhender,etqu’ilm’eutditexactementquoifaire.

Onmarchaitmaindanslamainendirectiondel’immeubleet,toutaufonddemoi, jepriaipourqueReyesnepointepas leboutdesonnez.Le tempéramentdecegarçonétaitunpeudéréglé,cesdernierstemps.Enfin,c’étaittoujourslecas.

—Dequoituasbesoin?

Je risunenouvelle fois,essayantdedonner lechangeetdenous fairepasserpourdesamantstandisqueJavieretlemauvaisépouxprenaientpositionsurlescôtésdel’immeubleetsepréparaientàentrer.

—D’unmilliondedollars,mais,detapart,justedesavoiroùtuenesaveccelivre.

—Lesprophéties?demanda-t-il,surpris.LedocteurvonHolsteinesttoujoursentraindetravaillersurlestraductions,maisilafaitquelquesdécouvertesassezformidables.

Jedevaismeretenirdeglousserchaquefoisqu’ildisaitlenomdudocteur.Ilétaittellementdrôle. Il fallait absolument que je baptise quelque chose vonHolstein. Dommage que j’aiedéjà trouvé un nom à mon canapé. Peut-être une chaise. Ou la salière. Je pourrais labaptiserClarabellevonHolstein.

—C’esttout?demanda-t-iltandisqu’onentrait.

—Pastoutàfait.Est-cequ’ilyaquelquechosededansausujetdesDouze?

Ilralentitàpeine,maisjusteassezpourquejecomprennequej’avaistouchélejackpot.

—Eneffet.PlusieursstrophesausujetdesDouzeetdeleurrôledanslefoutoirquinousattend.

Mon cœur se serra. Je faisais en général demonmieux pour éviter le conflit avec descréatures échappées de l’enfer dans le simple but de me déchirer la jugulaire avant deramenermon cadavre à leurmaitre. Surtout quand leditmaitre définissait l’expressionmal

incarné.

Jelevaibravementlamain.

—Paslapeinedeprendredesgantspourmeménager,Swopes.

—Pasmonstyle.

—Ceseraittropdemanderd’avoirunevraienuitdesommeil.

—Çanerisquepas.

—Est-cequ’ongagne?demandai-je.

Onarrivadevant l’ascenseur,quisemblaitaumoinsaussidignedeconfianceque le typedans larueunpeuplustôt,quioffraitdeséchantillonsgratuitsdebonbonsbleusdansdessachetsplastique.

Garrettappuyasurlebouton.

—Commentça?

—Lefoutoir.LesDouze.(Jefisungesteampledelamainpourexprimer l’étenduedelachose.)Est-cequ’onparvientàlesbattre?

Les portes s’ouvrirent.Nous entrâmes, puis il appuya sur le bouton du cinquièmeétagetoutenm’adressantunregardlégèrementconfus.

—Pourquoiest-cequ’onlesaffronterait?

—Parcequ’ilsveulentmatêtesurunplateau.

Toutengardantmamaindans lasienne-mêmesi jenesavaispastroppourquoi,dans lamesureoùiln’yavaitpersonnedansl’ascenseuravecnous-,ildemanda:

—Pourquoiilsvoudraienttatêtesurunplateau?

—Parce que, répétai-je enm’impatientant, il s’agit des Douze. C’est apparemment leurtruc.

—Charles, il fautquetuarrêtesderegarderdesfilmsendeuxièmepartiedesoirée.LesDouzesontdenotrecôté.Ilssontenvoyéspourteprotéger,toi,laprincessedelalumière.

—Hein?Cesontdeschiensdel’enfer.Commentçasefait…?

—Deschiensdel’enfer?

Aprèsquej’eusacquiescé,ildemanda:

—Littéralement?

J’acquiesçaiunenouvellefois.

—Alors on ne parle pas desmêmesDouze.Ceux quementionnent les prophéties sontdesêtresspirituels.

—Ildoityavoiruneerreur,dis-jeaumomentoùonsortaitdel’ascenseur.

Une moquette tachée et dégageant une forte odeur d’urine et de produits chimiquesrecouvraitlesoldescorridorslugubres.Jemerecouvrislenezetlabouche,essayantdemeprotégercontrel’arômereconnaissableentretousdelaproductionillégalededrogue.Jeme

demandais si Daniel la préparait ou s’il n’était qu’un distributeur. Mais, le pire, c’était lespleursd’unbébéàl’autreboutducouloir.Pourquoiest-cequ’ilyavaittoujoursunbébéquipleuraitauboutducouloir?

Ilnousfallutenjamberdevieuxsacsdefast-food,descanettesdesodaetdebièrevidesetunvieuxjeandéchiréavantdetrouverlaportedeDaniel.Garrettpritpositiondansl’anglequimenaitàl’escalieretsortitsonarme.

Lorsqu’il me fit signe qu’il était prêt, je pris un chewing-gum, levai la main et frappaipresque.

Garrettmequestionnasilencieusementenhaussantlesépaulesdemanièreinsistante.

Jemepenchaidanssadirectionetchuchotai:

—Pourquoionsetenaitlamain,enbas,enjouantlesamoureuxtransis,sijesuislaseuleàentrerchezlui?

Lesourirequiapparutsursonvisagedébordaitdetantdemalicequejefaillisrire.

—Espècedesaleperversprofiteur,dis-jed’untontaquin.

Ilm’adressaunclind’œiltandisquejeredressailesépaules,puisjefrappaipourdebon.

— Quoi ? hurla une voix masculine, dont le propriétaire n’était de toute évidence pascontentd’êtredérangé.

Mais j’avais frappé trop tôt. J’avais oublié que les seuls chewing-gums qu’il me restaitétaientdesextraacidulés.Ceuxquipromettaientdevousfairegrimacer.

Jeclignaidesyeuxpourchasserleslarmes,tentaideréalignermespaupièresetdis:

—J’viensd’lapartd’Crystal!

Pouruneraisonquim’échappait,j’avaisparléavecmonplusbelaccentnew-yorkais.

Daniel ouvrit la porte à la volée avant que j’aie eu le temps de reprendre le contrôle demes paupières. Je sentais que l’une des deux se contractait en luttant contre la saveuratomique qui pressait mes joues l’une contre l’autre plus sûrement qu’une tante tropenthousiaste.Legenrequiporte tropde rougeà lèvresetquia lesonglespointus.Danielm’observa quelques instants, durant lesquels je forçai mes yeux à obéir, fis claquer lechewing-gum de manière aussi énervante que possible, et lui adressai un clin d’œil. Il mesalua d’un geste de sa grosse tête. Elle se trouvait au-dessus de grosses épaules quin’étaient battues que par le ventre encore plus gros qui se trouvait au-dessus de ce quidevaitêtredeschaussuresdepointure50.

Après avoir à son tour étudié chaque centimètre carré dema personne, il jeta un coupd’œilàgaucheetàdroiteducouloir.Lorsqu’ilfutsatisfaitdevoirquepersonnenesecachaitdanslecoin-Garrettétaitdoué-,ilmefitsigned’entrer.

—Muffyestlà.

—Muffy?répétai-jealorsqu’ilmefaisaitsigned’entrer.

Est-cequej’allaisdevoirfairesemblantdevouloircoucheravecunefille?UnefilledunomdeMuffy?C’étaitquoicommenom,ça,Muffy?Sij’étaisuneprostituée,jechoisiraisuntruccooletoriginalcommeVénus.OuJuliaRoberts.

Ducoindel’œil,jeremarquaiJavierdansl’angleducouloirducôtéopposé,échappantdejustesseau regard consciencieux deDaniel leméchant.Garrett s’avança tandis quenotrecible refermait laporte,scellantmondestincommeunsacZiplocretient la fraicheur.Jenepouvais qu’espérer qu’ils se dépêcheraient. Si je devais embrasser une prostituée assezstupidepourse faireappelerMuffy, j’allaisexigerdesdommageset intérêts.Ellenedevaitsûrementpasavoirunetrèsbonnehygiènedentaire.

—Leshampooingsetrouvesouslelavabo,ditDaniel.Essayezdenepasleboucher.

OK.Çadevenaitbienplusperversqueceàquoi jem’attendais.J’auraisbesoindesuivreune thérapie quand tout serait terminé. Non, attendez, j’avais déjà besoin de suivre unethérapie.Oublionsça.

Tandis quemon imagination hyperactive inventait toutes sortes de scénarios expliquantpourquoiMuffyetmoiaurionsbesoindeshampooing,unadorableyorkshirecachéderrièreunfauteuilaboyaaprèsmoi.

—Etn’oubliezpassesgriffes,ditDaniel tandisqu’ilse laissait tomberdansledit fauteuil.Ladernièrefois,lafillenes’enestpasoccupée.

Ilétaitsérieux?Jecroyaisquejedevaisêtreuneprostituéeouquelquechosedugenre?

Je fouillai les environs du regard à la recherche d’autres habitants,mais il semblait êtreseul.

—OK,fautjustequ’j’envoieuntextoàCrystalpourluidirequ’j’suisbienarrivée,v’voyez?

—Commevousvoulez.

Ilattrapa la télécommandeet remit leson.Un jeuquelconquepassaità laTV,et lescrisencourageantsde la fouleenvahirent la pièce.Bien.Çaétoufferait le boucanque lesgarsrisquaientdefaire.

Je soulevai Muffy pour la tirer du chemin, puis envoyai un message à Garrett : « Unhomme.Seul.Etunyorkshire.Comptejusqu’àtrente.»JevoulaismettreMuffyensécuritédansuneautrepièceavantqu’ilsnedémolissentlaported’entrée.

— Je vous ai jamais vue avant,me criaDaniel. Ça fait longtemps que vous taffez pourCrystal?

—Hmm,ouais,v’savez.

Ilrecoupalesondutéléviseur.Mince.Qu’est-cequej’avaisdit?

—Combiendetemps?demanda-t-il.

Ilserelevaetnousrejoignitàlacuisinejusteaumomentoùj’envoyaislemessage.

Jefourrailetéléphonedansmapoche.

—Seulementque’quesmois.Elleavaitb’soind’que’qu’unpendantqu’Valérieestabsente.

—C’estqui,ça,Valérie?

Restersimple.Nepasfairecompliqué.Mais,avantquejepuisserépondre,ildemanda:

—C’estcellequin’aquelapeausurlesosetquis’estbarréeavecManuel?

Jerisethaussailesépaules.

—J’saispas.J’I’aijamaisrencontrée.

—Cettefilleétaitunevraiefolle,bonsang.Vousauriezdûvoircequ’elleafaitauxoreillesdeMuffy.Elleavaitjustebesoind’unecoupe,quoi.J’aipasenviequ’onluifoutedesrubansridiculeset des trucsdugenre.FoutueValérie. Je lui avaisdit, et ça l’apasempêchéedefairedesmèchesrosesàMuffy.

Onpouvaitfairedesmèchesàdeschiens?

—OK.Pasd’nœuds.Pasd’mèches.Noté.

—Super.Alors,qu’onsoitbien…

La porte d’entrée s’ouvrit brutalement et je plongeai sans attendre avec Muffy. Danieln’étaitpasstupide.Iln’hésitapasunesecondeavantdes’élancerverslagrandefenêtredelacuisine.Ilretiralecarreausaleetfonçatêtelapremière,soncorpsimposantétrangementrapide.

—Swopes!appelai-jeenlançantMuffysursoncoussinpourmeprécipiteràlapoursuitedeDaniel.

Cedont je n’avais pas conscienceà cet instant, c’était queDaniel était dugenreà toutprévoir. Ildevaitêtresuspicieuxdenature. Ilsavaitquesiquelqu’unessayaitde lui tomberdessussanspasserpar laporteprincipale,cequelqu’unseraitobligédechoisir lasortiedesecours pour grimper jusqu’à son appartement, et il avait donc desserré des boulons del’échelleàincendie.Personnen’auraitpumontersansquetouts’effondre,etilétaitleseulàsavoiroùposerlespiedspourdescendreentoutesécurité.Lesystèmed’alarmedupauvre.

Jen’avais jamaisreçulemémo.Aussi,dèsl’instantoùjetombaiàpeuprèsdelafenêtreen le suivant sur la plateformede l’échelle de secours branlante, la rampe lâcha sous nospoids et s’écroula, retenue uniquement par les boulons inférieurs. Daniel se retint à desbarresqu’ilavaitprobablementinstalléesdanscebutprécis,maissansprisestablepourlespieds,ilnepourraitpastenirlongtemps.Larambardesebalançait,lemétals’entrechoquantcontrelemétaltandisqueletroisièmehommedenotregrouperestaitplantédansl’alléeau-dessousdenous, les yeuxécarquillés.Daniel grogna lorsque samainglissa, et il retombasurlaplateformebranlante,sonpoidscausantunnouveauséisme.

Aussitôt,noustombâmesdecinquantedangereuxcentimètres.Jemetenaisàlarambardecommesimavieendépendait,lespiedsballants,tandisquej’essayaisdetrouverunendroitoù lesposer.Je regardaiunenouvelle foisenbasavantdemesouvenirduvieiladagequidisait:«Nejamaisregarderenbas.»Cinqétages,c’étaitfoutrementhaut!

—Charley!

LatêtedeGarrettdépassaitdelafenêtreau-dessusdemoi.

—Quoi?demandai-je.Attrape-moiavantquejeplongeversunemortcertaine.

Maisils’enalla.Sérieusement?

—Tut’amusesbien?demandaReyes.

Unpicd’adrénaline,etilavaitaccouru.C’étaitsympadesapart,maisilétaitincorporel.Iln’allaitpasvraimentpouvoirm’aider.Enfin,plutôt,jenepensaispasqu’ilseraitenmesuredelefaire.Ilétaitassissurlarambarde,sagranderobeondulantautourdeluicommeunevoile

auvent.Ilbaissasoncapuchon,puislaissalarobes’immobiliserautourdeluietdisparaitre.

—Pasvraiment.J’entendisdessirènesauloin.

—Putaindemerde, s’exclamaDanielenessayantd’empêcher laconstructionmétalliquedetanguer.

Ilsetrouvaitplushautsurl’échelledesecours.J’étaisdanslapartieinférieure,retenueparle bout des doigts. Des souvenirs des récrés à l’école primaire commencèrent à défilerdevantmesyeux.J’avaistoujourséténullepourgrimperauxcagesàpoules.J’étaiscellequisechopaitdeséchardesettombaitdanslapoussièreàmi-chemin.

—Desidées?demandai-jeàReyes.

—Tupourraisgrimper,répondit-ild’untonpragmatique.

Je ne tenais réellement plus que par le bout des doigts. Grimper dans cette positiondemanderaitbienplusdeforcedanslehautducorpsquejen’enpossédaisencetinstant.

—Tun’espasentraindemettretonpoidssurcettebarreenmétal,desfois?

—Jenecroispas.Jepeuxm’enallersituveux.

—Non!criai-je.

—Quoi,pétasse?demandaDaniel.Jet’airienfait.

Jegrognai.Ilfallaitquejesoisbloquéesuruneéchelledesecoursquis’effondraitavecuntypequiauraitpudonnerdufilàretordreàunsumo.

— Je pourrais t’aider, dit Reyes, et je sentis mes doigts déraper, la moiteur de mespaumesayanttendulabarreglissante.Est-cequetuveuxquejet’aide?

Onétaitvisiblemententraindejoueràunjeu.Jeluiadressaimonplusbeauregardnoir.

Ilricanaetdit:

—C’estunebêtequestionàlaquelleilfautrépondreparouiounon,Dutch.

Avantquej’aieletempsd’ajouterquoiquecesoit,undrapapparutdevantmoi.

—Attrape!hurlaGarrett,maisjenepouvaispaslâcher.Sijelefaisais,jetomberais.

Mes doigts glissèrent encore d’un centimètre, et j’entendisReyes àmon oreille, sa voixaussiprofondeetbellequ’ill’était.

—Lâcheprise.

—Jepeuxpas,chuchotai-jeàgrand-peine.

—Biensûrquesi.

Mais,avantque jepuisse lui certifier lecontraire,mesmainsglissèrentdenouveauet labarrem’échappatotalementdesmains.

Chapitre10

J’étaisquelqu’und’indécis.

Maintenant,jenesaisplustrop.

Tee-shirt

Maréactionfutimmédiate.L’adrénalinemeparcourutviolemmentetrapidement.Lessonss’évanouirent.Lagravitédisparut.Etletempss’arrêta.Lesangquipuisaitàmesoreillesfutremplacé par une étrange impression de pression tout autour de moi, comme si j’étaisaspirée.

Je regardai en haut. Le drap flottait au-dessus dema tête comme s’il était en train demonter,etnondetomber.J’arrivaisjusteàvoirGarrettquidépassaitdelafenêtre,tenantledrap,l’expressionsévère.Ils’étaitcoupélamain.Lesangquiavaitcommencéàcoulerétaiten trainde retourner làd’où ilvenaitcommesi le tempsnes’étaitpascontentéde ralentirmaiss’étaitretourné.

J’étaisstupéfaite.Jesentaislittéralementlechangementdegravité.L’attractiondelaterresousmespiedsdevintuneinfimeimpulsiondanslesensinverse.Jevolais!

Enfin,jeflottais.Mais,avantquejenepuissetropmeréjouiretperdrel’avantageprécieuxque j’avais en cet instant, je sentis l’énergie de Reyesm’envelopper comme un champ deforceets’emparerdemonpoignetalorsquej’agrippaisledrap.

—Prête?demanda-t-il.

Mais,aumomentoù ilprononçacemot, le tempsseremitenplaceenunéclair,commes’ilsevengeait.Ildéferlasurmoicommeunevaguegéante.Lesonexplosaàtraversmoietlagravitérepritsesdroits,plongeantendirectiondelaterreetm’arrachantpresqueledrapdesmains.

Jem’écrasaicontre l’immeubleetmebattispournepaslâcherprisependantqueGarrettmeremontait.

—Tiensbon!cria-t-ilentresesdentsserrées.

Iln’eutpasbesoindelediredeuxfois.

JeremismescheveuxébouriffésderrièremesoreillestandisqueGarretts’approchait.

—C’étaitquoi,ça?demanda-t-il, ravivantmacolère.Onavaitun typepour lecueillirenbas.Tun’avaispasbesoindesortirparlafenêtre.

—Jenesavaispasquevousaviezun typeenbas.Toutcomme j’ignoraisqueDaniel ici

présentétaittellementparanoqu’ilavaitpiégélasortiedesecours.Vousauriezpumefairepartduplan.

—Tuvasbien?

—Oui.Trèsbien.Maisj’aimalauxongles.Commentvatamain?

—Elleguérira.Encoreplusvitequandelletiendraunchèquede10000dollars.Doncc’esttontour:dequoivoulais-tumeparler?

— Ah, oui, les Douze. Mes sources disent que les Douze sont un groupe de démonsemprisonnésquisesontéchappésdel’enferetviennenticipourmedémembrer.

Ilsefigea.

—Non,attends.Pourmedéchiqueter.Jecroisquec’estcequ’iladit.

Ils’appuyacontresavoiture,vérifiantlesbandagessursamain.

— Le docteur von Holstein m’a dit qu’il y avait plusieurs mentions des Douze. Je luidemanderaideregarderçadeplusprès.

—Parfait.Enattendant,soistrèstrèstrèstrèsprudent.

—Uneraisonparticulière?

—Oui,des typessesont introduitsdansmonappartementetm’ontordonnéde trouvercettefemmesousquarante-huitheuresouunouuneamiemourrait.(JesortisunecopiequeCookieavaitfaitedelaphoto.)Leproblème,c’estquejen’aiaucuneidéedequiilsparlaient.

—Jesavaispasquet’avaisdesamis.

—Jet’ai,toi,répondis-jeentapotantsonbicepsviril.Tunelaconnaitraispas,parhasard?

Ilsecoualatête.

—Désolé.Maisjepeuxfairedesrecherches.

—Merci.Et,pourtagouverne,jen’aiaucunementl’intentiondetrouvercettefemme.Çapourraitêtredangereux.

—Dangereux, çame va. (Il rangea la photo pliéedans sapochearrière.)Alors, que sepassera-t-ilquandlesDouzeserontlà?

— Oh, ça. Disons qu’on mourra tous de façon douloureuse et horrible. Ou alors jepourraismeservirde ladaguequetuastrouvée.Jen’auraiqu’à lesconvaincredese jetersurlalamel’unaprèsl’autre.

—Tonplanestàchier.

—Lesgensn’arrêtentpasdemedireça.

—J’aipenséàuntruc,récemment,dit-il.

—Àunseul?Ilnefaudraitpasfatiguertesméninges.

—Jecroisqu’ondevraittravaillerensemble.

Un autre partenaire. D’abord tante Lil, et maintenant Swopes ? Est-ce qu’il se tramait

quelquechosequej’ignorais?

—Tuasunjob,luifis-jeremarquer.

—Oui,maisj’aienvied’élargirmeshorizons.

Ehbien,tanteLilétaitdéjàpartante.Onpourraitêtreuntrio.OnseraitleTrioTerrible.Çapourraitlefaire.

—J’yréfléchirai.Tuasdesréférences?demandai-je.

—Aucunequit’impressionneraitvraiment.

—Hmmm,onpeutfaireabstraction.

—Ondevraitallermangeruntruc.Enparler.

Une femmeavecundosnu jauneetunshorten jeanapparutaucoinde la rue, jetauncoup d’œil aux nombreuses voitures de flics et à l’ambulance, et fit demi-tour. Je medemandaisic’étaitlafilleenvoyéeparCrystal.

—EtMuffy?demandai-jeàGarrett.

—C’estqui,Muffy?

—LeyorkdeDaniel.

—Bon,d’accord,maisseulementun.Jen’aipasfaimàcepoint.

—Illuifautunfoyer.

—Nemeregardepascommeça,fit-il,horrifié.

—Swopes,jenepeuxpaslaprendre,jenesuisjamaisàlamaison.

—Parcequemoisi?

Lorsquejeluilançaiunregardnoir,ildit:

—Trèsbien.Jepensequejeconnaisquelqu’unquipourrait laprendre.Maistumeserasredevable.Encoreunefois.

Jepouffai.

—Jene tedois rien.Cen’estpasparceque tu t’es fait tirerdessusquelques foisetesalléenenferquejetedoisquelquechose.

Ilneréponditpas.Nousétionsdansuneimpasse.Uncul-de-sac.Unevoiesansissue.Jecédailapremière.

—D’accord.Qu’est-cequetuveux?

Ilregardalesgensquis’activaientautourdenoustoutenrépondant.

—Tutesouviensdecettefemmequivenaitchezmoijustepourqu’oncoucheensemble?Marika?

—Ouais,biensûr.Tum’asditqu’elleavaiteuunfils.Quiétaitpeut-êtreletien.

—Ouais,ehbien,j’aimeraisenavoirlecœurnet.Çadevraitêtreassezfacile.

—Tuveuxquejeluidemande?

—Non.Elleafaitinscriresonmaricommeétantlepère.Ellenetediraitjamaislavérité.

—Ah,maisc’estmaspécialité,ça.Jesaisquandlesgensmentent,tutesouviens?

—Ça ne veut pas dire qu’elle te donnerait le nom du père. Et je n’ai pas envie qu’ellesacheque jeme renseigne.Siquelqu’uncommenceàposerdesquestions,ellevadevenirméfiante.

—D’accord.Tuveuxquoi,danscecas?

—Jet’enparleraiplustard,répondit-ilalorsqueJaviernousrejoignait.D’icilà,est-cequetuconnaisdebonnesrecettesàbasedeyorkshire?

—Cen’estmêmepasdrôle.

—Unpeu,si.Ondevraitquandmêmeallermangeruntruc.Parlerdenotrefuturcommun.

—Ne te faispas tropd’idéessurnous,Swopes. Jesuisquasi fiancée.Et jenecouchequepourducafé.

—Jelisdesstatuts,dit-il.Jeconnaislachanson.

Jefronçailessourcils.

— Je pourrais te cuisiner toi pour diner, à la place. Te faire rôtir au-dessus d’un puitsenflammé.

Uncoindesabouchesereleva.

—J’aidéjàdonné.

Cerappelmefitgrimacer.

Après avoir répondu aux questions de l’APD et m’être fait passer un savon par lepropriétairedel’immeuble,quiétaittrèspointilleuxencequiconcernesesissuesdesecours,je dis au revoir à Garrett et partis en direction du centre-ville. M. Andrulis et moi nousrendîmesjusqu’àunasilepsychiatriquequejeconnaissaisbien.Pasbienparcequej’yavaisétéinternéeouquelquechosecommeça.Lebâtimentavaitétéabandonnédanslesannées1950etabritaitunedespersonnesquej’aimaisleplusaumonde,leRocketMan.

Jem’étais très mal comportée la dernière fois que je l’avais vu. Je n’étais pas revenuedepuis,engrandepartieparceque j’avaismenacédedécoupersapetitesœurdecinqansenmorceauxs’ilnerépondaitpasàmesquestions.Lahontemebrûlaitlesjouesrienqued’yrepenser. J’étais souvent passée devant l’asile en voiture ces dernières semaines, et jen’avaisjamaisoséentrer.

Je restai assise dans la voiture pendant dix minutes avant de comprendre que jen’entreraispasnonpluscettefois-ci.Bon,jemanquaisdecourage,maisc’étaitaussiparcequ’unevoiturequim’avaitsuiviesurplusieurspâtésdemaisonsétaitàprésentgaréeenbasdelarue,etqueleconducteurfaisaitexactementlamêmechosequemoi.Ilétaitassisetilattendait.

Audébut, je pensai au flic dumatinmême, celui à l’appareil photo,mais c’était unautrevéhiculeet l’hommederrière levolantavait lescheveux foncés.Jesortis le téléobjectifquej’avaisachetépeudetempsauparavantàuntypequivendaitdestéléobjectifsetdesplantes

en formed’animauxdans lecoffredesavoiture.Je l’avaisachetéafindepouvoirêtreunevraie détective privée et prendre des photos à distance au lieu de me contenter de montéléphone. J’avais bien trop souvent dû m’approcher pour obtenir un bon cliché et avaismanqué deme faire chasser dans la rue par des hommes qui essayaient d’escroquer leurcompagnied’assurancespouruneblessuredescervicalescensée lesempêcher totalementde marcher. Ces mecs couraient vite. Je pris quelques clichés par-dessus mon épaule,essayantdenepasfairefuirmonmodèle.Et/oulepousseràvenirs’enprendreàmoi.Lescourses-poursuitesn’étaientjamaisaussiamusantesdanslavraieviequ’aucinéma.

Lorsque je parcourus lesphotosque je venais deprendre, qui représentaient engrandepartiel’intérieuredemaJeep,j’attrapaimontéléphoneetappelailebureau.

—EnquêtesDavidson,ditCookie.

C’étaitbeaucoupplusprofessionnelquemafaçonderépondre,quifaisaitsouventmentiondelubrifiantsparfumés.

—Ouais, m’dame, j’pourrais avoir une pizza avec une croûte fine et un supplémentpoivrons?

—Non.

Rah.Onétaitd’humeurgrincheuse,aujourd’hui.

—Jecroisquequelqu’unmesuit.

—Est-cequ’ilporteunmanteaublancetunfiletàpapillons?

Marrantqu’ellediseçaalorsquejemetrouvaisdevantunasilepsychiatrique.

—Non,maisjesaisquic’est.Etjesaisquiaenvoyéceflicprendredesphotosdemoicematin.

—Unflicaprisdesphotosdetoicematin?

— Ouais, j’ai posé pour le calendrier annuel des desserts des Filles de la Révolutionaméricaine.Tuseraissurprised’apprendreàquelpointlescupcakesmevontbienauteint.

—J’endoute.

—Vilegredine,va.Enfait, jecroisqu’onessaiedemepiéger,et j’aimerais justequ’ilsoitinscritauprocès-verbalquejesuisinnocentedetoutcedontilspourrontm’accuser.

—Ehbien,onnepeutpasdirequ’ons’ennuieavectoi.

—Dieumerci.

—Uneidéedequiestderrièretoutça?

Jeregardaidenouveaul’écrandel’appareilphoto.

—Oh,queoui.Ilestgrand,porteuncostumeetdonnetoujoursl’impressiondesortirdenullepart.

—Superman?

—LecapitaineEckert.

— Le capitaine ? demanda-t-elle, le souffle coupé. Pourquoi ?Qu’est-ce qu’il aurait à y

gagner?

—Jedécouvriraiçabienassezvite.Jeluirendraibientôtvisite.D’icilà,qu’est-cequ’ona?

— Alors, la femme de la photo est l’unique témoin d’un meurtre qu’a commis PhillipBrinkmanenpersonne.

—Levendeurdevoitures?demandai-je.Sespubssontridicules.

—Lebruitcourtquelaventedevoituresn’estqu’unecouvertureetqu’ilseraitenréalitéungrandpontedeladrogue.

—Sérieux?Yapasunesérieàcesujet?

—Ilasupposémentbattuunhommeàmortdansunaccèsderage.Quandilaremarquéquesapetiteamieétaittoujoursdanslamaisonetavaitassistéàtoutelascène,ilaessayédelatuer,elleaussi.Elleatoutjusteréussiàs’échapper,etelleaintégréleprogrammedeprotectiondestémoins.

—Leprogrammedeprotectiondes témoins?C’est quoi, cebinz?Pourquoi ces typespensentquejepeuxlaretrouver?Ilestplusdifficiled’obtenirdesinfossurlesgensquiontintégréleprogrammequed’entrerdansmesjeansslim.

—Jel’ignore,mais lapersonneresponsabledel’affaireesttacopine, l’agentCarson.Ondirait que leFBIenquêtait sur lui depuisunmomentpourd’autres charges. Ilsnepeuventrienfairetenircontrelui,alorsilsessaientdelefaireinculperpourcemeurtre.

—Etducoup,c’estquoi,leproblème?

—Ilsn’ontpasdecadavre.

—Ah,ouais.Çacompliqueleschoses.OK,autrechose?

—Ouaip.Jenesaispassi tuasenviedesavoirçamaintenant,mais lefilsdesFosteraréemménagéàlamaisonetvitavecsesparentsletempsdefinirsonmasteràl’UNM.

—Sérieux?Ilestlà?Tuastrouvéunephotodelui?

—Biensûr.Plusieurs,enfait.IlestsurFriendbook.

—Génial.Et?demandai-je,lacuriositémebrûlantdel’intérieur.

Ça,oualorsj’avaisbutropdecafé.

—Ilneluiressemblepaslemoinsdumonde,répondit-elle, ladéceptionpalpabledanssavoix.Sérieusement.Nideprèsnideloin.TuessûrequelesFostern’ontpasadoptécetype?Ilestvraiment…blanc.

J’éclataiderire.

—Désolée.

— Non, je veux dire blanc comme neige sans être albinos. Ce qui est tout à faitconvenable. Jem’attendais juste à ce qu’il soit un peu plus comme Reyes. Tu as vu desphotosdesFoster?

—Enfait,non.C’estpourçaquej’avaisvraimentenviedelesapercevoir.

—C’estunevraiedéception,jet’avertistoutdesuite.Jeveuxdire,ilestmignon.Cen’estsimplementpasReyes.Loindelà.

—Vois les choses du bon côté : tu peux voir Reyes tout le tempsmaintenant qu’il estdansnotreimmeuble.Et,desfois,tupeuxmêmelevoiràpoil.Toutcommetafillededouzeans.

Ellelaissaéchapperunsoupirtransi.

—C’estvrai.Jet’envoielelienFriendbook.

—Super,répondis-jeenmeretenantdeglousser.Merci.

—Pasdequoi.Autrechose?

—Commentesttonangegardien?

—Mignonetmarié.

Jerisàhautevoix,cettefois-ci.

—Ilfautquej’ailleparleràl’agentspécialCarsonpourobtenirdesinfossurleVendeurdeVoituresLouche.Jecroisquec’estcequejevaisfairemaintenant.

—C’estunebonneidée.Sinon,àproposdelapizza…Tuplaisantais,n’est-cepas?

—Jeplaisantais.J’enauraipourunmoment.Vamangerquandtupeux.

—Jen’ymanqueraipas.Reyesfaitsesfameusesquesadillasdepouletaupimentvert.

Mauditsoit-il.

—Profites-enbien.

Jeraccrochaietcliquaisursonlien.

Midi approchant,mon estomac décida d’entonner son concert habituel de gargouillis. Jesurveillai lecapitaineEckertdansmonrétroviseurpendantunmoment.Mêmesic’était trèsamusant, je devais aller voir une gentille au sujet d’un méchant et découvrir pourquoi leVendeurdeVoituresLouchepensaitquejepourraisl’aideràretrouversonex,lafemmequil’avaitsupposémentvucommettreunmeurtre.Cequiétaitplutôtlalose.Ledéjeunerdevraitattendre.

Mais je devais encore découvrir pourquoi lesMen in Black pensaient que je pourrais laretrouver.Maseuleconnexionàl’affaireétaitmonamitiéavecl’agentCarson,maisc’enétaitunebienmaigre.Cen’était pascommesi on trainait ensembleendehorsduboulotouuntrucdugenre.Etcommentquiconquesauraitqu’onétaitpotes?

Jecomposaisonnuméro.Tombaisursaboitevocale.Attendis le«bip».Puis j’imitaiaumieuxlavoixd’unépouvantablekidnappeur.

—Ceci est unedemandede rançon, fis-je d’une voix aussi rauqueque j’imaginais cellesdeskidnappeurs.Livrezcentboitesdecrackersau fromageà laJeeprougebanalisée-enignorantsaplaqueminéralogique -quise trouvedansvotreparkingd’iciàmidiaujourd’hui,ou vous en subirez les conséquences. (Je marquai une pause pour tousser. Le rauqueabimaitconsidérablementl’œsophage.)Ellesseraientterribles.

Jeraccrochai.C’étaitmamanièredefairesavoiràl’agentCarsonqu’ellepouvaits’attendre

à une visite. Il se pouvait qu’elle ne soit pas au bureau,mais je devais tenter le coup.Engénéral,elleignoraitlesappelsquandelleétaitenréunion,cequisignifiaitqu’elledevaitêtreausiègeduFBI.Donc,guidéeparcettesainelogique,jem’ydirigeai.

Àmagrandesurprise,cependant,ellemerappelapresqueaussitôt.

—Salutcopine,dis-jeenguisedesalutations,espérantqueçaallaitnousrapprocher.

— Il vaudrait mieux bloquer votre numéro quand vous faites des demandes de rançonridicules.

—Ellen’avaitrienderidicule.VousavezdéjàpenséàchangerdenompourAC?OuASC,puisquevousêtesunagentspécial.Al’américaine,çasonneraitencoremieux:SAC.

—Charley…

—Çavousiraitbien,maintenantquevouspouvezmesacquer.Etvouspourriezêtresurmondossansqueçamedérange.

—Jesuisunpeuoccupée,là.

—Désolée.Désolée.J’aijusteunequestion.

—Allez-y.

—Vousavezdesamisdanslesservicessecrets?

Ellehésitaavantderépondre:

—Non.

—Mince.J’espéraisquevouspourriezarranger leschoses.Ondiraitque j’ai faitgrincerquelquesdents.C’estsensible,cespetiteschoses.

Jel’entendissepasserunemainsurlevisage.Ellefaisaitsouventçaquandj’étaisdanslesparages.

—Qu’est-cequevousavezencorefait?

—Rien,jevousjure.Maislesgensdeviennentvraimenttrèsnerveuxquandvousappelezaccidentellementleprésidentparcequevotretéléphoneétaitdansvotrepochearrière…Demanièrerépétée.Genresoixante-dix-huitfois.Cejeanestvraimenttropserré.

—Charley,est-cequecetteconversationaunbut?

—J’espèrebien,sinonjegaspilledel’essencepourrien.

Est-cequ’onpourraitseretrouverpouruncafé?

—Biensûr.Retrouvez-moiauFlyingStar,surPaseo.

—Paseo?demandai-je.CommedansPaseodelNorte?Qu’est-cequevousfichezlà-bas?

—Jesuisunagentdeterrain,Charley.Jevaissurleterrainetj’enquête.

—Oh,biensûr.

Mathéorieselonlaquelleelledevaitêtreàsonbureauétaitbonnepourlapoubelle.

Je fisunmagnifiquedemi-toursans fautes.Peudegensapprécièrentmesprouessesau

volant.Nilefaitquej’avaisbloquélacirculationsurplusieursvoies.

—Lavied’unefemmeestenjeu!hurlai-jeparlafenêtre.

Enfin,c’estcequej’auraisfaitsielleavaitétébaissée.

J’entrai dans le café, passaima commande habituelle, qui comprenait lemotmocha, unsandwichchaudauthonavecdesfritesetunetranchedeleurcheese-cakeaucaramelsalé-parcequ’onnevitqu’unefois-,puisallaim’asseoirenfacedemapresquesupercopine.

Non,mafuturesupercopine.

Non!Maquasisupercopine.

J’avaisquandmêmepasmalderelationsencemomentquienétaientaustadefragiledu«quasi».

Se donner rendez-vous dans un lieu public était une bonne idée. Si j’étais suivie-parquelqu’und’autreque le capitaine-, personnenemeverrait entrer au siègeduFBI.C’étaitplutôtpratique.

—Hey,Sac.JepeuxvousappelerSac?

—Non.

Ellepritquelquesgorgéesdecafé,soncourtcarrébrunparfaitementcoiffé,soncostardbleumarineparfaitementrepassé.J’avaisl’impressiond’êtreunesouillonàcôtéd’elle.

Elleétaitentraindelirelejournal,m’ignoranttotalement.C’étaitbizarre.

—Alors,commentsepasseleboulot?

—Trèsbien.(Ellerefermalejournal.)Vousavezjetéuncoupd’œilsurledossier?

Celuide l’enlèvementdubébéFoster.Comment luidireque jesavaisexactementcequ’ilétait devenu? Jenepouvaispas.Pasencore. J’avaisbesoind’unpeuplusd’informationsavantdejetercepavédanslamareetcréerplusdevaguesdansl’univers.Luiavouerquejesavaisoùcebébésetrouvaitdepuisledébutpourraitbrisernotrelienfragile.Maissij’allaislatrouveraveclapreuveirréfutablequelessoupçonsdesonpèreétaientfondés-àsavoirquecetteaffaireétaitpluscompliquéequ’iln’yparaissait-,notrelienseraitaussisolidequelafoisoùjem’étaisaccidentellementcollédesdoigtsensembleàlasuperglu.Çaavaitétéunesemaine trèsétrange.Onn’apprécie jamaisassezsespoucesopposables jusqu’àcequ’onensoitprivé.

—Biensûr,répondis-jeenprenantàmontourunegorgéedecafé.Jesuisencoredessus,maisj’aiunebonnepiste.

Bienqu’ellesoitrestéeimpassible,sesémotionssedéchainèrent.Elleavaitvraimentenviededécouvrir cequi s’était passé,pour sonpère.C’était tout ceque je lui souhaitais,maisj’avaisuneaffaireplusurgentesurlefeu.

Elletendaitlamainverssoncafélorsquejedis:

—EmilyMichaels.

Ellesuspenditsongesteet levalesyeuxdansmadirection,mais,avantqu’ellenepuisse

direquelquechose,unserveurapportamanourriture.

—Vousnemangezpas?luidemandai-je.

—Non.Jenesavaispasquevouscomptiezmanger.

—Jemange.Vousdevriezcommanderquelquechose.

—Qu’est-cequevousavezpris?

—Sandwichchaudauthon.

—C’estbon?

—EmilyMichaels,luirappelai-je.

J’avaisl’impressionqu’ellefaisaitexprèsdechangerdesujet.

—Pourquoivousvoulezquejevousparled’EmilyMichaels?

—Parceque.

Elleserraleslèvres.

—Pourquoi?

—Jenepeuxpasvousledire.Letypequipointaitunflinguesurmatempeabienprécisépasdeflics.

Elleouvritlaboucheengrand.Jesongeaisincèrementàyjeterunefrite,justepourvoirsij’yarriverais,maiscen’étaitprobablementpaslemeilleurmoment.

—Est-cequejepourraisluiparler?demandai-je.

—Non.

—Vouspouvezarrangerunrendez-vous?

—Non.

—Vouspouvezmedireoùellesetrouve?

—Non.

Purée, c’était une dure à cuire. Le FBI lui avait sûrement appris à résister auxinterrogatoires. On ne m’avait jamais opposé une telle résistance. Avec tant dedétermination.Peut-êtrequ’ilfaudraitquej’essaiededemandergentiment.

—Jen’utiliseraipascetteinformation,luidis-je,commesiçaallaitchangerquelquechose.J’enai justebesoincommesécurité. Ilsm’ontditqu’ils tueraientunamisi jene la trouvaispas.

— Dans ce cas, donnez-leur une fausse adresse et appelez-moi. J’enverrai une équipepourlesintercepter.Vouspouveztémoignercontreceshommes.Ethop,emballé!

—Etensuite,quoi?IntégrerleprogrammedeprotectiondestémoinsavecEmily?Non,merci.

—Ehbien,sivouspensezqu’ilya lamoindrechanceque jevousdonnecetteadresse,vousaveztort.

Jemedisaisbien.

—Pourquoim’ont-ilschoisie?medemandai-jeàhautevoix.

—Sûrementparcequ’ilssontaucourantdenotrelien.

—Quellien?

—Déjà,onestamies,dit-elleenhaussantlesépaules.

Bingo!

—Oui. Évidemment. (Maintenant que j’avais la certitude qu’on l’était, je pouvais mourirheureuse.)Etensuite?

—Vousêtesdétectiveprivée.Ilsontprobablementpenséquevouspourriezorganiserundineravecmoietmedemanderdevousdonnercetteinformationdebutenblanc.

Jegloussai.

—Ilssontdingues.Quiiraitimagineruntrucpareil?

—Jemedemandebien,répondit-elle,impassible.Ilfautquejesignaleça,Charley.

—Vousnepouvezpas.Pasdeflics,vousvoussouvenez?

—Désolée. Je ne peux pas garder ce genre d’information pourmoi. Si les hommes deBrinkmansontdésespérésàcepoint,c’estqu’onserapproche.Onpourraitl’utiliserànotreavantage.

—Etmon avantage, àmoi ? Et l’avantage de l’ami qu’ils sont censés tuer,même si jecommenceàcroirequ’ilsnesaventpasvraimentquisontmesamisproches.

—Finissez, dit-elle endésignantmonsandwich. J’ai besoinque vouspassiezaubureaufaireunedéposition.

—Sac!C’esthorsdequestion!

—Jevousferaientrerpar-derrière.VouspouvezlaisservotreJeepici.

Putaindemerde.

—Désolée,dis-jeenme levant,mais jenepeuxpascourir le risque.S’ilsontventd’uneenquêteàcesujet,leschosespourraienttrèsmaltournerettrèsvite.

Sonvisageperdittouteexpression.

— Je vous passerai les menottes, Charley. Je peux vous arrêter pour obstruction à lajusticeetvousretenirjusqu’àcequevouscoopériez.

Jemerassis.

—Moiquipensaisqu’onétaitamies.

—On l’est,c’est la raisonpour laquelle jevaisprendreautantd’informationssur lesujetquepossibleetenquêter.C’estmonjob.Laissez-moivousaider,pourunefois.

Delafuméemesortaittrèsprobablementdesoreilles.

— Vous m’avez toujours fait confiance par le passé, et j’ai résolu plusieurs grossesenquêtespourvous.Vousavezdéjàoublié?

Ellesefrottal’avant-bras.

—Nomde…Trèsbien,voilàcequ’onvafaire.Jeferaiunrapportpréliminaireendéclarantqu’ilyauneforteprobabilitéd’atteinteàlavied’Emily.Vousavezquarante-huitheures.

Jesavaisqu’ellemelaisseraitréglerçaàmafaçon.Avecunpeudechance,leschosesnetourneraientpasmal.

—Maissileschosestournentmal,nousrégleronsçaàmafaçon.

Parfois, jemedemandaissiSacpouvait liremespensées.Lestrèsbonsamisenétaientcapables.

Chapitre11

Quellebellejournée.

Jecroisquejevaissautermesmédocsetallerfoutreunpeulebordel.

Autocollantdevoiture

Après avoir convaincu une demesmeilleures amies sur Terre dem’accorder un peu detempspourl’affairedesMeninBlack,jemedirigeaiverslamaisondesFoster,puisquej’étaisdéjà dans le coin. J’étais à présent tout aussi curieuse que Cookie au sujet de leurapparence.Avaient-ilslapeauclairecommeleurfils?Sioui,commentsefaisait-ilqueReyessoitsisombre?Siexotique?

L’unedespossibilitésétait,naturellement,qu’ilaithéritédesonvraipère.Ressemblait-ilàSatan?Si telétait lecasetqu’ilavaitchoisi lesFosterpourêtresesparentshumainssurTerre,n’avait-ilpasprisencomptelefacteurdelacouleurdepeaulorsqu’ilavaitchoisiunefamillepotentielle?

Biensûrqu’ill’avaitfait.Reyesétaitbientropintelligentpournégligerunteldétail.

Jemegaraidevantunemaisonvidequiétaitàvendreet fissemblantd’êtreunacheteurpotentiel, furetantàdroiteetàgaucheavantdem’arrêterpourvérifiermon téléphone. Ilyavaitunvide-grenierquelquesmaisonsplushautquiproduisaitunfluxdecirculationrégulier,alorsjenedétonnaispasdanslepaysage.CommejesavaisqueMmeFosterseraitbientôtderetourchezelle,jem’assisàl’extérieur,enprofitantpourvérifiermese-mailsetgribouillerdansmoncarnet.Mesgribouillisserévélèrentêtredesmotsqui finirentparsetransformeren noms. « Charley Farrow », écrivis-je, appréciant la sensation que cela produisait. «CharleyDavidson Farrow ». Est-ce que je devaismettre un tiret ? Comment faisaient lesfemmes,denosjours?«MmeReyesFarrow».Jepourraistrèsbienm’habitueràcenom.

JerelevailesyeuxjusteàtempspourvoirunePriusentrerdanslegaragedesFoster.Laporteserefermaavantquejepuissevoirlaconductrice,exactementcommeladernièrefois,mais ça n’allait plus tarder. Je sortis le dossier que l’agentCarsonm’avait donné, celui dukidnappingquiremontaitàprèsdetrenteans.

Je jetaiuncoupd’œilàmonacolyteetmepromisde trouverdu tempspouraller rendrevisiteàsonépouse,MmeAndrulis.Lepauvrehommeavaitbesoind’en finiraveccequi leretenait ici. Je ne pouvais pas le laisser se promener tout nu comme ça. Ce n’était pascorrect.

—Etj’aivraimentdelapeineànepasregardervotrepénis.

—Onmeleditsouvent.

Jesursautaienentendantlavoixprovenantdusiègearrièreetclaquaimoncalepin.Reyesétait apparu, très chaud et très… corporel. Il semblait plus solide que d’habitude en cemoment.Moinséthéré.Lesdéfuntsétaient toujourssolidespourmoi,mais ilsn’enavaientpas l’air.EtmêmesiReyesavait toujoursunpeuplusdecouleurque lesvrais fantômes, iln’enétaitpasmoins incorporel.Pasréellementchair,maispasuniquementespritnonplus.Quelquechoseentre-deux.Dernièrement,toutefois,ilpenchaitducôtéchair.

—Qu’est-cequetufais?demanda-t-il.

—Rien.J’allaisàunvide-grenier.J’aibesoind’unnouveaugarageet…regarde!Ilyenaunàvendre!

IlobservalamaisondesFosterdel’autrecôtédelarue.

—D’accord,dit-il,et jesentisunepointedecolèremonterenlui.Danscecas,qu’est-cequetuattends?

—Jemerenseignesurlasituation,répondis-je,espérantqu’ilmecroirait,maisconscienteauplusprofonddemoiquej’avaisperdulapartiebienavantqu’ellenecommence.

Puisquemesplansavaientétédéjoués,jedécidaid’allerauvide-grenier,aprèstout.J’allaisluimontrer.

JesortisdeMiseryetclaquailaportière,laissantmonquasi-fiancémijoterdanssacolère.

Troisfemmesétaiententraindesedisputer.Leurdésaccordsemblaittournerautourd’unobjet du vide-grenier. Deux d’entre elles étaient tirées à quatre épingles à la mode desannées1950ou1960.Latroisième,quiétaitlapluspetite,portaitunerobedechambrerosesoyeuseavecunVbrodésurledevantetdespetitespantouflesd’appartement.

—Oh, jemesouviensdecetteboiteàmusique,dit-elleenregardantunepetite filles’ensaisiretouvrirlecouvercle.C’estpapaquil’avaitfaite.Iltel’avaitdonnéepourtesseizeans,Maddy.

— Non, Vera, dit la plus grande des trois. Il l’a donnée à Tilda pour son vingtièmeanniversaire.

Elle fit un geste en direction de la troisième femme, qui hocha la tête pour signifier sonassentiment.

Lapremière,Vera,neselaissapasmarchersurlespieds.

—MadisonGrâce, jeme souviens de cette boite, et jeme souviens du jour où il te l’adonnée.

—IlaoffertuncadredephotoàMaddypoursesseizeans,ditTilda.

—Non,ilm’adonnéuncadrepourmesquinzeans.

—Tuessûrequec’étaient tesquinzeans?demanda-t-elleenregardanten l’air toutenréfléchissant.Jecroyaisquec’étaitl’annéeoùtuavaisétérenvoyéedanstachambreparcequetuavaisvoléunbaiseràBradfordKingsleydansleplacardàbalais.

—Jen’aijamaisembrasséBradfordKingsley,rétorquaMaddy,choquée.Onnefaisaitquediscuter.Et,enplus,ilenpinçaitpourSarahSteed.

Elles baissèrent toutes les trois les yeux, se rappelant visiblement leur amie avectendresse.

—Lapauvre,fitVera.Elleavaitvraimentmauvaisehaleine.

ElleshochèrenttristementlatêteavantqueTildan’ajoute:

—Siseulementelleavaitpusemercecoq,elleetBradfordseseraientmariés.

J’observai les trois femmes tandis qu’elles tentaient de démêler leurs souvenirs sansparvenirà tirer lavéritéauclair.Lapetite,Vera,semblaitêtre laplusâgée,TildavenaitensecondetMaddyfermait lamarche.C’étaitunpeucommeregarderunesitcom.Etdans lamesure où je n’avais plus trop le temps de regarder la télévision, je profitai pleinement dudivertissement.

Ellesrecommencèrentàsedisputerausujetd’uneboitedepeinturelorsqu’unefillettes’en

emparapourl’apporteràsamère.Lesyeuxdelafemmebrillèrentd’intérêt.

—Combienpourça?demanda-t-elleàunhommeinstallésurunechaiselongue.

—Deuxdollarset25cents.

— Combien ? hurla Vera, sortant aussitôt de son état mélancolique. (Elle secoua sonpoingendirectiondel’homme.)Jet’endonneraicinqdanslamâchoire,qu’est-cequetudisdeceprix?

—Ne temets pasdans tous tes états, lui ditMaddyen jetant un regard appuyéà leurgrandesœur.

Veraportaunemainàsonoreilleetsepenchaenavant.

—Qu’est-cequetudis?

Tildasecoualatêteetmeregarda.

—Ellefaitçapournousénerver.

Je ris doucement et observai la petite foule qui nous entourait pour m’assurer quepersonneneprêtaitattentionànous.

—Vousaimerieztraverser?leurdemandai-je.

— Dieu du ciel, non, répondit Maddy. On attend notre sœur. On a envie de traversertoutesensemble.C’étaitunepremière.

—C’estsympa.Voussavezoùmetrouverquandvousserezprêtes.

—Etcomment,fitVera.Vousêtesdureàmanquer.

Jeremarquaiunevieillepièceposéedetraverssurunetablepliante.

—Qu’est-cequec’est?demandai-je,fascinée.

—Jenesaispastrop,ditl’hommedanslachaiselongue.

—Maddy, ton petit-fils a toujours été une vieille crapule. (Elle me regarda.) Ça ne faitmêmepasunesemainequesapauvremèrese trouveenmaisonde repos,et ilvenddéjàtoutcequiluiajamaisappartenu.

— Tout ce qui nous a jamais appartenu, corrigea Tilda. Et ceci est un détecteur demensonges.NotrepèretravaillaitpourHoover,voussavez.

—CeHooverétaitundrôled’oiseau,ditVeraenretroussantlenezdedégoût.

Maddyfronçalessourcilsenlaregardant.

—Ah,parcequemaintenanttuentendscequ’ondit?

Veraportadenouveauunemainàsonoreille.

—Comment?

Jemeretinsderire.

—Unpolygraphe?Pourdevrai?

—Quoi?

Cettefois-ci,c’étaitlavieillecanailledepetit-filsquidemandait.

—Est-cequ’ilfonctionne?

—Aucuneidée,répondit-ilavantd’attraperunebière.

—S’il fonctionne?demandaMaddycommesi je l’avais froissée. Il fonctionnecommeuncharme.Jel’aiutilisésurTildaunefoisquandellesortaitavecmonpetitamidansmondos.

—Cen’étaitpasmoi,Maddy.C’étaitEsther.Etdanslamesureoùtun’avaisaucuneidéedecequetuétaisentraindefaire,lesrésultatsn’étaientpasconcluants.

—Combien?demandai-jeàl’homme.

Ilhaussalesépaules.

—Vingtdollars.

—Vendu.

—Vingt…Vingtdollars?Cettepiècedevraitsetrouverdansunmusée,pasdansunvide-grenier.

Cegarçonauraitbesoind’unebonnecorrection.

Jepayailetype,puismedirigeaiverselles.

—Jesuisd’accordavecvous.Sic’estbienunéquipementd’origineduFBI,jevouspariequejepeuxledonnerauxbonnespersonnes.

—Vouspouvezfaireça?demandaMaddy.

—Jepeuxessayer,dis-jeenhaussantlesépaules.

—Merci,ditVera.

Jehochailatêteetramassaimonachat.

—Jesavais ceque je faisais, ditMaddyalorsque jem’éloignais. J’ai simplementdécidéd’agirenadulte.

Tildaricanaetellesrecommencèrentàsedisputer.J’étaispresquetristepourEsther.Elleavaitunsacrépassifquil’attendaitdèsqu’elletraverserait.

Je décidai d’aller déposer le polygraphe à la maison avant de repasser au bureau. Sil’agent Carson et moi étions toujours amies, je le lui donnerais en lui demandantexpressément de le passer aux bonnes personnes. Il y avait sûrement un musée du FBIquelque part, et çame rapporterait probablement un bon point. Je croyais fermement aubien-fondé des bons points. Ils étaient un peu comme les points fidélité. Et les coupons-rabais.Onn’enavaitjamaisassez.

Tandisque jeconduisais,cependant,unevieille femmesortiedenullepartsematérialisaaubeaumilieude laroute.Mesréflexesétantcequ’ilsétaient, jedonnaiungrandcoupdevolant sur la gauche, nemanquant quedepeud’emboutir unpaquet de vélos et de râperMiserycontreunlampadaire.

Jefreinaibrutalement,mecognantlefrontcontrelevolantaucoursdel’opération.

La femme portait une chemise de nuit fine comme du papier, bleu clair comme ses

cheveux.Même si je ne l’avais vue que pendant une fraction de seconde, c’était suffisantpourremarquerlapeurquipesaitsursesfragilesépaules.ElleneressemblaitenrienàtanteLil, mais je ne pus m’empêcher de comparer les deux. Si Lil était effrayée et perdue, jeretournerais lemondeentierpour la retrouver.C’était l’impressionquecette femmem’avaitdonnée.

Heureusement, le coin où je me trouvais n’était pas très fréquenté en ce moment.Personne n’avait remarqué mon petit incident. Je tournai la tête pour voir comment seportaitM.Andrulis.Il fixaittoujoursunpointdroitdevantlui,commesiderienn’était,aussifouillai-jelesenvironsduregardàlarecherchedelafemme.Elleavaitdisparu.

Comme je n’avais pas vraiment le choix, je reculai pour retourner sur la route etredémarrai,maislafemmeréapparut.Aumilieudelaroute.

Ilmefallut invoquertoutelaforcequejepossédaispourm’empêcherdepilerparréflexe.Pournepasvirersurlecôté.Rentrerdansquelquechose.Jefreinaidoucementtandisqu’onroulaitàtravers lafemme.Aprèsavoirvérifié lacirculation, jemegaraidansuneplacelibreetsortis.Elleavaitdenouveaudisparu.

Il était hors de question que je joue à ce petit jeu toute la journée. J’allais finir par tuerquelqu’un,à ce rythme.Alors je croisai lesbrasetm’appuyai contreMiserypourattendre.Après une ou deux minutes, la femme réapparut. Elle se matérialisa droit devant Misery,regarda partout autour comme si elle essayait de comprendre où elle se trouvait, puisdisparut.JefisletourdemaJeepetattendis.Cettefois-ci,lorsqu’ellerefituneapparition,jel’attrapaigentimentparlebras.

Elle battit des paupières, puis fronça les sourcils, plissa les yeux, sûrement pour seprotégerdelalumièrequejedégageais,etrelevalatêtepourmeregarder.

— Salut, dis-je doucement une microseconde avant qu’elle ne me plante son pied siviolemmentdansletibiaqueleslarmesmemontèrentauxyeux.

Je la relâchai et sautillai sur place, jurant àmi-voix.Aprèsm’être reprise, je lui lançai unregardnoir.

—Vousavezdûvousfairemalauxorteils.(Aprèstout,elleétaitpiedsnus.)S’ilvousplait,dites-moiqueçavousaaussifaitmal.

—Oùest-cequevous l’emmenez?demanda-t-elle, sonvisageaussicraqueléquede laporcelainegrimaçantdehaine.

Elle levaunpoingdansmadirection,merappelant fortementVeraquelques instantsplustôt.

—VousvousappelezEsther,c’estça?demandai-je.

Elleétaitpeut-êtreladernièredessœurs.

—Monnomnevousregardepas,catin.Rendez-le-moisur-le-champ.

Catin?

—Hashtagj’ai-pas-tout-compris,luidis-je.Etl’oscarhebdomadairedelapersonnelaplustimbréeestdécernéàlafolleauxcheveuxbleus!

— Je ne suis pas folle, et vous allez me le rendre. Je connais les femmes dans votre

genre.

Elleme jaugea de la tête aux pieds comme si je la répugnais. Jeme sentis terriblementinsultée.

—Non.Jenevouslerendspas.

Jemepenchaienavantetajoutai,lesdentsserrées:

—Vousnepouvezpasl’avoir.(Puisjefronçailessourcils.)Dequiparlez-vous?

—Commesivousnesaviezpas.

J’avaisunecentainede réponsesbiensenties,maisaucunen’avaitdesens.Onnepeutréellement placer des «Tamère » et des «Dans ton cul » quedans certaines situations.Alorsj’abandonnail’idéedejoueràlaplusmaligne.

—Écoutez,vieillechouette,j’ignoretotalementdequivousparlez.

Elle regarda quelque chose par-dessus mon épaule, et je tournai la tête pour voir M.Andrulis.

—Attendez,M.A.?C’estvotremari?demandai-je,soudainpleined’espoir.

Sacolères’envolaàlasecondeoùelleposalesyeuxsurmontypetoutnu.

—Nousavonsétémariéspendantplusdecinquanteans.Et jeletrouveenvoitureavecunecatin.Aprèstoutcetemps!

Sesnerfslâchèrent,etellecommençaàpleurerdanssesmains.Enl’espacedesoixantesecondes, elle était passée de la colère à la nostalgie pour finir par l’accablement et lechagrin.

—Vousn’étiezpassoustraitementmédicalquandvousêtesmorte,desfois?Peut-êtreuntruccommedesantipsychotiques?

Sonregardretombasursespoings.Etsacolèrerefitsurface.

—Écoutez,dis-jeenposantunemainsursonépaule.Ilestuniquementiciparcequ’ilvousattendait.

C’étaitunedéduction logique. Ilnem’avait jamaisditpourquoi il se trouvait là.Attendez,peut-êtrequec’étaitpours’éloignerdesonépouse.Peut-êtrequ’ilétaitvenupoursemettreàl’abri.Ceseraitunpeulamouise,vuquejevenaisdeleluilivrer.

Je lacontournaipourallervers laportepassager,prenantsoudainconscience,horrifiée,quenousavionsunpublic.Correction,puisque lespassantsnepouvaientpasvoir lavieillechouette, j’étais la seule à avoir un public. Magnifique. J’ouvris la porte deM. Andrulis etposaiunemainsursonbrasdans l’espoird’attirersonattention.Commesonépouseétaitproche,çaavaitdeschancesdefonctionner,cettefois-ci.

Etcefutlecas.Ilsetournalentementversmoi,puisregardaendirectiondesafemme.

—Charles?fit-elle.

Heureusementquejecomprisqu’elles’adressaitàluietnonàmoiavantdeluirépondre.

Elles’approchaetjemeretiraidupassage.

—Charles,qu’est-cequetufichesaveccettecatin?

Oh.Mon.Dieu.

—Aprèstoutescesannées…

Le jour se fit dans son esprit et un sourire complice apparut sur son visage. Il tendit lamainetessuyaunelarmesurlajouedesonépouse.

Ils ne se dirent rien de plus. Ils s’embrassèrent et se serrèrent durant plusieursminutestandis que j’évaluai les dommages sur l’aile deMisery. Fichu lampadaire qui avait surgi denulle part. Heureusement, les éraflures étaient superficielles. On pourrait sans doute secontenterdelespolir.

Mon public - qui était constitué de trois gosses sur des vélos, téléphones à la main -attendait de voir si j’allais de nouveau exploser et me disputer avec du vide. Je n’avaisvraimentpasenviedefairelebuzzsurInternet.Toutenpriantpourqu’ilsn’aientpasfilmécequis’étaitpassé justeavantavecMmeAndrulis, je retournaivaqueràmesoccupationsenles ignorant.Mais j’allais devoir expliquer d’unmoment à l’autreauxAndrulis qui et cequej’étaiset leur fairesavoirqu’ilspouvaientmetraversers’ils lesouhaitaient. Il faudraitque jefassesemblant deparler dansmon téléphone, commed’habitude.Maisavantmêmequ’onenarrivelà,ilstraversèrent.

Cela arriva si vite et demanière si inattendue que j’en eus le tournis. Je tombai sur ungenou tandis que leurs souvenirs défilaient dans mon esprit. Charles Andrulis était né àChicagoetétaitenpostedans labasemilitairedeKirklanddepuisdeuxmois lorsqu’ilavaiteulesoufflecoupéenapercevantlamagnifiquerouquinequitravaillaitaucinémaduquartier.Cefutlecoupdefoudre,maisilavaittellementpeurdel’inviteràsortir,tellementpeurqu’elledisenon,qu’ils’étaitcontentédevolersaphotod’employéedumoisquiétaitaccrochéeaumur. Il fut envoyé à la guerre une semaine plus tard,mais emmena la photo partout où ilallait, se reprochant d’avoir été aussi stupide et se jurant de la demander en mariage laprochainefoisqu’illaverrait.S’ilrevenaitvivant.Etc’estcequiseproduisit.

Ilrentraenunseulmorceau,mêmes’ilétait légèrementblessé.Cependant, letempsqu’ilsorte de l’hôpital et qu’il revienne au Nouveau-Mexique, la rouquine ne travaillait plus aucinéma.

Maiselleétaittrèsamieavecquelquesemployésquitravaillaientlà-basetil laretrouvalejoursuivant,àlaréceptiond’uneétuded’avocatducoin.

Nevoulantpasratersachance,ilsedirigeadroitverselle-enfin,boita-,enuniforme,mitdifficilementungenouàterre,et luifitsademande.Àcemoment-là, lafougueuserouquineluipassaunsavon.Maispasavantd’être tombéeraidedingueàson tour. Ilssemarièrentune semaine plus tard, et ce qui suivit fut un tourbillon d’enfants et de petits-enfants, delonguesjournéesdetravailetdecourtesvacancesenfamille,dedifficultéàjoindrelesdeuxboutsetd’amourmêmedanslestempslesplusdurs.

Lorsque je revinsauprésent et sentis la fraicheur de la brise surmes joueshumides, jepris conscience de quelque chose qui ne m’avait jamais frappée auparavant. La vie étaitcourte. Celles des Andrulis avaient été riches et hautes en couleur, même les parties lesmoinssympathiques.Maischaquesecondeavaitvalulecoup.

Charlesn’avaitjamaisregrettéd’avoirépousé…Beverly.Elles’appelaitBeverly.

Ellemeplaisait.

Je transportai le lourd polygraphe en haut des deux étages jusqu’à mon appartement,jurant de faire installer un ascenseur dès que j’en aurais l’occasion. Combien ça pouvaitcoûter?Montéléphonesonnaàl’instantoùjeleposaisurlatable.Lenuméroétaitceluiducouvent oùQuentin vivait. SœurMaryElizabeth, une femme très intéressante qui pouvaitentendre les anges se parler entre eux, était à l’autre bout du fil. Je compris que quelquechosen’allaitpasàlasecondeoùelleparla.

—Charley?demanda-t-ellelavoixtremblante.

—Salut,masœur,qu’est-cequisepasse?

—C’estQuentin.L’écoleaappelé.Ilaquittélecampuscematinetaétéabsenttoutelajournée.Iln’ajamaisfaitça.Est-cequevousl’avezvu?

—Vousavezessayésontéléphone?demandai-je,inquiète.

—Oui.Jeluiaienvoyéplusieursmessagesetessayédefaireunchatvidéoaveclui.Rien.Ilnerépondpas.

Moninquiétudegrimpaenflèche.Çaneluiressemblaitpasdutout.C’étaitlegosseleplusadorabledumonde.Enfin, laplupartdu temps.C’étaitunmagnifiqueblondauxyeuxbleusdeseizeansque j’avais rencontré lorsquesoncorpsétait possédéparundémon.Démonquiavaitétéréduitencharpieparmonadroitetélégantgardienrottweiller.Quentinétaitunamidepuis lors. Iln’avaitpasde familleetvivaitaucouventavec lessœurs lorsqu’iln’étaitpasà l’école.Jenesavaispas tropcequ’enpensait l’Églisecatholique,mais iln’yavaiteuaucunproblèmepourl’instant.Aumoins,iln’avaitpasencoreétéexclu,maiss’ilsemettaitàmalsecomporterdequelquemanièrequecesoit,jenepensaispasquel’égliselelaisseraitrestertrèslongtemps.

—Trèsbien,laissez-moivoircequejepeuxfaire.

Àpeineeus-jeraccrochéqueCookieentraentrombedanssonappartement.Jetraversailecouloir.

—Qu’est-cequetucherches?

—Amber,répondit-elleenplongeantlamaindanssonsacpourattrapersontéléphone.Jesuisallée lachercherà l’école,maisellen’étaitpas là.Laréceptionm’aditqu’elleavaitétémarquéeabsentetoutelajournée.Pourquoinem’ont-ilspasappelée?

Ellepaniquait,etjecommençaisàredouterlepire.

Ilsn’auraientsûrementpasosé.

AvantquejepuisseparlerdeQuentinàCookie,montéléphonesonnadenouveau.

—C’estAmber,luidis-jeavantdeplacerundoigtsurmabouchepourlafairetaire.

J’avais l’impression que je savais ce qui se tramait. Et j’étais sûre de savoir pourquoiAmberm’appelaitmoiplutôtquesamère.

—Heygamine,commentétaitl’école?demandai-je,incapabledem’enempêcher.

—TanteCharley?dit-elle.

Sa voix tremblait encore plus que celle de sœur Mary Elizabeth, et mes craintesm’engloutirent.

—Qu’est-cequisepasse,mapuce?

— On est au sommet du téléphérique. Quelque chose s’est passé. J’ai besoin que tuviennesnouschercher.

—Est-cequevousêtesblessés?

—Non,on…vabien.C’est justequeQuentinacomplètement flippé. Il neveutparleràpersonne d’autre que toi. Il a vraiment la trouille.On était censés revenir avant la fin descours,maisonestmontésetilacommencéàpéterlesplombs.Jem’inquiètepourlui.

Le soulagement s’empara demoi demanière si intense quemes genoux en tremblèrentpresque.

—Restezoùvousêtes.Jeparssur-le-champ.

—Nedisrienàmaman,s’ilteplait.

Mince.Jesavaisbienqu’ellem’avaitappeléepourunebonneraison.

—Promis.Nebougezpas.

Cookiemedonnadespetitscoups,désespérantd’obtenirdesinformationssursafille.Jerecouvrisletéléphonetandisquejerécupéraismonsacetmesclés.

—Ilsvontbien, luidis-jedoucement. Ilsontdécidédesécher lescoursetdeprendre letéléphériquepouralleràSandiaPeak.Maisquelquechoses’estpasséavecQuentin.

—Oh!monDieu,quoi?Est-cequ’ilestblessé?

—Non.Elleditqu’ilapeur.Soitilalevertigeetl’ignoraitavant,soitquelquechosed’autres’estproduit.Quelquechosedesurnaturel.

Elleattrapasonsac.

—Jet’accompagne.

—Non,ellenevoulaitpasquejet’enparle,ettudoisfairesemblantquejenet’airiendit.

—Quoi?Charley,cen’estpaslemomentdejouerlestantesattentionnées.Elleaséchél’école.N’importequoiauraitpuseproduire.Ellevaêtreprivéedesortiepourlerestedelaviequejeluiaidonnéesanscésarienne,sijelalaissevivreaussilongtemps.

—Jeviensde luipromettreque jene tedirais rien.Enplus, tudois tepréparerpourunrencard.

—Unrencard?grinça-t-elle.J’espèrequetuplaisantes.Jenepeuxpasalleràunrencard,là.

—J’ai eubeaucoupdepeineà toutmettre sur pied.Tunepeuxpasme laisser tombermaintenant,Cook.Etc’estaussipourAmber.Tudoisagircommesitunesavaisrien.

—Pourquoi?Pourque tupuissesêtre lehéros?Passerpour laméchantede l’histoireme convient tout à fait,Charley.Elle sera punie pour avoirmanqué l’école et avoir agi demanièreaussidangereuse.

—Jesais, luidis-jeenposantunemainsursonbras.Etelleferacequidoitêtrefait.Tuverras.Mais laisse-la t’en parler,Cook.Si elle apprendque je t’ai tout dit, elle neme feraplusjamaisconfiance.

—Jenepeuxpasm’inquiéterdevotrerelationàtouteslesdeux…

— Elle me raconte tout, Cook, la coupai-je pour lui faire comprendre ce que je sous-entendais.L’autrejour,ellem’aposédesquestionssurlacontraception.

CommeCookien’étaittoujourspaspasséeàlafibreoptique,ilfallutquelquessecondesàl’informationpourremonterjusqu’àsoncerveau.

—Elleadouzeans!hurla-t-elleavecunlégerdécalage.

Je grimaçai et pressai le téléphone plus fort contremoi, espérant qu’Amber n’avait rienentendu.

—J’allais t’enparler, je te jure. (Puis je luiadressaiungrandsourire.)Ellem’aditqu’elleveutattendred’êtremariéeavantd’avoirunerelationsexuelle.

Cookiesecalmaaussitôt.

— Mais elle ignore quand elle aura envie d’avoir des enfants, c’est pour ça qu’elle medemandaitquellesétaientlesmeilleuresméthodes.

—Ett’estombéedanslepanneau?

—J’aiundétecteurdemensongesinclusdansmoncodegénétique,tutesouviens?Ellen’a encore rien fait. Je te le jure. Et au cas où tu te poserais la question, Quentin estégalementpuceau.

—Jen’aivraimentpasenviedesavoircommenttuasapprisça.

— J’ai parcouru ses messages un soir quand elle était là, expliquai-je malgré tout. Jedevaism’assurerdecequiétaitentraindesepasser.C’estmoiquil’aifaitentrerdansnosvies.Çametueraits’ilarrivaitquelquechoseàAmberetquetum’envoulais.

—Charley,Ambersaitcequ’ellefait.Jenetetiendraisjamaispourresponsablesi…

J’entendisAmberparlerdansletéléphoneetlevaiundoigtpourmettreCookiesurpause.

—Jesuislà.Jesuisenroute.

Lorsquejeplaquaidenouveauletéléphonecontremapoitrine,Cookiesecontentadedire:

—Vas-y.

Je sortis de l’appartement en trombe et courus jusqu’à Misery. Le téléphérique ne setrouvait qu’à quinze minutes de route. Il me faudrait ensuite environ vingt minutes pourparvenirausommet.J’espéraisqueQuentintiendraitbon.

Il neme fallut pas longtemps pour découvrir quel était le problème et pourquoiQuentinrefusait de redescendre en téléphérique. Il n’y avait pas grand-chose qui foutait plus lesjetonsqu’unejeunefillemortequivousfixaitsansclignerdesyeux.ElledevaitavoircomprisqueQuentinpouvaitlavoir,commeellel’avaitcomprisavecmoidèsqu’ellem’avaitvue.Elle

se tenait en face demoi et ses longs cheveux noirs qui tombaient enmèches emmêléescachaient laplusgrandepartiedesonvisage.Maissesyeuxbrillaientau-dessous.Surtoutquandelles’approchait,genreàuncentimètredemonnez,etme regardait sansciller, lesyeuxcomplètementvides.Peuimportaitladirectiondanslaquellejemetournais,elleétaitlà,nezànez.Elleavait probablement rampéhorsd’une télévisionàunmomentdonnédesavie.Oudesamort.Peuimporte.

Et je comprenais Quentin. Il avait raison de ne pas vouloir redescendre. Elle étaitincroyablementeffrayante.Jen’avaisdéjàplusenviederedescendrenonplus.

J’avaissortimon téléphoneetessayaisde lui parler,maiselle secontentait deme fixer.Sans vraimentme voir. Je nepouvaismêmepasprofiter dumagnifiquepaysage.Si jemetournais pour jeter un coup d’œil par la vitre, elle apparaissait devant moi, flottant àl’extérieurdelatélécabine,cequimefilaitencorepluslapétoche.

— Écoute, lui dis-je en serrant mon téléphone plus fort, laisse tomber ton numéro ettraverse.

Tout le monde se tut et regarda ses pieds. Je ne pouvais pas leur en vouloir. Mesconversationsà sensuniqueavec les défunts semblaient souvent trèsétranges,mêmeautéléphone.Maisjenepouvaisrienyfairepourl’instant.

—Tufaispeurauxgens.Est-cequetulefaisexprès?

Aucuneréponse.

On s’approchait du sommet et je ne savais pas si je parviendrais à faire redescendreQuentinsielleétait toujoursdans lesparages.Peut-êtreque jepourrais lui faire fermer lesyeux.Maisceseraitmieuxqu’ellesecontentedetraverser.

Je baissai la tête et rassemblaimon énergie. Je n’avais jamais essayé auparavant,maispeut-êtrequejeparviendraisàlafairetraverserqu’elleleveuilleounon.J’attendisquemonénergie soit parfaitement calme puis la projetai doucement, de manière rassurante, pourl’attireràmoi.Celasemblafonctionner.Elles’approcha.Etmepercutadepleinfouet.

Merveilleux.Maintenant jeme trouvais dans une cabine remplie demonde avec une fillemortecolléeauvisage.C’étaitbienmaveine.

C’étaitcequ’Anges’apprêtaitàmedire.

—C’estbientaveine,pendeja.Etçamefoutlesjetons.

Ellemecollaitcommeunaimant.Jen’arriveraispasàm’endébarrassersanspasserpourunetimbréetotale.Pasqueçam’aitjamaisarrêtée,maisquandmême.

— Bienvenue au club. Comment je m’en débarrasse ? demandai-je entre mes dentsserrées.

Ilsemitàrire,sedélectantdemonagonie.L’œilgauchedelafilletouchaitpratiquementlemien. Nos cils entrèrent en contact lorsque je clignai des yeux. Quand je bougeais, ellebougeait. Si je reculais, elle avançait.Ça faisait longtemps qu’on nem’avait pas fichu unefroussepareille.

—Ondiraitdessœursjumelles.

—Siamoises,lecorrigeai-je,et,pourl’amourdusiropd’érable,enlève-la-moi.

—Pasmoyenquejetouchecetruc.Elleressembleàlafille,danscefilm.

—TheRing?demandai-je,surprisequ’ill’aitvu.

Ilétaitmortbienlongtempsavantqu’ilnesoittourné.

—Non,celuioùlafilleestpossédéeetfaituntourentieravecsatête.

—Ah,L’Exorciste.

—Cefilmétaittordu.

—Oui,jevoislaressemblance.Maintenantdébarrasse-m’en!

Il trébucha lorsque la cabine s’immobilisa. Les passagers se ruèrent à l’extérieur. Jemedemandaisbienpourquoi.Lepréposéàlatélécabinerestaitplantélà,attendantquejesorte.

—Vousavezbesoind’aide,m’dame?

—Vouspourriezmelaisseruneminute?demandai-je.

—Ilfautquejefasseentrerlespassagerssuivants.

—D’accord, allez les chercher, et je vais rester ici et profiter dumagnifiquepaysageenfacedemoi.

Angels’écroulaausol,riantsifortqu’ildutramenersesgenouxcontresapoitrine.Lepetitenfoiré.

—Jevaistebattreàmortavecunepoêleàfrire.

—Oh, je t’en prie,pendeja, tu n’asmême pas de poêle à frire. (Il s’essuya les yeux etessayadesecalmer.)Cettefilleaunproblèmemental.Soigne-la.Tupeuxlafairetraverser.

— J’ai déjà essayé. Maintenant, j’ai une fille collée au visage. J’arrive à peine à voir àtraverselle.Commentjesuiscenséevivremavieavecunefillecolléesurlevisage?

Ilseremitàrirecommeunfou.Legroupedepassagerssuivantétaitentraind’embarquer.Il fallait que je descende, maintenant. Je retentai l’expérience. J’essayai de l’atteindre, delaissermonénergiesefondreenellejusqu’àcequejelaretrouve,rouléeenbouledansuncoinsombredesonesprit,et l’attiraiplusprèsdemoi.Cefutàcemomentquejesentis letraumadecequiluiétaitarrivé.

—Sivousrestez,m’dame,ilfautquevousdescendiezmaintenant,ditlepréposé.

—Je reste, répondis-je, à bout de souffle, la douleur qu’elle ressentait comprimantmespoumonsjusqu’àcequ’ellesedétendeenfinetselaissealler.

Elle traversa.Lorsquecelaseproduit, jevoisdeschoses.Des imagesdiffusesde laviedes défunts. Qui était leur animal de compagnie préféré ou le goût qu’avait leur premièreglace.Cenefutpascequiseproduisitavecelle.

—M’dame,jedoisfermercetteporte.Onaunhoraireàrespecter.

J’étaistoujourspriseparsatraversée.Desimagesflashaientdevantmesyeux,brûlantes,pleines de haine et terrifiantes. Les choses inimaginables qu’elle avait subies l’avaientmarquéeàjamais,etlatextureabrasivedesessouvenirsenétaitunepreuveindéniable.Elleavaitétémaltraitéeparsamèreet ignoréeparsonpère,quin’avait jamais faitattentionàelle,nes’était jamaisoccupéd’elle,et l’avaitcomplètementabandonnée le jouroù il s’était

suicidé,lalaissantàlaseulecharged’unmonstre.Mêmesonfrèrel’avaitignorée,sûrementparcequ’ilavaitpeurdesubirluiaussilacolèredeleurmère.Alors,aulieudeladéfendre,ilavait pris part, riant lorsque sa mère lui disait qu’elle était stupide, regardant ailleurslorsqu’ellel’avaitfaittrébucheraumomentoùelleportaitunecasseroled’eaubouillante.Elles’étaitbrûlé lesmainset levisage.Lescicatricesétaienttoujoursvisiblesaumomentdesamort.

C’étaitlegenredechosesquejen’avaispasenviedevoir.Deschosesquejenepouvaispaseffacerdemonesprit,peu importeàquelpoint je frottais.Miranda -c’étaitsonnom-étaitleproduitd’unsystèmedéfaillant.Mêmesijen’avaispasvusamortdemanièreprécise,il ne faisait pas l’ombre d’un doute qu’elle avait perdu la vie des mains de sa mère d’unemanièresihorribleetsiinsenséequemonespritserebellait,monestomacseretournait,etlemondetournait.Jetrébuchaienessayantdemelever,etAngem’attrapapourmeretenircontre lui. Non, pas Ange. Un homme. Sur lemoment, jeme fichaismême de savoir qui.J’acceptail’aide,m’accrochaiauxmanchesdelavesteencuiretmeredressai.Ilfallaitjusteque le pire passe.Malgré tout ce qu’elle avait enduré, l’émotion la plus forte, celle qu’elleavait emmenée jusque dans lamort, était un amour profond et absolu pour son frère. Lemêmefrèrequitournaitlatêtequandsamères’enprenaitàelle.

Jeravalailabilequimemontaàlagorgetandisquelesimagescommençaientàs’effacer.Pasqu’elles le feraient jamaiscomplètement,mais il fallaitque je trouveAmberetQuentin.Je serais tombée de la cabine sans le type qui était venu àmon secours. Le préposé seprécipita vers nous, et je lui fis signe de partir avant de me libérer de l’étreinte de monsauveuretdemeprécipitervers lecoinde la terrasse.Aprèsavoiragrippé la rambarde, jecommençaiàviderlecontenuridiculedemonestomacsurlaplate-formedebois.Jetombaià genoux et faillis faire de l’hyperventilation parce quemes tripes se contractaient plus defoisquenécessaire,aupointqueçaendevenaitembarrassant.

Aprèsunebonneminutede ces conneries, jem’essuyai la bouche sur lamanchedemavesteetsortismontéléphonepourappelerAmber.

Elledécrochaimmédiatement.

—Tuesarrivée?

—Jesuislà,confirmai-jeenprenantuneprofondegouléedel’airpurdeSandiaPeak.

Il faisait toujoursquelquesdegrésdemoinsausommetde lamontagne,et ça faisait dubien.Celaaidaàcalmermonestomacetàmeviderl’espritjusqu’àcequejepuisseessayerde grimper la dizaine de volées de marches qui menait à High Finance, le restaurant ausommet.

— On est assis en dehors du restaurant, contre le mur à l’arrière. S’il te plait, tanteCharley,dépêche-toi.Quelquechosenevapaset jen’arrivepasà lecomprendre. Il signetropvite.

—Jesuispresquelà,moncœur,dis-jeenmeredressantd’uncoup.

L’hommetenditunemainetjerelevailatêtepourleremercier.CefutàcemomentquejereconnuslecapitaineEckert.Ilm’avaitsuivie.Est-cequ’ilétaitdanslamêmetélécabinequemoi?Jenel’avaispasvu.Ilportaitunevesteencuiretunbonnet,prouvantainsiqu’ilétaitde toute évidence un maitre du déguisement. Enfin bon, j’avais une fille morte collée au

visagependantnotreascension.

Aladéceptionquiridaitsonvisage,jedéduisisqu’iln’avaitpasprévuquejelevoie.J’avaistellementenvied’uneconfrontation,là,toutdesuite,maisj’avaisbesoindelui.

—Venezavecmoi,dis-jeenl’attrapantparlavestepourgarderl’équilibre.

Je le trainai jusqu’à cequ’on soit tous les deuxen train de courir enhaut desmarches,dépassant lesgensquis’étaientarrêtéspourprofiterdelavue.Eckertm’aidatoutdulong,merattrapantquandjetrébuchais,merelevantlorsquejetombaiviolemmentsurmongenoudroit.Ma vision était toujours altérée à cause des souvenirs deMiranda. Je n’arrivais pasvraiment àme déplacer sur des sols irréguliers. Lemonde tanguait dangereusement danstouslessensàlafois.Jem’attendaissansarrêtàcequelecapitainemedemandesij’avaisbu,mais,àsadécharge,ilnefitaucuncommentaire.

Angeétaitlà,luiaussi.Ilnoussuivait.

Mefichanttotalementdecequelecapitainepouvaitpenseràprésent,jedisàAnge:

—Parsàleurrechercheetdis-moiexactementoùilssetrouvent,s’ilteplait.

—Déjà fait. (Il nousdépassaetmeguida.)Par là, dit-il lorsquenousarrivâmesenhautdesdernièresmarches.

Ilindiquaunedirection,etjemeprécipitaiversQuentinetAmber.

—TanteCharley!(Ellemesautadanslesbras.)Jesuistellementdésolée.Quelquechosenevapas.Ilrefusemêmedemeparler,maintenant.

Quentinétaitassiscontrelemur,latêteentrelesgenoux,brasramenéspar-dessuspourse protéger. Miranda filait vraiment la pétoche, on était d’accord. Mais il y avait plus là-dessous.

Ilneréagitpaslorsquejetouchaisonbras.

—Qu’est-cequinevapas?demandaAmber.Onvoulaitjustemontericipourregarderlepaysageetrentreravantlafindescours.

—Quandest-cequeçaacommencé?

—Pendant le trajeten téléphérique. Ilestdevenu trèsnerveux,ensuite il s’est renfermésur lui-même. Ilnevoulaitpasregarderpar la fenêtreetn’arrêtaitpasdemefairesignedem’éloignerdelui.Unedameademandés’ilavaitlevertige,maisiladitquenon.

—Non,mapuce,cen’estpasça.

Jenefaisaispresqueplusattentionaucapitaine,quitournaitdanslesparages.Quoiqu’ilfût en train de manigancer, il pouvait parler à mon cul. Je frottai l’épaule de Quentin,essayantdelefairerevenirversmoienlecajolanttandisquejecombattaisl’après-coupdessouvenirsdeMiranda.Jefermailesyeuxetsecouailatêtepourmeviderl’esprit.Sadouleurétaitsigrande,sidévorante.Elleavaitéprouvéénormémentd’amourpoursamèreetn’avaitjamais compris pourquoi la femme qui lui avait donné naissance ne l’aimait pas en retour.C’étaitprobablementsafaute.Elleenétaittellementpersuadée.Ellepensaitavoirprovoquésapropremisère.L’avoirméritée.

Çan’avaitplusd’importance,àprésent.Ellese trouvaitentredesmainspluspuissantes

quelesmiennes.Desmainsquisauraientcommentlaguérir.Ill’aideraitàcomprendrequ’ellen’étaitpaslemoinsdumonderesponsable.

Et,s’ilétaittelquejel’espérais,samèrepasseraitl’éternitéàbrûlerpoursesfautes.

Jedevaismebattrecontretantdechosesàlafois.Ladouleur, l’agonie, l’impuissanceetla colère. La colèreétait entièrementmienne. Je serrai les dents si fort quemesgencivesdevinrentdouloureuses.

Aprèsavoirdéglutidifficilement,j’essayaiunenouvellefoisd’atteindreQuentin.

—Ange,dis-jeenfaisantsigneàcedernierd’approcher.

—Jesuisdésolépourcettefille,Charley.Jesavaispas.

—Moinonplus,monange.Maisqu’est-cequ’onpeutfairepourQuentin?

—Jesaispas.Ilestvivant.Cen’estpasvraimentmaspécialité.

Lorsquejemetournaiverslui,déçue,ildit:

—Maiss’ilestcommelafille,ilnepensepasclairement.Peut-êtrequetupourraisessayerlamêmechosesurlui.

Jecommençaiàrétorquerqueçanefonctionneraitjamais,maism’arrêtaietsongeaiàsasuggestion.Çavalaitentoutcas lapeined’essayer.Jecaressai lescheveuxdeQuentinetlaissaimonénergiese rassemblerauplusprofonddemoi.La laissaise regrouperetenflercommeune tempête en approche.Mais, avant que je puisse la projeter,Quentin releva latête,sesyeuxbleuclairbrillantsdepeuretd’incertitude.Jerelâchail’énergie,quisedispersaautourdemoi,ettouchaisonmagnifiquevisage.Ilfronçalessourcils,commes’ilnem’avaitpasencorereconnue,puisclignadesyeuxetseprécipitadansmesbras.

Nousrestâmesainsipendantun longmoment,à l’arrièredurestaurant,àsebalanceraurythmede lamusiquequiprovenaitde l’intérieur.Enfin, jemebalançaienrythme.Aprèsdelongues minutes, je relevai la tête pour regarder les autres. Amber se tenait tout près,tordant son bonnet entre ses mains. Ange était assis contre le mur à côté de nous. Ilsemblait très intéressé parQuentin, et je n’arrivais pas à croire que je ne les avais jamaisprésentés.

Le capitaine Eckert était appuyé contre la rambarde rouge qui encerclait le restaurant.C’étaitunendroitmagnifique,etlavueétaitàcouperlesouffle.

—Qu’est-cequiluiarrive?demandalecapitaine.

Jeluilançaimonplusbeauregardnoir.

—Jem’occuperaidevousplustard.

Mêmesi le capitainen’avait pas l’habituded’être traitéaussi sèchement, surtoutpar l’undesplusmodestesconsultantsdel’APD,ilneréponditrien.Ilneproféraaucunemenace.Ilresta immobile, à nousobserver, prenant probablement desnotesdans le but deme fairevirerpourinstabilitémentale.

Après quelques minutes, Quentin me repoussa et me dit qu’il ne pouvait pas remonterdanslatélécabine.Ilnepouvaitpasrentrer.

—Àcausedelafille?luidemandai-je.

Lasurprise lui fitécarquiller lesyeux,maiscelanedurapas. Ilmeconnaissait, savait cequej’étaisetqu’onavaitbeaucoupencommun.Ilacquiesça.

—Jel’aivueaussi,signai-je.Elleétaiteffrayéeetperdue.

Ilouvritlaboucheengrand.

—Elleétaiteffrayéeetperdue?Elle?

— Oui, elle m’a traversée. Elle ne voulait pas, au début, mais je l’ai… convaincue. Safamillel’avaitbeaucoupfaitsouffrir.

—Ilsluiontfaitdumal?

Jehochailatête.

—Beaucoup.

—Ilslafrappaient?

—Etpirequeça.Elleétaitvraimenteffrayée.

Ilbaissalatête.

—Jepouvaislesentir,moiaussi.Àquelpointsonmondeétaitnoir.Vide.Çam’aretournél’estomac.

—Amoiaussi,maiscommentas-tusentiça?

Je commençais à comprendre que Quentin pouvait faire plus que simplement voir lesdéfunts.

—Jenet’aipasdit.

—Fais-lemaintenant.

Jetendislamainetluiébouriffailescheveux.

Celaattirasonattention.Illeslissa,jetaunrapidecoupd’œilàAmber,puismefitsubirlemême traitement,semant lapagailledansma tignassebruneavecun regarddechenapan.Mescheveuxétaientenpagailledetoutemanière,alorsjeleslaissaitelsquels.

—Sil’espritmetouche,jepeuxsavoircommentilsesent,dit-il.

—Waouh.C’estdingue.

—C’estdément.Jedétesteça.

Ilfitlagrimaceenypensant.

—Jesuisdésolée.Parfois,lesdéfuntstrainentunlourdbagage.

—Genreunevalise?demanda-t-il,confus.

Jegloussai.

—Désolée, c’est une expression. Genre ils ont beaucoup de problèmes qui pèsent surleursépaules.

—Ouais,commelesvivants,jesuppose.

—Oui,maisc’estsupercoolquetupuissesfaireça.

Lorsqu’ilmeregardaavecunairdubitatif,j’ajoutai:

—EssaiesurAnge.

—Turêves,pendeja.

Angeserelevad’unbond,maisjeluiattrapailebrasavantqu’ilnepuissedisparaitreetletiraiversnous.

—JeteprésenteAnge.

Ange le salua d’un hochement de tête, puis tendit la main pour la lui serrer. Quentins’exécuta,puisluidemanda:

—Tuconnaislelangagedessignes?

Angehaussalesépaules,aussiservis-jed’interprète.

—Non,mec,désolé.J’aimeraisbien.

Jetransmislemessage,maisajoutai:

—Ilapprendra.

Angehaussalessourcils,puisilacquiesça.

—Ceseraitcool.

—OK,maintenantquec’estréglé,est-cequetuassentiquelquechoseenletouchant?

Quentinhaussalesépaules.

—Ilestplutôtheureux.C’estchouette.

—C’estparcequ’ilm’a,dis-jeavantdeleuradresserunclind’œil.

—Jeveuxapprendrecetruc,ditAnge,excitéàcetteidée.Ilfautquetum’apprennes.

—Jene t’apprendrai riendu tout,dis-jeenparlantetensignantà la fois.Vapasserdutempsavecluiàl’écoledeSantaFe.Tuapprendrastoutessortesdesignes.

—C’estvrai,ditQuentinavantderegarderAmber.

Àl’instantoùillefit,elletombaàgenouxdevantnous.

—Jesuistellementdésolé,luidit-il.

—Nelesoispas,jet’enprie,signa-t-elle.

J’étaistellementfièred’elle.Elleavaiténormémentappris,seulementdeuxsemainesaprèsl’avoirrencontré.Lesgosses.Defichuespetiteséponges.

—Jecomprends.Tuvoisdeschosesquejenevoispas.Jeveux…(elleavaitdelapeineàtrouverlemotsuivant)jeveuxqu’onsoitpareils,toietmoi.Jeveuxvoitcequetuvois.

Ilfronçalessourcils.

—Crois-moi,çaneteplairaitpas.Cen’estpasdutoutamusant.

—Jesaisquecen’estpas facile.Ça faitunmomentque jeconnaisCharley.Elleessaietoujours d’aider les défunts et se retrouve avec plein d’ennuis. J’aimerais, dit-elle à hautevoixavantdeserendrecomptequ’elleneconnaissaitpaslesigne,aussirecommença-t-elle

saphrase.Jeveuxdirequejepourraisl’aider.

Jem’assuraisd’inclurelaformequ’elleneconnaissaitpasàmaphrasesuivanteafinqu’ellepuissel’apprendre.

— J’aimerais qu’on descende de cette montagne. Ta mère va me tuer environ quinzeminutesaprèsque lesnonnesm’aurontpiétinéeàmortenseprécipitantvers toi,Quentin.Ellessonttoutesmaladesd’inquiétude.

Leurculpabilitémepercutacommeunevaguedebéton.Bien.Çaleurapprendrait.Puisjepensaiàquelquechose.

—Attendezuneseconde,dis-jealorsqu’onselevait.Combiendefoisvousavezdéjàfaitça,touslesdeux?

—C’estlapremièrefois,réponditQuentind’unairserein.

—Jeveuxdire,combiendefoisavez-vousdéjàséchélescours?

Ilsseregardèrentaussitôt,puisAmberselaissatomberausol,honteuse.

—Quentin!criai-je.(Enfin,signai-jetrèsrapidement.)Amberadouzeans.

—J’auraistreizeanslasemaineprochaine!sedéfendit-elle.

—J’aitreizeans,ditAnge.

Jel’ignorai.

—Tuasseizeans,Quentin.Cen’estpasbien.

Ilouvritlaboucheengrand.

—Tucrois…?(Ilse tutetsecoua la tête.)Arrête,c’est justeunegamine.Onestamis,c’esttout.

Ehbien,jevenaisdemettrelespiedsdansleplat.Ambergrimaçatandisqueladouleurlaparcourait.Sesmotsl’avaientblessée.Detouteévidence,ellepensaitqu’ilsétaientplusqueça.

Je me tournai dans sa direction et lui dis les mots suivants à haute voix, cachant maboucheafinqueQuentinnepuissepasliresurmeslèvres.Ilessayaderegardermalgrétout,maisjeparlairapidement.

— Ilment, lui dis-je.Quoi que tu fasses, pour l’amour deDieu, ne dis surtout pas à tamèrequevousvousêtesembrassés.

Quentin avait peut-être réussi à le dissimuler, mais Amber en fut incapable. La hontes’échappad’elle.JemeretournaiversQuentin,choquée.

—Tul’asembrassée?

—Quoi?Non!

Ambercomprit.Elletapadupied.

—TanteCharley,tum’aspiégée!

J’étaistoujoursoccupéeàêtrechoquéeparlecomportementdeQuentin.

Ilfourralesmainsdanssespochesavantd’ajouterunautremot.

—Sagedécision,luidis-jeavantdem’éloigner.

Oud’essayer.Lemondetanguaitdenouveauetjetrébuchai,volanttêtelapremièredroitsur lecapitaineEckert.Ehbien.Çavalait toujoursmieuxquede tomberdusommetd’unemontagne.Etiliraitbienunefoisquesescôtesseseraientressoudées.

Chapitre12

J’aiuncorpsparfait.

Ilestdanslecoffredemavoiture.

Tee-shirt

Je ne tenais toujours pas bien surmes jambes pendant le trajet de retour. Le capitaineEckertrestaàmoncôtépourmesurveillerjusqu’àcequ’iljettel’épongeetpassefinalementunbrasautourdemoi,meretenantdemanière fermecontre luipendantqu’ondescendait.Pas que les escaliers soient si pentus. Je chancelais juste beaucoup. Et, même si lecapitaineetmoidevionsparlerdebeaucoupdechoses,cen’étaitpaslemoment.

Il me soutint pendant toute la descente en téléphérique et me raccompagna jusqu’àMisery.Nos chemins se séparèrent là, lorsque je lui lançai un regardnoir aprèsqu’ilm’eutdemandésij’étaisenétatdeconduire.

Je déposai Quentin au couvent. Comme je l’avais suspecté, un troupeau de nonnesfrénétiquesl’attendaitdepiedferme.Ellesseruèrentsurluienunemassesolide.Onauraitditdespingouinsquipassentà l’attaque.Notreseulespoirétaitdenous laisser tomberenposition fœtale et de pousser des gémissements. Elles s’arrêtèrent net. Ça fonctionnait àtouslescoups.Quentinn’avaitpassuivimonmouvement,maiscen’étaitpasgrave.J’étaisdisposéeàsacrifiermadignitépournotrebienàtouslesdeux.

Après avoir survécu de justesse sans perdre de membre, je ramenai une Amber trèsnerveuse chez elle et la déposai devant sa porte, puisqu’elle se trouvait sur le chemin.Cookieétaitoccupéeà fairesemblantdesepréparerpourson rendez-vousgalant.A fairesemblantdenepasremarquerqu’Amberrentraitavecdeuxheuresderetard.Ellen’étaitpaslemoinsdumondeencolère.Lapeuretl’inquiétudeavaientengloutitoutecellequ’elleauraitpu ressentir. Elle reviendrait plus tard. Avec un peu de chance, je ne serais plus dans lesparagesàcemoment-là.

Nousnousdirigeâmesverssachambreàcoucheretlatrouvâmesentraindeseparfumer.

—Maman?demandaAmberd’unevoixfrêle.

—Oh,salutmapuce.Turentrestard.

Amberhésita,puisbaissalesyeuxpourobserversespieds.

—JesuisalléechezPaula.Onafaitdesbiscuits.

Etvoilà.Lepicd’émotionquej’attendais.Mais,aulieudelacolère,cefutlapeinequejeressentis.Cookieétaitblesséequ’Amberluiaitmenti.

—Vafairetesdevoirs.Jevaissortirunmoment.

—D’accord.

La petite princesse de contes de fées disparut en trainant les pieds, se sentant plusencoremisérableparcequ’elleavaitmenti à samère.Elle le comprendrait bientôt. Jen’endoutais pas une seconde. Mais Cook était blessée. Je me demandais bien pourquoi. Jepassaismontempsàluiraconterdesbobards.

ÀlasecondeoùAmberfutsortiedelachambre,Cookieseprécipitapourfermerlaporteetmesautadessus.

—Ques’est-ilpassé?

—D’abord,assieds-toi.

Elle s’exécuta et je lui expliquai tout en détail, y compris la partie à propos du capitaineEckert. Et ce qu’il manigançait. C’était probablement lui qui se trouvait derrière tous lesclodosetleflicàl’appareilphoto.

—Àquoiiljoue?

—J’aimeraisbien lesavoir. Jevoudraisque tusachesqu’Ambers’estvraiment trèsbiencomportée,Cook. Elle n’a pas quittéQuentin une seule seconde. Et elle a fait de si grosprogrèspoursigner.Jesuisterriblementfièred’elle.

—Ellevientdemementir.

—Oui,ettupeuxmecroire,ellesesentencoreplusmalàcesujetquetoi.

Ellerelevaunregardpleind’espoirdansmadirection.

—C’estvrai?

—Jeluidonneunjouravantdetedirelavérité.Elleatellementenviedeteparlerdecequis’estpassé,Cook.Unsourirerassuréapparutsursonvisage.Jemelevaipourpartir.

— Avant que j’oublie, j’aimerais que tu trouves tout ce que tu peux sur la fille dutéléphérique.SonnométaitMirandaNelms.Jeveuxsavoirs’ilsont inculpésamèreetsonfrèredequelquechose.

—Sonfrèreaussi?

—Longuehistoire.Tun’aspasenviedesavoir.

—Non, répondit-elleen levantunemainpourm’arrêter, tuas raison.J’ensaisdéjàplusquejevoudrais.Jem’ymettraidemainàlapremièreheure.

—Génial.TuesprêtePourtonrencard?

L’angoisserevintenforce.

—Jen’aiaucuneidéedequoiporter.

Ellejetalepantalonqu’elletenait.

—Tu devrais peut-être garder le pantalon,mais fais comme tu veux. Le but est que tusoisconfortable.Et,detoutemanière,tonrencardestgay.

Lasurpriseilluminasonvisageetsapeursedissipa.

—C’estgénial.Jen’aipasàm’inquiéterdefairebonneimpression.Jeneluiplairaispasde

toutemanière,non?

—Non. Il travaille comme standardiste pour l’APD,mais je ne crois pas qu’oncle Bob leconnaisseousachequ’ilestgay. (Je ricanai.)Ceseraitchiant.Tousnoseffortspartiraientenfuméesic’étaitlecas.

—Ettuasrendez-vousavecRobert,c’estbiença?Pourêtresûrequ’ilnousvoie?

Jevérifiaimamontre.

—Dansuneheurepile.ÇanetedérangepasdelaisserAmbertouteseule?

—Aprèscequis’estpassé?Turêves.J’aiditàl’officierqueRobertaenvoyéderesterici.Etj’aidemandéàMmeAllendepasserlavoirégalement.

—Cook,ladernièrefoisqueMmeAllenestpassée,Amberafiniàl’hôpital.

Elleacquiesçaavantdedire:

—Ce n’était pas la faute deMmeAllen. Elle essayait juste de s’assurer qu’Amber allaitbien.

—Danslenoir,avecdesbigoudisetunmasquedeboueScandinavesurlevisage.Amberaessayédes’enfuiretafoncétêtelapremièredansuncadredeporte.JenecomprendraijamaispourquoiMmeAllenn’apassimplementalluméunelampe.

— Tout va bien, dit-elle en me tapotant l’épaule. Son visage a totalement dégonflé,maintenant,et j’aidemandéàMmeAllendefrapperetd’attendrequel’officierencivilouvrelaporte.

—Et tucroisqueçavasuffire?(Jegloussai.Commeunedémente.Bon, j’avaisessayéd’y insufflerunepointedepsychose,maiscelasuffit. Jedésignaisonarmoire.)Pantalon?Pas que je ne sache pas apprécier une belle culotte comme n’importe quelle fille, mais laplupartdesrestaurantsexigentqu’onsoitcouvertes.

JeserraiAmberdansmesbrasavantdepartiretd’entamer le long trajetquim’attendaitpour rentrerchezmoi.Cinqpasplus tard, jedonnaiunpetitcoupd’épauleà laporte,puistrébuchai quand elle s’ouvrit. Reyes l’avait réparéemomentanément - je pouvais aumoinsl’ouvriretlafermer,àprésent-,maisj’avaisbesoind’unnouveauchambranle.Cethommeneconnaissaitpassaforce.Biensûr,iln’avaitmêmepassongéaufaitquemaporten’étaitpasverrouilléeaumomentoùilavaitdécidédel’enfoncer.Jemeredressaietm’arrêtai.Ilyavaitquelquechosededifférentdansmonappartement.Maisquoi?

Ah,ouais.Ilavaitétémisàsac.Putaindemerde.Chaquetiroirquejepouvaisapercevoiravaitétéretiréetvidé.Chaqueobjetquejepossédais,renversé.

Jeplantailespoingssurmeshanches.

—M.Wong !Onn’avait pas déjà parlé de ça ?Vousêtes le pire gardien qui ait jamaisexisté!

Cettescèneavaitdesaccentsdedéjà-vu.Jepassaidepièceenpièce,mais riend’autren’avaitététouché.Seulslesalonetlacuisineavaientétéfouillés.L’intrusavaitdûtrouvercequ’ilcherchaitet…

Zeus!

Je courus à la cuisine et fouillai le tiroir à couteaux. En me montrant très prudente,puisqu’ils’agissaitdutiroiràcouteaux.Jem’étaisditquecacherunedagueàunendroitquidébordaitdéjàdelamesétaituneidéedegénie.J’avaistort.Zeusavaitdisparu.

Il semblait qu’un certain Dealer avait décidé de me rendre visite pendant que j’étaisabsente.Leconnard. Ilallaitme lepayer.Littéralement.Horsdequestionque je rangecefoutoir.J’allaisengagerquelqu’unpourlefaireetluienvoyerlafacture.Bonsang.

Jeramassaimonsacetpartisconfronterundémondéguiséenhumain.

AprèsavoirconvaincuArtémisdepoussersesfessessuffisammentlongtempspourquejepuisse prendre place, je démarrai Misery et invoquai Ange. J’avais pris la direction del’entrepôt où j’avais vu le Dealer pour la dernière fois et demandai à Ange où habitait ledaeva. Je soupçonnais que ça ne devait pas être loin de là où le tournoi s’était tenu. Etj’avaisraison,vucequemeréponditAnge.

Artémisdécidaquemesgenouxavaientl’airplusconfortablesquelesiègequeM.Andrulisavait récemment libéré.Ce typeallaitmemanquer.CommeArtémisétaitunevraie têtedemule,jeconduisisdeCentralàSanMateoavecunrottweillerdetailleadultesurlesjambes.Prèsd’unquartierrésidentiel,surlecôtédelaroute,elleremarquaunchat-quellehorreur!- et utilisa mes ovaires, Téléportation et Scotty, comme tremplin pour se propulser et leprendreenfilature.Jedevaisbienl’avouer,çafaisaitunmaldechien.

LamaisonduDealerneressemblaitpasdutoutàcequej’avaisimaginé.Elleétaitmêmeplutôt sympa, avec un aménagement de plantes grasses et des murs de terre cuiteagrémentésd’épaissespoutresenbois.Jem’approchaid’uneportedeboisnaturelavecunheurtoir en pin lustré en forme de tête de cerf, mais le Dealer ouvrit avant que je puissel’utiliser.

—Jeveuxrécupérerladague.

Un sourire si adorable qu’il me laissa sans voix apparut sur son visage. Ce gosse étaitvraimentmagnifique.Aucundoutelà-dessus.Ilneportaitpassonhaut-de-forme-cedernierétaitposésuruncrochetà l’entrée -etses longscheveuxnoirsdépassaient tout justedesesépaules.

Ilouvritlaporteengrand.

—Entre.

Commejerestaiplantéesurplace,ilajouta:

—S’ilteplait.

Bon, d’accord, il avait dit « s’il te plait ». A quel point ça pouvait être dangereux ? Jepassailepasdelaporteetdis:

—Jesuissérieuse.Jeveuxcettedague.

—Pourquetupuissest’enservirsurmoi?demanda-t-ilenrefermantderrièremoi.Melaplanterenpleinepoitrine?

—Bah,oui.

Il commença à arpenter le living-room. Il était très luxueux, dans les tons beiges etrehausséd’undouxvertméditerranéen.

Il était dur de s’imaginer que le Dealer était réellement le propriétaire de cette maison.Même si je savais qu’il avait uniquement l’air d’avoir dix-neuf ans, il les faisait vraiment. IlressemblaitàungossequiauraitdûpréparerdeshamburgerschezMachoTaco-enfin,desburritos-alorsque,enréalité,ilavaitdesmilliersd’années.

—Toutçat’appartient?luidemandai-je.

— Non. (Il écarta un coussin décoratif et me fit signe de m’asseoir.) J’ai tué lespropriétairesetdévoréleursâmespourlepetitdéjeuner.

Envoyantmonexpressionpince-sans-rire,ilhaussalesépaulesetmerassura:

—Jeloue.

—Ladague.

—Qu’est-cequitefaitpenserquejel’aienmapossession?

—Jet’enprie,répondis-jed’untonsarcastique.Etsijeprometsdenepasm’enservirsurtoi?

Il alla s’asseoir dansun fauteuil bergèreen facedu canapé,étendantune jambepour laposersurlecoind’unemagnifiquetabletasseenferforgé.

—Jet’offriraisbienquelquechoseàboire…

—Jen’accepteraispas.

Jem’assissurlecanapé.

— Je pensais bien. La dague pourrait se révéler très dangereuse entre de mauvaisesmains.

—Commelestiennes?

Ilneréponditpas.Aulieudeça,ilm’étudia,unelueurcurieuseaufondduregard,etcelamerappelaqu’ilavaitunpouvoircertain.Ilétaitcharismatiqueetcharmant,aucundoutelà-dessus, mais il possédait également un magnétisme qui allait au-delà de celui des êtressurnaturelsnormaux.Lesautresdémonsquej’avaisrencontrésneluiressemblaientenrien.Déjà,iln’étaitpasrecouvertd’écaillésnoiresetvisqueusesetn’avaitpasdedentsaiguiséescommedeslamesderasoir.

—Tupeuxarrêter,àprésent.

—Quoi?demandai-je,surprise,alorsqu’ilmetiraitdemesréflexions.

—D’essayerdemedécrypter.

—Jesongeaisjusteaufaitquetun’aspasd’écaillesnidedentspointues.

— Je ne parierais pas là-dessus, si j’étais toi, dit-il en accompagnant sa réponse d’unsourireencoin.

— Comment as-tu fait pour prendre la dague ? Les démons ne peuvent même pas latouchersansqu’ellelesempoisonne.

—Danscecasc’estunebonnechosequejenesoispasundémon.

C’étaitvrai.Jelesavais.Techniquement,iln’enétaitpasun.

—Alorsellenetetueraitpas?

Ilfitlamoue.

—Jen’iraispasjusque-là.

Donclatoucherneluiposaitpasdeproblème,maiselleseraitquandmêmeenmesuredele tuer.On pouvait dire lamême chose dema relation avec les couteaux.Ou avec à peuprèsn’importequoi.Oun’importequi.

—Tuasditqueladagueluisait.Àquoielleressemble,pourtoi?

—Jenesaispas.Elleaunéclatque jepouvaisvoirmêmeàtraverstonpantalon.C’estunpeucommeuneâmehumaine.

—Commeuneaura?demandai-je.

—Ehbien,oui,maisplutôtcommel’âmeelle-même.

—Oh.

—Tunepeuxpasvoirlesâmeshumaines?

— Pas vraiment. Pas comme toi. Pas avant que leurs propriétaires ne soient morts.Ensuitejepeuxlesvoirdansleursmoindresdétails.

Ilseredressasursonfauteuil.

—Tupeuxsansaucundoutevoirtaproprelumière.Elleestaveuglante.

Jesecouailatête.

—Nonplus.

—Commentfais-tupourmarquerlesâmessitunepeuxpaslesvoir?

Jefusprisedecourt.

—Hum,jenesavaispasquej’étaiscenséefaireça.

Sonétonnementsetransformaencolère.

—Tuplaisantes.

Je baissai la main et attendis qu’Artémis apparaisse à mon côté. Elle sortit du sol ets’arrêta sousma paume. Je lui grattai la tête demanière absente tandis que le Dealer ladétaillait.

—Quelest tonnom?demandai-jeenchangeantdesujet.Jene teconnaisquecommeDealer.

—C’estcequetuluiasdit,Rey’aziel?Quej’étaisundealer?

JenesentisReyesqu’aprèsqu’ill’eutmentionné.Ilsematérialisaetsachaleursedéversaalorssurmoienunevaguebrûlante.Biensûr,ilétaitencolère.

IlétaitvêtudesarobeàcapucheetsetenaitentreleDealeretmoi.

—Qu’est-cequetuesentraindefaire?demanda-t-ild’unevoixglacialeetaussidurequedumarbre.

Je me levai, mais Reyes me dépassait toujours largement. Sa robe ondulait autour denous,etjen’arrivaispasàdiscernersonvisagesoussacapuchefaited’ombres.

—LeDealeraprisladague.J’essayaisdelarécupérer.

—Ettuviensicitouteseulepourl’affronter?Aprèstoutcedontonaparlé?

—Ondirait.

Ilnegoûtapasmonhumour.Jesoupirai.

—Crois-leounon,tun’espasentraind’aider.Jesavaisquej’avaisplusdechancesdelarécupérersanstoi.

—Tuasplusdechancesdeperdretonâme,ça,c’estcertain.

—Tunepourraispasavoirunpeuconfianceenmoi,Reyes?Jenesuispasstupide.

Sa robedisparut, sedissipant autourde lui enunecascadede fuméenoirepour laisserplace à son jean habituel et à une chemise bleu marine aux manches retroussées quidévoilaientsesbrasmusclés.Ils’approchajusqu’àcequ’onnesoitplusqu’àunedizainedecentimètresl’undel’autre,envahissantpresquemonespacevital.

—Ça,machère,çaresteàprouver.

Ils’avançadenouveauet, justeaumomentoùonallaitsetoucher, ilsedématérialisaenuneexplosiondefumée,sonessencem’enveloppantpendantquelquesinstants.

Maisjepassaiaussitôtduflirtàlacolère.JeregardaileDealer:

—Dites-moiquejerêve.

J’étaispersuadéequeReyesétaitencorelà.Iln’étaitpasparti.Iln’auraitjamaisfaitça,jelesavais.Maisilmedonnaitautantd’intimitéquepossible.

UncoindelaboucheduDealersereleva.

—Iln’apastort,tusais.

Jemerassis,ledosraide.

—Tuesdesoncôté?

—Surcepoint,oui.Tuprendstonrôletropàlalégère.

Unsoupirm’échappa.

—Monrôledansquoi?Provoquerlachutedumonstrequisecacheàlacave?

—Duseulmonstrequiimporte.Ilestimpératifqueturestesenvie.

—Ilestimpératifquetumerendesladague.

—Qu’est-cequetumedonnesenéchange?

Oh,oh.

—C’estlemomentoùonmarchande,c’estça?Celuioùtuessaiesdevolermonâme?

—Sijevoulaistonâme,elleseraitdéjàenmapossession.

—Ilfautquejetelacèdedemonpleingré.

— Oh, crois-moi, tu me la donnerais. (Le sourire qui apparut sur son visage étaitlégèrementperturbant.)Deboncœur,même.Ceserait facile.Trop facile.Et c’est biencequim’inquiète.

Personnen’avaitlamoindreconfianceenmoi.Quedevais-jefairepourlesconvaincrequejen’étaispasunebonneàrien?Peut-êtrequ’arrêterdemefairetorturertouslesdeuxjoursaiderait. Ce serait un bon début, en tout cas. Je me fis une promesse. Ne plus me fairetorturerpendant-jecomptaisurmesdoigts-deux,non,troismois.

—Pourquoitut’impliquesautant?demandai-je.Qu’est-cequetuascontreSatan?

—Lefaitqu’ilm’aitréduitenesclavagen’estpasuneassezbonneraison?

—C’enestuneassezbonne,maisj’aidéjàcroiséd’autresdesesesclaves.

—Lescréaturessanscervellequis’ensontprisesàtoi?Est-cequej’ail’airstupide?

— Pas spécialement. Ou plutôt, pas jusqu’à ce que tu t’introduises dans monappartement.Pourtagouverne,tuvasdevoirpayerpourlefairenettoyer.

Ilhaussalesépaulesdebonnegrâce.

—Sijeterendsladague,tudevrasfairequelquechosepourmoi.

—Etdequois’agirait-il?

—TudoismelaisserparticiperàlachutedeSatan.

Çaparaissaittropsimple.

—Écoute.Tuasl’airdesavoirbeaucoupdechosessurtoutça.Pourmoi,c’estunpeuunapprentissage sur le tas. Je… Qu’est-ce que je suis censée faire ? Reyes veut que jecomprenneaufuretàmesure,mais…

—Rey’azielapeurdetoi,mecoupa-t-il.C’estlaraisonpourlaquelleilneveutpasquetusachestout.Ilveutretarderlemomentoùtuaurastouteslesinformationsaussilongtempsqu’illepeut.

Jericanaidédaigneusement.

—Iln’apeurdepersonne.

—Tun’espasn’importequi.Tun’esmêmepasuniquementunefaucheuse.Tonhéritageenestlapreuve.

—Trèsbien.J’aicompris.

Je n’avais pas compris, mais je ne comptais pas le lui dire. J’avais bien l’intention deplonger dans mon passé et de déterrer chaque partie de mon héritage sur laquelle jepourraismettre lamain. S’il en existait. Garrett étudiait les prophéties,mais je voulais enapprendre plus, et je savais comment obtenir des informations. J’allais faire chanter monquasi-fiancé.S’ilvoulaitmamain, ildevraitsemettreàtable.Etmêmesicegaminsemblaitsavoirbeaucoupdechoses, j’ignoraissi jepouvais lui faireconfianceoucroireunseulmotquisortaitdesabouche.

—Tunemecroispas?Demande-luidetediretonnom.

—Enparlantdeça,quelestletien?luirappelai-je.

—TupeuxégalementledemanderàRey’aziel,répondit-il,impassible.

Çanemenaitnullepart.

—Tusais,entrelesréponsesénigmatiquesdeReyes,lesprophétiesambiguësdeceCleoqu’étudie Swopes et tes traits d’espritmystérieux, vousme gonflez. Est-ce que quelqu’unpourraitmedonneruneréponseclaire?

—Jeferaidemonmieux.

Saréponsenegarantissaitabsolumentrien.

—Magnifique.OK,qu’est-cequejemeursd’enviedesavoir?

Jeregardaileplafondtoutenréfléchissant,puisdis:

—Quelques… êtres ont suggéré que Reyes avait été envoyé sur ce plan pour moi demanièrespécifique.Afindemetuer,moietpersonned’autre.Est-cequec’estvrai?

—Çal’est.

Mapoitrinesecontractaaussitôt. Ilétaitcapablededonneruneréponseclaire,mêmesielleétaitperturbante.

— Ilm’adit qu’il avait étéenvoyépour trouver unportail pour le paradis.Quesonpèrevoulaityretourner.

—Ilamenti.

Latempératuredelapièceaugmentasensiblement.Jel’ignorai.

—Ilm’aditque tuétais leplusgranddesmenteurs.Que tuétaissidouéquemême lesdémonssefaisaientpiéger.

—C’est vrai.Mais regarde les choses sous cet angle : pourquoi est-ce que le père duprincevoudraitretournerauseulendroitoùilpourraitêtredétruit?

Ilavaitraison.

—Jen’ensaisrien.Pourleconquérir?

LeDealerricana.

—LeschancesqueSatans’empareduparadissont inexistantes.Tuasdéjàvuunsemi-remorquesurl’autoroute,n’est-cepas?

—Biensûr.

— S’il percute un moustique, à ton avis, quelles sont les chances que le moustiquedétruiselecamion?

—Inexistantes.

—Précisément.

—DonctuessaiesdemedirequeSatann’estpasunemenacepourleparadis?

Unriredouxs’échappaunenouvellefoisdelui.

—Honnêtement,c’estcommedeparleràungosse.

J’avaislamêmeimpression.Jemelevaipourpartirendirectiondelaporte.Ilmesuivit.

—Jenevoulaispast’insulter.Jesuissimplementsurpris,pasuniquementpar lepeuquetusais,maisparlamanièredontcequetusaisestincroyablementfaux.

—Etsitum’aidaisàcomprendre,danscecas?

—Jepeuxessayer.Qu’aimerais-tusavoird’autre?

—Trèsbien,si ceque tudisest vrai,pourquoiest-cequ’ilmevoudrait?Satan?Si cen’estpaspouravoiraccèsauparadis?

— Rey’aziel t’a caché beaucoup de choses. Ça me surprend, dans la mesure où nousvoulonslamêmechose.

—Etc’estquoi,cettechose?

—Commejetel’aidéjàdit,nousendébarrasser.Unebonnefoispourtoutes.

—Ettupensesquejepeuxfaireça?

—Non.Maisjesaisquetuasunrôlephareàjouer.D’unemanièreoud’uneautre,tueslaclédetout,etSatanlesait.Dieu,commeleshumainsaimentl’appeler,aagienaccordaveccequ’ilavaitannoncé. IlachasséSatanet toussessemblablesduparadis.Àprésent, cen’estplusqu’unjeud’esprits.Unpeucommeunepartied’échecs.

—Etleshumainssontlespions.

— Pour le père de Rey’aziel, oui. Pas pour Dieu. Comparer les deux serait commecomparerlessentimentsqu’unemèreéprouveàl’égarddesonenfantetceuxqu’untueurensérieressentdevantlemêmeenfant.

—Maistunesaispasquelestmonrôleexactement?

—Malheureusement,jel’ignore.

—Trèsbien,danscecas,dequoituparlaisquandtuasmentionnélefaitdemarquerdesâmes?

Ilmeregardaitàprésentcommesij’avaisperdul’esprit.

—Euh,tonjob?

—Monjobestdemarquerlesâmes?

—Oui.

—Maisjesuisunportail.Jecroyaisquejedevaisaiderlesgensàtraverser.

—Cen’estqu’unepartiedutravail.Tupeuxvoirlaculpabilité,latromperie,laméchancetépouruneraison,Charlotte.

—Donc,jelesmarquecommeétantdesmenteursetdesmeurtriers,c’estça?

—Tulesaurasquandlemomentviendra.

— Mais je n’ai pas le droit de juger les gens. Je suis pratiquement sûre que le GrandManitoulà-hautneleprendraitpasbiensijemebaladaisàdroiteetàgauchepourjugerses

ouailles.

—Tune les condamneras pas.Tu filtres simplement leur passageaprès lamort. Tu lespassesau crible et lespréparesà leur ultime voyage.Vois tamission commecelle de cesmachinesquitrientlespiècesdemonnaie.

—Jesuisunetrieuse?

—Apeuprès,dit-ilendévoilantsesdents.

—Non, refusai-jeen tapantmentalementdupied.Jeveux toutsavoir.Quelestmon jobprécisément?Dequoisuis-jecapableaujuste?

—Tulecomprendrasquandtoncorpshumaincesserad’exister.Toutteseramontré.

—J’auraiuncoursaccéléréenfaucheusisme?

—Untrucdugenre.

—Maisenattendant?PendantquejesuisencoreicisurTerre?

— Ta seule mission, en ce qui me concerne, est de rester en vie. C’est habituellementproblématiquepourlesfaucheuses.Aucunen’avécuaussilongtempsquetoi.Jamais.

—Jen’aiquevingt-septans.

— Exactement. Et c’est environ vingt-deux ans de plus que la plupart de tesprédécesseurs.

— Reyes m’a dit la même chose. Que la plupart des corps physiques des faucheusesmouraientjeunesetqu’ellesfaisaientensuiteleurtravaildemanièreincorporellependantlescinq cents années suivantes. Je m’étais toujours demandé comment elles savaient cequ’ellesdevaientfaire.Jen’avaispascomprisqueceseraittéléchargédansmoncerveauaumomentdemamort.

— Je vois qu’il ne garde pas toutes les infos intéressantes pour lui, finalement.Uniquementlesimportantes.

Uneautrevaguedechaleurdéferladanslapièce.LeDealerlevalesyeux.

—Jetesens,l’avertit-il.

—Explique-moilesgrandeslignes,dis-je.Montravailestdemarquerlesâmes?C’esttout?

Ilserassitdanssonfauteuil.

—JepourraisterépondreetfoutreRey’aziel-uneentitéquenousvoulonsdenotrecôté-enrogne.Oujepourraisfairecommeluiettelaissercomprendreaufuretàmesure.

—Jevotepourlapremièreoption.

— Je ne peux que t’assurer que, lorsque tu seras prête, tu verras les âmes. Tu saurascomment lesmarquer.Tusaisdéjàcomment faire traverser lesdéfunts,quand lesaideroules forceràpasser.Tuessur lebonchemin. (Ilétudiasesmains.)Mêmesi tues l’élémentclé,c’estRey’azielquialeplusd’emprisesurtondestin.

—Pourquoi?

—Ilestlatreizièmebête.Oua-t-iloubliédelementionner?

Reyesapparut,denouveauenveloppédanssonmanteau,lesombresondulantautourdeluicommeunocéand’obsidiennequienflajusqu’àemplirtoutelapièce.J’obtenaisenfindesinformationsdepremierordre.Jen’avaispasbesoinqu’ilinterrompemasource.

—Reyesn’estpasunebête,etcen’estcertainementpasunchiendel’enfer.

—Peu s’en faut. Il n’était que légèrement plus civilisé que lesDouze.Pourquoi crois-tuqueSatanl’aenvoyéluipourtetuer?

—Maispourquoi?Pourquoiest-cequeSatanveutàcepointquejemeuresicen’estpaspourcettehistoiredecléetdeverrou?

—Quellehistoiredecléetdeverrou?demanda-t-il

—Je croyais que c’était de çaqu’il s’agissait. Ils nousont dit que si la clé était inséréedansleverrou,onouvriraitunportailquimèneraitdroitdel’enferauparadis.Bla,bla,bla.Etmaintenanttumedisqueçan’arienàvoir?

Ilbaissalatêtetoutenréfléchissant.Jevenaisdeledéconcerter.Ilfronçalessourcilsetsemordillaunongletandisquesonesprittournaitàcentàl’heure.Commeceluid’unhumainle ferait. Ilétaitdifficiledenepas levoirautrementquecommeungosse.Monexpériencem’avaitcependantapprisl’erreurmonumentalequeceserait.

—Jenesaispas,dit-ilenm’étudiantdelatêteauxpieds.Situesleverrouetqu’ilestlaclé…

Le jour se fit à son esprit. Je le vis sur son visage et le ressentis à l’instant exact où ilcomprenait. Il fitunpasenarrièreenchancelant, l’étonnement leplusabsolu luicoupant lesouffle.

Jemeregardaiàmontour.Untopchocolat.Unjeannoir.Desbottesàtomber.

—Quoi?luidemandai-je.

—Jen’arrivepasàcroirequejenel’aiepasvu.Tuasditquetonamiavaitlesprophéties.TuparlaisdecellesdeCleosarius?

—Ouais.Et?

—Sijepeuxlesvoir,jeterendrailadague.

—Marchéconclu.Mais,sérieusement,quoi?demandai-jeenmedésignant.

Ilm’adressaunclind’œiletmeconduisit jusqu’à laporte,m’encourageantàsortirenmepoussantdoucement.Maisçarestaitmalpolimalgréladouceurdugeste.

—Aufait,jen’aipasmistonappartementàsac.

Surprise,jemecontentaideleregarder.

—Jen’enaipaseubesoin,continua-t-il.Jepouvaissentirladague.Jesuisallédroitverselle.Tonappartementétaitdéjàcommeçaquandjesuisarrivé.

Ehbien,merde.Tout ce que je pouvais espérer, c’était que les pilleurs avaient chopé lasyphilis.Jemedemandaiss’ilyavaitunhashtagpourça.

Chapitre13

Desfois,j’ajoute«boireducafé»àmalistedetâchesjustepouravoirl’impressiond’avoiraccompliquelquechose.

Miseàjourdestatut

Je rentraià lamaison justeaprès lecoucherdusoleilavecmonâmeetunmocha latte.Reyesverraitsûrementlepositiflà-dedans.J’avaistoujoursmonâme.Àquelpointpouvait-ilêtreencolèreparceque j’étaisalléevoir leDealer?Jedécidaidenepasm’attardersur lesujet tandisqueje lecherchais.Aprèsavoirvérifiésonappartement, lemien,et toutcequise trouvait entre-deux, jeme dirigeai versmon bureau et le trouvai finalement dans l’alléeentrelebaretl’immeuble,lesjambesdépassantdel’avantdelaplusbellevoituredecoursenoirequej’avaisjamaisvue.Jeralentispourapprécierl’œuvred’artquisetrouvaitenfacedemoi.Puisjejetaiuncoupd’œilàlavoiture.L’emblèmesurlecôtédisaitqu’ils’agissaitd’une‘Cuda.Quoiqu’elle fût,elleme fitdéfailliraupremiercoupd’œil.Elleétaitmagnifique,et jedécidaiaussitôtdedevenirlesbienne.

—C’estlatienne?demandai-jeàReyesenm’approchant.

Ilétaitentraindeluitrifouillerlemoteur,quiétaitassezproprepourqu’onmangedessus,assez brillant pour y appliquer du maquillage, et assez grand pour faire trembler la terreentière,j’enétaispersuadée.

Uncoupdetonnerrerugitauloin.Jeregardailesnuagesquis’étaientapprochés,leurgrisenvoûtantdanslecielsombre.

JereportaimonattentionsurM.Grincheuxetmepenchaipar-dessuslemoteurpourvoirce qu’il était en train de trafiquer. Il tenait une de ces lampes de garagiste et j’arrivais àapercevoir une partie de son visage tandis qu’il travaillait sous la voiture. Il m’ignora etcontinuaà triturerquelquechose.Quelquechosequi, je l’espérais,avait réellementbesoind’être trituré, parce qu’il y allait à fond. J’appuyai les coudes sur une partie brillante de lavoitureetposaimonmentondansmesmains.

—Tuvasfairelatêteencorelongtemps?

Il se remit à triturer son truc, refusant de croisermon regard, aussi laissai-jemes yeuxglisserdel’avantdelavoitureàsesjambesécartées,finesetpuissantes,suivreletracédeses hanches sveltes taillées à la perfection et de son ventre crispé dur comme du béton.Son tee-shirt était remonté de plusieurs centimètres et dévoilait la peau appétissante au-dessusdesonpantalon.J’ensalivaiautomatiquement.

— Tu m’en veux pour quoi, exactement ? lui demandai-je en prenant conscience qu’ilpourraitêtreencolèrepourtoutuntasderaisons.

J’avaistendanceàaccumulerlesmauvaispoints.

—Tuenquêtessurcequetupensesêtremonkidnapping,dit-ilfinalement.

C’étaitpourçaqu’ilfaisaitlagueule?Attendez,est-cequ’ilvenaitbiendedire…?

—Ceque je pense être ton kidnapping ?Tu veux dire, tu n’étais pas le bébé qui a étéenlevéchezlesFoster?

Ilposasoncliquetetattrapaunautreoutildemauvaisaugure.

—Si,c’étaitmoi,mais jen’aipasvraimentétékidnappé.Jemepenchaiplusprèsde lui,essayantdelevoiràtraverslemoteur.

—Commentça? (Mespenséess’entrechoquaientpendantque je repassaimentalementlesélémentsdudossierenrevue.)Jenecomprendspas.Tun’aspasétékidnappé?

—Pascettefois-ci.

Lavoiturebougeaàcausedelapressionqu’ilexerçait.

—Reyes,explique-moi,s’ilteplait.TuasétéenlevéchezlesFosteroupas?

—Peuimportecequejetedis.Tuutiliserascetteinformationcommetul’entends.Tuneréfléchisjamaisauxconséquencesdetesactes.

—Tuas tort. (Jem’agenouillai,puismepenchaipour le regarderpar-dessous lavoiture.Ses biceps tendaient le tissu de son tee-shirt tandis qu’il travaillait.) C’est tout ce quim’importe.Jefaiscequejepeuxpouraider…

—Desétrangers,mecoupa-t-ilentournantsonoutilsiviolemmentquelavoituretremblaunenouvelle fois.Desgensque tuneconnaispas.Tunepensespasà tesproches.Auxconséquencesquetesactionspourraientavoirsureux.

J’étaischoquéequ’ilosediseunechosepareille.

—Tucroisquejenetienspasàmafamille?Àmesamis?

—Jepensequetut’occupesdetropdegens.Tut’étalestrop.Tuenfaistrop,tuprendstropderisques,etilestimpossiblequetugagnes.

Il changeait volontairement le sujet en remettant une vieille dispute sur le tapis pourmefairelâcherlapistedesonkidnapping.

—Reyes,est-cequetuasétéenlevéàtafamillebiologique,ouiounon?

Il baissa son outil en respirant bruyamment et me regarda finalement, ses yeux luisantsouslalumièreartificielle.

—Oui.

—DonclesFostersonttafamillebiologique.LafamilledanslaquelletuaschoisidenaitresurTerre.

—Non.

Ilseremitàtravailleretjepinçaileslèvresenmebattantpourresterpatiente.

—Doncl’enfantdesFosteraétéenlevé,maiscen’étaitpastoi.

Ilplissalesyeuxtandisqu’ilsedébattaitaveclavoiture.

—Raté.Etraté.

J’étais hypnotisée par les gestes qu’il réalisait. Les ombres jouaient sur ses muscleschaquefoisqu’ilbougeait.

—D’accord,doncsilejeuestdedirelecontrairedeschoses:l’enfantdesFostern’apasétékidnappéet…(j’avaisde lapeineà trouvercomment le formuler)etc’était toi.Tuétaisl’enfantdesFoster.

—Tuchauffes.

Jemelaissaitombersurletrottoirdemanièreaussidramatiquequepossiblesansmefairemal.

—Oh,bonsang!Jetedonneraiunmilliondedollarssitumedistout.

Ilexaminal’outilqu’iltenait.

—Tunepossèdespasunmilliondedollars.

—Trèsbien, répondis-jeen roulant sur ledospour tâtermespoches. (Jesortis cequej’avais:troisbilletsdeun,unpeudemonnaie,etunbonbonàlapastèque.)Jetedonnerai3dollars,52centsetunbonbonàlapastèque.

Sabouches’adoucitlorsqu’ilm’accordasonentièreattention.

— J’allais dire non, mais puisque tu as un bonbon à la pastèque… (Il sortit de sous lavoitureetserelevaavantdem’aideràen faireautant.)Si je te réponds,est-ceque tumepromettrasquelquechose?

—Jeteprometsunstriptease,dis-jeenébouriffantmescheveux.

—Marchéconclu.Jen’aipasétékidnappéchezlesFoster.

Jecommençaiàmecaresserlesfessesdemanièrelascive,maisarrêtailorsqu’ilcontinua.

—CesontlesFosterquim’ontkidnappé.

Pendantque j’étaisoccupéeà ledévisager,bouchebée, il ramassasa lampeet ferma lecapotde lavoiture.Bienqueçan’ait rieneuàvoiravecsonenfanceencompagnied’EarlWalker, lemonstrequi l’avaitélevé, jevoyaisbienqu’iln’avaitpasparticulièrementenviedeparler de ce moment de sa vie non plus. Il s’essuya les mains sur un chiffon, ignorantcomplètement le faitqu’ilétait recouvertdesaletéetd’huilede la têteauxpieds. Ilétait ladéfinitionvivantedumotsexy.

Jem’approchai de lui et posai unemain sur son bras pour attirer son attention. Et, ehbien,justepourtouchersonbras,parcequemince.

—Tupeuxm’expliquer?Jenecomprendspas.

Ilétudialechiffontoutenmerépondant.

—JenesuispasuneFaucheuse. Jenepeuxpasmesouvenir de tous lesévénementsdepuisma naissance, comme toi.Mais de ce que j’ai réussi à découvrir, Mme Fosterm’aenlevédansuneairedereposenCarolineduNord.

—CarolineduNord?répétai-je,surprise.

Ilacquiesça.

— Je crois qu’elle l’a fait parce que l’occasion s’est présentée. Elle venait d’apprendrequ’elle ne pourrait pas avoir d’enfants. Elle et sonmari rentraient d’un autre rendez-vouschez le docteur. La voituredemamèreavait surchauffé.Elle s’était arrêtéedans l’aire dereposet, puisque jedormaisà l’arrière,elleavait verrouillé la voitureet s’était éloignéededeuxmètrespourprendreuntuyaud’arrosage.Quandelleestrevenue,elleaouvertlaportepourvoircomment j’allaisetmemettreunecouverture.Elleaoubliédeverrouillerensuite.Mme Foster a assisté à toute la scène depuis sa voiture pendant que sonmari était auxtoilettes.Elleapris çapourunsignedeDieuetpenséque jedevais luiappartenir.Etmamère, qui était capable de laisser son enfant seul, comme ça…Elle ne pouvait pas croirequ’unemèrequiméritaitsipeud’avoirunenfantpuisseenavoirunalorsqu’elle,non.Alors,pendantquemamèrebiologiqueétaitderrièrelecapotetremplissaitleréservoird’eau,MmeFosters’estapprochée,aouvertlaportièreetm’apris.Touts’estpassétrèsvite.Quandmamèreacontournélavoiturepours’assurerunenouvellefoisquej’allaisbien,j’avaisdisparu.

Ilparlaitcommes’ilavaitlutoutçadansunrapportdepolice.

—Maistulesconnais?Tusaisquisonttesparentsbiologiques?

—Oui.Engrandissant,j’aicommencéàmesouvenirdeplusenplusdechoses.Laplupartnemesontpasrevenuesavantquejesoisenprison,mais,petitàpetit,jemesuissouvenudeleursnoms.C’esttout.C’esttoutcequejesaissureux.

—Commentas-tuappristoutça?

—J’aipiratélabasededonnéesduFBIetlulesrapports.

—TuaspiratéleFBIdepuislaprison?

Comme il se contenta de hausser un sourcil de manière arrogante, je secouai la tête,étonnée.J’avaisoubliéàquelpointilétaitdouépourceschoses-là.

—Ques’est-ilpasséensuite?SiMmeFoster t’aenlevé,pourquoia-t-ellechangéd’aviset…et quoi ?Trouvéquelqu’und’autrepour t’enleverdenouveau? (J’avaisde lapeineàcomprendre.)Çan’aaucunsens.

—C’étaitundecescasdefigureoùtoutempire.AprèsqueMmeFosterm’apris,elleaconvaincusonmariquec’étaitécrit.Mais ilsnepouvaientpasvraimentrentrerà lamaisonavec un bébé de trois mois. Alors ils ont quitté l’état, déménagé plusieurs fois et fini àAlbuquerque,cequiestétrangeàuntoutautreniveau.

—Pourquoi?

—Parcequemesparentsbiologiquesétaientcensésdéménager ici.C’est la raisonpourlaquellejelesavaischoisis.Etensuite,jemefaiskidnapper,etjefinisquandmêmeici?

Jem’appuyaicontreunréverbère.

—Çanepeutpasêtreunecoïncidence.Ques’est-ilpasséensuite?

— Les Foster sont restés là un moment. Ils avaient rencontré les voisins. Rejoint uneéglise. S’étaient fait des amis. Mais la famille de M. Foster commençait à se poser desquestions.Ilsvoulaientlevoir.Ilsn’avaientjamaisaimésafemmeetavaientpeurqu’ellesoitdangereuse, alors ils ont décidé de venir leur rendre visite. Et puisque les Foster avaientsoudainementunenfantdumêmeâgequeceluiquiavaitétéenlevédans leurétat, ilsontcomprisqu’ilsallaientsefaireprendre.Alorsilsm’ontvendu.

—Ilst’ontsimplement…vendu?Genre,sureBay?

— C’est une des pièces du puzzle que je n’ai pas encore retrouvée. Peut-être que M.Foster a rencontré quelqu’unqui l’a aidé.Qui sait ?Quoi qu’il en soit, je crois que le planétaitsimplementdemevendrevitefait,maisunevoisineavuuntypequiavaitl’airsuspectsortirpar-derrièreavecmoi.Elleapenséqu’onmekidnappait,alorselleaappelélapolice.Ilssontvenus,lesFosterontpaniquéetditque,oui,leurenfantavaitdisparu,etonconnaitlasuite.

—Reyes,c’estcomplètementdingue.EtlafamilledeM.Foster?Ilsn’ontpaspercutésurlefaitqueluiaussiavaitunenfantmystérieusementdisparu?

—Crois-leounon,ilsnel’ontjamaisappris.Desenfantssontsansarrêtenlevés.Combienenas-tuvu,surtoutdanstoutl’état?Mêmeaujourd’hui,àl’èredel’information,onremarqueàpeinelesvisagesdesenfantsdisparus.Tusavaisqu’ilyaplusdedeuxmillepersonnesquisontportéesdisparueschaquejour?Combientuenvoispasserauxinfos?

—Même,répondis-je,complètementprisedecourt.Comment lesflicsn’ont-ilspasfait lelien?Tuavaislesmarques,lacartedel’enfer,surlecorps.

— Oui, mais elles étaient très claires lorsque je suis né. Si claires qu’elles étaientimpossiblesàvoirà l’œilnu.Ellesont foncépendantque jegrandissais.Aumomentoù lesFosterm’ontvendu,ellesressemblaientàdes tachesdenaissancetrèsclaires.Rienàvoiravecmaintenant.

Jem’assissuruncartonjusteaumomentoùlapremièregouttetombaitduciel.

—C’est de la folie. Les Foster avaient l’air si sympathiques sur le papier et dans leursinterviews. (J’agitaimon indexenmesouvenantdesparolesdeSac.)L’agentCarsonaditque sonpèreavait unmauvais pressentiment au sujet de toute cette affaire, commes’il yavaitquelquechosesouslasurfaceetqu’iln’arrivaitpasàmettreledoigtdessus.

—Ondiraitquec’étaitunbonagent.

—Tuallaisatterrir icide toutemanière?Afinqu’ongrandisseensembleet fréquente lesmêmesécoles?

Ilrangealesoutilsqu’ilavaitsortisetétudialeciel.Desgouttesruisselaientsursonvisageetsesbras.

—Monpèrebiologiqueallaitse fairemuteràAlbuquerque.Mais,aprèsmonenlèvement,ilsontdécidéderesterenCarolineduNorddansl’espoirquelapolicemeretrouverait.Ilsnesontjamaispartis.

Jebondissurmespieds.

—Ilssonttoujourslà-bas?

—Oui.

—Tuesallé les voir,Reyes? (Jem’approchai, et il baissa la têtepourme regarder.)Tuleurasditquitues?

L’expressionqu’ilaffichamestoppanet.

—Pourquoijeferaisça?

—Pourquoitu…?demandai-jeavantdemetaire,tropsurprisequ’ilposecettequestion.Reyes,ilsontledroitdesavoirquetuvasbien.

—Ilsontledroitdevivreleurvie,heureux,sanslesavoir.

Jen’ycroyaispas.

—Pourquoileslaisserais-tudanslefloucommeçatoutescesannées?

Lachaleurdesacolère réchauffa les fraichesgouttesdepluiequi tombaientdoucementsurlachaussée.

—Cenesontpasmesvraisparents,Dutch.Tulesais.

—Maistulesaschoisis.

—J’aichoisilafemmepourservird’incubatrice,c’esttout.

Il y avait plus que ça. Je sentais des sentimentsmitigés s’agiter en lui.De la colère, duressentimentetledoute.

—Cen’estpasentièrementvrai,luidis-je.

Sesémotionsétaient troppuissantespourqu’il parvienneà lesbloquer, et ça lemettaitencoreplushorsdelui.

Il se détourna afin de ramasser sa boite à outils, mais je l’arrêtai, pris samain dans lamienneetl’attiraijusqu’àmonvisagepourlacaresser.

— Reyes, tu dois leur dire. Tu dois soulager leur douleur. Mettre un terme à leurincertitude.

Desgouttestombaientdesescilsincroyablementlongs,etsesyeuxbrillaientau-dessous.

—Pourquoimevoudraient-ils,Dutch?Qu’est-cequeçapourrait leur fairedeconnaitremavraieidentité?

Mêmesijen’étaispasdutoutd’accordaveclui, j’avaisenviedeleconvaincredes’ouvrir.Deleurdire.Lerestepourraitvenirplustard.

—Tun’espasobligédeleurdirecequetues.

—S’iln’yavaitqueça.(Ilsedétourna.)J’aipassélesdixdernièresannéesenprison.

Jelecontournaipourleforceràmefaireface.

—Pouruncrimequetun’avaispascommis.

— L’odeur de la prison me colle encore à la peau. Les prisonniers sont différents. Ilsagissentdifféremment.Ilsnesontpasexactementsociables.Ilslesentiraient.

—Dis-moiquetuplaisantes.

—Non.(Ilattrapamonbras,soncomportementchangeantdutoutautout.)Etjeneveuxpasquetu leurdisesnonplus.C’estmavie,Dutch.Jerefusequetu interfères,est-cequec’estcompris?

Peuimportaitàquelpointj’enavaisenvie,jedevaisrespectersonvœu.S’ilnevoulaitpasrencontrer ses parents biologiques, je ne pouvais pas le forcer. Il avait tous les droits depréserversavieprivée,mais l’idéequ’ilssoientencoreentraindesouffriraprèstoutesces

années, qu’ils ne sachent toujours pas ce qui était arrivé à leur bébé,me brisait le cœur.Tourner la page faisait du bien. Laisser les choses telles qu’elles étaient revenait à laisserune blessure ouverte, eh bien, ouverte. Il y avait sûrement un moyen de contourner sessouhaits,desimplementleurfairesavoirqueleurfilsétaitenbonnesantéetqu’ilseportaitbien-trèsbien,même-sansleurrévélersonidentité.

—Promets-le-moi,dit-ilenattrapantmonautreépaule.

Avantquejepuisselefaire,uneautrepenséemefrappa.

—Oh,monDieu,etlefilsqu’ilsontmaintenant?LesFoster?Est-cequec’estaumoinsleleur?

—Jen’ensaisrien.(Ilrelâchamesépaulesetcroisalesbras.)J’ailesentimentqu’ilsl’ontenlevéluiaussi,puisqu’ilestblondetqu’ilsonttouslesdeuxlescheveuxfoncés.

—Nomd’uncaméléon!C’estatroce.Ilfautlesarrêter.

—Est-cequec’esttamanièred’éviterdemepromettrequetugarderastonpetitnezendehorsdemesaffaires?

—Quoi?Moi?Waouh,t’asvucommeilpleut?

— Dutch, dit-il de sa voix profonde et sexy. (Les gouttes collaient son tee-shirtanciennementblanccontresoncorpscommes’ils’agissaitd’unecombinaisonmoulante.)Tupourraisregretterdemeregardercommetulefaisencemoment.

Jerelevailesyeuxetlesposaisursonvisage.Cequin’aidaenrien.

—Jenepourraijamaisregretterdeteregarder.

Ilfronçalessourcils,commes’ilnecomprenaitpas.

—Pourquoi?demanda-t-il,totalementsérieux.

Et je perdis pied. Je lui sautai au cou, demanière assez littérale, et pressaima bouchecontre la sienne. Il retint un sourire pendant quelques secondes, me rendit le baiser demanière enthousiaste, puis me plaqua contre la voiture. Il chercha aussitôt Danger d’unemainetattirasonattentionà l’aidedesonpouce.Sabouche,sichaudecontre lamienne,descendit pour sucer son téton, et ce ne fut qu’à cet instant que je remarquai qu’il avaitdéboutonnémachemiseetrelâchéDangeretWill.

Jeneprêtaimêmepasattentionaufaitqu’onsetrouvaitdehors.Lachaleurtorridedesesbaisersmefitperdrepiedtandisqu’ilsuçotaitDanger.Ilseraiditsoussontraitement,siviteque j’en criai presque. L’éclair deplaisir était étourdissant. Il s’occupaensuite deWill, puisrevintàDanger, leuroffrantàtouslesdeuxlamêmeattention.Chaquefoisqu’ilprenaitundemesseinsenbouche, l’excitationmemordait toutentière.Je leregardaipétriretsucer,sesmagnifiqueslèvrescontremapeauclaire.Maiscefurentsesdentssurleurstétonsraidisqui provoquèrentma perte. En une explosion rapide, la piqûre douce-amère de l’orgasmericochaàtraversmoncorps,explosantcommeunfeuquientreencollisionaveclaglacelorsd’unouragan.

Uncrique jenepusréprimers’échappademagorge.Jamais.Jamaisde toutemavie jen’avais joui de cettemanière. L’étonnement le plus total me fit ouvrir la bouche en grandtandis que l’orgasme puisait à travers moi comme une cascade de plaisir. Il diminua

lentement, me laissant pantelante, et pourtant j’en voulais plus. Toujours plus quand ils’agissaitdeReyesAlexanderFarrow.

Ilposasabouchecontre lamienneet jepassai lesbrasautourde lui lorsqu’ilmepoussasurlecapotdesavoiture.Jetendislamainetcaressail’érectionquesonpantalonpouvaitàpeine contenir. Il inspira aussitôt, et l’air soudainement froid me caressa les lèvres,provoquantunenouvellevaguededésirenmoi.Avantquej’aiecompriscequisepassait,ilavait retiré mon pantalon. J’étais toujours soufflée qu’il arrive à faire ce genre de chosessansquejem’enrendecompte.J’étaisallongéesursavoiture,àmoitiénue,bouchéebéeetépuiséelorsque,sansautreformedeprocès,ilentraenmoi.

Je l’attrapaipour l’attirerencoreplusprès, lespicsaiguisésdudésircourt-circuitantmonself-controlunefoisdeplus.Ilrestalà,enfouienmoi,permettantàmoncorpsdes’ajusteràl’ampleur de son érection jusqu’à ce que j’empoigne ses cheveux, morde ses épaules etsoulève mes hanches contre les siennes, le forçant à me pénétrer encore plusprofondément.

Il grogna comtemon oreille, passa un bras sous un demes genoux, et plongea enmoiencoreetencoreenpousséesrapidesetcourtes,attisant lachaleurdansmonventreet lafaisantgonfler,tourbillonneretbouillonner,chaquenouvellepousséesemblableàlapressiond’un volcan débordant de lave en fusion prêt à exploser. Mes tétons étaient toujourssensibles. La poitrine de Reyes les frottait chaque fois qu’il s’enfonçait en moi, merapprochanttoujoursplusduprécipice.

Les muscles de ses épaules puissantes se contractèrent sous l’effort. Sa respirationdevintsaccadée,deplusenplus laborieuse tandisqu’ilmemaintenaitdansuneétreintedefer.Jeplongeai lesonglesdanssachair, l’encourageantàallerplus fort, lesuppliantdenepas s’arrêter. De ne jamais arrêter. Il semblait à l’agonie alors qu’il retenait ses propresbesoins pourme donner un nouvel orgasme ravageur. J’enfouisma tête au creux de soncou. La fièvre grimpait et explosait enmoi comme un raz-de-marée qui déferle contre unbarrage.Reyesgrognadenouveaupendantquesonpropreorgasmelefaisaittrembler,sonagonieaussipuissantequelamienne,toutaussienivrante.Ilmetenaitsifermementcontrelui que c’en était presque douloureux et ne fit qu’augmenter la puissance de mon propreplaisir.Jemedélectaide l’extasequime terrassait toutentière jusqu’àcequ’elles’atténue,puissedissipetotalementenquelquesbattementsdecœur.

La respiration de Reyes ralentit, tout comme la pluie. Elle battait un rythme lent etmélodique contre la ‘Cuda tandis qu’on restait allongés là, membres entremêlés, lesvêtementsdans tous lessens.Ceuxqu’il nous restait, toutdumoins.Reyessepenchaetm’embrassa, longuement,violemmentetprofondément,commepourmeremercier.Commepourrenforcerlefaitqu’ilavaitautantbesoindemoiquej’avaisbesoindelui.

Lorsqu’ilseredressa,jecaressaisajoueduboutdesdoigtsetchuchotai:

—C’étaittoutbonnementextraordinaire.

Ilm’adressaunsourireétincelantdanslapénombre.

—Tuestoutbonnementextraordinaire.

Çam’allait.J’étaisperdueaufonddesonregardlorsqu’unemélodieretentit.Jel’entendisdansuncoindemonesprit,maisjen’enprisréellementconsciencequelorsqu’elleserépéta.

—C’estmontéléphone,luidis-je.

Ilm’aidaà descendredu capot etme soutint jusqu’à ceque je retrouve l’équilibre. Ilmefallutunmomentpour localisermonpantalon,mais,une foisquece fut fait, j’attrapaimontéléphoneenpriantpourquelapluienel’aitpasfichuenl’air,puisvérifiaimesmessages.Unjuronquejenepourraisrépéterenpublicapparaissaitsurl’écran.Jegrimaçai,mecouvrislabouched’unemain,puisdisentremesdoigts:

—J’aioubliéoncleBob!

Chapitre14

Lecheminlepluscourtpourtoucherlecœurd’unhomme,

c’estdefaireuntroudanssacagethoracique.

Tee-shirt

J’entrai précipitamment par l’arrière du bar, trempée jusqu’aux os et dégoulinante, ettrouvaioncleBobassissuruntabouret.AprèsavoirrepéréCookieetson«rencard»dansuncoinsombre, jecommençaiàm’inquiéter,medemandantsiObie lesavaitvus.C’était lebut,aprèstout.Lesdeuxsiègesàcôtéd’Obieétaientoccupés,et iln’yavaitquequelquesplaces disponibles en tout. Et aucune, je dis bien aucune table libre. Je pris place à untabouretdedistancede lui.Entrenousse trouvaitun typed’unequarantained’annéesquiportaitunbeaucostumemaistropd’eaudeCologne.Ilrelevalesyeuxlorsquejeprisplace,me regarda, puis changead’avis, décidant que son verreétait plus intéressant. Je jetai uncoupd’œildanslemiroirenfacedemoietcompris.Nonseulementjeneressemblaisàrien,mais en plusmonmaquillage avait totalement coulé (mais que sur unœil), ma queue-de-chevaln’étaitplusdroiteettombaitsurlecôtécommeunballondégonflé,etmonhautétaitàl’envers.C’étaitunechemise.Commentétait-cepossible?Est-cequejel’avaisenlevéeàunmomentdonné?

—Hey,oncleBob,dis-jepar-dessusletypequisesituaitentrenous.

Cedernierseraiditetreculalégèrement,soudainementmalàl’aise.

—Salut,mapuce.Oùétais-tupassée?

—Derrièrelebar.

—Cen’est quandmêmepas toi qui t’envoyais en l’air dans la rue, n’est-ce pas ?Onareçuunappel.

L’angoisse remonta demon ventre àma gorge en un instant. Jeme penchai en avant,pratiquementsurlegenoudutypeentrenous.

—Sérieux?Quelqu’unaappelélapolice?

—Non,répondit-ildanssonverre.C’étaituneintuition.J’enaisouventdebonnes.

—OncleBob!couinai-je.

J’avaisbesoindem’assurerqu’ilavaitvuCookiesansqu’ilcomprennecequejefaisais.S’iltournaitlatêtedansmadirection,illaverrait.Ellesetrouvaitsurmadroite.Pasmoyenqu’illa loupe,mais il était occupé à couver son verre. Jeme raclai la gorge et appelai Teri, labarmaid,assezfortpourmefaireentendremalgrélafoule.

—Qu’as-tudécouvertàproposdelafemmequiestsousprotectiondestémoins?

— Pas grand-chose. Ils ne donnent pas vraiment ce genre d’informations. Mais j’aidécouvertuntrucsurtongars.

—Mongars?J’aiungars?Est-cequejepourraisavoiruncaféavecsupplémentcafé?demandai-jeàTerilorsqu’elles’approcha.

Ellem’adressaunclind’œiletcommençaàverser.

—Biensûr,mabelle.

J’étaisunpeuamoureused’elle,encemoment.

—Quoidonc?demandai-jeàObie.

—Ilvendbeaucoupdevoitures.

—OK,maisçanem’aidepasénormément,ça.

Il ne regardait toujours pas dans ma direction. Je me raclai une nouvelle fois la gorge.Toussai.Eusunepetiteattaque.Illefaisaitexprès.Puisjecompris.C’étaitprécisémentpourçaqu’ilnemeregardaitpas.Ilm’avaitdéjàvue.

Le téléphone d’oncle Bob sonna et il décrocha. Je jetai un coup d’œil àCookie. Il étaitécrit«t’étais-passée-où-putain»engrossursonfront.Jehaussailesépaules.Ellehaussales épaules. Je pointai un doigt en direction de la porte qui menait à la ruelle, jouai dessourcils, puismimai le signe universel pour le sexe, faisant passermon index à travers lerondque j’avais forméavecmonautremain.Elleetsonrencardsemirentàrireavantquecederniernelèveunpoucedansmadirection.

Letypeàcôtédemoimeparla.

—Vousvoudriezqu’onéchange?demanda-t-ilenfaisantungesteentrenous.

—Volontiers,mais je ne crois pas que vous pourriez entrer dansmes vêtements. Vousêtesplutôttaille38,non?

Il était encore plusmal à l’aise.Et perdu.Et il n’avait de toute évidence aucun sens del’humour.

—Jeparlaisdestabourets.Voudriez-vouséchangernosplaces?

—Oh!dis-jeengloussant.Oui,biensûr.

Nouséchangeâmesnosplaces, cequime rapprochademononcleadoré.Undétail surlequel j’eus besoin demettre l’accent en lui piquant quelques gorgées dewhisky. Cul sec.Bonsangdebonsoir,çabrûlaitendescendant.Cettefois-ci,lorsquejetoussai,jenefispassemblant.Pas plus que je ne feignismonattaque.Sans interrompre ce qu’il disait dans lecombiné,Obiemetapotadansledos.Violemment.Assezviolemmentpourmetaperlatêtecontrelebar.Ilétaitsiadorable.

Jedécidaidem’enteniràmoncafé.Ons’aimait,Kawaetmoi.Onorganiseraitunmariagetranquilleauborddelamerenprésencedequelquesamisetdelafamilleproche,etavecunpeudechance,jerecevraislemixeurdontj’avaistoujourssecrètementrêvé.Quelqu’unm’enoffriraitbienun.

Trois femmes étaient assises à la table derrière nous. Elles parlaient plus fort que laplupartdesgensetilétaitdifficiledenepasentendre.Jenepusm’empêcherd’écouterleur

conversationpendantqu’Obieétaitautéléphone.Aprèsunrapidecoupd’œil,jereconnuslesamies de Jessica, mais cette dernière n’était pas là. Quel dommage. Elle me manquaitvraiment.

—Ilconduitunevoituredecourse,ditl’uned’elles,parlantdetouteévidencedeReyes.

Jen’arrivaispasàcroirequ’ilsoitencorelecentredel’attention.Çafaisaitdeuxsemainesqu’ilétait là.Quandest-cequ’ellesenauraientassez?J’avaislesentimentque,mêmesi jedisaisouiàsademandeenmariageet luipassais labagueaudoigt,ellescontinueraientàvenir, le cœur débordant d’espoir et de rêves. Comment pourrais-je leur jeter la pierre,cependant?S’iln’étaitpasmien,jeferaisprobablementlamêmechose.

—Jen’aipaseudenouvellesd’elledetoutelajournée,ditl’uned’elles.

—Envoie-luiuntexto.

—Déjàfait.Ellefaitlatête.Çaluiarrive.

Est-cequ’ellesparlaientdeJessica?Si telétait lecas,ellesn’auraientpaspuviserplusjuste.

—Elleratequelquechose,répondituneautreenronronnantpresque.

Biensûr,jesavaisqueReyessetrouvaitàprésentdanslapièce.J’avaissentisachaleuràl’instantoùilavaitfranchilepasdelaporte.

—Etoh…mon…Dieu,ditl’uned’elles.Ilest…ilesttrempé.

Lapiècedevintsoudainementsilencieuse,commesouvent lorsqu’ilarrivait.Jemetournaidanssadirection.

Il s’approcha demoi, et le fait qu’on était tous les deux trempés jusqu’aux os en disaitlong.

—Dites-moiquejerêve.

—Tuasoubliéuntruc.

Ilmefourraquelquechoseentrelesmains.Unsoutien-gorge.Monsoutien-gorge!

Nom de… ? Je jouai des épaules afin de tester Danger et Will. Ouaip. Aucun soutiend’aucunesorte.

Ilmeregardauninstant,puisdemanda:

—Tuveuxquejelemettepourtoi?

—D’accord,maisjedoutequecesoittataille.

Jesoulevailetord-boyauxd’oncleBobpourprendrelesous-verreetl’utilisaipouressuyerlevisagedeReyes.Ilm’étudiaprofondémentsousseslongscils,sesirisd’unbrunprofondbrillantdanslalumièreartificielle.Sabouche,pleineetsensuelle,affichaunsourireencoin,révélant la fossette la plus charmante que j’avais jamais vue, et j’arrêtai monmouvementjuste pour l’observer, pour mémoriser chaque trait de son visage. Après qu’on se futregardésdanslesyeuxpendantunmoment,ilretrouvasesespritsetdemanda:

—Qu’est-cequisepasseavectononcle?

—Quoi?

J’étaistoujoursentraindel’observerprofondément.Jesecouailatêteetrépondis:

—Jecroisqu’ilesténervéparcequeCookieaunrencard.

—Ah,c’estlogique.(Ilcaressamapaumeduboutd’undoigt.)Ilvasedécideràl’inviteràsortirunjour?

—S’ilnelefaitpas,jecomptebienlebattreàmortavecdesnouilles.

—Ilenaconscience?

—Ceserabientôt lecas.Ceseraunemort très lente.Laborieuseet intensive.Avecunpeudechance,jenechoperaipasdecrampesàforcederépéterlemêmemouvement.

Je ne pus m’empêcher de placer une main sur sa hanche. Je glissai un doigt dans saceintureettirai.

Ilselaissavolontiersfaire.

—J’aivutonappartement,aufait.

—J’aicruquec’étaituncadeaudetonDealer.Maisjen’ensuisplussisûre.

—Pourquoi?

—Iladitquecen’étaitpaslui.

—Ah,oui,jemesouviens.Ettul’ascru.

Cen’étaitpasunequestion,maisjerépondismalgrétout.

—Pourquoimentirait-il?Ilaladague.Ilaadmisl’avoirprisesansproblème.

—Dutch,ilsmententparcequec’estdansleurnature.C’estcequ’ilssont.Ilsmentiraientmêmesilavéritésonnaitmieux.Donc,est-cequejepeuxluisectionnerlamoelleépinière,àlafin?

—Non,tunepeuxpas.Jepensequ’ilpourraitnousrendreservice.

—Tuasmalprononcésévices.

Jeleréprimandaiduregard.

—Tuesvenupourcuisiner?

—Non,Sammys’enoccupe.Jesuisjustelà.

Oh,adorable.

—Tuveuxdirequejet’aijustepourmoi?Genre,commeàunvrairencard?

—Sitesrencardshabituelscomprennenttononcleettameilleureamie,alorsoui.

Jerisetdemandai:

—OK,pourquoies-tuvraimentlà?

—Jegardeunœilsurtoi.

—Reyes,tunepeuxpasmebaby-sittersansarrêt.

—Tuveuxparier?

—Jeveuxdire,tuasunevie.J’aiunevie.Onatouslesdeuxunevie.

Il jetaunregardà l’hommeassisàcôtédemoi.Cen’étaitqu’uncoupd’œil, riendeplus.Maisilselevaaussitôt,s’excusant.Reyess’assitetm’attiraprèsdelui,sepenchantcommesinousétionsdesamantsentraind’avoiruneconversationcoquine.Maiscequ’ilditensuiten’avaitriendesensuel.

—Jet’aiexpliquéclairementcequ’étaientlesDouze?

—Oui.Cesontd’atrocesetméchantesgrossesbêtesquiveulentmedévorerpourlepetitdéj.

—Faux,répondit-il.Moi, jeveuxtedévorerpourpetitdéj.Eux,ilsveulenttedéchiqueteretramenertonâmeàmonpèresurunplateaud’argent.

—Jenecomprendspas.Sitonpèrelesaemprisonnés,pourquoiferaient-ilsçapourlui?

—CesontlesDouze.Ilestimpossibledelescomprendre.

Ilposaunemainsurlebar.Tandisquejemepenchaisverslui,illaissasesdoigtseffleurerle téton de Danger. Il se réveilla aussitôt et poussa contre les confins de ma blouse,désespérantqu’illetouchedavantage.Jenepouvaispasluienvouloir.

—Onaunpublic.

Lorsquejecomprislesensdesesmots,jeprisfinalementconsciencequenousenavionseffectivement un. La moitié de la salle nous regardait. Je commençais à me redresserlorsqueReyesajouta:

—Paseux.

Ilfitunsignedetêteendirectiond’oncleBob.Jemetournaiverscedernier.

—Oh,désolée,onétaitjusteentraindeparlerdelapluie,àquelpointelleestagréable.

—Jen’endoutepas.

Sonhumeuravaitchangé.C’étaitbizarre.IlregardaCookieetsonrencardet,delacolèreetdelajalousie,ilnerestaitquelacolère.Dontunepartiemesemblaitdestinée.

—Donc,Brinkmanetsesvoitures.

—Oui,ondiraitquesonaffairesertàcouvrirdublanchimentd’argent.Ilfaittransiterplusquecequ’ilvend,maisillecacheenémettantlestitresàdoubleexemplaire.

—Etilsnes’enrendentcomptequemaintenant?Qu’est-cequeçaveutdire?

— Ça veut dire que s’ils peuvent le coffrer pour ça, ils n’auront peut-être pas besoinqu’EmilyMichaelstémoignecontrelui.L’agentCarsontravailledanscebut.

—Tutravaillesavecelle?

— Disons plutôt que je suis consultant sur l’affaire. On a un plan. Peut-être que tupourraisnousaider?

—Avecplaisir.

Ilhochalatête,maissacolèreétaittoujourslà,mijotantsoussonapparencegrincheuse.

—Toutvabien,oncleBob?

IlregardavolontairementendirectiondeCookie.

—Jevaisbien.Ilfautquejefileàuneréunion.

Lorsqu’il fut parti, je me tournai vers Cookie et haussai les épaules. Elle haussa lesépaulesen retour, remerciason rencard,etmedésigna laportearrièred’uncoupde tête,m’expliquant ainsi qu’elle rentrait à la maison. Je la suivis, les chaussures toujoursspongieuses.

—Tononcleal’airencolère,dit-ellelorsquejelarattrapai.

—Oui,hein?Bizarrementencolère,pasdelabonnemanière.

Nousdépassâmes laruelleoù lavoituredecoursedeReyessetrouvaitunpeuplustôt.Jeme demandais où il la garait. Tout homme qui prenait le risque d’érafler sa carrosseriepour une femme était un vrai mec, selon moi. Je décidai de passer voir comment il allaitavantd’alleraulit.

ToutcedontjemesouviensensuiteétaitReyesquimesouriaittandisquelesoleil filtraitdans son appartement, les cheveux en bataille, les paupières alourdies par les restes dusommeil. Je m’étirai tandis que les trois petits mots que toute femme rêve d’entendrefranchirentseslèvressanseffort.Commesic’étaitquelquechosequiarrivaittouslesjours.Commes’ilsnecomptaientpasplusquetoutaumondeàmesyeux.

—Ducafé,Dutch?

Etjetombaiamoureuse.

Follementamoureuse.

Chapitre15

Leplusimportant,c’estdenepasprendrefeu.

Demandezàquelqu’unquiestentraindebrûlervif,

etilvousdiraqueleplusimportant,c’estdenepasprendrefeu.

VÉRITÉuniverselle

La première chose à faire dans mon planning, à part découvrir qui avait saccagé monappartement,étaitdeconfronter leCapitaineKangourou.Oh,et il faudraitque jemette lamainsurGarrettpourarrangerunrendez-vousavecleDealerafinqu’ilsfassentleursdevoirsensemble. Ils avaient pris Prophéties Vagues et Allusions Surnaturelles Confuses pourdébutants,maiscecoursn’étaitpasréellementintéressantavantlesecondsemestre.

Maintenant que j’y pensais, je n’avais jamais réussi à savoir où Garrett avait trouvé ladague.Ilavaitditquesonacquisitionn’avaitpasété l’undesesmoments lesplusbrillants.Çapouvaittoutdire,duvoldansunmuséeàlafouilleillicitedesiteenRoumanieenpassantparunearnaquepourledéroberàunvieuxcollectionneur.

Oupeut-êtrequ’ill’avaitvoléedansuntemple.Maudit!Ceseraitvraimentcool,ça.

Le faitqu’il reste flousur lesujetn’avait faitquemerendrepluscurieuse.Commes’ilnevoulait pasque je sache cequi s’était passé. Laplaie. J’avais tellement enviede lui poserdesquestionssursafamille,aussi.Unautresujetsur lequel ilétaitrestétrèsvague.Selonles recherchesqueCookieetmoiavionseffectuéesdanssondos, sonarrière-grand-mèreétait une vraie princesse vaudou, et une plutôt renommée. Elle était née à La Nouvelle-Orléans et avait pratiqué ouvertement son art au point de devenir l’une des prêtressesvaudoulesplusconnuesdel’histoire.

Nousavionségalementdécouvertque ledondesagrand-mèreavaitété transmisàunetantedeGarrettetpeut-êtremêmeàsasœur.Unesœur!Ilétaitdifficiled’imaginerGarrettavecune sœur. Jemedemandais aussi siGarrett n’avait pas hérité d’unepetite partie dudon.Ilétait tellementdouépourretrouver lesgens.Sesméthodesallaientsouventau-delàdeshabituelsinterrogatoiresetautresrecherchesInternet.Ildonnait l’impressiond’avoirunsixièmesenspoursonboulot.Chosequ’unprincevaudoupourraittoutàfaitposséder.

Ilneparlaitpasbeaucoupdesafamille,maisçanem’avaitpasempêchéededécouvrirdeschoses sur elle. Honnêtement, il ne pouvait pas me dire qu’une partie de sa famille étaitsensible aux occurrences de l’autre monde et penser que je n’allais pas fouiner.Sérieusement?Ilmeconnaissaitsimalqueça?

Quandj’arrivaiaucommissariat,onmeditquelecapitaineétaitenréunionetquejedevaisattendredanslehall.Trèsbien.Jepouvaisl’attendre.Mêmes’ilfallaitquejeresteassiseicitoutelajournée,jenepartiraispasavantd’avoirdécouvertcequemanigançaitlecapitaine.

Jefouillaimonsacàlarecherchedemontéléphoneafindepouvoiraumoinsfairequelquechosed’unpeuproductifpendantque jepatientais.Aprèsavoir trouvémonicônepréférée,j’attendisqueCandyCrushSagachargeetcommençaiàdétruiredesbonbons.

Unevoixmeparvintmalgrémagrilledebonbonsappétissants.

—Votreauraesttrèsbrillante.

Jerelevailesyeuxendirectiondelafemmequiétaitassiseenfacedemoi.Elleavaitl’airplutôt normale, avec de courts cheveux blonds et des chaussures confortables, mais laplupartdesgensquimentionnaientlesaurasn’étaientpassinormauxqueça.

—Merci,dis-jeenmereconcentrantsurmonjeu.

—Jen’enaijamaisvudepareille,continua-t-ellemalgrémonenvieplutôtflagranted’êtrelaisséetranquille.

—Vraiment?C’estbizarre.

—Enfait,dit-elle,jesaisquivousêtes.Noussommestrèssemblablestouteslesdeux.Jesuisicipourlesaidersuruneaffaire,moiaussi.

J’acquiesçai.

—Cequejeveuxdire,c’estquejesaisquevousêtesmédium.

Jefinisparfaireunepausedansmapartieetdemandai:

—Vousvousfichezdemoi?

—Non,c’estcequej’essaiedevousdire.Jesuismédiumégalement.

—Est-cequec’estuncoupdePari?

Elleserrasonsaccontresapoitrine.

—Non.

—DeCookie,alors?Cen’estpasdanssanaturedepiégerlesgens,maistoutlemondeauncôtétaquinenfouiauplusprofonddelui.

—Non.

—Swopes,alors?

—Non,jesuisréellementmédium.

—Est-ce…

—Non!coupa-t-elle,savoixrésonnantàtraverslapièce.(Ungentilcouplequiavaitl’aird’avoir trop consommé de métamphétamines nous regarda, ce qui poussa la femme àmurmurerensuite.)Personnen’essaiedevouspiéger.

—Rah,vousêtesfacilementirritable.

Ellerelâchasaprisesursonsacetlissasonpantalond’unemain.

—J’aijustepenséqu’onpourraittravaillerensembledetempsentemps.Nousfournissonstoutes les deux un service aux forces de l’ordre.Commepour le cas pour lequel ilsm’ontappelée.Onpourraitfaireéquipeetlerésoudretouteslesdeux.

Jedécidaidecracher lemorceau,de luidonnerunechanced’êtrehonnêteoudesouffrirdesconséquences.

—Écoutez,moiaussijesaisquivousêtes,MadameJakes.J’aivuvotreémission.

WynonaJakessefaisaitdel’argentenutilisantsesdons,etçamefilaitlanauséechaquefoisquej’ypensais.

—Vousavezvumonémission?demanda-t-elle,radieuse.

—Ouaip. Vous êtes ce que j’appelle un charlatan, une personne avec un talent naturelpourrepérerlesémotionsdesgenscoupléàunassezbonjeud’actrice.

— Je vois, dit-elle en se redressant sur son siège pour montrer à quel point elle étaitchoquée par mes propos. Je pensais que vous plus que tout autre comprendriez ce quec’estqued’êtreaccusédeduperiequandvosdonssontbienréels.

— Je le sais parfaitement. Et je suis persuadée que vous, non. J’ai vu ce qui se passequandvos«prédictions»,dis-jeenajoutantdesguillemetsaérienspourmettrel’accentsurmonsarcasme,neseréalisentpas.J’aivuunjeunecoupleperdresamaisonparcequ’ilvousacruequandvousluiavezditd’investirtoutcequ’ilpossédaitdansleprojetpiloted’unoncledéjanté.

—Cen’étaitpasvraiment…

—Etj’aivucettemèrechantervoslouangesparcequevousluiaviezditquesonfils,quiavaiteuunaccidentdemotoetsetrouvaitdanslecomaàl’hôpital,allaits’ensortir.(Jemepenchaipourlaregarderdroitdanslesyeux.)Ilestmortpendantqu’elleétaitdanslestudiod’enregistrementàécoutervosconneries.Vousavezlamoindreidéedecequeçaluiafait?Delaculpabilitéqu’ellearessentie?Desahonteetdesonaccablement?

Ellesedétourna,lesdernierséchosdesonindignations’échappantd’ellecommeunebrised’été.

—Écoutez, luidis-jeenessayantdenepasmesentircoupabledeluimettrelenezdanscequiserésumaitpourmoiàdelafraude.Jecomprends.Vousaimeriezqu’onvousproposed’écrireunlivre.Chacunsontruc.Çamemettraitplusencolèresivousaviezréellementundonetquevousl’utilisiezpourvousfairedufricdemanièreimmorale,maispourrépondreàvotre question, non, je ne ferai pas équipe… Attendez. Vous avez dit qu’ils vous avaientappeléepouraidersuruneaffaire?

— Oui. (Elle releva le menton et m’adressa un sourire en coin.) Un certain inspecteurDavidsonademandéaprèsmoi.Iladitqu’ilavaitvumonémissionetqu’ilaimeraitmonaidepouruncasdepersonnedisparue.

—InspecteurDav…

—MadameJakes?demanda lesergentà l’accueilavantque j’aie le tempsdecracher lafindutitred’oncleBob.

Elleseleva.

—Oui.

—L’inspecteurDavidsonvavousrecevoir.

Les bras m’en tombèrent. Le sergent lui indiqua la direction du bureau d’Obie juste aumomentoùmontraitred’oncleensortaitpourl’accueillir.Illuiserralamainlorsqu’ellearrivadevantlui,puisplaçasadeuxièmedanslecreuxdesesreinspourlaconduireàl’intérieur.

J’étaisjalouseàlafoispourCookieetpourmoi.SurtoutpourCookie.Ilétaittoujourstropnerveuxet tropréservépouroserquelquechosedugenreavecelle.Et ilavaitdemandéàcettefemmedevenirconsulterpouruneaffaire?Àelle,uncharlatan?

Passij’avaismonmotàdire.JemelevaipourallerprouveràoncleBobqu’ellen’étaitriendeplusqu’unimposteurlorsquelecapitainesortitdelasalledeconférencesetmevit.Ilmefit signe de l’accompagner jusqu’à son bureau. Après avoir jeté un regard appuyé dans ladirectiond’Obie,jedéglutisdifficilementetsuivislecapitainedanssonantre.Desprixetdesattestations recouvraient sesmurs, et son bureau était jonché de dossiers et de piles depaperasserie.

—Vousvoussentezmieux?demanda-t-il.

—Pasvraiment.

—C’estbiendommage. (Ilallaprendreplaceàsonbureau.)Parcequevousêtessur lepointdevoussentirencoreplusmal.

Ilmefitsignedem’asseoirsurlachaiseenfacedelui.Jen’enfisrien.

— Je veux savoir pourquoi vousme faites suivre, qui étaient ces gens, et ce que vouscomptezfaireaveccesphotos.

Il pinça la bouche comme s’il était sur le point de m’apprendre de très mauvaisesnouvelles.Puisilseleva,allachercheruneenveloppedanssontiroiràclassement,ensortitunepiledephotos,etenjetaunesurlebureaupourquejelaregarde.

C’étaitunclichédemoiprissur levifoùonauraitditque j’achetaisde ladroguedevantmonappartement.Lephotographeavait parfaitement capturé le clochardaumomentoù ilregardait par-dessus son épaule comme pour vérifier qu’il n’y avait aucun flic dans lesparages pendant qu’il me tendait une chose impossible à identifier sur la photo. De moncôté,etlà,onlevoyaitbien,jeluitendaisquelquesbillets.

—Cethommes’appelleChrisLevine.Ilestconnucommeétantl’associéd’unhommequisefaitappelerChewbacca,undesplusgrosdealersdemétamphétaminesdelaville.

Il jeta une seconde photo sur le bureau. Sur celle-ci, je me trouvais dans Misery et jepassaisquelquesdollarsàunsans-abriàtraverslafenêtre.C’étaitceluiquim’avaitdonnélavieillefleurenplastique,maiscedétailn’apparaissaitpassurlecliché.Naturellement.

—Etça,c’estOscarFuentes.Soncasierjudiciaireestaussilongquemajambegaucheetressembleàs’yméprendreàunspin-offdePulpFiction.Ilmedevaitunefaveur.

Il jetaunenouvellephoto.Surcelle-ci, jesortaistoutjustedeMiseryet,encoreunefois,jetendaisunpeud’argentàunhomme.Voilàcequisepassequandonessaied’êtresympa.

—Ça,c’est…

—C’estbon, jevois le tableau,dis-jeen levant lamainpour le faire taire. Jen’ai jamaisachetédedroguedemavieetvouslesavez.

— Bien sûr que si. (Un sourire doucereux apparut sur son visage.) Et j’ai de quoi le

prouver.Quipensez-vousqu’ilscroiront?

—Tout ce qu’ils ont à faire, c’est une analyse demon sang. Je serai totalement clean,monvieux.

Onmemettaitaupieddumur,etjen’aimaispasça.Lescoinsdesabouchefrémirent.

—Oh,jesuisparfaitementconscientdeça.J’aijustebesoind’uneassurance.

—Pourquoi?

—Pourgarantirvotresilence.

— Vous ne pourriez pas simplement demander ? Vous vous sentez obligé de me fairechanter?

—Pourça,oui.

—C’estvraimentmal.

— J’en conviens,mais souvenez-vous de ce que j’ai sur vous quand je vous expliqueraima…situation.Sijevaisenprison,vousallezenprison.Jenefaisquem’assurerquenousavonstouslesdeuxunebonneraisonderesterdiscrets.

—Vousavezmonattentionlapluscomplète,capitaine,dis-jealorsqu’unecolèreprudentemefaisaitbouillirsouslasurface.Quevoulez-vous?

—Jenesuispasquelqu’undebien,dit-ilcommes’ilregrettaitcetétatdefait.

—Sansdéc’?

—Lorsquej’étaisenfant,masœurainées’estfaitviolerparungarçondesonécole.Elleétaitlimitéeintellectuellementetilenatiréavantage.C’étaitunjeunehommetrèspopulaire,trèsapprécié,debonnefamille.Toutcequiluipermettraits’entirer.

—Ilestdoncpasséentrelesgouttes.

—Audébut.Mais j’y viendrai. Après qu’elle l’a accusé d’avoir abusé d’elle sexuellement,l’affaireacommencéàfairedubruitdansmavillenatale.Jevenaisd’unepetitebanlieueprèsdeChicago.Personnene l’a crue.Pourquoi ungarçon comme lui aurait-il besoinde violerunefillehandicapée?Alorsqu’ilauraitpuavoirn’importequi?Lavilles’estretournéecontrenous.L’écoles’estretournéecontreelle,etcequin’étaitquequelquesremarquesaudébuts’esttransforméenharcèlementquotidien.

Jepouvaissentirladouleurquecessouvenirsluiprovoquaient.Jen’enavaispasenvie.Jene voulais pas avoir une once d’empathie pour un hommequi essayait demepiéger sansétatsd’âme,doncjerésistai.J’enterraicessentimentssousunemontagnederancune.

—Quelquessemainesplustard,ellen’aplussupportéleharcèlementets’estsuicidée.

Cette fois-ci,unevaguedeculpabilitémepercuta.Sa textureétaitdouceet lisse.Aucunconflit. Aucun doute. Il se sentait responsable de la mort de sa sœur. En résumé, il sehaïssait,etjecomprisquec’étaitça,l’émotionquejeressentaischaquefoisquejelevoyais.Jepensaisjustequ’ilmedétestait.Çaarrivaitsouvent.Maissessentimentsn’étaientdirigésque contre lui-même. C’était une première. En général, les gens ne supportent pas laculpabilité. Leurs esprits ne les laissent pas la ressentir bien longtemps. Alors ils trouventdes excuses. Ces dernières fonctionnent comme des baumes, apaisant la culpabilité,

permettantd’oublierlevraiproblème.Parexemple,chaquefoisqu’unmariviolentditquelquechosecomme«Tum’asforcéeàtefrapper»,ilretournelaculpabilité-ellen’avaitpasmisledinersurlatable,donclescoupsétaientdetouteévidencesafauteàelle.

—Çaadétruitmafamille,continua-t-ilaprèss’êtrelevépourallerregarderparlafenêtre.Mesparents se sont séparés.Mamèreest tombéeendépression. Jene voyaisplus tropmonpère.Ensixmois,mavieaététotalementchamboulée.

—Jesuisterriblementdésolée,capitaine.

Ilseretourna.

—Attendezlasuite.C’estlapartiequevousdevezgarderpourvous.

—Ouvousmegrillez.

—Jevousenterrerai.Vouspasserezdesannéesderrièrelesbarreaux.

Pilequandjecommençaiàéprouverdelasympathiepourlui.

—Etsivousarrêtiezlesmenacesetcontinuiezvosexplications?

Ils’approchaetsepenchapar-dessuslebureau,mesurplombantdetoutesahauteurpourque jesachequiétait lechef.Aprèsavoirétudiémonvisage-monvisagecrispé-pendantunlongmoment,ildit:

—J’avaisseptansquandj’aitraquécegosseetquejel’aitué.

Jeme figeai. Ilvenaitd’avouerunmeurtredevantmoi.Plusque les faits,c’étaitsonâgeaumomentducrimequimefrappait.

—Voussavezqu’onsoupçonnerarementunenfantdeseptansdemeurtre?Onnem’amêmepasinterrogé.

Lechocquejeressentaisdevaittrèscertainementseliresurmestraits.Commejel’avaisprouvémaintesfoisaucoursdemavie,j’avaisbeaucoupdepeineàresterimpassible.Maisjesavaisquandilfallaitréagirouchoisirdefuirfaceaudanger.Ilvenaitd’avouerunmeurtre.Jen’allaispassortirdecettepiècevivante.Jenepusm’empêcherdejeteruncoupd’œilàlaporte.

—Personnenevousretient,dit-ilendésignantmonissuedesecoursdumenton.

Iln’avaitpas l’airparticulièrement inquiet.Pourquoi l’aurait-ilété? Ilavaitdesphotosquiprouvaientque j’avaisachetéde ladrogueauxquatrecoinsde laville.Mesaccusationsneseraient considérées que comme des représailles après mon arrestation. Il avait vraimenttoutprévu.

Maispourquoiprendrait-il lerisquederévélersonsecretàquelqu’un?Lespreuvesbidonn’étaient pas suffisantes. N’importe quel bon avocat pourrait faire tomber les charges. Ildevaitbienlesavoir.

—C’estlemomentoùvousallezmetuer?demandai-je.

Biensûrquec’étaitlemomentoùilallaitmetuer.

Il ne me laisserait jamais sortir de cette pièce avec cette information. Est-ce qu’ilraconteraitque j’avaisessayéd’attrapersonarme?Quenousnousétionsbattusetqu’uncoupétaitparti?C’estcequej’auraisfait.

—Non. Comme je vous l’ai dit, j’ai assez de preuves contre vous pour vous mettre àl’ombrependanttrèslongtemps.

— Ce sont des preuves indirectes. Vous auriez besoin de témoignages. De témoinsoculaires,argumentai-je.

Pourquoiest-cequejevenaisdedireça?Pourquoiluidonnais-jedesraisonsdemetuerpourenfinir?Peut-êtrequec’étaitparceque,quandjepartirais-sij’yparvenais-,jedevraistoujoursm’inquiéterqu’ilnechangepasd’avis.Est-cequejefiniraisparprendreuneballeàl’arrière du crâne aumoment où jem’y attendrais lemoins ? Je ne voulais pas vivre aveccetteépéedeDamoclèsau-dessusdelatêtepourlerestantdemesjours.

—Vous avez besoin de témoins crédibles, ajoutai-je avant de désigner les photos. Pascesabrutisquevousm’avezenvoyésenpleinerue.

Toujoursavecuntraind’avance,ildit:

—J’aidéjàpayépour.

Merde,ilavaitvraimentpenséàtout.Aumoins,ilétaithonnête.

—J’aiaussidesvidéosdevousquiprouventquevouspassezvotretempsàparlertouteseule.À vous disputer avec de l’air. À serrer lamain d’amis invisibles.À prendre dans vosbrasquelqu’unquevousêtes laseuleàvoir.Additionneztousceséléments,et le totalestunelonguesentencederrièrelesbarreaux,ouàl’asile.Lesdeuxmevont.

Putaindemerde.Jesavaisquecetrucfiniraitparmenuire.Merde.

Ilsepenchaunpeuplusdansmadirection.

—Tantquejenevaispasenprison,vousn’allezpasenprison.

J’étaisbattue.Ilavaitgagné.Jecroisailesbrasdéfensivementpar-dessusDangeretWill.

— Pourquoi vous donner tout cemal ? Pourquoim’avouer quelque chose de tellementincriminantaprèstoutescesannées?Cen’estpasexactementcommesivousm’appréciiez.Oumefaisiezconfiance.

— Je vous fais confiance jusqu’à un certain point. Je vois tout le mal que vous vousdonnez pour vos clients. C’est tout à votre honneur. Parfois stupide, mais tout à votrehonneur.Cependant,vousavezraison.Jecroisque jenevousappréciepas.Et j’aibesoindesavoir.

—Sivousm’appréciez?

—S’ilestcoupable.Cegosse.Quand j’étais…Aumomentoù je l’ai tué, ila juréqu’ilnel’avaitpasfait.Encoreetencore.Ilajuréqu’iln’avaitjamaistouchémasœur.Maisj’avaisvulesecchymosessursoncorps.Lesang.J’aiaussivu lesmarquesqu’elleavait laisséessursonagresseur.Elleaditqu’elleluiavaitmordulespoignets.Ilavaitunemarquededentssurl’avant-brasplusieursjoursplustard.Maisj’aibesoindeconnaitrelavérité.Jedoisenavoirlecœurnet.

S’ilavaittuélegosse,commentétais-jecenséedécouvrirlavérité?Quesavait-ilaujustesurmoi?

—J’aibesoindel’entendredesabouche,etvousêteslapersonnetoutedésignéepourle

luidemander.

Jeremuaisurmachaise,malàl’aise.Enfin,plusmalàl’aisequ’auparavant.

—Etcommentjesuiscenséefaireça?

—Jenesaispas.Appelez-le.Invoquez-le.Faitescequevousfaitesengénéral.

—Vousditesn’importequoi,dis-jeencommençantàmerelever.

Iln’essayapasdem’arrêter,maisilposaunemainsursonarmedepoing.

—Jesuistrèsbontireur.

Jemelaissairetombersurmachaise.

— Vous êtes complètement malade. Je vais tout dire à oncle Bob. Vous voulez que jeparleàungaminmort?Cen’estpasmoiquivaisfiniràl’asile.

—Épargnez-moivotrenuméro.Jesaistout.

Ilétaitimpossiblequ’ilsachetout.Attendez…

—Vousm’avezmisesurécoute?demandai-je,choquée.

Ils’étaitillustréenmatièredesurveillance.Ilavaitprobablementégalementplacéquelquesmicrospourfairebonnemesure.

—Unpeu.

—C’esttotalementillégal.

Jesautaisurmesjambes.

—Vous faire inculper pour des crimes que vous n’avez pas commis l’est également. Jepensequ’onadépassécestade,àprésent.

Iln’avaitpastort.Etmalgrétoutcequ’ilvenaitdemedire,riendemauvaisn’émanaitdelui. Je ressentaisun curieuxmélanged’émotions,mais jenepensaispasqu’il comptaitmefairedumal.C’étaitunmoyendeparveniràsesfins.

—Commentpouvez-vousêtresûrquejenevaispasvousmentir?

—Jen’ensais rien.C’estpourçaque j’auraibesoind’unepreuve.Parlezàcegosseetdemandez-lui comment je l’ai tué, puis demandez-lui s’il l’a fait. (Il jeta une nouvelle photodansmadirection,maisils’agissaitcettefois-cid’unportraitd’écolemontrantunélèveblondd’environ quatorze ans.) Faites ce que vous faites normalement quand vous parlez auxmorts.

Jerendislesarmes.

—Capitaine,cen’estpasaussifacilequeça.

Ilmelançaunregardnoir.

—Nevous foutezpasdemoi. Jevous ferai arrêteravec tellementdechargesà l’appuique votre avocat en perdra la tête avant que vous n’ayez eu le temps d’articuler « coupmonté ». Et je pourrais rajouter quelques accusations pour pornographie infantile, histoired’épicerletout.Jedétruiraivotreréputationdetouteslesmanièrespossibles.

Ilétaitsérieux.Ilétaitréellementsérieux,mais,encoreunefois,àcontrecœur.Ilferaitcequ’ildevaitfaire,peuimportentlesconséquencespourmavie.

Jeclignaidesyeux,choquéeau-delàdesmots.

—C’esttotalementinjuste.

—Lavieestunevieillesalope.SonprénométaitKory.Faitesvotretrucoupréparez-vousàl’idéedepasserlesdixprochainesannéesdansunecellule.

C’était possible. Reyes était la preuve vivante que les gens allaient en prison pour descrimes qu’ils n’avaient pas commis. Mais les chances pour que ce gosse soit encore surTerre, dans ce plan d’existence, étaient plus qu’infimes. Ce n’était pas comme ça que leschoses se passaient. Une fois que les défunts avaient traversé, je ne pouvais plus leurparler.Ilsétaientpartis.

—Vousallezdevoirmelaisserquelquesinstants.

Ilhaussalesépaules.

J’invoquaiAnge.

—Qu’est-ce que tu fous ? se plaignit-il, pour changer. J’étais en train de faire quelquechose.

—J’aibesoinquetutraversesetquetuparlesàquelqu’unpourmoi.

—Jenepeuxpasallerdel’autrecôté,loca.

— Ange, c’est vraiment important. Si tu ne le fais pas, je vais finir en prison pourpossessiondedrogueetpornographieinfantile.(Jeluimontrailesphotos.)J’aibesoinquetutrouvescegosseetquetuluiposesquelquesquestionsdemapart.

Lecapitainem’observaitdesesyeuxd’aigle.Onnela lui faisaitpas.Et jenem’inquiétaisplusdepasserpourunefollequandjeparlaisàmesamisinvisibles.

—Jenepeuxpastraverseretrevenir.Personnenepeut faireça.(Ilépoussetasontee-shirt.Jemedemandaisbienpourquoi.)Àparttoi.

—Jenepeuxpasyallernonplus.TucroisqueReyesyarriverait?

—JenepensepasquelefilsdeSatanseraitlebienvenuauparadis.Mêmes’ilréussissaitàyaller.

Jem’effondraisurmachaise.C’étaitunesituationimpossible.

—Pourquoitunel’invoquespas,toutsimplement?

—Ange,s’iladéjàtraversé,jenepeuxpas.

—Tun’écoutes jamais ceque je tedis, répondit-il. Il retiraunedeses chaussureset lasecouapourenleverlesablequ’ellecontenait.

Jeleregardaitombersurletapis.

—Commentest-cequedusable…

—Ons’enfichequ’ilsaientdéjàtraverséoupas.TueslaputaindeFaucheuse.

J’ignorais si le capitaine était au courant de ce détail, aussi crispai-je la mâchoire pour

qu’Angecomprennemonmécontentementetmurmurai-jeàtraversmesdentsserrées:

—Jesaisque jesuis laputaindeFaucheuse,mais jenepeuxpassimplement invoquerquelqu’unquiadéjàtraversé.

Ange remit sa chaussure, retira la seconde, secoua pour dégager le sable, puis la remitavantdemeregarderdemanièrearrogante.

—Si,tupeux.Jen’arrêtepasdeteledire.Oh,miDios.

—NemêlepasDieuà toutça,etsérieux? (Jeme levaietm’approchaide lui.)Jepeuxvraimentfaireça?

—Biensûr. (Il haussa lesépauleset, si jen’avaispasuneoncede jugeote, j’aurais juréquesonregardnoirmecriaitquej’étaisuneimbécile.)C’estcequej’essayaisdetedire.

—Mais,genre,comment?

Il retourna ses poches et les secoua pour en faire également sortir du sable. Commentétait-ce possible ? Du sable incorporel ? J’avais de toute évidence encore beaucoup àapprendre.

—Commentquoi?

—Commentest-cequej’invoquequelqu’unquiadéjàtraversé?

—Quedemonios,commenttuveuxquejesache?

Lorsqu’ilsesecoualescheveuxsoussonéternelbandanaetquedusablesemitàtombersurlebureauducapitaine,jeluiattrapailesépaules.

—Ange,concentre-toi,ma libertéetmonaccèsàducafévingt-quatreheuressurvingt-quatrepourraientêtreendanger.Commentjefaisça?

—Tulefais,c’esttout,répondit-ilenhaussantlesépaules.

Jeregardailecapitaineetsecouailatêtepourluisignifiermonimpuissance.

—Ilrefusedem’aider.

—Foutaises.Jetel’aidit.Tulefais,c’esttout.

—Ouais, ondirait leDealer quimedit que j’ai despouvoirs et que je peuxmarquer lesâmesetsauverlemonde.(J’écartailesbrasengrand.)Benvoussavezquoi?Jecroisqueje suis défectueuse. Je pense que quelque chose a foiré et qu’ils ont envoyé lamauvaisepersonne.

Ilricana.

—Detoutemanière,jenecomprendspaspourquoitumeposescesquestions.

JedésignailaphotodeKory.

—Parcequej’aibesoindeparleràcegosse.Jetel’aidit.

—Danscecaspourquoituveuxsavoircommentinvoquerquelqu’unquiadéjàtraversé?

Je l’attrapai de nouveau par les épaules et le secouai.Cependant, comme il était plutôtrobuste,jebougeaiplusquelui.

—Parcequej’aibesoindeparleràcegosse!

—Ouais,saufqu’iln’apastraversé.Pasencore.

Jem’arrêtai net, clignai trois fois des yeux, puis ouvris la bouche en grand pendant aumoinssoixante-septsecondes,suffisammentpourqu’Angeseraclelagorgeetcommenceàsedandiner,malàl’aise.

—Tunepouvaispasmedireçayadixminutes?

— Tu ne m’as pas demandé ça y a dix minutes. Tu m’as demandé comment invoquerquelqu’unquiavaitdéjàtraversé.

Iln’avaitpastort.Priantpourgardermapatience,jedemandai:

—Commentest-cequej’invoquecegamin,puisqu’iln’apastraversé?

—QueDiosmeayude.Charley,qu’est-ceque jeviensde tedire?Tuvois, tun’écoutesjamais.T’escommecesgaminsquitouchentlesclôturesélectriquesavecdesfourchettes.

—Jen’aijamaistouchéuneclôtureélectriqueavecunefourchette.

—Est-cequecetteconversationaunbut?demandalecapitaine.

Jemeretournaietluilançaiunregardnoir.

—Vousvousfichezdemoi,là?

Illevalesmainsensignedereddition.

—Faiscommed’habitude,ditAnge.Tusais,commetufaisavecmoi.

—Maisjeteconnais,toi.

—Tuconnaistoutlemonde.T’eslaFaucheuse.

Waouh,OK,trèsbien.J’allaisessayer.Qu’est-ceçapourraitfaire,aupire,àpartpiquercequ’ilmerestaitdefierté?

J’attrapailaphoto,fermailesyeux,etdis:

—Kory,jet’invoque.

Lorsquejelesrouvris,Angeétaitpliéendeuxtellementilriait.

—Sérieux?demanda-t-ilensetenantleventre.C’esttoutcequet’as?

—Quoi?répliquai-jeentapantdupied.Qu’est-cequejefaismal?

—Faiscommetufaisavecmoi.Jesaisquetunedispas:«Ange,jet’invoque.»

—Non,jedis:«Ange,ramènetoncul-terreuxici.»

—Tellementpas.

Lorsquejehaussailessourcils,ildemanda:

—Non,sérieux,tudispasvraimentça,pasvrai?

Sans répondre, je fermai les yeux de nouveau et essayai de penser à la manière dontj’invoquais Ange et Artémis, et même, parfois, Reyes. Je les imaginais auprès de moi,appelais leur énergie, la trouvais dans le lointain, comme un point lumineux dans les

ténèbres,etl’attiraisàmoi.

Lorsquejerouvrislesyeux,ungosseapeurésetrouvaitenfacedenous,lesmainsdansles poches, un trou d’arme à feu en pleine poitrine et un autre sur la jambe. Ses épaulesétaient voûtées, son menton abaissé par le poids de la crainte. Et, même si c’était ladernièrechosedontj’avaisenvie,j’éprouvaidelacompassionpourlui.

—Vousétiezdéjàbontireuràl’époque,dis-jeaucapitaine.

Cedernierselevaetregardapartoutautouravantdedemander,sursesgardes:

—Quevoulez-vousdire?

—Vousluiaveztiréuneballedanslegenou.Ilnefautpasavoirlamainquitremble,mêmedeprès.

Lasurpriseetlastupeurlesubmergèrent.

—Jevisaissatête.

—OK,danscecasvousétiezplutôtnul.

—Ilest…ilesticiavecnous?

—Oui.

—Est-cequ’ill’afait?demanda-t-il.Est-cequ’ill’avraimentfait?

—Jen’ensuispasencorearrivéelà.

—Est-cequevousêtesDieu?demandaKoryd’unevoixdouce.

—Hum,non,maismercipourlecompliment.Jem’appelleCharley.

Ilhochalatêteetm’étudiadanslesmoindresdétails.

—J’aibesoindesavoirquelquechose,Kory.Est-cequetuasagressécettefille?

—Cindy,précisalecapitaine.

—Est-cequetuasvioléunefilledunomdeCindy?

—Non,répondit-ilensecouantlatête.

—Pourquoitut’embêtesàluiposerlaquestion?demandaAnge.Tun’asqu’àregarder.Ilpeuttementir,maistesvisions,elles,nelepeuventpas.

Regarder?

— Je vois la vie des gens quand ils traversent. C’est ce que tu veux dire ? Il devraittraverser?

—Ilsn’ontpasbesoindelefairepourquetuvoiescequ’ilsontfait.Tun’asqu’àfairetontruc.

—Queltruc?

—TontrucdeFaucheuse.Fais-le.

J’enavais légèrementmarreque tout lemondemedisequoi faire.Ange, le capitaine, leDealer,lesmodesd’emploi.Çacommençaitàbienfaire.

—Jeveuxquetusoishonnête,Kory.Est-cequetuasagresséCindyEckertsexuellement?

Ilbaissalatête.

—Non.Peut-être.Jenesaispas.

—Commentça?

—Onl’avueauparcaprèslescours.Elleétaitseulesurunebalançoireettoutlemondemedisaitd’allerluiparler,defairesemblantqu’ellemeplaisait.

—Tunemarquespasdepoint,là,Kory.

—Attendez.Jen’aipas…Jeplaisantais,c’esttout.(Ilenfonçaencorepluslesmainsdanssespoches.)Ellem’adit qu’elle avait toujourseuun faible pourmoi, alors je lui ai dit quec’étaitpareilpourmoi.

Jerépétaiscequ’ilmedisaitaucapitaineaufuretàmesure.

—Ellem’aditqu’elleavaitunendroitspécialdanslesbois,justeaprèsleparc.Ellevoulaitmelemontrer.Toutlemondemeprovoquait,medisaitdelasuivre.

Lacolèreducapitaineenfla.

—Cen’étaitpasdans le rapport,dit-il.Personnen’a jamaisparlédeça.Selon lapolice,personnenel’ajamaisvuavecelle.

—Ehbien,ilsontmenti,luirépondis-je.PourKory.

Cederniercontinuasonrécit.

—Quandonestarrivéslà-bas,ellevoulait…ellevoulaitmemontrer…

—Jen’aipasvraimentbesoindesdétails,lecoupai-je.J’aimeraisjustesavoircequetuluiasfait.

—C’estellequiacommencé,dit-il,lahontelefaisantgrimacerchaquefoisqu’ilprenaitlaparole.Ellem’acaresséetm’aditde…(Ils’arrêta,incapabledecontinuer.)Ensuite,enpleinmilieu, elle a changé d’avis. Ellem’a demandé d’arrêter. Je… j’ai quandmême fini. Elle nes’estpasvraimentdébattue.Ellem’ajustemordu.Maisoui, je l’ai faitavecelle.Ellem’aditnon,maisj’aicontinuéquandmême.

—C’estvraimentmal.Tulesais,n’est-cepas?

—Jenevoulaispasque leschosesaillentaussi loin.Quandelleachangéd’avis, j’étaisdéjà en elle. Il ne me fallait qu’une minute. Après elle s’est tuée. J’ai eu envie de mourir.J’avais menti à tout le monde. Ils pensaient tous que j’étais super cool. Trop cool pourtomberaussibasquecoucheravecCindyEckert.

—Parcequ’elleétaitmentalementretardée?

Aprèsqu’ileutacquiescé,ilrépéta:

—Elles’esttuéeàcausedemoi.

—Etàcausedelamanièredontelleaététraitéeaprèscoup.

— Exactement, parce que je n’ai pas eu les couilles d’avouer ce que j’avais fait. (Il me

regardaàcetinstant.)Personnenel’auraitembêtéesijeleuravaisditdenepaslefaire.Ilsl’ontfaitenpensantqu’ilsmerendaientservice.Est-cequejevaisallerenenfer?

Jesecouailatête.

—Jenecroispasqueçafonctionnecommeça.

—Ça suffit, dit le capitaine. C’est tout ce que j’avais besoin d’entendre. Il fallait que jesachesij’avaiseulebontype.

—Etsiteln’avaitpasétélecas?

—J’auraispourchasséleresponsable.Mais,danslamesureoùje l’aieu, jepeuxenfinir.Merci,dit-ilenmelançantl’enveloppecontenanttouteslesphotos.Jen’auraiplusbesoindeça.

—Attendez,commentsavez-vousquejetiendraimapartdumarché?

—Ça n’a pas d’importance. Il y a des choses auxquelles on ne peut pas échapper. Lepasséenfaitpartie.Est-cequevouspourriezdemanderàvotreoncledevenir,s’ilvousplait?

Ils’assitderrièresonbureauetsemitàalignerdespilesdepaperasse.

—Pourquoi?demandai-je,soudainméfiante.

Il tapotadespiles jusqu’àcequelesfeuillessoientparfaitementalignées,commetoutcequisetrouvaitsursonbureau.Immaculé.Ordonné.Chaquechoseàsaplace.

—Jevaismerendre.

—Quoi?Pourquoiferiez-vousunechosepareille?C’étaitilyaquoi,trenteans?

—Trente-cinq.Mamèreestmorte la semainedernière.C’était la seulepersonneque jeprotégeaisengardantcesecret.Aprésent,jepeuxassumerlesconséquencesdemesactesetallerdel’avant.

—Iln’apasbesoindefaireça,ditKory.Çanechangerarien.(Puisils’égaya.)Peut-êtreque,sijerègletoutça,j’iraiauparadis.

—Qu’est-cequetuveuxdire?

— Je crois que je suis censé expiermes fautes,mais c’est impossible. Peut-être que sij’empêchelefrèredeCindydefaireuneénormeerreur,jeseraiaccepté.

J’avaisenviedeluidirequ’onneluifermeraitprobablementpaslesportesduparadisquoiqu’ilarrive,maisjem’abstins.

—C’estuntypebien,n’est-cepas?demandaKory.

— Ouais, c’est plutôt un type bien. Ou il l’était jusqu’à ce qu’il me piège comme unmalpropre.

Jelançaiauprincipalintéresséunregardnoir,maisunpetit,puisqu’ilnememenaçaitplus.Et il avait tué quelqu’un. Est-ce que j’avais à présent une obligation morale à le fairecomparaitredevantlajustice?

J’étaispartagée.Surquoiressentir.Quoifaire.

Puisuneautrepenséemefrappa.

— Peut-être que vous payez déjà pour ce que vous avez fait, lui dis-je pendant qu’ils’occupaitd’unenouvellepile.Jeveuxdire,vousaidezdesgenstouslesjours,non?Peut-êtrequec’estvotremoyenderembourserlasociété.

—EtlafamilledeKory?(Ilseleva,enfilasaveste,puissedirigeajusqu’àlaportepourserendreaupelotond’exécution.)J’aiprismadécision,MademoiselleDavidson.Sivousn’allezpascherchervotreoncle,jem’enchargerai.Ilesttempsquecettehistoiresetermine.

—Faistontruc,ditAnge.

—Queltruc?demandai-jepourlamillièmefois.

—TontrucdeFaucheuse.ToiseuleconnaislecœurdeshommessurTerre.

—S’ilyabienunechosequejeneconnaispas,monchou,c’estlecœurdeshommes,tupeuxmecroiresurparole.Jesaisqu’ilsaimentlesexe.C’estàpeuprèstout.

— Non, je veux dire, les humains en général. Tu peux voir leurs intentions, et tu lesmarques.

Le capitaine ouvrit la porte, et je ne pus m’empêcher de penser qu’il commettait uneénormeerreur.Jeleressentaisauplusprofonddemestripes.

—Qu’est-cequejedoisfaire?demandai-jeàAnge.

Lecapitaineétaitentraindefiler.Façondeparler.

—Parlez-luiduchien!mecriaKory.

Sansréfléchir,jecriaiàmontour:

—Etlechien?

Lecapitaines’arrêta,hésita,secomposauneexpressiondigned’unmilitaire,etattendit.

JelançaiunregardencoinàKory.

—Quelchien?

Koryhaussalesépaules.

—C’estjustequejenecomprendspasvraimentpourquoiilveutàcepointserendrepouruncrimequ’iln’apascommis.

J’écarquillai lesyeux.Avantque leschosesnes’enveniment, jem’approchaiducapitaine,l’attrapaiparlamanche,jetaiuncoupd’œilendirectiond’oncleBob,quiparlaittoujoursaveclemédiumàlanoix,ettirailecapitaineàl’intérieurdesonbureau.

—Attendezuneseconde,dis-jeenrefermantlaporte.Kory,dequoiparles-tu?

Ilhaussalesépaules.

—Iln’arienfaitdemal.C’estmoiquimesuismontréstupide.

—Commentça?

Ilexpirainutilementets’appuyacontrelereborddelafenêtre.

—Ce n’étaitmême pas son flingue.C’était lemien. Enfin, celui demon père. Je l’avais

piquédanssontiroir.J’essayaid’êtrecoolettout,encoreunefois.QuandVanm’atrouvé…

—Van?demandai-jeaucapitaine.Mêmes’ildonnait l’impressiondecroireà toutcequiétaitentraindeseproduire,maquestionlesurprit.

—Quandilm’atrouvé,ilétaitdéchainé.Ilm’afrappéetj’aisortileflinguepourlemenacer.Il voulait juste que j’avoue ce que j’avais fait. J’ai refusé, et il s’est tellement énervé qu’ilhurlait et tremblait enmême temps.C’était unepetitemerde. (Il examina lecapitainede latête aux pieds.) Je n’arrive pas à croire qu’il soit devenu si grand. On a commencé à sebattreetmonchiennousasautésdessus.Uncoupestparti.Ilm’aatteintenpleinepoitrine.Vanvoulaitm’aideràalleràl’hôpital,maisjeluiaicriédepartir.Simonpèreavaitdécouvertquej’avaisprissonflingue,ilm’auraittué.

—Situasététouchéenpleinepoitrine,commenttut’esfaitcetteblessure?demandai-jeendésignantsongenou.

— J’essayais de trouver une place dans notre grange pour cacher le flingue, et j’avaistellementmalquematêtes’estmiseà tourner.Jemesuis tirédans la jambeparaccident.Vann’avaitrienàvoiravectoutça.

JemetournaiversVan.QuiappelaitsongosseVan?

—Jesaiscequis’estpassé,luidis-jeenleregardantsévèrement.

—Oui,maissafamillel’ignore.Jel’aitué.J’aidirigél’arme…

—Ce n’est pas comme ça queKory se souvient des événements. Il dit que vous avezluttépourattraperl’armeetquelecoupestpartitoutseul.C’étaitunaccident.

Ilbaissalatête,songeur.

—Vousn’aviezqueseptans,capitaine.Ettouts’estpassétrèsvite,j’ensuissûre.Vousn’avezrienfait.

—Écoutez,dit-il,ayantdetouteévidenceprissadécision.J’aiprismadécision.

Jelesavais.

—Riendecequevouspourrezdirenemeferachangerd’avis,continua-t-il.Safamillealedroitdesavoircequis’estpassé.

—Ons’enfout,ditKory.S’illefait,toutlemondepenseraquej’étaisvraimentcoupable.

—Tuescoupable,Kory.Tuasagressésexuellementunefilleinnocente.

Ilbaissalatêteetmurmura:

—Oui,maisilsnelesaventpas,eux.Ilsm’onttoujourscru.

—Doncsonnomàellepeutêtreroulédanslaboue,maispasletien?

—Qu’est-cequeçachangera?Ilnepeutpasallerenprisonpourquelquechosequiétaitmafaute.

J’étaisd’accordaveclui.Mêmesilecapitainen’allaitpasenprison,sacarrièreseraitfinie.Ilétaitdouépoursontravail.

—Raconte-moi tous les ragots,dis-jeàKory.J’aibesoindequelquechosepour le fairechanter.

Lecapitainecroisalesbraspoursignifierqu’ils’ennuyait.

—Desragots?Jeneleconnaissaispas.Cen’étaitqu’ungossemaigrichon.

—Flûte. (Je regardai le capitaine demanière désespérée.) Je vous aiderai, lui dis-je enfouillantmamémoire à la recherche de n’importe quelle information que je pourrais utilisercontre lui. (Quelquechosemevintaussitôtà l’esprit.)Jevousaideraiavec l’affaireLorettaRosenbaum.

Ilmedévisageademanièresuspicieuse.

—Çafaitdixansqu’elleestclasséepourmanquedepreuves.

—Ehbien, je ladéclasserai.Jeconnaisdesgens,dis-jeen jouantdessourcils.Jepeuxparleràdesgensauxquels,vous,vousnepouvezpas.

—MademoiselleDavidson…

— Très bien, dis-je en levant les mains lorsqu’il essaya de me dépasser, allons toutraconteràoncleBob,commevousvouliez le faire,etdemandons-luisonavis.Écoutezcequ’ilauraàdire,d’accord?

Ilacquiesça.

— Je vais tout lui avouer de toute manière. Je préférerais que ce soir lui qui m’arrêteplutôtqueMarsh.Marshestunenfoiré.

Je ricanaipresqueenpensantà l’inspecteurquepersonnen’aimaitdans lecommissariat.Lepauvre.

—Jesuisbiend’accord.

Jesortiset fissigneàObiedenous rejoindre.Le fauxmédiumétaitpartiet,mêmesi jemouraisd’enviede luiposerdesquestionssurcette femme, j’avaisunplusgrospoissonàferrer.

Chapitre16

Attention:comportementsujetauchangementsanspréavis.

Tee-shirt

OncleBobs’étaitmontrédistantquandilétaitentréetl’étaitencoreplusàprésent.Çanelui ressemblait vraiment pas. Nous lui avions expliqué toute la situation,même le fait quecapitaineEckertavaitconfectionnédespreuvesdetoutespiècesetqu’ilétaitaucourantdemonplus terribleetsombresecret.Bon,OK,pas réellement leplussombre,maisceluiquivenait justeaprès.Macapacitéàcommuniqueravec lesdéfunts.Si seulement ils savaientpourquoi.

OncleBobécoutaavecunefroidedétermination,levisageimpassibletoutdulong,puisildemandal’impensable:

—Charley,tupourraisnouslaisserseulsunmoment?

Jeleregardai,bouchebée.C’étaitcommes’ilmeparlaitunelangueétrangère.Enfin,danslamesureoùjelesconnaissaistoutes,cen’étaitpaslameilleureanalogiepossible.

—Jetedemandepardon?

—Lecapitaineetmoi.Est-cequetupourraisnouslaisserunmoment?

—Jenecomprendspas.

Obienem’avaitjamaisdemandédequitterunepièce.Engénéral,ilsebattaitpourquejerestedanstoutesituation.

—Nousavonsbesoindeparlerenprivé.

—Non,dis-je,totalementoutrée.JesuisconcernéeaussigrâceàVaniciprésentetjenebougeraipas,mercibeaucoup.

Obielevaunemainetfitsigneàunofficierenuniformed’entrer.Jeneleconnaissaispas,maisilétaitgrandetblond,etsurtoutgrand.

—Pourriez-vousescorterMlleDavidsonhorsdubâtiment,jevousprie?

Jemedérobai.

—C’est…c’estcefauxmédium,c’estça?Tupensesqu’ellevarésoudredesaffairespourtoi?Ellen’estpasplusefficacequetonshampooingantichutedecheveux.

Obiemelançaunregardnoir.Quejeluirendis.Etjel’affichaijusqu’àlaported’entréeducommissariat,oùjeparvinsenfinàmelibérerdel’officieretàépoussetermeshabits.

—Jeneméritaisvraimentpasunteltraitement,luidis-je.

Ilrestaplantélàetmeregardam’enaller.Montéléphonesonnalorsquej’arrivaiàMisery.

—Tuvasbien?demandaCookie.

—Oui.Jevaisbien.

—Tun’aspasl’airbien.

—Jevaisbien.

—Tun’aspasl’airbien.

—Jenevaispasbiendutout !m’écriai-je,m’effondrantsur lesiège, lesnerfsenpelote,sanglotantàmoitié.QuelquechosenevapasaveconcleBob.Jecroisqu’il…ilestremontécontremoi.

J’entendisCookieouvrirlabouchedesurprise.

—Robertn’estjamaisremontécontretoi.

—Justement.Jenesaispasquoipenser.

—Moinonplus.Voyons les chosesduboncôté: tupourrasenparler avec tapsy.Tonrendez-vousestdanstrenteminutes.

—Jenepeuxpasalleràmaséance.Cettefemmeaplusbesoind’unethérapiequemoi.

—C’estlecasdelaplupartdespsys,mabelle.Tudoisyallerquandmême.Situmanquesuneautreséance,tasœurvatetuer.

—Cook,j’aimillecasenmêmetemps,là.Mavieaétémenacée.Monappartementmisàsac.Un typemi-humain,mi-démonm’avoléunedaguedevaleur inestimableet ilneme larendraquequandilauravuSwopespourparlerprophéties.Et,justelà,j’aifailliêtrearrêtéepourpossessiondestupéfiantsetpornographieinfantile.

—Cetteexcusenefonctionnerapassurtasœur.

—MasœurassisteàuneconférenceàWashington.

—Ettupensesqueçaval’arrêter?

Jechangeaidevoiepourrebrousserchemin.

—Trèsbien.J’yvais.

—Bravepetite.Ilnousfautducaféetdelacrèmepourlebureau.

—OK.

—Etj’aibesoind’unsoutien-gorgeorangeetd’uneraquettedetennis.C’estunnouveautrucdedéfensecivile.

—OK.

—EtjesongeaisàcoucheravecGarrettsurmonbureau.

—OK.Maissérieusement,pourquoitupensesqu’Obiem’enveut?

—Jenesaispas.Ilt’adore.Ils’enremettra.

— Ilamême faitappelàun fauxmédium.Alorsqu’ilm’a,moi :Tuvas fairequoi,où,etavecqui?

—Net’inquiètepas.Vaàtonrendez-vous.

—D’accord.

J’enduraiuneautresessioninutileàparlerdemessentimentsalorsquetoutcequej’avaisà l’espritétaitoncleBob.Avecunpeudechance, ilauraitconvaincu lecapitainedemettresesprojetsenveilleuse,maisjemedemandaissi,moi,jefaisaiscequiétaitjuste.Unenfantétait mort. D’accord, il était mort plus de trente ans auparavant et son décès étaitaccidentel,maissafamillen’avait-ellepasenviedesavoircequiluiétaitarrivé?

JedemandaiàCookiede traquerGarrett et jemegarai devantmon immeubleavantdemarcherjusqu’auFronder.Ilétaitassissurunebanquetteaucentredurestaurant,occupéàlireunjournal,unburgeraupoivronvertavecdesfritesetunthéglacéposésdevantlui.

J’allaim’asseoirenfacedeluietdécidaid’allerdroitaubut:

—Tuferaisquoisitusavaisquequelqu’unatuéquelqu’und’autreilyadeçadesdizainesd’années,maisquec’étaitaccidentel,etmaintenant lequelqu’unquiaaccidentellement tuél’autrequelqu’unveutserendreàlapoliceetruinerunebrillantecarrièredanslesforcesdel’ordre.

Ilnerelevapaslenezdesonjournal.

—Jesupposequ’ilyaunequestionlà-dedans.

—Ouais.Tuferaisquoi?Tuluirecommanderaisquoi?

—C’étaitunaccident?

—Oui,répondis-jeenvolantunefritesursonplateau.

—Etc’étaitilyacombiendetemps?

— Trente ans, plus ou moins. Ce n’étaient que des gosses. Mais cet homme a faitbeaucouppouraiderlesgensdepuis.C’estunchictype.S’ilserend,ilvaruinersacarrièreetremettreencausetoutlebienqu’ilafaitdepuisdesannées.

—C’estuncasdifficile.Siça leronge,çaprouveeffectivementquec’estunchic type. Ilpeutfaireplusdebiendanslesforcesdel’ordrequ’enprison,aucasoùilyfinirait.

—Voilà.C’estexactementcequejepensais,maismonéthiqueestparfoisunpeufarfelue.L’autrejour,quandj’aifaillimourirsurcetteéchelleàincendie,tum’asditquetuavaisbesoindequelquechose?Tumerendsservice,jeterendsservice.

—Dequelgenredeserviceonparle?demanda-t-il.

—J’ai besoinque tu rencontresquelqu’unpourmoi. Il a beaucoupde connaissancesetveuttravailleravecnoussurcettehistoiredeprophéties.Maisnelelaissepasteconvaincredeluivendretonâme.Ilesttrèsdouépourfaireça.

—Jedoutefortementquemonâmel’intéresse.

—OK,donctuasaussibesoind’unservice?

Ilreposalejournaletpritunebouchéedesonhamburger.

—Oui,maisceseracompliqué.Jemedandinaisurmachaise.

—J’aimecequiestcompliqué.Jecherchetoujourscequiestcompliqué.Ah,nonenfait,attends,cesontlesennuis.Jecherchetoujourslesennuis.Autempspourmoi.

—Tutesouviensdelafemmedontjet’aiparlé?

Jesavaisqu’onyreviendrait.Jemouraisd’envied’ensavoirplus.

—Cellequiautilisétoncorpsavantdetejetercommeunevieillechaussettedontons’estservipournettoyerlestoilettesparcequ’onnetrouvaitpassabrosseàrécurer?

—Ehbien,oui.

—Etquetuasensuitevueunanplustardavecunbébéquisetrouvaitavoirtesyeux?

—C’estbienelle.

—Non.Jenemerappellepassitum’enasparlé.Tudevraiscommanderdeschurros.Ilssontàtomber.Etunburritocarneadovada.

Ilpinçalabouche.

—Est-cequejedevraiscommanderautrechoseàboire,aussi?

—Oui ! N’importe quoi de light. Non ! Unmocha latte.Non ! (Je levai la main pour lemettresurpauseletempsderéfléchir.)Oui.Non.Oui,unmochalatte.

—Tuasfini?demanda-t-ilenselevantpourallercommander.

Ilavaitvraimentladalle.

—Oui.Non !Oui.Çame va. J’ai une fin de journée chargée quim’attend, ilme faudratoutel’énergiequejepeuxtrouver.Etj’aibesoinquetusoismonbrasdroitcetaprès-midi.

—Çaprometd’êtreintéressant,dit-ilens’éloignantcommesileslieuxluiappartenaient.

Lorsqu’ilrevint,sesfritesavaientdisparu.Étrange.

—Etdonc,tuvoulaismedirequoiausujetdecettefemme?

—Marika,compléta-t-ilenreprenantplacesurlabanquette.C’estleservicecompliqué.

Jemepenchaiversluietdemandaiavecmonplusbelaccentitalien:

—Touveuxqueiém’encharrrge?

Jefisglissermonpoucelelongdemagorge,gesteuniverselquiexprimaitlemeurtre.

—Pasprécisément.

— Attends ! C’est quoi ton numéro ? Je vais surveiller histoire que ta nourriture nerefroidissepas.

Iljetauncoupd’œilàsonticket.

—Cinquante-quatre.

—Noté.OK,balancelasauce.

—J’aibesoinquetuobtiennesdeséchantillonsA.D.N.deMarikaetdel’enfant.

Je le dévisageai pendant un bonmoment sans en croiremes oreilles. Il me regarda en

retoursansciller,totalementpragmatique.

— Tu es complètement fou ? lui demandai-je finalement, car c’était une possibilité.Commenttuvoudraisquejefasseça,bonsang?

Ilhaussalesépaules.

—Cen’estpasmonproblème.

Tout enme disant qu’il fallait absolument que je demande àma psy comment je faisaispourmefourrerdansdetellessituationsavantde l’accuserdefairedutrèsmauvais travailpuisquejen’allaisdetouteévidencepasmieux,jedemandai:

—As-turéfléchiàunemanièredontçapourraitêtrefait?

—Pasvraiment.Tuasbesoind’unbrasdroit?

— Je dois aller parler à unmagnat du crime pour l’accuser d’avoir envoyé des hommesaprèsmoietavoiressayédemettreuncontratsurlatêtedesonex,quiestleseultémoind’unmeurtrequ’ilacommis.

—J’ailetempsdefinirmonburger?

— Je pense. Mais pourquoi on les appelle des magnats du crime ? Pourquoi pas lesconnardsducrime?Oudesenfoirésdecriminels?Pourquoiunnomcool?(Jejetaiuncoupd’œilaupanneaud’affichage.)Oh,tacommandeestprête.

Ils’extirpadelabanquettedenouveau.C’étaitplutôtcharmant.

—Etdépêche-toi,tanourriturevarefroidir.

Il contourna une table etme fit un doigt d’honneur aumême instant. Je savais que leshommesétaient capablesde faireplusieurs chosesà la fois. J’étais si fièrede lui.Dans lamesureoùjerestaiassiseàl’attendreavecriendemieuxàfairequeregardernotrevoisindetablesedisputeravecsonketchup,j’invoquaiAnge.Jeluiparlaidemondernierdilemmeendate,luidonnaiquelquesdirectivesplutôtexplicites,puisl’écoutaijurerenespagnolavantdedemanders’ilpouvaitmevoiràpoil.Lorsquejerépondis«Seulementsituarrivesàvoyagerdans le temps pour assister à mon périlleux voyage dans les entrailles de ma mère », ildisparutpourexécutermesordres.

—Pourquoimoi?demandaGarrettlorsqu’ilserassitaveclanourriture.

Jeprisunebouchéedesonburrito.

—Waouh,dis-jeenroulantlesyeuxdeplaisir.Excellentchoix.Etpourquoitoiquoi?

—Pourquoinepasdemanderàtonpetitamid’êtretonbrasdroit?

—Ilestdecuisine,cetaprès-midi.Sammydevaitallersefaireretirersonplâtre.

Le cuisinier habituel s’était cassé la jambe en essayant de skier sur son toit. La tequiladonnait souvent envie aux gens d’accomplir l’impossible. Cela ne rendait toutefois pasl’impossiblepossible.

—Quiestlemagnatducrime?

—PhillipBrinkman.

—Levendeurdevoitures?C’estunmagnatducrime?

— Apparemment. (Je m’arrêtai et le dévisageai, bouche bée.) Est-ce que tu viens deprendreunebouchéedeteschurros?

—Jelesaipayés.

—Et?

J’attrapail’assiettepourlamettrehorsdesaportée.Enfin,pasvraiment,parcequ’ilavaitlesbrasvraiment très longsetqu’ilsefitunplaisirdemeprouveràquelpoint lorsqu’ilvolaunautremorceauavecune facilité déconcertante.Dieumerci, leurs churros étaient assezgrandspournourrirunpetitpays.

— Si M. le Vendeur de Voitures de l’Année compte envoyer des hommes armés desilencieux chezmoi, lemoins qu’il puisse faire est deme proposer une réduction sur unenouvellePorsche.

—Est-cequ’ondevrait,jenesaispas,prévoirunplan?

—Tupensesquec’estsage?Engénéral,j’yvaisaufeeling.

—Paspossible,dit-il,safaussesurpriselégèrementirritée.

J’entrai dans la concessionautomobileavecunmicroqueGarrett avait accrochéàmonsoutien-gorgeentreDangeretWill.Dieumerci,Reyesn’aurait jamaisàapprendrecedétail.Aprèsavoir faitsemblantderegarder lesvoiturespendantunmomentetavoir remerciéunvendeurtrèsenthousiaste,jemedirigeaiverslebureaudePhillipBrinkman.Ilrisquaitdefinirenprisonpourmeurtreàcausedeschargesquipesaientcontre lui,mais ilétaitauboulotcommesiderienn’était.C’étaitunvraidur. Il ressemblaitaumoinsautantàunmagnatducrimequemagrand-tanteLillian.Onauraitplutôtdituncomptableauxcheveuxsombresetàlapeauclaire,avecdesyeuxtropgrandspoursonvisage.

Je m’assis sur l’une des chaises en face de son bureau. Il releva la tête de sapaperasserie, légèrementsurpris.Non,c’étaitde lapeurquibrillaitdanssonregard. Ilétaitmalàl’aise.Soitilavaitbutropdecafé,soitilattendaitquelqu’und’autre.

Ilfouilladuregardl’espaceau-delàdesonbureau,puisdemanda:

—Est-cequejepeuxvousaider?

—Vouspouvez.Sivousvoulezenvoyerdeshommesquiportentdesmasquesdeskietleurfairemepointerunearmesurlatempedanslebutquejeretrouvevotrepetiteamie,jevoussuggèred’enchoisirdemeilleurs.

Je l’avais troublé. La peur était toujours présente, mais je l’avais réellement pris parsurprise.Mince.Ilnesavaitpasdutoutdequoijeparlais.

—Jenesaispasdutoutdequoivousparlez,dit-il.

Retour à la case départ.Mais, encore une fois, ce type était accusédemeurtre.Et leshommes aux masques de ski voulaient mettre la main sur la femme qui était censéetémoignercontrelui.Messoupçonsn’étaientpasvraimenttirésparlescheveux.

Jefronçailessourcils.Peut-êtrequesilesflicstrouvaientlecorps,çalesaiderait.

Jemepenchai, et unevaguedepeur le submergea. Il était encoremoinsdouéquemoi

pourresterimpassible.Ilécarquillasesyeuxbientropgrands.

—Oùestlecorps,Brinkman?

—Vousêtesflic?

—Çadépend.Vousseriezplusenclinàmedireoùestlecorpssij’enétaisun?

—Non.

—Non.Jenesuispasflic.Absolumentpas.Maintenant,oùestlecorps?

—IlscherchentEmily?

—Çadépend.QuiestEmily?

—Mapetiteamie.

—Ah,oui.C’estvrai.Etdoncoui, ils lacherchent. (Lapeuretuneémotiondouloureusequi ressemblait à s’yméprendre à une crise de panique s’échappèrent de lui.) Est-ce quevousallezvousmettreàtable,ouest-cequ’ilfautqueje…

— Pourquoi vous mêleraient-ils à ça ? m’interrompit-il. Mince, j’avais trouvé une supermenace. Elle comprenait des fourmis rouges, du papier de verre, et une bétonneuse. Jecroisailesjambes.

—Jen’ensaisrien.Peut-êtreparcequej’aiuneciblesurlefront.Oupeut-êtreparcequej’aiaccèsàdesinformationsautraversdedifférentscontacts.Ilsdoiventpenserquejepeuxtrouver son adresse. Mais on parle du programme de protection des témoins, là. Peuimportequijeconnais,jen’obtiendraijamaiscetyped’info.Vousdevezleleurdire.

Ilsefrottalabouche,puislaissasamainlarecouvrirpendantunbonmoment.Delasueurperlait sur ses tempes et son estomac protestait bruyamment contre le stress qu’ilressentait.

—Écoutez,Phillip,dis-jeenchangeantde tactique,vousavez faituneerreur.Çaarrive.Essayerdetuervotrepetiteamien’arrangerarien.

Ilacquiesça.

—Vous avez aumoins raison sur un point, répondit-il d’un air absent. J’ai commis uneerreur. Beaucoup,même,mais Emily n’était pas l’une d’entre elles. Est-ce qu’elle…est-cequ’ellevabien?

Ilse faisait réellementdusouci.De touteévidence, iln’avait rienàvoirdans la tentativepourlalocaliserou,plutôt,latuer.

—D’aprèscequejesais,oui,maisçarisquedenepasdurer.Sivousmeditescequis’estpasséetoùtrouverlecorps,jepeuxvousaider,Phillip.

Ildevintméfiant.

—Jecroyaisquevousn’étiezpasflic.Commentpourriez-vousm’aider?Est-cequ’ilvousaenvoyé?C’estunpiège?

Lemotpiègeressortaitbeaucoup,cesdernierstemps.Jesecouailatête.

— Ce n’en est pas un. J’essaie de vous faire coffrer afin que votre petite amie puissecontinuersaviesansavoiràs’inquiéterquedeshommesdemainessaientdelatuer.

Ilouvrituntiroir,sortitunebouteilledeJackDaniels,etenpritunegrossegorgée.Grossecommelamoitiédelabouteille.Danslamesureoùilseraitsûrementplusenclinàm’aiders’ilétaitbourré,jenel’arrêtaipas.

—Maisvousavez l’airderéellementvous inquiéterpourelle.Sivousn’avezpasenvoyéceshommes,quil’afait?

Aprèsunenouvellerasade,ils’essuyalabouched’unemaintremblante.

—Ilfautquevouspartiez,dit-il,lavoixvacillante.

—Oh, j’aicompris.Voussurveillezvosarrières,maispasceuxdesautres.Est-ceque jesuisréellementendanger?

Ilricanasèchement.

—Disonssimplementquevousdevriezéviterdeleurdéplaire.

—Qu’est-cequisepasserasic’estlecas?

—Ilsnevoustuerontpas,sic’estcequivousinquiète.Maisvousregretterezcetteoptionavantqu’ilsn’enaientfiniavecvous.Lasituationestdevenuetotalementincontrôlable.Bienpirequecequenousavionsprévu.

—Nous?demandai-jeavantdelui laisser letempsdeprendreunenouvellegorgéepoursedonnerlecouragederépondre.

—Jevoulaisjustemesortirdecemerdier.Nousarrivionsfinalementàquelquechose.

—Vousêtessouslecoupd’uneenquêtepourfraude.C’estdeçaqu’ils’agit?

—Onenquêtesurmoi?

—Ehbien,oui,etpourmeurtreaussi,évidemment.

Il se laissa aller contre le dossier de sa chaise et se passa les mains sur le visage. Siquelqu’unétaitdanslesennuisjusqu’aucou,c’étaitbienPhillipBrinkman.Jen’arrivaispasàimaginercedansquoi ils’était fourré.Peut-êtrequelemeurtreétaitde la légitimedéfense,oubienaccidentel.Peut-êtrequesapetiteamiementait.

—Phillip,jepeuxvousaidersivousmelaissezfaire.

—Monsieur Brinkman ? demanda une jolie brune depuis le pas de la porte. Est-ce quetoutvabien?

Lapeurquej’avaisressentietoutàl’heurerevintenforce.

—Oui,Lois,répondit-il,paraissantparfaitementserein.Toutvabien.

—Est-cequejepeuxvousapporterquelquechose?

—Non.Non,jen’enaiquepouruneminute.(Aprèsqu’ellefutpartie,ilmejetaunregardnoir.)Vousdevezvousenaller.Toutdesuite.

—J’ai bienpeur denepaspouvoir faire ça.Ceshommesont prévude tuer undemesamissijenetrouvepasvotrepetiteamie.(Jedétestaissortirl’artillerielourde,maisilm’avaitun peu forcé la main sur ce coup-là.) J’ai besoin de réponses, Phillip, et si ces hommesreviennentetque jen’ai rienà leurdonner, je leurraconteraiquevotrepetiteamieetvousavezmontél’affairedetoutespièces.

—Quoi?demanda-t-il,choqué.Emilyn’arienàvoirlà-dedans.

—Ouais,maiseuxne le saventpas.Vousdonnez l’impressiondevouloir resterdiscret.Quesepassera-t-ils’ilspensentquevousaveztoutmanigancé?

Maismanigancéquoi,jel’ignorais.Ilsepassaunemaindanslescheveux.

— Dites-moi, repris-je d’une voix apaisante. Je vous promets que, quelle que soit lasituationdanslaquellevousvousêtesfourré,jepeuxvousaideràensortir.Jesuisdétectiveprivée.Jeconnaisdesgens.

AprèsavoirlonguementobservélefonddelabouteilledeJack,ildit:

—Pasici.Lesmursontdesoreilles.

Laprobabilitéqu’ilsedécidefinalementàmeparlermeréjouit.

Ilinscrivitrapidementquelquechosesurunboutdepapieravantdemeletendre.Ilyavaituneadresseetendessousétaitécrit:«Retrouvez-moiicidansunedemi-heure.Seule.»

Jesecouailatête.

—Pourque je terminecomme lepauvrebougrequevousavezassassiné?Jenecroispas.

Ilsepenchaetchuchota:

—C’estl’appartementd’unami.Ilestendéplacement.

—Etc’estcensémerassurer?

—Jevousdiraitout.

—Onsevoitdansunedemi-heure.

Jemelevaietsortisdelapièce.Lorsquejepassaidevantlebureaudesasecrétaire,Lois,j’ouvris mes sens pour capter ses émotions. Une curiosité mordante fut tout ce que jetrouvai.Ellesedemandaitquij’étais.Ellesoulevasontéléphoneetfitsemblantd’envoyerunmessage, mais j’étais sûre à quatre-vingt-dix pour cent qu’elle prenait discrètement unephotodemoi.J’avais fait lamêmechosedescentainesde fois,et jemerendaiscompteàprésentàquelpointçasevoyaitcomme lenezaumilieude la figure.Personnen’envoyaitdemessagedanscetteposition.Ilfallaitquejetrouveunenouvelletactique.

Jemontaidanslepick-updeGarrett.

—Tuastoutenregistré?luidemandai-je.

—Tout.Oùest-cequ’onleretrouve?

—L’adresseestsurCandelaria,prèsdeLomas.

Ildémarralevéhicule.

—Qu’est-cequetuasressentiquandtuétaisaveclui?

—Laquestionintéressanteseraitplutôtdesavoircequejen’aipassenti.

Lorsqu’ilhaussalessourcilsenguisedequestion,jerépondis:

—Delaculpabilité.

Chapitre17

Oh,làlà.Regardezquiasortisagarceintérieureaujourd’hui.

Tee-shirt

Nousattendîmesdevant l’immeublequePhillipsemontre. Ilavaitplusdequinzeminutesderetard.Jecommençaisàm’inquiéterqu’ilm’aitposéunlapinquandilarrivafinalementetse gara au coin de la rue. Nous allâmes tous les deux à sa rencontre. Mais, lorsqu’ilremarquaGarrett,ilyréfléchitàdeuxfois.

Ilétaitsurlepointderemonterenvoiturelorsquej’arrivaiverslui.

—C’est un collègue, lui expliquai-je. Il est aussi détective privé, et c’est le type le plusdouéque j’aie jamais rencontréquand il s’agit de retrouverdesgens.Vouspouvez lui diretoutcequevousmediriez.

Je sentis une vague de reconnaissance s’échapper de Garrett. C’était tellement plusagréablequel’agacementoulafrustrationquejeressentaisengénéralquandj’étaisaveclui.

—C’étaituneerreur,ditPhillipenentrantdanssavoiture.

— Je suis désolée d’avoir à faire ça, Phillip, mais je dirai à ces hommes tout ce qu’ilsveulententendresivousnevousconfiezpasàmoi.(Jedécidaide luiposermesquestionsimportantesafindejaugersaréaction.)Avez-voustuécethomme?

Ilrelevalementon.

—Oui,jel’aitué.

Jeledévisageai,bouchebée,avantdeluilancerunregardnoir.

—Vousmentez.Vousn’avez jamais tuépersonne. Ilplaçaun indexsursabouchepourm’intimerdemetaire.

—Vousvoulezquetoutlequartiervousentende?Vousalleznousfairetuer.

Qu’est-cequiétaitentraindesepasser,bonsang?

Ilattrapamonbrasetmeconduisitàunappartementaurez-de-chaussée.

Aprèss’êtreverséunverredewhisky,ilenproposaunàGarrett.Heureusement,Swopessecoualatête.

LorsqueBrinkmans’assit,jepassaiàl’attaque:

— OK, Brinkman, crachez le morceau. Pourquoi est-ce que votre petite amie racontequ’ellevousavutuerquelqu’un?

Ilpoussaunprofondsoupir.

— Parce que j’avais besoin d’un moyen de m’en sortir. Les choses devenaient tropinstables.Tropimprévisibles.

—Est-cequeçaaquelquechoseàvoir avec le fait quevousblanchissezplusd’argentquevousnevendezdevoiture?

Ilredressalatêted’unbond.

—Commentêtes-vousaucourant?

—Jevousl’aidit,jeconnaisdesgens.Alors?demandai-jeendégageantunechaussettesaleloindemoi.

Il appuya sa tête contre le dossier du canapépour regarder auplafond.Ce typeétait àdeuxdoigtsdelacrisedenerfs.J’avaisdelapeinepourlui.

—Jeblanchisdel’argentpourlafamilleMendoza.

Garrettsefigea.Cenomluiétaitdetouteévidencefamilier.

—LafamilleMendoza?demandai-je,complètementhorsducoup.

Mais,avantquePhillippuisserépondre,Garrettdit:

—LesMendozasontunedesplusgrossesfamillesducrimeorganisédeMexico.Ilssontresponsablesdecentainesdemortsici,ycomprisdesflicsetdesjuges.

JeregardaiPhillip.

—Commentvousêtes-vousretrouvélà-dedans?

—Ilsm’ontapproché,ontproposédem’aideràremettrelecommercesurpied,ontpromisdefairedemoiunhommeriche.Ilsl’onteffectivementfait,maislesMendozanesontpaslesgenslespluséquilibrésquej’aiejamaisrencontrés.

—Jenecomprendstoujourspascequelemeurtreaavoirlà-dedans.

—C’étaitl’idéed’Emily.Onespèreque,lorsquej’iraienprison,ilsm’oublieront.

—Alorsc’estça,leplan?Allerenprisonpouruncrimequevousn’avezpascommis?Sivousn’avezpaspeurdefinirderrièrelesbarreaux,pourquoinepassimplementvousrendre?

—Vousavezlamoindreidéedecequ’ilsmeferaientdanscecas-là?Ouàmesenfants?J’aifaitdéménagermonex-femmeetmesgossesàl’autreboutdupayspourleséloignerdecesgens,maisilsontlebraslong,etunefrontièred’étatnevacertainementpaslesarrêter.Ilsn’hésiteraientpasà leurfairedumalpourmeforceràcontinuercequejefaispoureux.Ou,pire,àlestuer.Enallantenprisonpouruncrimequin’aabsolumentrienàvoir,jeperdstout ce que j’ai, y compris mon commerce. Je n’ai plus aucune utilité pour eux, et mesenfantssontensécurité.

—Alorsiln’yajamaiseudemeurtre?Votrepetiteamien’ajamaisrienvu?

—Non.

—Danscecas,quicherchent-ils?Quiêtes-vouscenséavoirtué?

—Monmeilleurami.Ilaacceptédedisparaitrepouruncertainprix.

—Vousavezconsciencequ’ilvarefairesurfaceunjour,n’est-cepas?

—Non,iln’aaucunefamilledanslecoin.Aucunevraieamitiéàpartmoi.

—C’estterriblementrisqué.

—Croyez-moi,j’ensuisbienplusconscientquevous.Etj’aiunplandesecours.

—Quiest?

—Quelqu’unsurveillema femmeetmesenfantset se tientprêtà lesemmenerquelquepartoùilsserontensécurité.J’aimisdesmillionsdedollarsdecôtépourça.

—Quid’autreestaucourantdetoutel’affaire?

—Personne. Personne d’autre que Jeff, celui que je suis censé avoir tué, etma petiteamie. Et vous, à présent.Merde. (Il semordit la lèvre inférieure tout en réfléchissant.) Jesavaisqueçaavaitde forteschancesdenepas fonctionner.Jenepeuxpasrisquer lavied’Emily. Elle est tellement intelligente. Et si courageuse. Elle savait qu’ils essaieraient del’atteindre.(Penseràellelefitsourire.)Jen’aijamaisrencontrépersonnequiétaitprêtàtoutrisquer,ycomprissaproprevie,pourmoi.

—Onestdansl’appartementdequi,là?luidemandai-je.

—Jeff.

—Celuiquevousêtescenséavoirtué?

—Celui-làmême.

—C’estassezétrange.

—Sérieusement?demandaGarrett,impassible.Tutrouvesqueça,c’estétrange?

—Laissez-moimepenchersurcetteaffaire,Phillip,voirceque j’arriveàdécouvriretcequipeutêtrefait.

—Rien, dit-il. La partie est terminée. S’ils apprennent que je faisais tout pour perdre lecommerce,ilss’enprendrontàtouteslespersonnesquej’aijamaisaimées.

—Nousnepermettronspasqueçaseproduise.

— Écoutez, s’ils ont envoyé des hommes chez vous, je vous jure surma vie qu’ils ontaussiposédesmouchards.

—C’estunflinguequ’ilsontposé.Surmonfront.Etc’étaittrèsénervant.

—Ilssurveillentvosmoindresfaitsetgestes.Sivousrépéteztoutcela…

—Non,jevousaireçucinqsurcinq.(Lecapitainem’avaitmisesurécoute,aussi.J’étaisàlamode.)Ilfautquejefasseleménagechezmoi,detoutemanière.

J’appelaimonamieParisurlecheminduretour.

—J’aibesoinquetuviennesfairelasoubrettechezmoi.

—J’adoremedéguiser,maistun’espasvraimentmongenre.

—Jecroisquequelqu’unaplacédesmouchardsdansmonappartement.Tuas toujourstonéquipementpourdétectercegenredetrucs?

Aprèsunetrèslonguepause,ellerépondit:

—Non. Tu sais que je n’ai pas le droit dem’approcher de ce genre de choses. Je suisscrupuleusementlesconditionsdemalibertéconditionnelle,merci.

—OK,maissérieusement.

—Oh,tumedemandessij’aitoujourslatapetteàmouchesquetum’asprêtée?

Jepouvais parfaitementme la représenter en train dem’adresser un immense clin d’œil.Mais,sincèrement,quiprêtaitsatapetteàmouchesenespérantqu’onallaitlaluirendreunjour?

—Euh,oui,répondis-jeenentrantdanssonjeu.Tuastoujourscettetapetteàmouchesquejet’aiprêtée?

—Ilvame falloirunmomentpour la retrouverdansmonarrière-boutique,où jen’ai rienquiressembledeprèsoudeloinàunordinateurouàdumatérielélectronique.

—Tun’asmêmepasdroitaumatérielélectronique?Qu’est-cequetuasfaitaujuste,bonsang?

—Cen’est pas vraiment quoi, répondit-elle en arrêtant de faire semblant,mais plutôt àqui.

—Trèsbien,alorsàquitul’asfait?

—J’aiunpeuaccidentellementpiratévolontairementlestéléphonesdelaMaison-Blanche.

—Non.

—Si.

—Tucroisvraimentquec’étaitunebonneidée?

—Plusmaintenant,rassure-toi.Ilsontpristoutçatrèsausérieux.

—Jemedemandebienpourquoi.

Je raccrochai, puis accordai à mon chauffeur-que j’avais provisoirement renommé Fitz,parce que Garrett ne sonnait pas du tout comme un nom de chauffeur-ma plus totaleattention.

—TuastrouvéautrechosesurlesDouze,Fitz?

—Quelquestrucs,répondit-ilsanssesoucierduchangementdenom.J’aiditaudocteurvonHolsteindeseconcentrersureux,devoircequedisaientlesprophéties.

—Et?

—Iltravailletoujoursdessus,maisiladécouvertdetrèsintéressantesmentionsdedeuxgroupesdedouze,etuned’uneimmenseforceentreeuxdeux,latreizièmebête.

—C’estvrai?demandai-je,soudainementtrèsintéressée.

—Decequej’aicompris,ilyalesDouze,àsavoirlecôtésombre,maisilyaégalementdouzeêtresdelumièrepourredresserlabalance,quiontétéenvoyéspourteprotégertoi,laFille.

—Çamesemblebiencompliqué.Etcetreizième?

—C’estceluiquivafairepencherlabalanceducôtédelalumièreoudesténèbres.

Sansdéc’.

Lorsquej’arrivaiàmonimmeuble,Pariétaitdéjàlààm’attendre.Ellenevivaitqu’àunpâtédemaisons, cequi était plutôt cool, surtout quand j’avaisbesoinqu’ellem’aide.Ouqu’ellememasseledos.Elleavaitdesdoigtsdefée.

J’essayaid’appeleroncleBob,mais ilne réponditpas.J’avaisbesoindesavoircommentleschosess’étaientpasséesaveclecapitaine.Ets’ilavaitréellementengagécemédiumaurabais. J’étais persuadée que c’était une fausse blonde, en plus. Je passai rapidement unappelvidéoàQuentin.Ilseportaitbienetmedemandasic’étaitaussilecasd’Amber.

—Net’approchejustepasdesamèrecesprochainstemps.Tuseraisdépecévivant.

Ilgrimaça.

—Jecomprends.Jesuisvraimentdésolé,signa-t-il.

—Jesais,moncœur,etsiCookietemetlamaindessus,tuleserasencoreplus.

—OK.

Jeluienvoyaiunbaiseretraccrochai.Pariavaitenfiléseslunettesdesoleil,commeellelefaisait chaque fois que j’étais dans les parages. Elle pouvait voir ma lumière et disait quecettedernièrel’aveuglait.ElleremarquaGarrettdèsqu’ilsortitdelavoiture,etjenemanquaipasl’appréciationdanssonregard.

—Alors,qu’est-cequ’onfaitici?demanda-t-elle.

—J’aiétémisesurécouteparlapoliced’AlbuquerqueetparlafamilleMendoza,quidonnedanslecrimeorganisé.

—Tuaimesvraimenttemettrelesgensàdos.

—Jeneleurairienfaitdutout.C’estsafauteàlui.

—Biensûr,dit-elleenmetapotantaffectueusementledos.

Oupeut-êtrequ’elleessayaitdemedélogerlelarynx.Jetoussaietlesprésentai.

—Pari,voiciFitz,monnouveauchauffeur.J’aidécidéquej’avaisbesoind’unchauffeurquim’obéisseaudoigtetàl’œil,etilestvraimentbonmarché.

—JesuisGarrett,dit-illorsqu’illuiserralamain.

Ellel’examinadespiedsàlatête.

—Fitz, je te présentePari. C’est une tatoueuse d’enfer qui n’a été en prison que deuxfois.

—Jenesuisjamaisalléeenprison,corrigea-t-elle,incapablededétournerleregard.Vousavezuneauraincroyable.

Trop,c’étaittrop.J’enavaisvuassezpourmesentirmalpoursonmecactuel.

—EtTre?luidemandai-je,choquée.

Çafaisaitunmomentqu’ellesortaitavecsonemployé.Engénéral,çasuffisaitpourqu’uneplaintepénalepourharcèlementsexuelsoitdéposée,maisilssemblaientheureux.

—Sonauraesttrèsbien.CelledeGarrett,enrevanche,estplutôtunique.

—Sérieux?demandai-jeenplissantlesyeux.

Jepouvaisvoirlesauras.Àpeuprès.

—Vraimentunique.

—Mesmouchards?luidemandai-je.

—Ah,oui,c’estvrai.

Elle vida le contenu de son sac et revint avec un dispositif portatif qui, je le supposais,détectait les micros. Mais bon, elle aurait pu être un vrai charlatan. Comment pouvais-jesavoir?

—Jesongeà faire installerunevidéosurveillanceouun trucdanscegoût-là.Genredesdétecteursdemouvementetdescaméras.J’enaimarrequelesgensentrentchezmoisansquejelesaieinvités.

—Normalement, je tediraisqu’unecaméra,c’estunpeuexagéré,mais,danstoncas, jerecommanderaisd’enmettreaumoinsdeux,ainsiquequelquespiègesexplosifsàdroiteetàgauche.

Elleallumasonappareiletcommençaà lepasserprèsdesendroits lesplusévidentsoùcacherdesmouchards.Elleentrouvaunpresqueimmédiatementettenditlamainsousmonreborddefenêtre.

—C’estlenecplusultra,dit-elleenl’observant.

ElleletenditàGarrett,quiacquiesça.

—Jedoutequecelui-civienneducapitaine.Legouvernementnepaierait jamaispourunéquipementaussicoûteux.

—LesMendoza?chuchotai-je,n’ayantpasenviequ’ilsentendent.

Illemitsouslalumièreetleretournaentresesdoigts.

—Certainement.

—OK,dis-jeàPari,remets-leexactementoùtul’astrouvé,etassure-toiqu’ilfonctionne.J’enauraibesoinplustard.

Elleacquiesça,puismurmura:

—Ilesttrèssophistiqué.Ilauneportéede…

Ellesetutetregardaunpointderrièremoi.

—De?demandai-jeavantdecomprendrequ’ellevenaitderemarquermoncolocataire.

—Qu’est-cequec’est?demanda-t-elleenseraidissant.

—C’estM.Wong.

Pari était en mesure de voir les défunts depuis qu’elle était morte pendant quelques

secondeslorsqu’elleavaitdouzeans,maisellenediscernaitqu’unelégèreperturbationdanssonchampdevision,commeunefuméeunpeugrise.

—C’estundéfunt?demanda-t-elle.

—Ouaip.Engros,ilsecontentedeflotterdansuncoin.Toutelajournée.Septjourssursept. Il ne sort pasbeaucoup. (Commeelle ne répondait rien, jeme tournai vers elle.Elleavait retiréses lunettesdesoleilet l’observait,médusée.)Quoi?demandai-je.Tuvoisdesdéfuntsàlongueurdejournée.

—T’essûrequec’enestun?

Cettequestionattiramonattention.

—Qu’est-ceque tu veuxdire? (Jem’approchai deM.Wong.) Il ressembleà tous ceuxquej’aijamaisvus.Ilestpeut-êtreunpoilplusmonochrome.

Ilétaitquandmêmeterriblementgris.

—Non,iln’estpascommelesautres,m’assura-t-elle.

Garrettobservaitnotreéchange,plusintéresséparlemicroqu’iltenaitqueparledéfunt.Ilaimaitleschosesqu’ilpouvaitvoir.Cellesqu’ilpouvaittoucheretexpliquer.Pouruntypequidescendaitd’une longue lignéedegenspratiquant le vaudou, sansoublier le fait qu’il avaitfait un aller-retour en enfer, il n’était vraiment pas très à l’aise pour parler du royaumesurnaturel.

Jeplissaidenouveaulesyeux,essayantdevoircequ’ellevoyait.

—Commenttusais?Qu’est-cequetuvois?

Mais elle resta plantée où elle était, le regard vide, les joues rouges, son expressionrespectueuse.Parin’étaitpaslapersonnelaplusrespectueusequej’avaiscroiséeaucoursdema vie.Recouverte de tatouages, avec de longs cheveux coiffés demanière stylée enlonguesvagues,elleaimait lestraitsépaisd’eye-lineret lesminijupesnoires.Si j’avaisdûladécrireenunmot,j’auraischoisirebelle.

—Quoi?demandai-jeunenouvellefois.(Jetournailatêteàgaucheetàdroite.)Qu’est-cequetuvois?

—Rien,dit-elleenclignantdesyeuxpoursedébarrasserdesastupeur.Riendutout.(Elleétudialesenvirons.)Maisjecroisquej’aidécouvertunepartiedetonproblème.

Elledésignamachambreàcoucher.

—Sérieux?

Jem’approchaid’elle,restaiunmomentplantéelà,puisyentrai.Malgrécequej’avaisditplustôt,àsavoirquemachambren’avaitpasétémiseàsacquandlesintrusétaiententréschezmoi, onaurait dit quequelque chosemanquait. Jeposai unemain surmahancheetregardai tout autour, essayant de mettre le doigt dessus. Ma commode n’avait pas étéfouillée.Monlitétaittelquejel’avaislaissé,aveclacouvertureBugsBunnydanslapositionexacteoùellesetrouvaitquandj’étaispartiecematin:enpagaille.

Maisquelquechoseclochait.

—Reyes.Alexander.Farrow,dis-je.

Quelquessecondesaprèsquej’eusprononcésonnom,Reyesentradanssachambre,etjeregardail’espaceouvertquinousséparait.

Ilattenditquejecontinue.

—J’ail’impressionqu’ilmanquequelquechosedansmachambre.

Unefossetteapparutaucoindesabouche.

—Tum’endirastant.

—Uneidéedecequeçapourraitêtre?

Ilregardaàsontourdansmachambre,puishaussalesépaules.

—Jenevoisvraimentpas.

— Oh, attends, dis-je en passant de ma chambre à la sienne, il n’y avait pas quelquechose,ici?Genre,jesaispasmoi,unmurouuntrucdugenre?

Ilrelevalatête.

—Tusaisquoi?Jemedemandesitun’auraispasraison.Ilmesemblemesouvenird’untrucdugenre.

— Ouaip, continuai-je en me rapprochant. Je me souviens définitivement d’un mur quiséparaitnosappartements.

Commesaseuleréponsefutunsouriremalicieux,jedemandai:

—Oùas-tumismonmur?

Ilcroisalesbrasets’appuyacontrelechambranledesaporte.

—Qu’est-cequitefaitpenserquec’estmoiquil’aipris?

—Ilétaitlàcematin.

—Etducoup,c’estforcémentmoi?Peut-êtrequetul’asrangéquelquepartsanslefaireexprès.Oùl’as-tuvuexactementpourladernièrefois?

Jepinçailabouche.

—Tuasabattumonmur!

Sonsourireauraitconvaincuunenonnederetirertoussessous-vêtements.

—J’aiabattutonmur,avoua-t-il,paslemoinsdumondedésolé.

Jefisunautrepasdanssadirectionetilpassaunbrasautourdemataille.

—Monappartementn’estpasunendroitsûr,leprévins-je.Desgensyentrentsansarrêtpareffraction,ilesthanté,etildétestel’eau-de-vieàlacannelle.Longuehistoire.

—Tupensesqu’abattrecemurétaitunemauvaiseidée?

—Ehbien,maintenantqu’iln’yaplusdebarrièrephysique, lemauvaissortquipèsesurmonhumblechezmois’étendàtonappartementégalement.

—Ilnepasserapas.

—Vraiment?Parcequ’iln’yapasgrand-chosepourleretenir,là.Etmaintenantonaunlit

vraimenttrèslong,ajoutai-jeendésignantl’hybridedumenton.(Puistouteslesmerveilleusespossibilités qu’offrait le fait de ne plus avoir de tête de lit entre les deux me frappèrent.J’adressaiunimmensesourireàReyes.)OnpourrajoueràTwisterdessus!

—Twister.

—Etfaireunebatailled’oreillersgéante.Jevaistemettreminable,bienévidemment.

—Tupenses?

—Tuveuxparier?

—Jecroisquetuasdéjàassezpariécesderniers temps,répondit-il, faisantréférenceàmeslamentablestalentsaupoker.

—C’étaitcontreundémonquimentetquitriche.Tunepeuxpasvraimentmereprocherd’avoirperducontrequelqu’unquimangedesâmesaupetitdéjeuner.

—Jecroisquetonamieestmalàl’aise.

Je me défis de son étreinte pour vérifier comment allait Pari. Elle fixait de nouveauquelqu’un, mais à la place de la vénération qu’elle semblait avoir pour M. Wong, elleconsidéraitReyesavecuneprudencequi,sijenemetrompaispas,ressemblaitàdelapeur.

Elle fit un pas en arrière lorsqueReyes la regarda, puis un autre et un autre jusqu’à cequ’ellebuttecontreSophieetnepuisseallerplusloin.

—Pari,dis-jeenmavançantdanssadirection,voiciReyesFarrow,mon,euh,voisin.

Jenesavaispastropcomment leprésenter.Était-ilmonpetitami?Direquec’étaitmonamantnesemblaitpasapproprié.Etiln’étaitpasmonfiancé.Pasencore.Maismalgrétout,petitamimesemblaitunpeuléger.

—Pari?

Ellerevintàelleetcommençaàrassemblersonéquipement.

—Jem’yremetstoutdesuite.

Garrettétaitentrédanslapiècepourinspecterleschangements.C’étaitvraimentbizarre.Personne n’aurait pu dire qu’il y avait effectivement un mur qui séparait les piècesauparavant.Lesfinitionsavaientétéfaitesetpeintes,sibienqueçaressemblaitjusteàunetrèslonguepièce.

IlsetournaversPari.

—Nevousenfaitespas,Farrowfaitpeuràtoutlemonde.

Jeluilançaiunregardnoirlorsquejeledépassai.

—Çava?demandai-jeàPari,maisellenerelevapaslatête.

—Oui.

Je remarquai qu’elle haletait, mais les sentiments qui s’échappaient d’elle n’étaient quepartiellement de la peur. Tant d’émotions s’entrechoquaient en elle que je n’arrivais pas àidentifiercellequiluicausaitleplusdepeine.

Jeposaiunemainsursonbras.

—Pari,mapuce,assieds-toi.

Elle releva finalement la tête, grimaça en voyant ma lumière, remit précipitamment seslunettes,puisdit:

—Non,c’estbon,jevaisbien.Jelaconduisismalgrétoutjusqu’àmoncanapé.

—Vousdeux,resteztranquilles,dis-jeàReyesetGarrettsuruntond’avertissement.

Pas que ça servirait réellement à quelque chose, ils ne s’entendaient pas.Une fois quenousfûmesinstallées,jeparlaidoucementàPari.Ellen’étaitpasdugenreàêtrefacilementébranlée.Jenepensaismêmepasquec’étaitpossible.

—Qu’est-cequinevapas?luidemandai-je.

Ellesemordillalalèvreinférieure,puissepenchadansmadirectionetchuchota:

—Qu’est-cequ’ilest?

C’étaitladeuxièmepersonneàmedemanderça,dernièrement.Jenesavaispascequejedevais lui révéler, au juste. Elle savait ce que j’étais parce qu’elle pouvait voirma lumière,maisquevoyait-elleenregardantReyes?

—Aquoiilressemble,pourtoi?

— On dirait, je sais pas. (Elle jeta un coup d’œil par-dessus mon épaule.) Tu as déjàobservé le ciel, de nuit, quand les étoiles sont invisibles,mais qu’il est si clair, d’un noir siprofond,quetuasl’impressionquetupourraist’ynoyertellementc’estmagnifique?

J’acquiesçaid’unairentendu.

—Oui.

—C’estàçaqu’il ressemble.(Elle ferma lesyeuxcommepourse lereprésenter,n’osantpas le regarder directement unenouvelle fois.) Il possèdeunebeauté sombreet profondepourlaquelletuvendraistonâme.

Waouh,elleétaitdouée.

—Jenetelefaispasdire.

—Jen’aijamaisrienvudutel.Detelquelui.Ilestfaitdefeu.Unfeud’unnoirsisombre,siintenseque,aulieud’émettredelalumière,ill’absorbe.Illaplieàsavolonté.(Ellerouvritlesyeuxàcetinstant.)C’esttonReyes,dit-elledemanièrepragmatique.

—C’estmonReyes.

Elleseraclalagorge,déglutitpéniblementetréajustasoncol.

—Jecomprendscequiteplaitchezlui.

—Tuavaisl’aireffrayée,Pari.

Elleacquiesça.

— Oh, je l’étais. Je le suis encore. Il n’y a rien de plus sexy qu’autant de beauté, demystèreetdedanger réunisenuneseuleetmêmepersonne.Enfin,ajouta-t-elle, tantquecettepersonnen’essaiepasdetetuer.

Jerisdoucement.

—Jepeuxteprésenterdemanièreofficielle?

—Non!(Elleseremitàrassemblersesaffaires.)Jeveuxdire,non,c’esttrèsgentil.Ilestjustetellement…Ilesttrop…Jesaispasvraiment…

— Ouais, répondis-je, comprenant tout à fait ce qu’elle voulait dire, mais brûlantintérieurementdecuriosité.

J’avaisenviedesavoircequ’ellevoyaitexactement.

Je regardai Reyes par-dessus mon épaule. Il était appuyé contre le chambranle de sapropre porte, et Garrett contre la mienne. C’était un scénario vieux comme le monde,lorsqueleshommesdescavernessedéfiaientàmortavecleursgourdins.L’und’euxdevaitêtre lemâle alpha, et aucun ne voulait céder. Je plissai les yeux en observantReyes,meconcentrai, ymis toutesmes tripes.Rien.C’était juste le type sexy qui habitait la porte àcôté.Pasdenuitsansétoilesoudefeunoir.

—Oh, ton téléphone est très probablement sur écoute. Passe à la boutique et je t’endonnerai un nouveau. Tu pourras t’en servir pour tout ce que tu ne veux pas qu’ilsentendent,maissouviens-toiqu’ilspeuventaussi t’espionnerquand tun’espasen traindepasserunappel.Lesportablessontlemoyenleplusrapideetlemoinscherdesurveillerlesgens.Situdoisavoiruneconversationquetuneveuxpasqu’ilsécoutent,tudoisretirerlabatterie. L’éteindre ne suffit pas. Appelle-moi plus tard, ajouta-t-elle avant d’adresser unsignedelamainàGarrettetdeseprécipiterhorsdemonappartement.

—OK.Àtoute.

JeremarquaiqueReyesétaitentraindemeregarderaumomentoùjeraccompagnaiParià la porte, mais, dans la mesure où cette dernière fila comme l’éclair, je pus retournerrapidementauproblèmeleplusurgent.Celuidumur.Sérieusement,quifaisaitdesconneriesdecegenre?

Jem’approchaideReyes,enprofitantpourpincerlescôtesdeGarrettlorsquejepassaiàsahauteur,puis,unefoisàdestination,jecroisailesbras.

—Oui?demanda-t-ild’untonjoueur.

—Cettehistoiredemurn’estpasterminée.

Ilpassasonindexdansl’échancruredemonjeanetm’attiraàlui.

—Onaunehistoiredemuràrégler?

Jeposaiinstinctivementlesmainssursontorseetappréciailafermetédesesmuscles.

—Onaunehistoiredemuràrégler.

—Charley!appelaCookie.

— Je suis ici, répondis-je, fascinée par les fossettes de chaque côté de la bouche deReyes.

Elleseprécipitadanslapièce,essouffléeetlesjouesenfeu.

—Qu’est-ce que tu penses de cette tenue ? demanda-t-elle en tournant sur elle-mêmejusqu’à ce qu’elle remarque Garrett, qu’elle avait pourtant dépassé en entrant. Oh, salut,Garrett.

—Cookie,répondit-ilenhochantlatête.

Ellesepréparaitpourletroisièmeetultimerencarddel’OpérationPiégeonsObie.Siçanefonctionnaitpascesoir,elle risquaitdedevoir fairequelquechosededrastique,comme-ausecours !-luiproposerdirectementdesortiravecelle.Maiselleétait renversante.Siçanemarchaitpas,mononcleétaitunidiotquinelaméritaitpas.

—J’étaisentraindemepréparerpourunrendez-vous.Untruc.Pasvraimentunrendez-vous,mais…(Ellefronçalessourcils.)Oùestpassétonmur?

Jeposailespoingssurmeshanchesetlaregardaid’unœilnoir.

— C’est précisément ce que je voudrais découvrir, mademoiselle. En parlant de ça,commençai-jeenmeretournantverslevoleurdemurs,pourquoituasfaitça?

Ilhaussalesépaules.

—Tuhabiteslaporteàcôté.

—Oui,admis-je,maispourquoiabattremonmur?

Ildevintsoudainementtrèssérieuxetm’étudiasousseslongscilsnoirs.

—Tuhabiteslaporteàcôté.

—Oh.

Jecomprisenfincequ’ilvoulaitdire.Cookiesoupira.

—C’estçaquejeveux,bonsang.(Ellenouspointadudoigtets’adressaàGarrett.)C’esttropdemander?

Garrettsemblahorrifiéàcetteidée.

—Trèsbien,dis-jeenmarchantjusqu’àelleetenréarrangeantsonécharpe.J’aitrouvécetypegrâceàuneannoncepostéedansleWeeklyAlibi.

—Attends,tuneleconnaispas?demanda-t-elle,effrayée.

—Non,maisc’estunacteur.Onabesoind’unacteur,cecoup-ci.Quelqu’unquisait, tuvois,jouerlacomédie.

Ellegrogna.

—Çapourraitseretournercontrenousdetellementdemanièresdifférentes.

Elleavait raison,bienévidemment,mais j’étaisdugenreà voir la tassedecaféàmoitiépleine.Onfaisaitçapourlabonnecause.Çaallaitfonctionner.Etleslicornes,çascintilleauclairdelune.

Chapitre18

Souvenez-vous,ons’amusetoujoursbien

jusqu’àcequequelqu’unperdeunœil,

etaprès,c’est«Cool!Unprojectilegratuit!»

Tee-shirt

LerencarddeCookiearrivapendantquej’étaisoccupéeàentrertousmesnumérosdansle téléphone que Pari m’avait prêté. Il était pile à l’heure. Nous passâmes le scénario enrevueenluiracontantquetoutseraitfilmépourunenouvelleémissiondecaméracachéequipourraitêtresélectionnéeparHBO.

—Sivousvoulezqu’ellepasseàl’antenne,luidis-je,ilfaudravousdonneràfond.

Ilétaitgrandetbienbâti,mêmesiunpeutropjeuneettroppropretpourcequenousluidemandions,mais ilétaitpartantpournotrepetiteaffaireetçane ledérangeaitpasqu’onsoitplusoumoinsentraindejouerunmauvaistourautypequ’onessayaitdepiéger.

—J’auraisvraimentaiméquetusoislà,meditCookie.

—Moiaussi,maiss’ilmevoit,ilcomprendraqu’ilsepassequelquechose.

Aumomentoùilss’enallèrent,Cookieétaitlégèrementverdâtre.

—Relèvelatête,magrande.C’estnotredernieressai.

—Tout çaest-il vraiment nécessaire? demanda-t-elle, ayant de touteévidenceenviedes’enfuirencourant.Encoreunefois,s’ilavaitenviedem’inviteràsortir, ilauraitpu le faire,non?

—Tusaisqu’onparled’oncleBob,là?

—OK,tun’aspastort.

Elle prit son rencard par le bras et le laissa la guider en direction de la limousine quiattendaitenbas.Onallaitbiens’amuser.

Un moment plus tard, mon téléphone sonna. Reyes, Garrett et moi étions en train deparler des prophéties et du Dealer. Garrett avait accepté de le rencontrer, d’essayer dedécouvrircequisepassait.Mais,pourl’instant,unnumérocachém’appelait.

Jefisglissermondoigtsurl’écranpourrépondre.

—Hey,Cook,commentçasepasse?

—Charley,dit-elleencriantpresquecontremoi,vienstoutdesuite!Robertvaletuer!

Jesautaisurmespieds.

—Quoi?Oùes-tu?Qu’est-cequis’estpassé?

—Ilssontentraindesebattre.Robertnousesttombédessus,ettonacteurpensequeçafaitpartieduscript!Robertvaletuer!Descendstoutdesuite!

J’étaisdéjààlaporte.

—Oùêtes-vousexactement?demandai-jeendescendantlesmarchestroispartrois.

GarrettetReyesmetalonnaient.

—Onprendmonpick-up,ditGarrettenprenantladirectiondesonvéhicule.

Nouslesuivîmesetnousprécipitâmesdanslavoituretandisqu’ildémarrait.

—Oùest-cequ’onva?demanda-t-il.

—Ilssontderrièrecepetitrestoitalien,verslethéâtre.

J’étaisassiseentreGarrettetReyes,essayantdecalmerCookie.

—Passe-moioncleBob,luidis-je.

—J’aiessayédeluiparler.Ilneveutrienentendre.Ilestfurieux,Charley.Ilpensequecetypemeharcèleoujenesaispasquoi.

—Tuluiasbienditcequ’onavaitconvenu?

—Oui!J’aisuivileplanàlalettre.J’aiappeléRobertetjeluiaiditquejevoyaisquelqu’unrencontrésurcesite,maisqueletypememettaittrèsmalàl’aise.Jeluiaiditquejenemesentaispasensécuritéet luiaidemandédevenirmechercher.C’est tout ! Jen’ai rienditd’autre,maisRoberts’estprécipitésurluidèsqu’ilestarrivé,l’aattrapéparlecouetl’atiréàl’extérieur.Ilssedisputent,maintenant.Dépêche-toi,Charley!Jet’ensupplie!

—On est presque là, répondis-je en remerciant le Seigneur d’avoir donné àGarrett unpiedquin’hésitaitpasàappuyersur lechampignon.Passe-moioncleBob.Dis-luiquec’estmoi.

—O-OK,jevaisessayer.

J’entendisdescrisenarrière-plan,puisCookieessayadeparleràun fou furieuxdunomdeRobertDavidson.

—Resteendehorsdeça,Cookie!rugit-il.

J’entendisunbruitdebagarreetCookiepoussaunhurlement.J’enfouisma têtedans lecreuxdemesmains.Qu’avais-jefait?

—Charley!pleuraCookiedanslecombiné.Ilasortisonflingue!

—Quoi? (Jenepouvais croireque tout celaétait en traindeseproduire.)Non !Non,non, non, non, non ! Cookie ! Tu dois dire à oncle Bob que c’était une mise en scène.Cookie?

L’instantsuivant,j’entendisunedétonation,etjeperdislacommunication.

Jemeruaipar-dessusReyesavantqueGarrettn’aitcomplètementarrêtélavoiture,maisReyes attrapa mon bras pour me retenir le temps qu’il sorte, lui aussi, et courut pourrejoindrelamêléeavecmoi.Cookieétaitplantéesousunlampadaireàcôtéd’uneboutiquequi se trouvait dans le même immeuble que le théâtre. Une foule s’était rassemblée, etj’entendisdessirènesdanslelointainaumomentoùjem’arrêtainetàcôtéd’elle.

Elleétaitenlarmes,latêtebaissée,etsesépaulestremblaient.

PuisjevisoncleBob.Ilétaitrecouvertdesang,etlerencarddeCookieallongésurlesol,sansconnaissance.Jeportaiaussitôtlesmainsàmabouchepourreteniruncri.

Cookieavaitvraimentdûdonnerlechange.ElleavaitréellementdûconvaincreoncleBobqu’elle avait peur de ce type, et oncleBob était intervenu. Je n’aurais jamais imaginé qu’ilpuisseagirsiaveuglément,avecautantderage.

J’avançaientitubantpourvérifierlepoulsdel’acteurquej’avaisengagé.Ilétaitrapide,etje faillis m’évanouir de soulagement. J’ouvris immédiatement sa chemise pour chercher lablessure.Unepeauparfaiteetsansaucunemarquebrillasous la lumièredu lampadaire.Jenetrouvaiaucuneplaie.Pasdesangquis’écoulait.Aucunsignequecettebagarrequiavaitfailliluicoûterlavieavaiteulieu.

J’entendislavoixd’oncleBob.Ils’étaitpenchéetmurmuraàmonoreille:

—Est-cequ’ilestmort,ouest-cequejedoisluimettreunedeuxièmeballe?

Sesparolessedissipèrentlorsquejeressentisuneémotionpluspuissante.Quelquechosen’allaitpas.

JemetournaietrelevailesyeuxpourregarderoncleBob.Sonexpressionétaitsévère,etlessentimentsquis’échappaientde luiégalement.Çane lui ressemblaitpas.Cen’étaitpascommeçaqu’ilréagissaitlorsdesituationspérilleuses.C’étaitunflicexpérimenté.

Etsonodeurn’étaitpasnormale.

Même si son pull était recouvert de sang, je n’en reconnaissais pas l’odeur cuivrée sicaractéristique.En reniflant, ilmesembla reconnaitre celledes tomates.Duketchup,pourêtreexacte.Puis jecomprisquecen’étaitpas lacolèrequipuisaitdans lesveinesd’oncleBob,maisleressentiment.Etl’hommequejevenaisd’auscultern’éprouvaitaucunepeur.Nidouleuraprèss’êtrefaittirerdessus.C’étaitçaquin’allaitpas.

Jevenaisdemefairerouler.

JemepassaiunemainsurlevisageavantderegarderObie.

—Quandas-tucompris?

IltenditlamainpouraiderlerencarddeCookie-quiétaitentraindesourire-àserelever.

—Situt’arrangespourqueCookiesorteavecuntypedanslebutdemerendrejaloux,tudevraispeut-êtrecommencerparenchoisirunquiestaumoinshétéro.

Ledeuxièmetypeavecquij’avaisenvoyéCookieenrendez-vousétaitunami.Unamigay.CommentObiel’avait-ilsu?

Jemerelevaietépoussetaimeshabits.LeregarddeCookiepassaitd’oncleBobàmoi ;ellesemblaitàlafoisrassuréeetconfuse.

—Tuasremarqué?

—Oui,Charley,j’airemarqué.

—Commentsavais-tuquec’étaitunpiège?

—Jenesuispasun imbécile, tusais.Jesuis inspecteur.Etaucunedevousnepourraitmentir de façon convaincante même si votre vie en dépendait. (Il se tourna et lança unregardnoiràCookie.)Vousdevriezprendredescours,jecrois.

—Noussommesd’excellentesmenteuses,lecontredis-jepourdéfendrenotrehonneur.Etc’étaitmonidée,oncleBob.Cookienevoulaitmêmepasparticiper.

Est-cequejevenaisdeficheenl’airleschancesdeCookieavecmononcle?

—Crois-leoupas,maisj’avaisaussicomprisça.

—Comment?

—Cookienepenseraitjamaisàquelquechosed’aussitiréparlescheveux.

Jecroisailesbras.

—Jen’appréciepascetteremarque.

—Etellen’iraitjamaisengagerunacteur.

Troy,l’acteurenquestion,souritdeplusbelle.

—Commentjem’ensuissorti?demanda-t-ilàoncleBob.

—Vousavezunebellecarrièredevantvous,mongarçon.

— Hey, dit Cookie, totalement outrée elle aussi, Charley est peut-être une piètrementeuse,maisjesuisuneexperte.

—Siçavousfaitplaisirdelepenser,magrande.

— Mais comment - non, quand - vous êtes-vous ligués contre nous ? demandai-je endésignantàlafoisObieetTroy.

— J’ai demandé une injonction pour étudier tes relevés téléphoniques et trouvé sonnuméro.

J’ouvrislaboucheengrandpourluimontreràquelpointj’étaisindignée.

—C’estillégal!

—Commeàpeuprèstoutcequetufaisquotidiennement,rétorqua-t-il.Jemesuisditqu’ilfallaitteremettreàtaplacesurcecoup-ci,mapuce.C’estpourcetteraisonquej’aiappeléWynonaJakes.

—Tuveuxdirequelefauxmédiumétaitaussiunpiège?demandai-je,sichoquéequej’enétaispresquesansvoix.(Presque.)Jen’arrivepasàcroirequetupuissesmepiégercommeça.

—Alors,commentonsesentdanscescas-là?

J’enperdisdenouveaupresquelaparole.Presque.

—OncleBob,onfaisaitçapourtonbien.Tuavaisbesoind’unboncoupdepiedaucul,et

tuenasreçuun.Situl’avaissimplementinvitéeàsortir…

—Est-cequec’estuneillustrationdecettemaniequitemettoujourshorsdetoi?Tusais,quandonretournelafautepouraccuserlesvictimes?

Jefermailabouche,refusantderépondre.

Ilse tournaalorsversCookie,quiétaità la foishonteuseethumiliée.Jemerdaisgrave,parfois.J’étaistellementpersuadéequeçaallaitfonctionner.

—Ehbien?demanda-t-ilenluitendantlamain.

—Ehbien?demanda-t-elleenretour.

—Onvaprendreunverre,oupas?

Elleouvritlabouche,puislareferma.Puislarouvrit.Puis…

—Oui ! répondis-jepourelleenm’approchantdemongrincheuxd’oncle.Oui,vousallezboireunverre.

LerosemontaauxjouesdeCookie.

—Oui,allonsboireunverre,Robert.Toutdesuite,avantquetuchangesd’avis.

Sonexpression reconnaissanteme réchauffa le cœur.TandisqueCookie récupérait sonsacauprèsd’unedespersonnesquiobservaientlascène,jepassailebrasdansceluid’Obieetappuyaimatêtecontresonépaule.

—Ducoup,çaafonctionné.

Ilpinçalabouchesoussamoustachebientaillée,répugnantàl’admettre.

—Eneffet,dit-il finalement.Maisvousvousêtesvraimentdonnébeaucoupdemalpourrien.

Cookies’approcha,etjelerelâchai.

—Pour rien, répéta-t-elle en semettant sur la pointe des pieds pour l’embrasser sur lajoue.Cen’estpascequej’appellerais«rien».

OncleBob rougit jusqu’aux oreilles aumoment exact où la nausée s’empara demoi. Jedécidaiquec’étaitlàmonsignaldedépart.

AprèsqueGarrettnouseutdéposés,jemebrossailesdents,melavailevisage,etenfilaimonpyjamapréféré.Lepantalonétaitbleucielavecdespetitscamionsdepompiersunpeupartoutet,surletoprougesang,onpouvaitlire:«Lavieestcourte.Croquez-ladetoutesvosforces.»AprèsavoirdéposédeforceunbaisersurlajouedeM.Wong,j’entraidansmachambreetmeglissaisousmacouvertureBugsBunny.

Machambremeparaissaitsigrande,àprésent.Siouverte.C’étaitétrange.

J’ajustaimonoreillerjusqu’àcequ’ilaitlabonneforme,puism’allongeaiafinquelesommetdematêtereposecontrel’épauledeReyes.Ilétaitdanslamêmepositionquemoi,maisàl’envers, sur son propre lit. Nous nous regardions, nez à nez, nos respirations semélangeant.Sonodeurm’évoquaituneforêtsouslapluie.Jeportaiunemainàsonvisageetcaressaisajoue,puissabouche.

Ilm’imita,repoussamescheveux,etsuivitlecontourdemamâchoireduboutd’undoigt.

—Nevapast’imaginerquetupourrasprofiterdemoisimplementparcequ’iln’yaplusdemurentrenous.

—Oh,jen’oseraisjamais.

Ils’endormitaveclamainsurmonvisage,sachaleurs’échappantenvaguesquiroulaientsurmoi, brûlantes, etmalgré tout je n’avais pas trop chaud. Je trouvai le sommeil enmedemandantcommentc’étaitpossible.

Jesentislesoleilseleverlelendemainmatin,maiscombattisl’inclinationnaturelledemoncorps à se lever avec les poules. Il était tôt, j’en étais sûre. Je pouvais sûrement dormirencoretrenteminutesavantdevaqueràmesobligationsoud’allerfaireuntourauxtoilettespour señoritas. C’est à ce moment que je le ressentis. Cette sensation indéniable quequelqu’unétaitentraindevousobserver.Quelqu’unquiétaitassissurmonlit,respiraitmonairetenvahissaitmonespacepersonnel.

J’ouvrislesyeuxettombainezànezavecunefillette.

—Elleestréveillée!hurla-t-elle,cequimefitmeredresserd’unbond.

Unpetitgarçonentradanslachambreencourantetsautasurlelitàcôtédesasœur.

— Qu’est-ce qui est arrivé à ton mur ? demanda-t-il, ses grands yeux bruns emplisd’émerveillement.

La gamine avait à présent croisé ses petits bras et me regardait d’un œil noir, bienqu’adorable.Oh,ouais,ellesouhaitaitmamort.

—Pourquoit’asdeuxlits?demandaensuitelegarçon.(Ilrebondissaitsursesgenouxetavaitdetouteévidenceenviedesemettreàsauter.)T’asl’airplusvieillequeladernièrefoisqu’ont’avue,ajouta-t-il.Ett’aslescheveuxenpétard.

—Oh,dieuxduciel.(Unefemmeseprécipitadanslapiècepourattraperlesdeuxenfantsetlesremettresurlaterreferme.)Jesuisvraimentdésolée,Charley.

JefissigneàBiancaquecen’étaitpasgrave.Elleétaitmariéeaumeilleur-et, j’enétaisquasimentsûre,seul–amideReyes,Amador.Lesdeuxpetitsdiablesàsescôtés,dontunme regardait avec un grand sourire et l’autre me dévisageait d’un regard brûlant de millefeux,étaientleursdeuxenfants,AshleyetStephen.

Amadorentradanslapièceetacquiesçapourseconderlesexcusesdesafemme.

—Salut,Charley.J’aimebeaucoupcequetuasfaitdecetendroit.

—Merci,répondis-jeensortantdulitavantdelissermonpyjama.

Iln’yavaitvraimentriendemieuxqued’accueillirdesinvitésenpyjama.

Amadorlutl’inscriptionsurmontop,levadessourcilsamusés,puisdit:

—ReyesaparléàAshleydutu-sais-quoi.

JecontournailelitetembrassaiBianca.

—Leje-sais-quoi?

—Tusais,répondit-ilens’approchantpourm’embrasseràsontour,avantquej’attrapela

fripouillequisautaitbrasécartésàmespieds.Le…euh,laquestionsurlePost-it.

—Oh,répondis-jeenregardantAshley.

—Non,‘jita,ditBiancaens’agenouillantpourdévisagersévèrementsafille.Onneregardepaslesgensdecettemanière.C’estmalpoli.

Reyesentra,deuxtassesdecaféàlamainetuneexpressionespièglesurlevisage.

Amadorletapadansledos.

— Non, c’est vrai, dit-il en observant la chambre. J’aime le mélange des cultures, laséparationnetteentrelesdeux:àlafoisminimalisteet,ehbien,pasminimaliste.

—Oh, dieux du ciel, fit Bianca. Tu ne seras jamais engagé à l’Architectural Digest si tun’apprendspas le jargon.(Elleobserva lapièceàsontourethocha la tête.)Minimalisteetluxueux.

Jerisdoucement.

—Çameplait.

Elle me prit Stephen des bras afin que je puisse attraper le café que Reyes m’avaitapporté.Elledevaitmeconnaitremieuxquejelepensais.

—Onpeutfairelamêmechoseavecnoslits,maman?demandaStephen.S’ilteplaaaaait?

Jecachaimonamusementderrièrematasseetprisunegorgée.Puisjeréprimaiunfrissondedélice.

—Est-cequetuvasdireoui?medemandaAshleysuruntonaccusateur.

Salèvreinférieuretremblaitlorsquejemepenchaiàsahauteur.

—Jesuisencoreentraind’yréfléchir.Jedevraisrépondrequoi,àtonavis?

—Jepensequetudevraisdirenon.Tuestropvieillepourlui,detoutefaçon.

—J’ail’aird’avoirquelâge?

—Jesuisvraimentdésolée,ditBianca,dontlesourireétaitdevenunerveux.

—C’estàtoi?

Ashleydésignaunepetitepoupéeconfectionnéeavecdescordelettes.Masœur,Gemma,mel’avaitoffertequandonétaitenfant.

—Eneffet.

Jel’attrapaitandisqueReyesetAmadordiscutaientdesmeilleursaspectsdeladécorationdeReyes, ou de leurmanque flagrant.De toute évidence,mon côté faisait de l’ombre ausien, et Amador se sentait mal pour son ami. Il ne faudrait pas long à mes affaires pourenvahirsonespace,de routemanière.Lepauvre.Maisc’était luiquiavaitabattu lemur. Ilavaitditadieuàsaseuleprotection.

—Elleteplait?demandai-jeàAshley.

Peut-être que je pourrais acheter son affection à l’aide de pots-de-vin. Je n’avais riencontrelespots-de-vin.

—Jecrois.

—J’aideuxmotsàtedire,pendejo,ditAmadoràReyes.Billardaméricain.

Reyessemitàsourire,etAmadoretluiserendirentàsaluxueusetabledebillarddanslapièce d’à côté. C’était une bonne chose qu’il connaisse la propriétaire de l’immeuble. Lesvoisinsappréciaientrarementlebruitqueproduisaientlestablesdebillardtôtmatin.

Avoir lesamisdeReyesà lamaisonétaitagréable.Saviedevenaitpetitàpetitnormale.Enfin,aussinormalequ’elleleseraitjamais.Jenepouvaispasnonplusdirequ’ellerevenait:la normale, puisque, de ce que j’en savais, il n’avait jamais eu quelque chose qui yressemblait.Jel’étudiaienmedemandantcequeluiconsidéreraitcommenormal.Est-cequec’étaitune familleavec2,5enfants? Ilavaitétéunprince.Ungénéralenenfer.Unenfantmaltraité.Unprisonnier.Est-cequ’ilpourraits’ajusteràcequeleshumainsappelaientnormal?

Jem’assissurlelitettapotaisurlematelasàcôtédemoi.Ashleygrimpaetpritlapoupéepourl’étudier.

—EtsijedisaisouiàReyes?Tuseraistrèsencolère?

Ellehaussalesépaules.

—Unpeu.

—Parcequ’ilestcensét’épouser?

—Oui.Ilapromis.

—Bon, et si je ne le gardais qu’unpetitmoment ?Et quand tu serasgrandeet que tuserasaussibellequetamère,tupourrasdécidersituastoujoursenviedequelqu’und’aussivieuxetgrincheuxqueReyesFarrow.

Ellesourit.

—Ilseratoujourssuperbeau.

Elleavaitraisonsurtoutelaligne.

—C’estvrai.

—Lesgarçonsnepeuventpasêtrebeaux,ditStephen,quigigotaitdans lesbrasdesamère.

Ellelereposaparterre,et il filaaussitôtpourvoircequeleshommesétaiententraindefaire.

—Biensûrquesi!luicriai-je.

Biancaritetvints’asseoiràcôtédesafille.

—Parfois,Dieunousdonnequelquechosed’encoremieuxquecequenousvoulions.Tudoisavoirconfianceenlui,iltedonneraquelqu’und’aussibeauqu’oncleReyes.

Elleregardasamère,perplexe.

—Personnen’estaussibeauqu’oncleReyes.

Et un autre sans fautes pour la demoiselle à la robe rose. Elle était douée. Je risquais

d’avoirunesacréecompétitionquandelleseraitplusgrande.

AprèsunelongueetinfructueusediscussionavecAshley,jeprisunedoucherapide,revêtismes plus beaux vêtements de détective privée, puis attendis quema voisineme rende savisitematinale.

J’attendis.

Etattendis.

Jerefisducafé,disaurevoiràlafamilleSanchez,etattendisunpeuplus.

—Tut’inquiètespourelle,observaReyesenprenantunetassedemoncôtéduterraindejeu.

Il était beau, de mon côté. Il avait revêtu un jean, un tee-shirt blanc et ses bottes demotard.Sescheveuxsombres,encorehumidesaprèssapropredouche,bouclaientsursonfront et autour des oreilles. Je mourais d’envie de les remettre en place, mais ce n’étaitqu’uneexcusepourletoucher.

Cookie était officiellement très en retard. Il était presque8 heures.Elle passait toujoursverssixheuresetdemie.Septheuresaupire,etAmberauraitdûêtreàl’écoledepuisbiencinqsecondes.

—Passe voir comment elle va, ditReyes en retournant dans son appartement. Je doisallerm’occuperd’unelivraison.

—Attendsuneseconde,luidis-je,letonlégèrementtranchant.

Ilseretourna,unsourcilhausséenguisedequestion.

—C’estmatassequetutiens,là,mister.

Sesfossettesréapparurenttandisqu’ilrevenaitversmoi.

—Jet’endonne1dollar.

—C’estmatassepréférée.

Il s’approcha jusqu’à cequesaboucheeffleuremonoreille et quesa chaleurbaignemapeau.

—Deuxdollars.

—Jel’aidepuisquejesuisgosse.

Aprèsyavoirjetéunbrefcoupd’œil,ildemanda:

—Tatasseavaitpréditqu’ilyauraitunesériedunomdeDowntownAbbey?

—DowntownAbbeypourraittoutàfaitêtreunvraiendroitenAngleterre.

—Ilyalelogodelasérie.

—Çapourraitêtrelelogodelamaison.Genresesarmoiries.Laséries’enestserviepourlecôtéauthentique.

—Etunephotodesacteurs.

—Elleestdemauvaisequalité,çapourraitêtren’importequi.

Ilreposalatasseetsepenchasurlecomptoir,plaçantsesmainsautourdemoi.

—Pourquoitunemedispasplutôtcequetuveuxvraiment?

—Tabouchesurlamienne,dis-jeavantdepouvoirm’enempêcher.

Ilnemelaissapasletempsdemerétracteretm’embrassa.

— Je suis en retard ! s’exclama Cookie en se ruant dans l’appartement, les habits detraversetlescheveuxunpeuplusenpétardqued’habitude.

Elleseprécipitaversnous,pritmatasseetlavidaentroisgorgées.Lecaféétaitencorechaud,doncj’étaisplutôtimpressionnée.

Puiselleremarquaquejeportaisuncostumeenpeaudemâlebiengaulé.

—Oh,salut,Reyes.

Ellerecula.

—Jesuisenretard!ditAmberensuivantlespasdesamère.

Sescheveuxétaientemmêlés,elleavaitdesmarquesd’oreillersurlevisageetelleportaitdeshabitsquin’allaientpasensemble.

—Oh,monDieu,dis-jeàCookie.Tudéteinssurtafille.

ReyesseredressalorsqueAmberposalesyeuxsurlui.Elleluiadressaungrandsourire.

—Salut,tanteCharley,dit-ellesansquitterReyesdesyeux.Salut,Reyes.

—C’estM.Farrowpour toi,ditCookieenremarquantàquelpointAmberétait fascinée.Vacherchertonsac.Jetedéposeavantd’allerautravail.

Amberbaissalatête.

—D’accord.

Lorsqu’ellefutpartie,jedemandai:

—Ellenet’atoujoursriendit?

—Non.

—Ellelefera,magrande.JeconnaisAmber.Çavalarongerdel’intérieur.

Cookieacquiesça,mais,avantqu’elleneparte,jedemandai:

—Commentétaittasoirée?

Unroseadorableluimontaauxjoues.

—Acepoint,hein?

—C’était…

Elleréfléchitprécautionneusementauxmotsqu’elleallaitutiliser.

—…trèsbien.

—J’ensuis ravie.Vousn’auriezpas,parhasard,concluou jesaispasquoi?Parceque

c’estmal.C’estmononcle,Cook.Commentjeferaispourteregarderenface?

Elleseretournaetmelançapar-dessussonépaule:

—Jen’enparleraipasavectoipourlemoment.

—OK,maisçaveutdirequej’auraibesoindedétailsplustard.Tuvasrougir.

Reyesricana.Nousrestâmeslàoùnousétionsettrainâmesaussilongtempsquepossiblepourparler.Toutsimplement.Nousévoquâmeslefaitqu’Amadorétaittrèsmauvaisperdant,parlâmes d’Ashley, qui voulait réellement que Reyes l’attende, de la manière dont Cookieavaitrougietdel’admirationsansbornesqu’Amberluivouait.C’étaittrèsagréable.Tout,cematin-là,étaittrèsagréable.

Jesavaisquec’étaittropbeaupourdurer.Mesquarante-huitheurestouchaientàleurfinetjen’avaistoujourspaslamoindreidéedel’endroitoùsetrouvaitlapetiteamiedePhillip.Pasque jecomptais la livrerauxméchants,mais j’avaisbesoindeparlerà l’agentCarson.Deluifairepartdemesdernièresdécouvertesetdemondernierplanendate.Quiallaittrèscertainementfonctionner.Qu’est-cequipourraitmalsepasser?

Aussi,aprèsunmerveilleuxmatinavecmonmec, jeprisconsciencequ’onn’arrêtepas letemps qui passe. J’appelai l’agentCarson sur le trajet jusqu’au bureau. Je ne pouvais pasencore lui dire ce que Phillip Brinkmanm’avait révélé. J’avais besoin de parler à sa petiteamieenpremier lieupouravoirsaversiondesfaits.SiCarsonlaissait tout tomberàcaused’Emily, les Mendoza sauraient que Brinkman essayait de les entuber. Il n’y aurait plusd’issue.

J’étais fascinée par le fait qu’il préférait encore aller en prison plutôt que se retournercontre eux.Ça laissait bien présager le type d’individus qu’étaient lesMendoza, et que cen’étaitpasdesgensàquionsefrottaitsanssepiquer.

Maisbon, j’aimaisbienme frotterauxgens.C’étaitmondeuxièmenom.CharlotteFrott-frottDavidson.J’attendaispapaMendozadepiedferme.J’étaisprête.Et j’avaisuneentitésurnaturelleformidablequipourraitluisectionnerlamoelleépinièreenunclind’œil,sionenarrivaitlà.Doncvoilà.

—Carson,dit-elleenrépondant.

Çameplaisait.C’étaitclair.Concis.Çaallaitdroitaubut.

Jedécidaid’essayerégalement.

—Davidson.

Unprofondsoupirmeparvint.

—Charley,c’estvousquim’appelez.Vousnepouvezpasjustedire«Davidson».

—Vousêtesquoi,lapolicedelasalutationtéléphonique?

—Qu’est-cequevousavezpourmoi?

—Jen’ai rienpourvous,dis-jeencommençantàpaniquer.Est-cequ’onenestdéjàaupointoùons’échangedesbraceletsdel’amitié?Jepeuxtoutàfaitallerenacheterundèsmaintenant.

—Qu’est-cequevousavez?répéta-t-elle.

—J’aieudeschlamydiae,unefois.Dieusoitlouépourlesantibiotiques.

— Vous avez parlé à Brinkman ? Qu’est-ce que vous avez appris ? Vous avez desnouvellesdeseshommes?Est-cequ’ilsvousontdenouveaumenacée?

Elleétaittellementsérieuse.

—Oui,j’aiparléàBrinkman,etnon,ilsnem’ontpasmenacéedepuisladernièrefois.J’aibesoin d’un peu plus de temps.Et il faut que je parle à la petite amie deBrinkman,EmilyMichaels.

—Charley,jevousaidéjàditquecen’étaitpaspossible.

—Vous vous souvenez des deux - non, trois - dernières affaires que j’ai résolues pourvous?Oùestpasséevotreconfianceenmoi?

—Je vous fais confiance demanière implicite.Mais les hommesqui en ont aprèsEmilyMichaels,eux,n’ensontpasdignes.Et,quoiqu’ilensoit,jenevousdiraipasoùlatrouver.

—Danscecas,vouspourriezorganiserunerencontre?

Aprèsunlongmoment,elledit:

—Siçaaidel’affaire,jepeuxessayer.Ilfaudramelaisserquelquesjours.

—Jen’aiquequelquesheures.J’aibesoindelavoirtoutdesuite.

Elleplaquaunemainsurlecombiné,etjenepusqu’imaginerlesjuronsquiluiéchappaient.

—Donnez-moitrenteminutes.Jevaisvoirsijesuisenmesuredefaireunmiracle.

—J’aiunefoitotaleenvous,dis-je,euphotique.

Une foisque j’aurai laversiond’Emily,peut-êtreque j’arriveraià la raisonner,puisqueçan’avait pas fonctionnéavecsonpetit ami. Il était toutbonnement inadmissiblequ’il ailleenprisonpourunmeurtrequin’avaitjamaiseulieu.Ilpurgeraitpeut-êtreunepetitepeinepourblanchimentd’argent,maisjelaisseraisçaaubonvouloirdeCarson.

JemedirigeaisverslerestaurantpourallerprendrelepetitdéjeunerlorsqueCookiearriva.Ellesemblaitanéantie.Nousnousassîmesdansuncoinafindepouvoirparler,mêmes’iln’yavaitpersonne.L’endroitn’ouvraitpasavant11heures,etiln’étaitmêmepas9heures.

Danslamesureoùaucundesserveursn’étaitencorearrivé,onsefitservirparuncuisiniertrèssexydontlesfossettessemblèrentcalmerunpeuCookie.

—Ellem’a tout avouéquand je l’ai emmenéeà l’école, dit-elle, le cœur serré. L’incidentavecQuentinluiavraimentfaitpeur.

—Moiaussiilm’afaitpeur,répondis-jeentouillantmoncafé.

— Je crois que je nem’étais pas rendu compte à quel point c’était sérieux. J’étais tropénervéequ’ellesèchelescourscommeça.

—Çam’aaussiunpeusurprise,maisilss’apprécientvraiment.Çam’inquièteunpeu.

—Pourquoi?demanda-t-elle,surprise.Quentinestungarçonadorable.

—Etilaquatreansdeplusqu’elle.

—Trois.Amberauratreizeanslasemaineprochaine.(Ellesecoualatête.)C’esttellementduràcroire.Ellegranditsivite.

—Çam’étonnequandmêmequeçanet’inquiètepasplus.

—Jesaisqueçadevrait.Ilesttropvieuxpourelle,maistuasvumafille?

Amusée,jerépondis:

—Elleestcanon,jesais.C’estprécisémentlaraisonpourlaquelleçam’inquiète.

—Oui,mais, encoreune fois,Quentin estmerveilleux,Charley. Jen’ai jamais vuAmberavoiruntelbéguin.ApartquandellevoitReyes.

—Ellelesaimedéfinitivementplusâgés,hein?EnparlantdeQuentin,qu’as-tudécouvertsurlafilledutéléphérique?Miranda.Tuasquelquechose?

Elleregardaaufonddesatasseetpritunegorgéeavantderépondre.

— Je voulais te le dire.Mais on a été tellement occupées. J’ai laissé le dossier sur tonbureau.

Monintérêtfutpiquéauvif.

—Alors?

—On dirait bien qu’elle a eu une vie très difficile, Charley. Il n’y avait pas beaucoup dedétailsdansledossier,maisj’airéussiàmettrelamainsurdescopiesdurapportd’autopsie,del’enquêtesursadisparitionetlaretranscriptionduprocèsdesamère.

—Oùestsamèreactuellement?

—ElleestdanslaprisonpourfemmesendehorsdeSantaFe.

Jehochailatête,perduedansmespensées.

—Ondiraitbienque jevais faireunsautàSantaFebientôt.Est-cequ’ilsontdonné lacausedudécès?

Cookrepritunegorgée.

—Ilsontditquec’étaitvraisemblablementen raisond’uneblessureà la tête. Ilsne l’ontretrouvéequ’unmoisplustard,donclacauseexacteétaitdifficileàétablir.

Dans lamesureoùCookieavaitautantenviedeparlerdudossierdeMirandaquedesefairearracherlesonglesavecunepince,jerevinsàAmber.

—Jesuiscontentequetapetitefrappet’aitavouélavérité.

Cookierelâchalatassequ’elletenaitnerveusement.

—Moi aussi.Elleétait plus inquiètede lamanièredont je réagiraisparcequ’ellem’avaitmentiqueparcequ’elleavaitséchélescourspourfileravecungarçon.

—Jetel’avaisbiendit,fis-jeenluiadressantunclind’œil.Jesavaisqueçaallaitlarongerdel’intérieur.

—Ouais,j’aifaitcommesiellevenaitdemebriserlecœuretquejeneseraisplusjamaislamême.

—Etelleamorduàl’hameçon?

—Ellen’enafaitqu’unebouchée.

Chapitre19

Tucroisàl’amouraupremierregard,

ouilfautquejerepassedevanttoi?

Tee-shirt

Reyesentradanslerestaurantaprèsenavoirterminéavecsalivraison,unefemmesurlestalons. Une femme au visage très familier. Avec une démarche et une expressiondéterminées. A l’instant où ses yeux se posèrent surmoi, je plongeai sous la table etmecachaiderrièrelesjambesdeCookie.

—Dis-luiquejenesuispaslà!

Cookietoussota,puisregardapartoutautourdemanièrefrénétique.

—Quoi?Pourquoi?Qui?

—MmeGarza.Dis-luiquejenesuispaslà.

—Ellet’adéjàvue,répondit-elleentresesdentsserrées.Ellevientdansnotredirection.

—Faissemblantquejemesuisévanouieetappelleuneambulance.

—Jen’appelleraipasd’ambulancepourtecouvrir.

—Non,sérieusement,çavafonctionner.

—Charley,ilsontdeschosesplusimportantesàfairedeleurtempsque…

—Jevousvois,MadameDavidson.

J’arrivaiàapercevoirMmeGarzadepuismacachette,moiaussi.Mêmesicen’étaitquesamoitié inférieure. Elle avait un sac d’enfer sur l’épaule droite, turquoise avec une tête defemme peinte dans le styleDia deMuertos et, si je ne me trompais pas, elle portait unemagnifique paire de bottes très coûteuses. Et elle en tapait une sur le sol de manièreimpatiente.

Cette femmeavait vraimentdeshabitsgéniaux.Enfin, je les finançais trèsprobablementgrâceà son fils, qui n’était autrequemonemployé,Ange.Elleavait comprisdernièrementquec’étaitmoiqui luienvoyaisde l’argent tous lesmoisetelleavait insistépourque je luidisecequisepassait,que je luiexpliquepourquoi jedéposais500dollarssursoncomptetous les mois. Ça, c’était jusqu’à ce qu’Ange me fasse du chantage pour obtenir uneaugmentation.Maintenant,ilgagnaitlacoquettesommede750dollars,etillesvalait.

MaisAngenevoulaitpasqu’elleapprennelavérité.Ilétaitsicatégoriquesurcepointquejenepouvaisquesuivresondésir.Cependant,iln’avaitpastenucomptedufaitquesamèreétait intelligente.Elleavait comprisqu’il n’yavaitpasd’oncleà la secondeoùAngeetmoi

avions trouvé l’excuse. Qu’est-ce que jamais pu dire d’autre ? Il refusait qu’elle soit aucourant,peuimportaientlescirconstances.

Il disait que c’était parce que samort l’avait anéantie et qu’il ne voulait pas qu’elle ait àtraverser ces émotions de nouveau, mais elle semblait gérer l’éventualité d’une autreexplicationbienmieuxque lui.Sepouvait-ilquequelquechosed’autresecachederrière laréticence d’Ange ? Je m’étais souvent posé la question depuis la première fois que MmeGarza était venuedansmonbureau, deux semaines auparavant.Elle neme laisserait pasrepousser l’inévitable beaucoup plus longtemps. Je le comprenais bien à sa détermination.Ellevoulaitdesréponses.Desréponsesquejenepouvaisluidonnerqu’entrahissantAnge.

Elleeneutfinalementmarred’attendreetsepenchapourmeregardersouslatable.

—Jenepartiraipasavantquevousmeparliez.

Jegrimaçai,prise lamaindanslesac,puismeredressaid’entre les jambesdeCookieenmedemandantàquoicegestepouvaitbienressemblervudel’extérieur.

—Oh,bonjourMadameGarza!Jenevousavaispasvue.

Aprèsavoircroisélesbrasdemanièretrèslente,elledit:

—Vousavezenvoyéplusd’argentcemois-ci.

—C’estvrai,euh,l’héritagedevotreoncleétaitplusimportantquecequ’onnousavaitditaudépart.

—Ilaaugmentécommeparmagie?

C’était vraiment une femme magnifique. Même à cinquante ans, elle avait un corpsincroyableetdescheveuxfantastiques.Ajoutezàcelasonaccentespagnoltrèsprononcéetsavoixprofonde,etc’étaitexactementcequeGarrettauraitappeléunvraicanon.

—Ehbien,ilaaugmenté.Étrange,hein?

—C’estvrai,ditCookieenacquiesçant.Vraimentétrange.Quelletanteexcentriquevousaviez.

—Oncle,lacorrigeai-je.

—Oncle.Tante,dit-elleenessayantdesauverlecoup.Jecroisqu’ilétaitdugénieàaimers’habillerenfemme.

Pasmal.

MmeGarzas’assitsurlabanquetteavecnous.

—Jenesuispasvenuepourcréerdesproblèmes,MadameDavidson.

Çaallaitmalseterminer.

—Appelez-moiCharley,luidis-je.Etvoicimonassistante,Cookie.

Elleclignadesyeuxenlaregardant.

—VotreprénomestCookie?demanda-t-elle.

Personne n’avait jamais remis ça en question,mais elle n’avait pas tort. C’était un nométrange.Etpourtantilluiallaitsibien.

—Eh,oui.

Elletenditlamain,etMmeGarzalaluiserra.

—Moi,c’estEvangeline.

—Oh,onsait,ditCookie.Onémetunchèquetous…

—Alors, l’interrompis-je avant qu’elle n’en dise trop. Qu’est-ce qui vous amène dans lequartier?

—Vous.Cetargent.Ceríodetuimaginación.

Ça,c’étaitinjuste.

—J’aiplusieursamisimaginaires,lacontrai-je,maismononcleestbienréel.

—Non,mononcle.

—Votreonclesaitquevouspensezqu’iln’existepas?

Et, alors que je pensais qu’elle allait s’énerver suffisamment pour partir en claquant laporte,ellemesupplia.

—J’aijustequelquesquestions.Pourlui.PourAngel,dit-elle,àl’espagnole.

—Jeneconnaispersonnequis’appelleAngel,répondis-jeenimitantsaprononciation.

Cookie secoua également la tête, totalement confondue. Elle devenait vraiment douée.Bon, bien sûr, elle n’était pas en train dementir. Elle n’avait jamais vuma petite racaille,mêmesi je la lui avaisdécriteplusieurs fois.Elleavait toujourssemblé impressionnée.Elleadoraitlesgosses.Moiaussi.Engénéral.

Evangelinelevaunemain.

—Épargnez-moivossornettes.Jesaisquivousêtes.Jesaiscedontvousêtescapable.

J’attendaisque lesujetdenotreconversationapparaisse. Ildonnait toujours l’impressiondesentirquandsamèreétaitdanslesparages.Mêmesij’avaisenviedetoutluirévéler,delui dire à quel point Ange était un gosse extra et qu’il se portait on ne pouvaitmieux, cedernierétaitsicontraireàl’idéequejenesavaisvraimentpasquoifaire.

—Charley,dit-elleensepenchantdansmadirection,j’insiste.

Peut-être que je pourrais juste lui expliquer pourquoi je ne pouvais pas lui dire. Bon, çareviendrait à confirmer ses soupçons,mais j’avais l’impressiond’être faceàunpitbull avecune pelucheWinnie l’ourson. Pasmoyen qu’elle lâche l’affaire avant que tout soit déballé,tripesenpolyesterettoutletintouin.

Iln’yavaitqu’unendroitoù«Angel»n’avaitpasledroitd’aller.

—Suivez-moi, dis-jeàMmeGarzaenm’extrayantde labanquettepour la conduireauxtoilettespourfemmes.

—Est-cequ’ilestlà?demanda-t-elle.

—Non,c’estpourçaquenous,oui.Iln’aplusledroitdevenirici.

Ellesefigea.Jevenaisdeconfirmertoussessoupçons.Toussesespoirs.Quinevoudraitpasêtreenmesuredeparleràsonenfantdisparu?Jenepouvaisimaginercequ’elleavait

enduré quand Ange était mort. Il m’avait dit qu’elle avait été anéantie. C’étaitcompréhensible.Maispenseràl’agoniequ’elleavaitdûsouffrirmecomprimaitlecœurtandisquej’observaissonvisage.Chaqueémotions’yreflétait.

—Donccequetoutlemonderaconteestvrai.

—Jen’iraispasjusque-là.Cettehistoireavecl’équiped’échecétaitungrandmalentendu.

Çanelafitpasrire.Elleétaitperduedanssespensées.Danssesespoirset,toutaufondd’elle-même,danssespeurs.

—Vouspouvezparlerauxmorts.

—Jepeux,maisseulementquand ilsenontenvie,pour laplupart.Evangeline,dis-jeenayant parfaitement conscience que j’allais regretter tout ce que j’étais sur le point de luirévéler parce qu’Ange allait me tuer. Il ne veut pas que vous sachiez qu’il est… toujoursauprèsdenous.

Elleserecouvrit labouched’unemainparfaitementmanucurée,puiselles’appuyacontreun lavabo, sûrement par crainte que ses jambes la lâchent. Je la laissai absorber le choc,retourner tout çadanssonesprit et faire le tri danssespensées.Aprèsun longmoment,elledemanda:

—Pourquoi…?(Savoixpartitdans lesaigus.Elledéglutitet reprit.)Pourquoineveut-ilpasquejesoisaucourant?

—Ilapeurquevoussouffriezdenouveau.

—De nouveau ? Ça n’a jamais arrêté. Est-ce qu’il va bien ? ajouta-t-elle au bout d’unmoment.

Je gardai le silence un instant, ne voulant pas lui donner plus d’informations quenécessaire.

—Oui, ilvabien.Mais,commejevousl’aidit, ilestvraimentopposéàl’idéequejevousparledetoutça.S’illedécouvre,ilseratrèsencolèrecontremoi.

Ellerelevalementon.

—C’estmondroitdedemanderaprèslui,MadameDavidson.

—Etjesuistoutàfaitd’accord.Leproblèmenevientpasdemoi,Evangeline.Jenesaispaspourquoiil…

Avant que je puisse finir, une jeune voix masculine flotta jusqu’à mes oreilles, d’un toncalmeetcalculateur.

—Dis-moiquetunevienspasdefairecequejecroisquetuviensdefaire.

Il apparutde l’autre côtédes toilettespour femmes. Jenesavaispasquoidire.Si je luirépondais,Evangelinesauraitqu’ilétaitavecnous. Ilseprécipitasurmoi, totalement livide,et me serra la gorge, me précipitant ainsi contre le mur. Le distributeur de serviettes enpapiermerentradansledos,maisjelaissaiAngepassersacolèresurmoi.C’étaitlégitime.Jeluiavaisfaitunepromesse.Juréquejenediraisrien.Jamais.

—Dis-moiquetuneluiaspasparlédemoi.

Evangelineditquelquechose,maissesparolessenoyèrentdansleflotdesangquibattait

àmesoreilles.Angeétaitfurieux,etdemanièreincontrôlable.

Jesentis laprésencedeReyes,mais iln’apparutpasenunéclairde ragecomme j’avaispeurqu’illefasse.Ilserévélaprogressivement,lentement,demanièreméthodique.

Dangereusement.

J’ignorais totalement ce qu’il pouvait faire àAnge, et je n’avais pas vraiment envie de ledécouvrir.

Jeplaçaiunemainsurcellequ’ilavaitserréeautourdemoncouetdisdoucement:

— Je sais que tu es en colère, mon grand. Mais elle avait tout compris toute seule.Commejet’avaisditqu’elleleferait.

Reyesserapprochaetjelevailebras,lesuppliantsilencieusementdenepass’enprendreàAnge.

Cedernierlesentit.Iljetaunregardsurlecôté,serraunedernièrefoismoncou,puismerelâcha,seretournaetlaissasacolèreleconsommer.

—Jevaisbien,dis-jepourapaiserReyes.

Maisilrestalàoùilsetrouvait,flottantdemanièreincorporelleprèsdemoi.

Evangelinecontinuaitàm’observer,légèrementpaniquée.

Jememassailagorgeetsecouailatête.

—Jevaisbien.J’aijusteavalédetravers.

—Arrêtezdemementir,MadameDavidson,s’ilvousplait.

Je baissai la tête, pris plusieurs profondes inspirations, puis me concentrai sur Ange. Iln’avaitjamaislevélamainsurmoidepuisquejeleconnaissais.Jamais.

À présent que j’avais été prise la main dans le sac, je n’allais plus faire semblant.J’assumerais l’entière responsabilitédemesactes,mais je refusaisqu’onme traite commeça.

—Pourquoineveux-tuàcepointpasqu’ellelesache?luidemandai-je.Qu’est-cequisepasse,bonsang,Ange?

—MonAngel?demandaEvangeline,l’espoirfaisantbrillersesyeux.Est-cequ’ilestlà?

—Dis-luiquenon,répondit-ilenmeregardantd’unœilnoir.Dis-luiquesonfilsn’estpaslà.Ilnel’ajamaisété.

—Jeneferaipasça.Elleestdéjàaucourant.(Jem’approchaidelui.)Elleestintelligente,monange,commetumel’avaisdit.

—Trop intelligente, répondit-ilen faisant roulersesmâchoiresdecolère.Elleva finirparcomprendre.

—Quetueslà?

Jeposaiunemainsursonépauletandisqu’Evangelineportaitlessiennesàsoncœur.

Le regard qu’Angeme jeta était si toxique, empli de tant de hargne quemes poumonss’écroulèrentsoussonpoids.

—Quejenesuispassonfils.

Ce fut à mon tour d’être surprise. Son aveu venait de me couper le souffle. Je restaiimmobile,essayantdecomprendrelesimplicationsdecequ’ilvenaitdedire.

—Dequoiparles-tu?demandai-jefinalement.Danscecas,quies-tu?

Jesentiscequ’ilvoulaitfaireàl’instantoùlapenséeluitraversal’esprit.Ilallaittenterdedisparaitre. Jen’auraisqu’à l’invoquerpourqu’il revienne,mais il n’allait pass’ensortir à siboncompte.Jeluiattrapailebrasavantqu’iln’aitletempsdepasseràl’acte.

Iltentadesedéfairedemonemprise,maisjetinsbonetdemandai:

—Dequoiparles-tu?

Ilsemblasoudainembarrassé,commes’ilavaitétépris lamaindans lesacàson tour. Ilmitlongtempsàrépondre,maisj’attendis,plutôtimpatiente,refusantdelelaissers’entirersifacilement.

—MondeuxièmenomestAngel.Leprénomdeson filsétaitAngel,etonavait tous lesdeux lemême nom de famille : Garza. On a pris ça comme le signe qu’on aurait dû êtrefrères. Je l’aimais plus que n’importe qui. Je vivais dans le refuge avec les autres exclus.(Lorsqu’il releva lesyeuxdansmadirection, ladouleurdanssonregardmebroya lecœur.)Avectouslesautresenfantsdontlesparentsnevoulaientpas.MmeGarzaétaittoujourssigentilleavecmoi.Onfaisaitsemblantqu’elleétaitmamèreàmoiaussi.J’adoraisêtrechezeux.J’adoraisqu’ellemeregardecommesi jen’étaisqu’ungosseordinaire.Pascommeunde ceux qui venaient du refuge. (Il se détourna.) Comment tu crois qu’elleme regarderaitmaintenantsiellesavaitquec’estmoiquiaituésonfils?

Malgrémonenviedenepasaffichermespensées,j’ouvrislaboucheengrand.Evangelinevoulaitme demander ce qui était en train de se passer,mais elle avait compris qu’il valaitmieuxrestersilencieusepourl’instant.

—Ange,ques’est-ilpassécesoir-là?

Ilenfonçalesmainsdanssespoches.

— On a commencé à se battre avec un groupe de garçons du quartier à propos decornetsdeglace.Angel,l’autreAngel,voulaitleurfairepeur.Ilapiquélavoituredesamèreetleflinguequ’ellegardaitsoussonmatelasetonestpartisàleurrecherche.C’estmoiquiconduisais.J’étaismeilleurconducteurquelui.Quandonlesatrouvés,ilacommencéàtirer,maisilyavaitdesgosses.Desgamins.Jeluiaiditd’arrêter,ilnem’apasécouté.Oupeut-êtrequ’ilnem’apasentendu. Iln’essayaitpasvraimentde les toucher. Il voulait juste leurfilerlapétoche,maisj’avaispeurqu’iltireaccidentellementsurungosse.Alorsj’aiprovoquévolontairementunaccident.Jetouchailaplaiesursapoitrine.

—C’estuneblessureparballe,dis-jetoutenessayantdecomprendre.

Ilm’avaitracontédesannéesauparavantqu’ilssebattaientpourrécupérerl’armeetquelecoup était parti. Il ne m’avait jamais dit que l’autre gosse était également mort. Et il nem’avaitdéfinitivementpasditqu’ilétaitl’autregosseenquestion.

—Non.J’aiétéprojetéhorsde lavoitureet j’aiatterrisurquelquechosedepointu,unedecesbarresmétalliques,là.MaisAngelestmort,luiaussi.Jenepensaispasqueceseraitaussigrave.Jecroyaisquel’accidentnousfileraitdesbleusouuntrucdugenre.Jenousai

tuéstouslesdeux.J’aituémonfrère.

—Est-cequ’ilesttoujourslà,commetoi?

—Non. Il a traverséà l’instantoù il estmort. Il est allédroit auparadis. Je l’ai regardépartirenmedisantque j’iraisenenferpuisque je l’avais tué,mais jesuisresté làoù j’étais.J’étaissipauméetsiseuljusqu’àcequetuarrives.

Jemecouvrislabouchedelamain.

—Ange.

—Etaprès,jemesuisditquejepourraisessayerdemeracheterauprèsdesamère.J’aipenséque,situmeproposaisduboulot,jepourraisl’aider.

—Donctoutescestantesetcesoncles,etcescousinsdonttumeparles…

—Ce sont les siens. Pas lesmiens. Je n’en ai jamais eu. Je voulais justeme racheterauprèsd’elle.Auprèsd’eux.

Moncœursebrisaenmillemorceaux. Ilétaitmortenessayantdefaireunechosejuste,etlaculpabilitélerongeaitdepuislors.

—Quelesttonvraiprénom?

—Juan.JuanitoAngelGarza.Ange.

Je le pris dans mes bras. Il n’avait pas envie que je le fasse. Il ne voulait pas de monpardon.Mais,aprèsunmoment, il se laissaalleret semitàpleurer, lesépaules tremblantlégèrement.

Ensemble,nousrévélâmestoutelavéritéàEvangeline.

—Votrefilsestauparadis,làoùestsaplace,luidis-je,craignantqu’ellem’enveuilleparcequ’ellevoulaitjusteluiparler.

Mais elle ne s’en offusqua pas le moins du monde. Son visage s’illumina au bout d’unmoment.

—S’ilvousplait,dites-luiquejeneluienaijamaisvoulu.Jeconnaissaismonfils,Juanito,dit-elle, lesyeuxbrillantsd’émotion.Neva jamais t’imaginerquec’était ta faute.Onsaitcequetuasfait.Onsaitquetuessayaisdefairecequiétaitjuste.

Angeplaçaunemainsursesyeux.

—Ange?demandai-je.Ilyaquelquechosequetuasenviedeluidire?

—J’aitoujourssouhaitéqu’ellesoitmamère.

Jetransmislemessage,quifutacceptéàgrandrenfortdelarmesetdejoie.

—Etj’aitoujoursvouluquetusoismonfils,luirépondit-elle.

J’auraisplusque jamaissouhaitéque lesdéfuntset lesvivantspuissentse toucher.Cesdeux-làavaientbesoindeseserrerdanslesbras.Jefislaseulechosequis’enapprochaitetlesattiraitouslesdeuxcontremoi.

—J’étaisvenupouruneraisonparticulière,ditAngelorsqueEvangelinefutpartie.

Même après tout ce qui venait de se passer, j’avais l’impression qu’il était encoremal àl’aise.

—Tuveuxquejecontinueàt’appelerAnge?demandai-je.

Ilacquiesça.

—C’étaitmonsurnom,demonvivant.

—OK.Pourquoiétais-tuvenu?

—J’ai trouvé taMarikaetsongosse. IlssontauTargetquise trouveaucroisementdeLomasetEubank,entraind’acheterdescouches.

—Oh,répondis-jeavantderegardermamontre.Trèsbien,ilssontencorelà-bas?

—Ouais,ilssontarrivésilyaquelquesminutes.Elleavaitdescoursesàfaire.

Lesdéfuntsn’avaientpas toujoursune trèsbonnenotiondu temps,aussiespérai-jequ’ilavaitraison.Jeposaiunemainsursajoue.

—Jesuissifièredetoi.

Ilrecula,malàl’aise.

—Pourquoi tu leserais?Je te l’aidit, j’ai tuémonmeilleurami.Et je t’aimentipendantdesannées.

—Tunel’aspastué,Ange.C’étaitunaccidentquis’estproduitalorsquetuessayaisdefairequelquechosedebien,tul’asdittoi-même.Jesuisfièredetoiquetuleveuillesounon.

—Çaveutdirequejepeuxtevoiràpoil,maintenant?

—Pourquoij’auraischangéd’avis?

—Parcequejesouffre,àl’intérieur.

Jerisdunez.

—Tusouffrirasencoreplusquandj’enauraifiniavecmoi.

Ilbaissalatête.

—Jesuisvraimentdésolédet’avoirmenti.

—Net’enfaispas.Jet’aimenti,moiaussi.Jen’aijamaiscouchéavecSantana.

Dans lamesure oùCarlosSantana était son idole, j’avais trouvé normal de lui raconterquej’avaiscouchéavecaprèsunconcert,unefois.

—Hey,c’estmal!

—Tuescoupabledevold’identitédepuisplusdedixans,monpote.Nevienspasmedirecequiestmal.

— Laisse tomber. Ça, c’est vraimentmal. Tu ne peux pas parler de Santana comme sic’étaitunvulgairemorceaudeviande.

Oh!là,là.

Chapitre20

Ildevraityavoirunefiledanschaquemagasin

pourlesgensquisaventcequ’ilsveulent.

VÉRITÉuniverselle

JemeprécipitaiàTargetetfouillail’alléedescouches.PasdeMarika.Enfin,pasdefemmeavec un bébé. Garrett me l’avait décrite, mais je ne l’avais jamais vue. Ils étaientprobablementdéjàpartis. Jen’avaispas lamoindre idéedecommentdégotter leurA.D.N.Le bébé ne serait pas un problème. Je pourrais faire un prélèvement sur son biberonpendantquesamèreneregarderaitpas.Maiscommentallais-jeobtenirlesien?

Çarisquaitd’êtrecompliqué,jelesentais.Jefistroisfoisletourdusupermarchéavantdejeterl’éponge.JenevoulaispasinvoquerAngepourqu’ilm’aide.Ilavaitbesoind’unpeudetemps.Et je devais bienêtre capable de retrouver unemèreet sonbébé toute seule.Oupas.Je lesavaismanques,dumoinsétait-ceceque jepensais.Tandisque jemedirigeaisvers la sortie, je remarquai une femme aux cheveux blonds foncés avec un bébé dans lapetite cafétéria dumagasin. Elle buvait un soda tout en lisant un livre tandis que l’enfanttétaitunbiberondanssapoussette.

Jem’approchaietcommandaiuncafé, jetantde tempsàautreun rapidecoupd’œilpar-dessusmonépaule.C’étaitvraimentune très jolie femme,etpourtant,bizarrement,ellenecadraitpasaveccequej’imaginaisêtrelegenredeGarrett.Elleressemblaitvraimentàunemaman.Sûrementparcequ’elleavaitunbébé.Çamesurprenait. ImaginerSwopesenpèredefamilleétaitplusquemoncerveaunepouvaitsupporter.

Elle remit une longue mèche de cheveux derrière son oreille au moment où j’allaism’asseoir à une place en face d’elle. Elle lisait une romance historique; c’était de touteévidenceunefemmedegoût.J’adoraislesromanceshistoriques.Etlescontemporaines.Etcelles sur fond de surnaturel. Ou pour ados. En fait, à peu près n’importe quoi, tant quec’étaitdelaromance.

—Est-cequ’ilestbien?luidemandai-jeendésignantsonlivredumentonlorsqu’ellerelevalatête.

—Oh,oui,ill’est.

Ellelerefermaetmelaissaobserverlacouverture.

—Ilal’airgénial.J’adorecegenre.

Ellesetournaverssonfilslorsqu’ilgazouilla.

—Moiaussi.

—Etvotrefilsestadorable.

Unsourireradieuxilluminasonvisage.

—Merci.

Jeme levaidequelquescentimètrespour jeteruncoupd’œildans lapoussette.Garrettavait raison.Son filsétaitde touteévidencemétis. J’avaisenviedevoirunpeumieuxsesyeux, et j’étais sur le point de le demander purement et simplement lorsque le gérant d’undesmagasinss’approchadeMarika.

—Salut,mongrand,dit-ilenfaisaitsemblantdevolerlebiberondubébéjusqu’àcequecedernierrigole.

Puis l’hommese retourna.Sa ressemblanceavecGarrettétait troublante.Peausombre.Yeuxargentés.

—Bonjour,dit-ilenbaissantunchapeauinvisibleavantd’embrasserMarikasur la joueetprendreplaceavecsafamille.

J’appelaiGarrettsurletrajetduretour.

—Donc,jeviensdevoirtonex,etsongosseestabsolumentadorable.Tun’esdetouteévidencepaslepère.

Çanelefitpasrire.

—Tuasobtenuleséchantillons?demanda-t-il.

—Non.Çavaêtreunpeudurdepasseruncoton-tigedans labouchedeson filsdroitsoussonnez.Etçaleseraencoreplusquandjeluiferaisubirlemêmetraitement.Qu’est-cequejepourraisbiendire,Swopes?«Excusez-moi,jedoisjusteprendreunéchantillonpourmonpoteparano»?

—Est-cequetul’asaumoinsregardé?

—Jel’aifait,répondis-je,etjesuistoutàfaitd’accord.Ilestmétisetilalesmêmesyeuxquetoi,maisdevinequoi.

—Quoi?

—Cesontlesmêmesqueceuxdesonmari,également.

—Quoi?

—Ouaip.Sonmecteressembleénormément. Ila lamêmecouleurdepeauetd’yeuxetvousavezunvisagetrèssimilaire.Est-cequetuasunfrèredonttunem’asjamaisparlé?

—Non.

—Bon, eh bien, je ne sais pas ce que tu en penses,maismoi je parieraismon dernierdollarquecegaminestceluidecetype.

—Charles,tun’aspasvulamanièredontellem’aregardécejour-là.C’estlemien…jelesais.

S’il y avait bien quelqu’un qui savait déchiffrer les émotions des gens, c’était Garrett

Swopes.

—D’accord,etqu’est-cequisepassesituasraison?Elleadetouteévidenceunfaiblepourlestypesbasanésauxyeuxargentés.

—Ets’ilyavaitplusqueça?

—Commentça?

— Je ne sais pas, mais elle m’a regardé d’une telle manière, Charles. Comme si ellemouraitdetrouillequejefasselerapprochement.Commentétait-elleaveclui?

— Très bien. Ils semblent proches. Je n’ai ressenti aucun stress émaner d’elle quand ils’estapproché.Ilsavaientl’airtrèsheureux,enfait.

—Quelquechosecloche.Jelesais.Tun’enaspasterminéaveceux.

—T’essérieux?meplaignis-je.TuveuxtoujoursquejemeprocureleurA.D.N.?

—Oui.Etleplustôtseralemieux.Jesuisencorepluscurieuxdesavoircequ’ellecache,maintenant.

—Peut-êtrequ’ellecachelefaitqu’elletetrouveparanoïaqueetpensequetudélires.

—Jenecroispas.Cen’estpasl’impressionquej’avais.

—Jet’envoieuneimpression,là.Tulareçois?

—Cen’estpastrèssympa,ça,Charles,dit-ilavantderaccrocher.

Jen’avais jamaiseuàvoler l’A.D.N.depersonneauparavant,mais j’étaispersuadéequec’étaituneactivitédans laquelle j’étaisnulle.Garrettallaitdevoirmedonnerunesacrémentbonneraisons’ilvoulaitquejeprenneuntelrisque.

Avant que je n’arrive à la maison, mon téléphone sonna de nouveau. C’était l’agentCarson.

Jerépondis,fébrile.

—Alors?demandai-jeenpriantpourdebonnesnouvelles.

—Rendez-vousauMotelCrossroadsdansunedemi-heure.

—Quoi?Vouslagardezdanscetrouàrats?

—Non, on vous donne rendez-vous dans ce trou à rats. Vous pensiez réellement quej’allaisvousrévélerl’adressedurefuge?

—C’estvrai.Oublionsça.Jeseraiaurendez-vous.

Lorsquejemegaraidevantlemotel,l’agentCarsonsortitd’un4x4.

—Onprendbeaucoupderisques, là,Davidson.SiEmilyne témoignepasdemainmatin,Brinkmans’ensortira.

— Je comprends, répondis-je en faisant semblant d’œuvrer dans lemême but qu’elle, àsavoirl’accusationdupetitamid’Emily.

Nousmontâmesunescalierendirectiondelachambre217.Carsonouvrit.Jem’attendais

presqueàcequ’ellefrappeàlaporteensuivantuneséquenceparticulièresurlaquelleilsseseraientmis d’accord au préalable ou qu’elle donne unmot de passe avant d’entrer.Maisnon.Ellesecontentad’ouvrir.C’étaitplutôtdécevant.

Nousprimesplaceautourdelatable,etEmilyexpliquacequis’étaitpasséenversantdesocéansdelarmes.Jemedemandaissielleavaitprisdescoursdethéâtre.

—Ilacomplètementperdu lecontrôle,dit-elleenreniflantderrièreunmouchoir.Jecroisqu’ilamêmeoubliéquej’étaislà.Ilétaitfoudecolèreaprèsundeseshommes,etill’arouédecoupsavecundémonte-pneutandisquelesautresregardaientsansrienfaire.Ilsétaientmalà l’aise,çasevoyait. Ilssedemandaients’ilsétaient lesprochainssur la liste.Quelquechose s’était mal passé avec une livraison. C’est ce qu’il a dit. Et après, il a perdu lespédales.Je…jenel’avaisjamaisvucommeça.Jemeretinsd’applaudir.

Après avoir utilisé toutes les supplications de mon vocabulaire, je parvins à convaincrel’agentCarsondemelaisserparleràEmilyseulàseul.Çaneluifitpasvraimentplaisir,etilmesemblaqu’Emilyn’appréciaitpasplus.

—Écoutez,Emily,j’aiparléàPhillip.Jesaiscequisepasseréellement.

Ellenemecrutpas.Son regard filavers laporte,endirectiondesagentsduFBIquisetrouvaientderrière,commesiellesedemandaitsijeluitendaisunpiège.

—Ilsm’ontditqu’ilsdétenaientundemesprochesenotage.Jelesaitousappelés,maisjenepeuxpasprendrelerisque.

—Onnesavaitpasquoifaired’autre.Ilsvontletuer,MadameDavidson.

—Jesais.Vousêtesincroyablementcourageused’avoiroséfaireça.D’avoirrisquévotreviepourvotrepetitami.

—Je l’aime.C’estun raté,maisc’estmonraté. Ilnepensaitpasunseul instantque leschosesenarriveraientlà.

—Jecomprendstoutàfait,maissiondécouvrequevousavezmentisousserment…

—Jen’aipaspeurdecequipourraitm’arriver.

—Ehbien,danscecas,çafaitaumoinsunedenous.Est-cequevouspouvezgagnerdutemps? luidemandai-je.Est-cequevousarriveriezànepas témoignerdemain,maissansleurdirequevousnevoulezpluslefaire.Parexemple,en…

Jen’avaisaucuneidéedequoiluidire.

— Tombant malade ? proposa-t-elle. Parce que si je suis malade, je ne peux pastémoigner,si?

C’étaitparfait,maisest-cequ’ilsmordraientàl’hameçon?

—Ilfaudraitquecesoitàlafoisgraveetcrédible.

Ellem’adressaunsourirecalculateur.

—Croyez-moi,çalesera.Jesaistrèsbienmefairevomir.

Jehochailatête.Sielleavaitautantdetalentpourvomirsurcommandequepourjouerlacomédie,elles’ensortiraithautlamain.

—Trèsbien,sivouspensezquevouspouvezlesconvaincre,faisonsça.Contentez-vousdenepasallertémoignerdemain,maisnevousrétractezpas.Simonplanfonctionne,vousn’aurez pas du tout à témoigner, et on pourra dire au FBI que vous avez été obligée dementir.Jeferaimonpossiblepourfairetombertoutechargequirisquedepesercontrevous.

—Jenem’inquiètepaspourmoi, insista-t-elle,et jecomprisalorsàquelpointelleaimaitBrinkman. Je supporterai tout ce qui peutm’arriver. Aidez Phillip. Je veux qu’il s’en sorte.C’esttoutcequim’importe.

—Vousêtesquelqu’undebien,Emily.

Ellesecoualatête.

—Non, c’est lui. Il a été dépassé par les événements, il a dit oui auxmauvaises gens.Maisilaunbonfond.

—Jecomprends.Lesorduressaventsemontrertrèsconvaincantes.

Maintenantqu’Emilym’aidaitàrepousserunpeul’échéance,j’arriveraissûrementàtrouverdespreuvescontrelesMendozasanslesmettreendanger,elleetPhillipBrinkman.

— Vous avez trouvé quelque chose d’intéressant sur l’affaire que je vous ai demandéd’étudier?demandal’agentCarsontandisqu’ellemeraccompagnaitàMisery.

Je ne savais pas quoi répondre.Que fallait-il que je lui révèle, au juste, en sachant queReyesinsistaitpourêtrelaisséendehorsdetoutça?

—Vousavezditquevotrepèrepensaitqu’ilyavaitanguillesousroche.

—C’étaitsonintuition.

—Jecroisbienqu’ilenavaituneincroyable.

Elles’arrêtaetm’offritsonattentionlapluscomplète.

—Qu’avez-vousdécouvert?

—Jesuistoujoursdessus,maisvouspourriezvérifierquelquechosepourmoi?

—Biensûr.

—Est-cequevouspourriezfairedesrecherchessurleurfils?Quandetoùl’ont-ilseu?

—Pourquoi?demanda-t-elle,lasuspicionluifaisantfroncerlessourcils.

— Je ne sais pas trop. Je trouve juste très étrange qu’il ne ressemble à aucun de sesparents.

—Jevaisvoircequejepeuxtrouver.

J’allaimegarerde l’autrecôtéde la routeetattendis.L’agentCarsons’enallaquelquesminutesplustardavecEmilyMichaels,entouréedepasmoinsdetroishommesencostard.J’appréciais le fait qu’elleme fasse assez confiance pourme permettre de rencontrer sontémoinvedette,surtoutlorsquelaviedecettedernièreétaitendanger.Mais,àprésentquej’avais vuEmily, j’étaispersuadéequ’onpourraitmeprendrepourelle, d’assez loin. J’avais

justebesoind’uneperruqueblondeetdegrandeslunettesdesoleil.

Àmonavis,sionretiraitEmilydel’équation,sionn’avaitplusbesoindesontémoignage,elle et Phillip seraient en sécurité. Mais, Pour en arriver là, il faudrait que j’obtienne uneconfession et que je l’enregistre. Une preuve irréfutable qui convaincrait le procureur qu’iln’avait pas besoin d’Emily et qu’il n’était pas nécessaire de la poursuivre pour fauxtémoignage.ElleessayaitdesauverPhillip,aprèstout.Ilétaitprêtàallerenprisonpendanttrès longtemps pour s’en sortir. Est-ce que ça convaincrait le procureur ? Est-ce qu’ilprendrait cela en considération aumoment où il l’accuserait de blanchiment d’argent pourune famille du crime organisé ? Il voudrait très certainement que Brinkman témoigne, etc’étaitbienleproblème.Ilnepouvaitpaslefaire,passansmettrelaviedesesenfantsetdesonex-femmeendanger.Lesmagnatsducrimenevoyaientpas lemondecommelerested’entrenous.Ilslevoyaient-ainsiquetouteslespersonnesquienfaisaientpartie-commeunmoyend’obtenircequ’ilsvoulaient,àsavoirdesrichessesetdupouvoir.

Je me rendis à la réception du motel et leur racontai que j’avais perdu ma clé pour lachambre217.Enobtenirunenouvellenefutpastropdifficileunefoisquejeleureusmontréma licencededétectiveprivée.Laplupartdesgens ignorentqu’ellen’aàpeuprèsaucunevaleur. A présent, j’avais juste besoin que Garrett vienne pour me poser le micro et queReyess’occupedelasurveillance.QuandlesMendozamecontacteraient,jeseraisprête.

Je retournaienvitesseàmonappartementpouraller chercherquelquesaffairesetpourmettreenplacemonplaningénieux.J’appelaiCookieencheminpourm’assurerqu’elleétaitprête pour la phase deux dudit plan. Une fois chez moi, je remis la batterie dans montéléphonenormal,m’assisàmatabledecuisine,etattendisl’appeldeCookie.

JegaraiMiseryenfacedumoteletmedirigeaiverslachambrepour laquelle leFBIavaitgentimentpayé,vêtued’unlargesweat-shirt,d’uneperruqueblonde,etdelunettesdesoleil.SilesMendozaécoutaientlorsqueCookiem’avaitappeléeensefaisantpasserpourl’agentCarson, ou Sac, comme je l’avais appelée plusieurs fois au cours de la conversation, ilspenseraientqu’EmilyMichaelsétaitretenuedanslachambre217.

Garrettferaitbientôtsonapparitiondanssonplusbeaucostard.Iljoueraitmonprotecteurdu FBI lorsque les hommes de Mendoza pointeraient le bout de leur nez. C’était un rôledangereux,unqu’iln’avaitpassimplementacceptédejouer,maisqu’ilavaitinsistépourtenir.Jesupposaisque,sionétaitdestinésàfaireéquipeplustard, il faudraitquejem’habitueàjouer les appâts.Çamarchait tellement bien, chaque fois.Reyes n’était pas au restaurantquand j’avais appelé là-bas et il ne répondait pas à son portable, mais peu importait lasituationdans laquelle jemefourrais;si leschosestournaientmal, jepourrais l’invoquerenun battement de cils. Tant que je n’avais pas de commotion cérébrale, que je n’étais pasdroguée ou vidée de mon sang au point de ne plus pouvoir me concentrer. Il faudraitprobablementplusieursheuresauxMendozapourrassembler leurshommesetexécuterunplan.

Jevenaisdeposer lepiedsur lapremièremarche lorsqu’unevoiturepiladerrièremoi.Lapeurme provoqua un pic d’adrénaline. C’était trop rapide. Je venais à peine d’appeler, etGarrettn’étaitpasencore là.Mais,biensûr,unhommesortitduvéhiculeetm’encourageademanièreplutôtbrusqueàlesuivre.

C’estainsiquejemeretrouvaisur lesiègearrièred’uneberlinenoireàmedemanders’ilsm’avaientprisepourEmilyoupas,etaussicequiserait leplusdangereuxencemoment :qu’ilspensentvraimentquej’étaisEmily,oucettebonnevieilleCharley?

Mon plan était d’attirer les hommes des Mendoza au motel, de les arrêter, puis de lesretournercontre leurspatrons.Jusqu’ici, leschosesnesedéroulaientpasvraimentcommeprévu, mais tout espoir n’était pas perdu. J’avais toujours un quasi-fiancé surnaturel quisectionnait lesmoellesépinièresplusvitequesonombreetqu’ilmesuffiraitd’appelersi lasituationl’exigeait.C’étaitdansmescordes.

—Retirezcetteperruquestupide,ditunhommeavecunfortaccentmexicain.

J’ignorais totalement de qui il s’agissait.Mes lunettes de soleil étaient si sombres et lesvitresde laberlinesi teintéesque jen’arrivaisrienàvoir.Mais jen’étaispasassisedans lesensdelamarche.

Lorsquequelqu’un arrachamaperruqueetmes lunettes, je remarquai qu’on était serrésdansunevoituredontlessiègesarrièresefaisaientface.Jen’avaisrienfaitpourmériteruntraitementaussibrusque.JenepusquedéduirequeletypequisetrouvaitdevantmoiétaitMendoza.Jefuspassablementétonnéequ’ilsemontreenpersonne.

—C’étaitunbelessai,MadameDavidson,dit-ilensectionnantleboutd’uncigare.

Ilportaitun tailleurblanc impeccablementcoupé,etpourtant ilne luiallaitpasdu tout. Ilétait en surpoids et était recouvert d’assez de bijoux en or pour justifier un transport enfourgonblindé. Ilmefaisaitpenseràde l’eaudeColognebonmarchésurunmillionnaire. Ilnesemblaitpasàsaplace.Toutenluicriaitaucliché,commes’ils’étaitinspirédesfilmsdesannées1980surlesbaronsdeladroguecolombiens.

Jelissaimescheveux,puisqu’undeshommesquiétaientassisàcôtédemoimelesavaitàmoitiéarrachés.Detouteévidence,iln’avaitjamaisentenduparlerdesépinglesàcheveux.J’avaisfixélaperruqueenpensantquej’allaislagarderunbonmoment.

Mendozaneprenaitaucunrisqueavecmoi.Sesdeuxhommespointaientdespistoletssurmacage thoracique,et je reconnus l’unedesarmescommeétantcellequiavaitétéposéecontremonfront.Jejetaiunregardnoiràceluiquilatenait.Ilmeréponditd’unrictus.

Nousprîmeslaramped’accèsdelaI-25.

— Vous étiez un vrai défi, mais après tout ce que j’avais entendu sur vous, je n’enattendaispasmoins.

—Jesuisdugenredéfiante,répondis-jedansleseulbutdejouerlesplusmalignes.

Je pouvaisme le permettre. Et je n’aimais pas êtremalmenée contremon plein gré. Niqu’onm’enfoncedes flinguesentre les côtes. Il suffisait d’unebossesur la chaussée,d’undoigtquisecontractaitparréflexe,etjen’auraisaucunmoyend’éviteruneballepartied’unearmesiprochedemoncorps,peuimportaitàquellevitessejeparvenaisàarrêterletemps.Peut-êtrequ’ilétaittempsd’invoquerl’asquej’avaisdanslamanche.Maisjen’avaistoujoursrien de réellement incriminant contreMendoza. Et je n’aurais jamais rien. Tout lematérield’enregistrementétaitaumotel.Si j’arrivaisàattrapermontéléphone, jepourraisaumoinsenregistrer la conversation,mais jen’avaisaucune idéedecomment réussir un tel tourdeforceavecDumbetDumber sur le dos.Peut-être que je pourrais pointer undoigt vers lavitreetcrier:«Regardez!Unoiseau!»

Non,çanemedonneraitpasassezdetemps.J’avaisbesoind’unedistractiondetaille.Oùétaient les semi-remorques en cavale quand on avait besoin d’eux ? Les méchantsconfessaient tous leurs péchés juste avant de tuer les gentils, dans les films, et je n’avaisaucunmoyend’enregistrerça.

—Etpourtant,continua-t-ilaprèsavoirallumélecigare.

Jefronçailenez.Enfait,j’adoraisl’odeurdescigares,maisjen’allaispasleluifairesavoir.

—Vousnousavezmenésdroitàelle.Jen’auraisjamaisespéréquevousaviezréellementcegenredeconnexions.

Jemefigeai.Droitàelle?Dequoiparlait-il?

—Vous devez avoir un talent particulier pour que le FBI arrange une rencontre. Je nepensaispasqueçapouvaitêtrefait.

Lemondes’écroulasousmespieds.

—Vousmesous-estimez,boss,ditlegorilleàmadroite.

Celuiquiavaitpointésonflinguesurmonfront.

Choquéeaupointd’enperdretousmesmots,toutcequejeparvenaisàpenserétaitqu’ilfallaitquejepréviennel’agentCarson.Jelesavaispiégésmalgrémoi.

—Pasderéponsebiensentie?demandaMendoza.Moiquipensaisquec’étaitvotretruc.Vousnem’aviezpasditquec’étaitsontruc?

—C’estsontruc,confirmal’autregorille.Ellenesaitjamaisquandilvaudraitmieuxqu’ellelaferme.Jecroisquevousl’avezsurprise.

—Jecroisbien,eneffet.

Mendoza recracha une épaisse bouffée de fumée. Les larmes memontèrent aux yeux,maispasàcauseducigare.Qu’avais-jefait?

— Malheureusement pour vous, nous avions pris des mesures pour nous assurer quevous vous donneriez à fond dans votre petite mission. Dommage que ça ait été inutile.Maintenant,onvaêtreobligésdetuertouteslespersonnesimpliquées.

Nous roulions vers le sud et primes la sortie de Broadway, puis la direction d’une zoneindustrielle déserte. Après quelques minutes durant lesquelles mon esprit tourna à pleinrégime pour essayer de trouver unmoyen de sortir le téléphone demon sac, nous nousgarâmesprèsd’unsiloàcéréales.Ilétaitcomposédetroispartiesidentiquesetdequelquesdépendancesàmêmelesol.Nousnousarrêtâmesdevantungardearmé.Ilyenavaitdeuxautresdansl’ombredel’ascenseur.

Mendozaabaissasavitre.

—OùestRicardo?

— Il est toujours là-haut, boss.On ne savait pas ce que vous vouliez qu’on fasse aveceux.

Eux?L’inquiétudem’embrumal’esprit.

—C’estbon.DisàBurrod’économisersesmunitions.Jeveuxvoirça.

Legarde ricanaet parla en espagnol dansun talkie-walkie pour dire à l’hommeà l’autreboutdegardersaposition.

Les gorilles me conduisirent à l’intérieur, vers un ascenseur. Mendoza nous suivit, puisnousparvînmesausommetdessilosaprèsavoirprisunevoléedemarchespouratteindreledernierétage.Lorsquenousdébouchâmessur le toiten formedecôneduplusgranddessilos,j’ouvrislaboucheengrandetmesgenouxmelâchèrent.Pasàcausedelahauteuroudufaitqueleventnouspoussaitférocement,maisparcequ’ilyavaitdeuxpersonneslà-hautavec eux : Jessica Guinn et Reyes Farrow. Mon Reyes Farrow. C’était impossible. Il lesfaisaitmarcher?Illeurlaissaitcroirequ’ilspouvaientleretenir?

Tous deux étaient recouverts de sang. Jessica avait des marques de cordes des deuxcôtésde laboucheainsiqu’unvilainœilaubeurrenoir.Elleétaitassisesursesgenouxaumilieude lastructuremétallique, lesmainsattachéesderrière ledos,et levent faisaitvolersescheveuxdanstouslessens.Lapeurs’échappaitd’ellesiviolemmentquej’eusbeaucoupdepeineàvoirau-delà.Plusque lacraintedeshommesarméset le faitd’êtreattachéeetretenue en otage, ilme sembla que c’était surtout le vertige qui la terrorisait. Et elle étaitdangereusement près du bord d’une des structures en métal. Une rafale un peu troppuissante,etelletomberait.

Reyesétaitattachéàuneéchellemétalliquequimenaitjusqu’ausommetdusilo.Ilétaitàpeine conscient. Sa tête pendait, ses longs bras et ses larges épaulesmous au bout descordes qui le retenaient. Mon cerveau n’arrivait pas à comprendre les informations qu’ilrecevait.

LorsqueMendozaremarqual’incrédulitédansmonregard,ilexpliqua:

—Plusieursdemeshommesétaientenprisonavec lui. Ilssaventdequoi ilestcapable.Et,encoremieux,ilssaventcommentsechargerdelui.

Commentsechargerdelui?Mêmemoi,jel’ignorais.Commentétait-cepossible?

—Des fléchettesdesédatif, ajouta-t-il parceque je secouai la tête, incrédule.Decellesqu’onutilisepour leséléphants. (Ils’approchadeReyeset lui releva la têteen le tirantparles cheveux. Mon esprit divagua, et j’invoquai Ange par inadvertance.) Ce qui tuerait unhomme normal a à peine suffi à le faire tomber à genoux. Mais c’était suffisant pour ledésorienter.Unefléchettedeplusetilétaitdanslesvapes,maisilenafalluencoreunepourlemaintenirdanscetétat. Jenesaispasdequoi ilest fait,mais,quoiquecesoit, ilpeutêtretué.

—Vousnemeconnaissezpasaussibienquevouslepensez,dis-jeàMendoza.Jessicaetmoinesommespasamies.Ennemiesseraituntermeplusapproprié.

LesyeuxdeJessicas’emplirentdelaterreurlapluspure.

—Danscecas,vousneverrezpasd’objectionàcequ’onlajettedutoit?

Jememordislalangueparpeurderépondrequelquechose.Parpeurdemettresavieendanger.

—Qu’est-cequejefais?demandaAnge.

Ilattrapamonbras,commesiçapouvaitempêcherleshommesdemefairedumal.

Jesecouailatête.Jen’enavaispaslamoindreidée,maisjeleregardaitoutdemême.

—J’aibesoindeReyes,dis-je.Est-cequetupeuxlefairerevenir?

Angejetauncoupd’œildanssadirection.

—Jenesauraispascommentfaire.Ilestdanslesvapes.J’ignorecequ’ilsluiontdonné,maisçafonctionne.

—J’aibesoindelui,Ange.

Ilacquiesçaets’approchadeReyesavecprécaution,affrontantsesproprespeurs.

CommeMendozameregardaitparleravecdel’air,undeseshommesexpliqua:

—Ellefaitsouventça.

—Jevousaimebien,ditMendoza.Jevaisvouslaisserchoisir.Lequelvitetlequelmeurt?

Jeplissailesyeuxetjemedébattisdanslesbrasdugorille.Peuimportaitlequeldesdeuxje choisissais. Ils comptaient tous nous tuer. Si j’arrivais simplement à gagner un peu detemps…SiseulementReyesparvenaitàrevenir.

JedéglutisetdésignaiReyes.

—Lui,répondis-je,lamainetlavoixtremblantes.

Mendoza me lança un regard ravi, attrapa une des bottes de Jessica, et poussalégèrement. J’eus à peine le temps d’ouvrir la bouche avant qu’elle ne tombe du silo. Jeplongeaidanssadirection,commesi j’allaisréussiràlarattraper,maislegorillemetaclaetmemaintintausol.

Ellenecriapas.Jem’attendaisàcequ’elle le fasse,mais iln’yeutquedusilence.Jenel’entendis même pas tomber. Le seul bruit qui me parvenait était celui du vent qui nousfouettaitetquihurlaitautourdenousensefaufilantdanslastructuremétallique.

—Vousn’êtespastriste,toutdemême?demandaMendoza.(Sonairsuffisant lefaisaitressembleràl’incarnationdumal.)Vousétiezennemiesaprèstout,non?Etvotrevœuseraexaucé.Détachez-le.

J’essayaidemerelevertandisqu’ilslibéraientReyes,maisonmeretenaittoujoursausol.Çanepouvaitpasarriver.PasàReyes.Est-cequ’ilparviendraitàsurvivreà lachute?Çadevaitreprésenterl’équivalentdeseptétages.Ilavaitsurvécuàpire.Maisilétaitconscientàcemoment-là.Enmesuredesepréparer,desedéfendre.

Avantquejepuisseajouterquoiquecesoit,deuxdeshommesdeMendozafirentpassersoncorpssansconnaissancepar-dessusbordetildisparutsansunbruitdemonchampdevision.

Chapitre21

Unmalheurnevientjamaisseul,

c’estpourçaquej’aidesamis.

Tee-shirt

Je regardai droit devant moi tandis que Reyes tombait, un cri que je ne pouvais pasentendres’échappantdemagorge.J’attendaisqu’ilfassequelquechose.Qu’ilréagisse.Qu’ilsesauve.C’étaitReyes,aprèstout.Ilpouvaittoutfaire.Ilpouvaitvolerousedématérialiserouattraperquelquechoseentombantcommeilslefaisaientdanslesfilms.Maisrienneseproduisit.Seulleventhurlaitdanslaconstructiondésaffectée.

Angeétaitsouslechoc,luiaussi.Ils’étaitapprochédubordetregardaitenbas,lesyeuxécarquillés.

—Ange.

Ilsetournadansmadirection,sabouchetelleunefineligneexprimantsonregret.

—Non.

Jesecouailatête.C’étaitimpossible.Çanesepouvaitpas.

—N’ayezpasl’airsiinquiète,ditMendoza.Vouspouvezlerejoindre.

Ilhochalatêteàl’attentiondeseshommes,quimetirèrentalorsversleborddusilo.Jevoyaisdeuxcorps,enbas,maisilsn’avaientpasl’aitvrais.Ilsétaientminuscules,vusdelàoùjemetrouvais,commedepetitesfigurinesdéformées.Riendetoutçan’étaitréel.

Mendoza dit quelque chose que je ne compris pas. Personne ne pouvait survivre à unetelle chute. Pas même un être surnaturel. Pas même le fils de Satan. Il était étendu,immobile,etjen’arrivaispasàmefaireàcetteidée.

—Prête?entendis-jefinalement.

Mendozaétaitlegenred’hommequiaimaittuer.Ilsedélectaitdelafausseimpressiondepouvoirqueçaluiprocurait.Etilraffolaitégalementcequivenaitjusteavantlamiseàmort.Quandiltourmentaitsesvictimes.Qu’ilsemoquaitd’elles.

Jeleregardai.Etjefismonboulot.Jelejugeaiindigned’allerauparadis.

Ledégoûtqu’illutdansmesyeuxneluiplutguère.Luiquiattendaitlapeurnetrouvaitquelemépris.Ilmeretournadeforcepourquejesoisfaceauvidedenouveau,plaçaunemaincontremondoset,justeavantqu’ilnemepousse,dit:

—Pasdetémoinsgênants.

Je fisunpasenarrière,mais le toitdisparutmalgré toutsousmespieds.J’étaispassée

par-dessus bord. Il m’avait poussée comme il avait poussé Jessica. Comme ils avaientpousséReyes.Etnousallionstousmourirensemble.

En guise de dernière rébellion, je me retournai pour les regarder et fis un mouvementample du bras. Au cours de cette infime seconde entre le rêve et la réalité, je venais demarquertoutesleursâmespourleDealer,d’unsymbolearchaïquebrillantquiavaitétégravésurleurspoitrines.Ilsluiappartenaienttous,àprésent.

PuisjevisAnge.Il tendait lesbras.Lorsquejem’étaisretournée, j’avaisfaitundemi-touretilavaitattrapémabottepourtirer.Maisilnepouvaitpasfairegrand-chose.Jepesaitroplourdpourlui.J’étaisloindemedouterquecettepetitefripouilleavaitunplan.Monpiedsebloqua dans quelque chose. Une attache métallique qui dépassait du silo. Ange y avaitattachémon pied.Mais je continuai à tomber jusqu’à ce que l’attache s’accroche quelquepart.Ladouleurmevrillalajambe,etmachevillesebrisasansaucundoutependantquejerebondissaiscontre lecôtédusilo.Moncrânecraquaenheurtantunéchelonenmétal.Jel’attrapaietm’yretinscommesimavieendépendait.

Jerestaipenduelà,têteenbas,àessayerderetrouvermesrepères,regardantlesommetdusiloetattendantqueleshommesremarquentquejen’étaispastombée.Ilsdevraientmetirerdessus,àprésent,s’ilsn’arrivaientpasàdélogermonpied.Commeilsn’apparurentpasimmédiatement, je jetai un long regard au sol qui s’étendait sous moi. Reyes n’avait pasbougé.Iln’avaitpasbougéd’uncil.Ladouleurmeravageaetleslarmessemirentàdévalermonfront,suivantladirectionquemonsangavaitprise.Jerelevailatêtepourregardermabotteetmedemandaisijeparviendraisàlabougerd’uncentimètresurlagauchemalgrémachevillecassée,cequiseraitsuffisantpourladélogeretterminerlegrandvoyage.

Àcet instant, j’étaisincapabledepenseràautrechosequeceàquoiressemblerait laviesans Reyes. Ce n’en était pas une que je voulais, et je compris soudain pourquoi EmilyMichaelsétaitprêteà fairecequ’elleavait fait.Commentelleavaitpumettresavieen jeupourprotéger l’hommequ’elleaimait.Même laprisonétait préférableà lamort,à l’idéedeperdreceuxqu’onaimaitsifollement.

Une agonie qui n’avait d’égal que la douleur provoquée parma chevilleme consumait sientièrementquejenepouvaispenseràriend’autre.Jen’avaispasenviedetraverserlaviesans lui. J’essayaidepoussercontre labarredemétalpourdétachermonpied.Jen’avaisjamaisétéparticulièrementsuicidaire,mais jen’avais jamaisétébroyéeparunepeineaussiimmenseauparavant.Pasémotionnellement,entoutcas.

—Qu’est-cequetufais?demandaAnge,quilorgnaitpar-dessuslerebord.

—Aide-moiàdétachermonpied.

Lorsqu’ilsecoualatête,jegrognai:

—Vatefairefoutre.

Ildisparutaussitôt.Lepetitenfoiré.

Je serrai les dents tandis que la douleur rayonnait dans ma cheville explosée et serépandaitdanstoutmoncorpscommedesdéchargesélectriques.Quelquepartaufinfonddemonesprit,jeremarquailesbruitsdebagarreprovenantd’au-dessusdemoi.Jerevinsàlaréalité lorsquedescoupsdefeufurent tirés, justeavantqu’unsilencedemortnevienneépaissirl’air.Tandisquejemebattaiscontreleseffetsdusangquimemontaitàlatêteetla

douleurquimeparcouraitlecorpstoutentier,unhommeauxcheveuxsombrespassalatêtepar-dessuslerebord.Mais,cettefois-ci,cen’étaitpasAnge.

—Reyes!criai-jeentendantlamaindanssadirection.

—Désolée,princesse,ditl’homme.Cen’estquemoi.

Jeclignaidesyeuxpouressayerd’yvoir clair.C’était leDealer.Que faisait-il là?Est-ceque je l’avais invoqué en marquant les âmes de Mendoza et de ses hommes ? Était-ceseulementpossible?

Ildécouvritsesdentsensouriantetfitungestedumentonpar-dessussonépaule.

—Mercipourlabouffe,aufait.

Je décontractai mes abdos et abaissai le haut de mon corps pour observer la scènehorribleau-dessousdemoi.Reyesn’avaittoujourspasbougé.LeDealerplongealamainetattrapalajambedemonpantalonet,àcetinstant,j’eusréellementenviedeluiéchapper.Jesongeaimêmeàluidonneruncoupdepieddemabonnejambepourleforceràlâcherprise,maisilmeregardasévèrementetsecoualatêteenguised’avertissement.

—Non,non,non.Jen’arrêtepasdeteledire,continua-t-ilenmeremontantcommesijenepesaisrien,onabesoindetoivivante.Alorspasdepenséessuicidairesjusteparcequetonclébardapassél’armeàgauche.

Moncœur se serra si vite et si violemment que j’eus l’impressionqu’ungolem rouaitmapoitrine de coups. Je ne survivrais jamais à la puissance dema douleur. Même le fait desavoir qu’il serait toujours avec moi sous forme éthérée n’aidait pas. Je le voulais lui. JevoulaistenirReyesAlexanderFarrowdansmesbras,chaud,solideetréel.

LeDealermereposaprécautionneusementsur le toit,etunéclairdedouleurmevrilla lecerveau à peinemes orteils eurent-ils touché terre.Ma jambe droite lâcha sousmoi, et ilraffermitsonemprisepourm’empêcherdetomber.Jeserrai lesmâchoires, lerepoussai,etessayai de me précipiter vers la porte qui menait à l’ascenseur, mais j’étais incapable desupportermonproprepoids.Jetrébuchaiavantd’avoirfaitdeuxpas.LeDealermerattrapa.Cefutàcetinstantquejeremarquailescorps.

Ilhaussalesépaules.

—Jepensequ’aprèsavoirjetédeuxpersonnesdutoitetavoiressayédetefairesubirlemêmesort,ilsontcommencéàsedisputeretsesonttuésentreeux.Quiauraitpenséqu’ilsferaientunechosepareille?

—Çame va, répondis-je en jetant un regard noir au cadavre deMendoza. S’il te plait,ramène-moienbas.

Ilmepritdanssesbrasetmeportasurletrajetjusqu’àl’ascenseur.

— On a besoin de toi en vie, princesse. Alors plus de plans pour rejoindre le clébard,capisce?

LesparolesduDealerlibérèrentlessanglotsquejeretenais,etjerecommençaiàpleurer,àhurleretàlerouerdecoupsaussibienquejepouvaislefairedansmaposition.Lorsqu’ilmeserraencoreplus fort, jesentisuneempathie réelleémanerde lui.Quiauraitcruqu’undémon,undaeva,pourraitseulementressentirdel’empathie?

Lorsquenousarrivâmesenbas,jemedéfisdesonétreinteetmelaissaitomberàcôtédeReyes. Ilétaitparfait. Ilavaitsaignéaprèsqu’ils l’avaientbattu,mais,sinon, ilétaitparfait.Serein. Ses longs cils reposaient contre ses joues. Je cherchai un pouls sur son cou.Attendis.Repositionnaimesdoigtsetattendisdenouveau.Rien.

—Reyes,luidis-je,lesuppliantsilencieusementd’ouvrirlesyeux.Reyes,s’ilteplait.

LeDealer posaunemain surmonépauleet essayadem’attirer loin de lui. J’enveloppaisoncorpsdumienetfiscourirmesdoigtssursonvisage.

LeDealerresserrasonempriseaumomentoùjeressentisuneprésence.Jerelevailatêteetvisl’obscuritéserassemblerautourducorpsdeReyes.Elles’élevaitetprenaituneformevaguement humaine, mais quelque chose clochait dans les proportions. Ce ne fut quelorsqu’il fut totalement formé que je compris qu’il s’agissait de Reyes, mais seulement enpartie.Ledémonenluiavaitémergé.IlétaitmassifetnousdépassaitlargementaumomentoùleDealervints’interposerentreluietmoi.

JemeremettaispéniblementsurmesgenouxaumomentoùArtémisapparutàmoncôté,ses grognements gutturaux résonnant autour de nous. Je la retins tandis que le Dealersortaitlentementladaguedesabotte.Chaquefoisqu’ilesquissaitungeste,Reyesgrognaitégalement, son regard noir passant d’Artémis àmoi, puis auDealer. Lorsqu’il l’arrêtait surmoi,ilfallaitquej’utilisetoutesmesforcespourretenirArtémis.Ellenelereconnaissaitpas,luiavecquielledormaitdepuisplusieurssemaines.

Il possédait tout de la beauté sombre de Reyes, de ses lignes fluides et de sa textureonctueuse;seulssesyeuxétaientplusprofondsetplusnoirs,etsesdentsétaientaiguiséescommedesrasoirs,commecellesdesdémonsquej’avaisvus.Était-cecequiseproduisaitlorsquesoncorpsphysiquemourait?Était-cecontreçaqu’onm’avaitmisengarde?

Lentement,etavecunsoinméticuleux,leDealermepassaladague.

—Tue-le,dit-ild’unevoixdouceetcalme.Ouonmourra tous. (Il se tournaversmoi.) Ildétruiralemonde,princesse.Ettoutcequilecompose.

LesprémonitionsdeRocketmerevinrentviolemmentenmémoire.Ilavaitditquejeseraiscelle qui tuerait Reyes. Il m’avait avertie qu’il n’y avait rien que je pourrais faire pourl’empêcher,passansengendrerdetrèsgravesconséquences.Était-celàcequ’ilavaitvouludire?Est-cequemonrefusdeletuerprécipiteraitlafindumonde?

Avant que j’aie le temps d’y réfléchir plus longuement,Reyes envoya valser leDealer etfonditsurmoi.Jeralentisletemps,retenantàlafoisArtémisetleDealer,quichargeaitdéjàReyes. Je restai plantéeoù j’étais, fascinéepar leDealer etArtémis.Bienque j’aie figé letemps, ils continuaient à avancer, leurs essences troubles tant ils étaient rapides.Mais jel’étaisdavantage.

Jem’avançaiversReyes,quiétaittoutaussitrouble,etposaiunemainsursonmagnifiquevisage. Même en partie démon, il était terriblement beau, plus sombre et énigmatiquequ’auparavant.Lorsqu’ildégageasamainetgagnaquelquesprécieuxcentimètres,ouvrantlesmâchoirespourdéchiquetermajugulaire, jeposai ladaguecontresoncœuretpoussai.Jeneperçaiqu’àpeinesapeau.

Il s’arrêta. Baissa les yeux pour regarder la lame. Les releva. Et se souvint. La daguerépandaitdéjàunpoisonqueseuls lesdémonspouvaientsentir.Lanoirceurs’échappait là

oùlapointes’étaitenfoncéedanssapoitrine,maissonattentionétaitfixéesurmoi.

Sapartiedémoniaques’évapora,etReyesémergea. Il reculaen trébuchantetsecoua latêtecommes’ilessayaitdesortirdel’étatdestupeurdanslequel ilsetrouvait.Je laissai letemps reprendresesdroitset retinsArtémispour l’empêcherd’attaquer.LeDealercompritceque j’avais faitets’arrêtaégalement.Mais, lorsque le temps revintà lanormaleavec laforced’untrainquim’emboutissaitdepleinfouet,ladouleursuivit.MesgenouxlâchèrentetjeretombaicontrelecorpsdeReyes,maisjenequittaipassonessencedesyeux.Iltombaà genoux, secoua la tête une fois de plus, puis s’appuya sur ses mains, essayant deretrouversesrepères.

—Reviens-moi,murmurai-je,avantdeleluiordonner.Rey’aziel,reviens-moi.

Ilplongeasonregarddanslemien,etilm’obéit.Ilrevint.

L’instantsuivant,ilsetrouvaitenfacedemoi.Artémiss’étaitcalmée.Lorsqu’iltouchamonvisage,ellegeignitetpoussasamainduboutdumuseau.Illuidonnaunepetitecaresse.

Jebaissailesyeuxetfronçailessourcils,confuse.

—Reviens-moi,ordonnai-jedenouveau.

Ilsouriaitlorsquejerelevailatête.

—Tudoism’embrasser,commedanstescontesdefées.

—T’embrasser?répétai-je.

—D’abord,tudoisdireoui,ensuitetudoism’embrasser.

J’entendisdessirènesauloinetmedemandaiquiavaitappelélapolice.

—Jedoisdireoui?

Ils’assitàcôtédemoietacquiesça.

—Etàquoijediraisoui,aujuste?

—Unesimplequestionàlaquelleilfautrépondreparouiounon,Dutch.

Sademandeenmariage.

—Tumefaisduchantage.

Jenepusm’empêcherd’êtreoutrée.Etunpeuflattée.Ilhaussalesépaules.

—S’ilfautenarriverlà,alorsoui.

Jebaissailesyeuxpourregardersonvisage,ensanglantéetmeurtri,maistoujourssibeauquemoncœurseserra.

—Oui,répondis-je.

J’avais été stupide de le faire patienter pour la réponse que j’avais toujours su au plusprofond de moi vouloir lui donner. Je ne pouvais pas vivre sans lui. Ce serait comme dedemanderàuntournesoldevivresanssoleil.Sansrienajouter,jeposaimabouchecontrelasienne.

Il inspira doucement sousmes lèvres. Je reculai. Son corps éthéré était de retour à saplace.

—Tuesmagnifiquementbelle,dit-il.

—C’estmarrant,parcequetoi,t’asvraimentunesalegueule.

Ilsemitàrireavantdegrimacerdedouleur.

—Est-cequetuvasréellementbien?demandai-je.

—Ilvabien,réponditleDealercommes’ilétaitdéçu.

Puisj’entendisuneautrevoix.Celled’unefemme.Unequejereconnaissais.

— Eh bien ? demanda Jessica, debout à côté demoi, tapant impatiemment un de sespiedsnusàcôtédenous.Qu’est-cequetuvasfairepourmoi?

Jeregardaisoncorps,etuneterreursansnomdéferlasurmoi.Non.Pasmoyen. Ilétaithorsdequestionquejesupportecettepimbêchepourlerestantdemesjours.

—Pleurer?proposai-je.

—Jesuismorte,n’est-cepas?

—Ondirait.

—C’esttafaute.

Lessirènesserapprochaient.Commentallais-jeexpliquertoutça?

—Jessica,écoute,commençai-jeenessayantdelapresser.Tudoistraverser.Jenepeuxpastefairepassersitun’espasd’accord.

—Traverser?Genreàtraverstoi?(Ellericanaavecmépris.)Plutôtcrever.

J’allaisrétorquerqu’ilétaitunpeutardpourtenircegenredepropos,maisellemedisparutaunezavantque j’enaie le temps.Êtrehantéeparmonanciennemeilleureamiequiétaitentre-tempsdevenuemonennemienumérounallaitcraindreduboudin.

Je relevai les yeux sur le Dealer. Il avait les bras croisés et son haut-de-forme étaitlégèrementdetravers.

—L’âmedeM.Joyce,luirappelai-je,puisquenousavionsconcluunmarché.

Ilhaussauneépauleavantdesourire,puismesaluasilencieusementduchapeau.

—Elleluiappartiententièrement.

Le soulagement s’empara demoi, mais il fut de courte durée, car une file de véhiculesofficielsserapprochaitdangereusement.L’agentCarsonétaitentêtedetroisautres4x4.Jeremarquai les trous laisséspardesballes lorsqu’ellearrêtasonvéhicule,me recouvrantdepoussière au passage. Son geste douteux me donna la couverture idéale pour cacher ladaguedanslabotteducôtédemachevilleintacteavantquetoutlenuageneretombe.

Lorsqu’elles’approcha,jelissailajambedemonpantalonetdis:

—Vousl’avezfaitexprès.

Seshommessortirententrombedes4x4etseprécipitèrentversnousalorsqueReyesseredressait.Quelqu’unluicriaderesterimmobile,maisilselevamalgrétout.Ilétaittellementtêtu.

—Carson,dis-jeaprèsqu’elleeutcherchéunpoulssurJessica.

Jen’arrivaispasàlaregarder.C’étaitunetrèslonguechute,etçasevoyait.Jefouillailesenvironsdesyeux.LeDealeravaitdisparu,biensûr.

—Ilyad’autreshommessurletoit,ajoutai-jelorsqu’unagentm’aidaàmelever.

Jegardai l’équilibresurunpiedpournepasmettredepoidssurmachevillecassée.Elleguériraitenquelquesjours.Unplâtreneferaitquem’embêter,aussinelaissai-jepasparaitrelagravitédelablessure.

—J’aientendudescoupsdefeuaprèsleuravoiréchappé.

L’agentCarson aboya quelques ordres, envoyant ses hommes par l’ascenseur avant dem’accordersonattention.

—Jesupposequevousavezuneexplication.

Ellemeregarda,puisReyes,etreposafinalementlesyeuxsurmoi.

Jememordislalèvreinférieureethaussailesépaules.

—Jesuisencoreentraind’ytravailler.

Unearméedevéhiculesofficielsarrivaitsurlesite,toutessirèneshurlantes.

— Eh bien, dépêchez-vous, dit-elle avant d’ordonner à un autre de ses hommes d’allerguider les nouveaux arrivants. On vous suivait, de peur que quelque chose du genre seproduise.

Reyesm’attiracontrelui,soutenantdemanièreexpertemonpoidsavecnonchalance.

—Danscecas,vousrappliquezunpeutard,dit-il,agacé.

OncleBobarriva alors, tout comme le capitaine, et jemedemandai ce que ça ferait decompter ce dernier dans notre équipe. Est-ce que ce serait bien pourObie de pouvoir seconfieràquelqu’un?Ilavaitl’habitudedebeaucoupdiscuteravecpapa,maisleursrapportssemblaients’êtrerefroidisdepuispeu,àmongranddésespoir.Peut-êtrequ’avoirlecapitaineàbordseraitunebonnechosepourObie.

Il seprécipitaversnous,mais,avantqu’ilnepuisseenplacerune,Reyesmesoulevaetmetransportaversle4x4d’oncleBob.Personnenesemblaréellements’inquiéterdufaitqueReyes avait l’air d’être tout juste tombé d’un silo haut de sept étages. Ses habits endonnaientl’impression,entoutcas.Sapeausombreétaitsansdéfaut,etjenesavaispassic’étaitgrâceaubaiserquejeluiavaisdonnéouàsafacultéàguérirplusvitequelalumière.

—Jesupposequevousaveztoutcequ’ilvousfautpourl’instant,dit-ilàl’agentCarson.

Ellecommençaàprotester,maisunregarddéterminédeReyessuffitàlafairetaire.

—J’auraibesoindevostémoignagesàtouslesdeux,demainmatinàlaprem…

— Elle doit rentrer à la maison, la coupa oncle Bob d’un ton qui ne souffrait aucuneobjection.

Il la salua de la tête avant de se diriger vers son 4x4 pour ouvrir la porte àReyes, quim’assitsurlabanquetteavecdouceur.Ilétaitsifort,siparfaitdanslesmoindresdétailsqu’ilétait impossible de ne pas le dévisager. Je me demandais si je m’habituerais jamais à sa

perfection.Probablementpas.

—Oui.

Jerépétaimaréponse,aucasoùilnem’auraitpasentenduelapremièrefois.

Deuxcharmantesfossettesapparurentauxcoinsdesabouchesensuelle.

—Tul’asdéjàdit.

—Jesais.Jevoulaisjustem’assurerquetum’avaisentendue.

—Concentre-toisurcettesensationunmoment.

—Commentça?demandai-je,suspicieuse.

Ilneréponditpas.Aulieudeça,ilfitsigneàObied’approcher.

—Vouspourriezbloquerlavue?luidemandaReyes.

Obiefronçalessourcils,aussiReyesajouta:

—Ellevacommenceràguérirtoutdesuite.Ilfautqu’onremetteçaenplace.

J’ouvris la bouche en grand lorsque je compris qu’il parlait de ma cheville. J’avaisl’impression qu’elle était engloutie dans un puits de flammes, mais ce n’était rien que jen’avaisdéjà ressentiauparavant.Quandbienmême, l’idéequeReyes la remetteenplace-qu’ellesoitremiseenplacetoutcourt-m’emplitdeterreur.

OncleBobacquiesçaet sedéplaçaafindebloquer lavueauxofficiersqui se trouvaientpartoutautour.

J’attrapai lebrasdeReyes,enfonçantmesonglesdanssachair lorsqu’il retiramabotte.J’étais presque sortie du siège lorsqueObie attrapa une demesmains et la serra. Aprèsavoir étudiémacheville, choseque je nepouvaisme résoudreà faire,Reyesme regarda,sesyeuxd’unbrunprofondcompatissantslorsqu’ildit:

—Serrelesfesses.

Lapeurexplosaenmoi.

—Peut-êtrequ’ondevrait…

Un craquement aigu résonna dans le petit habitacle, et j’inspirai si brusquement queplusieurstêtessetournèrentdansnotredirection.Reyesm’entouraaussitôtdesesbras.Jemeraccrochaiàluietétouffaiuncridanssonépauletandisqueladouleur-quiavaitenflésiviteetsifortquej’avaisfaillienperdreconnaissance-diminuait.Lorsqu’ellefutàunniveauassez tolérable pour que je puisse me retenir de pleurer, je relâchai mon emprise. Je neremarquai qu’à ce moment qu’oncle Bob me tenait toujours la main, ses doigts épais semêlantauxmiensaupointquetoutcequ’onvoyaitétaientmesongles.

Chapitre22

Suruneéchelledeunà«commesijevenaisdemarchersurunlego»,

àquelpointavez-vousmal?

Pancarted’hôpital

Deux joursaprès l’incident qui serait connudepar lemonde,ouen tout casaubureau,sous lenomdeTragédieduGrandSilo, jeboitillaiavecamertumedans lepénitencierpourfemmesduNouveau-Mexique,unebéquilledansunemainetundossierdansl’autre.CookieavaitréussiàdécouvrircequiétaitarrivéàMiranda.Elleavait trouvéunecopiedudossierdepolice.Ildétaillaitsonhistoire,pourquoielleavaitdécidédehanteruntéléphérique,etcequ’ilétaitadvenudesamèreabusive.

Je devaisme rendre à un enterrement plus tard dans la journée,maismamatinée étaitréservéepour une femmebienprécise : lamèredeMiranda.Celle qui l’avaitmaltraitéedemanièresiatrocequesafillen’avaitpusedéfairedesrépercussionsmentalesmêmedanslamort.

J’avaisbesoindesavoir.Cequ’elleavaitfaitsubiràsafilleétaitimpensable.Ilfallaitquejesachesielleéprouvaitduremords.Siellesesentait responsabledecequ’elleavait fait.Sielleavaitconsciencede lagravitédesesactionsetd’àquelpointellesavaientaffectésonadorablefille.Siçaluiimportait.Quequelqu’unpuissecommettredetelsactesétaitau-delàdemacompréhension.Fallait-ilêtresociopathe?Ousimplementladernièredessalopes?

J’avais fait jouetmes relations, à savoir oncleBob, et lui avais fait appeler le centre dedétention pour arranger une entrevue. Il leur avait dit que j’étais consultante, que j’aidaisl’APD sur une affaire et avais besoin de poser des questions àMmeNelms au sujet d’unvieuxdossier.Cequiexpliquait le faitque j’étaisassisedevantuneépaissevitreàattendrequelamèredeMirandaarrive.

Elleétaitenprison-Dieumerci-pourlemeurtredesafille,maisellen’avaitjamaisadmisavoir fait quelque chose de mal. Les retranscriptions du procès montraient qu’elle avaitdéclarésoninnocencemêmeaprèsqu’unjuryl’avaitinculpée.Mêmeaprèsqu’unjugel’avaitcondamnée à quinze ans de réclusion. Elle serait probablement relâchée sur parole dansquelquesannées.Siellenepassaitpasmontest,jeseraislàpourl’attendre.

Une femme imposanteentradans lapièce. Je fus surprise.Sur laphotode sondossierd’arrestation, Mme Nelms était atrocement maigre, les lignes de son visage dures etcraqueléescomme lesplainesd’undésertaride.Elleavaitprisdupoidsdepuisqu’elleétaitenprisonetcoupésescheveuxhorriblementdécolorés.Elle lesportaitàprésentcourtsetneressemblaitplusvraimentàunejunkie,maisplutôtàlamatriarched’uneécolerussepourfilles.Aucundecesdeuxlooksn’étaittrèsattirant.

Elle s’assit en face de moi, le regard curieux tandis qu’elle décrochait le téléphone. Jel’imitaiet,puisquejevoulaismefaired’elleuneimpressionclairedèsledépart,jenedisqu’unmot:

—Miranda.

Elle cligna des yeux et attendit que je pose une question. Ça, c’était en apparence. Al’intérieur,sesdéfensessemirentenplace.Sonpoulsaccéléra.Sesmusclesseraidirent.

—L’avez-voustuée?continuai-je.

Ellepinça labouchesi fortqueses lèvresdevinrentblanches.Lorsqu’elle réponditenfin,ellelefitavecuneanimositéàlaquellejenem’attendaispas.

—Jen’aipastuéMiranda.

Jeme forçai à rester calme tandis que le chocme traversait. Elle nementait pas. Pastotalement. Mais je savais depuis que Miranda m’avait traversée que cette femme l’avaitmaltraitée de manière aussi horrible qu’impardonnable. Je me repassai mentalement lesélémentsdudossier. Ils avaient retrouvé le corpsdeMirandadans lesmontagnesSandia,quasiment sous le passagedu téléphérique.Elle était dansunétat dedécomposition tropavancépour qu’onpuissedéterminer la causedudécèsavecexactitude,mais lespreuvessuggéraient des coups à la tête. Son crâne était fissuré en deux endroits. Chacune desfissures aurait pu causer un hématome sous-dural. Chacune aurait pu provoquer samort.Elle avait également desmarques de ligature aux chevilles et aux poignets et demultiplesdécolorationssursapeausuggéraienténormémentd’ecchymoses.

Cen’étaitpasassezpour faire inculperMmeNelms.Enfait,ça laissaitpresqueprésagerl’inverse.N’importequiauraitpuenleverMiranda.N’importequiauraitpul’attacheretlatuer.Mais leministèrepublicavaitréussiàprouverqueMmeNelmsavaitmentisur ladatedeladisparitiondesafille.ElleavaitditqueMirandaavaitdisparudepuisdeuxsemaineslorsqu’ilsavaient trouvé son corps, or les légistes avaient déduit qu’elle se trouvait dans la naturedepuis aumoins unmois. Le fait que la chronologie ne concordait pas, ajouté à quelquesautres preuves indirectes, comme les multiples fractures et les visites à répétition auxurgencesdurantlacourtedeviedeMiranda,avaientétésuffisantspourqu’unjuryladéclarecoupable demise en danger d’enfants qui résultait en décès. Leministère public, sachantqu’iln’obtiendraitprobablementpasplus,s’enétaitcontenté.

—Jen’airienàvoiravecça,ajouta-t-elle.

Mêmesidesaccentsdecolèrefaisaientvibrersavoix,iln’yavaitpaslamoindretracedeculpabilité dans son regard. Comment était-ce possible ? Je l’avais senti chez Mirandalorsqu’elleavaittraversé.Cettefemmeétaitresponsabledesamort.C’étaitobligé.

Jemepenchaidanssadirection,plusdéterminéeque jamaisàdécouvrir lavéritésurcequiétaitarrivéàMiranda.

—Alorsqui?

—C’estpourçaquevousêtesvenue?Pourmeposerdesquestionssurmondossier?Lesgardesontditquec’étaitpourquelquechosed’autre.J’aipenséquec’étaitausujetdemonfils.

—Marcus?Iladesennuis?

Ellemelançaunregardnoir,exprimantclairementqu’ellen’avaitrienàajouter.

Peut-être qu’elle était sociopathe et que la raison pour laquelle je ne ressentais pas lamoindreculpabilitéenelleétaitqu’ellen’enéprouvaitpas.Maiselleavaitréagilorsquej’avaismentionnéMarcus.Elleavaitplissélesyeuxsirapidementqueçaauraitpupasserinaperçu.Etunevagued’émotions’étaitéchappéed’elle.Cen’étaitpasceàquoijem’étaisattendue.C’était de la peur. Le genre de peur qui semanifestait quand quelqu’un avait fait quelquechosedemaletnevoulaitpasquequiconquel’apprenne.Pasqueçamesoitdéjàarrivé.

Soudainement,ilfallaitquejemerendequelquepart.

— Très bien, dis-je en posant les coudes sur la table devant moi. Que vous soyezresponsablede lamortdeMirandaounon,vousyavezcontribuépoursûr.Ellese trouvedansunendroitmeilleuràprésent,quelquepartoù lesmonstrescommevousnepourrontplusjamaiss’enprendreàelle.

MmeNelmsnecommentapas.Çan’avaitpasd’importance.J’avaisobtenuceque j’étaisvenuechercher.Qu’elleaittuésafilleounon,c’étaitunmonstre,etj’avaisbienl’intentiondem’assurerqu’ellebrûleraitenenferpourcequ’elleavaitfait.

Dans l’éventualité où quelqu’un commettrait une erreur et l’enverrait dans la mauvaisedirectionaprèssamort, jeposaiunemaincontre lavitre,détendismesmuscles,vidaimonesprit,etrevinsdansunautrepland’existence.J’yétaisdéjàvenueauparavant.J’avaisvulefeuéterneldeReyesdepuislà.Lesflammesquiléchaientsoncorps,quicaressaientchaquecentimètrecarrédesapeau.Et,deceplan-ci,j’étaisenmesuredevoirlavéritablenaturedela femme qui se trouvait en face demoi. Je pouvais observer son âme froide et sombre,aussividequ’ungouffresansfond.

J’esquissai un geste de la main, caressant la vitre du bout des doigts, laissant monessencefiltrerjusqu’àelle,puisjemarquaisonâme.L’énergiepritformedanslanoirceurquil’habitait.J’avaisdéjàvucedessinsurReyes.Passursonâme,maissursoncorps.C’étaitunepartiede lacartede l’enfer,unélémentdeses tatouages,et jesusque j’avaisenvoyél’âmedeMmeNelmsaubonendroit.

Jeluisourisetparlaidanslecombiné,montonpragmatique,etellecompritquejedisaislavérité.

—Vousallezgrillerenenferpendanttrès,trèslongtemps.

La peur s’empara d’elle. Elle resta immobile pendant quelques instants, tétanisée, puisraccrochaviolemment le combinéet se levapourpartir. Je lui adressai un rapide clind’œilavantdefairedemême.

J’appelaiCookiedèsquejefusretournéeàMisery.

— J’ai besoin d’une adresse, lui dis-je lorsqu’elle répondit. Marcus Nelms. Il faut que jesacheoùilsetrouveactuellement.

Je sortis de l’I-40 à Moriarty, une petite ville qui se trouvait à trente minutes à l’estd’Albuquerque, et me dirigeai droit vers la rue centrale. Marcus Nelms devait avoir lavingtaine,actuellement.Cookiem’avaitditqu’ilavaitétéplusieurs foisenprisondepuissesdouze ans pour divers crimes, notamment possession de stupéfiants. Après avoir tourné

dans la ville, j’arrivai dans un parc de maisons mobiles et me garai au moment où montéléphonem’avertitdel’arrivéed’untexto:Cookievenaitdem’envoyerladernièrephotoendatedeMarcus.C’étaitun joligarçonquiavaitdéjàmenéuneviedifficilemalgréson jeuneâge.

Jesortisdevoitureetmarchaidanslaboueetlesfougèresjusqu’àcequejeparvienneàunescalierbranlantet,aprèsavoirprismavieenmain,à laported’entrée.Commeaucunvéhiculen’étaitgarédevant lemobil-homeetqu’aucune lumièren’étaitalluméeà l’intérieur,onauraitditqu’iln’yavaitpersonne,maisjefrappaimalgrétout.Aprèsmontroisièmeessai,leplusagressif,del’agacementmeparvintàtraverslesmursfinsquelquessecondesavantquelaportenes’ouvredequelquescentimètres.

Deux yeux sombres apparurent dans l’embrasure. C’étaient ceux d’un certain MarcusNelms.Je luimontraimalicencededétectiveprivéepourm’assurerd’avoir l’airofficiel,puisdemandai:

—MonsieurNelms,puis-jevousparlerausujetd’uneaffairesurlaquellej’enquête?

—Jesuisoccupé,répondit-ild’unevoixgraveetgroggy.

Jel’avaisdetouteévidenceréveillé.

—Marcus,monnomestCharleyDavidson.Jesuisdétectiveprivée.Vousn’avezrienfaitdemal.J’ai justebesoindevousposerquelquespetitesquestions,puis jem’enirai.Puis-jeentrer?

Il hésita avant de pousser un long soupir et d’ouvrir la porte. Il était torse nu, son jeanassezbassurseshanchespourlaisserentrevoirqu’ilavaitdécidédenepasporterdesous-vêtements ce jour-là. Il était trop mince, sa peau en mauvaise santé trahissait qu’ilconsommaitde ladroguedepuis longtemps,etsescheveuxn’avaientpasété lavésdepuisunesemaineaumoins,mêmes’ilnesentaitpasmauvais.Ilallumaunelampelorsquej’entraidans le living-room sombre. Elle illuminait juste assez la pièce pour me permettre de merendresansencombreversunfauteuilquisemblaitplutôtbancal.

J’en profitai pour essayer de capter tout ce que je pouvais afin d’avoir une meilleurecompréhensionde lui. La froideurque j’avais ressentieauprèsde samèren’était pas là. Iln’étaitpaschaleureux,maisiln’étaitpasfroidnicalculateur.Ilétait…vulnérable.

— C’est à quel sujet ? demanda-t-il en ouvrant une boisson énergétique avant d’enprendreunelonguegorgée.

Sa pomme d’Adam se souleva et s’abaissa. Sonmanque de tissus graisseux rendait lemouvement très visible. Il se laissa tomber dans le seul autre fauteuil de la pièce, quisemblaittoutaussibranlantqueceluisurlequeljemetrouvais,maisunpeuplusrembourré.Aprèsavoircroisésespiedsnussurunecaisseenplastiquequ’ilutilisaitcommetablebasse,ilm’accordasaplustotaleattention.

—Vousavezdescolocataires?demandai-jeenregardantderrièremoidepeurd’êtrepriseentraitre.

—Pasactuellement.Mapetiteamiem’aquittéeilyaquelquessemaines.(Ilsemitàfixerlesommetdesacanette.)Elleaditquej’avaispeurdel’engagement.C’estJohnnyquivousenvoie?

Ilpritunenouvellerasade,aussimedis-jequ’ilfallaitquej’ailledroitaubut.

—JenesaispasquiestJohnny.Jevoulaisvousparlerdevotremère.

Ilarrêtadeboire,semitàtousserdoucement,puisdit:

—Cette vieille pute n’est pasmamère. Vous vous trompez si vous pensez que je vaisrépondreàn’importequellequestionàsonsujet.Jel’aipasvuedepuisdesannées,detoutemanière.

Je sentis la haine s’échapper de lui, mais également autre chose. De la douleur. Unedouleurépaisseetprofondequimebrûlait lefonddelagorgelorsquejerespirais.Ça,ouilavaitun labodemethartisanalà l’arrièreet j’étaisentrainderespirerde la fuméetoxique.Ceseraitbienmaveine.

Ilregardaàtraversunefenêtresaletoutensefrottantlalèvreinférieuredupouce.

J’attendisuninstantpourlaisserletempsàsesémotionsdesecalmer,puisj’attaquai.

—Elleditqu’ellen’apastuéMiranda.

Ilmesembla recevoir coupdepoingenplein ventre,maisMarcusn’avait pasbougé. Jecombattismonenviedemeplierendeuxtantsadouleurétaitpuissanteetétouffante.Ilnebronchaittoujourspas.Sonexpressionn’avaitpaschangé.

—Ellement.

—Jevouscrois.Jemedemandaissimplementsivouspourriezmeracontercequis’estpasséquandMirandaadisparu.Çam’aideraitvraiment.

—Aquoi,aujuste?demanda-t-il.(Il tournalatêtedansmadirectionetposasurmoiunregardnoir.)Elleestenprison.Quereste-t-ilàfaire?

—RendrejusticeàMiranda,répondis-je.

Maisçaneservitàrien.Ilétaitdéjàentraindefairemachinearrièreetmeregardaitdelatêteauxpiedscommesi j’étaissonprochainrepas,mêmesi jenesentaisquepeud’intérêtémanerdelui.Cen’étaitqu’unmoyendechangerdesujet.D’essayerdememettresurmesgardes.

—C’estquoivotrenom,déjà?

Jemepenchaidanssadirectiondemanièreaussineutrequepossibleetparlai lentementpourjaugersaréactionàchacundemesmots.

—Jem’appelleCharley,et j’aimeraisvraimentquevousmeracontiezcedontvousvoussouvenezausujetdevotresœur.

Sœur.Àcemot,sadouleurmepercutadepleinfouet,brûlanteetbrutecommesiMirandaétait morte la veille, et je compris pourquoi il se droguait. Il ressentait encore tant detristesse,tantdeculpabilitéausujetdesondécèsquel’automédicationétait laseulefaçonqu’ilavaittrouvéedes’ensortir.Maisilyavaitdemeilleuresmanièresdelefaire.Jemejuraisolennellementdefairetoutcequiétaitenmonpouvoirpourl’aideràlestrouver.

—Elleavaitdisparudepuisunmoislorsqu’ilsontretrouvésoncorps.Voussouvenez-vousdecequis’estproduitavantsadisparition?

Ilpritunenouvellegorgéepuisrecommençaàregarderparlafenêtretoutenfaisantrouler

samâchoiresouslepoidsdelaculpabilité.

—Est-cequevotremèreluiafaitdumal?

Ilricanaavantdemelancerunregardnoir,lesyeuxbrillantsethumides.

—Qu’est-cequivousfaitcroirequejevaisvousraconterquoiquecesoitalorsquejel’aiferméeauprèsdesflics?

—Jenesuispasdelapolice,etjefaisçapourMiranda,etMirandaseule.

—Elleestmorte.Vouspouvezplusrienpourça,non?

Son tourment était difficile à dépasser. Mes yeux commencèrent à piquer égalementlorsquejerepensaiàlapetitefilleterroriséedansletéléphérique,àsondésespoirsitotal.Asacertitudequ’ellen’avaitabsolumentaucunevaleur.

— Vous aviez quelques années de plus qu’elle, dis-je. Peut-être que vous vous sentezresponsable,d’unecertainemanière.

Unsourire lentetcalculéapparutsursonvisage. Ilsepenchadansmadirection,siprèsquesonvisagetouchamescheveux.Laboucheprèsdemonoreille,ildit:

— Je suis content qu’elle soitmorte. (La respiration se bloqua dans sa poitrine, et il luifallutquelquesinstantspourcontinuer.)J’auraisaiméqu’ellenenaissejamais.

Aussi cruels et bizarres que sesmots pouvaient sembler, etmême s’ils avaient été ditsavec animosité, ils ne signifiaient pas ce que Marcus aurait aimé que je pense qu’ilssignifiaient. Je ne ressentais aucune haine en lui. Pas demalveillance ou demépris. Il n’yavaitquedel’adoration,etuneculpabilitéquil’anéantissait.Çasemblaitêtreàlamode,cesdernierstemps.

Ilme repoussa et se leva pour se rendre au fond du corridor. Après lui avoir donné unmomentafindereprendremesesprits,jelesuivis.Jesentaisladouleurs’échapperdeluiparvagues,aussiouvris-je laportede laminusculesalledebainssans frapper. Ilétaitenpleincalvairealorsqu’ilsepassaitdel’eausurlevisage.Surlelavabo,àcôtédelui,setrouvaitunflacon de cachets sur prescription. Son dossier disait qu’il avait des tendances suicidairesdepuisplusieursannées,etjepensaiaussitôtquecespilulesétaientunmoyentrèsefficacede faire taire la douleur. Il fallait quelque chose de puissant pourmasquer un désespoir siconsumant.

J’entraialorsqu’ils’essuyaitlevisage.

— Marcus, dis-je aussi calmement que possible, vous savez que vous n’êtes pasresponsabledesamort,n’est-cepas?

Ilm’adressaunclind’œilquiavaittoutduflirt.

—Biensûr.

Ilouvrit le flacon,versadeuxcachetsdanssapaume,puis lespritenbouche. Ilavalaetpatientaquelquesinstantsavantdeselaisserglissersurlesol.

—Dites-moiquecetteputenevapassortirdeprisonavanttrèslongtemps.

Jem’agenouillaiàcôtédelui.Toutcommesasœur,onluiavaitapprisdèssonplusjeuneâgequ’ilnevalaitrien.Riendutout.

Moncœurétaitbientropserrélorsquejem’approchaidelui.

—Pouvez-vousmedirecequis’estpassé,Marcus?

—Pourquoi vous voulez savoir ce qui lui est arrivé ? demanda-t-il. Tout lemonde s’enfoutait. Ma mère n’a déclaré sa disparition que parce qu’un voisin s’est mis à poser desquestions.Çafaisaitplusdedeuxsemainesqu’ellen’étaitplus là.(Il releva la têtedansmadirection.)Vous imaginez?Deuxputainsdesemainesavantqu’ellesedécideàappeler lesflics.

—Marcus,dis-jeenposantunemainsursongenou.Iltenait laserviettedesdeuxmainset la tordait au point que ses jointures étaient devenues blanches. Se souvenir lui coûtaiténormément.Ilattrapaleflacondemédicamentsetenavalaundeplusavantdelereposeretdesecouvrirlesyeuxd’unemain.

—Onavaitétéexpulsésetonvivaitdanslamaisondematantependantqu’elleessayaitde la vendre. Elle venait d’épouser un type plein aux as qui vivait en Californie et avaitproposéqu’onrestelàjusqu’àcequ’elletrouveunacheteur.

ÇaexpliquaitqueMirandasesoittrouvéedanscettepartiedelaville.Lespropriétésqu’ontrouvaitdanslecoinétaientplutôtchics,et lesNelmsn’avaientpasl’aird’êtreassezrichespourvivredanslequartier.

—Quelquechosen’allaitpas,continua-t-il.Ellesecomportaitdifféremment.Ellen’arrêtaitpasdedirequ’ellevoulaitlamaisondesasœurmaisn’avaitpaslesmoyensdel’acheter…etcetypeencostards’estpointéetjelesaientendusparler.Mamèreaconcluuneassuranceviepournous.

Ilbaissasamainetmeregarda.Lasalledebainsétaitmieuxéclairée,etjeréussisenfinàvoirlacouleurdesesyeux.Ilsétaientvertnoisette.

— Elle allait tuer Miranda. Je le savais. A partir de ce moment, chaque fois qu’elle laregardait,elleavaitcesourire.(Ils’essuyales joues.)Non,cerictus.Etelleacommencéàmeparlerdetoutesleschosesqu’onpourraitfaireaveclamaison.Ellevoulaitunepiscineetunbar,uneT.V.géante.Elledisaitquesisasœurpouvaitavoirdebelleschoses,elleaussiyavait droit. Puis, une nuit, elle est venue dans notre chambre. Elle nous a dit de noushabiller.Qu’onallaitaulac.C’étaitlemilieudelanuit,enjanvier,maisellevoulaitalleraulac.(Ildétournaleregard.)Elleallaitlatuer.

Jerestaiaussiimmobilequepossibleetl’écoutai.

—Maisonnesepréparaitpasassezrapidement,alorselleafrappéMiranda.Violemment.Jemesouviensjustedusang.Ellem’aditdelaissertomberlelac,qu’elleallait l’emmeneràl’hôpital,maisjesavaisquec’étaitaussiunmensonge.J’aiprisMirandaparlamainetjel’aifait sortir par-derrière. On devait seulement se cacher jusqu’au matin, jusqu’à ce que jepuisseallerchercherde l’aide,mais il faisait tellement froid.Onn’avaitpasdevestes.Et ilfaisait si sombre.On cherchait unendroit où se réchauffer quand il a commencéàneiger.Mirandam’adit qu’ellenepouvait plus continuer, alorson s’est blottis l’un contre l’autreàcôté d’un rocher. (De nouvelles larmes dévalèrent ses joues déjà humides.) Elle s’estendormie dans mes bras et ne s’est jamais réveillée. (Il se couvrit le visage et essayad’empêcher lessanglotsde franchir labarrièredesagorge.) J’aiessayéde laporter,maiselleétaittroplourde.Jel’ailaisséelà.Commesiellen’étaitrien.

Unsanglotfinitpartriomphermalgrésesefforts,etilsecouvritdenouveaulevisage.

—Non,protestai-je.Marcus,vousn’aviezqueneufans.

Je déglutis pour me débarrasser de la boule au fond de ma gorge et plaçai une maincontresajoue.

—J’ai retrouvé le cheminde lamaisondema tante le lendemain.Mamannem’amêmepasdemandéoùétaitMiranda.Pasuneseulefois.Lesjoursontpassé,etonn’aplusparléd’elle.

Jememordislalèvreinférieureetmedemandaiquellesseraientmeschancesderéussitesij’essayaisdeluiprendrelerestedescachets.Ilvenaitdereprendreleflacon.Jecomprisàcet instantqu’iln’avaitaucune intentionderessortirdecettesalledebains.Pasvivant,entoutcas.

— Et ensuite un voisin a posé des questions sur Miranda ? demandai-je en merapprochant.

— Ouais. Alors maman s’est dit qu’on n’arriverait pas à cacher sa disparition trèslongtemps.Elledevaitlasignaler.C’estlàqu’ellem’aditdementir.DedirequeMirandaétaitdanssonlitlanuitprécédente.

Jene luienvoulaispasd’avoirobéi. Il vivaitavecunmonstre. Ilavaitde touteévidencepeurpoursaproprevie.Mais,àcetinstant,j’avaispluspeurpoursaviequelui.Lesdroguesproduisaientl’effetdésiré.Ilpenchalatêteenarrièreetleslaissaleconsumer.

Jetiraiavantagedelasituationettendislamainendirectionduflacon.

— S’il vous plait, non, dit-il. (Il semblait fatigué. Épuisé.) Vous n’y arriverez pas. (Latristesses’emparade lui tandisqu’ilattrapaitdenouveau le flacon.)Cen’estpasgrave.Jenemanqueraiàpersonne.

—Vousaveztort.

Son rire avait des accents de désespoir dans la petite salle de bains. Il n’avait aucunetraced’humour.

—Nevousinquiétezpas.Cen’estpasunetentativepathétique.Jenefaispassemblantd’essayerdemesuiciderenm’assurantquequelqu’unestlàpourappeleruneambulanceauderniermoment.(Ilmemontraleflaconetlesecouapourmeprouverqu’ilrestaitencoreunepiluleàl’intérieur.)C’estmaversiondelarouletterusse.

—Commentça?

— Dans un de ces cachets, même si j’ignore lequel, se trouve une dose mortelle decyanure.Alorsj’enprendsundetempsàautre.

J’ouvris la bouche en grand et lui arrachai le flacon des mains pour vérifier l’étiquette.Oxycodone.Mais j’ignoraissic’était réellementcequise trouvaità l’intérieur.Je relevai lesyeuxverslui.Ilnementaitpas.

—Sijeméritedevivre,jen’auraipasprislepoison.Siteln’estpaslecas…

Ilhaussalesépaulesetappuyadenouveausatêtecontrelemeuble.

Je tâtaimespochesà la recherchedemon téléphone,mais ilse trouvaitdansmonsac,

quiluiétaitausalon.

— Vous devriez vous en aller, dit-il, souriant de nouveau. J’aurais dû le faire il y alongtemps.

Chapitre23

Lesmauvaisesdécisionsfontdebonneshistoires.

Tee-shirt

Cookieetmoiétionssurlecôtéd’unepetiteprocessionfunéraire.J’étaisheureusequ’ellesoit venue avec moi. La tristesse épaisse qui nous entourait était si pesante qu’il m’étaitdifficilederespirer.Etmachevillemefaisaitsouffrir.

Entempsnormal,jeparvenaisàéteindrelapartiedemoiquicaptaitlesémotions,cellequilesabsorbaitcommeonabsorbelavitamineDquiémanedusoleil.Sinon,jemeretrouveraisbombardée de tragédies tous les jours dumatin au soir. Ça demandait de l’énergie, maiséleverdesbarrièrespourmeprotégerétaitpresqueunréflexeautomatique,àprésent.Jelefaisaistrèssouventavantmêmedequittermonappartementlematin.

Maisici,auxfunéraillesd’unemagnifiquepetitefilledetroisansdontl’amourpoursesdeuxpères flottait toujours dans l’air, mon mécanisme de défense ne fonctionnait pas. Je nepouvais qu’espérer que celles de Jessica ne seraient pas aussi douloureuses, puisque jedevraisaussim’yrendre.

Heureusement,jen’auraispasàalleràl’enterrementdeMarcusNelms.J’avaisappelélesurgencesetleuravaisexpliquépourlecyanure.Ilsluiavaientfaitunlavaged’estomac,mais,selon les docteurs, même s’ils étaient arrivés à temps pour empêcher l’overdosed’oxycodone,lepoisonl’auraittuépresqueinstantanément.Lesautoritésavaientvérifié;lapilulequicontenait lecyanureétait ladernièrequi restaitdans le flacon.Et,soudainement,j’avaisrecommencéàcroireauxmiracles.

Marcusaurait besoin debeaucoupd’aide, et je prévoyais dem’assurer qu’il l’obtiendrait.J’avais déjà parlé à mon ami, Noni Bachida. Il avait non seulement proposé d’engagerMarcusdanssongarage,maiségalementdegarderunœilsurluietdemeteniraucourantde sonétat. L’aidedeNoni, ainsi que les consultationsgratuitesque j’avais convaincumasœurdeluioffrir,medonnaientespoirquenousarriverionsàaiderMarcusàsortirdustyledeviequ’ilmenaitetàleguiderversdeplusbelleschoses.Ilavaitungrandcœur.Ilméritaittellementuneautrechance.Detouteévidence,quelqu’und’autreétaitdumêmeavis.

Malheureusement, tout lemonden’avaitpasdroitauxmiracles.Jedevaismeconcentrerpoursurvivreauxfunéraillessanséclaterensanglots.Lesémotionsquiirradiaientdesamisetdelafamilled’IsabelleJoyceétaientsipuissantes.Ellesmeparvenaientdetouslescôtés.La têteme tournait tandis que nous avancions en ligne pour présenter nos condoléancesaux pères endeuillés. Ils l’avaient aimée si profondément que marcher dans leur directionétaitcommeessayerdetraverserunmurdebrique.

Sentantmadétresse,Cookiepritmonbrasdanslesien.Lesgensserraientlespèresdansleursbras, leurcompassionsincère, lapertecommedes trousbéantsdans leurspoitrines.

Cookiereniflaetprit lamaindumarideM.Joyce,Paul.C’étaitungrandhommeauvisagechaleureuxetàlapoignéedemainfranche,commejeledécouvrislorsquecefutmontour.Heureusement, il ne demanda pas comment nous connaissions sa magnifique petite fille.Cookieetmoiavionspenséàuneexplicationtoutefaite,mais,pourl’instant,nousn’avionspaseubesoindenousenservir.

—Mercid’êtrevenues,dit-il,sesyeuxrougiss’humidifiant.

Je pouvais sentir la violente douleur qu’il tentait de museler. Forcer les mots à sortir,n’importequelsmots,étaitunetorturepourlui.Ilnerêvaitquederentrerchezeux, loindetout, et mon cœur se serra en réponse. J’avais envie de lui dire que la cérémonie seraitbientôtterminéeetqueluietsonmaripourraientfaireleurdeuiletguérir,ensemble,maiscen’étaitnilelieunilemoment.Lesamisetlafamilled’Isabelleétaientvenuspourrendreleurshommages.Essayerdeminimisercelaneluirendraitpasjustice.

Cookieserramonbras,etjeprisconsciencequejen’avaispaslâchélamaindePaul.Luin’avaitpasremarqué.Ilsebattaitpourresteràlaverticale.Pournepass’écrouler.M.Joyceraffermitsonemprisesur l’épauledesonmari lorsqu’ilss’autorisèrentàpleurerpendantuninstant.

CefutalorsqueM.Joyceremarquaquenousétionsenfacedelui.Iljetauncoupd’œilàsoncompagnon,etl’inquiétudetraversasonregardrougilorsqu’illeposasurmoi.Jeprissamain,mepenchai,etmurmurai:

—Vouslaretrouverezbientôt.Votreâmevousappartient.Nelaperdezplus.

Lorsque j’essayai de reculer, ilm’attira à lui et enfouit son visagedansmanuque tandisque lessanglots lesubmergeaient.Jeplaçaiunemainà l’arrièredesa têteet fis toutmonpossiblepourrestermaitressedemesémotions.Jehaïssaislesenterrements.Jedétestaistous les ritesdepassagequimettaient l’accentsur le faitque lesviesphysiquesétaientsibrèvesetfragiles.Jedétestaisquelesenfantsmeurent.Mêmeensachantcequejesavaissur lavieetcequivenaitaprès,quenosviessurTerren’étaientquemomentanées, j’étaisen colère. C’étaitmieux de l’autre côté. J’en avais conscience. Un nombre incalculable dedéfuntsmel’avaientdit,maisjedétestaisquandmêmeça.

Et,quecesoitdit,réconforterlesvivantsenleurassurantqueceuxqu’ilsaimaientétaientdansunendroitbienmeilleurn’aidaitquerarement.Riend’autren’avaitd’effetqueletemps,et, même là, le pronostic sur le long terme était compliqué. La plupart s’en remettaient.Beaucoupnelefaisaientjamais.Pasréellement.Pascomplètement.

J’avais encore une course à faire avant de pouvoir mettre ma cheville douloureuse aurepos.Ilétaittempsdeprendreunbonbainmoussant.Ajoutezàcelaquelquesbougies,unverre de vin et un véritable fiancé du nom de Reyes, et ça risquait d’être une soiréemerveilleuse.Saufqueleditfiancéétaitencoreentrainderécupérerdesachute.J’ignoraisàquelpointlesdommagesétaientimportantsvuquejem’étaisendormieàl’instantoùnousétions arrivés à la maison, mais l’avoir si près demoi, avec sa chaleur qui imprégnait lesdraps et m’enveloppait de manière délicieuse tout en me soignant m’avait fait trouver unsommeil profondaussitôt. Il était déjàparti quand jem’étais réveillée cematin, ne laissantderrièreluiquel’odeurdesongeldouche,cequim’avaitdonnéencoreplusenviedelevoir,même rapidement. Mais j’étais déjà en retard pour les funérailles, aussi n’avais-je pas eu

l’occasiondefaireuncrochetparlebaravantdem’yrendre.

Et le voir devrait attendre encore un peu. Je garai Misery devant chez Rocket. L’asilepsychiatrique désaffecté avait été nettoyé, les couloirs vidés, et une clôture métalliqueflambantneuveentouraitlepérimètre.JesortislacléetregardaiCookie.

—Prête?luidemandai-je.

Elle n’avait jamais rencontré Rocket ni sa sœur, Baby. Pas plus qu’elle n’avait étéprésentée à la sœur de l’officier Taft, Rebecca-ou Charlotte aux Fraises, comme j’aimel’appeler,engrandepartieparcequ’elleétaitmortedansunpyjamadont lesmotifsétaientdescharlottesauxfraises,maissurtoutparcequel’appelerainsiétaitpluspoliquetouslesautres noms qui me venaient spontanément à l’esprit dès que j’étais en sa compagnie.C’étaitunsacrémorceau.Etelleavaitdegrosproblèmes.

Cookieregardaitlebâtiment,lesyeuxgrandsouverts.Elleacquiesça,puissetournaversmoietsemorditlalèvreinférieure,sanervositéprenantledessus.

—Ilfaudraquetuservesd’interprète.

—Net’enfaispas.

Après avoir déverrouillé la clôture, puis l’entrée principale, nous entrâmesprécautionneusement. Cookie était sur ses gardes parce qu’elle n’était pas très fan desasiles psychiatriques désaffectés. Surtout ceux qui étaient hantés. J’étais surmes gardesparceque,ladernièrefoisquej’avaisvuRocket,jen’avaispasététrèssympathiqueaveclui.Il m’avait dit que Reyes allait mourir et je ne l’avais pas très bien pris. En fait, c’était unmoment pas très glorieux dema vie, si on pouvait mesurer les moments pas glorieux ennombredefoisoùonavaitmenacédedécouperdesgaminesdecinqansendeux.

Jegrimaçaienyrepensant.Cookieleremarquaalorsquejeclopinaiàcôtéd’elle.Mêmesil’extérieur du bâtiment avait été nettoyé et maintenu en excellent état, l’intérieur était enruine. Des bouts de plâtre qui s’étaient détachés du mur recouvraient le sol, au milieud’équipementetautresobjetsquiavaientétéabandonnésaufildesans.Beaucoupdefêtess’étaient tenues ici. À côté des gribouillis de Rocket, les preuves qu’on était entré pareffractionunnombreincalculabledefoisdanscelieunemanquaientpas.Desgraffitissurlesmurs.Descanettesdebièrevides.Detempsàautreunpréservatifusagé,cequimefilaitlanauséedèsquej’enapercevaisun.Cetendroitavaitbesoind’unboncoupdebalai.

—Iladéjàétéencolèrecontre toi?demandaCookieen faisant référenceà lamanièredontleschosesétaientrestéesavecRocket.

— Non, mais il l’est sûrement, en ce moment. Si ce n’était pas le cas, je me sentiraisencoreplusmal.

—Donctuméritessoncourroux,c’estcequetuessaiesdemedire?

—Ouaip.

Avant qu’elle ne puisse protester, une voix haut perchée résonna dans le corridor. Jegrimaçai en l’entendant. Elle avait un certain je-ne-sais-quoi qui rappelait fortement desonglessuruntableaunoir.

—Oùétais-tupassée,bonsang?

Charlotte aux Fraises apparut devant moi, ses longs cheveux emmêlés encadrant sonadorablefrimousse.Sonpyjamaavaitétésali lorsqu’elles’étaitnoyée,mais ilétait toujoursroseettoutmignon.Pascommecellequisetrouvaitdedans.

J’hésitai.Elleétait présentedurantmonmomentpasglorieux,et jenesavaispassiellem’envoulaitencore.Lesdéfuntspouvaientsemontrertrèsrancuniers.

—Salut,gamine,luidis-jefinalement.

Dansma vision périphérique, je remarquai queCookie regardait dans lamême directionquemoi,même si elle ne pouvait pas voir lamagnifique petite fille qui se tenait là.C’étaitvraiment une super amie. Et elle était tellement plus pratique qu’une béquille. Je pouvaism’appuyersurelleetnepasm’embarrasserdetrainerunboutdemétalpartoutoùj’allais.Etça donnait enfin l’occasion à Cookie de voir où Rocket créchait. Tout le monde étaitgagnant.

—Ehbien?demandaCharlotte.Oùétais-tupassée?Ilestvraimentcontrarié.

—Ilestencolèrecontremoi?

Ellecroisasespetitsbras.

—Ilrefusedes’arrêter,etiladutravail.Ilditqu’ilesttrèsenretard.

Le travaildeRocket,sionpouvait l’appelerainsi,étaitdegraverdans lesmursde l’asilelesnomsdetousceuxquimouraient,cequicontribuaitgrandementàleurmauvaisétat.Desmilliersetdesmilliersdenomsrecouvraientquasimentchaquecentimètrecarrédel’intérieurdubâtiment,détailqueCookiecommençaittoutjusteàremarquer.Elletournalentementsurelle-mêmeenobservantleslieux.Ilmefallutreplacermamainsursonépauleetsesbrasaufuretàmesurepouréviterdeperdrel’équilibre,chosequinesemblapasladéranger.

—Cetendroitestincroyable,dit-elle.

—N’est-cepas?

—Ilesttellementflippantetcoolàlafois.

—Ouais,hein?

CharlotteauxFraisesposabrusquementsespoingssurseshanches.

—Ehbien?répéta-t-elle.

LorsqueCookierepritmonbrasdanslesien,jemeconcentraidenouveausurCharlotte.

—Ilrefusedes’arrêterdefairequoi,mapuce?

Ellerelevalégèrementlementon.

—Jepeuxpastedire.

Je commençais à avoir l’habitude de cette charmante créature, même si je détestaisl’admettre,aussidemandai-je:

—Est-cequetupeuxmemontrer,danscecas?

Elle haussa les épaules et porta toute son attention sur Cookie, comme si elle ne laremarquaitquemaintenant.

—Oh,jesuisdésolée.C’estCookie.Cookie,jetepré…

—Sonnom,c’estCookie?

—Oui,etcen’estpaspolid’interromprelesgens.

Elleplissalesyeuxtoutenétudiantmameilleureamie.

—Ellemeplait.

—Moiaussi,jel’aimebien.TupeuxmemontrercequefabriqueRocket?

Après un autre haussement d’épaules, Charlotte nous guida, posant question aprèsquestion à Cookie. Je tenais une lampe de poche et servais d’interprète tandis que noustraversionsleshallssemésd’embûches.Letempsqu’ontrouveRocket,Charlottesavaittoutcequ’il yavaitàsavoir surCookie, ycompris le faitqu’elleavaitune fille.Charlottevoulutaussitôtlarencontreretmefitpromettredelaprendreavecmoiàl’occasion.

Nous remontâmes un nouveau corridor, celui qui menait à l’infirmerie, et trouvâmesRocket,appuyécontreunmurpourygraverunnom.RocketétaituneversionhumainedubonhommeMichelin.Ilmedépassaitd’unebonnetêtelorsqu’onétaitcôteàcôte,etilavaitunregardbonetcurieuxquinesemblaitjamaisvraimentremarquercequisepassaitautourdelui.

—Ilesttrèsenretard,répétaCharlotteauxFraisesendésignantlemurqu’ilétaitentraindegraver.

Jenem’inquiétaispasdesnomssursaliste.C’étaitàsonsujetquejemefaisaisdusouci.Je ne lui en voudrais pas s’il neme parlait plus jamais. Aumoins, Reyes avait acheté cetendroitpourmoietjesavaisquejepourraisgarderRocketetsasœurensécuritéici.Siluiétaitincorporel,lesdommagesqu’ilfaisaitauxmurs,eux,étaientbeletbienréels.Et,sicetasilevenaitunjouràêtredétruit,j’ignoraiscequ’iladviendraitdelui.

—Rocket?

Samains’immobilisaet il regarda lesolavantde reprendre làoù ilenétait. Ilutilisaitunmorceaudeverrequ’il tenaitde lamaingaucheet frottait contre lemur jusqu’àcequeçaressembleàunelettredel’alphabet.Maispaslenôtre,cen’étaitpasdel’anglais.Jeregardaiautour de moi dans l’espoir d’apercevoir sa sœur. Il m’avait fallu des années pour larencontrer,etj’avaisfaillilafairemourirdepeur-façondeparler-lorsdemadernièrevisite.Jenelaverraisprobablementplusjamais.

Mêmes’ilétaitparfaitementconscientdemaprésence,Rocketcontinuaàtravailler.

JelâchaiCookieetmerapprochai.

—Rocket, jesuis tellementdésoléede lamanièredont jemesuiscomportée.Jen’avaisaucundroitdem’énervercontretoioudemenacertasœur.Jen’aiaucuneexcuse.

—C’estoublié,MissCharlotte,répondit-ilsansmeregarder.Maisilnedevraitplusêtrelà.

IlparlaitdeReyes.

—Ilestmorthier,dis-je.Etilestrevenu.C’estpourçaquetuasécritsonnomsurlemur?

—Ilesttrèsenretard.Desgenstraversentetiln’écritpasleursnoms.

—Charlotte,iltravaillecommeunfou.Tuvoistouscesnoms?demandai-jeendésignantlesgravuresdeRocket.

—Non,dit-elleenperdantpatience.Ça,cenesontpasdespersonnesquisontmortes.Cesontceuxquisontsurlepointdemourir.

Jeclignaidesyeuxenremarquantundétailquim’avaitéchappé.Nousétionsdanslapiècequ’ilgardaitdecôté.Laseuledont,jusqu’àpeu,lesmursavaientétéimmaculés.Iln’yavaitpasuneégratignure ladernière foisque j’étaisvenue.Pasunseulnom.Rocketm’avaitditqu’ilréservaitcetendroitpourlafindumonde.PourlemomentoùReyesallaitledétruire,cequiarriveraitsi je le laissaisvivresurTerre. Ilm’avaitditquesaprésenceici-basenfreignaitlesrègles.J’étaisalléeàl’encontredel’ordrenatureldeschoses.

Rocketparlapar-dessussonépaule.

—Jevousavaisditdenepasleramener,MissCharlotte.

Je reculai pour avoir une meilleure vue. Charlotte aux Fraises avait raison. Il s’agissaituniquementdenouveauxnoms,denouvellesgravures.

—Jenecomprendspas,luidis-je.

Ils’arrêtaenfinetsetournaversmoi.Lorsqu’ilrépondit,sesmotsn’étaientqu’unmurmurequirésonnadanslagrandepièce.

—Jevousl’aidit, iln’estpascenséêtre là. Ilenfreint lesrègles.(Ilposaunindexsursabouchepourmefairetaire.)Etonnedoitpasenfreindrelesrègles,MissCharlotte.

—Quisonttouscesgens,Rocket?demandai-jeenm’approchantpoursuivreletracédeslignesqu’ilgravaitsurlemur.

—Cesontlespersonnesquivontbientôts’enaller.

Jesecouailatête.

—Çan’apasdesens.

— Vous ne l’avez pas tué. Vous étiez censée le faire. Ce n’était pas votre faute, maisc’étaitcequevousdeviezfaire.Maintenant,ilsvonttouss’enaller.

—Combiendepersonnesvonts’enaller?

Ilpinçalabouchetoutenobservantsontravail.

—Toutes.

—C’estimpossible,Rocket.

—Vousavezenfreintlesrègles,MissCharlotte.Vousl’avezramené.

—Foutaises!m’énervai-je.

Il recula d’un pas, sur ses gardes, et je pris une profonde inspiration pour essayer deresteraussicalmequepossible.

— Je suis désolée, mon grand. Je ne comprends simplement pas. Comment Reyespourrait-ilêtrelacausedelamortdetouscesgens?

—Pascomment,répondit-ilenrevenantàsavieilledevise.Pasquand,justequi.

Il pouvait uniquement me dire qui était mort. Ni comment, ni quand, ni pourquoi.Seulementqui.

—Onnetrichepas,dit-ild’unevoixquitremblait,àprésent.

Jeplissailesyeuxalorsquelacolèrequej’avaisjusque-làréussiàmuselerfranchissaitlesbarrièresquej’avaisérigéesets’insinuaitenmoi.

—C’estmoi qui décidedes règles,Rocket.CommentReyesest-il censé causer lamortde…(jeregardaiautourdemoi)milliersdepersonnes?

—Pasdemilliers,MissCharlotte.Septmilliardsdeuxcentquarante-huitmillionssixcentvingtmillecenttreizepersonnes.

Jesecouailatête,abasourdie.

—Comment?répétai-jeentremesdentsserrées.Tuparlesdetouteslespersonnesdelaplanète,là,etc’estimpossible.Comment?

Ilfronçalessourcilsetbaissaleregardpourréfléchir.

—Ouuneseule.

—Quoi?demandai-jeenclignantdesyeux.

—Ouuneseule.Siunemeurt,toutlemondevit.

—Qui,Rocket?Reyes?

—Non,MissCharlotte.Pascettefois.

—Attends,j’aichangéledestin,c’estbiença?J’airamenéReyes.Maisquelqu’und’autredoitmourir?

Lorsqu’ilacquiesça,jedemandai:

—Qui?

Nousavionsdéjàétédanscettesituation,etelleavaitmalfini.Rocketnevoulaitpasmeledire,mais ilavaitperduunpeudeson innocencedepuis ladernière fois. Ilavaitcomprisqu’ilvalaitmieuxnepasretenird’information.

Ildéglutitdifficilementetchuchota,savoixsifrêlequej’euspeurqu’elles’évanouisseavantdemeparvenir.Maiscenefutpaslecas.Ellerésonnadansmonespritcommeuncoupdetonnerre.

Ilmeregarda,lesyeuxécarquillés,etrépéta:

—Vous,MissCharlotte.

Chapitre24

Ilmefautplusdecaféine!

J’aidesviesàdétruire!

Tee-shirt

Reyesetmoiétionscouchésdansnoslitsrespectifs,nosvisagesàquelquescentimètresl’un de l’autre, nos respirations se mélangeant entre nous comme de douces caresses.Mêmes’ilétaitpasséminuit,ilvenaitdesedoucheretsentaitlepropre,sonodeurtoujoursbienprésentesous le savonauboisdesantalqu’il utilisait.Sescheveux,encorehumides,bouclaientàcôtédesonoreille.

Je n’avais pas obtenu beaucoup d’informations de la part de Rocket, mais si je devaismourirpoursauverlemonde,ainsisoit-il.Letimingseraitunproblème,maisjeprévoyaisdeprofiterdechaquesecondequ’ilmerestaitavecmonfiancé.

—Tuveuxvenirchezmoi? luidemandai-je.Uneétincelled’amusementdansadanssonregard.

—Jenesaispas,répondit-il.Tuhabitessiloin.

Jepoussaiunpetitcrilorsqu’ilm’attrapapourmetirerlelongdesoncorpsetcaressamonventreaupassage,réchauffantmapeauàchaquebaiser.J’embrassaisontorseàmontouravantdemeretourneretdemeblottircontrelui.

Nousnous installâmesdesoncôtédes lits.C’était leplusconfortable,detoutemanière.Jusqu’à peu, j’ignorais totalement comme on se sentait bien après une nuit sur un bonmatelas.Jepourraistoutàfaitm’yhabituer.

J’avais le don incroyable de pouvoir vivre dans le déni. Jusqu’à ma mort, j’allais vivrechaquejourcommes’ilm’enrestaitdesmilliers.Etj’allaiscommencericietmaintenant.

—Siondivorceunjour,dis-jedanssoncouquejecouvraisdebaisers,jeteprendraitoustesmatelas.Tudevraispeut-êtreenvisageruncontratprénuptial.

—Tuprévoisdedemanderledivorce?

—Paspour l’instant,mais j’aiencoreunfaiblepourquelquesacteurset jen’aipasperduespoir.Sin’importelequeld’entreeuxappelle,tuserasdel’histoireancienne.

—C’estvraimenttriste,cesacteursquimeurentdujouraulendemain.

J’ouvris la bouche en grand etme redressai pour qu’il ne perde pas unemiette demonchoc.

—Tutueraismesamoureux?

—Seulementceuxquitedraguent.

—Trèsbien. (Je levai lesyeuxauciel.) JevaisdireàBradd’arrêterdem’appeler. Il estmarié,pourl’amourduciel.

—Ceseraitplussage.

Ilmemordillal’oreille,cequimechatouilladelatêteauxpieds.

Jerepoussaiunemèchedecheveuxdesonfront.

—Tum’asachetéunenouvelle Jeep, lui dis-je,maintenantque jem’étais renducomptequ’elle fonctionnait bienmieux qu’avantma rencontre avec un fou furieux, deux semainesplustôt.

—J’espéraisquetuneremarqueraispas.

—Jepensaisbien.

—Noniafaitdesonmieux,maislaconduiresansremplacercomplètementsacharpenteauraitétédangereux.Çaauraitcoûtépluscher,ettuauraistoujourseudesproblèmessurladurée.

Jecomprenais.

—Merci.C’est toujoursMisery.Sonespritestencore là. Ilme tapota la têtecommeonconsolaitunenfant.

—Siçat’aideàdormirlanuit,Dutch.

Saréponsemefitglousser,mais ilavaitbesoind’êtrepunipoursoninsolence.Jemordissonépaule.Violemment. Ilavalauneénormegouléed’airet roulasurmoi.Toutenretirantlesmèchesquim’obstruaientlesyeux,ildit:

—Tusais,onracontequeceuxquiconnaissent levrainomde laFaucheusedétiennentunpouvoirsurelle.

Jemecalmai,soudainplusintéresséeparlaconversationqueparsadélicieuseépaule.

—Onraconteça?rebondis-jeenmedemandantàquelvrainomilpensait.

—Oui.

—Ettuconnaismonvrainom?

Ilrepliauncoudepourappuyersatêtesurunedesesmainsetmeregarda.

—Enfait,oui.J’aientenduchaqueangeduparadislemurmurerquandilst’ontenvoyée.

—Et?lerelançai-je,pleined’espoir.

J’ensavaissipeuausujetdecettepartiedemoi.

—Tun’espascenséel’entendreavantdepartir.

—Partir?Genre,mourir?demandai-je,surprise.

Çarisquaitfortementd’êtreplustôtqueprévu.

—Oui.QuandtudeviendrasentièrementlaFaucheuse.

—Maistuleconnais,non?Tupourraismeledire.

Ilbaissalatête.

—Jenesaispastropcequejevaisfaire.Commejetel’aidit,ildétientungrandpouvoir.

— Comment est-ce que quelque chose d’aussi arbitraire qu’un prénom peut avoir dupouvoir?

— Ton vrai nom est tout sauf arbitraire. Souviens-toi, Dutch. Tu n’appartiens pas à cemonde.Ceneserajamaislecas.Taviehumainenereprésentequ’unemicrosecondedetonexistence.Unétatnécessairepourêtreliéeàceplan.Audépart,jepensaisquec’étaitpourçaquemonpèrevoulaitquejet’attende.OnnepeutpasatteindreuneFaucheuseàmoinsdemettre lamainsurellesous formehumaine. Iln’yaaucunmoyendecapturerunportailautrement.C’estcommeessayerderetenirdelafumée.

—Tuasdit«audépart».

—Oui.JesuisdumêmeavisqueSwopes.Jepensequemonpèrenousamentiàtouslesdeux.Jecroisqu’ilyaplusqueça:j’ignoresimplementquoi.Detoutefaçon,tuastoujoursun travail qui t’attend une fois que ton corps humain aura cessé d’exister. Un travail quidureradessiècles.

—Etconnaitremonnommerendrapluspuissante?demandai-je,perplexe.

— Oui. Ça fait partie de ta transformation. Et, dans la mesure où ta famille est sipuissante,ettoiencoreplus,jen’arrivepasàimaginerqueleffetçaaura.

—Alorspourquoiest-cequetum’enparlesmaintenant?

Çafaisaitdesmoisquejelesuppliaisdemedonnerdesinformationsdugenre.

—Jetesuisredevable,dit-ildemanièrepragmatique.

—C’estvrai?Cool.Maispourquoi?

Sonregardsérieuxmepritaudépourvu.

—Parcequetuasditoui.

Jeclignaiplusieursfoisdesyeux.

—Tupensesquetum’esredevableparcequej’aiacceptédet’épouser?

—Tune te rendspascomptedecequeçasignifie.Tuescarrémentde la royauté,néed’un roi et d’une reine de ceux de ton espèce.Que tum’épouses, ce sera comme si uneprincessebien-aiméeépousaitungamindesrues.

Jericanai,maisilrestatoutaussigrave.

—Encoreune fois, tuesplusspécialeque tousceuxde tonespèce.Pluspuissante.Jecommenceàcomprendreque tupoursuisunbutbiensupérieuràceque jepensais.Qu’onsemarie…Disonsjustequetafamillecélesten’approuveraitpas.

— J’aimerais vraiment en savoir plus sur eux, ronronnai-je. (Lorsqu’il fut clair que jen’obtiendraisriendeplusdesapartsurlesujet,jechangeaid’angled’attaque.)Ettafamille? Est-ce que tu vas essayer de la contacter un jour ? Je pense toujours qu’elle aimeraitsavoirquetuesvivantetenbonnesanté.

—Peut-être.Tesparentsaussi.

Jemeredressaisurmescoudes.

—Qu’est-cequetuveuxdire?

—Leur sacrifice était immense.Une fois que l’un des leurs est envoyé, ils perdent toutcontact avec jusqu’à ce que le corps physique de cette Faucheuse périsse. Ils ignorenttotalementcommenttuteportesouceàquoitaviearessemblé.

—Waouh.Nos parents ont plus de points communs que je pensais. Tu te souviens dumomentdetanaissance?luidemandai-jedebutenblanc.

Jem’étaistoujoursdemandécommentilétaitvenuaumonde,aussibiendansleroyaumespirituel,oùilavaitétécrééparsondéchudepère,qu’icisurTerre.

—Messouvenirshumainsnesontpascommelestiens.Jenemerappellequedebribes.

—Ettacréation?

Ils’allongeasurlelitetposaunbrassursonfront.

—Ça,jem’ensouviensbien.

— Tu peux m’en parler ? demandai-je en me retournant pour poser le menton sur sonépaule.Ilm’attiratoutcontrelui.

— Je me souviens de la douleur, répondit-il, perdu dans ses pensées. La chaleur desflammes. La couleur de ma peau qui se consumait pendant que muscles et tendons seformaientau-dessousavantde sesolidifier. Jemesouviensde l’êtrequim’a façonné-monpère,pourainsidire-et,àpartirdumomentoùj’aiprismapremière inspiration, j’aisuqu’iln’éprouvait aucun amour pour sa création. Il ne m’avait fait que pour servir ses sombresmachinations. Il avait un plan, et il reposait en grande partie sur moi. Mais, avant cela, ilfallaitquejeprouvemavaleur.Alorslesépreuvesontcommencé.(Ilrevintàl’instantprésentetm’embrassasur leboutdunez.)Monenfanceneressemblaitpasdutoutàuncontedefées.

—J’adoreraisquetum’enparles.

—Ehbien,tuvasêtredéçue.Jenepeuxpas.

—Pourquoi?

—Toutl’amourquetuéprouvespourmoidisparaitrait.

—Reyes…

—Dutch,mecoupa-t-il.S’ilteplait,nemedemandepasça.C’estunenoirceurquejenepeuxpaspartager. Je teperdraisà jamais,et tues laseuleque j’aie jamaisvoulue.Tueslittéralement la lumière dans mes ténèbres, la rédemption de mon passé. J’ai attendu tanaissancesurTerredurantdessièclesjustepourpouvoirmebaignerdanstonhalo.

Sadéclarationmelaissasansvoix.

—Imagineunetoilequiestplongéedanslapénombre.Iln’yaquedunoir.Pasdeforme.Elle n’a pas d’autre raison d’être que d’attirer les ténèbres. Ensuite, ajoutes-y un éclat deblanc. Ajoute un peu de rouge et de bleu, du jaune et du vert. Tout d’un coup, ellereprésente quelque chose. Elle a une raison d’être. C’est l’effet que tu as eu surmoi. Tum’asdonnéuneraisond’être.De la lumièreetdescouleurspourcombler levidede l’oubli.

Sanstoi,iln’yaquelesténèbres.

Jeleserraicontremoietdéposaiunbaiserdanssoncou.Ilfitcourirsesdoigtsdansmescheveux.

—Ceseramoncadeaulejourdenotremariage.

Jemeredressaipourlequestionnerduregard.

— Le nom que j’ai entendu lorsque tu es née. Tous les anges le murmuraient, se lerépétaient,chacund’entreeux, l’unaprèsl’autre,maisilsneleprononçaientqu’unefois.Ilsontl’interdictiondelerépéteravanttamort.Àcemoment-là,unangeaural’honneurdetelerévéler, à toi et àpersonned’autre. Je l’ai protégé,mis sous clé.Ce seramoncadeaudemariage.Lepouvoirqu’ildétientestimmense.Ildétientlalumière.

—Je…jenesaispasquoidire.

—Jecroisqu’ondevraittravaillerensemble.

—Quoi?

Sesyeuxbrillaientd’amusement.

—Avec lesDouzequiarrivent, j’aidécidéd’engagerungérantpour lebaretdetravailleravectoiàplein-temps.

—Hum.

—Jesais,dit-ilenm’ébouriffantlescheveux.Pasbesoindemeremercier.

—Reyes…

—Onneprotestepas.Iln’estplusprudentdetelaisserseule,àprésent.Etpersonneneseraétonnéqu’onbosseensemble.

Waouh,mesnouveauxcollèguessemultipliaientcommedeslapinssousViagra.Jedevraisêtreenmesuredeprendretroisnouveauxpartenaires:TanteLil,GarrettetReyes.

OnpourraitêtrelesQuatreFantastiques!

—Mais j’ai une question à te poser, dit-il enme tapotant la tête pourmemontrer qu’ilcomprenaitàquelpointjeluiétaisreconnaissantededaignertravailleravecmoi.

Cethommeétaitsisympathiqueetsihumble.

Jegloussaisoussonbrasetdemandai:

—Justeune?

—Pourlemoment.Pourquoiunecuillère-fourchette?

Ilmefallutquelquesinstantspourmesouvenirquec’étaitmaréponseàlaquestionsurlesustensiles,cellequejeluiavaisposéequelquesjoursplustôt.

— Parce que ! répondis-je, choquée qu’il ose demander. Les cuillères-fourchettes sontmultitâches.Elles n’ont l’air de rien comme ça,mais elles ont un but puissant.Commeuncouteausuisse,justeunpoilmoinsutile.

—Ah,répondit-ilenhochantlatête.

— Et c’est un mot tellement long. Contrairement à ce qu’on raconte, la taille a del’importance.

Ilsemitàrireetétaitsurlepointdem’embrasserlorsquequelqu’unsemitàtambourineràlaporte.Quelqu’undecomplètement fou,de touteévidence.Quioserait interrompre le filsdeSatan?

Enfin,àpartmoi.

J’enfilailarobedechambredeReyesetmeprécipitaiàlaporte.Enl’ouvrant,jedécouvrisunGarretttotalementstressé.Saufquec’étaitàmaportequ’ilfrappait.

Ilcourutversmoiàl’instantoùilmevitetmedépassapourentrerdansl’appartement.

— J’avais tort, dit-il enme tendant une liasse de papiers. Désolé de passer aussi tard,maisj’avaistortsurtoutelaligne.

Il avait de toute évidence besoin qu’on le console. Et j’étais la personne toute indiquéepourlejob.

— Swopes, il nous arrive à tous de commettre des erreurs de temps en temps. Tu tesouviensdesleggingsbariolésquiétaientàlamodedanslesannées1990?J’enavaisdestonnes.C’étaitunesaleépoquepourmoi.

Il avait réveillé Cookie en martelant ma porte. Je fis signe à cette dernière de nousrejoindreetessayaidenepasglousserenremarquantsescheveux.Ouparcequ’elleavaitlevisagerecouvertd’unmasqued’argileverte.J’étaispersuadéequ’ellel’avaitoublié.

Ellesedéplaçaitd’unedémarcheendormie,etsonbasdepyjamarosepétant lui rentraitdanslesfesses.Jegarderaiscedétailpourmoiégalement.

LorsqueGarrett se retourna, il la détaillaet décidadenepas réagir. Je savaisbienquej’avaisdesraisonsdel’apprécier.Enfin,uneraison:celle-ci.Pasbesoindes’enflammer.

Reyessortitde lachambreetneréagitpasnonplusenpassantdevantnos invitéspourse rendreà lacuisine.Pendantque je regardais les feuillesqueGarrettm’avaitdonnées, ilpréparaducafé,conscientqueçanedérangeraitniCookienimoimalgrél’heuretardive,etsortit deux bières. Reyes avait compris notre routine et se comportait en vrai mec. Bonsang,qu’est-cequejel’aimais.

—Tuavaistort?demanda-t-ilàGarrett.

Cedernieracquiesça,laminesombretandisquesonregardpassaitdeReyesàmoi.

Jerelevailenezdesfeuilles.

—Tunousasdéjàdittoutça,dis-je.CesontlesprophétiesdecevonHolstein.

—Non,vonHolsteinestletraducteur.Ilaeubeaucoupdepainsurlaplanchepuisquelesprophéties sont écrites dans une langue morte, et codées. On ne peut pas lui reprocherd’avoir commis des erreurs. J’ai simplement mal interprété son interprétation. Ton nouvelami,leDealer,s’estrévélétrèsutile.

—C’estbien.

Je me laissai tomber à côté de Cookie sur le canapé de Reyes. Elle bâilla, et je prisconsciencequ’elleavaitdûsecouchertardaprèsavoirpassélasoiréeaveconcleBob.Hors

dequestionque je luidemandecommentc’était.J’espéraisseulementqu’elleavaitmissonmasqueaprèscoup.

Garrettsemitàfairelescentpas,perdudanssespensées,prenantdetempsàautredepetitesgorgéesdelabièrequeluiavaittendueReyes.

Cederniervints’asseoiràcôtédemoisurlebrasducanapé.

—Lecaféseraprêtdansdeuxminutes,dit-il.Donc,surquoituavaistort,cecoup-ci?

Jedonnaiuncoupdecoudeàmonfiancé,puisdis:

—Swopes,assieds-toi.

—C’est à ton sujet, au sujet de la Fille, répondit-il, de plus en plus agité.Au départ, ledocteur von Holstein et moi avons pensé que tu étais cette Fille dont parlaient lesprophéties. Toutes les prophéties. La Fille ou la princesse de la lumière, selon les textes.QuetudevraisaffronterLucifer.

—OK,répondis-jeenessayantdenepasmemettreàbaveràcausede l’odeurdecaféquicommençaitàflotterdansl’air.

JepouvaisaffronterlepèredeReyes.Jedevraismourirbientôt,detoutemanière.

—Maisilyenadeux,continua-t-il.Deuxréférencesdistinctes.Deuxpériodesdifférentes.

—Jecommenceàavoirletournis,ditCookietandisqu’elleleregardaitfairelescentpas.

Ellesefrottalefrontetjevisducoindel’œilqu’ellevenaitderemarquerqu’elleportaitunmasqued’argile.Elleabaissalentementlamain,sonexpressionchangeantdefatiguée,maisintéressée,à totalementhorrifiée.Elle resta immobilependantquelquessecondes, sous lechoc,puisselevadiscrètementenobservantlasalledebainsdeReyes.

Il me fallut utiliser tout mon self-control pour ne pas éclater de rire. Pasméchamment.Enfin,unpeuméchamment.Maisjenevoulaispasmemoquer,jevoulaisrired’elleavecelle.Etuniquementsouscape,parcequejenevoulaispasmeramasseruncoup.

Avantqu’ellen’aiteuletempsdefairedeuxpas,quelqu’und’autresemitàtambourineràlaporte.Nosregardssecroisèrentetnouspenséesserejoignirent.Amberétaitseule.Est-cequ’elles’étaitréveilléeetavaiteupeur?

Nousnousprécipitâmestouteslesdeuxpourallerouvrir,maisReyesnouspritdevitesse.Fichusêtressurnaturels.

Saufque,lorsqu’ilouvritlaporte,cefutungroupedenonnesqu’ontrouvasurlepalier.Cequin’étaitpascommun,surtoutenpleinmilieudelanuit.

—Est-ce que l’église fait du porte-à-porte,maintenant ? demandai-je en clopinant jus’àReyes.

Mes amies abstinentes étaient habillées de manière plutôt normale. Les voiles qu’ellesportaient étaient la seule preuve qu’elles étaient nonnes. Elles se séparèrent pour laissercertaines d’entre elles entrer, révélant ainsi qu’elles soutenaient ma copine, sœur MaryElizabeth.Cettedernièreétaitpratiquementaffaisséedans leursbras, le frontbrillantd’unefinecouchedesueur,lespaupièreslourdesetleregarddistant.

Jeme précipitai pour les aider. Garrett fit demême, et nous ramenâmes la sœur dans

l’appartementdeReyes.Une foisque tout lemonde futà l’intérieur,Reyes ferma laporte.SœurMaryElizabethselaissatombersursesgenoux,s’attrapalatêteàdeuxmainsetsemitàgémir,répétantqu’ilyenavaittrop.Beaucouptrop.

—Çafaitplusieursheuresqu’elleestcommeça,ditlamèresupérieure.

Elleétaitbienmoinsintimidantelorsqu’elleportaituniquementsonvoile.Elles’agenouillaàcôtédenous.

Uneautrenonnepritalorslaparole.SœurTeresa,sijemesouvenaisbien.

—Audébut,ellecriait.

—Oui,confirmalamèresupérieureencaressantlescheveuxdeMaryElizabeth.

C’étaitlapremièrefoisquejevoyaiscettedernièresansvoile,etilsétaientpluscourtsqueje l’auraispensé. Ilsétaientcoupésaucarréetavaientde touteévidenceconnudes joursmeilleurs. Ils étaient aussi ébouriffés que si elle venait à peinede se réveiller et qu’elle lesavait tirés pendant son sommeil. Les mèches qui étaient coincées entre ses doigtsconfirmaientcettethéorie.

Unenouvellenonne,quejeneconnaissaispas,s’exprimaalors.

—Ellegémitdedouleuretditqu’ilsparlenttousenmêmetemps.

—Lesanges?demandai-jeenattirantlatêtedeMaryElizabethpourlaposercontremonépaule.

Ellesecalmaaussitôt,maistestaenpositionfœtaleetsebalançacontremoi.

—Oui,réponditlamèresupérieure.MaryElizabethditquequelquechoselesacontrariés.

—Quoi ? demandaiCookie, ses sourcils verts froncés.Qu’est-ce qui pourrait contrarierlesangesàcepoint?

Avantquel’unedesnonnesaitletempsderépondre,MaryElizabeths’immobilisa.Ellesedégageaetsereleva.Jel’aidai,etReyesm’aidaàl’aider,puisquemachevilleétait toujoursdouloureuse.Jelaprisparlebrasetessayaid’attirersonregardterrifié.

Quandelleposaenfinlesyeuxsurmoi,ellepassadelaterreurauchoc,puisàlatristesse.Elleposaunemainsurmajoueavantdebaisserlatête.

—Charley,dit-ellefinalementd’unevoixdouce,maisterrifiée.Qu’avez-vousfait?

—Quoi?(Jeregardailesautresnonnes,quisemblaientaussiperduesquemoi.)Qu’est-cequej’aifait?

Ellese laissadenouveautomberàgenouxetposa lespaumessurmonventreavantdereleverlatête.PuiselleretiraunedesesmainspourlaposersursabouchetandisquesonregardhésitaitentreReyesetmoi.

—Qu’avez-vousfait?répéta-t-elle,sesmotsàmoitiéétouffés.

Alorsjecompris.Jetouchaimonventreàmontour,etjesus.Enunéclair.Jeleressentis.Cen’étaitqu’unepetiteétincelle,audébut.Unechaleur.Unelueurdansmonbas-ventrequienflait pour me remplir d’une joie inexplicable. D’une ardeur inimaginable. D’une dévotioninconditionnelle.

Reyesfut lepremieràcomprendre. Ils’avança, levisageaussichoquéqueceluideMaryElizabeth, et posa une main sur mon ventre, recouvrant à la fois celle de la sœur et lamienne.Jesentisunpouls,unevague,comme lesalutd’unenouvellevie,etsoncorpsseconnectaaumien.

JerelevailesyeuxversGarrett.Ilsavait,luiaussi.

—LaFille,dit-il,lavoixpleined’admiration.

Il savait. Les prophéties au sujet de la princesse ou de la fille de la lumière parlaient demoi.MaiscellesquimentionnaientlaFille,justelaFille…ehbien,celles-ciconcernaient…Jeregardaidenouveaumonventre.Posailesmainsencoupecommesij’étaisdéjàentraindelatenirelle.Unmélangedebonheuretd’émerveillementémanaitdeReyes.

Puisjesentisuneautreprésence.Unautre…admirateur.Nousn’étionspasseuls.Reyesse tendit en la remarquant également. À l’extérieur, dans la rue, se trouvait le Dealer. Jepouvais pratiquement le voir sourire dans la nuit tandis que nous commencions tous àcomprendre.Maislui,ilsavaitdéjà.Ilavaittoujourssu.

Qu’avais-jefait,eneffet?

Extrait:DucôtédeReyes

Jeretiraimeshabitsetmemisaulit,essayantdenepaslaisserladernièreexcentricitédeCharley m’énerver. Sans succès. Ça m’énervait, et il n’y avait pas grand-chose que jepouvais faireà ce sujet.Ellen’écoutait jamais. Il faudrait bienque je l’accepte.Et, soyonshonnêtes,sonobstination faisaitpartiedesoncharme.Malheureusement,cecharmeallaitfinirpar la faire tuerun jour. Je ferais tout cequiétaitenmonpouvoirpourempêcherça,mais,quandelles’acharnaitàignorermesconseils,ellerendaitcebutdeplusenplusdifficileàaccomplir.

Etelleavaitpayéleprix.Putaindemerde,elleavaitpayéleprixfort.Avectoutcequ’elleavait traversé, on pourrait croire qu’elle réfléchirait à deux fois avant se fourrer dans dessituationsdangereuses.Je l’entendaiscrier lanuit.Jesentais lapeurqui la faisait tremblerlorsque lescauchemars la torturaient. Ils traversaient lemurentrenous, semblablesàdesombresaussiaiguiséesquedeslamesderasoirquivoustranchaientlachairjusqu’àl’os.

Macolèreenflarienqu’àcetteidée.Jel’étouffai,l’emprisonnai.Dutchdonnaitl’impressionde tenir plus aux autres qu’à elle-même - et à un point incompréhensible. Ça allait àl’encontredetoutcequejesavaissur lesfaucheuses.Ellessefichaientdeshumains.Ellesfaisaientleurjobets’occupaientdeleursoignons.

Dutchétait différente, unique, et je nepouvaisempêcher la fiertéquim’envahissait en ysongeant.Sielleavait lamoindre idéedecedontelleétaitcapable, jeseraisprobablementdans lesemmerdes jusqu’aucou.Onnese frottaitpasaux faucheuses.Ellecomprendrait,unjour.

Je la sentis se glisser sous les couvertures. Nos lits étaient pratiquement collés l’un àl’autre, et lemurqui les séparait commençait àm’ennuyer. Il faudrait que je fassequelquechoseàcesujetrapidement.Maismalgrétout,lasentir,siproche,mêmeaveccettebarrièreentrenous,étaitapaisant.Ellecalmait les flotséternelsquis’agitaientenmoi. Illuminait lesténèbresdans lesquelles j’étaisplongé. Jeneme lasserais jamaisd’elle.C’était impossible.Engrandissant,jerêvaisdéjàconstammentd’elle.Sij’avaissuqu’ellen’étaitpasjustelefruitde mon imagination, je l’aurais cherchée en personne bien plus tôt. Au lieu de ça, je luirendais visite en songes.Son énergie, son éclat et son âmeaveuglantem’attiraient à elledès que je fermais les yeux. La plupart du temps, je gardaismes distances. Je ne l’avaisapprochée que lorsqu’elle était en danger, ce qui était tout de même arrivé relativementsouvent.

Mais il y avait des moments au cours de mon enfance, dans ma solitude, lors de mesheures lesplussombres,où ladouleurdemonéducationdevenait insupportable,et j’avaispris l’habitude de la chercher dans ces instants-là. Elle était l’unique raison pour laquellej’étaisencoreenvie.Sansellepouréclairermonchemin,jemeseraisperdudesannéesplustôt. Je me serais ôté la vie, sans aucun doute, et peut-être que j’aurais tué plusieurs

personnesencoursderoute.C’étaitlavérité.

Jelaressentisàcetinstant.Elletraversalabarrièreentrenous,tâtonnant,cherchant.Jeme tendis, me demandant à quoi elle jouait. Elle avait été blessée quelques semainesauparavant,etjem’étaisjurédeluilaisserassezd’espaceetdetempspourguérir.Peut-êtrequ’elle allait mieux. À en croire ce qui émanait d’elle en ce moment, elle allait même bienmieux.

Lasensationquiprovenaitd’ellegagnaenintensité.Elleessayaitdem’atteindreavecsonesprit,un jeuauquel j’étaischampion.Jenepusm’empêcherd’envoyermapropreessenceenréponse,amusé.Jequittaimoncorpsphysiqueetmeglissaiàtraverslemurcommes’iln’existaitpas.

Sapaumeétaitposéecontrelaparoialorsqu’elleessayaitdem’atteindre,demetoucherdelamanièredontj’étaisentraindelatoucheràprésent.Jenemematérialisaipas.Aulieudeça,jelaissaimonregardcoulerlelongdesesbras,desesjoues,desoncou,jusqu’àceque jeme retrouve sur elle. Elle inspira abruptement, sa poitrine se soulevant doucementdanslemouvement,mefaisantvibrerauplusprofonddemestripes.Jeprisundesesseinssi pleinet si alléchanten coupe.Ellegémit sousmescaresseset se tordit deplaisir alorsquelafrictionmefaisaitdurcircontreelle.Elleétaithonnêtementlafemmelaplussexyquej’avaisjamaisvue,etj’enavaisvuunpaquet.

Mais elle s’arrêta. Elle ouvrit les yeux, leurs éclats d’or scintillant comme une étendued’eausous la lune,etseconcentra,mecombattantmentalement, luttantpour inversernospositions.C’étaittoujoursmoiquiquittaismoncorpspourlarejoindre.Jeprenaisautantdeplaisir àêtreavecelle sous formeéthéréequephysique.Mais l’idéequ’elle fasse lamêmechoseprovoquaunéclairdeplaisirà labasedemaqueue.Lesangseprécipitadanscetterégionàlavitessedelalumièredèsquejelasentissefrottercontremoi.

Elleprojetasonessence, laissant lachaleurdesonénergiementaleexplorermoncorps.Personne ne m’avait jamais touché de cette manière. Son essence était chaude et aussidoucequede la soie.Elleparcourut chaquecentimètrecarrédemoncorps, faisant courirses doigts surmon ventre, puis - presque timidement - autour demaqueue. Je serrai lesdents et crispai les doigts lorsque je sentis sa bouche coulisser sur moi, encerclant monérection.Ses lèvresglissèrent,sesdentséraflantmapeausensibleàcetendroit.Maiselleenvoulaitplus.Jepouvaislesentir.Jenepouvaispaslalaissers’approcheraussiprès.Allersiloin.Unpasdeplus,etellepourraitvoirdeschosesquejenevoulaispasqu’ellevoie.

Alors je l’arrêtai.J’érigeaiunebarrièrepour limitersonexplorationauxendroitsvisiblesàl’œilnu.Mais,encoreunefois,c’étaitdeDutchqu’ils’agissait,laplusredoutablecréaturedesaraceàavoirvulejourenunmillénaire.Elleaiguisasontoucher,griffamapeau,enfonçasesonglesdansmachair.J’étouffaiunjuron.

—Dutch,dis-jeàhautevoixenguised’avertissement.

Maisilétaitimpossibledeluirésister.Elleétaittroppuissante,etelletraversarapidementmesbarrières.

Sachaleurimprégnamesmusclesetmesosavantd’exploserenmoi.Unsentimentquejen’avaisjamaiséprouvéauparavantserépanditdanstoutmoncorps.Lasensationétaitaussichaude que de la lave et me brûlait de l’intérieur, coulant dans mes veines, vrillant mesterminaisons nerveuses. Elle écarta mes jambes, se pressa contre moi, et le plaisir qui

ricochadanstoutmoncorpsfaillitmefairetomberdulit.

Nosénergiesentrèrentencollisionenunefrictionintense.Chaquebattementdesoncœurdécuplait ma faim dévorante. Elle me caressait, je la caressais. Son énergie dévorait maqueueen longuesetpuissantespoussées jusqu’àceque j’inverse lapressionpour lui fairesubir lemême traitement.Jesentissonorgasmeenflerenellecommeunemerdéchainée.Je l’embrassaietm’enfonçaienellesi fortetsi rapidementqu’elleexplosaenunecascaded’étincelles. Mon orgasme me ravagea à l’instant où elle jouit. Sauf que je n’étais pasréellement en elle. Je n’étais même pas vraiment sur elle. J’avais joui sur mon ventre, lamâchoireserrée,lesmusclessecontractantàchaquespasmedeplaisir.

Lorsque l’orgasmes’évanouit, jemepassaiunemainsur levisageetécoutai lebruitqueproduisait ma respiration laborieuse. C’était une des choses les plus extraordinaires quim’étaitjamaisarrivées.

Jemeprojetaidenouveauverselle,verscetteénigmequiétaitconnuedans l’universentantquefilledelalumière.

—Viensdormiravecmoi,luidis-je.

Elleneréponditpas,mais j’entendis lesdouxsoupirsquis’échappaientd’ellealorsqu’elleétaitallongéesursonoreiller,haletante.Jemelevaipourallermenettoyer.Jesentaisqu’ellemesurveillait.Jesouris.Ellecontinuaàm’espionnerjusqu’àcequejeretournemecoucher.Commelafatiguemegagnaitrapidement,jerépétai:

—Viensdormiravecmoi.

J’ignoresielle réponditounon.Apparemment, jem’endormisde lamêmemanièreque jebaisais-profondémentetrapidement-parcequejenemesouviensderiend’autrejusqu’àcequejemeréveilleensursautàcaused’unepaniqueécrasantequiprovenaitdel’appartementdeCharley.