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Décentralisation

et aménagement du territoire

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René Meissel

Décentralisation

et aménagement du territoire

Le Monde EDITIONS MARABOUT

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Collection dirigée par Jean-Claude Grimal et Olivier Mazel

Service de documentation du Monde

Conception et réalisation des graphiques et des cartes : Philippe Rekacewicz et Cécile Marin

Photocomposition et mise en page : Atelier Ledoux, Bruxelles

© Le Monde-Editions, 1995

Toute reproduction d'un extrait quelconque de ce livre par quelque procédé que ce soit, et notamment par photocopie ou microfilm, est interdite sans autorisa- tion écrite de l'éditeur.

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Introduction

L'aménagement du territoire peut-il être encore ce qu'il était ?

L'Histoire nous présente généralement en la matière une pratique étroitement associée à l'exercice d'une volonté poli- tique unique - exceptionnellement visionnaire - ou à celle d'un pouvoir fortement centralisé appuyé par une doctrine cohérente. L'action essentielle consistait dans la création

d'infrastructures destinées à favoriser des activités prioritai- res et à asseoir sur la richesse induite la puissance d'un royaume, d'un empire ou d'une nation. Ce qui fut vrai pour l'Egypte des pharaons, la Rome républicaine et impériale, l'est aussi pour la France des Temps modernes.

Des menaces extérieures majeures (la puissance des Habsbourg aux XVI et XVII siècles, la coalition des monar- chies européennes face à la Révolution puis à l'Empire, la montée en puissance de l'Empire allemand à la fin du XIX siècle) ont conduit, la géographie s'y prêtant, à une centralisa- tion rationnelle de l'administration du pays et, parfois, à une mise en tutelle de certains secteurs de l'activité économique.

Le traumatisme de la défaite de 1940, la confrontation avec les géants américain et soviétique ont poussé à l'extrême la tension de ce double effort. Au lendemain de la Seconde

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Guerre mondiale, le gouvernement de la République a pro- cédé à un encadrement de secteurs-clés de l'économie jamais poussé aussi loin jusque-là.

Les perspectives d'une Europe libérale unie encore en ges- tation ont commencé à détendre les esprits, voire à décrisper les volontés. Contraints, après les guerres d'Indochine et d'Algérie, à renoncer à toute ambition impériale, rassurés par les avancées et le succès de la construction européenne, aiguillonnés par les revendications régionalistes renaissantes, les gouvernements français se sont engagés avec circonspec- tion dans un processus de décentralisation couronné par les lois de 1982. La déconcentration des pouvoirs administratifs accompagne en fait, en la prolongeant, la déconcentration du tissu industriel, solution tardive aux effets d'une hypercentra- lisation jugée incapable de répondre à la crise qui déstabilise notre économie et notre société.

Mais, entre la mise en œuvre des directives communau- taires et la gestion de la décentralisation administrative, les conditions de la prise de décisions ont gagné en complexité. L'équilibre est malaisé à maintenir entre les décisions de Bruxelles, applicables à tous les partenaires européens, notre tradition jacobine nationale et les aspirations régionales plus libres aujourd'hui de se manifester.

La récente Loi d'orientation pour le développement du territoire a l'ambition de clarifier la situation et de relancer

une politique d'aménagement du territoire qui réduise des inégalités persistantes, voire croissantes. C'est un grand chantier qui est ouvert, dans les conditions nouvelles créées par une décentralisation en cours d'accomplissement et par la mise en œuvre du traité de Maastricht.

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CHAPITRE I

L'héritage de l'histoire

P o u r des raisons évidentes, la maîtrise de l'eau est, sans

doute, un des facteurs primordiaux des premières opéra- tions d'aménagement d'un territoire. Espace élémentaire défini et traité en vue de la production de nourriture, le champ régulièrement labouré et ensemencé doit pouvoir être approvisionné en eau par l'irrigation, si besoin est, ou débarrassé de l'excès d'eau en cas de nécessité. Irrigation et drainage impliquent aussitôt l'inévitable relation avec les espaces voisins.

La maison du paysan, le village sont installés près de la source ou autour du puits. Avec le souci de subsister, et ce verbe doit être pris ici dans deux de ses acceptations : durer et, pour cela, vivre, voire survivre. Le nomade et le sédentaire ont besoin de l'eau. Mais les sociétés nomades,

peu soucieuses de permanence, n 'organisent pas les vastes espaces qu' elles utilisent. Les sociétés sédentaires, appe- lées à se développer tant par leur dynamisme démographi- que propre que par un phénomène d'attraction sociale, ont besoin d'aménager l'espace qu'elles occupent pour faire face au quotidien comme au pire.

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1. L'aménagement du territoire : une pratique ancienne

Dès l' aube des temps historiques, des souverains soucieux d'asseoir durablement leur pouvoir et d'exercer les responsa- bilités qui en découlaient, ont engagé des opérations souvent d'envergure pour assurer la subsistance de leur peuple et ac- croître la richesse de leur royaume, source de sa puissance militaire et politique.

Des historiens ont vu une relation entre l'organisation de l'irrigation et les empires monarchiques centralisés des plai- nes de l'Indus, de Mésopotamie et de la vallée du Nil. Nous n'entrerons pas dans ce débat. Mais deux mille ans avant notre ère, les pharaons de la XII dynastie avaient entrepris, selon Hérodote puis Strabon, de transformer une partie du Fayoum en un réservoir contenu par une digue de quarante- sept kilomètres de long. Entreprise qui jouait dans les deux sens : elle permettait de mettre hors d'eau environ onze mille hectares, soit l'équivalent d'un tiers de la surface utile de l'Egypte antique et d'irriguer pendant cent jours d'autres ter- rains en lâchant l'eau lentement. Indirectement, la Bible, par l'histoire de Joseph et du songe du pharaon, évoque ce souci de veiller à la subsistance d'un peuple.

C'est à d'autres pharaons de la même dynastie que l'on attribue la décision de creuser un canal facilitant le franchis- sement de la première cataracte sur le Nil et même celle de relier le Nil à la mer Rouge par un autre canal. Répondant à des projets de conquête militaire, ces ouvrages pouvaient éga- lement contribuer à l'expansion commerciale vers le sud et l'est.

Plus tard et ailleurs, la ville antique, grecque ou romaine, a développé les mêmes fonctions qui sont celles de notre ville contemporaine : lieu d'échange de produits d'origine proche ou lointaine, de fabrication de produits non primaires, de ren-

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contres entre producteurs et marchands, de résidence de tou- tes les personnes impliquées dans ces activités ; lieu des pou- voirs religieux et politique exercés sur le territoire environ- nant, lieu enfin de culture et de loisirs... On serait tenté d'ajouter : lieu de tensions sociales. Ces fonctions donnent naissance à des espaces spécifiques : le marché, le forum, l'insula (ou en termes plus modernes : l'ilôt, l'immeuble), le temple, l'agora, la curie, le palais, le stade, les thermes, l'am- phithéâtre. On y trouve parfois jardins et fontaines - nostalgie déjà de la vie champêtre ? L'urbanisation a appelé l'urba- nisme. Par ses besoins même, la ville a un effet centralisateur dans un rayon proportionnel à son importance et à son in- fluence.

Parmi d'autres, c'est encore une question d'eau qui s'est posée au pouvoir romain, républicain puis impérial. Dans cette Italie méditerranéenne où l'approvisionnement estival en eau est aléatoire, le premier aqueduc destiné à alimenter en eau potable une Rome en pleine croissance fut construit en 312 av. J.-C. : long de seize kilomètres, il assurait déjà un débit journalier de plus de 70 000 m Un autre aqueduc, l'Aqua Marcia, construit en 144 av. J.-C., fut par sa longueur (91 kilomètres) et par son débit (environ 185 000 m par jour) le plus important des onze aqueducs utilisés sous l'Empire pour les besoins d'une population qui approchait peut-être les deux millions d'habitants.

Il faut imaginer la complexité des problèmes posés par le captage des sources, la traversée de terrains relevant de nom- breux propriétaires collectifs ou individuels, l'écoulement sur de longues distances, la conservation de la potabilité de l'eau, le franchissement des vallées par des siphons ou par des ar- ches (jusqu'à dix kilomètres d'arches pour l'Aqua Marcia... et l'eau destinée à la ville de Nîmes franchissait la vallée du

Gardon à 48,5 mètres de hauteur par le célèbre pont du Gard) et, enfin, dans la ville, la distribution dans des centaines de

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fontaines publiques avec, en plus, l'alimentation de nom- breux et vastes thermes. Les guerres victorieuses fournirent l'argent et la main-d'œuvre servile nécessaires à la construc- tion des premiers aqueducs. La richesse de l'Empire suffit sans doute à celle des suivants.

Le souci de consolider les conquêtes militaires amena le pouvoir romain à construire des routes en dur pour faciliter, sur des axes essentiels, le déplacement des troupes et des convois militaires. Le premier réseau routier « français » fut établi peu avant le début de notre ère par Agrippa au départ de Lugdunum (Lyon), capitale de la Gaule lyonnaise, carrefour stratégique touchant à la Narbonnaise et à l'Aquitaine, aisé- ment reliée en outre à la Gaule (Belgique) par la vallée de la Saône et les bas plateaux de Bourgogne. Le contrôle de ces axes de communication était assuré par des fondations urbai- nes qui conservaient, du camp romain, le plan orthogonal qui sera transmis aux premières fondations médiévales d'Italie du Nord et de la France méridionale.

Après la longue période de dépression démographique ouverte sous le Bas-Empire romain et prolongée jusqu'à la fin des Carolingiens, la reprise amorcée au X siècle se confirma au XI et s'amplifia aux XII et XIII siècles. En témoignent aisément les défrichements (les essarts), les croisades tous azimuts et des créations urbaines originales.

L'augmentation de la population offrait aux puissants sei- gneurs féodaux et aux souverains des possibilités nouvelles de meilleure mise en valeur des territoires relevant de leur

autorité. Elle permettait aussi de mieux assurer la défense et d'accroître ainsi leur puissance militaire et politique. La ville nouvelle (bastide, villeneuve, villefranche) fut un élément majeur de cette stratégie et le processus de création est inté- ressant à rappeler.

En effet, si la population avait augmenté, elle était pourtant loin d'être en surnombre, eu égard sinon aux ressources ali-

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mentaires, du moins à l'espace. D'où l'effort fait pour l'attirer par le biais de facilités d'installation, de franchises et d'ex- ceptions. La fondation était précédée d'une enquête adminis- trative sur le régime des terres, leurs propriétaires, les droits de juridiction. Enquête parfois fort longue, et il arrivait alors que la fondation restât à l'état de projet. Il s'avérait aussi qu'elle fût abandonnée en cours de réalisation si un seigneur, apportant la preuve de ses droits, s'opposait au nouveau peu- plement.

Le même soin était apporté à l'organisation de la ville à fonder, si l'on en croit la procédure suivie par Edouard I d'Angleterre. En septembre 1296, il demande à vingt-quatre cités de son royaume de faire élire, chacune, quatre « prud'hommes » « sachant diviser, ordonner et arrayer une nouvelle ville, au plus grand intérêt de nos marchands ». Qua- tre mois plus tard, il réunit ces sages pour délibérer sur la densité et la hauteur des constructions, sur la largeur des rues, sur les fortifications et sur la façon de bien administrer. Parmi eux, des experts, pourrait-on dire : Thomas le Maley, présent en Guyenne lors des grandes fondations de bastides, Thomas Alard, maire de New Winchelsea, une ville neuve au début de son existence...

La grande épidémie de peste de 1348, les chevauchées de la guerre de Cent Ans, les turbulences que celle-ci provoqua à la périphérie du royaume de France, le ralentissement consé- cutif de la vie économique brisèrent cet élan.

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Villes n e u v e s a u

M o y e n A g e

D é j à , Raymond VII, comte de Toulouse, avait établi, face au royaume de France menaçant, une quarantaine

de bastides, non alignées sur la frontière mais réparties plutôt pour affirmer la présence de ses officiers et ins-

taurer un quadrillage de ses possessions les plus expo- sées. Par la suite, après la croisade des Albigeois,

Alphonse de Poitiers implantait lui aussi un grand nom- bre de nouveaux peuplements urbains ; il signait des

partages avec les Cisterciens et les évêques : en 1272, l'on comptait trente-huit bastides, essentiellement dans

la vallée de la Garonne, dans le Rouergue et le Quercy et, au sud, jusqu'aux limites du comté de Foix. Plus tard, au nom du roi de France, Eustache de Beaumarchais,

en moins de vingt-deux ans, de mars 1272 - aussitôt après son installation comme sénéchal de Toulouse et

de l'Albigeois - à octobre 1291, fonda au moins vingt-

trois villes neuves, dont trois dans les tout premiers mois de son office ; presque toutes (21 sur 23 exacte-

ment) se situent en Gascogne, au sud de la Garonne, complétant ainsi l'œuvre entreprise par Alphonse de Poitiers.

A la même époque, le roi d'Angleterre, maître du Limousin et du Périgord depuis le traité de Paris (1259),

puis de l'Agenais en 1279, développa cette politique sur une plus vaste échelle. Si bien que, dans un seul secteur, dans les confins Périgord-Agenais, une tren-

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taine de bastides, en réseau serré, quadrillèrent l'étroite

région entre la Dordogne et le Lot. Les fondateurs, en général, voyaient plutôt grand :

les chartes de pariages indiquent le nombre d'empla- cements à bâtir d'une façon qui se veut précise mais n'était peut-être qu'un ordre de grandeur. A Beaumont, bastide établie en 1272, l'on prévoyait de distribuer mille lots dans la ville, autant de vignes et autant de

jardins. L'acte de pariage de Grenade, en 1290, cite trois mille places pour les maisons, trois mille caseaux dans le terroir et deux mille pièces de vigne.

De fait, ces villes neuves, de dimensions et de peu-

plement variés, attiraient à elles, dans un rayon limité mais appréciable, une part notable des paysans instal-

lés sur des exploitations isolées ou dans des villages : mouvements de population qui, évidemment, suscitè- rent jalousies et querelles ; l'évêque de Rodez, privé

des tenanciers qui désertaient ses domaines, finit par excommunier les habitants de Villefranche-de- Rouergue, ce qui en fit fuir un certain nombre. En tout

cas, le mouvement se soldait par une forte urbanisation de tout le territoire et provoquait souvent la ruine des

villages voisins : dans le Comminges, Saint-Plancard, important bourg encore dans les années 1080-1100, se trouva, un siècle et demi plus tard, réduit aux dimen- sions d'un simple hameau ; les habitants étaient allés

s'installer dans deux bastides voisines : Montréjeau et Boulogne-sur-Cesse.

Ces fondations, si proches dans l 'espace et dans le temps, ne furent pas également couronnées de succès.

Quelques responsables même ont pris conscience des difficultés et envisagé l'échec par manque d'hommes :

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à Sauveterre, la charte dit que, si la bastide ne se cons- truit pas dans un délai de six mois, le terrain sera rendu. Ailleurs, en bien des lieux, l'on a vu trop large et, un ou deux siècles plus tard, de nombreux lots à bâtir res- taient vides : à Libourne, à la fin du XV siècle, sur 1620 emplacements autrefois prévus, 1145 seulement sont occupés, 200 sur 300 à Montpazier et 1000 à Sauve- terre sur 2000 ou 3000.

Jacques HEERS, La ville au Moyen Age, Fayard, 1990

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2. Quatre siècles de centralisation

L'ordonnance de Villers-Cotterets est sans doute l'acte fon- dateur de la centralisation administrative. Dès 1529, elle pré- pare la double éviction du latin, langue de l'Eglise et langue universelle, et des langues populaires, particulières à certai- nes provinces du royaume. La conquête de la France par la langue française accompagne chaque étape de la centralisa- tion.

Quand, un siècle plus tard, Richelieu crée l'Académie française, il lui donne pour objectif de faire du français une langue universelle propre à succéder au latin et l'encourage à entreprendre la rédaction d'un dictionnaire et d'une gram- maire destinés à fixer ses normes et ses règles. Colbert en saisit suffisamment l'intérêt pour y ajouter un stimulant financier (le jeton de présence). Dans les premiers jours de l'an il, la Convention décrète l'institution d'écoles primaires, gratuites et laïques. Au lendemain des insurrections fédéralis- tes et en pleine guerre de Vendée, on imagine mal les Monta- gnards admettant un enseignement en breton ! Danton avait déclaré : « Après le pain, l'éducation est le premier besoin du peuple... », mais aussi : « L'enfant est à la patrie avant d'être à son père. » Thermidor balaya le projet.

Paradoxalement, c'est une monarchie, celle de Juillet, qui le reprend en 1833 : obligation d'une école primaire par com- mune, programme commun comportant l'enseignement du français (lecture, écriture, grammaire), du calcul (et, dans le cadre de ses exercices, du très unificateur système métrique), de la géographie et de l'histoire de la France ; et enfin, héri- tage napoléonien, contrôle par un corps hiérarchisé d'inspec- teurs, fonctionnaires d'Etat, nommés par le ministre.

A l'initiative de Jules Ferry, la Troisième République para- chève l'œuvre en ajoutant l'obligation scolaire à la gratuité et à la laïcité de l'enseignement. Dans une France qui s'est rele-

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L 'éco le , a g e n t d e la c e n t r a l i s a t i o n

L 'ent rée à l'école ne se fait pas sans appréhension le

premier jour. A peine la barrière franchie, nous voilà dans un autre monde. C'est un peu comme à l'église,

mais beaucoup plus déconcertant. A l'église, nos pa-

rents sont avec nous, ici ils n'entrent pas. A l'église, on

parle, on chante en breton, le catéchisme est en breton. Si le curé débobine du latin, du moins ne nous de-

mande-t-il pas de l'apprendre. A l'école, nous n'enten- dons que du français, nous devons répondre avec les

mots français que nous attrapons. Sinon, nous taire. Nous lisons, nous écrivons en français. Si nous n'avions

pas chez nous des livres de messes, de catéchisme et de cantiques en breton, outre La vie des saints, nous

serions fondés à croire que le breton ne s'écrit pas, ne se lit jamais...

Les instituteurs ne parlent que français bien que la plupart d'entre eux aient parlé le breton quand ils

avaient notre âge et le parlent encore quand ils rentrent

chez eux. D'après mes parents, ils ont des ordres pour faire comme ils font. Des ordres de qui ? Des « gars du gouvernement ». Qui sont ceux-là ? Ceux qui sont à la

tête de la République. Mais alors c'est la République qui ne veut pas du breton ? Elle n'en veut pas pour notre bien...

A l'école, il est interdit de parler breton... De lâcher

quelques mots bretons dans la classe ne tire pas trop à conséquence. C'est dans la cour, pendant nos libertés surveillées, que nous risquons de nous faire surprendre

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à bavarder par phrases entières dans le coin du

préau... Dans les petites classes, nous en sommes quittes pour un revers de main, une oreille froissée et la promesse de ne plus recommencer. Mais plus nous avançons en âge et plus les punitions nous pleuvent dessus. Toujours pour notre bien. C'est ainsi que l'an- née des bourses, je me vois infliger la conjugaison à tous les temps et tous les modes du verbe « dactylogra-

phier »... Que je dac ty lograph iasse , que nous dactylographiassions !... Il n'y a pas dans le pays la moindre machine à dactylographier. Qu'importe puis-

qu'il s'agit d'une punition pure... Lorsque l'un d'entre nous est puni pour avoir fait en-

tendre sa langue maternelle dans l'enceinte réservée au français, [...] une autre punition l'attend à la maison. Immanquablement.

Mais ni les Rouges ni les Blancs ne discutent la né- cessité de savoir le français ici et maintenant. C'est parce qu'ils ont fait ensemble la guerre de quatorze... ils ont mené pendant quatre ans une vie de martyrs...

Ils ont sauvé la France, la France est à eux, fait partie de leur patrimoine, pourquoi pas le français !

Une autre raison fait que nos parents désirent ferme-

ment nous voir apprendre la langue des bourgeois, se- rait-ce au prix [...] d'une sorte de reniement apparent de leur langue maternelle. C'est qu'ils sont humiliés

eux-mêmes de ne connaître que celle-ci. A chaque fois qu'ils ont affaire à un fonctionnaire citadin, à chaque fois qu'ils se hasardent en ville, ils sont en butte à des

sourires narquois, à des quolibets de toutes sortes...

. Pierre JAKEZ HELIAS, Le cheval d'orgueil, Plon, 1975