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FRANCE 1 Elle – Il fallait déjà avoir l’esprit, n’est ce pas, de résister. Et ça, ça ne se commande pas. C’est quelque chose qui est inné en soi : on refuse la défaite, on refuse l’occupation… Pourquoi ? Parce que c’est comme ça en vous : vous n’admettez pas que votre pays soit asservi… J’ai toujours été résistante. Pourquoi ? Je ne sais pas. D’abord, je vais vous dire, mon papa avait fait la guerre de 14. Quand on était enfant, il ne se passait de jours, où il n’évoquait les souvenirs qu’il avait des tranchées. Il a été blessé à Verdun, il a connu les tranchées, il a connu la misère, il a connu la pluie, le froid… Mon père, tous les jours, il ramenait sa guerre, sa « grande guerre » sur le tapis.

ddata.over-blog.comddata.over-blog.com/.../1/22/65/75/WORD/A---RESIST… · Web viewOn entendait les Allemands sur la route nationale, on entendait les chars… Les chars, des hordes,

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FRANCE11

Elle – Il fallait déjà avoir l’esprit, n’est ce pas, de résister. Et ça, ça ne se commande pas. C’est quelque chose qui est inné en soi : on refuse la défaite, on refuse l’occupation… Pourquoi ? Parce que c’est comme ça en vous : vous n’admettez pas que votre pays soit asservi… J’ai tou-jours été résistante. Pourquoi ? Je ne sais pas.D’abord, je vais vous dire, mon papa avait fait la guerre de 14. Quand on était enfant, il ne se passait de jours, où il n’évoquait les souvenirs qu’il avait des tranchées. Il a été blessé à Verdun, il a connu les tran-chées, il a connu la misère, il a connu la pluie, le froid… Mon père, tous les jours, il ramenait sa guerre, sa « grande guerre » sur le tapis.Alors nous, quand les Allemands sont arrivés avec leurs chars, leurs drapeaux et leurs fanfares : on a cru que c’était la fin du monde ! Au bout de quelques jours, on a dit : « on va voir ! Et on a laissé passer tout ça… »Entrer en Résistance c’était un sacerdoce, parce qu’il fallait sacrifier beaucoup de choses. Moi j’avais ma famille… J’étais à la campagne, je ne pouvais pas donner des renseignements très importants, mais enfin, on me demandait d’aller voir à la gare, les heures de passage des trains allemands pour les faire dérailler. Plusieurs fois ! Sur mille Français, il n’y avait peut-être qu’un résistant. Si on disait « il y a une poignée de résistants qui vont délivrer le pays », beaucoup avaient envie de rire. Mais ceux qui étaient dans la Résistance ne riaient pas… On entendait les Allemands sur la route nationale, on entendait les chars… Les chars, des hordes, des chars par centaines qui défilaient… C’était la débâcle, la débâcle… Nos parents, nos amis avaient pris leur voiture, on avait mis les gosses dans les voitures, les draps et les cou-verts en argent puis on s’en allait dans le midi ! Je logeais chez le maire.

J’avais 17 ans, je remplaçais l’instituteur mobilisé. Le maire m’a dit : « mademoiselle vous êtes ici toute seule. S’il arrivait quelque chose, qu’est-ce que vous feriez ? » Je reste dans mon poste ! La classe n’est pas finie ! Ça a été mon premier engagement dans la Résistance avec des gens mer-veilleux qui m’ont toujours soutenue, on a toujours dit : « ce n’est pas possible, on ne peut pas supporter que notre pays soit vaincu. La France est éternelle, elle ne peut pas s’asservir comme ça ! » J’étais une résis-tante inconnue, dans mon petit coin je m’occupais de donner à manger aux maquisards, de les héberger et puis de leur porter des petits plis dans le maquis quand ils avaient besoin de faire des opérations. C’est tout.

Je n’avais pas peur mais un jour des Allemands sont venus à la maison, ils ont arrêté mon papa… Un dimanche matin. Ils étaient venus plusieurs fois avant, dans la nuit, ils allumaient tout, ils cherchaient, ils s’en al-laient comme ils étaient venus, ils ne trouvaient rien. Les résistants on les couchait dans la maison de la grand-mère au bout d’un sentier. Ce dimanche matin, les Allemands arrivent chez nous, ils emmènent mon papa et ma sœur.Ma mère m’a dit : « toi tu t’en vas, moi, je vais bien voir. Il faut faire ta valise et t’en aller. On a des amis à Lyon dans la Résistance, tu vas aller les retrouver. »Fût dit, fût fait. Je suis allée à Lyon. C’était au mois de mars 1944. La journée, je sortais beaucoup en ville pour éviter… Quelqu’un aurait pu parler et venir me prendre. Je rentrais pour le dîner. Un soir j’étais un peu en retard, il n’y avait que quatre couverts  : il n’y avait pas le mien. Ils ne m’attendent plus. J’étais prise d’une panique.D’habitude je rentre toujours à la même heure, ce soir je suis un peu en retard, ils ne m’ont pas mis mon couvert. Vous savez, j’ai réfléchi : « demain je m’en vais. »

J’avais trop envie de savoir ce qu’il se passait chez nous, je prends le train vers quatre heures de l’après-midi, sur le quai de la gare je vois un gars. Je me dis : « ça c’est un milicien. Il me semble que je l’ai déjà vu et catalogué comme milicien. » C’en était un.Je monte dans le train. À Bletterans, il y’avait des Allemands sur le quai. Toutes les stations, il y’avait des Allemands. Même dans les petits

bleds de cinquante habitants. Je reste dans le train, je ne bouge pas. Et bien, ils sont montés dans le train. Ils avaient ma photographie.Les menottes. Arrêtée. Emmenée à l’Hôtel Bach à Chaussin. Ils étaient réquisitionnés, ils donnaient à manger aux Allemands. J’ai couché là. C’était ma dernière nuit dans un lit. Le capitaine SS Fisher était là, on a dîné ensemble ! Les Bach étaient des amis, on a mangé des pommes de terre, de la viande mais surtout de la confiture d’orange, j’aimais pas ça.Ils en remettaient, peut-être ils pensaient que j’aurais besoin… De ces calories le lendemain à la Gestapo.

SS – Vous avez été à quel endroit ?

Elle – C’est pas vrai …

SS – Vous étiez à quel endroit ?

Elle – C’est pas vrai, j’ai jamais fait ça !

SS – C’est pas difficile, si vous ne parlez pas, on massacre tout le monde chez vous. Vous ne voulez pas parler ?

Elle – Non.Vous avez beau dire, à un moment, vous vous dites : « Mais comment connaissent-ils tout ça ? »On me met en prison, tous les deux jours, renvoyée à la Gestapo pour m’interroger. Moi…

SS - Vous connaissez un tel ?

Elle - Non, je connais pas…

SS - Ah ! Vous connaissez pas ? !

Elle - Pan ! J’ai encore des marques, quand on n’a rien à manger, les plaies ne se guérissent pas si vite.

DEUST Université Franche-Comté / CDN F-C 2002 - Les étoiles attendent l’artillerie, un ange tombera du ciel 2 / 22

SS - Il te faut un témoin ?Et bien voilà un témoin. Vous êtes allée porter un message dans son maquis. Il nous l’a dit. C’était vous. Vous la connaissez ?

Le maquisard torturé - Oui.

Elle - Voilà. C’est tout. C’est tout, alors après moi, ça a été la prison et la déportation. Ce garçon, il avait été pris dans un maquis, c’était une loque, il a été fusillé quelques jours après. Tous les ans, j’ai une petite pensée pour lui, il s’appelait Foissote, il était de Petit-Noir. Le pauvre, il a payé de sa vie. Pendant ce temps, les Allemands étaient chez nous, mon père était pri-sonnier, ma sœur libérée, mon frère toujours dans le maquis, et ils di-saient à maman : « Madame, si demain votre fils n’est pas là, on fusille votre mari. » Et ce qui faisait le plus peur à maman… « On va mettre le feu à votre maison, vous n’aurez plus rien. » Ma pauvre mère…Comme si on pouvait attacher de l’importance à une table ou un fauteuil…Elle était vidée alors elle a craqué. Ma mère a dit : « si mon fils vient ce soir, s’il vient, je lui dis de se rendre. Mon frère l’a fait. Il a pris son vélo et a dit : « me voilà. »Ils ont tenu parole. Ils ont relâché mon père. Mais mon frère, il est mort en déportation. Et voilà…Une histoire. La déportation, c’était la dépor-tation, je suis rentrée, lui n’est pas rentré. Mon frère n’est pas rentré. Maman espérait toujours. Un beau jour, il a fallu que je lui dise…Maman, tu sais pas ? Tu devrais faire mea culpa parce que c’est de ta faute, t’avais qu’à laisser brûler ta maison. Maman est morte un mois après. Je vous dirai la mort pour moi, c’est pas grand-chose, c’est un passage, c’est tout. Je suis restée avec mon papa, il avait un commerce. Je ne pouvais pas le laisser tout seul, anéan-ti, sans argent, plus rien à la maison alors qu’on avait eu tout…

SIMONE22

Elle - Moi, j’ai eu un rôle modeste. J’ai été reconnue, c’est bien, je n’ai jamais fait de politique, on m’a donné des médailles. Mais Simone Mi-chel-Lévy, je la connaissais, elle avait l’âge de maman, ses parents ha-bitaient à côté de chez nous. Elle était formidable elle avait un amant. Elle avait la cigarette au bec, des cheveux à la garçonne, le pantalon ; elle était très moderne. La guerre est arrivée, Simone était toujours à Paris.

Simone - J’étais responsable des transmissions au ministère des PTT. Je faisais passer des messages en Angleterre. C’était pas difficile. Un jour, j’étais dans mon bureau…

Un homme - Simone, je voudrais que tu viennes prendre l’apéritif avec moi…

Elle - C’était une personne qu’elle connaissait, elle s’est pas méfiée, et les Allemands l’attendaient. Il l’avait vendu.

Simone - A Ravensbrück et ensuite dans un commando. Je faisais des culasses pour les gros obus. La presse, un rien et on la sabote. Au lieu de bien la graisser, je vais faire pipi dedans. Fût dit, fût fait. Le premier coup, la presse, elle n’a pas sauté mais à force, la rouille s’y est mise et la presse a sauté.J’ai été accusé de sabotage avec ma copine. C’était une presse très im-portante ! Un rapport est allé jusqu’à Himmler. J’ai été pendue. Normal.

Elle - Elle était commandant dans la Résistance, compagnon de la libé-ration. L’administration des postes lui a fait son timbre et elle a sa rue à Chaussin.

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Elle - Tout autour de nous, il y avait des maquis : Bletterans a été le noyau de la Résistance du Jura, parce qu’il y avait un terrain d’aviation improvisé qui s’appelait le terrain « Orion ». De là, est parti Jean Mou-

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lin, et sont venus beaucoup d’autres d’Angleterre pour former des ma-quis en France. Lui c’était un maquis…

Le maquisard - Du maquis « le désert ». Ils parachutaient des armes sur le terrain « Orion », on les distribuait dans les autres maquis.

Elle - Mais il fallait faire « bouche cousue » : ils ne racontaient pas ce qu’ils faisaient la nuit.

Le maquisard - Il y avait des mitraillettes, des cigarettes et puis à man-ger…

Elle - Ça a été le développement du maquis. Pour moi, la période la plus active puisqu’il fallait aussi porter les plis. Je ne savais pas ce qu’il y avait dessus, c’était un train qu’il allait faire dérailler avec des prison-niers de Lons-le-Saunier ou de Mont-Luc, fallait faire dérailler le train…Je leur portais et ils se débrouillaient pour faire leur travail.

Le maquisard - On faisait parti du même réseau : le réseau Jean-Marie Buckmaster.

Elle - On me prévenait par téléphone. Je ne savais pas qui c’était : c’était une personne « anonyme ». On faisait parti du même réseau mais je ne le savais même pas ! C’est à mon retour de déportation qu’un jour le colonel Gross m’a convoqué au bureau.

Colonel Gross - Tu sais, tu fais parti de mon réseau. Tu es sous lieute-nant de mon réseau.

Elle - Voilà : j’étais sous-lieutenant de mon réseau Jean-Marie !

MARGUERITE44

Marguerite – Moi, je suis pour l’armée. J’aurais voulu un mari mili-taire. Je me suis mariée, faut croire qu’il y avait l’amour puisqu’on est resté ensemble mais mon plus grand bonheur, c’aurait été un militaire. Si j’avais eu un fils, il serait St Cyrien.

Marguerite conteuse – Chez Suzanne, c’était un très grand atelier avec des vitres à raz le sol. Un jour, y a un assez culotté qui s’est hasardé de rentrer.

Le chef de maquis – Je voudrais vous voir ce soir pour parler ; pas pour le travail obligatoire ! Non, je fais parti du maquis.

Marguerite conteuse – Nous, peut-être bêtes comme des oies, on a tout de suite marché dans la combine.

Marguerite – Il est venu ce soir-là et je t’ai présenté.

Roger – Je suis parti au jardin, mais j’étais pas emballé pour me mettre là-dedans.

Marguerite – Le maquis était très dur, si quelque chose n’allait pas, ils pouvaient venir et lui balancer des baffes. Ils l’auraient aussi bien des-cendu. Les maquisards avaient pas de limites.

Marguerite conteuse – Il y avait des blessés, le dernier que je me sou-viens, un jeune : il avait fait une énorme crise d’appendicite. Ils l’ont fusillé pour pas que les Allemands le prennent et qu’il parle.

Marguerite – J’étais en contact avec André. Je leur apportais des lettres de leur femme et de leur famille.

Roger – Les lettres, elle les cachait entre les ressorts du sommier, je le savais pas… Elle était courageuse.

Marguerite conteuse – Mon mari, on l’a envoyé pour le travail obliga-toire, il s’est fait porter pâle.

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Roger – J’avais un lumbago.

Marguerite – Ils t’ont fait un papier pour te reculer.

Roger – J’ai encore la carte !

Marguerite conteuse – Comme quoi tu étais reculé de 15 jours en 15 jours. Alors, on l’a nommé sur place.

Marguerite – Il travaillait pour le STO, il surveillait les voies ferrées pour pas que le maquis les fasse sauter.

Roger – Quand je partais, je lui disais : « ce soir, je vais garder les voies, tu seras toute seule jusqu’à minuit, une heure du matin. »

Marguerite – Moi je tremblais, le maquis aurait pu le choper sur la route et le fusiller parce qu’il surveillait les voies et c’était contre le ma-quis.

Roger – J’étais obligé ! « Marche ou je te tue. »

Marguerite – Quand le maquis venait taper la nuit en disant : « sauvez-vous », on pensait que c’était parce qu’il travaillait pour les Allemands mais moi je savais très bien.

Roger – Fallait pas avoir peur…

Marguerite conteuse – A une gare, un maquis avait chopé des mili-ciens et un chef m’a dit : « Madame, on vous le donne. »Je suis pas vraiment patriote, mais j’ai pris ce milicien, je lui ai fichu une de ces roplotos carabinée… Il était sur le dos et je l’ai monté par les cheveux à peu près sur un kilomètre jusqu’en gare.

RAVENSBRUCK

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Femme – On est arrivé de nuit, on entend des chiens qui aboient, les portes du wagon qui coulissent. « Los, los, los… ! ».

Elle – Tu sais Maman, là-bas…J’ai toujours gardé cette image de toi et du soldat avec son fusil devant la ferme… Il fallait que je survive pour te revoir…

Femme – On nous flanque par terre. Il y avait 3 jours qu’on avait pas marché, on tombait les unes sur les autres ! « Los, los, los… ! ».

Fille – Tu sais Maman, j’avais huit ans… Pendant des années quand tu me regardais, j’allais me cacher… Tu avais les yeux qui sortaient des orbites, j’avais peur qu’ils ne se ferment plus… Pendant des années, je t’ai pas regardé.

Femme – On avait envie de respirer, c’était tout noir autour de nous. Je pensais qu’on était dans un bois mais c’était pas ça. Ravensbrück était un camp de femme. Puis j’ai vu une lueur… L’entrée du camp…Comme une arche avec écrit dessus : « Arbeit macht Frei ! » le travail rend libre !

Elle – Tu es arrivé de nuit toi ?

Lui – Non, le matin. Ils nous ont sorti des wagons et jeté par terre comme des petits sacs vides.

Fille – Tu vois cette fumée ? tu rentres par la porte et tu sors par la che-minée ! L’adresse de tes parents, elle servira pour envoyer tes cendres !« Eins Zwei Drei ! »

Elle – Ils ne savent faire autre chose que crier !« Eins! »

Lui – Il faut toujours se ranger cinq par cinq, et se taire

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« Zwei Drei ! »

Elle – Tu arrives avec ton baluchon et tu vois des gens qui passent comme des fantômes.

Lui – Mais où est-ce qu’on est tombé ?« Eins ! »

Lui – Ils ne savent plus parler, ils aboient.

Fille – Ici on entend que des cris et des cris.

Elle – J’avais 20 ans. D’un coup je me retrouve sans cheveux, on m’ar-rache les dents, même les bonnes et puis on est toute neuve

Fille – Toute nue.

Elle – Toute nue, avec un numéro. Heureusement autour il y a des ca-marades, comme vous. Ils nous réveillent à 5h du matin… Pour rien.

Fille – Pour nous affaiblir.

Elle – Eliminer les plus faibles… Parfois toutes nues devant les soldats.

Lui – « Stück » ça veut dire morceau…Ils demandent plus les numéros, ils demandent des morceaux. On est pas plus que des cailloux pour eux.

Fille – T’as plus rien ?

Elle – Moi, je la mange d’un coup, comme ça, c’est fait, j’y pense plus…

Une femme - Quand on est malade, faut pas avoir faim…

Fille – Moi ce qui m’a sauvée, c’est la solidarité.

Une femme – Le temps a passé, je suis rentrée. Au début on ressent du dégoût, de la haine mais après… On peut pas vivre avec la haine ! On est pas des gens tristes, on aime la vie… La preuve, on a tout fait pour la garder ! Mais faut dire qu’on est toujours fragile, surtout point de vue nerveux… On ne sort jamais du camp …Il y a toujours un mot, une phrase qui nous ramène au camp… Stûck… Morceau.

Fille – Jacques PREVERT, je l’ai connu à Ravensbrück… Au W.C, c’est le seul endroit où ils ne viennent jamais.

Elle – Ils ont peur de la contamination.

Fille – C’est l’endroit où l’on est libre !!!

Elle – Libre de faire que notre esprit pense à autre chose.

Elle – La douche, faut sortir torse nu. Mais moi je sais pas, je viens d’arriver…

Lui – J’ai passé 42..44…46…..40 mois ! Je pesais 29 kg !

Elle – Moi seulement 22 mois ! 52 kg à l’arrivée, 30 de moins au re-tour.

Femme – Il faut savoir ce que c’est que de dormir avec un ancien dé-porté. On nous a reproché de ne pas parler, mais on ne voulait pas ! Mes deux enfants, je leur ai parlé, mais je ne voulais pas qu’ils soient uni -quement dans l’univers du camp. Parce qu’encore maintenant, on ne se trouve bien qu’entre déportés ! C’est vrai, c’est comme une famille « bis ». On me demande ce que j’avais fait dans la résistance. Ben oui, heureusement il y avait de la résistance dans la déportation… Moi je leur dis toujours : « ni haine, ni oubli », l’oubli, c’est impossible !

Elle – Vous chercher quelqu’un ?

Fille – Je cherche ma sœur … Elle n’est pas là…

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Elle – Regarde-moi, c’est moi que tu cherches, je suis ta sœur.

EDOUARD66

Edouard - Ils étaient deux sur la moto… L’autre s’en est tiré, mais lui a pris la rafale… Dans les reins... Il se traîne tant qu’il peut… Mais les Allemands l’encerclent… Alors, il sort le pistolet canadien et il tire, il tire… Il disait : « Jamais ils ne m’auront. Jamais ! La dernière sera pour moi ». Alors il a fait sauter sa tête… Avec la dernière balle…

Charles, Charles… Pour moi t’étais un paladin…T’étais doux, t’étais gentil... Jamais tu disais : « Faut faire ci, faut faire ça… ». Tu partais devant… Moi, je te suivais toujours.

Et puis tu disais : « Surtout… Ne dit rien à mon frère… Il serait capable de descendre, de tirer sur les Allemands… Capable de tout ». Alors j’ai fermé ma gueule.

J’étais son second… J’ai pris sa suite, mais je ne me sentais pas… Avec lui on aurait décroché la lune !

HENRI

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Henri - Moi, je me fais prendre, putain de fatalité. Dans le verger, ils nous encerclent. Quand on a plus de cartouches, on peut plus tirer. On entre dans une maison, on dort, on se réveille, ils nous mettent en joue, on lève les bras, c’est fini. Ce que c’est la vie ! C’est le hasard, la dé-veine, la malchance.On traverse le Nord, la Belgique, la Hollande, ils nous emmènent de fa-çon assez originale, tout à pied…J’ai atterri à Dortmund : 3500 ouvriers, une usine d’aluminium, pour faire des fours électriques.

Chœur – C’est les poux, la vermine… Si tu travailles, t’auras une soupe.

Henri – C’est là que je fais du sabotage. Ça va bien un moment, ils s’en aperçoivent.

Chœur – Moi j’ai peur, je me dénonce.

Henri – Moi je dis rien.

Un Allemand – Vous allez passer devant un tribunal… ce sera musclé.

Henri – Je suis jamais passé devant pour la simple raison que je me suis échappé… Derrière les barbelés, avec des hommes armés qui vous emmènent au travail, j’ai jamais pu supporter. La meilleure des choses c’est la santé, mais tout de suite après c’est la liberté. Je cherche toutes les combines, je calque des cartes d’Allemagne, je fais une boussole avec des lames de rasoir aimantées et une dynamo de vé-lo.

Un prisonnier – T’as qu’à payer les Belges, ils t’évaderont mais faut payer…

Henri – J’ai des marks… Tout ce que mes parents m’envoient, le cho-colat, le café, je le vends aux Allemands.Je pars avec les Belges. Au petit matin les sentinelles comptent les gars, à l’opposé c’est tranquille, il suffit de couper les barbelés. Mais à peine 500 mètres… Ils se font prendre, moi un petit peu plus vif, je réussis à revenir dans le camp. J’ai jeté les pinces dans les latrines.Ils ramènent les Belges en caleçon au réfectoire, menottés dans le dos pour bien montrer que ce n’est pas possible de s’évader.Pour la deuxième évasion, j’ai un costume, des souliers, tout ce qu’il faut, tranquille.

Le copain – On a qu’à acheter un manteau d’officier à un prisonnier al-lemand.

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Un autre – C’est pas des nazis, c’est des copains.

Henri – Mais je suis repris.

Les copains – On a été vendu par un prisonnier.

Henri – Ils m’envoient dans un camp disciplinaire sur la frontière polo-naise. Au bout d’un an, retour à l’usine.

Un officier – A condition d’être un « bon prisonnier », de travailler sa-gement dans le commando, sans esclandre

Chœur – Depuis Varnemund, il y a des ferry-boats qui partent en Suède. Là vous pouvez peut-être vous évader.

Henri – On table là-dessus.

Camarade 1 – On fait nos petites provisions de biscuits, de chocolat, on sait pas combien de temps ça peut durer.

Henri – Un camion vient tous les 15 jours chercher les déchets d’alu-minium, ils vont justement à Varnemund avec un prisonnier français aide-chauffeur. On peut partir avec toi ?

L’aide chauffeur – J’amuserai le chauffeur.

Henri – Pendant qu’on choppe nos musettes, qu’on grimpe dans le ca-mion. On est trois. Nous voilà partis.

Camarade 1 – A Varnemund, la ville est déserte.

Camarade 2 – La nuit à la gare, on cherche les wagons pour la Suède ; pas un seul.

Henri – Il y a un grand champ de joncs, on se planque dedans jusqu’au soir suivant…

Camarade 1 – Toujours rien.Henri – Là ! Le lendemain, on en trouve un de wagon !

Camarade 2 – Alors tu déplombes, tu coupes le plomb, tu ouvres le wagon, il y a ceux qui montent, tu refermes… Le troisième remet le plomb.Henri – Puis on le tire par la petite lucarne au-dessus.

Camarade 1 – Ah ! Ben c’est des cercueils vides, on a qu’à se planquer dedans.

Camarade 2 – Pi se mettre le couvercle dessus p’y rester.

Henri – C’est pas possible qu’ils envoient des cercueils vides en Suède. Ils vont certainement revenir …

Camarade 2 – On ressaute du wagon, c’est reparti.

Camarade 1 - On fait la gare, on trouve un wagon pour Sarbrük.

Camarade 2 – A Sarbrük, on en a repris un qui va à Hambourg.

Camarade 1 – Puis à Hambourg, un qui va à Cologne.

Henri – 15 jours…Dans les villes fallait pas se faire voir, tout le monde doit travailler, ce-lui qui est dans la rue, on lui demande ce qu’il fait, si c’est son jour de repos…Schöne Stadt !

Camarades 1 et 2 – Ja, Ja.

Henri – Wie gehts meine Dame

Camarades 1 et 2 – Ja, Ja.

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Henri – Eine Bier ? Ja gern !

Camarades 1 et 2 – Ja, Ja.

Policier Allemand – Papier, Bitte.

Henri – De la police partout.

Camarade 1 – Henri, il a appris l’Allemand en captivité…

Camarade 2 – Il commence à chahuter avec des policiers.

Henri – Schöne deutsche Fraulein… Gut…Coup de chance, coup de chance.Cologne c’est la dernière étape… La gare, elle est en dehors, on se re-trouve en pleine campagne…

Camarade 1 – La gare !

Camarade 2 – On se cache dans un champ de blé jusqu’à la nuit. On voit des sentinelles qui font les cent pas…

Henri – Tu passes entre les deux, pendant qu’ils voient pas.

Camarade 1 – J’ai repéré un train qui va au Mans…Des avions !

Camarade 2 – Des fusées, des fusées bleues, des rouges, des blanches…

Camarade 1 - Puis maintenant des bombes …

Camarade 2 – Ils envoient des obus bleus, rouges, verts. Ça part de tous les bouts ! Les incendies s’allument partout.

Henri –C’est sur la gare ! Panique ! Dans la nature !

Camarade 2 – Les wagons, ça fume…

Camarade 1 – Oh ! Ben notre train… Il est intact !

Henri – Alors on est remonté. Tranquille ! Avec le couteau, tu fais un trou pour voir où on est…

Camarade 1 – Charleville-Mézières, on est en France, con ! … Beau-vais…

Chœur – Sabotage ! Sabotage !

Henri – Les maquisards vont nous faire sauter. On va pas au Mans. On saute quand ça ralentit ! Tu passes par la petite lucarne, tu lance la musette et le bidon… Et hop ! Rouler-bouler !

Camarade 1 – C’est marrant, le train il défile devant nous…

Camarade 2 – Les Allemands sur les wagons avec leurs fusils, ils nous regardent…

Camarade 1 – On leur fausse compagnie. C’est fini, c’est la libération.

Henri – C’est notre libération.On n’a pas embrassé le sol de France comme il fait Jean-Paul II, mais se libérer comme ça, tout seul, c’est quelque chose, hein ! Une joie in-croyable.

LA VEILLÉE88

Femme 1 – On nous disait : « les Allemands, ils crèvent de faim ! » Tu parles, arrivés ici les plus petits faisaient 1m80 !

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Femme 4 – De la propagande !

Femme 1 – On nous a pris pour des rigolos !

Femme 2 – Pi le rationnement ! La grosse connerie qu’ils ont fait les Allemands, c’est de toucher le Français au ventre… Ah çà ! Si vous ra-tionnez le Français…

Femme 4 – C’est foutu !

Femme 1 – Ils avaient dévalué le franc… Ça fait qu’ils vidaient les ma-gasins !

Femme 2 – Ils envoyaient tout ça chez eux par la poste… Tout !

Femme 1 – Vous trouviez plus de chaussettes ! Plus rien… Ils raflaient tout : le beurre, la viande…

Femme 2 – Fallait bien qu’on mette les patates de côté… On trichait ! Forcément, ça créait un sentiment de méfiance.

Femme 4 – Et pi de rébellion !

Femme 1 – Les gens y disent : « faut que tout le monde soit dans le coup… Les instituteurs, les curés… »

Femme 2 – Les 4 ou 5 % de collabos, c’était pas grave. Au début, ils faisaient un peu de zèle… Il suffisait d’en pendre un ou deux par-ci, par-là, c’était terminé.

Femme 1 – Bon, c’était violent… Mais ça fonctionne pas le « tout le monde il est gentil, tout le monde il est beau ». C’est faux !

Femme 4 – T’as raison.

Femme 1 – Et les « pots à goutte », vous savez ce que c’est ? C’est des types qui vous vendent pour une prime.

Femme 3 – L’abbé Melon, ses réunions au presbytère, il y avait tou-jours des fuites…

Femme 1 - Ce qui fait qu’on arrivait à se suspecter… « Tiens ! Ben, c’est toi qui a causé avec une copine… »

Femme 3 – C’est pas moi, c’était le bedeau ! Je l’ai bien vu, un jour y a la milice qui débarque, c’est lui qui servait de guide !

Le Bedeau – Ah non, c’est pas par-là, c’est par-là…

Femme 1 – Il discutait avec les gars de la milice…

Femme 3 – Ma copine, directrice d’école à St Etienne… Le matin, elle ouvre sa fenêtre… Qu’est-ce qu’elle voit ? Le bedeau qui est au bout de sa corde. En dessous où il était croché, il y avait le garage du corbillard, avec des tôles ondulées qui étaient usagées… Les gendarmes y disent : « C’est la corde qui a cassé… » Mon œil ! Ils ont dû le lâcher de là-haut ! Il est tombé le cul sur les tôles, il a défoncé les tôles : les fesses dans le corbillard ! Il a fini pendu dans clocher où c’est lui qui sonnait les cloches !

Femme 2 – Pi, sur l’oreiller ! Y a des p’auves cons… C’est les femmes qui espionnent le mieux, c’est un poison, une drogue… Forcément, y’en a qui couchent avec des femmes qui faisaient partie de la gestapo, y a des dénonciations !Tiens, ben elle, un jour… Disparue ! À la libération, elle revient des camps, elle pesait 30 kilos… C’était son mari… Très croyant, très ca-tholique comme il a pas eu le courage de lui demander de divorcer… Il l’a donné ! Vous voyez le travail !

Femme 1 – Il a eu 7 ans de travaux forcés, moi j’dis que c’est pas beau-coup…

Femme 3 –Y en a qui donnent leur frère comme ça y a plus qu’un héri-tier et pas deux…

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Femme 4 – Les époques comme ça, faut les vivre.

Femme 3 – Il y a pire ! C’était il y a 4, 5 ans, à la messe d’enterrement du gars du Havre. C’est sa tante… Mais c’était ta tante… Sa tante et son mari un Allemand… Elle était volontaire du travail en Allemagne, elle travaillait dans une usine à munitions, elle fabriquait des cartouches qui tuaient son frère…

Femme 1 – Papa il nous a dit : « Si jamais ma sœur vient quand je dé-cède, vous me la virer ! Pi son boche avec ! »C’est sûr, ça laisse des traces…

Femme 4 – Pour Jeanne François, la collabo, ils ont juré de jamais dire qui y était, qui y était pas. Chaque matin, elle passe au même endroit. À 100, 120 à l’heure ! Ça faisait les rallyes cette nana-là. Une pilote ! D’ailleurs, elle s’était fait faire l’ablation des seins pour être plus près du volant dans son baquet, tout un cirque… Le maquis avait préparé une embuscade, mais la première fois à cause d’une crampe, la vigie n’a pas fait le signal à temps. Ils savaient qu’elle repasserait le soir, c’était toujours sa route…

Jeanne – Freine… Pétard au poing… Non… Du sang…

Femme 4 – Dans la voiture y avait la fille de Bailleul et son mari qu’étaient pas collabo…Ils ne pouvaient pas se douter… Bavure… Les 2 fils des Bailleul, ils avaient 15 ans, ils ont dénoncé leur prof d’anglais qui travaillait pour la Résistance…

Femme 1 – Alors ça… Le truc des gosses, ça a suivi longtemps…

LES EXPLOSIFS

99

Femme 1 – Notre père, ancien 14-18… Artificier… Arrêté, déporté, mourra à Melke en février 45.

Femme 2 – Notre frère cadet, mort au combat, le 25 novembre 43.

Femme 3 – Nous Franc-Tireur…

Femme 4 – Et Partisan Comtois.

Toutes – Saboter, c’est pas difficile.

Femme 4 – C’est l’enfance de l’art quand on a les explosifs.

Femme 3 – Mais on n’en avait pas.

Femme 1- Un communiste a dit :

Femme 2 – « Comptez pas sur Londres… Ils ne vous donneront jamais d’armes… »

Femme 1 – Des explosifs, des obus, il y en a dans les forts abandonnés.

Femme 4 – On est des bricoleuses… On sait ce que c’est un explosif… La ferme, elle est construite sur un bloc de rochers… Chaque fois qu’on a fait des travaux, on utilise des explosifs…

Femme 1 – Alors, on a amené des obus en vrac.

Femme 2 – Des obus en vrac.

Femme 3 – En vrac.

Femme 4 – L’obus quand il est rouillé, il ne fonctionne plus.

Femme 2 – Pour utiliser la charge d’explosif qui est à l’intérieur de l’obus…

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Femme 3 – La fusée, c’est un dispositif qu’on règle suivant l’explo-sion. 

Femme 4 – Quand on a enlevé la fusée, on réamorce l’explosif dans l’obus…

Femme 3 – Faut dévisser les fusées, comme elles sont rouillées, faut prendre un marteau et taper dessus pour dévisser.

Femme 1 – Extrêmement sensible !

Femme 4 – On n’a jamais eu d’accident !

Femme 2 – Le détonateur, c’est un explosif qui amorce l’explosif qu’il y a dans l’obus.

Femme 1 – Très, très sensible…

Femme 4 – On fabriquait nous-mêmes… On n’avait pas ce qu’il fallait, c’était la pénurie.

Femme 3 – Un camarade, il avait une charge aimantée, il leur a donné, elle a pas duré longtemps…

Femme 4 – Dans la ferme, on avait une espèce d’atelier, on a fabriqué une amorce électrique.

Femme 2 – Tu prends un détonateur ordinaire, il faut deux fils, une pile…

Femme 3 – C’est un tout petit tube, pas même un centimètre de dia-mètre.

Femme 2 – La moitié qui est remplie de fulminette…

Femme 1 – C’est un explosif extrêmement sensible…

Femme 4 – Rien que de piquer un coup violent, ça explose !

Femme 1 – Très, très sensible !

Femme 3 – L’amorce…

Femme 2 – L’amorce…

Femme 3 – L’amorce, ça provoque un arc électrique contre l’explosif.

Femme 2 – Il y a un trou dans la charge aimantée, gros comme un déto-nateur.

Femme 3 – C’est un crayon allumeur, il suffit de l’écraser.

Femme 1 – Tu le mets dans le trou… Il est en contact avec l’explosif.

Femme 2 – A l’intérieur, il y a des fils.

Femme 3 – L’acide a l’intérieur, il ronge les fils…

Femme 2 – Quand les fils sont rongés…

Femme 3 – Ils déclenchent le petit percuteur…

Femme 1 – Et ça vous fait l’explosion !

Femme 4 – C’est des charges qui vous font une rupture du rail sur 30, 40 centimètres… Une enfance de l’art que de neutraliser les voix fer-rées.

La Torpille – Moi, on m’appelle la Torpille… Sergent instructeur : spécialité minage et déminage. Quand la théorie, elle dit 500 grammes, moi, j’mets un kilo ! Toujours double charge, double cordon bickford.Le pont sur la route de St Georges ! Les pierres et les bouts de béton, y’en avait jusqu’à 300 mètres ! L’Allemand de garde sur le pont, il a

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fondu sous la charge, on l’a jamais retrouvé, même le fusil, tout a fon-du… Ah ! Une flamme ! Un kilo sur chaque pilier !Le bickford, c’est creux comme une gaine de frein de vélo, à l’intérieur, y a le fulminate, on met l’allumette tison qu’a pas de flamme, on frotte, on pince légèrement, chchchchchch… Jusqu’au bout ! Ah ! Pour la mine, vous avez crayon vert : instantané ! Le crayon rouge : c’est tant de minutes ! Le crayon blanc : c’est tant de minutes ! Faut pas se trom-per !

GRAND JULES

1010

Conteur - Dans notre maquis, on est pratiquement que des jeunes. Ici, il y en a aucun qui glande ou qui se planque. Un jeune qui s’est pas ma-rié, il ne connaît pas la vie, il n’a plus les besoins des autres. Ceux qui ont une femme, qui ont l’habitude de prendre un apéritif, de coucher avec une femme, c’est des emmerdeurs.

Grand Jules - La meilleure fausse carte d’identité c’est un pistolet. C’était une période, des émotions y’en avaient, mais des sentiments… La vie d’un être humain ? Ça ne comptait pas, celui qui fait des senti-ments, c’est un homme mort.

Chœur - On est au maquis Surcouf, on arrête une voiture, dedans ils sont quatre.

Grand Jules - On flingue deux gendarmes et deux Allemands. Y’avait une briqueterie sur la droite qui fonctionnait, on fout les Allemands dans les fours, ça fait des briques.

Chœur - On étaient jeunes. Après au café, on s’est bagarré avec des re-volvers à une paterne, alors lui, il a piqué les machins.

Chœur 2 - Il y un Allemand là, il s’est échappé en courrant.

Grand Jules - Ah bon ? Où est-il parti ?

Chœur 2 - Au bureau de tabac.

Grand Jules - J’arrive au tabac : « Vous avez vu un Allemand ? »

Buraliste - Il a téléphoné à la garnison allemande pour qu’on vienne le chercher… Ils lui ont dit qu’ils viendraient demain, que c’était dange-reux.

Grand Jules - L’Allemand, il est où maintenant ?

Buraliste - Je l’ai fiché à la grange. Je ne veux pas d’histoire, hein ?

Grand Jules - On ne va pas le bousiller là, n’ayez pas peur… C’était le clair de lune, il était couché dans la paille. Je l’ai réveillé et ficelé avec la laisse du chien… Mon chef l’a interrogé, après, il m’appelle.

Chef - On peut pas le garder ! Vous savez ce qui reste à faire.

Grand Jules - Ce salopard ! Au lieu de se prendre par la main et de le faire lui-même le sal boulot. J’étais avec mon copain

Copain - Tu tires en premier…

Grand Jules - Non, toi d’abord.

Copain - On l’a trimballé pendant 500 mètres.

Grand Jules - Je l’ai foutu en l’air, une rafale ! Avec ça, j’étais brûlé.Attention ! la Gestapo, point de vue anthropométrie, ils sont forts… Ils disaient : « celui-là c’est un Anglais, les cheveux, les pieds plats, pis les dents qui courent après le beefsteak… Alors au maquis, ils m’ont dit : « la carte d’identité, c’est terminé, tu prends un pétard et on t’appellera Grand Jules. Par contre y’en a qui payent pas de mine.

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Cran d’arrêt - Je suis jardinier moi, je veux pas me faire tuer. Grand Jules il me dit de m’entraîner à l’arme blanche. La nuit faut pas faire de bruit et t’auras pas la flamme qui sort du pétard et qui se voit. Alors je m’entraîne dans le bois, dans tous les pieds d’arbre. « Comment ça s’fait q’ t’aime ça ? » qu’il me demande. Y peut pas comprendre : je ressens un grand plaisir quand je peux planter un gars de 100kg.

Chœur – Foutez le camp ! Les Bosch arrivent ! Ça pétarade de tous les côtés. Ils foutent le feu partout. On a réussi à en attraper 15, on les amène devant les maisons en feu.

Grand Jules – Bande de salopards ! Regardez ! Brûler des gosses.

Allemand – Ah ! Das ist Kreig !

Cran d’Arrêt – Alors là « ping », celui-là je l’ai planté comme un la-pin, remords. Ces femmes, ces gosses brûlés…

Grand Jules – C’est affreux, c’est moche, la guerre c’est moche.

Chœur – On a eu un problème avec un maquis de Soviets. Ils vont dans les fermes, ils boivent, ils se saoulent, ils violent. Tout le monde dit : « les Anglais c’est des salopards ! » C’est des Russes, mais à la cam-pagne, le Russe ou l’Anglais c’est pareil ! Un jour on en a attrapé un. On a laissé un sursis parce qu’il nous a dit où étaient planqués les autres. C’était la nuit, on était à pied et on les a trouvés dans leur tente, complètement saoules. On les a ligotés. On avait 20 ans, c’était des gars de 24-25 ans, expérimentés et solides. Ils ne croyaient en rien. Pour eux, un homme, c’était de la viande, point final. On les a amenés et Grand Jules a dit qu’on devait former une cour martiale pour les juger. Il a demandé à celui qui avait parlé : Comment veux-tu être exécuté ?» L’autre répond : « Je veux être étranglé par lui, par mon copain, je veux vivre ma mort. » Les autres ils ont été exécutés au tourniquet, c’est un filin…Et il y a un bout de bois qui serre… Progressivement. Ça s’ap-pelle un tourniquet…C’est comme ça.

Grand Jules – On pouvait se faire tuer au combat, l’Allemand ou le milicien qui a tiré avant vous, bon bah !… J’ai eu peur, et la peur c’est bizarre. Celui qui dit qu’il a jamais eu peur c’est le dingue, le fou qui a de la chance de pas être tué. La première fois que ça vous pète aux fesses… Surtout quand vous savez pas la direction d’où ça vient…. Les grandes gueules, les bagarreurs, ça vaut rien devant une arme à feu. Le gars qu’apprend à tuer, alors ça y’a pas à être boxeur, c’qui compte c’est la rapidité, quand on t’a tiré dessus, qu’on t’a raté… Là, t’as com-pris hein, t’as appris à danser ! On apprend.. Dans les bois, si les oi-seaux s’arrêtent… Y’a quelqu’un … Ou c’est peut-être un chat qui passe.

JEAN VIGO1111

Chef d’armée – Armée d’Armistice… Zone Sud… Jean Vigo ?

Vigo – Je m’engage.

Chef d’armée – Novembre 42, les Américains débarquent en Afrique du Nord.Munition… De… Combat.

Vigo – Pétain et Weygand nous interdisent de bouger…

Soldat 1 – Les Allemands nous encerclent.

Tous les soldats – On rend les armes ?

Vigo – Bon, je rentre à Caen.

Chœur – Il organise l’instruction, la gestion des dépôts d’armes, l’ap-provisionnement avec d’autres camarades… Et brutalement, le 16 dé-cembre…

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Vigo – J’ai l’image que Papa est mort… Faut vite que je rentre à Vire.

Sa mère – Il est 22 heures.

Vigo – Maman, qu’est-ce qu’il se passe ?

Sa mère – Ton père… La gestapo l’arrêté…

Vigo – Pas le temps de pleurer, vite faut déménager les armes sinon c’est la catastrophe !

Sa mère – C’est fait, ton frère a caché le fusil de chasse…

Vigo – S’il y avait que ça…

Sa mère – Je savais pas qu’il y avait plein d’armes dans plusieurs gre-niers… Il a déménagé ça toute la nuit en passant à travers champs… Les Allemands eux sont sur les routes… Suivant l’orientation du vent, on les entend de loin… Ils sont ferrés comme des chevaux…

Vigo – A 4h30, c’est fini…

Conteur – Il faut vite prévenir Monsieur Delande, le chef de la Résis-tance…

Vigo – Merde ! Ils sont déjà là…

Gestapo – Nous voulons voir Monsieur Delande…

Un homme – Au fond du couloir, dernier bureau à droite…

Vigo – Delande n’est plus rentré chez lui… Il a rejoint un maquis bre-ton…

Gestapo – Madame Delande suivez-nous !

Sa mère – Nous étions dans la même cellule, nous avons eu la chance d’être libérées très vite, mais toi Jean, tu ne l’as pas su…

Conteur – Le cercle se resserre, se referme. Il faut prévenir les gens de Caen… À la gare, il y a des trains de militaires allemands, un gendarme français l’arrête…

Vigo – excusez--moi, il faut que j’aille à Caen. C’est très grave, j’ai des copains à prévenir…

Gendarme – C’est sérieux ?

Vigo – Très sérieux.

Gendarme – Démerdes-toi, passes…

Conteur – Il voyage avec les Allemands… Il passe à contre voie et s’enfuit par une porte qu’il connaît. Et c’est le père Alrick un Flamand qui fabrique de la moutarde…

Alrick – Qu’est ce que tu fous là ?

Vigo – cache-moi !

Conteur – Il a une petite camionnette, il le met sous des sacs de mou-tarde…

Alrick – Où tu veux aller ?

Vigo – Prévenir Casquemèche !

Conteur – Il tombe sur la bonne terrorisée…

La Bonne – Monsieur est parti, il est parti, on ne sait pas où. Partez vite !

Vigo – Casquemèche est parti. C’est bon, il a compris.

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Alrick – Où maintenant ?

Vigo – A l’abbaye…

Conteur – Il veut parler à sa sœur Margueritte…

Margueritte – Qu’est-ce que tu fais là ?!

Vigo – Trouves-moi un vélo… j’ai pas de vélo pour rentrer.

Conteur – Il ne doit pas rester à Caen ! Trop dangereux… Il est cuit… Une jeune fille lui donne des faux papiers faits par un prêtre de l’ab-baye.

Jeune fille – Tu es ouvrier agricole, tu t’appelles Joseph Vitran « J.V », les mêmes initiales que Jean Vigo. Si tes vêtements sont marqués, ils pourraient te coincer. Tu es né à Ker Germel, tu es stagiaire en confi-ture… Tu voyages pour chercher des confitures…

Conteur – Il demandait dans les fermes à dormir…

Vigo – Vous n’auriez pas un coin pour…

Fermière – Ben, vous êtes parachutiste…on peut pas.

Vigo – Non, je suis stagiaire en confitures…

Fermière – Regardez vos chaussures… C’est des chaussures militaires.

Vigo – J’ai plus de godasses… Je les ai gardés de l’armée…

Fermière – C’est pas possible.

Vigo – Bon, c’est tout.

Conteur – Alors, il couchait dans les bois… Les gens sentent quand on porte un mystère et veulent le percer.

Vigo – On a une espèce d’angoisse qui brûle le visage… Une peur… L’impression que tout le monde regarde mes chaussures de l’armée. Je me dis toujours qu’il faut faire quelque chose… Mais quoi faire pour bien faire ? Puis cette angoisse, Qu’est-ce qu’es devenue ma mère, qu’est-ce qu’est devenu mon père ?

L’abbé – La gestapo a arrêté ta mère ce matin.

Vigo – Et mes frères Fernand et Marcel, qu’est ce qu’ils sont devenus, ils ont 10 et12 ans… Ils peuvent pas être seuls.

Chœur – Je ne sais pas.

Conteur – Couvre-feu, une petite vieille marche dans la rue…

Vigo – Madame, vous n’auriez pas une écurie juste pour coucher ?

La vieille – Vous vous cachez ?

Vigo – Non…

La vieille – Bah ! venez, venez…

Conteur – Elle le fait manger dans sa petite ferme, lui donne une al-côve, il dort… Le matin, elle lui donne du lait…

La vieille – Qu’est-ce que vous parlez quand vous dormez, vous…

Vigo – Qu’est-ce que j’ai dit ?

La vieille – Ah ! Ben, j’ai rien compris…

Vigo – Bah, ça vaut mieux.

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Conteur – Il veut prendre un train, mais il n’y a plus de trains… Il va se cacher dans l’église, dans le confessionnal… Les églises, c’est le seul endroit où personne ne suspecte…

Le curé – Qu’est-ce que vous faites là ?

Vigo – Bah !… J’ai des difficultés, j’attends le train pour le Mans mais là-bas, je sais pas où aller.

Le curé – Au couvent des Capucins…

Conteur – Au Mans, le couvre-feu. Il croise un jeune garçon.

Vigo – Tu connais pas une piaule, un endroit ?

Le garçon – J’ai une copine… Fais gaffe, y a la patrouille…

Conteur –Il rentre dans une église. Au jeune prêtre :

Vigo – J’ai besoin de renseignements…

Prêtre – La messe d’abord… Après on verra… Qu’est-ce qu’il t’ar-rive ?

Vigo – Ça va pas fort.

Prêtre – Bon, t’as mangé ?

Vigo – Non, ça fait deux jours…

Prêtre – Viens chez des amis.

L’architecte – … En plus tu connais l’abbé Gabriel…

Vigo – Ah ben oui.

La femme de l’architecte – C’est un grand ami.

L’architecte – Tu iras de ma part à la laiterie d’Yvrey, c’est des amis.

Conteur – Pour aller là, il est passé chez les Capucins…

Vigo – J’ai des gros ennuis et pas d’argent, j’ai rien.

Le Capucin – Tu restes le temps que tu veux… Entre.

Conteur – Il est resté dix jours puis il s’est présenté à la laiterie d’Yvrey.

Vigo – Ben voilà, je suis obligé de me cacher.

Le laitier – Faut que tu me dises quand même…

Vigo – C’est pas brillant. Je suis recherché par la gestapo.

Le laitier – Ah… Je peux pas… Je peux pas.

Vigo – Pourquoi ?

Le laitier – J’ai déjà 14 réfractaires du STO dans la laiterie. Si y’en a un qu’est pris, toi t’es pris. Et si toi t’es pris, ils vont tous être pris… C’est pas possible.Je vais te trouver une solution… (téléphone) « Je t’envoie un colis, tu te débrouilles, tu le gardes… » Tu te présentes pi tu dis mon nom.

Conteur – Il était dans une ferme, il a soigné les cochons, les vaches, les bœufs plusieurs semaines… C’est le débarquement !

Vigo – Je m’engage. Je pars, je vais me battre.Papa ! La gestapo l’a arrêté ?! Il était sévère avec Pétain, mais pourtant il nous disait toujours : « Avec Pétain, tout va finir par s’arranger ».

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Sa mère – Il faisait beaucoup de fausses cartes et avec un prêtre beau-coup de faux certificats de baptême. Beaucoup de juifs ont pu changer de nom et rester en paix…

Vigo – Pourquoi tu m’as pas dit ?

Le père – Pour te protéger. J’avais peur que tu sois résistant, j’avais peur pour toi !

Vigo – Eisenhower a dit que l’action de la Résistance au débarquement, c’était l’équivalent de 15 divisions. On avait des missions de renseigne-ment… Des communistes, des non-communistes, des chrétiens, des athées par équipe de 2.Aujourd’hui, ce qui me surprend, c’est quand des camarades plus que grisonnants disent qu’ils sont entrés dans la Résistance pour se battre contre les Allemands. Non ! On est entré dans la Résistance pour beau-coup plus que ça… C’était contre un système, contre une pression, contre une force étouffante, ça va beaucoup plus loin, c’est beaucoup plus large que le patriotisme.Pétain m’a écœuré… J’ai entendu son discours larmoyant et moralisant, qui développait de la culpabilité : « on est battu parce qu’on l’a méri-té. » Qu’est-ce que ça veut dire ? Moi j’ai pas mérité d’être battu !

JEANNINE

1212

Elle – J’avais 18 ans, on habitait à l’usine de Gevrey, mon mari était chauffeur, moi secrétaire. C’était notre petite maison, on était un peu gardien, on était bien.« Classe 21 ! » Voilà sa feuille… Tu devais partir en Allemagne. Mon mari ne voulait pas partir, il voulait déménager… « Plus de carte d’alimentation tu fais peut-être un peu vite… »« Non, non, non !Je ne pars pas, je me cache. »On pouvait plus être logé à l’usine. Maman m’a trouvé une place à la manufacture des tabacs, mais lui… Ils le recherchent. On lui dit d’aller au maquis de Secey.

Je rentre en clinique, tu viens pour l’accouchement. Le dimanche 5 sep-tembre, tu viens voir la petite chez la nourrice, moi je ne peux pas ; je ne te vois pas ; j’avais mon retour de couche…Le lendemain matin, le maquis est attaqué. On a jamais trop su… Des voitures… Des uniformes allemands… 6 tués. Son cousin tué sur place… Ils les emmènent à la prison, ils sont 15. Et moi, je ne sais pas où tu es… Je vais dans les hôpitaux, à la morgue. Je te cherche… La morgue, la morgue il y a des grandes pierres carrées, des stèles, les gens sont étendus là…

En novembre, tu es passé en jugement. Pris les armes à la main, c’est fixé d’avance… Condamnés à mort tous les 15, le 11 novembre.Ils me ramènent la petite, ils ont peur que je fasse une grosse bêtise… J’ai pas le temps de faire une bêtise, à 20 ans on a toujours l’espoir, j’ai l’espoir qu’on signe ta grâce. J’ai des gens qui me font dire : « sa grâce est en bonne voie… »J’ai 3 autorisations de visite. J’y vais une fois toute seule. Il y a un grillage… Un couloir… Un autre grillage… Le plus dur, c’est de pas pleurer, remonter le moral à un condamné à mort… La deuxième fois, je viens avec ta mère… Elle te voit à travers les 2 grillages… Elle ne pleure pas… « Faut pas te faire trop de soucis… Avec Jeannine, on ne se donne pas du mal pour rien… Les nouvelles sont bonnes. » L’avocat me demande 5 000 francs, deux mois de nos salaires. Je vais à la caisse d’Epargne !La troisième fois, c’est avec la petite… Tu l’as voulu, Je te passe dans un colis une photo de nous, tu l’as demandé. C’était 5 jours avant… La petite, elle sourit. Faut bien… « Ton papa, il va revenir… »

Mon mari me fait passer des messages dans le linge… Avant de laver, faut regarder. Les chemises, elles ont des petites baleines dans les cols, c’est des petits papiers coupés et pliés, là il y en a 6… Au passage de la ceinture, il y a des pattes, ça fait un petit endroit où on peut mettre un message… C’est écrit avec une épingle sur le papier… J’ai trouvé ça dans son linge…

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On me dit : « la grâce sera signée, il partira en Allemagne »… « Les fossoyeurs ont une commande de 15 fosses. » Tu me dis pas, papa, que tous les matins tu vas voir les fossoyeurs. Je te crois pas papa. À 20 ans… J’avais toujours un petit espoir, je sais pas de quoi… Je vais voir mes beaux-parents pour leur dire que tu es gracié. Ils pleurent, on les a prévenus. Je me dis, on sait pas… Il peut y avoir un bombardement sur la prison, il peut…

22 novembre… Fusillés. Dans le journal, ils ont mis un petit enca-dré : « 15 terroristes ont été fusillés suite à des exactions. »Il n’y a pas les noms… Ils les ont inhumés sous des numéros… On n’a pas le droit de mettre des fleurs… On y va quand même s’en savoir sous quel numéro…À la libération, il faut aller te reconnaître… T’es parents ne veulent pas.J’ai fait changer le cercueil, il était en bois blanc.Ils ont marqué ton nom avec « mort pour la France ». Je n’ai pas fait les fêtes de la libération… Tu es au carré des fusillés… Mon cousin, il est là où il a été tué, il a une stèle avec 5 autres… Mais moi, j’avais pas l’argent…Des fois, je me dis : « et si c’est pas lui que t’as vu, si il est en Alle-magne... »Oh !… Pas vraiment de l’espoir… Mais une petite survivance de … Je sais pas.

Jusqu’au bout, certains disaient les résistants c’est des terroristes… S’il y avait pas ces gars qui font des coups, on aurait moins de morts…Mais moi, j’étais prête… Je ne suis pas entrée en Résistance comme on franchit une porte en disant « voilà, je viens ». J’ai peur, enfin c’est pas de la peur qu’on a, c’est de la prudence, de la méfiance pour tout ce qui est un peu insolite. Comme tout le monde, j’ai fait partie de la souf-france collective.À la Manufacture des tabacs, je mets des tracts sur les tables des col-lègues, je viens de bonne heure le matin… Ils ont jamais su qui c’était.J’entre au parti.

Ma plus belle journée, c’est ma carte d’électeur. Depuis que j’ai 15 ans, je milite pour le droit de la femme. Ah… Le droit de vote, moi, ça me tenait à cœur ! J’ai jamais manqué une élection… A la maison on est 5,

3 femmes, 2 hommes… Ils s’en vont voter et nous on se débrouille pour la cuisine ! Je ne peux pas accepter.Dans la Résistance, il n’y a pas ces différences, il y a la solidarité. Cha-cun fait ce qu’il peut, c’est pas pour la reconnaissance, pour tous, c’est pour se retrouver libre… Pas de rivalité pas de récompense… Il y a de l’égalité, les copains sont sacrés et on est sacré pour eux, on est un maillon de la chaîne. Dans les autres mouvements, je ne sais pas, mais au parti c’était la famille…

J’y suis restée. Finalement, je me présente pour les députés en 45… Pouvoir refaire des réunions, c’est nouveau… En plus, une femme ! Jusqu’à 35 réunions dans la semaine. Je fais 30 %… Mon patron me re-prend à la Manufacture des tabacs : « Faut bien faire deux parts dans votre vie, la politique et le travail… »

J’ai très peur de la guerre, pas pour nous, on en a plus rien à fiche, on a fini de vivre. Mais c’est pour vous, vous avez l’âge où ça nous est arri-vé. Des fois, je me sens coupable, j’ai peut-être pas assez parlé de tout-ça à ma fille, peut-être la peur de la traumatiser… Elle sait pas que j’ai ça, je ne lui ai jamais montré, elle a 58 ans, j’ai eu peur. J’aurais dû en parler.Une de mes peurs, c’est les bruits de bottes… L’hiver, dans le noir, qu’on frappe à la porte…Tout le temps, je fais le même rêve… On me poursuit, je ne sais pas qui me poursuit… Je cours, je cours et il me court après… Je ne sais pas qui… Et je ne peux pas me retourner… Courir, toujours courir… Jus-qu’au moment où je me réveille…J’avais une peur terrible des alertes, j’avais 20 ans, une vraie panique… Mon père venait me chercher. Et je me mettais entre mes parents, dans la chambre de mes parents.

FINVersion CDN/Théâtre Bouloie Besançon

Notes sur le Spectacle

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DEUST - Pourquoi un spectacle sur la résistance, quelles étaient les in-tentions ?

C M - C’est toujours, en fin de compte le spectacle qui a le dernier mot… celui qui se cherche à plusieurs mais ne se trouve qu’ensemble. Comédien, metteur en scène, dramaturge et ceux qui se souviennent, dont la parole de mémoire est suscitée et menée vers le théâtre pour qu’elle ne sombre pas dans l’oubli, ou parfois, ce qui est pire… dans une histoire Monumentale. Alors les « intentions »… Je fonctionne plus à l’ intuition et aux désirs de rencontre. C’est toujours un peu aventu-reux… Au mois de mai dernier j’ai fais cette proposition à Olivier Thé-venin, responsable du DEUST, et Guillaume Dujardin du CDN, et ça s’est imposé de soi. DEUST – Pourquoi « la résistance » précisément ?

C M – Plusieurs raisons. Je suis de cette génération qui a entendu parler de la résistance en famille, donc on a tendance à ne plus écouter ce que l’on a trop entendu. Et je me suis demandé est-ce que je participerai à la transmission de cela ? On ne connaît la valeur, le vrai prix de l’héritage, que lorsqu’on le redonne. Il se trouve que ce sera par le théâtre et dans le cadre d’une formation. Autre raison : c’est l’urgence de recueillir au-près de ceux qui l’ont vécu le sens qu’ils ont donné à leur engagement, plus précisément « les » sens personnels.

DEUST – Il y a pourtant beaucoup de biographies, de témoignages écrits, on aurait pu prendre des textes existants et « adapter ». Pourquoi partir de rencontres réelles et de gens parfois ordinaires ?

C M – Parce que la proposition c’était : « quel que soit le rôle tenu dans la résistance par ceux qui vous aller rencontrer, qu’il soit ordinaire, ex-ceptionnel voire héroïque… tentez de raviver les couleurs du quoti-dien. » Le résultat c’est que la plupart d’entre vous ont été émus par ces rencontres. On le sent dans vos questions à travers les quelques trois cent cinquante pages que vous avez recueillies. Vous étiez en état de

curiosité et de surprise. Je suis convaincu que c’est important dans une formation de comédien de participer à la production du texte, d’un texte produit par des gens ordinaires, c’est très différent d’un travail d’adap-tation.

DEUST – Comment mener vers le théâtre tous ces témoignages ?

C M – C’est un travail artisanal. D’« ajustage » au sens littéral. Tenter d’être juste en servant à la fois la personne, l’histoire mais aussi le théâtre. Il y a aussi des « contraintes » créatrices : le temps de l’ur-gence, la distribution, la faiblesse des moyens… Il s’agit d’un travail de formation et non une production, même si l’état d’esprit est celui de la production. Donc on va vers un théâtre « pauvre », on invente des solu-tions dramaturgiques et scéniques, des manières de raconter qui font que la parole est respectée, même si c’est un chœur qui parle, ou une femme qui tient le rôle d’un homme. J’aime bien ce mot « ajustage » avec son côté artisanal ! Et ajuster ce n’est pas reproduire à l’iden-tique… L’opération d’ailleurs n’aurait pas été possible s’il n’y avait pas eu une réelle complicité, une culture commune du métier avec François Frapier, tous ces aller-et retour entre l’écrit et la scène qu’on sait pou-voir demander à l’autre.

DEUST – A défaut d’intentions précises de départ de ton côté est-ce qu’on peut dire l’origine du désir de l’entreprise de ton côté ?

C M – Oui. La lecture et la découverte d’un poète grand résistant : René Char. La lecture des Cahiers d’Hypnos, de la Recherche de la Base et du Sommet, dont je vous ai donné des extraits avant que vous alliez ren-contrer les résistants. Exemple, une phrase m’a orienté personnelle-ment… c’est celle-ci : « Pour obtenir un résultat valable de quelque action que ce soit, il est nécessaire de la dépouiller de ses inquiétantes apparences, des sortilèges et des légendes que l’imagination lui ac-corde déjà avant de l’avoir menée, de concert avec l’esprit et les cir-constances, à bonne fin; de distinguer la vraie de la fausse ouverture par laquelle on va filer vers le futur. L’observer nue et la proue face au temps. » Mais ça je l’ai su après-coup… Ça a orienté en sourdine la conception et l’esprit du travail que nous avons mené… Cette parole du

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quotidien que nous avons cherché à retrouver ensemble chez ceux que vous avez rencontrés, c’est celle justement de l’homme qui a la « proue face au temps » qui ne connaît pas encore la fin de l’histoire quand il entre en résistance. C’est ce qui fait qu’on se demande, et j’espère le spectateur aussi : « et moi dans ce cas, qu’est-ce que j’aurais fait ? » C’est fou ce que la lecture des poètes facilite la rencontre des gens et les processus de création, mais indirectement, et par la bande, comme au billard… Ça facilite beaucoup plus que les intentions qui parfois en-ferment…

Christophe Merlant

« LES ETOILES ATTENDENT L’ARTILLERIE … »

Que pouvait-on augurer d’un travail d’enquête sur la résistance ?

Un choc d’humanités, d’émotions et un engagement individuel.Choc de la rencontre de deux générations et de deux mondes celui de la paix et celui de la guerre. Génération qui se passe la parole, l’histoire, un relais, un flambeau…La sublime question : « d’où je viens pour savoir où aller. »Tout cela ne serait sans doute pas grand chose, si au bout il n’y avait pas la réalisation d’un objet théâtral pour ne pas dire spectacle, ce mot me gène un peu pour évoquer la représentation qui a suivi le travail.

Je vais essayer de bien séparer ce que nous avons vécu. De l’intérieur, la fusion des énergies et des personnalités, évidente. Notre choix était clair : témoigner avec authenticité d’une Histoire qui nous dépasse. Laisser parler le cœur et la raison. S’investir pleinement Rendre cette parole offerte ces histoires au plus juste de leur réalité. Ne pas se dres-ser en juge d’une époque ni des gens de cette époque. Vers le public c’est transmettre théâtralement un vécu qui n’a pas cessé de bousculer nos idées reçues, nos petits conforts intellectuels, notre bonne foi.

Premier temps : travail sur l’Imaginaire

Temps fort au mois de septembre : visite du musée de la résistance. Sui-vront les cours de F. Marcot et dix jours de recherche sur la forme de théâtre la plus appropriée au sujet.Le jeu d’acteur mis de côté afin de stimuler l’imagination, oser la tragé-die, le héros et ce qui m’a semblé essentiel le comique jusqu’à la déri -sion. Cela peut apparaître facile mais comment rire des héros sans cho-quer. Comment parler de la vie quand la perspective est presque à coup sûr la mort, la torture, les blessures, la déportation…La liberté n’est pas affaire de rigolade et que dire du martyr hein ! Je me souviens de la tête des étudiants quand je leur ai annoncé que nous allions « déconner » sur le sujet et comme les premières tentatives furent timides. La suite fut plus facile car si le rire est cruel, il libère bon nombre d’inhibitions et porte un autre regard sur la réalité…

Second temps : les rencontres …

Le temps des interviews, je n’y suis pour pas grand chose. Christophe Merlant assure la préparation et la mise en forme des étudiants  : seule consigne : ‘‘pas de pipeau’’…

Troisième temps : écrire pour le théâtre …

C’est le temps de la théâtralisation des interviews. Je me tiens le plus possible à l’écart. Je demande juste à Christophe de travailler autour du chœur. C’est essentiel de laisser rêver l’auteur du texte. Peut être un peu dur à vivre pour l’un et l’autre mais c’est à ce prix que le résultat est riche et ouvert. Question de confiance, de connivence et d’amitié dans la création… On a déjà travaillé ensemble par le passé, on sait comme on fonctionne, des cales solides pour travailler dans l’urgence.

Quatrième temps : le jeu…

La réalité du plateau et le travail du chœur Créer un collectif sur une scène passe souvent par « tout le monde est là ». Vivre ensemble c’est respirer ensemble mais en respectant la personnalité de chacun. D’abord la règle collective : « rechercher les moteurs », pas d’élisions

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dans le texte pour rendre l’importance des mots, les verbes pour l’ac-tion, les conjonctions de coordination pour la pensée. En un mot : refu-ser la banalisation du langage.La règle individuelle : « rester authentique », le théâtre ne fabrique pas l’émotion, il véhicule la sensibilité des acteurs. Les choix de distribution, d’espaces, de musiques, de déplacements et de rythme se forgent sur des échanges. Dès l’instant où la confiance entre celui qui dirige le travail et ceux qui agissent s’est établie tout de-vient simple. Dire comment cela s’est fait… Un peu trop compliqué parce que c’est « humain. » Il n’y a pas de recettes, et je me garderai bien de tenter d’en fabriquer une.

Cinquième temps : les représentations…

Elles étaient un test de notre capacité à tenir le pari et d’optimiser un travail pendant lequel nous étions tous en harmonie. Tenir la distance des 1 h 45m… Ne pas se laisser aimanter par une grisaille commune, garder l’énergie propre de chaque fragment et de chaque interprète… Enfin, ce qui était là dès le début, quand nous avons conçu le projet pro-posé aux étudiants avec Christophe : partager le résultat avec ceux qui furent notre inspiration, ceux qui nous ont prodigués leur savoir et… ceux qui se sont aventurés innocemment dans la salle. Le plus impor-tant c’est de continuer le travail en le partageant encore avec le public, surtout en ces temps où la notion de « résistance » est d’actualité. Si ce-la advient alors « les anges seront tombés du ciel… ! »

François Frapier

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