De la colonisation à l’immigration

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    De la colonisation limmigration (Le Monde, 13 octobre 2006)

    Un colloque organis la BNF du 28 au 30 septembre 2006 analysaitles liens entre pass colonial et flux migratoires

    La tradition rpublicaine franaise continue de perptuer lillusion selon laquelle la France

    contemporaine, et notamment sa population issue de limmigration, navait rien voir aveccette poque rvolue qui est celle du colonialisme

    Sil est banal de constater et mme de dnoncer la persistance des strotypes coloniaux dansle sort rserv aux populations issues de limmigration, considrer certains flux migratoirescomme les consquences de la colonisation relve du tabou dans le dbat franais. Interrogerle lien entre colonisation et immigration, cest au mieux pointer les ambiguts du credogalitaire rpublicain ; au pire, cest convoquer la rhtorique lepniste dune colonisation lenvers.Rien de trs politiquement correct donc. Au point que les controverses rcentes sur lesclavageou larticle de loi clbrant le rle positif de la prsence franaise outre-mer nont guredbusqu cet impens. A lvidence pourtant, la mmoire coloniale est devenue une donnesensible des politiques dimmigration et d intgration . Lcho rencontr par le film

    Indignes, y compris chez le prsident de la Rpublique, nen est que la dernire manifestationen date.Cest dire si lorganisation, du 28 au 30 septembre la Bibliothque nationale de France, parune institution publique, la Cit nationale de lhistoire de limmigration (CNHI), duncolloque destin rflchir sur le lien entre colonisation et migrations devait fairevnement, traduisant la volont de sortir le fait colonial de langle mort quil occupe.Pour la CNHI, projet prsidentiel qui doit tre inaugur peu avant llection davril, le thme

    retenu pour cette premire manifestation publique relevait aussi dune ncessit : dissiper lesmalentendus ns de son installation la porte Dore Paris, au cur du btiment qui fut lepavillon daccueil de lExposition coloniale de 1931, alors quelle est consacre lensemble delimmigration. Lacunaire, imparfait, le colloque a dmontr le caractre balbutiant de larecherche franaise dans ce domaine et lapport dterminant du regard dcal des Anglo-Saxons.Alors quen Grande-Bretagne Indiens et Pakistanais sont perus depuis des lustres comme des immigrs postcoloniaux , la tradition rpublicaine franaise continue de perptuer lillusionselon laquelle la France contemporaine, et notamment sa population issue de limmigration,navait rien voir avec cette poque rvolue qui est celle du colonialisme .Le Britannique Alec Hargreaves, professeur luniversit dEtat de Floride, a

    consciencieusement appuy l o le bt blesse, procdant lautopsie dune spectaculairedisparition, celle du mot colonial , du champ lexical de lEtat. Cest, a-t-il martel, aumoment de la dcolonisation que la "francophonie" remplace la "mission civilisatrice", que les"Arabes" disparaissent au profit des "Maghrbins" et que les anciens colons [] deviennentdes "rapatris" , alors que la plupart nont jamais vu la France.Cette occultation systmatique na nullement empch le transfert de certaines pratiquescoloniales dans la gestion des immigrs. Le phnomne tait patent bien avant ladcolonisation : mme migrs en mtropole, les ressortissants des colonies taient considrscomme des sujets peu fiables. En 1925, le prfet de la Loire estimait que le Nord-Africain estn rveur et voyait dans les Africains, inadapts et instables [] la partie la moins utile dela main-duvre trangre , a relev Lla Bencharif, de luniversit de Saint-Etienne.

    Mme lorsque, aprs 1945 et la participation aux combats de la Libration, la loi eut reconnula pleine citoyennet franaise aux Algriens tablis dans lHexagone, ils continurent tre

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    considrs comme de grands enfants surveiller et faire lobjet dune gestionspcifique aux usines Renault de Billancourt.Dans la police, a point lhistorien Emmanuel Blanchard, avant mme que le conflit algrienne transpose Paris un climat de chasse aux Maghrbins, la prfecture de police avait de faitrecr une structure spciale reprenant les attributions et les personnels de la brigade nord-

    africaine dissoute en 1945. Le sort trs particulier rserv aux harkis, citoyens franaisindsirables sur le sol de la mre patrie , ou aux Antillais, dont lmigration vers lamtropole a t organise de faon spcifique par lEtat, tmoigne de la prgnance delhritage colonial.Les hsitations autour du terme adquat pour qualifier les pieds-noirs replis , puis rfugis , avant dtre rapatris en sont dautres signes.Plus originales et percutantes apparaissent les rflexions mettant en lumire lenchanement etles liens de causalit entre colonisation, immigration et dcolonisation.Ds 1964, les sociologues Pierre Bourdieu et Abdelmalek Sayad avaient montr comment laconfiscation des terres conscutive la colonisation puis, pendant la guerre dAlgrie, lapolitique franaise de regroupements forcs et massifs de villageois musulmans avaient

    puissamment contribu aux dparts vers la mtropole, dans un contexte de libre circulation.Plus gnralement, lmigration des indignes rvle la pauprisation et loppression lies lordre colonial. Mais, leur tour, le sjour dans lHexagone et la rencontre avec lesorganisations ouvrires dans un contexte de libert impensable dans le pays dorigine vontnourrir la contestation anticoloniale. Ainsi, dans les annes 1950 et 1960, les solidarits nesdans les bidonvilles de la rgion parisienne seront propices la prise de consciencenationaliste, comme lont analys Laure Pitti, chercheuse Paris-XIII, et Jim House(universit de Leeds). Tout se passe donc comme si la colonisation avait, via lmigration,gnr sa propre contradiction. Ces tendances lourdes font des immigrs et de leursdescendants les otages dune histoire quils nont, pour beaucoup, mme pas connue.Le recul aidant, le tableau devrait cependant tre complt par la description des multiples

    ambiguts qui brouillent les clichs de la fatalit historique et de linvitable reproduction desrapports coloniaux dans la socit dimmigration. Les Algriens voulaient lindpendancetotale, et en mme temps ils sont nombreux dire aujourdhui : "a aurait pu finirautrement", a tmoign Omar Carlier, professeur dhistoire Paris-VII. Cette schizophrnieentre distance et proximit, refus et partage, na jamais cess. Malheureusement, le colloquena gure dpass le constat de cet amour-haine qui, en se perptuant de lAlgrie la CtedIvoire en passant par les quartiers populaires franais, nen finit pas de produire ses effets.Ainsi, lextraordinaire contradiction de lanne 1962, qui voit les Algriens migrer en masse

    vers la mtropole, au moment mme o ils accdent une indpendance acquise de hautelutte, mriterait dtre analyse. Faute dune telle remise plat, perdurent aussi bien le mythealgrien du soulvement de tout un peuple contre loppresseur que celui, franais, du divorcedfinitif. Des fables que dmentent prcisment lmigration massive, la soif persistante de

    visas et de nationalit franaise.Le statut des migrants dans la socit franaise est-il dailleurs surdtermin par lhistoirecoloniale? Evoqu lors du colloque, le cas des rfugis vietnamiens, accueillis en France partir de 1975, immdiatement logs et aids par lEtat, tend montrer le poids desstrotypes positifs, mais aussi, tout simplement, des facteurs sociaux. Quant aux Portugais,longtemps confins dans des bidonvilles, ou aux Chinois, esclaves des ateliers de couture, ilstendent relativiser le poids du facteur colonial. Un champ dinvestigations comparatives qui,trop loign des polmiques tonitruantes, reste largement en jachre.

    Philippe Bernard

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    AU FIL DES REVUES : A travers le Labyrinthe postcolonial

    Entre penses vagabondes et savoirs hybrides, la revue Labyrinthe a t fonde en 1998 parde jeunes universitaires issus dhorizons divers, mais qui partagent un mme dsird indiscipline : contre les cloisonnements institutionnels et la segmentation des disciplines,

    il sagissait dinventer un atelier o de jeunes chercheurs pourraient se retrouver afindchanger textes et ides, quels que soient leurs galons, leurs orientations thoriques etsurtout leurs spcialits.Dans ces conditions, il ne faut pas stonner de voir lquipe de Labyrinthe consacrer un richenumro aux tudes dites postcoloniales , qui tentent de revisiter le pass et le prsent desempires . Car depuis leur naissance, aux Etats-Unis, il y a de cela environ un quart de sicle,ces tudes se distinguent par leur vocation minemment transdisciplinaire, la charnire delhistoire, de la littrature, de la philosophie ou encore des tudes fministes. Ainsi ce champde recherche permet-il une mise en danger volontaire de nos topographies scientifiquesacquises, de nos petites patries et de nos prs carrs , note ici Marc Aymes.Intitul Faut-il tre postcolonial ? , le dossier labor par la revue Labyrinthe (Ed.

    Maisonneuve & Larose, n 24, 140 p., 10 , http://www.revuelabyrinthe.org ) retrace lagense de ce domaine dtudes en le replaant dans son creuset institutionnel : les campusamricains, o la souplesse des structures universitaires a permis lmergence des gender,transnationalet autres Afro-American studies, en troite relation avec les volutions de la socitelle-mme, et en fidlit critique luvre de thoriciens souvent franais (Foucault, Derridaou Lacan, entre autres), comme en tmoigne Anne Berger, professeur de littrature franaise luniversit de Cornell.Et tandis que Laurent Dubreuil souligne le poids de la diaspora indienne anglophone , etpar exemple de deux figures centrales comme Gaytari Spivak et Homi Bhabha, AnthonyMangeon regrette quen France le dveloppement tardif de ce type dtudes sapparenteplus un dtournement qu une appropriation critique . Et de fait, conclut Grgoire

    Lemnager, la rception franaise de ce courant thorique souffre dun biais trop militant quisubstitue trop souvent la simplification polmique lanalyse scientifique.Signalons galement, dans le dernier numro de Multitudes, un dossier Post-colonial etpolitique de lhistoire . La question du caractre toujours dj colonial du pouvoir [] faitpartie des interrogations majeures qui traversent les diffrents courants de la pense politiqueet histoirque qui ont merg ces dernires annes , crivent en ouverture Yann Moulier-Boutang et Jrme Vidal (Amsterdam, 24 p., 12 ).Enfin, la revue Contretemps se penche, elle, sur les liens entre Post-colonialisme etimmigration , avec des contributions, entre autres, de Mamadou Diouf, Tom Shepard,Laure Pitti, Houria Bouteldja et Sylvie Thnault (Texttuel, n16, 192 p., 19 )

    Du bon usage de la culpabilitCHRONIQUE par Roger Pol-Droit

    Portrait-robot du meurtrier : un homme blanc de peau, les mains couvertes de sang. Son me,dit-on, est obscurcie datrocits. Ce prsum coupable, de type europen, court les rues. Descharges accablantes sont releves contre lui. M Tout-lemonde, criminel occidental type, a surla conscience des dizaines de millions de morts, des kyrielles de peuples disparus, dports,dcims, exploits, opprims, au cours des innombrables guerres, massacres, tortures etsaccages quil a suscits. Circonstances aggravantes : il a perptr ces gigantesques forfaits enparlant damour du prochain, dgalit de tous, de civilisation et de droits universels. Le voilmal parti.

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    Affaire entendue. Oui, les Occidentaux ont t esclavagistes, colonisateurs, imprialistes.Ralit indniable, garder lesprit. Comment ne pas honorer la mmoire de toutes les

    victimes de ce pass multiforme o abondent les ignominies? Est-il pour autant ncessaire demacrer dans la haine de soi, de renchrir continment dans la flagellation et la repentancesans limites? A force de battre notre coulpe, nous risquons doublier trois vidences

    lmentaires.La premire est que nous navons pas commis uniquement, au fil des sicles, des actes debarbarie. Les conqutes europennes se sont tendues aussi, pacifiquement, aux sciences, auxarts, aux techniques, et bien sr aux valeurs permettant de combattre nos propres penchantscriminels. Seconde vidence : nous ne possdons nullement le monopole de la dvastation.Dautres civilisations, dautres continents pourraient, et devraient, se soucier aussi de leursabominations. Enfin. remarque simple mais essentielle, ces faits anciens nappartiennent plus la ralit prsente. Leur importance exige absolument quils demeurent dans la lumire.Mais seule une erreur de jugement peut faire croire que ce pass doit indfiniment peser sur leprsent, conditionner sans fin notre actualit comme notre avenir.Telles sont les lignes directrices de lessai de Pascal Bruckner, La

    Tyrannie de la pnitence. Style incisif, description provocante,interrogation cruciale, voil un livre central pour les dbats delheure. Plus de vingt ans aprs le Sanglot de lhomme blanc, Brucknergrave un portrait cruel de notre dsolation morale. ses yeux,lEuropen lambda, convaincu dsormais dtre un grandcriminel, est devenu indulgent envers les dictatures etintransigeant envers les dmocraties, hypersensible nos fautes etaveugle aux crimes des autres. Prompt donner raison ceux quile hassent, il est conduit par sa repentance sans mesure semontrer comprhensif envers les fanatiques acharns dtruire cequi fonde son existence, de lgalit des sexes la lacit, en

    passant par la libert dexpression. force de nous croire mauvais et responsables de tous lesmalheurs du monde, nous avons fini, nous autres Europens, parrver sortir de lhistoire. Du repos, de lapaisement, du patrimoine, des loisirs, rien dautre.Plus de guerres, surtout, pas mme daffrontement. Si possible, aucune tension. Il ny aurait,dans les conflits internationaux, que malentendus regrettables. Dissipons-les! Quelques tablesrondes et rsolutions, et la paix va stendre... Lennui, cest quau dehors le fracas de lhistoirecontinue. Sans nous, videmment. La France, trs en pointe dans lautisme, brandit sapancarte ftiche : A bas le monde extrieur! Le monde sen moque.Finalement, lEurope devrait temprer sa culpabilit, abandonner son culte des passions tristes(honte, remords, complaisance doloriste). Les autres cultures gagneraient douter delles-mmes, sinterroger sur leurs propres forfaits. Voil qui nest certes pas une mauvaise leon.Elle demeure toutefois un peu courte. Derrire le ressassement qui nous pousse sortir delhistoire se tient sans doute une cause plus obscure, un mcanisme encore nigmatique. Onne peut nier, en effet, quun bon usage de la culpabilit existe, individuel ou collectif. Ce bonusage rend lucide et responsable, sans provoquer de paralysie. Il met sa place ce quiappartient au pass, sans leffacer, sans sy noyer.Pour comprendre do vient lexcs de remords qui nous submerge et nous entrave, poursaisir ce qui lentretient et comment il se ramifie, il reste encore creuser.

    La Tyrannie de la pnitence. Essai sur le masochisme occidental

    de Pascal Bruckner (Grasset, 260 p. 16,90

    .)

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    Colonies : la bataille des mmoires

    Depuis quelques annes, le dbat sur les hritages coloniaux occupe le devant dela scne. Retour sur une polmique.

    En 1992, dans un article publi par la prestigieuse revueVingtime sicle, lhistorien Daniel Rivet croyait pouvoir avancer,quant la mmoire coloniale, ce constat dapaisement : Letemps des colonies et lpreuve de la dcolonisation sloignentde nous irrversiblement [et] les passions se refroidissentirrsistiblement [] Notre pass colonial sest suffisammentloign pour que nous tablissions enfin avec lui un rapportdbarrass du complexe darrogance ou du rflexe deculpabilit. Un peu moins de quinze ans plus tard, un tel diagnostic

    apparat assez farfelu. Et le titre mme de ce texte ( Le faitcolonial et nous : histoire dun loignement ) semble dsormaisen parfait dcalage avec notre ralit contemporaine.En effet, loin de nourrir un champ dtudes autonome et serein,

    comme cest le cas outre-Atlantique depuis un quart de sicle, la thmatique postcoloniale a envahi lespace public franais sous une forme demble polmique, et le plus souventappauvrie.De ce point de vue, la seule anne 2005 aura t riche en vnements, depuis lirruption des Indignes de la Rpublique sur la scne politique, jusquau procs intent par le Collectifdes Antillais lhistorien des traites ngrires Olivier Ptr-Grenouilleau, en passant parlinauguration Marignane dune stle ddie la mmoire des combattants de lAlgrie

    franaise . Mais la grande affaire, celle qui a suscit le plus de passion, est autre : cest labataille autour de la loi du 23 fvrier, dont larticle 4, adopt puis abrog par dcret, affirmaitle rle positif de la colonisation.Raconter cette pre querelle, en resituer un un les arguments, cest saisir quelque chose delpoque. Romain Bertrand le sait, qui sinspire de Michel Foucault et des analyses que lephilosophe consacra jadis lordre du discours : dans Mmoires dempire, il dcrit avecprcision les termes dun dbat qui est tout sauf indit en France , de cette trangecontroverse qui se veut commencement de vrit et se nourrit de tmoignages sans cessediscuts et dimages inlassablement commentes . Car si nouveaut il y a, explique cechercheur en sciences politiques, elle ne rside pas dans la connaissance des faits historiques(largement tablis et enseigns), mais dans le scnario du drame et dans le positionnement de

    ses divers acteurs.A droite de la scne, la poigne de dputs UMP qui se trouvent lorigine de la loi. Ilsreprsentent des rgions du Sud (Languedoc, PACA) o la concurrence avec le parti lepnisteest rude, et o le vote pied-noir si tant est quil existe est suppos la fois extrmiste etdcisif.Certes, ces lus apparaissent comme une minorit de nouveaux venus, une maigre troupe de challengers au sein du champ parlementaire et partisan. Mais ils nen profitent pas moisdes mutations qui touchent la droite du gouvernement depuis une quinzaine dannes, et enparticulier dun effet de gnration ici dterminant : avec le dpart progressif des gaullisteshistoriques, les frontires du dicible politique se trouvent modifies .Et cest dabord l, plus que dans lvolution des mentalits collectives que se trouvent la

    rponse cette question : Comment des lus en sont-ils venus penser comme lgitime et

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    politiquement avantageux le recours un discours de rhabilitation du pass colonial et delOAS ? Car cest bien de cela quil sagit, explique Romain Bertrand, documents lappui. Encommission comme la tribune de lAssemble, quand ils saluent lpope de la plus grandeFrance , ces parlementaires usent dun vocabulaire directement inspir des gazettes

    coloniales du XIXe sicle. A leurs yeux, la colonisation nest pas reste longtemps celle desmilitaires : elle est trs vite devenue celle des btisseurs , selon la formule de MichelDiefenbacher, secrtaire national de lUMP pour loutre-mer.

    Violence pure

    A cette conception dune colonisation en deux temps (la conqute puis 1 uvrecivilisatrice ) soppose celle quont dveloppe les opposants la loi du 23 fvrier, et qui atendance, lui, ramener le projet imprial un programme de violence pure . Cest lathse dveloppe par un ensemble de collectifs militants, qui vont parfois jusqu faire de labrutalit coloniale lessence invariable de lesprit rpublicain. Et de la mme manire que lesdputs du Sud postulent a priori le ressentiment de leur lectorat pied-noir, les initiateurs

    bac+5 de lAppel des Indignes semblent enfermer les enfants dex-coloniss dans uneposture dternelles victimes, forcment hostiles la Rpublique. Voil pourquoi les Indignes sont en rupture avec une partie de la gauche et de lextrme gaucheantiracistes, lesquelles rpugnent vacuer les enjeux sociaux au profit de logiques strictementmmorielles et/ou ethniques.Il nempche. Vulgarise par une littrature semi-savante , fort retentissement mdiatiquela thse dune continuit entre oppression coloniale dhier et discriminations daujourdhui faitson chemin. Tout comme la mise en quivalence systmatique de l immigr et du descendant du colonis ,, sans que cette quivalence, hasardeuse mais constammentmartele, soit aucun moment taye par une objectivation statistique ou les rsultatsdenqutes sociologiques de terrain .

    Tant et si bien que le thme dune suppose fracture coloniale , qui diviserait enprofondeur la socit franaise, a fini par simposer, a et l, contribuant tablir ledomaine de prmisses au sein duquel se meuvent les discours aussi bien des dfenseurs que desdtracteurs de la loi du 23 fvrier , remarque enfin Romain Bertrand. Jeux de miroirs,puissance des noncs : droite comme gauche, mois aprs mois, le rouleau compresseurde la comparaison anachronique est pass par l. Viendra bientt le temps de mesurer lesdgts.

    Jean Birnbaum

    Mmoires dempire. La controverse autour du fait colonial

    de Romain Bertrand, Ed. du Croquant, Savoir/agir . 224 p., 18,50 .

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    Un tat des postcolonial studies

    Penser le postcolonial. Une introduction critique (The Cambridge Companionto postcolonial Literary Studies ), sous la direction de Neil Lazarus.Traduit de langlais par Marianne Groulez, Christophe Jaquet et

    Hlne Quiniou, d. Amsterdam, 444 p., 23 .

    Il est la fois fcond et dpaysant de se plonger dans lacomparaison des dcoupages acadmiques. Etudes fminines,gays et lesbiennes, postcoloniales... Autant de domaines qui ontsuscit la cration dun ensemble dinstitutions de recherche etdenseignement, dans le monde anglo-saxon en particulier, maisqui restent marginaux dans les structures universitaires franaises.Pourtant, la force des dbats et des revendications identitairesaujourdhui ne justifie gure un tel dcalage. Cest pourquoi latraduction de ce collectif, qui prsente un tat des lieux des

    postcolonial studies, est une heureuse initiative.

    Le terme lui-mme de postcolonial est encore ouvert aux interprtations et suscite de vifsdbats. Notamment sur sa dimension chronologique : en effet, il ne sagit pas seulementdenvisager le devenir des ex-pays coloniss dans la priode qui a suivi leur indpendance.Formalises la fin des annes 1970, les tudes postcoloniales se veulent surtout une manirespcifique dapprhender les cultures des mondes anciennement coloniss. Derrire ses figurestutlaires, tels Edward Said qui le livre est ddi ou Homi K. Bhabha, ces tudessancrent dans la dnonciation de leurocentrisme et dune criture de lhistoire colonialeoriente par les dominants. Lobjectif est notamment de retrouver les paroles des coloniss,

    ainsi que leurs conditions dexpression. La critique des textes, marque par la dconstructionet le tournant linguistique, est ici centrale.Aussi les disciplines littraires sont-elles au cur du projet, mme si toutes les scienceshumaines et sociales participent cette entreprise interdisciplinaire disparate , selonlexpression de Benita Parry.Les auteurs du volume sont loin dtre complaisants. Dans leurs prsentations des positions dechacun, ils prennent soin dtablir des hirarchies dapprciation. La part belle faite auxanalyses de discours et de faits culturels au dtriment de linscription sociale des expriencesest, par exemple, interroge.Louvrage passe en revue des thmatiques telles que le nationalisme ou le fminisme,confrontes aux approches postcoloniales. Il situe galement des champs de recherche les

    subaltern studies, dabord dveloppes en Inde, partir dune critique des discours coloniaux etde lhistoriographie nationaliste. Sous limpulsion de Ranajit Guha, ce courant a cherch donner une place et une autonomie aux sans voix de lhistoire.Une copieuse bibliographie, une chronologie et un index compltent le volume que lon dirait

    volontiers dun exotisme intellectuel trs stimulant, si le terme ntait ici malvenu.

    N.O.