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Campus adventiste du Salève Faculté adventiste de théologie De l’adoration de Ras Tafari Makonnen à l’adoration de Jésus de Nazareth Un chemin missionnaire d’accompagnement et de partage avec un rasta Mémoire Présenté en vue de l’obtention du Master en théologie adventiste par Eric DELBOIS Directeur : Gabriel Monet Assesseurs : Marcel Ladislas, Rivan Dos Santos Collonges-sous-Salève Mai 2013

De l’adoration de Ras Tafari Makonnen à · Ex 4.6-8 ; Nb 12. 1 montrent la négritude de Moïse et de son épouse, Am 9.7 présente les Ethiopiens sans reproche devant Dieu. Le

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Campus adventiste du Salève

Faculté adventiste de théologie

De l’adoration de Ras Tafari Makonnen à

l’adoration de Jésus de Nazareth

Un chemin missionnaire d’accompagnement et de partage

avec un rasta

Mémoire

Présenté en vue de l’obtention du

Master en théologie adventiste

par

Eric DELBOIS

Directeur : Gabriel Monet

Assesseurs : Marcel Ladislas, Rivan Dos Santos

Collonges-sous-Salève

Mai 2013

2

Remerciements

Gloire à Jésus-Christ, mon Seigneur et Sauveur. Il a transformé ma vie au-delà de

ce que j’aurais pensé. Sa force et son soutien m’ont accompagné et me conduisent

encore.

Tant de personnes ont contribué à la réussite de ce mémoire mais également à

celle de tout mon parcours académique à la FAT. Il serait impossible de toutes les citer.

J’adresse tout de même de chaleureux remerciements à :

Sabrina, ma bien-aimée ; elle participe à faire de moi ce que je suis. Je lui dois

beaucoup, son aide m’est précieuse. Elle est formidable.

Mes enfants, Nolan, Lénah-Oprah et Isaac que j’aime et qui m’aident également à

me construire. Ils sont une grande source de motivation et d’encouragements.

Mon père, un homme courageux qui m’a enseigné la valeur du travail bien fait.

Jean Cézar avec qui j’ai beaucoup appris, notamment la persévérance dans l’effort.

Mon directeur de mémoire, Gabriel Monet dont les corrections et les conseils

intelligents ont balisé mon chemin pour ce travail.

Marcel Ladislas et Rivan Dos Santos, les assesseurs de ce mémoire, pour leur

regard critique et leurs remarques constructives..

Tous les professeurs de la FAT qui m’ont accompagné durant ce parcours de

formation théologique.

A la mémoire de ma tendre mère, endormie trop tôt. Son amour m’a marqué.

J’espère la revoir vivante au retour du Christ.

3

Introduction

4

INTRODUCTION

Un orateur annonce : « Jah ! »1. La communauté présente répond d’une même

voix : « Ras Tafari ! Hailé Sélassié »2. Ces quelques mots d’invocation ponctuent

régulièrement les rassemblements rastas3 ; ils sont bien connus des populations

caribéennes grâce à la musique reggae ; ils sont l’expression de la foi des rastas qui

croient en la divinité du souverain éthiopien Hailé Sélassié Ier. Ces derniers sont aisément

reconnaissables à leur impressionnante chevelure, des dreadlocks qu’ils laissent librement

pousser selon leur interprétation de la Bible. En effet, ils fondent leur mouvement sur une

herméneutique singulière des Ecritures, notamment de l’Ancien Testament (AT) et de

l’Apocalypse. Ils s’appuient également sur la déclaration « prophétique » d’un certain

Marcus Mosiah Garvey, jamaïcain, grand leader Noir du début du XXe siècle et héraut de

la négritude qui aurait déclaré : « Regardez vers l’Afrique, lorsqu’un Roi sera couronné, le

jour de la délivrance sera proche ». Ainsi, lorsque le 2 novembre 1930, Ras Tafari

Makonen, personnage dont la tradition éthiopienne fait remonter l’ascendance à l’union du

roi Salomon et de la reine de Saba, est couronné empereur d’Ethiopie sous le nom d’Hailé

Sélassié Ier, beaucoup de ceux qui avaient suivi M. Garvey y voient l’accomplissement de

ses paroles et l’arrivée sur terre, du Dieu Noir, le Messie venu sauver son peuple. Un

nouveau mouvement, le rastafari4, prend alors naissance à la Jamaïque. Il ne tarde pas à

dépasser les frontières de l’île. Commençant par les pays caribéens, il se propagera dans

le monde entier.

Dans une perspective missionnaire, le rastafari étant bien implanté dans tout

l’archipel caribéen, il est fort probable que le chrétien adventiste des Antilles françaises ait

des contacts avec des rastas. Ceux-ci sont souvent victimes de préjugés qui les

marginalisent et créent un véritable fossé culturel et idéologique entre eux et la société.

Cette distance est le fruit de « l’ignorance, des présomptions faites sans véritable

connaissance »5 du rastafari. Une meilleure compréhension de ce mouvement religieux

permettrait au contraire une meilleure connaissance de soi6 et offrirait certainement de

larges possibilités de partage entre rastas et chrétiens adventistes. Quelles sont ces

possibilités et quelle pourrait-être la démarche d’un adventiste pour entamer, établir et

1 Jah est la contraction de YHWH, vocalisé Yavhé ou Jéhovah.

2 Même dans la francophonie, cette exclamation se prononce en anglais : Ras Tafaraï, Selassiaï.

3 Le mot rasta est l’abréviation de Ras Tafari.

4 Pour l’appellation de leur mouvement, les rastas suppriment l’espace entre le titre de noblesse Ras et le

prénom de l’empereur avant son couronnement (Tafari). 5 Carlos HAM, « Evangéliser à la manière du Christ », Prosélytisme ou mission ? Quand l’évangélisation

affirme le respect de l’autre. Actes du colloque de la Faculté adventiste de théologie, Collonges-sous-Salève 26-28 avril 2002, Collonges-sous-Salève, Faculté adventiste de théologie, 2003, p. 90. 6 « Il y a une connaissance religieuse et spirituelle de soi qui se parfait et s’approfondit dans la connaissance

culturelle d’autrui ». Cf. Henri SANSON, L’Islam au miroir du christianisme, Paris, Salvator, 2001, p. 9.

5

mener à bien un dialogue missionnaire, respectueux, et communicatif de l’Evangile avec

un rasta ? La pertinence de cette problématique s’inscrit dans la vocation de l’Eglise qui

n’est pas appelée à s’isoler mais au contraire à s’ouvrir aux hommes pour témoigner de

l’espérance qui l’anime7. Elle ne peut réaliser cette œuvre qu’en s’intéressant aux

individus quels qu’ils soient, aux contextes dans lesquels ils évoluent et à leur aspirations.

Notre expérience religieuse nous a conduits à côtoyer de très près le rastafari et à

adhérer à son idéologie. Les amitiés nées de cet épisode de notre vie n’ont pas cessé

après notre conversion au christianisme. Un ardent désir nous anime donc de témoigner

efficacement de la beauté du message chrétien auprès des rastas. Plutôt que d’improviser

une telle démarche, il nous semble important d’y réfléchir et de la planifier pour en

dégager une vision qui finalement, pourrait être utile à ceux qui, comme nous, aimeraient

partager l’Evangile avec les hommes et les femmes de ce mouvement.

La présente recherche (historique, missiologique et théologique) s’attachera, en se

référent aux différents travaux existants sur le sujet, à définir le rastafari, en repérant ses

racines, les divers courants qui le traversent et ses différentes formes d’expression pour

tenter d’en saisir l’essence. Ensuite, il sera opportun d’esquisser une approche

missiologique du rastafari en vue de la communication de l’Evangile à ce public particulier.

Pour ce faire, en l’absence de travaux liés à la spécificité du sujet, il conviendra de

considérer les notions missiologiques, d’acculturation, de contextualisation et

d’inculturation pour en dégager une orientation missiologique destinée aux rastas. Nous

aurons alors les éléments pour proposer quelques pistes pratiques d’un cheminement de

partage de l’Evangile avec un rasta.

Un manuel d’évangélisation des rastas, à suivre à la lettre, ne sera certainement

pas établi à la fin de ce travail. Cependant, cette recherche permettra de mieux

comprendre le rastafari et d’avoir une feuille de route pour guider une démarche

contextuelle du partage de l’Evangile avec des individus, déjà religieux, en mesure

d’enrichir le vécu chrétien par leur expérience et leur culture.

7 1 Pi 2.9.

6

Chapitre 1

7

1) Le rastafari, son histoire, ses croyances

Né dans la Jamaïque des années 1930, le rastafari8 est un mouvement religieux

méconnu et difficile à cerner. Cette complexité provient de la pluralité des éléments

entrant en jeu dans son avènement, et de l’absence, hormis quelques points, d’uniformité

doctrinale et d’interprétation même parmi les rastas9. Ses racines profondes se trouvent

certainement dans la nostalgie du retour « à la maison » des esclaves africains10, déportés

aux Caraïbes et réduits en esclavage du XVIe au XIXe siècle11.

En nous arrêtant sur les principes de l’idéologie éthiopianiste et la structure de la

société jamaïcaine esclavagiste et post-esclavagiste, nous évoquerons ce qui constitue

les bases du mouvement rastafari et le contexte sociétal dans lequel il a pris naissance.

Nous aborderons ensuite les grandes figures du mouvement, la genèse de son histoire,

ses croyances et ses différentes formes d’expression pour tenter d’en saisir son essence.

a) L’Ethiopianisme12

L’idéologie éthiopianiste prêchant la fierté Noire et revendiquant la légitimité d’une

lecture afro-centrique du monde et de la Bible tout en prônant, pour toute la diaspora

africaine des Amériques, un retour en Afrique, notamment en Ethiopie, a cristallisé, entre

la fin du XIXe et le début du XXe siècle, tous les espoirs de rédemption et d’émancipation

des Noirs. Elle donnera au rastafari la principale base de son idéologie.

« Des princes sortiront d’Egypte, l’Ethiopie tendra bientôt ses mains vers Dieu », Ps

68.32. Ce verset biblique, traduit de la version King James (KJV), synthétise fort bien la

pensée qui émerge vers la fin du XVIIe siècle et qui revisite les Ecritures pour y découvrir

un ensemble de textes où l’Ethiopie et l’homme Noir sont valorisés contrairement à

l’opinion coloniale dominante13. L'alphabétisation des colonies anglophones s’effectue par

mémorisation de passages bibliques de la KJV. Les traducteurs ayant choisi

8 La communauté scientifique a adopté le terme rastafari au lieu de rastafarisme. Cf. Giulia BONACCI,

Exodus. L’histoire du retour des rastafariens en Ethiopie, Paris, L’Harmattan, 2010, p. 21. Nous suivrons cet usage pour le présent travail d’autant que les rastas sont réticents pour une appellation en « Ŕisme » de leur mouvement, trop proche selon eux des autres religions dont ils veulent se démarquer (catholicisme, protestantisme, judaïsme). 9 Chris HENSLEY, « Le rastafarisme. De l’innovation religieuse au changement social », Cahier du CERI

(1994/4), p. 25. 10

Denis-Constant MARTIN, « Retour en Afrique, aller en Amérique ? », Cahier du CERI (1994/4), p.49. 11

La traitre négrière entre les Amériques-Caraïbes et l’Afrique a causé la déportation de près de trente millions d’Africains sur près de quatre siècles. Cf. Michel MOURRE, « Esclavage », dans Michel MASTROJANNI, Marguerite MONTANGE (éd.), Dictionnaire encyclopédique d’histoire, vol. 3, Paris, Bordas, 1978, p. 1612. 12

Nous nous basons pour cette section sur l’excellent travail de synthèse réalisé par G. Bonacc i au chapitre 2 de son ouvrage sur le retour des rastas en Ethiopie. Cf. Giulia BONACCI, Exodus, p. 69-108. 13

Jérémie KOUBO DAGNINI, « Rastafari. Alternative Religion and Resistance against “White” Christianity », Études caribéennes [En ligne], 2009, disponible sur <http://etudescaribeennesrevues.org/3665>, (consulté le 05 novembre 2012).

8

« Ethiopians » pour rendre l’hébreu kush ou le grec aithiopia, une lecture littérale de la

Bible conduit alors à associer les termes « Ethiopie » et « Ethiopien » à l’Afrique en

général et à l’homme Noir en particulier. Celui-ci, acculturé par l’esclavage et la

colonisation, n’a, à cette période, dans le monde anglophone, accès qu’à la KJV, seul

ouvrage disponible, seule culture accessible, à tel point que son langage fixe la parole

publique à la Jamaïque14. Avec cette lecture littérale de la Bible, l’éthiopianisme naissant

redécouvre la dignité perdue de l’homme Noir et repère plusieurs textes significatifs pour

son idéologie15 : Gn 2.13 associe l’Ethiopie au jardin d’Eden avant la chute de l’homme.

Ex 4.6-8 ; Nb 12. 1 montrent la négritude de Moïse et de son épouse, Am 9.7 présente les

Ethiopiens sans reproche devant Dieu. Le fameux Psaume 68 est lu comme une prophétie

évoquant la relation particulière des Noirs à la divinité.

La démarche visant à reconnaître dans l’Ethiopie le berceau de l’humanité remonte

à l’Antiquité. Pour Homère, Jupiter y a séjourné ; la légende antique véhicule l’idée que

l’écriture et la culture y ont pris naissance de même que les pratiques humaines visant à

honorer le divin16. Diodore de Sicile contribue encore à la construction du mythe éthiopien

quand il écrit au Ier siècle :

« Il est vraisemblable qu’étant situés directement sous la route du soleil, les Ethiopiens sont sortis de la terre avant tous les hommes. Car si la chaleur du soleil, se joignant à l’humidité de la terre lui donne à elle-même une espèce de vie, les lieux les plus voisins de l’équateur doivent

avoir produit plus tôt que les autres des êtres vivants17 ».

Vers la fin du XIXe et le début du XXe siècle, l’éthiopianisme se développe,

s’internationalise et s’étend géographiquement sur trois pôles majeurs : Etats-Unis -

Caraïbes - Afrique australe. Il s’exprime particulièrement dans la sphère politico-religieuse

et dans le domaine culturel. Dans ce dernier, l’idéologie a profondément marqué les

productions littéraires Noires qui se caractérisent alors par de nombreuses références à

l’Ethiopie. Les intellectuels Noirs, avec des auteurs comme W.E.B Du Bois ou le

conférencier E.W. Blyden, se proposent de récrire l’histoire pour redonner à l’Afrique la

place honorable qui, selon eux, était la sienne dans le monde avant la traite négrière. Ils

montrent en particulier les liens de dépendance de la glorieuse civilisation égyptienne à

l’Ethiopie. Dans la sphère politico-religieuse, le mouvement se veut désormais nationaliste

et revendique « l’Afrique aux Africains ». C’est la période de la création des Eglises

chrétiennes africaines indépendantes. On en distingue deux types : 1) Les Eglises

14

Laurence BREINER, « The English Bible in Jamaican Rastafarianism », Journal of Religious Thought 42 (1985-1986/2), p. 31. 15

Jérémie Koubo Dagnini en repère quarante cinq. Cf. Jérémie KOUBO DAGNINI, « Rastafari ». 16

Jacques BUREAU, Ethiopie. Un drame impérial et rouge, Paris, Ramsay, 1987, p. 194-195. 17

Diodore de Sicile, t.1, p. 337 à 340. Cité par Jacques BUREAU, Ethiopie, p. 194-195.

9

éthiopiennes18. Attachées à la Bible, notamment au corpus des éthiopianistes, elles

introduisent clairement l’Afrique dans leur culte mais se contentent d’éléments culturels

comme les tambours, ou les chants locaux19. Elles attirent l’élite africaine intéressée par le

développement de l’individu et l’éducation. La première, l’Ethiopian Church est fondée en

1892 en Afrique du Sud et s’organise sur le modèle ecclésial protestant. 2) Les Eglises

dites sionistes20. Communautés charismatiques, elles cherchent à fonder des « Cités de

Sion », copies terrestres de la Sion céleste. Plus pragmatique que leurs sœurs

éthiopiennes, elles s’approprient des terres, généralement en montagne, où elles espèrent

vivre en communautés libres et indépendantes. Pour ces Eglises, le salut se réalise sur

terre et maintenant. Elles séduisent des populations pauvres, restent solidaires des thèses

éthiopianistes, tout en conservant beaucoup de rites cultuels africains dans leur

célébration chrétienne.

Le terme « Ethiopie », compris jusqu’à la fin du XIXe siècle comme représentant

l’ensemble de l’Afrique, finit par être précisément et concrètement identifié à l’Etat

d’Ethiopie, ouvrant la voie à une forme moderne de l’idéologie. Cette évolution débute en

1896, quand l’Ethiopie de Ménélik II remporte une incroyable victoire sur les troupes

italiennes, repoussées dans leur tentative de coloniser le pays. L’Etat éthiopien devient le

symbole de la résistance, de la fierté et de la puissance Noire. Le pays est le seul du

continent africain à demeurer indépendant des forces coloniales. Il est reconnu par

l’Occident et s’affirme de plus en plus sur la scène internationale, notamment dans son

œuvre panafricaine21 et sa diplomatie réussie pour intégrer la Société Des Nations.

L’Ethiopie moderne et ses souverains, Ménélik II et surtout le régent Ras Tafari

Makonnen22, donnent graduellement une visibilité à la légende éthiopienne. Ils incarnent

littéralement le mythe éthiopien revendiqué par l’éthiopianisme et deviennent la réalité

tangible des espérances Noires. La diaspora peut désormais concrétiser son rêve d’un

pouvoir Noir, indépendant, vécu sur le sol africain, d’autant que Ras Tafari Makonnen

multiplie les invitations à son endroit pour que ses membres collaborent à la modernisation

du pays en s’y installant pour travailler. L’apogée de cette évolution de l’éthiopianisme

arrive quand, le 2 novembre 1930, le régent est couronné empereur. De nombreuses

18

Elles sont appelées ainsi bien qu’elles n’aient qu’un lien indirect avec l’Ethiopie moderne. 19

Anne-Marie Sophie COLOME, L’épopée du rastafarisme, Paris, L’Harmattan, 2010, p. 53. 20

Elles n’ont aucun rapport avec le mouvement juif moderne. 21

Né au début du XXe siècle, le panafricanisme est le mouvement lancé par une élite intellectuelle Noire

internationale visant à reconnaitre la valeur intrinsèque de leur ethnie. Le mouvement, en quête d’un nationalisme Noir, recherche l’avancement et le progrès de leurs confrères par leur développement économique, technologique, social, politique et culturel. Il travaille à l’unité de tous les Noirs. Cf. Judith STEIN, The World of Marcus Garvey. Race and Class in modern Society, Baton Rouge, London, Louisiana State University Press, 1986, p. 7. 22

Nous réserverons une section à Ras Tafari Makonnen.

10

références bibliques et messianiques accompagnent le titre impérial du nouveau

souverain23. L’évènement, mondialement médiatisé24, ne manque pas d’attirer l’attention

des populations antillaises, nourries de l’idéologie éthiopianiste, qui saisissent l’occasion

pour lancer un mouvement religieux à la gloire du souverain : le rastafari.

« L’Ethiopianisme était une “matrice idéologique” basée sur un paradigme politico-religieux de réveil racial (sic)25 et créé à partir et autour du nom Ethiopie dans les mondes Noirs. A partir d’un substrat biblique, le nom Ethiopie devint synonyme de l’Afrique et de la race Noire, offrant un renversement symbolique pour les Africains des Amériques vivant dans les sociétés à peine sorties de l’esclavage. »26

Cette idéologie réagissait très certainement à un certain christianisme de la période

esclavagiste et coloniale qui véhiculait une image négative et dégradée de l’homme Noir27.

L’objectif des éthiopianistes était de parvenir à un retour en Afrique tant physique que

spirituel, pour l’ensemble des anciens esclaves et de leurs descendants, victimes de la

traite négrière28. La pensée éthiopianiste a circulé essentiellement autour d’une courbe

Amérique-Caraïbes-Afrique et a connu un tournant historique quand le mythe éthiopien

s’est littéralement incarné dans l’état éthiopien et ses souverains. Au début du XXe siècle,

ayant trouvé leur idéal, les premiers afro-caribéens s’installent en Ethiopie en réponse à

l’appel de son régent Ras Tafari Makonnen. C’est dans ce contexte idéologique de la

probabilité d’un nouvel âge d’or pour l’Afrique que, dans la société jamaïcaine post

esclavagiste et en pleine mutation, émergera le rastafari.

b) La société jamaïcaine à l’aube du rastafari

La société coloniale jamaïcaine est particulièrement inégalitaire entre le XIXe et le

XXe siècle. Les stigmates de l’esclavage sont encore présents dans ce pays divisé en

classes sociales et raciales. La pauvreté des Noirs semble inévitable tandis que les

populations blanches et métisses tirent des revenus confortables de l’industrie agricole.

Bien que minoritaire, elles concentrent l’ensemble des pouvoirs économique, politique et

23

Nous reviendrons dans les sections suivantes sur ces titres messianiques : Roi des Rois, Seigneur des Seigneurs, Lion conquérant de la tribu de Juda. 24

Hailé Sélassié fait la une du Time Magazine du 03 novembre 1930. Cf. Time Magazine, [en ligne], 1930, disponible sur <http://www.time.com/time/covers/0,16641,19301103,00.html>, (consulté le 03 février 2013). Son couronnement fait également partie des titres en première page du National Geographic de juin 1931. De nombreuses photos illustrent les articles du dossier. Cf. The National Geographic Magazine, [en ligne], 1931, disponible sur <http://mail.nysoclib.org/digital_archives/periodicals/National_Geographic/index/ 1930s/1931/231F.html>, (consulté le 03 février 2013). 25

William Scoot cité par Giulia Bonacci. Cf. Giulia BONACCI, Exodus, p. 74. 26

Giulia BONACCI, Exodus, p. 108. 27

La conjonction « mais » en Cant. 1.5 « Je suis noire, mais belle » synthétise pour les éthiopianistes la pensée d’un christianisme « Blanc » qui voit une incompatibilité entre la peau noire et la beauté. Cf. Jérémie KOUBO DAGNINI, « Rastafari ». 28

Nadine VOLPATO, « Le commerce triangulaire du religieux. Les rastas entre Londres, la Jamaïque et l’Ethiopie », Christian LERAT, Bernadette RIGAL-CELLARD (éd.), Les mutations transatlantiques des religions, Pessac, Presse Universitaire de Bordeaux, 2000, p. 117.

11

culturel29. Ce contexte fournit au rastafari un riche terreau qui favorise sa création et son

développement30.

Les premiers européens sont arrivés sur l’île en 1494. Ils commencent, après

l’extermination des indigènes Arawak, l’exploitation de leur colonie grâce à une main

d’œuvre d’esclaves venues d’Afrique31. Les révoltes sont nombreuses ; des esclaves en

fuite, les « marrons », refusent la servitude et proposent très tôt une résistance à

l’administration coloniale32. Après l’abolition de l’esclavage décrétée en 1838 suite à la

multiplication des révoltes et des pressions anti-esclavagistes européennes, la majorité

des Afro-Jamaïcains vivent dans des conditions particulièrement dures. Leur situation

économique et sociale semble être pire que celle conférée par leur ancien statut

d’esclave, puisqu’avec celui-ci ils avaient au moins nourriture et logement. Profondément

religieux bien qu’en déficit éducatif, exploités, miséreux, et privés de leurs droits civiques,

les Noirs de l’île sont en quête d’un avenir meilleur. Beaucoup sont alors sensibles à

l’idéologie éthiopianiste qui se développe fortement dans la région33 et relayée, entre

autres, par des prédicateurs prêchant la venue d’un Dieu pour le salut des Noirs

opprimés34.

C’est dans ce contexte et celui d’une grave crise des plantations que survient dans

l’île le grand réveil religieux millénariste de 1860-1861 (Great Revival)35. Cette situation

révèle la capacité d’innovation religieuse des habitants36. En effet, d’une part

l’évangélisation qui a accompagné l’esclavage et la colonisation a fourni aux Afro-

Caribéens une certaine connaissance biblique qu’ils se sentent libres d’interpréter à leur

façon37, d’autre part, les Jamaïcains n’ont pas complètement délaissé leurs croyances

africaines. S’opère inévitablement un syncrétisme38 dont l’Eglise afro-chrétienne

Pocomania, mêlant culte africain des ancêtres et rîtes baptistes et méthodistes est un

29

Eric ANGLES, « Rastafarisme, reggae et résistance », Cahier du CERI (1994/4), p. 20-23. 30

Ibid., p. 36-38. 31

L’île, l’une des plus grandes de la Caraïbe, est alors colonie Britannique. 32

Les marrons sont les esclaves en fuite vivant dans les bois hors du contrôle de la plantation. Ils manifestent ainsi le summum de la résistance à l’esclavage. « A la Jamaïque, […] le marronnage constitua une menace permanente pour la société coloniale, au point qu’en 1738, la couronne britannique dut concéder aux rebelles un territoire sur la partie montagneuse de l’île où ceux-ci purent établir leur propre organisation sociale. C’est donc tout naturellement que l’imaginaire marron se voit revendiqué par les rastafari de la première heure ». Cf. Philippe Alain YERRO, « A partir du mouvement rastafari à la Martinique. Système discursif, ethnicité et retour du refoulé », Au visiteur lumineux. Des îles créoles aux sociétés plurielles, Mélanges offerts à Jean Benoist, Petit-Bourg, Ibis Rouge, 2000, p. 120-121. 33

Bruno BLUM, Bob Marley, le reggae et les rasta. Une histoire de la musique jamaïcaine, Paris, Hors collection, 2004, p. 35-36. 34

Les Eglises afro-chrétiennes se multiplient. Nous citons en exemple, The Abyssinian Baptist Church, The African Mehodist Episcopal Zion. Cf. Anne-Marie Sophie COLOME, L’épopée du rastafarisme, p. 34-36. 35

Denis-Constant MARTIN « Une rencontre historique », p. 9-10. 36

Ibid. 37

Laurence BREINER, « The English Bible in Jamaican Rastafarianism », p. 32, 33. 38

Nous reviendrons sur la notion de syncrétisme au chapitre 2.

12

exemple typique39.

Avec la fin de la servitude, des immigrés indiens arrivent en grand nombre pour

remplacer les anciens esclaves qui refusent, dans un premier temps, de travailler dans les

plantations. Des libanais et des chinois s’installent également dans l’île pour établir leur

commerce40, augmentant ainsi la diversité ethnique de l’île. Les questions identitaires se

posent pour les populations Noires acculturées. La société est déséquilibrée entre la

majorité Noire dont les regards sont orientés par les éthiopianistes vers une Afrique

mythique et la classe dominante Blanche et minoritaire qui veut s’inspirer des modèles

sociaux Britannique et Etats-uniens41.

La contestation sociale gronde, le courant religieux millénariste qui espère le retour

de Jésus sur terre pour un règne de mille ans occupe une grande place dans la vie des

individus. Un esprit de résistance à l’acculturation se développe chez les Afro-Jamaïcains

et complète le tableau de la société jamaïcaine à l’aube de la naissance du rastafari42.

c) Les grandes figures du rastafari

c. 1 : Marcus Garvey

Le mouvement rastafari doit beaucoup à Marcus Garvey. Homme au charisme

exceptionnel, nourri de l’idéologie éthiopianiste qu’il vulgarise, il travaille avec une grande

vigueur pour que tous les Africains43 aient une forte et positive conscience d’eux-mêmes

comme Hommes de valeurs. M. Garvey ambitionne d’offrir aux Noirs les moyens de

prendre en main leur propre destin, afin d’en devenir les acteurs et les héros car, selon lui,

c’est le plan de Dieu pour ce peuple44.

Bien que né dans un milieu pauvre de la fin du XIXe siècle à la Jamaïque, Marcus

Mosiah45

Garvey grandit dans un contexte de réflexion intellectuelle que son père, tailleur

de pierre, entretient grâce à une petite bibliothèque dont il dispose dans son foyer46.

Leader syndical dès l’âge de 20 ans, homme de foi, passionné de lecture, il fait ses

premiers pas comme journaliste à la Jamaïque puis, comme de nombreux antillais de

39

Denis-Constant MARTIN « Une rencontre historique », p. 9-10. 40

Anne-Marie Sophie COLOME, L’épopée du rastafarisme, p. 34-36. 41

Eric ANGLES, « Rastafari, reggae et résistance », p. 36-38. 42

Chris HENSLEY, « Le rastafarisme », p. 20-23. 43

Pour M. Garvey, tous les Noirs sont Africains. 44

Amaza MAZANA, L’impératif afrocentrisme, [en ligne], 2003, disponible sur <http://books.google.fr/>, (consulté le 08 janvier 2013). 45

La légende populaire jamaïcaine raconte que sa mère profondément religieuse lui donne le prénom de Mosiah (Moïse) en espérant qu’il serait comme ce héros biblique, capable de guider son peuple. Cf. Edmund David CRONON, Black Moses. The Story of Marcus Garvey and the Universal Negro Improvement Association, Madison, University of Wisconsin Press, 1955, p. 5. 46

Anne-Marie Sophie COLOME, L’épopée du rastafarisme, p. 39.

13

l’époque, travaille comme saisonnier en Amérique centrale, notamment au Panama47.

Dans ses premiers journaux qu’il édite sur place, il milite pour l’amélioration des conditions

de vie et de travail précaire de ses congénères. En 1912, il est journaliste à Londres48 et

fréquente les milieux intellectuels panafricanistes d’Angleterre49. Sa pensée prend forme ;

il mesure la place décisive de l’éducation pour la construction de l’individu50 et, de retour

sur son île en 1914, fonde l’’Universal Negro Improvement Association (UNIA, association

universelle pour le progrès des Noirs) dont le siège sera rapidement transféré à New-York,

dans le quartier de Harlem en pleine « Renaissance Noire »51. La devise de l’UNIA, One

God! One Aim! One Destiny! (Un Dieu ! Un but ! Une destinée ! ) confesse son objectif

prioritaire : unir, tant politiquement que religieusement, tous les Africains d’Afrique et

d’ailleurs52. Pour ce faire, Marcus Garvey s’emploie à améliorer la condition des Noirs en

œuvrant pour qu’ils s’émancipent par l’éducation et la maitrise d’outils économiques et

commerciaux, indispensable selon lui, pour devenir et rester libres53. Il encourage les

Noirs à ouvrir leurs propres églises, leurs propres universités, magasins, banques,

hôpitaux et hôtels54. Il fonde lui-même un journal, (Negro World)55, crée un parti politique

(People’s Political Party), participe à la création d’usines et d’écoles. Avec l’aide du

révérend McGuire, il crée l'African Orthodox Church (AOC) qui devient l'église officielle de

l’UNIA56. En parcourant les Etats-Unis, il mêle habilement politique et religieux en prêchant

avec succès un message précurseur d’émancipation des Noirs, de valorisation de leur

négritude et de leurs racines ancestrales africaines57. M. Garvey et son association

rencontrent un énorme succès. On a compté entre 1925 et 1928, près de six millions de

membres58 répartis dans les mille branches de l’UNIA à travers le monde59. L’ambitieuse

47

C’est la période de construction du canal de Panama. 48

Durant son séjour en Europe, M. Garvey visite l’Ecosse, l’Irlande, la France, l’Italie, l’Espagne, l’Autriche, la Hongrie et l’Allemagne. Cf. Giulia BONACCI, Exodus, p. 58. 49

Watson ELWOOD, « Marcus Garvey’s Garveyisme. Message for a Forefather », The Journal Of Religious Thought 51 (1994-1995/2), p. 78. 50

Philippe Alain YERRO, « A partir du mouvement rastafari à la Martinique », p. 117. 51

Cette expression est utilisée pour parler de l’émergence d’une conscience culturelle des Noirs américains. Le quartier New-yorkais d’Harlem sera le cœur de cette Renaissance. Helene Lee écrit à ce sujet : « C’est une époque fantastique. Le jazz swingue, le pouvoir Noir s’organise. Le Nouveau Nègre exige sa place au soleil. […] Il y a des écrivains Noirs, des peintres Noirs, des princes Noirs, même Macbeth est Noir. Cf. Helene LEE, Le premier rasta, Paris, Flammarion, Musique et compagnie, 2010, p. 45-47. 52

Laurent LAVIGE, Carine BERNADI, Tendance rasta, Paris, 10/18, 2003, p. 67. 53

Helene LEE, Le premier rasta, p. 34. 54

Watson ELWOOD, « Marcus Garvey’s Garveyisme », p. 83. 55

Ce journal, traduit en plusieurs langues et diffusé à travers le monde, est l’un des moteurs du succès du garvéhisme. Cf. Edmund David CRONON, Black Moses, p. 45. 56

Les membres de l’UNIA ne sont pas tenus d’adhérer à l’AOC. Toutefois, si un membre n’a pas d’Eglise, il est vivement invité à rejoindre l’AOC. Cf. Noel ERSKINE, « The Roots of Rebellion and Rasta Theology in Jamaica », Black Theology 5 (2007), p. 120. 57

Laurent LAVIGE, Carine BERNADI, Tendance rasta, p. 67. 58

Ce chiffre est discuté et varie selon les spécialistes entre deux et six millions.

14

organisation se structure en se donnant les cadres d’une nation60 dont Marcus Garvey est

évidemment le président61. Cette quête de fierté, d’indépendance, de restauration et de

reconstruction de la dignité Noire, conduit M. Garvey et l’UNIA sur le dangereux terrain de

la primauté raciale. L’UNIA prêche « l’Afrique aux Africains ! », et la séparation des races.

Le contexte mondial au début du XXe siècle est à la radicalisation62. M. Garvey s’inscrit

dans cette tendance et propose à ses compatriotes, une réponse communautariste, où

son argumentaire religieux mobilise aisément les masses :

« Si l’homme Blanc a l’idée d’un Dieu Blanc, laissons-le adorer son Dieu comme il le désire […]. Nous, les Noirs, nous avons trouvé de nouveaux idéaux. Bien que notre Dieu n’ait pas de couleur, il est humain de tout voir à travers ses propres lunettes et comme les Blancs ont vu leur Dieu avec leurs lunettes blanches, nous n’avons qu’à regarder Dieu avec nos propres lunettes. Nous croyons au Dieu de l’Ethiopie (en 1921, l’Ethiopie désigne tout le continent Africain), le Dieu éternel, Dieu le Père, Dieu le Fils, Dieu le Saint-Esprit, le Dieu de nos légendes. C’est en ce Dieu que nous croyons, mais nous le regardons à travers les lunettes de

l’Ethiopie63 ».

Ethiopianiste, il garde l’Afrique en ligne de mire. Son empire, bien que structuré et

populaire, reste néanmoins sans territoire. L'élément le plus important de son idéologie

reste donc le retour en Afrique64. Il prêche avec force le fameux Back to Africa qu’il veut

préparer minutieusement65 en créant, en 1919 la Black Star Liner, compagnie maritime au

service du rapatriement66. La mauvaise gestion de l’entreprise la pousse vers la faillite dès

1923. M. Garvey, certainement trop influant pour les autorités américaines, est expulsé

des Etats-Unis après deux années de prison pour fraude fiscale en lien avec la Black Star

Liner67. De retour en Jamaïque en 1927, il continue son combat pour le relèvement des

59

Deux tiers de ces unités sont basées aux Etats-Unis, le tiers restant se trouve principalement dans les Caraïbes, l’Amérique Centrale, le nord de l’Amérique du Sud et l’Afrique. Cf. Giulia BONACCI, Exodus, p. 61. 60

Constitution, hymne, drapeau, uniformes spécifiques pour les différentes sections, autant d’institutions qui rappellent un projet étatique mis en place à l’UNIA. Cf. Giulia BONACCI, Exodus, p. 63. D’autre part, « nulle part dans le monde, les Noirs n’ont (à l’époque) un gouvernement pour les défendre, ils sont ceux à qui la justice est refusée. M. Garvey travaille à ce que cela cesse ». Cf. Tewfik HAKEM, « Interview d’Hélène LEE », Emission radio Un autre jour est possible, [en ligne], 2012, disponible sur <http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=4546635>, (consulté le 10 janvier 2013). 61

Il est nommé « président provisoire de l’Afrique ». Cf. Giulia BONACCI, Exodus, p. 63. 62

Montée du nazisme en Allemagne, du fascisme en Italie, de la ségrégation raciale aux Etats-Unis. Le colonialisme se renforce en Afrique. 63

Discours de M. Garvey de 1921, cité par Bruno BLUM, Bob Marley, p. 37-39. 64

Moïse CULTURE, Zion. La foi des rastas, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 54. 65

M. Garvey ne veut pas partir à l’aventure. Il propose d’envoyer dans un premier temps des techniciens (scientifiques, artisans, ouvriers) pour préparer la création d’infrastructures capables d’accueillir les masses de la diaspora volontaire pour le retour. Ce projet, un temps entamé avec le Libéria, avortera pour des questions d’ordre politique. Cf. Giulia BONACCI, Exodus, p. 65-68. 66

La compagnie est entièrement financée par des Noirs et fait plusieurs voyages en Afrique de l’ouest. Cf. Anne-Marie Sophie COLOME, L’épopée du rastafarisme, p. 40-42. 67

Une polémique entoure l’emprisonnement de M. Garvey. Le motif de la fraude fiscale semble cacher une action politique visant à stopper son entreprise idéologique.

15

Noirs, bien que son impact politique soit bien moins important68. Il décède en 1940 à

Londres ; son pays le reconnaitra plus tard (en 1962) comme héros national69.

Orateur énergique, Marcus Garvey est le pionnier du leadership Noir dont

l’idéologie influencera les indépendances africaines, et dont le discours trouvera des

réminiscences dans les œuvres d’Aimé Césaire, dans le mouvement Black Power, ou

encore dans les prêches d’hommes comme Malcom X et Martin Luther King70. « Homme

d’une profonde spiritualité, il construisait consciemment une religion civile dont le Dieu

était Noir et Tout-puissant71 ». Toutefois, bien qu’il ait intégré la religion dans son projet,

force est de constater que le bras religieux de l’UNIA, l’AOC, Eglise chrétienne

indépendante, ne satisfait pas les besoins d’identification et de mysticisme d’une partie de

ses partisans dont la conscience ethnique avait été exacerbée72. Des garvéhistes

jamaïcains, Léonard Howell, Robert Hinds, Joseph Dunkley, Joseph Hibbert73, radicalisent

alors la vision afro-centrique de leur leader et inventent, à l’aube des années 1930, la foi

rastafari74. M. Garvey aurait déclaré en 1927 : « Regardez vers l'Afrique, lorsqu’un roi Noir

sera couronné, c’est lui qui sera le Rédempteur »75. Cette déclaration sera le moteur de la

nouvelle croyance qui a fait d’Hailé Sélassié Ier, empereur d’Ethiopie, le Dieu Noir tant

attendu.

c. 2 : De M. Garvey aux premiers rastas

Marcus Garvey n’a jamais été rasta et a même sévèrement critiqué les adeptes de

la foi rastafari naissante au début des années 193076. Issus des milieux pauvres, bien plus

radicaux qu’un Garvey désormais politiquement orienté vers les classes moyennes et

partisan de l’intégration, les rastas sont perçus comme des illuminés par les garvéhistes

de l’UNIA77. Malgré ce désamour, ils se revendiqueront toujours de M. Garvey, ouvrier de

Dieu selon eux, ayant préparé la reconnaissance d’Hailé Sélassié Ier comme Messie pour

les Noirs.

En effet, c’est un garvéhiste convaincu, Robert Athlyi Rogers qui fonde en 1925 ce

68

Philippe Alain YERRO, « A partir du mouvement rastafari à la Martinique », p. 117. 69

Bruno BLUM, Bob Marley, le reggae et les rastas, p. 43. 70

Helene LEE, Le premier rasta, p. 34, 50. Helene Lee déclare par ailleurs que « le combat de M. Garvey se termine le jour où Barak Obama a été élu (président des Etats-Unis) ». Cf. HAKEM Tewfik, « Interview d’Hélène LEE ». 71

Amaza MAZANA, « L’impératif afrocentrisme ». 72

Helene LEE, Le premier rasta, p. 61. 73

Nadine VOLPADO, « Le commerce triangulaire du religieux », p. 118. 74

Philippe Alain YERRO, « A partir du mouvement rastafari à la Martinique », p. 117. 75

Renaud LIEBERHERR, « Le rastafarisme. Recherche d’identité de la diaspora noir-jamaïcaine », [en ligne], 1987, disponible sur <http://www.ssa-sag.ch/bssa/pdf/bssa51_05.pdf>, (consulté le 10 janvier 2013). 76

L’UNIA se démarque très clairement des pratiques populaires et mystiques comme le rastafari qui se développe à la Jamaïque au début du XX

e siècle. Cf. Philippe Alain YERRO, « A partir du mouvement

rastafari à la Martinique », p. 118. 77

Noel ERSKINE, « The Roots of Rebellion », p. 121-123.

16

qu’il convient d’appeler le principal chaînon entre le garvéhisme et le rastafari78 : l’Afro-

Athlican Constructive Church (AACC), appelée également Eglise Gaathly, contraction de

Garvey et Athlyi. Il revendique une mission exclusivement orientée vers les Noirs, prêche

entre mysticisme et reconstruction morale tout en empruntant les thèmes des Eglises

africaines indépendantes éthiopianistes et sionistes79. R. Rogers réécrit la Bible qu’il

considère falsifiée par les colons dans le but d’asservir les Noirs. Il rédige en 1924 un

ouvrage d’une quarantaine de pages, The Holy Piby, parfois appelée la « Bible de

l’homme Noir ». Bien que son Eglise reste très marginale à la Jamaïque, son ouvrage sert

de base doctrinale aux premiers rastas80 ; certaines parties font encore référence dans

leur milieu aujourd’hui81. L’AACC aura durant quelques années de forts liens avec l’UNIA

avant que cette dernière ne prenne ses distances82. Le livre de R. Rogers, afro-centré,

insiste sur le retour en Afrique, mentionne des prophéties, et présente

M. Garvey comme messager de Dieu. Il souligne les valeurs d’amour, d’unité, affirme que

le peuple africain descend des douze tribus d’Israël et décrit les apôtres et les saints

comme étant Noirs83.

R. Rogers ouvre la voie au rastafari qui doit tout de même ses fondements

théologiques à Léonard Howell, premier garvéhiste à reconnaître, Ras Tafari Makonnen

comme le Christ Noir84. Prédicateur indépendant et itinérant, il prêche dans les rues de

Kingston la divinité d’Hailé Sélassié, la liberté Noire et la suprématie de la race, de même

que le Back to Africa de l’UNIA. Il est très vite rejoint par d’autres prédicateurs, tout aussi

charismatiques et imprégnés d’éthiopianisme que lui : Robert Hinds, Joseph Dunkley,

Joseph Hibbert85. Ce sont les premiers rastas. Leurs prédications se font dans la rue et

séduisent essentiellement des populations pauvres et marginales. Chacun de ces orateurs

développe sa propre communauté, mais c’est bien celle de L. Howell, le Pinnacle, qui

donnera l’impulsion décisive au développement de la nouvelle religion des adorateurs de

Ras Tafari86.

Né à la Jamaïque en 1898, Howell grandit dans un milieu chrétien auprès d’un père

prédicateur anglican. De 1916 à 1930, il visite plusieurs pays étrangers et s’ouvre à

78

Hélène Lee, Le premier rasta, p. 62. 79

Anne-Marie Sophie COLOME, L’épopée du rastafarisme, p. 53-55. 80

Philippe Alain YERRO, « A partir du mouvement rastafari à la Martinique », p. 118-119. 81

Jérémie KOUBO DAGNINI, « Rastafari ». 82

L’Eglise est mal organisée, reste marginale et fait preuve de peu de transparence sur les questions financières. Ces éléments conduisent l’UNIA à qualifier les responsables de l’AACC « d’imposteurs ». Cf. Giulia BONACCI, Exodus, p. 86-87. 83

Jérémie KOUBO DAGNINI, « Rastafari ». 84

Youmin HO-SING-MING, Le mouvement rasta à la Jamaïque. Approche sociologique, [en ligne], 1983, disponible sur <http://fr.calameo.com/read/0000028197beecc08ee81>, (consulté le 12 novembre). 85

Nadine VOLPADO, « Le commerce triangulaire du religieux », p. 118. 86

Jérémie KOUBO DAGNINI, « Rastafari ».

17

différents concepts, notamment ceux du marxisme et de l’hindouisme non-violent de

Gandhi87. Il se fixe à Harlem où il travaille comme « médecin guérisseur » et s’imprègne

inévitablement de l’idéologie afro-centriste de M. Garvey. De retour à la Jamaïque et suite

au couronnement de l’empereur d’Ethiopie Ras Tafari Makonnen, Howell est convaincu

qu’Hailé Sélassié est le Dieu Noir espéré par tout un peuple. Il finance sa prédication et

ses déplacements par la vente de photos du nouveau souverain qu’il présente comme

« passeport pour l’Ethiopie »88. Il cite la Holy Piby pour convaincre son auditoire tout en

procédant à un véritable syncrétisme entre la mystique de l’hindouisme89, celle des cultes

africains et le christianisme des Eglises éthiopienne et sioniste90.

Les adorateurs de l’empereur s’appellent eux-mêmes les « rastafari », du nom du

souverain avant son couronnement. Les autorités locales s’inquiètent des troubles qu’ils

pourraient provoquer dans l’ordre colonial du fait de la radicalité de leur message91. Avant

1934, R. Hinds, J. Dunkley et L. Howell sont emprisonnés. Ce dernier est accusé de tenir

des propos racistes et subversifs lors de ses prêches92. A sa sortie de prison, il fonde en

1940 la communauté du Pinnacle, sur une trentaine d’hectares des montagnes de la

commune de St Catherine. Le lieu est difficile d’accès et compte rapidement près de mille

six-cents adeptes, essentiellement des populations fuyant la pauvreté93 et qui retrouve

avec les rastas, un travail (paysan), un logement et surtout leur dignité et leur liberté94.

L. Howell insiste désormais sur les principes de paix et d’amour universel proches de

l’hindouisme de Gandhi95. Le gouvernement irrité par la réussite de ce « paradis » défiant

son autorité, s’oppose à la jeune religion96. Howell et plusieurs rastas sont régulièrement

87

L. Howell séjourne dans la cosmopolite Panama city puis, sur un navire de transport militaire américain fait plusieurs fois le tour du monde. Il fait de nombreuses escales aux Indes. Après une période londonienne, il se fixe à New-York. Cf. Anne-Marie Sophie COLOME, L’épopée du rastafarisme, p. 49. 88

Il en vend près de cinq mille. Cf. Laurent LAVIGE, Carine BERNADI, Tendance rasta, p. 73. 89

Anne-Marie Sophie COLOME, L’épopée du rastafarisme, p. 74. 90

Philippe Alain YERRO, « A partir du mouvement rastafari à la Martinique », p. 118-119. 91

Dans le contexte de la crise italo-éthiopienne, certains rastas, dissidents du groupe de Howell, n’hésitent pas à s’identifier aux guerriers africains Nayabinghis. La presse jamaïcaine se fait le relais des journaux italiens fascistes affirmant que l’Empereur Hailé Sélassié possède une puissante armée secrète, les Nyabinghis dont le mot d’ordre est : « Mort aux oppresseurs Blancs et Noirs ». Cf. Philippe Alain YERRO, « A partir du mouvement rastafari à la Martinique », p. 119. 92

L. Howell publie en 1935 The Promised Key, où il développe le thème de la suprématie Noire et de la séparation des races. Il y affirme également la divinité de l’Hailé Sélassié I

er. Cf. Giulia BONACCI, Exodus,

p. 181-183. 93

Youmin HO-SING-MING, Le mouvement rasta à la Jamaïque. 94

Anne-Marie Sophie COLOME, L’épopée du rastafarisme, p. 74. 95

Ibid., p. 74-75. 96

La communauté du Pinnacle est alimentairement autosuffisante, développe une économie communautaire et s’enrichit par la vente de cannabis qu’elle cultive abondamment. Elle finit par représenter un contre pouvoir aux autorités qui décident de stopper son développement. Cf. Laurent LAVIGE, Carine BERNADI, Tendance rasta, p. 73-75.

18

internés en psychiatrie97 et le Pinnacle, maintes fois perquisitionné, est finalement rasé par

la police en 1954. Paradoxalement, la destruction du site va contribuer à l’expansion du

rastafari à Kingston. En effet, les rastas de la communauté vont massivement trouver

refuge dans les ghettos de la capitale et répandre avec succès leur mouvement et leur

style de vie dans les classes populaires d’une société en souffrance. Le mouvement

religieux grandit dans la lignée des esclaves « marrons » et du garvéhisme, offrant à ses

adeptes la possibilité de contester l’inégalité de l’ordre social établi, de résister à

l’acculturation coloniale et de vivre une innovation religieuse en phase avec leurs

aspirations98. Mais les rastas n’ont pas bonne presse ; ayant séduit les jeunes désœuvrés

de Kingston, le mouvement se radicalise davantage et résiste violemment à la police

jusque dans les années 196099. Cette mauvaise image leur restera durant de nombreuses

années. Quant au pionnier L. Howell, il retombe, doucement mais surement, dans

l’anonymat, jusqu’à son décès en 1981.

Le Pinnacle a été décisif pour la genèse du rastafari. C’est dans cette communauté

que, sous l’impulsion du charismatique L. Howell, se fige les principales pratiques et

croyances rastas : alimentation végétarienne, port des dreadlocks, consommation de

cannabis (ganja)100. Le rastafari propose une culture de résistance à double

facette manifestant « une volonté de rédemption spirituelle tout autant qu’une quête

(revendicative) de justice sociale »101. Alors que le garvéhisme avait éveillé les

consciences des Noirs sans pour autant répondre parfaitement aux besoins religieux et

mystiques de certains, le rastafari a offert à ces populations pauvres, en manque de

repères, fatiguées de l’injustice du système colonial, une figure d'identification valorisante,

la seule figure royale, impériale et mystique qui pouvait les soulager et les réconforter :

Hailé Sélassié Ier.

c. 3 : Hailé Sélassié Ier

Hailé Sélassié a dirigé l’Ethiopie comme régent puis comme empereur de 1916 à

1974102. Si son œuvre politique reste controversée103, il reste néanmoins, avec Nelson

97

Il semblerait que l’internement en psychiatrie (sans évidence clinique) ait été un outil d’oppression à l’encontre des leaders Noirs, notamment des rastas jamaïcains durant la période coloniale, Cf. Renaud LIEBERHERR, « Le rastafarisme ». 98

Chris HENSLEY, « Le rastafarisme », p. 23-27. 99

Les rastas sont également souvent mêlés au trafic de cannabis. Cf. Nadine VOLPATO, « Le commerce triangulaire du religieux », p. 119. 100

Nous reviendrons sur les croyances et pratiques rasta dans nos sections suivantes. 101

Eric ANGLES, « Rastafari, reggae et résistance », p. 34-35. 102

Hailé Sélassié ne règne pas de 1936 à 1941 pendant l’invasion du pays par l’Italie. Cf. Michel MOURRE, « Hailé Sélassié », dans Michel MASTROJANNI, Marguerite MONTANGE (éd.), Dictionnaire encyclopédique d’histoire, vol. 4, Paris, Bordas, p. 2136.

19

Mandela, la personnalité africaine qui aura le plus marqué l’histoire du continent Noir104.

Pour les premiers rastas, il est bien plus qu’un chef d’Etat. Il est Dieu sur terre, la

réincarnation de Jésus-Christ, le Messie venu assurer la rédemption des Noirs et leur

offrir, avec l’Ethiopie, le paradis terrestre105. Aujourd’hui encore, près de trente huit ans

après sa mort, la plupart des rastas croient en sa divinité, bien que la grande souplesse

doctrinale du mouvement ait conduit certains à ne pas la confesser106.

Né en 1892 de famille noble éthiopienne, Tafari (Celui qui est craint) Makonnen

reçoit de son père Ras Makonnen, le titre nobiliaire de « Ras » (tête) et de sa mère, sœur

de l’empereur Ménélik II, le lien avec la dynastie impériale éthiopienne. Celle-ci prétend

descendre de Ménélik Ier, fils du roi Salomon et de la reine de Saba107. Cette tradition se

base sur le Kébra Negast (La gloire des rois), ouvrage composé de divers matériaux

légendaires formant l’histoire sainte du peuple chrétien d’Ethiopie108. Le livre raconte les

détails de la rencontre rapportée par la Bible109, du roi Salomon et de la reine de Saba110.

Le fruit de leur union, Mélénik Ier, est le fondateur de la dynastie des empereurs

éthiopiens, établissant ainsi leur autorité par la filiation davidique. Ainsi, pour la

constitution éthiopienne de 1955111, le souverain d’Ethiopie est « d’origine sainte, le plus

vénérable des monarques de la terre, son ascendance salomonienne faisant de lui le

cousin de Jésus »112. Bien que Ras Tafari Makonnen lui-même n’ait pas renié ce lien

ancestral lui conférant l’autorité du deux-cent-vingt-cinquième descendant de la reine de

Saba113, il refusa catégoriquement de se considérer comme Dieu ou comme Messie. Ras

Tafari est chrétien orthodoxe, il confesse Jésus-Christ comme Seigneur114 et ne s’en

103

Certains observateurs sont très critiques sur le règne d’Hailé Sélassié, qualifiant son œuvre d’imposture et le décrivant comme un homme ambitieux et manipulateur. Cf. Jacques BUREAU, Ethiopie, p. 213, 217-243. Pour d’autres, malgré ses défauts, il avait le charisme d’un grand homme d’Etat et a travaillé avec acharnement à lancer son pays sur la voie de la modernisation. Cf. Paul HENZE, Histoire de l’Ethiopie. L’œuvre du temps, Paris, Moulin du pont, 2004, p. 189, 343, 344. 104

Hailé Sélassié est le principal acteur de la création de l’Organisation de Union Africaine en 1963. Cf. Jean LECLANT, « Ethiopie », Universalis, Cd rom, 2013. Par ailleurs, il est élu homme de l’année par le Time Magazine du 6 janvier 1936. Il fait partie des rares africains à figurer à ce palmarès. Cf. Time, [en ligne], 1936, disponible sur <www.time.com/timecovers/0,16641,19360106,00html>, (consulté le 03 janvier 2013). 105

Sheila KITZINGER, « Protest and Mysticism. The Rastafari Cult in Jamaica », Journal for the Scientific Study of Religion 8 (1969/2), p. 246. 106

Chris Hensley, « Le rastafarisme », p. 23-27. 107

Michel MOURRE, « Hailé Sélassié », p. 2136. 108

Kebra Negast. La gloire des Rois d’Ethiopie, trad. Samuel MAHLER, Condé-sur Noireau, La boutique des artistes, 2007, p. 12-13. 109

1 R 10.10-13 et 2 Chr 9.1-12. 110

Kebra Negast, chap. 25 à 31. 111

Cette constitution sera abrogée après la chute d’Hailé Sélassié. Cf. Georges MALECOT, Jules WILMET, « Ethiopie », Encyclopédie Française, vol. 8, Paris, Larousse, 1984, p. 4652. 112

Kebra Negast. La gloire des Rois d’Ethiopie, p. 12-13. 113

Hailé SELASSSIE, My life and Ethiopia’s Progress 1892-1937, trad. Edward ULLENDORFF, London, Oxford University Press, 1984, p. 5-7. 114

A l’occasion du discours d’ouverture du comité central du Conseil Œcuménique des Eglises, à Addis-Abeba, Hailé Sélassié déclarait en 1971: « Combien de temps allons-nous continuer d'être divisés entre nous alors que nous sommes tous des disciples du Seigneur Jésus-Christ, et qu’il nous a tous enseignés

20

cache pas d’autant que son titre d’empereur fera également de lui le chef de l’Eglise

chrétienne orthodoxe d’Ethiopie115. Le jeune Tafari reçoit une éducation mixte, à la fois

nourrie de traditions chrétiennes orthodoxes de son pays et de l’érudition occidentale116. Il

a très tôt la conscience du rôle majeur qu’il peut jouer dans le destin de sa nation. Nommé

régent de l’Ethiopie en 1916, puis couronné négus (roi) en 1928, il met en œuvre une

politique de modernisation du pays tandis que sur la scène internationale, il donne à

l’Ethiopie une visibilité inédite pour un pays africain au début du XXe siècle117. Le 2

novembre 1930, il est sacré empereur d’Ethiopie et prend son nom de baptême, Hailé

Sélassié Ier (pouvoir de la Trinité). Son titre impérial complet est « Negusa negast (Roi des

rois), Lion de Juda, défenseur de la foi chrétienne, force de la Trinité, élu de Dieu »118.

L’information parvient aux garvéhistes jamaïcains grâce à la grande couverture médiatique

de l’évènement. Ils sont particulièrement frappés par le prestige du sacre pour lequel de

nombreuses délégations européennes ont fait le déplacement, reconnaissant ainsi, selon

les rastas, l’autorité du « Roi des rois »119. Ils font évidement le lien entre les titres du

Negusa negast et ceux du Christ de l’Apocalypse120. Il n’en faut donc pas davantage pour

que les garvéistes nourris d’éthiopianisme et de tradition millénariste interprètent le

couronnement du Ras comme la révélation d’un nouveau Messie manifesté pour le salut

des Noirs121. Pour eux, il est Jah rastafari ; le préfixe Jah, dérivé de l’hébreu YHWH

transcrit Jéhovah, exprime sa divinité122.

En 1966, Hailé Sélassié visite la Jamaïque où une foule joyeuse et innombrable

l’accueille en envahissant le tarmac de l’aéroport123. Les rastas sont bien évidement

présents en grand nombre et font résonner, dans une ambiance survoltée et mystique,

leurs tambours nayabinghi124. L’évènement suscite de nombreux récits plus ou moins

par la même Bible! ». Hailé SELASSIE, « Discours d'ouverture de sa majesté impériale, Empereur d'Ethiopie, à l'occasion de l'inauguration de la réunion du comité central du Conseil Œcuménique des Eglises, à la Maison de l'Afrique, Addis-Abeba », [en ligne], 1971, disponible sur <http://web.ebscohost.com/ehost/pdfviewer/pdfviewer?sid=ccb3b712-2628-4d44-a75b-8bffc9e789af% 40sessionmgr15&vid=5&hid=10>, (consulté le 03 janvier 2013). 115

Moïse CULTURE, Zion, p. 19. 116

Paul HENZE, Histoire de l’Ethiopie, p. 190-191. 117

Georges MALECOT, Jules WILMET, « Ethiopie », p. 4652. 118

Jean DORESSE, « Hailé Sélassié Ier

», Universalis, Cd rom, 2013. 119

Une photo qui parait dans la presse est particulièrement remarquée par les rastas. Elle montre le duc Gloucester, héritier du trône au Royaume-Uni rendant hommage à Hailé Sélassié. Cf. Nadine VOLPATO, « Le commerce triangulaire du religieux », p. 117. 120

Jésus est appelé Lion de Juda, Roi des rois et Seigneur des seigneurs en Ap. 5.5 ; 19.16. 121

Chris Hensley, « Le rastafarisme », p. 16-17. 122

La forme abrégée de YHWH dans le texte hébreu dans l’AT est Yah. Les rastas lisent Jah. Cette abréviation du nom divin se retrouve également en Ex. 15.2 ; 17.16 ; Es 12.2 ; 38.11 ; Ps 68.5 ; Cat 8.6. Cf. La Nouvelle Bible Segond. Edition d’étude, Villiers-le-Bel, Société biblique française, 2002, p. 111. 123

Cf. Kevin McDONALD, Marley, [Film documentaire], 2012. 124

Ibid. Un autre témoignage fait mention d’un protocole officiel très vite débordé. Un leader rasta, Mortimer Planno accompagne alors les autorités dans l’avion impérial pour rassurer le Négus et le présenter à la foule. Cf. Anne-Marie Sophie COLOME, L’épopée du rastafarisme, p. 106. Nayabinghi désigne à la fois l’un

21

authentiques pour soutenir la croyance en ce dieu Noir. Rita Marley (femme de Bob

Marley) affirme avoir vu les mains d’Hailé Sélassié marquées des stigmates du Christ

tandis que l’empereur saluait la foule125. Le négus rencontre les rastas et confirme à tous

les volontaires au retour, ses promesses de dons de terres à Shashamane, en Ethiopie126.

Il parle toutefois de « libération avant le rapatriement », « faisant ainsi passer avant

l’urgence du rapatriement la nécessité d’œuvrer au changement social à la Jamaïque »127.

Par ailleurs, il tente, trop timidement selon les autorités locales, de diriger les regards des

rastas vers le vrai Dieu128, signifiant ainsi qu’il n’est lui-même ni Dieu ni son Messie129. Les

adeptes de Jah ne se laissent pourtant pas déstabiliser par ces déclarations, qui, selon

eux, sont en harmonie avec le secret messianique pratiqué par Jésus-Christ dans les

évangiles130.

Destitué puis emprisonné en 1974, Hailé Sélassié décède, un an plus tard, dans

des conditions obscures. Officiellement, l’empereur succombe à des complications

circulatoires post-chirurgicales. Cependant, des rumeurs d’assassinat circulent, d’autant

plus que son corps reste introuvable jusqu’en 1992131. Alors que la grande figure rasta du

reggae, Bob Marley, réaffirme sa foi en la divinité d’un empereur immortel en chantant peu

après ce décès, « Jah live »132, d’autres adeptes « croient que l’Etre Suprême survit

indépendamment de celui qui l’a incarné, en dehors de son enveloppe charnelle, car il est

la vie et la source de toute vie »133.

des différents ordres rastas et un rythme de tambour spécifique au mouvement. Nous développerons ces points dans les sections suivantes. 125

Interview de Rita Marley Cf. Kevin McDONALD, Marley. Par ailleurs la légende circule qu’un vol de sept colombes précédait l’arrivée de l’avion impérial qui provoqua miraculeusement, à son atterrissage, l’arrêt de la pluie s’abattant sur Kingston ce jour là. Cf. Laurent LAVIGE, Carine BERNADI, Tendance rasta, p. 59. 126

Pour remercier la grande mobilisation panafricaine qui s’est manifestée par l’engagement de quelques Noirs de la diaspora dans les armées éthiopiennes durant la crise avec l’Italie au début des années 1930, Hailé Sélassié propose d’accueillir dans la province de Shashamane ceux et celles qui souhaitent s’installer dans son pays. Ce programme est organisé par l’Ethiopian World Federation, organisation créée par l’empereur pour centraliser les différentes expressions du soutien à l’Ethiopie durant l’invasion italienne. Ce n’est qu’après la visite du Négus en Jamaïque que l’on observe des rapatriements en provenance direct de l’île. Cf. Giulia BONACCI, Exodus, p. 158, 194, 209, 219. 127

Cette déclaration de l’Empereur ouvrira la voie à une réinterprétation du retour en Afrique espérée par les rastas que nous développerons au point d). 128

Giulia BONACCI, Exodus, p. 218. 129

Hailé Sélassié, un an plus tard, rejette à nouveau publiquement les prétentions de divinité que les rastas lui ont attribuées. Cf. Jérémie KOUBO DAGNINI, « Rastafari ». 130

Noel ERSKINE, « The Roots of Rebellion», p. 124. 131

Hailé Sélassié aurait été assassiné par les putschistes militaires qui auraient dissimulé son corps afin d’éradiquer tout symbole de la royauté éthiopienne et pour éviter toute instrumentalisation politique de la dépouille. Des ossements ont été découverts (et lui sont attribués en 1992) dans une dalle de béton coulée à plusieurs mètres sous terre dans les locaux de Mengistu Hailé Maryam, principal leader des putschistes de 1974. Cf. Estelle SOHIER, « Le corps des rois des rois dans la ville. Ménélik II et Haylé Sellasé à Addis Abeba », [en ligne], 2011, disponible sur < http://afriques.revues.org/1015#tocto2n16>, (consulté le 20 janvier 2013). 132

« Les gens disent, rasta, ton Dieu est mort. Mais, ce n’est qu’un chien qui aboie à un oiseau dans le ciel. Jah est vivant mes enfants, Jah est vivant ». Cf. Bob Marley, « Jah Live », Island Records, 1976. 133

Renaud LIEBERHERR, « Le rastafarisme ».

22

Le mystère qui entoure la disparition d’Hailé Sélassié met en évidence la flexibilité

des croyances rastafari et l’absence, hormis quelques points, d’un corps de doctrine

stable134. Cette réalité, généralement acceptée et revendiquée par les rastas eux-mêmes,

tient du fait que le mouvement se positionne à un carrefour religieux, politique et culturel et

procède par emprunts idéologiques et théologiques aux différentes cultures africaines,

asiatiques, européennes et bibliques135.

Après avoir exploré le contexte idéologique et sociétal de l’émergence du rastafari,

et après avoir considéré les figures marquantes du mouvement, il convient maintenant

d’aborder le mode de vie des rastas qui se caractérise par une grande souplesse

doctrinale.

d) Le livity rasta : un mode de vie religieux, plutôt qu’une dogmatique

Elaborer une stricte nomenclature de croyances serait inadapté pour définir le

rastafari. Non seulement le mouvement a puisé dans différentes idéologies et religions

pour se construire, mais il laisse encore une très large liberté d’interprétation et de

pratique à ses adeptes, induisant ainsi une pluralité d’expressions de la foi rasta. Le

mouvement a toujours refusé d’institutionnaliser sa croyance, marquant ainsi sa différence

avec les Eglises chrétiennes attachées au dogmatisme136. Les rastas préfèrent parler de

livity que l’on peut définir comme l’ensemble des éléments adoptés par un individu dans

son rapport au monde, tant sur le plan religieux, social et culturel que politique137. Le livity

est le mode de vie du rasta où l’amour, la fraternité universelle, le respect de la vie et de la

création dirigent les choix vers une existence simple, tournée vers la nature138. Malgré

tout, c’est bien une interprétation judéo-chrétienne qui s’impose pour expliciter croyances

et pratiques de la confession bien que le pionnier, L. Howell, qui a passablement influencé

le mouvement avec la communauté du Pinnacle, ait adopté de nombreuses pratiques

hindoues comme la consommation de chanvre139.

Le rastafari est donc un mouvement religieux qui se développe sans magistère ni

clergé officiel pour guider des croyants, qui appliquent et pratiquent leur livity selon leur

sensibilité. « Porter des locks, couper ses cheveux, fumer ou non la ganja, le rasta est

134

Chris HENSLEY, « Le rastafarisme », p. 23-27. 135

Laurent LAVIGE, Carine BERNADI, Tendance rasta, p. 47. 136

J. Koubo Dagnini relève avec justesse cette caractéristique du rastafari. Nous relevons quelques exceptions, (les communautés des Douze Tribus ou des Bobos Dreads), que nous développerons dans les sections suivantes. Cf. Jérémie KOUBO DAGNINI, « Rastafari ». 137

« Rastafari passe d’un dogme religieux et racial à ses débuts à des revendications socio politique où la priorité est mise sur une libération en Jamaïque (ou dans le pays d’origine) plutôt que sur un retour en Afrique. Aujourd’hui ce sont surtout des valeurs universalistes de paix et d’amour qui sont prêchées ». Cf. Eric ANGLES, « Rastafarisme », p. 36-38. 138

Anne-Marie Sophie COLOME, L’épopée du rastafarisme, p. 86. 139

Ibid., p. 74.

23

maître de ses choix. L’importance est ailleurs ; la force du rasta c’est sa foi. Le rasta suit

des séances de réflexion (reasoning), guidé par la lecture de la Bible. Le but est de faire

émerger l’esprit de Dieu. Dieu est dans chaque homme et chaque homme est Dieu »140.

On « ne rencontre aucune situation monolithique »141 dans le rastafari où

s’entremêlent des concepts politico-religieux, culturels et sociaux difficile à séparer.

Cependant, pour fournir une image aussi précise que possible du mouvement, nous

proposons, pour les besoins de notre recherche, dix points qui émergent du livity rasta et

sur lesquels un certain consensus (avec des nuances plus ou moins marquées) s’opère

parmi les adeptes. Nous restons toutefois conscients des limites d’une telle image.

L’autorité de la Bible. La Bible est au cœur du rastafari. Cependant, les adorateurs

de Jah ont avec elle une relation toute particulière. En effet, si comme pour la grande

majorité des antillais, elle a une autorité incontestable, pour les rastas, le texte biblique

présenté par les colons est corrompu, falsifié par les occidentaux dans le but d’asservir les

Noirs142. Ainsi, tandis qu’ils fondent sur lui leur légitimité en s’identifiant aux anciens

israélites143, les rastas se sentent libres, non seulement d’interpréter les textes selon leur

propre herméneutique, mais encore de sélectionner ceux qui appuient leur opinion144. L’un

des précurseurs du rastafari, Robert Rogers, ira jusqu’à réécrire la Bible en proposant de

rétablir la vérité avec The Holy Piby145. Comme M. Garvey invite à le faire, les rastas lisent

donc la Bible avec des lunettes noires et se proposent de rendre aux Africains la place

d’honneur qui est la leur dans l’histoire146. Ils s’attachent alors à certains passages de

l’A T, respectent le sabbat et les dix commandements147, lisent l'Apocalypse de Jean mais

se méfient des autres récits du Nouveau Testament (NT). Comme nous allons le

découvrir, la quasi-totalité des pratiques et croyances rastas s’appuient sur des références

bibliques148 souvent prises au sens littéral.

140

Laurent LAVIGE, Carine BERNADI, Tendance rasta, p. 48. 141

Giulia BONACCI, « Le mouvement rastafari. Entretien avec Giulia Bonacci », Mouvement religieux 275 (2003), p. 4. 142

Laurence BREINER, « The English Bible in Jamaican Rastafarianism », p. 35. 143

Selon leur vision, se basant sur la Holy Piby, les Noirs, les rastas en particulier sont les vrais descendants des Israélites de la Bible. 144

Cette approche rasta serait un héritage de la période esclavagiste durant laquelle la Bible fut introduite en Jamaïque notamment par des non-conformistes et présentée dans le cadre d’une interprétation individuelle. Cf. Laurence BREINER, « The English Bible in Jamaican Rastafarianism », p. 31. 145

Voir le point c. 2. 146

Bruno BLUM, Bob Marley, p.45. 147

Moïse CULTURE, Zion, p. 120. 148

Certains rastas accordent une autorité à d’autres livres éthiopiens comme le Kébra Negast, le Sandekar (livres des saints) et le Fêta Negast (livre à la gloire des Reines). Selon eux, ces livres attestent la divinité d’Hailé Sélassié. Cf. Moïse CULTURE, Zion, p. 41.

24

La divinité d’Hailé Sélassié. Comme pour les premiers rastas, nombreux sont ceux

pour qui, aujourd’hui encore, la divinité de Ras Tafari Makonnen couronné empereur

d’Ethiopie, Roi des rois et Seigneur des seigneurs, ne fait aucun doute. Il est le Christ

manifesté dans son caractère royal149. Nous l’avons déjà dit, le rastafari s’est développé

sur une base millénariste espérant le retour sur terre de Jésus-Christ pour un règne de

mille ans. Il n’est donc pas surprenant que l’avènement d’Hailé Sélassié Ier comme

souverain de la mythique Ethiopie, génère chez les populations noires acculturées des

Caraïbes, un enthousiasme mystique démesuré. Lors d’une conférence de presse, Bob

Marley expliqua ainsi sa foi :

« Le Christ a promis de revenir au bout de deux mille ans. Il a dit qu’à son retour, il serait le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs, le Lion conquérant de la tribu de Juda sur les terres du roi Salomon et du roi David. Toute ma vie, j’ai vraiment cherché à savoir si Dieu existait. Et comme je ne suis pas raciste, je l’ai cherché partout. J’ai regardé en Europe, en Afrique, partout. Quand j’ai regardé en Ethiopie, j’ai vu un homme qu’on appelle le Roi des rois, le Seigneur de seigneurs, le Lion de la tribu de Judas sur les terres du roi Salomon et du roi David, exactement comme dans la Bible ! Alors quand j’ai entendu cette révélation du Roi

des rois […] j’ai su que c’était vraiment le retour du Christ150 ».

Les textes d’Ap. 5.5 et 19.16 jouent donc un rôle primordial dans l’interprétation de

la divinité du negus. Cependant, le décès du monarque a donné lieu à de nombreuses

réinterprétations de sa divinité quand elle ne fut pas carrément remise en cause. En effet,

pour certains, il n’est pas Dieu mais un de ses messagers, grand homme, bon, digne de

respect et non d’adoration151. Pour d’autres, c’est la dynastie à laquelle il appartient qui est

divine et non sa personne152. La souplesse dogmatique offrant à chaque rasta la

possibilité d’interpréter et d’appliquer comme il l’entend la théologie, permet cette diversité.

Parallèlement, l’accueil réservé à Jésus de Nazareth varie d’un rasta à l’autre. Nous

repérons trois approches : 1) soit il jouit d’un respect similaire à Hailé Sélassié puisqu’ ils

sont de la même lignée davidique, 2) soit il est adoré comme Christ ; certains rastas se

font baptiser et se revendiquent d’un christianisme orthodoxe éthiopien153, 3) soit il est

considéré comme un imposteur du fait des représentations occidentales du Nazaréen,

149

« Regardez vers l’Est et entonnez un chant pour le couronnement d’un roi Noir. Le voici ! Le voici ! Le Christ dans son caractère royal. Qui vient ? C’est surement Jah ! [...].je sais qu’il existe éternellement. Il est fondé sur la sainte montagne, des paroles glorieuses ont été prononcées à ton sujet, oh cité du Tout-Puissant ; il est une légende vivante du Très Haut, le Lion conquérant de la tribu de Juda.». Cf. Garnet SILK, « Kingly Character », Reggae Anthology. Music is the Road, Vp Records, 2004. 150

Interview de Bob Marley cité par Laurent LAVIGE, Carine BERNADI, Tendance rasta, p. 50. 151

Nous citons à titre d’exemple un groupe de rastas Ghanéens. Cf. Darren MIDDLETON, « As it is in Zion. Seeking the Rastafari in Ghana, West Africa », Black Theology 4 (2006/2), p. 158-159. 152

L’organisation rasta des Douze tribus d’Israël a adopté cette position Cf. Giulia BONACCI, « Le mouvement rastafari », p. 4. 153

Ce christianisme ancien est considéré comme pur puisqu’il n’a pas subi selon les rastas l’influence européenne. Cf. Giulia BONACCI, « Le mouvement rastafari », p. 4.

25

homme « blanc aux yeux bleus »154. La notion du divin chez les rastas propose encore de

considérer que Dieu vit en l’homme155 d’où l’expression populaire chez eux : I and I. Cette

formule tirée du dreadtalk156 manifeste la croyance d’une continuité entre Jah et le rasta.

Le premier « I » est le pronom personnel français « je ». Il définit l’individu auquel est

associé un second « I » symbolisant la divinité, pour certains celle de Sélassié dont la

dernière syllabe du nom se prononce « ay » en anglais. I and I est l’union mystique que le

rasta peut vivre avec Jah157, sa capacité à ne faire qu’un avec la divinité. En parlant de lui,

le rasta remplace donc « je » qui le désigne par I and I exprimant ainsi son caractère pur

et divin158.

Retour en Afrique et salut. « L’Afrique et l’Ethiopie sont l’épine dorsale du

rastafari »159. Férus de Bible, les rastas découvrent que les Ecritures parlent d’une terre

promise aux enfants de Dieu. Pour eux, « un seul pays la symbolise, l’Ethiopie, la nouvelle

Sion »160. Les esclaves africains déportés aux Amériques, notamment les « marrons »,

avaient déjà cette quête d’un retour chez eux. Les premiers rastafariens qui revendiquent

la rébellion du marronnage puisent leur essence dans l’éthiopianisme et dans le

garvéhisme. Ces idéologies ont bénéficié de l’espérance de l’avènement mythique d’un

nouvel âge d’or en Afrique161 et ont développé le concept Back to Africa. L’histoire biblique

de la déportation des Israélites à Babylone et leur rapatriement final en Palestine sert de

fondement théologique à la croyance en cette nouvelle Sion162. L’actualisation rasta des

Ecritures propose de voir dans les esclaves Noirs, le vrai peuple de Dieu, conduit à

Babylone163 (les Caraïbes), mais bientôt rapatrié par la grâce de Jah, en terre promise,

l’Ethiopie164. Ce rapatriement est rédemption et salut, car les rastas n’attendent pas la

mort pour atteindre le paradis. « Dieu n’est pas le Dieu des morts mais des vivants »165,

c’est donc sur terre et maintenant qu’ils espèrent le salut, en Afrique et non dans un

hypothétique au-delà166. Le rapatriement joue également pour les premiers rastas la

fonction politique de « territorialiser la nation noire » rendant ainsi allégeance non à

154

Sheila KITZINGER, « Protest and Mysticism », p. 246. 155

Nadine VOLPATO, « Le commerce triangulaire du religieux », p. 120. 156

Nous reviendrons par la suite sur le dreadtalk. 157

La méditation aidée par la marijuana optimise la communion avec Jah. Cf. Nadine VOLPATO, « Le commerce triangulaire du religieux », p. 119-120. 158

Ibid. 159

Jérémie KOUBO DAGNINI, « Rastafari ». 160

Jacques BUREAU, Ethiopie, p. 210-211. 161

Renaud LIEBERHERR, « Le rastafarisme ». 162

Sion est donc pour les rastas, le paradis terrestre. 163

Babylone représente d’abord la société coloniale caribéenne puis l’ensemble de la société occidentale. 164

Renaud LIEBERHERR, « Le rastafarisme ». 165

Mt 22. 32. 166

Nadine VOLPATO, « Le commerce triangulaire du religieux », p. 120-122.

26

l’empire britannique mais à celui d’Ethiopie167. Les déclarations d’Hailé Sélassié lors de sa

visite à la Jamaïque en 1966 vont marquer cependant une première réinterprétation du

principe fondamental du retour. En subordonnant le rapatriement à la libération politique et

sociale en Jamaïque, l’empereur conduit les rastas à lutter d’abord pour un changement

social dans les Caraïbes avant d’envisager un retour en Afrique168. Le retour physique en

Ethiopie, sans disparaître du message rasta, va, à mesure que le mouvement

s’internationalise, céder la place à un retour symbolique aux origines africaines169. Les

rastas jamaïcains de Grande-Bretagne illustrent fort bien cette réinterprétation quand ils

disent puiser dans la culture africaine, fierté, dignité et identité Noire, ce qui est pour eux

leur repatriation170(rapatriement).

Opposition à Babylone. Les rastas s’opposent viscéralement à Babylone171. Dans la

Bible, notamment dans l’Apocalypse172, cette ville mésopotamienne arrogante, corrompue

et décadente est le symbole de la confusion et de l’opposition à l’œuvre de Dieu. Ainsi,

tandis qu’ils oeuvrent pour le retour à Sion, ils luttent également conte l’hostilité de

Babylone, symbole du pouvoir politique qui, après l’esclavage physique des Noirs,

maintient encore une servitude mentale pour ce peuple et dans le monde173. Le dualisme

entre Sion (le bien) et Babylone (le mal) constitue dès lors « la base de l’eschatologie

rasta »174 puisque le repos éternel en Afrique ne sera possible qu’avec la destruction

complète du système babylonien destiné à brûler par le feu de Jah. Certains rastas

s’opposent également au Vatican et à son représentant, le Pape, personnification du

diable, complice de Babylone dans l’oppression, et responsable de la grande supercherie

du christianisme « Blanc »175.

Les dreadlocks. Caractéristique très marquante des rastas, signe extérieur de leur

foi, les dreadlocks n’ont pas toujours été portés par les adorateurs de Jah. En effet, au

167

Giulia BONACCI, Exodus, p. 188-189. 168

Quelques rastas s’engagent en politique de manière sporadique et éphémère à la Jamaïque après les années 1966. Cf. Renaud LIEBERHERR, « Le rastafarisme ». 169

Paky B., membre éminent de la communauté rasta à la Martinique présente cette réinterprétation du rapatriement lors d’une interview sur le thème de la place de l’Afrique dans la société martiniquaise. Cf. « La place de l’Afrique dans la société martiniquaise », Emission télé An tchè péyi ya, [en ligne], 2012, disponible sur <http://www.antillestelevision.com/>, (consulté le 26 décembre 2012). 170

Nadine VOLPATO, « Le commerce triangulaire du religieux », p. 126. 171

Le rasta Moïse Culture écrit : « s’engager dans le mouvement rastafari c’est s’engager dans une guerre contre Babylone, c’est être prêt à donner sa vie pour défendre ses idées et son mode de vie ». Cf. Moïse CULTURE, Zion, p. 134. 172

Ap 14.7 ; 18.2. 173

Jérémie KOUBO DAGNINI, « Rastafari ». 174

Laurence BREINER, « The English Bible in Jamaican Rastafarianism », p.32. 175

L’hostilité vis-à-vis du Vatican est encore très forte dans le rastafari, comme en témoignent les nombreux chants de certains artistes rastas de reggae-dance-hall (variante du reggae original) à partir des années 1990 qui fustigent sévèrement l’Eglise catholique et ses représentants et réclament le feu divin pour la « purification » du siège romain. Cf. Anthony B « Fire Pon Rome », Album So Many Things, Star Trail, 1996.

27

début du mouvement, les rastas se contentaient de cheveux courts tout en conservant leur

barbe. C’est à partir de 1940 que l’on voit apparaître au Pinnacle de L. Howell cette

coiffure typique du rastafari176. Aujourd’hui, le port des locks est l’expression du vœu

biblique du naziréat mentionné dans Nb 6.5 : «Pendant tout le temps de son naziréat, le

rasoir ne passera point sur sa tête, jusqu’à l’accomplissement des jours pour lesquels il

s’est consacré à l’Eternel, il sera saint, il laissera croître librement ses cheveux»177. Il n’est

toutefois pas impossible de voir dans cette coiffure originale une double influence

extrabiblique178 : 1) Celle des sâdhus indiens. Ils portent, avant les rastas, de longues

locks, signes de leur sagesse, tandis qu’ils se consacrent, en marge de la société, à la

méditation et à l’ascétisme. 2) Celle des guerriers africains Massaïs et éthiopiens dont les

nattes tressées symbolisaient un casque. Quoi qu’il en soit, le rasta est fier de ses

dreadlocks. Elles représentent son identité et démontrent sa consécration totale à Dieu179.

Les dread (terrible) locks (nattes) de rastafari défient et renversent les conventions

sociales occidentales et coloniales en vigueur dans les Caraïbes. L’homme est supposé

avoir les cheveux propres, taillés, coiffés et courts. Les rastas manifestent donc par leurs

cheveux longs et apparemment sales180, une rupture radicale d’avec les codes et

conventions de Babylone qu’ils défient181.

« You don’t haffi dread to be rasta, this is not a dreadlocks thing, but a divine

conception from the heart »182. En chantant avec succès « qu’il n’est pas nécessaire

d’avoir des locks pour être rasta mais que le rastafari est une conception divine qui vient

du cœur », le groupe de reggae Morgan Héritage manifestait à nouveau la souplesse

doctrinale du mouvement qui ne fait pas du port des locks une absolue nécessité pour

celui qui confesse Jah rastafari. Cette flexibilité sur les locks ou le rasage de la barbe ne

va pas sans tension à l’intérieur même du mouvement où les tenants d’une orthodoxie

176

Youmin HO-SING-MING, Le mouvement rasta à la Jamaïque. 177

Les rastas repèrent plusieurs nazirs dans la Bible : Samson (Jg 13. 5), Jean le Baptiste, (Lc 1. 15) et Jésus appelé le nazoréen en Ac. 2. 22. Certains rastas lisent naziréen. C’est ainsi que Dillinger, artiste rasta de reggae, chante : « Samson était un dreadlocks, le roi David était un dreadlocks, Jésus était un dreadlocks, Moïse était un dreadlocks, il a mené les autres dreadlocks hors d’Egypte, hors de la maison des captifs, à une époque où le seul chauve était le pharaon ». Cf. Dillinger « King Pharaoh Was a Bald Head », Album, King Pharaoh, Blue Moon, 1984. 178

Nous nous référons pour cette section au travail de Laurent Lavige et Carine Bernadi. Cf. Laurent LAVIGE, Carine BERNADI, Tendance rasta, p. 287-288. 179

Certains rastas dissimulent leurs locks sous un bonnet ou un turban pour que la négativité de Babylone n’atteigne pas la positivité que leur confèrent les dreadlocks. Cf. Moïse CULTURE, Zion, p. 63. 180

« Les rastas attachent une grande importance à leurs cheveux, ils les maintiennent propres et les soignent avec des plantes et des huiles ». Cf. Ibid., p. 64. 181

Laurent LAVIGE, Carine BERNADI, Tendance rasta, p. 288. 182

Morgan Heritage « Don’t Haffi Dread », Album Don’t Haffi Dread, Vp Records, 1999.

28

rasta fustigent les Ras rasés183, de même que ceux qui, par effet de mode portent des

locks sans adhérer au mode de vie rasta184.

La ganja. La marijuana, appelée ganja, herbe, ou sensi par les rastas, est selon

eux, un don de Dieu, un arbre dont « les feuilles servent à la guérison des nations »185.

C’est donc dans un cadre cultuel et non récréatif que les rastas se proposent de fumer du

cannabis, herbe sacrée, « plante à l’usage des humains »186, indispensable pour la

méditation, la relation avec le divin, l’étude de la Bible et « l’union mystique du corps et de

l’esprit »187. Le cannabis étant classé par de très nombreux pays comme un produit

stupéfiant, cette pratique religieuse met les rastas en situation d’illégalité. L’usage de la

ganja contribue à l’image négative des rastas dans la société, notamment aux Antilles, ce

à quoi ils rétorquent que les décès provoqués par l’alcool, drogue légale mais destructrice

sont de loin supérieurs aux méfaits du cannabis. Conformément à leur vœu de naziréat, ils

s’abstiennent strictement d’alcool et s’étonnent de sa consommation dans l’eucharistie

chrétienne à laquelle ils substituent l’herbe naturelle, inoffensive et curative188. Comme

pour les autres pratiques du mouvement, certains rastas ne fument pas de cannabis sans

pour autant perdre leur relation à Jah.

Ital Vital, une nourriture végétarienne vivante. Les rastas accordent une grande

importance à leur santé. Se basant sur les principes bibliques de Lévitique 11, ils

s’abstiennent de porc, de fruits de mer et de poissons sans écailles. Leur idéal alimentaire

reste la nourriture végétarienne qu’ils justifient par les principes du premier chapitre de la

Bible où Dieu donne à l’homme toute herbe portant semence. Pour eux, « seule la

nourriture vivante permet d’être vivant »189 d’où l’expression ital vital190 pour désigner une

alimentation végétale (ital) suffisante pour transmettre la vie (vital). Le corps humain,

temple de Dieu, doit être respecté et entretenu. Les rastas préfèrent donc la campagne à

la ville, et peuvent ainsi cultiver eux-mêmes leurs fruits et légumes et délaisser conserves

et aliments industriels. Cette quête de santé les conduit également à manifester un grand

183

Les adeptes du rastafari ajoutent comme préfixe à leur nom (généralement changé pour un patronyme plus africain), le titre de noblesse éthiopien Ras. Ils s’identifient ainsi à leur dieu, Ras Tafari Makonnen. 184

A titre d’exemple, Yannick Noah (qui porte des locks) témoigne de ses difficultés lors d’une visite à la Jamaïque où sa barbe rasée lui valut de sévères remontrances de rastas attachés à un strict respect de Nb 6. Cf. Interview de Yannick Noah, le 5 janvier 2001, cité par Laurent LAVIGE, Carine BERNADI, Tendance rasta, p. 83. 185

Ap. 22.2. 186

Ps. 104.14. 187

Philippe Alain YERRO, « A partir du mouvement rastafari à la Martinique », p. 126. 188

Le rasta Peter Tosh, membre fondateur du groupe des Wailers, réclame la dépénalisation du cannabis en chantant les vertus médicinales de la plante. Cf. Peter TOSH, « Legalize it », Album Legalize it, Virgin Records, 1976. 189

Moïse CULTURE, Zion, p. 113. 190

Nous reviendrons dans les sections suivantes sur le dreadtalk, un langage typiquement rasta.

29

intérêt pour l’exercice physique (le rasta est généralement sportif191). Dans cette

dynamique, ils accordent également un profond respect à la nature, respect qui peut aller

jusqu’à la vénération192.

Reggae et Nayabinghi. Avec Bob Marley, sa principale figure internationale, le

reggae a très largement contribué à l’expansion mondiale du rastafari à partir des années

1970. Cette musique est née à la Jamaïque vers 1960 ; empruntant au, gospel, au rock

steady, au ska, et au mento (musique traditionnelle jamaïcaine) 193, elle est devenue le

moyen d’expression favori du mouvement qui diffuse par ce biais son idéologie et ses

croyances. Rastafari et reggae naissent du même contexte d’acculturation et d’exclusion

socio-économique des populations Noires et pauvres de Jamaïque. Ils présentent de

grandes similitudes dans leurs caractères innovants et leurs ambitions de résistance194.

C’est donc naturellement que le reggae qui se développe sur une culture revendicative

des jeunes Noirs des ghettos de Kingston, rencontre sur ce même terrain, le rastafari qui

se l’approprie et l’utilise comme moyen de communication195. Le reggae n’est pas

uniquement rasta, mais la grande majorité de ses leaders a adopté le livity rastafari196,

chante la Bible et la divinité de Hailé Sélassié197. Ils véhiculent ainsi par la musique les

symboles rastas empruntés à l’Ethiopie que sont les couleurs du drapeau national rouge,

jaune, vert et le Lion de Juda, l’emblème impérial198. Beaucoup de convertis au rastafari

l’ont été par le biais de la musique reggae. Le message des artistes rastas a en effet un

grand impact sur les jeunes populations (notamment dans les Caraïbes), qui adoptent

aisément les symboles de la croyance comme marqueur culturel et identitaire quand bien

même ils ne s’engageraient pas dans la foi rasta.

Bien moins populaire, le nayabinghi demeure néanmoins la véritable musique

cultuelle des rastas. Ce rythme de tambour rappelant les battements du cœur est inventé

191

Moïse CULTURE, Zion, p. 64. 192

L’expression Mother Earth (La terre mère) est particulièrement présente dans le milieu rasta. Ce profond respect accordé à la terre serait une survivance des traditions religieuses africaines notamment du culte Kumina en provenance d’Afrique de l’ouest. Cette croyance conçoit que toute la nature a été dotée d’une âme, et chaque arbre, plante, rivière ou pierre, devient une source d'énergie ou de puissance qui peut être utilisée, maltraitée, blessée ou détruite. Cf. David ERIN, « Nature in the Rastafarian Consciousness », [en ligne], disponible sur <http://debate.uvm.edu/dreadlibrary/david.html>, (consulté le 08 mars 2013). 193

Maïté DARNAULT, « Bob Marley et la prophétie rasta », Le monde des religions, [en ligne], 2011, disponible sur <http://www.lemondedesreligions.fr/savoir/bob-marley-et-la-prophetie-rasta-11-05-2011-947_110.php>, (consulté le 20 janvier 2013). 194

Eric ANGLES, « Rastafarisme, reggae et résistance », p. 39-42. 195

Idid. 196

Les artistes les plus populaires du reggae sont rastas : Sizzla, Capelton, Anthony B, Buju Banton (pour la Jamaïque) ; Straïka, Yanis Odua, Saël, Tiken Jah Fakoly (pour le monde francophone). 197

De nombreux chants commencent par une invocation à Jah Ras Tafari présenté comme Seigneur. 198

Pour les rastas, les couleurs du drapeau Ethiopien ont une profonde signification : le vert représente les terres fertiles de l’Ethiopie, le jaune, sa richesse et le rouge, le sang versé dans la lutte pour la liberté et la défense du pays. Ces trois couleurs sont perçues comme des symboles panafricains et se retrouvent également dans de nombreux drapeaux de pays africains. Cf. Jérémie KOUBO DAGNINI, « Rastafari ».

30

par un certain Count Ossie, musicien jamaïcain qui, en 1951, fréquente Howell et les

premiers rastas à Kingston. Il opère à leur contact un mélange de diverses sonorités de

tambours africains199, baptisé par ses confrères, nayabinghi, du nom des guerriers

éthiopiens. Avec la ganja, le nayabinghi optimise la relation mystique avec Jah lors des

rassemblements méditatifs rastas200. Le rythme se retrouve rapidement dans la musique

reggae pour l’enrichir de nouvelles sonorités propres aux rastas201.

Dreadtalk ou Italk 202. Engagés dans une dynamique de contre-culture, les rastas

jamaïcains poursuivent leur démarcation d’avec Babylone et s’inventent un nouveau

langage, incompréhensible pour un étranger à leur foi. Le dreadtalk (le parler des terribles,

le parler des rastas) propose une nouvelle syntaxe à la langue officielle de l’île, l’anglais,

mélangée pour l’occasion au créole local et imprégnée d’idéologie rasta. Sans règles

précises, la nouvelle langue « décortique le mot et l’agrémente d’autres vocables, en

fonction de l’intention que l’on veut sous-entendre »203. Ainsi, le « je » anglais, « I », prend

une emphase particulière notamment pour exprimer l’association de l’homme et du divin

dans le I and I204 mais aussi pour connoter positivement un mot : Ithiopia pour Ethiopie ou

Irusalem pour Jérusalem par exemple. Le dreadtalk supprime les syllabes connotées

négativement pour les mots qu’elle considère positifs : dedicate (consacrer) perd le son

« dead » (mort), remplacé par live (vie) pour donner livicate. Pareillement appreciate

(estimer en valeur) devient apprecilove, « love » se substituant à « hate » qui se

rapproche trop de la haine ; understand perd « under » (au-dessous) au profit de « over »

(au-dessus) et se transforme en overstand pour signifier que le rastafari s’élève au dessus

de Babylone dans sa compréhension du monde. Ce vocabulaire spécifique aux rastas

jamaïcains a inévitablement pénétré le reggae et s’est ainsi internationalisé, trouvant une

place (pour certains mots, comme I and I, ital ou Ithiopia) dans le vocabulaire typique des

199

Les sonorités des tambours africains sont encore bien présentes dans toute la Caraïbe. En Jamaïque c’est le rythme burru qui est la base du nouveau nayabinghi. Cf. Laurent LAVIGE, Carine BERNADI, Tendance rasta, p. 86. 200

Par ailleurs, le rythme nayabinghi serait également utile comme moyen de communication entre les vivants et les morts, croyance acceptée par certains rastas. Cette croyance serait une survivance de croyances traditionnelles africaines. Cf. Jérémie KOUBO DAGNINI, « Rastafari ». 201

Deux chants de Bob Marley sont fortement tintés de nayabinghi, « Selassie is the Chapel » en 1967 et « Rasta Man Chant » en 1973. Ils marquent le début de l’introduction des sonorités nayabinghi dans le reggae qui s’en nourrit encore. 202

Cette section sur le dreadtalk est clairement expliquée par Laurent Lavige et Carine Bernadi ; nous basons nos explications sur les travaux. Cf. Laurent LAVIGE, Carine BERNADI, Tendance rasta, p. 304-311. 203

Ibid., p. 305. 204

I and I est également utilisé pour exprimer le « nous », ensemble des rastas solidaires entre eux et consacrés à Jah.

31

rastas caribéens, chaque nationalité s’inscrivant dans cette nouvelle dynamique

d’invention linguistique205.

La place de la femme. Le livity rasta est essentiellement patriarcal. Les rastas sont

ainsi souvent accusés de misogynie à cause de leur position extrême quant au statut de la

femme dans le mouvement206. Bien qu’elle soit louée pour sa beauté, considérée comme

reine et mère de la création, le rasta veut pour sa « princesse » une place traditionnelle,

au foyer, en tant que responsable de l’éducation des enfants et de l’entretien de l’habitat.

Elles ont souvent les cheveux enturbannés en public ; elles se doivent de cultiver humilité

et vertu, s’habillant sobrement pour ne pas éveiller les passions charnelles des

hommes207. Se référant aux textes lévitiques208, la période menstruelle est synonyme

d’impureté pour la femme qui évite tout contact avec son mari et s’abstient de cuisiner

pour la famille. Les moyens de contraception de Babylone sont généralement écartés au

profit de moyens naturels favorisant les nombreuses naissances dans les familles rasta209.

Ainsi, la femme rasta a longtemps vécu en fonction de l’homme qui lui doit le plus grand

respect tout en étant libre de pratiquer la polygamie. Aujourd’hui, le rastafari n’échappe

pas au courant d’émancipation de la femme. Les « sœurs » rastas s’émancipent et

valorisent des figures féminines comme la reine de Saba, ou l’épouse d’Hailé Sélassié,

l’impératrice Menen Asfaw210. Elles contraignent ainsi le mouvement à accorder une plus

large place aux sisters.

Finalement, l’évocation de ces dix éléments clés montre que le livity rasta se

caractérise par sa souplesse et permet une très large diversité d’expression de la foi et du

style de vie rastafari. Bien que réticent à toute forme d’institutionnalisation, ce mouvement

religieux va tout de même trouver plusieurs formes d’organisation avec la création de

différents ordres rastas plus ou moins structurés.

205

Philippe Alain Yerro repère cette créativité linguistique chez les rastas de Martinique : « Le parler rasta de Martinique introduit dans le créole natif des emprunts puisés dans le dreadtalk jamaïcain et dans la fréquentation régulière des ghettos urbains de Dominique et de St Lucie (îles anglophones, voisines de Martinique) qui servent de relais. […] Le parler rasta, dans sa forme et son économie, exprime la profonde solidarité des sociétés insulaires de la Caraïbe, malgré la volonté d’isolement de la logique coloniale ». Cf. Philippe Alain YERRO, « A partir du mouvement rastafari à la Martinique », p. 127. 206

Sonia DEVILLERS, « Qui sont les rastas », Emission radio le Grand bain, [en ligne], juillet 2012, disponible sur, <http://www.franceinter.fr/player/reecouter?play=403339>, (consulté le 15 novembre 2012). 207

Moïse CULTURE, Zion, p. 96. 208

Lév 15.19-24. 209

Les rastas célèbres comme Bob Marley ou Denroy Morgan avaient de très nombreux enfants : onze pour Bob Marley, vingt-neuf pour Denroy Morgan. 210

« Le statut social des femmes dans le mouvement rasta », [en ligne], disponible sur <http://www.fullroots.fr/culture-rastafari-reggae-roots/382-le-statut-social-des-femmes-dans-le-mouvement-rasta.htm>, (consulté le 22 janvier 2013).

32

e) Les différents ordres rastafari

Comme la plupart des mouvements religieux, le rastafari n’est pas uniforme. Ainsi,

malgré la réticence pour une organisation ecclésiale, les rastas se regroupent par

sensibilité et selon le livity qu’ils décident d’adopter. Plusieurs ordres rastas sont créés et

se développent dès la genèse du mouvement.

e. 1) L’Ordre Nayabinghi. Initialement, ce terme désigne un culte de possession en

Afrique centrale dans lequel les adeptes, luttant contre la domination occidentale en

Afrique, vénèrent la princesse Naya-Binghi, héroïne et martyre de la résistance au

colonialisme à la fin du XIXe siècle211. Ce culte a été repéré en Ouganda puis dans

l’Ethiopie menacée par l’Italie et à la Jamaïque dans les années 1930. Les premiers rastas

dissidents du groupe de L. Howell reprennent le terme pour former un ordre n’acceptant

que le leadership d’Hailé Sélassié qu’ils adorent comme Dieu sur terre212. Ils s’attachent

surtout à la définition raciste que la propagande mussolinienne véhicule sur la prétendue

armée Noire d’Hailé Sélassié qui prépare l’extermination des Blancs213. Les Nayabinghis

tentent de maintenir par leurs pratiques un lien entre la foi rastafari et les traditions

cultuelles africaines214. La communauté participe aux différentes actions de rapatriement

de rastas en Afrique, se dit pacifiste mais est surtout réputée pour son antipathie pour les

Blancs et pour sa prédication de la suprématie Noire215.

e. 2) L’Ethiopian World Federation (EWF). Cette organisation n’est pas à

proprement parler une congrégation rasta. Fondée en 1937 à New-York à l’initiative

d’Hailé Sélassié, elle est chargée par l’empereur d’organiser la répartition des terres à

Shashamane, récompense impériale pour le soutien des Noirs de la diaspora durant le

conflit avec l’Italie. L’EWF ouvre rapidement une fédération à Kingston. Les rastas y

adhèrent massivement mais subissent les préjugés et la discrimination des leaders du

groupe. Ces personnes, des non-rastas de la fédération mère new-yorkaise, s’opposent à

leur adhésion à cause de leur apparence et de leurs croyances. L’EWF se développe en

de nombreuses autres fédérations jamaïcaines plus ou moins indépendantes, souvent mal

organisées et toujours majoritairement rastas. Malgré la légitimité impériale de l’EWF, les

rastas des branches jamaïcaines ne parviennent pas à centraliser un rastafari

charismatique, divergeant sur ses doctrines et réfractaire à l’organisation. Bien que les

211

Anne-Marie Sophie COLOME, L’épopée du rastafarisme, p. 73. 212

Ibid. 213

Helene LEE, Le premier rasta, p. 113-118. 214

«The rastafarian subdivision of Nyahbinghi. The Oldest of all the Subgroups», [en ligne], disponible sur <http://www.bbc.co.uk/religion/religions/rastafari/subdivisions/nyahbinghi.shtml>, (consulté le 25 janvier 2013). 215

Laurent LAVIGE, Carine BERNADI, Tendance rasta, p. 82.

33

rastas finissent par s’imposer dans l’EWF, beaucoup comme Vernon Carring (Twelve

Tribes of Israël, Douze tribus d’Israël) ou Emmanuel Edwards (Ethiopia Africa Black

International Congress) quittent l’organisation pour former leur propre groupe. EWF

possède aujourd’hui plusieurs antennes à travers le monde.

e. 3) Twelve Tribes of Israël (Les Douze tribus d’Israël). Fondée en 1968 par

Vernon Carring alias « Prophète Gad » ancien membre de l’EWF, Twelve Tribes of Israël

(T.T.I) est certainement la communauté la plus influente chez les rastas. Ouvert à tous

sans distinction raciale, l’ordre est connu pour la diversité ethnique et sociale de ses

membres216. Il est particulièrement actif dans l’organisation du rapatriement de rastas à

Shashamane, en Ethiopie. Le célèbre Bob Marley a adhéré à cette organisation qui tire

son nom de l’histoire biblique des fils de Jacob, petit-fils d’Abraham, qui deviennent les

pères du peuple élu. Les membres de la communauté sont affiliés à une tribu d’Israël

selon leur mois de naissance217. De toutes les tendances rastafari, celle des Douze tribus

se singularise par une organisation structurée et hiérarchisée, des moyens financiers

importants et une orientation chrétienne assumée tout en restant ouverte à des influences

marxiste, garvéhiste, animiste, et bouddhiste218. En effet, officiellement, la congrégation

n’attribue pas à Hailé Sélassié un statut divin mais davantage celui d’un guide, un apôtre

qui exerce une influence positive sur sa communauté comme aurait pu le faire Jean à

Ephèse ou Paul à Corinthe219. Les membres de la communauté s’accueillent avec les

termes suivants : « Salutations au nom de Jésus-Christ, qui s’est Lui-même révélé à nous,

à travers la personnalité de Sa Majesté Impériale l’Empereur Hailé Sélassié Ier»220 et

témoignent ainsi de leur foi en Jésus-Christ comme Seigneur et Sauveur. Pour eux, la

personne d’Hailé Sélassié a grandement contribué à présenter aux rastas la Bonne

Nouvelle du Sauveur Jésus221. L’ordre se réclame donc d’un christianisme orthodoxe

éthiopien, d’abord parce que l’empereur lui-même y adhérait, ensuite à cause de sa haute

antiquité et de sa préservation, selon eux, du christianisme occidental corrompu222.

216

La communauté accepte « tout individu, quelles que soient sa couleur de peau, ou ses activités professionnelles. Les jeunes, les métis, les femmes émancipées, les enfants des bourgeois et même des politiciens ». Cf. Anne-Marie Sophie COLOME, L’épopée du rastafarisme, p. 98-99. 217

Janvier : Neptali ; Février : Joseph ; Mars : Benjamin ; Avril : Ruben ; Mai : Siméon ; Juin : Lévi ; Juillet : Juda ; Aout : Issacar ; Septembre : Zabulon ; Octobre : Dan ; Novembre : Gad ; Décembre Aser. 218

Anne-Marie Sophie COLOME, L’épopée du rastafarisme, p. 98-99. 219

Comme le dit Jay One auteur compositeur, membre des Douze tribus, interviewé par la présentatrice radio Sonia Devillers. Cf. Sonia DEVILLERS, « Qui sont les rastas ». 220

« Rastafariens pour Jésus-Christ », [en ligne], disponible sur <http://educasionpourlanation.e-monsite.com/pages/rastafari/rastafariens-pour-jesus-christ.html>, (consulté le 20 janvier 2012). 221

Ibid. 222

Au IVe siècle, les rois d'Axoum (Ethiopie antique) se convertissent au christianisme. L’observation du

sabbat dans la chrétienté éthiopienne est supposée antique notamment avec la conversion de l’eunuque dans Ac. 8. Toutefois, cette pratique n’est clairement attestée qu’à partir du XIV

e siècle. Cf. Bertrand

HIRSCH, « Ethiopie. De l’antiquité au XVIe siècle », Universalis, Cd rom, 2013.

34

Toutefois, une certaine confusion sur le statut à accorder à Ras Tafari Makonnen règne

parmi ceux qui se revendiquent de cette organisation, certainement du fait de la diversité

des influences acceptées. La formulation de la salutation qui fait également office de

profession de foi, laisse encore place à une interprétation reconnaissant Hailé Sélassié

comme une incarnation de la divinité au même titre que Jésus-Christ, ou simplement sa

réincarnation223.

e. 4) Les Bobos Dread Ashanti : Ce courant semble être le plus radical de tous ; il

est souvent considéré comme une secte du rastafari à cause de la rigidité de ses

préceptes. Après 1954, à la suite de la destruction du camp de L. Howell, de nombreuses

communautés rastas se créent à la Jamaïque sur le modèle du Pinnacle, dont celle de

Ras Emmanuel Edwards dit « Prince Emmanuel ». En 1958, il organise la première

convention rasta qui réunit près de trois mille dreadlocks. Sa communauté, d’abord

appelée Ethiopia Africa Black International Congress, s’installe à Bull Bay, prend le nom

des Emmanuellites puis celui de Bobo Dread Ashanti et se propage principalement à

travers la Caraïbe et l’Afrique224. La communauté vivra longtemps fermée sur elle-même

dans une organisation quasi monastique. Le livity des Bobos est en effet très strict. Deux

jours par semaine sont consacrés au jeûne, le sabbat y est méticuleusement observé dès

le vendredi soir et les femmes sont tenues à l’écart des hommes la majeure partie du

temps225. Les membres sont tous considérés comme prophètes et prêtres et confessent

une Trinité toute spéciale formée d’Hailé Sélassié le Dieu Messie, de Marcus Garvey le

prophète et de Prince Emmanuel le divin Grand Prêtre226. Les Bobos Dread Ashanti se

démarquent des autres rastas en attachant systématiquement leur locks d’un turban mais

sont surtout connus pour le racisme de leur message. Ils prêchent la suprématie Noire et

rejettent la société occidentale blanche de laquelle ils se tiennent à l’écart. Bien que peu

populaires à leur début, tant dans la population que chez les rastas, ils connaissent à

partir des années 1990 un soudain intérêt et un réel succès grâce aux artistes reggae qui

se réclament de la confession : Sizzla Kalongi, Anthony B. et Capelton en particulier ; ils

sont en tête des meilleures ventes de disques reggae jusqu’au début des années 2000. La

223

« Pour certaines personnes cette salutation a embrouillé leur esprits, croyant qu’elle détermine qu’Hailé Sélassié est le Messie, le Christ, et certains ont fini actuellement par accepter cette pensée, ce qui est regrettable ». Cf. « Rastafariens pour Jésus-Christ ». 224

Le nom Ashanti est emprunté à une tribu africaine au Ghana. Outre dans les Caraïbes, l’ordre des Bobos trouve des adeptes en Ethiopie, au Ghana, au Nigéria. Cf. «The Rastafarian Bobo Shanti Subdivision. A Largely Separatist Movement», [en ligne], disponible sur <http://www.bbc.co.uk/religion/religions/rastafari/ subdivisions/boboshanti.shtml>, (consulté le 20 janvier 2013). 225

Ibid. 226

Prince Emmanuel revendique lui-même son caractère divin et sa place dans cette Trinité. Cf. Alexis DELAVAQUALERIE, « Les ordres rastas. La multiplicité des communautés et l’ouverture sur le monde », [en ligne], disponible sur <http://www.fullroots.fr/culture-rastafari-reggae-roots/339-les-ordres-rastas.htm>, (consulté le 20 janvier 2013).

35

radicalité de leurs paroles dénonçant la décadence de la société séduit bon nombre de

jeunes dans les ghettos de Kingston et d’ailleurs227.

Malgré la diversité de ces organisations, de nombreux rastas n’appartiennent à

aucun de ces ordres et vivent leur foi et leur livity indépendamment de ces différents

courants et de façon individuelle. Dans certains cas, des familles se regroupent en

congrégations rastas. Généralement situées en milieu rural, au cœur de la nature, elles

vivent en petites sociétés plus ou moins autonome à l’image du Pinnacle, sans pour autant

adhérer à un ordre rasta.

f) Synthèse. Qu’est-ce que le rastafari ?

Le rastafari est un mouvement religieux initialement ethnique, centré sur la

personne d’Hailé Sélassié, reconnu par la plupart des adeptes comme Dieu sur terre. Le

mouvement, basé sur l’idéologie éthiopianiste de M. Garvey, s’apparente à une réponse à

l'oppression esclavagiste et coloniale dont les rastas perçoivent les fondements dans

l’interprétation chrétienne des Ecritures228. Pour les Noirs qui y adhèrent, le rastafari

permet l’expression de leur identité profonde, politiquement, socialement,

économiquement, religieusement, et in fine culturellement. Il favorise également leur

« voyage retour virtuel vers une terre sacrée, un paradis perdu »229, l’Ethiopie (l’Afrique).

Le mouvement, qui a d’abord séduit les pauvres de Kingston, se caractérise par sa

flexibilité doctrinale comprise comme un livity, un mode de vie fondé sur des principes

bibliques réinterprétés selon une lecture littérale, afro-centrique et panafricaine. L’absence

d’organisation hiérarchisée et centralisée contribue à la souplesse du livity rasta qui peut

s’approprier librement et s’adapter au contexte personnel. Cette flexibilité a permis la

création de diverses organisations rastas plus ou moins structurées et a largement

contribué au succès du mouvement, non seulement à la Jamaïque mais encore dans le

monde entier. Les classes moyennes Noires ont ainsi adhéré au mouvement, ainsi que

des populations Blanches, notamment grâce à l’approche inclusive des Douze tribus

d’Israël230. Avec l’internationalisation du rastafari, les principes d’amour universel et de

paix prennent rapidement l’ascendant sur les clivages raciaux tandis qu’une contre-culture

227

La tendance raciste de certains Bobo Dread est perceptible dans les paroles de Sizzla, chanteur populaire de reggae et membre de la communauté Bobo. Il chante la suprématie Noire et affirme que son Dieu n’est pas Blanc, expliquant que ce dernier est disqualifié pour le bénir en raison de son implication dans l’esclavage des Noirs. Cf. Sizzla, « Guide Over Us », Album Black Woman and Child, Vp Records, 1997. Cf. Sizzla, « No White God », Album Best of Sizzla. The Story Unfolds, Vp Records, 2002. Il dénonce par ailleurs le christianisme occidental et la papauté, responsables selon lui de nombreux crimes. Cf. Sizzla « Protect us, Bless us », Album Good Ways, Vp Records, 2003. 228

Jérémie KOUBO DAGNINI, « Rastafari ». 229

Nadine VOLPATO, « Le commerce triangulaire du religieux », p. 126. 230

Giulia BONACCI, Exodus, p. 251-263.

36

de résistance et de critique sévère d’une société mondiale toujours plus consumériste et

inégalitaire prédomine dans leur message.

Conclusion du chapitre

Cette première partie de la recherche a permis de comprendre le mouvement

religieux peu connu qu’est le rastafari. Pour en saisir l’essence, il a fallu s’arrêter sur ses

racines éthiopianistes et sur le contexte sociétal de la Jamaïque esclavagiste puis

coloniale des siècles derniers. Il en ressort que l’éthiopianisme de la fin du XIXe et du

début du XXe siècle, porté par le charismatique M. Garvey, a donné au rastafari sa

principale base idéologique. Le Moïse Noir défendait la légitimité d’une lecture afro-

centrique du monde et de la Bible tout en prônant, pour toute la diaspora africaine des

Amériques un retour en Afrique, notamment en Ethiopie. C’est avec ce paradigme placé

dans le contexte jamaïcain que nait le rastafari. La situation de l’île a largement favorisé

l’émergence du mouvement du fait 1) de l’acculturation des populations Noires de l’île, 2)

des grandes inégalités sociales et raciales consolidées par le statut colonial, 3) de la

grande sensibilité religieuse des Jamaïcains nourris d’éthiopianisme et de millénarisme,

espérant donc un retour physique de Jésus sur terre pour un règne de mille ans. Ce

contexte pousse les Noirs de Jamaïque à rêver de rédemption, d’émancipation et de fierté,

ce qu’ils ont finalement trouvé dans le rastafari.

Pour poursuivre la recherche de l’essence du mouvement, il a également fallu

aborder la genèse de l’histoire rastafari, ses croyances et ses différentes formes

d’expressions Ainsi, c’est P. Howell, le premier rasta, garvéhiste convaincu qui, en

empruntant à différentes traditions religieuses, radicalise la vision de son leader. Emerge

alors une nouvelle culture religieuse, une nouvelle croyance faisant de Ras Tafari

Makonnen, couronné empereur d’Ethiopie sous le nom d’Hailé Sélassié Ier, le Messie pour

les Noirs, Dieu parmi les hommes comme l’a été Jésus de Nazareth. Le rastafari ne s’est

pas doté d’une dogmatique stable et définitive, mais s’est singularisé au contraire par une

grande flexibilité des croyances que les rastas préfèrent concevoir comme un mode de

vie, un livity. Impossible alors pour le mouvement d’être identique pour tous. Il

s’internationalise, et bien que réfractaire à toute forme d’institutionnalisation, il connait,

comme toutes les religions, une pluralité d’expressions au travers de différents ordres plus

ou moins organisés, plus ou moins inclusifs.

Aujourd’hui, il serait inconcevable d’entamer le partage de l’Evangile de

Jésus-Christ sans s’intéresser d’abord à ceux à qui le message est destiné. Dans quel

contexte vivent ces personnes, quelles est leur culture, quels sont leurs croyances, leurs

37

manières de penser, de croire, de se comporter et d’établir des relations ?231 C’est donc

sur la base de la compréhension de ce qu’est le rastafari qu’il convient de construire une

démarche pour leur communiquer la foi chrétienne. Avant donc de présenter une

proposition concrète de partage avec eux, nous nous arrêterons dans le chapitre suivant

sur les concepts missiologiques qui permettront de cadrer cette démarche de partage.

231

Gottfried OOSTERWAL, « Le respect des cultures. Un nouveau paradigme pour la mission adventiste. », Prosélytisme ou mission ? Quand l’évangélisation affirme le respect de l’autre. Actes du colloque de la Faculté adventiste de théologie, Collonges-sous-Salève 26-28 avril 2002, Collonges-sous-Salève, Faculté adventiste de théologie, 2003, p. 21.

38

Chapitre 2

39

2) Approche missiologique du rastafari en vue de la communication

de l’Evangile232

Le rastafari est bien une nouvelle culture religieuse qui émerge au début du XXe

siècle à la Jamaïque et s’internationalise par la suite, notamment grâce au reggae et à la

souplesse du livity de ce mouvement.

Tel un iceberg dont on ne perçoit que la partie immergée, la notion de culture n’est

pas simple à définir233 bien qu’il soit toutefois possible d’en cerner les contours. Elle est

l’ensemble des éléments caractéristiques d’un groupe d’individus qui partagent, en plus

des mêmes symboles, une manière de penser, de croire, de se comporter, de

communiquer, d’envisager l’organisation et les institutions de leur entité234. La culture

« englobe […] l’environnement, les arts et les lettres, les modes de vie, les droits

fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions, les croyances et

les sciences »235. Elle influence donc l’ensemble du comportement d’un individu, lui donne

une identité particulière236. Elle est à la fois difficile à modifier et perméable aux

changements237.

Le premier chapitre de ce travail a permis d’avoir une certaine connaissance de la

culture rastafari offrant ainsi la possibilité à un chrétien adventiste de mener à bien avec

un rasta un dialogue missionnaire, respectueux, constructif et communicatif de l’Evangile.

Dans le but d’organiser cette démarche de partage de la foi chrétienne et de placer

cette entreprise dans un cadre conceptuel qui déterminera la vision et les choix

stratégiques du projet, nous nous arrêterons dans cette section sur les grands principes

missiologiques, qui sont en lien direct avec notre sujet. Comme nous l’avons déjà dit, la

recherche se situe dans le contexte des îles de l’archipel des Caraïbes, notamment celles

des Antilles françaises. Nous examinerons donc, premièrement, l’acculturation aux Antilles

qui a généré le rastafari, puis nous étudierons les notions de contextualisation et

d’inculturation qui seront utiles pour proposer, en dernier lieu, une orientation

missiologique pour la communication de l’Evangile aux rastas.

232

Ce titre nous est inspiré par l’article de David Brown. Cf. David BROWN, « Culture et communication de l’Evangile », Les cahiers de l’école pastorale 82 (2011), p. 47. 233

Comme l’iceberg, une grande partie de la culture est invisible et inconsciente. Cf. André POWNALL, « Eglise et multiculturalité », dans Christophe PAYA (éd.), Dictionnaire de théologie pratique, Charols, Excelsis, 2011, p. 297. 234

Gottfried OOSTERWAL, « Le respect des cultures », p. 22. 235

David BROWN, « Culture et communication de l’Evangile », p. 50. 236

Ibid. 237

Cf. André POWNALL, « Eglise et multiculturalité », p. 297. Cf. Gottfried OOSTERWAL, « Le respect des cultures », p. 23.

40

a) L’acculturation

Si de nombreux éléments sont à l’origine du rastafari, c’est l’acculturation imposée

aux populations afro-caribéennes des Antilles qui a largement contribué, par effet de

réaction, à son apparition. Craignant la disparition de leurs références culturelles

africaines, les premiers rastas proposent une forme de contre acculturation avec leur

mouvement religieux. Ils recherchent en particulier, à l’instar de M. Garvey, la valorisation

et la fierté de l’identité nègre238. Entreprendre une démarche de partage fructueux de la foi

chrétienne adventiste avec un rasta dans le contexte des Antilles, suppose tout d’abord,

de comprendre ce qu’est un processus d’acculturation et sous quelle forme elle s’est

développée dans ces îles. Il sera alors possible d’intégrer ces enjeux à l’ensemble de la

réflexion missionnaire voulue pour atteindre les rastas. Cette étape préalable nous semble

indispensable afin de ne pas reproduire un schéma d’acculturation contrainte durant le

partage des valeurs chrétiennes. Une telle action aboutirait certainement à des blocages,

à de l’incompréhension et finalement à un échec.

Le terme acculturation provient des anthropologues nord-américains qui, vers la fin

du XIXe siècle, forment à partir du latin ad (rapprochement), un vocable exprimant « les

phénomènes de contacts et d’interpénétrations entre civilisations différentes »239.

L’expression est donc spécifique à l’anthropologie et décrit l’étude des processus

observables dès lors que deux cultures se trouvent en contact direct et continu, produisant

ainsi de profondes mutations culturelles chez l’une ou l’autre240. L’acculturation peut

prendre plusieurs formes. Dans le cas des Antilles, elle est d’abord forcée puisque

provoquée par le système esclavagiste puis colonial. Elle se vit d’abord dans l’hostilité, la

culture des peuples soumis à l’autorité coloniale est éludée241 bien que

démographiquement, les populations afro-caribéennes soient majoritaires dans les îles. La

238

Roger Bastide parle de contre acculturation « lorsque la culture menacée de disparaitre, dans un dernier sursaut, veut restaurer le mode de vie antérieur au contact (cas des messianismes, des cultes du Cargo ou de la formation des idéologies de résistance, comme celle de la négritude) ». Nous parlons du rastafari comme d’une « forme » de contre acculturation car, nous pensons et nous le développerons plus loin dans cette section, qu’il ne l’est pas complètement. Cf. Roger BASTIDE, « Acculturation », Universalis, Cd rom, 2013. 239

Ibid. 240

Nous paraphrasons ici la définition retenue par un comité du Science Research Concil en 1935. Cf. Ludëk BROZ, « Acculturation-inculturation. Deux thèmes de la théologie africaine », Communio viatorum 27 (1984), p. 196. 241

La colonisation induit une acculturation forcée qui ne génère pas des contacts humains mais des rapports de domination et de soumission. Aimé Césaire écrit à ce sujet : « On me parle de progrès, de « réalisation », de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au dessus d’eux-mêmes […], des kilométrages de routes, de canaux, de chemins de fer. […] Moi, je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes, de cultures piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées.[…]. Je parle de millions d’hommes arrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la vie, à la danse, à la sagesse. Je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme ». Cf. Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, Paris, Présence Africaine, 1955, p. 23-24.

41

culture occidentale s’impose comme vecteur valorisant de l’individu tandis que toute

référence à l’Afrique est dépréciée. Pour les Antilles françaises, elle est par la suite

planifiée et acceptée avec la départementalisation de ces territoires d’outre-mer dans une

acculturation poussée à l’extrême avec l’assimilation242. Cependant, « l’acculturation ne

signifie jamais une mainmise pure et simple d’une culture sur une autre »243. Comme

processus, elle n’est pas un principe statique ; le cas des Antilles françaises en témoigne.

D’abord génératrice de gommages culturel, historique et social avec l’assimilation244, elle

finit par prendre un caractère plus libre et équilibré comme l’illustre l’enseignement du

créole dans les écoles de la République à la Martinique245. Ainsi, l’acculturation n’est pas

toujours forcément négative, des influences positives réciproques sont observables dans

les deux cultures en contact. Toutefois, le cadre colonialiste de l’acculturation aux Antilles

jusqu’au milieu du XXème siècle a rendu irrecevable pour les populations locales tout

aspect positif de cette rencontre des cultures246.

Le terme, utilisé en missiologie, s’applique aux interactions religieuses nées de ces

contacts directs et continus entre deux cultures247. On observe alors une réappropriation

plus ou moins consciente de rites et de traditions religieuses qui sont en partie modifiés

par les populations qui les adoptent248. Dans le contexte de l’acculturation aux Caraïbes,

le christianisme s’impose, dans un premier temps avec l’esclavage et le colonialisme par

la force, et s’inscrit dans l’acculturation imposée. Les dominants imposent leur divinité,

obligent les personnes à se convertir, ne représentent le diable et les forces du mal que

par la couleur noire249, ce qui fait dire à Aimé Césaire que le Christianisme colonial a

242

Certainement dans un souci politique de cohésion nationale entre la France d’outre-mer et celle du continent, l’acculturation sera poussée à son extrême avec l’adoption en 1946 par l’Assemblée nationale française de la loi de départementalisation, dite loi d’assimilation, transformant les colonies de la Réunion, la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane, en départements français. Cf. Fabrice DESPLAN, Entre espérance et désespérance. Pour enfin comprendre les Antilles, Mus, Empreintes temps présent, 2010, p. 53. 243

Ludëk BROZ, « Acculturation-inculturation », p. 196. 244

Pendant plusieurs décennies après la départementalisation, du fait du principe d’assimilation, plusieurs générations d’antillais ont connu l’interdiction du créole dans les écoles et dans les foyers au profit du français, langue permettant le succès social. Cf. Sandrine DESROSES, « L’enseignement du créole à l’école officialisé à la Martinique. Interview de Raphaël Confiant », [en ligne], 2005, disponible sur <http://www.afrik.com/article8143.html>, (consulté le 11 mars 2013). Par ailleurs, le tambour est durant cette période délaissé car associé à l’image dévaluée du neg maron (esclave rebelle en fuite). 245

La création d’un Capes Créole à l’Université des Antilles Guyanes de Martinique en 2000 permet l’enseignement de la langue dans les écoles primaires et secondaires de l’île. Cf. Sandrine DESROSES, « L’enseignement du créole à l’école officialisé à la Martinique ». 246

En disant cela, nous nous démarquons de concepts envisageant « les effets positifs de la colonisation », qui cautionneraient le colonialisme, principe violent de domination et d’extorsion des ressources des pays dominés. En parlant d’influences positives de l’acculturation, nous distinguons le phénomène de contact de deux cultures du cadre dans lequel il se réalise. Donc, le cadre colonial est sans équivoque condamnable, mais les contacts, bien que déséquilibrés, ont certainement enrichi les deux cultures. 247

André COUTURE, « La tradition et la rencontre de l’autre », dans Jean-Pierre ROSA (éd.), Encyclopédie des religions, Montrouge, Bayard, 2000, p. 1388. 248

Ibid., p. 1383. 249

Ibid., p. 1389.

42

« posé les équations malhonnêtes : christianisme = civilisation, paganisme = sauvagerie,

d’où ne pouvaient que s’ensuivre d’abominables conséquences colonialistes et

racistes »250. Cependant, au contact des croyances traditionnelles de la diaspora africaine,

s’opèrent dans la chrétienté des Caraïbes de nombreux syncrétismes religieux, fruits de

l’insatisfaction culturelle générée par le travail missionnaire autoritaire dévaluant les

cultures locales et générant cependant une appropriation du message chrétien par les

autochtones251. Cette situation conduit à poser la question de l’acceptabilité d’un certain

syncrétisme. Il est irrecevable dans le christianisme si on le définit comme un système

religieux où plusieurs doctrines de traditions religieuses différentes fusionnent pour

parvenir à des croyances incompatibles avec la Bible, mais acceptées comme valides

dans une culture donnée252. La question reste ouverte si on considère que plusieurs

nuances sont à envisager pour une définition du syncrétisme. Pour les sciences

religieuses, toutes les religions sont plus ou moins marquées par le syncrétisme qui est à

envisager dès lors que sont intégrés dans un système religieux des éléments culturels,

sociaux politiques et économiques comme cela a été le cas pour la foi chrétienne en

Europe, de l’Antiquité à la période moderne253. Il s’agit alors, non pas de se demander s’il y

a syncrétisme ou non, mais de repérer le type de syncrétisme (culturel, politique, social,

religieux) qui opère dans la confession et d’assumer celui-ci. Ainsi, pour le christianisme,

on parlerait d’éclectisme compris comme un paradigme de reprise et d’harmonisation de

différents éléments contextuels qui ne touchent pas au cœur du message chrétien (le salut

en Christ) mais permettent une pluralité d’expressions de la foi254.

Quant au rastafari, par ses divers emprunts et réinterprétations bibliques, il s’inscrit

dans les syncrétismes religieux de la Caraïbe ; il revendique une contre acculturation en

proposant une forme de résistance à l’emprise coloniale. Comme nous l’avons signalé

dans le premier chapitre, certains éléments du christianisme sont acceptés par le rastafari

et réinterprétés selon un paradigme afro-centrique. D’autres sont rejetés, alors que des

croyances traditionnelles africaines et indiennes sont intégrées et qu’une nouvelle culture

religieuse émerge grâce au mouvement. A certains égards, dans cette contre culture

religieuse, le rastafari s’oppose au système colonial en contestant le christianisme perçu

250

Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, p. 10. 251

Philippe CHANSON, « Syncrétisme », dans Ion BRIA, Philippe CHANSON, Jacques GADILLE, Marc SPINDLER (éd.), Dictionnaire œcuménique de missiologie. Cent mots pour la mission, Paris, Genève, Yaoundé, Cerf, Labor et Fides, Cle, 2001, p. 332-333. 252

« Les syncrétismes. En marge des Eglises », dans Henri TINCQ (éd.), Larousse des Religions, Paris, Larousse, 2005, p. 347. 253

Avec une telle approche, le christianisme peut-être considéré comme syncrétique au vu de certaines de ces expressions (catholique romaine, protestante, évangélique…). Cf. Philippe CHANSON, « Syncrétisme », p. 329-330. 254

Dans cette optique, le télévangélisme serait alors une forme éclectique du christianisme par l’adoption de pratiques économiques libérales à des fins prosélytes. Cf. Philippe CHANSON, « Syncrétisme », p. 329-330.

43

alors comme la religion de Babylone et du colon. Les quelques points suivants expriment

la contestation rasta255 :

- l’absence chez eux de centralisation et de hiérarchie ecclésiale contrairement à

l’organisation religieuse chrétienne.

- l’incarnation de la divinité en un homme Noir, Hailé Sélassié, plutôt qu’en Jésus-

Christ présenté comme un homme Blanc.

- si les chrétiens participent à la sainte Cène avec le pain et le vin, les rastas

utilisent cultuellement la marijuana et peuvent la fumer dans des « chalices »256.

- la Bible est réinterprétée avec une lecture afro-centrique et dans certains cas,

des livres dit sacrés (Holy Piby, Kébra Négast) ont la même autorité que les

Ecritures.

- la musique religieuse chrétienne s'exprime principalement avec les instruments

classiques : harpe, violon, piano ou orgue alors que les rastas s’attachent à la

sonorité des tambours.

- Israël est reconnu comme la terre promise par les chrétiens qui attendent

également un paradis céleste tandis que les rastas envisagent l’Afrique en

général et l’Ethiopie en particulier comme un salut à vivre ici, sur terre et

maintenant.

Une démarche de dialogue missionnaire avec un rasta suppose donc de tenir

compte de l’acculturation négative257 qu’ils ont rejetée et qui s’est manifestée par leur

volonté de se démarquer d’un christianisme marqué par le contexte occidental, caractérisé

notamment par l’interprétation des Ecritures, l’organisation religieuse et la musique

cultuelle.

Ceci étant dit, il nous reste à considérer les néologismes de contextualisation et

d’inculturation qui proposent une large prise en compte des cultures locales où l’Evangile

est prêché. Ces concepts entendent « décoloniser le discours et la pratique

théologique »258 longtemps véhiculé dans la culture occidentale. Nous allons nous

attacher à définir la notion de contextualisation et celle d’inculturation qui lui est proche,

voire semblable. Nous allons ensuite repérer les limites à poser pour de telles démarches

255

Nous nous basons ici sur le travail de Jérémie Koubo Dagnini. Cf. Jérémie KOUBO DAGNINI, « Rastafari ». 256

Sorte de pipette à eau, en bois naturel et en noix de coco, servant à fumer la marijuana. Le nom « chalice » est retenu par les rastas pour signifier la concurrence qu’ils proposent au calice de l’eucharistie. 257

Ludëk Broz, citant la définition de l’acculturation négative élaborée à la suite du colloque de Frascati en 1969 sur le dialogue d’africains et d’européens sur la crise mondiale de civilisation, écrit qu’elle est « imitation des formes mystifiantes de la civilisation du colonisateur ». Cf. Ludëk BROZ, « Acculturation-inculturation », p. 200. 258

Jean-François ZORN, « La contextualisation. Un concept théologique ? », Revue d’histoire et de philosophie religieuses 77(1997/2), p. 178.

44

et ainsi adopter un paradigme défini et délimité pour un cheminement missionnaire avec

un rasta.

b) Contextualisation et inculturation.

Le fondement théologique des concepts missiologiques de contextualisation et

d’inculturation se trouve dans le choix de Dieu de s’incarner complètement dans la réalité

humaine par l’intermédiaire de Jésus de Nazareth. Puisque « la Parole s’est faite chair et

a habité parmi nous »259 pour sauver l’ensemble de l’humanité, l’exigence de l’immersion

du message dans le contexte de ceux que l’Evangile cherche à sauver n’est pas nouveau

et tire son essence de l’exemple divin. « La thématique de l’inculturation (ou la

contextualisation) n’est pas une stratégie d’une missiologie moderne, mais l’Evangile

même : prendre de la distance par rapport aux conditions humaines et pratiquer la

solidarité avec la condition humaine au sens large »260. Le christianisme s’est

principalement inculturé aux premiers siècles dans la culture occidentale. C’est donc une

religion marquée par cette culture qui s’est propagée à travers le monde, imposant un

christianisme contextualisé comme normatif et universel. Les mouvements

d’indépendance des pays colonisés ont conduit à une prise de conscience des valeurs

intrinsèques de toutes les cultures dès lors qualifiées pour s’approprier le message

évangélique selon leurs propres contextes261.

Contextualisation

Le terme de contextualisation apparait dans le milieu protestant, en 1972, dans le

texte final de l’assemblée générale du Fonds pour l’Enseignement Théologique262. Il est

défini comme un prolongement de l’indigénisation c'est-à-dire comme un processus

dynamique par lequel une réponse prophétique à l’Evangile est donnée dans les termes

d’une culture traditionnelle (indigénisation)263, tout en tenant compte des changements

introduits par la sécularisation, les nouvelles technologies et tous les éléments spécifiques

259

Jn 1.14. 260

Klauspeter BLASER, Jean-François ZORN, « Inculturation », dans Pierre GISEL (éd.), Encyclopédie du protestantisme, Paris, Genève, Presses Universitaire de France, Labor et Fides, 2006, p. 626-627. 261

Ibid., p. 627. 262

Le Fonds pour l’Enseignement Théologique (TEF) est créé en 1958 par le Conseil international des Missions. Ce Conseil a regroupé de 1921 à 1961 les sociétés de missions protestantes dans le but de coordonner les actions missionnaires et de sensibiliser au caractère essentiel de la mission pour l’Eglise. Pour la réunion du TEF de 1972, l’assemblée est composée par une majorité de théologiens du tiers-monde. Cf. Jean-François ZORN, « La contextualisation », p. 173. 263

On peut donc définir l’indigénisation comme le processus qui propose « une réponse à l’Evangile dans les termes d’une culture traditionnelle ». Avec ce paradigme la forme la plus pure de l’Evangile et de la théologie chrétienne seront les mêmes dans toutes les cultures, seuls les mots, les « traditions » changent. Cf. Klauspeter BLASER, Jean-François ZORN, « Inculturation », p. 627.

45

de l’histoire d’un pays264. Elle intègre donc la possibilité du changement inhérent à toute

situation humaine sans favoriser l’isolement culturel mais en permettant à chacun de

s’approprier son histoire locale tout en restant ouvert à l’interdépendance des contextes.

La contextualisation permet, par l’Evangile, de s’intéresser aux enjeux spécifiques et

locaux des individus et délivre ainsi un message pertinent aux populations265. Elle refuse

une universalisation impérialiste, mais conserve cependant l’universalité du salut en

Jésus-Christ pour tous en tout lieu266. Sans identifier Dieu à un élément du contexte

humain, ce concept dynamique « ne cherche pas seulement à conserver et à interpréter

l’ancien, mais tend, [par une approche toujours critique de la rencontre entre la Parole de

Dieu et le contexte des individus] vers une réalisation nouvelle »267. La contextualisation

revendique également une autonomie théologique.

Inculturation

C’est également durant les années 1970, dans les milieux catholiques, qu’émerge

le principe d’inculturation. Sous la poussée des évêques d’Afrique et de Madagascar, le

synode de 1977 sur la catéchèse utilise le terme d’inculturation pour parler des relations

entre christianisme et cultures268. Avec l’inculturation, il ne s’agit pas seulement d’adapter

l’Evangile en piochant ici ou là quelques éléments du contexte d’accueil, mais de favoriser

« l’incarnation de la vie chrétienne et du message chrétien dans un contexte particulier (où

il devient) un principe qui oriente cette culture particulière de l’intérieur, tout en la

transformant en vue d’une création nouvelle »269. L’inculturation propose à l’Eglise locale

d’un pays donné de vivre l’évangile en conformité avec sa culture270. Jean Paul II dans

son encyclique Redemptoris missio explique le terme comme « une intime transformation

des authentiques valeurs culturelles par leur intégration dans le christianisme, et

l'enracinement du christianisme dans les diverses cultures humaines »271. L’inculturation

sous entend que Dieu est spirituellement présent en toute chose et qu’il y a une continuité

entre lui, l’homme, la nature et la culture. De ce fait, cette approche conduit à proposer

des théologies dites de l’accomplissement272 en se basant sur une réflexion théologique

264

Jean-François ZORN, « La contextualisation », p. 174. 265

Marcel PICHOT, « Contextualization. Something to Avoid, or Something to Embrace ?», Adventist Today 20 (2012/1), p. 9. 266

Jean-François ZORN, « La contextualisation », p.174-175. 267

Klauspeter BLASER, Jean-François ZORN, « Inculturation », p. 627. 268

Ibid. 269

Achiel PEELMAN, Les nouveaux défis de l’inculturation, p. 11. 270

Jean-François ZORN, « La contextualisation », p. 177. 271

Jean Paul II cité par le Cardinal Poupard. Cf. Paul POUPARD « Pour une pastorale de la culture », [en ligne], 1999, disponible sur <http://www.vatican.va/roman_curia/pontifical_councils/cultr/ documents/rc_pc_pccultr_doc_03061999_pastoral_fr.html>, (consulté le 30 avril 2013). 272

Ces théologies se basent sur « la synergie imprévisible entre la liberté divine et la liberté humaine » pour envisager dans quelle mesure Dieu se révèle encore aujourd’hui dans l’histoire de l’humanité et dans ses

46

de l’incarnation du Verbe de Dieu dans la culture273. « Chaque inculturation véritable de

l’Evangile est en quelque sorte une actualisation nouvelle dans le temps et dans l’espace

du mystère de l’incarnation du Verbe divin »274

c) Contextualisation ou inculturation

Conduit par les théologiens des anciennes colonies européennes, contextualisation

et inculturation poursuivent le même objectif d’une prise en compte globale du contexte

dans lequel l’Evangile est prêché afin de permette à chaque individu de vivre le message

chrétien en fonction de ses racines, de son environnement culturel, social et historique. La

distinction entre ces deux néologismes est difficile et suscite de nombreux débats entre

spécialistes qui remarquent deux principes très proches. A. Peelmaan affirme que la

signification de l’inculturation est « loin d’être fixée »275. J-F. Zorn qui discute de la

question276 fait remarquer que la contextualisation se caractérise par un accent clairement

christologique. Elle assume la tension (sans la résoudre) qui résulte de la rencontre

critique entre la Parole de Dieu et le contexte, génératrice d’une « création nouvelle »

dans une interprétation exclusive du Christ, unique incarnation du Verbe. Pour lui,

l’inculturation insiste par contre sur l’ecclésiologie quand elle pense résoudre cette tension

en adoptant une interprétation inclusive de l’incarnation. Dans cette perspective,

l’incarnation du Verbe dans le monde est amorcée en Christ et se poursuit dans

l’intégration de la Parole dans la culture. Les rites et la liturgie catholique romaine jouent

alors un rôle d’intermédiaire dans cette intégration du contexte, conduisant l’Eglise

particulière à enrichir l’Eglise universelle277. En prenant position pour le terme de

contextualisation, J-F Zorn croit repérer dans ce néologisme la possibilité d’une théologie

plus existentielle que celle induite par l’inculturation car avec la contextualisation « la

pensée n’est plus conçue comme première par rapport à l’être mais les deux vont

ensemble et cherchent leur mode d’articulation »278.

Il nous semble que les deux néologismes sont des paradigmes très proches, qui

utilisent les mêmes valeurs de prise en compte du contexte pour la prédication de

l’Evangile. Cependant, la nuance majeure entre les deux néologismes se remarque quand

l’inculturation se propose d’aller plus loin que la contextualisation en ouvrant la porte à une

cultures. Ces théologies conservent deux paradigmes pour repérer cette révélation divine dans les cultures : le caractère de Dieu révélé dans l’AT et l’incarnation décisive de Dieu en Jésus-Christ. Cf. Antoine. GUGGENHEIM, « La théologie de l’accomplissement de Jean Daniélou », Nouvelle revue théologique 128 (2006/2), p. 240-241. 273

Klauspeter BLASER, Jean-François ZORN, « Inculturation », p. 627. 274

Achiel PEELMAN, Les nouveaux défis de l’inculturation, p. 13. 275

Ibid., p. 9. 276

Jean-François ZORN, « La contextualisation », p. 171-189. 277

Ibid., p. 178, 181. 278

Ibid., p. 184.

47

possible incarnation du Verbe dans des rites ou traditions religieuses non chrétiennes là

où la contextualisation parle de tension à résoudre en laissant le vécu et la réflexion

théologique locale aboutir à une situation nouvelle, spécifique mais exclusive quand à

l’incarnation du Verbe. C’est cette nuance qui nous conduit à favoriser le néologisme de

contextualisation pour une démarche de partage de la foi chrétienne avec les rastas.

Enjeux et limites d’une théologie contextuelle.

Proposer une théologie contextuelle apparaît de plus en plus indispensable à la

proclamation de l’Evangile, tant dans son berceau primitif occidental que dans le reste du

monde279. Il en va de l’adéquation de l’Eglise avec ses contemporains qui la regardent

déjà comme un monument historique en décalage avec la réalité postmoderne de ce

siècle280. Cependant, présenter la Bonne Nouvelle dans un contexte spécifique demeure

un défi, celui de favoriser, sans confusion, la rencontre de Dieu et du monde par le

Christ281. Dieu aime le monde et ses cultures et appelle son Eglise à les aimer

également282. L’expression « dans le monde mais pas du monde » résume alors la tension

que vit l’Eglise, soucieuse de contextualiser son message283. L’Eglise est solidaire des

faiblesses du monde, elle a malgré tout vocation à servir Dieu et les hommes, à proclamer

la bonne nouvelle du salut en Jésus en poursuivant l’idéal biblique d’une existence basée

sur la volonté de Dieu284. Elle est donc, par le précepte et par l’exemple, en mission

évangélique dans le monde, bien que celui-ci lui soit hostile. Elle doit apprendre à vivre

avec cette tension sans tenter de la réduire, car elle tient sa source du mystère de l’amour

divin manifesté aux hommes en Jésus-Christ. L’Eglise ne peut donc se séparer du monde

sans trahir la volonté d’amour et de service de son Maître. La recherche de sa sécurité ne

peut la motiver car elle participe pleinement à l’histoire du monde. Bien qu’elle soit là pour

279

Nous parlons de « berceau primitif occidental » pour le christianisme bien que conscient que l’Afrique du nord et de l’est a connu la chrétienté dès les premiers siècles de notre ère. Néanmoins c’est bien le christianisme dans son contexte européen qui s’est répandu à travers le monde. 280

K. Blaser écrit : « Si l’Eglise et la théologie ne deviennent pas locales, elles ne survivront pas ». Bien que nous croyons que Dieu seul préside à la destinée de l’Eglise, nous comprenons cette déclaration comme une mise en garde contre la rigidité de l’Eglise. Elle serait alors comme morte pour ses contemporains. Cf. Klauspeter BLASER, « Théologies contextuelles », dans Pierre GISEL (éd.), Encyclopédie du protestantisme, Paris, Genève, Presses universitaires de France, Labor et Fides, 2006, p. 1426. 281

Le NT présente le monde en tension entre une création de Dieu où il règne et une entité rebelle à son autorité, où les individus sont dominés par Satan qui, sournoisement, par différentes manœuvres les conduit à adopter les principes de sa rébellion contre Dieu. Cf. John MACARTHUR, La sainte Bible. Avec commentaires, Genève, Société Biblique de Genève, 2006, p. 2002. 282

Cf. Jn 3.16. On peut dire par ailleurs que « les différentes cultures du monde sont ainsi des expressions variées de notre humanité ». Cf. Gottfried OOSTERWAL, « Le respect des cultures », p. 22. 283

L’Eglise est dans le monde car elle vit dans cette création de Dieu où il règne. Elle n’est cependant pas du monde puisqu’elle lutte contres les manœuvres de Satan et n’adhère pas à ses principes de rébellion. 284

L’Eglise est christocentrique, construite et dirigée par le Christ par le moyen de l’Esprit. Cependant elle reste humaine, composée d’individus faibles. Elle n’est donc pas infaillible et vit une tension entre la faiblesse de son humanité et la force de sa divinité.

48

le monde, elle n’est pas de ce monde parce qu’elle n’agit pas comme lui en égoïste et ne

recherche pas son intérêt personnel. Son caractère eschatologique témoigne de sa

différence. Sa prédication évangélique confirme le chemin unique d’espérance et de

confiance qu’elle suit en servant le monde285. Ainsi, une théologie contextuelle s’inscrit

pleinement dans la vocation de l’Eglise. Elle conduit à porter un réel intérêt aux hommes

dans leur contexte quotidien, à s’identifier à eux, à leur culture, à leurs valeurs, à

comprendre leurs aspirations. Cette approche amène le chrétien à sortir de ses zones de

confort pour rejoindre l’autre là où il se trouve. Par cette démarche d’identification, le

croyant accepte de se positionner sur un point de vue existentiel différent des normes de

son propre contexte286. C’est à ce prix qu’il verra des individus insensibles à l’Evangile

dans sa présentation actuelle devenir disciples de Jésus-Christ.

Cette œuvre est cependant périlleuse. Le plus grand risque d’une théologie

contextuelle est d’aboutir à un syncrétisme religieux287. La frontière entre contextualisation

et syncrétisme n’est pas toujours évidente à repérer. Reconnaître les croyances ou

pratiques incompatibles avec l’Evangile demande non seulement du discernement

qu’accorde l’Esprit mais encore une bonne connaissance du contexte local et de ses

enjeux. L’interprétation des Ecritures et l’herméneutique adoptée jouent ici un rôle capital.

Par ailleurs, insister sur le contexte pour rendre le message chrétien pertinent pour les

individus là où ils se trouvent peut conduire à un enfermement contextuel. Ce contexte

risque d’être élevé en norme en dehors de laquelle l’expression de la foi serait

inenvisageable. Le contexte ne doit pas être encensé ou idolâtré mais tenir sa place de

cadre d’expression de la théologie. Une théologie en contexte est indispensable alors

qu’une idéologisation du contexte serait regrettable288. Le contexte n’est qu’une norme

relative tandis que la Parole de Dieu est normative289. Ces théologies courent le risque de

devenir exclusives, séparées les unes des autres. Il convient donc de réaffirmer qu’il y

existe des traditions respectables vécues dans divers lieux de la planète, elles doivent être

acceptées et préservées. Toutefois, « tout en affirmant la nature essentiellement

contextuelle de toute théologie, nous devons en même temps soutenir que la théologie a

une dimension universelle qui transcende les contextes. La particularité ne signifie pas

285

Pour ces quelques mots sur l’Eglise et le monde nous nous sommes basées sur la réflexion de B. Oestreich sur le sujet. Cf. Bernhard OESTREICH « L’Eglise dans le monde », dans Comité de recherche biblique (éd.), L’Eglise de Jésus-Christ. Sa mission et son ministère dans le monde, vol. 2, Division eurafricaine, Dammarie-les Lys, Vie et Santé, 1993, p. 119-143. 286

David NEWMAN, « In Reaching the Lost. Anything Goes-Except », Adventist Today 20 (2012/1), p. 18-19. 287

Un syncrétisme irrecevable où les éléments fondamentaux de l'évangile seraient perdus et remplacés par des éléments religieux de la culture d'accueil. Cf. Reinder BRUINSMA, « Contextualizing the Gospel. Option or Imperative ? », Ministry Magazine 70, (1997/12), p. 16. 288

Jean-François ZORN, « La contextualisation », p. 186. 289

Ibid., p. 187.

49

l’isolement, toute théologie est un discours sur un message universel »290, celui du salut

en Jésus-Christ mort et ressuscité. L’Evangile transcende donc toutes les cultures et induit

une contextualisation toujours critique, c'est-à-dire respectueuse de la culture d’accueil

(identification) d’une part, et au clair quant à sa singulière différence (divergence)291

d’autre part.

Trois balises, que nous pouvons appeler « valeur chrétienne », peuvent servir de

repères dans une démarche de contextualisation de l’Evangile292 pour éviter les dangers

que nous avons signalés précédemment. Nous définissons ici une « valeur chrétienne »

comme le principe idéal dégagé des Ecritures auquel se réfère ceux qui confessent Jésus-

Christ pour fonder leur jugement et pour diriger leur conduite. Le principe est alors un

absolu qui ne connaît pas d'exception293. Les Ecritures restent donc la référence ultime

dans la démarche de contextualisation294.

1) Les valeurs chrétiennes universelles sont au cœur du christianisme et sont

appelées à être vécues par tous indépendamment des circonstances, du lieu, de la culture

ou du peuple d’appartenance. En les remettant en cause, on s’attaque au caractère

chrétien de la foi à partager. Nous repérons dans les Ecritures deux valeurs chrétiennes

universelles qui sont : a) la reconnaissance de Jésus-Christ comme Seigneur et Sauveur

exclusif de l’humanité. Seigneur parce que la Bible enseigne qu’en qualité de Fils de Dieu,

Jésus est l’incarnation de Dieu sur terre (Jn 1.1-18), il est son égal (Phil 2.6). Sauveur

puisque c’est lui qui, par sa mort et sa résurrection rend possible le salut que Dieu offre

gracieusement aux croyants (Rm 6.23). La valeur qui en découle conduira à une adoration

exclusive de Dieu (Père, Fils et Esprit) et à poursuivre l’idéal de vie fondé sur l’amour de

Dieu et du prochain enseigné par Jésus. b) l’attachement aux dix commandements qui

synthétisent fort bien ce principe d’amour pour Dieu et pour le prochain (Mt 22.34-40). Les

trois premiers commandements guident vers l’amour de Dieu, les six derniers éclairent sur

l’amour du prochain, le quatrième, celui du sabbat, fait la jonction entre les deux. Le

croyant est ainsi appelé à honorer Dieu et à manifester son amour pour ses

contemporains.

2) Les valeurs chrétiennes temporelles se basent sur des croyances et des

pratiques considérées comme absolues, mais uniquement pour une période limitée dans

290

David BOSCH, Dynamique de la mission chrétienne. Histoire et avenir des modèles missionnaires, Lomé, Paris, Genève, Haho, Karthala, Labor et Fides, 1995, p. 573-574. 291

Gottfried OOSTERWAL, « Le respect des cultures », p. 28. 292

Nous nous référons ici au travail de David Newman. Cf. David NEWMAN, « In Reaching the Lost », p. 18-19. 293

Nous nous basons ici sur la définition d’une valeur tirée du dictionnaire. Cf. « Valeur », Dictionnaire Hachette, Paris, Hachette, 2008, p. 1673. 294

Reinder BRUINSMA, « Contextualizing the Gospel », p. 16.

50

le temps. Les premiers chrétiens étant juifs, certains d’entre eux pratiquaient encore la

circoncision, ou gardaient comme idéal le contexte judéo-chrétien. Ainsi, les croyants de

Jérusalem ont eu de la peine à accepter la démarche de Pierre chez le Romain Corneille

puisque leurs valeurs les conduisaient à ne pas pénétrer dans la demeure d’un étranger

(Ac 10 et 11). Pareillement, durant les premiers siècles du christianisme, un ou deux jours

de jeûne préalable étaient exigés du catéchumène avant l’engagement baptismal295 ;

certaines professions étaient même considérées comme incompatibles avec la vie

chrétienne (soldat, acteur de théâtre, magistrat)296. Avec les siècles, les croyants

grandissent dans la compréhension des Ecritures et réexaminent leurs valeurs à la

lumière de leur étude et du discernement qu’accorde l’Esprit.

3) Les valeurs chrétiennes locales sont valables pour une région en particulier.

Elles correspondent à la culture locale et peuvent être considérées comme absolues dans

ce contexte. Ainsi, le type de liturgie pour l’adoration, les choix vestimentaires, la façon

d’observer le sabbat, caractérisent les chrétiens d’une région donnée sans pour autant

que ces marqueurs localisés aient vocation à s’appliquer de façon universelle. Force est

de constater que de nombreux conflits de valeurs dans les églises sont causés par la

volonté d’universaliser des valeurs chrétiennes locales.

Enfin, dans l’ensemble de cette démarche, il serait illusoire de penser qu’un seul

individu, fusse-t-il pasteur, puisse posséder à lui seul la sagesse, le discernement et

l’énergie pour mener à bien une œuvre de contextualisation. Avec la communauté des

croyants comme appui, une personne peut être le moteur du projet. En effet, l’Eglise en

tant que corps du Christ est qualifiée pour prier, soutenir, accompagner et conseiller une

telle entreprise297.

L’Eglise ne peut pas s’isoler et espérer accomplir sa mission dans le monde. Sa

vocation la conduit à porter un réel intérêt aux hommes et au contexte dans lequel ils

évoluent. C’est en contextualisant son message de salut qu’elle demeurera pertinente

pour ses contemporains. Cependant, cette entreprise ne se fait pas sans risques. Celui du

syncrétisme religieux et de la dissolution de l’Evangile dans le contexte est le plus grand.

Ce danger ne devrait pas conduire à l’attentisme mais à réfléchir au cadre de la

contextualisation et à ses limites. Ainsi les valeurs chrétiennes, universelles, temporelles

et locales nous semblent adéquates pour définir le cadre d’une démarche missiologique

avec les rastas.

295

Victor SAXER, « Culte et liturgie », dans Jean-Marie MAYEUR (éd.), Histoire du christianisme. Des origines à 250, Paris, Desclée, p. 454. 296

Ibid., p. 460. 297

Reinder BRUINSMA, « Contextualizing the Gospel », p. 16.

51

d) Orientation missiologique avec les rastas

L’orientation missiologique envisagée avec les rastas nous conduit à envisager une

théologie contextuelle en partageant sa foi tout en respectant le rasta dans son identité,

ses valeurs, son histoire et sa culture. Ce cadre posé, il est alors possible d’avancer dans

une confiance mutuelle, selon les limites qu’il convient de fixer en fonction des « valeurs

chrétiennes » repérées dans les Ecritures (ces valeurs qui sont par ailleurs une critique de

la culture rasta). Nous voulons ces limites à la fois stables et mobiles. Stables parce

qu’elles seront des frontières à respecter pour ne pas tomber dans un nouveau

syncrétisme irrecevable, mais mobiles parce que la rencontre et les échanges avec les

rastas enrichiront certainement le vécu de l’Evangile en apportant des éléments nouveaux.

Dans cette démarche, le croyant est constamment appelé par la prière et s’en remettre en

toute confiance à la direction de l’Esprit.

La théologie contextuelle se veut à la fois pragmatique et théorique. Il n’existe pas

de hiérarchie entre les deux mais une symbiose qui conduit à des pratiques, pas

seulement intellectualisées mais qualifiées par leur pertinence contextuelle et par leur

orthodoxie298. Cette approche, dans le cadre d’une théologie contextuelle permet : 1) de

rendre l’Evangile audible à des hommes et des femmes qui, à cause du « colonialisme

ecclésiastique», s’étaient fermés au message de Jésus-Christ. 2) d’ouvrir un chemin de

conversion permettant de sortir de l’ambigüité de la divinité d’Hailé Sélassié. 3) de

favoriser une nouvelle expression chrétienne, se traduisant dans un livity libéré des

normes occidentales mal perçues par les rastas. La contextualisation du message chrétien

pour les rastas trace un chemin dans lequel le contexte n’est pas idéalisé, mais où les

néo-chrétiens peuvent vivre librement en Jésus dans leur contexte sans en être

prisonniers. En effet, il nous semble capital de parvenir à un vécu où une véritable

métanoia (conversion) est expérimentée par le rasta converti, qui s’identifie désormais à

Jésus-Christ et se laisse transformer par sa vie et ses enseignements. Les différences

nationales et ethniques ne sont alors plus problématiques, le rasta peut rejoindre la

communauté des disciples où la diversité des identités culturelles est acceptée et reçue

comme la richesse de l’unité dans la diversité.299.

Conclusion du chapitre

Il est inconcevable de hiérarchiser les cultures ou les contextes, d’en considérer un

comme idéal ou meilleur que les autres300. Par conséquent, une démarche de dialogue

298

David BOSCH, Dynamique de la mission chrétienne, p. 570-571. 299

Gal 3.8 ; Ap 14.6. 300

Gottfried OOSTERWAL, « Le respect des cultures », p. 22.

52

missionnaire avec un rasta suppose de ne pas reproduire avec lui une acculturation

négative où le christianisme marqué par le contexte occidental serait proposé voir imposé

comme seul moyen d’adhérer à Jésus-Christ. Toutes les cultures sont susceptibles de

critiques et de changements. Quant à l’Evangile, il transcende toutes les cultures et peut

être contextualisé en toutes circonstances. La rencontre critique (identification et

divergence) de la Parole de Dieu et du contexte produira inévitablement une tension qu’il

faudra assumer sans rechercher in fine à imposer une résolution. L’expérience et la

réflexion théologique locales aboutiront à une situation nouvelle, certainement différente

des modèles européens et américains, peut-être unique par son expression mais toujours

exclusive quand à l’incarnation du Verbe en Jésus, seul et unique Seigneur et Sauveur

des hommes. La vocation de l’Eglise est bien là, s’intéresser avec respect aux individus

dans une démarche holistique qui englobe donc le contexte de vie.301 Le risque du

syncrétisme ou celui d’une idéalisation du contexte existe, mais ne peut conduire à

l’immobilisme. En cadrant la démarche de partage de la foi avec les valeurs chrétiennes,

universelles, temporelles et locales, il devient possible de partager le message chrétien

avec un rasta dans l’espoir de le voir vivre une authentique métanoia.

Le troisième et dernier chapitre de cette réflexion proposera donc, sur la base de la

compréhension du rastafari et du cadre missiologique de la contextualisation, une

approche concrète de partage de l’Evangile avec un rasta.

301

David NEWMAN, « In Reaching the Lost », p. 18-19.

53

Chapitre 3

54

3). Partage de l’évangile avec un rasta. Quelques pistes pratiques.

L’évangile se partage. Jésus invite ses disciples à prêcher son message de salut à

tous les peuples afin de faire de toutes les nations de nouveaux disciples302. Ce grand

mandat missionnaire conduit à ne négliger aucun groupe humain et à étudier tous les

moyens possibles pour participer efficacement à cette mission. La contextualisation telle

que définie et délimitée dans le chapitre précédent paraît être un paradigme pertinent pour

communiquer l’Evangile et partager la foi chrétienne adventiste avec un rasta dans le

respect de sa culture.

Cette contextualisation induit une rencontre critique de la Parole de Dieu et du

contexte pour aboutir à une nouvelle situation. Elle passe donc par une immersion dans la

culture d’accueil pour en saisir l’essence et parvenir à une identification avec celle-ci.

Cette identification est importante car, sans elle, la critique de la culture rasta serait

déséquilibrée et perçue comme acculturante303. En effet, l’immersion dans le rastafari ne

se fait pas au détriment d’un regard lucide quant aux divergences d’avec la foi chrétienne.

Le premier chapitre a fourni les données théoriques permettant de comprendre le rastafari.

La relation humaine nouée avec les rastas pourra être plus respectueuse de cette culture

et des individus qui la vivent. Ce troisième chapitre se propose d’exposer les modalités

pratiques de cette rencontre entre la Parole et le monde rasta dont le chrétien peut être le

relais. Nous commencerons donc par émettre, à la lumière des Ecritures (la référence

ultime), une critique du rastafari en repérant les points d’identification et de divergence

avec le christianisme. En second lieu, après avoir envisagé les éléments de convergence

qu’aura fournis la critique, nous essayerons de répondre à la question décisive : peut-on

être rasta et chrétien ou est-ce radicalement incompatible ? Ce sera alors le moment de

proposer un modèle de contextualisation de l’Evangile pour et avec les rastas.

a) Critique de la culture rasta. Identification et divergences.

Les principes fondamentaux d’amour du prochain, de dialogue et d’écoute sont

indispensables pour parvenir à une relation respectueuse, franche et honnête. L’amour se

manifeste par la recherche du bien-être présent et futur de l’autre. Il suppose la possibilité

de partager avec lui un chemin où les individus s’enrichissent mutuellement et font preuve

de patience et de tolérance face à la différence. Le dialogue et l’écoute conduisent à

s’ouvrir aux besoins de l’autre, à mieux comprendre sa culture pour en apprécier la valeur.

Ils permettent de dépasser la peur de l’inconnu et font naître l’amour, la sympathie et la

302

Mt 28. 16-20 ; Ap 14. 6. 303

Gottfried OOSTERWAL, « Le respect des cultures », p. 28-29.

55

confiance mutuelle. Ce sont là les pré-requis pour une critique de la culture rasta à la

lumière des Ecritures et de l’Esprit304. Cette critique se déploie sur deux pôles qui sont :

l’identification au contexte et les divergences repérées dans celui-ci. En présentant ces

axes, nous ne prétendons pas proposer une formulation exhaustive. Nous relevons ce qui

semble constituer l’essentiel de la critique du rastafari, croyant que l’étude de ce contexte,

guidée par Dieu, pourrait faire apparaître de nouveaux éléments.

Identification au rastafari

L’identification est l’espace où le chrétien adventiste peut rejoindre le rasta dans sa

foi et son style de vie sans se renier ses propres convictions.

Le rasta est religieux, manifestant un grand intérêt pour Dieu et son œuvre. Il n’a

pas de réticence à recevoir un Dieu qui s’incarne dans la réalité humaine pour lui venir en

aide. Ainsi, certains (l’organisation des Douze tribus d’Israël) reconnaissent sans difficulté

Jésus-Christ comme le Seigneur et Sauveur des Hommes.

Le rasta aime sa Bible, observe les dix commandements, y compris le quatrième. Il

se réfère généralement aux Ecritures pour justifier ses choix de vie, bien que, comme

nous le verrons dans les éléments de divergences, quelques aspects de sa relation aux

Ecritures soient problématiques. A certains égards, le rasta ne met pas d’obstacle à

l’actualisation du message biblique comme en témoigne son identification aux Israélites

déportés à Babylone. Le conflit entre le bien et le mal dans le monde ne fait aucun doute à

ses yeux. Le rasta symbolise cette lutte par l’opposition eschatologique entre Sion, la cité

de Dieu et Babylone, la terre de confusion. Cette dernière est pour lui l’emblème du mal

encore à l’œuvre aujourd’hui et dont il se sépare, en dénonçant ses pièges par une lutte

pacifique.

A l’exception de quelques groupes marqués à leur genèse par un message raciste

et parfois violent, le rastafari propose un message universel de paix et de non violence

exprimé par l’expression populaire chez eux : One Love.

A l’image de ses impressionnantes dreadlocks, le rasta souhaite s’engager

visiblement pour Dieu et pour le Christ. Il ne conçoit pas une adhésion à la foi qui ne soit

pas visible. Il se consacre donc à son Seigneur et l’exprime par son vœu de naziréat. Pour

lui, le corps est le temple d’un Dieu qui peut vivre en l’homme ; l’expression I and I

verbalise sa croyance d’une relation possible entre le divin et l’humain. Cette même

expression parle également de la solidarité nécessaire entre ceux qui partagent la même

foi et la même volonté de se consacrer à Dieu. Le titre Ras qu’il adopte en préfixe d’un 304

Avec ces principes d’amour, de dialogue et d’écoute, nous synthétisons les éléments fondamentaux de l’évangélisation selon Albert Wellington et Carlos Ham. Cf. Albert WELLINGTON, Pour une espérance commune. Comment faire part de sa foi en Christ à un ami juif, Collonges-sous-Salève, Faculté adventiste de théologie, 1982, p. 7. Cf. Carlos HAM, « Evangéliser à la manière du Christ », p. 90-94.

56

nom nouveau où apparaît parfois l’abréviation Jah, témoigne de la valeur qu’il accorde à

son statut d’enfant de Dieu et de l’union qu’il veut vivre avec le divin.

Le rasta accorde une grande attention à son corps en veillant à consommer une

nourriture saine et à pratiquer régulièrement une activité physique. Généralement

végétarien, il s’abstient d’alcool ou de drogue305 considérés comme néfastes et

destructeurs. Son respect de la nature le pousse à la préserver et à préférer un

environnement de vie plutôt rural qu’urbain.

Enfin, le dreadtalk manifeste sa capacité d’innovation et la mobilité de son livity

démontre son ouverture au changement.

Cet espace d’identification est précieux dans la démarche de contextualisation. Il en

ressort que, pour le chrétien adventiste, les possibilités de rejoindre le rasta dans son

quotidien sont nombreuses.

Divergences entre rastafari et christianisme adventiste

Les divergences entre rastafari et christianisme se repèrent dès que des principes

du livity sont en contradiction avec l’enseignement que nous recevons des Ecritures

notamment ses valeurs universelles. Ce travail de critique ne qualifie pas le chrétien pour

juger306 l’individu rasta car il partage avec lui les faiblesses d’une humanité pécheresse.

Le chrétien ne perdra pas de vue qu’il porte un regard critique, à la lumière des Ecritures

et de l’Esprit, sur un mouvement religieux, dans le but de communiquer l’Evangile.

Le terme rastafari exprime, comme nous l’avons signalé dans les sections

précédentes, le choix fait par ceux qui adhèrent au mouvement, d’honorer Ras Tafari

Makonnen (Hailé Sélassié Ier) comme incarnation du divin, ou, selon les variantes du livity,

comme un personnage d’une grande valeur pastorale. Le mot rasta est l’abréviation de

Ras Tafari ; il permet ainsi au croyant de manifester, son allégeance à Hailé Sélassié ou

de montrer la très haute estime qu’il lui accorde. L’approche contextuelle précédemment

définie n’est concevable que dans une interprétation exclusive du Christ, unique

incarnation de Dieu sur terre dans la personne de Jésus de Nazareth. La divinité d’Hailé

Sélassié Ier est donc la principale divergence entre rastafari et christianisme. Quant à

l’approche qui perçoit le Négus comme un personnage non divin mais de haute estime,

elle est tout à fait acceptable. Cependant, elle semble quelque peu démesurée et dépasse

la simple estime, dans la mesure où le mouvement adopte le nom d’un « pasteur ». Aussi

grand soit-il, il ne peut-être supérieur au bon berger, Jésus-Christ, qui devrait-être le seul à

marquer par son nom l’identité du croyant.

305

Si l’abstinence d’alcool est en lien avec son vœu de naziréat, le rasta n’envisage pas le cannabis comme une drogue. 306

Carlos HAM, « Evangéliser à la manière du Christ », p. 97-98.

57

La réception de la Bible par le rasta révèle une autre différence importante entre lui

et le chrétien adventiste. La lecture sélective adoptée par le mouvement, la croyance en

une corruption du texte à des fins esclavagistes ou colonialistes et la possibilité d’ajouter

aux Ecritures d’autres livres dits sacrés sont autant de points où rastas et chrétiens

divergent. Le principe du sola scriptura est clairement remis en question par le rastafari ce

qui sous-entend que Dieu ne serait pas en mesure de veiller sur sa Parole à travers les.

âges

L’afrocentrisme rasta appliqué non seulement à l’interprétation des Ecritures mais

encore à l’ensemble de la vision rastafari du monde est plutôt de nature à cloisonner les

individus. Idéalisée, l’identité africaine est élevée en norme laissant penser que la foi ne

pourrait s’exprimer correctement que dans ce contexte. L’afrocentrisme rasta a conduit à

des positions extrêmes, à l’image de certains discours exclusifs et racistes tenus par des

rastas d’ordres radicaux comme celui des Bobo Dread.

Conséquence de la lecture sélective des Ecritures et de l’idéologisation du contexte

africain, la notion de salut chez les rastas ne s’envisage ni par une adhésion à la personne

de Jésus-Christ, ni dans un paradis céleste où le croyant irait après sa vie terrestre. C’est

sur cette terre et maintenant, et non dans une hypothétique vie après la mort, que le rasta

envisage généralement son salut. Il doit pour cela s’émanciper de tout esclavage physique

mais surtout mental et se battre (pacifiquement) pour ses droits afin de parvenir d’une

manière ou d’une autre au retour en Afrique (physiquement ou symboliquement)307. Cette

approche s’apparente à un salut par les œuvres bien loin de la grâce offerte par Dieu en

Jésus-Christ.

La consommation de cannabis est également un sujet sensible dans le partage

avec un rasta. Si la ganja est fréquemment considérée comme un élément cultuel

indispensable à la relation entre Jah et son adorateur, il serait cependant inconcevable

pour un chrétien de partager un chalice pour rejoindre un rasta dans sa culture. La

dangerosité de cette consommation, bien que discutée encore par certains spécialistes308,

ne fait guère de doute dès lors qu’elle affecte la lucidité et les capacités sensorielles et

intellectuelles de l’être humain.

307

Dans sa chanson Get up Stand up, Bob Marley exprime cette approche où le salut n’est pas à envisager dans l’avenir post-mortem mais dans le présent, ici et maintenant. Nous synthétisons ci-après ce qu’il dit : « La plupart des gens pensent que le bon Dieu viendra du ciel et fera que tout le monde se sente bien […] Prêtre ne me dit pas que le paradis est sous terre. […] Nous avons marre et sommes fatigués de vos jeux de cons pour mourir et aller au paradis au nom de Jésus. […] Je sais que tu ne sais pas ce que vaut la vie, mais si tu savais ce que vaut la vie tu chercherais les tiens sur terre […] Et nous savons et comprenons que le Dieu tout puissant est un homme vivant (Hailé Sélassié) aussi maintenant que tu vois la lumière lève toi et bats toi pour tes droits ». Cf. Bob Marley and the Wailers, « Get up Stand up », Album Burnin, Island Records, 1973. 308

Le cannabis est toléré dans certains pays de l’union européenne comme la Hollande et dans une dizaine d’Etats aux Etats-Unis d’Amérique.

58

Enfin, la mobilité du livity rasta ne permet pas une définition claire des croyances

qui sont modulables selon chaque individu. La foi ainsi personnalisée rend difficile

l’adhésion à une communauté partageant les mêmes croyances. C’est ainsi que de

nombreux rasta n’adhèrent à aucun des ordres rastafaris et préfèrent une expression

individuelle de leur foi. La Bible utilise cependant l’image du corps pour parler du

rassemblement des croyants en une communauté dirigée par une tête, le Christ. Riche de

divers organes mais tout de même uni, ce corps démontre sur terre la sagesse de Dieu

(Ep 3.10), proclame ses louanges et appelle l’humanité au salut (1 Pi 2. 9).

Les divergences entre rastafari et christianisme sont réelles, tout aussi nombreuses

que les éléments d’identification. Elles ne devraient toutefois pas représenter une barrière

infranchissable entre rastas et chrétiens. En effet, aborder sereinement ces sujets difficiles

devient possible si les principes d’amour, de dialogue et d’écoute guident la démarche et

si, au préalable, une identification au rastafari est vécue par le chrétien.

b) Rasta et/ou chrétien ?

Convergences entre rastafari et christianisme

Les points de divergence entre rastafari et christianisme ne peuvent être ignorés. Ils

entreront dans la démarche de contextualisation au moment voulu. Par contre les

éléments positifs du rastafari peuvent servir de point de convergence avec le christianisme

adventiste. A la lumière de la critique du mouvement, il semble évident que des ponts

peuvent être construits entre les deux cultures religieuses afin de vivre un enrichissement

mutuel et de permettre aux rastas d’expérimenter, par l’œuvre de l’Esprit, un chemin de

conversion et d’adhésion exclusive à Jésus-Christ.

Rasta et adventiste sont d’accord pour accepter l’image du corps humain comme

temple de l’Esprit, digne d’être entretenu avec le plus grand soin. Le régime végétarien

adopté par les rastas est également celui prôné par l’Eglise adventiste dans le but de

préserver au mieux la santé. Rasta et adventiste peuvent donc aisément échanger et

s’accorder sur ce thème pour s’enrichir ainsi mutuellement sur leur pratique du

végétarisme309. Le sujet peut être élargi à une approche holistique de la santé qui englobe

non seulement la nourriture mais encore l’activité physique, le respect et la valeur de la

nature, et la spiritualité. Ce dernier point d’ouverture peut donc être l’occasion d’aborder la

relation personnelle du croyant avec Dieu. Pour le rasta comme pour l’adventiste cette

relation est possible. Elle est même indispensable à l’équilibre de l’être humain qui n’existe

que par la volonté d’un Dieu vivant qui désire cette relation. Il invite donc l’homme à la 309

Tous les adventistes ne sont pas végétariens. Cet espace d’échange est donc surtout disponible pour les adventistes qui adoptent ce régime alimentaire. Par ailleurs, nous relevons qu’à la Martinique, les entreprises de restauration végétarienne sont essentiellement tenues par des adventistes ou par des rastas.

59

vivre pleinement. Un disciple secret est par conséquent difficilement envisageable dans

les deux confessions. Le rasta porte fièrement ses locks comme signe de consécration à

Jah et affirme par le préfixe Ras qu’il aime se donner, sa filiation avec le divin négus. De

son côté, l’adventiste exprime son alliance au Christ, non seulement dans sa pratique du

baptême mais encore par les choix qu'il faits et qui découlent de son engagement avec

Dieu. Il reste par ailleurs conscient de la valeur de son statut de fils ou fille du grand Roi.

La Bible est au centre de la vie du rasta et du chrétien engagés ; bien que sur ce point des

variantes importantes existent. Les rastas lisent la Bible, s’y réfèrent et s’identifient au

peuple de Dieu dans l’A.T. Le rasta prend donc fermement position pour Dieu et sa cité

dans le conflit qui l’oppose aux forces du mal symbolisées par Babylone. Les différences

sont sensibles par rapport à l’approche adventiste. Toutefois, il est possible de rejoindre le

rasta dans son amour des Ecritures et dans sa démarche d’actualisation du texte,

puisqu’elle contribue à en faire une Parole vivante encore aujourd’hui. L’herméneutique

rasta des Ecritures conduit le mouvement à proposer une contre-culture à la culture

mondaine rebelle à Dieu. Sur d’autres points, notamment sur ses positions éthiques et

morales, mais aussi en annonçant la chute de Babylone dans le message des trois anges

d’Ap 14, l’adventisme s’inscrit également dans cette contre-culture. Sa volonté de fidélité

au sabbat et aux commandements de Dieu le rapproche encore du rastafari qui y accorde

également une grande importance.

Les principes d’amour et de paix intrinsèquement liés aux cultures chrétiennes et

rastas sont des passerelles supplémentaires entre les deux mouvements. Là encore une

définition précise de ces principes risque fort de faire apparaître quelques différences de

conception de l’amour et de la paix. Cependant, la démarche présente vise en premier lieu

à rapprocher les individus afin qu’ils partagent dans un espace d’échanges dépassionnés,

des expériences, des points de vue, un vécu indispensable à une authentique relation

humaine.

Ces points de convergences sont donc autant de ponts, d’ouvertures et de

rapprochements possibles, sans polémique, entre rasta et chrétien adventiste. En fin de

compte, chacun découvrira que les différences ne sont pas des barrières à la relation alors

qu’une considération trop rapide aurait conduit au cloisonnement. Cet espace ouvert pour

un réel partage débouche généralement sur une amitié authentique et désintéressée, ou

consolide un lien amical préexistant. Ce lien est appelé à perdurer indépendamment de la

suite de la démarche de contextualisation. L’Evangile est ainsi rendu audible pour une

population qui s’en était coupée par réaction aux approches malheureuses des missions

60

chrétiennes du passé. Le chrétien devient ici le canal d’un message de salut310.

Cependant, un pont peut s’emprunter dans les deux sens ; il est donc capital pour celui qui

entame cette démarche de contextualisation d’être solidement enraciné dans sa foi au

Seigneur Jésus. En effet, les différences majeures qui existent entre les deux

mouvements, conduisent à poser la question de la possibilité d’une foi bipolaire,

chrétienne et rastafarienne. En d’autres termes, peut-on être rasta et chrétien ou faut-il

choisir entre les deux dénominations ?

Rasta et/ou chrétien ?

Bien que les différences n’empêchent pas le partage, celles qui touchent à

l’adoration et la foi ne peuvent laisser insensible le chrétien convaincu que Jésus-Christ

appelle tous les êtres humains à lui pour offrir gracieusement son salut éternel. Persuadé

que cette œuvre de contextualisation est aussi celle de l’Esprit, conscient que sa

puissance touche les cœurs et conduit à la métanoia, il appartient au chrétien engagé

dans cette démarche d’envisager dans quelle mesure la rencontre entre la Parole de Dieu

et le contexte rasta peut se vivre sans confusion.

Nous l’avons dit précédemment, le terme « rastas » désigne ceux et celles qui

honorent Hailé Sélassié, soit comme incarnation de Dieu sur terre, soit comme un homme

de très grande valeur. Ils portent ce nom, abréviation de celui de l’empereur avant son

couronnement, comme une allégeance au négus dans les cas extrêmes, ou, au minimum

comme un fort marqueur identitaire de la culture afro-caribéenne. Le terme « chrétien »

signale par contre un individu qui honore le Christ manifesté exclusivement dans la vie et

le ministère de Jésus de Nazareth. Il y a donc un conflit d’allégeance si on associe les

appellations de rasta et chrétien. Selon les valeurs chrétiennes universelles qui cadrent la

démarche de contextualisation, il n’est pas concevable de recevoir à la fois Jésus et Hailé

Sélassié comme incarnation du Christ sur terre. Si le nom rasta véhicule la théologie de la

divinité de l’empereur d’Ethiopie, il ne peut s’associer à celui de chrétien ; c'est un

syncrétisme inacceptable. Si Hailé Sélassié est reçu comme un guide pour l’Afrique et sa

diaspora comme le conçoit notamment l’ordre des Douze tribus d’Israël, l’expérience

montre que la confusion demeure quant à la place à réserver à Tafari Makonnen. Ainsi

certains membres des Douze tribus tentent de corriger cette situation avec plus ou moins

de succès311. La formulation typique de cette communauté très proche du christianisme312

induit cette confusion et conduit même, à travers les diverses influences acceptées dans

310

Carlos HAM, « Evangéliser à la manière du Christ », p. 98-99. 311

Cf. note n° 217. 312

« Salutations au nom de Jésus-Christ, qui s’est Lui-même révélé à nous, à travers la personnalité de Sa Majesté Impériale l’Empereur Hailé Sélassié I

er».

61

l’ordre, à concevoir une réincarnation de Jésus-Christ en Hailé Sélassié.

Il apparaît résolument infructueux de vouloir associer rastafari et christianisme.

C’est la personne de Jésus-Christ et le témoignage qu’en donnent les Ecritures qui sont

décisifs dans ce cheminement contextuel. Affirmer cela ne met pas un point final au

partage et à l’accompagnement d’un rasta vers l’adoration exclusive et sans confusion du

Christ. Une théologie contextuelle se démarque d’une universalisation impérialiste mais

conserve l’universalité du Salut en Jésus313. Elle tend vers une réalisation nouvelle, fruit

de la rencontre entre la Parole et le contexte. Il est alors possible d’envisager une

expression chrétienne de l’Evangile dans un livity s’identifiant désormais à Jésus-Christ.

La vie et les enseignements du Maître transforment l’individu, ne gomment pas sa

singularité mais ne l’enferment pas non plus dans son contexte. Cette démarche de

contextualisation permet donc de proposer, au vu de l’expérience locale antillaise et de la

réflexion théologique (dans une certaine mesure autonome), une nouvelle expression de

la foi chrétienne pour un ancien adepte du rastafari dans les Caraïbes. On ne parlerait pas

alors de rasta chrétien, syncrétisme irrecevable ou source de confusion regrettable, mais

de nazir chrétien.

c) Le nazir chrétien adventiste du septième jour. Un modèle de

contextualisation de l’Evangile pour et avec les rastas.

L’œuvre de conversion d’un individu dépend de la volonté de celui-ci à se laisser

persuader par l’Esprit de Dieu. Convaincu par lui, sensibilisé par le témoignage chrétien

auquel il a désormais un accès direct par son ami adventiste, confronté également au

témoignage des Ecritures sur le Christ, il répondra (nous l’espérons) positivement à l’appel

au salut adressé par Dieu. Ce salut s’adresse à tous les êtres humains et n’est possible

que grâce à Jésus-Christ et à une adhésion personnelle au Seigneur et Sauveur. Cet

engagement aboutira également à l’adhésion au corps du Christ (la communauté de foi) et

à servir dans le monde en disciple du Maître314. La contextualisation de la Bonne Nouvelle

donne la possibilité au croyant de participer à cette belle œuvre en favorisant (par la grâce

de Dieu) une expression de la foi dans le respect de l’identité culturelle. Un rasta

accompagné dans un chemin de conversion a donc la possibilité de vivre sa foi sans subir

l’universalisation d’un mode d’expression de la foi. Le vœu de naziréat qui lui est si cher

313

Jean-François ZORN, « La contextualisation », p.174-175. 314

Carlos HAM, « Evangéliser à la manière du Christ », p. 83.

62

pour exprimer sa consécration à Dieu et son identité afro-caribéenne peut devenir une

interface à partir de laquelle la contextualisation pour et avec les rastas se développe315.

Perspective biblique du vœu du naziréat316.

La racine nzr à l’origine des mots nazir et naziréat se trouve dans presque toutes

les langues sémitiques. Le verbe nzr signifie : « se séparer, se consacrer, s’abstenir ». Le

nom nezer, se rencontre vingt-quatre fois dans l’AT et désigne la « consécration » d’un

individu (Jg 13.5, 7 ; Lév 21.12) ou un « diadème », celui du roi (2 S 1. 10) ou encore du

grand-prêtre (Lév 8.9). Nazir, apparaît seize fois notamment pour désigner « le

consacré », « le nazir » (Nb 6.13)317. Le naziréen ou nazir est celui qui fait vœu de

naziréat par lequel il s’engage volontairement à se mettre à part pour Dieu, à se consacrer

à lui d’une manière spéciale, pour un certain temps. Les modalités de ce vœu se trouvent

dans Nb 6.1-21. Il apparaît toutefois que ce texte du Pentateuque, selon sa façon de

traiter le sujet (v.2), codifie une institution bien plus archaïque que la période de l’Exode318.

Trois obligations ressortent de la loi pour définir le naziréat qui peut concerner l’homme et

la femme. 1) L’individu s’abstient totalement de vin et de tout produit de la vigne mais

également de toute boisson alcoolisée (Nb 6.3-4). Cette interdiction va plus loin que celle

imposée aux prêtres319. Elle censure pour le nazir « les jouissances sensuelles » qui

détournent de Dieu, symbolisées par la culture de la vigne présente dans la société

sédentaire (Os 3. 1). Le nazir est ainsi conduit à une vie de simplicité et de pureté

morale320. 2) Contrairement à un usage visiblement courant de cheveux courts,

notamment pour les hommes, le nazir les laisse pousser librement. Cette chevelure

signale, à l’image du diadème sur le turban du grand-prête321, la consécration du naziréen

à Dieu (Nb 6.5, 7). Elle est également le signe de la « plénitude de la vie naturelle qui doit

être consacrée à Dieu sans que l’homme ne la mutile ou la déforme »322. Le nazir

développe tout son potentiel de vie pour Dieu. 3) Comme le grand-prêtre (Le 21.10-11), il

315

Nous précisons que le vœu de naziréat est une interface pour le développement de la contextualisation mais n’est certainement pas la seule. Nous avons choisi pour ce travail de développer cette option. 316

Nous traçons ici les grandes lignes pour une vue d’ensemble du vœu du naziréat. Nous restons cependant conscients qu’il faudrait d’une analyse bien plus poussée pour en dégager toute la signification. 317

G. MAYER, « nzr, nezer, nazir », dans Johannes BOTTERWECH, Helmer RINGGREN, Heinz-Josef FABRY (éd.), Theological Dictionary of the Old Testament, vol. 9, Grand Rapids, William Eerdmans, 1998, p. 307-308, 311. 318

Ainsi cette même racine nzr apparaît en Dt 33. 16 pour parler de Joseph, séparé de ses frères ou consacré parmi eux. Cf. A. A MACRAE, « Nombres », dans D.GUTHRIE, J. MOTYER, A. STIBBS, D. WISEMAN (éd.), Nouveau commentaire biblique, Saint-Légier, Emmaüs, 1978, p.183-184. 319

L’abstinence d’alcool pour le sacrificateur n’est valable que pour le temps de l’exercice de sa fonction. Cf. Lé 10.9. 320

La Bible annotée. AT 2 Lévitique Nombres Deutéronome, Saint-Légier, Emmaüs, 1981, p. 156. 321

Le nom nezer est utilisé en Ex 29. 6 pour désigner l’insigne de consécration du grand-prête posé sur son turban où est inscrit : « consécration à l’Eternel ». 322

La Bible annotée, p. 156.

63

évite scrupuleusement tout contact avec une personne décédée, même s’il s’agit de ses

parents, père ou mère (Nb 6.6-8). Une violation, même involontaire, de cette prescription

rend le vœu caduc et le naziréen rituellement impur. Dans ce cas, outre les offrandes pour

sa purification, il se coupe les cheveux, mais peut ensuite se consacrer à nouveau. La fin

du naziréat est publique. A l’entrée de la tente de la Rencontre, le nazir se rase la tête,

met au feu ses cheveux (qui pourraient être un sujet de gloire personnelle) et apporte

différents sacrifices, animaux et végétaux.

Outre ces mentions légales de Nb 6, les personnages signalés comme nazir dans

l’AT, le sont pour des consécrations extraordinaires : Samson, est « nazir de Dieu » dès

avant sa naissance et jusqu’à sa mort (Jg 13. 1-7) ; il en est de même pour Samuel,

consacré nazir par sa mère avant sa venue au monde et pour tous les jours de sa vie (1 S

1.11). Après la période des Juges, une seule mention du naziréat apparaît, en Am 2. 12

où les nazirs sont mentionnés aux côtés des prophètes. Dans la littérature

intertestamentaire, il est fait mention d’un certain nombre de naziréens, qui, après les jours

de leur vœu, se tiennent prêts pour la guerre (1 Macc 3. 49). Dans le NT, on peut

reconnaître dans les recommandations faites à la mère de Jean-Baptiste avant sa

naissance (Lc 1. 15), les prescriptions d’un vœu de naziréat. Par ailleurs, l’institution a

certainement perduré quelque temps avec le christianisme primitif : Paul achève

probablement son naziréat à Cenchrées (Ac 18.18) et s’acquitte de la partie rituelle avec

quatre nazirs chrétiens membres de l’Eglise de Jérusalem (Ac 21. 23-26). Enfin, la

tradition chrétienne rapportée par Eusèbe, mentionne que Jacques, le frère du Seigneur et

chef de l’Eglise de Jérusalem était également un naziréen323.

Le naziréat est biblique et se retrouve tant dans l’AT que dans le NT. Il désigne la

démarche d’un individu qui se sépare de ses congénères. Il ne le fait pas pour mener une

vie d’ascète, mais pour exprimer dans la communauté sa fidélité à Dieu324. Les

prescriptions du vœu concernant les abstinences et les règles de purification sont plus

rigoureuses pour le nazir que pour les autres personnes. C’est donc un vœu qui ne se

formule pas à la légère. Sauf cas exceptionnel, la période de naziréat est limitée dans le

temps, et conduit le nazir dans une vie de simplicité, où ses cheveux ne sont pas un sujet

de gloire personnelle ou un effet de mode, mais l’expression de sa mise à disposition pour

l’œuvre de Dieu. Le nouveau chrétien, ancien rasta, pourrait donc vivre sa nouvelle foi en

323

« Le frère du Seigneur, Jacques, reçut l’administration de l’Eglise avec les apôtres. […] cet homme fut sanctifié dès le sein de sa mère ; il ne but ni vin, ni boisson enivrante ; il ne mangea rien qui eût vécu ; le rasoir ne passa pas sur sa tête ». Cf. Eusèbe de CESAREE, Histoire ecclésiastique Livre II, 23.4-5. En l’absence d’information biblique et de recoupement avec d’autres historiens sur le naziréat de Jacques, il convient de rester prudent quant à cette affirmation. 324

J-C RYLAARSDAM, « Nazarite », dans Emory BUCKE (éd.), The Interpreter’s Dictionary of the Bible. An Illustrated Encyclopedia, Nashville, Abingdon, 1962, p. 526.

64

sachant qu’il a la possibilité de vivre en « nazir chrétien » adventiste du septième jour. Par

son baptême, il exprime déjà sa volonté de se consacrer exclusivement à Jésus-Christ. Le

choix d’un vœu de naziréat et les dreadlocks qui l’accompagnent participerait à l’adhésion

de l’ancien rasta à Jésus dans le respect de sa culture. Il reste primordial cependant que

le nazir adventiste intègre l’idée que son identité ne se trouve pas dans ses cheveux mais

en Jésus qui façonne son caractère à l’image du sien.

Le nazir chrétien

En s’appuyant sur les points de convergence entre rastafari et christianisme

adventiste, il devient possible d’orienter le partage avec le rasta dans la perspective

christocentrique d’un naziréat chrétien. La beauté du caractère de Jésus et de son

message présentée selon ses modalités de valeurs universelles, temporelles et locales

peut, avec l’aide de l’Esprit, décider un rasta à choisir une vie nouvelle en Christ. Les

points de divergence se révèleront alors sous un éclairage nouveau, celui de l’Esprit de

Dieu qui convainc personnellement de péché et conduit à l’abandon des erreurs. Il ne

serait alors pas incohérent qu’un rasta, converti et engagé pour le Christ dans la

perspective d’un naziréat chrétien, puisse couper ses dreadlocks formées durant sa

période dédiée à Ras Tafari Makonnen et pas nécessairement vécues selon les

prescriptions de Nb 6. En faisant table rase de sa consécration mal orientée vers Hailé

Sélassié, il manifesterait, par son baptême et la coupe de ses cheveux, un nouveau

départ, une nouvelle vie dédiée désormais à Jésus de Nazareth. Dans son vécu post-

baptismal, rien ne s’oppose alors à la formulation du vœu biblique du naziréat. Toutefois,

celui-ci n’est pas indispensable. Comme nous l’avons mentionné, ce vœu ne remplace

pas le baptême. Il est évident que celui-ci lui est supérieur, d’autant plus qu’il est déjà

compris comme la consécration totale d’un individu à Jésus-Christ. L’engagement dans le

naziréat peut être l’occasion d’une cérémonie publique de même que la fin de la période

de nazir. Pour les raisons que nous avons signalées, il ne conviendrait pas d’organiser

simultanément la consécration baptismale et celle du naziréat. Puisque cette dernière

n’est qu’optionnelle, elle peut avoir lieu quelques temps après le baptême. Le naziréat est

une possibilité pour l’expression de la consécration au Christ. Dans cette perspective, ce

vœu permet une approche inclusive de la prédication de l’Evangile, sans toutefois se

démarquer des Ecritures. Hormis les trois prescriptions mentionnées en Nb 6, la Bible ne

donne pas de modalités particulières pour l’expression de la consécration naziréenne. Le

nazir chrétien, sur cette base pourrait manifester sa consécration dans un ministère

65

artistique, de direction d’une communauté, de prédication, ou d’évangélisation325. Il

appartient donc à chaque nazir d’évaluer dans quelle mesure il contribuerait par son

engagement à l’avancement de l’œuvre de Dieu.

Une communauté de nazirs chrétiens adventistes en relation avec les Eglises

traditionnelles.

La contextualisation du message chrétien pour et avec les rastas ne devrait pas

aboutir à l’isolement des nouveaux naziréens vivant leur foi en dehors de toute

communauté. Il est donc important de penser à leur communion avec l’Eglise locale, qui,

dans l’idéal, aura soutenu la démarche contextuelle.

Comme nous l’avons dit précédemment, un individu ne devrait pas s’engager seul

dans une telle entreprise qui réclame l’appui de l’Eglise. Un petit groupe de deux ou trois

personnes connaissant le rastafari au-delà des clichés populaires, ou, eux-mêmes anciens

rastas, peuvent entamer une démarche de contextualisation en faveur de ce public, en

commençant par leurs amis présents dans ce mouvement. Pour débuter, un ou deux

rastas volontaires et ouverts à l’échange suffiraient à créer la dynamique nécessaire pour

la rencontre critique de la Parole de Dieu et du contexte rasta. Des thèmes de nature à

favoriser le partage entre chrétiens et rastas devraient être privilégiés dans un premier

temps. Des sujets tels que « L’alimentation végétarienne, facteur favorable de santé

globale », « relation entre respect de la nature et création », ou plus directement

scripturaires comme « le vœu de naziréat selon la Bible », « l’Afrique dans les Ecritures »

ou « la malédiction de Cham, vérités et mensonges » susciteraient certainement l’intérêt.

Ces thèmes sont d’une grande richesse pour le partage et susceptibles d’intéresser un

rasta car ils font partie de ses centres d’intérêts. Les rencontres se déroulant dans un

foyer ou un ghetto rasta326, ce noyau naissant deviendrait alors la base de la nouvelle

communauté. Celle-ci serait plus à même de comprendre et d’accepter le naziréat chrétien

d’un individu qui, abandonnant sa croyance que Tafari Makonnen est Dieu, reçoit Jésus-

Christ comme son unique Seigneur et Sauveur.

Si la perspective théologique d’un naziréat chrétien ouvre les portes d’un chemin de

conversion pour le rasta, plusieurs éléments de cette culture familière au néo-chrétien

pourraient se retrouver dans la nouvelle communauté nazir. Des codes vestimentaires

plus en phase avec l’identité afro-caribéenne revendiquée par les rastas remplaceraient

325

A défaut d’une étude exégétique et systématique complète sur le naziréat, nous proposons tout de même une actualisation du vœu. Les prescriptions de Nb 6 restent succinctes et nous restons conscients que l’absence de précision biblique sur un sujet n’autorise pas toute interprétation ni toute actualisation. 326

Les rastas expriment par le mot ghetto, l’espace qu’il aménage à la campagne ou en forêt, loin de la ville et où ils vivent ou se retrouvent pour leurs activités musicales ou cultuelles. Ces ghettos sont certainement une pratique empruntée aux Eglises africaines indépendantes sionistes.

66

ceux des Eglises traditionnelles habituées à la cravate et au costume (pour les hommes)

comme marques de révérence et de respect envers Dieu. La musique d’adoration et la

liturgie s’adapteraient également à la culture rasta proche des sensibilités afro-

caribéennes. Les tambours rythmeraient les chants d’adoration et le culte trouverait une

nouvelle forme327.

Si la Bible reste la référence ultime dans la communauté des naziréens, l’utilisation

d’autres textes tirés d’un corpus d’auteurs ou de personnalités afro-caribéennes,

véhiculant un message positif et conforme à l’enseignement des Ecritures servirait

d’illustration à la vérité biblique. Le statut de ces personnes et l’utilisation pédagogique de

leurs travaux réclament une éducation et une clarification préalables quant à leur place

dans la vie de foi. Il demeure évident que dans cette approche, seule la Bible est

normative. En prenant exemple sur l'apôtre Paul qui a utilisé un texte d’un auteur crétois

pas forcément irréprochable à tous égards (Tit 2. 12) pour illustrer un conseil donné à Tite,

pasteur à Crète, des textes comme ceux d’Hailé Sélassié, Marcus Garvey, Aimé Césaire,

ou Nelson Mandela qui touchent la sensibilité des anciens rastas peuvent aisément

illustrer un enseignement biblique328. En effet, « il existe aux Antilles un réel besoin des

populations de se réapproprier leur propre histoire, celle typique des Antilles »329 et plus

largement de leurs racines africaines. Le rastafari a profité de cette quête identitaire pour

se développer. La communauté naziréenne démontrerait ainsi dans son fonctionnement

qu’elle n’est ni acculturante ni détachée de la culture afro-caribéenne des Antilles, mais

qu’au contraire, elle l’intègre pleinement dans son vécu d’une foi authentiquement

chrétienne. Si, avec la contextualisation proposée, l’Afrique perd son statut de terre

promise ou de paradis, elle reste cependant un continent d’une grande valeur. Ainsi, dans

un cadre éducatif et historique, des rencontres menées au sein de la communauté nazir

sur le thème de l'Afrique lui permettraient de s’ouvrir sur la société et de se faire connaître

comme un groupe religieux sensible aux racines africaines des antillais sans pour autant

vénérer l’Afrique ou l’empereur Hailé Sélassié Ier .

Le dreadtalk caractéristique de la culture rasta peut continuer d’alimenter la

communauté naziréenne. Bien que moins présent dans les Antilles françaises, il manifeste

la créativité et la capacité d’innovation linguistique dont le nazir, ancien rasta, continuerait

327

Les rastas privilégient la position circulaire du groupe durant la méditation spirituelle. 328

Aimé Césaire invitait les Antillais à ne pas cloisonner leur vision du monde à cause des revendications légitimes de la valeur de leur négritude. Pareillement, selon l’appel de Dieu, la communauté nazir n’est pas appelée à se renfermer sur elle-même. La déclaration suivante du poète illustre fort bien ce message de la Bible : « ma négritude n'est pas une pierre, sa surdité ruée contre la clameur du jour, ma négritude n'est pas une taie d'eau morte sur l'œil mort de la terre, ma négritude n'est ni une tour ni une cathédrale ». Cf. Aimé Césaire, Cahier d'un retour au pays natal, 4e

éd. (1re

éd. 1939), Paris, Dakar, Présence africaine, 1983, p.46-47. 329

Fabrice DESPLAN, Entre espérance et désespérance, p. 69.

67

à faire preuve. Les exemples suivants illustrent la continuité du dreadtalk dans la nouvelle

communauté chrétienne. L’expression Jah n’est pas incompatible avec l’adoration de Dieu

puisque, présente dans la Bible, elle est l’abréviation de Jéhovah. Le « Yes I » prononcé

pour manifester l’adhésion ou l’accord d’un individu avec les propos de son interlocuteur,

est en mesure d’accompagner les « Amen » qui ponctuent les prédications chrétiennes. Il

enrichirait ainsi le panel des réponses possibles dans l’interaction entre un intervenant et

la communauté. Une appropriation du I and I signalant la communion de l’humain et du

divin et la solidarité des croyants est également possible dans la mesure où une

clarification de son interprétation est acquise. « Si je vis ce n’est plus moi qui vit mais

Christ qui vit en moi » (Ga 2.20) se résumerait alors dans l’expression I and I. Là encore,

l’expérience locale, confrontée à la vérité des Ecritures, aboutira certainement à des

expressions nouvelles faisant sens pour la communauté, ou à l’élimination de celles qui

génèrent la confusion.

Toute communauté chrétienne a besoin d’organisation pour affronter les défis de

son vécu, de son développement, mais aussi pour se rapprocher du schéma ecclésial qui

se dégage du NT. La communauté naziréenne ne fait pas exception. Bien que le nazir

vienne d’une culture rasta plutôt réfractaire à l’institutionnalisation, celle-ci, avec le temps,

a démontré son ouverture pour une telle option comme en témoignent les différents ordres

rastas. La communauté naziréenne se développant et trouvant, par l’expérience, ses

modes d’expressions de la foi en accord avec les Ecritures, il convient de veiller à ce que

ce groupe ne s’isole pas dans son contexte en l’idéalisant. Ainsi un contact régulier avec

les autres églises locales, notamment avec celle qui a soutenu le projet initial, participerait

à cette communion indispensable pour la cohésion du corps du Christ. Le lien de fraternité

se crée par des échanges de prédicateurs, des visites dans les églises traditionnelles et

de celles-ci dans la communauté nazir, par des activités récréatives ou sportives

communes et se nourrit par la régularité de telles actions. En amont de cette entreprise, il

revient aux personnes en charge du projet de contextualisation de préparer les

communautés à accueillir et à accepter en leur sein une expression différente de la foi.

L’église locale qui accompagne une telle démarche est nécessairement avertie quant au

public spécifique que représentent les rastas. Des réunions peuvent également contribuer

à informer, dialoguer et partager autour du sujet et de la vision missionnaire envisagée

pour l’œuvre avec les rastas. A partir de cette église, l’information et la publicité sur le

naziréat chrétien permettraient une communion avec les anciens rastas sans qu'aucun

jugement soit porté sur l’apparence ou la différence d’expression. De même, les nazirs,

préparés à cette ouverture, ne devraient pas dénigrer leurs frères des églises

68

traditionnelles en les regardant comme des populations acculturées.

Quoi qu’il en soit, c’est le Christ qui demeure au centre de la communauté

naziréenne. Si elle porte ce nom, ce n’est pas parce qu’elle est exclusivement composée

de nazirs chrétiens, mais parce qu’elle intègre le vœu du naziréat comme une des

possibilités offertes aux croyants pour exprimer leur consécration à Dieu. Il est impossible

dans ce travail de formuler les différentes modalités régissant la communauté naziréenne.

Quelques pistes ont été évoquées telles des lignes directrices, mais ce sont les nazirs

eux-mêmes qui, à la lumière des Ecritures et de l’Esprit de Dieu, trouveront l’expression

de la foi qui correspond le mieux à leur identité culturelle. In fine, le temps agissant pour

aplanir les barrières dressées dès lors qu’apparaît la différence, il serait tout à fait

possible, sans que cela soit le but recherché, qu’un nazir puisse librement vivre sa

consécration à Dieu dans une église traditionnelle. Celle-ci, désormais informée que le

vœu du naziréat est une valeur chrétienne locale qui ne remet pas en cause les valeurs

universelles de la foi en Jésus-Christ, abandonnerait préjugés et discrimination vis à vis

des nazirs chrétiens mais aussi des rastas.

Conclusion du chapitre

Avec la contextualisation, il existe inévitablement une tension qui résulte de la

rencontre critique entre la Parole de Dieu et le contexte. Cette tension peut se manifester

tant dans les Eglises traditionnelles en relation avec la nouvelle communauté naziréenne

que dans le rastafari qui pourrait voir dans le naziréat chrétien un danger pour son

mouvement. Sans résoudre ces tensions, mais conscients de leur présence, il nous a

semblé pertinent de présenter non pas un cahier d’évangélisation mais quelques pistes et

exemples possibles de pratiques de la contextualisation de l’Evangile de Jésus-Christ en

faveur des rastas. Celle-ci débute par l’identification à cette culture, indispensable pour

équilibrer la critique de ce contexte et pour y repérer les divergences avec le christianisme

au-delà des préjugés populaires. Il devient alors possible de construire des passerelles

entre les deux cultures religieuses. L’enrichissement mutuel qui s’en suit, la force du

témoignage amical d’un chrétien rempli de l’Esprit et celui des Ecritures sur le Christ,

peuvent permettre à un rasta d’expérimenter, par l’œuvre décisive de ce même Esprit, une

véritable metanoia. Celle-ci aboutira à son adhésion totale à Jésus de Nazareth. La

nouvelle situation, résultat de cette contextualisation, ne pourra pas associer rastafari et

christianisme dans une même expérience religieuse sans générer de la confusion. Entre

Ras Tafari Makonnen et Jésus de Nazareth, il faudra choisir. Ce choix n’appelle pas à une

universalisation de l’expression de la foi Le vœu biblique du naziréat peut devenir une

interface à partir de laquelle l’ensemble de la contextualisation s’articule dans le respect

69

de la culture des anciens rastas. Il demeure cependant une option et ne remplace ni ne

surclasse le baptême. La communauté naziréenne reste donc centrée sur Jésus-Christ.

Elle se construit autour d’un noyau de volontaires chrétiens et d’anciens rastas et favorise

une théologie existentielle avec des messages pertinents pour ces populations

concernées par le contexte afro-caribéen. Conscient de l’interdépendance des contextes,

le vécu du nouveau nazir chrétien ne se développe pas dans l’isolement contextuel. Il

reste en communion avec les autres nazirs et participe également à la communion des

chrétiens des Eglises traditionnelles.

Par cette contextualisation, l’Evangile est rendu audible à une population qui s’en

était exclue. Une nouvelle expression de la foi chrétienne émerge sans porter atteinte à

l’unité du corps du Christ. Elle favorise la lisibilité d’un chemin de conversion pour de

nombreux rastas. Cette approche réclame des efforts de la part des chrétiens adventistes

amenés à sortir de leurs zones de confort. Cependant, l’exemple du Christ pousse à

braver l’immobilisme. Le Sauveur « voyait en tout homme une âme appelée à son

royaume. Il atteignait les cœurs en se mêlant à la foule comme un bienfaiteur. Il

s'approchait d'eux alors qu'ils étaient occupés à leurs tâches quotidiennes et s'intéressait

à leurs affaires. […] La sympathie personnelle qu'il savait manifester intensément lui

gagnait les cœurs330. [..] « La méthode du Sauveur pour sauver les âmes est la seule qui

réussisse. Il se mêlait aux hommes pour leur faire du bien, leur témoignant sa sympathie,

les soulageant et gagnant leur confiance. Puis il leur disait: "Suivez-moi." »331.

330

Ellen WHITE, Jésus-Christ, Dammarie les Lys, Signe des temps, 1975, p. 135. 331

Ellen WHITE, Rayons de santé, Dammarie les Lys, Signe des temps, 1957, p.316.

70

Conclusion

71

CONCLUSION : De l’adoration de Ras Tafari Makonnen à l’adoration de

Jésus-Christ.

Parvenus au terme de cette recherche, nous avons pu définir ce qu’est le rastafari ;

un mouvement religieux, certes peu connu en occident, mais qui compte de nombreux

adeptes dans le monde, notamment aux Antilles. L’essence de ce mouvement afro-

centrique se trouve dans la volonté des Noirs acculturés des Caraïbes d’exprimer leur foi

en Dieu, tout en étant en phase avec leurs racines et leur identité culturelle. La principale

source idéologique du rastafari se rencontre dans l’éthiopianisme de M. Garvey. Ce leader

Noir du début du XXe siècle a œuvré en pionnier pour la reconstruction morale des Afro-

Caribéens, traumatisés par l’esclavage et le colonialisme. Considéré par les rastas, à

l’instar de Jean-Baptiste, comme le prophète précurseur du Messie, M. Garvey n’a

toutefois jamais adhéré au rastafari. Le mouvement emprunte ses principes à différentes

traditions religieuses pour élaborer son livity et faire émerger une nouvelle culture

religieuse à partir de 1930. Le livity rasta, synthèse d’une dogmatique et d’un style de vie,

se caractérise par une très grande souplesse. Essentiellement basé sur une interprétation

littérale et afro-centrique de la Bible chaque rasta le vit selon sa propre sensibilité. Ainsi,

bien que centré sur la personne de l’empereur d’Ethiopie Hailé Sélassié Ier, reconnu par la

plupart des rastas comme le Christ, le rastafari n’est cependant pas monolithique. En effet,

tous les rastas n’accordent pas ce statut divin au négus, tous ne portent pas de

dreadlocks, tous ne fument pas de cannabis et n’œuvrent pas pour un retour physique en

Afrique. Cette flexibilité doctrinale conduit le rasta à une foi individualisée. Pourtant,

diverses organisations du mouvement se sont formées pour promouvoir leur propre livity.

Avec le reggae et ses artistes mondialement connus, c’est l’ordre des Douze tribus

d’Israël, la plus inclusive des organisations rastas qui a favorisé l’internationalisation du

rastafari. Celui-ci a alors recentré son message sur les principes d’amour universel, de

paix et de résistance à Babylone (la société de type occidental, inégalitaire et

consumériste).

Pour partager l’Evangile avec un rasta dans le but de favoriser une véritable

conversion chez lui, il est indispensable d’envisager une démarche missionnaire à la fois

respectueuse de cette culture et communicative de l’Evangile. Cela passe par la

considération des notions d’acculturation, de contextualisation et d’inculturation pour en

dégager une orientation missiologique spécifique. Le néologisme de contextualisation

paraît le mieux adapté pour développer un projet missionnaire en faveur des rastas. Ce

principe évite de reproduire une acculturation négative. C’est en effet cette acculturation

qui a suscité chez les populations des Antilles une réaction dont le rastafari est l’une des

72

expressions. Au contraire, la contextualisation permet une prise en compte globale de la

culture d’accueil de l’Evangile grâce à une rencontre critique (identification et divergence)

entre la Parole de Dieu et le contexte. C’est une nouvelle situation qui émerge. Celle-ci

conçoit l’incarnation du Verbe exclusivement dans la personne Jésus de Nazareth.

Exprimer sa confiance en Dieu peut donc se vivre dans un contexte particulier, sans

s’uniformiser selon le modèle culturel occidental dans lequel la foi chrétienne s’est

initialement inculturée aux premiers siècles. La démarche de contextualisation du

message de Dieu n’est pas absente de l’Evangile. Jésus invite son Eglise à suivre son

exemple d’incarnation dans notre monde et à s’intéresser réellement aux individus dans

leur contexte. Cette démarche permet de délivrer un message pertinent, en phase avec

les auditeurs, sans pour autant tomber dans les pièges de l’idéalisation du contexte ou

d’un syncrétisme irrecevable. En effet, bien que toutes les cultures soient respectables,

l’Evangile les transcende toutes. Il est donc important de cadrer la démarche de

contextualisation avec un rasta. Les valeurs chrétiennes, universelles, temporelles et

locales sont des balises intéressantes pour délimiter cette action. Ce projet ne peut pas

être conduit par une seule personne indépendamment de l’Eglise. Celle-ci a vocation de

soutenir le petit groupe qui s’engage dans une telle démarche. La Bonne Nouvelle

présentée en tenant compte de la culture rasta devient audible aux hommes et femmes de

ce mouvement. Elle cesse d’être rejetée à cause de sa connotation occidentale. La

contextualisation de l’Evangile favorise donc l’ouverture du chemin d’une véritable

métanoia pour les rastas.

Sur la base de la connaissance du rastafari et avec une orientation missiologique

définie par les principes de contextualisation, il est possible de proposer quelques

pratiques possibles pour le partage de la Bonne Nouvelle avec un rasta. Cette démarche

débute par l’identification au rastafari. S’identifier à ce mouvement c’est rejoindre le rasta

dans son vécu, partager son expérience sans violenter sa propre conscience et ses

propres valeurs. Cette étape s’accompagne d’un regard lucide sur les divergences entre

rastafari et christianisme. Cette rencontre critique, équilibrée entre identification et

divergence, faite à la lumière de l’Esprit et de l’Ecriture, permet de repérer les points de

convergence entre les deux religions. Le partage né de cette démarche effectuée dans

l’amour, le dialogue et l’écoute, contribue au lien d’amitié et au témoignage chrétien utiles

dans le processus de conversion d’une personne. L’Esprit de Dieu agissant dans les

cœurs, l’espoir d’une authentique métanoia du rasta n’est pas utopique. Le vœu de

naziréat peut alors devenir une interface à partir de laquelle l’ensemble de la

contextualisation s’organise. L’option d’un rasta-chrétien paraît difficilement conciliable

73

avec l’Evangile. Elle est aussi problématique pour la communion de l’Eglise. Par contre, le

nazir chrétien, exclusivement consacré à Jésus-Christ mais exprimant sa foi dans un livity

afro-caribéen proche de celui des rastas, apparaît non seulement en phase avec les

aspirations rastas, mais encore avec les valeurs universelles du christianisme. Le vœu du

naziréat ne resterait toutefois qu’une possibilité pour un ancien rasta. Etre nazir chrétien

n’est pas une fin en soi. Le vœu est optionnel et limité dans le temps. La communauté de

naziréens reste donc christocentrique et veille à ne pas s’enfermer dans son contexte. Le

partage et les échanges avec les autres communautés est capital pour que ce groupe vive

pleinement la communion du corps du Christ.

En fin de compte, cette recherche n’aboutit pas à l’élaboration d’un manuel

d’évangélisation. Ce n’était d’ailleurs pas un objectif. Ce travail s’apparente davantage à

une feuille de route qui guiderait une démarche de contextualisation afin de favoriser pour

un rasta, le passage de l’adoration de Ras Tafari Makonnen à celle de Jésus de Nazareth.

La notion de nazir, plateforme de cette contextualisation, mérite certainement une plus

profonde analyse exégétique pour en dégager la pleine mesure. Une prochaine recherche

exégétique et systématique, permettrait de grandir dans la compréhension du vœu du

naziréat et enrichirait une théologie du nazir chrétien. D’autre part, il y aurait probablement

d’autres pistes à explorer pour cette contextualisation notamment en développant de

nouveaux points d’accroche avec les rastas. Le travail d’accueil des futurs ex-rastas dans

des Eglises traditionnelles est également un sujet qui mérite un approfondissement. Enfin,

la question reste ouverte quant à la pertinence de communautés spécifiques de nazirs

adventistes. Confrontées à l’expérience du terrain et à l’évaluation qui en ressortira, les

pistes évoquées démontreront leur pertinence ou leur inadéquation. Des ajustements se

révèleront certainement nécessaires.

74

Table des matières

INTRODUCTION ............................................................................................................................. 4

1) Le rastafari, son histoire, ses croyances ............................................................................. 7

a) L’Ethiopianisme ....................................................................................................................... 7

b) La société jamaïcaine à l’aube du rastafari ............................................................................ 10

c) Les grandes figures du rastafari ............................................................................................. 12

c. 1 : Marcus Garvey .............................................................................................................. 12

c. 2 : De M. Garvey aux premiers rastas ................................................................................ 15

c. 3 : Hailé Sélassié Ier ........................................................................................................... 18

d) Le livity rasta : un mode de vie religieux, plutôt qu’une dogmatique ....................................... 22

e) Les différents ordres rastafari ................................................................................................ 32

f) Synthèse. Qu’est-ce que le rastafari ? .................................................................................... 35

Conclusion du chapitre .............................................................................................................. 36

2) Approche missiologique du rastafari en vue de la communication de l’Evangile .......... 39

a) L’acculturation ....................................................................................................................... 40

b) Contextualisation et inculturation. .......................................................................................... 44

c) Contextualisation ou inculturation .......................................................................................... 46

d) Orientation missiologique avec les rastas .............................................................................. 51

Conclusion du chapitre .............................................................................................................. 51

3). Partage de l’évangile avec un rasta. Quelques pistes pratiques. ....................................... 54

a) Critique de la culture rasta. Identification et divergences. ...................................................... 54

b) Rasta et/ou chrétien ?............................................................................................................ 58

c) Le nazir chrétien adventiste du septième jour. Un modèle de contextualisation de l’Evangile

pour et avec les rastas. ............................................................................................................. 61

Conclusion du chapitre .............................................................................................................. 68

CONCLUSION : De l’adoration de Ras Tafari Makonnen à l’adoration de Jésus-Christ. ........ 71

Table des matières ........................................................................................................................ 74

BIBLIOGRAPHIE ........................................................................................................................... 75

75

BIBLIOGRAPHIE332

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332

Nous précisons dans cette note les modalités que nous avons suivies pour l’organisation de notre bibliographie. Afin de faciliter l’accès aux sources selon le sujet qu’elles abordent, nous avons divisé la bibliographie en deux grandes parties : 1) pour le rastafari, 2) pour la missiologie (des ouvrages d’ordre général y ont été insérés). Nous avons jugé bon à l’intérieur de ces deux grandes sections de regrouper, d’une part les articles, et d’autre part les ouvrages. La partie sur le rastafari ayant nécessité la consultation de quelques documents audio et vidéo, une section leur a été dédiée. Certains articles traitant du rastafari consulté sur internet n’étaient pas signés. Ceci explique l’absence du nom de l’’auteur pour certaines références bibliographiques. Enfin, pour harmoniser la présentation, la mention (éd.) a été appliquée à tous les ouvrages ayant un (des) éditeur(s) ou un (des) directeur(s) de publication.

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