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République Algérienne Démocratique et Populaire Ministère de L’enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique Université Larbi Ben M’Hidi , Oum El Bouaghi Faculté des Lettres et des Langues Département De Français Mémoire de Master Option : Littérature francophone et comparée Thème : Présenté par : Sous la direction de: BRAHIMI Karima Mme. BOUCHENE Karima Devant le jury : Président : M r . BOULAHBAL Karim. Maitre Assistant classe «A» Rapporteuse: M me . BOUCHENE Karima. Maitre Assistante classe «A» Examinatrice: M elle . Benabdelkader Salma. Maitre Assistante classe «A» Promotion 2015/2016 Désir et besoin à travers les visages des personnages Dans le Métier à Tisser De Mohammed DIB

De Mohammed DIBbib.univ-oeb.dz:8080/jspui/bitstream/123456789/4920/1/... · 2018. 10. 11. · (1962) « Cours sur la rive sauvage » (1964) et le recueil de nouvelle le talisman (1966),

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République Algérienne Démocratique et Populaire

Ministère de L’enseignement Supérieur

et de la Recherche Scientifique

Université Larbi Ben M’Hidi , Oum El Bouaghi

Faculté des Lettres et des Langues

Département De Français

Mémoire de Master

Option : Littérature francophone et comparée

Thème :

Présenté par : Sous la direction de:

BRAHIMI Karima Mme. BOUCHENE Karima

Devant le jury :

Président : Mr. BOULAHBAL Karim. Maitre Assistant classe «A»

Rapporteuse: Mme

. BOUCHENE Karima. Maitre Assistante classe «A»

Examinatrice: Melle

. Benabdelkader Salma. Maitre Assistante classe «A»

Promotion 2015/2016

Désir et besoin à travers les visages des personnages

Dans le Métier à Tisser

De Mohammed DIB

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Remerciement

Je porte mes remerciements les plus distingués, en premier

plan, à mon encadreur : Mme Bouchene Karima pour ses

conseils, ses encouragements, sa patience et pour tous ses efforts

fournis pour finaliser ce modeste travail de recherche, ensuite à

tout le membre de jury.

Je remercie Mr le responsable de la filière, pour son

amabilité et ses encouragements.

Je remercie également et sincèrement tous mes enseignants,

pour leurs aides et leurs soutiens.

Merci à tous.

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Dédicace :

Je dédie ce mémoire à :

Ma mère, qui a œuvré pour ma réussite, de par son amour, son soutien, tous les sacrifices consentis et ses précieux conseils, pour toute son assistance et sa présence dans ma vie, reçois à travers ce travail aussi modeste soit-il, l'expression de mes sentiments et de mon éternelle gratitude.

Mon père, qui peut être fier et trouver ici le résultat de longues années de sacrifices et de privations pour m'aider à avancer dans la vie. Puisse Dieu faire en sorte que ce travail porte son fruit ; Merci pour les valeurs nobles, l'éducation et le soutien permanent venu de toi.

Mes frères et sœurs qui n'ont cessé d'être pour moi des exemples de persévérance, de courage et de générosité.

Mon neveu Amdjed Firas

Mes amis Zaki, Meriem et Narimane

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Sommaire :

Première partie :

Introduction....…………..……………………………………………………………….…………………….…...6 Chapitre I : présentatif : Auteur et texte…………………………………………………6

- l’auteur et son style d’écriture……………………………………………………6

- le corpus………………………………………………………………………….7

Aperçu sur l’approche de Philippe HAMON

Chapitre II : L’approche sémiotique du personnage selon Philippe HAMON …......13

1- Le personnage de roman :…………………………………………………………………..14

2- L’être :………………………………………………………………………………………...17

3- Le faire :…………………………………………………………………………………….…20

4- L’importance hiérarchique :…………………………………………………………….…..22

5- L’espace…………………………………………………………………………………….….26

Deuxième partie: analyse des personnages selon Philippe Hamon

Chapitre I: l’approche de Philippe HAMON comme outils d’analyse…………….....29

I-Les personnages.....……………………………………………………………..………………29

1- Catégories des personnages (signes)………………………...………………….....31

2- Typologie ou classification des personnages ………………………………………….33

2-1/ Personnage principal (le protagoniste) : ………………………………………………….33

2-2/ Personnages principaux :…………………………………………………………………….35

2-3/ Personnages secondaires:…………………………………………………………………….37

II- L’analyse sémiotique du personnage selon Philippe Hamon…………………………………. . 39

1-L’être:…………………………………………………………………………………..……...39

a- Personnages féminins et masculins : ………………………………………………………….42

2-Le faire :……………………………………………………………………………………......45

a. Le rôle des personnages ;...................................................................................................45

b. Le schéma actantiel de Greimas :……………………………………………………………... . 46

3-L’importance hiérarchique :…………………………………………………………………………..47

4-Espace :…………………………………………………………………………………………….…….50

Chapitre II: Analyse du texte . . ……………………………………………………………51

1.Souffrance des personnages : .............................................................................................. 51

1.1.Souffrance des mendiants: .......................................................................................... 53

1.2.Omar: ......................................................................................................................... 54

2. Ferment de la révolte et germe de l’espoir ................................................................57

Conclusion ...................................................................................................................................................... 60

Bibliographie .................................................................................................................................................. 62

Résumés . ........................................................................................................................................................ 65

Annexes .......................................................................................................................................................... 69

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Introduction

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Le métier à tisser : Introduction

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L’expérience de la colonisation française a profondément marqué la

sphère culturelle Algérienne. Elle a favorisé l’émergence d’une littérature

appelée Maghrébine. Cette dernière contient des auteurs qui voulaient à leur tour

prendre leur plume, tout en décrivant le malheur qui a bouleversé la vie de leur

pays. Parmi ces auteurs nous avons assisté à une entrée spectaculaire, d’une

figure très connue sur la scène littéraire. Il s’agit de Mohammed Dib, un

romancier, qui a rédigé une trilogie, connue sur l’échelle internationale. (La

grande maison, l’incendie, Le métier à tisser)

Dib est sans conteste l’une des plus grandes figures de la littérature

contemporaine. Né le 21 juillet 1920 à Tlemcen issu d’une famille d’artisans, il

fait des études primaires et secondaires en français et, dès l’âge de 12-13 ans, il

s’initie au tissage et à la comptabilité tout en continuant à étudier. Il exerce

ensuite différents métiers : instituteur, employé de chemins de fer, interprète en

français- anglais auprès des armées alliées, journaliste, et dessinateur de

maquettes de tapis. Il a pu ainsi naviguer dans plusieurs milieux de classe

moyenne de la société. Il a su, entre autres et à la faveur de cette formation

première diversifiée, aiguiser son sens de l’observation et son regard critique.

Dès ses premiers écrits, son talent est reconnu. Lorsqu’en 1959, il se rend en

France pour fuir les tracasseries de la police coloniale, il représente l’une des

consciences vives de l’Algérie en lutte aux yeux de l’intelligentsia française .En

1959,il s’installe en France ; d’abord à Mougins puis depuis 1964,en région

parisienne près de Versailles .Auteur particulièrement prolifique, il produit avec

une régularité exemplaire et une exigence esthétique intransigeante .Depuis

1970,il effectue des séjours dans différents pays, notamment aux Etat –Unis et en

Finlande où il s’attarde volontiers et dont ses dernières œuvres portent une forte

empreinte. Mohammed Dib manifeste à travers son œuvre une sensibilité et un

imaginaire pétris de culture arabo-musulmane que sa vie d’exilé a sérieusement

réactivés .En 1940, il est introduit dans les rencontres organisées par les services

d’éducation populaire à Sidi Madani autour d’Albert Camus. Son destin

d’écrivain est, dès lors, tracé et son écriture s’affirme dans un rapport dialogique

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Le métier à tisser : Introduction

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avec l’école d’Alger .Sa carrière d’écrivain poursuivie en France gardera toujours

avec le pays natal des liens profonds et parfois douloureux. Concernant l’écriture,

on peut constater chez Dib des « époques » dominées chacune par un code

particulier. Ainsi, la première période (allant jusqu’à un « Eté africain », 1959)

s’inscrit dans une option réaliste.

La seconde période, qui comprend essentiellement « qui se souvient de la mère »

(1962) « Cours sur la rive sauvage » (1964) et le recueil de nouvelle le talisman

(1966), exploite les ressources du fantastique, et découvre spontanément des

procédés (une démarche imaginative de science fiction. Puis, dans un troisième

temps, elle laisse place à un néo –réalisme qui, dans la « danse du Roi » (1968), «

Dieu en Barbarie » (1970), et le « maître de Chasse » (1973) met en place un

double –circuit du sens : l’un, manifeste, qui retrouve un réalisme teinté de

symbolisme ; l’autre, sous–jacent, qui suggère une interprétation ésotérique du

monde. Enfin, depuis «Habel» (1977), Dib déplaça la scène romanesque hors

d’Algérie : « à d’Orsola » (1985), « Le sommeil d’Eve » (1989), « les neiges de

marbre » (1990) où il tresse mythes et écritures divers, en une synthèse d’une

extrême élégance et où se continue à traquer, selon un parcours Orphée derrière

l’apparence trompeuse des choses, leur sens profond, postulant une sorte

d’intropahie entre les êtres et le monde.

Mohammed Dib est mort chez lui, à la Celle Saint Cloud, le 2 mai 2003, à l’âge

de83.

Laissant derrière lui quelques- unes des plus belles pages de la littérature

algérienne.1

Le Métier à tisser est le troisième volet dans la trilogie Algérienne de

Mohammed Dib publié en 1957 après La Grande Maison (1952), L'Incendie

(1954) dans la maison d’édition : « Points », la date de la réedition est en 2001.

Ce roman se compose de 208 pages divisé en trois chapitres. Le plat de

devant représente une photo d’un enfant derrière une ourdisseuse et le Plat-verso

1http://www.limag.refer.org/Textes/Manuref/DIB.htm (consulté le 19/11/2015 à 20:19)

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Le métier à tisser : Introduction

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présente un bref résumé accompagne d’une petite biographie et d’une citation de

Louis Aragon.

Dans le dernier volet de la trilogie Algérie de Mohammed Dib l’auteur

raconte l’histoire sous les yeux du protagoniste Omar (qui est présent dans les

deux précédents romans). Dans ce roman il est adolescent. La scène a commencé

en hiver où sa mère Aïni lui demande d’abandonner ses études, en lui trouvant

un emploi d’aide dans un atelier de tisserands. Il ne gagnait que de quoi survivre

car la misère, la faim et le dénuement règnent dans la société algérienne en

guerre. Omar découvre un monde plus grand que lui, un monde dur et

impitoyable.

Les tisserands travaillent dans un sous-sol à l’air raréfié engraissant un

patron arabe qui ne travaille jamais et lui-même est totalement soumis aux

colons. Les tisseurs ont pleinement conscience de leur misère et ne sont pas

satisfaits de leur existence. Ils discutent et rêvent de jours meilleurs.

Le roman se terminera en même temps que la guerre qui, depuis sa

déclaration sert de toile de fond, jusqu’à des Américains.

Notre curiosité de connaitre l'histoire de notre pays natal, nous a poussé à

chercher et à creuser tous les livres qui l'embrasse. En lisant Le Métier à tisser,

nous nous sommes inconsciemment retrouvés face à une production qui a su

peindre les mœurs d'une société passée avec acuité. Le choix du corpus a été

guidé par un penchant pour l’auteur, nous avons sélectionné cet auteur car il a

rempli un grand rôle dans la littérature algérienne en particulier et la littérature

maghrébine en générale. Alors, nous avons décidé de choisir avec conviction

cette œuvre pour qu'elle nous éclaire plus l'horizon sur son œuvre en générale.

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Le métier à tisser : Introduction

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Comment Mohammed Dib a-t-il décrit les conditions de la misère à travers

ces personnages ? Et comment la souffrance règne dans la société algérienne

pendant la guerre ?

Après notre lecture de ce corpus qui est proprement réaliste nous posons

les questionnements suivants :

- Quels sont les causes qui ont poussé notre auteur à choisir la misère ?

- A travers qui se déroule l’histoire ?

- Y a-t-il une relation entre le protagoniste Omar et l’auteur Mohammed

DIB ?

Ces questions nous ont poussées à dégager les hypothèses suivantes :

Mohammed DIB un des plus grand écrivains algériens d’expression

française, engagé avec beaucoup de constance dans ces écrits dénonce la

situation des mendiants et leurs conditions de vie, très dure. Il dévoile les

souffrances du peuple à travers la description physique et morale endurée par

ces compatriotes. Le protagoniste Omar est considéré comme un témoin qui

reflète les pensées et les expériences vécu par l’auteur.

Pour cela nous avons jugé utile de subdivisé notre travail de recherche en

deux parties : théorique et pratique.

La première partie organisée sous deux chapitres :

Le premier chapitre s’articule autour de la présentation de l’auteur et du

corpus.

Dans le deuxième chapitre de notre projet, nous présentons les outils

théoriques avec lesquels nous allons travailler. L’outil théorique que nous allons

utiliser: c’est l’analyse sémiologique du personnage selon Philippe Hamon. . Et

la méthode que nous allons utiliser est l’analyse littéraire.

Nous avons essayé de faire une étude définitionnelle de ces outils.

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Le métier à tisser : Introduction

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En effet, nous commençons d'abord par donner une définition plus ou moins

profonde de la notion du personnage ainsi que son évolution dans la littérature, à

travers les époques, et ce parce que le cœur de notre travail est basé sur l'étude et

l'analyse des personnages. Puis nous allons cartographier les personnages selon

des caractères physiques et moraux. On insiste sur le statut des personnages dans

la société, d’un personnage stables à des personnages éparpillés

La deuxième partie divisée en deux chapitres également :

Dans le premier chapitre nous allons faire l’analyse de ces personnages

selon Philippe Hamon. Nous exposons ensuite, l'analyse du texte et l’étude de la

souffrance du personnage.

C'est dans le deuxième chapitre qui est le dernier, nous allons aborder le

ferment de la révolte et germe de l’espoir où la situation qui est tout à fait

critique que celle du peuple des miséreux de « le métier à tisser », ce qui, à la

limite, pousse l’homme à s’interroger sur sa condition et à réagir.

Nous achèverons notre travail de recherche par une conclusion générale

qui renferme l’ensemble des conclusions auxquelles nous sommes parvenus tout

ou long de notre modeste travail de recherche

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Première partie

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Le métier à tisser : Partie théorique

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« La notion de personnage est assurément une des meilleures preuves de l’efficacité du texte comme producteur du sens puisqu’il parvient à partir de la dissémination d’un certains nombre de signes verbaux, à donner l’illusion d’une vie, à faire croire à l’existence d’une personne douée d’autonomie comme s’il s’agissait réellement d’êtres vivants… »

Gérard Vigner

Lire du texte au sens. Paris : clé

International, 1992. P88-89

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Le métier à tisser : Partie théorique

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I- L’approche sémiotique du personnage :

La sémiotique est la « science dont l’objet est l’ensemble des processus de

signification »1 , des processus qui prennent le signe pour instrument. Ferdinand

de Saussure la définie comme « la science qui étudie la vie des signes au sein de

la vie sociale »2. Pour Barthes, la sémiotique joue le rôle de catharsis, autrement

dit une autre manière de dire et de lire. Et comme il s’agit de lire un texte

littéraire, on doit s’attendre à « ce que tout élément y fasse signe »3. Donc la

lecture d’un texte littéraire est une forme de quête à la recherche de signes

significatifs, et le texte littéraire est considéré comme une source de signes

multiples et diversifiés qu’il faut repérer, relever et interpréter. Une signe peut

être perçu avec l’un ou plusieurs de nos sens. Il peut être visible : sous forme de

couleur par exemple, auditif : tel un cri, olfactif : un parfum, tactile ou gustatif.

La particularité de ses signes réside dans la profondeur de leurs sens, ils sont là

pour désigner et signifier autre chose. Pour Peirce, le signe est d’abord direction,

et dire qu’un objet ou une situation ont un sens, c’est dire qu’ils tendent vers

quelque chose « dans la mesure où le sens d’un texte s’est rendu autonome par

rapport à l’intention subjective de son auteur, la question essentielle n’est plus

de retrouver derrière le texte, l’intention perdue, mais de déployer en quelque

sorte devant le texte, « le monde » qu’il ouvre et découvre»4.

Philippe Hamon propose de considérer le personnage comme un signe,

composé de signes linguistiques au lieu de l'accepter comme centré sur la notion

de personne humaine. Il le définit comme une construction mentale que le lecteur

opère, à partir d'un ensemble de signifiants épars dans le texte : sexe, âge,

qualités physiques, richesses, aptitudes intellectuelles ou manuelles, niveau de

langue, courage, lucidité.

1 ARON, Paul, SAINT-JACQUES, Denis, VIALA, Alain, Op.cit, p. 566

2 DE SAUSSURE, Ferdinand, cité par GUETTAFI, Sihem, Op.cit. p. 54

3 BARTHES, Roland, cité par GUETTAFI, Sihem, Op.cit. p. 54.

4 Ibid. p. 55.

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Le métier à tisser : Partie théorique

14

1- Le personnage de roman :

Le dictionnaire littéraire définie le mot personnage par : Le terme de

«personnage», apparu en français au XVème siècle, dérive du latin, persona.

C’est une création concertée par le romancier, dans la logique de l'univers qu'il

fait naître et du regard qu'il est décidé à porter sur le monde et qui signifie :

«masque que les acteurs portaient sur scène, rôle ». Il hérite donc d'une figure,

d'une visibilité et d'une lisibilité qui sont sa marque et conditionnent son

existence sociale sur la scène publique. Un personnage est un « être de papier »,

la représentation d'une personne dans une fiction, une personne fictive dans une

œuvre littéraire, picturale, cinématographique, ou théâtrale. Lorsque le nom du

personnage principal devient le titre de l’œuvre, on parle alors de personnage

éponyme Philipe Hamon affirme :

« Le personnage est une unité diffuse de signification construite

progressivement par le récit, support des conservations et des

transformations sémantiques du récit, il est constitué de la somme des

informations données sur ce qu'il est et sur ce qu'il fait »1

Philippe HAMON a élaboré une approche de type sémiologique Dans son

article «Pour un statut sémiologique du personnage»2 tout en considérant le

personnage non plus comme étant une personne mais un signe du récit qu’il se

prête à la même qualification que les signes de la langue , pour ensuite distinguer

plusieurs domaines et niveaux d’analyse.

Pour HAMON, il faut d’abord classer le signe en conformité aux

catégories suivantes:

On peut distinguer trois types de signes: référentiels, déictiques (comme

les embrayeurs) et anaphoriques (ceux qui renvoient à l'énoncé, au texte même)

1 Philippe Hamon, le personnel du roman, Genève, Droz 1983, P. 220.

2 Philippe HAMON, « pour un statut sémiologique du personnage »,in Poétique du récit ,Seuil coll.

Point,1977.

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Le métier à tisser : Partie théorique

15

1.1-Catégorie des personnages référentiels :

Ils renvoient à des personnes réelles ou des représentations

historiques qui ont une culture déterminée .

« Ils renvoient à une réalité du monde extérieur ou à un

concept. Ils font tous référence à un savoir institutionnalisé ou à

un objet concret appris »1

Leur but c’est marquer la touche réelle dans le roman.

1.2-Catégorie des personnages embrayeurs :

Ils dessinent la place de l’auteur, du lecteur ou de leurs délégués

(personnage " porte parole") dans le texte, ils identifient la fonction de la place.

Le récit désignent les personnages sous formes de pronoms personnelles (Je, tu,

no us et vous) qui sont présents dans le discours

« Ils sont les marques de la présence de l’auteur, du lecteur

ou de leurs délégués : personnage porte - parole, chœur des

tragédies antiques, (...) conteur et auteur intervenant (...)

Personnages de peinture, d’écrivains, de narrateur (...) »2.

Ils établissent la relation entre le lecteur et le récit.

1.3-Catégorie des personnages anaphores :

Selon HAMON ces personnages :

« Tissent dans l’énoncé du réseau d’appels et de rappels à

des segments d’énoncés disjoints et de longueurs variables (un

syntagme, un mot, une paraphrase…).»3 .

Ils rappellent donc des données importantes (fonction cohésive) ou

préparent la suite du récit (fonction organisatrice).

1 http://rechercheformation.revues.org, N 64 | 2010 « Référentiel » Françoise Cros et Claude Raisky ,

consulté le 1 mars 2016. 2 VINCENT Jouve, L'effet-personnage dans le roman, Presses Universitaires de France, 1992, p.271.

3Hamon, Philippe, pour un statut sémiologique du personnage ; poétique du récit. Ed du Seuil, Paris,

1977,p. 85

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Le métier à tisser : Partie théorique

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« Ils sont en quelque sorte les signes mnémotechniques du

lecteur (qui aide à la mémorisation) personnages de historiens,

personnages d’enquêteurs, de biographes, personnages qui sèment

ou interprètent aident à comprendre des indices, etc. »1

HAMON souligne qu’un même personnage peut faire partie

simultanément, ou en alternance de plus d’une des ces catégories. Il précise dans

son ouvrage :

« En tant que concept sémiologique, le personnage peut en

une première approche, se définir comme une sorte de morphème,

doublement articulé, morphème migratoire manifeste par un

signifiant discontinu (un certain nombre de marques) renvoyant a

un signifié discontinu (le "sens" ou la " valeur" du personnage). Il

sera donc défini par un faisceau de relation de ressemblance,

d’opposition, de hiérarchie et d’ordonnancement (sa distribution)

qu’il contracte, sur le plan du signifiant et du signifié,

successivement Ou/et simultanément avec les autres personnages et

éléments de l’œuvre, cela en contexte proche (les autres

personnages du même roman, de la même œuvre) ou en contexte

lointain (in absentia : les autres personnages du même genre).» 2

Un personnage est « un être », et « un faire ». Selon Philippe Hamon, le

personnage peut être conçu comme :

« Le résultat d'un faire passer» ou «un état permettant un

faire ultérieur»3.

Un « être » par l’ensemble des caractéristiques, et de diverses qualités

qu’un romancier prête à un de ses personnages comme (un portrait physique, un

nom, un métier, un sexe…etc) .

« Etudier un personnage c'est pouvoir le nommer. Agir pour

le personnage c'est aussi et d'abord pouvoir épeler, interpeller,

appeler et nommer les autres personnages du récit. Lire, c'est

pouvoir fixer son attention et sa mémoire sur des points stables du

texte, les noms propres. »4

1 ibid p.123

2 Ibid. pp.124-125.

3 Philippe Hamon. Texte et idéologie, p.105.

4 Philippe Hamon, « Pour un statut sémiologique du personnage », in poétique, Paris, édition du seuil,

1979, P. 128

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Le métier à tisser : Partie théorique

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On peut également saisir le personnage à partir de son portrait. Pour lui,

« Le portrait qui est expansion, qui se présente sous la

forme d'une description, joue également un rôle important dans

la construction de l'effet personnage »1

En effet, Philippe HAMON retient trois champs d’analyse :

2- L’être :

L’être constitue tout les éléments qui composent l’identité du personnage :

le nom, les dénominations, le portrait qui comprend à son tour le corps, l’habit,

le psychologique et le biographique.

D’après P. Hamon, l’être du personnage est : « La somme de ses propriétés à

savoir son portrait physique et les diverses qualités que lui prête le romancier »2

2.1. Le nom

Le nom qui suggère une individualité, l’élimination du nom a pour

conséquence de déstabiliser le personnage, il sera réduit à un pronom

anonyme (« il » ou « elle ») ou un nom de ville.

Pour P. Hamon,

« Étudier un personnage, c’est pouvoir le nommer. Agir

pour le personnage, c’est aussi d’abord, pouvoir épeler,

interpeller, appeler et nommer les autres par du récit… »3

Le nom de personne marque :

La distinction du personnage par rapport aux Autres dans une

«collectivité».

L’emplacement du protagoniste par rapport à lui même en signifiant sa

singularité.

La signification du nom que porte le personnage offre au lecteur la clé du jeu de

l’histoire. Parfois elle résume symboliquement à elle seul le personnage à la

faveur d’un jeu de mots.

1 Ibid P.140.

2 Christina Horvath, le personnage comme acteur social Les diverses formes de l’évaluation dans La

Peste d’A. Camus. 1998. 3 Philippe Hamon, Le personnel du roman, Librairie Droz, Genève, 1998, p.107.

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2.2. Le corps

Son portrait physique passe d’abord la référence au corps. Il peut être

beau, laid, difforme, humain ou non humain.

«Ainsi la laideur de Quasimodo dans Notre Dame de Paris,

loin d’être des indices de dévaluation, sont au contraire des

marques d’exception qui placent ces personnages au de là de la

condition commune »1

2.3. L'habit

La référence à l'habit renseigne non seulement sur l'origine sociale et

culturelle du personnage mais aussi sa relation au paraître. Par exemple les

personnages de Zola : ceux qui portent la casquette (les ouvriers) et ceux

qui portent le chapeau (les bourgeois)

2.4. La psychologie

Le portrait psychologique est essentiellement fondu sur des

modalités. C’est la que se construit la relation du lecteur aux êtres

romanesques

«C'est le lien du personnage au pouvoir, au savoir, au

vouloir et au devoir qui donne l'illusion d'une "vie intérieur" »2 .

L`intérêt du portrait psychologique est de créer un lieu affectif entre

le personnage et le lecteur. Il suscitera, selon les cas, admiration, pitié ou

mépris.

1 Jouve, Vincent, Poétique du roman, Armand Colin, Paris, 1998, p.90.

2 Ibid.p.90

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2.5. La biographie

En faisant référence au passé, en donnant la clé de son comportement et de

préciser le regard que le narrateur porte sur lui. Précisions que le portrait

biographique

"Fondé sur un équilibre entre le dit et le tu es le lieu de tous

les effets de suspense"1

Les différents paramètres qui composent un portrait ne sont pas présents

pour tous les personnages et dans tout récit; donc il faudra se demander pourquoi,

dans tel roman un personnage est décrit sur le plan psychologique et pas sur le

plan physique, ou sur le plan vestimentaire et pas sur le plan biographique.

1 Ibid. p.91.

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3- Le faire :

Un « faire » lorsqu’il représente l’ensemble d’actions accomplies par lui,

Cependant à travers son faire, le personnage se définit par rapport aux normes

sociales en vigueur qu'il peut accepter ou refuser, ou par rapport à autrui, ce qui

fait du personnage, un acteur social. Ce dernier (le personnage) joue un rôle

effectif dans le récit, il remplit un nombre de fonctions, donc il passe de l’être au

faire (de la description à la narration).

Pour Hamon, le faire du personnage repose sur:

3.1. Les rôles thématiques :

Le rôle thématique désigne l'acteur qui est porteur de sens, notamment au

niveau figuratif. Il renvoie donc à des catégories (psychologiques, sociales)

permettant d'identifier le personnage sur le plan du contenu. Selon Vincent

Jouve,

« Si le rôle actantiel assure le fonctionnement du récit, le rôle

thématique lui permet de véhiculer du sens et des valeurs. De fait,

la signification d'un texte tient en grande partie aux combinaisons

entre rôles actantiels et rôles thématiques »1.

3.2. Les rôles actanciels :

A.J. Greimas construit un modèle dit actantiel, reformulant les

propositions de Propp, « axé sur l'objet du désir, visé par le sujet et situé comme

objet de communication, entre le destinateur et le destinataire »2

Selon lui, dans un premier temps, les rôles actantiels (ou actants) sont au nombre

de six :

1 La poétique du roman, Éd. Armand Colin, 1997, p. 53.

2 A.J. Greimas. Sémantique structurale, Larousse, 1966 , p ,180.

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AXE ACTANT COMMENTAIRE CONDUITE

Vouloir Sujet –S

Objet -O

à l'origine de

l'action

le but de l'action

Désir

Pouvoir Adjuvant

Opposant

L'aide à l'action

L'obstacle à l'action

Participation

Savoir Destinateur

Destinataire

L'impulser le

Le bénéficiaire

communication

Source : Achour, christiane et Bekkat, Amina, Clefs Pour la lecture des récits,

convergences critique II, éd du Tell, Algérie, 2002, p.48.

Un actant peut être manifesté par plusieurs acteurs et inversement, un

acteur peut représenter plusieurs actants, selon les séquences du récit et

l'évolution de l'histoire.

Schéma actantiel d’A.J.Greimas :

Source :Achour, christiane et Bekkat, Amina, Clefs Pour la lecture des récits,

convergences critique II, éd du Tell, Algérie,2002,p.48.

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4- L’importance hiérarchique :

C’est le faisceau de procèdes différentiels qui permettent de distinguer les

personnages principaux « moins schématique »1 , « plus complexe »

2 des

personnages secondaires « définis par une seule fonction ou une seule

qualification»3.

Selon HAMON, il est souvent nécessaire de retenir à la fois des critères

quantitatifs et des critères qualitatifs des personnages.

Au terme de ses recherches, Philippe Hamon proposera six paramètres, simples

et maniables pour distinguer et hiérarchiser les personnages, il s'agit notamment :

a) De la qualification différentielle

La qualification différentielle qui s'intéresse à la quantité des

qualifications assignées à chaque personnage et aux aspects de leur

manifestation, il s'agit donc de voir si les personnages sont plus ou moins

anthropomorphes, s'ils ont des signes particuliers ou non. S'ils apparaissent sous

un jour plus ou moins favorable sur le plan physique, psychologique et social.

1 Ibid. p.13.

2 Ibid. p.132.

3 Ibid. p.133.

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Le métier à tisser : Partie théorique

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Personnage principal Autres personnages

Anthropomorphe et figuratif Non anthropomorphe et non

figuratif

Reçoit des marques (exemple une

blessure)

après un exploit.

Ne reçoit pas de marques.

Généalogie ou antécédents

exprimés.

Généalogie ou antécédents non

Prénommé, surnommé, nommé Anonyme.

Décrit physiquement. Non décrit physiquement

Surqualifié et motivé

psychologiquement,

qualifié.

Non motivé psychologiquement,

sous qualifié.

Participant et narrateur de la fable Simple participant à la fable.

Leitmotiv. (idée ou formule qui

revient sans

cesse dans un texte).

Pas de leitmotiv

En relation amoureuse avec un

personnage

féminin central (héroïne).

Sans relation amoureuse déterminée

Bavard Muet

Beau Laid

Riche Faible

Fort Roturier

Jeune Vieux

Noble Pauvre.

Source : Philippe Hamon, Pour un statut sémiologique du personnage, Littérature Année

1972, Volume 6, Numéro 2, pp.91

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Le métier à tisser : Partie théorique

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b ) La distribution différentielle

S’attache à déterminer les aspects quantitatifs tels que la fréquence et la durée

des apparitions des personnages : ils apparaissent plus ou moins longtemps, avec

un rôle et des effets plus ou moins importants.

c) L’autonomie différentielle

Renvoie au type de combinaison des personnages entre eux. Il s'agit

concrètement des fréquences d'apparition, des déplacements, et de la multiplicité

des relations qu'un personnage entretient avec d'autres, ainsi, un personnage

pourra apparaître seul ou accompagné et entrer en contact avec d'autres

protagonistes.

d) La fonction différentielle

Porte sur le faire des personnages : leur rôle dans l'action, plus ou moins

important, porteur de réussite ou non.

e) La pré désignation conventionnelle

Combine le faire et l'être des personnages. En référence à un genre donné. Ici

l'importance et le statut du personnage peuvent être codifiés par des marques

génériques traditionnelles : tel trait physique, telle action. Du coup, dès la

première apparition d'un personnage, le lecteur familier du genre peut le

catégoriser.

f) Le commentaire explicite

Porte quant à lui, sur le discours que tient le narrateur à propos d'un

personnage. Il indique le statut du personnage ou la manière de le catégoriser.

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Analyse sémiologique du personnage selon P. Hamon

Le personnage

L’être

Le faire L’importance hiérarchique

Le nom

Les--dénominations

thématiques différentielles

Le portrait

Le corps

L’habit

Le psychologique

La biographie

Les rôles

Les rôles actanciels

Savoir

Vouloir

Pouvoir

La qualification

La distribution

différentielle

La fonctionnalité

différentielle

L’autonomie

différentielle

La pré-désignation

Conventionnelle

La commentaire

Explicité du narrateur

Source : Vincent Jouve, Poétique du roman, éd Arman colin, Paris, 2007, p95.

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Le métier à tisser : Partie théorique

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5- L’espace

L’espace est le substrat dans lequel se déploient les phénomènes

dimensionnels. De même que le temps est associé à la fois à une position dans un

continuum et une durée (définie par la différence entre deux positions), l’espace

est à la fois une position (définie dans deux ou trois dimensions) et une étendue.

L’espace est aussi l’organisation particulière d’un lieu naturel ou construit

quelconque. De même que la position temporelle est rapportée à un état donné

d’une culture donnée (telle pièce écrite au XIXE reflète plus ou moins, fut ce par

la négative ou par l’omission significative, la culture de son époque), l’espace

est rapporté à une culture donnée (telle pièce écrite en France plutôt que partout

ailleurs et reflétant plus ou moins la culture française). En fait, de même qu’on

peut distinguer cinq temps principaux en interaction dans une production

textuelle, on peut y distinguer cinq principales sortes d’espaces: (1) espace de la

production (associé à l’auteur et à l’écriture: lieux où il écrit, lieux qui

l’«habitent», qui l’ont habité); (2) espace thématisé dans la production: (2.1)

espace montré ou représenté, (2.2) (par exemple un personnage en prison

(espace représenté) rêve à la plage (espace évoqué)); (3) espace de la réception

(lieux où se trouve le récepteur au moment de la réception, lieux qui l’habitent,

qui l’ont habité). 1

L’espace dans le récit est considéré comme un espace transfiguré par

l’auteur et sa volonté créatrice : il est donc une représentation, une interprétation

de l’imaginaire. Cependant cette transformation de l’espace peut contenir une

double translation par rapport aux éléments qui le constituent. L’espace est

l’union être l’imaginaire et le vécu

« L’espace est la dimension du vécu, c’est l’appréhension

des lieux ou se déploient une expérience il n’est pas copie d’un

lieu référentiel mais jonction entre l’espace du monde et l’espace

imaginaire du narrateur »2

1 http://ekladata.com/ciel.id.st/perso/mml/methodologie-analyse-litteraire.pdf consulté ( le 23-12-2015 à

20:43) 2 Bachelard Gaston, le récit poétique, 1957 ( réed. quadrige 1983 ).

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Le métier à tisser : Partie théorique

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L’espace est une notion qui se veut réelle, qui existe vraiment dans la réalité :

« En effet l’espace est à la fois une indication d’un lieu et une

création fictive […] l’espace est la dimension du vécu, c’est

l’appréhension des lieux ou se déploie une expérience »1

L’espace joue un rôle primordial dans le roman, il est un signe du décor,

ainsi un symbole de quelque chose comme par exemple dans les contes, la foret

est un symbole de danger.

L’espace pour Philippe Hamon est un lieu de transmission ou d’échange

des informations de droit où se déroule l’histoire comme les lieux de passage, de

rencontre…etc, il a dit dans son article « le savoir dans le texte »que les lieux

sont :

« Les endroits où se stocke, se transmet, s’échange, se met en

forme l’information»2

Jean pierre Goldestein propose pour une étude spatiale d’un roman

littéraire, de répondre à trois questions principales ou ? Comment ? Et pourquoi ?

« Où se déroule l’action ? Comment l’espace est-il représenté

? Pourquoi a-t-il choisi ainsi, pour référence à tout autre ? »3

La première question s’intègre dans l’étude géographique de l’espace

romanesque, la deuxième question cherche à dégager les techniques de l’écriture

aux quelles le romancier avait recourt pour présenter son espace, et enfin la

troisième question et tout simplement la fonctionnalité de l’espace dans le roman.

1 Goldenstein, pour lire le roman, Initiation à une lecture méthodique de la lecture narrative, Paris,

Dculot,1981. 2 Hamon Philippe, « le savoir dans le texte », Revue des sciences humaines, 1975 n°4, pp 489-490

3 Goldestein Pierre : mémoire de magistère intitulé l’autofiction chez Mokeddem , p82

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Deuxième partie

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Le Métier à tisser: Partie analytique

29

Chapitre I: l’approche de Philippe Hamon comme outils

d’analyse

I- Les personnages :

Dans cette étape de notre analyse, nous allons essayer de jeter la lumière

sur les personnages du roman, dans le but d’élargir notre champ d’étude, et de

consolider les phases précédentes de notre recherche.

D’abord, l’écriture Dibienne se caractérise par la mise en texte de

l’espace et la mise en récit des personnages. Ces derniers se présentent

comme une constante de l’écriture. Le personnage, chez DIB, occupe une place

considérable dans ses écrits. Il est considéré selon lui comme une base de la

création romanesque.

Notre roman « le métier à tisser » reflète la situation économique et

sociale du pays ; une misère accentuée sous l’effet de la guerre. La famine sévit

partout ; elle est d’ailleurs durement ressentie sur le plan physique et moral :

« Épuisement, lassitude, angoisse, désespoir » se lisent sur

les visages défoncés, aux joues creuses, vides, cuivrés, étirés » (Le

métier à tisser, pp.198-199)

A la lumière de cette citation il apparait clairement que la famine a déchiré

le peuple algérien quand il était sous le joug de la colonisation française. Elle a

engendré toute sorte une misère sur le plan moral et physique.

Nous tenons à préciser qu’au sein de l’histoire un grand nombre de

personnages expriment leur malheur à haute voix et extériorisent leur désespoir.

C’est ce que nous allons voir dans la citation suivante :

« … nous avons connu, c’est possible, quelques instants de

bonheur. Mais à coté de ça, que de jours noirs ! Nous avons

manqué de tout ; les déboires, les coups du sort ne nous ont pas été

épargnés. Pour quelques minutes de joie, un océan

d’amertumes !... » (Le métier à tisser, p.52)

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Le Métier à tisser: Partie analytique

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A partir de ce passage nous pouvons déduire que le facteur de ce roman

était frappé par un coup dur de l’obscurité et du malheur. En effet durant cette

période, le bonheur était rangé parmi les interdits. Ces personnages sont arrivés

jusqu’à se familiariser avec l’atrocité en considérant un petit instant de bonheur

comme grâce asserte par les colons. Nous nous apportons à mettre en évidence

dans le chapitres suivant un planning du système des personnages:

À cette phase de notre travail, nous avons jugé utile d’analyser le système

des personnages car certains d’entre eux peuvent avoir un lien avec l’auteur, ou

avec ses proches. Il s’avère indispensable pour les motifs/objectifs que nous

avons précisés dans notre problématique et le choix de l’approche théorique

qu’est la sémiotique et plus particulièrement les opérateurs d identifications de

l’auteur avec le héros s.

En revanche, L analyse réalisée selon les notions de Philipe Hamon,

présentée dans la précédente partie devrait nous permettre d’accéder aux

classifications suivantes:

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Le Métier à tisser: Partie analytique

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1-Catégories des personnages (signes) :

1.1- Personnages ou signes référentiels :

Nous tenons maintenant à présenter l’ensemble des personnages que notre

corpus met en scène il s’agit de: Omar, Aïni, Mahi Bouanane, Ocacha, Ba Skali.

Se sont des noms réels existant dans la société algérienne.

Ensuite, nous distinguons des personnages qui sont des références historiques tels

que: Boumediene (nom du président de la République de 1965 à 1978). Ce nom

est considéré comme un signe de la «Révolution». Hitler vainqueur de la France

dans la deuxième guerre mondiale (1939-1945). Pétain (Philippe Pétain est un

militaire, diplomate, homme politique et homme d'État français.) et Rothschild

(Le baron Guy-Édouard-Alphonse-Paul de Rothschild, est un banquier français).

Ces deux derniers personnages rappellent la France conquérante de l’Algérie,

ennemi de l’Algérie, durant la seconde guerre mondiale.

« Amis, de quel homme s’agit-il, je voudrais bien le savoir !

S’agit-il de Pétain ? De Rothschild ? Ou s’agit-il de moi ? » (Le

métier à tisser, p.63)

Puis, nous trouvons des personnages sans noms ; ils sont des acteurs

sociaux qui présentent un aspect de la réalité, ce sont : les Mendiants, les Fellahs,

les policiers, les ouvriers, l’agent, la femme, le serveur. Ces derniers apparaissent

accomplir le déroulement de l’histoire.

En somme, ces signes sont utilisés dans cette histoire dans le but de

montrer les conditions de vie du peuple algérien pendant la guerre et porter

l’histoire d’autres peuples qui ont subi presque les mêmes souffrances.

1-2- Les personnages ou signes embrayeurs :

Dans « le métier à tisser » les personnages « se passent les rôles » les uns

aux autres Ce que nous allons exposer dans ce qui suit :

-Entre Omar et Ocacha : lorsque cet homme donne à Omar une prise de

conscience de la vie et un conseil pour passer les obstacles.

« Ocacha soupira. Il sourit et dit :

- Je suis inquiet…

Omar reposa son verre.

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- Je n’étais pas tranquille déjà, reprit Ocacha, et

maintenant, avec tous ces hommes qui remplissent la ville..

- Oh ! il n’y a rien à craindre d’eux !

- Enfant !

Ocacha se mit à rire. Mais l’instant suivant, il fut moins gai»

(Le métier à tisser, p.98)

-Entre Omar et sa mère : quand la mère interroge son fils sur les

annonces de la mairie

« - As-tu revu le tableau de la mairie : on n’annonce pas la

distribution de la farine ?

- Non, rien. Il n’y a de marqué l’huile et le savon, que nous

avons touchés. Si on compte comme la dernière fois, on aura de la

farine dans huit ou dix jours.

- Ils feraient bien de se dépêcher. » (Le métier à tisser, p.41)

1-3 Les personnages ou signes anaphores

On retrouve ces personnages surtout dans les prédictions, les flash-back,

les souvenirs, les rêves prémonitoires, les scènes d’aveux ou de confidence,

personnages qui sèment ou interprètent des indices, on peut trouver un même

personnage en alternance ou simultanément dans plus d’une de ces catégories :

-Ocacha :

Quand il se remémore son enfance :

« Quand j’avais à ton âge ….

Ocacha restera un instant sans dire mot. Il appliqua alors

une tape sur l’épaule d’Omar (….) Je suis inquiet » (Le métier à

tisser,p.97)

-Ba Skali :

Quand il compare le passé et le présent

« Il avait dit, un instant plus tôt, avec la même

intonation : «ils respectaient encore le travail de l’homme.» (…) il

raconta que, certes, dans le passé on ne connaissait pas le chemin

de fer, ni l’auto, ni les autres merveilles de ce siècle. Mais le

travail était une bénédiction ! On gagnait plus d’argent qu’on ne

pouvait en dépenser ! Et quels patrons il y avait ! Quels gens !

Comme tout était bon marché ! » (Le métier à tisser, p.46)

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Le Métier à tisser: Partie analytique

33

Et aussi Lorsqu’il sème des indices en murmurant des versets coraniques:

« Skali se mit alors à marmotter des versets du Coran,

accompagné aussitôt en sourdine par Ghoutti Lamine. Les deux

voix, l’une rêche et nerveuse, l’autre coulante, profonde, qu’on

devinait mieux exercée, se soutinrent mutuellement et finirent par

se fondre en un seul chant, plongeant la cave dans une atmosphère

d’oraison. » (Le métier à tisser, p.59)

-Ghoutti Lamine :

Quand il décrit à Omar les pensées de son père

« Ainsi, tu es le fils d’Ahmed Dziri ? C’était un honnête

homme, mais il avait des idées, Dieu me garde ! des idées…

- Il tenait des propos qu’une oreille de musulman ne peut

pas entendre. Tous les hommes, prétendait-il, sont pareils et

égaux…

- Ton père s’élevait sans le savoir contre la Loi sacré. Que

dire ?... il est mort. » (Le métier à tisser, p.56)

-

2-Typologie ou classification des personnages

Nous procédons dans cette étape d’analyse à une classification selon

l’importance de chaque personnage et sa valeur pour les autres et pour

l’évolution des évènements.

Etre des personnages :

C’est l’aspect physique qu’a donné l’auteur à ses personnages, bien qu’on

ne puisse le séparer de leur faire ou de leur dire.

2-1/ Personnage principal (le protagoniste) :

Comme la narration le rapporte, nous avons vu, au cours de notre lecteur

que Omar, malgré son âge précoce, rempli la fonction du héros.

Il s’agit en fait du héros de l’histoire. Il se caractérise par une chemise déchirée,

pantalon bleu, sandales imbibées d’eau, ce sont des signes d’une existence

originelle. Il vit avec sa mère et ses deux sœurs. Orphelin, c’est lui qui apparait

le plus souvent dans le récit, et l’unité de l’œuvre consiste en sa présence presque

constante; omniprésent dans toute l’histoire ; car tout s’articule autour de sa

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Le Métier à tisser: Partie analytique

34

personne qui nous introduit dans les cours de la société Tlemcenienne, société

qui reflète elle-même toutes les caractéristique sociales du peuple algérien.

Il a arrêté ses études pour rejoindre un atelier de tisserands où il a réussi à

s’emparer d’un travail pour manger à sa faim. Au début, il avait du mal à

s’habituer aux circonstances qui l’entourent, il ne savait que faire.

Quelques jours après, Omar apprend beaucoup sur la condition ouvrière

au contact de son ami Ocacha, du forçat Hamza et du révolté Hamadouch, tous

les trois tisserands travaillant chez Mahi Bouanane.

« …- c’est le patron qui m’envoie pour une place de

dévideur.

L’individu qui, le premier, l’avait interrogé, le mesura du

regard. Il eut une grimace désabusée.

- Quel âge as-tu ?

- Quinze ans.

Par prudence, Omar s’était vieilli d’une année

C’est bon… Tu peux rester. » (Le métier à tisser, p.25)

La brutalité de la colonisation française à fait vieillir les enfants. Omar, un

petit enfant, qui est censé étudier, se retrouve face à des situations lamentables

qu’entraîner la barbarie de la colonisation Française. Le passage que nous avons

sous les yeux est d’une signification profonde. C’est celle de dépourvoir le

monde de l’humanisme. Voilà ce que le passage suivant va également

consolider :

« Les jours s’écoulaient, Omar Mûrissait. Il n’était pas plus

gauche n’est moins vif à saisir les choses qu’un autre. Il avait

acquis une bonne dose d’expérience, depuis qu’il travaillait ici. Les

mauvais traitements n’avaient plus autant d’effet sur lui qu’au

premier jour. Il avait appris à se défendre.» (Le métier à tisser, p.79)

Suite à ces mots touchants, nous pouvons retenir une idée très importante.

Il s’agit en fait d’un enfant qui dépasse lointainement son âge à cause des

obligations de son vécu. Il est entré dans la jungle de la vie où il apprend à se

défendre, où l’innocence et la naïveté ne font plus partie de son dictionnaire.

Bref, les mots de la vie commencent à le forger en leur apprenant les leçons

basiques de la vie.

De là, il nous incombe de nous concentrer sur les personnages principaux.

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Le Métier à tisser: Partie analytique

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2-2/ Personnages principaux :

Omar côtoie d’autres personnages. Juste après lui, et par ordre

d’importance et de présence on pourrait les classer par une présence physique ou

morale (imaginaire).

- Ocacha : un personnage principal qui fait fonctionner le récit, c’est un

vieux tisserand, travaillant chez Mahi Bouanane. Un géant, il a une barbe

charbonneuse et une poitrine large, il porte une simple chemise cantonade. Il a

une voix comme une lampe qu’on aurait soufflée. le plus proche à Omar. C’est

un homme sage, courageux et stable.

« Ocacha faisait penser, par la souplesse et la force qui est

l’animaient, à un masseur de bains publics. Sa poitrine large,

velue, billot de boucher, se couvrait d’une simple chemise de

cotonnades rayées qui retombait sur sa braie à la façon d’une

blouse. Une barbe embroussaillée, séparée en deux pointes,

atténuait l’impression de rudesse qui se dégageait de sa personne,

et intriguait en même temps. Dans l’expression obstinée qui

embrumait son regard, il n’y avait pas d’amertumes, mais un

enfant de tristesse. D’évidence de cet homme avait le cœur à

l’étroit. » (Le métier à tisser, p.48)

On retrouve clairement dans ce passage, les caractères physiques et psychiques

du personnage. Des critères qui guident l’imaginaire à dessiner un portrait fictif.

- Ba Skali : (Ba de l’arabe : abréviation de Baba pour désigne un homme

âgé et père), un vieux tisserand ; travaillant en silence ; il a un nez cassé,

écorché par des lunettes ovales, sa figure ratatinée toute rose. C’est un homme

posé.

« … Avec sa figure ratatinée toute rose, son nez cassé,

écorché par des lunettes ovales, ses yeux qui larmoyaient, troubles

sous l’épaisseur des verres, et implorants tels ceux d’un chien sans

maître. De sa bouche en creux, dissimulée par une barbe argentée,

la voix grêle s’échappait, ne vous lâchait plus. » (Le métier à tisser,

p.47)

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-Aïni : c’est la mère d’Omar, veuve, apparait beaucoup plus dans la

première partie du roman. Elle suit son enfant dans la vie en famille, elle

s’occupe de ses enfants et arrive difficilement à les nourrir, elle a pratiqué

différents métiers, elle sort pour apporter sa ration de charbon. Elle se consacre

uniquement au travail.

« Au plus fort de la nuit, ils s’étaient rendus, lui et sa mère,

au ravitaillement de charbon, et avaient trouvé une foule qui faisait

déjà la queue.» (Le métier à tisser, p.35)

-Hamadouch : un beau garçon, le plus jeune des ouvriers, c’est un requin (à

la crête flamboyante) vif, ses yeux de chat flamboyaient, et des lèvres pincées. Il

a un air sauvage. il provoque toujours Omar. C’est un parasite

« Hamadouch eut un rire strident. Ce beau garçon, le plus

jeune des ouvriers parlait haut et d’une façon saccadée qui

provoque ses interlocuteurs » (Le métier à tisser, p.31)

-Les Mendiants : foules de gens pauvres occupant une place dans les rues de

Tlemcen, portant des tuniques minables, pessimistes, négligés par les habitants

de la ville et ils sont battus par les colons français :

« Les vagabonds avaient des visages brules, secs » (Le métier à

tisser, p.44)

« Ils avaient le même air battu et hérissé, ils paraissaient

tous enrobés dans la même poussière brune. Ils arboraient des

haillons identiques ; tout promenaient une expression murée,

traînaient des corps défaillants. » (Le métier à tisser, p.84)

« … Ils se couchaient à l’endroit où les ténèbres les

surprenaient. Lorsque le vent cisaillant l’air, il resserrait leurs

guenilles autour d’eux, ils posaient leur crâne à cru sur une pierre

ou une marche et s’endormaient.» (Le métier à tisser, p.15)

« Les pouvoirs publics venaient de charger les dernières

grappes de mendiants dont plusieurs camions. La ville était libre ;

elle respirait ! (…) Le fait est que c’était trop rude. Beaucoup

voyaient ce peuple en face pour la première fois, et ils ne

discernaient rien d’engageant en lui ; il leurs paraissait

repoussant, dans son âpreté. Effrayés d’honnêtes gens se

détournaient en disant : « je ne me reconnais pas en ceux-là » (Le

métier à tisser, p.87-88)

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Ses extraits, expriment bel et bien l’état des vagabonds, leur misère, leur

privation, leur indigence dans les rues de la ville car la société algérienne est en

proie d’un bouleversement.

2-3/ Personnages secondaires:

- Mahi Bouanane: (le patron) son prénom est Mohcène, un grand homme

qui a un ventre proéminent il s’assoie sur un matelas, il est riche mais avare :

« … un personnage bouffi était assis sur un matelas, les

jambes repliées (…) empaqueté dans une gellaba rousse en poil de

chameau, gonflée d’eau et radie.(…) d’un mouvement d’épaule,

Mahi Bouanane, parvenu au centre de l’atelier , rabattit son

capuchon en arrière et s’ébroua. » (Le métier à tisser, p.30)

- Choul : c’est un personnage secondaire décrit par le narrateur comme

homme sans dents, décharné, le visage terreux avec une gencive violette. ses

yeux ronds et privés de cils.

« Choul, c’était lui, l’homme sans dents. Décharné le visage

terreux, les cheveux coupés court, il avait l’air d’un vieux balai

déplumé. Il s’approchait d’une démarche chaloupée, un

ricanement découvrant ses gencives violettes ; ses yeux étaient

semblables à ceux d’une buse, secs et brulants. » (Le métier à tisser,

p.28)

- Zbèche : (Hami son prénom) : un jeune tisserand travaillant aussi dans le

même atelier, le narrateur le décrit ainsi :

« Un petit monstre difforme, à la tignasse ébouriffée, sortit de

l’ombre derrière Omar et le tira par l’épaule. (…) ses prunelles

tuméfiées brillaient malgré le voile qui les recouvraient. » (Le métier

à tisser, p.25-27)

- Zhor : c’est un personnage secondaire peu décrite par le narrateur, c’est

une jeune fille très jolie, voisine d’Aïni. Elle a quitté son mari:

« Zhor avait quitté son mari (…)Zhor, Il l’entrevoyait

seulement de loin, l’espace d’un éclair, l’espace d’un éclair, en

tunique de soie rose et avec des boucles d’oreilles d’or. Qu’elle

avait changé ! » (Le métier à tisser, p.42-43)

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- Meriem et Aouicha : les sœurs d’Omar travaillent dans un atelier de

couture pour gagner un peu d’argent et aider leur mère.

« Les deux sœurs ne tardèrent pas à se montrer, le voile

rejeté en arrière. La pluie avait filtré à traves leur haïk leur

plaquait des mèches de cheveux sur les joues». (Le métier à tisser,

p.42)

- Ghoutti Lamine : un vieux tisserand, religieux, il est décrit comme suite :

« Lamine remuait encore les lèvres ; il formait des mots et

des mots à voix basse.

Gris et râblé, la cinquantaine inscrite sur sa figure réfléchir

et rébarbative, il ne pouvait être confondu avec aucun homme de

l’atelier. Sa casaquine de feutrine bleu pâle, soutachée, ses culottes

bouffantes en gros tissage blanc, et surtout la soigneuse propreté

de sa mine, formaient un contraste frappant avec la tenue des

autres ouvriers » (Le métier à tisser, p.53)

« Sa figure se radoucit un peu, s’éclaira comme malgré lui :

encadrée de gaze immaculée lui faisait des oreillettes de chaque

coté, elle reflétait de lointains souvenirs. » (Le métier à tisser, p.55)

- L’américain : un soldat, décrit par le narrateur comme suit :

« L’homme, grand, un peu filiforme et étroit d’épaules, était

tout jeune encore. Il regardait à Omar avec des yeux d’un bleu

tendre qui souriaient. Il y avait une franchise enfantine dans son

expression qui attirait spontanément la sympathie. Ses cheveux

blonds coupés très ras tout de la tête, et la petite mèche qui lui

retombait sur le front, accentuaient encore cette impression..

C’était un étranger. (Le métier à tisser, p.202)

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II- L’analyse sémiotique du personnage selon Philippe Hamon

1. L’être:

Dans cette étape, nous allons essayer d’étudier les caractéristiques de certains

personnages du roman « le métier à tisser » de DIB, et le tableau suivant montre

notre étude de l’être des personnages choisis.

personnages Caractérisation

physique

Caractérisation

psychique

La tenue

vestimentaire

Omar jeune

mains enflées violacées

tête pointue, cheveux

rêche, petite yeux noirs

Intelligent, dur,

cultivé, amoureux

Chemise déchirée,

pantalon large

bleu, sandales

imbibées d’eau

Aïni Vieille, rides sur le

visage

Dure, Un vieux fichu

élimé rabattu.

Ocacha Vieux, un géant une

barbe charbonneuse

poitrine large, grande

de tête

Sage, Stable,

intelligent,

courage

Chemise de

cotonnades

Ba Skali Le nez cassé, vieux, ses

yeux verts barbe

argentée voix grêle

s’échappait

Lunettes ovales

Mahi

Bouanane

bouffi, les jambes

repliées,

Riche gellaba rousse

Zhor Jeune fille

cheveux noire et douce

Triste

Amoureuse

Tunique de soie

rose, boucles

d’oreilles d’or

Les

mendiants

Visages brulés, secs Pessimistes Des tenus

minables

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Zbèche Jambes torses, voix

futée, cheveux

ébouriffées

Ghoutti

Lamine

Un vieux, gris, râblé,

voix coulante

Religieux

(pratiquant)

Casaquine de

feutrine bleu pâle

Hamadouch Lèvres pincées, crête

flamboyante, beau

Air sauvage

Choul Sans dents, décharné,

visages terreux,

cheveux court,

gencives violettes,

main large et dure,

yeux ronds

L’américain grand, étroit d’épaules,

jeune. des yeux d’un

bleu, cheveu, petite

mèche

Sympathie, enfantin

Tableau 01 : caractéristiques physiques et psychologique des personnages.

Après avoir entamé cette petite analyse concernant l’être des personnages,

nous pouvons constater en première vue que ces figures mises en scène par

l’auteur, sont purement fictives, car les personnages ont des noms fictifs, malgré

qu’il y a une certaine correspondance entre les portraits des membres de la

famille du héros dans l’histoire, et les membres de la famille de l’auteur dans son

vécu ( les portraits morales de la mère et du père du héros concordent avec ceux

de l’auteur).Donc l’auteur dans son histoire a donné les caractères de certains

personnages qui existent réellement dans sa vie, pour créer des figures fictifs, et

des personnages imaginaires mais inspirés d’une réalité vécue, ce qui donne un

charme à son roman et une certaine difficulté de lecture.

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Le Métier à tisser: Partie analytique

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Dans le tableau précédent nous avons analysé les différents critères selon

lesquels ils sont décrits, nous constatons que tous les personnages que nous

venons de citer ont des traits différents. L’analyse de ces personnages , se fait en

fonction de critères : physique, psychologique et de la tenue vestimentaire.

En ce qui concerne les critères, on remarque que tous les personnages du

roman ont une description minutieuse.

Ainsi après avoir accompli cette petite étude sur les personnages de notre

corpus, nous arrivons à constater qu’il y a quelques personnages symbolisant,

pour l’auteur, un sentiment humain authentique.

Personnages Symbole

Omar La volonté

Mahi Bouanane l'avarice

Ocacha La sagesse, la solitude, le courage.

Mohamed Cherak L’espoir.

Aïni la mère la tendresse.

Zhor L’amour.

Tableau 02 : les symboles des personnages

Ces personnages sont une description par excellence des différentes

catégories de la société algérienne au XIX siècle, les pauvres, les mendiants, les

bourgeois (les européens), les ouvriers ….etc. Par la création de ces personnages,

DIB met en scène les comportements humains à travers les situations les plus

difficiles, dans le but de présenter une image cachée, et d’une façon indirecte, sa

souffrance pendant son enfance, et la misère des peuples au XIX siècle, toute en

essayant de toucher la sensation et de réveiller l’émotion du lecteur.

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a. Personnages féminins et masculins :

Notre étude des caractéristiques des Personnages féminins et masculins est

importante, L’analyse des aspects généraux de ces personnages (féminins et

masculins) tient compte de la classe sociale, du niveau intellectuel, antécédent

familiaux, et l’origine Géographique et enfin le lieu de résidence.

Les

Personnages

Féminins et

masculins

Le lieu de

résidence

Antécédents

familiaux

Niveau

familiaux

Origine

ville

Compagne

pauvre

riche

cultivé Non

cultivé

simple Petit

Bourgois

noble

Omar + + + +

Aïni + + + +

Ocacha + + + +

Mahi Bouanane + + + +

Choul + + + +

Zbèche + + + +

L’Américain + + + +

Les européens

+

+ + +

Ghoutti Lamine + + + +

Zhor + + + +

Hamadouch + + + +

Ba Skali + + + +

Aouicha + + + +

Meriem + + + +

Lala + + + +

Mama + + + +

Zohra + + + +

Tableau 03: Aspects généraux des personnages

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Les personnages masculins et féminins possèdent plusieurs points en

commun, ils sont tous des algériens sauf deux, ces personnages reflètent et jugent

une réalité sociale et politique de l’époque de la seconde guerre mondiale dans

laquelle ces personnages comme tout le peuple algérien, ont tant souffert : de

discrimination, de pauvreté, dé corruption, de la bureaucratie. Mohammed DIB

place successivement ses personnages dans les deux régions (village et ville), les

personnages sont ainsi nourri par la réalité environnante, ils reflètent toujours la

réalité culturelle et historique. Le tableau suivant nous montre les différentes

activités sociales des personnages masculins. Cette classification repose sur les

catégories suivantes (fiancé, marié, célibataire, veufs), occupation (Travail-autre)

et loisirs et déplacement (voyage ou déménagement)

Personnages

masculin et

féminin

Le roman âge Origine

géographique voyage Statut

social

Omar Le métier

à tisser

14 ans Tlemcen + célibataire

Aïni Le métier

à tisser

Jeune

femme

Tlemcen + veuve

Ba Skali Le métier

à tisser

vieux Tlemcen +

Ocacha Le métier

à tisser

vieux Tlemcen +

Hamadouch Le métier

à tisser

Jeune Bni Boublen - célibataire

Choul Le métier

à tisser

garçon Bni Boublen - célibataire

Ghoutti

Lamine

Le métier

à tisser

Jeune

homme

Tlemcen +

Tableau 04 caractéristiques des personnages

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On remarque que l’âge de la plupart des personnages n’est pas donné sauf

pour un seul, c’est Omar (14 ans). Mais on peut le déduire.

La plus part de ces personnages féminins et masculins sont des jeunes hommes et

femmes .mais pour certains ils sont des vieux. On remarque aussi que la plus part

d’entre eux sont célibataires, une autre caractéristique commune, celle de la

nationalité des personnages, ils sont tous des algériens et des algériennes.

Concernant la classe sociale, on remarque que les personnages représentent

presque la même classe des pauvres, indiquée par le narrateur.

La majorité des personnages font des voyages sauf certains.

Le roman Les personnages

secondaires

Les simples rôles

Aouicha La sœur d’Omar

Meriem La sœur d’Omar

Zhor La voisine d’Aïni

Le métier à tisser Lala La sœur d’Aïni

Mama

Zohra La mère de Zhor

On note que l’auteur donne aux personnages secondaires beaucoup

d’importance puisque il leur attribue des rôles très importants.

Leur comportement renvoie à une réalité morale et psychique, en référence

avec la réalité quelque soit matérielle, sociale, morale ou psychique dans la

seconde guerre mondiale.

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2. Le faire :

a. Le rôle des personnages ;

- Omar

Il a le savoir faire puisqu’il sait tout ce qui se passe dans la ville et ses

habitant. Il connait la réalité sociale et politique de la seconde guerre mondiale. Il

a le pourvoir-faire parce qu’il est éduqué et il a pu réussir à éveiller la pensée et

l’esprit du peuple tout au long du roman. Il a le vouloir-faire puisque il veut

changer la situation dans laquelle il vivait, il a aussi le devoir faire parce qu’il se

sentait toujours qu’il n’était pas satisfait de sa situation non réglée.

- Ocacha:

Il a le savoir faire puisqu’il sait tout ce qui est autour de lui. Il a le pourvoir

faire parce qu’il a la force et il a le devoir faire parce qu’il conseille toujours

Omar pour passer ses obstacles.

- Aïni:

Elle a le savoir-faire parce qu’elle connait son pays. Elle a le vouloir-faire

car, elle veut trouver un travail à son jeune garçon et elle a le pouvoir faire car

elle a réussi de trouver un travail pour son fils Omar.

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b. Le schéma actantiel de Greimas :

Tout ou long de l’histoire, les personnages sont en quête de « la liberté »

Le schéma présente le désir de changement avec une sensibilité poignante du

peuple Algérien colonisée. Malgré toute cette misère les gens ont le courage de

défendre leur liberté et combattre leurs ennemis (les français).

distinateur:

le désir de changement

sujet:

la liberté

distinataire:

le peuple

opposant:

les français

objet:

le peuple

adjuvant:

le courage

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3. L’importance hiérarchique :

C’est le troisième point de l’analyse sémiologique de Philippe Hamon, qui

vise à démontrer l’importance du statut ou la classification du personnage

principal dans les mécanismes de narration.

a/ La qualification :

Notre personnage principal est qualifié, il a un prénom, c’est Omar. Il est

décrit physiquement; comme un jeune aux mains enflées violacées et une petite

tête ; c’est un jeune garçon à la fleur de l’âge, ayant quatorze ans. Orphelin de

père. Issue d’une famille pauvre de trois membres (une mère et deux sœurs).

Amoureux de Zhor, sa voisine. Adolescent, fort, rêveur, ambitieux et plein

d’enthousiasme, il veut dévorer la vie à plein dents, un chercheur de liberté à tout

prix. Mais vu la société dont il fait partie, malheureux il ne parvient pas à vivre

ses désirs :

« Omar regardait la trouée pale de la porte, et la nuit,

au-delà. Aïni, sur sa couche, songeait. L e garçon passait ses

actions en revue et sentait coupable malgré lui... » (Le métier à

tisser, p.41)

b/ La distribution :

La distribution du personnage est très révélatrice. La présence d’Omar est

marquée tout au long du récit : il apparait au début de l’histoire jusqu'à la fin. Il

apparait également dans de nombreux lieux tels que : la rue Tlemcenienne, la

maison, l’atelier, la café, la rivière… C’est lui qui a le dernier mot dans l’histoire.

En effet il a toujours besoin d’échapper à son destin imposé en vivant quelques

moments de liberté fugitifs, toujours en secret en oubliant la réalité amère qu’il

vit, loin de tout ce qui vient déranger son bonheur :

« Le cœur d’Omar sauta dans sa poitrine sous l’effet

d’une joie insensée. Un impossible espoir l’étreignit, sa gorge

se contracta et il crut qu’il allait pleurer » (Le métier à tisser,

p.203).

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c/ L’autonomie :

D’après les penchants à vouloir poursuivre et la situation critique qu’il vit,

nous voyons clairement qu’Omar est un personnage autonome. Indépendant, il

ne peut compter sur personne, il assume ses actes :

« … Omar, d’une secousse, réussit à se défaire de lui ;

furibond, il le menaça : je vais t’envoyer mon pied dans la

gueule ! » (Le métier à tisser, p.54)

Ainsi, au sein des pires drames et situations, il arrive toujours à surmonter

la cruauté de l’expérience toute seule :

« Au retour, Hamadouch le saisit à l’improviste par les

oreilles et lui cogna la tête contre les montants de l’ourdisseuse…il

se jeta sur son adversaire…Omar lui serra la pomme d’Adam

comme dans un étau… Omar s’attendit à être tué. » (Le métier à

tisser, p.68)

Ajoutons que la pré-désignation conventionnelle confirme l’étiquette du malheur

et de la souffrance d’Omar

« Les oreilles sans arrêt échauffées par ses récriminations, il

s’était engagé chez un épicier. Mais il commençait à peine à

travailler, que le magasin était fermé par les autorités, et le

marchand, son patron, jeté en prison. » (Le métier à tisser, p.11)

Et parfois à travers les mendiants,

« Les mendiants élevaient des appels entêtants et sans espoir

« La charité, frères humains, la charité ! Faites la charité ! ». (Le

métier à tisser, p.21)

C’est une évaluation pré-désignative et révélatrice. Le thème « faim » est

un prédicateur qui participe sans cesse dans l’évolution de l’intrigue. Ce niveau

descriptif d’approches des qualifications du personnage fait prendre conscience

de son relief et des moyens mis en œuvre par l’auteur pour attribuer un aspect

«anthropomorphe » a cet être de fiction.

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Le Métier à tisser: Partie analytique

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d/ Le commentaire :

Pour Omar, c’est un adolescent en quête de liberté, espérer à changer le

monde qui l’entoure et qui a un désir avide de transgresser toute la misère :

« Omar songeait à tous les mendiants dont la foule errait

par la ville, si misérables dans leur solitude. Un mouvement de

révolte contre ses compagnons grondait en lui » (Le métier à tisser,

p.98)

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4-Espace :

L’emploi de l’espace dans le roman de DIB joue un rôle très important.

L’action de « le métier à tisser » se déroule à Tlemcen, à Dar Sbitar, Bni-

Boublen, au café et plus précisément dans une cave de tisserands où travaillent

Omar et D’autres gens chez le patron Mahi Bouanane.

A Tlemcen. Omar nous conduit dans ses rues, sur l’esplanade du Mechouar,

sur les remparts de « Bab zir », dans la rue basse dite rue des Babouchier et aussi

au café du Beylick.

« La ville basse » « la foule roulait ici, sombre comme de la

poix ». (Le métier à tisser, p.158)

« Il courait jusqu’à Bab Zir, chez Mahi Bouanane, pour y

prendre un couffin et des consignes ». (Le métier à tisser, p.78)

« Il se rendirent tous deux, alors que ni l’un ni l’autre ne

l’avait décidé, à l’un des cafés du Beylick » (Le métier à tisser, p.170)

La cave des tisserands, c’est un atelier de tissage, sombre, humide et malsain.

Omar évolue comme apprenti pendant onze mois dans « ce trou malodorant, à

odeur de moisi si forte, au froid si glacial, un lieu où l’on suffoque, une fosse, un

caniveau » (Le métier à tisser, p.12-189)

C’est une cave qui a tout l’aspect de l’antichambre de la mort, car l’ouvrier

qui séjourne n’aura pas la chance de vivre longs temps.

« …s’habituant à la lumière vague du sous-sol, il aperçut les

tisserands qui l’examinaient avec hostilité. Ils avaient tous des traits

usés et blêmes ». (Le métier à tisser, p.24)

Dar Sbitar : (vieille bâtisse d'habitation collective) c’est l’endroit où ont vécu

les familles du roman il est aussi le lieu où Mohammed Dib a habité avec sa

famille après la mort de son père. Cette grande maison est située dans un quartier

populaire, au nord-ouest le l’ex-rue dit « Bab El hadid » (Bab El hadid est une

expression arabe qui veut dire porte de fer).

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Le Métier à tisser: Partie analytique

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Chapitre II: Analyse du texte :

1. Souffrance des personnages :

Dans cette phase, nous nous sommes intéressé à étudier la souffrance des

personnages dans le roman de Mohammed DIB « le métier à tisser ».

Durant la période de la seconde guerre mondiale le peuple algérien trouve des

difficultés dans la vie (santé, nourriture, travail…), À travers des images le

narrateur donne une description précise de l’état des gens :

Nourriture :

Dans le roman, DIB indique tout ce qu’un pauvre à la possibilité de manger :

Les repas :

« Une sauce, des navets accommodés aux tripes »p10

Le pain :

« Croutes de pain rassis, Miche de pain bis, un morceau de galette» p10-27

« Tu travailleras jour et nuit, et tu n’atteindras pas le bout de

pain. Entends-tu? Tu n’atteindras pas le bout de pain ! » (Le

métier à tisser, p.39)

Le terme ‘pain’ symbole de la faim et de la pauvreté, qui ouvre et clôt le

roman il est aussi celui de la compassion. C’est le besoin que tout le monde

recherche.

« Même notre pain est noir comme est noire la nuit qui

nous entoure » (Le métier à tisser, p.41)

Tout au long du roman Le pain est une nourriture existentielle, il est

considéré aussi comme une quête en soi.

Les légumes :

« Des navets »p10 « des pommes de terre cuites » p101

« une poignée d’olive sèches» p27

La viande :

« De la sardine froide »p51

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Le Métier à tisser: Partie analytique

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Santé :

Quelques personnages ont des maladies chroniques, ces maladies frappent

particulièrement les pauvres, c’est la cause de leurs souffrances.

« Parmi les adultes, on mourait beaucoup » (Le métier à tisser,

p.11)

Le narrateur décrit aussi une maladie mystérieuse celle du père de

Hamadouch :

« … avait mangé trop de poussière de laine et il en est

mort » (Le métier à tisser, p.32)

D’autres maladies qui sont :

La fièvre :

« Les yeux noirs de l’enfant brulaient enfiévrés » (Le métier à

tisser, p.45)

Le typhus :

« Son camarade d’atelier avait été emporté par le typhus »

(Le métier à tisser, p.114)

L’asthme :

« Moulai ne cessait de haleter: sa respiration oppressée

d’asthmatique s’entendait de loin » (Le métier à tisser, p.49)

Dans les deux cas précédents (nourriture et maladie) le narrateur parle de

plusieurs formes négatives qui incluent les habitants de Tlemcen et qui les

dirigent vers la mort.

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Le Métier à tisser: Partie analytique

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1.1. Souffrance des mendiants:

Les mendiants sont une foule du peuple algérien souffrant durant la

deuxième guerre, où les français battent leurs rassemblements publics. Ses gens

pauvres vivent comme les morts sans domicile et sans nourriture:

« Sans relâche, l’armée grouillante des meurt-de-faim

affluait à travers rues et venelles. Elle soulevait le sol, aurait-on

pensée, pour déboucher de profondeurs inconnues. Honteuse cohue

qui s’épouillait en plein air, étalait ses membres épuisés, ses

escarres purulentes, ses yeux trachomateux. Une cendre froide

saupoudrait ses êtres sans identité. Ils vagabondaient un peu de-ci

de la : jamais ils n’allaient bien loin. Inattentif les uns aux autres,

ils ne se réunissaient pas entre eux. Mais quand quelque part, une

distribution de nourriture ou de gros sous avait lieu, ils formaient

un cercle qui s’enflait à vue d’œil. Si, à ce moment là on les

chassait, ils se séparaient docilement ». (Le métier à tisser, p.18)

Cet extrait montre la tyrannie des soldats français envers la populace.

L’armée expulse les misérables qui défilent dans les rues. Les membres de

cette populace ne se réunissent que lors d’une distribution de nourriture.

Cette toile est un exemple d’affliction des algériens et leur survie de tous

les jours. C’est un état douloureux qui plonge le peuple dans un bain

d’amertume et d’attristé.

« Les pouvoirs publics venaient de charger les dernières

grappes de mendiants dans plusieurs camions. La ville était libre ;

elle respirait ! » (Le métier à tisser, p.87)

« Les mendiants continuaient d’errer sans but et sans

paraître remarquer le déluge qui les sauçait. Ils allaient la prunelle

morte, la main quêtant dans un geste instinctif.» (Le métier à tisser,

p.18)

« Bientôt, il n’y eut plus de famille, si pauvre fût-elle, qui ne

les fit manger. En ne remettait souvent qu’une mince tranche de

pain ; mais on la remettait. Ajoutez-y un sentiment ordinaire

solidarité qui commençait à pousser chaque personne vers eux… »

(Le métier à tisser, p.89)

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Le Métier à tisser: Partie analytique

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Dans les passages précédents, le narrateur décrit le statut des pauvres qui

habitent Tlemcen.

Les souffrances que la colonisation a infligée au peuple algérien, affichant des

comportements de désespoir face aux situations les plus dures

Ainsi que la guerre qui a engendré des déchirements donnant au peuple

algérien le courage et l’enthousiasme pour inhiber la soumission et la

marginalisation. Ils se révoltent pour récupérer leur dignité.

Sans oublier, Les familles Tlemceniènnes qui s’apitoyaient sur le sort des

gens pauvre et leur apportent aide et assistance.

1.2. Omar :

Le petit garçon a perdu son père très tôt, puis il a quitté ses études très

jeune pour aider sa famille. Au début il allait dénicher chaque soir des éclats de

houille autour de la gare. Puis il occupe une place dans un atelier de tisserands.

Dès son enfance il passe par des obstacles qui l’empêchent d’être heureux

comme ses compatriotes.

Il trouve des difficultés au sein du travail parce qu’il se heurte à Hamadouch :

« Au retour, Hamadouch le saisit à l’improviste par les

oreilles et lui cogna la tête contre les montants de l’ourdisseuse.

Lui échappant des mains, Omar l’abreuva alors d’insultes » (Le

métier à tisser, p.67)

« Tu es un mendiant ? … plantant là Omar ; n’avait

commencé à s’affairer, à se pencher vers une fillette adossé à un

mur… elle n’était pas grosse, ni très belle, la fillette… ses yeux

noirs brulaient, enfiévrés, et paraissaient sourire au fond de son

capuchon » (Le métier à tisser, p.45)

Durant sa balade dans les venelles de la ville il rencontre une petite fille

apatride et d’autres. Cette scène est restée gravée dans sa mémoire. De temps en

temps il se remémore la fille et les pauvres et déplore leur conditions de vie :

« Omar songeait à tous les mendiants dont la foule errait

par la ville, si misérables dans leur solitude. Un mouvement de

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Le Métier à tisser: Partie analytique

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révolte contre ses compagnons grondait en lui. » (Le métier à tisser,

p.96)

« Une pensée saugrenue lui vient en tête. « Pourrions-

nous aussi bien être de ces mendiants qui occupent la ville. Ils

ont l’air même moins terrible que nous. Nous sommes là, et le

monde marche au-dessus de notre tête» (Le métier à tisser, p.47)

A la lumière de ces deux extraits, le protagoniste Omar éprouve un

sentiment de tendresse et de pitié envers les mendiants. Il s’imagine être

quelqu’un des leurs.

« … Les européen qui les croisaient affichaient une

expression d’horreur. Omar en éprouvait de la gêne, qu’il le voulut

ou non ces va-nu-pieds étaient de son espèce (…) Tu te crois peut -

être libre de ta personne mais ton peuple ne l’est pas. Alors tu n’es

pas libre toi non plus. Car hors de ton peuple, tu n’existes pas »

(Le métier à tisser, p.88)

Les européens détestent les mendiants qui ont été dépossédé de leur droit,

ainsi que la perte identitaire. Omar a un sentiment d’angoisse vers ces gens car il

est un de cette tribu, sans eux il n’existe pas.

« Tu agis comme si les gens étaient perdus, et que tu n’étais

sur cette terre que pour prendre part à leurs souffrances » (Le métier

à tisser, p.179)

Parce qu’il existe, Omar souffre. Sa mère, incapable de subvenir aux

besoins de ses enfants, décide de le faire devenir homme, elle lui trouve

comme à ses deux filles un travail qui l’aide à supporter ses peines

quotidiennes. Mais très vite, Omar devient le souffre - douleur des autres

enterrés de la cave qui ont les mêmes besoins que lui, mais ayant déjà subi

le poids des années.

Cela se voit, se sent dans la dureté de leurs regards, dans l’agressivité de leurs

gestes, dans leurs propos incohérents.

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Le Métier à tisser: Partie analytique

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«Ne me fais pas croire non plus que je souffre parce que je

suis né pour souffrir» (Le métier à tisser, p.63).

« Sur cette terre maudite, nous avons été enfantés comme des

objets d’opprobre, grommelait la mère, mous avons été nourris

comme des objets de rebut et nous avons été abandonnés comme

des parias. Même notre pain est noir comme est noire la nuit qui

nous entoure.» (Le métier à tisser, p.41)

La souffrance dans le Métier à tisser prend une autre forme. L’auteur la

met en scène comme un mode de vie connu et accepté par tous, comme si les

personnages du roman ne connaissaient pas un autre mode de vie que

celui de la misère quotidienne. Ils n’y sont pas habitués mais en sont imprégnés.

Ils ne la subissent pas, ils la font exister. Leur existence même est

souffrance, ils ne connaissent pas autre chose que cette souffrance.

« Il s’était endormi enfant, il se réveillait, non plus en

enfant, mais en homme face à son destin » (Le métier à tisser, p.169)

Cet extrait pour nous est très révélateur, il s'agit d'une prise de conscience

de la longévité de la situation coloniale et de sa traversée dans le temps pour

faire une rencontre d’au moins deux générations dans la même

problématique de la misère.

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Le Métier à tisser: Partie analytique

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2. Ferment de la révolte et germe de l’espoir :

Dans la phase précédente on a détaillé les souffrances des personnages.

Et dans cette partie nous essayons de rédiger la file d’espoir sous l’onglet des

mêmes personnages, ce germe d’espoir pousse le peuple qui est considéré

comme un personnage positif, à s’interroger sur sa condition et à réagir.

Le désir d’être libre pour le peuple est plus qu’un état d’esprit, c’est un

terme désignant à la fois une évasion pour le personnage principal du roman

sur le plan fictionnel. Et aussi un moyen échappatoire de la dure réalité, de la

passivité et de la monotonie d’un vécu subi.

Omar incarne l’espoir de la nouvelle génération. Se distingue des adultes et

des jeunes qui lui ressemblent.

« Omar regardait la trouée pâle de la porte, et la nuit, au-

delà., Sur sa couche songeait. Le garçon passait ses actions en

revue et se sentait coupable malgré lui. Les plaintes de sa mère

l’avaient touché…

« Quoi qu’il en coûte, et devrait-on le payer de son sang, il

faut se battre... Contre tout! » Cette lucidité projeta une violence

lumière sur ses pensées. » (Le métier à tisser, p.41)

Animé d’un esprit de discernement, il juge à leur juste mesure les

conditions des ans et les attitudes des autres. Parce qu’il connaît les malheurs des

pauvres, il les vit quotidiennement avec sa mère qui souffre comme tous les

pauvres :

« …Tu es quelqu’un qui a souffert plus que d’autres,

reconnaît Hamadouch: tu souffres encore davantage parce que tu

es sensible » (Le métier à tisser, p. 177)

Il est pris de pitié pour les mendiants et leurs enfants, c’est un personnage

qui affiche un certain optimisme dans sa vision du monde en pensant que

l’homme est perfectible :

« Il faut éveiller les cœurs… Préconise-t-il. Il y a des hommes

qui aident leurs semblables à devenir meilleurs » (Le métier à tisser,

p.179)

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Le Métier à tisser: Partie analytique

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Il semble prêt à suivre ces « hommes » qui œuvrent pour la libération des

consciences. Il bénéficie lui-même d’un apprentissage politique au contact de

certains d’entre eux.

Il est bien cet « homme nouveau », espoir d’une génération « un homme

face au destin de son peuple ». Conscient politiquement, il est prêt à lutter pour

changer l’ordre établi.

Omar déteste les maitres et les patrons comme Mahi Bouanane et les

colons qui volent les labeurs d’ouvriers et les exploitent. (p29)

Avant de terminer l’histoire une voix assez fine et épaisse de Mohamed

Cherak qui submerge la nuit avec un sentiment morne frappe l’esprit d’Omar

d’une sorte d’angoisse et de chagrin.

« Je suis resté seul, tout seul,

En tête-à-tête avec moi-même… » (Le métier à tisser, p.200)

Dans ses deux vers Cherak explique sa solitude. Après avoir entendu ses

paroles, Omar pose la question « Je ne sais plus ce que je suis… » Puis il pense a

Hamid Seraj son maitre à l’école et aussi à Ocacha maitre dans sa vie

quotidienne.

L’espoir de mettre à profit la conjoncture pour réformer le système colonial

ou libérer l’Algérie s’est emparé des militants. Il est aussi annoncé par la

littérature d’intégration d’une Algérie ouverte à la cohabitation des

européens et des autochtones est vite meurtri par la méconnaissance de

l’administration française de la précieuse aide des soldats algériens engagés

volontairement ou non dans cette guerre qui n’était pas la leur.

Omar est un garçon qui comprend vite, il apprend la vie en même

temps qu’il essaie de survivre aux humeurs de ses «collaborateur /collègues »

qui déversent leurs colères comme des bourreaux.

« Chez nous arriver à vivre, survivre, construire une

victoire » (Le métier à tisser, p.194)

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Le Métier à tisser: Partie analytique

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A la fin de l’histoire, avec le débarquement des américains, le climat se

modifie le cœur d’Omar sauta dans sa poitrine sous l’effet d’une joie insensée. Il

sent que le jeune soldat qui a une certaine sympathie et qui lui offre une tablette

de chocolat est tout à fait différent des européens qui négligent les gens et qui ne

leurs donnent pas la charité. (« Les européens, de leur nature, ne pratiquent pas la

charité »p88)

Omar croit que cet énorme pouvoir est arrivé pour soutenir des efforts et

libérer le peuple algérien. Il pense que l’incursion américaine allait sacrifier le

dirigisme et la colonisation. Elle le fait d'une manière très pragmatique car elle

prépare la guerre pour le temps de paix.

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Conclusion

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Le métier à tisser : Conclusion

61

Conclusion :

En guise de conclusion, nous dirons que l’analyse des personnages dans le

roman «Le métier à tisser » de Mohammed DIB, nous a permis de les connaître sur

différents plans.

Mohammed DIB décrit avec minutie la société dans laquelle il vivait et

dans laquelle il semble s’imprégner grandement pour présenter ses personnages.

Ce constat nous a poussé dans le cadre de ce travail à faire une analyse sémiotique sur

les personnages selon Philippe Hamon.

Nous sommes arrivés, à travers de nombreuses lectures d’ouvrage concernant

«le personnage» à rédiger le premier chapitre qui nous a servi comme données

secondaires complémentaires. Nous avons constaté que le personnage principal ainsi

que les personnages connexes étaient très souvent caractérisés par un nombre

considérable de traits descriptifs. Cette étape nous a permis de les connaître sur

différents plans. Nous avons analysé les personnages et comme nous les avons classés

selon la théorie de Philippe Hamon pour confirmer leur fonctionnement réactive et le

rôle essentiel qu’ils ont dans notre appréhension de la réalité.

Dans le dernier chapitre, nous remarquons que tout au long de son texte, les

vies qui se croisent partagent la même inquiétude, celle de la misère qui les guette,

de l’identité qui leur semble confisquée et de la terre qui les a vu naître mais qui

semble les dénigrer.

Pour conclure, il faut ajouter que notre étude sur « le personnage » reste pour

nous une expérience forte enrichissante, puisque nous passons d »une découverte à

l’autre en pénétrant dans le monde en partageant sa vie intime et de gouter aussi ses

moments de souffrance et de malheur.

Qu'est ce que Dib a également voulu dire à travers cette œuvre ?

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Bibliographie

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Le métier à tisser : Bibliographie

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I-Corpus :

Le métier à tisser. Points. Paris 6, 2011

II-Ouvrages théoriques :

A.J. Greimas. Sémantique structurale, Larousse, 1966

Bachelard Gaston, le récit poétique, 1957

GOLDENSTEIN, pour lire le roman, Initiation à une lecture méthodique de la lecture

narrative, Paris, Dculot, 1981

HAMON Philipe, Texte et idéologie, Valeurs hiérarchie et évaluation dans l’œuvre

littéraire,1984

HAMON Philippe, le personnel du roman, Genève, Droz 1983

Hamon, Philippe. Pour un statu sémiologique du personnage, poétique du récit Paris

Seuil1977.

VINCENT Jouve, L'effet-personnage dans le roman, Presses Universitaires de France,

1992

VINCENT, Jouve, Poétique du roman, Armand Colin, Paris, 1998

III-Autres ouvrages de DIB :

M. DIB, La grande maison, Seuil, Paris, 1952, 190.p.

M. DIB, Cours sur la rive sauvage, Seuil, Paris, 1964.158.p.

M DIB, L’incendie, seuil, Paris, 1957.205.p.

M. DIB, Qui se souvient de la mer, Seuil, Paris, 1976.190.p.

M. DIB, Habel, Paris, Seuil, Paris, 1977, 188.p.

IV- Dictionnaires :

Aron, Paul. Dennis, Saint-Jacques. Viala, Alan, Le dictionnaire littéraire, Paris,

Edition Hachette 1992.

Dictionnaire de FRANÇAIS, Larousse, Juillet 1997.

Gardes-Tamine, Joëlle. Hubert, Marie-Claude. Dictionnaire de critique littéraire,

deuxième édition revue et augmenté, Paris 2002.

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Le métier à tisser : Bibliographie

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V- Mémoires :

Lebbani Ibtissem, Etude sémiologique du personnage Daniel Eyssette dans le roman

Le Petit Chose d’Alphonse Daudet, Mémoire de master sous la direction de

Bakhouche Cherifa, université de Constantine 2011.

Hammadi Meriem, Mémoire de master sous la direction de Mme Bouchene Karima,

université d’OEB 2015

VI- Sitographie et autres sources documentaires :

Charles BONN : Itinéraires &contacts de cultures :Disponible sur Internet à l’adresse

:http//www.Charles Bonn -Mohammed Dib-HTM

Amine LOTFI : Le visage de l’homme à travers ses textes, Disponible sur Internet à

l’adresse :http//www.idlivre.com/TheNews.Cfm?ref=1013

http://sir.univ-lyon2.fr/limag/textes/manuref/Dib.htm

Rachid BOUDJEDRA: http//Dz.lit-MohammedDib.mht

Louis ARAGON : http//www.Mohammed Dib- Wikipédia.mht.

VII-Articles :

Journal bimestriel du Lycée International Alexandre Dumas d’Alger.

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Résumés

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Le métier à tisser : Résumés

66

Résumé :

Dans notre travail intitulé « désir et besoin à travers les visages des

personnages » dans le roman « le métier à tisser » de Mohammed DIB, les

personnages reflètent et jugent la réalité sociale et politique du peuple algérien durant

la seconde guerre mondiale. Nous pouvons constater que les personnages sont bien

constamment en référence avec la réalité qu’elle soit matérielle, sociale et morale ou

psychique.

Dans « le métier à tisser» les personnages se partagent l’illusion du réel et le

sentiment du désenchantement qui leur donne la voix pour dénoncer une réalité vécue

au sein d’une société qui les refuse, les rejette et les marginalise.

DIB dans « le métier à tisser» a fait vivre ses personnages fictifs en les donnant

une illusion réaliste il s’inspire du réel pour construire son personnage .C’est bien cet

être imaginaire qui reflète nos modes de vies .C’est une création réfléchie.

Les mots clés: le métier à tisser, personnages, seconde guerre mondiale, réel,

imaginaire, fictifs. marginalise, misère.

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Le métier à tisser : Résumés

67

Summary :

In our work titled desire and need across the faces of the characters in the novel

"loom" of Mohammed DIB, the characters reflect and consider the social and political

reality of the Algerian people during the Second World War. We can see that the

characters are constantly in reference to reality whether material, social and moral or

psychological.

In "loom" the characters share the illusion of reality and sense of disenchantment that

gives them the voice to denounce a reality lived in a society that denies, rejects and

marginalizes.

DIB in "loom" was living his fictional characters by giving them a realistic

illusion inspired it real to build his character .It well this imaginary reflecting our

lifestyles .It creation thoughtful.

Keywords : loom, characters, WWII, real, imaginary, fictitious. Marginalized, poverty.

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Le métier à tisser : Résumés

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:ملخص

الواقع في النظر تعكس الشخصياتف ديب، لمحمد" النول" رواية في الشخصيات وجوه عبر الحاجة بعنوان هذا عملنا في

واقع إلى إشارة في الدوام على هي الشخصيات أن نرى أن يمكننا. الثانية العالمية الحرب خلال الجزائري للشعب والسياسي الاجتماعي

نفسية أو وأخلاقية اجتماعية أو مادية كانت سواء

مرفوض ينكر، مجتمع في عاش واقع للتنديد صوت يعطيها التي الأمل خيبة وشعور واقع من همالشخصيات تتقاسم "النول " في

همشمو .

. شخصيته لبناء حقيقية أنها مستوحاة واقعية الوهم منحهم خلال من الروائية شخصياته يعيد احياء كان روايته فيديب محمد

.حياتنا أنماط تعكس وفهي أيضا .

الكلمات المفتاحية : النول, الشخصيات، الحرب العالمية الثانية، حقيقية، ،. تهميش والفقر

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Annexes

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Dib et Djaout : le métier à tisser en deux temps

De la manipulation de l’imaginaire populaire hier et aujourd’hui

Christiane Ndiaye

Université de Montréal

Canada

Nous partons du postulat que l’imaginaire ou le discours du «malgré tout» qui nous

intéresse dans cette réflexion est rarement le fait de ceux qui mènent la belle vie, les

privilégiés de la société, mais émane plutôt de cette majorité des citoyens qu’on nomme

communément «le peuple» ou «la masse populaire», toujours en quête d’une vie meilleure

mais qui récolte plus souvent des déceptions que des rêves devenus réalité. L’on sait

également que de telles dénominations, «le pays», «le peuple», «la masse» relèvent d’une

rhétorique qui peut laisser entendre qu’il s’agit d’un corps social homogène alors que tout

peuple est inévitablement hétérogène, que tout pays rassemble une multiplicité d’individus

et de regroupements dont les ambitions et les attentes face à la vie ne sont pas les mêmes.

Parmi tous les «simples citoyens», paysans, ouvriers, petits fonctionnaires, marchands,

petits commerçants, hommes et femmes, jeunes et vieux, etc., chacun a sa manière

d’espérer et de désespérer et de questionner ou non son attachement à la «mère patrie». En

même temps, il nous a semblé que cet imaginaire d’un peuple persévérant « malgré tout»

ne date pas d’hier et qu’il pourrait être instructif de l’examiner en se plaçant dans l’optique

d’un sociogramme qui prendrait différentes modulations au fil des ans[1].

Comme les rêveurs autant que les désenchantés sont nombreux dans la littérature

algérienne, nous nous proposons de réfléchir à la question à partir de deux romans où la

mise en scène de cette Algérie du peuple se construit autour de la figure du métier à tisser,

soit : Le métier à tisser de Mohammed Dib, paru en 1957 et qui est le troisième de cette

trilogie écrite à l’époque de la guerre d’Algérie (La grande maison, 1952, L’incendie,

1954) et, de la décennie des années 1990 qui nous préoccupe plus particulièrement ici, le

dernier des romans de Tahar Djaout publiés de son vivant, Les Vigiles, paru en 1991. Dans

les deux textes, la figure du métier à tisser, cet instrument de travail venu de la nuit des

temps, donne à lire différents aspects d’un imaginaire social du peuple qui hésite entre la

résignation à une vie misérable, le départ vers des pâturages plus verts loin de la marâtre, et

la lutte envers et contre tout pour un avenir meilleur. Il nous a semblé qu’une lecture

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croisée de ces deux romans pourrait contribuer à dégager certains enjeux de ce « malgré

tout» qui ressemble un peu à un pari lancé comme un défi face à une vie qui ne promet rien

et une démagogie politique qui promet tout.

Le roman de Dib est situé à l’époque de la seconde Guerre mondiale et se déroule presque

entièrement dans un atelier de tissage de Tlemcen où le personnage principal, Omar, un

garçon de 15 ans, a pu trouver du travail pour subvenir aux besoins de sa famille.

Cependant, ce qui se tisse surtout dans cet atelier, c’est la parole. L’atelier est un

microcosme où circule tout ce qui se dit, à l’époque, sur la situation de l’Algérie et sans

doute bien des choses qui ne se disent pas et d’autres qu’on ose à peine imaginer.

L’apprenti, Omar, qui a dû quitter l’école pour aider sa famille, y apprend «la vraie vie»,

en quelque sorte, qui, pour lui, consiste alors d’abord à être battu souvent et finalement

renvoyé de l’atelier.

Le roman de Djaout se déroule quelque 30 années après la guerre d’Algérie, autour des

années 1986 ou 1990, et présente une double intrigue. Nous rencontrons, d’une part,

Mahfoudh Lemdjad, un jeune professeur de physique de 34 ans qui est l’inventeur d’un

métier à tisser modernisé. Lemdjad habite un minuscule studio dans un quartier bruyant et

insalubre de la capitale et il se considère particulièrement chanceux lorsque le riche

propriétaire d’un appartement spacieux accepte de le lui prêter le temps qu’il puisse

terminer le travail de conception et de fabrication d’une maquette de son métier à tisser

amélioré. Ce logement se trouve à Sidi-Mebrouk, un village proche de la capitale

transformé en banlieue aisée par la croissance urbaine. Mahfoudh y travaille fébrilement,

jour et nuit, pour mettre au point son invention et se présente ensuite fièrement à la mairie

de la municipalité pour la faire breveter, souhaitant secrètement que la «petite machine» lui

vaille quelque admiration. Le personnage se trouve alors entraîné dans une histoire

kafkaïenne qui commence par le refus de la mairie de considérer sa demande de brevet

sous prétexte que (selon l’appariteur qui le reçoit, un certain Skander Brik) «dans notre

sainte religion les mots création et invention sont parfois condamnés parce que perçus

comme une hérésie, une remise en cause de ce qui est déjà, c’est-à-dire de la foi et de

l’ordre ambiants. Notre religion récuse les créateurs pour leur ambition et leur manque

d’humilité […]» (Djaout, 1991 : 41-42). Cependant, Mahfoudh n’est pas de ceux qui

baissent les bras facilement. Après une nuit de réflexion, il décide de persévérer :

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Sa machine, il la brevettera! Il ira même, comme il l’avait projeté, à cette Foire aux

inventions qui doit se tenir dans deux mois à Heidelberg. Il se sent soudain gonflé à

bloc, prêt au combat qu’on lui impose : aucune loi ne prescrit la lapidation des

rénovateurs du métier à tisser! (Djaout, 1991 : 57)

Or, les autorités ont d’autres moyens de mâter les «perturbateurs» (Djaout, 1991 : 49).

En effet, lorsque Lemdjad se rend à la capitale pour obtenir son passeport, les procédures

se compliquent tant que le jeune homme comprend que l’administration est chargée de

faire obstacle à son projet. Il persiste, malgré tout, et finit par avoir gain de cause à temps

pour se rendre à Heidelberg où son invention obtiendra même un prix prestigieux.

L’histoire de Lemdjad se transforme alors en conte de fée : de retour au pays il est accueilli

et honoré en héros national, ce qui lui vaut, en plus, d’être inscrit sur une liste qui doit lui

permettre de trouver sous peu un meilleur logement.

Pourtant, le roman de Djaout ne se lit pas comme une rêverie utopique qui voudrait faire

croire que tout est possible, «malgré tout», pour celui qui sait persévérer. Au contraire : le

dénouement du récit est tragique, puisque l’histoire de Lemdjad est enchâssée dans celle de

Menouar Ziada, un ancien combattant présenté comme un vieillard insomniaque au début

du roman. Il fait partie d’un groupe de personnages de la même génération, ces valeureux

combattants dont la nouvelle patrie a reconnu les loyaux services en leur attribuant des

propriétés de luxe et des postes administratifs de choix. Se prenant pour les gardiens de la

révolution, ces «vigiles» autoproclamés traquent de manière obsessionnelle tous ceux

qu’ils soupçonnent d’activités contre-révolutionnaires. Ce sont donc eux qui sont à

l’origine des déboires de Lemdjad mais ils se retrouveront dans le collimateur des autorités

plus haut placées lorsque le gouvernement décidera de faire de Lemdjad un héros national.

Ils décident alors de se disculper en désignant un bouc émissaire qui portera le blâme de

cette bévue et ce sera Menouar Ziada qui aura cet «honneur» (comme du temps de la

révolution) de pouvoir à nouveau se sacrifier pour le bien de la nation… sous prétexte que

c’est lui qui avait, le premier, suscité des soupçons à l’égard de l’inventeur en rapportant

aux autres que la lumière restait allumée toute la nuit dans ce logement resté longtemps

vacant. Il confie en effet à un ami qu’il pense que

l’endroit est occupé par de dangereux intrigants depuis maintenant une bonne

semaine! La lumière y reste allumée presque toute la nuit et, au matin, tout rentre

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dans le silence et le secret. J’ai fait le guet des heures entières pour découvrir les

inquiétants locataires. La maison est sans doute investie par des professionnels de

la subversion qui savent dissimuler non seulement leurs plans mais aussi leur

personne. (Djaout, 1991 : 24)

Mais alors qu’il s’était contenté de guetter et de laisser courir son imagination, les autres

«vigiles» passent à l’acte pour mettre fin aux activités de cet «ennemi pernicieux» (Djaout,

1991 : 50). Suite à la scène de la réhabilitation de Lemjdad, le roman se termine donc sur

celle du suicide commandité de Ziada qui est censé laver l’honneur des anciens

combattants qui tentent ainsi de sauvegarder leur statut de privilégiés. La fonction dans le

roman de ce métier à tisser rénové est ainsi nettement problématisée, puisque le lecteur se

trouve face à la question de savoir à quoi ou à qui il sert, véritablement, en fin de compte.

Dib, l’atelier des tisserands : langages et espoirs du peuple

C’est en cherchant à répondre à cette question que nous avons formulé l’hypothèse que,

même si la dimension symbolique de ce métier à tisser se construit différemment dans les

deux romans, ce sont les mêmes enjeux du «malgré tout» qui s’inscrivent ainsi dans les

deux textes[2]. Dans le roman de Dib, il ne fait pas de doute que le métier à tisser, en tant

qu’instrument de travail, est transformé en une métonymie du peuple industrieux dont le

travail manuel est susceptible de produire des objets de valeur et donc de grandes

richesses. C’est ce qui se dégage sans équivoque de la description du travail des tisserands

présentée dès le début du roman :

À cette époque peut-être plus qu’à aucune autre, les familles ne se comptaient pas

qui s’adonnaient tout entières au tissage, les hommes suspendus à leurs métiers

archaïques, les femmes cardant ou filant la laine. […] Le spectacle le plus

réconfortant était donné toutefois par les ateliers. Il n’y avait pas si longtemps

encore qu’ils s’activaient avec indolence. Qui ne s’en souvenait ? […] Or, les

premières sirènes n’eurent pas tôt fait de hurler la guerre, qu’une fièvre éperdue les

avait empoignés. Et, depuis lors, pas de quartier, nul endroit, jusqu’aux faubourgs,

qui ne vibrât de l’ardeur diligente des tisseurs. De toutes parts, le battement

assourdi des peignes accueillait le passant, quand ce n’était pas le furieux

claquement des navettes. Les métiers avalaient les filés insatiablement, à suffisance

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d’ensoupleau. Aucune quantité n’apaisait leur fringale effrénée de cette opulente

pâture, la laine!...

La vieille ville des artisans, ayant fait le sacrifice de son vétuste sommeil, se muait

quasiment en cité industrielle. D’eux-mêmes, les tisserands avaient répudié leur

antique intransigeance dès que s’était déchaînée cette flambée. Quelle qu’elle fût,

toute laine était arrachée des mains des vendeuses. Une subite prolifération de

manufactures et d’ateliers se déclarait, pendant que sans arrêt, des tapis, des

couvertures partaient pour la France. (Dib, 1974 : 16-17)

L’on note cependant le ton ironique et amer de ce passage qui souligne que le spectacle

n’est en fait «réconfortant» que pour le colonisateur puisque le produit de cette «ardeur

diligente des tisseurs» est aussitôt expédié en France. La mise en scène de cet usage

industriel du métier à tisser sert donc d’abord et avant tout à stigmatiser le système colonial

qui a dépossédé le peuple algérien aussi bien de ses terres que du produit de son travail,

situation aggravée encore par «l’effort de guerre» que les colonisés doivent fournir. En

même temps, alors qu’il ne fait pas de doute que le roman dénonce ainsi ce détournement

d’un travail épuisant qui ne sert plus les intérêts des tisserands (comme les fellahs qui

cultivent la terre, ils ne reçoivent qu’un salaire de misère qui leur permet à peine de

survivre), le battement des peignes et le claquement des navettes est accompagné, tout au

long du récit, de l’incessant bavardage des tisserands qui tentent de trouver un sens à cette

existence ingrate. Le texte devient ainsi lui-même une trame colorée faite de ces langages

souvent contrastés que tient le peuple lui-même face à une situation qui semble sans

issue[3]. Et le lecteur, tout comme le jeune Omar, se trouve à devoir démêler cet écheveau

de discours parfois très embrouillé pour tenter de savoir comment, contre qui ou contre

quoi il faudra se dresser pour garder espoir et échapper à l’abrutissement total… et l’on

reconnaît sans difficulté ici l’écho de l’idéologie marxiste[4].

Nous rencontrons donc d’une part Ghouti Lamine qui incarne le discours des croyants qui

recommande simplement de suivre le droit chemin tracé par l’enseignement religieux. Il ne

se prive pas d’intervenir avec autorité dans les débats des tisserands.

Vous êtes devenus trop forts pour croire en Dieu, mais est-ce qu’on peut avoir foi

en vous après avoir entendu vos élucubrations, après avoir observé votre conduite ?

On ne doit même pas vous en vouloir. Car je pense que vous ne parlez jamais

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sérieusement.

Ghouti Lamine soupira sur ces mots.

Il serra fortement les lèvres, réfléchit. Puis, il ferma les paupières.

Je ne sais pas quelle idée folle s’empare des gens. On s’écoute trop, on cherche, on

cherche toujours plus dans la nuit où on erre. Et c’est sûrement ainsi que le péché

prend corps. […] Lorsqu’il se fut installé à son métier, un moment après, à petits

mots rapides, Ghouti Lamine dit en agitant les mains :

— Ton dû, tu le recevras. Comprends-moi bien : tu travailleras comme un bœuf, tu

seras intelligent et adroit comme pas un, et ton dû t’échoira. Sois un tricheur, un

voleur, un homme plein de ruse, et tu n’auras que ton dû. […] Et avec un accent

étrange, comme s’il ordonnait et, en même temps, suppliait qu’on le crût, il

continua :

— Les hommes ne veulent pas d’une existence probe qui coule limpidement sous

les regards satisfaits du Tout-Puissant. Pourtant, je l’affirme, éveiller en eux le désir

de vivre autrement, c’est embrouiller leur âme ! (Dib, 1974 : 155-157)

Il ne s’agit cependant pas d’un discours qui prêche la résignation mais bien la piété :

lorsque l’homme sera meilleur, Dieu le récompensera[5].

Une intonation de souffrance s’était glissé dans sa voix et, bien qu’il ne l’eût pas

fait de bon cœur, on le sentait néanmoins prêt à pardonner aux hommes.

Il reprit tout bas :

— Que veulent-ils ?... [les mendiants qui envahissent la ville]

Hamza le regarda à la dérobée, les sourcils en avant.

— Qu’on leur donne à manger à leur faim, qu’on les traite un peu mieux que des

bêtes.

Ghouti Lamine se leva.

Sans un mot, il s’éloigna du groupe, alla s’asseoir tout seul dans un coin.

Cependant, de sa place il demanda :

— Pourquoi est-ce que vous vous plaignez toujours si vous-mêmes ne faites rien

pour que votre vie soit différente, ne respectez pas l’homme en vous ? On peut se

plaindre aussi de vous.

— Juste! fit Hamza.

— Alors, pourquoi ne fais-tu rien ?

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— S’il ne s’agit que de moi, frère, je suis prêt à entreprendre tout ce qu’on veut.

Hamza ouvrit tout grands les bras.

— Mais que puis-je seul ?

— On tente.

Hamza secoua la tête pour dire non.

— Aucun de nous n’est capable tout seul de changer ce qui est… (Dib, 1974 : 155-

156)

Lamine ne manque donc pas d’interlocuteurs pour questionner cette «philosophie de la

conduite vertueuse» et son plus farouche adversaire sera le personnage d’Hamdouche qu’il

ne manque pas de traiter d’impie.

Hamdouche, surnommé le rouquin, est la figure de l’impatience d’agir mais aussi des

dangers que représente, pour la collectivité, ce que chacun peut «tenter» pour s’en sortir

seul et qui, dans le cas de Hamdouche, prendra simplement la forme d’un défoulement

anarchique et méchant qui n’atteint que ses propres camarades de travail. En effet, le

personnage est présenté comme un individu bouillonnant de rage refoulée qui se

transforme en violence verbale et physique qu’il ne cherche ni à maîtriser ni à canaliser et

dont il se justifie cyniquement en affirmant que c’est là la véritable nature des Algériens.

— Tu parles fréquemment de nous, dit le rouquin à Ocacha sur un ton qu’il jugeait

sûrement embarrassant. Sais-tu au moins ce que nous valons ? Sais-tu de quoi nous

sommes capables, et quels méfaits nous pourrions commettre?...

Il souligna ces derniers mots d’un regard cauteleux ; les tisserands écoutaient.

— Nous sommes comme tout le monde, nous en valons bien d’autres, répondit

Ocacha.

Puis, après réflexion, il ajouta :

— Ni pires, ni meilleurs… Seulement un peu plus malheureux.

— Tu mens! Chacun de nous cache un monstre en lui! Nous avons l’air d’être

comme tout le monde. Mais nous ne le sommes pas. Et nous refusons, tous, d’en

convenir. Nous parlons, vivons, travaillons en baissant la tête, mais nous

n’attendons que l’occasion de montrer le mal que nous pouvons faire.

Une âpreté qui n’augurait rien de bon faisait trembler la voix de Hamedouche.

— Nous sommes capables de… Dieu sait quoi!

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— Il n’y aurait, selon toi, que des gens dangereux, chez nous, des gens bons à

enchaîner.

— Pour ça, c’est sûr!

Ocacha eut un rire bref.

— Ça changera, dit-il.

— Il n’y a que toi et quelques lunatiques de ton espèce pour le croire ! Depuis le

temps qu’on vous l’entend répéter, non! plus personne ne se laisse prendre. (Dib,

1974 : 163-164)

Cependant, habitués à ce discours désabusé, farouche, les tisserands ne tentent plus de

raisonner Hamdouche. Il n’y a que le jeune Omar qui intervient un jour pour tenter de lui

faire admettre que cette personne «dangereuse» qu’il veut incarner pourrait entreprendre

des actions utiles. Ainsi, lorsque Hamdouche affirme, par provocation « — Il faut tout

simplifier, il faut supprimer toutes les différences qui existent entre les hommes. Et ceux

qui s’y opposent, il faut les écraser!» (Dib, 1974 : 169), Omar réplique :

— C’est bien, Hamedouche, tu en tueras un, et même plusieurs. Et après… qu’est-

ce que tu feras ?

— Ce n’est pas maintenant qu’on doit penser à ce qui se passera après! Comment

ne comprends-tu pas ça? On y pensera après. Il faut d’abord agir!

Les lèvres du rouquin se gonflèrent, ses narines s’élargirent. Et subitement sa voix

explosa, ardente et basse.

— Nous devons être terribles! Terribles non seulement par notre aspect, mais par

notre caractère. Vaincus ou vainqueurs, peu importe, pourvu que nous soyons

terribles…

Son visage avait pris une couleur blême. Mais il continua, plus calme :

— Assez de vivre comme nous avons vécu !

Omar ne pouvait détacher ses regards de son compagnon, ni juguler l’émotion qui

s’était emparée de lui. Omar prit la main du tisserand, la secoua.

— Toi aussi, tu es l’homme d’un rêve!

Hamdouche était tellement agité qu’il n’avait pas entendu ses paroles. Omar le

quitta vite.

Alors, à travers l’obscurité, lui parvint la voix du rouquin, rogue et, à la fois,

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étrangement moqueuse.

— Il n’y a que l’action qui paye ! (Dib, 1974 : 171-72)

Cette stratégie sera toutefois ostensiblement discréditée dans le roman, puisque ce discours

qui recommande d’agir avant de penser est tenu par ce personnage déséquilibré dont la

folie meurtrière prend finalement pour cible le jeune apprenti, sans raison apparente,

provoquant ainsi une bagarre qui se solde par le renvoi d’Omar.

Le roman se termine néanmoins sur une note d’espoir qui illustre que cette expulsion de

l’atelier de tissage est en fait présentée comme une nécessité et la voie de l’avenir pour le

jeune Omar et le pays à construire qu’il représente. Tout au long du roman, le garçon

fréquente tour à tour l’un ou l’autre des tisserands comme autant de pères ou de mentors

dont il doit apprendre à faire la part des choses, à penser avant d’agir. L’atelier ne sera

qu’un lieu de passage et d’apprentissage où Omar entre jeune et sort mûri mais dont

il doit sortir jeune aussi pour éviter d’être victime d’un travail abrutissant et aliénant, sort

peu enviable des travailleurs dramatisé par le personnage de Hamdouche, en particulier,

mais aussi tous les tisserands qui se résignent à ce métier qui leur permet à peine de

subsister. C’est donc en quelque sorte fortuitement qu’Omar découvre qu’il y a toujours

lieu d’espérer «malgré tout» et que le lieu du déclenchement de l’action sera la campagne

et non pas la ville, c’est-à-dire cette terre dont le peuple a été dépossédé et dont, tôt ou tard,

il reprendra possession.

Autrement dit, la fin du roman correspond à ce discours aux accents fortement marxistes

tenu tout au long par Hamza et surtout Ocacha qui rappellent à plusieurs reprises cet

impératif de solidarité et de fraternité et qui affirment avec conviction que c’est ce peuple

des travailleurs de la terre qui se lèvera pour changer les choses. Ainsi, lorsqu’un fellah en

fuite tente de se cacher dans l’atelier mais se fait aussitôt arrêter par la police et que

Hamdouche tente de justifier l’inaction des tisserands en déclarant : «Nous ne voulons pas

d’ennuis, à cause d’un fellah surtout… Qu’est-il pour nous ?» (Dib, 1974 : 93), Hamza lui

réplique : «Ces hommes déferont et referont notre pays […]».

Le rouquin s’esclaffa.

— Et nous, que ferons-nous ?

— Le pays fermente, continua Hamza, imperturbable. Et le pays, c’est eux. Ils se

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sont mis en marche… et c’est le pays qui marche.

— Ils sont partie de nous-mêmes, murmura Ocacha. (Dib, 1974 : 93-94)

C’est d’ailleurs Ocacha, le premier, qui quittera l’atelier pour rejoindre le peuple en

marche, en expliquant à Omar, avant de partir :

— Le peuple, c’est le royaume de Dieu… c’est la saine respiration du monde.

Personne n’a enseigné le peuple, et pourtant il porte la vérité en lui; cette vérité, il

la sème à pleines mains, avec prodigalité…

Ocacha lança de côté un clin d’œil à Omar, comme pour lui faire part d’un secret.

— Il y a longtemps, petit, je suis partie sur les routes… Et j’ai vu le peuple, je l’ai

connu. […] En ville, tout est froid, mauvais, le marchand est roi. Malheur à qui

voudra s’y dresser contre la gent mercantile! C’est le monde sans espoir. (Dib,

1974 : 147-48)

C’est donc dans ce lieu de la «saine respiration du monde» que le texte va transporter

Omar, une fois guéri de ses blessures, pour prendre un petit bain de rivière dont il sortira

frais et dispos pour se mettre en marche vers l’avenir.

Le lendemain, il avait eu soudain le désir d’aller se baigner dans la petite rivière de

Saf-Saf. Depuis combien de temps n’y avait-il pas été déjà ? Deux ans, peut-être!

Ah! il retrouvait la campagne avec plaisir. Novembre brûlait ses cierges tout en

haut du ciel. Dans l’immense flamboiement de l’après-midi, les terres couchées à

perte de vue vibraient doucement, légères comme si elles s’apprêtaient à se

dissoudre en fumée. À cet endroit, la rivière s’élargissait, coulait paresseusement à

l’ombre de gros térébinthes, entre des touffes d’herbes sauvages. Une vaste

quiétude emplissait l’espace sillonné de bruits lointains qui faisaient tinter l’air.

[…] Subitement, la vibration têtue qui creusait l’air depuis un moment crût. Elle

devint un bruit qui prit possession de toute la campagne. Cela semblait provenir du

fond de la terre; un instant après, c’était l’horizon qui était ébranlé. Debout dans

l’eau, Omar tendait l’oreille. Au bout de quelques secondes, il sortit de la rivière.

Juste, un camion chargé de militaires stoppait sur la route, non loin de la rive. Un

des soldats en sauta et s’approcha. L’homme, grand, un peu filiforme et étroit

d’épaules, était tout jeune encore. Il regardait Omar avec des yeux d’un bleu tendre

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qui souriaient. Il y avait une franchise enfantine dans son expression qui attirait

spontanément la sympathie. (Dib, 1974 : 201-202)

L’histoire se termine ainsi fort fraternellement avec ces sympathiques soldats américains

qui saluent le garçon et lui offrent du chocolat avant de reprendre la route, mise en scène

manifestement romanesque du débarquement des alliés (ce qui situe le récit en 1942-43)

qui marque le début de la fin de la guerre et aussi de la colonisation. Le roman donne ainsi

raison à Ocacha qui, face au cynisme de Hamdouche lui demandant : «Et comment ça

changera, s’il te plaît?», répond sereinement, «Nul ne peut savoir comment les choses se

passeront exactement» (Dib, 1974 : 164). Cette dernière scène du roman de Dib veut donc

manifestement souligner que tous les hommes ne sont pas des monstres et qu’il y a

toujours lieu de garder espoir, de lutter, de se mettre en marche pour contribuer à

l’édification d’un pays, un monde meilleur.

Notes

[1] Il s’agit d’un concept de la sociocritique développé par Claude Duchet. Comme d’autres articles du présent volume, cette lecture de

Dib et Djaout s’inscrit dans le cadre théorique de la sociocritique. Par ailleurs, les réflexions qui portent plus spécifiquement sur le

«malgré tout» renvoient à la problématique générale traitée dans ce volume et dépliée par Djemaa Maazouzi dans son introduction.

[2] Nous n’avons trouvé aucune étude qui s’intéresse à cette «parenté» entre les deux textes. Par ailleurs, alors qu’on relève souvent ce

que l’on perçoit comme l’héritage de Zola dans l’esthétique «naturaliste» de la trilogie de Dib, il ne semble pas non plus y avoir d’étude

comparatiste d’envergure portant sur la représentation du milieu ouvrier (notamment celui des tisserands) chez les deux écrivains.

[3] C’est ce «tissu» de langages qui donne au roman tout son sens historique, comme le souligne Nadjet Khadda : «davantage que le

discours politique, c’est l’émergence de paroles non patentées, proférées par des marginaux (paysans, femmes) cherchant comme à haute

voix à comprendre leur sort qui donne son épaisseur historique au roman. Cette efficacité est démultipliée par la flambée métaphorique

qui parcourt Le Métier à tisser et l’écho des chants inspirés de poésie populaire […] » (2003 : 49). L’on note cependant que Khadda ne

précise pas en quoi consiste cette «flambée métaphorique» dans Le métier à tisser, roman auquel elle ne consacre en fait que quelques

lignes, dans cet ouvrage.

[4] Voir en fin de section les remarques sur la fin du roman.