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De Police à Polis ÉTUDE 01 2021 ÉDITIONS Refonder le lien entre forces de l’ordre et population en France Gustav Fiere Jérôme Giusti Dominique Raimbourg

De Police à Polis - La Gazette des Communes

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De Police à Polis

ÉTUDE

01 – 2021

ÉDITIONS

Refonder le lien entre forces de l’ordre et populationen France

– Gustav Fiere

– Jérôme Giusti

– Dominique Raimbourg

Gustav Fiere est expert associé à la Fondation Jean-Jaurès.Jérôme Giusti est avocat au barreau de Paris et président de l’association Droits d’urgence. Il codirige, avec Dominique Raimbourg, l’Observatoire Thémis - Justice et sécurité dela Fondation Jean-Jaurès.Dominique Raimbourg a été député deLoire-Atlantique (2001-2002 ; 2007-2017),président de la commission des lois de l’Assemblée nationale (2016-2017), et est co-fondateur de « La Loi pour tous - Tous pourla Loi ». Il codirige, avec Jérôme Giusti, l’Observatoire Thémis - Justice et sécurité de la Fondation Jean-Jaurès.

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Introduction

La mort de George Floyd et les manifestations mas-sives y succédant aux États-Unis – en pleine crise ducoronavirus – ont imposé un débat mondial sur lesviolences policières durant l’été 2020. La France n’apas échappé à cette polémique avec notammentl’organisation d’une manifestation réclamant justicepour les victimes de bavures policières devant letribunal de Paris, le 2 juin 2020.

Il existe pourtant sur le plan sécuritaire des diffé-rences importantes entre les États-Unis et la France :le nombre d’interventions policières mortelles estbien plus élevé outre-Atlantique que dans l’Hexa-gone, le port d’armes par les citoyens y est à la foisautorisé et largement répandu et la police y est expo-sée à des risques autrement plus importants qu’enFrance. À populations égales, la létalité des interven-tions policières par arme à feu est environ quinze àvingt-cinq fois plus élevée aux États-Unis qu’enAllemagne ou en France1.

Si l’on compare l’ampleur des violences recensées depart et d’autre de l’Atlantique dans les quartiers simi-lairement défavorisés que sont la Seine-Saint-Deniset le Bronx, à New York, les différences sont égale-ment flagrantes. En 2015, Ruben Diaz, sénateur del’État de New York, félicitait ainsi le Bronx pour avoirréussi à rester pour la deuxième année consécutivesous le seuil des 100 meurtres commis en une année(80 personnes avaient été tuées en 2013 et 91 en2014)2. Avec une population équivalente à celle duBronx, soit 1,5 million d’habitants, la Seine-Saint-Denis a quant à elle enregistré une moyenne annuellede 26 meurtres entre 2007 et 2013.

De surcroît, la police américaine est structurellementdifférente du modèle français. Là où les États-Unis

fonctionnent avec une multitude de polices locales3

dépendant d’un comté ou d’une ville, les forces del’ordre françaises se partagent pour leur part entre lesservices de police nationale et municipale, auxquelless’adjoint la gendarmerie nationale.

La France a, par ailleurs, été l’un des premiers paysà entreprendre la professionnalisation de ses forcesde sécurité, la police française se targuant mêmed’avoir ouvert dès 1883 la première école de policeau monde. Le second particularisme français estd’avoir des forces de l’ordre majoritairement natio-nales placées sous l’autorité d’un préfet, et ce depuisla réforme de ce corps d’État entreprise en 1941 sousle régime de Vichy. Depuis 2009, les forces de sécu-rité rattachées au ministère de l’Intérieur compren-nent également la force armée de la gendarmerie,chargée à la fois de missions de police dans les sec-teurs ruraux et périurbains et de missions de policejudiciaire sur l’ensemble du territoire.

Malgré ces différences notables, la recherche univer-sitaire américaine, plus dense et plus récente que lanôtre, est susceptible d’apporter une réelle valeurajoutée à la réflexion académique hexagonale sur lesenjeux des politiques de sécurité publiques françaises.

Ce croisement des analyses est rendu d’autant plusnécessaire que les forces de l’ordre françaises et amé-ricaines ont désormais en commun d’être devenuesles cibles récurrentes de vigoureuses critiques visantà la fois des pratiques inappropriées à l’encontre decertaines catégories de la population et des actes deviolence injustifiés ou disproportionnés dans lapratique de leurs missions. Comme l’illustre la mobi-lisation internationale observée à l’été 2020 à la suitedu décès de George Floyd au cours d’un contrôle

1. Fabien Jobard, « L’usage de la force par la police », dans Maurine Cusson, Étienne Blais, Olivier Ribaux et Michel Max Raynaud (dir.), Nouveau traitéde sécurité, Sécurité intérieure et sécurité urbaine, Montréal, Hurtubise, 2019, pp. 390-401.2. Yohann Le Moigne, Gregory Smithsimon et Alex Schafran, « Ni la race ni le 9-3 ne sont ce que nous croyons qu’ils sont », Hérodote, vol. 162, n° 3,2016, pp. 99-124.3. Sur environ 800 000 « officiers », seuls 130 000 rendent des comptes aux administrations fédérales.

De Police à Polis

policier, la contestation sociale contre les dérives despratiques policières se fait ainsi de plus en plus vivede part et d’autre de l’Atlantique.

Les débats que ces évènements suscitent et justifientsont nécessaires, mais souvent difficiles à mener. EnFrance, il est ainsi peu aisé de discuter sereinementdu rôle que la police doit jouer dans la société tantles avis sont tranchés et les postures caricaturales. Làou certains défendent immanquablement l’institutionpolicière face à la moindre critique, vantant sonprofessionnalisme et ne reconnaissant la présence dequelques brebis galeuses que pour mieux défendrel’idée d’une exception qui confirmerait la règle ; d’au-tres l’accusent sans nuance de pratiquer et de perpé-tuer un racisme systémique et de servir aveuglémentet violemment les intérêts d’un État néolibéral. Par-delà le déni des uns et les outrances des autres, laréalité est pourtant indéniable : la police française estobjectivement mal en point. En retard sur ses homo-logues européennes dans tous les classements inter-nationaux, elle aurait tout à gagner à être réformée.

Aujourd’hui circonscrite à un soutien inconditionnelaux forces de l’ordre mal nuancé de quelques cri-tiques ponctuelles et éphémères en réaction auxexactions les plus médiatisées, la parole politique surle sujet doit gagner en consistance. Pour aller au-delàdes postures dogmatiques, corporatistes et démago-giques qui paralysent de part et d’autre du champ po-litique la réflexion et le progrès, il paraît aujourd’huiessentiel de créer les conditions d’un débat dépas-sionné, factuel et réfléchi sur l’état des relations entrel’ensemble des composantes de la population fran-çaise et sa police au quotidien.

Pour comprendre les enjeux et les difficultés du débatfrançais sur la sécurité intérieure, il faut au préalableremonter à ses origines et revenir sur les précédentesgrandes réformes des forces de sécurité d’un pays quivoue en réalité un intérêt relativement récent à laquestion de l’efficacité de sa police.

Le dernier quart du XXe siècle a vu émerger en Franceune contestation grandissante de la part des mouve-ments sociaux et des quartiers populaires contre unepolice dénoncée comme trop répressive et interven-tionniste. Des tentatives de réflexion débutent dansles années 1970 et avec le rapport Peyrefitte (1977)apparaît l’enjeu qui façonne et structure encore au-jourd’hui le débat français sur la question : le senti-ment d’insécurité.

À l’image de la police de proximité instaurée sous legouvernement Jospin, les réponses politiques visantà rapprocher la police et la population ont rapidementété perçues comme des échecs. Encouragée parl’arrivée en 2002 de Nicolas Sarkozy au ministère del’Intérieur puis par son mandat présidentiel, la polices’est progressivement montrée de moins en moinsencline à accepter l’idée d’une réforme structurellede ses pratiques et de son organisation qui aurait eupour but de favoriser une plus grande écoute de lapopulation. Au cours des années 2000, l’appareilsécuritaire français a continué, au contraire, à déve-lopper une culture de l’intervention, voire de larépression, dans les quartiers les plus défavorisés duterritoire.

D’une part, à cause de la difficulté d’un travail quo-tidien simultanément fait de tâches indues, de sur-sollicitation et de sentiment de perte d’autorité et,d’autre part, en réaction à l’intensification des cri-tiques à l’égard de leur profession, une indéfectiblesolidarité entre policiers s’est formée au cours de cettepériode. Telle une sorte de deuxième grande muette,la police française s’est progressivement refermée surelle-même et ses certitudes, choisissant systématique-ment de faire corps autour de ses membres.

Cette omerta a toutefois été récemment brisée par lesprises de position publiques de plusieurs policiers sou-cieux de dénoncer l’absence de sanctions à l’égard decertains de leurs collègues s’étant rendus coupablesde pratiques discriminantes et excessivement vio-lentes. Aidés par la médiatisation de certaines affaireset la remise en question de la doctrine française demaintien de l’ordre à la suite des dérapages constatésau cours de la séquence des « gilets jaunes », cestémoignages contraignent aujourd’hui les responsablespolitiques à proposer un changement de paradigme dela sécurité intérieure française.

Pour le gouvernement, le défi est de taille : allier sou-tien aux forces de sécurité et, « en même temps »,assurer la transition structurelle de ces dernières versun nouveau modèle de police adapté au XXIe siècle,avec des forces de sécurité plus à l’écoute des besoinslocaux, attentive aux évolutions de la société, adaptéeà la transition numérique et prenant en comptel’émergence de la sécurité privée. Les forces de l’or-dre doivent pouvoir s’habituer à servir les citoyens,être proches d’eux et leur rendre des comptes. Par-venir, in fine, à un esprit de Polis, c’est-à-dire que la

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Introduction

police ne soit pas seulement une organisation admi-nistrative chargée de maintenir l’ordre mais tende àentretenir une relation équilibrée avec la populationqu’elle est censée servir et constituer, avec elle, unestructure humaine et sociale. Au travers de ces ré-formes, c’est un enjeu fondamental pour la sécuritédes Français et la cohésion nationale qui se jouera :réconcilier les forces de l’ordre et la population.

La sécurité au quotidien des Français est longtempsdemeurée un enjeu de second plan pour la policenationale. En effet, cette dernière a d’abord privilé-gié le activités de protection de l’État, d’antiterro-risme, de renseignement et de maintien de l’ordre.Comme le note en 1982 la commission des mairessur la sécurité, ce choix était loin d’être dénué desens : entre les troubles liés à la guerre d’Algérie, les« évènements » de Mai 1968, l’émergence d’Actiondirecte et de plusieurs autres groupuscules poli-tiques violents, l’activité subversive et terroriste desindépendantistes corses et basques ou encore lamenace du grand banditisme dans le sillage deJacques Mesrine, la police française était, en effet,déjà lourdement sollicitée4.

La première grande étude publique portant sur lasécurité du quotidien date de 1977 et de la publica-tion de Réponses à la violence, un rapport signé parAlain Peyrefitte juste avant qu’il ne devienne gardedes sceaux. La rédaction de ce rapport rassemble àl’époque responsables politiques, philosophes, socio-logues et urbanistes. Contrairement à ce qui pouvaitalors se pratiquer dans l’espace académique anglo-saxon, la recherche française n’avait pas encore puréellement se pencher sur le sujet, notamment enraison des réticences de l’institution policière à don-ner accès au terrain et aux archives5.

Ce rapport traite de front tous les thèmes qui s’ins-talleront progressivement au cœur du débat politiqueau cours des décennies suivantes : le sentiment d’in-sécurité, la répression de la délinquance ou encorel’évolution des fonctions du policier. D’un point devue pragmatique, il se veut être une réponse à laradicalisation des mouvements sociaux et, pluslargement, à la violence qui semble alors devenir unnouveau sujet d’inquiétude déterminant pour lesFrançais. Preuve de cette préoccupation, le terme« violence » apparaît ainsi 569 fois en 193 pages dansle rapport et englobe selon lui « toute atteinte illégi-time (ou perçue comme telle) aux libertés que lasociété, explicitement ou tacitement, reconnaît à sesmembres »6.

Si l’insécurité commence à être étudiée par l’État audébut des années 1980, les enquêtes de l’époquemontrent que ce sujet est alors déjà devenu une despremières préoccupations des Français7. Le sentimentd’insécurité fait son apparition et son traitement poli-tique et médiatique également. Ce dernier introduitdonc la question de la délinquance au cœur du jeupolitique et provoque ainsi une véritable ruptureséparant crime et préoccupation pour le crime. Il de-vient dès lors une réalité objective amenée à être saisiede façon subjective par les responsables politiques.

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L’apparition de l’enjeu politique de la sécurité intérieure

et des difficultés d’y apporter une réponse adaptée

4. Rapport de la commission des maires sur la sécurité, 1982, pp. 83-84.5. Jean-Marc Berlière, « Histoire de la police, Quelques réflexions sur l’historiographie française », Criminocorpus, 1er janvier 2008.6. Nicolas Bourgoin, « Du Rapport Peyrefitte au Rapport Bauer, Ou comment la question sociale a été reformulée en question pénale », dans NicolasBourgoin (dir), La Révolution sécuritaire (1976-2012), Nîmes, Champ social, 2013, pp. 33-88.7. Emmanuel Didier, « Mesurer la délinquance en France depuis 1970, Entre expertise et publicité », Ethnologie française, vol. 45, n° 1, 2015,pp. 109-121.

De Police à Polis

Selon Nicolas Bourgoin, sociologue, l’irruption de cethème dans le débat public marque « l’acte inaugurald’une révolution sécuritaire »8. Cette nouvelle préoc-cupation politique est à l’origine de nombreuses loisse succédant dans les décennies suivantes, chaquefois teintées de l’orientation politique des différentsresponsables au pouvoir.

C’est dans ce contexte qu’est également produite lapremière enquête par sondage portant sur la sécuritéet les forces de l’ordre en France. Ce sondage abordele fait d’être victime, les attentes vis-à-vis de la policeet la perception de son efficacité. La question sui-vante est posée : « En France, la police est-elle, selonvous, efficace ou pas efficace ? » En novembre 1975,62% des sondés répondent « efficace ». En utilisantexactement la même formulation en 2012, l’Institutfrançais d’opinion publique (Ifop) obtient seulement50% de réponses allant dans ce sens.

D’autres enquêtes et indicateurs récoltés par le poli-tologue spécialiste de la délinquance et de la police,Sebastian Roché, montrent que le niveau moyen deconfiance déclaré par les Français depuis 1985 est,au mieux, stable et, plus probablement, en baisse.De ce fait, aucun signe d’amélioration n’est visible.Reconnaissons toutefois que ces sondages restenttrop généraux pour saisir concrètement le ressentiet les préoccupations des différentes classes de lapopulation française dans le temps. Aussi, plon-geons-nous dans le détail des réformes de la sécuritéintérieure en France et leurs conséquences sur lelien entre police et population, du rapport Peyrefitteà nos jours.

L’enjeu rapidement incontournable de la sécuritéquotidienne

Le rapport Peyrefitte s’intéresse à plusieurs des fac-teurs potentiellement déterminants de l’insécurité. Il

remet notamment en cause les politiques sociales dulogement et de l’habitat collectif en vigueur àl’époque et souligne, par exemple, la corrélationobservée entre le nombre d’étages d’un immeuble etle taux de criminalité qui y est constaté : au-delà desix étages, celui-ci augmente nettement. Faisant échoaux critiques encore émises aujourd’hui par de nom-breux commentateurs, le rapport dénonce égalementle rôle d’une certaine forme de laxisme judiciaire,illustrée par des réductions de peines et des libéra-tions conditionnelles jugées trop fréquentes.

Fort de ce constat, il y est préconisé d’augmenter leseffectifs de la police et de la gendarmerie et de ren-forcer leurs moyens. Les peines encourues ne faisantmanifestement pas suffisamment peur aux délin-quants, il s’agirait donc de les aggraver.

Nonobstant, le rapport reconnaît qu’une plus grandeproximité entre les unités de police et les citoyens estnécessaire. Pour ce faire, son auteur propose d’insti-tuer dans les villes des « petits postes de quartier »plutôt que des « maisons de police » centrales, selonla méthode dite « de l’îlotage ». Pourtant, cette pra-tique ne fera l’objet que de quelques rares expérimen-tations dans un nombre limité de grandes villesdurant les années 1970 et demeurera une pratiquemarginale au sein de la police nationale tout au longde cette décennie9.

Devenu garde des sceaux en 1977, Alain Peyrefittechoisira finalement de défendre une vision différentede celle de l’îlotage. Votée le 2 février 1981 dans uncontexte marqué par une vague d’attentats10, la loidite de « sécurité et liberté » permet d’étendre les pré-rogatives de la police et de la gendarmerie en matièrede contrôles d’identité et de flagrants délits, de répri-mer plus sévèrement les actes de violence les plusgraves envers les personnes et les biens, de modifierles conditions de la récidive, de limiter les effets descirconstances atténuantes et, enfin, de durcir lesconditions d’octroi du sursis. Accusée par l’oppositionsocialiste d’être liberticide, cette loi sera finalementpartiellement abrogée en 1983 sous la présidence deFrançois Mitterrand qui en conservera cependantcertaines avancées sur les droits des victimes11.

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8. Nicolas Bourgoin, « Du Rapport Peyrefitte au Rapport Bauer, Ou comment la question sociale a été reformulée en question pénale », op. cit., p. 33. 9. Sebastian Roché, Le Frisson de l’émeute, Violences urbaines et banlieues, Paris, Seuil, 2006, pp. 203-206.10. Thomas Snégaroff, « Liberté vs Sécurité, Quand la France a fait le choix de la sécurité (1976-1982) », France info, 12 janvier 2015.11. Bertrand Le Gendre, « Le changement d’orientation de la politique pénale M. Léauté : la société a des devoirs à l’égard des délinquants », Le Monde,11 juillet 1981.

L’apparition de l’enjeu politique de la sécurité intérieure et des difficultés d’y apporter une réponse adaptée

Le mandat de Robert Badinter à la tête du ministèrede la Justice (1981-1986) donne néanmoins lieu à denouvelles réformes du système de sécurité français.Celles-ci sont, cette fois-ci, marquées par une visiondavantage orientée vers la prévention que la répres-sion, à l’image de la plus célèbre d’entre elles : l’abo-lition de la peine de mort votée en 1981.

Le nouveau garde des sceaux souhaite alors rompreavec le tout-carcéral en proposant des alternativesaux courtes peines et des limites à la détentionprovisoire. À partir de 1981, les citoyens françaiscondamnés par la justice peuvent ainsi saisir la Coureuropéenne des droits de l’homme ou encore éviterla prison via les peines alternatives et la création destravaux d’intérêt général (TIG) en 1983.

Le premier gouvernement socialiste de la Ve Répu-blique désire également à l’époque assurer un meil-leur encadrement du travail des forces de sécurité,notamment au travers de la création en 1983 d’unecharte de la formation de la police nationale, puis viala promulgation d’un « code de déontologie » destinéà encadrer le travail de la police à partir de 1986.

Avec l’action de Gaston Defferre à la tête du minis-tère de l’Intérieur et de la décentralisation, la décen-nie 1980 est, par ailleurs, marquée par une nouvelleambition de décentralisation de la part de l’État et dugouvernement. Parallèlement, les nombreuses ten-sions économiques de l’époque (chômage, inflation,baisse de la croissance) et les émeutes urbaines del’été 1981 dans les quartiers les plus défavorisés dela banlieue lyonnaise forcent la gauche à réagir sur leplan sécuritaire.

Une commission nationale pour le développementsocial des quartiers est alors créée afin de freiner la« ghettoïsation » des quartiers défavorisés et deszones d’éducation prioritaires (ZEP) sont mises enplace pour tenter d’enrayer l’échec scolaire. La com-mission des maires sur la sécurité est instaurée le28 mai 1982 pour réfléchir à la question des vio-lences urbaines, en analyser les causes et faire despropositions pour les prévenir. Cinq années seule-ment après le rapport Peyrefitte, une nouvelle com-mission est donc mise en place, cette fois pourpréconiser une nouvelle coopération entre l’État etles collectivités territoriales. Ce projet conduira no-

tamment en 1983 au lancement de la mission Ban-lieue 1989 afin de rénover les quartiers défavorisés.

Comme le rapport Peyrefitte, le rapport de 1982 pré-sidé par Gilbert Bonnemaison plaidera d’abord pourun perfectionnement de l’appareil comptable de ladélinquance et une décentralisation sur les questionsde sécurité intérieure pour s’adapter au mieux aux de-mandes locales. Il y est notamment décidé d’associerles maires à l’élaboration des politiques répressives,de développer l’îlotage, de redéployer des effectifs depoliciers et, enfin, de réorienter les missions de la po-lice en faveur de l’accueil et du service au public.C’est la même politique de contrôle des quartierssensibles via le développement social qui sera pour-suivie sous le second septennat de François Mitter-rand au travers de nouvelles politiques du logement,une promotion de la vie associative dans les quartierset l’augmentation des aides à l’éducation accordéesaux familles.

Cette approche est cependant remise en cause parles violentes émeutes urbaines déclenchées à Vaulx-en-Velin au début des années 1990 en réaction à lamort de Thomas Claudio, un jeune homme renversépar une voiture de police. Très médiatisées, elles don-nent à l’opposition de droite l’occasion d’attaquer lapolitique de la ville menée par le gouvernement so-cialiste dans cette ville de la périphérie de Lyon quifaisait en effet partie des quartiers mis en valeur dansle projet Banlieue 198912.

En réaction, le gouvernement décide alors d’une re-prise en main par l’État et recentralise le traitementde l’insécurité avec la création en 1990 d’un ministèrede la Ville. S’y ajoute un volet sécuritaire au traversde la mise en place des brigades régionales d’enquêteet de coordination (BREC), affectées à partir de 1991à la lutte contre les bandes organisées dans les quar-tiers populaires.

Entre-temps, un nouvel organisme d’État chargé deréfléchir aux questions de sécurité est créé, l’Institutdes hautes études sur la sécurité intérieure (IHESI).Le sociologue Laurent Bonelli, spécialiste des ques-tions de sécurité urbaine, souligne que la thématiquedes recherches à l’IHESI reflète l’évolution des orien-tations politiques des gouvernements en place. De1993 à 1997, les sujets sont ainsi plus nettement

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12. Laurent Burlet, « 20 ans après les émeutes à Vaulx-en-Velin, hommage à Thomas Claudio », Lyon Capitale, 7 octobre 2010.

De Police à Polis

sécuritaires sous l’égide des gouvernements Balladuret Juppé, mettant de facto en avant une vision poli-cière des questions sécuritaires, avec une explicationsouvent essentialiste de la délinquance. Après ladéfaite de la droite aux législatives de 1997, la gaucheplurielle choisit de se saisir de l’enjeu sécuritaire fran-çais et en fait, après l’emploi, sa seconde priorité.Sous le gouvernement Jospin au pouvoir de 1997 à2002, des approches différentes de la seule pers-pective policière tentent donc de ne pas limiter ledélinquant à son acte, mais également de s’intéres-ser à son origine sociale et à son état psychologique.Ce tournant sécuritaire est soutenu majoritairementpar les « républicains » de gauche emmenés parJean-Pierre Chevènement. C’est d’ailleurs ce dernierqui mettra en place la police de proximité, une expé-rience de « community policing » à la française qui nefera pas long feu.

En 1997, la police de proximité, une tentative d’innovation politique mise en échec

Le principe d’une police de proximité est présentépour la première fois au cours d’un colloque intitulé« Des villes sûres pour des citoyens libres » et orga-nisé à Villepinte les 24 et 25 octobre 1997 sousl’égide de Jean-Pierre Chevènement, Bruno Le Roux,Philippe Barret ou encore Alain Bauer.

Il repose sur l’idée que la sécurité ne peut être garan-tie sans qu’une attention toute particulière ne soitportée au lien de confiance entre la population et lesforces de l’ordre. Dans cette approche, la police doitêtre perçue comme un service public parmi tous lesautres assurés par l’État. De fait, l’accent n’est ici pasmis sur la défense des institutions ou le maintiende l’ordre, mais plutôt sur le service à la populationet sur la réponse efficace aux demandes locales desécurité.

Cette nouvelle doctrine de l’emploi des forces del’ordre s’axe autour d’une coopération avec les collec-tivités territoriales via des contrats locaux de sécurité.Ces derniers sont d’abord chargés d’établir un diag-nostic de sécurité, puis de développer des initiatives

conjointes avec d’autres acteurs locaux, qu’il s’agissedes élus, des services judiciaires, des bailleurs sociauxou encore des entreprises de transport.

Il s’agit donc également de développer de nouvellestechniques de travail reposant sur trois grands prin-cipes : la prévention des troubles publics, un contactpermanent avec la population et la coopération activeavec tous les acteurs de la vie sociale susceptibles decontribuer à l’effort de sécurité.

Concrètement, la police de proximité divise les forcesde sécurité en deux services. D’un côté, le servicegénéral conserve les missions traditionnelles de voiepublique telles que les patrouilles en véhicule et laréponse aux appels du 17. De l’autre, la nouvelleunité de secteur se voit attribuer des missions deproximité telles que les patrouilles pédestres, lescontacts avec la population ou encore la préventionet la résolution des problèmes de quartier. Les postesde police de proximité décentralisés ont pour fonctionde réorienter l’action de la police vers la petite etmoyenne délinquance, principale cause du sentimentd’insécurité, tout en améliorant l’image de la policegrâce à un contact quotidien avec la population.

Cette innovation politique est d’abord expérimentéeà partir du printemps 1999 dans cinq circonscriptionspilotes (Nîmes, Châteauroux, Les Ulis, Garges-lès-Gonesse et Beauvais), puis progressivement étenduedans toute la France jusqu’en juin 2001.

En octobre 2001, de nouvelles propositions sont pré-sentées à l’occasion des Assises nationales du Partisocialiste sur la sécurité. Elles mettent de nouveaul’accent sur la prévention de la délinquance et surl’importance d’agir en amont des comportementsviolents en ciblant le plus tôt possible les « jeunes endifficulté » au travers d’un « dépistage systématiquedes troubles du comportement des enfants ainsi quedes difficultés familiales et sociales dès l’école pri-maire ». Ses concepteurs placent alors l’Éducationnationale au cœur de cette stratégie, notamment viala mise en place d’internats pédagogiques renforcésà partir du CM2 pour les élèves en situation de rup-ture et une étroite collaboration avec les parents etles services sociaux pour repérer les situations de rup-ture éducative précoce.

Marquées par une campagne fortement axée autourdu thème de l’insécurité du quotidien, les électionsprésidentielles et législatives de 2002 signent unéchec historique pour la gauche et mettent un terme

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L’apparition de l’enjeu politique de la sécurité intérieure et des difficultés d’y apporter une réponse adaptée

à la fois à la police de proximité et à la philosophiequi l’accompagnait. Conjuguée à l’arrivée de NicolasSarkozy au ministère de l’Intérieur, cette défaite duParti socialiste marque un sérieux coup d’arrêt pourune approche qui, entre le manque d’adhésion d’unegrande partie des policiers de terrain, l’application tropprécipitée et l’inefficacité à lutter contre l’insécurité,n’a pas eu le temps de devenir aussi incontournableque ne l’est devenu le « community policing » auxÉtats-Unis. S’appuyant sur la hausse continue dela délinquance constatée au cours des années Jospin(+ 5,5 % en 2000 et + 8 % en 2001), la droite deretour au pouvoir met un terme à l’expérience de lapolice de proximité, désormais remplacée par la cul-ture du résultat.

Vers une logique répressive des forces de sécurité

Après une élection présidentielle marquée par la pré-sence de l’extrême droite au second tour pour la pre-mière fois de l’histoire de la Ve République, la droitede retour au pouvoir oriente rapidement sa politiquede sécurité vers une évaluation statistique de l’actiondes forces de sécurité et de l’activité judiciaire. Jugéelaxiste et utopique, l’approche préventive et partena-riale cède la place à la patrouille et à l’interpellation.Influencé par Rudy Giuliani et la politique menée aucours de son mandat à la tête de la mairie de NewYork, le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy enté-rine la culture du résultat pour la décennie à venir.

Jusque-là annuelles, l’évaluation et la publication desstatistiques policières deviennent mensuelles. Lesforces de l’ordre reçoivent des objectifs chiffrés d’uneprécision parfois déconcertante, à l’image de cer-taines demandes visant à répertorier spécifiquementles délinquants originaires des pays de l’Est13.

La préfecture de police de Paris décide à cette occa-sion d’employer CompStat, un dispositif d’évaluation

new-yorkais supposé capable d’enregistrer en tempsréel les délits et donc de permettre un déploiementen temps réel des effectifs policiers en fonction desbesoins14.

La culture du résultat implique de donner la prioritéau travail de recherche et d’investigation. Les faitsne doivent pas seulement être constatés, maissystématiquement élucidés. L’objectif final est« d’aboutir à des arrestations plus nombreuses dedélinquants afin de permettre leur déferrement àl’autorité judiciaire15 ».

Dans ce système, la police de proximité est délaisséeau profit des unités de police qui, à l’image de la bri-gade anti-criminalité (BAC), sont spécialisées dansl’intervention et le maintien de l’ordre16. La mise enplace à partir d’avril 2008 des unités territoriales dequartier (UTeQ), des unités sectorisées sur desquartiers difficiles travaillant en pédestre et compo-sées de policiers expérimentés spécialement formés,aurait pu laisser croire à un retour d’une doctrine plusattentive à la qualité du lien entre la police et lapopulation.

Mais, à l’image de la stratégie de l’îlotage développéeau temps du rapport Peyrefitte, les UTeQ ne serontque partiellement déployées au sein du territoire etne suffiront pas à changer durablement l’image de lapolice auprès de la population17.

Comme l’illustre l’apparition en 2002 des conseils lo-caux de sécurité et de prévention de la délinquance(CLSPD), les maires sont, pour leur part, de plus enplus inclus dans les décisions relevant de l’ordre pu-blic dans leur commune. De la même façon, la policemunicipale se voit également attribuer de nouvellesprérogatives à la suite du vote d’une nouvelle loid’orientation et de programmation pour la perfor-mance de la sécurité intérieure (LOPPSI).

Au-delà de cette dernière, la reprise en main de ladroite sur les affaires sécuritaires entre 2002 et 2012donne lieu à une véritable inflation législative : endeux quinquennats, ce sont pas moins de 61 loissécuritaires qui sont votées pour modifier le codepénal et le code de procédure pénale.

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13. Laurent Mucchielli, « La fabrique politique des statistiques de police : trois études de cas », Délinquance, justice et autres questions de société,février 2011.14. Emmanuel Didier, « “Compstat” à Paris : initiative et mise en responsabilité policière », Champ pénal, vol. VIII, 2011.15. « Adaptation de l’action des services territoriaux de la sécurité publique au renforcement de la lutte contre les violences urbaines et la délinquance »,Circulaire du 24 octobre 2002, p.1.16. Alice Géraud, « BAC : les flics mis en examen », Libération, 18 novembre 2011.17. Isabelle Mandraud, « Coup d’arrêt au déploiement de la police “de proximité” voulue par M. Sarkozy », Le Monde, 17 décembre 2009.

De Police à Polis

Promesse de campagne de Nicolas Sarkozy, lespeines planchers font ainsi leur apparition avec la loidu 10 août 2007. Elle instaure des peines minimalesen cas de récidive de crimes et de délits, que leursperpétrateurs soient majeurs ou mineurs. On observedonc à l’époque un lien consubstantiel entre une stra-tégie policière interventionniste, concentrée sur lesrésultats, et une justice répressive, orientée vers letout-carcéral.

Cette période s’accompagne d’une contestation sin-gulière des forces de l’ordre dans les quartiers les plusdéfavorisés de France. Celle-ci atteint son paroxysmeavec les émeutes urbaines d’octobre et novembre2005. Étendues sur tout le territoire français, ces der-nières dépassent toutes les émeutes urbaines précé-dentes – et suivantes – en intensité et en durée,donnant même lieu à des tirs à balles réelles contrela police dans les banlieues de presque toutes lesgrandes villes de France.

Elles débutent en réaction aux décès de deux adoles-cents, Zyed Benna et Bouna Traoré, mortellementélectrocutés par le transformateur EDF dans lequelils s’étaient réfugiés pour échapper à un contrôle depolice, et se diffusent en Île-de-France puis au restedu pays après qu’une grenade lacrymogène a été tiréeinvolontairement par les forces de l’ordre à l’entréed’un lieu de culte musulman18.

Selon les relevés partiels des profils réalisés par cer-taines directions départementales de la police, lesémeutiers sont, comme les deux victimes à l’originede leur colère, essentiellement issus des minorités et,d’après une étude de Laurent Mucchielli19, leursactions sont motivées par deux griefs à l’encontre dela police : leur absence d’excuses suite à la mort desdeux adolescents et leur tir de grenade lacrymogèneà proximité d’une mosquée.

Au-delà de ces évènements, les émeutiers manifes-tent alors plus globalement un rejet de l’autorité pu-blique et de la police dans son ensemble, motivé parl’accumulation de frustrations20 nées des contrôles

systématiques qu’ils subissent et des méthodes poli-cières jugées partiales et humiliantes à leur encontre.

L’ordre public repose en principe sur un compromistacite entre le pouvoir, qui revendique et exerce sa lé-gitimité à l’assurer, et le public qui l’accepte ou, aucontraire, la refuse. L’émeute constitue donc le signed’une contestation radicale de la légitimité de ce pou-voir. Elle est le fruit d’une remise en cause profondeet ancienne de l’autorité publique qui, faute d’écoute,finit par s’exprimer au travers d’une soudaine explo-sion de violence collective.

Souligner que le discours sécuritaire tenu à l’époquene s’inscrit pas dans une démarche d’écoute relève del’euphémisme. En 2005, la politique gouvernementalesur le sujet est résumée d’une formule par NicolasSarkozy : « On va nettoyer la cité au Kärcher21. »

Devenu entre-temps chef de l’État, il confirmera cetteconception martiale des rapports police-population àl’occasion de son discours de Grenoble. Prononcé le30 juillet 201022, il illustre l’étendue du chemin par-couru depuis les années 1970 par la classe politiquefrançaise dans son ensemble sur les questions sécuri-taires. Nicolas Sarkozy y déclare la guerre aux délin-quants, aux trafiquants et signe ainsi son orientationvers le tout-répressif par son rejet catégorique de« l’excuse sociologique » et son refus de considérerl’option d’une politique privilégiant la prévention àl’intervention : « Qui peut penser que ce sontquelques îlotiers supplémentaires qui permettrontd’éradiquer les caïds, les trafiquants et les trafics ? »

Campant sur une posture intransigeante et autori-taire, il promet une police qui n’aura « aucune com-plaisance, aucune faiblesse vis-à-vis des délinquantset des criminels qui seront mis hors d’état de nuireet dont la seule place est en prison ».

Les préoccupations pour les droits et libertés des po-pulations policées sont balayées par la priorité don-née au sentiment de sécurité : « Je laisserai ceux quile veulent crier à l’atteinte aux libertés individuelles.Moi je pense que la liberté individuelle est gravement

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18. Véronique Le Goaziou et Laurent Mucchielli, Quand les banlieues brûlent... Retour sur les émeutes de novembre 2005, édition revue et augmentée,Paris, La Découverte, 2007, pp. 23-24.19. Idem, pp. 11-35.20. Durant l’année 2005, les pouvoirs publics décident de suspendre les crédits de l’État aux associations en Seine-Saint-Denis, notamment ceux dédiésà recruter des jeunes issus du département au sein des forces de l’ordre dans le cadre de la police de proximité. (Dominique Duprez, « Comprendre etrechercher les causes des émeutes urbaines de 2005, Une mise en perspective », Déviance et Société, vol. 30, n° 4,� 2006, pp. 505-520.)21. « Nicolas Sarkozy : “Le terme nettoyer au Kärcher est un terme qui s’impose” », 20 heures le journal, 29 juin 2005.22. Pierre Cornu, « Le discours de Grenoble, point de non-retour du sarkozysme », Mediapart, 24 août 2010.

L’apparition de l’enjeu politique de la sécurité intérieure et des difficultés d’y apporter une réponse adaptée

atteinte lorsque les voyous font régner la terreur de-vant les immeubles d’habitation. »

Établissant un lien direct entre délinquance et im-migration, Nicolas Sarkozy dénonce des politiquesmigratoires trop laxistes rendant impossible de régu-ler et d’intégrer les nouveaux arrivants, ce qui mène-rait, in fine, à une explosion de la délinquance.

Les mesures avancées pour répondre au constat qu’ilvient de dresser s’inscrivent dans cette logique répres-sive : élargissement des peines plancher étendues àtoutes les formes de violence aggravée, instaurationd’une peine de prison incompressible de trente anspour les assassins de forces de sécurité, retrait de lanationalité française à toute personne étrangère ayantporté atteinte à un fonctionnaire dépositaire de l’au-torité publique ou encore suppression des allocationsfamiliales aux parents d’enfants absentéistes.

Après cette surenchère répressive, l’alternance poli-tique permise en 2012 par l’élection de FrançoisHollande à la présidence de la République et leretour des socialistes aux affaires laisse un tempsespérer un retour à une approche plus apaisée desquestions sécuritaires. Cependant, les attentats isla-mistes de 2015 et la menace djihadiste qui va désor-mais planer en permanence au-dessus du pays vontbouleverser le visage du quinquennat Hollande.

L’impossible apaisement durantle quinquennat Hollande

Conscient de la polarisation du débat sur les ques-tions sécuritaires opérée au cours du quinquennat deson prédécesseur, François Hollande souhaite initia-lement présenter une approche plus consensuelle etdénonce l’insécurité comme l’une des plus intoléra-bles « injustices sociales23 ».

Avec la nomination de Christiane Taubira, place Ven-dôme, l’accent est d’abord mis sur l’alternative autout-carcéral. Les peines planchers sont supprimées

par la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisationdes peines et renforçant l’efficacité des sanctions pé-nales. Les peines alternatives sont également sou-mises au vote avec l’introduction de la contraintepénale, qui permet un contrôle et un suivi renforcésans emprisonnement ni sursis24. Ce texte accordeégalement plus de droits pour les victimes tout aulong de l’exécution de la peine avec le droit à être in-formé, à être protégé et à obtenir réparation du pré-judice subi.

En mai 2016, une nouvelle loi rend par ailleurs obli-gatoire la présence d’un avocat en garde à vue d’unmineur sans que ce dernier ait à effectuer de dé-marche. Le même texte généralise également la pos-sibilité de prononcer une mesure éducative enparallèle à une peine.

Ce changement d’approche judiciaire s’accompagnepar ailleurs d’une nouvelle orientation sur le sujet desforces de l’ordre. En dépit de la prégnance du thèmesécuritaire au cœur de son offre politique, le quin-quennat Sarkozy a donné lieu à la suppression de13 000 postes au sein de la police et de la gendarme-rie. La gauche critique cette réduction drastique quiaffecte particulièrement les territoires sujets à la cri-minalité dans lesquels la police doit effectuer un mi-nutieux travail de patrouille pour lutter contre ladélinquance et assurer un maillage territorial resserrépour détecter l’émergence de potentiels groupes ter-roristes islamistes.

Cette réduction de postes s’accompagne entre 2007et 2012 de restrictions budgétaires touchant l’en-semble des activités policières. C’est notamment lecas des fonds alloués à la formation des forces del’ordre, avec, par exemple, la fermeture de quatredes huit écoles de gendarmes.

Désireux d’inverser la tendance, le gouvernement so-cialiste décide de la création de 9 000 emplois au seindes services de police et de renseignement entre2012 et 2017, dont 2 500 pour les seuls services derenseignement. Symbole d’une volonté de moderni-sation, 200 millions d’euros sont également consacréssur la même période à la remise à niveau des infra-structures numériques du ministère de l’Intérieur.

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23. Discours du Bourget prononcé le 22 janvier 2012, François Hollande est alors seulement candidat à l’élection présidentielle. 24. Maud Fassnacht, « Les Enjeux républicains et régaliens » dans Inventaire 2012-2017, Retour sur un quinquennat anormal, Alain Bergounioux, GillesFinchelstein, Maud Fassnacht, Matthieu Souquière, Nicolas Bouillant, Jean-Paul Delahaye, Gérard Fuchs, Denis Quinqueton et David Nguyen, Paris,Fondation Jean-Jaurès, 2017.

De Police à Polis

Un plan pour la sécurité publique est par ailleurslancé en octobre 2016. Il est doté de 250 millionsd’euros destinés à l’achat d’équipements de protec-tion et au renouvellement de la flotte des véhicules.Il complète et fait suite à l’instauration en 2013 de80 zones de sécurité prioritaire (ZSP). Identifiéescomme des secteurs à hauts lieux de délinquance,elles bénéficient d’une mise à disposition d’un plusgrand nombre de forces de sécurité. Avec une baissedes vols et une meilleure collaboration entre les ser-vices à leur actif, leur bilan est considéré comme plu-tôt positif.

Plus généralement, le renforcement du lien entre lapolice et la population redevient une préoccupationdes autorités publiques. Cet intérêt renouvelé setraduit par la rédaction en 2014 d’un nouveau codede déontologie de la police nationale et de la gendar-merie, qui rend notamment obligatoire le port dumatricule pour les forces de sécurité en service etencadre plus strictement les palpations de sécurité.

Malgré ces progrès, le gouvernement n’apportera au-cune réponse au sujet des très controversés contrôlesd’identité toujours massivement pratiqués par lapolice. Jugée trop difficile à appliquer, l’idée d’unrécépissé remis à toute personne contrôlée est écar-tée dès 2012 par le ministre de l’Intérieur, ManuelValls. Dans la foulée de l’affaire Théo25, le débat serarouvert en février 2017 par le Défenseur des droits,Jacques Toubon. Menée par ses services, une étuderévèle alors que 80% des jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans « perçus comme noirs ou arabes » disentavoir subi un contrôle ou plus ces cinq dernièresannées, soit deux fois plus que la moyenne du restedes jeunes Français du même âge.

Malgré les efforts du Défenseur des droits pour enéviter les débordements, les débats sur la sécurité in-térieure ont cependant brusquement et irrémédiable-ment changé de nature au cours de l’année 2015, quidonne lieu aux attaques les plus meurtrières sur lesol français depuis la Seconde Guerre mondiale.Après la violence sidérante des attentats islamistescontre Charlie-Hebdo, à Montrouge, à l’Hyper

Casher, le Stade de France, les terrasses parisienneset le Bataclan, le gouvernement épouse une politiquerésolument sécuritaire et décrète l’état d’urgence.

Maintenu pendant une durée record de vingt-troismois, celui-ci va rapidement provoquer des dissen-sions au sein de la majorité socialiste autour despossibles dérives qu’un tel dispositif finit immanqua-blement par entraîner. En levant plusieurs garde-fouslégaux et en autorisant les policiers à fouiller toutappartement susceptible d’abriter des personnesmenaçant l’ordre public, l’état d’urgence peut, eneffet, gravement nuire au bon respect de la déonto-logie au sein des forces de l’ordre6. De fait, entre des-tructions de biens matériels et brutalités perpétréesau cours des fouilles, les abus vont rapidements’accumuler au point de forcer le ministre de l’Inté-rieur, Bernard Cazeneuve, à appeler ses forces desécurité à plus de retenue27.

Au cours de cette période, 4 469 perquisitions admi-nistratives sont réalisées, 754 assignations à résidencesont prononcées, 19 lieux de culte sont fermés, unevingtaine d’enquêtes antiterroristes sont lancées et1 millier d’enquêtes criminelles sont ouvertes.

On estime que 32 attentats auraient été évités par lesservices de sécurité durant l’état d’urgence établis en201528, mais ce résultat n’a pas été obtenu sansdégâts collatéraux. Dans certains quartiers particu-lièrement concernés par le regain d’activité policièreet antiterroriste, le lien entre les forces de l’ordre etla population a, en effet, été abîmé par la pressioninédite imposée par le dispositif de l’état d’urgence.Le ressentiment est d’autant plus prégnant quemoins d’un quart des perquisitions aurait finalementpermis d’ouvrir une enquête judiciaire, dont une ving-taine seulement pour des activités terroristes.

Mais, au-delà des méthodes policières, c’est finale-ment la question de la déchéance de nationalité, ini-tialement pensée pour séduire la droite et rallier laclasse politique derrière le gouvernement, qui susci-tera le plus de remous au sein de l’ensemble de lasociété. Refusant de défendre un texte qui aurait defacto instauré une inégalité entre les membres de la

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25. L’affaire Théo est une affaire judiciaire liée à l’arrestation et au viol allégué d’un homme de vingt-deux ans, Théodore Luhaka, connu sous le prénomde Théo, le 2 février 2017 à Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis.26. Emmanuel Blanchard, « État d’urgence et spectres de la guerre d’Algérie », La vie des idées, 16 février 2016.27. Paul Cassia, Contre l’état d’urgence, Paris, Dalloz, 2016.28. Pascal Ceaux, Jérémie Pham-Lê et Boris Thiolay, « Gérard Collomb : “Nous avons déjoué 32 attentats durant l’état d’urgence” », L’Express,31 octobre 2017.

L’apparition de l’enjeu politique de la sécurité intérieure et des difficultés politiques d’y apporter une réponse adaptée

nation, la garde des sceaux démissionnera de sonposte avant que le texte ne soit finalement aban-donné par François Hollande.

Ce mécontentement d’une partie grandissante de lapopulation à l’égard de la gestion des questions sécu-ritaires et policières au cours de la seconde moitié duquinquennat Hollande sera alimenté par une série dedérapages violents et médiatisés de la part des forcesde l’ordre, notamment à l’occasion des manifestationsde 2016 contre la « loi travail ».

Interrogé par nos soins à ce sujet29, Bernard Caze-neuve reconnaît et analyse les difficultés rencontréesà l’époque par les forces de l’ordre : « Nous avons eules ZAD, les “Black Blocks” et les attentats. Le servicepublic de sécurité doit se plier rigoureusement àl’État de droits, mais quand 13 000 emplois ont étésupprimés au sein de la police et de la gendarmeriepar le quinquennat précédent, ainsi que les forma-tions à la déontologie, comment voulez-vous faire dumaintien de l’ordre efficace ? Pour être clair, nousn’avons pas dû faire de choix, mais nous avons étéprivés d’accomplir nos missions à cause d’une visionde sacrifice d’effectifs et une mise en place d’une po-lice à l’américaine. »

L’ancien ministre de l’Intérieur et Premier ministrerelève également les difficultés opérationnelles po-

sées par l’impossibilité pour la police de se coordon-ner avec la CGT, un tournant dans la préparation etl’encadrement des manifestations en France : « Cettedernière n’avait plus de service d’ordre. Ces syndicatssont devenus des organisations de loyauté. En 1968,les communistes étaient républicains et n’ont pasjoué le jeu du chaos et du désordre. »

Les critiques suscitées à l’époque par les déborde-ments de violence observés au cours de ces manifes-tations, tout comme l’usage par la police des armesdites « intermédiaires » pour tenter d’y riposter, pré-figurent les vifs débats des années qui suivront.

Depuis le rapport Peyrefitte, les préoccupations àpropos de la sécurité intérieure en général et de la sé-curité au quotidien en particulier se sont donc pro-gressivement installées au cœur du débat public etpolitique. Poussés à réagir, les gouvernements suc-cessifs de droite et de gauche ont alors alterné entreculture répressive du résultat et approche préventive.Balançant selon la période entre timide rapproche-ment et inexorable éloignement, le lien entre lesforces de l’ordre et la population a fluctué en fonctiondes orientations politiques de chaque époque, évo-luant parfois au sein des quartiers les plus défavoriséset discriminés du territoire national vers une franchedéfiance. Qu’en est-il aujourd’hui ?

29. Entretien réalisé pour la Fondation Jean-Jaurès à Paris en juillet 2020.

Les Français font-ils confianceaux forces de sécurité françaises ?

La confiance envers les forces de l’ordre est une don-née régulièrement commentée dans le débat public.Interrogé pour les besoins de ce rapport30, FrédéricPéchenard, chef de la police entre 2007 et 2012,souligne que cette confiance est en réalité demeuréestable depuis 1980. Si elle a, certes, connu quelquesfluctuations selon les périodes – un soutien plusimportant après les attentats de 2015 ou, aucontraire, en nette baisse durant la crise des « giletsjaunes » –, il constate qu’environ 70% des Françaisaccordent leur confiance à la police et 80% à la gen-darmerie31.

Mais ces chiffres donnent-ils une représentationcomplète du sentiment des Français à l’égard desforces de l’ordre ? En réalité, ce sondage généraln’exprime que l’image globale que les Français ont dela police et de la gendarmerie et ne saurait rendrecompte du détail des critiques émises à leur encon-tre. Selon la construction d’un sondage, chacun est,en effet, susceptible d’en tirer ses propres conclu-sions. Le sociologue Sebastian Roché s’est particu-lièrement intéressé à cette question pour les forcesde l’ordre en France.

Le premier enjeu est de s’assurer que la questionposée est à la fois suffisamment précise et non sus-

ceptible d’être mal interprétée. Or, plus une questionest générale, plus les risques de mauvaise interpréta-tion sont élevés. Selon Sebastian Roché, les cher-cheurs M. F. White et B. A. Menke ont ainsi montré,dès 1978, que « lorsque les questions ont une formu-lation générale, le public émet des avis positifs32 ».De même, si l’on interroge cet échantillon une nou-velle fois sur des questions plus précises, les avis sedégradent nettement.

Aussi, une analyse plus détaillée des réponses obligeà nuancer la vision prédominante d’une populationfrançaise satisfaite de sa police. Certes, environ 70%des Français leur accordent leur confiance de manièregénérale. Mais 40% estiment que les policiers et lesgendarmes ne traitent pas les gens de manière respec-tueuse, 40% pensent que les gendarmes sont souventracistes et, enfin, 38% des sondés ayant subi uncontrôle d’identité se disent insatisfaits de l’expé-rience33. 50% des sondés d’une enquête complé-mentaire estiment qu’aujourd’hui en France des per-sonnes sont souvent traitées défavorablement oudiscriminées lors des contrôles de police34. Sebas-tian Roché relevait, par ailleurs, en novembre 2020,« le manque d’intérêt marqué du gouvernementpour les opinions des Français sur la police, et doncd’étude régulière à ce sujet35 ».

Il faut donc réaliser une réelle distinction entre laconfiance générale accordée au système policier etl’avis plus spécifique, et plus critique, sur les pra-tiques des forces de l’ordre. Cette mise en perspec-tive est d’autant plus nécessaire que, comparées à nos

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Où en est le lien entre forces de l’ordreet population aujourd’hui ?

30. Entretien réalisé pour la Fondation Jean-Jaurès à Paris en juillet 2020.31. Hugo Spetier, « 69% des Français font confiance à la police », BFM TV, 10 juin 2020.32. Sebastian Roché, « Trois concepts clés pour analyser la relation police-population : confiance, légitimité et justice procédurale »,Cahiers de la sécuritéet de la justice, n°40, 20 septembre 2017.33. D’après l’enquête du European Social Survey (ESS) réalisée en 2010 et l’enquête « Eurojustis » 2012. 34. D’après l’enquête « Accès aux droits » réalisée par le Défenseur des droits en 2016.35. Le ministère de l’Intérieur en partenariat avec l’université Savoie Mont-Blanc a toutefois permis au directeur général de la gendarmerie nationale delancer en 2020 une enquête sur le lien entre gendarme et population dans l’ensemble des compagnies de gendarmerie départementale.

De Police à Polis

voisins européens, les forces de l’ordre françaisesbénéficient d’un taux de confiance générale systéma-tiquement inférieur, la plaçant autour de la douzièmeplace d’un classement qui évalue 29 pays36. Sur cecritère comme sur d’autres, il est ainsi pertinent decomparer la France aux autres pays européens pourmettre en perspective la qualité des pratiques poli-cières françaises.

Ce que révèlent les études internationales sur la qualitédes forces de sécurité françaises

Si l’on s’intéresse d’abord aux victimes et à la qualitédu suivi policier de leurs plaintes, les sondages inter-nationaux sur le sujet (International Crime VictimesSurvey) pointent en premier lieu une réalité à signa-ler : en France, la majorité des délits n’est en réalitéjamais déclarée aux autorités37. La moitié échappe aurecensement policier et le chiffre atteint même dessommets pour les délits les plus graves : entre 2010et 201538, 81% des victimes de violences sexuelles etde violences physiques dans la sphère intra-ménagene se sont pas déclarées.

De nombreuses victimes estiment ainsi que leur casest trop insignifiant pour que la police ne s’y intéresseou soit en mesure de faire quelque chose pour lesaider. La France se place sur cette question entre lespays du Nord, qui occupent la tête du classement, etceux de l’Europe du Sud et de l’Est, qui ferment lamarche. La France ne se maintient cependant pas àcette place honorable sur la question du servicefourni par les policiers au moment du dépôt deplainte. Sur les dix pays évalués, la France est ainsipassée de la quatrième place en 1996 (56%) à la neu-vième en 2005 (53%).

Il convient toutefois de relativiser cette dégringolade.En effet, les études menées à ce sujet par l’Observa-

toire national de la délinquance et des réponses pé-nales (ONDRP) entre 2012 et 2018 parviennent àdes résultats différents. Selon l’ONDRP, 85% despersonnes s’étant rendues au commissariat ou à lagendarmerie suite à un vol sans violence et 78% decelles l’ayant fait suite à des violences physiques nonmotivées par le vol estiment que l’accueil s’est bienpassé39.

Si la question posée par l’ONDRP permet de mettreen avant des avis significativement plus positifs, celle-ci n’interroge cependant pas directement la satisfac-tion liée au dépôt de plainte à proprement parler.

Cette différence dans les résultats observés d’une en-quête à l’autre incite à ne pas systématiquementchercher d’explication du côté du travail des forcesde l’ordre ou de la qualité de leur encadrement : laperception du travail policier par les citoyens peutaussi largement dépendre du contexte général danslequel l’enquête est effectuée, qu’il s’agisse du dis-cours politique dominant du moment ou de la situa-tion économique du pays.

On peut cependant tenter d’évaluer la qualité du lienentre les forces de l’ordre et la population au traversd’autres variables, notamment en questionnant lescitoyens sur la légitimité qu’ils reconnaissent à cesdernières. On peut mesurer cette légitimité endemandant aux citoyens s’ils pensent « devoir fairece que la police dit, même si on ne comprend pas oul’on n’est pas d’accord ».

L’enquête de l’European Social Survey (ESS) de2010 montre que la France (5,7/10) se positionneentre la Slovaquie et la Grèce, parmi le groupe despays où l’obéissance volontaire est la plus faible.Auditionné devant la commission des lois, GéraldDarmanin semblait confirmer cette tendance, souli-gnant que ses services comptabilisaient l’équivalentd’un refus d’obtempérer toutes les heures en France40.

On peut encore évaluer l’avis de la population sur lesforces de l’ordre au travers de sa perception dupotentiel de corruption de leurs agents. La questionpourrait a priori paraître déplacée : le système de

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36. Sebastian Roché, De la police en démocratie, Paris, Grasset, 2016, pp. 35-43.37. Ibid., pp.43-49.38. « Enquêtes Cadre de vie et sécurité de 2011 à 2016 », Insee/ONDRP/SSMSI. 39. Sebastian Roché, « Les enquêtes sociologiques quantitatives en France (1977-2019) : les dimensions des relations police/population et leursvariations », Rapport annuel, Observatoire national de la politique de la ville, 2019.40. Première audition de Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et Marlène Schiappa, ministre déléguée chargée de la citoyenneté, à la commissiondes lois de l’Assemblée nationale le 28 juillet 2020.

Où en est le lien entre forces de l’ordre et population aujourd’hui ?

recrutement de la police est reconnu, sa formationinsiste sur le respect de la loi et les salaires sont ré-gulièrement revalorisés depuis le milieu des années1980, jusqu’à être aujourd’hui supérieurs à la moyennedes rémunérations offertes par le reste de la fonctionpublique. Enfin, les systèmes d’inspection, d’audit etde sanction de la police et la gendarmerie sont, dumoins en interne, reconnus pour leur sérieux et leurintransigeance.

Pourtant, depuis une dizaine d’années, la presse afait état de nombreuses affaires impliquant desmembres de la police, entre protection de réseauxde trafiquants de drogue et vols dans les saisies. Le3 novembre 2020, six agents de la brigade anticrimi-nalité du 18e arrondissement de Paris ont ainsi étérenvoyés devant le tribunal correctionnel pour desfaits de corruption, transport et trafic de cocaïne, decrack, d’herbe, vol, blanchiment d’argent et violencevolontaire41. La compagnie de sécurisation et d’inter-vention de Seine-Saint-Denis a elle aussi été épin-glée, avec au moins six de ses membres impliquéspour détention et transport de stupéfiants, vol, fauxet usage de faux, extorsion de fonds et violences42.On peut également citer, quelques années plus tôt,l’affaire du numéro deux de la police judiciairede Lyon, Michel Neyret43. Ces scandales laissentdes traces : d’après l’enquête ESS de 2010, les Fran-çais estiment qu’un policier a 4,55 chances sur 10d’accepter un pot-de-vin. À titre de comparaison, lescitoyens allemands et britanniques interrogés esti-ment pour leur part que leurs policiers ont respecti-vement 2,74 et 3,0644 chances sur 10 d’accepter.

Si la police française reste évidemment, et fort heu-reusement, très éloignée des pires pratiques obser-vées dans de nombreuses polices du monde, sesagents sont toutefois notablement moins bien notésque leurs homologues allemands ou anglais.

Au-delà des scandales, des impressions et des« modes » politiques du moment, une analyse croiséede ces différentes données permet d’établir que laFrance occupe finalement une position moyenne ausein des pays de l’Union européenne et que la satis-faction de la population française à l’égard du travailde ses forces de l’ordre est grandement atténuée par

des pratiques policières jugées désagréables, hostileset agressives. Inévitablement, le déficit de confianceet de légitimité qui en résulte favorise les troublessociaux, contribue à tendre les relations quotidiennesentre la police et le public et alimente un malaisegrandissant des agents. Malheureusement, l’ouver-ture d’un débat apaisé sur la pertinence de cespratiques policières se révèle être d’une complexitétoute particulière.

Un débat public empêché

Discuter du rôle des forces de l’ordre en France et deleur relation avec la population est un exercice déli-cat, qui bute souvent de façon prématurée sur unefrange droitière de l’opinion publique déterminée àsoutenir la police en toute circonstance, et pour quiles questions du port d’un matricule ou de la remised’un récépissé de contrôle d’identité sont immanqua-blement assimilées à une volonté de « sanctionner »les agents. Ce sentiment est largement partagé ausein des agents, convaincus d’être injustement viséspar l’invocation de nouveaux outils pour contrôlerleur action et renforcés dans leur conviction par lenouveau code de déontologie, entré en vigueur en2014, qui fait référence à la discrimination desagents. Souffrant de conditions de travail qui laissentsouvent à désirer, entre violence, tâches indues, perted’autorité et matériel vétuste, ils vivent par ailleursparticulièrement mal les critiques récurrentes desmédias à leur égard.

De l’autre côté, une partie de l’opinion publique mar-quée à l’extrême gauche s’ancre dans une solide tra-dition « anti-flics » et dénonce sans nuance desviolences policières impunies et un racisme systé-mique au sein des forces de l’ordre. Longtemps can-tonnées à une frange militante, ces accusations ontgagné du terrain dans le reste de la population et desmédias à l’occasion des manifestations des « giletsjaunes », au cours desquelles une nouvelle partie dupublic s’est retrouvée confrontée pour la première

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41. Nicolas Chapuis et Simon Piel, « Soupçonnés de corruption, trafic de drogue et blanchiment, des policiers parisiens renvoyés devant le tribunal »,Le Monde, 22 septembre 2020.42. Nicolas Chapuis, « Une compagnie de policiers de Seine-Saint-Denis au cœur d’un scandale », Le Monde, 30 juin 2020.43. « Procès de Michel Neyret : deux ans et demi de prison ferme pour le “super-flic” », Le Point, 13 juin 2018.44. Sebastian Roché, De la police en démocratie, op. cit., pp. 77-84.

De Police à Polis

fois à l’exercice de la force par les agents de l’État. Sielles ont chacune une part de vérité, ces critiques seheurtent toutefois d’un côté comme de l’autre à uneréalité plus complexe.

Interrogé sur le sujet, Bernard Cazeneuve soulignel’aspect positif de « l’aspiration de la jeunesse pour lajustice » et salue son « intolérance à l’égard de ce quiapparaît comme discriminatoire et témoin d’uneviolence institutionnalisée par les pouvoirs ». Mais ildéplore que ces bonnes volontés soient sujettes à« des manipulations et à des fins d’exploitation pourcréer des contextes de lutte politique ». L’ancienPremier ministre mentionne ainsi l’exemple del’affaire Adama Traoré45, dont les nombreuses zonesd’ombre sont souvent peu connues des manifestantsqui soutiennent le comité Adama.

Pour Bernard Cazeneuve, ces jeunes militants « nese rendent pas compte de la réalité du métier depolicier, de ceux qui vont se faire tuer pour l’État dedroit ». À l’image du commentaire de l’ancien Pre-mier ministre, les deux camps se renvoient ainsi laballe, s’accusant tour à tour de manque d’empathiepour la difficulté du métier de policier et d’absencede discernement sur les pratiques discriminantes etviolentes au sein des forces de l’ordre.

Les médias et les réseaux sociaux jouent un rôle dé-terminant dans la mise en scène et l’entretien decette confrontation où la suspicion dépasse le plussouvent la réalité des faits, résultat inévitable du tripledécalage entre le temps médiatique, celui de l’en-quête et celui de la justice. Face au choc des imagespartielles et au poids des témoignages partiaux, édito-rialistes et internautes se précipitent pour, selon lescamps, juger un coupable ou l’innocenter. Cetteurgence collective à prononcer un verdict induit unepression sur les responsables politiques, contraints deréagir avant même d’être informés eux-mêmes des dé-tails de l’affaire qu’ils commentent ou d’avoir pris letemps de mesurer les conséquences de leurs propos.

À cet égard, l’été 2020 nous a apporté un exempleemblématique de la « twiterrisation » du débat sécu-ritaire. Suite à une manifestation organisée devant letribunal de Paris, le ministre de l’intérieur ChristopheCastaner a jugé bon d’annoncer une réforme pré-voyant une suspension administrative des policiers« pour chaque soupçon avéré d’actes ou proposracistes46 ». Précipitée, cette annonce a réussi à ralliercontre elle toutes les parties prenantes du débat. Ou-trés de voir la présomption d’innocence leur êtreretirée, les policiers ont déposé leurs armes devant lescommissariats en signe de protestation47, tandis quedu côté des associations de gauche les propositionsdu ministre étaient qualifiées de « mesurettes ».

Réalisé après une enquête en immersion longue dedeux ans, l’ouvrage de Valentin Gendrot, Flic48,apporte un éclairage intéressant sur l’incapacité dudébat public à se saisir de la complexité de la ques-tion policière. Refusant de céder à une vision binaireconsistant à prendre parti pour ou contre la police,s’écartant du miroir déformant des réseaux sociaux ets’appuyant sur des résultats de recherches ne mélan-geant pas démarche scientifique et action militante,il pointe dans un même élan « les deux grands tabousde la police française » que sont selon lui « les vio-lences policières et le mal-être policier »49.

Comme le soulignent Alain Bauer et ChristopheSoullez50, il est, en effet, nécessaire de mettre fin àla « confrontation stérile » qui amène à dénoncerdans un même souffle réducteur les magistrats« laxistes », les policiers « fascistes » et les responsa-bles politiques « populistes ». Comme le demandeBernard Cazeneuve, il est temps de renouer avecl’esprit d’Albert Camus et de débattre avec « un espritd’équilibre et de nuance51 ». Force est pourtant deconstater que, face à l’augmentation et la médiatisa-tion croissante des incidents violents entre les forcesde l’ordre et la population, cet appel au calme relèveaujourd’hui du vœu pieux.

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45. L’affaire Adama Traoré est une affaire judiciaire relative à la mort d’un homme de vingt-quatre ans, Adama Traoré, le 19 juillet 2016 à la gendarmeriede Persan, après son interpellation à Beaumont-sur-Oise.46. Nicolas Bastuck, « Castaner et les “soupçons avérés” : un message à double sens », Le Point, 9 juin 2020.47. « “Petit pas en avant” ou “climat de soupçon” sur la police : l’opposition clivée après les annonces de Castaner », LCI, 9 juin 2020.48. Valentin Gendrot, Flic, Paris, Éditions Goutte d’Or, 2020.49. Marion Mertens, « Valentin Gendrot : “Seul un voyage clandestin dans un commissariat permet de tout montrer” », Paris-Match, 8 septembre 2020. 50. Alain Bauer et Christophe Soullez, Les Politiques publiques de sécurité, Paris, Presses universitaires de France, 2011, pp. 122-123.51. Thomas Sotto, « Bernard Cazeneuve sur RTL : “J’étais Charlie en 2015, je le suis aujourd’hui” », RTL, 1er septembre 2020.

Où en est le lien entre forces de l’ordre et population aujourd’hui ?

Des accusations de violencesexcessives à l’encontre des deux parties

« Une force sans arme nécessiterait un dialoguedémocratique apaisé. Il faut être deux pour que

cela fonctionne. », Alain Bauer52.

Censé être une parenthèse apaisée entre les deuxconfinements, l’été 2020 a été marqué par une litaniede polémiques médiatiques et politiques déclenchéespar une succession de graves actes de violence àl’encontre de personnes dépositaires de l’autoritépublique. Avec le décès d’une gendarme lors d’uncontrôle routier, le lynchage à mort d’un chauffeur debus à Bayonne ou encore le passage à tabac d’unmaire en Charente-Maritime, la lutte contre l’insé-curité est revenue au centre de l’actualité, charriantavec elle les mêmes discours entendus depuis unetrentaine d’années et donnant lieu à l’habituelle pro-pension des parties prenantes à se saisir des seulschiffres susceptibles de servir le discours idéologiquequ’elles venaient défendre.

Alors que le ministre de l’Intérieur se sentait obligéde parler d’un « ensauvagement » de la société,Laurent Mucchielli remarquait auprès du journal20 minutes qu’il assiste depuis plus de vingt ans à desséquences politiques similaires : « Crier à l’insécuritépour mieux se poser en rempart, c’est un des fondsde commerce des politiques de droite et d’extrêmedroite. Avec toujours la même manière de procéder,c’est-à-dire la mise en série de faits divers médiatiséssur les chaînes d’info en continu et sur les réseauxsociaux53. »

Évaluer le niveau réel actuel de la violence présenteplusieurs difficultés. Il faut d’abord comprendre cequ’on désigne par le terme de « violence », unconcept très large qui, allant de l’insulte au meurtreprémédité54, recouvre des faits ne se valant pas. Sepose ensuite la question de la mesure statistique deces actes. La police remplit ainsi chaque année un

relevé statistique nommé « état 4001 ». Si la droiteaime à le présenter comme un indicateur fiable de ladélinquance en France, il faut souligner que cedernier n’est en réalité qu’un recensement de l’acti-vité de la police : loin de constituer la preuve irréfu-table d’une déliquescence de la société française,l’augmentation de certains délits peut parfois être, aucontraire, le signe d’une plus grande efficacité desforces de l’ordre face à des crimes qui passaientautrefois sous leurs radars. C’est notamment le casdes violences conjugales, où les victimes ont – sou-vent pour des raisons systémiques – longtemps eudes réticences à déposer plainte.

Cette lecture prudente et contre-intuitive des statis-tiques est d’autant plus nécessaire que celles-ci neprennent pas en compte l’augmentation de la popu-lation et doivent donc être pondérées. Ainsi, il appa-raît que les violences les plus graves connaissent enréalité une diminution constante.

De 2002 à 2009, le nombre annuel d’homicides nonterroristes est ainsi passé de 1 400 à 800, et il estdepuis demeuré stable. Certes, 800 homicides repré-sentent environ deux crimes par jour, il y a naturelle-ment là de quoi alimenter la chronique médiatique.De même, si le nombre de coups et blessures a, poursa part, augmenté en 2015 et 2016, cette hausse peutégalement s’expliquer par une augmentation desdéclarations aux autorités, et ce d’autant plus que rienn’indique une reprise des agressions physiques dansles enquêtes menées par l’Observatoire scientifiquedu crime et de la justice (OSCJ).

Mais d’autres chiffres sont néanmoins éloquents.D’après l’Observatoire national de la délinquance etdes réponses pénales (ONDRP), le nombre de poli-ciers blessés dans l’exercice de leurs fonctions a aug-menté de 15% en 2018, pour un total de 10 800agents concernés. De même, le nombre de policierset gendarmes décédés en service est passé la mêmeannée de 15 à 25. Alors qu’aucun mort n’avait été en-registré dans ce cadre en 2017, 9 gendarmes sont dé-cédés au cours d’une « mission de police » en 2018.

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52. Interrogé par la Fondation Jean-Jaurès en juillet 2020.53. Hakim Bounemoura, « Les actes de violence ont-ils réellement augmenté ces derniers mois en France ? », 20 minutes, 26 août 2020.54. Selon l’Organisation mondiale de la santé, la violence est « l’utilisation intentionnelle de la force physique, de menaces à l’encontre des autres ou desoi-même, contre un groupe ou une communauté, qui entraîne ou risque fortement d’entraîner un traumatisme, des dommages psychologiques, desproblèmes de développement ou un décès ».

De Police à Polis

Troubles de voisinage, nuisances sonores, rixes : po-liciers et gendarmes sont de plus en plus fréquem-ment sollicités par la population pour intervenir àl’occasion de désordres. Faisant face au cours de cesinterventions à des environnements souvent hostiles,avec un accueil mélangeant sifflets, injures, lancersde pierre ou tirs de feu d’artifice dans leur direction,il leur est de plus en plus difficile d’assurer leur mis-sion dans le strict respect des règles d’engagement.Couplées au manque de moyens, la nouvelle naturedu travail policier et les contraintes que font peser lesrègles déontologiques rendent leur travail particuliè-rement complexe.

Interrogé par nos soins à ce sujet, Jean-Michel Fau-vergue, ancien chef du RAID et aujourd’hui députéLREM, assure « qu’aucun autre travail » ne cumuleautant d’émotions et d’exigence de maintien de soi :« Il faut le rassurer sur son travail, le confirmer dansson pouvoir d’autorité, le protéger tout en exigeant delui l’exemplarité. » La BAC de nuit en région pari-sienne est un exemple représentatif de ces difficultés,avec des interventions au milieu de grands ensemblesmenées par des effectifs moins fournis qu’auparavantet dont les recrues essentiellement jeunes et inexpé-rimentées sont la cible de virulentes critiques pourleur usage souvent disproportionné de la force.

Le criminologue américain Lawrence Sherman sou-ligne l’importance du contexte administratif danslequel l’exercice de la violence légitime s’effectue,distinguant ce qui est plus ou moins cautionné parles collègues, ce qui est accepté par les supérieurs etce qui est encadré par la loi55.

En France, en réaction à la menace du terrorismeislamiste, plusieurs textes législatifs ont récemmentpermis de faciliter l’exercice de la force par la police.L’ambition était d’abord d’aligner le régime de l’usagede la force des policiers sur celui des gendarmes. De-puis la loi du 28 février 2017, les policiers peuventainsi tirer après deux sommations pour arrêter despersonnes ou des véhicules perçus comme dangereuxet cherchant à leur échapper. Ils peuvent également,depuis la loi du 3 juin 2016, faire usage de leursarmes pour empêcher la réitération « d’un ou plu-

sieurs meurtres ou tentatives de meurtre venantd’être commis ».

Selon des données de l’Inspection générale de lapolice nationale (IGPN), l’usage de leur arme par lespoliciers a été multiplié par 1,52 sur les sept premiersmois de 2017 par rapport aux sept premiers de l’annéeprécédente56. Pour sa part, l’usage de leur arme à feupar les gendarmes aurait, selon l’IGGN interrogée parnos soins, baissé de 23% ces dernières années.

Le nombre de morts causées en France par unpolicier faisant usage de son arme à feu reste pourautant faible, avec 19 décès en 201957. Les blessurescausées par des policiers s’élèvent, quant à elles, àune centaine par an au cours de ces trois dernièresannées, même si la question de l’absence de signale-ment doit ici être posée.

Si les critiques à l’égard de la police se concentrenthabituellement sur les méthodes de ses agents enga-gés dans des patrouilles et des opérations se dérou-lant dans des quartiers sensibles ou des camps demigrants, les forces de sécurité sont depuis deux ansde plus en plus spécifiquement pointées du doigtpour leur usage d’armes « non létales » – gaz lacry-mogènes, pistolets à décharge électrique, pistoletslanceurs de balles de caoutchouc – au cours d’opé-rations de maintien de l’ordre. Ces critiques ontgagné en intensité avec le mouvement des « giletsjaunes » et les débordements observés de la part desmanifestants et des policiers, jusqu’à déboucheraujourd’hui sur une remise en question complète destechniques du maintien de l’ordre à la française.

La crise du maintien de l’ordre à la française

Le maintien de l’ordre à la française fait depuisquelques années figure de mauvais élève des pra-tiques policières européennes58. Face aux travaux lesplus critiques tels que ceux de David Dufresne59, les

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55. Lawrence Sherman, Reducing police gun use. Critical events, administrative policy and organizational change, dans Maurice Punch (dir.), Control ofPolice Organization, Cambridge, M.I.T. Press, 1983.56. Fabien Jobard, « L’usage de la force par la police », op. cit., pp. 390-401.57. D’après le rapport annuel d’activité 2019 de l’IGPN.58. Olivier Fillieule et Fabien Jobard, « Un splendide isolement, les politiques françaises du maintien de l’ordre », La vie des idées, 24 mai 2016.59. Audrey Kucinskas, « David Dufresne, le journaliste anti-violences policières », L’Express, 20 janvier 2019.

Où en est le lien entre forces de l’ordre et population aujourd’hui ?

défenseurs de l’institution policière pointent enmiroir les violences démesurées observées de la partdes manifestants français, d’une ampleur et d’uneintensité incomparable avec les pratiques observéesdans le reste des mouvements sociaux européens.

Interrogé par la Fondation Jean-Jaurès en juillet2020, Alain Bauer rappelle pourtant que les manifes-tations françaises ont toujours été traversées par desmouvements violents : « Le discours sur les spécifi-cités de la situation française avec l’idée que lescasseurs sont d’une détermination jamais vue aupa-ravant et que l’on bascule dans un cycle inédit de vio-lence ne date pas de l’épisode des “gilets jaunes”.Agriculteurs, pêcheurs, routiers et étudiants, entreautres, depuis 1348 et la Grande Jacquerie, chacunsait que l’État ne connaît que le rapport de force etne sait pas négocier dans le calme. Tout le mondejoue selon des règles du jeu déjà anciennes. Maisc’est l’État qui les a fixées. »

Pour le professeur de criminologie, la gestion des ma-nifestations en France semble dépassée : « La seuledoctrine de maintien de l’ordre structurée autourd’une pensée stratégique est celle du préfet Grimaud,en 1968. Depuis, la police est à la remorque des évo-lutions tactiques des manifestants, de la “nébuleusede 1986” jusqu’à nos jours. Les grands “tournois”organisés entre CGT et CRS, à heure fixe et pour leplus grand bonheur de leurs partisans respectifs ontdisparu, noyés par des vagues successives de nou-veaux acteurs plus jeunes et plus déterminés, les“Black Blocs”, jusqu’aux “gilets jaunes”. L’image desvéhicules blindés de la gendarmerie, lourds et peumaniables engagés contre les “hordes jaunes” est hau-tement symbolique d’un retour au contrôle des posi-tions contre des enragés du mouvement… »

Frédéric Péchenard ajoute qu’auparavant le serviced’ordre de la CGT aidait beaucoup : « Les policierspouvaient se maintenir à distance de la manifestationsans problème. Le service d’ordre expulsait les plusviolents et les policiers pouvaient les interpeller dansdes conditions optimales. La première condition estd’avoir le bon renseignement. Aujourd’hui, nous n’enavons pas. Il est nécessaire de toujours avoir des po-liciers en contact avec la population mais quand lesmanifestants refusent de discuter, cela complique leschoses. Sans cela, il est difficile de préparer en amontet enfin d’envisager une répression en aval. »

À de nombreux égards, pendant les manifestationsmais aussi en amont, l’épisode des « gilets jaunes » a

ainsi soulevé la question du rôle des corps intermé-diaires. Absents des défilés, ces derniers auraientpourtant pu être d’une grande utilité pour établir etmaintenir le contact entre manifestants, policiers etautorités. Mais la volonté du chef de l’État derestreindre leur rôle dans le jeu politique et institu-tionnel français a conduit à leur effacement etpréparé le terrain à leur impuissance. Souffrant dèsleur conception d’un défaut d’encadrement, les ma-nifestations se sont donc effectuées dans la plusgrande désorganisation, certains défilés étant mêmelancés sans aucune indication quant à leur itinéraire.

Historiquement, l’objectif du maintien de l’ordre à lafrançaise consiste à limiter au maximum le contactentre les manifestants et les forces de l’ordre, notam-ment via l’usage des gaz lacrymogènes. Dans les faits,il s’agit de s’adapter à la situation, limiter le contactquand la manifestation est calme et, lorsque la ten-sion monte, impressionner par des bonds en avant,au cours desquels les compagnies républicaines desécurité (CRS) effectuent une avancée en courantsur vingt mètres. Or, comme le concède FrédéricPéchenard : « Tout cela fonctionne en manifestationclassique, pas pendant une émeute avec des mises àsac de magasins, des feux, etc. Ici, les techniques neservent à rien, il faut interpeller et aller au contact. »

La mobilisation de tous les effectifs policiers dispo-nibles, dont une large partie n’était pas formée auxopérations de maintien de l’ordre, a débouché sur uneutilisation inadéquate des armes intermédiaires : tirsdans une foule sans cible individuelle, non-respectde l’angle de tir, coups de bâtons de défense typetonfa, utilisation d’aérosols, jets de grenades lacrymo-gènes, de grenades de désencerclement, de grenadesà effet de souffle et de grenades assourdissantes aumilieu de foules compactes… Plus puissants que lesflash-balls, les lanceurs de balles de défense (LBD)ont cristallisé la majeure partie des critiques. Lesécarts ont été tels que l’ONU, le Conseil de l’Europeet le Parlement européen ont émis des condamna-tions officielles.

Qualifiés d’armes intermédiaires, ces instrumentssont en réalité très dangereux. Mais, en les qualifiantde « non létales », on incite à en faire un usagedécomplexé. D’après l’IGPN, les forces de l’ordre onttiré environ 480 fois plus sur des manifestants en2018 qu’en 2009, pour un total de 19 000 tirs. Lesgrenades lacrymogènes ont également atteint un picd’utilisation, avec 7940 tirs sur l’année. Les grenades

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De Police à Polis

de désencerclement ont, pour leur part, été utilisées50 fois plus en 2018 qu’en 2009. D’après les chiffresregroupés par David Dufresne, 24 personnes ont étééborgnées par un tir de LBD et 100 ont reçu un tirsur la tête au cours du mouvement des « giletsjaunes ».

Les reproches ont également porté sur l’utilisation dela technique de la nasse. Cette pratique consiste à« encager » les cortèges en ne laissant aux manifes-tants qu’une seule porte de sortie, ce qui permet deles filtrer et d’arrêter un maximum de casseurs pré-sents parmi eux.

Frédéric Péchenard nous indique que l’on apprendle contraire en école de police, tandis que Jean-Michel Fauvergue décrit cette stratégie commeappartenant au registre militaire. Si elle a l’avantagede limiter l’action des casseurs, elle suscite cependantde fortes tensions entre policiers et manifestants.

Pour éviter la solidarisation de la foule avec les indi-vidus interpellés, les forces de l’ordre allemandes ousuisses ont réfléchi à partir des années 1990 à la miseen place de techniques d’interpellations rapides etpropres des éléments violents. Dans le cadre d’unestratégie de désescalade, elles ont ainsi recours à desbinômes qui arrêtent au sein même des cortèges lesindividus déterminés à en découdre avec la police.

Entre les cortèges violents aussi bien issus de l’ex-trême gauche que de l’extrême droite, l’Allemagnefait également face à des manifestations d’une grandeviolence. Mais, comme le souligne Fabien Jobard,« force reste à la loi », et aucune polémique autourde l’usage de la force durant des opérations de main-tien de l’ordre comparable à notre pays n’a lieu outre-Rhin.

Une nouvelle doctrine s’est par ailleurs développéeces dernières années dans tout le reste de l’Europe,avec notamment les officiers de dialogue en Suède,les « peace units » en Hollande ou les « liaison offi-cers » en Angleterre. Elle repose d’abord sur uneconception de la foule en tant que groupement d’in-dividus hétérogène. Dans ce modèle, les casseursdoivent être dissociés du reste de la foule afin d’éviterque cette dernière ne se solidarise avec eux et nedéclenche un affrontement généralisé avec les forces

de l’ordre. Dans cette optique, le maintien d’unecommunication directe et claire entre forces del’ordre et manifestants durant toutes les étapes duparcours est un élément clef. Elle suppose, par exem-ple, l’existence d’équipes anti-conflit ou encore l’uti-lisation de haut-parleurs par les forces de l’ordre.

La séquence des « gilets jaunes » a permis une prisede conscience sur le retard français en la matière,touchant cette fois-ci une population bien plus largeque les divers groupes de militants habitués à dénon-cer les violences policières en banlieue. Comme lesouligne Alain Bauer, « ce qui est nouveau, c’est quedes populations inattendues se sont heurtées dure-ment aux forces de l’ordre et que cette découverte dela confrontation a créé de nouveaux mécontente-ments et des ressentiments vis-à-vis de policiers etgendarmes qu’ils ne rencontraient, jusque-là, quepour des contraventions ». Didier Fassin explique,quant à lui, que, en franchissant le périphérique, laBAC a simplement fait la démonstration chaque sa-medi de ce que vivent chaque jour une partie de nosconcitoyens.

Le faible statut social des personnes subissant un usage excessif de la force

Dans leur étude portant sur 676 rapports d’incidentsviolents liés à la police à Miami entre 1983 et 1997,les chercheurs Geoffrey P. Alpert, Roger G. Dunhamet John M. MacDonald distinguent un usage de laforce dit « ascendant », c’est-à-dire supérieur au ni-veau de violence employé par l’adversaire, et un usagedit « accommodant », soit de niveau égal, voire infé-rieur à la violence reçue60.

Sur les 676 cas étudiés, l’usage de la force par les po-liciers peut être qualifié d’ascendant dans seulement13% des cas, mais il est largement corrélé à la fai-blesse du statut social de l’individu appréhendé61.Ces chiffres confirment la thèse défendue par lesociologue Donald Black selon laquelle la tendance

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60. Geoffrey P. Alpert, Roger G. Dunham et John M. MacDonald, « Police suspicion and discretionary decision making during citizens stops », Criminology,vol. 43, n°2, mai 2005.61. Fabien Jobard, « L’usage de la force par la police », op. cit., pp. 390-401.

Où en est le lien entre forces de l’ordre et population aujourd’hui ?

d’un policier à exercer une violence abusive dépendavant tout de la faiblesse du statut social de la per-sonne qui lui fait face62.

Cette approche permettrait notamment d’expliquerla récurrence avec laquelle la police se rend coupablede comportements inappropriés à l’encontre desmigrants. Cofondateur de l’association Utopia 56,Yann Manzi soulève les nombreuses brimades poli-cières à laquelle les mineurs étrangers accueillis parson association doivent ainsi faire face, pointant no-tamment les tentes lacérées ou confisquées par lesforces de l’ordre du 19e arrondissement de Paris63. Sielles sont régulièrement exposées par les médias,force est de constater que ces pratiques sont tacite-ment cautionnées ou tolérées par le reste de lapopulation. Le démantèlement musclé survenu placede la République le 23 novembre 2020 a semblé tou-tefois provoqué une certaine attention.

Ce biais socio-économique est confirmé par l’analysedes perceptions de l’action policière en fonction dustatut social des sondés. Elle varie presque du simpleau double : quand 25% des Français les plus privilé-giés acquiescent à l’idée d’un abus de l’usage de laforce64, ce chiffre passe à 48% chez leurs concitoyensles plus défavorisés.

Lorsqu’on leur soumet l’idée que les « personnesd’origine étrangère » sont susceptibles de souffrir de« surcontrôles », 46% des Français interrogés accep-tent l’idée qu’elles sont souvent moins bien traitéesque le reste de la population. Mais l’analyse des ré-ponses en fonction du lieu de résidence apporte unéclairage qu’il faut souligner. Chez les sondés résidantdans la couronne parisienne, ce chiffre monte ainsià 56%. Et lorsqu’on questionne les Français qui rési-dent au sein d’un HLM (habitation à loyer modéré)de Seine-Saint-Denis, département le plus pauvre deFrance, 61% d’entre eux affirment que les personnesd’origine étrangère sont particulièrement ciblées65 parla police. On constate donc dans une partie de lapopulation le sentiment d’une rupture de facto del’égalité des citoyens devant la police.

Des difficultés rencontrées dans nos quartiers les plus défavorisés

Pour comprendre les origines de ce ressentimentchez ceux qui les nourrissent, il convient d’étudierleurs interactions au quotidien avec les forces de l’or-dre, et donc de s’arrêter sur les contrôles d’identitéqu’ils ont à subir. Si leur niveau de violence est auxantipodes de ce qui peut se pratiquer au cours d’unemanifestation dégénérant en émeute, ces dernierssont néanmoins nettement plus fréquents. Si lesbavures violentes engendrant un décès sont les cata-lyseurs des séquences d’émeutes urbaines anti-police, ce sont en réalité ces contrôles du quotidienqui, par leur caractère systématique, en sont à l’origine.

Ces contrôles envoient, en effet, à l’ensemble d’ungroupe social un message de suspicion permanentede la part des autorités, et portent de ce fait unecharge symbolique considérable susceptible d’altérerle rapport à la citoyenneté et à la cité de ceux qu’ilsvisent. Spécialiste des quartiers les plus défavorisésde France, le sociologue Manuel Boucher souligne« le fossé d’incompréhension » qui s’est ainsi creuséentre la police nationale et une frange importante dela jeunesse des cités66 qui reproche aux forces del’ordre d’être en décalage avec les demandes desquartiers où elles exercent et d’être avant tout auservice d’elle-même.

Le sociologue Éric Marlière relève ainsi dans ses en-quêtes un certain ras-le-bol à l’égard des gardiens dela paix, jugés incapables de distinguer les « vrais »délinquants du reste de la population dès lors qu’ilspartagent des origines ethniques similaires67. Unecomparaison avec les pratiques de la police alle-mande illustre l’ampleur du problème : alors que ladélinquance de rue n’est pas plus présente en Francequ’en Allemagne, les policiers français ont deux foisplus recours au contrôle inopiné que leurs homo-logues d’outre-Rhin. Il apparaît ainsi en réalité queles contrôles policiers français ne sont pas déployés

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62. Donald Black, The Manners and Customs of the Police, New York, Academic Press, 1980.63. « Yann Manzi : J’ai été témoin de violences policières dans un commissariat », Konbini News, septembre 2020.64. Sebastian Roché, De la police en démocratie, op. cit., pp. 106-111.65. D’après une enquête « Eurojustis » menée en 2011. 66. Manuel Boucher, Casquettes contre képis, Paris, L’Harmattan, 2013.67. Éric Marlière, Jeunes en cité, Paris, L’Harmattan, 2005.

De Police à Polis

dans le but de retrouver des auteurs de délits, maisd’imposer de façon ostensible l’autorité de l’institu-tion policière sur le quartier dans lequel elle opère.

Bien que la moitié d’entre eux reconnaissent l’exis-tence de pratiques discriminatoires de la part de lapolice, la confiance que les Français continuent d’ac-corder à leur police interroge. Force est de constaterque si la plupart s’en accommodent, certains d’entreeux vont jusqu’à s’en réjouir. Si, d’après l’édition 2011de l’enquête « Eurojustis », 57% des sondés résidantdans des HLM de Seine-Saint-Denis estiment queces pratiques sont inacceptables, 27,5% des Françaisestiment qu’elles sont « tout à fait normales » et nevoient « pas en quoi c’est un problème », enfin, 28%jugent qu’elles sont nécessaires au nom de l’efficacitédu travail des gendarmes et des policiers.

Les études ethnographiques éclairent également surla profondeur du mal-être qui caractérise les relationsentre la police et les habitants des quartiers défavo-risés. Entre 2005 et 2007, l’anthropologue DidierFassin a pu suivre le quotidien des équipages de laBAC d’une ville de banlieue parisienne. Créée en1971 pour faire du « flagrant délit », cette police encivil est devenue depuis les années 1990 l’instrumentprincipal de la « police des quartiers ». Cherchant àmettre en lumière les dysfonctionnements structu-rels, le chercheur note en premier lieu le manque defamiliarité des policiers avec le terrain dans lequel ilsévoluent. Le problème persistait encore en 2018 :alors que 71,5% des postes à pouvoir en sortie d’écolede police sont situés en Île-de-France68, seulement10% des diplômés en sont originaires. Didier Fassintémoigne par ailleurs de la surprise des forces de l’or-dre au moment de leur prise de fonction. Au nomd’une politique du chiffre qui leur assigne des objec-tifs irréalisables, ces derniers se retrouvent en effet àmultiplier les fouilles et les interpellations de sans-papiers ou de simples consommateurs de cannabis.Chargés d’assurer la sécurité d’une région qu’ils neconnaissent pas et d’accomplir des missions qu’ils necomprennent pas, ces policiers venus de provincevoient la difficulté de leur tâche encore aggravée parun taux d’encadrement particulièrement faible.

Selon un rapport de la Cour des comptes, cité dansLe Monde69, celui-ci atteint 17,1% en 2019 au sein

de la Direction de la sécurité publique de l’agglomé-ration parisienne, soit l’ensemble des commissariatsen charge de la petite et moyenne délinquance. Cesjeunes recrues cherchent donc, en général, à repartirau plus vite dans leur région d’origine. Les placesqu’ils laissent vacantes sont ensuite tout aussi briè-vement occupées par de jeunes diplômés, qui parti-ront également avant d’avoir pu se familiariser avecleur secteur, et seront eux-mêmes remplacés par desprofils similaires qui s’empresseront à leur tour deperpétuer le cycle. Ce turn-over induit une déperson-nalisation de la relation entre les policiers et la popu-lation, qui facilite l’esprit de confrontation.

Entre violence et discrimination raciale, les compor-tements policiers qui découlent de ce fonctionne-ment peuvent ainsi facilement franchir plusieurslignes rouges. Outre cette distance à laquelle ils sontmaintenus avec la population qu’ils sont censés pro-téger, les policiers justifient eux-mêmes ces pratiquesen rejetant la faute sur le laxisme supposé des magis-trats, accusés de libérer trop facilement des délin-quants dont l’arrestation avait pourtant exigé d’euxdes efforts importants. Ils ont dès lors tendance àconsidérer que leurs actes de violence à l’égard despersonnes interpellées ne seraient qu’une façon degarantir une forme de justice qui ne serait sinonjamais rendue.

Si elle est aléatoire, cette « justice » policière est in-trinsèquement discriminatoire, nourrie par l’idée quetous les jeunes sont des délinquants sur lesquels leursparents n’ont aucune emprise. Cette vision débouchesur des pratiques arbitraires – arrestation d’un jeuneà la place d’un autre pour compenser l’absence dususpect, voire sur des pratiques racistes, donttémoigne la propension de la partie la plus hostile despoliciers étudiés à utiliser le terme de « bâtards » pourqualifier la population. Dans son enquête de 2019 aucœur du commissariat du 19e arrondissement, Valen-tin Gendrot relève également l’emploi fréquent decette insulte. Peut-être les policiers se sentent-ils en-couragés dans leurs actions par le contexte politique,alimenté par les critiques récurrentes de nombreuxélus et candidats à l’encontre des magistrats « degauche » et leurs appels répétés à agir sans aucunetolérance contre les « sauvageons70 ».

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68. Juliette Bénézit, « Sélection, formation : la police nationale face aux difficultés du recrutement de masse », Le Monde, 3 septembre 2020.69. Ibid. 70. Thomas Sotto, « Cazeneuve “regrette” d’avoir utilisé le mot “sauvageons” quand il était ministre de l’Intérieur », RTL, 1er septembre 2020.

Où en est le lien entre forces de l’ordre et population aujourd’hui ?

Selon Didier Fassin, si ces pratiques ne sont pas uni-verselles au sein des forces de l’ordre, elles sont néan-moins tolérées par l’ensemble des policiers. L’unité deBAC au centre de son étude accepte ainsi les usagesexcessifs de la force car une majorité des agentsperçoit les jeunes de banlieues, les sans-papiers et lesgens du voyage comme des ennemis. Certes, certainsdes agents de l’unité maintiennent une attitude exi-geante de leur fonction et nourrissent même de lasympathie pour les milieux populaires urbains. Un« nuiteux » reconnaît ainsi auprès de Didier Fassin en« avoir marre des collègues racistes et antisémites »et confie à l’anthropologue son souhait de passer auxpatrouilles de jour. Mais, craignant de ternir l’imagede la police, il refuse cependant de témoigner.

La loyauté prime au sein des forces de l’ordre. Lasolidarité est telle que Valentin Gendrot partage dansson enquête sa surprise d’avoir lui-même, au nom del’esprit de groupe, couvert un collègue après unebavure. Cette réticence à faire remonter les déra-pages auprès de la hiérarchie s’explique par la margi-nalisation à laquelle s’expose quiconque ose briser lesilence, à l’image de la mise à l’écart vécue par lebrigadier-chef Amar Benmohamed après avoir signaléà sa direction des propos racistes, des cas de maltrai-tance et des faits de vols de la part de ses collègues71.De même, lorsqu’un policier noir a osé dénoncer en2019 les nombreux propos racistes tenus par six deses collègues d’un commissariat de Rouen au seind’un groupe WhatsApp, c’est ce dernier qui a étécontraint de quitter son service. Alors qu’une enquêteles visait, les policiers mis en cause ont, eux, pu conti-nuer à travailler.

Face à un système qui punit de facto les lanceursd’alerte, Didier Fassin montre que les policierstémoins de pratiques discriminatoires préfèrent ma-joritairement éviter de prendre le risque de procéderà un signalement contre leurs collègues. La majoritése rabat donc sur des solutions plus discrètes : silencepragmatique, demande de mutation ou démission.

Ces études ethnographiques tendent à décrire unepolice agissant dans les quartiers défavorisés de façonarbitraire, raciste et brutale. Il faut toutefois soulignerleurs limites. Si elles restituent le climat dans lequella police opère, elles laissent peu de place à l’expres-

sion d’avis divergents au sein des quartiers défavori-sés. Didier Lapeyronnie, sociologue, souligne qu’ilexiste par exemple des clivages générationnels sur laquestion policière.

La part de responsabilité des habitants des quartiersdéfavorisés dans la dégradation des rapports avec lapolice est par ailleurs rarement interrogée. De même,ces études sur les violences policières abordent peule lien entre l’isolation sociale et économique de cespopulations et le rejet, bien au-delà des seuls poli-ciers, de tout ce qui représente le reste de la sociétéou s’apparente à l’autorité publique. Face à cettehostilité de principe, les policiers pourraient êtrecontraints d’entretenir dans les quartiers concernésune attitude autoritaire, voire guerrière. Les étudesquantitatives peuvent donc constituer une réponsecomplémentaire et objective sur les origines desdifficultés de ces rapports entre police et population.

Dirigée par Sebastian Roché en 2011, l’enquête « Eu-rojustis » a la particularité d’avoir simultanémentinterrogé un échantillon représentatif des Français etun échantillon représentatif des habitants du dépar-tement le plus pauvre de France, la Seine-Saint-Denis. Ses résultats montrent d’abord que les jeunesde Seine-Saint-Denis sont particulièrement plus mé-fiants à l’égard de la police que les jeunes en France :15 points les séparent. Cet écart se perpétue jusqu’àl’âge de cinquante-neuf ans, tranche pour laquelleSebastian Roché observe une différence de 10 pointsentre les Français de Seine-Saint-Denis et le reste deleurs concitoyens.

Les sondés résidant dans les quartiers difficiles criti-quent une police peu efficace, voire laxiste, qui lais-serait passer de trop nombreux délits. 34% affirmentainsi que la police est présente, mais qu’elle laissetout passer. Leurs autres critiques portent sur lecaractère violent et machiste de l’action policière. Lapolice n’y est ainsi pas tant perçue comme un servicede l’État manquant à ses devoirs ou comme une ins-titution au sein de laquelle les policiers commettentindividuellement des abus, mais plutôt comme uneforce extérieure qui ne fait qu’attiser un conflitlatent. Les tentatives de rapprochement, comme lesUTeQ ou l’îlotage, sont jugées insuffisantes pourenrayer la spirale de la défiance. Mais, étant donné

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71. Mathieu Molard, Christophe-Cécil Garnier et Yann Castanier, « Un policier révèle des centaines de cas de maltraitance et de racisme dans les cellulesdu tribunal de Paris », Street Press, 27 juillet 2020.

De Police à Polis

les conditions de nomination des agents dans cesquartiers et le turn-over qui en découle, ce rappro-chement n’est-il pas structurellement impossible ?

Au-delà du lieu d’habitation, le jugement des Fran-çais sur leur police est également lié à leur religion.Dans le cadre d’une autre enquête menée en 201272

auprès de jeunes adolescents, Sebastian Rochépointe ainsi une forte corrélation dans les quartiersles plus défavorisés entre la défiance à l’égard de lapolice et la pratique de la religion musulmane.Quand les catholiques sont, par exemple, 66,6% àaffirmer refuser de lancer des pierres sur la policedans n’importe quelle situation, le chiffre baisse à43,8% chez les musulmans. D’une manière générale,si on la compare à ses grands voisins européens, laFrance n’est pas le pays où la référence identitaire àla religion est la plus marquée. Mais l’enquête deSebastian Roché observe néanmoins que les musul-mans émettent indéniablement des critiques plusfortes que le reste de la population à propos du com-portement des policiers lors des patrouilles et descontrôles dans leurs quartiers.

Ce lien entre pratique religieuse et respect de lapolice n’est pas sans conséquences concrètes sur lemaintien de l’ordre. Pour Frédéric Péchenard, « ilexiste des endroits où la loi religieuse est supérieureà l’État de droit. L’exemple de Dijon73 est frappant.L’arrêt des violences a eu lieu parce qu’un imam aréconcilié les communautés adverses, et non grâce àla République74 ».

Les études statistiques montrent qu’en dépit des cri-tiques, la police continue à bénéficier d’un statutparticulier aux yeux des Français, qui lui maintien-nent un niveau de confiance souvent plus élevé quepour les autres services publics. Cependant, un pointspécifique cristallise le mécontentement d’une partiegrandissante de l’opinion : le manque de transparenceet d’efficacité du système d’inspection et de sanctioninterne des forces de sécurité.

Critiques à l’égarddes inspections en interne des forces de sécurité

Les militants qui manifestent contre les violencespolicières scandent depuis plusieurs années unequestion qui, à force, sonne de plus en plus commeune supplique : « Qui nous protège de la police ? »L’Inspection générale de la gendarmerie nationale(IGGN) et l’Inspection générale de la police natio-nale (IGPN) sont ainsi pointées pour le manque detransparence de leurs méthodes et le laxisme aveclequel elles sanctionnent les dérapages qui leur sontsignalés.

Sebastian Roché pointe dans son étude que plusun service d’inspection enregistre des saisines,plus le niveau de confiance des citoyens dans lapolice augmente. Or, là où l’IGPN n’enregistre que3 000 plaintes par an, son équivalent britannique entraite 36 000. Malgré ce gouffre qui les sépare deleurs homologues d’outre-Manche, les forces del’ordre françaises ont pourtant tendance à considérerque ces services d’inspection internes font preuved’une trop grande fermeté dans leur travail.

Frédéric Péchenard cite ainsi le rapport du médiateurpour souligner que les policiers sont bien plus sanc-tionnés que le reste des serviteurs de l’État : alorsqu’ils ne constituent que 7% des effectifs, les poli-ciers concentrent 64% des sanctions administrativesprononcées en France. Pour l’ancien patron de la po-lice nationale, « les fonctionnaires de police sont lesplus contrôlés parmi les corps de l’État ».

Se basant sur son vécu de policier et d’agent du ren-seignement intérieur, Jean-Michel Fauvergue estimequant à lui que l’IGPN et l’IGGN font parfaitementbien leur travail, aussi bien en termes d’audit qued’enquête judiciaire et administrative. Le problèmeréside, selon lui, dans la sensation des Français quela police lave son linge sale en famille, « entre flics »,et non avec les citoyens.

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72. L’enquête « POLIS » est menée doublement en Allemagne et en France respectivement par Dietrich Oberwittler et Sebastian Roché. Elle mesure laconfiance entre police et minorités chez les adolescents dans quatre villes au total.73. Frédéric Péchenard fait ici référence à des violences entre communautés ethniques ayant eu lieu en juin 2020 durant une semaine.74. Extraits d’un entretien réalisé en août 2020 par la Fondation Jean-Jaurès.

Où en est le lien entre forces de l’ordre et population aujourd’hui ?

Concrètement, ces inspections exercent trois typesde missions : contrôler les services de police par laconduite d’audits et de visites inopinées, améliorerleur fonctionnement par la rédaction d’études et derecommandations et, enfin, s’assurer que les agentsrespectent la loi et le code de déontologie des forcesde sécurité intérieure. Dans ce cadre-là, les inspec-tions effectuent soit des enquêtes sur demande desautorités judiciaires – le procureur de la Républiqueou le juge d’instruction – soit des enquêtes adminis-tratives sur demande d’un supérieur, comme le mi-nistre de l’Intérieur ou le préfet de police. Pour lesenquêtes administratives, une proposition de sanc-tion après inspection est proposée ou non, mais ilrevient à la hiérarchie du policier ou du gendarmeincriminé de l’appliquer. Pour ce qui est des enquêtesjudiciaires, une recommandation après inspection estrédigée à l’intention des juges d’instruction sur lapertinence d’engager, ou non, des poursuites. C’estensuite au parquet d’apprécier les suites à donner auxenquêtes.

Suite à leur médiatisation, de nombreuses affairesgérées par ces inspections ont récemment suscité devives critiques, citoyens et politiques estimant deconcert que justice n’avait pas été rendue. À proposde l’affaire du brigadier-chef Amar Benmohamed du-rant l’été 2020, Gérald Darmanin s’est par exempleétonné, durant sa première audition devant la com-mission des lois de l’Assemblée nationale, quel’IGPN ait fait 13 préconisations mais qu’aucuned’entre elles n’ait été encore mise en œuvre.

Alain Bauer note à ce propos que la sévérité de cesinstitutions semble inversement proportionnelle àl’attention que le public porte aux cas inspectés :« Plus la confrontation dépasse les affaires internes,plus les inspections semblent passer du statut deprocureur à celui de protecteur. » C’est ainsi quepourrait être interprétée, par exemple, la gestion del’affaire Steve Maia Mançio. Saisie pour enquêter surson décès survenu à la suite d’une charge de la policecontre une fête organisée sur les bords de la Loire,l’IGPN a finalement dédouané les agents impliquéset ce malgré (ou à cause de ?) l’intense médiatisationde l’affaire. Se sentant obligé de réagir, le Premierministre avait ensuite désavoué l’enquête en mission-nant l’inspection générale de l’administration (IGA)

pour qu’elle étudie à son tour la manœuvre contro-versée des policiers.

L’IGPN est donc au cœur d’un paradoxe. Si on consi-dère en interne qu’elle traite très durement les agentspris la main dans le sac, ce service est, au contraire,régulièrement brocardé à l’extérieur pour son laxismeet sa partialité. Or, force est de constater que ces ins-titutions semblent surtout manquer de transparence.

Au cours de l’année 2018, l’IGPN a ainsi clos puistransmis aux autorités judiciaires 1157 saisines. Il estpourtant impossible de savoir avec précision combiende ces enquêtes ont mené à des condamnations depoliciers. « L’autorité judiciaire n’informe pas, enprincipe, l’IGPN des suites données aux procédurestransmises », assure l’institution75. L’ONG chrétienneAcat a, de son côté, fait état de 89 enquêtes entre2005 et 2015 sur des faits considérés comme desbavures policières. Toutes se seraient soldées par desnon-lieux.

Du fait de l’absence de données fiables et objectives,ce phénomène est particulièrement complexe à ana-lyser. Les forces de l’ordre ne portent pas toutes descaméras de corps pouvant permettre d’arbitrer entreles différentes versions des intéressés, réduisant sou-vent les enquêtes à l’incertitude du « parole contreparole ». L’existence d’un « biais » corporatiste dansle traitement de ces inspections est impossible àconfirmer du fait du manque de données disponibles.Ce flou entretient le doute et, in fine, la défiance.

Face aux critiques visant leur manque de transpa-rence, l’IGPN et l’IGGN ont commencé à réagir. Cesdernières années, l’IGPN a ainsi renoué avec lapublication de bilans annuels, un temps interrompue,et augmenté le nombre d’informations disponibles,notamment autour des enquêtes judiciaires menéescontre des policiers. De même, l’IGGN a pour sa partpublié en juin 2020 le premier rapport annuel d’acti-vités de son histoire et affiché son souci de transpa-rence en accueillant la Fondation Jean-Jaurès dansses locaux. L’inspection projette notamment d’inté-grer un magistrat, un chargé de mission du Défen-seur des droits et un chercheur à son effectif.

Si elle concentre les critiques, la police n’est pas laseule institution impliquée dans l’application de laloi. Au-delà des forces de l’ordre, c’est l’ensemble de

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75. Mathilde Goupil, « L’IGPN innocente-t-elle systématiquement les policiers ? », L’Express, 20 août 2019.

De Police à Polis

la chaîne pénale76 qu’il convient d’analyser, en s’arrê-tant notamment sur les rapports tendus et complexesqu’entretiennent policiers et magistrats.

Et que fait la justice ?

Les policiers portent souvent un regard très critiquesur l’action des magistrats, à qui ils reprochentd’accorder trop facilement des aménagements depeine ou de mal communiquer avec eux pour lesprévenir de la remise en liberté de délinquants em-prisonnés. Interrogé sur ce sujet, l’ancien chef de lapolice, Frédéric Péchenard, partage ainsi sa circons-pection face à la libération anticipée de 14 000 déte-nus décidée à l’occasion du confinement. La justicefrançaise serait-elle trop clémente ?

La chaîne pénale tout entière fait face à un enjeucolossal. Depuis les années 1990, le taux de réponsepénale est passé de 50% à près de 90%, et cemalgré des moyens qui, s’ils ont augmenté, n’ont pasdoublé 77. Dans le même temps, certains outils de ré-gulation de la population carcérale ont disparu ou sesont amoindris, ce qui a compliqué et aggravé lacharge de travail de notre appareil pénal. Dans lecadre de sa politique répressive, Nicolas Sarkozy aainsi supprimé en 2007 le décret de grâce présiden-tiel. Mécanisme déterminant dans la gestion du nom-bre de détenus, ce dernier permettait de libérer paranticipation plusieurs milliers de prisonniers.

Combinée à la mise en place des peines planchers,cette suppression a lourdement aggravé le problèmede la surpopulation carcérale. Répondant à lademande de sévérité que Nicolas Sarkozy avait prissoin de nourrir pendant dix ans, les réformes misesen place à l’occasion de ses passages place Beauvauet au cours de son quinquennat à l’Élysée ont provo-qué une augmentation de près de 20 000 du nombrede détenus : de 48 000 en 2002, ils étaient 68 000en 2012. En dépit de cette politique répressive, lesinfrastructures pénitentiaires n’ont pas été adaptéesà ce nouvel afflux de prisonniers : en janvier 2020,70 651 détenus se partageaient encore 61 080 places

de prison. C’est seulement grâce à l’épidémie de laCovid-19 et au risque qu’elle faisait peser sur la santédes personnes incarcérées dans des conditions detrop grande promiscuité que, pour la première fois envingt ans, il y avait à l’été 2020 moins de détenus enFrance (58 685) que de places de prison (60 592)78.

Contrainte de gérer le flux des cas à juger, la chaînepénale s’est concentrée sur les procédures d’urgence.Il s’agit de juger vite et de façon visible la délinquancela plus violente via des procédures de comparutionimmédiate. Si elle représente seulement 6% des pré-venus comparaissant devant les tribunaux, cette pro-cédure est pourtant à l’origine de 25% des entrées enprison. En dehors des affaires les plus médiatisées,le reste des délits est jugé avec un retard significatif.

La délinquance moyenne tend quant à elle à êtrejugée avec moins de sévérité. Compte tenu de l’en-combrement des cours d’assises et du temps querequiert ce type de procédure, seulement 10% à15% des dossiers criminels transmis par la police etla gendarmerie censés être jugés par ces cours le sonteffectivement. À l’image des viols sans circonstancesaggravantes requalifiés en simples agressions sexuelles,le reste des affaires est transmis aux tribunauxcorrectionnels avec des qualifications moins graves.

Pour leur part, faute de temps et faute de connais-sance de la situation spécifique du prévenu (statutsocial, professionnel, conjugal, etc.), les tribunauxcorrectionnels s’abstiennent de procéder aux au-diences et se rabattent sur les aménagements depeines, malgré l’incompréhension que suscite cettepratique. De même, à l’autre extrémité de la réponsepénale, citoyens et policiers ont également du mal àcomprendre les réductions de peine accordées auxdétenus, qui ont pourtant l’immense avantage de per-mettre de surveiller les prisonniers une fois en dehorsde la prison et d’éviter les sorties « sèches » qu’on saitpropices aux récidives.

Force est de constater que la seule politique pénalequi soit lisible par la majorité des citoyens demeurejusqu’à aujourd’hui la sanction par l’incarcération etla privation des droits. Or, toutes les données dis-ponibles montrent que, dans une perspective de ré-duction de l’insécurité, cette réponse ne fonctionne

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76. L’ensemble des acteurs qui travaillent à la répression des infractions, composée de la police et de la gendarmerie, la justice et l’administrationpénitentiaire.77. Dominique Raimbourg et Stéphane Jacquot, Prison, Le choix de la raison, Paris, Economica, 2015, p. 27. 78. D’après les statistiques de la population détenue et écrouée publiées par le ministère de la Justice, juillet 2020.

Où en est le lien entre forces de l’ordre et population aujourd’hui ?

pas : la sévérité des peines n’a pas d’incidence surla délinquance.

De plus, une politique répressive qui n’est pas simul-tanément accompagnée d’une véritable stratégie car-cérale s’avère, in fine, contre-productive. En rendantla vie impossible pour les détenus comme pour lessurveillants, les conditions d’incarcération actuelles,entre surpopulation et personnels pénitentiaires ensous-effectifs, empêchent la prison de jouer correc-tement son triple rôle de punition, de prévention dela récidive et de réinsertion.

En 2014, près de 80% des sorties de prison se fai-saient ainsi sans qu’aucun suivi ou contrôle ne soitmis en place. Pour les peines de moins de six mois,le taux montait à 98%. Face à cette réalité complexeet parfois contre-intuitive, les politiques de gauchecomme de droite préfèrent s’engager avec facilité etopportunisme dans des débats idéologiques décon-nectés des faits, entre simplisme démagogique pourles uns et coups de menton ultra-répressifs pour lesautres. Ce faisant, ils ne font que retarder l’émer-gence d’une solution qui ne pourra être élaborée qu’àpartir du réel et compliquent la tâche des magistrats.

Pour Jean-Michel Fauvergue, le défi posé au systèmejudiciaire est de donner une réponse pénale qui soità la fois immédiate et adaptée : « Tous les délits sontimportants. Une réponse adaptée signifie que lesdécisions des magistrats soient assorties à l’ampleurdu délit commis. Si des décisions de rappel à la loisont produites à tour de bras, il faut se poser desquestions. Reconnaissons, bien entendu, que lesproblématiques sur les peines sont nombreuses entrele manque de place en prison et en TIG. Produireune sanction immédiate empêche les multiples in-compréhensions actuelles. Aujourd’hui, la victime, ledélinquant et le policier ne comprennent pas pour-quoi le délinquant est plus vite sorti que l’agent n’apris le temps de remplir son dossier. »79

Les forces de l’ordre se plaignent par ailleurs d’êtretrès peu informées des suites données aux dossiersqu’ils transmettent à la justice. Elles ne sont égale-ment presque jamais notifiées des sorties de prisonet des obligations, et surtout des interdictions, quipèsent sur certains condamnés. Loin d’être anodin,cet oubli peut gêner leur travail et met parfois en dan-ger les citoyens, notamment dans le cas des femmes

victimes de violences conjugales. Ce défaut de com-munication traduit en réalité un manque d’intérêtsymptomatique d’un système tout entier tourné versle répressif où rien n’existe en dehors de la prison.

Pour la France et sa chaîne pénale, le véritable enjeusemble donc de se doter d’une culture de la sanctionqui se détacherait progressivement du tout-carcéralau sein de laquelle les peines alternatives à la prisonet le travail de suivi des condamnés après leur libéra-tion trouveraient enfin leur place parmi les autrespeines et où police, justice et administration péniten-tiaire travailleraient de concert.

Vers une réforme structurelle du fonctionnement des forcesde sécurité intérieure

Que signifie une bonne police ? Pour évaluer la per-formance de ses forces de l’ordre, la France s’est long-temps contentée de compter le nombre de délitscommis ou de gardes à vue prononcées sur son terri-toire. Leur décompte serait en principe gage debonne ou de mauvaise performance de nos agents.Simpliste, cette culture du résultat a en réalité générédes biais et des manipulations signalées aussi bienpar les sociologues s’étant penchés sur la questionque par les propres services internes de la police. Deplus, cette attention portée en priorité au seul comp-tage des délits et des actes de procédure revient, infine, à laisser de côté le ressenti des citoyens. Ainsi,les gouvernements français n’ont jamais réellementorienté l’attention et l’action de la police vers la satis-faction du public ou la construction d’un lien deconfiance avec la population.

À l’image de la délinquance qu’elles doivent combat-tre, les métiers des forces de police ont pourtant évo-lué. Avec moins d’homicides à élucider et plusd’incivilités à réprimander au quotidien, le policiern’incarne plus la figure du justicier luttant contre lecrime, mais bien celle du garant de l’ordre sur la voiepublique. Pourtant, ce changement de fonction nes’est pas accompagné d’une amélioration des condi-tions de travail. De nombreux commissariats et

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79. Extraits d’un entretien réalisé en août 2020 par la Fondation Jean-Jaurès.

De Police à Polis

gendarmeries manquent, par exemple, de voitures,d’ordinateurs ou de caméras de corps fonctionnels.Par manque d’effectifs et de budget, les fonction-naires sont également amenés à effectuer de nom-breuses tâches indues qui viennent, à l’image desgardes statiques ou de l’enregistrement des procura-tions de vote, s’ajouter à des obligations administra-tives souvent répétitives et chronophages.

Il ne faut pas pour autant croire que le métier depolicier se réduit désormais à un travail de bureau.Outre la réalisation des opérations de maintien del’ordre pour encadrer les nombreuses manifestationsorganisées chaque année en France, les agents sontmobilisés de façon constante depuis 2015 contre lamenace terroriste islamiste. Enfin, alors que les Fran-çais recevaient la consigne de se terrer chez eux pouréviter la Covid-19, les policiers et gendarmes ont prisdes risques pour s’assurer avec courage, et souventsans protections adéquates, du respect des règles duconfinement.

Fabien Jobard résume d’une formule les difficultésauxquelles font face les policiers : « Aujourd’hui, lespolices sont soumises à deux exigences aussi fortesque conflictuelles : assurer l’ordre, mais l’assurer sansheurt ni scandale80. » Face à l’importance de leursmissions et aux difficultés auxquelles ils doivent faireface pour les mener à bien, les critiques à leur encon-tre sont perçues par les forces de l’ordre comme desattaques infondées émanant d’observateurs et d’idéo-logues déconnectés de la réalité de leur métier. Inter-rogé par nos soins, Frédéric Potier estime que lesforces de l’ordre ont le sentiment d’être au sein d’une« forteresse assiégée ». Pour le délégué interministérielà la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haineanti-LGBT, « toute réforme doit partir du terrain, dela façon dont les policiers travaillent, dans l’écoutemutuelle. Rien ne pourra changer sinon ».

Les pouvoirs publics ne sont pas restés totalementinactifs face à cette dégradation des conditions detravail et à l’insatisfaction du public. L’îlotage, lesUTeQ, la mise en place d’un nouveau code de déon-tologie ou le recrutement de nouveaux effectifs sontallés dans le sens d’une police plus adaptée auxdemandes des citoyens et de ses agents. Mais les

tentatives de changement plus ambitieuses se sontnéanmoins soldées par des échecs, à l’image de l’ins-tauration de la police de proximité au début desannées 2000. En réaction, la droite a alors mené unepolitique répressive sans réellement se soucier del’absence de preuves de son efficacité. L’idée d’unepolitique de sécurité mise au service des citoyens aété progressivement abandonnée, plaçant peu à peunotre police en porte-à-faux avec ses homologues eu-ropéens.

Une bonne police consisterait d’abord aujourd’hui àla concevoir comme le produit d’une expérimentationsociale portant une attention particulière au ressentides individus amenés à être à son contact. C’est àpartir de cet élément qu’il conviendrait d’évaluerl’action d’une police moderne, et non au traversd’un simple décompte stérile de ses interventionsdans un esprit de « vivre ensemble », de Polis.Concrètement, cela impliquerait d’évaluer l’accueiloffert aux citoyens venant déposer plainte, l’impartia-lité des agents au cours des contrôles d’identité, lasatisfaction des publics côtoyant la police et, in fine,la confiance accordée aux forces de l’ordre par l’en-semble des citoyens.

Selon Sebastian Roché, la confiance procède d’unereconnaissance sociale et, dans le cas des policiers,d’une acceptation du bien-fondé de leurs actions etdes valeurs qui semblent les inspirer. Négligée parune profession qui se plaint de son isolement et del’incompréhension qu’elle suscite, cette confiancepourrait pourtant être un atout majeur pour qui sau-rait la gagner.

Évoquant le quotidien d’un locataire de la placeBeauvau, Bernard Cazeneuve soulignait en 2016 qu’ilvalait mieux aimer les ennuis que l’ennui81. Submer-gés par les crises, les urgences et les déplacements,otages du rythme imposé par l’incertitude des évène-ments et l’impatience des chaînes d’information encontinu, les ministres de l’Intérieur rencontrent iné-vitablement des difficultés pour ne pas se laisser dé-tourner du temps de réflexion nécessaire au travailde fond et à la préparation des réformes structurelles.Celles-ci sont pourtant aujourd’hui nécessaires.

80. Fabien Jobard, « L’usage de la force par la police », op. cit., pp. 390-401. 81. Propos prononcés durant la déclaration de Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, le 4 septembre 2016 à La Rochelle.

Ouvrir les portes et les fenêtresde la place Beauvau

Les forces de l’ordre françaises sont peu enclines auxcritiques. Si elles peuvent reconnaître des erreurs,elles refusent généralement toute remise en questionstructurelle. Là où nos voisins britanniques et alle-mands favorisent le débat et multiplient les commis-sions sur les forces de l’ordre, la France s’empressegénéralement de refermer toute polémique et secontente de demi-mesures prises en urgence et quis’attaquent rarement aux racines du problème.

Pourtant, les causes du malaise des policiers et del’insatisfaction des usagers sont bien institutionnelles.Nationales, notre police et notre gendarmerie sontorganisées par et pour le centre. Les négociations surles orientations et les moyens budgétaires s’y réalisentà huis clos, entre syndicats et gouvernements. Iln’existe ainsi pas, au ministère de l’Intérieur, de lieude concertation destiné à entendre les usagers ou àse nourrir de la réflexion sécuritaire des experts et desuniversitaires. De même, le ministère ne dispose pasd’une direction des relations aux usagers qui dispo-serait d’un service, de moyens et d’autorité pour ré-fléchir à l’amélioration du service rendu aux citoyens.

Ce fonctionnement jacobin pourrait évoluer, notam-ment au travers de la rédaction d’un livre blanclancée le 14 octobre 2019. Ce Livre blanc de lasécurité intérieure doit regrouper divers groupes detravail, missionnés pour plancher sur quatre grands

chantiers en lien avec l’organisation et le travail desforces de sécurité82.

Le premier est consacré à l’organisation des serviceset plus spécifiquement aux missions de la police, dela gendarmerie et des pompiers. Le deuxième s’in-téresse aux liens entre les forces de sécurité et lesacteurs non régaliens (police municipale, sécurité pri-vée, élus, bailleurs sociaux, transporteurs) de la luttecontre l’insécurité. Le troisième atelier est, quant àlui, chargé d’établir une stratégie de ressourceshumaines et de moyens. Enfin, le quatrième porte surl’usage et l’apport des nouvelles technologies.

La particularité de cette méthode de travail estl’attention qui y est portée à la concertation. LaurentNuñez, secrétaire d’État auprès du ministre del’Intérieur au début des travaux, insistait notammentsur l’ambition d’élargir les consultations « aux grandesassociations de transporteurs, de bailleurs, d’éluslocaux, afin d’avoir les échanges les plus approfondispossible ». Alors ministre de l’Intérieur, ChristopheCastaner annonçait de son côté la mise en place« d’assises territoriales de la sécurité intérieure »,organisées sous l’égide des préfets et réunissant desforces de l’ordre, des élus, des entreprises, des acteursde la sécurité civile et des Français83. Des chercheursuniversitaires et des experts ont ainsi été consultés etont participé à la réunion d’un panel « représentatif »de citoyens84. Sélectionné par l’Ifop, un échantillonreprésentatif de Français a ainsi pu participer àdes sessions de formation et de travaux afin deformuler des propositions pour l’évolution de notresécurité intérieure85. Ces démarches consultatives

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Retrouver des forces de l’ordre attentives au lien avec la population

dans un esprit de concertation

82. « Castaner lance les travaux du futur Livre blanc sur la sécurité intérieure », Le Figaro, octobre 2019. 83. « “Livre blanc de la sécurité intérieure” : Christophe Castaner lance les travaux », Localtis avec l’AEF et l’AFP, 15 octobre 2019.84. « Livre blanc de la sécurité intérieure : des citoyens associés à son élaboration », Vie publique, 16 janvier 2020.85. « Conférence des citoyens pour le Livre blanc de la sécurité intérieure », Ifop, 13 janvier 2020.

De Police à Polis

ne provoquent néanmoins aucun entrain au sein desforces de l’ordre sur le terrain, habituées à ne pas êtreen contact avec leurs supérieurs et à voir défiler lesprétendus grandes annonces et grands changements.L’un d’eux partage notamment sa frustration den’avoir eu que deux jours pour répondre à une« grande » consultation sur un projet d’unification dela police au niveau départemental86.

La condition sine qua non du succès d’une nouvellepolitique de sécurité intérieure est qu’elle soit inspi-rée par l’idée d’une police de service, impartiale et re-devable face à la population. Pour ce faire, SebastianRoché propose en premier lieu de combiner le rôledu chef de cabinet de la déontologie à l’IGPN aveccelui du conseiller prospective de la direction géné-rale. En y associant la gendarmerie, il serait alorspossible de créer au sein du ministère de l’Intérieurune direction de la qualité des forces de sécurité.

Jean-Michel Fauvergue souhaite pour sa part « aban-donner les dogmes destructeurs pour notre « vivreensemble » et réellement ouvrir les portes et fenêtresà la critique par des chercheurs, des avocats et d’au-tres experts […]. Les besoins de la population etl’expertise non policière doivent “entrer dans lapolice” ». Aussi, s’agit-il d’institutionnaliser la relationentre la police et la population au niveau central etlocal, en modifiant les organes de gouvernance.Comme le propose Sebastian Roché en s’inspirantdu Conseil d’analyse économique placé au service deBercy, il faudrait créer un « conseil d’analyse desréponses policières » auprès du ministère de l’Inté-rieur. Présidé par une personnalité forte et indépen-dante, celui-ci serait constitué d’un collège issu de lasociété civile au sein duquel siégeraient aussi biendes usagers que des représentants du monde de l’en-treprise, des universitaires, des économistes de ladélinquance, des spécialistes des sciences policièreset des chercheurs en évaluation expérimentale desréponses pénales.

In fine, l’objectif est d’acquérir une meilleure com-préhension des causes du divorce entre la police etla population. Mais pour qu’un aggiornamento de lapolice française soit possible, beaucoup d’acteurs dudossier devront accepter de reconnaître des erreurset de prendre acte de leurs échecs. Il faudra pour cela

se défaire de certaines habitudes, qu’il s’agisse de pra-tiques policières profondément ancrées ou dedogmes idéologiques dépassés.

En finir avec les dogmes pernicieux au lien entre police et population

Pour accomplir un changement significatif, la culturedu résultat se présente naturellement comme lepremier dogme auquel il faut mettre un terme. Enencourageant les forces de police à donner leur prio-rité à la quantité plutôt qu’à la qualité, elle s’avèreêtre un outil d’évaluation de l’activité policière à lafois peu fiable et néfaste. Mais, comme l’indiquentses directives données à la rentrée 2020 aux forcesde police pour orienter leur lutte contre l’usage destupéfiants87, l’actuel ministre de l’Intérieur n’a mani-festement pas l’intention de prendre acte de ceconstat d’échec pourtant unanimement partagé.

À défaut, l’institution policière doit travailler sur saconception de ce que doivent être ses interactionsavec les citoyens. À cet égard, le manque le plus criantdemeure à l’heure actuelle l’absence de lieux d’écouteet d’échanges avec la population. Lorsqu’elles existent,les réunions de quartiers auxquelles la police participeservent ainsi à informer la population, mais nepermettent pas à celle-ci de faire entendre sesdoléances et d’obtenir des explications. De fait, à l’ex-ception de la police municipale qui rend comptedirectement au maire, nos policiers et gendarmespeuvent travailler sans avoir le sentiment d’être rede-vables de leurs actions auprès du public. Certainsagents insistent tout de même sur la nécessité d’éta-blir un contact avec la population. Le colonel Dubet,rencontré dans le Val-d’Oise, par exemple, incite seseffectifs à aller à la rencontre des citoyens en uni-forme de gendarme et à briser les a priori.

Les concepts de confiance et de légitimité n’ont pas,nonobstant, une place suffisante dans les logiquesd’évaluation de la police. Au contraire, ceux-ci sontmême régulièrement confondus avec la notion de

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86. Entretien réalisé en octobre 2020 par la Fondation Jean-Jaurès.87. Aziz Zemouri, « Stupéfiants : Gérald Darmanin impose la politique du chiffre », Le Point, 17 septembre 2020.

Retrouver des forces de l’ordre attentives au lien avec la population dans un esprit de concertation

légalité. Là où ils devraient savoir prendre en compteles sentiments et l’approbation de la population, lesagents et leur hiérarchie ont ainsi trop souvent leréflexe de se satisfaire d’une justification juridique deleurs actions. Se souciant peu d’être acceptés ourespectés, ils se contentent d’être craints.

Après la politique du chiffre, c’est la philosophie in-terventionniste de nos forces de sécurité qui devraitêtre révisée. Lors de la mise en place de la police deproximité, de nombreux policiers avaient témoigné àl’époque de leur désaccord avec une telle initiative.Un gardien de la paix devait, selon eux, lutter en prio-rité contre la délinquance, et non consacrer ses effortsà créer un hypothétique lien avec la population.Vingt ans après, leur réflexion a peu évolué : l’exer-cice de l’autorité publique au travers du « communitypolicing » est ainsi, aujourd’hui encore, trop souventpéjorativement perçu comme du « travail social ».

Le chercheur Steve Herbert a, par exemple, noté quede nombreux policiers de Seattle valorisent le carac-tère aventureux de leur travail et la nécessité d’impo-ser leur autorité sur leur secteur88. Ces agentss’estiment plus qualifiés que la population pour dis-cuter de leurs pratiques professionnelles et exprimentpar ailleurs une certaine lassitude face à des réformeseffectuées sans consultation des acteurs concernés niprise en compte des réalités du terrain. La réforme estperçue comme une énième mesure, souvent plus por-tée par des considérations idéologiques et idéalistesque guidée par une approche pragmatique d’unproblème complexe. Compréhensible, cette postureest en réalité délétère pour le travail des policiers. Elleincite à la défiance à l’égard des forces de l’ordre etenvenime leur relation avec le reste de la population,bien au-delà des seuls délinquants. On rappelleraainsi que l’essentiel du public avec lequel les policiersinteragissent n’est pas constitué de criminels : 78%des personnes contrôlées n’ont rien à se reprocher etne font pas, au final, l’objet d’une interpellation89.

Effet à la fois logique, paradoxal et pervers de labaisse des homicides et de la hausse des incivilitésenregistrées en France, la parole politique dominantevise de plus en plus à exiger une intransigeance totaledes pouvoirs publics face aux petits délits. Cette ap-

proche remonte aux travaux des chercheurs James Q.Wilson et George L. Kelling, théoriciens en 1982 dela « politique de la vitre cassée90 » : selon les universi-taires américains, une vitre cassée qui ne serait pasremplacée dès le lendemain signerait le début d’uncercle vicieux de la délinquance dans un quartier.Pour enrayer cette spirale, il s’agirait donc de fairepreuve de la plus grande sévérité au moindre délit.Avec le recul, on sait pourtant aujourd’hui qu’une tellepolitique risque en réalité d’intensifier le climat de dé-fiance entre forces de l’ordre et population et s’avère,sur le long terme, contre-productive. Quel est l’intérêtde prétendre faire respecter l’ordre public en imposantdes mesures draconiennes si, quelques années plustard, les forces de l’ordre ne peuvent plus travaillerdans certains quartiers tant l’hostilité à leur encontres’y est généralisée ?

Les réactions provoquées par l’arrestation à la foisviolente, illégale et raciste de Michel Zecler en témoi-gnent : le premier facteur susceptible de nuire au lienentre la police et la population demeure les pratiquesdiscriminantes et excessivement violentes de certainspoliciers envers une catégorie distincte de la popula-tion. L’ensemble de la police française n’est évidem-ment pas raciste et l’institution ne professe nin’accepte aucune hiérarchie des races. Cela nesuffit malheureusement pas à l’immuniser contredes comportements racistes qu’elle laisse trop sou-vent impunis.

Les enquêtes sur les relations entre police et popu-lation montrent depuis une dizaine d’années le netsentiment d’un manque d’impartialité à l’égard descitoyens français issus des minorités ethniques. Cespratiques ont des effets dévastateurs sur le tissu socialdu pays. Elles renforcent à la fois le ressentimentcontre l’ensemble des autorités publiques et le replivers les identités collectives minoritaires, qu’ellessoient ethniques, religieuses ou locales (le quartier).

Il existe ici un décalage criant autour de la perceptionde certaines pratiques policières. Pour les agents, lescontrôles inopinés sont un outil de travail anodin.Pour une partie de la population, ce droit d’exiger lespapiers, de fouiller les affaires, de palper les corps etd’emmener des individus au poste est vécu comme

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88. Steve Herbert, « The “battle of Seattle” Or, Seven Views of a Protest-zoning State », Political Geography, vol. 26, n° 5, 2007.89. Recherches effectuées dans les gares parisiennes par la fondation Open Society et le Centre des sciences sociales sur les institutions pénales,le Cesdip.90. James Q. Wilson et George L. Kelling, « Broken windows », Critical issues in policing : Contemporary readings, 1982, pp. 395-407.

De Police à Polis

une humiliation. Celle-ci se double de la colère quidécoule du sentiment d’être traité différemment dureste des citoyens en raison de son apparence ou deson origine.

Non enregistrés et pas systématiquement compta-bilisés, ces contrôles ne sont aujourd’hui pas suf-fisamment encadrés91. En permettant d’établir la res-ponsabilité individuelle des agents en cas de dérapage,le matricule apparaît, à condition d’être effectivementporté et visible, comme un premier outil utile pourpallier ce manque de contrôle. Seul moyen d’arbitrerentre des versions contradictoires et de sortir de l’in-certitude paralysante du « parole contre parole », lescaméras peuvent également constituer un puissantoutil de contrôle de l’action policière – et de la paroledes plaignants. Censées être généralisées dans lesannées à venir, il faudra néanmoins s’assurer de leurbon fonctionnement. Là où elles sont déjà déployées,les ratés ont en effet tendance à se multiplier, entrebatterie insuffisante, son défaillant, image de mau-vaise qualité et fonctionnement inadapté à l’activitépolicière. Une fois réglée la question de leur exis-tence, il faudra également veiller à ce que ces imagessoient accessibles : les demandes effectuées de lapart des plaignants ou d’un tiers pour visionner ou ré-cupérer ces images ne devront pas dépendre de laseule bonne volonté des policiers qui les auront enleur possession.

Pour Frédéric Potier, l’expérimentation au niveau localde nouvelles pratiques semble également constituerune bonne alternative : « Essayer, par exemple, dansune circonscription, l’absence de contrôle d’identitésur la base d’un code pénal ou suivre le modèle cana-dien de la carte de courtoisie sont des pistes. » L’enjeuréside aussi dans la mise en œuvre d’un effort detransparence à ce sujet. Publier, par exemple, un rap-port annuel sur les contrôles avec des données détail-lées pour chaque région qui indiqueraient les motifset le nombre d’interpellations à la suite pourrait parexemple participer à améliorer cet aspect.

Ces efforts sont fastidieux, ils lèveraient peut-être levoile sur des réalités douloureuses, mais ils ne se-raient pas vains : l’impartialité, l’égalité et la transpa-rence sont de puissantes machines à produire de laconfiance, de la légitimité et de l’obéissance. Autantd’éléments qui font aujourd’hui défaut à la police.

Face à la mobilisation massive de l’été 2020 contreles violences policières, le gouvernement projetaitmaladroitement de mettre en place la suspensionsystématique de chaque agent pour tout soupçon« avéré » de comportement raciste. ChristopheCastaner annonçait également la fin de la méthoded’interpellation policière de la prise par le cou, dite« de l’étranglement ». Ces annonces sont des exem-ples de réformes à la fois nécessaires et populairesmais précipitées et mal accueillies par les policiers.Elles soulignent encore une fois le besoin d’agir dansle consensus et la concertation si l’on espère que lesréformes proposées soient non seulement adoptées,mais réellement appliquées.

C’est seulement en suivant cette méthode qu’il serapossible de réformer ce qui cristallise aujourd’hui lemécontentement de la population à l’égard de lapolice et menace la légitimité de toute l’institution :le système encadrant les sanctions des policiers serendant coupables de pratiques violentes et discri-minatoires.

Sanctionner clairement les auteurs de violence au seindes forces de l’ordre

Christophe Castaner a annoncé cet été une réforme« en profondeur » des inspections du ministère del’Intérieur afin de leur garantir une plus grande indé-pendance : « Cette réforme devra permettre plus decohérence, plus de collégialité entre ces inspectionset surtout plus d’indépendance dans leur actionvis-à-vis des services. »

L’IGPN est aujourd’hui dénoncée par ses critiquescomme incapable de donner une image fidèle del’ampleur des dérapages violents ou racistes commispar les policiers français. Croulant sous les dossierset manquant d’effectif, elle est perçue comme une« lessiveuse » dont la fonction principale consisteraità laver la police de ses bavures. Ce manque deconfiance dans leur travail est un problème majeur :toutes les enquêtes sur l’efficacité de nos forces de

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91. Fabien Jobard et Jacques de Maillard, Sociologie de la police, Politiques, organisations, réformes, Paris, Armand Colin, 2015, pp. 171-198.

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l’ordre reposent sur les publications rédigées par cesinspections. Ce sont ces dernières qui recensent lesinteractions avec la population, l’usage des armes àfeu ou encore le nombre de plaintes déposées contredes policiers en exercice.

Les critiques contre ces rapports sont nombreuses etse concentrent principalement sur l’absence de cer-taines données. L’absence du nombre d’enquêtescontre des policiers débouchant sur des sanctionsconcrètes est ainsi régulièrement pointée du doigt.De fait, le système prévu pour sanctionner les agis-sements policiers manque à la fois de données etd’indépendance.

Il apparaît donc essentiel de rendre publics des rap-ports précis sur les enquêtes réalisées par l’IGPN etd’améliorer par ailleurs les processus de saisine. Afind’éviter de nourrir les doutes et des incompréhen-sions semblables à celles nées dans le sillage del’affaire Steve Maia Caniço92, Frédéric Potier proposeainsi de réaliser de grands comptes rendus d’affairespermettant d’expliquer clairement les choix del’IGPN.

Pour tenter de remédier aux défaillances de son ins-titution, la cheffe de l’IGPN, Brigitte Jullien, a validéavec le ministère de l’Intérieur la création d’un « co-mité d’évaluation de la déontologie de la policenationale ». Celui-ci réunira des parlementaires, desprofesseurs d’université, le Défenseur des droits, unmagistrat, des avocats, des associations (l’Acat, Am-nesty international) et un journaliste93. Leur premièreréunion portera sur l’usage des armes et de la force.

Quelle que soit la qualité des gens qui le composent,ce comité d’évaluation ne permet pas de résoudrel’autre problème majeur qui plane sur le travail desservices d’inspection interne des forces de l’ordre :leur manque d’indépendance. Pour y répondre, Jean-Michel Fauvergue prône pour sa part un systèmetotalement indépendant qui engloberait l’IGPN etl’IGGN. Il serait formé d’enquêteurs qui demeure-raient des policiers et des gendarmes mais dont ongarantirait l’honnêteté et la liberté avec un systèmequi ne les ferait plus dépendre de la police mais éven-tuellement du Parlement, avec une personnalité fortenommée à sa tête.

Au cours d’une visite auprès de l’IGGN, un respon-sable de la Stop Discri, une plateforme destinée àalerter sur un comportement discriminatoire au seinde la gendarmerie, nous a ainsi mentionné une affairequ’il a lui-même choisi de transmettre à sa collèguecar il connaissait la personne mise en cause. Si soninitiative est louable, rien ne dit qu’elle est pourautant généralisée par ses pairs et il est bien évidentqu’un système qui ne dépend que de la bonnevolonté de ses acteurs n’est pas viable. L’enjeu estdonc de s’assurer, de façon structurelle, que lesenquêteurs ne puissent pas se retrouver dans unesituation où ils auraient à mettre en cause, ou àinnocenter, l’un de leurs collègues.

Pour convaincre l’opinion publique que des sanctionsà l’encontre des policiers fautifs seront systématique-ment appliquées et aboutir à un lien plus apaisé entrela police et la population, ces changements sontnécessaires. Mais, au-delà de ces seuls changementsinstitutionnels, il est indispensable de repenser denombreuses pratiques de répression policière au-jourd’hui jugées disproportionnées. Pour procéder àcet aggiornamento, il faudra au préalable l’accompa-gner de changements structurels avec, en premierlieu, la mise en place d’une nouvelle doctrine demaintien de l’ordre.

Une nouvelle doctrinedu maintien de l’ordre

Si elle n’est pas précédée d’une communication à l’in-tention de la population, l’usage indiscriminé de laforce par la police est particulièrement susceptibled’avoir un impact négatif sur les dynamiques de lafoule. La cohésion se renforce alors à l’encontre d’unadversaire tout désigné : la police. Les forces del’ordre sont donc confrontées à un défi : trouver lemoyen de véhiculer auprès du plus grand nombre laperception de la légitimité de leur action répressive.Il leur faut pour cela d’abord veiller à informer et àorienter en permanence les manifestants afin defaciliter les comportements les plus pacifiques.

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92. Willy Le Devin, Ismaël Halissat et Fabien Leboucq, « Mort de Steve : pourquoi le rapport de l’IGPN sème le trouble », Libération, 31 juillet 2019.93. D’après les propos tenus par Brigitte Jullien, cheffe de l’IGPN lors de son audition à la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur le maintiende l’ordre le 14 octobre 2020.

De Police à Polis

Les techniques dites de désescalade en maintien del’ordre ont vu le jour en Allemagne en 1985, suite à ladécision de « Bockdorf » du Tribunal constitutionnel.Cette dernière impose aux forces de l’ordre de systé-matiquement faire usage de la « communication » etde la « coopération »94. Ces techniques de réductionde la conflictualité avec des personnes se montrantviolentes ont, depuis, influencé l’ensemble des insti-tutions policières allemandes. Ces pratiques n’ontcertainement pas échappé aux polices françaises aveccertaines remises en question, notamment suite auxévénements de Sivens95. Comme les autres policeseuropéennes, les CRS et gendarmes mobiles ontappris à accompagner les cortèges sur leurs flancs etont développé des moyens d’interpeller rapidementles fauteurs de troubles avec, par exemple, les unitéslégères d’intervention (ULI) de la gendarmerie, crééesdès les années 1990. Ces innovations n’ont toutefoispas permis une amélioration significative de la répu-tation du maintien de l’ordre à la française par rapportà celle de nos voisins européens. L’usage des armesintermédiaires ou de véhicules non adaptés par nosagents de police a ainsi été particulièrement critiqué.Aussi, la France semble-t-elle enfin amorcer unemise à jour de ces pratiques avec la publication d’unnouveau schéma national du maintien de l’ordre(SNMO). Ce travail s’est fait dans la concertation desforces de l’intérieur depuis 201996 dans le but de« garantir l’exercice plein et entier de la liberté demanifester tout en permettant d’affermir les capacitésd’intervention contre les auteurs de violences97 ». Cenouveau schéma prévoit notamment l’augmentationdes effectifs, le renouvellement du matériel vieillis-sant et le développement, à l’image des lanceursd’eau, d’outils réputés moins dangereux. L’usagecontroversé du LBD est toutefois maintenu, mais de-meure désormais plus strictement encadré. Pourchaque tir, il est ainsi devenu obligatoire d’avoirl’accord d’un « superviseur », y compris – et surtout –pour les effectifs de sécurité publique et les unitésvenues en renfort pour encadrer les manifestations.Pour sa part, la grenade à main de désencerclement

(GMD) cède la place à une nouvelle grenade, répu-tée « deux à quatre fois moins impactante » et désor-mais délestée de son bouchon allumeur qui saute– ce dernier ayant été à l’origine des blessures les plusgraves. Si elles vont dans le bon sens, Amnesty Inter-national regrette cependant ces décisions et insistesur son souhait de parvenir au retrait pur et simplede ces armes : le LBD d’abord, à cause des blessuresgraves qu’il inflige (éborgnement, fractures), maiségalement toute sorte de GMD, pour son impact« disproportionné » et « indiscriminé » sur la foule98.

Le SNMO se targue également d’une grande inno-vation sur les techniques de communication. Ledocument insiste, en effet, sur la nécessité d’engagerle dialogue avec les manifestants avant, pendant etaprès la manifestation. Ces précautions permet-traient notamment que les mouvements de la policesoient correctement interprétés par les manifestantset que les actions exigées – ou interdites – par lesforces de l’ordre soient perçues comme légitimes.Enfin, l’objectif final est que l’ensemble des manifes-tants ne prennent pas les forces de l’ordre pour cible.Pour ce faire, il est prévu d’employer des panneauxde signalisation ou des haut-parleurs, à l’imagedes « Tactical Louspeaker Units » (TLU) utilisés enAllemagne depuis une manifestation d’extrême droiteen Hesse99. Avec l’aide des opérateurs téléphoniques,des messages seraient également envoyés directe-ment sur les téléphones des manifestants à partir dupremier semestre 2022.

Le ministère de l’Intérieur entend également moder-niser le texte des « sommations » employées avantde faire usage de la force, afin de les rendre le plussimple et compréhensible possible. Par souci detransparence, les agents sont maintenant obligés deporter l’uniforme avec une mention de leur unitébien visible au cours de leurs opérations. Le port dela cagoule est, en outre, proscrit. Au-delà de cesoutils, les autorités désirent renforcer ou créer, là oùelles n’existent pas, des structures destinées à nouerle dialogue avec les manifestants avant et pendant

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94. Olivier Fillieule et Fabien Jobard, « Le splendide isolement des forces françaises du maintien de l’ordre », dans Jérémie Gauthier et Fabien Jobard,Police, Questions sensibles, Paris, Presses universitaires de France, 2018, pp. 21-35.95. Les manifestations contre le barrage de Sivens furent d’une violence toute particulière, particulièrement celle du 26 octobre 2014, où un opposant auprojet, Rémi Fraisse, meurt sur le site.96. D’après les propos de Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale, lors de son audition devant la commission d’enquête del’Assemblée nationale sur le maintien de l’ordre en septembre 2020. 97. D’après le document « Schéma national du maintien de l’ordre », publié par le ministère de l’Intérieur en septembre 2020.98. « Nouveau schéma du maintien de l’ordre : une occasion manquée », Amnesty International France, septembre 2020.99. Olivier Fillieule et Fabien Jobard, « Le splendide isolement des forces françaises du maintien de l’ordre », op. cit., pp. 21-35.

Retrouver des forces de l’ordre attentives au lien avec la population dans un esprit de concertation

les rassemblements, et ce malgré les difficultés ren-contrées pour trouver des interlocuteurs dans lesmanifestations sans leaders ni services d’ordre tellesque les pratiquent les « gilets jaunes ». Un référentpréfectoral est par ailleurs spécifiquement désignépour accompagner les victimes qui n’ont pas pris partaux affrontements avec les forces de l’ordre et cher-chent à obtenir réparation pour les dommages subis.Ces annonces sont des avancées importantes versune doctrine de maintien de l’ordre plus à l’écoute ducitoyen.

Cette bonne volonté affichée du gouvernementn’aura toutefois pas convaincu de nombreux journa-listes qui voient dans le SNMO une manière d’ex-clure toute une partie des reporters indépendantsprésents durant les manifestations. Un référent ausein des forces de l’ordre est en effet nommé pourservir de relais, mais seulement auprès des journa-listes titulaires d’une carte de presse ou accrédités.Autre bémol, seuls les journalistes dont l’identifica-tion est confirmée ont le droit de porter du matérielde protection. En réaction, une quarantaine desociétés de journalistes, rédacteurs et personnels demédias comme l’AFP, BFM-TV, Challenges, LesÉchos, L’Express, Libération ou Le Figaro ont mani-festé leur inquiétude100. Pour ces derniers, ces me-sures reviennent à occulter l’émergence d’unenouvelle catégorie de journalistes, souvent indépen-dants et précisément spécialisés dans la couverturedes abus d’usage de la force par les policiers. Or, leurprésence – et leur protection – apparaît d’autant plusnécessaire que les moments où ces abus sont le plussouvent commis sont justement de plus en plus com-pliqués à couvrir pour les journalistes accrédités. Eneffet, les nouvelles règles stipulent qu’un journalistecommet dorénavant un délit s’il n’évacue pas les lieuxaprès avoir reçu les sommations. Le ministère del’Intérieur s’en défend, arguant au contraire que leSNMO accorde « une meilleure place aux journa-listes dans le cadre des manifestations101 ». Cesderniers demeurent néanmoins vent debout contrele nouveau projet du gouvernement, et force est deconstater que plus de concertation en dehors desseules forces de l’ordre aurait sûrement permis d’évi-ter les polémiques qu’ont produites ces annonces.

Par ailleurs, le SNMO reconnaît les dérapages occa-sionnés par les dernières manifestations et le manquede formation des personnels appelés en renfort du-rant l’épisode des « gilets jaunes ». Alain Bauerabonde : « Il faut éviter à tout prix les derniers épi-sodes de 2018-2019 où des amateurs de la manifes-tation étaient gérés par des novices du maintien del’ordre équipés d’armements inadéquats et dange-reux102. » Pour Jean-Michel Fauvergue, il faut allerplus loin que ne le prévoit le projet du gouver-nement : « Les nouveaux modèles de maintien del’ordre articulés autour de la notion de désescaladene peuvent se développer et produire pleinementleurs effets que pour autant qu’en amont s’améliorentle recrutement et les modalités de formation initialeet continue des fonctionnaires de police. La seulegarantie d’une restauration progressive de la confianceretrouvée de la population dans sa police est d’imposerun certain nombre d’inflexions à l’ethos professionneldes forces de maintien de l’ordre, de la haute hiérar-chie aux hommes du rang. Pour ce faire, il est néces-saire de créer un véritable corps institutionnel dédiéau maintien de l’ordre, détenteur de la formation desautres unités avec une seule doctrine et une forma-tion encore plus importante103. »

Au-delà des modules d’enseignement spécifiquementdédiés au maintien de l’ordre, la formation généraledu personnel qui se destine à travailler au sein desforces de sécurité intérieure constitue un des enjeuxmajeurs de toute future évolution structurelle despratiques. Mais, avant même de repenser l’enseigne-ment dispensé aux futurs responsables du maintiende l’ordre, il convient d’abord d’ouvrir le chantier durecrutement des agents qui seront appelés à l’assurer.

Changements des processusde recrutements et de formations

Depuis le quinquennat Hollande, les hausses d’ef-fectif de nos forces de sécurité intérieure sont vantéescomme des vecteurs de progrès. Près de 9 000 postes

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100. Nicolas Chapuis et Juliette Bénézit, « Le nouveau schéma national du maintien de l’ordre inquiète la presse », Le Monde, 23 septembre 2020.101. Ibid.102. Extraits d’un entretien réalisé en juillet 2020 par la Fondation Jean-Jaurès.103. Extraits d’un entretien réalisé en août 2020 par la Fondation Jean-Jaurès.

De Police à Polis

de policiers et gendarmes ont été créés de 2012 à2017 et l’objectif de 10 000 entrées a été fixé pour lequinquennat Macron. La valorisation de ces chiffressemble toutefois omettre les grandes difficultés ren-contrées pour former correctement et suffisammentrapidement ces nouvelles recrues.

La procédure de sélection a, par ailleurs, bien évolué.En 2010, 2 % des candidats étaient admis au concoursde gardiens de la paix. Selon la police nationale, ilsétaient 18% en 2018. D’après Le Monde, entre 2016et 2017, « les moyennes d’admission ont pu tomberen dessous de 10/20104 ». Ces évolutions dans le pro-cessus de sélection génèrent inéluctablement desécueils dans l’instruction de ces nouveaux effectifs.Dans son livre, Valentin Gendrot rapporte par exem-ple que seulement trois heures sont dédiées aux vio-lences conjugales dans le cadre de sa formationd’adjoint à la sécurité à Paris. Il explique égalementavec regret ne pas avoir reçu de remise à niveau surl’usage de son arme à feu après plus d’une année pas-sée sans la manipuler et que, faute de formation, ilest obligé de se contenter de regarder un tutoriel surYouTube. L’actuel ministre de l’Intérieur reconnaît laréalité du problème : « On ne peut plus envoyer dejeunes policiers sortant de leur terroir à Paris ou enproche banlieue dans des conditions de violence bienplus élevées que ce qu’ils ont connu105. » Jean-MichelFauvergue va également dans ce sens et demande àparticulièrement orienter les formations « vers ceuxqui en ont le plus besoin »106 comme les BAC oud’autres services ciblés. Il résume ainsi le paradoxede la situation : « Ce sont ceux qui n’ont pas le tempsd’effectuer des formations qui en ont finalement leplus besoin. » Mais, au-delà de la durée de cesformations, l’enjeu se situe principalement au niveaude leur pertinence et de la régularité de leur présencetout au long du parcours professionnel des agents.

Les écoles de police telles qu’elles fonctionnent au-jourd’hui manquent par ailleurs d’une réelle prise encompte des sciences sociales dans leur maquettepédagogique. Les étudiants sont essentiellement ini-tiés par des policiers sur des éléments pratiques et

professionnels au cours d’une instruction qui négligedes thèmes pourtant aussi essentiels que la percep-tion des forces de l’ordre par la société civile et lapopulation en général. Pourtant déterminant dansl’optique de construire des rapports apaisés entre lapolice et les populations au sein desquelles elleopère, l’enseignement du discernement dont un gar-dien de la paix est censé faire preuve durant sesinterventions est ainsi limité. Une vision à long termedevrait pourtant exiger que l’apprentissage de labonne gestion de la relation entre la police et lescitoyens qu’elle sert soit un élément pédagogique aussivalorisé que la bonne connaissance du code pénal.

Aujourd’hui encore, la stricte légalité du comporte-ment du futur policier prime sur la juste interpréta-tion des conséquences concrètes de ses pratiques surla population qui doit le subir. L’obéissance volontaireest ainsi peu abordée et n’est par ailleurs pas sponta-nément admise au sein de l’institution policière. Lesfonctionnaires sont, en effet, nombreux à considérerque la population est constituée majoritairement dedélinquants peu rationnels ni raisonnables107. De fait,ils n’estiment pas que ces derniers pourraient changerde comportement si leur action était plus « juste ».

Les policiers n’ont pas non plus à l’esprit l’importancede la communication pour assurer leur légitimité.Chaque policier, quel que soit son statut, devrait sentiret comprendre la nécessité d’expliquer et de justifierson action aux citoyens qui s’y retrouvent confrontéssur le terrain. Toutefois, comme le montre une en-quête sur l’éthique réalisée pour le ministère de l’In-térieur108, peu de policiers portent de l’intérêt à cettepratique – et certains la considèrent même comme unfacteur d’amoindrissement de leur autorité.

La communication avec le public au cours de leursinterventions est ainsi insuffisamment enseignée auxforces de l’ordre. Or, elle est une dimension essen-tielle pour assurer leur légitimité dans les sociétés dé-mocratiques modernes. De nombreuses publicationssur la qualité des processus relationnels ont, en effet,démontré que l’autorité est désormais majoritaire-ment relationnelle. Elle repose sur l’obéissance

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104. Juliette Bénézit, « Sélection, formation : la police nationale face aux difficultés du recrutement de masse », Le Monde, 3 septembre 2020.105. Saïd Mahrane, Géraldine Woessner et Aziz Zemouri, « Sécurité, terrorisme, présomption d’innocence… Gérald Darmanin dit tout », Le Point,5 août 2020.106. Extraits d’un entretien réalisé en août 2020 par la Fondation Jean-Jaurès.107. Sebastian Roché, De la police en démocratie, op. cit., p. 300.108. Ibid., p. 300.

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volontaire obtenue par le dialogue, le partage desfinalités recherchées par l’agent et la recherched’alternatives aux traitements vexatoires ou discrimi-nants. Ces pratiques dites de discernement compor-tent plusieurs volets : neutralité et impartialité dansla prise de décision, explication claire des motifs etdes intentions de l’agent à l’occasion d’un contrôle,traitement digne et respectueux des personnes quelsque soient leur statut social, leur groupe religieux ouleur appartenance ethnique et, enfin, établissementdu dialogue afin de permettre l’expression du citoyenau cours de l’interaction et lui laisser l’occasion deformuler des objections.

C’est en observant les pratiques de nos voisins etpartenaires qu’il est possible de mieux mesurer leretard français. Le fonctionnement des écoles depolice danoise met ainsi en évidence l’écart flagrantentre les logiques de nombreuses forces de sécuritéeuropéennes comparées et les pratiques françaisesen la matière.

La durée de l’enseignement n’est pas souvent perçuecomme un élément de comparaison pertinent enFrance, mais notons néanmoins que les futurs poli-ciers danois doivent passer trois ans dans leur écolede formation quand les gardiens de la paix françaisn’y restent qu’une seule année – deux pour les com-missaires. Le processus de recrutement est, parailleurs, bien éloigné du nôtre. Il n’y existe ainsi pasde concours direct pour exercer le métier de commis-saire et chaque étudiant danois commence son en-seignement de la même manière. Il est, d’autre part,impossible de se présenter avant l’âge de vingt et unans, c’est-à-dire trois ans après le bac. En pratique,les entrants sont âgés de vingt-quatre à vingt-six ans,avec un niveau de diplôme équivalent à une licenceet déjà quelques années d’activité professionnellederrière eux. De fait, les futurs agents connaissent del’intérieur la société qu’ils seront amenés à policer.

Pour ce qui est de la formation en elle-même, lesécoles danoises érigent en priorité la constructiond’un lien de confiance avec la population. Depuis2014, l’accent est ainsi mis sur le discernement desbonnes et des mauvaises pratiques du métier depolicier, sur les risques du manque d’impartialité etl’absence d’éthique et, enfin, sur l’importance du dia-logue avec la population. En France, l’accent est, aucontraire, mis sur la connaissance des textes et l’idée

qui prime est celle d’une autorité et d’une loi auto-matiquement et incontestablement incarnées parl’agent de police ou de gendarmerie.

Contrairement à la France, le Danemark insiste surla transmission d’une pensée réflexive et critique despratiques personnelles de leurs nouvelles recrues.Les étudiants danois passent six mois à écrire unmémoire à ce sujet quand, en France, le mémoire adiminué en importance dans les écoles. De surcroît,il est, par exemple, demandé aux étudiants danois dese prêter à des exercices au cours desquels ils devrontdémontrer être en mesure de justifier et d’évaluerl’efficacité d’un contrôle d’identité. À l’image du restede la formation danoise, cet entraînement favorise laréflexion du policier et l’encourage à constamment seréférer à l’effet de sa pratique et à ne pas se contenterd’en connaître le seul cadre légal.

Aussi, la modernisation des enseignements des forcesde l’ordre françaises paraît-elle essentielle. Interrogésur ce sujet, le général en chef Alain Pidoux del’IGGN nous partage les nombreuses initiatives deson institution pour les formations au sein de la gen-darmerie. Une adaptation des formations déontolo-giques a été effectuée avec notamment plus de misesen situation. D’autre part, l’IGGN organise chaqueannée un séminaire de déontologie et enseigne denouveaux modules aux formateurs en coopérationdirecte avec le Défenseur des droits et des juristes.Des sensibilisations par des fiches conseils et des caspratiques sont, par ailleurs, envoyées chaque mois àtous les gendarmes.

Frédéric Potier nous partage, pour sa part, le très bonaccueil que ces formations de lutte contre les discri-minations reçoivent dans les écoles de police, parti-culièrement au sein des plus jeunes recrues : « Nouséchangeons en général avec des fonctionnairescurieux et soucieux de leurs pratiques et leur impactsur la société109. » L’enjeu est désormais de dépasserla qualité de simple conférence de ces visites et deles systématiser : « Nous voulons voir si ces modulespeuvent être inclus en termes de déontologie et peu-vent entrer dans la notation des étudiants. Il seraitintéressant de rendre ces éléments obligatoires pourdes prises de grades ou de poste, par exemple. »

Christophe Korell, président de l’Agora des citoyens,propose de son côté de sortir plus fréquemment lesrecrues des écoles de police et de gendarmerie pour

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109. Extraits d’un entretien réalisé en août 2020 par la Fondation Jean-Jaurès.

De Police à Polis

aller à la rencontre d’associations de quartier, du mi-lieu judiciaire et de l’univers carcéral et d’organiserdes visites au tribunal ou en prison110.

La question des formations et des efforts fournis pourleur qualité révèle, in fine, un autre enjeu majeurpour le bon fonctionnement de la police française :la gestion budgétaire du ministère de l’Intérieur. Eneffet, les préoccupations portées aux seuls effectifsl’ont été au détriment de la qualité du matériel et dela formation de nos agents.

Une meilleure gestion budgétaire et salariale

À la suite des politiques de recrutement massif de ladernière décennie, la masse salariale constitue doré-navant 87% du budget de la police – 83% pour la gen-darmerie. De ce fait, Frédéric Péchenard considèreque les moyens ne suivent pas : « Seulement 10-15%du budget de la police est censé suffire pour former,investir dans la nouvelle technologie et dans l’entre-tien de nos commissariats et gendarmeries111. »

Pour l’ancien chef de la police, certains de nos voisinsgèrent mieux ce souci d’équilibre entre moyens et ef-fectifs : « Aux Pays-Bas, quand on recrute un policier,on comprend dans son coût d’abord sa masse sala-riale mais aussi sa voiture et sa formation. Ce n’estpas le cas en France. De facto, on subit une dégrada-tion des conditions matérielles. Il est normal de bienpayer nos forces de sécurité et c’est le cas, mais as-surons-nous dans un même temps de garantir desconditions de travail convenables112. »

Jean-Michel Fauvergue partage cette analyse d’unepolitique garantissant de nombreux avantages de ré-munération mais insuffisamment d’investissementsdans le matériel et les formations : « Certaines rému-nérations sont légitimes comme pour les nuiteux,mais le retard du reste du budget reste trop signifi-catif113. » L’ancien chef du RAID relève toutefois que

la masse des investissements sur les bâtiments etvéhicules a été augmentée de 1,3 milliard d’eurosdepuis 2017. Désormais élu La République enmarche (LREM), il propose des réformes structu-relles de notre budget : « En France, dès que nousrencontrons un problème de politique publique, nousappelons systématiquement à plus de moyens et plusd’effectif. Nous ne cherchons que trop rarement àsavoir ce que les moyens actuels font. Nous sommesen réalité un des pays d’Europe avec le plus de poli-ciers et de gendarmes par rapport à sa population. Ilserait judicieux de regarder à l’échelle des départe-ments les fusions d’effectif possible, par exemple, oùla police et la gendarmerie partagent parfois un mêmesecteur ou songer à créer des directions de métiersimilaire, pas forcément de fusionner, mais de rendreles deux corps plus complémentaires. Il nous fautd’abord regarder dans le détail notre budget actuel etconstater les modifications structurelles à effectuer,en dehors des simples augmentations qui n’apporte-ront pas forcément les changements escomptés. »

Selon Jean Michel Fauvergue, l’objectif doit être, infine, de parvenir à réduire les trop nombreuses tâchesadministratives et remettre les policiers sur la voiepublique : « Nous avons trop souvent des effectifs endouble, voire en triple, affairées à effectuer des pro-curations de vote, des gardes statiques ou des trans-ferts de détenus. Il faut travailler sur de meilleuresorientations de métiers pour tous les policiers. » C’estprécisément le sens de la proposition du député defonder une seule direction de métier pour le maintiende l’ordre, dotée d’un unique état-major, mixant lagendarmerie et la police : « Ces ajustements permet-traient de positionner des métiers au-dessus desdirecteurs généraux et de ne pas créer de guerre defamille ou de doublon avec l’apparition d’une fonctionde chef d’état-major inter-armée. »

Pour sa part, Gérald Darmanin prend plus de précau-tions dans ses annonces en juillet 2020 avant lapublication du Livre blanc de la sécurité intérieure :« Il ne s’agit pas de fusionner la gendarmerie et lapolice114. » Le but est plutôt d’étudier les cas spéci-fiques où, selon le gouvernement, il serait pertinent

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110. Chloé Pilorget-Rezzouk, « Christophe Korell, police judicieuse », Libération, 22 mars 2019.111. Extraits d’un entretien réalisé en juillet 2020 par la Fondation Jean-Jaurès.112. Idem.113. Extraits d’un entretien réalisé en août 2020 par la Fondation Jean-Jaurès.114. Première audition de Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et Marlène Schiappa, ministre déléguée chargée de la citoyenneté, à la commissiondes lois de l’Assemblée nationale le 28 juillet 2020.

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de partager des prérogatives ou des coûts, commepour l’achat de caméras de corps pour une gendar-merie et un commissariat. Le ministre de l’Intérieursoulève également la question de la répartition desmoyens, notamment au travers du problème deslocaux. De nombreuses communes rurales, parexemple, ne font pas payer le loyer aux forces de l’or-dre. Si l’avantage est indéniable, il s’accompagned’un inconvénient : personne n’est alors en chargede s’occuper de leurs réparations et de plus en plusde casernes se rapprochent progressivement del’insalubrité.

Le ministre insiste sur les efforts du gouvernementafin de renforcer la qualité de l’équipement des poli-ciers sur le terrain, par exemple au travers de l’achatde 2 300 véhicules. Les agents se plaignent égale-ment de nombreux désagréments du quotidien,comme un ordinateur qui ne fonctionne pas ou descaméras aux batteries rapidement défectueuses etqui obligent le fonctionnaire à investir de sa proprepoche dans du matériel électronique de qualité.

Le gouvernement assure en avoir conscience et veil-ler à ne pas investir dans de grands bâtiments maisplutôt localement, en se concentrant sur le quoti-dien des forces de l’ordre, afin de rendre l’expé-rience policière plus vivable pour les agents commepour les usagers. Le budget a par ailleurs été aug-menté de 740 millions d’euros pour l’année 2020115

et une augmentation de 325 millions est prévuepour l’année 2021116. La demande des fonction-naires de sécurité pour plus de moyens face auxdifficiles conditions de travail semble en partie avoirété entendue par l’exécutif.

Face à la demande d’optimisation et de retour au tra-vail de terrain des policiers, la piste de la dépénalisa-tion de certaines sanctions est étudiée, par exemplepour celles réprimant l’usage de stupéfiants ou l’ou-trage sexiste. Ces innovations incitent, en réalité, àréfléchir au nouveau fonctionnement de toute notrechaîne pénale.

Améliorer la chaîne pénale

En visite à Nice le 25 juillet 2020, le Premier minis-tre Jean Castex a annoncé la généralisation de laforfaitisation des délits de stupéfiants. Une amendeforfaitaire de 200 euros pourra désormais s’appliquerà tous les usagers de drogues et en particulier decannabis. Ce projet a pour ambition d’aider les forcesde l’ordre à « appliquer une sanction sans délai » car,selon les mots de Jean Castex empruntés au philo-sophe du XVIIIe siècle, Cesare Beccaria : « L’impor-tant dans une peine, ce n’est pas sa sévérité mais sacertitude. »117 L’État aurait ainsi depuis trop long-temps, faute de moyens, « laissé s’installer l’incerti-tude ». Ici aussi, il est prévu d’augmenter les effectifs.Le budget 2021 prévoit d’ajouter 2 450 nouveaux em-plois pour soutenir la « justice de proximité ». Et c’esteffectivement au nom de cette ambition d’assurerune justice du quotidien, capable de lutter plusefficacement contre la petite délinquance et detravailler au plus près des victimes que le gouverne-ment avance ses propositions. Ces annonces vontdans le sens d’une culture du contrôle que Domi-nique Raimbourg et Stéphane Jacquot présententcomme une forme de justice ayant le double avantaged’être à la fois plus lisible et plus visible que la seuleculture de l’enfermement118. Cette philosophie ambi-tionne de remettre en cause l’idée, encore profondé-ment ancrée dans l’opinion publique, selon laquellel’incarcération permet d’éradiquer purement et sim-plement la délinquance et la criminalité. Les discoursdroitiers favorables à l’agrandissement de notre parcpénitentiaire paraissent en effet illogiques et inadap-tés à la réalité française. Notre taux d’incarcération setrouve dans la moyenne européenne et de tels travauximpliquent par ailleurs des coûts exorbitants, avec àl’horizon le risque d’une forme de privatisation de laconstruction et de la gestion de nos prisons.

À l’autre extrémité du problème, la France s’est peuintéressée à la difficile question de la sortie de prison,et ce alors que la proportion surélevée de « sortiessèches » pratiquées dans notre pays majore le risquede récidive. Dans cette optique, il est pertinent d’étu-dier les libérations sous contrainte associées à un

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115. D’après le projet de loi de finance 2020.116. D’après le projet de loi de finance 2021 et les annonces de Gérald Darmanin en octobre 2020.117. « L’amende forfaitaire pour usage de stupéfiants généralisée dès la rentrée », Le Monde, 25 juillet 2020.118. Dominique Raimbourg et Stéphane Jacquot, Prison, le choix de la raison, op. cit., p. 34.

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suivi et à un contrôle du détenu une fois sorti de pri-son. En ce sens, les peines alternatives sont égale-ment des pistes à développer.

Jean-Michel Fauvergue mentionne ainsi l’ambitionde LREM depuis la visite du président de la Répu-blique à l’École nationale de l’administration péni-tentiaire à Agen en 2018 de développer la culture ducontrôle119. Ce souhait a été suivi d’effets puisqu’il adepuis donné lieu à un vote pour consacrer le brace-let électronique en tant que peine à part entière, unesolution qui conviendrait, par exemple, dans le casd’un primo-délinquant qui aurait passé un maximumde six mois derrière les barreaux ou n’aurait tout sim-plement pas effectué de peine à la place.

Jean-Michel Fauvergue souhaite, en outre, le déve-loppement des TIG : « Leur dimension pédagogiqueest très bénéfique. Il nous faut inciter les collectivitéslocales à en créer plus. Les structures manquent etempêchent les tribunaux correctionnels de prononcerce genre de peine120. » Dans la même logique, estégalement proposé, dans un souci de réinsertion,d’accroître les possibilités pour les détenus d’exercerun travail durant l’exécution de leur peine. Un grandprogrès est par ailleurs attendu avec la mise en placedu dispositif du bracelet anti-rapprochement afin delutter contre les violences conjugales en maintenantà distance le conjoint ou l’ex-conjoint violent121.

En outre, il existe un large panel de philosophiesjudiciaires différentes que la France gagnerait àexpérimenter. Dominique Raimbourg mentionnenotamment la justice résolutive – problem solvingCourt en anglais122. Son fonctionnement repose surla proposition du tribunal à un récidiviste ayantreconnu les faits de ne pas prononcer de peine immé-diatement. Le prévenu est alors confié à une associa-tion chargée, par exemple, de prendre en charge sesproblèmes d’addiction à l’alcool ou aux produitsstupéfiants et de l’accompagner dans la recherched’un logement, d’une formation professionnelle oud’un travail. Le programme est, en effet, destiné avanttout à des délinquants dépendants et socialementdéfavorisés. Dans le même temps, le tribunal vérifiefréquemment le comportement du prévenu et le sanc-tionne s’il est constaté une quelconque entrave au

programme. Si ce dernier est respecté, la peine pro-noncée sera plus clémente et exclura notammentl’emprisonnement ferme à plein temps.

Par ailleurs, pour s’assurer de son bon fonctionne-ment, la culture du contrôle implique une nouvellecoordination entre les différents acteurs de la sécuritéintérieure. Aujourd’hui, la police nationale et la gen-darmerie ne communiquent pas suffisamment avecla police judiciaire. Selon Dominique Raimbourg, desinterdictions de séjour sont, par exemple, souvent vio-lées, mais la police n’est pas au courant parce que leservice pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP)contrôle les interdictions de séjour et ne les commu-nique pas. Il s’agirait donc de mieux contrôler lespersonnels de probation et les forces de l’ordre, no-tamment en inscrivant les libérations sous conditionsdans les fichiers des personnes recherchées (FPR) uti-lisés par les forces de l’ordre lors des contrôles routierset des contrôles d’identité. Avant le passage de la loidu 15 août 2014 dont Dominique Raimbourg a été lerapporteur, les forces de l’ordre n’avaient quasimentaucun moyen de connaître ces obligations et cesinterdictions. Il est donc nécessaire d’améliorer lacommunication au sein de la chaîne pénale, maisaussi auprès des acteurs « civils » tels que des bailleurssociaux impliqués dans ces questions de maintien del’ordre et de coopération avec les municipalités, ouencore les éducateurs sans mandat.

Pour sa part, Jean-Michel Fauvergue a proposé ennovembre 2020 une loi sur la sécurité privée et lapolice municipale. L’objectif est de répondre à la fortedemande de sécurité privée et de « créer une réellefilière d’excellence, comme en Espagne, ayant voca-tion à intégrer nos jeunes sans emplois mais aussi despersonnes issues de l’immigration installées dansnotre société. » Dans cet effort de collaboration, lecitoyen devrait, lui aussi, trouver sa place dans lachaîne pénale. Il paraît également pertinent d’asso-cier plus souvent les élus locaux aux programmes delutte contre la délinquance même si ceux-ci sont déjàinclus dans la lutte contre la récidive auprès descomités locaux de sécurité et de prévention de la dé-linquance (CLSPD). Les tribunaux seraient, euxaussi, amenés à être plus à l’écoute de suggestions

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119. « Bracelet électronique, aménagement de peines, droit de vote pour les détenus : Macron réforme la prison », Ouest-France, 7 mars 2018.120. Extraits d’un entretien réalisé en août 2020 par la Fondation Jean-Jaurès.121. Joséphine de Rubercy, « Bracelet anti-rapprochement : comprendre le dispositif en 5 questions », France Inter, 31 août 2020.122. Dominique Raimbourg et Stéphane Jacquot, Prison, le choix de la raison, op. cit., p. 45.

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des citoyens, justiciables ou non. Ils pourraient envi-sager, par exemple, de créer des comités d’usagersdonnant leur avis, exprimant leurs critiques et leurspropositions sur l’organisation des audiences, le trai-tement des flux de dossiers ou encore la qualité del’accueil. Ils gagneraient en outre à communiquerrégulièrement sur leurs activités, en rendant compteà la fois des objectifs fixés et des évaluations du travailréalisé.

Ainsi, notre chaîne pénale fait-elle face à pléthoresde défis. En premier lieu, on peut d’abord citer lanécessité de construire un nouvel équilibre carcéralpermettant de redonner du sens et de l’efficacité àl’incarcération quand celle-ci est nécessaire. Ilconvient également d’inciter au développement depeines alternatives à la prison qui soient à la foisefficaces et perçues comme telles. L’objectif est éga-lement de mieux traiter le nombre de crimes et délits,notamment via la forfaitisation et, enfin, d’œuvrerefficacement à la prévention de la récidive.

Toutes ces pistes d’améliorations doivent suivre lemême fil directeur de l’obtention de la confiance dela population en notre chaîne pénale. Les légitimespréoccupations internes de nos services publics doi-vent s’associer à des politiques publiques destinées àrendre nos services plus proches et davantage àl’écoute de la population de façon concrète. Ensomme, c’est d’un véritable changement de para-digme dont nos services publics et nos forces desécurité ont besoin.

Une police au service de la population

Depuis vingt ans et avec la fin de la police de proxi-mité, l’ambition politique s’est peu manifestée pourassurer la qualité du lien entre les forces de l’ordre etla population. L’îlotage ou les UTeQ n’ont pas suffi àempêcher le ressentiment d’une part grandissante dela population envers les gardiens de la paix. Notresociété a évolué et ses demandes de sécurité au quo-tidien également. Il semble qu’aujourd’hui seule une

police plus locale serait à même de faire comprendreson action, d’assurer la sécurité de tout un quartieret, de facto, de faire respecter son autorité. Or, forceest de constater que la logique interventionnisteprime encore en France quand nos voisins, en parti-culier anglo-saxons, se sont tournés vers des servicesde police plus présents sur le terrain et davantagepréoccupée par les thématiques liées au relationnel.Les vertus de ces modèles, selon Jean-Michel Fau-vergue, sont d’abord de « faire baisser le sentimentd’insécurité123 ». Ils ont en outre l’avantage de faciliterla collecte du renseignement : « Je vous raconte unexemple véridique. Une femme qui est insomniaquevoit une voiture louche en bas de son immeuble, ledit à un correspondant de la police qui le transmettraà la BAC et en fera une affaire de recel. Cette logiquerelationnelle est d’autant plus précieuse pour la veillesur la radicalisation. »

Une piste de modernisation allant dans ce sens sem-ble avoir été ouverte par Emmanuel Macron lors dela présentation du projet de police de sécurité duquotidien (PSQ). Le fonctionnement de cette nou-velle police s’est d’abord appuyé sur une large concer-tation organisée en septembre et octobre 2017 avecles autorités locales, les organisations syndicales, lesassociations d’élus, des universitaires et des cadresde la sécurité privée. La consultation proposait enoutre aux 250 000 policiers et gendarmes français dedonner leur avis via un questionnaire anonymisé pi-loté par l’institut de sondage OpinionWay et le mi-nistère de l’Intérieur. La méthode fut plus ou moinsbien reçue, avec une participation moyenne et untaux de réponse de seulement 28%. Ce sont tout demême près de 70 000 fonctionnaires des services desécurité intérieure qui ont souhaité participer à laconsultation.

Suite à cette concertation, le ministre de l’Intérieurd’alors, Gérard Collomb, annonçait en février 2018la construction d’une nouvelle doctrine de police,plus attentive à la relation entre police et population,pour en finir avec le « pilotage par le chiffre » sanstoutefois rétablir pour autant la police de proximité124.La PSQ se targue, en effet, de vouloir effectuer unchangement de paradigme du fonctionnement denotre sécurité intérieure. Cette nouvelle police axed’abord son action sur la reconquête républicaine des

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123. Extraits d’un entretien réalisé en août 2020 par la Fondation Jean-Jaurès.124. Ismaël Halissat, « Collomb installe la police de sécurité du quotidien dans ses quartiers », Libération, 8 février 2018.

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quartiers les plus défavorisés en impliquant signifi-cativement les acteurs locaux125. Selon Éric Morvan,alors directeur général de la police nationale, la PSQpossède la qualité d’impliquer à la fois des élémentsde doctrine définis de manière souple au niveaucentral et une part d’initiative au niveau local126.

Ce projet fixe également comme objectif l’allocationde plus de moyens aux forces de l’ordre avec des nou-veaux équipements, la réfection des bâtiments, lerenforcement des effectifs, l’augmentation des for-mations, la simplification de la procédure pénale etle renfort des pouvoirs de la police judiciaire encollaboration avec la police et la gendarmerie.

Selon Jean-Michel Fauvergue, la PSQ marque l’am-bition d’enfin importer et adapter à la France lespolitiques publiques efficaces de nos voisins. L’expé-rimentation de cette nouvelle police a d’abord eu lieuen 2018 dans 15 quartiers avant de s’étendre en 2019dans 32 autres127. Plusieurs centaines de postes y ontété alloués sur cette période, en police comme engendarmerie. La PSQ est censée concerner 60 sec-teurs d’ici à la fin du quinquennat. Ces quartiers, ditsde reconquête républicaine, encouragent notammentles patrouilles pédestres des policiers pour entretenirun contact avec la population. Le nouveau ministrede l’Intérieur, Gérald Darmanin, réunit d’ailleurschaque semaine à cet effet les préfets et les chargésde la sécurité publique pour un rapport détaillé. Unemeilleure collaboration avec la police municipale estaussi prévue pour donner de plus amples prérogativesà ce service insuffisamment développé en France.Des patrouilles conjointes avec la police municipaleont notamment été mises en place et permettentainsi un meilleur maillage du territoire.

Dans la même optique, plusieurs réunions avec lescommerçants et les habitants de quartiers sont orga-nisées pour recueillir leurs attentes et leur présenterl’action de la police et de la gendarmerie. De ce fait,l’accent est mis sur les préoccupations directes descitoyens telles que l’accueil des victimes dans lescommissariats. Les horaires d’ouverture de ces der-niers ont, par exemple, été adaptés au rythme de

fréquentation des usagers. Le gouvernement a éga-lement voulu répondre à des demandes spécifiquesde la population, à l’image de la lutte contre leharcèlement de rue : d’après le ministère de l’Inté-rieur, la France est ainsi devenue le premier pays àverbaliser ces incivilités.

Cette coopération consiste aussi selon la PSQ àdévelopper la vigilance citoyenne, par la création deréférents proximité et sécurité respectivement choisisdans les commissariats et les conseils citoyens, dansun esprit de « société de vigilance », selon l’expressionemployée par le président de la République128.

D’autres projets de transformation destinés à rappro-cher les forces de l’ordre de la population sont par ail-leurs mis en place au sein de la gendarmerie avec leprojet « Gend 20.24 », défendu par Christian Rodri-guez, le directeur général de la gendarmerie nationaledepuis 2020. Ce dernier affiche son ambition d’évo-luer vers une nouvelle logique : « répondre présent,pour la population, par le gendarme »129. La gendar-merie réfléchit effectivement à des pistes de progrèspour mieux prendre en compte les évolutions de lasociété et les nouvelles demandes de la population.Les gendarmes récoltent déjà une meilleure réputa-tion que la police en général. Selon le général AlainPidoux, ce résultat serait en grande partie lié à l’an-crage territorial des militaires : « Le gendarme et safamille vivent et travaillent au milieu de ceux dont ilsassurent la protection. Ils sont connus de tous ethabitent au cœur de la cité. La population exerce d’ail-leurs un contrôle social fort car tout le monde connaîtle brigadier, tout excès de sa part est visible, connu eta des répercussions durables. C’est bien une régula-tion sociale, par la proximité130. » Cet atout majeur dugendarme pourrait être un exemple à suivre. « Gend20.24 » déboucherait également sur la mise en placed’une application smartphone destinée au grand pu-blic censée garantir des services de gendarmerie plus« personnalisés », aussi bien à destination des parti-culiers que des associations et des professionnels.

Dans ce travail d’amélioration du lien entre police etpopulation, une attention toute particulière est donnée

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125. « La police de sécurité du quotidien : un an après », ministère de l’Intérieur, 8 février 2019.126. Julien Pearce, « Éric Morvan : “La police de sécurité quotidienne sera un dispositif adapté à la réalité des territoires” », Europe 1, 6 octobre 2017.127. « Police de sécurité du quotidien », ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, 27 mai 2019.128. « De la police de proximité à la police de sécurité du quotidien », Vie publique, 9 février 2018.129. Pandore, « GEND 20.24, Un projet de proximité », Le Pandore et la gendarmerie, juillet 2020.130. Extraits d’un entretien réalisé en octobre 2020 par la Fondation Jean-Jaurès.

Retrouver des forces de l’ordre attentives au lien avec la population dans un esprit de concertation

à nos quartiers les plus défavorisés, qui forment lessecteurs où les habitants sont le plus hostiles auxforces de l’ordre. Ici, le travail de réconciliation entreles deux parties prenantes est complexe. Elle imposede trouver le juste équilibre entre, d’une part, la pro-motion et la garantie de services publics efficaces et,de l’autre, la fermeté à l’égard des crimes et des délitscommis dans ces secteurs.

À chaque nouvelle loi sécuritaire votée dans la préci-pitation, cet équilibre se délite. Dans ce domaine, lesujet le plus clivant demeure ainsi celui de la luttecontre l’islamisme radical. François Hollande en avaitfait les frais avec le débat sur la déchéance de natio-nalité. La récente loi contre le séparatisme est unénième exemple de la difficulté d’inclure la luttecontre le communautarisme islamique dans un projetinclusif, éducatif et social. Dans son discours, Em-manuel Macron défendait un projet « pour » et non« contre ». Cette loi propose notamment l’obligationde scolariser les enfants âgés de trois ans ou plus, l’in-terdiction des certificats de virginité – la pénalisationde cet acte n’étant pas encore en place –, l’obligationde remplir un contrat d’engagement sur la laïcité pourobtenir des subventions d’associations ou encore l’in-terdiction pour un élu local de prendre des disposi-tions qui favorisent les inégalités entre femmes ethommes telles que, par exemple, l’interdiction d’ho-raires de piscine réservés aux femmes.

Il est malgré tout difficile de croire en la réelle di-mension « pour » de ce projet quand, il y a à peinedeux ans, le plan Borloo était balayé d’un revers de lamain par le même président Macron. Fruit d’un longtravail, il proposait une longue liste d’initiatives posi-tives : investissements dans le RER, académie des

leaders pour permettre le recrutement de hauts fonc-tionnaires dans les quartiers prioritaires, création de« Maisons Marianne » pour soutenir les femmes dansles banlieues, ou encore l’ajout de 500 correspon-dants de nuits en lien avec la police municipale pourassurer la sécurité dans les quartiers132. Pour CécileCornudet, journaliste politique au quotidien LesÉchos, l’enfouissement du plan Borloo restera commele symbole des difficultés du président de la Répu-blique à associer fermeté contre l’islamisme radicalet lutte pour l’égalité des chances133.

Il est cependant indéniable de constater un réelréveil hexagonal sur l’archaïsme de la politique desécurité au quotidien. Il s’accompagne d’une prise deconscience de la dégradation des rapports entre la po-pulation française et sa police. Certaines innovationssont en cours, notamment sur le désengorgement denos prisons ou sur l’amélioration de la communica-tion durant les opérations de maintien de l’ordre ;d’autres sont attendues, par exemple sur le sujet desformations ou sur celui de l’indépendance des en-quêtes internes de la police des polices.

Reste à savoir si les futures mesures sauront êtredécidées au travers d’une sincère concertation avecles diverses parties prenantes du dossier. Car sans cetindispensable prérequis, rien ne permettrait d’éviterune nouvelle incompréhension des réformes, et doncleur rejet, aussi bien de la part des forces de sécuritéintérieure qu’au sein de l’opinion publique française.Il s’agit de déterminer si notre pays est finalement prêtà enterrer des décennies de rapports martiaux pourparvenir à une société soucieuse du bon « vivre en-semble » de chaque acteur : passer de police à Polis.

131. Marion Mourgue, « Banlieues : Macron- Borloo, l’histoire secrète d’un rendez-vous manqué », Le Figaro, 4 février 2019.132. « Banlieues : ce que contient le plan de Jean-Louis Borloo », Le Parisien, 26 avril 2018.133. Cécile Cornudet, « Plan Borloo : l’indélébile », Les Échos, 9 octobre 2020.

Alain Bauer, professeur de criminologie,

Bernard Cazeneuve, ancien Premier ministre,

Jean-Michel Fauvergue, ex-chef du RAID et député La République en marche,

Gilles Finchelstein, directeur de la Fondation Jean-Jaurès,

Frédéric Péchenard, ancien directeur général de la police nationale,

Jérémie Peltier, directeur des études de la Fondation Jean-Jaurès,

le général Alain Pidoux, chef de l’Inspection générale de la gendarmerie nationale,

Frédéric Potier, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT,

Sebastian Roché, politologue français spécialisé en criminologie.

Remerciements

Tabledes matières

01 Introduction

05 L’apparition de l’enjeu politique de la sécurité intérieure et des difficultés d’y apporter une réponse adaptée

06 L’enjeu rapidement incontournable de la sécurité quotidienne 08 En 1997, la police de proximité, une tentative d’innovation politique

mise en échec09 Vers une logique répressive des forces de sécurité11 L’impossible apaisement durant le quinquennat Hollande

15 Où en est le lien entre forces de l’ordre et population aujourd’hui ? 15 Les Français font-ils confiance aux forces de sécurité françaises ? 16 Ce que révèlent les études internationales sur la qualité

des forces de sécurité françaises 17 Un débat public empêché19 Des accusations de violences excessives à l’encontre des deux parties 20 La crise du maintien de l’ordre à la française 22 Le faible statut social des personnes subissant un usage excessif

de la force23 Des difficultés rencontrées dans nos quartiers les plus défavorisés 26 Critiques à l’égard des inspections en interne des forces de sécurité 28 Et que fait la justice ?29 Vers une réforme structurelle du fonctionnement des forces

de sécurité intérieure

31 Retrouver des forces de l’ordre attentives au lien avec la population dans un esprit de concertation

31 Ouvrir les portes et les fenêtres de la place Beauvau32 En finir avec les dogmes pernicieux au lien entre police et population34 Sanctionner clairement les auteurs de violence au sein des forces de l’ordre35 Une nouvelle doctrine du maintien de l’ordre37 Changements des processus de recrutements et de formations40 Une meilleure gestion budgétaire et salariale 41 Améliorer la chaîne pénale43 Une police au service de la population

ÉDITIONS

Collection dirigée par Gilles Finchelstein et Laurent Cohen

©­Éditions­Jean-Jaurès12,­cité­Malesherbes­–­75009­Paris

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