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UN ÉPISODE DE LA FRONDE EN PROVINCE TENTATIVE DE TRANSLATION A LIMOGES DU PARLEMENT DE BORDEAUX La régence d'Anne d'Autriche avait commencé sous de favo- rables auspices. Au sein du Parlement de Paris, la Reine avait reçu du chancelier Pierre Séguier l'accueil le plus flatteur, Le jeune (lue d'Enghien, le futur prince de Condé, venait de déposer à ses pieds les lauriers de Rocroy. Le pouvoir de sou premier ministre Mazarin semblait définitivement établi. Cet heureux état de choses ne dura que peu d'années. La minorité (le Louis XIV entra bientôt dans une période de trouble et d'agitation la Fronde se promena triomphante dans les rues de la capitale. Le Parlement de Paris, qui voulait détacher le cardinal Mazarin (le la Régente, avait soufflé, le premier, l'esprit de révolte. Effrayé bientôt de la direction que prenaient les événe- ments ) il chercha à négocier. La grande Compagnie venait de signer la paix, lorsque le Parlement (le Bordeaux se déclara ouvertement coutre le duc d'lpernon, nommé récemment, par Mazariu, gouverneur de la Document 1111111111 III 11/11111 11/111111 0000005513925

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UN ÉPISODE DE LA FRONDE EN PROVINCE

TENTATIVE

DE TRANSLATION A LIMOGES

DU PARLEMENT DE BORDEAUX

La régence d'Anne d'Autriche avait commencé sous de favo-rables auspices. Au sein du Parlement de Paris, la Reine avaitreçu du chancelier Pierre Séguier l'accueil le plus flatteur, Lejeune (lue d'Enghien, le futur prince de Condé, venait de déposerà ses pieds les lauriers de Rocroy. Le pouvoir de sou premierministre Mazarin semblait définitivement établi.

Cet heureux état de choses ne dura que peu d'années. Laminorité (le Louis XIV entra bientôt dans une période de troubleet d'agitation la Fronde se promena triomphante dans les ruesde la capitale.

Le Parlement de Paris, qui voulait détacher le cardinalMazarin (le la Régente, avait soufflé, le premier, l'esprit derévolte. Effrayé bientôt de la direction que prenaient les événe-ments ) il chercha à négocier.

La grande Compagnie venait de signer la paix, lorsque leParlement (le Bordeaux se déclara ouvertement coutre le ducd'lpernon, nommé récemment, par Mazariu, gouverneur de la

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Guyenne (mars 1649). Dans ce conflit, les alliés ne manquèrentpas aux magistrats : les personnages les plus marquants, lesautorités les plus considérables, prirent parti pour eux. D'Eper-non, soutenu par la Régente et son ministre, eut bientôt contrelui toute la population. La lutte allait commencer.

Un conseil (le ville, institué par le Parlement, décida unelevée de milices bourgeoises. Des conseillers, d'Alesme entreautres, prirent le commandement (les compagnies, avec legrade de colonel; magistrats, dit le limousin Fonteneil, « quitous ne faisoient qu'un vêtement de la robe et de l'innocense,sachant ajuster l'épée à la balance ». On donna à l'un des régi-ments le nom de ilègirnent du Parlement. Massiot fit partiedu comité des finances, chargé de fournir l'argent nécessaire.Un vieux gentilhomme limousin, le marquis de Chambret, futmis, avec le titre de général en chef, à la tête des troupes par-lementaires.

C'était la guerre civile. Pour tenir tête aux forces royales, quiapprochaient, Bordeaux avait demandé des secours aux pro-vinces voisines. Le Limousin ne pouvait être oublié dans cetappel, il avait fourni les premiers chefs du mouvement; ouespérait qu'il donnerait encore de l'argent et des soldats. D'ail-leurs, la cause qu'il s'agissait de servir était représentée commedigne de réunir tous les amis sincères du jeune monarque.Cétait, disait-on, pour le délivrer de l'asservissement de Maza-rin, sou plus redoutable ennemi, que Bordeaux, après Paris,avait pris les armes; c'était pour le bonheur de l'Etat et pour ladéfense de l'autorité royale qu'on se préparait à combattre

l'armée du roi.Limoges résista aux pressantes sollicitations des Bordelais,

estimant que la meilleure façon de servir l'Etat et de témoignersou attachement à la Régente était de respecter les ordres dugouvernement et de reconnaître l'autorité des fonctionnaireschoisis par lui. Cette attitude, que la Cour peut-être n'osait pasespérer, valut aux Limousins une lettre de remerciements que

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Mazarin leur fit écrire par Louis XIV. Nous en donnons le texted'après la copie conservée dans les Regisfres consulaires

« DE i'.n i.i Roy,

» Ties chois et bien amez, ayant appris de quelle sorte vous vousestes comportés, sur les instances et les pratiques que ion a employéespour vous exciter fL prendre part aux mouvemens de la ville de Bordeaux,nous avons bien voulu, de l'advis de la Royne régente nottre tres hionnoréedame et mère, vous tesrnoigrrer par ceste lettre le gré que nous vous enscavons, et vous assurer que, comme nous ne désirons rien davantage quele repos de nos sirbjeets, et de faire tout ce qui nous sera possible pourleur soulagement, aussy nous avons une satisfaction particulière de ceque vous avez fait pour conserver notre ville de Limoges dans une entièretranciuilité, soubz l'obéissance qui nous est doue, et que nous désironsparticulièrement de reeognoistre les témoignages d'affection et de fidélitéè nostro service que vous nous avez donnés sur ceste occurance, danslaquelle nous faisons ressentir les eflictz de ceste bonté paternelle pour110z peuples et nostre dite ville de Bordeaux, par la déclaration que Ironsavoirs envoyée à nostre parlement de Bordeaux pour appaiser lesd. mou-verneirs; appres quoy nous ne dorrbtorrs pas que chacun ne se remette, etno se contienne dans son debvoir. Cependant, comme nous ne croyonspas qu'il soit neeessairc de vous exorter è la continuation du vostre,appres les eflectz que vous nous en avez rendus, irons rue vous faisons laprésente plus longue ny plus expresse.

» Donné à Paris, le deuxiesme jour de septembre 1649.

» Signé: LOUIS.

n Et plus bas : l.0 T1rr.Lsn. Et sur le reply de lad. lettre est e.script Anos tres chers et bien ame,. les Puevost et Consul' de uostre ville deLimoges (I). n

D'antres villes, loin (le suivre l'exemple de Limoges, s'étaientdéclarées pour le parti de la rébellion. Les bataillons du Parle-

(1) Archives municipales de Limoges, 2' Registre consulaire, année 1049.

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ment, grossis des renforts qui leur avaient été envoyés, s'ébran-lèrent, marchèrent à la rencontre de l'armée. Le choc eut lieusous les murs (le Libourne il fut fatal aux Bordelais; lestroupes parlementaires furent écrasées, et leur commandant, levieux marquis (le Chambret, perdit la vie sur le champ debataille.

Mazarin crut avoir maté les rebelles, et jugea le momentopportun de punir le Parlement, qui était l'âme (le la révolte. Ilen fit ordonner l'interdiction, par lettres du 12 juillet 1649 : « Aces causes, nous avons interdit et interdisons les officiers de notrecour de Parlement de Bordeaux de tout exercice de fonctions dejustice ou autrement. Tous arrêts par lui donnés contre notreoncle le duc d'Epernon, depuis le 6 janvier dernier, sont cassés.Il est fait commandement aux magistrats de sortir de la villequatre jours après la signification des présentes.

Ces lettres, frappées immédiatement d'opposition par le Parle-ment, portèrent à son comble l'indignation des conseillers et dela population bordelaise. De nouveaux régiments furent levés;le marquis de Sauvebeuf se mit à leur tête, et les hostilitésrecommencèrent avec des alternatives de succès et de revers.

Après une trêve de quelques jours, la nouvelle de l'arrestation,à Paris, desprinces de Coudé et de Conti et (lu duc de Longuevilleenflamma de nouveau les esprits. La princesse (le Condé et sonfils le duc d'Enghien se réfugièrent à Bordeaux; le Parlement,malgré les remontrances de Mazarin, les prit sous sa sauvegarde.Dès ce jour, l'union des princes etdu Parlement était consommée:la Fronde à Bordeaux allait avoir son véritable chef.

Dans les deux camps ennemis, on faisait feu de toutes armes:on se battait à coup d'arrêts, de pamphlets et de chansons. Lecardinal provoqua, le 30 août 1650, un arrêt du Conseil du Roicondamnant les habitants de Bordeaux à la perte de leurs pri-vilèges, s'ils n'imploraient, dans le délai de trois jours, la clé-mence royale, et ordonnant aux magistrats du Parlement de se

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transporter près du Roi, sous peine de voir casser les délibé-rations et jugements qu'ils rendraient à Bordeaux.

Le Parlement riposta par un arrêt dans lequel il faisait sonapologie, et accusait le gouverneur et le cardinal-ministre d'êtreles seuls fauteurs des troubles.

Des trêves, des traités de paix, vinrent couper les différentesphases de cette lutte. Pendant plusieurs mois, une tranquillitématérielle régna dans la ville. Mazarin ayant été momen-tanément éloigné des affaires, les princes en profitèrent pour sefaire mettre en liberté; et Condé, grâce aux habiles manoeuvresde ses confidents, obtint même de la Régente d'être élevé au gou-vernement de la Guyenne en remplacement du duc d'Epernon.Sou arrivée à Bordeaux, sa réception au Parlement (22 sep-tembre 1651) furent un véritable triomphe.

Pour lui donner un gage (le ses sympathies et lui montrercombien sa cause était chère au Parlement, ce corps s'épura. Lesconseillers hostiles aux princes, ceux qui leur étaient suspects,furent éloignés. Le premier-président Dubernet se retira àLimoges, ou il mourut quelques temps après.

Mais bientôt, Mazarin étant inppelt' au pouvoir, Condé se pré-para à la résistance.

Pendant l'année de tranquillité apparente qui venait de s'é-couler, un grand mouvement s'était fait dans les esprits. Depuisle mois d'avril 1651, une multitude de personnes, des ouvriers,des artisans, le bas peuple, se réunissaient tous les jours, enplein air, sous les ormes de la plate-forme, située entre le fortde Hâ et les remparts. Cette assemblée s'organisa, élabora desstatuts, et proclama hardiment le dessein de secouer le joug desautorités existantes. L'Ormée était née. Le Parlement et Condéeurent à compter avec cette force révolutionnaire.

Les magistrats comprirent que ce foyer d'agitation était poureux une menace; mais Condé, qui ne pouvait négliger aucunappui dans sa guerre contre Mazarin, reconnut 1'Ormée, acceptases services. Le Parlement, devenu de plus en plus l'instrument

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du prince, était obligé de laisser faire, et ne pouvait sévir contreles Ormistes.

En présence de l'attitude du Parlement, le Roi prononça soninterdiction le 10décembre 1631. Les lettres royales furent remisespar le courrier de Paris au procureur général le l er janvier 1652,au moment où il se rendait à l'audience. Mais, avant qu'il fûtarrivé au palais, une troupe d'Ormistes l'arrêta et s'empara dumessage. Le Parlement, au lieu d'ouvrir immédiatement uneinstruction, rendit, le 3 janvier, l'important arrêt qui suit:

« Veu par la Cour le procez faiet extraordinairement contre le nomméJule Mazarin, lequel, après avoir pris les armes en France au préjudicedes arrèts donnés en conséquence qui lui en défendent l'entrée, afind'opprimer le Parlement et la ville de Bordeaux et d'attaquer conjoin-temens Monseigneur le prince de Condé, notre gouverneur;

» Au nom de Dieu créateur, à tous prêsens et Ù venir, furent présensen leurs personnes très haut et très puissant prince Monseigneur Louisde Bourbon, prince de Condé, assisté de Monseigneur le prince de Conti,son frère, des ducs de Nemours, de Richelieu, de la Trémouille , princede Tarente, et d'autres seigneurs, d'une part; et les très illustres sei-gneurs le Parlement et les Jui'ats de la ville de Bordeaux, stipulant pourles lois et maximes du Royaume et généralement pour tous les bonsFrançois

» Que ledit seigneur Prince et tons lesdits seigneurs à sa suite pren-dront le Parlement et la ville de Bordeaux sous leur protection, et lesdéfendront contre les ennemis du Roi qui voudroient les opprimer, jusquesà la dernière goutte de leur sang;

» Semblablement ledit seigneur Parlement, Jurats, forment unionsuivant le bien de l'ELat et la conservation du royaume, la religion catho-lique, apostolique et romaine, maintenue et défendue;

» Le Prince et autres ne poseront les armes qu'ils n'aient fait retirerou exterminer le cardinal Mazarin hors du royaume. Auteur de tousmaux, perturbateur du repos publie, ennemi du Roy, il sera poursuivijusqu'à ce qu'il soit mis entre les mains de la Justice, pour être publi-quement et exemplairement exécuté. L'union indissoluble ci-dessus sti-

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pulée est jurée sur les Saints Evangiles par les Princes, le Parlement etles Jurats

Les réformes suivantes sont érigées en lois» 1° Suppression dos survivances des gouverneurs et autres officiers;

20 abolition des dispenses d'âge pour les charges de judicature et definance; 3° celles du royaume seront administrées par personnes de pro-bité choisies entre celles que le Parlement nommera au Roy; 4 0 sup-pression du contrôle général il sera remplacé par une commissionchoisie parmi ceux que les Princes ou le Parlement proposeront tous lesans; 50 les partisans ne pourront plus âtre créés : ils seront punis dudernier supplice; 60 le pauvre peuple sera soulagé selon la déclarationd'octobre 1648.

» En Parlement, le 3 janvier 1652. Signé de tous comparans.

» SuAu (1). »

Quelques jours après, le Parlement, dans des remontrances auRoi, annonrait que ses membres continueraient l'exercice de leurcharge.

Condé, de son côté, ne restait pas inactif. Après avoir remportéquelques avantages sur les troupes royales commandées parSaint-Lue, à Lectoure et à. Miradoux, il songea à regagner leNord, oit sa présence ôtait devenue nécessaire. Mazarin, en effet,marchait sur Paris; il était entouré de personnages d'élite,Servier, Le Tellier, Lyonne, Mathieu Molé, tous excellents con-seillers, avec des qualités diverses, tous dévoués à sa politique.Le brave maréchal d'Hoequincourt, l'illustre Turenne, étaientavec eux. L'armée s'avançait sans trouver de résistance. LaFronde à Paris était dirigée par le cardinal de Retz, qui ma-noeuvrait seul, derrière le semblant (l'autorité du faible duc d'Or-léans. Retz, ambitieux, remuant, sans scrupules, frondeur par

(I) BoscirEsoN DES PORTES, Histoire du Parlement (le Bordeaux, T. Il, p. 148 et149. Collection do» Mazarinadas de la bibliothèque de l'Arsenal Paris,T. LXXV, n° I.

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nature, n'était pas plus dévoué à Condé qu'à Mazarin: son butétait de les user l'un par l'autre, et de mettre à leur place leduc d'Orléans pour gouverner sous son nom.

Le Prince devina le danger qu'il y avait à abandonner Parissoit à Mazarin, soit au cardinal de Retz. C'est alors qu'il tenta lecoup hardi de quitter la Guyenne, où sa popularité ne couraitaucun risque, pour traverser la France à la hâte et aller semontrer à Paris. 11 savait qu'à Bordeaux il pouvait compter surle dévouement de son fidèle ami Lenet, et sur l'épée du bravecomte de Marsin. Il y laissait du reste sa femme Claire-Clémencede Maillé-Brézé, son frère le prince de Conti, son fils le ducd'Enghien, sa soeur l'héroïque duchesse de Longueville; le Par-lement lui obéissait servilement : son parti était donc en sûretédans le Midi; il fallait à tout prix l'empêcher de sombrer à Pariset sur les bords de la Loire.

11 se mit en route, accompagné seulement de trois ou quatreamis. Leur voyage fut la plus extraordinaire des aventures. Ilspassent au milieu des lignes ennemies, traversent les rivières,laissent les villes à distance, toujours avec les mêmes chevaux,ne s'arrêtant que quelques heures pour manger et dormir,dénoncés, poursuivis, dix fois sur le point d'être pris. Cette coursetéméraire dure plus de huit jours. Condé rencontre son armée,le 1°' avril 1652, à Chatillon-sur-Loing; il se met à sa tête etcourt au devant de l'armée royale. Il se jette entre les corps deHocquincourt et de Turenne, bat le premier à Bleneau, le 7 avril,et, après un combat acharné contre le second, resté sans résultat,il s'arrête, remet à Tavannes le commandement de ses troupes,et va à Paris.

L'habile Mazarin n'avait pas vu sans quelque joie Condéquitter la Guyenne. Il pensa que le moment était venu de sévirà Bordeaux. La Fronde y avait perdu son véritable chef: il ré-solut de lui enlever le Parlement, afin de ne laisser en face destroupes royales qu'une poignée de factieux dont elles auraient

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facilement raison. Le coup était hardi et malaisé à accomplirl'audacieux ministre se décida à le tenter.

Il ne pouvait être question de la suppression du Parlement:la mesure avait échoué deux fois; les magistrats, sommés denouveau de se disperser, n'auraient pas manqué de répondre auRoi, comme en juillet 1649 et en janvier 1632, qu'ils étaient enplace et continueraient de remplir les fonctions de leurs charges.

Un moyen moins violent et plus sûr se présenta à l'esprit de.Mazarin : l'Orrnée terrorisait Bordeaux, s'érigeait eu tribunal,et exécutait sur le champ ses arrêts, bravait le Parlement, dé-nonçait à la fureur populaire les conseillers qu'elle soupçonnaitde désirer le rétablissement de l'autorité royale. La populationbordelaise était lasse de ces excès. Si les magistrats n'osaientprotester hautement, ils devaient souffrir de voir leur influenceamoindrie et leur autorité annihilée; ils avaient tenté maintesfois de résister à la pression des Ormistes, mais avaient dû courberla tête devant la force. Dans ces conjectures, dit M. de Cosnac,la Cour jugea que la situation aussi périlleuse qu'humiliée faiteaux membres du Parlement devait les disposer à accepter avecjoie leur transfèrement dans une autre ville. Cette politique avaiten perspective le double avantage de reprendre son action surune assemblée dont l'influence, dégagée des entraves de la pres-sion populaire, pouvait lui rendre d'utiles services, et d'enleverà la ville de Bordeaux le privilège de la possession de ce corpséminent, en lui inspirant en outre la crainte de la perdre sansretour si elle ne se remettait pas sous l'obéissance (1). »

Avant de rendre public le projet de translation, deux questionsrestaient è. résoudre: Dans quelle ville installerait—on le siège duParlement? Quel serait le personnage à qui reviendrait la mis-sion délicate de négocier l'affaire?

Libourne était trop près de Bordeaux: un coup de main heureux

(I) Comte DE COSNAC, Souvenirs du règne de Louis XIV, T. III, p. 16e.

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aurait pu faire tomber la ville en la possession des Ormistes; lesmagistrats s'y seraient trouvés mal à l'aise, surveillés par lesbandes révolutionnaires de la grand'ville voisine, influencés parl'esprit de révolte qui y régnait. Â Agen, la position ne paraissaitguère plus sûre : Condé l'avait quittée depuis trop peu (le jours,le souvenir de sa bravoure y était vivant; si la population ne luiavait pas fourni de gages manifestes de son attachement, ellel'avait au moins accueilli sans protestation, avec une réserveplutôt sympathique qu'hostile; elle semblait attendre, pour selivrer, les évènements qui allaient se dérouler du côté de Paris.

Plus loin de Bordeaux, à l'extrême limite du ressort du Par-lement, une grande et laborieuse ville s'était tenue soigneusementen dehors des mouvements qui agitaient depuis plusieurs annéesla capitale de la Guyenne. Limoges était tout entière adonnée àses industries naissantes, à son commerce paisible. Ses habitants,négociants, ouvriers, Petits bourgeois, moines, ecclésiastiques,passaient leur vie dans leurs magasins, dans leurs ateliers, dansleurs monastères, détachés des intrigues de la politique, ne de-mandant à l'Etat que d'assurer leur tranquillité. Mazarin étaitau pouvoir: ils acceptaient Mazarin comme ils auraient acceptéle prince de Condé, si la Régente l'eût appelé près d'elle. Leurnouveau gouverneur leur était sympathique, avait de profondesattaches dans le pays : il s'appelait Amie de Lévis, était abbé deMeymac et de Ruricourt, (10m d'Aubrac, baron de Donzenac,trésorier de la Sainte-Chapelle de Paris, conseiller d'Etat, arche-vêque de Bourges. Ce prélat, gouverneur militaire du Limousin,savait au besoin tenir une épée, était homme d'énergie, et deforce, le cas échéant, à arrêter un mouvement populaire. Avantlui, son frère, François-Christophe de Lévis, remplissait lesmêmes fonctions à Limoges. Leur nom, connu depuis longtemps,commandait le respect. Les hautes dignités ecclésiastiquesd'Anne de Lévis lui valaient la confiance et l'appui du clergélimousin, nombreux et puissant. Le choix (lu nouveau gou-verneur, loin de pouvoir être, comme à Bordeaux, la cause d'un

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soulèvement, ôtait de nature au contraire à raffermir les liensqui unissaient la province à la royauté.

Aussi la population de Limoges était-elle restée soumise : lesexemples de Paris et de Bordeaux, les appels qui lui avaient étéadressés de cette dernière ville, avaient été impuissants àébranler sa fidélité. Mazarin se rappelait la réponse qu'elle fitaux émissaires de la Guyenne qui l'invitaient, en 1649, à semettre en révolte contre le gouvernement. Il l'avait félicitée deson attitude : il pensa que l'occasion se présentait de la récom-penser. Limoges fut désignée pour être le nouveau siège duParlement.

Il était à prévoir que les magistrats ne consentiraient pas vo-lontiers à abandonner leurs familles, leurs amis, leurshôtels, leurs maisons de campagne. Porter leur résidence è.cinquante lieues de la ville où ils avaient toutes leurs affections,tous leurs intérêts, toutes leurs habitudes, c'était les condamnerà un véritable exil. Pour les amener à ce sacrifice, il fallait unnégociateur habile : le cardinal crut l'avoir trouvé dans la per-sonne du conseiller Du Burg.

Ce magistrat passait pour un homme prudent, avisé, ennemides partis violents et pour un conciliateur habile; il avait réussià ménager l'Ormée sans s'aliéner les bonnes grâces du gouver-nement; il avait su entrer assez avant dans le mouvement pourn'être pas inquiété par les agitateurs. Lorsque le Parlement s'pura, en septembre 1651, pour plaire à Condé, qui prenait pos-session du gouvernement de la Guyenne, Du BL1r avait échappéà la proscription. Il ne lui répugnait pas de faire sa cour auprince. Il était frondeur comme tous ses collègues, mais appar-tenait è. ce parti des modérés qu'on appelait la petite Fronde. Larésistance lui avait paru légitime à l'origine: il s'y était jeté sansréserve. Le duc d'Epernon ayant été rappelé, il lui semblait quele but était atteint. Cette victoire lui suffisait : l'honneur des Bor-delais était sauf, leur indépendance garantie. Sans revenir enarrière, il eût été bien aise que l'on s'arrêtât dans la voie des re-

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vendications. Il aurait vu avec plaisir un rapprochement entrele Parlement et le Roi. Manquait-il de l'autorité nécessaire pours'employer à cette réconciliation? craignait-il un échec? avait-ilpeur de se voir repousser par les conseillers ses collègues? Lespréoccupations qui assaillaient son esprit le déterminèrent à nerien tenter du côté du Parlement: il aima mieux s'éloigner mo-mentanément des affaires, quitter Bordeaux.

La marche victorieuse de Mazarin redoubla bientôt ses inquié-tude. Il redouta la défaite de Condé, la ruine prochaine de laFronde, les mesures rigoureuses qui ne manqueraient pas defrapper les amis du prince, ceux qui l'auraient soutenu jusqu'aubout dans sa lutte contre le cardinal. Désespérant de ramener leParlement, il résolut de se rapprocher du Roi. Sans rompre osten-siblement avec la Fronde, il alla courtiser le premier ministre.

Du Burg rencontra Mazarin à Tours, l'assura de son dévoue-ment à la cause royale, lui représenta le déplorable état de sacompagnie à Bordeaux. Le cardinal, qui ne connaissait pasl'esprit d'indécision de ce personnage, son caractère timoré, l'ac-cueillit avec faveur, l'écouta avec intérêt, et demeura convaincuque Du Burg, par sa situation au milieu des partis et sa politiquede ménagement, pourrait, le moment venu, servir utilement lacause du roi dans la Guyenne.

Tel est l'homme que Mazarin choisit pour négocier la trans-lation à Limoges du Parlement de Bordeaux.

L'installation de la Cour dans son nouveau siège fut décidéepour la fin d'avril 1652. Dès les premiers jours du mois, le Roienvoya une lettre de cachet au conseiller Du Burg pour lui fairepart de la mission qui lui était donnée. Le 9 du même mois, ilécrivit à l'archevêque Anne de Lévis, gouverneur du Limousin,aux échevins et au présidial de Limoges, pour leur faire part desa décision, et les inviter k faciliter de tout leur pouvoir l'établis-sement du Parlement. La lettre du roi au gouverneur n seule été

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conservée; M. le comte de Cosuac l'a publiée dans ses Sou-venirs du règne de Louis XIV (1). En voici les termes:

A Gyen, 9 avril 1652.

MONSIEUR L'ARCHEVÊQUE DE I3OURGES,

n Ayant ordonné que la séance de ma Cour de Parlement qui estoit ABordeaux sera transférée en ma ville de Limoges pour y rendre la jus-tice û mes sujets du ressort de lad. Cour, â cause de la rebellion de laville de Bordeaux, j'ai bien voulu vous faire cette part pour que vousayez à favoriser et à faciliter, autant qu'il dépendra de vous, l'établis-sement de la séance de madite Cour de Parlement en madite ville deLimoges et à tenir la main que les officiers de madite Cour y reçoiventtous les honneurs et respects dus à leur qualité et toute l'assistance quidépendra de vous, et même que vous teniez la main A l'exécution desdécrets et arrests qui seront par eux rendus, vous assurant que vous ferezchose qui me sera très-agréable. Et sur ce, je prie Dieu.....

» Il a caLé osent aux échevins et habitants de Limoges et au Présidialdudit lieu pour mesme sujet ledit jour (2). »

Quel accueil fut fait à cette importante nouvelle par les auto-rités et la population de Limoges? Il est à présumer que l'ar-chevêque Anne de Lévis redouta pour la capitale de son gou-vernement l'arrivée de cette grande compagnie, qui avait été àBordeaux un foyer d'agitation; que le présidial, soucieux de sonindépendance, apprit avec regret l'installation au-dessus de luid'un tribunal puissant, dont il n'était que le justiciable, etqu'enfin le corps de ville craignit de voir son prestige et souinfluence décliner devant cette imposante réunion de magistrats,que leur autorité et leur fortune allaient mettre au premier rang.

(1) M. Le comte de Cosnac est Le premier auteur qui ait signalé la tentativede translation à Limoges du Parlement de Bordeaux.

(2) Souvenirs du règne de Louis UV, par le comte de Cosnac, T. Ill,142; - Archives du Ministère de la guerre, vol. l5.

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- 1 -Nous ne pouvons émettre que des conjectures, n'ayant trouvésur les Registres consulaires et dans les papiers du présidialaucune mention de cet évènement. Les lettres du gouverneur,des officiers du présidial, des échevins, en réponse aux messagesroyaux, n'ont pas été conservées.

Une lettre du conseiller Du Burg au cardinal Mazarin nousmontre clairement, du moins, dans quels sentiments il accueillitla haute mission qui lui était confiée. Tant qu'elle s'était main-tenue à l'état de projet et d'espérance, Du Burg avait fait lebrave, multiplié auprès du Roi et du ministre ses Protestations dedévouement; mais au moment décisif, lorsque la mission devintune réalité et qu'il fallut passer à l'action, l'âme sceptique etfaible du magistrat reprit le dessus, se montra dans tout son jour;mille scrupules l'assaillirent. Il se troubla et s'inquiéta à l'idéedes dangers que pouvait lui faire courir la confiance du Roi; il envint à envisager avec effroi l'avenir qu'elle lui préparait. S'iléchouait dans ses négociations, il se voyait banni du Parlement,dépouillé de son siège, conspué comme un traître et un renégat.En cas de succès, sa situation était pire, ses biens devenaient laproie des Ormistes ; sa famille, sa vieille mère, restaient exposéesaux mauvais traitements des bandes révolutionnaires; sa per-sonne même n'était pas en s(reté il redoutait, jusque sur leschemins de Limoges, quelque terrible vengeance. Sous l'empirede ces préoccupations, il écrivit à Mazarin la lettre suivante

« MONSEIGNEUR,

» J'ay receu en cette ville, ou j'ay demeuré depuis le départ do la Cour,à cause de mon indisposition qui m'a empêché de la suivre, une lettre decachet du Roy portant commandement d'aller â Limoges dans la fin de cemois pour y établir la translation du Parlement de Bordeaux; ce quim'oblige, Monseigneur, d'implorer l'honneur de vostre protection pourêtre déchargé de cet employ, (lue j'estime devoir être l'achèvemen t de maruine. Se vous proteste bien, Monseigneur, que je ne cherche point icydes prétextes à ne pas obéir aux ordres de Sa Majesté, qui me seront

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toujours sacrés et inviolables; mais j'ay cru, Monseigneur, que, sansblesser le respect que je luy dois, je puis lui représenter les inconvénientsqui en peuvent naistre pour soumettre aveuglément tous mes intérèts à sabonté et è sa justice. La conservation de mes biens, que j'ay abandonnésen parlant de Bordeaux, ny la colère de ma compagnie, irritée contremoy de ma sortie, entreprise sans congé et contre son ordre, ny le périlévident dont ma personne est menacée, qu'on médite, suivant l'avis qu'onm'en a donné, de faire périr par des assassinats et des voyes violentessur les chemins allant à Limoges, ou à mon arrivée dans la ville, par desecrettes menées; toutes ces choses-lé, Monseigneur, ne seroient pasd'assés puissantes raisons sur mon esprit pour m'obliger à supplier trèshumblement, comme je fais, Sa Majesté de vouloir bien changer souordre ou le différer. Il n'y a, en vérité, Monseigneur, que la seule consi-dération d'une mère qui est dans Bordeaux exposée é la mercy d'unpeuple furieux (lui me touche, et qui m'oblige à pourvoir â sa sûreté, cilaquelle je ne suis pas moins obligé par les loix du sang et de la naturequo par les sentiments de la reconnaissance que je lui dois. La fermetéinébranlable que j'ay témoignée dans toutes les occasions qui se sontoffertes peut être un sur garant de la fidélité inviolable que je doisgarder à l'avenir au service (le Leurs Majestés. Je pourrais dire en cetendroit avec vérité é Votre Eminence que, quoyque je vaille très-peu, jen'ai pas laissé d'estre recherché, mais on n'a peu jamais me gagner pal'les promesses, ny par des présents, ny tac vaincre non plus par lesmenaces que par la crainte. Ma fidélité est à toute épreuve, et je mecontente sans aucun intérêt de la seule gloire que j'ay de l'avoir conservéeincorruptible au milieu do la contagion et du trouble. Je ne veux pointfaire icy valoir mes services passés, qui ont été moins utilesque passionnés,parceque j'estime qu'il n'y a point do mérite ny de récompense â bienfaire ce que l'on doit, ny parler è Votre Eminence des pertes et des dis-grèces que j'ai souffertes en ma personne et en mesmes biens, ny sur quelssujets : il me suffira de croire (lue Si elles étoient toutes venues à sacognaissance, elles auroient excité en elle quelque sentiment d'estime etde compassion en ma faveur et persuadé peut-être Votre Eminence deprendre quelque sorte de confiance en la sincérité du respect que j'aitousjours eu pour elle, aussi bien absenté et éloignée que présente etfavorite. Je ne laisse pas, Monseigneur, de me flatter encore de l'espé-rance de n'estre pas tout è fait abandonné de Votre Erninence eu cette

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nccaSioii, a laquelle je ne pense pas qu'elle veuille me sacrifier. Elle aurasans doute la bonté do me réserver pour rendre, cri quelque autre plusimportante, quelque plus utile service à Leurs Majestés, qui, lorsqu'il nesagira que d'exposer mes biens et ma vie, sans y mesler celle d'une mèredont la conservation m'est aussy précieuse que nécessaire, doivent êtreasseurés d'une prompte obéissance. Je demande seulement, Monseigneur,en cette considération, â Leurs Majestés, avec toute l'humilité qui m'estpossible, la grâce d'être aujourd'hui dispensé du voyage et de l'employquil leur n pieu trie destiner à Limoges; je l'attends, Monseigneur, dusecours et de la protection de Votre Eminence, que je réclame : elleaquerra par là sur moi une obligation immortelle et m'obligera destretoute ma vie avec la même passion et le môme respect avec lequel jaytoujours ôté,

» Monseigneur,

De Votre Eminence, le très-humble, très-obéissant et très-tid ' lc serviteur,

» Du Buac (1).A Tours, ce 13 avril 1662. '

La translation du Parlement à Limoges venait d'échouer.Mazarin était absorbé par d'autres soucis la victoire de Condéà Bléneau, son entrée triomphale à Paris, commandaient, de cecôté, des mesures énergiques: la solution des affaires de Guyennefut ajournée pour quelques temps.

Cependant la nécessité de soustraire au plus vite le Parlementn'i violences de l'Ormée s'imposait à tous les esprits; l'idée detransférer son siège en dehors de Bordeaux avait fait du cheminMazarin était pressé par des amis dévoués de prendre cette me-sure. Pendant qu'il négociait encore avec les autorités (leLimoges et le conseiller Du Burg, il reçut de M. de Bougy cettelettre, datée du 13 avril 1352

(I) Ai ohives nationales KK 121f); - A,rhi,:es historiques de la Gire,,,te.1. III pt) - ' li,J' ]iOVia _\T1 i. T. Ill.

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« MoN.E!r,xErt

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» M. le président Piclion, qui nous a facilitez ces jours passés à laprise du Mas, mesemble un homme assésentreprenaiil; ct,comme l'actionqu'il a faite de nous introduire dans sete plasse l'a tout a fait mis mat aveqle party (le Monsieur le Prince, aussi tasclie-t-il autant qu'il peut de lemaitre à bas. Ii m'a propozez que, sy on iuy vouloit envoier une laitre (luRoy et une de V. E., lesqueles on le conviast de porter aus amis qu'il adans le parlement pour les remaitie dans leur devoir, en leur prometantpardon du pasez, en telle forme que ils le souhaiteroint, et de les rem-bourser des pertes que il pouvoist avoir faites pendant la guerre, que il nedoute point que cela n'eust un très bon effet, et qu'il n'en gagnast plu-sieurs. Il dit que de soisante officiers du party de M. le Prince qui peuventestre dans le Parlement, il y en a quarante de ces pareils et auprès(lesquels il a credit. J'ai creu en devoir avertir V. E., afin qu'elle en tiseselon qu'elle le jugera à propos. J'avez ausy penser que, si on transferoitle parlement de Bordeaulx A Agen, l'on en retii'eroit beaucoup d'avan-tage, en se (lue scia nous asseureroit cete ville, qui est fort remplie departisans de M. le Prince, puisqu'il ne seroit composez que de gens afec-tionnés au servisse du Roy, tout le teste estant renfermez dens Bor-deaulx, et tout le peuple et les villes, qui sont accoutumées d'obéir ansarests, se sumetroist plus volontiers à ceulx-sy (lue aus aubes, que ilscroist les auteurs de leurs misères..................

o Au camp de Marmande, le 18 apvril (1). »

Il était temps d'agir: FOrmée faisait tous les jours des progrès,profitait (le la mollesse du prince deConti pour lever la tête.Le Par-lement, inquiet, ayant rendu, le 10 mai 1652, un arrêt défendant,sous peine de mort, les attroupements, les rebelles répondirent àcette interdiction par une délibération contre le Parlement, et

(1) Archives nationales, KK, 1219, p. 292; - Archives historiques de leT. VIII, p. 3t7.

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firent remettre ii la Cour une liste de proscription contre uncertain nombre de magistrats. Les conseillers portés sur cetteiite, peu rassurés pour leur vie, peu certains des sympathies deleurs collègues, quittèrent la ville au nombre de sept.

Conduits par l'ancien boucher Duretête et l'avocat Villars, lesOrmistes étaient maîtres de la ville. Conti n'avait qu'une Ornl)re(l'autorité. L'exercice de la justice était devenu impossible : leParlement, humilié et menacé, suspendit ses audiences du 12 au25 mai, et ne les reprit qu'à la prière du prince. La compagnieétait, comme la ville, divisée en deux partis, la grande Fronde,les ardents, et la petite Fronde, les modérés. L'Orniée, qui avaitexpulsé les Mazarins et les Epernonistes du Parlement, intimal'ordre à ceux (le la petite Fronde de quitter Bordeaux. Tousobéirent, tant la terreur était grande. Au nombre des quatorzeproscrits se trouvait Du Burg. 10 juin 1652.)

Condé fut vivement contrarié (le la mesure prise contre cesmagistrats. Sortis de la ville, ils pouvaient s'unir à ceux de leurscollègues qui avaient été précédemment dépossédés de leurssièges; ils étaient en nombre pour constituer une cour, et établirhors de l'influence de l'Ormée un Parlement dévoué à la causeroyale. Ces pressentiments étaient justes. Le 15 juillet 1652,Lenet écrivait au prince: Tous les proscrits sont allés à Dax, àl'exception du président Pichon, qui est encore à la Chartreuse.Chacun croit qu'ils y établiront un parlement. Je m'imaginetoujours que, laissant icy de quoy répondre du mal qu'ils nousferoient, ils y songeront plus (l'une fois. » Ce bruit d'instal-lation à Dax s'accréditant, le fidèle Lenet en fit part de nouveauà Condé, qui lui répondit de Paris, le 9 août 1652:

u A Monsieur Lenet, conseiller, etc.

» Ce quo vous m'avez escript, par vosti'e lettre du 29 du passé, dunouveau desmé1( du Parlement avec la ville, m'a donné bien du desplaisii',et paltieulLérernelit le dessein que vous me man,lez, que le Parlement ade sortir de Bordeaux, qui est une chose qu'il fault empeseher à quelque

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prix que ce soit, et mettre ordre de bonne heure, pour qu'ils n'en escriventâ Son Altesse Royale et à moy, à cause du bruit quo cela pourroit fairepar de çà, ce qui nous feroit un tort irréparable dans le Parlement deParis, par le mauvais exemple, cela arrivant dans uii temps quo cettecompagnie faiet des démarches très-advantageuses pour le bien de nosaffaires. Travaillez donc de tout votre pouvoir àdestournerun tel dessein;et, quelque chose qui puisse arriver, soit que le Parlement sorte ou quemon frère perde son crédit, il faut pour votre particulier que vous demeu-riez toujours dans les mesmes termes que je vous ay escrit, qui est devous joindre avec ma femme et mon fils à ceux à qui l'affaire demeurera.en sorte que l'on puisse toujours demeurer maistre de Bordeaux (1). »

Avant tout, le prince voulait conserver Bordeaux; mais il étaitprêt aux plus grands sacrifices pour conserver le Parlement avecBordeaux. Ainsi, lorsque Lenet lui écrit, le 15 août, s que le pré-sident Pichon reçeut hier les lettres du Boy pour establir le Par-lement à Dax ou toute autre ville qu'il jugeroit à propos, et qu'ilest parti avec toute sa famille pour Dax », Condé s'émeut, com-prend la gravité de cette démarche: « Empeschez surtout, écrit-il, à quelque prix que ce puisse être, l'établissement de ceParlement de Dax... Cela seroit du plus grand préjudice dumonde : l'exemple de celuy de Pontoise me le faisant ainsypenser. s

Cette fois encore, Mazarin eut le dessous: la translation ne putavoir lieu. Pendant ce temps les affaires de la Fronde allaient aupire. Le duc de Caudale, à la tête de l'armée royale, secondé parle grand-amiral duc de Vendôme, reprenait partout l'avantage.Le prince de Condé était refoulé, par Turenne, sous les murs dela Bastille, malgré le canon du fort, que commandait Mademoi-selle de Montpensier.

A Bordeaux, on se battait dans la rue: la ville était au pillage;

(1) Mémoires de Lenet, p. 558.

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-22—le drapeau rouge flottait au clocher de Saint-Michel; l'Ormée,agonisante, se signalait par les excès de ses dernières convulsions.

Le Parlement, cette fois, était à bout de résistance. Le Roi or-donna, le S octobre 1652, son transfert à Agen, et, le 3 marssuivant, le conseillers s'y trouvant en nombre pour siéger,commencèrent leurs travaux. Leur premier acte, tout à leurhonneur, fut une supplique au Roi pour qu'il accordât une am-nistie à ses sujets de Bordeaux.

Peu après son installation, le Parlement fut obligé (le quitterAgen pour échapper à la peste, qui s'y était déclarée. Il s'installaà La Réole, où il resta jusqu'en novembre 1654.

La Fronde s'achevait. Daniel de Cosnac, qui voyait que toutétait fini, et qui, en politique avisé, tournait d'un autre côté sesregards, venait de détacher le prince (le Conti du parti de sonfrère, et de le décider à se rapprocher de la Cour. Une violenteréaction se produisait coutre Condé et contre FOrmée. Les par-tisans du prince, les Espagnols venus à sou secours, perdaientchaque jour du terrain ; les ducs de Caudale et de \refldôrfle leurarrachaient une à une leurs dernières places. Enfin la paix futsignée, et l'évêque de Tulle, Mgr de Guroii, en fut un des négo-ciateurs. Le 3 août 1653, les lieutenants de l'armée royale firentleur entrée dans Bordeaux.

Le Parlement reprit possession de son ancien palais, et y futréinstallé solennellement le l er décembre 1634. Il devait le quitterencore une fois, en novembre 1675, en punition d'une émeutequ'il n'avait pas eu la force de réprimer. Une déclaration du Roi,en date du 15 novembre 1675, le transféra â Condom; de là, ilalla à Marmande, puis à La Réole, et ne fut rappelé à Bordeauxquen 1690, après un exil de quinze ans.