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PAYSANS, REBELLION ET POLITIQUE : DES THEORIES CLASSIQUES AU CAS COLOMBIEN. Une vision panoramique. SOMMAIRE INTRODUCTION. CHAPITRE I PAYSANS ET RÉBELLION. UN COUP DOEIL SUR LES THÉORIES. A. Les classiques du marxisme et le rôle politique des paysans. - Marx et Engels - Les disciples directes du marxisme (Kautsky, Plekhanov, Lénine, Trotsky, Chayanov, Mao). B. Le « boom » des années 60. - Rebelles primitifs dEric Hobsbawm (1959). - Les origines sociales de la dictature et de la démocratie de Barrington Moore (1966). - Les guerres paysannes du XXème siècle dEric Wolf (1969) - Paysans et sociétés paysannes de Theodore Shanin (1971). - Rébellion paysanne et changement social de Henry Landsberger (1974) - La révolution agraire de Jeffery Paige (1975). - Sociétés paysannes de Henry Mendras (1976). - Léconomie morale du paysan de James Scott (1976). - Le paysan rationnel de Samuel Popkin (1979). - États et révolutions sociales de Theda Skocpol (1979). C. Quelques études latino-américaines. CHAPITRE II LE CAS COLOMBIEN. A. Paysans et conflit. - La campagne au XVIIIème et XIXéme siècles. - 1850. Vers la modernisation de lÉtat. - Le « leader - ship » qui fait la différence. - Crise et radicalisation du conflit. - Le reflux. - La « Violence ». - Le Front National. B. LANUC (Asociacion Nacional de Usuarios Campesinos). - Letape officielle. - La radicalisation de lANUC. - La gauche et lANUC. - La crise. - Quelques lacunes. 1

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PAYSANS, REBELLION ET POLITIQUE : DES THEORIES CLASSIQUES AU CAS COLOMBIEN.

Une vision panoramique.

SOMMAIRE

INTRODUCTION. CHAPITRE I

PAYSANS ET RÉBELLION. UN COUP D�’OEIL SUR LES THÉORIES. A. Les classiques du marxisme et le rôle politique des paysans. - Marx et Engels - Les disciples directes du marxisme (Kautsky, Plekhanov, Lénine, Trotsky, Chayanov, Mao). B. Le « boom » des années 60. - Rebelles primitifs d�’Eric Hobsbawm (1959). - Les origines sociales de la dictature et de la démocratie de Barrington Moore (1966). - Les guerres paysannes du XXème siècle d�’Eric Wolf (1969) - Paysans et sociétés paysannes de Theodore Shanin (1971). - Rébellion paysanne et changement social de Henry Landsberger (1974) - La révolution agraire de Jeffery Paige (1975). - Sociétés paysannes de Henry Mendras (1976). - L�’économie morale du paysan de James Scott (1976). - Le paysan rationnel de Samuel Popkin (1979). - États et révolutions sociales de Theda Skocpol (1979). C. Quelques études latino-américaines.

CHAPITRE II LE CAS COLOMBIEN. A. Paysans et conflit. - La campagne au XVIIIème et XIXéme siècles. - 1850. Vers la modernisation de l�’État. - Le « leader - ship » qui fait la différence. - Crise et radicalisation du conflit. - Le reflux. - La « Violence ». - Le Front National. B. L�’ANUC (Asociacion Nacional de Usuarios Campesinos). - L�’etape officielle. - La radicalisation de l�’ANUC. - La gauche et l�’ANUC. - La crise. - Quelques lacunes.

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C. Et qu�’en est-il après l�’ANUC ? CONCLUSIONS. BIBLIOGRAPHIE. ANNEXES.

INTRODUCTION

Il y a déjà plusieurs années que s�’est achevée la grande explosion de travaux portant sur le rôle de la paysannerie dans la transformation de la société par la voie de la rébellion et la participation politique active. Les explications relatives à ce phénomène sont nombreuses. Les paysans ont cessé de constituer la population majoritaire en ce monde. Les villes se sont transformés en théâtre de conflits sociaux importants. Les luttes de libération nationale se sont essoufflées et avec elles le protagonisme paysan au niveau de la confrontation. De profondes transformations socio-économiques se sont produites dans le monde rural, impliquant de nouvelles sources de conflits, où l�’acteur paysan joue un rôle diffèrent, moins visible sur le plan politique si nous le comparons à celui que l�’on a connu jusqu�’aux années 70. Cependant les paysans continuent à exister. En Colombie, ils représentent une population de 12 millions de personnes (sur un total de 35 millions), qui apportent plus de 60% de la production agricole et 30% de l�’élevage1. D�’autre part, le monde rural continue a être le théâtre d�’un conflit sociale et politique de portée nationale. Dans le cas de la Colombie, l�’intérêt porté à l�’étude du comportement paysan dans le conflit a été caché par des études plus globales sur des problématiques telles que la violence, la lutte armée, l�’impact du narco-trafic à la campagne, etc. Le chemin qui nous a conduit à travailler sur le thème de ce mémoire a été précisément les questions que nous nous avons posé à partir de notre travail mémoire de Diplôme de l�’IHEAL l�’année dernier sur la stratégie du Part Communiste en Colombie2 L�’objectif initial prioritaire a été d�’étudier la manière dont la gauche est entrée en relation avec le mouvement paysan de l�’ANUC (Asociacion Nacional de Usuarios Campesinos). Cependant, dans la mesure où nous nous sommes introduits au sein du thème, nous avons penché à choisir comme axe principal l�’étude de ce qui était spécifiquement paysan. Leurs liens avec les agents externes, qu�’ils s�’appellent Etat, partis de gauche, groupes d�’intellectuels, église, etc.... étaient un élément de plus à considérer dans la recherche de la compréhension de la logique du comportement politique du paysan. Nous nous sommes un peu éloignés de notre objectif initial et pensons que cela en a valu la peine. D�’une part nous avons découvert cet immense univers (bien que de façon incomplète) d�’études et de théories sur les rébellions paysannes qui, comme le disait Moore (1967), sont la base même des systèmes politiques existants. D�’autre part, nous sommes parvenus a faire le tour de quelques études en Amérique Latine et finir par arriver à la Colombie en nous arrêtant sur l�’étude de l�’ANUC - Association Nationale d�’Usagers Paysans. Dans les années 80, une nouvelle phase de la réalité paysanne s�’initie et nous sommes bornés à énumérer diverses thématiques au sein desquelles le paysan a une place importante.

1 Forero (1994) p.3. 2 Agudelo, Carlos, La combinaison de toutes les formes de lutte. Développement et crise de la stratégie du Parti Communiste Colombien, Paris, Mémoire de Diplôme IHEAL, Dir. Gros, Christian, 1994.

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Cette vision panoramique nous a permis de détecter ce qui, selon nous, représente quelques lacunes dans les études sur le thème et de revendiquer la nécessité d�’entreprendre de nouvelles investigations sur l�’histoire et également sur le monde paysan contemporain en tant que sujet social empreint d�’une dynamique spécifique de comportement politique dans un contexte déterminé. Notre travail ne prend pas parti de manière emphatique pour une théorie en particulier et ne se concentre pas non plus sur l�’étude d�’une période spécifique. Nous essayons de présenter une vision globale de la problématique Paysans et Politique recueillant certains travaux considérés comme représentatifs de la production théorique sur le thème. Nous commençons avec Marx, Engels et leurs successeurs les plus proches, Lénine, Kautsky, Plejanov, Trotsky et Mao avec ses particularités. Avec la survenue du « boom » sur les études paysannes des années 60 et 70, les choses se compliquent du point de vue bibliographique. Alors avons nous décidé de classer par ordre chronologique d�’apparition certains travaux que nous avions trouvé intéressants et d�’autres suggérés par notre directeur de mémoire, le professeur C. Gros ainsi que pour les professeurs D. Lehman et D. Pécaut. En ce qui concerne les études sur l�’Amérique Latine, la problématique paysanne et la politique, nous avons présenté quelques études issues de la période du boom, mais également des travaux plus récents, tels ceux de Stern (1987) et les mémoires du colloque « Agricultures et Paysanneries en Amérique Latine - Mutations et recompositions » s�’étant tenu à Toulouse en décembre 1990. Ce dernier met en évidence les transformations vécues par le monde rural dans les années 80 et les nouvelles caractéristiques de la paysannerie, les continuités et les ruptures dans la problématique agraire, y compris le rôle des mouvements paysans. La seconde partie de ce travail est consacrée au cas colombien. Nous maintenons la perspective de parvenir à accéder à une vision globale des études sur le thème, mais cette fois en définissant quelques périodes historiques. Nous allons du XVIIIème siècle jusqu�’à nos jours. Parcourir trois siècles d�’histoire dans un travail de cette dimension oblige à le faire de manière rapide et superficielle; nous avons cependant prétendu relever des aspécts clés dans la dynamique de participation paysanne au cours des conflits qui ont traversé la Colombie au long de son histoire. La presque absence de travaux sur le thème pour les périodes du XVIIIème et XIXéme siècles est notable. Les paysans en tant qu�’objet d�’étude spécifique sont noyés sous les recherches historiques concernant les guerres d�’indépendance et les guerres civiles. De cette période, le travail de l�’historien anglais Malcom Deas sur les formes d�’assimilation de la politique au XIXème siècle par la population rurale colombienne attire vivement notre attention. Nous avons particulièrement mis l�’accent sur les conflits agraires des années 20 et 30 de ce siècle, guidés surtout par les travaux de Le Grand (1988), Sanchez (1977) (1984), et Gaitan (1976). En ce qui que concerne la période de la Violence, les sources bibliographiques sont énormes (Cela a été a été le phénomène le plus étudié par les sciences sociales en Colombie). Nous nous sommes appuyés particulièrement su les travaux de Bejarano (1985) et Pécaut (1987). Quant au Front National et à l�’émergence de l�’ANUC en 1968, nous nous arrêterons à faire ressortir les éléments que nous considérons fondamentaux à partir des études réalisées sur ce mouvement paysan , celui de plus grande envergure qu�’ait jamais eu la Colombie.

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Les travaux de Zamosc (1987) et Rivera (1987), de même que ceux de Botero et Bagley (1978), Escobar (1985) et Munera (s. d.), sont les textes servant de « guides » à cette partie de notre travail. Nous comptons également avec des entrevues réalisées par nous - mêmes auprès d�’anciens dirigeants de l�’ANUC, résidant actuellement en Europe en qualité de réfugiés politiques. Ce sont: 1- Miguel Gamboa (Intellectuel qui a été à la tête de l�’une des tendances politiques qui a eu la plus grande influence au sein de l�’ANUC. Le secteur politique dénommé initialement la « Commission politique » et le « Comité exécutif » qui ensuite se sont constitués en « ORP - Organisation Révolutionnaire du Peuple »). 2- Froylan Rivera (ex-président national de l�’ANUC. Paysan issu du département de Sucre). 3- Catalina Perez (membre de la direction nationale de l�’ANUC. Paysanne du département de Cordoba). 4- Edelberto Palomino (dirigeant paysan du département de Cesar). Le contenu de ces entrevues n�’a malheureusement pas apporté d�’éléments nouveaux aux contenus des travaux existants sur le thème. Cependant, elles nous ont été utiles pour corroborer et renforcer certains aspects peu développés dans les travaux (par exemple, la critique du rôle de la guérilla et le rôle de l�’église). « Passer en l�’histoire de l�’ANUC va nous permettre de découvrir certaines lacunes dans les études concernant cette expérience. Les années 80 arrivent et la crise du mouvement paysan s�’articule autour de nouvelles problématiques de la société dans son ensemble avec des expressions aiguës dans le monde rural. Les luttes proprement paysannes perdent de leur protagonisme. Comme nous l�’avions déjà mentionné, dans la dernière partie du chapitre réservé à la Colombie, nous faisons une énumération de certains aspects révélateurs de la nouvelle situation qui marque la réalité colombienne. Le rôle des guérillas, du narco-trafic, des groupes paramilitaires. Le politiques gouvernementales (continuité du DRI, nouvelles tentatives de réforme agraire, le Plan National de Réhabilitation), la décentralisation politique et administrative, la nouvelle constitution de 1991, les politiques neo-libérales. La fragmentation et désarticulation de certains secteurs du paysannat alors que d�’autres laissent entrevoir des formes nouvelles d�’organisation. Pour finir, nous chercherons à articuler dans les conclusions, d�’une part, un essai de synthèse des théories classiques (leurs éléments communs, leurs différences, leur validité actuelle possible comme outil d�’interprétation de la façon de se comporter du paysan sur le plan politique et la pertinence de certaines théories générales par rapport à la réalité que nous ont révélé les études analysées. D�’autre part, nous tenterons de voir si les changements opérés dans le contexte et chez le paysan lui-même n�’impliquent pas la recherche nécessaire de nouveaux paradigmes pour la compréhension de ce que nous appelons leur logique politique. Dans cette perspective, nous pourrons commencer à « monter » les plans de ce qui peut être un projet de recherche sur la thématique des paysans et la politique dans la Colombie d�’aujourd�’hui.

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CHAPITRE 1

PAYSANS ET RÉBELLION : UN COUP D�’OEIL SUR LES THÉORIES.

Lorsqu�’il s�’agit de faire un compte - rendu des études sur la paysannerie, il existe une règle quasi générale chez les auteurs: clarifier sur le caractère partial et limité de la tache, dû à l�’énorme quantité d�’opinions et de théories qui existent autour de la thématique de ce qui touche au paysan. Dans notre cas, la prétention est de parcourir quelques unes des études principales du phénomène de la rébellion paysanne, ou de façon plus générique des paysans et de la politique. A. Les « classiques » du marxisme et le rôle politique des paysans. Nous débutons avec les pionniers modernes de l�’étude de la problématique paysanne: les premiers marxistes à commencer pour Marx lui-même. Nous nous sommes concentrés sur l�’aspect politique bien qu�’il soit nécessaire de signaler que pour Marx et se disciples le plus proches (à l�’exception de Mao), l�’analyse de la problématique socio-économique rurale au moment de la transition et de la consolidation du capitalisme en tant que forme de production a été la plus importante. Marx et Engels, les Paysans et la politique Dans les travaux « Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte » (1850) et « Les luttes de classes en France - 1848-1850 (1852)1, Marx se réfère aux paysans français en termes de « classe représentant la barbarie de la civilisation » dont le comportement est une « hiéroglyphe indéchiffrable pour l�’entendement des gens civilisés ». Les paysans étaient dans la France de 1848 la plus grande partie de la population et leur appui en faveur de Louis Bonaparte a été la garantie du triomphe du coup d�’Etat contre le gouvernement républicain. Pour Marx, les conditions de reproduction et de subsistance individuelles de la famille paysanne font de la parcelle un noyau isolé qui par simple agrégation aux autres constitue des bourgs, de même qu�’un groupe de villages un département et l�’ensemble des départements le pays. « De cette façon la presque totalité de la nation française est formée d�’une simple addition de magnitudes homologues, tout comme les pommes de terre dans un sac forment un sac de pommes de terre ». Cette forme de vie fait que la paysannerie se trouve dans l�’incapacité d�’établir une organisation politique autonome qui puise défendre les intérêts de sa classe. « Ils ne peuvent se représenter. Leur représentant doit être à la fois leur chef, exercer une autorité sur eux, jouir d�’une pouvoir gouvernemental illimité qui les protège des autres classes ....... ». Quant au rôle joué par les paysans au temps de Louis XIV, Marx le qualifie de « pratiques démagogiques » même s�’il admet l�’existence de « paysans révolutionnaires » en mentionnant le soulèvement de Cevennes2. Résultat des contradictions entre les aspirations paysannes (maintenir leur condition) et celles de la bourgeoisie qui se consolide au pouvoir, selon Marx, les paysans devront tourner leur

1 Les citations de Marx correspondent au choix fait par Théodore Shanin dans « Campesinos y Sociedades campesinas » (1971). 2 Révolte paysanne survenue en France au début du XVIIIème siècle. Ses mots d�’ordre étaient: « Pas d�’impôts, Liberté et conscience ». Ils ont agi sous forme de guerre de guérillas pendant presque trois ans. Shanin (1971) p. 209.

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regard vers leur "allié et leader naturel...... le prolétariat urbain dont la tâche consiste à renverser l'ordre bourgeois". Un autre aspect important dans l'oeuvre de Marx sur le monde rural se rapporte à son caractère contradictoire de classe: "....dans la mesure où des millions de familles vivent selon des conditions économiques qui les différencient dans leur mode de vie, leurs intérêts, leur culture, des autres classes et les mettent en situation d'hostilité envers ces derniers, elles constituent une classe. Dans la mesure où il existe seulement une interconnexion locale entre ces paysans, petits propriétaires et l'identité de leurs intérêts, cela n'engendre entre eux aucune communauté, aucune union nationale, ni aucune organisation politique, ils ne constituent donc pas une classe". La connotation négative avec laquelle Marx caractérise le paysan vient du contexte historique spécifique à travers lequel il faisait son analyse. Pour Engels, l'aspect fondamental à traiter lorsque l'on se réfère à la paysannerie est son caractère de classe exploitée: "...l'éternelle histoire des pays ruraux, de l'Irlande à la Russie et de l'Asie Mineure à l'Egipte, c'est que dans un pays à la forte population paysanne, les paysans n'existent que pour être exploités. Cela ce passe ainsi depuis les empires assyrien et perse"3. Une autre emphase importante réside dans la certitude d'Engels sur le rôle salvateur et conducteur joué par le prolétariat et la confluence des intérêts des paysans et de la classe ouvrière. Engels divise les paysans en feudataires, petits fermiers et journaliers. "....après que la bourgeoisie eut laissé passer l'occasion de les libérer de la servitude, comme c'était son devoir, il n'est pas difficile de les convaincre qu'ils ne peuvent attendre la libération que de la classe ouvrière"4. Pour Marx et Engels tout ce qui touche à la question agraire a beaucoup plus d'importance dans son aspect économique que dans ses implications politiques. L�’appréciation du monde paysan dévalorisé de ses possibilités réelles; pas seulement à la lumière de ce qui arrive des années plus tard avec les révolutions russe, chinoise et mexicaine ainsi que les mouvements de libération nationale et les luttes pour la terre. Le jugement du rôle de la paysannerie dans les transnformations politiques et sociales les plus importantes des XVIIIème et XIXème siècles (France, Angleterre, Etats Unis), est également sous-estimée. La dialectique marxiste prévoyait la transformation du monde agraire vers une agriculture capitaliste et la disparition du paysan transformé en ouvrier agricole. La petite économie paysanne n'avait aucune chance de survivre et bien que la paysannerie représentait la plus grande partie de la population mondiale, son existence était simplement une des séquelles du féodalisme. Les disciples directs du marxisme. (Kaustky, Plejanov, Lénine, Trotsky, Chayanov, Mao) On distingue le travail de Kaustky, publié en 1898, "La question Agraire"5, inspiré du Marx mais appliqué à la situation spécifique du cas russe. Il traite fondamentalement de la problématique économique en avançant l'idée que l'importance du monde rural dans un pays déterminé va en sens inverse de son niveau de développement et son mode de production capitaliste. Un autre aspect important de ce travail est la différenciation qu'il élabore sur la paysannerie en ce qui concerne la relation entre la propreté de la terre et le caractère ambigu de son rôle politique dérivé de son appartenance ambivalent à deux formes de production

3Engels (1894) "La question paysanne en France et en Allemagne" cité dans le "Dictionnaire Critique du Marxisme" Labica et Bensussan (1982). 4 Engels (1850). Préface de "La guerre paysanne en Allemagne" cité par Kärner (1983) 5Nous utilisons la réimpression française de 1970.

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(capitaliste et féodale) et par le fait que les masses paysannes ne puissent jamais accéder au pouvoir politique, ayant toujours besoin des autres classes sociales qui défendent leurs intérêts. Plejanov, autre Marxiste russe éminent disait: "Notre communauté de village, si chérie en un temps, y compris par certains socialistes, mais qui a été en réalité le soutien principal de l'absolutisme russe, se transforme chaque jour d'avantage en instrument entre les mains de la bourgeoisie rurale pour la exploitation de la plus grande partie de la population agraire. Les paysans les plus pauvres se voient contraints à émigrer vers les villes. Le prolétariat qui se forme, par suite et conséquence de la désintégration de la communauté de village, donnera le coup mortel à l'autocratie. Le mouvement révolutionnaire russe peut seul triompher en tant que mouvement révolutionnaire des ouvriers...". D'un autre côté, il proclame: « le prolétariat expulsé du milieu rural en tant que membre appauvri de la communauté villageoise reviendra ensuite comme agitateur social-démocrate. Son apparition dans ce rôle changera le destin actuel de la communauté de village »6. Mais l'ouvre la plus complète portant sur le monde paysan russe est le travail de Lénine "Le développement du capitalisme en Russie"7. Plus de la moitié du livre est dédiée à l'analyse de l'économie agraire russe dans la seconde moitié du XIXème siècle. Lénine élabore une typologie plus développée que celles réalisées par Engels et Kautsky sur les différenciations de la paysannerie en référence aux relations de production. Lénine définit trois types de paysan: 1- Ceux qui ont des relations féodales de production, propriétaires de terre et métayers; 2- Ceux qui entretiennent des relations capitalistes de production, Fermiers et ouvriers agricoles salariés; 3- Paysans moyens qui cultivent leur propre terre mais sont rattachés à la communauté. Quant au rôle politique du monde rural, la correspondance avec ce qui a déjà été dit par Marx et Engels est évident, mais il est à remarquer un processus d'évolution, produit de la confrontation avec la réalité même de la révolution russe. Lénine pose sans hésitations le problème de la nécessité absolue de l'alliance de la classe ouvrière avec la classe paysanne. Dans le programme agraire de la social-démocratie russe, Lénine déclarait: " quelle doit être l'attitude d'un ouvrier conscient, d'un socialiste, à l'égard du mouvement paysan contemporain ? Il doit soutenir ce mouvement, aider les paysans de la façon la plus énergique, les aider jusqu'au bout à jeter à bas, entièrement, le pouvoir des fonctionnaires et le pouvoir des grands propriétaires fonciers. En renversant ce pouvoir, il faut se préparer du même coup à supprimer le pouvoir du Capital, le pouvoir de la bourgeoisie; pour cela il faut populariser sans tarder une doctrine intégralement socialiste, autrement dit marxiste, et unir, souder, organiser les prolétaires ruraux pour la lutte contre la bourgeoisie paysanne et contre toute la bourgeoisie de Russie."8 La certitude de la disparition de la classe paysanne et son caractère dépendant pour l'action politique de la classe ouvrière est une constante chez Lénine. A un moment où l'on percevait à peine l'émergence d'un prolétariat urbain, le schéma marxiste de l�’interprétation de Lénine sur la réalité russe prédisait la décadence imminente de la paysannerie. Leon Trotsky est un autre des classiques du marxisme. Dans plusieurs de ses écrits, il fait allusion au problème paysan en accord dans les idées fondamentales avec Lénine et la vision marxiste sur le phénomène. Trotsky met en évidence la tendance naturelle du paysan à se soumettre au commandement des partis d�’origine urbaine, appuyé en ce sens par divers exemples tels que ceux des paysans

6Cité par Alavi Hamza (1976). 7La première édition apparaît en 1899. Nous nous servons ici de la réimpression française de 1969. 8Cité dans le "Dictionnaire Critique du Marxisme" op. cit.

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allemands du début du XVIème siècle, des français lors de la révolution, et les russes du début du XXème9 Dans « La révolution permanente » il montre l�’importance décisive du paysannat russe dans le processus révolutionnaire: « On aurait même pas pu parler de la dictature prolétarienne en Russie si la question agraire n�’y avait pris une telle profondeur et un élan si gigantesque »10 Il existe un aspect analysé par Trotsky qu�’il est important de faire ressortir et c�’est celui du rôle de la religion dans la participation paysanne lors de la révolution de 1917: « ...A cela il faut ajouter l�’action de la pensée des sectes religieuses qui unissaient des milliers de paysans, - j�’ai connu - écrit un auteur bien informé - beaucoup de paysans qui accueillirent.... la révolution d�’octobre comme l�’absolue réalisation de leurs espérances religieuses »11 En essence, la pensée de Trotsky souffre des mêmes limitations que celle de ses contemporains marxistes mais ses écrits, particulièrement « La révolution permanente » et « Histoire de la révolution russe » font partie des meilleurs descriptions sur le rôle de la paysannerie dans la Russie révolutionnaire. En suivant un ordre chronologique dans la présentation des auteurs marxistes classiques du début du siècle, nous devons mentionner le travail de l�’économiste Chayanov (1923) sur l�’économie paysanne. Ce travail a impliqué une rupture avec la vision marxiste du monde paysan en tant que classe appelée à disparaître. La subsistance de l�’économie paysanne montrait la non pertinence des thèses sur la fin imminente des paysans. Au moment de son apparition, ce travail a été censuré en l�’Union Sovietique, mais est réédité au niveau mondial avec l�’émergence du « boom » des études paysans dans les années 60. Pour l�’intérêt de notre travail il faut dire cependant, que Chayanov ne traite pas au sujet des implications politiques dans le comportement paysan, de la survivance de l�’économie paysanne12. Pour les marxistes, comme nous l�’avons vu jusqu�’à présent, l�’importance politique du paysan était assujettie au rôle qu�’elle devait jouer au côté de l�’avant-garde ouvrière. Un fait historique va changer l�’appréciation du monde agraire et son rôle dans les transformations révolutionnaires de la société. La révolution chinoise marque un virage et le monde paysan vient se placer au centre de la théorie et de la pratique de la politique. Mao Tsé Toung, fils d�’un riche paysan de la région d�’Hunan et l�’un des fondateurs du parti communiste chinois devient le principal idéologue et stratégue de la révolution chinoise. Ses apports théoriques tirés de l�’interprétation de la réalité de son pays se transforment non seulement en guide doctrinaire du processus révolutionnaire chinois mais également en point de référence pour une bonne partie des communistes dans le monde. La « pensée Mao » en tant que ligne différentielle du Marxisme - Leninisme va provoquer le plus grand « séisme » du communisme, jusqu�’à ce moment là, soumis à l�’hégémonie du modèle soviétique (premières années de la décade des 60). Mao a situé la paysannerie en tant que classe la plus importante du processus révolutionnaire chinois, allant ainsi à l�’encontre du schéma marxiste. Dans « Analyse de toutes les classes de la société chinoise » (écrit en1926), le rôle dirigeant de la classe ouvrière n�’apparaît que sous forme de très vague allusion. 9 Extraits de « 1905 » oeuvre parue en 1923 - Cité par Baechler (1968). 10 Trotsky (1928) p. 305. Réédition française de 1963. 11 Trotsky (1950) p. 782. Réédition de 1967. 12 Nombreux sont les commentaires et analyses sur l�’oeuvre de Chayanov et le débat qu�’a suscité sa théorie chez les « campesinistas », que partageaient son point de vue sur le maintien de la économie paysanne et les « descampesinistas » attachés à la position traditionnelle marxiste sur l�’évidente disparition du monde rural et sa forme d�’économie paysanne. Voir entre autres: Foweraker (1979), Janvry (1979), Archetti (1978), Mendras (1976), Chonchol (1986), Warman (1988), Lehmann (1980) (1985).

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Schram (1972)13 montre comment après l�’élaboration de nombreux documents importants de Mao sur le rôle des paysans dans la révolution, par suite de pressions du Parti communiste chinois et du PCUS sont inclus des passages sur le rôle dirigeant de la classe ouvrière. Dans « L�’analyse de toutes les classes au sein de la paysannerie chinoise et de leur attitude à l�’égard de la révolution » (1926), Mao décrit huit catégories différentes de paysans. Chaque catégorie a une position économique et des conditions de vie particulières, ce qui implique une attitude distincte vis à vis de la révolution. 1) Les grands propriétaires fonciers. 2) Les petits propriétaires fonciers. 3) Les paysans propriétaires. 4) Les paysans semi-propietaires. 5) Les métayers. 6) Les paysans pauvres. 7) Les ouvriers agricoles et les artisans ruraux. 8) Les éléments déclassées. Les catégories 3,4,5,6, et 7 sont naturellement alliées à la révolution. « Les petits propriétaires fonciers » peuvent être attirés vers la lutte révolutionnaire de même que « les éléments déclassées ». Les grands propriétaires fonciers représentent le principal ennemi de la paysannerie. Mais, peut être, le document le plus connu de Mao sur le monde paysan est-il le « Rapport sur une enquête à propos du mouvement paysan dans l�’Hunan » (1927) dans lequel il prédisait : ... »Dans peu de temps, on verra se soulever dans toutes les provinces de la Chine ...des centaines de millions de paysans...et aucune force pourra les retenir...Ils mettront à l�’épreuve tous les partis révolutionnaires...soit pour les accepter, soit pour les repousser. Faut-il se mettre à leur tête et les diriger ? ». Dans ce même document, Mao souligne clairement le niveau d�’importance du monde paysan dans la révolution : « si nous voulons attribuer à chacun le mérite qui lui est dû, alors si l�’ensemble des contributions à l�’accomplissement de la révolution démocratique représente dix points, les contributions des citadins et de l�’armée ne méritant que trois points, alors que sept points reviennent à la paysannerie pour sa révolution rurale.. » Un peu plus loin Mao fait remarquer que cette tache révolutionnaire n�’a pas été l�’oeuvre de l�’ensemble de la paysannerie et pour simplifier sa catégorisation antérieure il instaure l�’idée que de trois groupes de paysans, riches, moyens et pauvres, existant en Chine, se sont les pauvres qui ont accompli la tâche révolutionnaire fondamentale. Une autre idée constante dans l�’oeuvre de Mao est l�’importance qu�’il octroie à l�’organisation politique, dans ce cas de figure, le Parti communiste. Dans « la révolution chinoise et le parti Communiste chinois » (1939) Mao démontre que, bien que le paysannat ait été la « véritable force motrice de l�’évolution historique de la Chine », ce n�’est qu�’avec l�’émergence de l�’avant-garde communiste qu�’il a été possible le triomphe révolutionnaire. Sur ce point on note une influence claire du Léninisme, mais la pensée de Mao va au delà de la rigidité du schéma sur l�’avant-garde prolétarienne. Avec la venue du « boom » des études traitant du problème paysan, beaucoup de sociologues marxistes et non marxistes ont travaillé avec intensité sur le phénomène de la révolution chinoise (entre autres, Moore, Wolf, Sckopol) et ont découvert des facteurs de grande importance quant aux antécédents et caractéristiques de la participation paysanne dans ce grand processus de transformation de la société chinoise. Du point de vue de la pratique politique, le maoïsme s�’est transformé en une sorte de formule populiste du marxisme, applicable dans les pays du Tiers-monde.

13 Les citations de textes de Mao sont extraites de cette oeuvre qui regroupe et présente un choix de ses principaux écrits.

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Les discussions entre théoriciens et politiciens marxistes sur la pertinence de cette adaptation du Marxisme-léninisme a donné lieu à des divisions importantes au sein de mouvement communiste international. Il en ressort une constatation évidente. Ce n�’était pas la classe ouvrière qui, dans la pratique assumait le rôle protagoniste des processus révolutionnaires et des mouvements de libération nationale. Il s�’agissait fondamentalement de guerres paysannes, avec une participation évidente d�’agents intermédiaires ou « entrepreneurs politiques »14 venus des villes, pour les plus grande part des intellectuels « auto-nommés » représentants de l�’idéologie révolutionnaire de la classe ouvrière ». Les travailleurs urbains ne constituaient pas encore « une classe en soi » mais le petite bourgeoisie occupait sa place dans la conduite des processus de changement. B. Le « boom » des années 60. Nous pouvons situer les années 60 comme point de départ d�’un véritable « boom »15 dans la production théorique et monographique d�’études sur le monde paysan. la seconde après-guerre marque le début de luttes importantes dans les pays du tiers monde dans lesquelles le paysannat joue un rôle protagoniste déterminant. Les luttes d�’indépendance néo-coloniale et les revendications spécifiques du monde agraire attirent l�’attention de sociologues, historiens, politologues, anthropologues. Le thème de ce qui touche au paysan se transforme en aspect central de discussion et d�’étude au niveau des sciences sociales. On ne commence pas seulement à faire des recherches sur les luttes présentes mais on fait également des analyses politiques sur le rôle des paysans dans l�’origine même des systèmes politiques existants.16 Cependant il s�’agissait plutôt de la « redécouverte »17 du thème paysan. Comme nous l�’avons vu, vers la fin du XIXè siècle et début du XXè il y eut déjà une importante production théorique marxiste sur le problème agraire jusqu�’à en venir à Mao qui, plus qu�’élaborer des théories sur la paysannerie, a interprété correctement le rôle de protagonistes que devaient jour les paysans en Chine. A partir de cette première vague d�’études, les textes fondamentaux se transforment en point de départ pour les nouvelles discussions qui iront bon train dans les années 60 et 70. Pendant ces deux décades, l�’ont voit se multiplier les études monographiques et le production théorique à la recherche de paradigmes qui puissent donner des réponses au « pourquoi » des rebellions paysanne et aux caractéristiques de leur participation politique. d�’importantes publications spécialisées apparaissent et à l�’intérieur des revues de sciences sociales les plus prestigieuses le champ paysan occupe une place privilégiée.18

14 Expression utilisée par Olson (1965) et Tilly (1978). 15 Enrique Mendoza utilise se terme dans son article « El siglo XX y la historiografia rural contemporanea en América latina » (1988). 16 Les travaux de Barrington Moore (1966), Wolf (1969) et Sckopol (1979) auxquels nous avons fait référence plus avant méritent sous cet aspect une mention particulière. 17 Le terme « redescubrimiento » est utilisé tout d�’abord par Shanim (1971) et repris par Stern (1987). 18 On commence également à publier des compte-rendu bibliographiques qui tentent de montrer la production chaque fois plus abondante sur le thème. Nous détachons les synthèses présentés par Henry Mendras (1976), Archetti (1978), Skopol (1979), Stern (1987), Mendoza (1988), Warmann (1988). Parmi les publications spécialisées, nous pouvons mentionner « The journal of Peasant Studies » fondée en 1973 en Angleterre, « Peasant studies newsletter » fondée en 1972 aux Etats-Unis, « Etudes Rurales » fondée en 1961 en France. Quant à la paysannerie en Amérique latine, « Latin American Perspectives », « Estudios rurales Latinoamericanos », et également, bien que cela ne parle pas spécifiquement sur le thème, « Latin American research Review ».

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Des débats intéressants se déroulent également traitant les différentes optiques sur le phénomène étudié. Le plus remarquable nous parait être celle engagée par Popkin (1979) contre l�’école qu�’il nomme « Economie Morale » et que nous présentons dans ce travail. La décade des années 80 enregistre l�’affaiblissement de l�’intérêt porté sur le rôle politique de la paysannerie. En effet, le protagonisme éteint du paysan, dû à divers facteurs que nous citerons plus avant, est une des causes de la diminution des études sur le thème. Ensuite, nous présenterons, séparément et par ordre chronologique d�’apparition, les traits fondamentaux de quelques travaux nés du « boom » que nous considérons comme représentatifs de la production théorique sur le thème de la rébellion paysanne et la place occupée par les paysans dans la société. Il est certain que nous serons confrontés à des aspects qui se répètent, accompagnés de leurs particularités, chez les différents auteurs, mais qui nous permettront, dans des conclusions, de les regrouper en tendances conceptuelles. Rebelles primitifs d�’Eric Hobsbawm (1959).19 Cette étude de l�’historien marxiste anglais décrit et analyse les caractéristiques de quelques rebellions dénommées « archaïques » en Europe aux XIXè et XXè siècles. Hobswawm concentre son étude sur les formes de banditisme social qu�’il définit comme des mouvements justiciers du type « Robin des bois ». Le banditisme social apparaît lors de moments de changements brusques au niveau des sociétés rurales. Les traumatismes qu�’implique l�’arrivée du capitalisme dans certaines sociétés peuvent provoquer l�’émergence de ce type de formes d�’organisation de résistance. Quant aux liens existants entre le banditisme social et les mouvements agraires et révolutionnaires, l�’auteur expose un fonction inverse de celle là avec laquelle les mouvements agraires organisés ou les partis révolutionnaires comptent. »20. Selon l�’étude de Hobsbawm lorsque les mouvements révolutionnaires apparaissent, les bandits sociaux se changent en révolutionnaires ou disparaissent. Dans les sociétés au faible développement politique, le banditisme se transforme en phénomène chronique. dans le travail d�’Hobsbawm d�’autres formes d�’organisation apparaissent : les mafias caractérisées en tant que mouvements qui représentent les intérêts de certaines couches de la société avec un niveau d�’organisation sans grande envergure, mais qui peuvent parvenir à compter avec un pouvoir parallèle face à l�’Etat. En général elles se situent du côté de la droite politique; lorsqu�’elles arrivent à se politiser et les engagements de leurs membres dépendent avant tout des liens familiaux réels ou artificiels (compérage). Une autre forme d�’organisation étudiée par Hobsbawm réside dans les mouvements « millénaristes » auxquels on attribue quelques aspects similaires aux mouvements révolutionnaires, en particulier en ce qui concerne l�’objectif de transformation de la société. Il présente l�’exemple des « fascistes » italiens qui sous l�’influence des idées socialistes se transforment en paysans révolutionnaires. Dans tous les cas étudiés, l�’apparition des mouvements pré-politiques ou rébellions primitives correspondent avec de transformations du contexte socio-économique de leurs régions. Il s�’agit de réactions face à des phénomènes tels que une crise au niveau des récoltes, l�’intégration rendue obligatoire à l�’économie monétaire, le fait d�’être dépouillés des terres par les propriétaires fonciers ou grands propriétaires terriens, les exigences de devoir payer de nouvelles rentes ou des impôts.

19 Hobswam, E., « Rebeldes primitivos ». Etude sur les formes archaïques des mouvements sociaux aux XIX et XXéme siècles. Barcelona, Editorial Ariel (2a ed., 1974). Original : « Primitive rebels, studies in Archaic forms of social movement in the 19th and 20th centuries. (1959). 20 Hobsbawm (1959) p.42.

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Dans une édition postérieure de son travail21 on inclue deux études sur les paysans de la Colombie et en Pérou où l�’historien trouve dans le phénomène de « la Violence » et les luttes paysannes de La Convention, les traits basiques de sa caractérisation sur le banditisme social et les liens avec le mouvement révolutionnaire qui fait de quelques secteurs du monde rural sa base sociale. En 1973 Hobsbawm publie son étude « Los campesinos y la política »22 dans laquelle il reproduit les thèses de Marx et de ses disciples sur l�’impossibilité de l�’action politique autonome de la paysannerie. Il parle des difficultés culturelles qui amènent le paysan à jouer un rôle dans des mouvements à caractère national (il cite les exemples de la Colombie dans les années 30 et du Pérou dans les années 60). Selon Hobsbawm la force potentielle du paysan a été énorme bien que sa force effective et réelle soit limitée par de nombreux conditionnements. Pour finir, il affirme que l�’étude du phénomène paysan et la politique doit être « travaillée » par les historiens étant donné la décadence accélérée du monde paysan. Cette étude réitère les résultats de ses travaux antérieurs et rassemble les aspects centraux d�’oeuvres majeures récentes (Moore, Wolf) ainsi que ceux des classiques du marxisme mais ses conclusions sur la disparition de la paysannerie sont quelque peu simplistes. A la différence d�’autres études importantes, Hobsbawm n�’explique pas pourquoi la modernisation à pour effet la radicalisation du paysan dans certains régions et dans d�’autres non. Cependant, l�’oeuvre de Hobsbawm a représenté un apport significative, à partir de l�’histoire, à la compréhension des révoltes paysannes contemporaines. Son travail principal « Primitive Rebels » a été le source d�’inspiration d�’études régionales et de périodes spécifiques.23 Les origines sociales de la dictature et de la démocratie de Barrington Moore (1966)24 L�’auteur nous montre comment, à partir des origines de sociétés agraires se produisent des transformations politiques et sociales qui donnent lieu à différents types de régimes. Au niveau des grandes transformations de nos sociétés, le phénomène agraire apparaît comme jouant un rôle essentiel. « La modernisation a commencé au moyen de révolutions paysannes qui ont échoué. Elle irradie le XXè siècle de révolutions paysannes triomphantes. Il n�’est à présent plus possible de dire que le paysan est un objet historique, une entité sociale sur laquelle l�’histoire passe, mais qui ne participe pas à ses transformations » p.362. Moore étudie le cas des Etats-Unis, de l�’Angleterre, de la France, de la Russie, de la Chine, du Japon et de l�’Inde. A partir de ces études de cas il expose trois formes d�’apparition des sociétés modernes : 1) Combinaison entre le capitalisme et démocratie parlementaire. les révolutions bourgeoises en Angleterre, Etats-Unis et France. 2) Capitalisme sans révolutions sociales, qui ont conduit au fascisme en Allemagne et au Japon. 3) Révolutions sociales avec forte participation paysanne qui ont débouché sur le communisme en Russie et en Chine. S�’il est bien certain que Moore met en évidence le rôle important joué par le paysan dans le processus de modernisation, il ne nie pas cependant la thèse de Marx sur la nécessité d�’une classe urbaine puissante et indépendante, chose requise pour le développement de la démocratie parlementaire. p.337. 21 Edition de 1974 (en espagnol) 22 Traduction de 1976 - Editorial Anagrama, Barcelona. Original : « Peasant and Politics in the Journal of Peasant Studies » Vol.1 n° 1 (1973) 23 Voir Sanchez, G. (1983) 24 Moore, Barrington Jr. « Social origins of Dictatorship and Democracy : Lord and peasant in the Making of the Modern World, Boston : Beacon Press, 1966.

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En ce qui concerne l�’appui fourni par les paysans par rapport au fascisme où les idées contrerévolutionnaires rencontrées chez le paysan, il nous dit, en faisant référence au cas allemand : « au yeux du petit paysan frappé par le progrès du capitalisme avec son cortège de problèmes, prix et crédits, vis à vis de ceux qui paraissaient jouer les bourgeois et banquiers hostiles venus de la ville, la propagande nazi présentait l�’image romantique d�’un paysan idéalisé...le héros de droite...la terre était quelque chose de plus qu�’un moyen de subsistance...p.359. Une situation similaire est constaté pour le cas de l�’Italie et celui du japon. Quant à l�’engagement de paysan dans les révolutions, Moore critique les interprétations qui réduisent aux conditions économiques la raison des révoltes paysannes. Les exemples de la Chine et de l�’Inde présentant des situations économiques similaires, entraînent des réactions différentes du monde paysan dans les deux pays. Pourquoi la révolution se produit -elle en Chine et non en Inde ? L�’explication d�’ordre culturel n�’est pas non plus suffisante, « les secousses socioculturelles » qui brisent l�’harmonie de la propriété, de la famille et de la religion ne sont pas des raisons suffisantes pour que surgisse une situation révolutionnaire. Moore montre à quel point le monde rural russe était culturellement intact à l�’heure de la révolution. Pour l�’auteur, il doit toujours exister un concours de circonstances qui induisent la participation paysanne dans les processus révolutionnaires. « ...une société fortement segmentée qui base sur des sanctions diffuses sa cohérence et ses méthodes d�’acquisition de l�’excédent agricole est presque complètement à l�’abri de révolutions paysannes car l�’opposition à des normes déterminées peut engendrer un nouveau segment social. Au contraire, une bureaucratie agraire ou une société qui dispose d�’une autorité centrale pour récupérer l�’excédent agricole est plus vulnérable ». p.366. D�’autres hypothèses avancées en ce sens sont synthétisées dans les citations suivantes : « Lorsque les liens, fruit des relations entre le « seigneur » et les paysans sont forts, les possibilités de révolte sont faibles ». p.273. Plus avant il ajoute : « Dans certains cas les paysans peuvent s�’habituer à des privations progressives. ce qui provoque la colère est une nouvelle exigence ou une nouvelle violation qui frappe un grand nombre de paysans à la fois et rompe ainsi avec les lois et les coutumes admises jusqu�’à ce moment là ». p.377. Finalement nous allons trouver chez Moore une vision qui se répète dans la grande majorité des travaux sur le thème concernant tout ce qui se réfère au rôle des agents externes et à l�’alliance incontournable du monde paysan avec d�’autres classes sociales comme facteur déterminant pour que le potentiel révolutionnaire se développe. « Les paysans n�’ont jamais pu faire seuls la révolution...Ce sont les autres classes qui octroient les chefs de file aux paysans ».p.380. L�’oeuvre de Barrington Moore est devenue une référence indispensable et une source d�’encouragement pour les études postérieures sur le sujet qui nous occupe. Les guerres paysannes du XXème siècle d�’Eric Wolf (1969)25 Ce travail poursuit la lignée des études comparatives, cette fois les principaux processus révolutionnaires du XXè siècle. Wolf analyse les révolutions Russe, Chinoise, Mexicaine, Vietnamienne, Cubaine et Algérienne en cherchant à répondre dans chaque cas spécifique à divers questions. -Quel type de paysans participe aux soulèvements ? -Quel degré de participation est atteint par les différents types de paysans lors des rébellions ? 25 Wolf, Eric. « Peasant Wars of the Twentieth Century. New York : Harper and Row, 1969.

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-Jusqu�’à quel point la radicalisation du paysan est-elle le résultat de motivations locales plus que nationales ? -Qui sont et quel rôle jouent les agents extérieures au monde rural dans le processus de radicalisation du paysan ? A partir de la résolution de ces points d�’interrogation Wolf développe une série de généralisations qu�’il synthétise ensuite dans l�’article : « On peasant rebelions »26 Il détache à partir des études réalisées dans les six cas de processus révolutionnaires que l�’engagement soutenu de monde paysan dans les rébellions n�’est pas un phénomène très courant et est confronté à de nombreuses difficultés. Le travail du paysan s�’effectue de manière isolée et quelquefois en concurrence avec ses voisins. La routine et le poids du travail rural tend à le rattacher au monde étroit de son noyau familial. Le contrôle de la terre le fait se réfugier dans la production de subsistance. Les liens familiaux et la solidarité de communauté lui permettent d�’amortir les crises. Les intérêts du paysan vont souvent au delà des frontières de classe (compérage entre paysans riches et pauvres). L�’exclusion du paysan dans la participation à la prise de décisions externes à sa petite communauté le prive de l�’expérience et de la connaissance pour s�’organiser de manière autonome dans la défense des ses intérêts. p.237. Les limitations observées dans les communautés paysannes n�’ont cependant pas empêché qu�’en des circonstances déterminées le paysan soit capable de surmonter les barrières de l�’apathie et se lancer dans la participation politique révolutionnaire. Pour Wolf le facteur déterminant qui induit la dite participation est l�’impact de ce qu�’il appelle « les trois grandes crises » : la crise démographique, la crise écologique et la crise de pouvoir et d�’autorité ». p.238. En ce qui concerne la crise démographique le meilleur argument de Wolf est de montrer en chiffres la croissance impressionnante de la population de la campagne au cours de périodes qui ont précédé les explosions révolutionnaires. Les accroissements démographiques constituent un facteur de tension et de déséquilibre des communautés. La crise écologique est représentée par l�’avènement du marché capitaliste comme facteur principal d�’échange de biens, y compris la terre : « Ceci se remarque peut être avec plus d�’acuité en Russie où les réformes agraires successives ont menacé la poursuite de l�’accès paysan aux terres de pâturage, forêts et aux terres de cultures. Mais c�’est également évident dans les cas où la commercialisation a menacé l�’accès du paysan aux terres communales (Mexique, Algérie, Vietnam), aux terres libres (Mexique, Cuba) et aux greniers publics (Algérie, Chine) ou lorsqu�’elle a menacé l�’équilibre entre la population nomade et sédentaire (Algérie) ». p.239. Les crises démographique et écologique convergent vers la crise d�’autorité. les nouvelles élites (commerçants, industriels) défient avec succès le pouvoir traditionnel à la campagne (chefs tribaux, mandarins, grands propriétaires terriens). L�’irruption du marché a généré de fortes ruptures au niveau des liens traditionnels des communautés agraires. Il se produit une « brèche » croissante entre gouverneurs et gouvernés qui dans certains cas permettent l�’émergence d�’une élite alternative (élites locales, intellectuelles) qui se transforme en interlocutrice ou interprète des intérêts du monde paysan. C�’est dans ce contexte de crise que peut se produire la mobilisation du monde paysan mais sa participation « soutenue » est dépendante du type de paysan. Pour Wolf le paysan pauvre ou le journalier sans terre épreuve de grandes difficultés pour se diriger vers l�’action révolutionnaire, étant donné sa grande dépendance vis à vis du propriétaire terrien ou employeur et à ses moyens personnels limités pour placer dans

26 Publié à l�’origine dans « Social Science Journal, vol.2, 1969 et reproduit par Theodor Shanin dans « Campesinos y Sociedades campesinas », 1971. Les citations de Wolf sont tirées de cette reproduction.

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l�’organisation. Il n�’y parvient que lorsqu�’il peut compter sur l�’impulsion donné pour un pouvoir externe, comme dans le cas de l�’armée constitutionnaliste lors de la révolution mexicaine, de l�’armée russe en 1917 ou de l�’armée rouge en Chine. Le paysan riche tend habituellement à être relié par le pouvoir établi ou à dépendre de lui. Sa participation à la révolution est peu probable sauf dans des cas plutôt exceptionnel où la force révolutionnaire démontre une capacité évidente de détruire le pouvoir central comme cela s�’est produit au niveau de la révolution chinoise. Seul le paysan moyen, composé par les petits propriétaires et les colons ou « paysans périphériques » qui possèdent une certaine liberté tactique de mouvement ont la « force intérieure suffisante pour s �’engager dans une rébellion soutenue ». Comme exemples, Wolf cite le cas des paysans de Morelos à Méxique, les communes de la Chine, les « fellahin » en Algérie et les colons de la province à Cuba.27 Le rôle révolutionnaire de la paysannerie peut se voire renforcé s�’il existe également un degré d�’affinité culturelle et ethnique spécifique qui les différencie de l�’opposant. (La lutte contre l�’envahisseur japonais en Chine ou contre le colonisateur français en Algérie et au Vietnam). Finalement Wolf affirme que les rebellions paysannes autonomes ont toujours eu des limites définies sur les plans locaux et régionaux. La participation majoritaire des paysans dans des révolutions sociales qu�’induisent des transformations de la société se fait toujours dans le cadre d�’alliances avec des secteurs urbains et ce sont toujours les dits secteurs qui assument le contrôle des nouveaux Etats. En ce qui concerne cet aspect il rejoint la position de Moore et la vision classique du marxisme sur l�’impossibilité que le paysan puisse faire la révolution sans « leadership » externe. Paysans et sociétés paysannes de Theodore Shanin (1971).28 Ce travail de sélection de divers articles « classiques » sur la problématique paysanne a également exercé une influence importante au début de la décade des années 70. Sous le titre de « El campesinado como clase », il reproduit des extraits de Marx sur le problème paysan; tirés de « La lutte de classes en France 1848-1850 » et « Le 18 Brumarie de Louis Bonaparte ». Il présente également « Las rebeliones campesinas » d�’Eric Wolf qui résume les conclusions de son travail principal « Les guerres paysannes au XXè siècle ». Mais l�’article central de cette oeuvre est celui écrit par Shanin lui- même, « El campesinado como factor politico ». Shanin commence par une définition de la paysannerie : « ...de petits producteurs agricoles qui , avec l�’aide d�’un équipement simple et le travail de leur famille produisent surtout pour leur propre consommation et pour pouvoir répondre à leurs obligations vis à vis des détenteurs de pouvoir politique et économique ».p.216. A partir de ces caractéristiques Shanin développe sa position sur les traits propres au paysan dans la société et sa participation politique. Le lien avec la terre comme droit naturel, la ferme paysanne comme unité de base de propriété familiale, la famille comme groupe de base du travail. Le métier d�’agriculteur comme trait spécifique, le rôle du village en tant qu�’environnement naturel de la propriété familiale. A ces caractéristiques Shanin ajoute l�’importance des patrons de vie sociale caractéristiques des sociétés paysannes qui explique la « logique » de ces secteurs sociales et la manière dont

27 En termes généraux Wolf se rapproche des critères de Lénin et Mao sur les différents types de paysannerie. 28 Shanin, Theodor (recueil) « Campesinos y sociedades campesinas ». México, Fondo de Cultura Economica, 1979. Original : « Peasants and peasant Societés », Harmands Werth, Penguin Books, LTD, 1971.

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celle ci se modifie sous l�’influence des changements introduits dans les communautés par des facteurs externes comme le capitalisme . Quant au caractère de classe du monde paysan, il présent le débat parmi les marxistes sur l�’utilisation de ce concept, prennant parti pour une définition du paysan en termes de « classe ». « Au cours de l�’histoire le monde paysan a souvent agi sur le plan politique comme entité sociale du type de « classe ». De plus, la paysannerie de sociétés industrielles a démontré une certaine capacité pour l�’action politique cohérente, et pas seulement lorsqu�’elle est confrontée à de grands propriétaires terrains traditionnels dans des batailles de type pré-capitalistes. Leurs intérêts communs ont également poussé les paysans à des conflits politiques avec les grands propriétaires terriens capitalistes, divers groupes d�’habitants des villes et avec l�’Etat moderne ». p.227. Après avoir définie le cadre conceptuel antérieur Shanin développe sa position au sujet de l�’action politique du monde paysan. Tout en commençant à mettre en évidence les difficultés et les limites auxquels le paysan est confronté à fin de passer à l�’action politique, ce qui coïncide avec les idées de Wolf, Shanin élabore trois patrons principaux de participation: 1) L�’action en tant que classe indépendante considérée comme la moins fréquente. Cependant; il fait valoir les expériences des Unions paysannes de Russie en 1905, de Chine en 1926 et le Zapatisme à Méxique.29 2) L�’action politique guidée qui correspond à celle exposée par les autres auteurs étudies. C�’est le genre le plus courant de l�’action politique paysanne. 3) L�’action politique spontanée et amorphe qui peut prendre la forme de désordres locaux ou de « passivité ». Comprenons cette dernière comme une sorte de rejet silencieux et une manifestation d�’aphatie face aux situations qui affectent la vie du paysan.30 Pour finir Sahnin considère la guerre comme un autre cadre d�’action politique paysanne, tant par son intégration à une « armée de conscription » que par son engagement dans la guerre de guérillas qui est « la forme la plus adéquate pour l �’expression de l�’action paysanne armée ». Hobsbawn travaille également cet aspect dans ses études d�’histoire. En ce qui concerne la guerre des guérillas nous pourrions nous situer également dans une situation « d�’action politique guidée » dans la mesure où, en général, les leaders de ce genre de mouvements sont des noyaux extérieures au monde paysan. Pour terminer, Shanin attire l�’attention des chercheurs sur la nécessité d�’augmenter le nombre d�’études spécifiques en considérant ses multiples caractéristiques de comportement. Le chemin de la « redécouverte » des paysans était déjà tracé, il suffisait de l�’ouvrir davantage et de la « fréquenter ». C�’est ce qui arrive tout au long de la décade des années 70. Rébellion paysanne et transformation sociale de Henry A.Landsberger (1974).31 Cette autre compilation d�’études sur la problématique du monde paysan en tant que facteur de changement atteint un niveau de généralisations théoriques importantes à partir de l�’analyse et de la synthèse des cas particuliers qui y sont contenus. En effet, l�’article d�’introduction de Landsberger « Disturbios campesinos, temas y variaciones » offre un série de règles à partir desquelles les études de cas tentent de résoudre la problématique de « comment » du « pourquoi » et de « quand » des rébellions paysannes.

29 Il fallait dévoiler que l�’action autonome du monde Paysan se produit à des moments précis et non pas pendant toute la période de lutte à laquelle Sahnin fait référence dans ses exemples. 30 Shanin se rapproche ici des thèses sur « les formes quotidiennes de résistance paysanne » de Scott (1985). 31 Landsberger, Henry A. « Rebelion capesina y cambio social ». Barcelona, Grijalbo, 1978. Original : « Rural protest. Peasent movements and social change ». Londres, Mc Millan Press, 1974.

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Landsberger partage avec Wolf l�’idée sur l�’importance de définir le type de paysannerie comme base afin d �’expliquer son aptitude à l�’organisation politique (pas comme facteur unique mais comme trait déterminant). Les traits de différentiation selon Landesberger sont : 1) La possession de moyens économiques et politiques (par « économiques on se réfère à la terre, au capital et à la main d�’oeuvre; par « politiques », son influence familiale et communale et sa capacité de leadership). 2) La participation au contrôle du processus de transformation économiques (type de cultures, formes de marché et moyens à utiliser) et politiques (contrôle de l�’application de politiques agraires dans la région). 3) Participation aux bénéfices économiques et politiques. Après avoir décrit les modèles de différentiation paysanne de Lénine, Mao, Moore et Wolf, Landsberger établie l�’existence de trois situations qui se référent au statut du paysan et qui augmentent le mécontentement : a) L�’instabilité au niveau du statut; la fragilité de sa condition qui peut changer brusquement. b) Position défavorable par rapport à des autres secteurs du monde paysan ou de la société. c) Une baisse de la qualité de vie par rapport au passé. Finalement il explose les aspects essentiels à travailler pour l�’étude des mouvements paysans : 1) Dimensions du mouvement : a- action de type collectif. b-caractéristiques de la conscience qui conduit à l�’action collective. c- action de type instrumental (avec un objectif précis). d-action motivée par des facteurs de type socio-économique, politique ou culturel . 2) Analyse de changements structurels antérieurs à l�’émergence du mouvement paysan. Phénomènes à long terme et à court terme, de type économique ou politique, impacts objectifs et subjectifs de tels changements. 3) Objectifs et idéologie du mouvement, portée, profondeur et bénéfices. 4) Moyens et méthodes propres au mouvement (degré de radicalisation, pourquoi et quand en viennent ils à la radicalisation ?) 5) Base sociale du mouvement (type de paysan qui s�’y soumet). 6) Conditions qui facilitent l�’organisation (en dehors du mécontentement) Expérience d�’organisation antérieure, tradition de lutte, etc.... 7) Alliés du mouvement, rôle joué par les agents externes et les intermédiaires. Sont-ils des alliés ou des dirigeants ? 8) Les ennemis du mouvement, caractéristiques de l�’opposant. 9) Conditions et possibilités du succès ou échec du mouvement. Cet effort méthodologique pour l�’étude des mouvements paysans recueille les éléments de base des études classiques sur les rébellions paysannes réalisées jusqu�’au milieu des années 70 et offre d�’importantes pistes à suivre pour les études postérieures sur le thème. Les études de cas présentées dans le livre répondent de manière générale au schéma analytique proposé par Landsberger. De cette façon, on analyse les cas anglais, espagnol et russe avec leurs révoltes paysannes ainsi que la désintégration du féodalisme. On analyse également le thème « campesinos, desarrollo y nacionalismo » à partir d�’études de cas en Asie et Afrique du Nord après la seconde guerre mondiale et pour finir, les mouvements paysans et al réforme agraire en Bolivie.

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La Révolution agraire de Jeffery Paige (1975)32 En 1975 le travail de Paige développe un ensemble de thèses qui sont considérées comme représentatifs d�’une tendance analytique spécifique sur la participation paysanne dans le rébellions.33 Le point de départ consiste en la différentiation du type d�’action collective des paysans, en accord avec les différentes structures agraires qui caractérisent le contexte de telles actions. Paige distingue différents types d�’action collective entreprises par les paysans : 1) Mouvements en vue d�’amélioration des prix de leurs produits sur le marché. 2) Mouvements en vue d�’améliorations salariales et meilleures conditions de travail. 3) Révoltes et insurrections avec objectifs partiaux. 4) Révolution agraire : revendications paysannes combinées avec de réformes nationales et liées à des partis politiques révolutionnaires. Les types représentants le monde rural de base sont les petits et les moyens propriétaires, les travailleurs salariés des champs, les métayers, les saisonniers et les colons. En prenant aussi appui sur un travail statistique intéressant qui regroupe des données valables entre les années 40 et 70 Paige fait ressortir les tendances fondamentales de l�’action paysanne liée à sa condition socio-économique. Conformément à son travail, les petits propriétaires créent à la base des luttes pour améliorer les prix de leurs produits sur le marché; les travailleurs pour augmenter leurs salaires et améliorer leurs conditions de travail. Les métayers sont les plus enclins à la réalisation d�’actions du genre « invasion des terres ». Enfin, ce sont les travailleurs saisonniers et les colons ceux qui sont le plus disposés à s�’engager dans les luttes révolutionnaires. Le soutien statistique de Paige constitue l�’aspect le plus original de son travail et confirme des tendances sur les degrés et caractéristiques de la participation politique du paysan, problèmes qui avaient été soulevés dans des études antérieures.34 Un autre aspect qui fait que Paige rejoint les autres « classiques » est celui du rôle des agents externes (partis révolutionnaires, guérillas, etc.) en tant que catalyseurs de l�’action politique du paysan. Ce travail, en privilégiant presque exclusivement l�’aspect économique des structures agraires entre en confrontation avec la vision de Moore et de Wolf qui octroient à l�’aspect culturel et politique une place plus importante. Sociétés paysannes de Henri Mendras (1976)35 La pierre angulaire de ce travail du père de la sociologie rurale française est la définition de la paysannerie en tant que société « soumise ou encapsulée », c�’est à dire, appartenant à la société globale ou « dépendante » d�’elle. Ce concept est développée à partir de l�’oeuvre de l�’ethnologue américain Robert Redfield, l�’un des précurseurs du « boom ».36 Selon Mendras lui-même, son travail élabore une théorie du monde rural et un modèle analytique pour permettre son étude. Chaque chapitre de son livre est accompagné d�’une bibliographie spécifique estimable et à la fin, d�’une annexe, « Traditions anciennes et tendances actuelles dans l�’étude de la

32 Paige, Jeffery. « Agrarian Revolution. Social Movements and Export Agriculture in the Underdeveloped World » New York : Free press, 1975. 33 C�’est Thimothy P.Wickman- Crowley qui, dans son travail « guerrillas and revolution in latin America » met Paige comme tête de l�’une des écoles théoriques sur la rébellion paysanne au côté de J.Scott, S.Popkin et T.Skopol. 34 Les statistiques de Paige renforcent la pensée de Wolf sur le plus grande disposition des colons à participer aux rébellions mais le contredisent quant au rôle joué par les petits propriétaires. 35 Mendras, Henry. « Sociétés paysannes. Éléments pour une théorie de la paysannerie ». Paris, Armand Colin, 1976. 36 Redfield, Robert. « Peasant Society and culture », Chicago, The University of Chicago press, 1956.

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paysannerie », qui remonte au les cultures mésopotamienne, égyptienne, grecque et romaine pour en arriver aux années 70 de ce siècle. L�’introduction réponde à la question à présent « obligée » des travaux théoriques : qu�’est-ce un paysan ? Mendras réussit à élaborer une définition comportant cinq traits fondamentaux en tant que type idéal qui nous semble être l�’une de celles qui répond le plus à la réalité complexe des sociétés paysannes. Ces traits caractéristiques se trouvent dans la base de l�’agriculture et les différencient des sociétés « sauvages » et des sociétés industrielles agricoles. Type idéal de société paysanne : « 1) L�’autonomie relative des collectivités paysannes à l�’égard d�’une société englobante. 2) L�’importance structurelle du groupe domestique dans l�’organisation de la vie économique et de la vie sociale de la collectivité. 3) Un système économique d�’autonomie relative, qui ne distingue pas consommation et production, et qui entretient des relations avec l�’économie englobante. 4) Une collectivité locale caractérisée par des rapports internes d�’interconnaissance et de faibles rapports avec les collectivités environnantes. 5) la fonction décisive des rôles de médiation des notables entre collectivités paysannes et société englobante ». p.12. A partir de cette définition Mendras étudie les différents aspects de la problématique paysanne : l�’écologie, l�’économie paysanne, les groupes domestiques, les collectivités locales, prélèvement, pouvoir et médiations , révoltes et révolutions, réformes agraires, exodes ruraux, valeurs paysannes, innovations et changements politiques. Le caractère soumis de la société paysanne vis à vis de la société globale, en instaurant des limites à son autonomie, le conflit culturel entre société globale et société paysanne, les formes intermédiaires qui agissent en tant que mécanismes de contact pour résoudre les conflits, négocier ou imposer quelque chose en accord avec les circonstances (les « notables » apparaissent en tant que personnages jouant le rôle d�’intermédiaires) sont d�’un intérêt particulier pour notre travail. Dans le chapitre « Révoltes et révolutions » il indique divers exemples de révoltes paysannes au moyen-Age et de processus de transformation révolutionnaire survenus à partir de la révolution française et de l�’industrialisation dans lesquels le monde paysan a joué un rôle fondamental. En se rapprochant des travaux de Moore et Wolf, Mendras met en évidence comment les conditions historiques particulières de chaque société paysanne et le genre de relations qu�’elles maintiennent avec la société globale, représentent un élément clé (pour comprendre le rôle de la paysannerie dans le processus révolutionnaires. Un autre aspect qui nous parait intéressant dans la recherche de réponses à la logique politique paysanne est traité dans le chapitre sur les « valeurs paysannes ». Mendras relativise des aspects considères comme lois universelles par les ethnologues qui voient dans « l�’amour de la terre et de la famille », des caractéristiques abstraites propres à tout type de paysan. A partir d�’un travail comparatif, il est possible de voir des différences significatives dans le valeurs d�’une société à l�’autre. Il en est de même dans qui concerne une capacité d�’adaptation à des situations changeants dans la recherche du bénéfice. Les travaux du terrain montrent, selon Mendras, que même les paysans les plus traditionnels sont capables de changements rapides et transcendantaux. Le travail de Mendras est élaboré à partir d�’un tableau théorique très solide. C�’est un apport indiscutable à la recherche de la compréhension de la problématique paysanne qui devrait occuper une place plus importante dans les compte-rendu bibliographiques sur le sujet. Dans le cas particulier des études historiographies et compte-rendu élabores en Amérique latine, il est assez rare de trouver de références à ce travail.

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L�’économie morale du paysan de James Scott (1976)37 Les idées de Scott consignées dans ce travail se sont érigées en espèce de sommet de l�’école de « l�’économie morale » à côté des travaux de Moore (1966), Wolf (1969), Hobsbawm (1959), entre autres.38 L�’auteur interprète les interrelations qui existent entre les conductions socio-économiques et politiques du Sud-est Asiatique pendant la période néo-coloniale (irruption du capitalisme) et les formes de réaction de la paysannerie liées à une tradition culturelle ou ce que Scott appelle « formes de résistance ». Le point de départ est l�’analyse de l �’économie paysanne considérant que le comportement du paysan est déterminé par des modèles normatifs qui reflètent une « éthique de subsistance ». Dans le but de conserver un niveau fondamental de stabilité pour les membres de la communauté le paysan a une tendance naturelle à subordonner son bien-être personnel à ses devoirs de solidarité collective. Les stratégies de subsistance se construisent en fonction des nécessités de la communauté. Face à l�’intervention du marché capitaliste dans la communauté, l�’option de la paysannerie est de maintenir la tradition qui leur garantisse le contrôle des coûts de production et un niveau minimum de subsistance. Cette attitude été la base de leur résistance. le paysan revendique le maintien des relations traditionnelles de domination pré-capitaliste. L�’éthique de subsistance englobe un système de droits et d�’obligations des groupes dominants et des subordonnés qui existent à l�’intérieur de chaque communauté (le relation « patron-client »). Le paysan accomplit ses devoirs à l�’égard du patron (propriétaire terrien, mandarin, ...) en payant ses impôts et en offrant les services demandés, tandis que le patron est obligé d�’assurer la protection du paysan et à lui garantir un niveau minimum de subsistance en période de crise. cette réciprocité (bien qu�’inégale) se transforme en norme morale centrale de l�’économie paysanne. p.167. Lorsque cet état normatif était rompu du côté des élites, c�’est alors que se présentait la tendance des paysans à se rebeller en remettant en question tout le système paternaliste « patron-client ». La résistance de la paysannerie face au marché capitaliste et à toutes ses implications collatérales est un phénomène naturel et logique mais qui ne se traduit pas toujours par des rébellions soit que le paysan parvienne à développer d�’autres stratégies de survie (par exemple migrer) soit qu�’il n�’ait pas les dispositions nécessaires ou les possibilités de se rebeller. Il est très difficile de caractériser exactement quel genre de paysan est le plus apte à s�’attacher à la rébellion. Les moments où les paysans défendent ou cherchent à refaire leur monde par la force sont plutôt exceptionnels. En général les paysans sont victimes sans grands moyens de défense d�’une situation que les affecte et qui provient de forces puissantes. Le plus grande partie du temps, dans la majorité de cas, l�’attitude du paysan englobe d�’autres comportements de résistance. « La liberté des paysans à élaborer et définir leur propre culture est en général plus

37 Scott, James. « The Moral Economy of the Peasant : Rebellion and Subsistance in Southeast Asia. New Haven : Yale University Press, 1976. 38 Brooke Larson (1986), historienne nord-américaine, présente Karl Polanyi (1944) comme étant le véritable précurseur de « l�’économie morale » pour son étude sur la transition d�’une société préindustrielle traditionnelle à une économie de marché. Polanyi réfute les conceptions du libéralisme économique qui présentent la motivation par le gain comme « naturelle » même dans les sociétés primitives en montrant comment avant l�’arrivée du capitalisme « la majorité de sociétés organisaient la production et la distribution en fonction de motifs non économiques qui sauvegardaient la trame de réseaux sociaux ». Ce dont Polanyi ne s�’occupe pas, ce sont des formes de résistance des communautés face à l�’impact des nouvelles formes de production et de reproduction. De cela, se chargent ses successeurs.

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grande que leur capacité à réformer la société et c�’est justement vers la culture que nous devons porter nos regards pour comprendre jusqu�’où l�’univers des paysans est différent de celui des élites...quelquefois, les paysans n�’ont aucune possibilité d�’exprimer leur non-conformité avec l�’injustice mais si l�’on cherche dans leur culture, l�’on trouve que les paysans sont conscients de leur situation ... » p.239. « L�’univers alternatif » du paysan représente réellement sa conscience de classe et son potentiel révolutionnaire. Quant à la stratégie des communistes pour attirer le paysan vers l �’engagement et la participation à la lutte anti-coloniale à partir de la perspective politique, Scott démontre de quelle façon ils se sont appuyés sur les structures traditionnelles des communautés (lien patron-client). Les dirigeants communistes étaient en général des propriétaires moyens,quelque fois importants, des commerçants, des professeurs et autres notables. Cependant la participation du paysan à la lutte politique révolutionnaire, malgré son grand impact, ne représente rien d�’autre qu�’une période conjoncturelle alors qu�’il existe des formes de lutte quotidiennes de résistance peu étudiées par les diverses disciplines des sciences sociales. De nombreuses années après l�’élaboration de son travail sur l�’économie morale, Scott complète sa théorie avec une étude « Weapons of the Weak.Every forms of Peasant resistence in South-Est-Asia ».39 « Même dans des révolutions qui ne nous permettent pas d�’obtenir gain de cause, il y a des leçons à tirer. Ces expériences peuvent également apporter quelque chose au monde paysan et avoir leurs effets. On peut gagner quelques points de revendications au patron à l�’etat...et laisser ainsi une sorte de mémoire dans l�’histoire des expériences qui s�’accumulent au bénéfice de luttes futures ». p.5 « Une histoire de la paysannerie qui se réduit à l�’histoire de ses révoltes est comme l�’histoire des ouvriers d�’une usine qui ne voit pas que la grève; bien qu�’importants, ces épisodes nous éclairent très peu sur la quotidienneté du conflit de classes, c�’est à dire, sur les formes quotidiennes de résistance » p.6. Les expressions quotidiennes de lutte vont au delà du cadre de l�’action collective traditionnellement étudiée par les chercheurs. Il existe des facteurs qui expliquent pourquoi il ne se produit toujours des actions politiques des paysans face aux situations qui les affectent:40 l�’hétérogénéité et les difficultés à se mettre d�’accord étant donné l�’isolement individuel, l�’engagement du paysan dans des alliances de type familial et de compérage avec les patrons qui génèrent une différentiation de classe difficile, la difficulté du travail paysan qui épuise les énergies disponibles nécessaires à l�’organisation. Dans ces circonstances, le paysan opte pour une « adaptation » à une situation négative et la résistance s�’en remet à d�’autres formes d�’action. Pour Scott ces manifestations silencieuses de la lutte des classes ont trois caractéristiques de base : 1)Ce ne sont pas des protestations globales contre l�’Etat ou la société. 2) Ce sont des actes individuels. 3) Elles ne sont pas revendiqués publiquement par les paysans. Le vol de riz au patron, le fait d�’abîmer une machine, de cacher une partie de la récolte pour payer moins d�’impôts, de rejeter la prestation du service militaire, tous ces actes sont de formes de résistance qui, bien qu�’individuels et isolés, peuvent à un moment donné se transformer en un modèle de conduite et s�’étendre parmi les paysans. Même si de tels actes ne

39 Scott, James. « Weapon of The Weak. Everyday forms of Peasant resistence ». New Haven : Yale Universiy Press, 1985. Une synthèse de ce travail a été publié une année plus tard par « The Journal of peasant Studies », vol.13, n°2 janvier 1986. C�’est à partir de la dite synthèse que nous exposons les idées centrale de Scott. 40 Sous cet aspect, la position de Scott est semblable à celle de Wolf (1969) bien que le deux développent la question posée vers des conclusions différentes.

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sont pas organisés, s�’ils viennent à se regrouper à grande échelle, ils peuvent arriver à avoir un impact global important. Pour Scott, il est plus important de s�’expliquer les formes quotidiennes qui en viennent à ces expressions de la lutte de classes, que se mettre à faire de grands exposés théoriques sur la paysannerie en tant que classe sociale. Le paysan rationnel de Samuel Popkin (1979)41 Appuyé également sur l�’étude de l�’expérience vietnamienne du début du XXè siècle, le sociologue nord-américain engage un débat avec les théoriciens de l�’économie morale, en particulier sur les problèmes posés par Scott. Le travail de Popkin représente la critique morale la plus complète qui ait été fait vis à vis des « économistes moraux ». Il y a un rejet de l�’idée globale qui consiste à dire que le marché capitaliste a toujours eu un impact destructeur de l�’économie paysanne et que les paysans résistent, et s�’opposent toujours, de façon naturelle, à s�’intégrer à la dynamique capitaliste. A partir de l�’étude sur le Vietnam il est démontré comment le paysan recherchait les bénéfices qu�’il pourrait tirer à s�’adapter à une nouvelle situation et quelquefois il y parvenait en usant de comportements rationnels qui ne répondaient pas à la tradition mais à la recherche du bien-être et pas seulement sur le plan économique. Il avait une conduite pragmatique également dans ses décisions sur le comportement politique à adopter. Popkin fait une présentation critique de ce qu�’il considérait comme les traits fondamentaux de l�’économie morale et à partir de sa mise en question pose le problème de « l�’économie politique » comme cadre de référence le plus approprié pour comprendre le comportement du paysan. Aspects centraux de l�’économie morale : 1) Le plus important pour le paysan est d�’éviter les risques . l�’économie de subsistance est préférable aux incertitudes du marché. 2) Importance du village en tant qu�’institution autour de laquelle se construit le monde paysan, se constituant en garantie de subsistance. 3) La relation « patron-client » en tant que forme traditionnelle de maintien de l�’harmonie de la communauté qui est brisé par l�’arrivée du marché. Cette théorie laisse beaucoup de questions sans réponses. Comment naissent ces liens « patron-client » ? D�’où viennent-ils ? existe t�’il un genre quelconque de mobilité sociale entre eux ? Sont-ce des relations véritablement stables ? Comment sont réellement les liens entre l�’individu et la communauté ? L�’auteur avance l�’argument que « les institutions du village fonctionnent moins bien que ce que l�’on croie. Cela était dû en bonne mesure au conflit entre les intérêts des individus et les intérêts du groupe. Il faut prêter une bien plus grande attention aux motivations de bénéfices personnels du paysan ». p.17. Pour comprendre le monde paysan il vaut mieux partir de l�’étude des formes individuelles de décisions dans leur recherche de la survie. Conformément à ce qu�’il est observé au Vietnam, il n�’est pas non plus certain que le paysan ne prenne jamais de risques dans la recherche de l�’augmentation de ses bénéfices. Des attitudes telles que le changement dans le type de récolte, l�’achat d�’animaux pour diversifier ses sources de revenus ou le fait d�’envoyer ses enfants travailler dans autres endroits, montrent un comportement non-conservateur.

41 Popkin, Samuel. « The rational Peasant. The Political Economy of Rural Society in Vietnam ».Berkeley : University of California Press, 1979.

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Il y a une remise en question de l�’harmonie supposé du village. Bien au contraire, sa structure inégale et stratifié, renforce les différences es est source de déstabilisations parmi les paysans. L�’harmonie villageoise a plus existé dans les rêves des chercheurs que dans la réalité. Les constituants d�’une communauté ne peuvent pas être définis de manière rigide. les changements et les révolutions sont constants et source de conflits. Il ne s�’agit pas de nier l�’importance du bourg mais bien de faire ressortir que par le paysan le plus important est la famille. Son travail communautaire au sein de village est en fonction de bénéfice qu�’il représente pour la famille. Dans ce monde communautaire que représente le village se présentent également de nombreuses situations d�’incertitude qui font que le paysan n�’est pas sûr des bénéfices qu�’il obtiendra pour un travail déterminé. L�’idée exposée par l�’économie morale que c�’est avec l�’arrivée du capitalisme et du marché que les insécurités pour la subsistance de la communauté commencent à voir le jour n�’est pas chose certaine. Quant aux liens « patron-client », on peut dire qu�’ils sont basés sur une corrélation de forces inégales et loin d�’être harmonieuses. Ils ont également représenté une source importante de conflits pas seulement chez les paysans qui se rebellaient contre le patron mais également chez les patrons. « Il ne faut pas oublier que les mouvements contre le colonialisme français ont de succès non seulement en raison de leur caractère anticolonialiste mais également du fait qu�’ils sont anti-féodaux ». p.185. Une bonne partie des notables traditionnels des villages se sont alliés aux français et ont été les premiers à être éliminés lors de l�’avance de la lutte de libération. Ce type de patrons était méprisé par le paysan plus que les français eux-mêmes. Mais l�’impact du colonialisme ne peut être analysé de façon unilatérale. Avant que la lutte contre le colonialisme ne prenne naissance, le paysan essaie de s�’adapter à la nouvelle situation et dans certains cas parvient à obtenir des bénéfices (de phénomènes tels que l�’expansion du marché interne et l�’ouverture du marché vers l�’extérieur). Pour avoir une idée plus précise de l�’influence de capitalisme dans les communautés paysannes, il faut faire des études différenciées au niveau local. En ce qui concerne l�’aspect politique, au grand poids que représentent pour le paysan les abus de la bureaucratie et de l�’armée française, s�’ajoute l�’influence coloniale qui augmente la stratification sociale, donnant davantage de privilèges aux notables et renforçant par conséquent la non-conformité des paysans qui commence à s�’exprimer à travers de nombreux types de mouvements révolutionnaires. Le comportement du paysan face aux alternatives anti-coloniales et anti-féodales montre bien qu�’il existe une rationalisation de son engagement en fonction du bénéfice qu�’il pourra obtenir. Le paysan développe des stratégies afin de maximaliser les bénéfices par son engagement dans les organisations révolutionnaires et celles-ci à leur tour doivent être capables d�’attirer le paysan grâce à des offres suffisamment convaincantes telles que garantir un militantisme soutenu. Le travail de quatre types de mouvements se détache : Les sectes bouddhistes Kao Dai et Hoa Hao ainsi que les catholiques ont offert au paysan des possibilités d�’organisation, en obtenant des avantages économiques et des mécanismes de résistance contre les excès des patrons et de l�’organisation coloniale. Mais le mouvement le plus important a été celui du Parti Communiste qui est parvenu à établir une organisation décentralisé étendue à tout le pays. Les communistes exerçaient un pouvoir alternatif organisant la production, sollicitant la justice, non seulement contre les patrons alliés des français mais également au niveau des litiges entre les membres de la communauté. La clé du succès des communistes fut d�’avoir sû être flexibles dans leur façon de traiter avec les paysans, en interprétant leurs intérêts concrets pas seulement en ce qui

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concerne l�’objectif stratégique de la lutte anti-coloniale , mais surtout en ce qui touche à la recherche du bien-être immédiat du paysan. Pour finir, on peut déduire de l�’étude sur cette expérience que la participation des paysans dans l�’action collective révolutionnaire provient de leurs intérêts individuels et que cette action se produit, non au moment le plus critique de leurs possibilités de subsistance , mais losrqu�’il existe une organisation avec une direction solide qui sache différencier et articuler les intérêts individuels et ceux du groupe.42 Etats et révolutions sociales de Theda Skocpol (1979)43 Ce travail établit l�’existence d�’élément communs dans les processus révolutionnaires de France, Russie et Chine à partir d�’une étude complète d�’histoire comparée. On étudie les révolutions comme des faits exceptionnels mais qui ont une incidence déterminante dans l�’histoire des sociétés. (p.19). Les caractéristiques de la participation paysanne dans les trois révolutions est l�’un des aspects développés dans son travail. L�’on part d�’une analyse macro-structurelle des sociétés en s�’appuyant sur le marxisme et sur les théories du « conflit politique » développées par Charles Tilly (1978) pour expliquer les révolutions sociales. Des éléments tels que les conflits de classe, le rôle de l�’Etat, l�’influence déterminante des contextes internationaux et la construction de l�’action collective et de l�’organisation politique constituent les fondements de la théorie de Skocpol. Quant au rôle des paysans, elle démontre que lorsque les révolutions ont triomphé, c�’est qu�’il y a eu coïncidence entre la crise politique de la société (effondrement de l�’Etat-guerre externe) et les soulèvements paysans, ce qui a eu pour effet la situation révolutionnaire. Dans les trois cas étudiées , ce sont les révoltes paysannes contre les grands propriétaires terriens et non les luttes urbaines qui ont été l�’élément nécessaire au triomphe. Les caractéristiques de la structure économique agraire ont joué un rôle central, déterminant l�’une des causes des révolutions sociales dans les trois pays. p.213. En France, il existait une économie agraire en expansion mais qui n�’avançait pas avec conviction vers l�’agriculture capitaliste. En Russie, il se présentait également une croissance extensive mais peu développée, surtout dans les régions centrales. En Chine, nous voyons également un pauvre développement du secteur en relation avec l�’augmentation de la population et le nombre de terres disponibles. En ce qui concerne les conditions favorables aux insurrections paysannes, on étudie deux variables: la structure de classes à la campagne et la politique locale. p.214. Dans le cas français les paysans pauvres étaient propriétaires d�’environ 40% des terres et en travaillaient plus de 80%. La communauté paysanne s�’opposait au paiement des impôts aux seigneurs. Les villages avaient une autonomie relative sous la surveillance des agents royaux. En Russie plus de 60% des terres appartiennent aux paysans qui contrôlent le processus de production mais sont obligés de payer des rentes et des indemnisations. Il existe une communauté forte sur la propriété collective. Comme dans le cas français, le village est quelque peu autonome mais reste placé sous la vigilance lointaine de la bureaucratie tsariste. Enfin en Chine, les paysans détiennent plus ou moins 50% de la terre et en travaillent la totalité sous forme de petites parcelles moyennant le paiement de rentes à la « gentry » 42 La théorie de Popkin sur les paysans et l�’action collective ou ce que lui appelle « l�’économie politique » s�’inspire de façon fondamentale du travail de Mancur Olson « The logic of collective action (1965). On peut également trouver des points de concordance avec la théorie de Charles Tilly développée dans le livre « From Mobilisation to Revolution » (1978). 43 Skocpol, Theda. « States and Social Revolution. A comparative Analysis of France, Russia and China ».Cambridge, University Press, 1979.

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(noblesse) sans qu�’il existe de formes d�’organisation communautaires. La vie locale est contrôlée par les membres de la « gentry » qui collaborent avec les fonctionnaires impériaux. C�’est dans ce contexte que se créent peu à peu les conditions pour que le paysan adopte des comportements de rébellion contre les grands propriétaires terriens. Mais le succès des soulèvements est en relation directe avec les autres développements nationaux et internationaux de la crise des Etats autocratiques. Les rébellions paysannes ne peuvent s�’expliquer seulement par l�’état des structures de classes à la campagne et les politiques locales. p.164. C�’est justement de par l�’analyse macro-structurelle dans l�’étude du comportement du paysan que le travail de Skocpol mérite une mention spéciale parmi les théories élaborées au sujet de la rébellion paysanne. C�’est avec les travaux de Popkin et Skocpol en 1979 que s�’achève la décade les plus prolifique quant aux études, développant une tendance à la généralisation et à l�’élaboration de théories sur le pourquoi et le comment des révoltes paysannes. Les oeuvres présentées jusqu�’ici répondent à cet intérêt. Il est important d�’observer que ces travaux théoriques partent d�’études de cas concrets. de manière simultanée, d�’innombrables monographies virent le jour inspirées en général des oeuvres les plus importantes. Cette tendance sepoursuit dans les années 80 avec une inclination évidente à la diminution et démunie des prétentions théoriques des années 60 et 70.44 C. Quelques études Latino-américaines. Dans le cas de l�’Amérique latine nous avons vu comment certains des travaux qui ont inspiré les grandes théories sur la rébellion paysanne ont tenu compte des études effectuées sur la révolution mexicaine et cubaine et à un degré mineur des rébellions et du mouvement paysan en Bolivie, Pérou et Colombie (Wolf, Hobsbawm par exemple). Bien que nous ne le considérons pas comme générateur de théorie sur le problème paysan, ils nous parait important de mentionner le travail cordonné par Ernest Feder (1973) « La lucha de clases en el campo ». C�’est un autre recueil d�’articles que portent sur divers aspects de la problématique agraire en Amérique latine. Certains d�’entre eux vont au delà du problème agraire pour prendre position face à l �’ensemble de problèmes qu�’affronte le sous-continent , tel que « Siete tesis equivocadas sobre América latina » de Rodolfo Stavenhagen.45 Un autre article « classique » reproduit dans cette oeuvre est celui de Gerrit Huizer « Las organizaciones campesinas de Latinoamérica » qui présente une synthèse des caractéristiques du mouvement paysan au Méxique, en Bolivie, au Venezuela, Pérou et Brésil et avance quelques conclusions sur les traits communs aux dits mouvements. Huizer observe le processus graduel qu�’empruntent les luttes paysannes, commençant toujours par des pétitions légales et avançant toujours vers des postions plus radicales qui vont au-delà du cadre légal en accord avec les circonstances. On va également au-delà de la revendication de la terre en tant qu�’élément central des luttes paysannes.

44 Nous faisons référence dans le concret au cas Latino-américain. 45 Stavenhagen remet en question la validité de thèses tels que la dualité des sociétés latino-américaines, l�’accès au progrès par la voie de l�’industrialisation , le retard du monde rural en tant qu�’obstacle pour le plein développement du capitalisme, l�’intérêt des « bourgeoisies nationales » à rompre le pouvoir des oligarchies foncières, les classe moyennes comme moteur de progrès dans les sociétés latino-américaines, le métissage en tant que générateur d�’intégration nationale, l�’alliance ouvrière-paysanne comme garantie de la conquête du progrès. Ces idées représentaient des lieux communs chez les élites intellectuelles et politiques avec différentes nuances. Le temps s�’est chargé de donner raison à Stavenhagen dans certains aspects et de lui donner tort quant à autres.

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Il fait également ressortir le rôle qui jouent certains agents externes au monde rural dans le processus de prise de conscience et d�’organisation, ou bien la mise en contact des « leaders » paysans avec d�’autres expériences de lutte à caractère urbain. Nous faisons là une parenthèse en ce qui concerne l�’oeuvre de Feder pour mentionner un autre travail de Huizer (1975) « Organizaciones campesinas y su potencial revolucionario. estudio comparativo de algunos casos en América latina y Asia ». En étendant son étude à quelques cas asiatiques, l�’auteur renforce sa thèse sur le rôle de la prise de conscience et traite également des circonstances et des facteurs qui déterminent le potentiel révolutionnaire des mouvements paysans. Ses thèses coïncident sur les points fondamentaux avec les théories de « l�’économie morale ». Nous en revenons à la compilation de Feder et nous trouvons face à une article de Wolf « Fases de la protesta rural en América latina » qui part de l�’étude des conditions structurelles du monde rural et des ses processus de changement pour analyser les dynamiques de la protestation paysanne. Le développement de l�’hacienda est l�’axe central du changement structurel . Pour Wolf l�’hacienda est passée par trois phases fondamentales et à chacune d�’entre elles corresponde des formes de protestation particulières du monde paysan. La première phase est celle de l�’expansion au cours de laquelle l�’hacienda dominait de façon prépondérante la société rurale. La résistance des petits propriétaires dont l�’existence et l�’autonomie était menacée par l�’hacienda a été la réponse qui s�’est manifestée avec plus ou moins d�’intensité en Amérique latine (XVIIIè et XIXè siècles). La seconde phase est celle de la stabilisation et de la coexistence de l�’hacienda avec d�’autres formes productives. D�’autres schémas de protestation se présentent alors. Le prolétariat rural qui commençait à émerger dans les plantations a été le plus actif dans l�’exigence de meilleures conditions de travail. Le syndicalisme s�’est propagé sous l�’influence des partis politiques urbains et au contact des syndicats ouvriers (années 1920-1930). Lors de la troisième phase celle de dissolution du système de l�’hacienda; l�’on assiste de façon fondamentale aux invasions des haciendas par des paysans colons, par des métayers et des fermiers qui réclament leur droit à la propriété de la terre qu�’ils ont travaillé ou dont les titres de propriété sont mis en question. Cette catégorisation est valable en tant qu�’étude historique mais, en toute logique, ne peut rendre compte des changements postérieures dans le problématique agraire qui impliquent de nouvelles structurelles et différents types de réponde paysanne. Parmi d�’autres études de cas, produites dans les années 70 et auxquelles nous avons pu avoir accès, il nous semble important d�’en détacher quelques unes. L�’oeuvre de John Womack Jr. (1970) « Zapata » est une étude très complète des caractéristiques personnelles et du contexte socio-économique, politique et culturel qui a entouré la vie du dirigeant agraire de la révolution mexicaine Emiliano Zapata. C�’est également l�’histoire de la révolution mexicaine vue à partir de la révolte paysanne. « La Crisitiade » de Jean Meyer (1973) est un autre travail classique de grand intérêt. Histoire du mouvement de révolte paysanne dans la région centrale de Mexique entre 1926 et 1929. « La Cristiade » a comme motivation la défense de la religion catholique face à des mesures adverses prises pour la révolution contre l�’Église. Le mouvement des « cristeros » est considéré comme l�’une des rares révoltes authentiquement paysannes où le rôle des agents externes a été minime (l�’Eglise). Selon Meyer « les cristeros ont été capables avec de limites que tout cela implique, de porter en avant un mouvement sans avoir reçu d�’ordres extérieures, d�’imaginer un programme politique rationnel et positif, d�’encourager une solidarité fondamentale au sein du peuple ». p.386 Tome I. Dans le cas du Pérou, nous avons déjà cité l�’étude de Hobsbawm (1974) sur les paysans de La Convencion.

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Une étude pas très connue mais pas pour autant moins intéressante réside dans le travail de David Lehman et Hugo Zemelman (1972) « El campesinado : clase y conciencia de clase » sur le monde rural chilien. Ce travail nous propose une méthodologie afin d�’étudier le conscience du monde rural à partir d�’une étude du terrain dans la vallée centrale de Chili. Des aspects tels que le paysan face au travail et la vulnérabilité face aux agents externes servent aux auteurs à construire une modèle type de la conscience des paysans. A partir de la prise de position face à la structure sociale, aux relations entre groupes ou classes, aux relation face à des groupes de pouvoir (partis politiques, Etat), à leur conception de la propriété et la communauté, les auteurs déduisent l�’existence du monde rural étudié : conscience dépendante, conscience de classe et conscience paysanne. Dans le cas de la conscience dépendante, il est fait allusion aux relations « patron-client » à caractère vertical, où le patron peut être soit l'hacendado, soit le représentant de l'état, soit un groupe de pouvoir. Quant à la conscience de classe, elle est liée à un processus de valorisation positive de soi-même, par opposition à un jugement négatif des autres secteurs (le patron, l'Etat, etc.). La syndicalisation et le rôle des agents externes ou le contact avec d'autres expériences d'organisation populaire, jouent un rôle important dans l'acquisition de ce type de conscience. En fin de compte, la conscience paysanne est définie comme un attitude pragmatique et instrumentaire. Le paysan cherche avant tout son bénéfice propre et c'est en fonction de cet objectif qu'il agit, en adoptant des comportements qui peuvent se présenter sous des formes de conscience dépendante à certains moments, de classe dans d'autres, en accord avec les circonstances. Cette étude de cas montre que les divers types de conscience surviennent en lien étroit avec les circonstances du contexte qui entoure le paysan et ne peuvent être déterminés à priori. La décade des années 80 continue à être prolifique en études monographiques avec, cependant, moins d'intensité que dans les décades antérieures. Nous sommes à l'aube du "boom" qui va de pair avec une diminution du rôle politique protagoniste des paysans dans le Tiers-Monde. Mais cette absence de protagonisme ne découle pas d'une perte intrinsèque de la capacité de rébellion du paysan. Roberto Santana (1985) parle de la "généralisation dans les campagnes des formes modernes d'encadrement accompagnées çà et là de la création d'espaces où les demandes paysannes peuvent être politiquement négociées" (p.14). Ce phénomène n'est cependant pas nouveau en Amérique Latine. Le rôle de l'Etat fait que les luttes sociales sont, de manière générale, liées à une logique d'institutionnalisation. Santana montre comment depuis les années trente, le monde rural Latino-américain joue un rôle déterminé par l'Etat, qui est de contribuer à la consolidation des transformations politiques et sociales transcendantales, en citant les cas du Mexique de Cardenas, la Bolivie du MNR, le Guatemala d'Arbenz ou la Colombie et le Chili des années 60. Touraine (1988) pour sa part, prenant comme point de référence sa théorie sur les mouvements sociaux établit que, en des termes généraux, les mouvements sociaux paysans n'ont pas existé en Amérique Latine par le fait même de la subordination à l'action de l'Etat dont souffrent les paysans, qui limite leur capacité d'action collective autonome.46

46 Cependant, Touraine lui-même, souligne diverses expériences de luttes paysannes liées à la revendication de la terre ou à des problématiques ethniques dans lesquelles le monde rural apparaît comme « délimité » de l�’État bien que son autonomie soit relative et ce du fait des relations avec des agents externes (en général des partis politiques). Il nous semble que la définition de mouvement social donné par Touraine est un idéal type très rigide pour caractériser les mouvements populaires en Amérique latine.

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Dans le contexte des années 70, apparaissent également d'autres formes de résistance qui, d'une certaine façon, prennent la relève des formes "traditionnelles" de lutte paysanne que nous avons étudiées jusqu'à présent et qui commencent à s'épuiser. D'autres revendications apparaissent (ou dans certains cas réapparaissent) à caractère ethnique, communautaire ou civique, qui adoptent diverses modalités de résistance.47 Mais pour en revenir à notre thème, que ce passait-il alors chez les paysans (sans inclure le monde rural indigène) en thermes d'organisation et de mobilisation politique? La vérité est que dans le contexte des études Latino-américains des années 80 sur la paysannerie, nous ne trouvons pas beaucoup de réponses. La majorité des études sont rétrospectives, historiques ou des compte-rendu bibliographiques. Le Bot 48nous présente une réflexion critique de l'applicabilité des thèses de Wolff et Moore dans l'études des luttes paysannes en Amérique Latine. Il en est de même d'un compte rendu des principaux travaux réalisés en France sur le thème. Le Bot signale, cependant, que la plus grande partie des travaux étudiant le problème de la Réforme Agraire pour ne laisser qu'une place mineure à l'analyse des luttes paysannes. Quant à la définition de société paysanne, Le Bot se rend compte49 à partir de ce qui a été exposé par Mendras (1976), Wolf (1966), Shanin (1971) et Landsberger (1974) qu'il n'est pas possible d'établir une seule définition rigide qui réponde à la complexité des divers types de sociétés paysannes que l'on rencontre de façon concrète lorsque l'on confronte les études de cas. Le même critère est valable lorsqu'il s'agit d'établir les différents types de paysannerie. Nous mêmes pourrions ajouter qu'une précaution identique devrait être prise dans le cas des diverses typologies des mouvements paysans latino-américains. Le Bot nous présente la définition de la Commission Internationale d'histoire des mouvements sociaux qui dresse une liste de 5 types de mouvements : A. Mouvements dirigés contre l'ordre colonial et ses survivances; B. Mouvements paysans contre la faim, contre les accapareurs de terre, contre l'Etat fiscal; C. Mouvements paysans dans leur rapport avec les mouvements ethniques et les mouvements nationaux; D. Mouvements paysans visant l'accenssion à la propriété; E. Mouvements paysans visant à adapter l'agriculture à l'économie de marché ou résultat de son intégration par le secteur industriel et commercial. Lehmann de sa part tente également d'établir une typologie comportant trois catégories de mouvements : a. mouvements de feudataires et autres types de paysans à l'intérieur d'haciendas décentralisées; b. mouvements de paysans organisées en institutions autonomes de contrôle sur la terre, tels que "communautés paysannes" ou "villages"; c. syndicats de travailleurs agricoles salariés. Nous avons déjà vu comment Wolf (1972) essaye de trouver une autre typologie liée à la structure de la terre et Le Bot nous cite aussi la classification établie par F Chevalier (1977) liée aux facteurs agraires, aux composantes religieuses et aux facteurs ethniques. Le travail de Santana (1985) nous montre l'évolution des formes d'organisation et de mobilisation paysanne avec pour repère les acteurs venant de l'Etat, les partis politiques,

47 Consulter entre autres les travaux d�’ERSIPAL (Equipe de Recherche sur les sociétés Indiennes-paysannes d�’Amérique latine) En particulier le document de travail (33-34) s.d. « Paysanneries, mouvements sociaux et pouvoir en Amérique latine » Zapata, F.;Santana R.;Gros, C.;Le Bot, I. 48 Document de travail (33-44) Ersipal, s.d. 49 Document de travail (33-44), Op.Cit.

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l'église et le rôle de l'idéologie. Sa vision de la crise des formes traditionnelles d'organisation et la perspective de nouvelles expressions de résistance paysanne rejoint le travail de Zapata (1985) sur le nouveau caractère des mouvements sociaux en Amérique Latine. En nous déplaçant un peu vers autre aspect de notre problématique, nous nous trouvons confrontés à l'étude de l'attitude du mouvement révolutionnaire (partis de gauche, guérillas) face au mouvement paysan. Arturo Warman (1988) mentionne comment, avant que les chercheurs, les révolutionnaires se servent de leur "flair" au niveau des potentialités politiques de la paysannerie. Il était difficile de trouver un mouvement révolutionnaire qui ne cherche pas à s'appuyer sur la base sociale paysanne, en particulier à partir des années 60, sous l'influence de la Révolution cubaine. Nous ne connaissons pas beaucoup de travaux qui approfondissent le problème des caractéristiques de cette relation révolutionnaires - paysans. C'est un élément qui est toujours mentionné comme étant un facteur important au niveau des caractéristiques de l'action politique paysanne (rôle des agents externes) mais c'est plutôt dans des études spécifiques sur la gauche latino-américaine (plus exactement les guérillas) que l'on analyse cette relation complexe "avant-garde"-paysannerie. Dans l'oeuvre "La critique des armes" (1974)50 l'on trouve une étude importante au sujet de l'échec de la première vague d'expériences "foquistas" en Amérique Latine, après la Révolution cubaine et la marginalité chronique de la gauche communiste. Ce livre dédie une certaine place à la relation complexe entre les révolutionnaires et les bases paysannes. Dans les mouvements guérilleros latino-américains n'est pas seulement entrée en jeu une "lecture" volontariste des expériences cubaine, vietnamienne et chinoise, entre autres. Ils ont également dû affronter des Etats qui, en plus de la répression, ont mis en fonctionnement divers mécanismes de ralliement et de neutralisation des luttes paysannes, qui sont arrivés à produire des effets démobilisateurs incontestables. "La critique des armes" de Debray était avant tout une analyse politique qui continuait à prendre parti pour la révolution en Amérique Latine mais réalisée de façon différente. En 1979 le Front Sandiniste de Libération Nationale triomphe au Nicaragua et c'est alors que s'initie la seconde vague de lutte armée qui surpassait sous de nombreux aspects la théorie du "foyer". On est parvenu à articuler le mouvement de masses et la lutte armée et à se doter d'un programme politique plus vaste qui a attiré de nouveaux secteurs sociaux et politiques vers la lutte révolutionnaire. Les salvadoriens, guatémaltèques et colombiens apprennent la leçon bien qu'ils n'en tirent pas les mêmes résultats. Debray (1979) applaudit le triomphe sandiniste comme étant la confirmation de ses critiques sur le "foquismo". Le travail "La utopia desarmada" de Jorge Castañeda (1933) représente une autre analyse globale de ce que Garcia Marquez appelle "l'essor et les mésaventures de la gauche en Amérique Latine"51Nous pouvons dire que ce travail surpasse celui de Debray, non seulement parce qu'il aborde une période historique plus vaste (arrivant jusqu'à la crise dans la relation existante entre "l'avant-garde" et la société, dans laquelle la place des paysans est notable. Le Bot (1977) décrit dans la situation particulière du Guatemala, le poids négatif qu'a apporté la présence des guérillas dans certaines régions, provoquant la répression généralisée vis-à-vis de la paysannerie (p. 260- 261). Dans ses travaux postérieurs, "La guerre en terre maya" et "Violence de la modernité en Amérique Latine (1992-1994)", il développe son analyse critique en faisant référence aux mouvements communautaires et à la paysannerie indigène. Dans le cas concret du Guatemala, qui pourrait s'appliquer à d'autres pays, le présence de la guérilla est un facteur qui intensifie la violence de l�’État et des groupes de pouvoir qui lui

50 Regis Debray (1974) 51 Commentaires de G.Garcia Marquez sur l�’oeuvre de Castañeda.

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sont liés et provoque ainsi le déchaînement de la guerre tout en détruisant les possibilités de développement des mouvements sociaux. Le Bot résume le résultat de ses observations sur l'impact de la guerre dans les communautés en quatre points : « 1. La plongée dans la guerre des secteurs de la population a supposé l'intervention de forces extérieurs; 2. La guerre n'est pas la continuation du mouvement communautaire; elle est plutôt liée à sa rupture ou à sa décomposition; 3. La mobilisation d'acteurs communautaires, même éclatés, dans un conflit armé national suppose la présence et l'intervention active de médiateurs et de médiations qui participent de deux logiques (communautaire et étatique) 4. Le recours à la terreur peut venir en renfort de la rupture du mouvement et de l'action des médiateurs; il peut aussi pallier l'absence ou la faiblesse du mouvement ou des médiations. » 52 Il nous montre également comment certains secteurs du mouvement communautaire parviennent à conserver ou récupérer leur autonomie face au mouvement guérillero (cas du CRIC en Colombie). Dans le cas guatémaltèque, les nouvelles générations d'indiens et la renaissance du mouvement communautaire ont la caractéristique commune de "s'éloigner de la lutte des classes et de la lutte armée ».53 Dans "Guerrillas y Organizaciones indígenas : 20 Años después" C. Gros (1982) développe ses réflexions sur ce qu'il appelle "desencuentro" entre les paysans et les indigènes avec les prétendus "mouvements d'avant-garde" révolutionnaires. Gros critique les théories de la dépendance qui réduisaient le conflit à la lutte anti-impérialiste de libération nationale comme unique voie de sortie pour la recherche du développement, de la démocratie et de la justice dans le Tiers-Monde. Les contradictions et les conflits qui n'étaient pas directement liés au problème de la dépendance ne méritaient pas de plus grande attention. La théorie de la dépendance est justement l'un des piliers idéologico-politiques des guérillas latino-américaines. Le nationalisme anti-impérialiste façonne dans le moule du mouvement révolutionnaire l'idée d'une société démocratique (tous égaux) mais dirigée par l'avant-garde. De là l'irrespect vis-à-vis des différences et des formes traditionnelles d'autorité des communautés indigènes et paysannes (p.107). En analysant la théorie du "foyer" synthétisée par "Révolution dans la Révolution »54 Gros montre comment le choix de la zone rurale comme terrain prioritaire de lutte était par dessus tout, pour les révolutionnaires, une option stratégique d'ordre militaire. Le fait de la remarquable importance que représentait la lutte pour la terre et la tradition de résistance paysanne servait de renfort mais ne traduisait pas l'aspect fondamentale. La pratique concrète a démontrée que la réalité du reste du continent latino-américain était différente du cas cubain. Dans de nombreux cas, l'univers culturel du monde paysan a été une barrière infranchissable pour les révolutionnaires, en générale d'origine urbaine et intellectuelle. Mais même dans le cas où l'on parvient à obtenir un appui paysan important, ce sont d'autres facteurs qui viennent bloquer les possibilités de triomphe révolutionnaire. La gauche a montré une grande difficulté à interpréter la complexité et les constantes changements de la population paysanne. Nous pourrions également citer les études d'Henri Favre (1989) et Degregory (1991) sur le Sentier Lumineux en tant qu'analyses qui rendent compte de la relation complexe de ce groupe guérillero maoïste avec la population civile, en détachant le cas des communautés rurales. Dernièrement, des études intéressantes sur la récente émergence de l'Armée Zapatiste

52 Le Bot (1992) Chapitre IX. « Guérillas et violence communautaire. p.192-193. 53 Le Bot (1992) Conclusions publiées à l�’Ordinaire n°149 GRAL-CNRS IPEALT janvier-février 1994. 54 Debray, R. (1967)

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de Libération Nationale à Chiapas (Mexique) ont commencé à voir le jour. L'appui notable et la participation des masses paysannes indigènes a, à nouveau, éveillé l'intérêt sur la rébellion à la campagne, mais en faisant emphase sur le caractère ethnique de la population engagée et sur les formes d'articulation existantes entre la guérilla et les communautés.55 En revenant aux études "traditionnelles" effectuées dans les années 80, nous nous trouvons placés face à un travail d'intérêt particulier pour nos recherches. En 1987 une oeuvre compilée par Steve J. Stern est publiée56 Les études de cas présentées sur l'histoire des rébellions du monde paysan au Pérou et en Bolivie induisent de nouveaux développements dans l'analyse de la problématique qui nous intéresse dans ce travail. Dans le premier chapitre du livre, Stern fait une synthèse de toute une série de points qui, à partir des paradigmes classiques, apportent des éléments qui les complètent sur certains points et les mettent en question sur d'autres : 1. les paysans sont des "initiateurs continuels" des relations politiques entre eux mêmes et les secteurs non paysans (p.31). La tendance générale trouvée dans les études sur les paysans est axée sur le moment de la rébellion ce qui empêche de comprendre les raisons du changement de comportement du paysan dans une conjoncture déterminée. D'où l'importance d'étudier les formes quotidiennes du comportement politique dans le sens de Scott (1985). Stern nomme la conduite quotidienne du paysan sous les termes de "adaptación en resistencia". Ce sont des modèles de comportement préexistants dans le monde rurale que l'on active et exploite à des moments spécifiques de l'histoire et dans des conditions particulières. Les études de cas présentées montrent un monde paysan qui n'est pas un simple réacteur défensif qui agit sous l'impulsion de forces externes mais qui peut également être l'initiateur indépendant de l'activité politique et de la révolte sans la présence d'agents extérieurs. 2. Les points de démarcation de l'analyse temporelle de la rébellion paysanne doivent être appliqués à des critères de longue durée. Dans le cas des rébellions andines, l'utilisation d'échelles temporelles à grande portée facilitent une approche à la compréhension de "injustices, mémoires et stratégies historiques qui donnent forme aux objectifs, à la conscience et aux tactiques des rebelles." (p.34). Tout cela articulé de façon logique avec des études conjoncturelles à courte échéance. 3. En ce qui concerne l'étude de la conscience paysanne on observe des particularités diverses et flexibles qui contredisent la vision traditionnelle d'une conscience paysanne liée uniquement à l'attachement à la terre, à la garantie de la subsistance et de l'autonomie, comprise comme auto-isolement. L'univers idéologique paysan va au-delà du schéma conservateur, persistant dans la plus grande partie des études sur le monde paysan. "Les études des rébellions paysannes doivent traiter la conscience paysanne en tant que question problématique au lieu de prédéterminé. L'on doit porter une attention particulière à l'histoire culturelle de la zone étudiée et éliminer les notions sur le localisme inhérent et le caractère défensif des paysans" (p.38). 4. Pour finir, il détache l'importance du facteur ethnique, lorsqu'il dit "les frontières ethniques si elles coïncident avec celles de classe, le langage, l'idéologie et les causes des rébellions paysannes résultent difficiles à comprendre si l'on ne tient pas en compte la dimension ethnique" (p.39), bien qu'il fasse remarquer que cet aspect n'est pas toujours

55 Bien que la plus grande partie des travaux sur l�’EZLN soient de type journalistique à tendance apologétique, des réflexions analytiques plus profondes sur le phénomène de Chiapas commencent à se développer. Grâce au professeur Le Bot nous avons eu l�’occasion de nous introduire au sein de ce thème, dans le cadre de ses cours à l�’EHESS au cours de l �’année 1994-1995. 56 Stern, J.Steve (comp.) « Resistance, Rebelion and Conciousness in the Andean Peasant World, 18th to 20th centuries, 1987.

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présent où n'est pas déterminant comme facteur explicatif de la rébellion et du comportement paysan. Ces quatre points que Stern considère comme de nouvelles possibilités de compréhension de l'univers politique paysan sont, à notre sens, plus applicables aux études historiques et sociologiques des sociétés paysannes jusqu'à la décade des années 70. Pour terminer ce parcours rapide et sans doute incomplet sur les études latino-américains ayant trait au thème de notre recherche, nous désirons mentionner le colloque "Agricultures et paysanneries en Amérique Latine. Mutations et recompositions" réalisé en décembre 1990.57 Comme son nom l�’indique cet événement a eu pour but d�’étudier les transformations provoquées par les politiques d�’ajustement structurel et le modèle néo-libéral touchant à la problématique agraire. Le thème a été traité en cinq séminaires : 1) Etat, politiques agricoles et changement technique 2) Systèmes d�’approvisionnement 3) Limites extérieures et internationales de l�’agriculture 4) Sociétés rurales et transformations agraires 5) réformes agraires et mouvements paysans Bien que ces aspects tels que les politiques étatiques puissent avoir un lien direct avec notre travail, nous nous sommes limités à l�’étude des séminaires sur les « sociétés rurales et transformations agraires » et « réformes agraires et mouvements paysans ». En ce qui concerne le premier, la tendance des années 80 à réaliser des études monographiques de régions spécifiques avec de thématiques particulières se confirme. Cependant, l�’on peut faire une constatation générale qui est celle de la persistance des communautés paysannes contrairement aux pronostics sur leur disparition. Au contraire, l�’émergence de nouvelles communautés se présente dans certains cas. Il existe une dynamique rénovée des sociétés rurales qui continuent à se caractériser par une grande diversité. Ces changements sont issus de différents facteurs; certains internes aux communautés, d�’autres exogènes ou générées par la société globale. Au sein de cette diversité les types de revendications paysannes varient également comme cela est exposé au cours de séminaire sur les mouvements paysans. Alors qu�’il existe des secteurs qui revendiquent leur droit à renforcer ou à acquérir la propriété collective de la terre et des moyens techniques et économiques pour développer leur exploitation, il y en a d�’autres dont l�’aspiration est d�’en venir à la gestion individuelle et l�’exploitation familiale. Le processus d�’adaptation aux nouvelles conditions économiques et sociales a été rapide mais dans de nombreux cas traumatisant et non dénué de frustrations pour le paysan, « ....cette capacité d�’adaptation a ses limites, surtout au contact de crise aiguë, d�’hyperinflation en particulier, crise de laquelle s�’épuisent les moyens qu�’offre la rationalité économique paysanne ou le cadre communautaire en tant que solution de repli ». p.318. Quant au caractère des mouvements paysans, les réponses apportées au cours de séminaire sont quelque peu ambiguës. Les opinions sont divisées entre eux qui assurent que les nouvelles conditions ont affaibli et désarticulé le mouvement paysan alors que d�’autres parlent de sa transformation prévoyant de nouveaux processus de radicalisation bien qu�’ils soient accompagnés du « manque de perspective et de projets politiques globaux ». p.320. De nos jours, les objectifs du monde paysan organisé sont plus limités et pragmatiques. A côté des revendications traditionnelles de la terre, celles de type ethnique incitées par le monde paysan indigène ont plus de protagonisme.

57 Rapports publiés par le Fondo de Cultura Economica, le GRAL et par l�’ORSTOM. Compilé par Thierry Linck (1994).

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Il existe également de nouvelles revendications d�’ordre économique qui cherchent la maximalisation de bénéfices pour la famille ou la communauté et qui prennent la forme de coopératives ou d�’associations de producteurs...etc... La forme que prend la position politique du paysan par rapport aux agents externes qui continuent à occuper l�’espace rural (partis politiques, guérillas, etc.) n�’est pas claire à l�’esprit pas plus que l�’impact des politiques décentralisées et le nouveau rôle des régions dans l�’administration publique. Finalement, il nous semble que les nouvelles perpectives de recherche projetés par ERSIPAL58 sous le thème « Territoire, identité et conflits : les tentatives néo-libérales de gestion du local » peuvent offrir de nouvelles perspectives de travail pour des études sur: - La recherche des nouvelles réalités de la logique politique paysanne. -Les éléments de continuité et ceux de rupture qui se produisent dans le nouveau contexte généré par les transformations du modèle néo-libéral. - Les politiques de décentralisation et le nouveau rôle des régions.

58 Document - synthèse sur les objectifs et les nouvelles perpectives d�’ERSIPAL (Cahier) présenté par C.Gros lors de la réunion de juin 1995, Paris-IHEAL.

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CHAPITRE 2

LE CAS COLOMBIEN

A. Paysans et conflit Les études effectuées sur les luttes agraires en Colombie coïncident dans ce qui est fondamental avec le " boom " auquel nous avons fait allusion dans la première partie de notre travail. En effet , les années 60 donnent naissance à une production abondante de recherches sur le thème. La campagne au XVIIIéme et XIXéme siècles. Le vide dans la recherche sur la protestation rurale en Colombie au XVIII et XIX siècles qui correspondent à la colonie, l'indépendance et la consolidation de la république est notable. L'étude des guerres d'indépendance et des guerres civiles du XVII siècle accaparent presque totalement l'intérêt des historiens et scientifiques sociaux dans leur ensemble. Les études d'histoire économique qui décrivent et analysent la conformation et l'évolution de l'hacienda s'emparent de l'autre pôle d'intérêt au niveau de la recherche en scieces sociales. Bejarano (1985) montre dans son excellent compte-rendu historiographie sur le monde rurale et les luttes agraires en Colombie comment les études correspondantes à la période référencée (XVII et XIX siècles) se concentrent autour d'aspects tels que l'origine de la paysannerie dans l'économie coloniale et l'hacienda1. Les formes de résistance paysanne et les caractéristiques de sa participation dans les conflits politiques et sociaux au cours de ces étapes de l'histoire n'ont pas mérité que l'on y accorde un intérêt particulier. Duenas (1992) tente d'expliquer le pourquoi de cette situation dans le manque de sources primaires qui puissent rendre compte du devenir politique du monde paysan . Les documents historiques sur les luttes et les conflits font état de la prépondérance du rôle des élites, des "caudillos", des chefs militaires et politiques des deux camps, mais entrent rarement dans le détail de l�’existence d'un acteur social en général subordonné. Au sein de ce panorama quelque peu désolant on détache le travail de Phélan (1980) sur la rébellion populaire de 1781 dans la région de Santander au Nord-Est Colombien. La lutte des métayers et des indiens contre les administrateurs coloniaux est envisagée sous un angle d'où se détachent précisément les éléments de la conscience et la logique qu'ils portent en eux , dans un contexte de crise et les amène à opter pour la rébellion. Cette étude se rapproche du paradigme théorique de "l'économie morale" que nous avons déjà travaillé dans la première partie. Un autre des rares travaux que nous trouvons sur le thème est celui de Duenas (1992). Inspirée des thèses de Scott (1985) sur les formes quotidiennes de résistance paysanne, cette historienne lance quelques hypothèses sur la paysannerie andine-colombienne du dix huitième; A partir de la lecture de quelques chroniques sur la vie des haciendas, l'auteur détecte des formes de rébellion qui comportaient la lenteur dans la réalisation des travaux, le fait de feindre l'ignorance, le vol et le sabotage2. Devant l'absence de conditions qui auraient 1 Bejarano recommande entre autres les travaux de German Colmenares:"Cali: terratenientes mineros y comerciantes. XVIIIeme siecle" (1976) ; "Historia economica y social de Colombia" (1979), "La economia y la sociedad coloniales: 1550-1800" (1979), de Dario Fajardo : "El Estado y la formacion del campesinado en el siglo XIX" (1981). De Salomon Kalmanovitz : "El regimen agrario durante la colonia" (1975) ; de Bernardo Tovar Z : "El pensamiento historiador colombiano sobre la época colonial". (1981). 2Duenas reprend comme conditions favorables à la rebellion paysanne ce qui a été exposé par Skocpol (1979) et comme obstacles les raisonnements de Wolf (1966).

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favorisé les révoltes paysannes , dans le sens "traditionnel" que nous connaissons, le paysan optait pour ces manifestations informels de résistance. Il nous semble risqué de généraliser le fait que toute attitude répondant aux critères décrits par Duenas puisse révéler un comportement de résistance. Il est très difficile de tracer la frontière entre un acte rebelle et une conduite qui répond à d'autres intérêts du paysan. Il est valable de travailler l'histoire du comportement politique du paysan mais nous ne pouvons pas classer mécaniquement sa conduite comme forme permanente de résistance. En ce sens, nous pensons que le fait d'utiliser également d'autres références théoriques peut contribuer à obtenir des résultats plus objectifs au niveau de l'investigation3. Dans le cas des guerres civiles du XVII siècle, le rôle du paysan se limite selon la grande majorité des auteurs4 à n'être que les simples instruments des élites libérales et conservatrices qui s'affrontent . Il est certain que les conflits politiques de cette période n'étaient pas liés directement au problème de la terre5 mais les paysans étaient des acteurs fondamentaux et il nous semble que l'étude particulière du comment de la politique puisse aller au delà de la réponse générale et vague qui signifie que le caciquisme, le gamonalisme et le clientélisme expliquent de façon satisfaisante la raison pour laquelle les paysans se soumettaient aux conflits armés qui en apparence ne répondaient pas à leurs intérêts mais à ceux de leurs patrons. Dans cette perspective nous n'avons trouvé qu'un seul travail; celui de l'historien Malcom Deas (1983). Sans méconnaître l�’existence de phénomènes déjà étudiés (caciquisme,gamonalisme, clientélisme) l'historien remet en question l'idée des "paysans menés à la guerre civile comme un troupeau de brebis volontaires avec l'idée le corde au cou, qui se tuent sans la moindre idée de la cause pour laquelle ils se battent..." Nous avons déjà constaté qu'il existe une tendance marquée dans de nombreuses études sur la paysannerie à considérer le paysan comme un sujet passif et manipulé. Cette position épargne un effort de recherche sur les caractéristiques concrètes de la conscience paysanne , sa logique de pensée, ses façons d'assimiler les idées étrangères à sa communauté. Deas, inspiré de l'étude de M. Agulhon, "La république au village"6 explore les façons dont se manifeste la politique dans l'univers rural colombien postérieur à l'indépendance. Le premier élément qu'il désigne est le rôle de l'Etat qui bien que toujours faible avait un impact régional par le biais d'éléments comme : le recouvrement des impôts, le recrutement pour les milices (service militaire), les délimitations administratives , la législation sur les terres, la législation indigène, la réglementation de l'église, l'éducation, les postes et télégraphes, la justice, les élections, quelques oeuvres publiques. Un autre aspect qui mérite que l'on y prête attention est la manière dont circulait l'information politique. Deas désigne l'existence de diverses brochures, imprimés, pamphlets, lettres , etc..; qui circulaient par les mêmes voies que le commerce intérieur. Il détache également le rôle joué par certains paysans "mobiles", tels que les muletiers ou ceux qui cherchent du travail de plantation, les colonisateurs, tous aptes à recevoir et diffuser l'information politique.

3Le travail de Popkin (1979) sur la rationalité paysanne permet d'envisager une perspective ou le paysan n'agit pas toujours en fonction de la résistance envers l'irruption du capitalisme. 4Consulter par exemple Sanchez (1991) , Gilhodes (1974), Fajardo (1981). 5Sanchez (1991) dans "Guerra y politica en la sociedad colombiana" regroupe en quatre parties les enjeux des guerres civiles : 1) formes d'organisation politique (fédéralisme, centralisme), 2) "mode de développement" (manufactures, matières premières), 3) les relations Eglise-Etat-Partis, 4) débats sur les libertés et les droits (par exemple abolition de l'esclavage). p.19-20. 6 Agulhon, M., "La république au village" Paris. 2eme édition, 1979, traite de l'impact de la II république 1848-1851 dans le département du Var. France.

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Deux autres éléments qui marquent les communautés rurales résident dans les événements politiques et le rôle joué par les "héros". Deas prouve, à partir des compte-rendu de documents de l'époque, l'impact national que des événements tels que l'assassinat d'un dirigeant politique ou le début d'affrontement politique qui se terminait en guerre civile, générant peu à peu un processus de politisation dans la population. Logiquement, l'impact de ces phénomènes dépendait du contexte régional ou de la conjoncture qui traversait le pays ou la localité. Sur ce point, il vaut la peine de s'appuyer sur des études telles que celles de l'anthropologue Virginia Gutierrez de Pineda (1968) " La familia en Colombia" qui, dans l'étude du fond historique des différents types régionaux de sous-cultures explique les traits caractéristiques qui impliquent, entre autres choses, une façon spécifique d'assimiler la politique chez le paysan, en dépendance de sa région d'origine. Il est évident que ce seul facteur n'explique pas le comportement politique mais est sans nul doute un facteur que l'on doit prendre en compte. Le Grand (1984) faisait également remarquer l'importance de la politisation paysanne au XIX siècle et le vide quant à son étude mais tout en appuyant sur la relation "politisation-conflit agraire" ( le travail de Deas s'étend a la politique en général) . L'auteur part de quatre perspectives de recherche : 1. les motivations structurelles 2. l'interaction du national et du régional 3. les relations clientélistes 4. le régionalisme7 La limitation de ces points de référence analytiques est que précisément ils sont dirigés, dans le cas de le Grand, uniquement vers l'étude des conflits agraires alors qu'ils pourraient très bien être appliqués à un horizon plus large de luttes et conflits politiques dans lesquels le paysan est acteur protagoniste. 1850 : Vers la modernisation de l'état. Les auteurs que nous avons consulté au sujet des luttes paysannes au XIX siècles8 sont d'accord pour situer les années 50 comme point de départ de l'aggravation des conflits pour la terre avec cependant un niveau d'organisation plutôt bas du côté de la paysannerie. Vers cette époque un virage s'amorce au niveau de la vie rurale colombienne. La recherche de la modernité qui impliquait le fait de rompre avec l'inertie des politiques mises en place après avoir accédé à l'indépendance et qui conservaient des traits de base des institutions coloniales. La prétention des élites dirigeantes de parvenir à s'insérer dans l'économie mondiale par la voie des exportations agricoles s'est traduite par une affectation dans la possession des terres et dans les relations sociales avec le monde rural. L'Etat va promouvoir trois voies fondamentales dans la recherche de l'élargissement de la frontière agricole : la dissolution des "resguardos" octroyées aux indigènes (établies depuis la colonie); la commercialisation des terres appartenant à l'église ainsi que la distribution et le don des titres concernant des terrains en friche ou terres publiques9.

7En ce qui concerne les motivation structurelles, la relation nationale-régionale et le régionalisme, Le Grand s'appuie dans la théorie sur les travaux de Tilly (1978). Elle fait une forte critique de "l'économie morale" et en particulier des travaux de Hobsbawm. Quant au clientélisme, elle cite les travaux de Lemarchand et Legg : "Political clientelism and development" dans Comparative Politics. vol. 4 =2, 1972, de Weingrod : "Patronage and history". Vol.10 no 4, 1968 et de Powell Duncan, " Peasant society and clientelist Politics" dans American Political Science Review. Vol.64 =2, 1970. 8Pécaut (1987), Bejarano (1985), Le Grand (1988), Perry (1994). 9 Pécaut (1987) P.39. Il faut noter que toutes les réserves n'ont pas été dissoutes pas plus que toutes les terres de l'eglise n'ont été vendues.

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Ces politiques génèrent des conflits entre les propriétaires terriens et les paysans, pour l'accès à la terre, politiques qui suivent différentes formes d'accords selon les caractéristiques de la région et la population rurale ( en fonction de leur statut d'indigènes, de colons, de métayers, de journaliers ou de fermiers. Dans cette lutte pour la terre, les grandes propriétés sortent renforcées. Les communautés indigènes se décomposent et entament un processus de "prolétarisation" ( journaliers des haciendas); les colons se convertissent en majorité en fermiers ou métayers par la voie de l'occupation des terres en friche, de par le fait qu'elles étaient situées à côté des grandes entreprises agricoles. Dans la lutte des colons pour faire valoir le travail et les "améliorations" apportées aux terrains occupés contre les grands propriétaires qui arrivaient avec des titres de propriété, ce furent toujours les faibles les perdants. En 1874 une nouvelle législation apparaît qui garantit aux paysans leurs droits sur la terre colonisée. Les premiers signes d'organisation face aux patrons d'entreprises et grands propriétaires terriens se présentent. Les paysans s'appuient sur la loi et sollicitent l'intervention du gouvernement pour que leurs demandes soient garanties10. Nous nous trouvons dans ce que Wolf(1974) définissait comme la phase d'expansion de l'hacienda et il existe une espèce de corrélation entre les formes de protestation paysanne contre la grande propriété décrites comme modèle pour l'Amérique Latine et ce qui se passait en Colombie11. Le « leader-ship » qui fait la différence. Le Grand(1988) décrit quelques cas de protestations organisées à Santander, Bolivar, Tolima dans les toutes premières années du XXè siècle. Perry(1994) s'exprime sur le début des luttes indigènes dirigées par Quintin Lame contre le paiement de l'impôt aux grands propriétaires terriens, pour la récupération de leurs terres, la défense de quelques resguardos qui n'avaient pas été dissous, le renforcement de leurs traditions et de leur culture. Cela se passe en 1912 et arrive à prendre forme d'un soulèvement armé dans le département du Cauca. Une autre expérience pionnière quant aux formes organisées de résistance et de lutte paysanne a été la création de la société d'ouvriers et artisans de Monteria (département de Cordoba) en 1918. Cette organisation était composée en majorité de journaliers et de colons. Ils engagèrent un combat contre les propriétaires d'haciendas de la région qui combinait des revendications sur le plan du travail (meilleures conditions de travail et amélioration des salaires dans les haciendas) et la défense des terrains colonisés contre l'avidité des dits propriétaires. Leur principal dirigeant a été un paysan d'origine italienne aux idées socialistes, Vicente Adamo. Il faudrait se demander pourquoi, malgré des conditions d'exploitation similaires dans tout le pays, des formes organisées de réponse paysanne se produisent seulement dans certaines régions. Le cas de Vicente Adamo et celui de Quintin Lame12 marque le début d'une constante dans la réalité des luttes paysannes qui parviennent à atteindre une certaine transcendance. La présence d'agents externes ou de contacts avec le monde urbain établis par les dirigeants paysans dans les conflits agraires des années 20 corrobore, dans le cas particulier colombien, l'une des théories générales sur les révoltes paysannes.

10Nous n'avons pas trouvé de renseignements dans les sources consultées sur les caractéristiques de ces luttes. 11Bejarano fait ce rapprochement entre les catégories de Wolf et le cas colombien. 12Au sujet de Quintin Lame, Deas (1983) recommande le travail d Castrillon Arboleda , "El indio Quintin Lame" (1973)

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Le Grand (1988) parle de l'importance des avocats ruraux qui élaborent des requêtes et stimulent l'organisation de certains colons en vue tels que les commerçants, les artisans, ou les autorités locales, les enseignants, etc. Il est clair que ce "boom" de cadres et dirigeants surgit à un moment particulier de la vie du pays. L'économie colombienne présente une croissance importante produite surtout par les exportations de café et dans une moindre mesure par le pétrole. Cette expansion de l'économie était également liée à des phénomènes à caractère international tels que la fin de la première guerre mondiale La nouvelle situation a accéléré le processus d'industrialisation, ce qui a donné naissance à une concentration plus grande de travailleurs salariés et a stimulé à la fois l'émergence d'organisations de travailleurs unis pour la défense de leurs intérêts. Entre 1918 et 1923, les premières grèves apparaissent. L'influence des idées socialistes et du libéralisme radical a été déterminante pour la consolidation du syndicalisme en Colombie13. En 1926 surgit le Parti Socialiste Révolutionnaire inspiré des idées des révolutions russe et mexicaine. En 1930 le PSR deviendra le Parti Communiste. D'autres groupes libéraux de gauche tels que l'UNIR conduit par Jorge Eliecer Gaitan et le PAN conduit par Erasmo Valencia apparaissent. Le travail fourni par ces nouvelles organisations ne se limitera pas aux villes. Leur présence à la campagne marquera le tournant des luttes agraires des années 20 et 30 en Colombie. Si nous poursuivons notre étude en nous servant du schéma de Wolf, (1974), sur les phases de la protestation rurale liées au développement de l'hacienda, nous voyons que, dans le cas colombien, la phase de consolidation coïncide avec les années 20. A cette étape ont correspondu divers types de requêtes émanant des paysans qui comptaient déjà avec des organisations qui rendaient plus efficaces leurs formes de résistance. Les colons occupaient des terres qu'ils revendiquaient comme étant des terres incultes. Tout d'abord, ils réclamèrent leurs droits légaux sur les terrains occupés et bonifiés en faisant appel à la loi et en utilisant des moyens juridiques. Ensuite, lorsque cette première étape se vit dénuée de résultats et qu'ils furent expulsés avec violence, les paysans occupèrent les terrains par voie de fait et se préparèrent à assumer diverses formes de résistance qui pouvaient arriver jusqu'à l'utilisation des armes14. Les fermiers et les journaliers utilisaient le non paiement du fermage ou la grève pour exiger de meilleures conditions de travail. Dans le cas des fermiers, l'une des revendications les plus importantes dans les haciendas qui produisaient du café (prédominantes à cette époque au Cundinamarca et Tolima) était d'obtenir le droit de semer du café pour leur propre compte. Les propriétaires défendaient cette semence , craignant de ne pas pouvoir compter sur une main d'oeuvre suffisante au moment des récoltes. Les luttes de ces années ont également été stimulées par quelques mesures gouvernementales. Le développement économique avait généré une plus grande concentration de population urbaine et la production d'aliments destinés au marché interne acquérait une plus grande importance. Le gouvernement désirait stimuler la récupération de terres incultes improductives de par l'impulsion donnée à la colonisation. Il exigeait la présentation de titres de propriété pour ceux qui possédaient plus de 2500 hectares. En 1926, la cour Suprême de Justice établit que même ceux qui possédaient des titres de propriété devaient justifier de 13Le Grand (1988) cite un travail de Nicolas Buenaventura qui montre bien ce phénomène. "Movimiento obrero : lider agrario" dans Etudes marxistes 2 (1969) 14Sur les formes d'organisation et de lutte paysanne voir le travail de Gonzalo Sanchez "Sindicatos agrarios y ligas campesinas. Estrategias de accion" publié chez Sanchez (1984).

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l'occupation des terrains. Dans le cas contraire, ils étaient considérés comme terres en friche et susceptibles d�’être colonisés. Ce cadre juridico-légal devait être utilisé par la paysannerie dans ses combats. Nous trouvons à nouveau pertinentes les observations de Huizer (1973) sur la priorité initiale des luttes légales. Crise et radicalisation du conflit. En 1930 un nouveau virage s'amorce au niveau de la situation économique mondiale (la grande dépression) qui va avoir une incidence au niveau national du avec ses implications évidentes dans le monde rural. Tout ce qui concerne les changements dans le conflit agraire nous intéresse particulièrement. L'impact de la crise, sur le plan urbain (chômage, hausse du coût de la vie), génère un retour à la campagne de nombreux paysans qui avaient émigré vers les villes au début des années 20. Ces gens ont acquis de l'expérience au niveau de l'organisation et des combats, expérience qui s'avère importante, en plus de nouvelles perspectives de progrès personnel. Le Grand (1988) note la présence de divers éléments mentionnés pat Landsberger (1974) en tant que cause de la consolidation des mouvements paysans : 1) exploitation croissante, 2) liens étroits entre la campagne et la ville, 3) centralisation politique, 4) frustration dans les nouvelles expectatives. Les luttes paysannes des années 30 se présentent avec une intensité particulière dans les départements de Cundinamarca et Tolima, dans les régions de Tequendama et Sumapaz. Il existe différentes hypothèses sur le pourquoi de ce phénomène. Gloria Gaitan (1976) considère que le facteur déterminant est la forte concentration de la richesse apportée par le café qui existait dans les haciendas de Tequendama et Sumapaz. L'auteur n'ignore pas le rôle joué par les dirigeants politiques et l'influence exercée par les partis de gauche. (PC., UNIR., PAN) mais accorde une priorité à l'explication économique. Sanchez (1977) donne la priorité au rôle joué par l'organisation et l'influence des activistes politiques sans nier l'existence d'autres facteurs d'ordre global. Son travail met en évidence les différentes formes d'organisation qu'utilise le monde paysan . Il s'agit fondamentalement des ligues et des syndicats agraires fortement influencés par l'expérience urbaine. La revendication principale à ce moment là (début des années 30) était la terre. Les meilleures conditions de travail ou l'autorisation de planter du café passèrent à un second plan, même dans le cas des fermiers et des journaliers qui, à présent, désiraient devenir propriétaires, face à la mise en question de la grande propriété, décrétée par la loi. Les différentes forces politiques qui se disputaient la base sociale agraire avaient également leurs façons caractéristiques de réaliser leur travail d'orientation et de direction. Le parti communiste exposait dans sa "résolution sur le travail du parti à la campagne" en 1934: "Dans la bataille paysanne, il peut arriver que la question de la liberté des cultures soit un problème central : les masses déploient leurs effectifs dans des conditions telles qu'elles peuvent revendiquer : liberté de cultures et diminution des loyers d'environ 50%. Cependant, les masses poursuivent leur avance. Il peut alors arriver qu'elles prétendent à la suspension du paiement de tout loyer, liberté de cultures et possession de la terre. Dans certaines régions, les paysans s'emparent de la terre , la cultivent et la défendent. Comment pourrions nous leur dire de proposer un accord aux propriétaires ? Cela signifierait régresser et faire régresser les masses. Dans différents secteurs de la région de Viota , les paysans ne paient pas de loyer. Dans la région de Baraya (Huila), les paysans se sont emparés de toute une série de grandes propriétés... Dans diverses régions , les paysans occupent la terre : la tache principale, dans

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ces régions, est d'organiser rapidement des détachements armés pour la défendre"15. C'est le commencement des mouvements d�’autodéfense, qui furent ensuite utilisés lors de la vague de violence des années 50 et 60. L'UNIR organisait les paysans en légions ; alors que le PCC a surtout agi dans la région de Tequendama, l'UNIR s'est rendue forte dans la région de Sumapaz. La personnalité de son dirigeant, Jorge Eliecer Gaitan, a été déterminante pour arriver à obtenir un soutien solide dans la région. Il dénonce les violations perpétrées par les propriétaires fonciers et promouvait de grandes mobilisations paysannes en revendiquant les droits des fermiers. Pour l'UNIR la lutte juridico-légale était plus importante que la confrontation directe vers laquelle était plus porté le parti communiste. Le travail de l'UNIR vis à vis du paysan se développe entre 1933 et 1935. A coté du P.C. et de l'UNIR, d'autres secteurs de gauche travaillaient à l'intérieur du monde paysan de la région. Leurs dirigeants étaient issus, en général, du PSR et n'avaient pas ouvert la voie au communisme lorsqu'en 1930 le dit parti s'est converti en l'actuel PC. Un groupe anarcho-syndicaliste faisant cercle autour du journal "El Socialista", dirigé par Juan de Dios Romero, se détache. Ce groupe appelait ouvertement à l'insurrection paysanne. Son influence a été limitée mais il a contribué à élever le niveau de conscience dans quelques secteurs du monde rural. Il existait également le mouvement agraire de Sumapaz, dirigé par Erasmo Valencia, un avocat de gauche qui avait quitté le PSR en 1925. A partir de cette époque, il avait commencé à travailler avec les colons de Sumapaz, les représentant en tant qu'avocat et stimulant leur organisation. En 1935, lorsque l'UNIR disparut, Valencia créa le Parti Agraire National (PAN) qui se présenta aux élections et obtint des conseillers des divers villages de la région tandis que Valencia était élu à l'assemblée départementale. Au début, leur travail s'adressait à l'organisation des colons mais ensuite, ils étendirent leur influence aux fermiers et ouvriers agricoles. La présence de ces organisations a non seulement été importante pour le niveau de conscience et l'organisation qu'elles ont incités, mais également pour l'impact national qu'elles ont réussi à générer, en créant des conditions plus favorables pour les luttes paysannes de ces régions. Comme nous l'avions déjà mentionné, l'impact de la loi de 1928 de la Court, a également joué un rôle non négligeable dans la stimulation de l'organisation et la lutte paysanne16. Le fait que les titres de propriété de nombreuses haciendas aient été mis en doute, s'est constitué en arme fondamentale du paysan. Selon Gaitan (1976), les paysans parviennent à arracher prés de 700.000 hectares aux grands propriétaires terriens de la région (p.69). Le reflux La mobilisation paysanne, appuyée sur la loi, parvient à réaliser des conquêtes importantes mais, ces conquêtes ont également eu un effet négatif parmi les paysans. En fin de compte, la revendication principale du colon, du fermier ou du journalier était la terre et une fois qu'ils l'obtenaient, il n'y avait plus de raison de grand poids pour continuer à se battre. En effet, on note une démobilisation paysanne presque totale entre 1935 et 1936. S'il est bien certain que la petite propriété se renforce et que le pouvoir des grands propriétaires terriens

15Citation de Pécaut (1987) P. 148. 16Cependant les limites juridiques, le poids politique des propriétaires d'haciendas, la faiblesse du gouvernement central sont des raisons pour que, souvent, la législation favorable au monde rural reste simplement comme "lettre morte".

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s'affaiblit à Sumapaz et Tequendama, dans le reste du pays la grande propriété demeure intouchable17. Cependant, le facteur explicatif qui, selon nous, a le plus de poids lorsqu'il s'agit de la décadence de la lutte paysanne de cette époque est d'or politique. Gaitan rejoint le parti libéral en 1935 et fait bientôt partie du gouvernement d'Alfonso Lopez. L'UNIR se dissous et un processus d�’institutionnalisation et de canalisation des luttes agraires vers le gouvernement et le parti libéral s'initie. Le PC commence également à appuyer l'administration de Lopez, orienté par l'Internationale Communiste (politique de Front Populaire antifasciste que devaient appliquer tous les communistes du monde, en s'alliant aux bourgeoisies démocratiques). Le gouvernement de Lopez avec sa consigne de "revolucion en marcha" lance un projet de modernisation accélérée qui incluait, comme dans d'autres pays latino-américains18, l'incorporation des travailleurs urbains et de la population rurale en tant que base de son projet de développement. La loi 200 de 1936 élaborée par Lopez, conçue comme forme de modernisation des structures agraires , éveille une attente positive parmi la majorité des paysans qui la comprirent comme une occasion d'obtenir des terres et de légaliser leurs possessions acquises au cours des années précédentes19. Les demandes légales de propriété devant les juges chargés de cette affaire s'intensifièrent et quelques occupations continuèrent à se produire. Cependant, cette dynamique ne fut pas accompagnée de l'agitation et de la belligérance des années antérieures. La plus grande partie des dirigeants agraires jouaient dés lors un rôle d�’intermédiaires gouvernementaux. De nouveaux syndicats furent crées mais cette fois sous l'impulsion du gouvernement20. Avec l'écoulement du temps et la mise en vigueur d'une nouvelle loi, la loi No 100 de 1944, il devient clair que la loi des terres de 1936 était également un instrument utilisable et bénéfique pour les grands propriétaires. Cependant, la paysannerie avait perdu toute sa capacité de mobilisation autonome et contestataire. Les études consultées partagent la même opinion quant à la démobilisation paysanne à cette époque21. En partie parce que l'on était parvenu à atteindre des objectifs importants , en partie par l'absence de direction politique. Le monde rural avait opté pour une logique rationnelle qui constituait à accompagner le secteur politique qui pourrait représenter et garantir la défense de ses intérêts. Pour eux , c'était le parti libéral et le gouvernement de Lopez. Pour cette raison, ils n'hésitèrent pas à se soumettre à "la révolution en marche". Ce fut du moins la tendance majoritaire. Cependant, pour des raisons très diverses et complexes22, la république libérale s'épuise et vers 1946 nous nous trouvons à nouveau confrontés à une polarisation de conflits politiques et sociaux qui sont le point de départ de la période nommée "Violence". La Violence

17Bejarano (1985) suggère les études de Kalmanovitz : "Desarrollo de la agricultura en Colombia" (1978) en tant que bilan de la concentration de la propriété dans les années 30. 18Consulter les études de Le Bot (1985) et Santana (1985) présentées dans la première partie de notre mémoire. 19Pour une analyse critique de la loi 200 de 1936 voir Le Grand (1988) et Pécaut (1987). 20Entre 1936 et 1946, on a répertorié 75 nouveaux syndicats agraires, dont la plus grande partie cautionnait la politique gouvernementale. Sanchez (1977), cité par Le Grand (1988). 21Bejarano (1985), Le Grand (1988), Pécaut (1987), Sanchez (1977). 22Nous considérons le travail de Pécaut (1987) comme étant la meilleure étude sur cette période.

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Divers auteurs23 expliquent cette période comme étant une sorte de "revanche des grands propriétaires" pour faire reculer les conquêtes paysannes des années antérieures et engager un nouveau processus de modernisation du monde rural, favorable aux grands domaines fonciers. L'évidence des faits démontre que la Violence répond également à d'autres causes qui vont au delà du conflit agraire. L'explication de la "revanche" est valable pour certaines régions mais au sens ou la Violence permet ladite "revanche" et non pas dans le sens ou elle s'est déchaînée dans ce but. Ce qui sans nul doute est un fait irréfutable est le rôle de protagoniste joué par le paysan. Selon Hobsbawm (1974) la Violence a été constituée , à l'exception de quelques moments de la révolution mexicaine, par la plus grande mobilisation armée de paysans (guérilleros, bandits, autodéfenses) qu'ait connu l'histoire récente de l'hémisphère occidental. (p.264) Les hypothèses explicatives sur le pourquoi de la Violence sont nombreuses. C'est peut-être le phénomène le plus étudié par les sciences sociales en Colombie24. La précision d'Oquist (1978) lorsqu'il soulève le problème de l'impossibilité de comprendre la Violence comme phénomène unitaire nous parait bien trouvée. Les processus sociaux qui sont survenus dans des sites géographiques distincts et qui répondaient à des causes différentes sont divers. Bejarano (1985) souligne l'importance d'établir au niveau de l'étude de la Violence une régionalisation, une périodicité, une spécification des formes qu'elle prenait et de situer les éléments communs à diverses régions et périodes L'affrontement des conservateurs à ce moment là au pouvoir et les libéraux à la défensive est seulement l'expression politique la plus visible d'un conflit extrêmement complexe dans ses causes et conséquences. Les masses paysannes rangées dans l'un ou l'autre camp répondirent à l'appel militant de leur chefs politiques. "Les masses populaires ont été privées de toute autre identité qui ne soit pas celle que leur assuraient les partis traditionnels... Autour des deux partis s'est forgée une nouvelle mémoire historique qui a uni le présent aux marques laissées par les guerres civiles du XIX siècle...Les revendications sociales sont empreintes d'un statut résiduel". Pécaut (1987). p.573. C'est à partir de ce contexte que se présentent d'autres phénomènes qui dérivent non seulement vers la "revanche" des grands propriétaires fonciers mais également vers l'apparition (ou réapparition dans certains cas) de formes d�’organisation qui répondent à des intérêts différents de ceux posés par les deux partis traditionnels. "lorsque le paysan a du commencer à lutter, tant contre la police, représentante armée de la répression officielle, que contre le grand propriétaire foncier libéral, la nature du combat a changé", Sanchez (1976). Ceci explique le tour que se met à prendre la confrontation dans certaines régions du pays25. La perspective d'un affrontement qui pourrait arriver à unir les paysans libéraux et conservateurs contre les propriétaires fonciers des deux partis et la possibilité que des objectifs radicaux de transformation de l'Etat puissent être envisagés, conduit la classe politique vers un accord dans son propre sein .

23Voir entre autres: Gilhodes (1974), Kalmanovitz (1978). 24En ce qui concerne les causes de la Violence, consulter Pécaut (1987), 0quist (1978). En ce qui concerne les études sur cette période, il existe divers bilans historiographiques qui présentent les principales tendances tirées des études sur la Violence. Les travaux réalisés par Bejarano (1985) dans le cadre de l'étude sur les luttes agraires et de Sanchez (1986) dans "Pasado y presente de la Violencia en Colombia" nous semblent notables. 25Cet aspect de la Violence a donné lieu à de nombreuse études spécifiques. Nous suggérons de consulter Pizarro (1991), Medina (1980), Alape (1985).

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En 1953 la dictature du général Gustavo Rojas Pinilla est instaurée sous l'oeil complaisant des directions des deux partis. On décrète une amnistie qui parvient à obtenir la démobilisation presque totale des paysans en armes. La réponse massive à l'appel libéral pour accueillir favorablement l'amnistie démontre que, en plus de l'épuisement que produisait l'affrontement, il existait également une certaine discipline vis à vis des partis, qui continuait à opérer chez les paysans. Avec l'amnistie de 1953, les classes dominantes arrivent à neutraliser de façon effective les possibilités d'un mouvement armé paysan de dimension nationale, organisé en marge des partis et porteur de revendications de classe. Quelques noyaux mineurs d'origine libérale et communiste résistent à l'appel en faveur de l'amnistie et se replient vers des zones de colonisation à Tolima, Sumapaz et Huila. Les zones d'influence communiste des années 30 ont réactivé au commencement de la Violence, leurs formes d�’ organisation et de résistance. Ce furent les communistes qui, de pair avec quelques guérillas libérales constituèrent les mouvements d�’autodéfense qui, pour refuser de se soumettre à l'amnistie furent attaqués militairement par la dictature de Rojas26. D'autres groupes se transforment en groupes de bandits dédiés au vandalisme , avec toutefois l'appui de la population paysanne dans certaines régions27. En 1957, la dictature militaire tombe suite à de nouveaux accords entre les partis libéral et conservateur. La Violence a baissé d'intensité. La grande majorité de la population s'identifie à son appartenance partisane. Deux manifestations principales se présentent comme rémanentes du conflit: "le banditisme endémique "28 et la lutte sociale sentant le projet politique alternatif incarné par les mouvements d�’autodéfense sous l'influence du parti communiste. Selon Bejarano (1985) il restait encore en 1960 "43 groupes armés non communistes comprenant 471 membres et 15 groupes armés communistes comprenant 912 membres." En 1958 les gouvernements du Front National commencent à voir le jour. La lutte contre le "banditisme" a été l'un des axes de la "reconstruction nationale et de la pacification totale du pays". De pair avec le combat contre les bandes, le combat contre les "autodéfenses" communistes a été mis en pratique. L'origine des FARC (Forces Armées Révolutionnaires de Colombie) se trouve dans la réponse armée de ces noyaux paysans. Selon diverses études consultées, l'année 1964 marque la fin de l'ultime phase de la Violence. Le Front National mène sans problème entre les partis l'alternance au pouvoir et fait face aux dernières expressions du conflit : certaines bandes ainsi que les "autodéfenses" paysannes sont "éradiquées". Nous savons à présent que cette "éradication" adonné naissance à un nouveau type de conflit. La Violence laisse plus de 200.000 morts, des milliers de familles expulsées de leur terre sous l'effet de la terreur, de nouveaux processus d'accaparement des terres, la réaffirmation des réseaux d'influence politique, libérale et conservatrice et le début d'une nouvelle phase dans le conflit social et politique.

26Ces groupes se replient vers des zones de colonisation situées à l'intérieur, Villarica (est de Tolima), Chaparral (sud de Tolima). Bien qu'ils ne soient pas belliqueux, ils commencent à etre harcelés, non seulement par les Forces Armées mais également par des bandes conservatrices et par de vieilles guérillas libérales qui collaborent à présent avec l'armée. 27Consulter en particulier le travail "Bandoleros, Gamonales y Campesinos" de Sanchez (1983) dans lequel, inspiré du modèle de Hobsbawm sur le banditisme social, l'auteur fait une analyse détaillée de ce phénomène dans le cas colombien. 28 28. Terme utilisé par Ramsey et Russel dans leur travail "Guerrilleros y soldados", Bogota, ed. Tercer Mundo, 1981, cité par Bejarano. (1985).

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Bien que l'on montre les formes d'organisation que prend la confrontation au cours de ses différentes étapes et ses différenciations régionales, (guérillas, autodéfenses, etc...) il es important de détacher que le phénomène vraiment massif a été celui de la dispersion produite par la terreur. Il n'existe pas de chiffre exact sur les migrations forcées qu'a entraîné la Violence mais on évalue à plus d'un million le nombre de personnes déplacées29. La majorité consistait en des fuites désespérées et désorganisées vers les villes ou autres zones rurales. Dans les études sur le phénomène, il existait une tendance qui consiste à présenter ce qui était organisé comme le travail fondamental, mais sans nier son importance, nous devons le dire, qu�’avant tout, la violence a produit une grande désorganisation sociale du monde paysan. La terreur en tant que forme d'élimination de contraire et expression extrême des loyautés politiques partisanes a bien montré comment, dans un contexte déterminé, les hommes (dans ce cas les paysans colombiens) peuvent arriver à être la proie d'une logique de la barbarie30. La complexité du phénomène a mérité une recherche pluridisciplinaire des sciences sociales, essayant de trouver des réponses au "pourquoi" du comportement paysan à cette époque. Divers auteurs31 décrivent le caractère de la filiation partisane libérale conservatrice comme étant la forme essentielle d'identification avec la nation. On était libéral ou conservateur avant même d�’être citadin. Les partis politiques représentaient des sous-cultures qui se substituaient à l'état. Dans un cadre de crise sociale et de confrontation politique, la défense des couleurs partisanes, en particulier à la campagne, a donné à la confrontation la possibilité d'aller au delà des limites du politique. Du fanatisme on est souvent passé à la simple criminalité et délinquance. Dans la majorité, les paysans ont été plus victimes que victimaires. Les autres, nous l'avons déjà dit, ont développé des logiques et des formes d�’organisation guidés en cela par le travail politique du parti communiste, sans toutefois réussir a étendre leur projet politique et social à l'ensemble de la paysannerie. Le tourbillon de la violence s'épuise, le désir de réconciliation des élites libérales et conservatrices affecte leur bases paysannes, mais il reste encore beaucoup de points de tension. Le Front National. Le monde rural continuera a être le théâtre de conflits et de problématiques sous le régime du front national. Une partie de la migration provoquée par la violence se dirige vers des zones de colonisation à tradition d�’organisation (Sumapaz et Tequendama).D'autres personnes se dirigent vers les nouvelles frontières ( Magdalena Medio, Uraba,les plaines orientales, Guaviare et Caqueta). A nouveau l'on rencontre des tensions et des conflits entre grands propriétaires fonciers et colons. Dans certains cas ce processus de colonisation était accompagné de formes d'organisation politique et militaire. Ce fut la colonisation armée32. Alors que dans certaines régions le parti communiste incitait à la formation de syndicats agraires dans d'autres il s'agissait d�’autodéfense armée. Tout dépendait des conditions de la région.

29 29. Chiffre cité par Perry (1994) et Zamosc (1987), tiré de "la Violencia en Colombia" de German Guzman, E. Umana et O. Fals Borda (1964). 30Sanchez (1991) voir le chapitre : la Violencia como supresion de la politica (p.31-48). 31Voir Pécaut (1987), Sanchez (1991), et Palacio Marcos : "La fragmentacion regional de las clases dominantes en Colombia : una perspectiva historica" (1980), cité par Bejarano. 32 Voir Molano (1987) (1988), Ramirez (1988), Fajardo (1994), Reyes (1988).

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Dans d'autres régions du pays, la problématique agraire présentait d'autres caractéristiques33 qui donnèrent lieu à de nouveaux conflits sans parvenir toutefois à générer des processus d'organisation au niveau de' la paysannerie. La réponse du premier gouvernement du front national a été de combiner des mesures de répression militaire (vers des autodéfenses communistes) et la création des nouvelles lois agraires. La loi 135 De 1961. Il ne s'agissait pas seulement de contenir les tensions sociales et politiques mais également de faire un pas en avant vers le processus de modernisation agraire en stimulant la capitalisation de la campagne. La conjoncture internationale était également en accord avec l'élan donné au projet de réforme agraire orienté par "l'Alliance pour le progrès" propre à pouvoir neutraliser l'influence de la révolution cubaine34. On crée l'Institut Colombien de la Réforme Agraire - INCORA dans le but d'appliquer la loi qui répondait en général aux buts des réformes antérieures: augmenter la production agricole et contrôler le mécontentement agraire. Bien que, du point de vue des paysans le problème de la redistribution des grandes propriétés foncières se posait, ce que l'on stimule en priorité fut la poursuite de la colonisation. La loi parvint à générer quelques espérances favorables mais la résistance des grands propriétaires, la inconsistance des politiques gouvernementales et l'absence d'un paysannat organisé conduisant de nouveau à l'échec cette tentative de résolution de la problématique agraire. Le processus de colonisation poussé par l'état est frustré par manque d'appui technique et économique35. L'expropriation et la redistribution des terres est minime36. Du point de vue politique, la transformation des autodéfenses orientées par le PC en guérillas (FARC) et l'avènement de nouveaux foyers armés inspirés de la révolution cubaine et de l'ambiance que l'on respirait sur le continent (ELN, EPL) montrent également les limitations de la loi agraire quand à cet aspect. Cependant, les secteurs majoritaires de la paysannerie se penchaient d'un part sur l'apathie ou l�’indifférence quand il s'agissait de la question politique et la lutte sociale et d'un autre part sur la participation électorale liée aux partis libéral et conservateur37. Quelques loyautés politiques sortent affermis lorsque les partis appellent à la réconciliation du front national. Ensuite, les mécanismes clientélistes devaient s'affiner grâce à leurs réseaux d'intermédiaires qui opéraient entre les bases et l'état38. La création des "juntes d'action communale" en 1958 se transforme en autre mécanisme important de relier la population paysanne. Ses organismes dirigés à partir du ministère de l�’intérieur (de gobierno) dans le dessin formel de donner une impulsion à la participation et l'organisation de la communauté doivent également être le trait de liaison entre les institutions officielles et la société. Ils se

33Perry (1994) p.251. 34La "Alianza para el progreso" s'est vue donner de l'impulsion par les Etats-Unis et adaptee par tous les pays membres de l'O E A. La survenue de mouvements guérilleros dans divers pays latino-américains dans les premières années de la décade des années 60 a demandé des réponses qui ont combiné la répression militaire à quelques touches de réformisme. 35Le Grand (1994). 36Pour un bilan global des effets de la loi 135 promulguée dans les années 60, consulter Zamosc (1987) p. 61 à 65. 37Voir annexe sur les taux de participation électorale et abstention. 38L'oeuvre de Leal et Davila (1990) nous semble être l'un des travaux les plus complets sur le clientélisme.

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transforment dans leur majorité en fortins clientélistes des partis libéral et conservateur39. L'organisation alternative est réduite à certains foyers et l'organisation autonome est pratiquement inexistante40. Cependant, quelques secteurs des élites du front national semblent conscients des possibilités d'extension des conflits et de la poursuite de l'affaiblissement des bases sociales du projet bipartiste41. En 1966, le libéral réformiste Carlos Lleras RESTREPO qui avait participé à l'élaboration de la loi 135 de 1961,prends la direction du gouvernement. Son but à été de réactiver la réforme agraire et d'envisager à nouveau de donner une impulsion au secteur moderne de l'agriculture et de promouvoir un paysannat moyen grâce à la redistribution des terres et l'octroi de crédits et d'assistance technique. Ce qu'il y a de plus nouveau dans cette tentative c'est que Lleras pense s'appuyer sur la paysannerie elle-même pour matérialiser la réforme42. B. L'Asociacion Nacional de Usuarios Campesinos. L�’étape « officielle ». L'élan donné à l'organisation du monde rural débute en 1967. En 1970, se tient le premier congrès de L'ANUC (Association Nationale des Usagers Paysans) avec la participation de délégués d�’associations de tout le pays. En trois ans L'ANUC comptait déjà 968470 affiliés. Dans le but de dynamiser l�’accomplissement de la loi de réforme agraire, Lleras décrète également la loi 1 de 1968. En réalité, on s'appuyait davantage sur le renforcement de la capitalisation et de la modernisation du monde rural que sur la redistribution des terres. Cependant, les grands propriétaires fonciers attaquèrent à nouveau, effrayés par des effets possibles de la loi et de l'organisation des paysans. Commencèrent alors de nombreuses expulsions de métayers et fermiers, surtout dans les grandes propriétés situées au nord du pays. Lleras, en tant que représentant d'une bourgeoisie moderne et réformiste, conscient de la crise du bipartisme qui appuyait la légitimité sur des mécanismes clientélistes à couverture restreinte, alors que la majorité de la population s'enfonçait dans l'apathie et d'autres dans le

39Zamosc fait mention de l'existence de 9000 comités d'Action Communale crées jusqu'en 1966. p. 66. 40Il faut noter cependant l'existence politique de forces qui, liées aux partis libéral et conservateur, ont exercé un degré d'opposition important face aux politiques du Front National. Le MRL (Mouvement révolutionnaire Libéral) crée par Alfonso Lopez M. , fils de Lopez Pumarejo et futur président en 1974. Le MRL s'est montré proche des idées de la révolution cubaine mais à l'intérieur de l'idéologie libérale. Il allait contre les restrictions du Front National. Il a été l'allié du PC, ce qui a permis la participation électorale de communistes au sein de ses listes. Il est parvenu à atteindre une portée politique importante. En 1967, il s'est dissous et s'est intégré au parti libéral , participant au gouvernement de Lleras. L'autre force d'opposition que l'on peut détacher est l'ANAPO (Alianza Nacional Popular) crée par l'ex général Rojas Pinilla. Elle s'est transformée en projet populiste à tendance conservatrice. En 1970, Rojas s'est trouvé sur le point de gagner les élections au Misael Pastrana, candidat officiel du parti conservateur. On a parlé de fraude électorale en faveur de Pastrana. Malgré le fait d'avoir réussi à avoir une présence importante au parlement et à recueillir le soutien de secteurs populaires significatifs, l'ANAPO perd rapidement sa force dans les années 70. Certains de ses dirigeants et de ses activistes feront partie du groupe guérillero M19. 41Non seulement la progression du populisme de l'ANAPO et la présence de foyers guérilleros mais également l'augmentation significative de l'abstention , ont constitué une preuve de cet affaiblissement. 42Dans une certaine mesure, l'action de Lleras se rapproche des idées corporatistes de Lopez Pumarejo dans les années 30. Création d'un syndicalisme agraire d'Etat comme soutien de son projet de modernisation du monde rural.

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rejet ouvert du régime, a conçu L'ANUC comme allié social de l'état qui devait se trouver au-dessus du contrôle des partis politiques43. L'idée d'une organisation nationale de la paysannerie avec un appui institutionnel a été bien prise parmi les paysans. Dans certains cas, les conflits avec les grands propriétaires terriens étaient vifs et cela a stimulé encore plus le processus d'organisation. Le processus de formation de dirigeants poussé par l'INCORA était en réalité axé é sur la création d'une conscience sur l'importance de construire une organisation représentative et éloignée des pratiques clientélistes44. Dans la mesure ou l'étape organisative se consolide rapidement, la priorité est de nouveau ramenée au besoin de matérialiser la réforme agraire. Lleras doit rendre son mandat en 1970 et le bilan des choses réalisées n'est pas très positif45, à l'exception bien sur de l'impulsion qu'il a donnée à l'organisation paysanne, la plus importante qu'ait connu le pays. A nouveau, le poids politique des grands propriétaires terriens s'est constitué en obstacle pour la dynamisation de la réforme mais, à cette occasion, l'existence de l'ANUC et le début de son processus de radicalisation devaient faire la différence. La radicalisation de l�’ANUC. Le changement de gouvernement marque le "début de la fin" des relations entre l'ANUC et l'Etat. Malgré les promesses électorales de poursuivre la politique de LLeras, le nouveau président, le conservateur Misael Pastrana, commence à saper peu à peu la loi de réforme agraire. Des centaines de conseillers de l'INCORA sont renvoyés pour leurs tendances gauchistes. Les grands propriétaires terriens continuent à expulser les métayers sous le regard indifférent du gouvernement. Les formalités nécessaires et relatives à la mise en pratique de la réforme sont mises entre parenthèses. Pour sa part, l'ANUC attaque de front le gouvernement et élabore son "premier mandat paysan" ; sorte de plate-forme programmatique révolutionnaire guidée par la consigne "la terre sans patrons". L'ANUC n'attendait plus à présent que le gouvernement mette la réforme agraire en pratique. L'organisation le ferait de fait. Ce document est la preuve non seulement de l'éloignement du gouvernement mais également du début de l'influence des secteurs de gauche au sein de l'ANUC. Cette même année (1971) 645 invasions de terres sont menées46. Le gouvernement suspend tout appui institutionnel en faveur de l'organisation paysanne. En 1972, les dirigeants des partis libéraux et conservateurs (à l'exception des partisans de Lleras), représentants des corporations agricoles et d'élevage ainsi que du Parlement, signent "l'accord de Chicoral" par lequel on officialise l'abandon de la politique de réforme agraire en

43Pour une interprétation complète du projet Lleriste, consulter Pécaut (1989) p.37 à 67. 44Les entrevues que nous avons réalisées auprès de dirigeants de l'ANUC font bien ressortir l'importance du travail de conscientiser les paysans joué par l'INCORA par le biais de ses promoteurs. Ces instructeurs étaient en général des sociologues et autres professionnels des sciences sociales qui dans certains cas se sont convertis en intermédiaires avec les forces de gauche. 45Sur plus d'un million de familles qui avaient besoin de terre, l'INCORA a distribué 100.161 titres de propriété , c'est à dire environ 10% de ce qui était demandé. La réforme a touché principalement des terres de colonisation (presque 90%) sans produire de modifications importantes dans la structure de la propriété de la terre. Pécaut (1989). p.85. 46L'impact de cette vague d'invasions de terre est plutôt de type politique. Malgré son ampleur comparée à d'autres périodes récentes (47 en 1970). Les 645 invasions n'affectaient même pas 10% des 8.300 propriétés de plus de 500 hectares qui existaient dans le pays à ce moment là. Zamosc (1987) p.139.Selon le recensement national d'agro-élevage effectué par le DANE en 1970.

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appuyant sur le développement capitaliste du monde rural. Le terrain de confrontation était plus clair. L'ANUC rejette le pacte de Chicoral et officialise sa rupture d'avec le gouvernement, mais la lutte interne commence. l'ANUC "Linea Armenia"47 fait son apparition en tant que secteur minoritaire qui rejette la radicalisation de l'ANUC, stimulé par le gouvernement conservateur. Le secteur le plus important, "Linea Sincelejo"48 subit l'influence de divers courants de gauche qui se disputent l'orientation hégémonique du mouvement49. La gauche dans l�’ANUC. Voyons rapidement quels étaient ces mouvements et de quelle manière ils travaillaient à l'intérieur de l'ANUC : Les premiers à s'approcher sont ceux du Bloc Socialiste; groupe trotskiste constitué peu de temps auparavant par des intellectuels et des étudiants. Leur travail avec l'ANUC se résume à fournir des conseillers aux dirigeants régionaux et au comité exécutif. La consigne "la terre sans patrons" du premier "mandat paysan"50 reflète l'influence qu'a exercée le bloc socialiste durant la première année de rupture avec le gouvernement. Fidèles à la doctrine marxiste dans sa version trotskiste, ils revendiquaient la "révolution socialiste" comme unique voie de sortie pour les problèmes du pays. Leur travail au sein de l'ANUC consistait à convertir le mouvement paysan en allié de la classe ouvrière, unique avant-garde possible de la révolution. Les revendications du monde paysan sont typiquement "démocratico-bourgeoises", mais il est nécessaire de les canaliser vers la lutte de classes. Bien qu'ils soient parvenus à réaliser une incidence importante aux débuts de la radicalisation de l'ANUC, leur discours un peu dévalorisant des luttes paysannes et rempli d'abstractions intellectuelles portant sur les discussions du marxisme, joint à un travail plus profond réalisé par les secteurs maoïstes, a peu à peu éloigné l'ANUC de l'influence du Bloc Socialiste. L'autre groupe politique qui s'approcha, alors même que l'ANUC n'avait pas encore rompu totalement avec le gouvernement fut le Parti Communiste Colombien. Au début, ce fut par le biais de quelques conseillers attachés à l'INCORA, bien qu'officiellement le parti eut rejeté l�’initiative lleriste de conformation de l'ANUC, en tant que tactique de la bourgeoisie pour rallier politiquement le mouvement paysan et neutraliser ses luttes. Avec le processus de radicalisation de l'ANUC, la position du PC changea mais la présence des autres groupes de gauche, tous anticommunistes et abstentionnistes bloqua l'activité du PC. En 1972, lorsque l'ANUC constitua la ligne Sincelejo et se déclara ouvertement abstentionniste, le parti prit la décision de se rapprocher de la ligne Armenia. La thèse de "la

47La "ligne Armenia" ne représentait pas seulement les paysans alignés au coté du Front National . Elle était composée en majorité de petits et moyens propriétaires dont la revendication principale portait sur les crédits et les services. C'est la raison pour laquelle une rupture avec le gouvernement ne les intéressait pas. Elle tient son nom de la ville ou a eu lieu le Congrès fondateur en novembre 1972. Selon Botero et Bagley (1978) la "ligne Armenia" comportait environ 100.000 affiliés. 48 Cette ligne est née pendant le congrès réalisé en juin 1972 à Sincelejo. Il regroupait la majorité des affiliés de l'ANUC; en majorité des paysans sans terre. Selon Botero et Bagley, elle réunissait quelques 300.000 affiliés. La division a causé la désertion de plus de 500.000 membres de l'ANUC. 49La gauche n'était plus seulement représentée par le PC. Depuis le milieu des années 60 de nouveaux groupes avaient commencé à voir le jour. Tout d'abord ce fut le PC (M.L) et son EPL puis ensuite l'ELN. après survient le MOIR (Mouvement Ouvrier Indépendant et Révolutionnaire) de type maoïste et autres tendances (M.L). Au début des années 70 surgissent des groupes trotskistes tel que le Bloc Socialiste. Ensuite vient le M.19 ainsi que d'autres mouvements de gauche à portée nationale moins importante. 50Le "mandat paysan" est l'un des documents contenant les programmes les plus importants de l'ANUC, élaboré en août 1971.

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combinaison de toutes les formes de lutte" soulevait le problème du maintien de la lutte électorale pour les organisations de masse. D'un autre coté, les zones paysannes qui avaient le plus subi l'influence du PC, avaient vécu avec intensité la Violence et n'étaient pas disposées à entreprendre un processus de radicalisation. Même le travail de "colonisation armée" entrepris par les FARC, n'avait pas pour priorité la confrontation mais plutôt la consolidation d'un pouvoir local dans des zones ou l'Etat ne comptait avec aucune présence. Pour finir, le parti n'exerçait pas d'activité de prosélytisme au niveau de la ligne Armenia et s'adonnait à renforcer sa propre organisation agraire FENSA, destinée à donner de l'élan aux paysans, mais ne parvenait pas à étendre son activité à des régions autres que celles d'ancienne activité communiste. Le secteur qui réussit à avoir le plus d'incidence politique au sein de l'ANUC fut celui que l'on a dénommé "campo M-L"51. Des groupes d'origine maoïste, dont le discours et le travail dans le monde rural montraient la campagne comme étant le moteur de la révolution et le paysan comme étant son protagoniste principal. Il est bien évident que pour eux la paysannerie agissait sous la direction de l'avant-garde, le parti marxiste-léniniste. Le principal groupement était le Parti Communiste (m-l) et son armée populaire de libération (EPL). Elle surgit du groupe dissident du Parti Communiste en 1965. Le PC (m-l) a établi quelques bases sur la cote nord colombienne précisément là ou L'ANUC allait atteindre son plus grand degré de développement52. Son travail avec l'ANUC était réalisé par ses propres bases paysannes et surtout par des cadres d'origine étudiante qui commencèrent à se déplacer vers des zones ou l'ANUC était présente. De nombreux étudiants se convertirent en paysans, participant non seulement aux prises de terres et l'organisation du paysannat, mais également en s'intégrant réellement à toutes les activités rurales. Le PC recherchait la radicalisation des luttes paysannes en vue de les préparer à une insurrection éminente. Peu à peu le renforcement du parti et de sa guérilla, l'EPL devinrent une priorité et les revendications paysannes furent relégués à un second plan. En de nombreux cas, ce groupe, après être parvenu à récupérer des terres, imposait des formes d'auto gestion qui impliquait le fait de maintenir le paysan à la limite de la subsistance et l�’empêchait d'avoir recours à l'état afin de chercher à légaliser sa possession ou solliciter des crédits auprès d'organismes gouvernementeaux. Il s'agissait de se préparer pour la prise du pouvoir et il ne fallait en aucun cas trouver des accords avec l'état. En d'autres occasions la réalisation d'actions armées par l�’EPL a attiré sur le champ la répression sur des zones paysannes, ayant pour effet l'arrestation et l'assassinat de dirigeants de l'ANUC et quelquefois l'impossibilité de poursuivre le travail corporatif dans la région. IL existait un autre groupe de certaine notoriété: La "Ligue marxiste léniniste", produit de l'une des multiples divisions du champ ml. Ses méthodes de travail et son discours politique étaient semblables à ceux du PC (ml), mais ceux-ci ne comptaient pas sur l'appui de bras armés et leurs champs d'influence était réduit. Pour finir, nous pouvons situer le mouvement appelé tendance du "comité exécutif" et la "commission politique." Le noyau de ce secteur est constitué de deux cadres politiques d'origine maoïste (écartés du PC-ML) qui débutent en tant que conseillers de la direction de l'ANUC, jusqu'à réussir à mettre sur pied un discours politique autonome des autres tendances politiques , qui est accueilli favorablement par la majorité du comité exécutif.

51(M.L) pour marxiste-léniniste. C'est l'expression en Colombie de la rupture générée par le maoïsme à l'intérieur du mouvement communiste international. 52Pour une histoire complète du PC (M.L) et l'EPL consulter Villaraga et PLazas (1994). En ce qui concerne ses liens avec l'ANUC, voir le chapitre "A desalambrar !" p.79 à 87.

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Alfonso Cuellar et Miguel Gamboa dotent le secteur indépendant de l'ANUC d'un projet politique qui leur permet d'affronter les autres tendances dans la lutte pour l'hégémonie qui se développe au sein du mouvement paysan. L'idée était de parvenir à réaliser une coalition ouvrière-paysanne au sein d'un nouveau parti qui initierait un travail à partir de l'influence provenant des bases de l'ANUC. Le projet se concrétise lors de la phase de déclin du mouvement paysan. En 1975, "l'organisation révolutionnaire du peuple" (ORP) apparaît de façon clandestine. Elle était dirigée par le comité exécutif de l'ANUC et sa commission politique. En 1978 (sous le nom de MNDP) Mouvement National Démocratique Populaire, elle participe aux élections et obtient un faible résultat53. Cette tendance répondait également à une conception maoïste quant au rôle du monde paysan dans la révolution mais était beaucoup plus mesurée que les autres groupes m-l. Elle ne voyait pas la révolution au tournant de la rue et ne partageait pas l'idée de la radicalisation accélérée à laquelle était soumis le mouvement paysan. Une autre influence importante sans être toutefois à caractère partisan a été celle exercée par le sociologue Orlando Fals Borda et son équipe de "conseil éducatif" appelé fondation "La Rosca". Par le biais d'activités d'éducation, de recherche et de publications, se sont formés divers groupes d'études et autres formes organisatrices tels que "les bastions d�’autogestion paysanne", sortes d'entreprises communautaires qui tentaient de résoudre les problèmes de production , achat et vente de produits et récoltes, etc... Fals entretenait des contacts importants avec des fondations internationales de coopération, surtout en Hollande. Par le biais des dites institutions, il a réussi à obtenir des aides financières importantes, non seulement destinées à son travail des "bastions", mais également à l'entretien de l'appareil administratif de l�’ÀNUC, après la rupture avec le gouvernement. Fals avait une conception particulière des perspectives de la révolution colombienne et considérait les "bastions" comme les germes d�’un nouveau type de conscience collective qui prépareraient le paysan pour sa participation dans le processus révolutionnaire54. Au début son travail fut accepté par tous les groupes politiques. Cependant, dans la mesure ou la lutte interne se fit plus intense divers secteurs de gauche commencèrent a attaquer les activités de Fals et de son groupe. Le maniement des finances qui furent canalisées par le comité exécutif influencé par Cuellar et Gamboa, fut une autre raison d'augmenter les contradictions55. Nous pouvons également mentionner un autre secteur dont l'incidence dans le devenir de l'ANUC n'a pas mérité d'attention majeure au niveau des études sur cette organisation paysanne, mais qui selon quelques témoignages de dirigeants et d'activistes a joué un rôle important dans l�’impulsion donnée à l'organisation et au développement de l'ANUC56. Il s'agit de l'église. Son influence s'exerce à deux niveaux: l'église officielle et le groupe Galconda,57 inspiré de la théologie de la libération. Sans détenir d'orientation officielle venant de la hiérarchie éclésiastique, les curés de nombreux villages appuyèrent le travail de l�’ANUC, tant dans son état initial que plus tard, après sa rupture avec le gouvernement. 53Avec six autres organisations de gauche menées par le MOIR? le MNDP se réalise une coalition électorale qui obtient seulement 1% des votes aux élections parlementaires de 1978. Rivera (1987) p.197. 54Pour une évaluation du travail de "La Rosca", voir l'annexe du travail de Rivera (1987) élaborée par l'un de ses membres, l'économiste Ernesto Parra. p.213 à 239. 55En plus de l'utilisation des fonds comme mécanisme pour renforcer le travail d'une tendance déterminée, il a existé également des problèmes d'enrichissement personnel et autres manifestations de corruption. 56Les entrevues que nous avons réalisées auprès de dirigeants de l'ANUC nous montrent l'importance qu'a joué le rôle de l'église, alors que dans les textes sur l'ANUC il est difficile de rencontrer une allusion concernant cet aspect de la chose. 57Ce groupe naît en 1968. Il tient son nom d'une hacienda située au Cundinamarca ou ses membres se réunissent pour la première fois. Il soutiennent l'ANAPO en 1970 mais ensuite beaucoup de ses membres intègrent l'ELN.

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Le travail de Golconda se présente sous forme d'apport de conseils à la direction et de travail de base dans les régions ou elle était établie (il aide en particulier dans le travail d'organisation et dans la recherche de la solidarité dans les moments critiques). Golconde parlait d'une « équation révolutionnaire » qui consisterait à établir l'unité de l'ANUC avec l'Anapo et le mouvement guérillero. Cette formule aurait pour résultat la révolution. Les tentatives de rapprochement entre l'Anapo et l'ANUC se révélèrent infructueuses. D'une part, le mouvement paysan influencé par une gauche orthodoxe et radicale, regarde avec méfiance le projet populiste de l'Anapo. D'autre part, l'Anapo pensait que la solution au problème agraire consistait à promouvoir la colonisation, thèse opposée au programme de l'ANUC. Quant au mouvement guérillero, nous en avons déjà vu quelques caractéristiques dans le cas de l'EPL et pourrions y ajouter une certaine influence de l�’ELN dans la région de Casanare et du M 19 dans la région de Caqueta, déjà présente lors de l'étape de crise de l'ANUC(année 1974-1980). Le rôle de la lutte armée, en fin de compte a laissé un solde négatif. Nous avons déjà vu le cas de l'EPL mais, à un degré moindre, l'ELN et le M19 ont provoqué des situations similaires dans leurs zones d'influence. Le désir de conduire les bases paysannes à la guerre révolutionnaire n'est parvenu qu'à rendre la répression plus mordante et à désarticuler le mouvement. Là ou la "guérilla" commençait à développer une activité militaire visible, les conditions requises pour la lutte corporative paysanne disparaissaient. (cette tendance devait se consolider dans les années 80)58. Ce sont, d'une manière globale, les secteurs politiques de gauche qui ont exercé une sorte de relève dans l'orientation politique et l'organisation de l'ANUC, après sa rupture avec l'Etat. La crise. Nous avons déjà signalé comment la division entre la "ligne Sincelejo" et la "ligne Armenia" a occasionné une désertion de 500.000 paysans. Ensuite, la lutte interne acharnée au sein des secteurs de gauche a peu à peu éloigné les paysans qui commencent à ressentir, comme étrangères à leurs intérêts, les discussions entre groupes politiques. L'ambition d'avoir l'hégémonie au sein du mouvement paysan était évident , et allait au-delà des différentes tactiques ou stratégies. Tous les recours étaient bons : la corruption dans l'utilisation des fonds du mouvement, les menaces de mort, le fait de montrer le secteur adverse comme traître ou réformiste, l'interdiction de visiter certaines zones "appartenant à un groupe déterminé", l'utilisation des bases paysannes aliénées pour le discours de leurs dirigeants comme force de choc contre le groupe adverse, etc... La revendication de la terre, les crédits, l'assistance technique ou des conditions de travail équitables furent reléguées au second plan pour les groupes politiques et le paysan s'éloigna peu à peu du mouvement. Des 645 invasions de 1971, l'on passa à 54 en 1972 et 51 en 1973. En 1974, il y a une certaine réactivation avec 123 invasions mais, à partir de cette année là, la crise avance de façon vertigineuse. En 1978, l'expérience de participation électorale fut accompagnée d'un rapprochement vers la "ligne Armenia", ce qui signifia la fin de la "ligne Sincelejo"59. 58Les dirigeants de l'ANUC interrogés insistent bien dans leurs critiques sur le rôle de la guérilla. Les FARC se trouvent plongés dans un autre projet dans des zones de colonisation ou la présence de l'ANUC est presque inexistante. 59Ce qui se produit en réalité est une nouvelle division. Alors qu'un secteur dirigé par Cuellar comprend la déroute électorale comme échec de son projet et décide de se approcher de la ligne Armenia, un autre secteur, celui de Gamboa crée le Comité d'Unité Paysanne. (CUC)

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Mais, pour expliquer globalement l'évolution de l'ANUC, l'étude de ses liens avec la gauche est insuffisante. Les études connues nous donnent également la réponse à d'autres questions clés sur ce processus. Des statistiques élaborées au sujet de la période de plus grande activité de l'ANUC quant à la prise de terres (1971), nous montrent une participation de 41% de fermiers et métayers prenant part aux travaux des haciendas traditionnelles, de 35,9% de colons occupant des terrains en friche ou inexploitables, de 17,7% des journaliers se trouvant dans les zones de capitalisme agraire et de 5,3% de communautés indigènes60. La lutte pour la terre a été la revendication centrale de l'ANUC et l'élément qui a activé la participation de différents types de paysans tournés vers un objectif commun. Vu sous cet aspect, on ne peut pas dire que ce soit la différenciation par les couches sociales qui fait qu'un paysan soit plus ou moins disposé à entrer dans la lutte61. A la concentration de la terre, il faut ajouter les conditions favorables du point de vue politique et de l'organisation en tant que facteurs qui expliquent l'action paysanne. De nombreuses régions du pays ou la grande propriété foncière existait avec les mêmes caractéristiques que celles des régions affectées par les invasions n'ont pas été touchées par l'action paysanne. A ses débuts, l'ANUC a articulé les demandes des paysans sans terre à celles des petits et moyens propriétaires qui exigeaient des crédits, une assistance technique, des mécanismes de commercialisation, des services, etc... et également les revendications des journaliers pour améliorer leurs conditions de travail, celles des colons et celles des communautés indigènes qui luttaient non seulement pour la terre mais également pour des revendications ethnico-culturelles. Avec le processus de radicalisation, les activités de l'ANUC se sont peu à peu concentrées sur la lutte pour la terre et se sont désintéressées des autres aspects, ce qui a eu pour conséquence l'éloignement d'un secteur important du paysannat62. Il existe un autre aspect d�’intérêt. Il est à observer comment l'activité majeure de l'ANUC est concentrée dans des zones déterminées, malgré l'existence de la couverture nationale constituée par ses affiliés. Plus de la moitié des invasions de terres au cours de l'histoire de l'ANUC ont eu lieu dans les départements de Sucre, Cordoba, Magdalena et Bolivar, dans les zones qui justement n'avaient pas été affectées par la Violence des années 50. Ce phénomène ne semble pas être l'effet d'un hasard mais nous ne trouvons pas de plus amples explications dans les études consultées63.

60Source: Archive du CINEP (centre de recherche et d'éducation populaire) cite par Zamosc (1987) p.138. 61L'expérience de l'ANUC remet en question dans une certaine mesure diverses théories "classiques" qui placent dans la differenciation du paysan leur plus grand ou plus petit degré de disposition à la révolte. Voir Wolf (1966), Paige (1975) . Ils laissent à un second plan des aspects déterminants tels que l'organisation. 62Ceci est particulièrement valable dans le cas de la "ligne Armenia". L'influence de la gauche a sa part de responsabilité au niveau de cette dernière. Avec sa position "classique", elle considérait les propriétaires, y compris les petits et moyens propriétaires, presque comme des ennemis des paysans sans terre qui, seraient les seules réellement révolutionnaires. Dans le cas des colons, malgré des luttes importantes menées par l'ANUC dans des régions comme Caqueta et Arauca, nous pouvons dire que dans leur majorité, les nouveaux processus de colonisation se virent dotés d'une autre dynamique. En ce qui concerne les indigènes, leur participation au sein de l'ANUC a toujours comporté un degré important d'autonomie par le biais du CRIC (Consejo Regional Indigena del Cauca). Le mélange de revendications ethnico-culturelles avec la lutte pour la terre a favorisé le maintien de leur organisation. Leur autonomie leur a permis d'échapper à la dynamique de crise dans laquelle les conflits internes de la gauche plongèrent l'ANUC. Voir Gros (1991) "Una organisacion indigena en lucha por la tierra. El consejo Regional Indigena del Cauca 1981". et CRIC (1981).

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Sur la cote nord, les conflits pour la terre avaient commencé à prendre de l'intensité depuis le début de la décade des années 60. Le gouvernement de LLeras accorda une attention particulière à l'organisation de l'ANUC dans cette région. Les nouveaux courants de gauche virent dans la belligérance des paysans de la cote la possibilité de trouver une base sociale qui leur soit propre, différente des secteurs influencés historiquement par le PC. Les zones qui avaient été durement frappées lors de la Violence présentaient une classe rurale alignée aux cotés des partis traditionnels ou épuisé par l'intensité du conflit des années 50. (a l'exception des zones de colonisation et de certaines régions telles que le Tequendama et Sumapaz à influence communiste). Nous pouvons dire qu'il s'est produit, en raison de divers facteurs, une relève dans les luttes paysannes. Ni dans les années 20 et 30, ni pendant la Violence ne s'étaient présentés de conflits importants qui auraient pu compromettre la participation de la paysannerie de la cote. L'articulation de facteurs structurels avec les possibilités d'organisation, stimulée par le gouvernement et le travail postérieur de la gauche firent avancer de façon déterminante le développement atteint par les luttes paysannes dans cette région. Ce n'est pas que le reste de la paysannerie, liée ou non à l'ANUC, soit resté immobile, mais l'impact national de ses luttes a été loin d'atteindre l'intensité que l'on a enregistrée sur la cote nord64. Quant à l'attitude de l'Etat, même au cours de la période de radicalisation de l'ANUC, il faut dire qu'elle ne s'est pas limitée à la répression. La poursuite du travail des Juntes d'Action Communale, articulé aux mécanismes clientélistes a continué à montrer des résultats dans la plus grande partie du pays. La population rurale a continué à voter majoritairement pour les partis traditionnels65. En termes de politiques agraires, le gouvernement du libéral Alfonso Lopez Michelsen, qui prend les rênes du pouvoir en 1974, met en pratique le Plan de Développement Rural Intégré (DRI). Sous l'influence de la Banque Mondiale qui promeut une alternative distincte à la réforme agraire pour développer l'économie paysanne, Lopez essaye de freiner le processus de décomposition paysanne, d'augmenter la production d'aliments et de neutraliser les tendances à la radicalisation de certains secteurs du paysannat. Le DRI ne touchait pas à la propriété de la terre et consistait à faire bénéficier le monde paysan propriétaire de crédits, technologie et services. Les résultats ont été évalués dans différentes études mais il est certain qu'ils ont eu un impact important sur de grands secteurs du monde rural66. En 1975, la "loi de métayage" est crée, dans le but de stabiliser la situation des métayers et des fermiers, toujours soumis à la menace d'expulsion des grands propriétaires fonciers. On n'octroyait pas le droit à la propriété de la terre mais on créait des conditions de subsistance moins hasardeuses. La progression de la capitalisation de la campagne a également généré une diminution importante du chômage agraire et dans certaines régions, de meilleures conditions de travail pour le journalier67. Ces mesures sont sans doute parvenues à provoquer un effet démobilisateur important chez les paysans dans la perspective de l'action radicale et directe que proposait l'ANUC.

63Zamosc constate le fait sans l'analyser. Zamosc (1987) p. 139. Pécaut dans le prologue de Rivera (1987) pose également le problème. p.14. 64Zamosc (1987) p.125 reproduit les statistiques du CINEP qui montrent clairement ce phénomène. 65Voir annexe sur les résultats électoraux. 66Voir Machado (1994). En ce qui concerne la politique agraire de Lopez voir Zamosc (1987) p.219 à 226. 67Entre 1964 et 1973, on constate une diminution du chômage rural qui passe de 7,2% à 3,9%. Selon des renseignements donnés par les recensements. Ensuite, en 1978, le DANE publie des études qui avancent le chiffre d'un chômage rural de 3,1%. Cité par Zamosc (1987) p.235.

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D'autres facteurs qui jouèrent un rôle de neutralisation du conflit et contribuèrent à l'affaiblissement irréversible de l'ANUC entrèrent également en jeu: les fortes migrations des années 70 vers le Venezuela68; les migrations internes vers les villes et les zones d'agriculture capitaliste qui nécessitaient de la main d'oeuvre ainsi que les migrations vers la région caféière69, la survenue et la consolidation de la production de marihuana70. Quelques lacunes. Nous avons vu comme il existait une coïncidence de facteurs qui expliquent la naissance, le développement et la crise de l'ANUC. Le fait d'avoir établi cette synthèse des études sur l'ANUC met en évidence quelques lacunes que nous considérons comme importantes dans la recherche d'une compréhension plus profonde de la dynamique des luttes paysannes. L'absence d'analyse sur la conscience paysanne attire notre attention. Quelle a été la logique de comportement politique adopté par les membres de l'ANUC? Quels facteurs ont influé pour que l'ANUC prenne les virages que l'on sait tout au long de son existence ? Il existe sans aucun doute des conditionnements socio-économiques et politiques qui ont peu à peu modelé le comportement paysan. Cependant, comment ces aspects entrent ils en rapport avec l'univers culturel paysan ? La différentiation du monde paysan du point de vue des couches socio-économiques est insuffisante pour comprendre la structure de sa conscience. Des facteurs tels que le contexte régional et la situation conflictuelle de son "habitat" nous offrent quelques pistes. Les changements opérés dans le pays lors des décades qui ont précédé la période d'existence de l'ANUC ont marqué profondément la paysannerie. Fals Borda (1961) dans son étude sociologique du monde rural de EL Saucio (département de Boyaca) et Camilo Torres (1963) réfléchissent sur les changements socioculturels survenus au niveau de la paysannerie dans les années 40 et 50. Dans le contexte de Violence s'est opérée une modernisation qui a transformé la mentalité paysanne en de nombreux aspects. La Colombie est devenu un pays fondamentalement urbain, non seulement en raison de la croissance démographique survenue dans les villes, du développement de l'industrie et des réseaux de services, mais avant tout en raison d'un changement de mentalité dans la population. Jaramillo (1988) se rapproche de l'idée de concept "d'urbanisation sociologique" opérée dans le monde rural qui a impliqué des changements importants au niveau socio-psychologique, socio-politique et socio-culturel71. 68Vers le milieu des années 70, l'on assiste à un "boom" de la production agricole vénézuélienne stimulée par la prospérité pétrolière. Les entreprises rurales ont besoin de main d'oeuvre et les paysans colombiens qui se risquaient à franchir illégalement la frontière gagnaient trois fois plus d'argent qu'ils ne l'auraient fait en se livrant au même travail en Colombie. Seule la culture de la canne à sucre mobilisait plus de 50.000 paysans colombiens (de la cote nord) au moment de la récolte. Zamosc (1987) p.244-245. 69Voir tableaux sur les soldes migratoires dans les années 70, et sur la création d'emploi dans l'agriculture capitaliste, années 1968-1977. Zamosc (1987) p.239 et 241. 70En ce qui concerne l'impact de la marihuana, on en vint à cultiver plus de 100.000 hectares sur la cote nord et quelques 30.000 familles paysannes en vinrent à dépendre de cette culture. Selon une étude de l'ANIF (Asociacion Nacional de Instrucciones Financieros). Cité par Zamosc (1987) p.246. 71Le premier à utiliser ce concept est Camilo Torres (1963). Jaramillo l'adapte à une réalité encore plus proche chronologiquement et pas en se référant uniquement au problème de la violence. Dans le chapitre "Le secteur agraire en Colombie : Modernisation, Différenciation sociale et présence de l'Etat" (p.109 à 167), il analyse les transformations sociales et culturelles de le famille paysanne. Le rôle que commencent à jouer les femmes et les enfants. L'impact des politiques de contrôle de la natalité. La brèche entre générations. la modernisation de certaines coutumes sous l'impulsion des moyens de communication chaque jour plus accessibles au paysan (radio, télévision...) et par la proximité culturelle qui se développe dans les villages qui subissent l'influence des villes. Le rôle de l'éducation et autres formes de présence de l'Etat.

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Le paysan qui intègre l'ANUC n'est pas le même sur le plan culturel que celui qui a lutté pour la terre dans les années 30. Lheman (1972) dans son étude sur le monde rural chilien nous faisait remarquer qu'il n'existe pas qu'un seul type de conscience chez les paysans et que nous ne pouvons pas l'établir sans prendre en compte divers paramètres. Le cas de l'ANUC nous confirme cette idée. La décision de s'engager dans la lutte a toujours dépendu de plusieurs facteurs. Entre les valeurs culturelles paysannes (rôle de la communauté, de la famille, de la terre, des traditions religieuses) et une rationalité qui recherche les bénéfices économiques, le bien être, une meilleure intégration dans la société, se forge une articulation certes complexe mais qui donne comme résultat une logique de comportement adaptable aux changements du contexte. Au sein de l'ANUC, nous ne nous trouvons plus en présence du paysan se défendant contre l'irruption brutale du capitalisme dont nous parlent les théoriciens de "l'économie morale", ni non plus devant les rationalistes absolus de Popkin (1979) qui ignorent le poids des traditions. Nous sommes en présence d'un monde rural, mieux vaudrait-il dire , de différents types de paysans luttant pour obtenir une meilleure forme de vie par le biais de la réalisation de leurs revendications, qu'elles s'appellent terre, crédits, services ou salaires. La controverse au sujet du capitalisme a plutôt été le fruit des forces de gauche qui l'influencèrent. En ce qui concerne la paysannerie de l'ANUC, celle ci accepta le travail de la gauche aussi bien qu'elle avait reçu l'aide dans le processus d'organisation, offerte par le gouvernement de LLeras. Tout ce qui pouvait être susceptible de rendre possible l'atteinte de leurs objectifs était valable. C'est également pour cette raison qu'il n'y eut rien de plus logique que la débandade lorsque les paysans se rendirent compte de l'instrumentalisation que la gauche faisait de leurs luttes et lorsqu'ils constatèrent l'inefficacité qui a caractérisé l'ANUC dans cette étape finale. Cependant, l'analyse du comportement paysan ne peut être rendue en "blanc et noir". La chose n'est pas si simple. Comment nous expliquer les multiples options qu'adopte le paysan dans des contextes similaires ? Son adhésion aux partis traditionnels , son apathie, son soutien apporté aux organisations guérilleras, sa façon de militer au sein de partis de gauche, sa recherche de formes d'organisation alternatives, etc...? Un champ d'investigation important qui va au-delà des limites de ce travail reste ouvert. D'autres lacunes notables dans les études sur l'ANUC portent sur l'absence d'analyses détaillées du comportement de l'organisation paysanne dans des zones de colonisation, de petites propriétés, de capitalisme moderne, mais également sur la participation des indigènes et le rôle joué par l'église. Nous avons vu que ces aspects ont une importance mineure dans les combats que mène l'ANUC, comparés à l'intensité de la lutte pour la terre sur la cote nord ; mais ce n'est pas pour autant qu'ils cessent être des objets d'études intéressants pour la recherche d'une compréhension plus complète de cette expérience historique du monde paysan colombien. Et qu�’en est-il après l�’ANUC ? Le cas de l'ANUC marque les limites de notre vision panoramique sur les paysans et la politique en Colombie. La campagne continue à être le théâtre de multiples conflits mais les revendications agraires n'ont plus jamais atteint le degré de protagonisme que nous avons connu dans les années 70 ou, pour aller plus loin, dans les années 20 et 30. Au milieu de certaines "continuités" apparaissent des éléments nouveaux qui rendent la situation plus complexe. Sans nous arrêter à leur étude, nous désirons terminer notre mémoire en mentionnant certains problèmes qui commencèrent à affecter le monde paysan dans les années 80.

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L'intensification du conflit armé entre guérillas et forces armées déplace la lutte sociale en terrain rural. Les organisations des guérillas étendent leur champ d'action à de nouvelles régions. Certaines mobilisations paysannes sont orquestrées par la guérilla. Dans d'autres cas, des luttes de secteurs indépendants du monde rural sont qualifiées de criminelles et considérées par les forces armées comme étant des actions subversives72. Dans les zones de colonisation, la guérilla consolide sa présence et se transforme en moteur de certaines expressions de protestations des colons73. Au centre du conflit, le paysan est la victime principale de cette nouvelle vague de violence, non seulement en raison des morts, disparus, torturés et déplacés mais également en raison de l'impossibilité de se doter de formes d�’organisation " de couverture nationale, pour la défense de ses intérêts74. L'on trouve une grande fragmentation et faiblesse au niveau des secteurs du monde rural avec toutefois une disposition à l'organisation75. D'autres acteurs armés qui aggravent la situation apparaissent. Le narco-trafic se renforce et sa présence affecte la campagne à différents niveaux : 1) Dans les zones de colonisation qui se transforment en zones de culture et laboratoires. Si d'un coté la coca représente une solution d'alternative à la crise chronique dont souffre l'économie du colon, elle est également source de violence et de désorganisation sociale76. 2) Les narco-traficants deviennent propriétaires d'une bonne part des meilleures terres du pays. Certaines études parlent d'un nouveau processus de concentration de la propriété agraire aux mains du narco-trafic77. 3) La création des groupes dénommés "paramilitaires" en alliance avec les forces armées et certains secteurs d�’extrême droite. Leur objectif est d'éliminer les bases de soutien paysan envers le mouvement armé et toute expression de lutte sociale organisée dans ses zones d'influence. Dans certaines régions, ces groupes ont compté avec l'appui de secteurs importants de la population rurale, du à la pression permanente de la guérilla exercée sous forme de séquestrations, extorsions et pressions pour obliger à appuyer leur projet révolutionnaire78. 4) L'irruption du narco-trafic s'est également transformée en facteur fondamental de financement des guérillas. Par le biais du recouvrement des impôts auprès de cultivateurs et de trafiquants, la guérilla (surtout les FARC) a augmenté ses ressources économiques. L'on sait qu'à présent il ne s'agit pas seulement de percevoir les impôts, la guérilla elle-même cultive et distribue la drogue, ce qui améliore ses gains. La grande expansion des FARC à pratiquement tout le pays (plus de 90 fronts) est directement rattachée à cet aspect79.

72Voir Reyes et Bejarano (1988), Reyes (1991), Reyes (1989), Zamosc (1990). 73Consulter les travaux déjà cités de Molano (1988), Ramirez (1988) et Jaramillo (1986). 74Selon l'ONG "Conferencia de Religiosos de Colombia", pendant la décennie 1980-1990, autour du 44% de victimes de la violence politique ont été des paysans. Voir "Justicia y paz", Vol. 1, No. 4, 1988, p.100. 75Voir Escobar (1991). 76Voir travaux de Molano (1988) et Jaramillo (1986). 77En 1989, Carlos Osa, président de la Société d'Agriculteurs dénonçait le fait que les investissements du narco-trafic pour l'achat de terres touchent plus de 2000.000 d'hectares surtout dans les régions de Meta, Magdalena Medio, Cordoba et Sucre ainsi que Toklatian (1990) p.262. Selon l'Annuaire Social, Politique et Économique "synthèse 93" de l'Université Nationale, 1993, on estime à plus de 3000.000 d'hectares les achats de terres effectués par le narco-trafic. Voir annexe comparative. 78Voir Reyes (1991), Medina (1990), Tokatlian (1990). 79Ce phénomène, bien qu'évident, est difficile à quantifier d'une manière objective. Les chiffres sur le montant d'argent provenant du narco-trafic que reçoit la guérilla proviennent toujours d'organismes d'Inteligencia

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En ce qui concerne les politiques étatiques, nous allons également trouver des continuités et des ruptures. Entre 1978 et 1982, le gouvernement de Turbay Ayala (libéral) renforce la répression dans le but de contenir les luttes sociales et la croissance des mouvements de guérilla. Le résultat obtenu est contraire au but en ce qui concerne le phénomène "guérillero"80. En 1984, sous le gouvernement conservateur de Belisario Betancur, l'on se remet à parler de réforme agraire dans le cadre des accords de trêve signés avec la majorité des groupes guérilleros81. Le projet échoue face à la réactivation de la lutte armée. Animé de la même perspective dans les desseins politiques de démocratisation qui servent à donner de l'élan vers une paix possible avec la guérilla, le gouvernement de Barco parvient à obtenir l'adoption d'une nouvelle loi de Réforme Agraire. Les résultats sont plus que modestes82. En 1994, le gouvernement de Gaviria met sur pied une nouvelle loi agraire qui se trouve actuellement en cours de réglementation. Cette fois, si l'on s'en réfère aux commentaires de quelques chercheurs, il est sur que s'articulent des objectifs politiques et socio-économiques de développement qui peuvent laisser présager un avenir meilleur pour la nouvelle loi83. Une autre politique nouvelle qui a commencé à être mise en pratique sous le gouvernement de Betancur et qui est restée en vigueur avec certaines variations au cours des gouvernements postérieurs de Barco, Gaviria et le gouvernement actuel de Samper est celle que l'on a dénommé Plan National de Réhabilitation. (PNR)84 Le PNR est orienté de manière spécifique vers les zones rurales présentant des problèmes de violence et va de pair avec le DRI et d'autres mécanismes de développement régional. Il a également favorisé des processus de participation communautaire dans la gestion de ses projets. Bien que cela soit loin de résoudre la grave problématique de la violence à la campagne, cela a donné quelques résultats partiaux intéressants. Un autre aspect de portée nationale qui rencontre une voie d'expression à la campagne qui mérite être étudiée est le processus de décentralisation politique, administrative et fiscale qui commence avec les lois et décrets d'élection populaire de maires et de Juntes Administratives Locales avec participation de la communauté (1986). Par la suite, devait venir la nouvelle Constitution Nationale de 1991 qui instaure le système d'élection populaire de gouverneurs, entre autres mesures qui renforcent le rôle joué par les régions85. La nouvelle constitution contient également un article qui fait référence à la situation agraire et par lequel l'Etat s'engage à veiller à l'amélioration du niveau de vie du paysan, à augmenter la production de vivres et à favoriser la production rurale capitaliste (articles 64, 65 et 66). La progression du processus décentralisateur coïncide également avec la consolidation du modèle économique néo-libéral qui a connu un impact global négatif dans le monde rural selon des études réalisées tant par les partisans de l'économie paysanne et de la réforme agraire que par les représentants des entreprises agricoles86. militaire et d'informations fournies par la presse et tournent autour de 100 millions de dollars annuels. Semana. Juin 1992. No 531. 80Voir Pécaut (1989). 81Pour un bilan de la politique de Betancur consulter Ramirez et Restrepo (1989) . En ce qui concerne la réforme agraire et le processus de paix consulter Gros (1987). 82Gros (1991). 83 83. Voir Fajardo (1994), Molano (1994). 84Voir Machado (1994). 85Pour les bilans du processus de décentralisation, voir Blanquer (1993), Cardenas et Gonzales (1991), Peñalosa (1989), Cifuentes (1993). 86Les principales corporations de l'agro-élevage portent un jugement sévère sur le modèle neo-libéral. Voir revue de la Société des Agriculteurs de Colombie No. 903, 1993. Article sur la loi de développement de l'agro-élevage.

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Nous avons vu de quelle manière le paysan des années 80 et 90 est plongé dans une réalité très complexe. A coté des différents acteurs violents qui se disputent le pouvoir régional, l'Etat est soit absent, soit un compétiteur de plus. Mais ce n'est pas ainsi dans tout le pays. D'autres régions présentent différentes caractéristiques politiques et socio-économiques. Dans certaines régions, le monde paysan se désarticule en raison de l'intensité du conflit sans connaître aucune possibilité d'organisation87. Dans d'autres régions apparaissent ou se consolident des alternatives d'organisation qui permettent non seulement de survivre mais également de développer la communauté88. Nous avons énoncé quelques aspects qui caractérisent le contexte dans lequel s'est débattu le monde paysan des années 80 jusqu'à nos jours. A partir de ce regard rapide et certainement incomplet se dégageront de nombreuse questions qui peuvent orienter des études intéressantes sur la paysannerie. Bien que nous ne nous trouvions plus pris dans le "boom" des années 60 et 70 et malgré le cauchemar des multiples "morts annoncées" au sein du monde paysan, celui ci demeure un acteur incontournable de notre société.

87En plus des violations les plus communes des Droits de l'Homme, le drame des "déplacés internes" a dernièrement pris beaucoup d'ampleur. Voir Osorio (1993). 88Voir l'étude sur les coopératives rurales de Forero et Davila dans "Tierra, Economia y Sociedad" PNUD-FAO-INCORA 1993. et Forero (1993)

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CONCLUSIONS Il est très difficile de faire une synthèse complète des traits fondamentaux propres aux théories avancées sur la rébellion paysanne. Dans ce travail nous avons vu dans la première partie, comment, bien que nous basant sur un modeste échantillon des investigations effectues sur le thème, nous trouvons de multiples points de vue communs ainsi que des différences plus ou moins évidentes. Dans le cas des traits généraux coïncidents, il existe des nuances conceptuelles qui rendent nébuleuses et imprécises les frontières tracées pour différencier une théorie d'une autre. La catégorisation faite par Wickman (1992) nous parait une bonne approche à l'introduction de son travail de recherche. A partir de là, nous développons une tentative de différenciation des théories étudiées. Tant dans les oeuvres que nous considérons comme théoriques que dans les études de cas particuliers en Amérique Latine, nous pouvons remarquer que la dénommée "économie morale" s�’érige en tendance dominante qui guide les travaux sur le thème. Les oeuvres de Hobsbawn, Moore, Wolf, Shanin et Scott répondent à ce schéma théorique. Le travail de Paige peut être considérée comme une tendance théorique des déterminants économiques. Quant à l'oeuvre de Sckocpol, l'analyse structurelle en est le trait fondamental. Poopkin a dénommé son travail sous le terme économie politique de par son correspondance avec les théories olsoniennes. Les travaux de Landsberger et Mendras représentent une vision plus globale qui prend des éléments des diverses théories sans que nous puissions les classer dans une école spécifique. Tous les travaux théoriques décrits recueillent à un degré majeur ou mineur quelques éléments emanant du marxisme tandis qu'ils qu'ils en remettent d'autres en question. Au risque de tomber dans une généralisation simpliste nous identifierons quelques uns des aspects qui nous semblent les plus représentatifs des théories avancées dans ce travail. Il est presque unanime chez les classiques de la rébellion paysanne de présenter l'irruption du capitalisme comme un facteur qui altère de façon importante la vie paysanne, en provoquant une réaction de défense et d'opposition. Même si l'on considère ses particularités dans chaque théorie, un autre aspect coïncident est celui de la différenciation par strates des paysannes, qui est approfondie par le capitalisme et qui détermine également différents types de comportement politique, rendant ainsi certains secteurs plus enclins que d'autres à la rébellion. Il existe une reconnaissance de l'influence de la paysannerie dans les processus de transformation sociale révolutionnaire les plus déterminants de l'histoire moderne. Le paysan en tant qu'acteur politique a toujours besoin d'agents et de facteurs externes pour réagir et s'organiser. Sa participation dans des processus politiques d'ordre national ou qui vont au delà de son espace communautaire est toujours dépendante du jalonnement effectue par d'autres acteurs politiques d'origine urbaine. Ces traits généraux à la plus grande partie des travaux théoriques dédiés à la rébellion paysanne ne sont pas exempts de ripostes et remises en question. Nous avons détaché le travail de Popkin avec sa critique de l�’économie morale, mais il existe egalement dans les points exposes par Stern des aspects qui confrontent les théories classiques. La rationalité ou "économie politique" dont parle Popkin par opposition à la économie morale, contient des éléments que nous trouvons plus appropriées pour l�’étude du comportement paysan à l�’époque actuelle.

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La tendance chez les individus de nos sociétés (les paysans ne constituent pas l'exception) à analyser les coûts et les bénéfices matériels ou moraux de chaque action entreprise est chaque fois plus claire. Quant à l'apport le plus important de Stern (1987), il nous semble que c'est celui de chercher de nouvelles façons d'analyser la conscience paysanne, en allant au delà du schéma conservateur contenu dans de nombreuses études sur le thème. La conscience est une élement à définir en accord avec de nombreux facteurs et variables, et pas quelque chose de préétabli qui, dans le cas du paysan est défini comme soumis et retardataire. Lorsque nous prenons chaque étude de façon séparée, nous voyons des vides importants et des questions sans réponse. Les auteurs mêmes font presque toujours remarquer le caractère partiel de leur travail, applicable pour des cases spécifiques. Cependant, ces travaux finissent par devenir en théories à vocation générale et paradigmes à partir desquels se développent de nouvelles recherches. Nous nous inclinons à penser que, à partir d'une réalité qui nous montre que la rébellion paysanne est entourée de quelques traits communes et de nombreuses particularités, il n'existe pas de théorie absolue à partir de la quelle nous puissions répondre globalement à toutes les questions possibles sur la rébellion paysanne. En nous approchant de ce qui a été exposé par Lehman1, nous réalisons que la vérité ne réside pas dans la rationalité individualiste de Popkin, pas plus que dans la morale communautaire de Scott, dans l'analyse structurelle de Skocpol ou dans le déterminisme économique de Paige, pour ne mentionner que les théories répertoriées. Nous devons être suffisamment souples afin de pouvoir utiliser des éléments des différentes écoles à la recherche de réponses, ou chercher de nouveaux paradigmes inédits grâce auxquels nous pourrions être confrontés au nouveau type de paysan et à la nouvelle réalité qui l'entoure et essayer de comprendre sa logique politique et leur formes de résistance ou adaptation. Dans le cas colombien, l'on peut constater la validité de certains éléments ressortant des différentes théories élaborées sur le monde paysan et son rôle politique. Le plus clair est, à nos yeux, le rôle joué par les agents externes dans la dynamisation des luttes paysannes ou dans leur participation politique. Le caractère de "société encapsulée" dont parlait Mendras (1976) pour se référer à l'étroite relation du paysan avec divers éléments de la société globale, est une constante dans l'histoire de la paysannerie colombienne. Deas (1983) nous le signale déjà dans son travail sur la politisation de la société rurale au 19eme siècle. "L�’interrelation" campagne-ville sur le terrain de la politique et du conflit social s'affirme avec le temps. Cependant, cet "encapsulage" ne signifie pas que nous nous trouvions toujours face à un sujet conservateur et malléable par nature, comme tendent à nous le démontrer certains classiques (Wolf (1966) et Hobsbawm (1974) ). Cependant, le rôle des agents externes comporte différentes variables. Dans certains cas, ils accroissent les possibilités du mouvement, dans d'autres ils l'instrumentalisent ou se transforment en facteur de crise et de désarticulation. Le paysan a été un protagoniste permanent de l'histoire colombienne; presque toujours en tant que soldat ou militant dans des conflits qui ne correspondent pas à ses intérêts fondamentaux mais à d'autres dynamiques d'ordre politique ou la question agraire peut être incorporée sans toutefois constituer le problème fondamental.

1 Lehmann, David, « Ni Chayanov ni Lenin: apuntes sobre la teoria de la economia campesina » in Estudios Rurales latinoamericanos, vol. 3 No. 1, 1980.

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Au cours des guerres d'indépendance, des guerres civiles, de la Violence et de la lutte de la guérilla, le paysan est toujours présent à l'appel. Les luttes agraires des années 20 et 30 et par la suite l'expérience de l'ANUC dans les années 70 nous présentent les revendications agraires comme étant l'élément central, mais même dans ce cas là, les agents externes, qu'ils se nomment gouvernants en fonction, partis d'opposition, libéraux ou conservateurs, intellectuels ou religieux, ont toujours été présents et ont toujours joué un rôle notable. Les études de Gros (1991) et Le Bot (1977) (1992) (1994) montrent que dans le cas des guérillas latino-américaines, ils ont eu une influence nocive au niveau des mouvements paysans. L'exemple colombien cadre bien avec ces études, en particulier dans le cas de l'ANUC. La guérilla (et la gauche en général) contribue à la crise du mouvement paysan, pour ensuite l'instrumentaliser et finalement le supplanter. D'autre part, l'expérience colombienne nous montre un paysan différencié non seulement par sa couche socio-économique mais également par ses différences culturelles et par le genre de lien qu'elles établissent avec le contexte qui les entoure. Cette hétérogénéité si étudiée chez les classiques, est considérée dans le cas de l'ANUC, comme l'un des facteurs qui ont conduit à sa dissolution. L'impossibilité d'articuler les divers intérêts de chaque secteur du monde paysan a causé la division du mouvement. Quant à nous, il nous semble que ce n'est pas l'hétérogénéité en elle-même qui a provoqué la crise mais plutôt l'incapacité du mouvement et de ses dirigeants, d'articuler les dites différences. L'expérience colombienne de l'ANUC nous permet également de relativiser le conditionnement absolu du degré de rébellion paysanne en accord avec sa couche socio-économique. Au sein de l'ANUC nous avons vu différents types de paysans adopter une attitude radicale et également le même type de paysan changer son comportement politique en fonction du contexte et non de sa propre condition. Le caractère réactionnaire ou révolutionnaire du paysan ne peut se définir dans l'abstrait. En ce qui concerne l'impact de l'irruption du capitalisme à la campagne, il est clair que, d'une manière globale, il y a eu un effet négatif dans les communautés rurales. La Colombie n'a pas constitué l'exception. Cependant, les luttes des paysans que nous commençons à observer depuis le début du XIXème siècle, étaient plutôt menées dans la perspective d'une intégration à l'économie capitaliste, tout en recherchant la survie de son économie paysanne. Cela a continué à être la constante jusqu'à nos jours. Si nous considérons les choses sous cet aspect, nous nous sentons plus proches des idées de Popkin que de celles de "l'économie morale". Les études de la paysannerie colombienne et le caractère de son engagement politique répondent globalement aux questions clés que se sont posées les théories classiques sur le "pourquoi", le "comment" et le "quand" des rébellions paysannes. Cependant, il existe des aspects par rapport auxquels nous trouvons des lacunes importantes. L'étude de la conscience dans le monde rural a attiré particulièrement notre attention. Dans le cas de l'ANUC, l'absence d'études plus approfondies sur le thème, qui pourraient nous éclairer davantage sur les changements dans le comportement politique du paysan au long de l'histoire du mouvement est notable. Mouvement d'abord lié au gouvernement, ensuite à la gauche radicale, pour finalement se désarticuler, alors que beaucoup de paysans sombraient dans l'apathie, d'autres se rapprochaient à nouveau du gouvernement par le biais de "ligne Armenia" et d'autres se consolidaient comme bases sociales de guérillas dans les années 80. Les changements dans la conduite du paysan sont marqués par le processus "d'urbanisation sociologique" dont nous parlent Camilo Torres (1963), Fals Borda (1961) et avec des éléments nouveaux Jaramillo (1987). Ce paramètre peut nous servir de point de référence pour nous plonger dans l'interprétation de la logique politique du paysan.

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Il ne s'agit plus à présent de se limiter à l'étude du paysan dans sa façon de s'organiser, encerclé dans différents types de conflits. Il faut embrasser le reste de la paysannerie (la majorité) dont la conduite politique est marquée par l'apathie et le scepticisme ou par son affectation aux partis traditionnels, qui se manifestent en général par la cérémonie clientéliste d'échange de faveurs pour obtenir des votes. Cela est valable non seulement pour les expériences décrites dans notre travail jusqu'à arriver au cas de l�’ANUC, mais également pour faire face à la recherche des problématiques qui se consolident ou apparaissent dans les années 80. Les vastes études entreprises sur le conflit armé en Colombie, sur l'impact du narco-trafic et les groupes paramilitaires, sur l'effet des politiques gouvernementales, ou sur les nouvelles formes que prend la politique des partis libéral et conservateur dans le monde rural, tous ces thèmes de recherche comportent un vide quant à l'étude portant sur la structure de la conscience du paysan. Quel est le caractère des relations qu'entretient l'homme de champs avec les agents externes qui l'entourent ? Quelle est la nature des liens qu'il établit avec les guérillas, les narco-trafiquants, les paramilitaires, les partis traditionnels, les «ONG", l'église, les autorités gouvernementales ? Le contexte actuel n'est pas uniquement caractérisé par la Violence. Il existe d'autres phénomènes qui ont une incidence spécifique sur le monde rural. Le panorama du mouvement paysan ne se limite pas au paysage désolant des gens assassinés, disparus ou déplacés. L'impact des politiques telles que le DRI ou le PNR, les processus d'organisation du paysan autour d'objectifs de développement économique comme les coopératives rurales et autres formes associatives ; les diverses stratégies qu'utilise la paysan pour parvenir non seulement à maintenir la survie mais également à se développer. Tout cela nous laisse entrevoir une perspective qui a ses implications dans le comportement politique. Forero (1994) nous présente un paysan toujours plus pragmatique quant à ses relations avec les agents externes. Il existe un processus d'instrumentalisation des activités paysannes, tant sur le plan individuel que collectif qui peut être communal ou corporatif. Pour finir, l'application des politiques neo-libérales dans le monde rural, qui coïncident avec le processus de décentralisation administrative et politique (élections populaires de maires, juntes administratives locales, nouveau rôle des régions) a certainement des conséquences dans l'activité politique du paysan qui n'ont pas été étudiées jusqu'à présent, selon le point de vue de quelques experts2. Les travaux d'évaluation de ces phénomènes se sont concentrés au domaine urbain ou arrivent tout au plus à toucher les chefs-lieux sans s'étendre aux communautés rurales. C'est également sur ce terrain que nous trouvons unchamp d'investigation fertile qui contribue à ajouter quelques bribes de compréhension à ce grand casse-tête que représente la société colombienne. 2 2Conversations soutenues avec le docteur Jaime Castro (ex-ministre du gouvernement, spécialiste en administration publique et moteur gouvernemental principal des réformes qui donnèrent naissance au processus de décentralisation) et le professeur Dario Fajardo (anthropologue, a écrit divers article sur la problématique régionale et la décentralisation) indiquent les carences d'études quant à cette perspective.

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