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DEBOUT CONTRE LA LOI TRAVAIL ET SON MONDE Laurent Degousée

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DEBOUT CONTRE LA LOI TRAVAIL

ET SON MONDE

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Laurent Degousée

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Tous droits réservés sauf indication contraire (couverture : JR)

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CHRONOLOGIE

17 février : la parution de l’avant-projet de loi Travail soulève le tollé côté syndical.

19 février : lancement de la pétition Loi Travail : non, merci qui dépasse le million de signataires le mois suivant.

22 février : réunion intersyndicale à la CFDT qui débouche sur un communiqué poussif signé par toutes les organisations exceptée FO.

24 février : publication de la vidéo On Vaut Mieux Que Ça réalisé par le collectif du même nom.

29 février : réunion unitaire de 21 organisations de jeunesse.

3 mars : nouvelle réunion intersyndicale suivie d’une seconde, à l’initiative de la CGT, sur la ligne de retrait du texte, rejointe par des syndicats de lycéens et d’étudiants.

9 mars : première journée de mobilisation, appuyée par plusieurs syndicats, à l’appel du collectif jeunes.

12 mars : bide de la mobilisation organisée à l’appel de la CFDT, de la CFTC, de la CGC et de l’UNSA ainsi que de la FAGE.

14 mars : sommet social à Matignon qui aboutit à une deuxième version du texte débarrassé de points les plus contestables.

17 mars : manifestations à l’appel des organisations de jeunesse.

19 mars : première réunion de la coordination nationale étudiante (CNE).

22 mars : lancement de l’appel On Bloque Tout.

24 mars : présentation de la loi en Conseil des ministres sur fond de manifestations de jeunes.

31 mars : première grève et manifestations à l’appel de l’intersyndicale suivie de l’installation de Nuit Debout place de la République.

5 avril : manifestations à l’appel de la CNE.

9 avril : manifestations un samedi à l’appel de l’intersyndicale.

11 avril : sommet entre gouvernement et organisations de jeunesse qui aboutit à plusieurs annonces fortes en leur direction.

12 avril : manifestations à l’appel de l’intersyndicale.

14 avril : manifestations à l’appel de la CNE.

28 avril : grèves et manifestations à l’appel de l’intersyndicale et invitation de leurs dirigeants à Nuit Debout.

1er mai : manifestations plus fournies que d’ordinaire pour la fête des travailleurs.

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3 mai : rassemblement à l’Assemblée Nationale à l’occasion de l’examen du texte.

10 mai : l’emploi du 49-3 provoque des rassemblements spontanés dans tout le pays.

12 mai : manifestations à l’appel de l’intersyndicale.

17 mai : grèves et manifestations à l’appel de l’intersyndicale et début de grèves reconductibles dans plusieurs secteurs.

19 mai : grèves et manifestations à l’appel de l’intersyndicale.

26 mai : grèves et manifestations à l’appel de l’intersyndicale et lancement d’une votation citoyenne qui dépassera le million de votants.

31 mai : démarrage de la grève reconductible à la SNCF.

10 juin : début de l’Euro de football.

13 juin : le texte arrive au Sénat.

14 juin : grève et manifestation nationale sur Paris à l’appel de l’intersyndicale.

23 juin : après avoir été interdite puis autorisée, manifestation en rond à Bastille.

28 juin : grèves et manifestations à l’appel de l’intersyndicale.

29 et 30 juin : nouvelle concertation à Matignon avec les partenaires sociaux.

5 juillet : douzième et dernière journée nationale de mobilisation sur fond de nouveau 49-3.

20 juillet : troisième et dernier 49-3.

4 août : le Conseil constitutionnel, saisi par des parlementaires LR et de gauche, ne trouve rien à redire sur le fond du texte.

31 août : rassemblement prévu devant l’université d’été du MEDEF suivi de la réinstallation de Nuit Debout.

15 septembre : nouvelles manifestations prévues pour l’abrogation de la loi Travail.

1er janvier 2018 : présentation du nouveau Code du travail censé rentrer en application au 1er janvier 2019.

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LOI EL KHOMRI : LE CATALOGUE DES HORREURS

Vous avez aimé la loi Macron ? Vous adorerez la loi El Khomri ! L’avant-projet de loi de la ministre du travail visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs (sic) est sorti dans la presse la semaine dernière. Salué par Gattaz qui estime qu’il va dans la bonne direction, par Estrosi pour qui il faut aller vite ou par Woerth comme il reprend en partie les propositions des LR, ce texte constitue la clé de voûte de l’entreprise de démolition du droit de travail, marqueur de la présidence Hollande.

Après le rideau de fumée du rapport Badinter dont l’analyse a démontré qu’il n’était pas à droits constants et avant la mise en place d’une nouvelle commission chargée elle de refonder le Code du travail dans les deux ans à venir, le gouvernement montre l’exemple en réécrivant la totalité des pages consacrées au temps de travail selon la logique suivante : l’ordre public social auquel on ne peut déroger, le champ ouvert à la négociation collective et les dispositions supplétives amenées à s’appliquer faute d’accord.

Le temps de travail pulvérisé

Tout ou presque passe à l’encans : la durée maximale journalière du travail passe de 10 à 12 h, celle hebdomadaire de 46 à 48 h (on échappe in extremis au retour aux 60 h), le repos quotidien de 11 h pourra être fractionné dans certains cas, possibilité de moduler le temps de travail sur trois ans et non plus un etc. Même le nombre de jours pour congés spéciaux comme suite au décès d’un proche n’est plus garanti par la loi ! Le régime des astreintes est également revu à la baisse et l’extension du forfait-jours facilitée.

La barque est pleine avec le plafonnement des indemnités prud’homales (quinze mois de salaire après vingt ans d’ancienneté), la consécration de l’uberisation, l’intensification du travail pour les apprentis, l’extension des accords de maintien dans l’emploi à la recherche de compétitivité ou bien l’élargissement de la définition du licenciement économique : pour ce dernier, il suffirait désormais que l’entreprise accuse une baisse de chiffre d’affaire sur deux trimestres consécutifs pour que le motif soit constitué !

La dérogation comme règle

La mise en œuvre de ces mesures est renvoyée à chaque entreprise qui devient le niveau privilégiée de définition de la norme sociale, le principe de faveur devenant l’exception et non plus la règle. Le prix à payer est tellement énorme que les règles relatives aux accords collectifs sont revues : limitation à cinq ans, l’accord d’un niveau supérieur (le groupe par exemple) primera sur ceux inférieurs même dans un sens plus négatif et ils s’imposeront au contrat individuel de travail, tout refus se traduisant par un licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Certes, les accords, pour être valides, devront désormais être entérinés par des syndicats représentant au moins 50 % du personnel aux dernières élections et non plus 30 %, mettant ainsi fin au droit d’opposition des organisations majoritaires mais, pour parvenir à tout prix à un accord, la possibilité est donné à celles minoritaires de déclencher un référendum dont le résultat s’imposera si la majorité est atteinte. De la sorte, le chantage à l’emploi de Smart serait légal et La Fnac pourrait espérer passer outre l’avis majoritaire de la CGT, de FO et de Sud afin d’ouvrir chaque dimanche. La ministre veut amadouer les syndicats en prévoyant de donner enfin un statut aux locaux syndicaux interprofessionnels et en augmentant les heures des délégués syndicaux : pas sûr que ça marche.

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L’orage approche

En effet, c’est à une levée de boucliers qu’on assiste côté syndical : pour la CGT, c’est tout bénef pour le MEDEF, pour FO, c’est un tsunami social qui s’annonce et Solidaires de conclure que le patronat l’a rêvé, El Khomri le fait… La CFDT, soutien des réformes engagées depuis 2012, n’est pas en reste et délivre un avis négatif. Une intersyndicale nationale, une première depuis 2010, s’est tenue à Montreuil le 23 février pour élaborer une riposte commune alors que le texte sera présenté au Conseil des ministres le 9 mars prochain. Du côté des parlementaires PS, l’opposition va bien au-delà des frondeurs, tout comme pour la déchéance de nationalité. Plus surprenant encore, le très libéral Attali parle lui de « choses hallucinantes » dans la réforme et Guaino invoque le Front Populaire !

Avec la menace d’utiliser le 49-3, tout comme pour l’adoption de la loi Macron, avant même que le débat parlementaire n’ait lieu, Valls et El Khomri, sa marionnette, mettent le monde du travail au pied du mur. Hollande, de son côté, préfère trouver une majorité pour son adoption, comprendre à l’identique de celle réunie pour la révision constitutionnelle. L’UNEF ne s’y est pas trompé en appelant à fêter les dix ans du CPE comme il se doit et le succès de la pétition Loi Travail : non, merci, qui a recueilli en quelques jours autant de signatures que celle pour les Goodyear, est un signe positif. Ouverture de la renégociation de l’assurance chômage, discussion sur le décret-socle à la SNCF, persistance de la grogne dans la fonction publique : les ingrédients d’un « Tous ensemble » sont là et ils sont détonants.

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REFERENDUM D’ENTREPRISE : LA DEMOCRATIE EN TROMPE ŒIL

L'avant-projet de loi El Khomri n'est pas la simple continuation de la politique économique et sociale ultralibérale de François Hollande  : il constitue une rupture importante dans le rapport du gouvernement et du MEDEF aux organisations syndicales. Le recours au référendum pour contourner les syndicats majoritaires constitue l'un des enjeux cruciaux de ce texte. Or, le référendum en entreprise est doublement critiquable : il fait passer pour la volonté des salariés les régressions imposées par l'employeur, tout en sapant les fondements de la représentation syndicale.

C'est à la suite d'une visite précipitée d'Alexandre Bompard, président de la Fnac, que la ministre du Travail a annoncé l'inscription du référendum dans son projet de loi. Il s'agit de permettre qu'un accord signé par des syndicats, dont l'audience est comprise entre 30 et 50 % des voix, soit soumis à un référendum, l'approbation des salariés validant le texte. Ce faisant, on nie à la fois la représentativité des syndicats majoritaires, tout en reconnaissant celle des minoritaires, et l'on fait croire à un système plus démocratique que celui né des lois de mai 2004 et d'août 2008.

L'attribution d'un pouvoir exorbitant aux syndicats minoritaires ne doit pas masquer une rupture de fond. Car, justifier le recours au référendum par l'absence de légitimité des syndicats éclabousse tout le monde, les majoritaires et les minoritaires. Cela préfigure, sans doute, un virage politique du MEDEF et du gouvernement, qui semblent estimer qu'ils pourront désormais se passer des syndicats, même les plus complaisants, pour achever de détruire les droits des salariés. La première illusion, est celle de « l'initiative » syndicale. En réalité, le véritable initiateur est l'employeur, dont la signature au bas d'un accord est lacondition nécessaire pour que le référendum puisse exister. Curieusement, Myriam El Khomri n'est passuffisamment éprise de démocratie pour proposer un référendum à l'initiative des salariés, dont les résultatsseraient obligatoires pour l'employeur ! La seconde, c'est de faire semblant d'oublier que l'employeur est lemaître d'œuvre de tout le processus consultatif, comme l'avons constaté dans tous les référendumsd'entreprise anciens ou récents. Il est maître de la question posée  : or, une même question, formuléedifféremment, peut emporter des réponses très différentes. Demander à des salariés « êtes-vous d'accordpour travailler plus sans gagner plus » ne donnera pas le même résultat que « êtes-vous d'accord pourtravailler plus sans gagner plus pour ne pas être licencié »  ; ou bien encore « êtes-vous d'accord pourtravailler de nuit » et « êtes-vous d'accord pour que votre magasin soit ouvert la nuit »…

S'il maîtrise la question, l'employeur a également la mainmise sur le scrutin  : le calendrier, les règles de propagande électorale, le corps électoral… Et, surtout, notamment lorsque le référendum touche des établissements distincts, l'employeur est le seul à pouvoir mener campagne et toucher 100 % des salariés, les organisations opposées aux accords n'intervenant efficacement que là où elles sont physiquement présentes.

L'histoire des référendums d'entreprise le montre : il est rarissime qu'un employeur soit mis en minorité, en raison de l'immense avantage qu'il détient sur ceux qui combattent ses projets. Les voix outragées sont déjà prêtes à s'élever pour expliquer que les syndicats ne représentent pas grand-chose et s'opposent à cette mesure démocratique parce qu'ils ne veulent pas entendre les salariés. Il est un peu consternant que les porte-voix de certains partis politiques s'en prennent aux organisations syndicales sur ce terrain-là. Bien sûr, la France est un pays où le taux de syndicalisation est faible, au contraire d'une grande capacité de mobilisation. Mais, peut-on sérieusement soutenir qu'un syndicat « bloque » de manière illégitime un accord collectif, alors que la loi ne donne d'effet au droit d'opposition que s'il est formé par un ou des

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syndicats qui représentent la majorité des voix aux élections professionnelles  ? Et lorsque Les Républicains ou le PS revendiquent respectivement 200.000 et 180.000 adhérents, peuvent-ils, par exemple, se gausser des 700 000 syndiqués de la seule CGT ? Peut-on, par ailleurs, justifier le recours au référendum en expliquant que les syndicats qui représentent plus de 50 % des voix ne sont pas représentatifs et donner la maîtrise de l'agenda social de l'entreprise à ceux qui n'en représentent que 30 % ? C'est encore l'un de ces paradoxes à la mode que l'on veut nous présenter comme des évidences (comme de dire que le pouvoir de licencier librement crée des emplois et que de faire travailler plus ceux qui travaillent déjà va résorber le chômage…).

Le référendum d'entreprise n'est pas différent du référendum politique, introduit en France par les Napoléon (Ier et III) pour asseoir le césarisme. Le « coup d'État permanent » que François Mitterrand reprochait au général de Gaulle est étendu par ses successeurs au monde de l'entreprise et veut sceller le retour à la toute-puissance du chef d'entreprise  : celle qui existait avant la naissance du Code du travail. Cela n'a rien à voir avec la démocratie.

Laurent Degousée (SUD commerce), Karl Ghazi (CGT commerce Paris), Éric Scherrer (Seci-UNSA) et Alexandre Torgomian (SCID), membres du CLIC-P

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RIPOSTE A LA LOI TRAVAIL : FESTINA LENTE

Jeudi 18 février, la publication de l'avant-projet de loi dite travail, portée par la ministre en question, Myriam El Khomri, a mis le feu aux poudres : bronca dans les rangs du PS, consternation au sein des autres formations de gauche et tollé de toutes les organisations syndicales. Il n'y a guère que le MEDEF et de nombreux représentants de la droite pour s'en réjouir et pour cause : c'est un copié-collé de leurs propositions les plus rétrogrades.

Celles consacrées au temps de travail nous renvoient selon l'ex-inspecteur du travail, Gérard Filoche, un siècle en arrière. L'élargissement de la définition du licenciement économique, du recours aux accords de maintien dans l'emploi ou le plafonnement des indemnités prud'homales : n'en jetez plus, la barque est pleine !

Le cœur du texte est la fin de la hiérarchie des normes : en privilégiant la négociation d'entreprise et en donnant le moyen d'arriver à tout prix à des accords avec la mise en place du référendum, « il n'y aura plus de règle venue d'en haut » mais elles « seront fixées par ceux les mieux à même de connaître les réalités de l'activité, les contraintes de leurs marchés, les attentes de leurs clients » dixit Manuel Valls. Et les droits des salariés dans tout ça ?

La contestation qui vient

Tout est parti d'une pétition en ligne, lancée par une militante féministe, par ailleurs ancienne responsable de l'UNEF lors de la crise du CPE : en deux semaines, elle approche du million de signatures soit le record pour une pétition en ligne, mettant le gouvernement sur la brèche et obligeant ce dernier à improviser une campagne de communication sur sa loi, truffée d'erreurs et d'omissions.

Plus encore, une intersyndicale nationale, une première depuis 2010, s'est réunie le 23 février à l'initiative de la CGT : élargie aux syndicats étudiants, seule la CFTC, qui n'a pas encore arrêté sa position, manquait à l'appel. Las, elle a débouché, après près de quatre heures de réunion, sur un communiqué a minima où la patte de la CFDT est visible : il est question de concertation et de dialogue – pratique face à un Premier ministre déterminée à ne pas bouger les grandes lignes de son projet et aller jusqu'au bout, y compris avec l'utilisation du 49-3 – sans qu'aucune perspective d'action ne soit évoquée... Résultat, FO, qui veut clairement le retrait de la loi, a refusé de le signer, la base de la CGT, qui attend d'en découdre, est remontée et c'est à se demander ce que Solidaires est venu faire dans cette galère.

« Les pensées qui mènent le monde arrivent sur des pattes de colombes »

Il est juste question de se revoir le 3 mars prochain. Le gouvernement peut donc souffler, au moins jusqu'à cette date ? Pas sûr : succès de la nouvelle manifestation à Notre Dame des Landes, actions prévues pour la journée internationale de lutte pour les droits des femmes le 8 mars prochain, grève à la SNCF et la RATP le lendemain, préavis à la Poste pour le 23 mars : la contestation n'a pas attendu les consignes nationales pour s'exprimer. Le collectif CQFD appelle lui à un meeting avec des personnalités de premier rang le 17 mars prochain et une vingtaine d'organisations de jeunesse, très remontées, appellent elles à manifester dès le 9 mars, date de présentation du projet de loi en Conseil des ministres.

Cette contestation qui monte, bien au-delà des rangs militants, oblige les organisations les plus opposées au projet à avancer la date du 31 mars comme journée de grève nationale et interprofessionnelle, avant

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l'arrivée du texte à l'Assemblée. Le gouvernement, de son côté, a ouvert une concertation espérant d'ici cette date détachée la CFDT, soutien traditionnel des réformes sociales entreprises depuis 2012.

Dans le même ordre d'idée, c'est une Bourse du travail de Paris pleine à craquer qui accueillait le 23 février zadistes, syndicalistes, intermittents du spectacle et autres chômeurs à l'initiative du réalisateur François Ruffin, auteur du documentaire jouissif, Merci Patron !, dont le succès en salle est immédiat. C'est une autre Bourse tout aussi remplie, celle de Saint Denis, qui recevait le même mois les Pinçon-Charlot venus présenter leur dernier livre sur l'oligarchie. L'appétence pour la critique sociale est bien là tout comme l'envie d'en découdre : 2006, date de retrait du CPE, c'est vieux ; 2016, c'est mieux !

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INTERSYNDICALE VERSUS INTERSYNDICALE

Le 3 mars dernier, les principaux syndicats de salariés, à l’exception de Solidaires dont la base n’a pas digéré la déclaration issue de la précédente réunion, se sont retrouvés dans les locaux de l’UNSA pour tâcher de définir une position commune précise à l’encontre de la loi travail. Très vite, la césure entre partisans de l’amélioration du texte et de son retrait s’est fait jour.

La CFDT, la CFTC (qui fait son apparition), la CGC et l’UNSA, rejointes par la principale association étudiante, la FAGE, se sont mis d’accord sur les lignes rouges à défendre vis-à-vis du gouvernement telles que l’abandon des mesures unilatérales par l’employeur sur le temps de travail, l’amélioration des mesures supplétives en la matière, celui du CPA et le renforcement de la médecine du travail. Une intersyndicale pas si unie que ça sur la question du référendum, pleinement assumée par la CFDT, et la place donnée à l’accord d’entreprise au détriment de celui de branche.

On appréciera au passage le tacle de Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe de la CFDT, qui déclare : « Il y a des organisations syndicales en France qui préfèrent ne pas faire de propositions, on l'a encore vu ce matin. » C’est oublié que, par exemple, la CGT et Solidaires revendiquent le passage aux 32 heures et la nullité en cas de licenciement abusif.

La CGT avait elle donné rendez-vous à Montreuil dans l’après-midi : se sont retrouvés outre FO, la FSU et Solidaires, l’axe traditionnel à l’origine des mobilisations contre les précédentes réformes menées depuis 2013, la FIDL, l’UNEF et l’UNL (la CGC participait aussi à la rencontre, histoire de ne pas insulter l’avenir). Sans surprise, c’est une déclaration offensive qui a été adoptée qui, outre l’affirmation de l’exigence du retrait de la loi, appelle à réussir les manifestations prévues le 9 mars et confirme la date du 31 mars comme journée nationale de grève.

Ni report, ni regret

Il n’est pas anodin que, à son tour, la première intersyndicale appelle à des rassemblements dans tous les départements pour le samedi 12 mars afin de peser (sic) sur la concertation organisée avec les « partenaires sociaux » par le Premier ministre le 14 mars prochain (toutes les organisations doivent à nouveau se retrouver le 18 mars).

Sur le fond, deux lignes syndicales s’opposent : la première, dont la CFDT est la maîtresse d’œuvre, qui veut sécuriser les parcours professionnels pour faire contrepoids aux effets de la crise et l’autre, autour de la CGT, qui veut arracher par la mobilisation des garanties collectives. Cette dernière peut s’appuyer sur un rejet profond de l’exécutif et il n’est pas certain que Valls, en matamore de la réforme, veuille concéder des points significatifs de la future loi aux organisations plus conciliantes : augmentation des indemnités prud’homales oui mais sans revenir sur le principe du plafonnement dont le retrait fait pourtant l’unanimité côté syndical, définition du licenciement économique revue à la baisse mais sans toucher aux accords offensifs de maintien dans l’emploi, extension du forfait jours dans les PME mais désormais négocié au travers d’un mandatement syndical…

Ce mercredi, ce qui sera déterminant, c’est combien de millions de clics d’indignation se traduiront en centaines de milliers de manifestants bien réels et avec quelle force la jeunesse se soulèvera dans la rue pour qu’advienne « le mouvement réel qui abolit l’état actuel des choses. »

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VERS L’EPREUVE DE FORCE

Avec certainement plus d’un million de manifestants ce 31 mars et assurément au moins le double de ceux du 9 mars, le mouvement contre la loi Travail a passé un cap. Ni les prétendues concessions faites par le gouvernement le 14 mars dernier, ni le soutien devenu outrancier de la direction de la CFDT à ce dernier (la participation de dissidents de cette centrale dans les cortèges était d’ailleurs loin d’être anecdotique) n’auront suffit à marginaliser la contestation dudit projet de loi qui reste rejeté par sept Français sur dix.

À Matignon, on juge que le mouvement « est élevé mais on n’a pas non plus basculé dans un phénomène traduisant une mise en mouvement de toute la jeunesse et de tous les salariés » Ajoutons pas encore basculé car, contrairement aux réformes anti-ouvrières mises en œuvre par Hollande comme la mal nommée loi de sécurisation de l’emploi et celle portée par Macron, nous sommes bel et bien en face de la plus grande protestation contre sa politique économique et sociale depuis le début du quinquennat. Même François Fillon, inflexible face aux millions de manifestants contre la réforme des retraites de 2003 et 2010, dit qu’il vaut mieux arrêtez les frais !

Vers une crise majeure

Au plus haut de l’État, la crainte d’une fin de mandat chaotique rend fébrile et on comprend mieux pourquoi El Khomri recevra finalement mercredi l’UNEF, soit le lendemain de la nouvelle journée d’action prévue dans les lycées et les universités, pour examiner certaines propositions du syndicat étudiant. Il est aussi clair dans toutes les têtes que si l’exécutif a finalement reculé sur la déchéance de nationalité et plus largement sur la révision constitutionnelle, on peut le contraindre à faire de même sur la loi Travail.

Les ingrédients de la crise sont bien là. La plus vraisemblable est que la poursuite d’une contestation de haut niveau − le débat parlementaire démarre le 3 mai prochain, avant le traditionnel 1er mai qui tombe un dimanche cette année, et la bataille d’amendements s’y annonce rude − fasse exploser les contradictions sur le plan politique : au fur et à mesure des concessions accordées aux manifestants, la droite aura alors beau jeu de ne pas voter la loi comme elle n’irait plus assez loin à son goût tout comme les députés socialistes les plus à gauche qui se verraient rassenés dans leurs critiques. Dès lors, un nouveau recours au 49-3 n’est pas à exclure, qui ouvrirait la voie à une motion de censure votée y compris par une partie de la majorité et à la chute du gouvernement Valls. Alors même que ce dernier émettait l’hypothèse de sa démission début mars, ce serait en fait pour lui l’occasion de poursuivre sa carrière politique dans les habits du réformateur contrarié. Quant à Hollande, en parfait élève de Mitterrand, il est parfaitement capable d’opter pour la dissolution qui, avec le probable retour de la droite aux manettes suite aux élections législatives qui suivraient, constituerait pour lui une occasion unique de se relancer à un an de la présidentielle : vertige du pouvoir.

Construire le mouvement jusqu’au retrait total

La crise, il faut surtout l’espérer sociale, y compris pour que les revendications basculent au-delà du seul retrait de la loi Travail qui n’en demeure pas moins un préalable : pour cela, la jeunesse doit clairement affirmer son rôle de locomotive du mouvement, à l’instar de son rôle lors de celui du CPE en 2006. N’étant pas assujettie sur le plan économique et en l’absence à ce jour de secteurs en grève reconductible (elle se fait y compris attendre chez les cheminots, en butte à une réforme de leur temps de travail analogue à celle

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de la loi Travail), c’est à une combinaison fine, en particulier sur le plan local où les organisations de jeunes ne sont pas toujours nécessairement coordonnées avec celles syndicales, qu’il faut travailler, alternant journées de mobilisation fortes et actions de blocages de l’appareil économique mais aussi de contrôle social.

Selon Engels, « En dernière instance, l'État est une bande d'hommes armés » : les violences policières, dénoncées par la LDH, deviennent récurrentes et n’ont évidement rien à voir avec un quelconque maintien de l’ordre.

Les images qui circulent sur le net sont à cet égard confondantes et les rappels à la déontologie du ministre de l’Intérieur relèvent du vœu pieux. Le gouvernement, qui a passé une commande exceptionnelle de balles de Flash-Ball dénoncée par l’association des familles de mutilés par cette arme, est clairement dans une stratégie de la tension qui peut aboutir à un nouveau Rémi Fraisse : c’est pourquoi la question de mise en place de services d’ordre ne doit pas être l’apanage des centrales syndicales.

Les indignés de la République

La radicalité, elle peut aussi être joyeuse comme celle de la Nuit Debout même si elle se heurte là aussi à l’intransigeance du pouvoir qui a évacué à deux reprises République, suite à l’installation d’un campement de fortune à l’issue de la manifestation du 31 mars, les occupants restés dormir sur place. L’occupation est stabilisée depuis dimanche où, après avoir subi une descente de fachos (la commission « accueil et sérénité » était heureusement là pour veiller au grain) puis une nouvelle manœuvre des les CRS : l’escouade, en nombre insuffisant, a finalement renoncé à chasser de nouveau au petit matin les nouveaux zadistes parisiens. Gageons aussi que l’interpellation d’Anne Hidalgo par ces derniers samedi soir, à l’occasion de la nuit des débats organisée par la ville, y aura contribué.

Cette dynamique de convergence des luttes, lancée en parallèle de celle de la loi Travail et qui échappe pour le moment à la mainmise des organisations, a une forte similitude avec le mouvement espagnol des indignés (une de ses représentantes est d’ailleurs venu d’Espagne prodiguer leur savoir-faire). Deviendra-t-elle une agora permanente où se réfléchit non seulement l’après « loi travail » mais aussi une société débarrassée de l’exploitation ? C’est bien partir pour : avec le retour du beau temps, des milliers de personnes sont passées et des centaines ont participé à l’assemblée générale quotidienne qui rend compte, entre autres, du travail des différentes commissions mises en place pour faire vivre le lieu. Tous s’accorderont un répit ce lundi avant de reprendre l’occupation chaque soir puis de se réinstaller complètement après la manifestation du 9 avril prochain car comme le dit l’un d’entre eux, « Il ne faut pas défendre la place de la République, mais défendre notre place dans la République ». À votre tour, indignez-vous !

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UN RYTHME SOUTENU

Les manifestations de ce mardi n’ont compté que quelques dizaines de milliers de manifestants, principalement des jeunes. Elles confirment cependant la nature du mouvement de contestation contre la loi travail entamée seulement depuis trois semaines, à savoir des mobilisations déterminées entre deux rendez-vous massifs comme celui qui s’annonce pour ce samedi.

A Paris, 10.000 manifestants, dont des cortèges compacts de facs, ont arpentés les rues sous le soleil qui pointait le bout de son nez. Une ombre au tableau : une centaine d’arrestations ont eu lieu avant même le départ de la manifestation. Les tensions avec la police ont redoublées en régions avec des blocages de voies SNCF à Nantes et à Rennes ainsi que d’une autoroute à Marseille.

Pendant ce temps-là, l’examen du projet de loi par la commission des affaires sociales de l’Assemblée Nationale a débuté. Pour les salariés des TPE/PME, l’addition s’annonce salée : extension de la modulation du temps de travail de 4 à 12 semaines par an et il suffirait, pour celles de moins de 10, d’une baisse de commande ou de chiffre d’affaires d’au moins un trimestre pour ouvrir la voie à des licenciements économiques !

Pour Nietzsche, « Quand une multitude de petites gens dans une multitude de petits lieux changent une multitude de petites choses, ils peuvent changer la face du monde. » : installée de haute lutte le 31 mars dernier, la Nuit Debout a repris son cours dès lundi et s’apprête à s’installer dans au moins vingt-cinq autres villes et même à Bruxelles. Cette vaste agora nocturne permanente n’a pas fini de surprendre : venue de paysans, installation de salariés sans-papiers, intervention d’ouvriers de PSA etc. Les débats sont visionnés en direct grâce à l’application Periscope et, de l’autre côté des Pyrénées, l’attention est vive : ainsi, les placistes ont eu droit à la visite de Miguel Urban Crespo, un des députés européens de Podemos. Et, comme l’occupation n’est pas une fin en soi, une manifestation sauvage a eu lieu ce #36mars en direction du commissariat pour exiger la libération des camarades encore retenus.

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SYNDICATS-NUIT DEBOUT : MEME COMBAT

Après la manifestation parisienne du 28 avril dernier pour le retrait de la loi Travail qui a encore rassemblé 50.000 personnes, militants mais aussi responsables syndicaux étaient invités à s'exprimer à l'assemblée générale populaire de la Nuit Debout place de la République.

Une dizaine d'intervenants de différents secteurs se sont succédés devant une foule de plusieurs milliers de personnes scandant régulièrement « grève générale » : des représentants de la Coordination Nationale Etudiante et Lycéenne, d'organisations féministes, des intermittents mais aussi une prise de paroles croisée de cheminots CGT et SUD en faveur de la grève reconductible, à partir du 17 mai, contre la réforme de la législation du temps de travail propre à l'entreprise ferroviaire qui n'est pas sans rappeler la loi Travail et une autre de SUD Commerce à contraindre les supérettes ouvertes illégalement le dimanche 1er mai à baisser leur rideau. A l'applaudimètre, c'est l'appel d'un responsable de SUD Poste 92, tirant les leçons du mouvement contre la réforme des retraites certes massif mais perdant, à un joli mois de mai à travers la construction de la grève reconductible qui l'emporte.

Puis vient le tour des dirigeants syndicaux : outre les déclarations d'Eric Beynel, co-délégué de l'Union syndicale Solidaires, pour qui la présence de son organisation est naturel et des deux CNT (FO avait décliné l'invitation et la FSU brillait par son absence), celle de Philippe Martinez, Secrétaire Général de la CGT était particulièrement attendue. Dans la lignée des débats du récent congrès confédéral, entendre publiquement le numéro un de la principale centrale syndicale non seulement condamner la violence policière mais aussi appuyer la nécessité d'une grève générale relève de l'inédit et s'annonce prometteur pour la suite.

Il faut tout bloquer pour que tout se débloque Le traditionnel défilé du 1er mai, plus fourni sur Paris que les années précédentes, a consolidé ces liens : en effet, la police, fait rare, a, au prétexte d'incidents mineurs, bloqué pendant près de deux heures le cortège syndical, pourtant dûment déclaré en préfecture… Jeunes et moins jeunes ont alors fait l'expérience commune de la répression en encaissant tirs de lacrymogènes et charges des CRS.

Alors que l'examen du texte débute ce mardi à l'Assemblée Nationale, le rapprochement entre équipes syndicales revendicatives et nuit deboutistes est une des clés de la poursuite de la mobilisation et de sa réussite. En effet, face à une mobilisation qui ne grossit pas mais ne faiblit pas pour autant, les Nuit Debout peuvent tenir lieu d'assemblées générales interprofessionnelles comme on a connu en 2010 en s'assumant comme des cadres d'actions, combinant le savoir-faire syndical et la spontanéité de ses participants. Occupation d'un multiplex puis d'une salle municipale à Rennes, celle de l'hôtel de ville d'Amiens, perturbation du conseil municipal de Clermont-Ferrand et du conseil régional de Bourgogne Franche-Comté : voici quelques actions menées par Nuit Debout ces derniers jours. Les étendre, avec l'appui des travailleurs concernés, aux lieux de production et de flux de marchandises, c'est se donner un avantage décisif pour tâcher de mettre à bas la loi El Khomri et son monde.

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LA CENSURE VIENDRA DE LA RUE

Entamé le 4 mai dernier à l’Assemblée Nationale, l’examen des articles de la loi Travail ainsi que ses amendements a rapidement viré à la farce : d’abord par la demande ce lundi de Myriam El Khomri de la réserve de votes qui permet de poursuivre le débat sans vote donc sans risque pour le gouvernement de voir rejeter un article puis, dès le lendemain, avec l’utilisation par le Premier Ministre du 49-3.

Valls avait d’abord préparer les esprits à une telle décision en expliquant qu’il ne fallait jamais renoncer à un moyen constitutionnel puis à jouer la carte du tendre en déclarant, le soir même de sa mise en œuvre sur le plateau de TF1, « Ça me fait mal au cœur. » C’est peu dire que l’utilisation de cet artifice constitutionnel passe mal car le débat parlementaire, contrairement à celui de la loi Macron qui s’était tenu jusqu’au bout avant de connaître un épilogue similaire, n’aura même pas eu lieu.

En réponse, la droite et le centre ont déposé une motion de censure qui sera débattue ce jeudi bien qu’elle n’ait, là aussi, aucune chance de passer faute d’un nombre de voix suffisant. En effet, après avoir écarté la possibilité de la voter, contrairement aux communistes et à quelques députés socialistes en rupture de ban comme Pouria Amirshahi, les frondeurs ont tenté de réunir les 58 signataires minimum d’une motion de gauche ce qui a échoué in extremis à deux voix près. Cette démarche a au moins le mérite de mettre en exergue la fracture béante entre Hollande et sa majorité, l’addition des votes sur ces deux motions aurait démontré, à défaut d’entrainer sa chute, l’isolement du gouvernement et elle ne manquera pas de se reposer quand le texte reviendra en seconde lecture après son passage par le Sénat à partir du 13 juin prochain.

Ce que nous avons déjà gagné

Il faudra d’abord examiner de près la version du texte qui résulte de l’engagement de la responsabilité du gouvernement et qui reprend un certain nombre d’amendements retenus par ce dernier. Trois certitudes déjà à cette heure : la première, c’est que le gouvernement a reculé devant la menace du patronat de quitter la gestion de l’assurance chômage en mettant à la trappe son projet de surtaxation des CDD. La seconde, c’est que le périmètre d’appréciation géographique des licenciements économiques reste fixé au niveau mondial pour les multinationales implantées en France. La dernière enfin, c’est que le compromis supposé amadouer les frondeurs et porté par le rapporteur du texte, Christophe Sirgue, conférant pas seulement un rôle de contrôle à la branche des accords d’entreprise mais de veto n’y figurera pas.

Et, là où Sarkozy, y compris à travers son comportement personnel, avait ruiné la crédibilité de la fonction présidentielle. Hollande lui, non content de mener la politique inverse à ce pourquoi il avait été élu, a achevé celle des institutions de la Cinquième République. On ne sera donc pas surpris, comme le souligne fort justement une récente note du renseignement territorial, que la contestation de la loi Travail menace de basculer en celle générale du système, une rupture radicale que condense Nuit Debout.

C’est dans la rue que ça se passe

De son côté, l’intersyndicale nationale appelle à amplifier la mobilisation face à ce déni de démocratie par l’organisation de deux nouvelles journées de grèves et de manifestations les 17 et 19 mai, des dates rapprochées qui devraient aider à la reconduction partout où elle est possible, les cheminots étant eux de nouveau en grève le 18.

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De plus, elle envisage celle d’une manifestation nationale dans les semaines qui viennent. N’ayons pas peur de nous mettre à la hauteur de nos anciens dont les luttes et les conquis sont ainsi remis en cause en n’écartant, comme le gouvernement nous y pousse, aucun moyen y compris, comme l’ont proclamé les révolutionnaires de 1793 : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. »

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LA RUE NE ROMPT PAS

Après l’adoption en première lecture de la loi Travail par l’emploi du 49-3 et faute de celle de la seule motion de censure déposée par la droite qui a recueilli 244 voix, dont 16 de gauche, sur les 288 requises, les opposants au texte ont redonné de la voix le 12 mai dernier pour la cinquième journée consécutive depuis deux mois.

Prévue par l’intersyndicale nationale avant le passage en force du gouvernement, cette date se voulait « une journée d'initiatives et d'interpellation des parlementaires ». C’est pourquoi la participation, y compris en dépit de la répression de plus en plus large, était loin d’être anodine. Bien sûr, on observe un reflux de la mobilisation étudiante, approche des partiels oblige, mais la volonté d’en découdre était papable : à Paris, outre des groupes d’autonomes de plus en plus nombreux et déterminés (on aura même vu voler quelques cocktails Molotov vers les CRS postés derrière des grilles anti-émeute), les actions se multiplient : occupation par 300 militants dont ceux de la Nuit Debout de l’Autorité des Marchés Financiers, blocage d’un Novotel à Saint Denis et d’un dépôt de bus à Rennes, celui de la circulation à Lorient etc.

A commencer par celles des routiers ce lundi, les grèves à caractère reconductible, lancées principalement par la CGT et FO, rythme cette semaine. Un mouvement qui touche à la fois la route, le rail, l’aérien, le maritime et l’approvisionnement en essence relève de l’inédit et ce climat d’ébullition sociale a déjà porté ses fruits en relançant la participation aux différentes manifestations qui ont eu lieu ce mardi. Sur Paris, les manifestants, pour ceux qui ont eu la chance d’arriver au terme du défilé à Denfert Rochereau, ont eu droit à la même méthode de dispersion brutale que la semaine dernière aux Invalides avec, en prime, des charges de CRS sur les cortèges de Solidaires, de la CNT et de la FSU qui quittaient pourtant la place. On aura ensuite eu droit à la vision de la police laissant retourner sur la place le service d’ordre de FO, équipé de manches de pioche pour aller prendre sa revanche sur les autonomes comme suite aux heurts de la précédente manifestation. Aussi, il n’est pas surprenant qu’il n’y ait que Cadot, le Préfet de Police, pour se féliciter sur BFMTV de la bonne gestion de la manifestation !

A tout moment la rue

La grève touche aussi ponctuellement quantité de secteurs moins visibles : ainsi, dans plusieurs centres des impôts alors que la date de clôture des déclarations approche, à la BNF où le personnel de la bibliothèque est lui mobilisé pour la défense de son statut ou à la Poste dans le 92 avec, à chaque fois, un taux important de grévistes. C’est le moment de se rappeler Brecht : « Si tu ne participes pas à la lutte, tu participes à la défaite. » Et comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, le Tribunal Administratif de Paris a annulé le matin même la quasi-totalité des arrêtés du Préfet visant à interdire à plusieurs militants antifa de participer à la manifestation. Hollande peut jouer les durs en déclarant mardi à Europe 1 qu’il ne cédera pas face à la rue en retirant la loi travail mais, en attendant, il est obligé de prendre l’hélicoptère pour éviter d’être lui-même bloqué sur la route afin d’aller serrer quelques mains dans un laboratoire pharmaceutique en Normandie et vanter sa politique économique.

Valls a lui programmé plusieurs déplacements ces prochaines semaines pour aller à la rencontre des français, à commencer par Evry, son ancien fief, où une manifestation unitaire a eu lieu mercredi soir pour l’accueillir comme il se doit.

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Le regain de fréquentation des manifestations contre la loi travail, s’est exprimé avec force ce jeudi : 400.000 manifestants dans la rue dont 100.000 rien que sur Paris, il faut remonter au 9 mars soit au début de la mobilisation pour en trouver autant. Pas mal pour une mobilisation censée fléchir depuis plusieurs semaines. L’impact du début de grèves reconductibles, dont celle de la SNCF n’est pas étranger à ce regain de combativité. Quantité de manifestations en régions se sont d’ailleurs terminées par des occupations de voies et des blocages de la circulation. A Paris, un cortège de plusieurs milliers de personnes inorganisées précédait le carré de tête, celui syndical était ouvert par une CGT venue en masse, la relative discrétion de la police tout le long du parcours réduisant les violences à epsilon. Le soir, le meeting intersyndical organisé par le collectif On bloque tout a réuni près de 200 cégétistes, cénétistes et surtout sudistes, bien déterminés à capitaliser leurs expériences pour étendre davantage la mobilisation.

On comprend mieux pourquoi du côté du pouvoir, on commence à avoir peur : oubliée l’opération de diversion initiée par Cazeneuve suite à l’incendie d’un véhicule de police mercredi en marge de la manifestation contre la haine anti-flics, exit les menaces de Valls d’employer la force pour dégager raffineries, ports et autres sites sensibles bloqués depuis plusieurs jours par les grévistes et leurs soutiens qui commencent à générer des pénuries d’essence, en particulier dans l’Ouest. C’est donc une intersyndicale sûre de sa force qui, le soir même, a fixé le cap des prochaines semaines : d’abord une nouvelle journée de grève et de manifestations dès le 26 mai puis l’organisation d’une manifestation nationale le 14 juin soit le lendemain de l’arrivée du projet de loi au Sénat. Elle a également appelée « à multiplier d’ici là, sur tout le territoire, des mobilisations sous des formes diversifiées. » Bref, il ne tient qu’aux équipes syndicales et aux militants engagés dans l’action de presser tous les leviers à leur disposition : par la grève, la manifestation et le blocage, nous pouvons nous défaire de la loi El Khomri !

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BAROUD D’HONNEUR OU SECOND SOUFFLE ?

« Ça va être énorme ! » pronostiquait Philippe Martinez, numéro 1 de la CGT, à propos de la manifestation nationale contre la loi Travail prévue ce mardi sur Paris. Au vu de la difficulté de trouver suffisamment de cars pour faire monter les manifestants sur la capitale, on voulait bien le croire.

C’est effectivement une manifestation monstre qui a réuni un million de participants venus de toute la France, une vague, dominée par le rouge des drapeaux de la CGT, qui s’est répandue sur les cinq kilomètres de parcours entre place d’Italie et les Invalides, les derniers manifestants quittant la place cinq heures après le départ de la tête de cortège ce qui fait dire que l’écart entre les chiffres de participation de la police et ceux des syndicats vire au risible.

Elle était ouverte par un cortège autonome extrêmement fourni, qui a donné lieu aux affrontements les plus durs depuis mars dernier dont l’utilisation par la police de canons à eau, un manifestant étant même déclaré tétraplégique après qu’une grenade lacrymogène se soit fichée dans son dos.

De nombreuses délégations étrangères étaient aussi présentes : en effet, toute l’Europe syndicale a les yeux braqués sur la France alors que l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie ont déjà connu leur loi Travail, avec son lot de désolations sociales à la clef. En Belgique, un mouvement analogue au nôtre est en cours, les syndicats belges n’hésitant pas eux à vouloir faire chuter le gouvernement. Quant à la province, elle n’était pas en reste avec 140.000 personnes sur Marseille soit la plus forte manifestation depuis le début du mouvement ou 30.000 à Toulouse.

Extension du domaine de la lutte

Alors que les grèves, pour certaines démarrées il y a près de trois semaines, s’essoufflent, les actions de blocages elles se poursuivent et de nouveaux secteurs rentrent dans la lutte : le commerce avec celui du Mc Do de la fanzone du Champs de Mars ou des débrayages à l’hôtel Marriott des Champs Elysées, la santé avec la tenue de rassemblement contre les groupements hospitaliers de territoires (GHT) ou bien les taxis venus en force ce mardi.

Le gouvernement, qui comptait sur le début de l’Euro pour clouer les grévistes au pilori a clairement perdu la bataille de l’opinion qui continue à soutenir à plus de 70 % la mobilisation. Ajouté au fait que le nouveau dirigeant de la CGC a clairement affirmé l’hostilité de sa centrale au projet de loi, l’argument du texte soutenu par une majorité de syndicats s’effiloche, laissant ce pauvre Laurent Berger invectiver à la fois Valls et Martinez.

Emissaires de la grève générale

L’exécutif, bien forcé de bouger, a repris langue avec FO (Mailly a trouvé El Khomri « attentive » à ses propositions) puis avec la CGT qui doit être reçue par la ministre le 17 juin prochain. Pas question de se faire enfumer pour autant, y compris par la rhétorique du PS qui consiste à brandir les excès de la droite sénatoriale tels le retour aux 39 heures comme preuve que cette loi serait bien de gauche.

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La bataille sociale entame son quatrième mois, le démarrage de grèves reconductibles fin mai avait relancé la participation et le pic de mobilisation de la journée du 31 mars a même été dépassé ce 14 juin : autant d’éléments pour que chacun des manifestants de retour dans son entreprise, dans son syndicat soit un émissaire de la grève générale. Valls a beau menacer d’interdire les prochaines manifestations, Cazeneuve scandaleusement amalgamer l’abject assassinat d’un couple de policiers avec la dénonciation des violences policières et les médias, détenus par les 1 %, tronquer la nature de la manifestation, rien n’y fera : quelque chose s’est levé qui ne s’éteindra pas.

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UN PETIT TOUR… ET PUIS S’EN VA ?

La manifestation parisienne contre la loi Travail de ce jeudi, d’abord interdite mercredi matin puis finalement autorisée quelques heures plus tard, a donc bien eu lieu mais des conditions indignes d’une prétendue démocratie.

La tenue de celle-ci n’en demeure pas moins un désaveu pour l’exécutif, obligé de se rétracter sous la bronca. Le seul fait de savoir qui de Hollande, de Valls ou de Cazeneuve a été à l’initiative de cette interdiction dont ils se rejettent désormais la paternité les a irrémédiablement abîmé. De plus, en réunissant entre 20.000 à 60.000 manifestants, le désaveu est cinglant. L’absence d’interdiction a aussi permis de ne pas compromettre le maintien d’une centaine d’autres manifestations en régions, avec une participation là-aussi significative.

Il en fallait cependant bien du courage pour, outre affronter la chaleur écrasante, accéder place de la Bastille pour parcourir ensuite les 1,6 kilomètre du parcours autour du port de l’Arsenal dont toutes les rues adjacentes étaient barrées. En effet, il fallait franchir jusqu’à quatre barrages policiers où les sacs étaient fouillés, les lunettes de piscine et les foulards confisqués, les casques de la presse aussi etc. Et malheur à ceux qui s’indignaient trop fortement de ce traitement humiliant : plus de 80 arrestations préventives ont eu lieu.

Une autre manifestation, sauvage celle-ci, s’est tenue en fin d’après-midi vers Ménilmontant et a trouvé sur son chemin la devanture explosée du siège de la CFDT, unique soutien syndical de la loi Travail, démolie un peu plus tôt par une centaine de personnes encagoulées. Le pouvoir affaibli est ainsi trop content d’avoir trouvé son Necker de la journée. Pour reprendre les mots d’Olivier Besancenot prononcés à la fin de la manifestation à Bastille, nous voulons manifester librement et dignement le 28 juin, date de la prochaine mobilisation, et les jours qui suivent.

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UN MOUVEMENT QUI NE BAISSE PAS LES BRAS

La contestation contre la loi Travail marque sans conteste le plus long mouvement de notre histoire sociale : pour la onzième journée de mobilisation ce 28 juin, au moins 200.000 personnes étaient de nouveau dans la rue, y compris au mépris des pressions policières de plus en plus prégnantes.

Sur Paris, la manifestation, qui se tenait sur un parcours rallongé, a rassemblé plus de monde que celle encagée du 23 juin dernier sans pour autant se départir du dispositif sécuritaire qui avaient déjà eu cours tels que le passage par plusieurs points de contrôle des sacs, la délivrance d’une centaine d’interdictions de paraître ou la tentative d’instrumentation des services d’ordre syndicaux par la préfecture.

Le summum a été atteint avec le blocage, à la sortie de la Bourse du travail, de 200 manifestants, dont des syndicalistes CNT et SUD, réunis auparavant en assemblée générale interprofessionnelle et qui ne pouvaient rejoindre la manifestation au départ de Bastille qu’en se prêtant non seulement à l’inspection de leurs sacs mais aussi à un relevé d’identité et à des palpations poussées : intolérable !

Le bâton… puis la carotte ?

De la sorte, le gouvernement franchit un cran supplémentaire en s’en prenant désormais ouvertement à la liberté de réunion ce qui a été immédiatement dénoncé par les unions départementales CGT et Solidaires. 1.500 personnes se sont aussi rassemblées spontanément à République en fin de journée pour protester ce qui a permis de libérer la Bourse et d’y tenir une nouvelle assemblée de luttes avec plus de 500 personnes réunies dans la grande salle Croizat.

A Lille également, plusieurs syndicalistes se sont retrouvés en garde à vue avant d’être libéré sous la pression des manifestants. A Bordeaux, la BAC a été empêchée par le cortège de procéder à des interpellations en son sein. Aussi, il est grand temps, pour le mouvement syndical , alors que le pouvoir ne se pare même plus du respect des règles de l’état de droit, de s’interroger sur les procédés à mettre en œuvre pour que cesse les humiliations de ses militants : ils veulent nous renvoyer sur le plan social au 19ème siècle, n’ayons alors pas peur de renouer avec l’illégalisme des origines du syndicalisme comme nos grèves, nos manifestations et nos mobilisations sont de fait interdites et réprimées !

Cette extrême nervosité, dont on se surprend qu’elle n’ait pas encore débouché sur un drame, ne traduit qu’une seule chose : le gouvernement est aux abois ! C’est pourquoi, dans le même temps, il est obligé de reprendre langue avec les syndicats en recevant mercredi et jeudi les cinq confédérations et les organisations patronales pour officiellement faire le point sur le texte.

Nœud gordien

C’est que la loi Travail, réécrit par le Sénat de manière encore plus récessive avec l’acquiescement, sur de nombreux points, de la quasi-totalité du groupe socialiste et de la ministre, revient à l’Assemblée Nationale le 5 juillet prochain, nouvelle date annoncée de mobilisation par la CGT.

Sous peine de fracturer davantage la majorité et d’attiser une colère sociale qui ne se dément pas, verra-t-on Valls et El Khomri se contenter de faire la pédagogie du texte ou bien proposer un compromis auprès de ses opposants ? Sur ce dernier point, l’équation parait difficilement soluble au plan syndical entre une CFDT qui menace de se mettre en travers du gouvernement si son soutien était désavoué, FO tentée de

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rompre l’intersyndicale pour peu qu’elle soit entendue sur le rôle des branches, une CGC désormais clairement dans l’opposition et même l’UNSA, dont des fédérations du privé organise ce jeudi une initiative publique pour faire savoir tout le mal qu’elle pense de la loi...

Pire encore, le premier ministre qui, au sujet du Brexit, insistait sur le fait d’écouter davantage les peuples se retrouve piégé à son propre jeu avec la publication d’un appel au référendum sur la loi El Khomi porté entre autre par un certain Pierre Joxe. Hollande, pendant ce temps-là, reste tapi dans l’ombre, attendant sans doute de trancher ce dilemme grandissant qu’est l’adoption de cette loi à marche forcée avec tout l’art de la synthèse qu’on lui connait.

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LE MOUVEMENT CONTRE LA LOI TRAVAIL : UNE EMBELLIE SOCIALE

La loi Travail, c'est au départ une réforme dictée par la Commission européenne qui juge notre droit du travail par trop protecteur, « Le minimum de ce qu'il faut faire » selon Jean-Claude Juncker, son président. C'est ensuite l'ultime transgression, après le débat avorté sur la déchéance de la nationalité, d'un Président de la République dont on peut affirmer, au vu de son quinquennat, que son ennemi, c’est le Code du travail. C’est enfin un Premier ministre, dont la brutalité fait partie de l’identité politique, qui foule du pied les libertés publiques comme jamais vu depuis… la guerre d’Algérie !

C'est surtout une formidable mobilisation, dont le déclenchement en plein état d'urgence était loin d'être assuré, qui remet spectaculairement en avant la question sociale au mépris de la question identitaire, le plus long mouvement social depuis 1968, de surcroit sous un gouvernement dit de gauche. Un mouvement ? Non, des mouvements qui se succèdent à un rythme soutenu.

Le péril jeune

Une pétition en ligne au succès viral, puis un petit film réalisé par de célèbres youtubeurs vont rapidement contraindre le gouvernement à reculer sur les aspects les plus contestables de son projet de loi. Lycéens et étudiants, bien décidés à ne pas devoir vivre plus mal que leurs parents, s’engouffrent dans la brèche et bousculent leurs ainés, initiant les premières manifestations dès le 9 mars.

Au bout du compte, le gouvernement, en maniant à la fois la carotte avec la satisfaction de revendications propres aux organisations de jeunesse, et le bâton avec une répression ciblée, réussit à juguler la mobilisation étudiante, les congés d’avril et l’approche des examens faisant le reste.

Ils ne sont debout que parce que nous sommes à genoux

La genèse puis l'installation de Nuit Debout à République, c'est le résultat d'une rencontre improbable entre des jeunes déclassés, des activistes syndicaux ou politiques et des intellectuels engagés. A l’issue de la manifestation géante du 31 mars, le campement et l’occupation de la place prennent forme, suscitant une répression féroce puis les suées du gouvernement, avant de s'éteindre tout doucement au cœur de l'été.

Après avoir décrété sa propre temporalité et en multipliant les formes d'actions et d'expressions qui font rapidement école dans tout le pays, on voit mal comment l'expérience, tant en terme d'auto-organisation que de pratiques alternatives, accumulée par des milliers de nuitdeboutistes, qui s'est depuis cristallisée dans le travail des commissions, n'irriguerait pas dans les années qui viennent le champ politique et social.

Vers la grève générale

Alors que les observateurs avisés disaient le syndicalisme moribond et peu représentatif, quel cruel démenti que les quatre mois que nous venons de vivre ! On peut dire qu’il a de beaux restes, en particulier la CGT qui compose l'essentiel des mobilisations. Transports, énergies, nettoiement etc. : jamais autant de secteurs essentiels à l’économie n'étaient rentrés dans l’action aussi près les uns après les autres, mais malheureusement non les uns avec les autres, ce qui explique que la thrombose du pays a été in fine évitée. De même, le trou entre les manifestations rapprochées de fin mai et celle nationale du 14 juin dernier, la

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plus grande mobilisation du secteur privé de ces dernières années, a incontestablement freiné la généralisation du mouvement.

Aussi, (re)construire un syndicalisme interprofessionnel et de lutte là où la « loi travail » veut le circonscrire, avec le soutien de la CFDT qui ne sortira pas indemne de cette séquence, à l’entreprise et à la seule négociation, c’est acquérir une capacité de mobilisation indexée sur son implantation, gage de victoires futures.

Tout le monde déteste la police

On voit difficilement le pouvoir, quelque soit sa couleur politique, aller plus loin que ce qui a été instigué en terme de répression à une échelle de masse, si ce n'est des mesures d'ordre extrajudiciaire dont le prolongement de l'état urgence permet de fleureter :

- la quasi-interdiction des dernières manifestations avec des fouilles systématiques et l'encagement desparcours,

- celle de manifester avec la délivrance de centaines d'interdictions de paraître,

- la remise en cause du droit de réunion avec la nasse mise en place devant la Bourse du travail de Paris le28 juin dernier,

- celle à la liberté d'expression avec l'affiche de la CGT et la fresque grenobloise consacrées aux violencespolicières,

- les entraves au travail des journalistes,

- l’effraction policière du local de la CNT à Lille le 20 avril dernier.

Toute ces mesures liberticides ont débouché sur des milliers de garde à vue, des centaines d'arrestations et des dizaines de procès pour nous signifier une seule chose : le droit de s'organiser politiquement ou syndicalement est assimilable à une activité délictueuse, voire terroriste ! Sur le plan social, ils veulent nous renvoyer tout droit au XIXème siècle ? Le mouvement ouvrier doit relever le défi en renouant avec l'illégalisme de ses origines en assumant, par exemple, de ne pas déclarer les défilés et en systématisant des pratiques collectives comme celle de départ groupé aux manifestations.

La vraie démocratie, elle est ici ! Comme aucune des deux parties en présence ne voulait aller à Canossa, on arrive forcément à un résultat tranché qui se soldera sur le plan politique, y compris avant 2017 et la primaire socialiste. La politique reprend le dessus ; le FN, mis entre parenthèses ces derniers mois, risque rapidement de se satisfaire du repli qui naît du reflux et le courant insurrectionniste, qui s'est ancré dans le phénomène du cortège de tête, ne manquera pas de faire parler à nouveau de lui, à la faveur des universités décentralisées du PS et en cas d'évacuation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes.

Pour Nietzsche, « Tout ce qui est décisif ne naît que malgré. C'est aussi vrai dans le monde de la pensée que dans le monde de l'action. Toute vérité nouvelle naît malgré l'évidence, toute expérience nouvelle naît malgré l'expérience immédiate. » Forts de ce malgré, continuons à nous mobiliser contre le monde de la loi Travail !

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LA MACRON PARTY CONTRARIEE

Ce mardi, le sémillant ministre de l’économie, Emmanuel Macron, tenait à la Mutualité – tout un symbole – le premier grand meeting de son mouvement politique, En Marche !, lancé en avril dernier.

A cette occasion, plus de 200 manifestantEs, ce qui est loin d’être négligeable vu la date, ont répondu à l’appel, entre autre, de Solidaires Paris et de Nuit Debout pour marquer cet événement ultramédiatisé comme il se doit, le tout sur fond de contestation de la loi Travail dont on sait qu’elle n’est que la poursuite de la politique de moins disant social impulsée par Macron avec la loi qui porte son nom.

D’ailleurs, qui tenait meeting ? Le ministre, le candidat putatif à l’élection présidentielle, le héraut d’une nouvelle force politique qui se revendique ni à droite, ni à gauche ou bien l’homme lige des entreprises du CAC 40 ? Sans doute tout cela à la fois ce qui explique le déploiement policier devant le palais de la Mutualité qui a maintenu le rassemblement à bonne distance.

Les groupies du ministre, le plus souvent bien mis, qui s’étaient déplacés en nombre ont quand même dû traversé la masse des gueux ainsi rassemblée ce qui a donné lieu à des échanges qui allaient de courtois mais ferme à vindicatif, surtout pour ceux qui ont essuyé quelques jets d’eau, d’œufs et de farine.

Le macronisme, stade suprême du hollandisme

Ont pris entre autre la parole au meeting un représentant des jeunes avec Macron, un entrepreneur aux anges, un écrivain qui ferait mieux de cultiver son jardin et un député fan de la première heure. Puis ça fut le tour de l’intéressé lui-même, pendant plus d’une heure sans note, ni prompteur sous l’œil admiratif de sa compagne.

Che Macron, qui se présente comme un adversaire du système alors qu’il en est la parfaite émanation, a adressé quelques piques à Valls, qui braconne sur les mêmes terres social-libérales que lui, et exprimé sa profonde reconnaissance à Hollande.

Pour le fond, on attendra ses prochaines prestations même si on a peu de doute sur le contenu amer de la potion qu’on veut nous faire avaler. Le fait qu’il le soit par un prochain licencié du gouvernement, un trait commun à nos deux mondes, ne nous convaincra pas pour autant.

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LOI TRAVAIL : TOUS PERDANTS ?

Le Conseil constitutionnel, saisi par des parlementaires de l’opposition comme de la majorité, s’est prononcé le 4 août dernier sur la loi Travail comme suite à son adoption définitive. Il bride deux des rares dispositions favorables aux salariés que sont l’instauration d’une instance de représentation du personnel dans certains réseaux de franchises et la mise à disposition des locaux syndicaux par les collectivités territoriales.

Il annule par ailleurs trois cavaliers législatifs en faveur eux des employeurs dont la possibilité, pour les entreprise de moins de cinquante salariés, de provisionner les indemnités en vue de litiges prud’homaux. Plus encore, il ne trouve rien à redire sur l’adoption à la hussarde de la loi suite à l’emploi à trois reprises du 49-3 et la limitation du droit d’amendement des députés soumis à une procédure législative menée à marche forcée.

De même, le Conseil, qui ne s’est pas saisi d’office des articles qui ne lui étaient pas déferrés, ne tranche pas sur le fond du texte. Il revient désormais aux organisations opposées à cette loi inique, qui seraient bien inspirées de mettre sur pied une force opérationnelle de juristes et d’avocats, de déposer des questions prioritaires de constitutionnalité comme les sages les invitent d’ailleurs à le faire : de quoi donner quelques sueurs froides au gouvernement qui pavoise sur une application rapide de la loi.

Victoire à la Pyrrhus Avec sept français sur dix dont 85 % de jeunes qui restent opposés à la loi, il a clairement perdu la bataille de l’opinion. Pire, 55 % souhaite la reprise du mouvement à la rentrée ! Victime d’une impopularité record augmentée par les nouvelles attaques terroristes de cet été, c’est un exécutif à l’agonie − et un PS en phase terminale − qui pousse un certain Macron à s’émanciper.

L’opposition est aussi à la peine : comment, en cas de probable alternance en 2017, imposer au corps social une thérapie sociale de choc sans avoir à affronter une rue prompte à s’enflammer ? Le FN, qui s’est fait discret lors du conflit, se prépare lui à engranger le vote des inévitables déçus et seul Mélenchon, à gauche, capitalise le souffle de la révolte.

Des syndicats mi-figue, mi-raisin

A l’aune du mot d’ordre de retrait du texte, on peut dire qu’ils ont perdu mais la CGT ne manque pas de brandir les concessions qui ont été obtenus en marge du conflit tels que le maintien du régime des heures supplémentaires pour les routiers, celui du statut SNCF ou des intermittents du spectacle. De son côté, FO peut se vanter d’avoir obtenu le maintien de la plupart des prérogatives des branches professionnelles et Solidaires aura réussi son apparition, tant dans les manifestations que sur les blocages : leur audience en sortira certainement grandie à l’occasion du scrutin TPE prévu en décembre prochain contrairement à celle de la CFDT qui soutient la loi avec ferveur.

Le patronat lui rit jaune : il a certes obtenu l’inversion de la hiérarchie des normes qui fera flores dans d’autres domaines que le temps de travail à partir du 1er janvier 2019, date prévue pour l’entrée en vigueur du nouveau Code du travail, mais il devra composer, par exemple, avec le mandatement syndical dans les PME.

N’attendons pas la rentrée pour préparer le 15 septembre, nouvelle date de mobilisation annoncée dès le 8 juillet dernier par l’intersyndicale, en vue désormais de l’abrogation de la loi Travail : pourquoi ne pas, comme le suggère Nuit Debout, rendre visite le 31 août prochain à l’université d’été du MEDEF en ayant à l’esprit ces lignes de Georges Sorel : « Les ouvriers n’ont pas d’argent, mais ils ont à leur disposition un moyen d’action bien plus efficace ; ils peuvent faire peur. »

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SOMMAIRE

Pages 1 et 2 : chronologie.

Pages 3 et 4 : article paru dans L’Anticapitaliste du 25 février 2016 (photographie : Reuters).

Pages 5 et 6 : tribune du CLIC-P parue dans L’Humanité du 26 février 2016 (illustration : Loi Travail :

non, merci).

Pages 7 et 8 : article publié sur Terrains de Luttes le 1er mars 2016 (illustration : Fakir).

Page 9 : article paru dans Le Progrès Social du 9 mars 2016.

Pages 10 et 11 : article paru dans Le Progrès Social du 5 avril 2016.

Page 12 : article paru dans Le Progrès Social du 7 avril 2016 (illustration : Nuit Debout).

Page 13 : article publié sur Terrains de Luttes le 4 mai 2016.

Pages 14 et 15 : article paru dans Le Progrès Social du 12 mai 2016 (illustration : Nuit Debout).

Pages 16 et 17 : article publié sur Terrains de Luttes le 20 mai 2016 (illustration : Gouin).

Pages 18 et 19 : article publié sur Terrains de Luttes le 17 juin 2016 (illustration : Solidaires).

Page 20 : article paru dans Le Progrès Social du 25 juin 2016.

Pages 21 et 22 : article publié sur Terrains de Luttes le 1er juillet 2016 (illustration : Nuit Debout).

Pages 23 et 24 : bilan publié sur Mediapart le 8 juillet 2016.

Page 25 : article publié sur npa2009.org le 15 juillet 2016 (photographie : AFP).

Pages 26 : article paru dans Le Progrès Social du 20 août 2016.

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Impression par @laurentdegousee (août 2016)