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DEDICACE En souvenir de ma grande sœur Marie Rose OULARE, rappelée à Dieu dans la fleur de l'âge le 20 septembre 2001. A sa Sainteté le Pape Jean-Paul II, pèlerin et artisan infatigable de la Paix. A Mahatma Mohandas GANDHI et Martin Luther KING, militants historiques dévoués à la cause de la non-violence et de la paix. A tous les pays africains qui ont souffert ou qui souffrent encore aujourd'hui les affres de la guerre et de la violence. A tous ceux qui luttent pour une Afrique de Paix et de Justice. REMERCIEMENTS A papa et maman pour les nombreux sacrifices qu'ils n'ont cessé de consentir pour ma réussite. A son Excellence Monseigneur Vincent COULIBALY, Archevêque de Conakry pour son soutien tant matériel que spirituel. Aux prêtres, religieux, religieuses, laïcs et amis (es) pour leur collaboration, conseils et amitié dont ils m'ont témoigné durant ma formation. Toute ma profonde gratitude au Père Raymond DAKOUO pour la disponibilité et la diligence avec lesquelles il m'a guidé tout au long de cet essai. A tous un grand merci ! 1

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DEDICACEEn souvenir de ma grande sœur Marie Rose OULARE, rappelée à Dieu dans la fleur de l'âge

le 20 septembre 2001.

A sa Sainteté le Pape Jean-Paul II, pèlerin et artisan infatigable de la Paix.

A Mahatma Mohandas GANDHI et Martin Luther KING, militants historiques dévoués à la

cause de la non-violence et de la paix.

A tous les pays africains qui ont souffert ou qui souffrent encore aujourd'hui les affres de la

guerre et de la violence.

A tous ceux qui luttent pour une Afrique de Paix et de Justice.

REMERCIEMENTSA papa et maman pour les nombreux sacrifices qu'ils n'ont cessé de consentir pour ma

réussite.

A son Excellence Monseigneur Vincent COULIBALY, Archevêque de Conakry pour son

soutien tant matériel que spirituel.

Aux prêtres, religieux, religieuses, laïcs et amis (es) pour leur collaboration, conseils et

amitié dont ils m'ont témoigné durant ma formation.

Toute ma profonde gratitude au Père Raymond DAKOUO pour la disponibilité et la diligence

avec lesquelles il m'a guidé tout au long de cet essai.

A tous un grand merci !

INTRODUCTION GENERALE

1

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Loin d’être utopiques, les conflits armés sont très malheureusement une réalité bien

présente au cœur du continent africain.

Une pléiade d’ouvrages et de revues ont déjà abordé ce sujet brûlant depuis quelques

décennies. La liste serait longue, voire très longue s’il fallait se mettre à les citer tous.

Vus et analysés selon leur causalité et leur provenance spatiale, les conflits armés d’où

qu’ils émergent, aboutissent pratiquement aux mêmes résultats que sont : L'atteinte à

l’intégrité et à la dignité de la vie humaine, violation des idéaux de Paix et de Justice auxquels

aspire tout homme.

Plongé dans un univers aujourd’hui à haut risque suite aux innombrables crises et

conflits qui s’y vivent à longueur de journée, le Chrétien Africain, à l’image de toute autre

personne n’est guère aujourd’hui à l’abri d’une éventuelle guerre civile et fratricide, d’une

insurrection, d’un trouble social quelconque pouvant d’un moment à l’autre nuire

dangereusement non seulement à sa vie, mais aussi, s’il n’est pas maîtrisé dans les brefs

délais, nuire à celle de sa progéniture.

Un tel problème, qui frappe de plein fouet le cœur de la dignité et de la sacralité de la

vie humaine dans son ensemble peut-il laisser indifférent le Chrétien Africain, fier

d’appartenir à son continent ?

Si oui, à quoi lui servirait cet appel pressant du Christ adressé à ses disciples : « Soyez mes

témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie et jusqu’aux extrémités de la terre.  »

(Ac 1, 8) repris par le Pape Jean-Paul II dans son Exhortation Apostolique « Ecclésia in

Africa » adressé à toute l’Eglise d’Afrique ainsi qu’à l’ensemble de ses enfants au lendemain

du Synode Spécial pour l’Afrique tenu à Rome aux pieds des Apôtres Pierre et Paul, Colonnes

de l’Eglise du Christ ?

L’heure n’est plus donc au silence, devrait se dire tout bon et vrai chrétien Africain en

lui-même, car elle est gravissime d’enjeu pour tout le continent africain, d’où le choix du

thème suivant comme sujet de notre essai théologique : " La Place et le Rôle du Chrétien

Africain face aux conflits armés de son continent. Approche morale."

Sur ce, l’objectif principal de ce travail consistera donc à définir, préciser et éclairer

la place et le rôle du baptisé Africain, ainsi qu’à déterminer son Engagement et sa

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Responsabilité face aux conflits armés de son Continent, et cela à partir de l’analyse des

sciences humaines (point de vue des socio-anthropologues) relue à la lumière des Ecritures et

de l’Enseignement de l’Eglise (Magistère et théologiens d’hier et d’aujourd’hui, spécialement

Africains).

A cela, s’ajoutera en fin de parcours une contribution personnelle d’ordre théologico-moral à

travers laquelle nous présenterons notre constat, notre interprétation des faits, puis notre

proposition de solutions sur la base d’une relecture personnelle en référence à un texte choisi

dans les Ecritures Saintes.

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CHAPITRE I

ANALYSE SOCIO-ANTHROPOLOGIQUE DES CONFLITS ARMES

« La guerre est un mal profond qu’il faut combattre de toutes nos forces. Les souffrances

insupportables qu’elle entraîne aussi bien chez les combattants que dans les populations

civiles, les destructions sans prix qu’elle provoque, souvent dans des pays démunis, les

désordres psychiques qu’elle suscite dans les esprits, les sentiments de haine et de revanche

qu’elle engendre, toutes ces conséquences catastrophiques que nous observons tous les jours

en maintes régions du monde ne peuvent que susciter l’horreur et l’indignation. »

René COSTE, De la guerre juste à la juste défense, in Etudes, octobre 1995.

INTRODUCTION

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Devenus de nos jours un phénomène vulgaire dans le parler comme dans le faire, les

conflits armés au cœur de nos différentes sociétés humaines ne cessent jour après jour de faire

parler d’eux, entraînant dans leurs sillons sanglants un ensemble d’images macabres réduisant

l’homme et sa vie à leur plus petite expression.

Puisant leur source dans les différents domaines que sont le Politique, l’Economie, le

Social et le Religieux mal gérés et incompris de nos diverses sociétés, les conflits armés tels

qu’ils paraissent dans l’aujourd’hui de notre continent africain sont très loin de construire et

promouvoir des hommes et des sociétés régis par l’esprit de Paix véritable et de Liberté

épanouissante. Car, à bien scruter dans la direction des quatre points cardinaux de l’Afrique,

c’est partout la désolation, le désespoir puis la mort dans l’âme, suite à ces conflits barbares

perpétrés pour des motifs dits « raisonnables » ou encore « libérateurs ». Tel est le slogan

véhiculé à longueur de journée sur nos ondes ou autres sources d’informations par nos

gouvernants, rebelles et chefs militaires, ambitieux de pouvoir et friands d’honneurs

éphémères.

Mais que d’hommes et de femmes innocentes ont payé de leur vie ou de celles de leurs

enfants ou familles dans l’atrocité de ces conflits ?

L’Afrique malade d’elle-même et de ses enfants, croupit aujourd’hui inopinément

dans l’ombre de l’Hadès (séjour des morts) qu’elle s’est construite et cela, sous l’œil vigilant

mais aussi complice de la Communauté Internationale qui tarde bien souvent à réagir au

moment opportun.

Jadis terre de convivialité et de joie, l’Afrique à ce jour ressemble très malheureusement à un

univers en manque cruel d’humanisme où l’homme serait devenu un loup pour l’homme (

homo homini lupus est).

Passés aux prismes des sciences socio-anthropologiques, les conflits armés africains

semblent cousus d’énormes imbroglios qui nécessitent de nous tous, réflexions et résolutions.

Tel est en effet l’objectif principal de ce premier chapitre qui s’achèvera sur l’exemple du

conflit Rwandais, ayant connu des atrocités incommensurables qui ont déchiré le pays

pendant plusieurs années, et dont les plaies perdurent encore dans la mémoire de ses

populations.

I. 1. NOTION DE CONFLIT

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Etymologiquement tiré du latin « conflictus » qui veut dire : heurter ou se heurter, le

conflit dans un sens général se définit comme un choc, un combat, une guerre, une

contestation ou lutte entre personnes ou nations1.

S’agissant alors de conflit dit armé, c’est un conflit au cours duquel interviennent des armes

(majoritairement à feu, légères et lourdes sans oublier évidemment celles dites blanches :

couteaux, machettes…) utilisées comme moyens de lutte et de défense par l’une ou l’autre des

factions opposées.

I. 1. 1. Constats

« Une fois n’est pas coutume » aime à le dire un adage populaire. Cependant, la

répétition d’un fait ou d’un événement peut amener celui-ci à devenir ou à s’imposer comme

une coutume. Le cas très frappant des conflits armés enregistrés à divers endroits du continent

africain depuis bien des années en est une illustration. Celle-ci a donné jour à des constats

dont la gravité a été non seulement observée par tous, mais singulièrement par les Africains

eux-mêmes.

Des économies minées, des tissus sociaux déchirés à large spectre, des milliers de réfugiés

jetés sur les routes de l’exil, des massacres et exactions perpétrés à grandes échelles, des viols

éhontés de femmes, des enrôlements obligatoires d’enfants dans les rébellions ou les milices,

des génocides, des purifications ethniques, bref… La liste est longue et tachetée d’horreurs.

En terme d’évaluation, ces constats nous ont permis de chiffrer à plus de 25 le nombre

de conflits armés déclenchés de 1960 à 1995 sur le continent africain, auxquels s’ajoutent plus

de cent (100) coups d’Etat d’après un rapport du ministère Egyptien des Affaires Etrangères2.

« Aux nombres des pays africains ayant été en guerre civile ces dernières années, ceux qui ont

envoyé des troupes dans d’autres pays en guerres et ceux qui, tout en étant en guerre, ont

envoyé des troupes dans d’autres pays nous retrouvons les pays suivants : Algérie, Angola,

Burundi, Comores, Congo-Brazzaville, Djibouti, Erythrée, Ethiopie, Ghana, Guinée, Guinée-

Bissau, Libéria, Namibie, Niger, Nigeria, Rwanda, République Démocratique du Congo

(RDC), Sierra Leone, Somalie, Soudan, Tchad, Ouganda, Zimbabwe, soit 24 pays sur les 51

que compte le Continent. Ainsi donc, 47% des pays d’Afrique ont été ces dernières années en

1 Nouveau Larousse Universel, Tome I, Paris 1948 ; Dictionnaire de la langue philosophique, PUF, Paris 19922 Cf. Bulletin d’Information Africaine (BIA), n° 388 du 15 avril 2000, p. 3

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situation de guerre ouverte » a déclaré le Secrétaire Général de l’ONU Kofi ANNAN lors de

la 52ème session de l’Assemblée générale de l’ONU le 13 avril 19983.

Concernant les pays sortant de guerre, où ayant déjà connu une guerre civile, la

Banque Mondiale, l’Institution financière Internationale du Bretton Wood révélera dans une

étude rendue publique le 14 mai 2003 à Paris, intitulée : « Sortir du piège des conflits : guerre

civile et politique de développement » qu'ils avaient encore 44% de chance de basculer à

nouveau4.

Cette alarme lancée à l’adresse de toute l’Afrique signifie que les quelques situations de paix

retrouvées ici et là par l’un ou l’autre des pays sortants de guerre ne sont qu’à des stades

encore précaires, qui exigent le soutien et l’engagement de tous les fils, filles et amis (es) du

Continent pour leur consolidation finale.

I. 1. 2. Types de conflits

Evalués essentiellement au nombre de quatre (4), ces types de conflits d’après

l’Agence Missionnaire Italienne MISNA5 dans une étude typologique des guerres africaines

se seraient tous produits en Afrique, ce sont :

a) Des conflits entre Etats que l’on retrouve principalement avant les années 80.

Celles-ci se limitaient à des revendications ou des rectifications de frontières. Exemple : la

Libye contre le Tchad pour le contrôle de la région de l’Agache ; le Cameroun contre le

Nigeria pour le contrôle de la région de la Péninsule de Bakassi, etc. Ces guerres ne sont pas

toutes éteintes. Certaines sont encore sporadiques comme celle qui à prévalu entre l’Erythrée

et l’Ethiopie en 2001.

b) Des conflits de nature sécessionniste par lesquels les frontières héritées de la

colonisation sont contestées de l’intérieur et provoquent des guerres de sécession. Cela a été

le cas au Congo belge actuelle République démocratique du Congo avec le Katanga, au

Nigeria avec le Biafra, au Sénégal avec la Casamance, en Somalie avec la Somali land.

3 Cf. Eglise d’Afrique, n° 1, avril 2001, p. 57 ; (Voir aussi United Nations, Security Council A/52/871S/1998/318)4 Pauvreté et risque de guerre in Jeune Afrique/L’Intelligent, n° 2212 du 1er au 07 juin 2003, p. 90.5 Voir http : // www.misna.org/ita/guerra.htm.

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c) Des conflits internationaux qui se sont aggravés avec la fin de la guerre froide, les

processus de démocratisation et la mort des Etats traditionnels. Ces conflits sont souvent

orchestrés par des groupes ethniques qui s’estiment lésés dans leurs droits au nom de leur

identité ethnique. C’est le cas des guerres entre Hutus et Tutsis au Rwanda, au Burundi et

dans l’Est de la République Démocratique du Congo.

d) Une nouvelle régionalisation des crises et des conflits avec une plus grande

déstabilisation régionale. Cela crée de plus vastes zones de guerres avec un nombre important

de pays engagés, chacun avec telle ou telle puissance occidentale, telle ou telle compagnie

multinationale impliquée dans le commerce du pétrole, du diamant, de l’or, ou d’autres

métaux stratégiques. Le cas du Congo-Brazzaville et de l’Angola sont complexes avec des

facteurs économiques qui mettent aux prises la défense des intérêts pétroliers entre des

Sociétés françaises et des Sociétés Anglo-Américaines ; la République Démocratique du

Congo où six (6) pays de la sous-région (Rwanda, Angola, Zimbabwe, Ouganda, Burundi,

Namibie) se sont rués sur les gisements de diamant, d’or, de cuivre et de colbat.

Un autre type de conflit, bien que vieux, mais qui revient en force sur le sol africain et qu’on

pourrait marquer en cinquième rang, est celui des religions, for inspiré par la guerre Israélo-

palestinienne, mais aussi des attentats terroristes anti-Américain du 11 septembre 2001

opposant musulmans et chrétiens, et dont quelques symptômes sont aujourd’hui enregistrés au

Nigeria avec l’esprit de la charia, ainsi qu’en Côte d’Ivoire où s’est instaurée depuis

septembre 2002 une division entre Nordistes se réclamant musulmans et Sudistes comme

chrétiens.

I. 2. ELEMENTS CONSTITUTIFS DES CONFLITS ARMES

I. 2. 1. Les hommes

Elément moteur rythmant le cœur de toute œuvre conflictuelle, l’homme a depuis

toujours constitué la clé de voûte des conflits armés qui s’opèrent autour de lui, mais devant

très malheureusement conduire à sa propre destruction. Dans le cas des conflits africains, il

n’en demeure pas moins le contraire.

Luttant pour une cause qu’il juge « noble », qui peut être soit politique, ethnique, culturelle,

religieuse, étatique ou économique, l’homme s’il n’est pas neutre, prend une part active au

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conflit de son milieu à travers un groupe qu’il intègre soit librement, soit de force. De ces

groupes, on dénote régulièrement la présence de ceux-ci :

L’armée loyale ou régulière, défendant au nom de son devoir républicain les

institutions étatiques d’un gouvernement en place.

Les Rebelles, parmi lesquels nous pouvons classer les mutins, les maquisards, les

milices privées, les terroristes, les guérillas, constituent eux la branche contestataire de

l’autorité légitime et refusent toute soumission à celle-ci.

Les mercenaires, bien qu’en nombre réduit dans leur intervention, ils viennent d’un

pays souvent étranger en vue de prendre part aux côtés d’une des parties en conflit

dans un but essentiellement lucratif.

Au passage, nous soulignerons que ces différents groupes ne sont pas composés que de

personnes en uniformes (militaires), préparées et formées pour la cause. Les populations

civiles elles aussi prennent de nos jours une part active au cœur de ces conflits pour défendre

les intérêts de tel ou tel groupe armé, d’où l’infiltration tous azimuts de ces guerres, à savoir  :

dans les campagnes et les villes, dans les maisons, dans les familles, ce qui autorise

inéluctablement tous les débordements possibles.

L’autre aspect social sombre de ces conflits, dénoncé tant par les sociologues

Africains qu’étrangers, demeure le très malheureux cas des enfants-soldats. Estimés

aujourd’hui à 300 000 de par le monde, leur nombre en Afrique battrait le record avec un

chiffre de 120 000 d’après un rapport récent du BIT (Bureau International du Travail)6. « La

majorité des enfants-soldats ont entre 14 et 18 ans, mais certains n’ont pas plus de 7 ou 8 ans.

Les garçons sont plus nombreux que les filles, mais celles-ci ne sont pas épargnées » poursuit

le rapport. Leur recrutement se fait tant au niveau des forces gouvernementales qu’au niveau

des forces d’oppositions (rebelles…), et cela par des voies que nous n’ignorons pas, à savoir :

celle volontaire ou forcée. Cette force utilisée pour l’enrôlement peut être soit physique, soit

psychologique.

Ceci dit, le même rapport du BIT précisera que 64% se seraient engagés volontairement,

parmi lesquels 34%, soit la moitié ayant au préalable subi des pressions psychologiques, se

sont enrôlés pour des raisons purement matérielles en vue de survivre, et 21%, eux de force

surtout par enlèvement pour les motifs que sont : servir de moyens de transport (d’armes et

6 Bulletin d’Information Africaine, n° 464/-06 du 15 oct. 2003, p. 5.

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matériels logistiques de guerre), de boucliers lors des combats et plus tard pour valoir de

personnel de rechange des adultes tués ou mutilés. Ces enfants-soldats, sans enfance et

interdits d’innocence, à défaut d’encadrement et de réinsertion sociale après les guerres,

risquent for de sombrer continuellement dans ce qu’ils ont appris, c’est-à-dire : des armes en

guise de jouets, le vol, le viol et le crime pour occuper les longs jours d’une vie sans repères,

sans beauté, sans affection.

I. 2. 2. Les armes

Déferlant d’un peu partout et à un rythme accéléré, démesuré et incontrôlé, les armes

semblent être aujourd’hui pour l’Afrique ce que le sang est pour le corps humain, c’est-à-dire

« indispensables », « vitales ». Hélas, ironie du sort quand on sait que ces mêmes armes

serviront à déchirer, décimer et endeuiller l’Afrique. L’abondance des conflits sur le continent

est telle que, cela a non seulement rendu florissant le marché de la guerre, mais a aussi fait de

l’Afrique le véritable souk (étalage) des marchands de canons. A l’heure qu’il fait, l’Afrique

n’est pas loin d’occuper une place de choix quant à la circulation des « armes de choix » dont

le nombre se chiffrerait à 500 millions dans le monde dont 8 millions pour la seule zone Ouest

africaine d’après les estimations du Programme de Coordination et d’Assistance en matière de

Sécurité et de Développement (Pcased)7suite aux conflits Libérien, Sierra Léonais et

Casamançais au Sénégal. Mais il faut souligner que la gravité du problème ne se situe pas

qu’au seul niveau de la prolifération incontrôlée de ces armes. Connaître leur nature, leur

provenance, qui en sont les véritables commanditaires, les moyens de leur financement et

enfin les stratégies de leur transaction malgré les multiples mesures de sécurité prises par

l’ONU pour endiguer le fait, sont là des points essentiels à ne pas passer sous silence.

Leurs Natures

Vendues dans la majorité des cas sous leur nature légère (revolvers, pistolets

automatiques, mitraillettes, fusils d’assaut, canons aériens portatifs, lance-missiles,

mortiers, bazookas, lance-grenades, munitions, mines antipersonnel…) pour la simple

raison que moins soumises à de strictes normes de contrôle international contrairement

aux armes chimiques et biologiques à destruction massive, les armes dites légères en

partance pour l’Afrique sont non seulement depuis quelques années de plus en plus

sophistiquées, mais jouissent désormais d’un autre atout qui est celui de leur maniement

facile, donc pouvant être utilisées même par les plus profanes. Lieu est aussi de

7 Cf. Bulletin d’Information Africaine, n° 406 du 15 février 2001, p. 1

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mentionner que les armes dites lourdes (avions de combats, hélicoptères, chasseurs

bombardiers, chars…) ne sont pas hors circuit des armes importées par le continent.

Seulement qu’elles restent beaucoup limitées, vu surtout la réglementation sévère sur

vente dont elles font l’objet, mais aussi suite à leur coût beaucoup trop élevé par rapport à

celles dites légères.

Leurs provenances

Epinglés et répertoriés par l’ONU comme étant les plus grands fournisseurs de l’Afrique

en armes, les pays comme : la Russie, la Chine, la Biélorussie, la France, l’Allemagne, la

Grande-Bretagne, l’Italie, les Etats-Unis, l’Ukraine, Israël, l’Iran, le Brésil, la Corée du

Nord, la Roumanie, la Slovaquie et l’Afrique du Sud8 sont aujourd’hui reconnus et

montrés du doigt par plusieurs organismes internationaux (Human Rights Watch, l’Union

Européenne, le Pcased…)9 comme étant complices, voire responsables à un degré élevé

des conflits qui s’opèrent actuellement sur l’ensemble du continent africain.

A ces pays cités, s’ajoutent aussi des personnes physiques et morales qui sont

profondément impliqués dans ce marchandage de mort.

D’après des enquêtes et sources sûres, ces personnes proviendraient de plusieurs horizons

et se recruteraient parmi des hommes d’affaires Occidentaux, d’Europe de l’Est ou

anciens des réseaux d’espionnage, dont plusieurs de l’Ex KGB soviétique10, ainsi que d’un

groupuscule d’anciens du GSPR français (Groupe de sécurité de l’Elysée) et amis du

grand mercenaire Bob DENARD, vétéran des coups d’Etat africains11.

Ces fournisseurs privés d’armes offrent volontiers leur service à qui le leur demande en

échange bien sûr d’un pourboire ou pot-de-vin qui, bien souvent s’élève à des sommes

faramineuses.

Leur financement

En matière de commerce, l’achat d’un objet quelconque exige préalablement de son

acquéreur des moyens financiers pour son acquisition. Le cas pour l’achat des armes de

guerres destinées à l’Afrique n’est pas du tout à exclure de cette procédure.

Evaluées à des centaines de millions de dollars par an, ces instruments de mort se

financent aujourd’hui sur le continent de deux manières : soit en espèce, c’est-à-dire en

8 Cf. Bulletin d’Information Africaine, n° 402 du 15 déc. 2000, p. 6 ; N° 375 du 1er oct. 1999, p. 99 Cf. Bulletin d’Information Africaine, n° 406, Op.cit., pp. 1-210 Cf. Bulletin d’Information Africaine, n° 402, Op.cit., p. 611 Cf. Jeune Afrique/l’Intelligent, n° 2213 du 08 au 14 juin 2003, p. 99

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argent liquide souvent prélevé dans les caisses de l’Etat, soit en nature selon que

l’acquéreur dispose de riches ressources naturelles et minières telles que : le Pétrole, le

Diamant, l’or, le bois… de nos jours for prisés par l’Occident. L’Angola et le Congo

Brazzaville en sont des exemples palpables ou ce second moyen de financement a joué un

rôle de grande envergure dans l’achat des armes par l’un ou l’autre des belligérants. A

préciser que ces faramineuses sommes d’argent et de pierres précieuses dévolues

majoritairement aux armes par nos chefs d’Etats, les Rebelles et les militaires, au lieu de

se voir investir dans le domaine social de leurs différentes nations affamées et malades, ne

viennent en fait qu’assombrir un état déjà jugé catastrophique par les institutions

financières du Bretton Wood.

La stratégie de transaction

Effectuées dans une grande opacité, les transactions commerciales d’armes telles

qu’enregistrées sur le terrain, empruntent des voies beaucoup plus privées (dites grises) et

illégales (dites noires) dans le but d’échapper aux mailles vigilantes de l’ONU et de

l’Opinion Internationale. Au cours de ces différentes transactions, plusieurs procédés non

conformes aux principes internationaux de circulation d’armes sont utilisés pour les faire

parvenir à bon port et dans les meilleurs délais à leurs destinataires quand bien même

ceux-ci se trouvent sous le coup d’un embargo interdisant toute importation. Mais cela ne

va pas sans la complicité d’un pays voisin allant à servir d’intermédiaire jusqu’à la

délivrance de faux certificats de destination finale comme le relate ici l’hebdomadaire

Panafricain Jeune Afrique/l’Intelligent parlant de ce cas libérien. « La méthode est

simple : il suffit à l’intermédiaire de produire auprès d’un fabricant (ou d’un vendeur)

d’armes peu regardant une attestation finale pour un pays voisin non soumis à l’embargo.

L’avion gros porteur décolle puis, en route, modifie son plan de vol et au lieu d’atterrir à

Ouagadougou, Abidjan ou Conakry, se pose en définitive à… Monrovia. Pas vu, pas pris.

Ce plan nécessite bien évidemment une complicité (politique ou rétribuée, souvent les

deux à la fois) très haut placée dans le pays voisin en question, puisque l’attestation de

destination finale doit être signée par le ministre de la Défense ou au minimum par le chef

d’état-major général. »12

12 Cf. Jeune Afrique/l’Intelligent, n° 2213, Op.cit., p. 100

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C’est justement dans ce cercle de pays complices dans le transit d’armes et de trafic illicite de

pierres précieuses que sont souvent citées les nations africaines telles que : le Burkina Faso

occupant la loge d’honneur, sans oublier le Togo, l’Egypte, le Soudan et le Kenya13.

I. 3. INTERPRETATIONS OU EXPLICATIONS DES CONFLITS ARMES

I. 3. 1. Les origines

Interprétés par divers facteurs propres à chaque société, les conflits fussent-ils armés

ou non, puisent toujours leurs racines dans les différentes réalités du milieu où ils se

déroulent.

Pour le cas particulier de l’Afrique qui s’est choisi depuis un certain nombre d’années

l’usage des armes et de la force pour résoudre ses différends, les explications données aux

conflits s’établissent sur plusieurs facteurs, et non pas que sur celui de l’ethnisme comme le

pense la majorité. Les constats faits ici et là par les spécialistes en la matière ont surtout

permis de révéler d’autres causalités de ces conflits dans les domaines que sont : le politique

et l’économique. A celles-ci, on pourrait ajouter l’aspect de l’influence externe des puissances

étrangères qui, pour l’heure ne songent guère à couper le cordon ombilical d’avec leurs

anciennes colonies, à leurs yeux encore « immatures » pour s’autogérer.

A défaut de s’étendre sur une classification ordinale de ces différentes causes

conflictuelles, l’essentiel de ce sous-chapitre consistera plutôt à expliquer quant au pourquoi

et comment de leur déclenchement dans les trois (3) domaines cibles que sont

principalement : le politique, l’économique et le social (terrain des considérations identitaires,

ethniques et régionalistes), puis d’en dégager ensuite les fâcheuses conséquences.

a) Les causes politiques

Dans le domaine politique, si l’avènement de la démocratie (1990), née au lendemain

de la guerre froide et de l’effondrement de l’URSS suite à la politique d’ouverture

(Perestroïka) du président Mikhaël GORBATCHEV a suscité d’un côté un espoir pour

l’ensemble des peuples africains, de l’autre, il n’aura pas été sans effet quant à l’émergence,

voire la multiplication des conflits sur une grande partie du continent14.

Cette démocratie brute et fragile, telle qu’importée de l’Occident par nos différents

Etats africains ne mit pas un long temps à réduire l’Afrique à feu et à sang, résultat accablant 13 Cf. Bulletin d’Information Africaine, n° 406, Op.cit., pp. 2-314 Cf. Jean-Paul NGOUPANDE, L’Afrique face à l’islam, Ed. Albin Michel, Paris 2003, p. 237

13

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et malheureux qui s’expliquerait par notre spontanéité à vouloir trop vite l’appliquer sans une

préalable étude de faisabilité pour connaître ses tenants et aboutissants.

Ainsi obligés d’appliquer cette démocratie au risque de perdre toute aide des pays

Occidentaux, les dirigeants politiques du continent noir en qui sommeillait encore les germes

du parti unique s’efforceront de la mettre en pratique tout en gouvernant d’une main de fer

leurs peuples, allant jusqu’à porter atteinte aux valeurs fondamentales de ceux-ci. C’est donc

dans cette suite logique teintée de médiocrité et de mauvaise gouvernance que se verront

multiplier à partir des années 90 d’un bout à l’autre de l’Afrique les bavures telles que : les

incitations à la haine raciale et ethnique, les violations des droits élémentaires, le népotisme,

le despotisme, l’impunité, la corruption, la délation, les détournements de fonds publics, les

trucages d’élections, les atteintes à la liberté d’expression, les abus de pouvoir, les

oppressions, les arrestations arbitraires, les assassinats, les parodies de justice, etc. qui, très

malheureusement à leur tour ont dégénéré en conflits aux conséquences catastrophiques.

Ainsi que conclure ? Sinon que la démocratie inadaptée aux réalités concrètes de nos

Etats et l’inaptitude tant morale qu’administrative de nos dirigeants politiques constituent en

gros plan les causes essentielles des conflits armés dans le domaine politique. Aussi devons-

nous retenir que la démocratie telle que souhaitée par les Occidentaux pour son application, se

résume pour l’heure en Afrique au simple pouvoir des mots. Cependant, nous garderons de

vue que l’espoir n’est pas encore perdu pour mieux faire dans l’avenir.

b) Les causes économiques

« L’argent ou l’économie constitue le nerf de la guerre » aimons-nous le clamer à

gorge déployée partout où les conflits sont sujets de débat. Et cela reste indéniablement une

réalité tangible, présente et vivante qui ne mérite plus assez de commentaire pour être

confirmée comme l’une des causes des guerres civiles au cœur de l’Afrique.

La course effrénée à l’argent dans un continent où l’on côtoie quotidiennement la

faim, la misère et la maladie pour ne citer que celles-là, n’est pas du tout un phénomène social

étrange dirions-nous, car au risque de mourir, il faut coûte que coûte choisir de survivre.

Chose pas évidemment facile.

Croupissant sous le poids de la dette extérieure qui absorbe 80% du PNB(Produit

National Brut), et épuisée de ses ajustements structurels inappropriés, l’Afrique sur le plan

14

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économique ressemble à ce jour à une jungle où seuls les forts et les puissants ont le droit de

vivre. La célèbre citation « Ceux qui vivent, sont ceux qui luttent » de Victor HUGO

s’applique ainsi bien à l’Afrique d’aujourd’hui où l’on n’hésite plus à verser le sang, même

celui de l’innocent pour s’approprier ses biens en vue des fins égoïstes, ethniques, tribales ou

régionales. L'Africain obsédé par la soif de l'argent, a perdu tout sens de son humanisme dont

il était jadis la véritable incarnation de par son sourire, son accueil, bref de par sa vie même au

profit d'une existence sans foi ni loi.

Après 52 cas de conflits analysés de par le monde entre 1960 et 1999 par les

chercheurs de la Banque Mondiale, il s’est avéré que trois(3) facteurs économiques communs

à ces pays, hormis leurs particularités étaient déterminants dans l’engendrement d’une guerre

civile. Ce sont : le niveau de revenu par habitant du pays, le taux de croissance économique et

la dépendance à l’égard des ressources naturelles15. La même analyse de poursuivre en ces

termes : « Un pays qui double son produit intérieur brut (PIB) par habitant diminue de moitié

sa probabilité de connaître une guerre civile. Chaque point de croissance économique gagné

réduit d’autant la probabilité de conflit. Les richesses du sol et du sous-sol, lorsqu’elles

constituent le pilier de l’économie, font monter en flèche le risque d’éclatement d’une

rébellion… »16.

Rien d’étonnant à cette révélation quand on sait que 43% aujourd’hui de la population

africaine n’ont pas accès à l’eau potable contre 25% en 1980, 42% vivant avec moins d’un

dollar par jour, suivi d’un accroissement de la population urbaine passé de 10% à 20% entre

1975 et 1995, soit le double en 20 ans17.

Les ressources naturelles (pétrole, bois) et surtout minières (diamant, or… ) dont regorgent la

plupart de ces pays en conflit, et pour lesquelles les guerres s’intensifient, sont vendues dans

les Bourses de New York, Kiev, Londres, Anvers, Tel-Aviv ou Bombay18sans aucune

impunité à l’encontre de leurs marchands quand bien même ils sont reconnus comme rebelles

ou pilleurs des biens de toute une nation. L’exemple de l’Angola, de la RDC, de la Sierra

Leone, du Congo Brazza et du Libéria en sont quelques preuves parmi tant d’autres.

c) Les causes ethniques, tribales ou régionales

15 Cf. Jeune Afrique/l’Intelligent, n° 2212, Op.cit., p. 90.16 Idem, p. 9017 Cf. Bulletin d’Information Africaine, n° 368 du 15 mai 1999, p. 518 Cf. Bulletin d’Information Africaine, n° 387 du 1er avril 2000, pp. 10-11

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Forte de sa vision antique d’un continent composé de cultures diverses, l’Afrique se

détermine aussi par le concept de tribu et d’ethnie qui s’impose comme une valeur

incontournable parce qu’assurant la cohésion, l’équilibre et l’harmonie sociale tout en servant

de critère d’identification de l’individu19.

Mais hélas, balkanisée en son sein par les tracées de la carte issue de la Conférence de Berlin

(1884-1885), l’Afrique s’est ainsi vue divisée sans qu’on ne tienne compte ni des facteurs

historiques, géographiques, socioculturels même des frontières ethniques. Chose qui portait

donc en germe les conflits dus à des ruptures internes aux communautés constituées

(ethniques, régionales, voire religieuses) qui entendaient asseoir leur existence propre, au

besoin par la création d’entités sinon d’Etats autonomes.

De nombreux conflits africains de ces dernières années s’illustrent bien par ces causes

ethniques puisqu’il a été prouvé, pour poursuivre l’analyse des chercheurs de la Banque

Mondiale entamée plus haut, que : « Les sociétés dans lesquelles le groupe ethnique dominant

constitue entre 45% et 90% de la population, ont une probabilité de rébellion de près de 50%

plus élevée que les autres…sinon, la diversité réduit en fait le risque de guerre civile »20. Et

dans le même sillage, ils ajouteront que : « La plupart des rébellions ont une étiquette

ethnique, non pas parce que les revendications sont identitaires, mais parce que les chefs

rebelles doivent assurer la cohésion de leur mouvement en recrutant au sein de leur propre

communauté »21.

Mais il faut souligner au passage que la cause ethnique des conflits n’est pas toujours isolée.

Elle se fonde souvent sur des bases solides qui peuvent être de nature soit économique, soit

politique (ambition du pouvoir), d’où le commentaire plus loin de l’analyse : « La diversité

ethnique devient une cause de rébellion lorsqu’on découvre des ressources naturelles dans une

localité. Quand il s’agit de pétrole, les mouvements armés réclament la sécession. Exemples

cités : le Biafra au Nigeria, le Katanga dans le Congo des années 60… »22.

Cette réalité basée sur l’ethnisme au mépris ou rejet des autres couches sociales est même

devenue pour l’Afrique actuelle un jeu d’enfant, pour ne pas dire un hymne qui se chante au

su et vu de tous. Raison pour laquelle d’ailleurs elle est qualifiée de cause essentielle

entraînant aux guerres civiles parce que tout simplement présente dans tous secteurs de la vie

19 Cf. Lettre pastorale « Christ est notre paix » de la XIIème Assemblée Plénière du SCEAM, n° 16, Oct. 200120 Cf. Jeune Afrique/l’Intelligent, N° 2212, Op.cit., p. 9021 Idem, p. 9122 Ibidem, p. 91

16

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sociale. Exemple : le pouvoir du général Lansana CONTE en république de Guinée ne profite

pas qu’à lui seul. C’est tous les Soussous du pays, ethnie à laquelle il appartient qui se sentent

investis de cette charge présidentielle juteuse qu’il faut coûte que coûte conserver, même au

prix du sang. De là s’explique l’occupation des postes clefs de la machine administrative

guinéenne (Finances, Défense, Affaires étrangères pour ne citer que ceux-là) par les

Soussous.

La guerre sanglante du Rwanda en est un autre exemple qui a opposé deux (2) ethnies sur les

3 que compte le pays, à savoir : Tutsis et Hutus.

d) Causes dues à l’influence des puissances étrangères

Importante et non négligeable dans l’éclatement des conflits armés africains,

l’influence des puissances étrangères telle qu’on peut l’observer, ne contribue pas toujours à

calmer ou apaiser les tensions conflictuelles entre belligérants ou combattants opposés du

continent. Utilisant des formes d’ingérence à caractère politique, économique ou militaires,

ces mêmes puissances étrangères ont, en maints endroits du continent, été les initiateurs, voire

les commanditaires de nombreuses confusions et troubles dont ils savaient pertinemment que

l’issue finale serait fatale pour les pauvres populations de ces zones. Le cas du géant pétrolier

Français ELF au Congo Brazzaville qui a conduit au renversement puis au départ en exil de

Pascal LISSOUBA, démocratiquement élu au profit de Denis Sassou N’GUESSO l’actuel

président en illustre bien un exemple, sans oublier tant d’autres.

Ayant actuellement changé de procédure d’immixtion au risque de se voir

constamment indexer et accuser, ces puissances étrangères n’interviennent plus de façon

directe au cœur des conflits. Elles le font plutôt par personnes interposées, à travers des pays

africains aux consciences achetées pour jouer aux « gendarmes » au nom d’un soi-disant

accord de défense et de sécurité signé avec le ou les pays en conflit, dans des guerres qui,

avant tout ne sont pas les leurs, ou encore d’opération de maintien de la paix, à ne pas

confondre avec aventures militaires comme cela devrait se dire pour la majorité de ces

interventions.

I. 3. 2. Conséquences

Comme l’on devrait s’y attendre dans toute entreprise de ce genre, les conséquences

d’une guerre si petite soit-elle, demeurent toujours considérables et catastrophiques. Les

conflits armés tels que nous les constatons à travers diverses sources d’informations, ne sont

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en effet que l’expression de notre propre échec. Echec de l’homme tout entier, mais aussi

échec de son ambition à construire un monde de Justice et de Paix véritables. Aussi difficile

qu’elle soit à « avaler », la vérité reste que « les vrais ennemis de l’Afrique, c’est nous, ses

propres enfants, du berceau à la tombe » pour reprendre textuellement les paroles de

l’Ecrivain Tchadien Noël N’DJEKERI prononcées lors du 3ème Congrès des écrivains

d’Afrique et de ses diasporas tenu à Djaména (Tchad) du 24 octobre au 02 novembre 2003

dans le cadre du 10ème Festival « Fest Africa sous les étoiles » dont le thème était « Paix et

guerre : l’engagement en question. »23.

7 à 8 millions de morts dont 2 millions d’enfants, selon l’Unicef24, 15 millions de réfugiés

d’après les estimations du HCR25, des bouleversements économiques et sociaux à large

spectre, assassinat des forces productives, des hommes meurtris dans leur corps et dans leur

âme, la famine, les maladies, en particulier le Sida, la misère, etc. Voilà ce à quoi ont abouti

les guerres civiles et fratricides dont s’est nourri le continent africain durant ces dernières

décennies de combat intense et acharné. La triste réalité demeure que c’est tout l’homme

Africain qui est aujourd’hui malade et qui, justement a besoin d’être soigné et guéri. Au

risque de quoi, l’Afrique végètera éternellement dans ce cercle vicieux et infernal de conflit.

Certes, la pente sera difficile à remonter, mais l’espoir n’est cependant pas perdu.

I. 4. APPROCHE DE SOLUTIONS

Si les guerres qui déciment en ces jours l'Afrique ont eu des motifs expliquant leur

déclenchement, il va s'en dire aussi qu'il y a certainement des voies et moyens applicables

pour aboutir à leur éradication, quand bien même la procédure à suivre peut s'avérer longue et

pénible. Pour ce faire, avant de nous lancer à l'assaut des méthodes dites modernes de

résolution de ces conflits, il nous serait très édifiant d'interroger le passé, en particulier la

tradition africaine quant aux méthodes utilisées jadis dans ces mêmes cas de figure.

I. 4. 1. Résolution des conflits en contexte traditionnel

Bien que traitée de vieille et dépassée, la tradition africaine dit encore garder assez de ses

valeurs qui peuvent être d'or pour nos sociétés dites modernes. En ce qui concerne la

résolution des conflits de quelques genres qu'ils soient, les sociétés traditionnelles détiennent

23 Cf. Jeune Afrique/l’Intelligent, n° 2234 du 02 au 08 novembre 2003, p. 1924 Cf. Bulletin d’Information Africaine, n° 402, Op.cit, p. 625 Cf. Bulletin d’Information Africaine, n° 461/-09 du 1er septembre 2003, p. 12

18

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des recettes efficaces qui peuvent encore valoir de clés de solution dans l'aujourd'hui de nos

différends politiques et sociaux. Ce sont par exemple : les vertus de la palabre, de la parenté à

plaisanterie, du rôle des griots, détenteurs de l'histoire, etc. pour ne citer que ceux-là.

La vertu de la palabre

Pour avoir fait ses preuves dans la résolution de nombreux conflits, même les plus

difficiles, la palabre a été d'une grande importance jadis dans nos sociétés traditionnelles.

Son but était principalement dévolu d'un côté à restaurer la paix entre les parties en conflit

sans pour autant sacrifier la justice, et de l'autre, à procéder à leur guérison par le biais de

la réconciliation.

Comme phénomène politique donc, la palabre offrait l'occasion d'une participation à la

remise en ordre politique de la communauté ; elle avait une visée essentiellement

intégrative des personnes, légitimatrice du pouvoir, valorisatrice des statuts, régulatrice

des comportements et restauratrice de l'harmonie ; car on ne veut pas l'exclusion du fautif

ou du coupable, mais sa réhabilitation et sa réinsertion dans la communauté26. Dans la

pratique traditionnelle, la fin ultime de la palabre est d'offrir à la communauté en crise, un

espace caché, qui réunit des personnes sous le clair-obscur d'une lampe ; là ou l'on

discerne à peine les visages, tard dans la nuit ou très tôt le matin, dans un calme qui laisse

à peine audibles des voix tempérées, douées d'intelligence, soucieuses de vérité et de

justice, mais pleines de respect pour les autres. C'est dans pareil cadre qu'on obtient un

compromis qui accouche d'une victoire sans vainqueur ni vaincu. Ainsi, la dignité de celui

qui concède, pas toujours facilement, est respectée27.

La parenté à plaisanterie

Encore présente dans de nombreux pays africains, la parenté à plaisanterie est aussi cet

autre chemin qu'empruntaient nos sociétés traditionnelles pour sortir de crise ses différents

membres. Connue sous plusieurs appellations selon les régions ou pays : senenkouya chez

les Bambaras du Mali, le sanankouya chez les Malinkés de Guinée ou bölalen chez les

Kissis du sud de la Guinée ; la parenté à plaisanterie ou alliance à plaisanterie est une

véritable tradition créatrice de convivialité, un stabilisateur des relations sociales, une

arme de prévention et de gestion des conflits aussi bien au sein des familles qu'au niveau

des villages et entre ethnies. Elle permet de détendre l'atmosphère familiale : grands-

26 Claude RIVIERE, les liturgies politiques in Eglise d'Afrique, n° 1 d'avril 2001, p. 3527 Idem, p. 35

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parents et leurs petits enfants, beaux-frères et belles sœurs, cousins, etc, et favorise la

convivialité entre plusieurs ethnies : kissi-peul (Guinée), bozo-dogon (Mali), peul-bobo

(Mali et Burkina-Faso).

La parenté à plaisanterie, se dit être aussi un devoir de fraternité et de cousinage plus fort

que la loi, car il arrive souvent en effet que des litiges en souffrance dans les rouages de

l'administration judiciaire depuis de longues années, trouvent un dénouement heureux

grâce à la médiation d'un cousin à plaisanterie à qui on peut difficilement refuser quelque

chose au risque d'être blâmé par la société pour violation des règles du jeu.

Bref, ces quelques exemples de résolutions autrefois utilisées pour régler les conflits dans

nos différentes sociétés traditionnelles sont des voies et moyens qui peuvent encore

aujourd'hui trouver des échos favorables dans nos sociétés actuelles en vue de mettre fin

aux incessants différends qui les déchirent.

I. 4. 2. Résolution des conflits en contexte moderne

La prise des mesures draconiennes telles que : arrestations, condamnations,

emprisonnements, poursuites judiciaires et exécutions sommaires prises à l'encontre des

cerveaux ou principaux acteurs des guerres civiles africaines (Jonas SAVIMBI en Angola,

Caporal Fodé SANKHON en Sierra Leone, Ansoumane MANE en Guinée-Bissau, Charles

TAYLOR au Libéria, Général Robert GUEY en Côte d'Ivoire…) s'est jusqu'à aujourd'hui

avérée inefficace dans la résolution des conflits. De nos jours c'est au dialogue auquel

s'ajoutent des termes apparentés comme : pourparlers, concertations, négociations, tables

rondes, médiations, conférences nationales de réconciliation que l'on confie la mission de

résoudre les multiples conflits que connaît la planète.

L'Afrique elle non plus n'échappe pas à ce mot d'ordre, qui pourtant reste encore

fragilisé quant à son application effective sur le terrain. Partout où les guerres se sont

déclenchées, le dialogue est apparu aux yeux de tous comme étant la solution miracle à la

crise. Si dans certains cas, il a eu gain de cause en aboutissant à la pacification, dans bien

d'autres, c'est encore la bavure pour ne pas dire l'échec total ; car l'expérience a montré que le

dialogue peut aussi devenir un prétexte pour des accusations et des ruptures sans fin. Il peut

être démenti ou interrompu à tout moment, pour les raisons les plus variées que sont :

mécontentement des groupes qui se considèrent mal représentés, manque d'argent pour

héberger les délégués dans les hôtels, reprise des combats quelque part, peu de clarté à propos

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de la transition politique, de la composition de la future armée, accusation de non-respect des

conditions préalables, etc.

Dans cette attente, la liste des victimes, elle, continuera évidemment de s'allonger. En

Angola par exemple, le mot dialogue a fait surface à plusieurs reprises au cours d'une guerre

qui a duré 27 ans, le temps suffisant pour faire un demi-million de mort et placer 10 millions

de mines antipersonnel (une pour chaque angolais). Des accords ont été signés : Alvor, 75 ;

Lusaka, 84 ; Genève, 88 ; Gbadolite, 89 ; Evora, 90 ; Estoril ou Biscesse, 91 ; Lusaka, 94…28

Ce fut pareil cas aussi au Liberia, au Soudan, en Somalie, au Burundi, en Rép. Démocratique

du Congo, en Rép. arabe Sahraouie… Mais toujours est-il que les mêmes conflits continuent

de plus bel à faire des ravages et des victimes innocentes ; d'où l'apparition du terme dialogue

de sourds.

Cependant, malgré les difficultés rencontrées, la communauté internationale et l'ONU

ne baissent pour autant pas les bras. Dans l'espérance d'aboutir à des solutions meilleures,

elles ont proposé d'aller dans le sens de la médiation de sages internationaux qui, grâce à leur

expérience et à leur prestige, pourraient mettre fin à des situations devenues intolérables.

Exemple : L'intervention de Nelson MANDELA dans le conflit Burundais, Omar BONGO

dans celui du Congo Brazza, Ketumile Macire en RDC, Gnassingbé EYADEMA en Côte

d'Ivoire… Et c'est abordant dans le même idéal que Boutros GHALI alors Secrétaire de

l'ONU envisageait ce souhait sous ces termes : « le recours à la diplomatie est

particulièrement souhaitable et efficace pour apaiser les tensions avant qu'elles ne provoquent

un conflit – ou, si un conflit a déjà éclaté, pour agir rapidement afin de le circonscrire et d'en

éliminer les causes sous-jacentes »29.

En définitif, nous retiendrons que les conflits dans nos sociétés modernes ne

trouveront d'issue favorable que par la seule voie du dialogue. Mais encore faudra-t-il que

cela soit un dialogue franc et sincère, au cours duquel chacun reconnaîtra ses erreurs,

acceptera d'assumer la responsabilité de ses actes, respectera ses engagements quant à

construire la paix, et enfin s'engagera sur de nouvelles bases par le rite final de la

réconciliation, sans bien sûr, en exclure personne.

28 Cf. Bulletin d'Information Africaine, n° 441 du 1er oct. 2002, p. 129 Boutros GHALI dans son Agenda pour la paix in Etudes, oct. 1995, p. 329

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I. 5. EXEMPLE DE CONFLIT : LE GENOCIDE RWANDAIS (06 avril 1994 – 25 août 2003)

Qui de nous, de quelque coin du monde qu'il soit, n'a pas entendu parler soit sur les

ondes d'une radio, soit vu sur la chaîne d'une télé quelconque les images macabres et

sanglantes de la fameuse guerre du Rwanda ?

Ayant fait échos presque dans le monde entier par la cruauté et l'atrocité de ses massacres, le

génocide rwandais comme l'indique bien son nom ne pouvait en effet laisser personne

indifférent face à ce que les uns et les autres ont qualifié de projet barbare et inhumain au soir

d'un deuxième millénaire déjà tacheté d'horreurs (1ère et 2è guerre mondiale, guerre Israélo-

palestinienne, guerre Yougoslave…)

Riche de maxime pour toute l'Afrique, le génocide rwandais comme entreprise

humaine pour régler nos différends sociopolitiques ou ethniques devrait être un exemple à ne

pas imiter, ni par les futures générations rwandaises, ni par le reste des peuples africains. Car

tous, nous avons pu d'une manière ou d'une autre constater les énormes et nombreux dégâts

qu'il a engendrés.

C'est donc sur la base de cette invitation, mais aussi sur les mesures à prendre pour

éviter un tel conflit dans quelque lieu du continent africain qui en souffre déjà suffisamment,

que se focalise ici le choix de ce conflit comme exemple parmi tant d'autres. Par ailleurs, nous

aborderons au cours de cet exposé les questions clés qui s'imposent, à savoir : pourquoi et

comment a eu lieu ce génocide ? Et qui en sont les responsables ?

I. 5. 1. Présentation générale du pays

Petit pays enclavé de l'Afrique centrale au cœur des grands lacs, le Rwanda se trouve

précisément situé entre l'Ouganda au Nord, la Rép. Démocratique du Congo à l'Ouest, la

Tanzanie à l'Est et le Burundi au Sud. Baignant dans un climat printanier favorisant une

agriculture intensive axée principalement sur la culture du café et du thé, son relief quant à

lui, nous offre un paysage verdoyant en majeure partie accidentée et bondée de plusieurs

collines d'où d'ailleurs son autre appellation pays des milles collines.

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Avec une superficie de 26 000 Km², sa population d'avant le génocide de 1994 s'élevait

environ à 7,5 millions30 d'habitants contre 8,1 millions aujourd'hui31, répartie ethniquement

comme suit d'après le recensement de 1991 : 91% de Hutu, 8% de Tutsi et 0,4% de Twa.

Au rang des confessions religieuses présentes sur son sol, le Rwanda présente les statistiques

suivantes : 50% de catholiques ; 30% d'animistes ; 12% de protestants et 8% de musulmans

(ces données peuvent varier d'une source à une autre.) Parmi les grandes villes qui le

compose, nous retrouvons : Kigali la capitale, Gitarama, Cyangugu, Kibuye, Gikongoro,

Butare, Gisenyi, Ruhengeri et Byumba.

Riche d'un passé politique qui a déjà connu trois (3) régimes différents (celui de

Grégoire Kayibanda 1961-1973 ; du Général Juvénal Habyarimana 1973-1994 et du pasteur

Bizimungu 1994-2000), le pays est actuellement dirigé par le Général Tutsi Paul Kagamé du

Front Patriotique Rwandais (FPR), récemment réélu à la magistrature suprême (25 août 2003)

avec un suffrage écrasant de 95% sur ses malheureux adversairesi,après deux (2) années déjà

passées à la tête de l'Etat.

I. 5. 2. Le génocide rwandais, fruit d'un passé douloureux

Si la guerre qui a déchiré et endeuillé le Rwanda pendant plusieurs mois (avril-juillet

1994) a fortement pris corps un de ces jours du 06 avril 1994, ses racines quant à elles

remontent bien aux origines même du pays. Pour mieux comprendre cela, référons-nous à

l'histoire proprement dite du Rwanda avec l'appui de quelques dates cibles, ainsi que les

événements qui les ont marqués.

*De la conquête à la révolution sociale (1894 – 1959)

1894 : Des explorateurs allemands découvrent le Rwanda.

1900 : Création de la première mission des Pères Blancs.

1916 : Les Belges s'emparent du Rwanda et s'appuient sur l'élite traditionnelle pour

gouverner le pays.

1922 : La Société des Nations (équivalent de l'ONU à l'époque) confie à la Belgique un

mandat de tutelle sur le royaume d'Urundi (Rwanda-Burundi).

1931 : Le Roi est déposé par les Belges et remplacé par son fils Rudahigwa, plus

conciliant. L'administration belge impose un livret d'identité sur lequel est mentionnée

l'origine ethnique.

30 Voir cartographie dans le Livre de André SIBOMANA, Gardons espoir pour le Rwanda, Paris, DDB, p. 24831 Cf. Jeune Afrique/l'Intelligent, n° 2152 du 08 au 14 avril 2002, p. 65

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1952 : Création du 1er conseil représentatif, le conseil supérieur, composé principalement

de notables tutsis.

1957 : Rédaction d'une "Note sur l'aspect social du problème racial au Rwanda", plus tard

appelée "manifeste des Bahutus". Dans ce document, des Hutus dénoncent le "régime féodal"

et la domination des Tutsis.

1958 : Montée des tensions interethniques. Les Belges se méfient des velléités

d'indépendance de leurs anciens alliés tutsis et se rapprochent des Hutus.

*La Révolution sociale, l'indépendance et le régime Kayibanda (1959-1973)

1959-1962 : Révolution sociale. Avec le soutien de l'Eglise catholique rwandaise, l'élite

hutue émancipée s'empare du pouvoir. L'administration de tutelle belge retire son soutien

aux Tutsis, dont beaucoup sont massacrés. Plusieurs milliers de Tutsis fuient en Ouganda,

au Burundi et au Zaïre.

1961 : A la mort du Roi Rudahigwa, proclamation de l'indépendance du Rwanda.

Grégoire Kayibanda un Hutu est élu président (1961-1973).

*Les débuts du régime Habyarimana (1973-1990)

1973 : le chef d'état-major des armées, Juvénal Habyarimana, s'empare du pouvoir à la

faveur d'un coup d'Etat (1973-1994).

1978 : Nouvelle constitution. Régime de parti unique (Mouvement républicain national

pour le développement, MRND).

1979 : Création de la Rwandese National Union (RANU) au Kenya, qui représente les

réfugiés tutsis rwandais.

1987 : Création du Rwandese Patriotic front (RPF), ou Front Patriotique Rwandais (FPR)

en Ouganda. Coup d'Etat au Burundi.

1988 : Massacres de Tutsis au Burundi, la répression de l'armée fait plusieurs dizaines de

milliers de morts parmi les paysans hutus et provoque un nouvel exode en direction du

Rwanda.

*La démocratisation du régime et la guerre (1990-1994)

1990

Septembre : Visite du Pape Jean-Paul II.

Octobre : Le FPR attaque le Rwanda depuis l'Ouganda. Suspectés de complicité, des

milliers de tutsis et d'opposants au régime Habyarimana sont arrêtés.

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Novembre : Début de démocratisation du régime (développement de la liberté de la

presse, création de facto de partis politiques d'opposition.). Juvénal Habyarimana annonce

la suppression de la mention ethnique sur les cartes d'identité.

1991 : Avril : Reconnaissance du multipartisme

1992

Mars : Création de la coalition pour la défense de la République, parti extrémiste hutu.

Massacres de Tutsis dans le Bugesera.

Avril : Formation d'un gouvernement de transition dirigé par le leader de l'opposition

démocratique, Dismas Nsengiyaremye.

Juin : L'opposition démocratique rencontre des responsables du FPR à Bruxelles en vue de

constituer un front unique face au régime Habyarimana.

Juillet : Accord de cessez-le-feu entre le gouvernement et le FPR.

1993

Janvier : Signature d'un protocole d'accord en vue de la constitution d'un gouvernement de

transition à base élargie (GTBE). Une commission d'enquête internationale indépendante

dénonce l'ampleur des violations des droits de l'homme.

Juin : Un nouveau gouvernement provisoire est constitué. Dismas Nsengiyaremye est

contraint de fuir. Agathe Uwilingyimana prend la tête du gouvernement. Elle conservera

ce poste jusqu'à son assassinat le 7 avril 1994. Election générale au Burundi. Pour la

première fois dans l'histoire du pays, un hutu, Melchior Ndadaye, accède à la présidence

de la République.

Août : Signature des accords de paix d'Arusha, qui mettent un terme aux hostilités et

prévoient le partage du pouvoir entre MRND, l'opposition démocratique et le FPR.

Octobre : Coup d'Etat au Burundi. Melchior Ndadaye est assassiné par des militaires

extrémistes tutsis.

Décembre : Les soldats français de l'opération Noroît quittent le Rwanda et cèdent la place

à la Minuar (Mission des Nations Unis d'assistance au Rwanda).

1994

Janvier : Blocage des accords d'Arusha. Le gouvernement de transition à base élargie

(GTBE) ne peut être mis en place.

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Mars : Atmosphère de guerre à Kigali. Les incidents sont quotidiens et des listes de

personnes à éliminer circulent.

Avril : Le Président Juvénal Habyarimana se rend à Dar-es-salam (Tanzanie) pour un

sommet régional sur la paix. Il est assassiné à son retour, ainsi que le président burundais

Cyprien Ntariyamira (6 avril). Dès le lendemain, le Premier ministre, Agathe

Uwilingiyimana, et plusieurs autres ministres sont assassinés. A Kigali et dans plusieurs

autres communes, les massacres de tutsis et d'opposants hutus commencent. C'est alors le

début proprement dit d'un génocide qui va durer plusieurs mois (Avril-Juillet) de suite et

entraîné des catastrophes énormes : 500 000 à 1 500 000 de morts (Tutsis et Hutus

modérés, c'est-à-dire opposants au régime de Juvénal Habyarimana), 1 923 362 de

déplacés selon le HCR32, et 50 000 qui mouront d'épuisement et de choléra dans les deux

semaines suivantes, estime la Croix Rouge Internationale33.

Comme nous pouvons d'ores et déjà le constater à travers ces repères chronologiques34

qui en disent beaucoup du génocide rwandais, ce conflit en tant que tel, n'est rien d'autre que

le fruit d'une longue haine longtemps nourrie entre Hutus et Tutsis, et dont le point d'encrage

de l'abcès a été douloureusement crevé en 1994. Les motifs de cette haine réciproque

s'expliqueraient par une question de pouvoir à gérer, initialement détenu par les Tutsis

minoritaires et qui, après l'indépendance connaîtra un revers en revenant aux Hutus, qui à leur

tour en profiteront grâce à l'appui et au favoritisme morbide des colons belges puis de l'Eglise

catholique, pour se venger de l'humiliation et de l'affront dont ils ont été autrefois l'objet.

Dans cette chasse aux sorcières motivée par une grande rancœur, la majorité Hutu au

pouvoir mettra tout en œuvre, y compris les mécanismes les plus machiavéliques pour réduire

en cendre, voire effacer complètement du pays la mémoire dérangeante de l'ancien maître, à

savoir : les Tutsis. Pour ce faire, les méthodes telles que : la préparation psychologique des

élites, le conditionnement des masses par les médias (rappelons-nous ici le rôle joué par la

radio Mille collines et le Journal extrémiste Kangura), la déshumanisation des victimes avant

leur exécution, le raffinement et la cruauté des systèmes de mise à mort, auront servi de plus

subtiles pour parvenir à cette fin macabre35.

32 Cf. Famille Chrétienne, Rwanda, le pays aux milles pardons, n° 944 du 15 février 1996, p. 2333 Voir Repère chronologiques de André Sibomana, Op.cit, p. 23834 Idem, pp. 233-24035 Ibidem, p. 148

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S’agissant de l'attitude adoptée par les puissances étrangères et la Communauté

Internationale face à ce génocide rwandais, nous soulignerons que rien de leur côté n'a été

entrepris ni de près, ni de loin pour endiguer ce bain de sang inter-ethnique. Constat amer et

regrettable que dénoncent plus tard plusieurs éditoriaux de journaux africains, comme ici celui

du journal panafricain Jeune Afrique/l'Intelligent sous la plume de son rédacteur en chef Mr.

François SOUDAN : « Nul alors, ni l'ONU, ni la France, ni la Belgique, ni les Etats-Unis, ni

l'OUA, ni aucun des voisins proches ou lointains de ce pays martyr ne jugea bon d'intervenir

pour enrayer la machine à broyer. Les génocidaires, il est vrai, n'étaient ni talibans, ni

baasistes, ni membres d'Al-Qaïda et n'exterminaient qu'une partie de leur propre peuple. D'où

le devoir de mémoire – et de repentance – imposé à juste titre à la Communauté Internationale

du drame »36.

Aujourd'hui dix (10) ans après le génocide, bien que le traumatisme soit encore

extrêmement sensible au sein de la population, le pays des mille collines qui a tenu sa

première consultation présidentielle pluraliste (25 août 2003), ouvrant ainsi ses portes à la

véritable démocratie, a enfin décidé d'aller dans la voie de la réconciliation nationale. Pour ce

faire, une Commission Nationale pour l'Unité et la Réconciliation (CNUR) a été mise en place

depuis le 12 mars 1999 par l'Assemblée Nationale. Dans sa quête d'une meilleure

réconciliation, cette commission s'est donnée pour feuilles de route et toile de fond :

L'enseignement de l'éducation civique sur toute l'échelle nationale pour rappeler à

chaque citoyen du pays le sens du patriotisme à cultiver et rompre définitivement avec

la politique divisionniste du passé.

L'écoute de la population à travers l'organisation des consultations dans les 106

districts du pays en vue d'évaluer le processus d'unité et de réconciliation.

L'établissement d'une justice au service de la réconciliation.

Concernant cette justice où 120 00037 génocidaires attendent d'être jugés dans les mois et

années à venir, deux types de juridictions ont été adoptées en vue de répondre non seulement

rapidement, mais surtout favorablement à cette volonté d'équité à l'endroit de tous (auteurs et

victimes du génocide). Ce sont celles dites moderne (Le Tribunal Pénal International pour le

Rwanda basé à Arusha en Tanzanie ) et l'autre traditionnelle connue sous le nom de gacaca

(prononcez gatchatcha qui veut dire gazon). Cette dernière forme de juridiction qui n'est pas

36 Cf. Jeune Afrique/l'Intelligent, n° 2227, Op.cit., p. 4137 Cf. Jeune Afrique/l'Intelligent, n° 2152, Op.cit., p. 52

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méconnue des rwandais pour avoir fait ses preuves, a été créée bien avant octobre 1943. Elle

servait jadis sur le plan traditionnel à juger oralement les délits mineurs. Réadoptée au

lendemain du génocide par les nouvelles autorités de Kigali, elle se charge actuellement de

rendre une justice, non plus purement punitive, mais aussi réconciliatrice, d'où sa double

fonction de régler les différends et de rapprocher les personnes. L'histoire nous en dira plus

sur l’efficacité d’une telle justice.

En résumé, nous retiendrons que le génocide rwandais, tel qu'il s'est passé, n'est pas

qu'un gâchis pour le seul peuple rwandais, qui en a certes directement subi les conséquences

fâcheuses. A travers lui, c'est toute l'Afrique qui s'est vue endeuiller, alarmer et humilier à la

face du monde, et cela, par la faute de ses propres enfants que nous sommes, comme l'a

confirmé notre refus d'assistance quand celle-ci se faisait plus pressante. Quelle leçon en

tirer ? N'est-ce pas qu'il nous invite à mieux nous serrer mutuellement les coudes à travers les

organisations et rencontres inter-étatiques, régionales ou internationales déjà existantes, afin

que ne se reproduise plus jamais une pareille catastrophe au cœur du continent ?

CONCLUSION

Les conflits armés comme nous l'avons constaté durant tout le parcours de ce premier

chapitre sont effectivement une réalité bien présente au cœur de l'Afrique. Et comme tels

également, ils n'échappent et n'excluent personne des catastrophes monstrueuses qu'ils

entraînent. D'où justement l'interpellation et l'engagement de tout un chacun à œuvrer de près

ou de loin en vue de construire et consolider les idéaux de Paix et de Justice dont a

ardemment aujourd'hui besoin le continent pour vivre un Bonheur profond.

Face à ce combat de longue haleine et de grande ampleur, qui n'est pas sans risque, le

chrétien Africain est appelé à jouer un rôle déterminant qui n'est autre que celui d'un artisan

dévolu à la cause des autres à l'image de son Maître et Seigneur Jésus-Christ, mort et

ressuscité pour le rachat de tout l'homme.

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CHAPITRE II

LA DOCTRINE DE L'EGLISE SUR LA GUERRE ET LA PAIX

"Comme une cathédrale, la paix doit être construite, patiemment, et avec une foi

inébranlable… La cathédrale de la paix est construite de multiples pierres. Chaque personne

doit devenir une pierre dans ce bel édifice. Tous les hommes, et donc bien sûr les Africains,

doivent, délibérément et résolument, s'engager dans la recherche de la Paix."

JEAN-PAUL II cité par Mgr Paul POUPARD in Pour une culture chrétienne de la paix,

Yaoundé, 3-4 mars 2000 sous la présentation du Conseil Pontifical de la Culture.

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La question de la guerre et de la paix est une des plus difficiles de la morale sociale de

l'Eglise, elle est au centre de l'expérience humaine. Elle nous met au contact d'une

incohérence totale ; alors que tous les hommes veulent la paix, sans cesse renaissent les

violences et les conflits armés. Souvenons-nous ici du premier conflit mondial (1914-1919)

au lendemain duquel l'opinion qui avait subi d'intolérables dégâts pensait que celui-ci ne

devait jamais se reproduire ; on parlait alors de la dernière des guerres ; la «  der des der »

selon une expression populaire. En même temps le traité de Versailles affirmait : « attendu

qu'une paix juste et durable ne peut être fondée que sur la justice sociale »38. Le même slogan

était aussi lancé après la seconde guerre mondiale (1939-1945) en ces termes par l'ONU :

« Nous, Peuples des Nations Unies résolus à préserver les nations futures du fléau de la

guerre »39. Mais très malheureusement, aucun de ces appels à construire la paix n'a été entendu

d'une bonne oreille, d'où depuis 1946, près de 180 conflits locaux ont pu être dénombrés40.

L'histoire de ces dernières années est semblable à celle des deux mille ans écoulés. La

violence est le lot de l'homme et lui est inhérente. Face à cette situation chaotique que connaît

notre monde, la question principale qu'on pourrait se poser est de savoir quelle est la place

qu'occupe ici le Christianisme ?

Experte en humanisme, l'Eglise n'est pas en reste de ceux et celles qui oeuvrent

inlassablement pour faire de la paix une réalité et de la guerre un mauvais souvenir.

Préoccupée par ce problème d'une grande ampleur morale et humaine qui porte atteinte à la

sacralité et à la dignité de la vie humaine, elle se dévouera au fil des siècles pour faire régner

aux yeux de l'humanité tout entière, ce que le Prophète Isaïe a appelé « le fruit de la Justice »

c'est-à-dire : la Paix (Is 32, 17).

Certes dans son parcours à la recherche inéluctable de la paix pour tous, nous

constaterons que l'Eglise et les chrétiens auront eu plusieurs positions. Elle est passée d'une

attitude plus ou moins pacifiste durant les quatre premiers siècles à la formulation de la

théorie de la juste guerre, puis au soutien de politiques destinées à construire la paix. Dans

cette démarche de permanents remue-ménage, au lieu de faire une mauvaise lecture de la

volonté de l'Eglise à construire et instaurer la paix, nous devons plutôt y voir son souci à

vouloir apporter une justification éthico-religieuse aux angoisses de l'opinion.

38 Partie XIII, Préambule de la Constitution de l'Organisation Internationale du Travail39 Charte des Nations Unies, Préambule40 Cf. Conférence du Père Joseph JOBLIN, sj, De la guerre juste à la construction de la paix in DC, n° 2206 du 20 juin 1999, p. 587

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Face à ce lot de questions acharnées sur la paix et la guerre, nous remarquerons que

l'Eglise d'Afrique à l'instar de l'Eglise Universelle n'est pas moins soucieuse. Abordant avec

beaucoup d'attention les fléaux de conflits armés qui divisent et déciment son peuple en

majorité fragile dans le témoignage de sa foi chrétienne, elle s'attelle aujourd'hui à travers ses

pasteurs à en appeler à la conscience des gouvernants politiques. Cela, en y joignant sa ferme

volonté au nom du Christ Jésus à former et éduquer ses propres brebis que sont les fidèles

chrétiens, sans oublier les personnes de bonne volonté qu’elle invite aussi à œuvrer pour la

paix par le moyen des activités spirituelles, de la justice et de l'amour indéfectible des autres.

II. 1. L'ENSEIGNEMENT BIBLIQUE ET PATRISTIQUE

II. 1. 1. L'Ancien Testament

Tout au long de l'Ancien Testament, à travers les multiples couches des récits de la

création et de l'évolution du peuple de Dieu, la guerre et la paix apparaissent comme des

éléments importants et extrêmement complexes.

a) La guerre

La violence et la guerre sont partout présentes dans l'histoire du Peuple de Dieu, notamment

de l'Exode à la monarchie : conquête de la terre de Canaan, lutte toujours renaissante avec les

petits peuples voisins (Ammonites, Edonites, Philistins, Araméens), luttes fratricides entre

royaume du Nord et celui du Sud, résistance aux invasions des grands empires qui se

disputaient l'hégémonie du Proche-Orient, révolte des Maccabées à l'époque d'Antiochus

Epiphane…

« L'histoire du peuple d'Israël, située à l'un des grands carrefours des routes mondiales, est

l'une des plus dramatiques de l'Antiquité » dira René COSTE41. Dieu est souvent présenté

comme celui qui conduit les Hébreux à la bataille, les protège contre leurs ennemis, leur

donne la victoire sur les armées étrangères (cf. Dt 1, 30 ; 20, 4 ; Jos 2, 24 ; Jg 3, 28). Pour un

peuple qui se savait plus petit et plus faible que les nations voisines, la métaphore du guerrier

comportait des connotations de tout ordre. Elle lui permettait aussi d'exprimer sa conviction

que ce Dieu était engagé dans sa vie, désirait le voir grandir et prospérer. La métaphore

conférait au peuple un sentiment de sécurité ; il avait un Dieu qui le protégerait, même face à

des obstacles. Il s'agissait par ailleurs d'un appel à la foi et à la confiance ; on avait le devoir

41 René COSTE, Les religions et la guerre, (collectif), Ed. Cerf, Paris 1991, p. 89

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d'obéir au Dieu puissant et de le suivre. Le Dieu guerrier a revêtu la plus haute importance

pendant les longues périodes où Israël mûrissait dans sa foi. Mais cette image n'était pas la

seule, et elle fut progressivement transformée, en particulier après l'exil, lorsque Dieu cessa

d'être identifié à la victoire et à la puissance militaire. D'autres images et d'autres conceptions

de l'activité de Dieu prirent le dessus pour exprimer la foi du Peuple de Dieu.

b) La paix

Si l'on veut étudier l'image de la paix dans l'Ancien Testament, plusieurs points doivent être

pris en considération. Tout d'abord, toutes les notions de la paix doivent être comprises à la

lumière des relations d'Israël avec Dieu. La paix est toujours regardée comme un don de Dieu.

Elle concerne aussi bien la vie personnelle et familiale que la vie politique et internationale,

et, à un degré éminent, les rapports entre l'homme et Dieu. « Elle est aussi la santé,

l'épanouissement de la vie : ce que nous mettons habituellement sous le mot "bonheur" : avec

cette précision capitale que les croyant y voyaient avant tout un don de Dieu »42.

Enfin, alors que les images de guerre et du Dieu guerrier perdent de leur prépondérance, à

mesure que les textes présentent une conception plus profonde et plus complexe de Dieu, les

images de paix et l'exigence, de la part du peuple, d'être fidèle à la vraie paix selon l'Alliance

deviennent plus urgentes et prennent plus d'ampleur.

c) Le Principe de légitime défense

Dans l'Ancien Testament, a toujours été reconnu le principe de légitime défense (et donc, d'un

armement adéquat) du peuple juif pour sauvegarder son indépendance politique et sa liberté

religieuse. Tout en prenant fréquemment parti contre des mentalités et des attitudes

belliqueuses, la parole prophétique ne l'a jamais contesté pour une réalité historique

profondément marquée par la violence. Elle demandait, toutefois, avec insistance au peuple

juif de compter beaucoup moins sur ses propres forces que sur la protection divine comme

récompense de sa fidélité à la Parole de Dieu (Ps 117).

Dans sa signification impérative immédiate, le "Tu ne tueras point" (Ex 20, 13), qu'il faut

traduire par : "Tu ne commettras pas de meurtre", tel qu'il a été compris dans l'Ancien

Testament, ne mettait pas en cause le principe de légitime défense. Il visait seulement

l'interdiction de l'assassinat ou de son application collective que constitue la guerre

d'agression. Mais cette signification impérative n'épuise pas la portée du commandement. Il

est aussi appel au renoncement à la violence dans toute la mesure du possible, à l'effort patient

42 Idem, p. 90

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pour établir des relations pacifiques entre les individus et les groupes sociaux. Donc non pas

un commandement abstrait, qui ne tiendrait pas compte de la réalité historique concrète, mais

un commandement non moins exigeant, confié à la responsabilité de chacun, de faire le

maximum pour créer un monde pacifié.

L'Ancien Testament est l'histoire d'un peuple dans la vie duquel Dieu intervient, qui le protège

et le conduit à la liberté, souvent comme un puissant chef de guerre. Un peuple qui aspire sans

cesse à la paix. Une telle paix est toujours regardée comme le résultat du don de Dieu, un don

accordé si l'on reste fidèle à l'Alliance. En outre, au cœur même de ses aspirations jamais

comblées, le Peuple de Dieu place un espoir tenace dans un temps eschatologique où, dans la

plénitude du salut, la paix et la justice s'embrasseront (Ps 85, 11) et où toute la création sera

protégée du mal. Le peuple attend un Messie dont la venue marquera le début de ce temps. Au

cours de cette attente, il entend les prophètes l'appeler à un amour conforme à la vision de

l'Alliance, à se repentir et à se tenir prêt à la venue du règne de Dieu.

II. 1. 2. Le Nouveau Testament

Comme chrétiens, nous croyons que Jésus est le Messie ou Christ si longtemps attendu

(Mt 12, 18-21), le prophète et plus qu'un prophète (Jn 4, 19-26), celui en qui la plénitude de

Dieu a voulu demeurer, par qui toutes choses dans le ciel et sur la terre ont été réconciliées

avec Dieu (Col 1, 19-20). Si les caractéristiques du Shalom (paix) de l'Ancien Testament (Don

de Dieu englobant la création tout entière, enracinée dans le salut et la fidélité à l'Alliance,

indissolublement liée à la justice) sont présentes dans la tradition néo-testamentaire, toute

réflexion sur la guerre et la paix dans le Nouveau Testament doit s'inscrire dans le cadre de la

révélation unique de Dieu qu'est Jésus-Christ, et du royaume de Dieu que Jésus a proclamé et

inauguré43

a) La guerre

Dans le Nouveau Testament on ne trouve pas la notion d'un Dieu guerrier qui conduit le

peuple vers une victoire sur ses ennemis. La seule guerre dont il est question se trouve dans

les images des derniers temps, tel que les décrit en particulier le livre de l'Apocalypse. La

guerre est l'image de la lutte eschatologique entre Dieu et Satan. C'est une guerre dont

l'agneau sortira victorieux (Ap. 17, 14).

43 René COSTE, Théologie de la paix, Ed. Cerf, Paris 1997, pp. 81-127

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Des images militaires apparaissent lorsqu'il est question d'être prêt à affronter les épreuves

futures (Lc 14, 31 ; 22, 35-38). L'épée est présente dans le Nouveau Testament comme une

image de division (Mt 12, 34 ; He 4, 12) ; on la trouve lors de l'arrestation de Jésus, qui

interdit son emploi (Lc 22, 51 ss). Les armes font l'objet d'une transformation dans les

Ephésiens : les chrétiens sont instamment priés de revêtir l'armure de Dieu tout entière, la

cuirasse de la justice, le casque de salut, l'épée de l'esprit et "pour chaussures aux pieds, l'élan

pour annoncer l'Evangile de la paix" (Eph. 6, 10-17 ; 1 Th 5, 8-9). Les soldats sont eux aussi

présents dans le Nouveau Testament. Ils sont à la crucifixion de Jésus, bien entendu, mais ils

reçoivent aussi le baptême de Jean, et un centurion se voit accorder la guérison de son

serviteur (Mt 8, 5-13).

Jésus appelle chacun à reconnaître en lui la présence du royaume de Dieu et à se

consacrer à ce règne. Bien des gens ont du mal à accepter ce changement radical d'allégeance,

et des familles se sont trouvées divisées, comme par une épée. Et c'est pourquoi les Evangiles

nous disent que Jésus est venu apporter non pas la paix, mais le glaive (Mt 10, 34). La paix

que Jésus n'est pas venu apporter c'était la fausse paix contre laquelle les prophètes mettaient

en garde. L'épée qu'il est venu apporter est celle de la division causée par la Parole de Dieu,

une épée à deux tranchants qui "pénètre jusqu'au point de division de l'âme et de l'esprit, des

articulations et de la moelle, elle peut juger les sentiments et les pensées du cœur" (He 4, 12).

Tous sont invités à entrer dans le royaume de Dieu. La foi en Jésus et la confiance en la

miséricorde de Dieu en sont les critères. Vivre selon les exigences du royaume, et celles d'une

profession quelconque, tel est l'élément décisif.

b) La Paix

La profondeur et la richesse du concept néo-testamentaire sont prodigieuses. « La paix de

Dieu, qui surpasse toute intelligence, nous assure Saint Paul, gardera vos cœurs et vos pensées

en Jésus-Christ » (Ph 4, 7). Quelques versets plus loin, il ajoute : « Le Dieu de la paix sera

avec vous » (4, 9). La paix de Dieu est, d'abord, théologie de la charité, c'est que la paix a

précisément sa source dans le cœur même du Dieu trinitaire. Le texte paulinien le plus dense

théologiquement est Eph. 2, 13-17 ; Jésus-Christ y est non seulement audacieusement

identifié à la paix, il y est même présenté comme « notre paix ». Grâce à lui, plus précisément,

« dans sa chair », « au moyen de la croix », elle devient la réconciliation fondamentale entre

Dieu et l'humanité. Aux yeux de l'Apôtre, s'est réalisée en Jésus l'antithèse par rapport au récit

34

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symbolique de la Genèse. La haine et le mensonge du serpent avaient poussé l'humanité au

péché. Celle-ci, en se révoltant contre Dieu, avait engendré dans son sein la vie sans fin de la

violence. La Croix est la nouvelle et définitive victoire de l'Amour. En Jésus ont commencé à

se réaliser l'humanité pacifiée et la société fraternelle.

c) Le commandement de la non-violence évangélique

Il y a incontestablement un commandement évangélique de non-violence (notamment, Mt

5, 38-42). Jésus lui-même a refusé de recourir à la force pour se défendre, au moment de son

arrestation. En refusant le messianisme politico-religieux de la majorité de ses compatriotes, il

avait, par le fait même, refusé le recours à la violence pour l'accomplissement de sa mission.

Il avait, dès le début de son ministère public, définitivement choisi de s'adresser à la

conscience humaine par le témoignage de la vérité et de l'Amour.

Comment interpréter ce commandement évangélique de la non-violence ? Nous ferons

trois(3) remarques :

Il est la conséquence logique du commandement de la "charité" (agapè), d'autant plus qu'il

embrasse nécessairement l'amour des ennemis. Le minimum de l'amour à l'égard du

prochain n'est-il pas de renoncer à toute violence par rapport à lui ?

Il est cependant, comme toute éthique évangélique, soumis à la régulation suprême du

commandement de la charité. N'y aura-t-il pas des situations, dans un monde de violence

et de péché, où l'on pourra estimer raisonnablement que l'amour effectif du prochain nous

demande de recourir à la violence, afin de le défendre efficacement contre un injuste

agresseur ?

Certains textes du Nouveau Testament nous empêchent de recourir comme s'imposant de

soi à une interprétation rigide de la non-violence évangélique.

Un bref examen de la guerre et de la paix dans la Bible suffit déjà à montrer qu'elle ne

fournit pas de réponses détaillées spécifiques auxquelles nous sommes affrontés aujourd'hui.

Elle ne parle pas spécifiquement de la guerre nucléaire ou des armes nucléaires, car ces

dernières dépassaient, cela va de soi, l'imagination des communautés où les Ecritures se sont

formées. Mais en revanche, la Bible nous fournit une orientation impérative, dès lors que nous

regardons les réalités concrètes aujourd'hui. La plénitude de la paix eschatologique n'est

encore qu'un espoir pour nous, et pourtant le don de la paix est déjà nôtre dans la

réconciliation effectuée en Jésus-Christ. En tant que disciples et enfants de Dieu, nous avons

35

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pour tâche de rendre visible, en un monde où la violence et l'hostilité sont trop souvent la

règle, le pardon, la justice, la miséricorde et l'amour de Dieu.

II. 1. 3. La tradition patristique

Fidèles à l'enseignement du Seigneur Jésus-Christ quant à être témoins et artisans de la

paix et de la justice, les Pères de l'Eglise qui, constituent la principale base de la tradition

après les Apôtres, feront longtemps de la maxime du pacifisme et de la non-violence le

leitmotiv de leur évangélisation. Cependant, nous nous rappellerons et retiendrons que la

notion de paix et son application même sur le terrain de la pastoral a connu plus ou moins des

temps de remue-ménage comme déjà mentionné plus haut. D'une attitude plus ou moins

pacifiste durant les quatre premiers siècles, l'Eglise formulera successivement la théorie de la

juste guerre, suivie de celle de la guerre « sainte » au moment des croisades, puis en dernier

ressort, apportera son soutien aux politiques dites destinées à construire la paix.

Certains Pères (Justin, Cyprien, Hippolyte…) ont estimé que l'Evangile de Jésus

interdit de tuer qui que ce soit. Pour d'autres, la prière et diverses méthodes spirituelles sont

des moyens pour répondre à la haine et à l'hostilité. Mais face aux notions de justice et de la

protection des faibles que réclame l'Eglise comme préceptes évangéliques et exigences

chrétiennes, la guerre revêtira, tel que nous le verrons, un autre visage autre que ce qu'il avait

avant le cinquième siècle avec certains Pères dont Justin, Origène, Cyprien de Carthage…

a) La guerre juste

De tous les Pères de l'Eglise, c'est Augustin, évêque d'Hippone (354-430) qui a réfléchi le

plus intensément sur le problème de la guerre et de la paix qu'il développe avec beaucoup

d'intelligence dans son immense œuvre la Cité de Dieu (De Civitate Dei XIX : CCL 48, 657-

699) en réponse aux païens qui, à l'époque accusaient le christianisme d'être responsable des

malheurs dont était victime Rome saccagé par Alaric en 410.

Dénonciateur vigoureux des guerres entreprises par cupidité ou par soif de domination, en qui

il ne voyait « autre chose qu'un brigandage en grand », lui, le Docteur par excellence de la

charité, estimera, toutefois, que la participation à la défense militaire pouvait s'imposer aux

chrétiens dans certaines circonstances : « Notre devoir, expliquait-il, c'est de vouloir la paix et

de ne faire la guerre que par nécessité, afin que Dieu nous délivre de cette nécessité et nous

conserve dans la paix »44.

44 René COSTE, Op. cit., p. 99

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C'est qu'aux yeux de l'évêque d'Hippone, il y avait des cas où la violence injuste ne pouvait

être arrêtée, en fait, que par la contre-violence. Il est évident qu'on peut renoncer à se défendre

soi-même à l'exemple de Jésus. Mais pouvons-nous laisser notre prochain sans défense

efficace, quand il attend notre aide fraternelle pour le protéger dans sa vie et dans sa liberté ?

D'après l'Evangile, c'est le principe de la charité qui est absolu et non pas celui de la non-

violence. Telle est, formulée dans ses termes les plus simples, la problématique fondamentale

de la guerre et de la paix sous-jacente à l'argumentation élaborée par Saint Augustin. On aura

remarqué que le pivot en est la charité, et non pas la justice, même si, du point de vue

chrétien, la seconde est inséparable de la première. C'est que nous avons à nous rappeler

constamment que la charité est l'exigence axiale de l'Evangile et que, du point de vue de la foi

en Jésus-Christ, nous avons à envisager tous nos problèmes de société aussi bien que de vie

personnelle à sa lumière. C'est sous cette base que verra le jour la tradition théologique

catholique concernant les problèmes de la violence et de la guerre, et notamment de la

doctrine dite de la guerre juste qu'on ferait mieux sans doute d'appeler en vue d'éviter les

ambiguïtés d'interprétation la doctrine théologique de la résistance collective contre

l'agression. « Il n'y a rien de belliqueux dans cette tradition : seulement la volonté d'assumer

d'une façon responsable la dynamique évangélique de la charité, dans un monde de violences

et de guerres » dira le Père René COSTE45.

Le Père Joseph JOBLIN, quant à lui, renchérira à un niveau raisonné en ces termes : « la

théorie de la juste guerre fait appel directement à la conscience pour qu'elle renonce d'elle-

même à la violence ; elle marque un progrès considérable de la conscience morale puisqu'elle

remet à celle-ci de porter un jugement bon ou mauvais sur une action… »46. De cette

affirmation, nous retiendrons que la théorie de la guerre juste fut à l'origine une pédagogie

pour libérer la conscience des conditionnements dans lesquels elle se trouve : passion, désir de

vengeance, mise à profit d'une situation de domination, etc ; et pour l'aider à choisir ce que

l'Eglise tient pour une attitude juste ; elle est une grille de lecture offerte au croyant pour

décider si le recours à la violence est tolérable et donc justifiable à tel moment. D'où la

déduction : c'est la manière de défendre qui détermine l'acte moral.

45 Idem, p. 10046 P. Joseph JOBLIN, Op. cit., p. 589

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Plus tard, Saint Augustin sera suivi dans sa réflexion par un autre génie de l'Eglise dont

nous nous contentons simplement de mentionner au passage le nom pour n’être pas de

l’époque patristique : il s'agit de Saint Thomas d'Aquin (1225-1274).

b) La guerre "sainte"

Bien que sonnant mal aux oreilles de notre temps, la guerre dite sainte est très

malheureusement une réalité que l'Eglise a connue au cours de son histoire. Cette notion de

guerre sainte évoque immédiatement l'époque dite de la "croisade". Rappelons que ce mot est

né lorsque, à l'appel du Pape Urbain II, en 1095, des chevaliers de la chrétienté latine se sont

"croisé", c'est-à-dire ont orné d'une croix leurs vêtements, pour aller libérer Jérusalem des

infidèles47. Entre 1095 et 1291, une dizaine d'expéditions militaires ont ainsi été menées par

les chrétiens d'Occident pour la conquête, puis la défense, de Jérusalem et de divers territoires

du Proche-Orient. N'oublions pas qu'au cours de ces croisades, caractérisées par une naïve

piété, ont pris part quelques figures religieuses marquantes de l'époque dont entre autres :

Pierre l'Ermite, Saint Louis et Saint Bernard de Clairvaux qui ont respectivement participé à

celles de 1099, 1270 et 1147 à 1149 48.

Ainsi donc, nous remarquerons que dans la mentalité chrétienne de cette époque, le

discours de croisade représente l'exacte antithèse du discours pacifiste : le recours aux armes

n'est plus interdit mais recommandé au chrétien. Verser le sang n'est plus un péché, mais un

acte de religion agréable à Dieu.

D'un bout à l'autre de notre cheminement, nous aurons compris que les notions de paix et

de guerre dans l'Eglise n'ont pas toujours été abordées et traitées sous le même angle. Cela se

comprend dans la mesure où l'Eglise est aussi fruit de son histoire, mais tout en restant sauve

son souci majeur de toujours à répondre efficacement et favorablement aux divers problèmes

de son temps et ce, au nom de sa foi et de sa mission rédemptrice de sauver tous les hommes

dans la personne de Jésus-Christ son fondateur.

Avec la tradition moderne de l'Eglise, la doctrine ecclésiale a vu se réajuster sous

plusieurs facettes les notions sur la guerre et la paix dans le monde. Bien entendu que les

théories élaborées au cours de la tradition médiévale au lieu d'être toutes tenues pour révolues,

47 Jean COMBY, Pour lire l'histoire de l'Eglise, Tome I, Cerf, Paris 1997, pp. 161-17648 Idem, p. 164

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doivent plutôt être considérées comme la « mémoire de l'Eglise » pouvant encore contribuer à

vérifier la valeur des chemins sur lesquels nous nous engageons.

II. 2. L'ENSEIGNEMENT PONTIFICAL AVANT VATICAN II

Les graves problèmes socio-économiques et politiques auxquels est confrontée toute

l'humanité dans la seconde moitié du XIXème siècle ne laisse guère l'Eglise indifférente,

surtout pas en ce qui concerne sa prise de position ferme pour la défense des idéaux de paix et

de justice sociale. Par les voix les plus autorisées de son organisation, à savoir celles des

différents souverains pontifes, elle prendra la parole à travers les lettres Encycliques,

Pastorales et Messages, pour exprimer sa pensée par rapport aux réalités sociopolitiques de

cette époque. De Léon XIII à Jean XXIII, l'Eglise aura lutté sur tous les fronts afin de faire

triompher la dignité de la vie humaine.

Ici, nous nous appesantirons plus spécialement sur le message du Pape Pie XII à

l'occasion de la fête de Noël du 24 décembre 1948, ainsi que la célèbre encyclique Pacem in

Terris de Jean XXIII pour élucider quelques-unes de ces pensées et positions clés.

II. 2. 1. Pie XII : Message de Noël, 24 décembre 1948

Avec un pontificat for marqué par l'une des guerres les plus meurtrières qu'a connu

notre humanité (deuxième guerre mondiale), le pape Pie XII aura été avant tout l'un des

souverains pontifes de l'Eglise Universelle à avoir beaucoup et longtemps milité tant dans

l'Eglise que sur la scène internationale à l'avènement d'un monde meilleur où paix et justice

seraient devenues pour tous les maîtres mot d'une existence solidaire et heureuse.

Dans son Radio-message qu'il adressera au monde dans la nuit du 24 décembre 1948

qu'on pourrait intituler : La volonté chrétienne de paix, le pape Pie XII rappellera tout d'abord

aux fils et filles de l'univers les dangers de l'heure : « …Nous adressons notre message de

Noël à vous, chers fils et filles de l'univers, - à la fin d'une période de dix ans qui par les

événements et les bouleversements, les épreuves et les sollicitudes, par les amertumes et les

douleurs, n'a pas son égale dans les siècles de l'histoire humaine »49.

S'appuyant donc sur la gravité du temps et des devoirs que doit accomplir l'Eglise, Pie XII

fera articuler son message autour de trois (3) points essentiels en guise d'interpellation à

l'ensemble non seulement de la chrétienté, mais aussi de tous les hommes de l'univers.

49 Pie XII, Message de Noël 24 décembre 1948 in Etudes Religieuses, n° 644, pp. 1-2

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a) Le précepte de la paix

Dans l'exposé de ce premier point, Pie XII fera savoir que la volonté chrétienne de paix

vient avant tout de Dieu. Un Dieu qui n'est autre que paix en lui-même, et qui, par conséquent

a crée le monde pour être un séjour agréable de paix. « La volonté chrétienne de la paix a, elle

aussi, ses armes. Mais les principales sont la prière et l'amour… »50 renchérira-t-il, comme

pour affirmer que la vraie paix qui se traduit par « la tranquillité de l'ordre » ne saurait être

une œuvre purement humaine. A lui manquer "les armes" telles que la prière et l'amour du

prochain, elle deviendrait un danger propice à la guerre.

Au passage, le pape attirera l'attention de tous à s'impliquer davantage dans l'éducation de la

jeunesse et la formation de l'opinion publique, en vue d'un renforcement futur de la solidarité

de tous les Etats, pour une meilleure défense de la paix.

b) Le réalisme chrétien de la paix

Poursuivant dans une véritable logique d'idée son discours, Pie XII indiquera dans ce

point suivant, que la volonté chrétienne de paix est « pratique et réaliste ». C'est-à-dire, loin

d'être une simple spéculation qui n'aurait aucune portée concrète et visible sur le vécu

quotidien des hommes. Mais pour y parvenir, faudra-t-il que cette même volonté chrétienne

soit munie de force venant de la solidarité des peuples contre l'esprit d'agression et non de

faiblesses ou résignation fatiguée, ajoutera le pape, qui l'identifiera à la volonté de paix du

Dieu Tout-puissant et Eternel51.

c) Le Christ, «   notre paix   »

Désignant le Christ comme source première et plénière de toute vraie paix, le pape Pie XII

invitera tous les fils et filles du monde entier à travailler pour la paix, selon le cœur du

Rédempteur. Aux jeunes catholiques particulièrement, il dira enfin ceci : « A vous, jeunes

gens, qui, dans la fleur de votre âge, portez la responsabilité d'un lendemain encore si

incertain, nous disons : Ne vous contentez pas d'édifier la Domus Pacis sur la voie Aurelia (en

lien à la maison de la paix en construction face à la coupole de Saint-Pierre destinée à donner

à la jeunesse du monde catholique la conscience d'appartenir à une grande famille qui

embrasse avec un égal amour tous ses fils). Celle-ci ne sera que le symbole de votre paix ; il

s'agit maintenant de mettre en œuvre tous vos trésors de dévouement et de ténacité pour faire

50 Idem, p. 1051 Ibidem, p. 12

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du monde lui-même une Domus Pacis sur laquelle soufflent, comme une brise sereine, l'esprit

et les promesses de Bethléem, et où l'humanité tourmentée pourra enfin trouver la paix »52.

II. 2. 2. l'Encyclique "PACEM IN TERRIS " de Jean XXIII

Huitième encyclique du pape Jean XXIII signée le Jeudi Saint du 11 avril 1963, place

Saint Pierre de Rome, l'œuvre Pacem in Terris (Paix sur terre) qu'on a qualifié de Rerum

Novarum de la paix figure parmi les encycliques du XX ème siècle à avoir connu un

retentissement sans précédent. Les raisons sont à lire dans :

La personne de l'auteur sans doute : Jean XXIII incarnait déjà une dimension de proximité

et d'ouverture nouvelles de l'Eglise (aggiornamento) par rapport aux hommes ; sur lui se

concentraient des attentes fortes de nouveaux chemins d'humanité ;

Le thème également : on sort tout juste de la crise de Cuba qui a failli faire basculer de

nouveau le monde dans l'horreur de la guerre ; on prend davantage conscience du

déséquilibre permanent que crée la "guerre froide" et de la nécessité de repères sûrs et

fondements transcendants pour une paix durable ;

Les destinataires : pour la première fois une encyclique ne concerne pas seulement les

"fils soumis" de l'Eglise, mais tous les Hommes de bonne volonté ; l'Eglise s'inscrit ainsi

comme partenaire autorisé dans la prise en charge de la cause de l'homme53 ;

L'idée qui sert de trame à cette encyclique demeure une clef pour la construction de la

paix aujourd'hui (§ 1); Mais faut-il que pour la construire, l'homme jouisse de ses droits et

en même temps accomplisse ses devoirs de citoyen, tout en s'ouvrant aux autres en vue de

bâtir une société humaine, invitée à vivre sur la vérité, la justice, l'amour et la liberté (§§

9-38).

On s'aperçoit que le problème de la guerre occupe relativement peu de place dans cette

encyclique qui traite de la paix. Il en est question dans 15 paragraphes seulement sur les

173 qu'elle comporte. Jean XXIII énonce un principe d'une radicale simplicité, mais qui

dit bien de quel côté se situe l'Eglise : « Les éventuels conflits entre les peuples ne

doivent pas être réglés par le recours aux armes, mais par la négociation… » (§ 126). Le

52 Ibidem, p. 1553 Cf. Mgr Marc STENGER, Pacem in Terris, une encyclique pour aujourd'hui, in Prêtres diocésains, Décembre 2002, p. 471 ; Mgr Bernard LALANDE, Commentaire de Pacem in Terris, Paris, Fleurus, 1963i

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pape parle au nom d'une conviction inscrite au demeurant dans le cœur de beaucoup

d'humains de la supériorité des solutions non violentes, telle la négociation ou la

médiation pour la résolution des conflits.

Le fait que le droit de la guerre, même dans un cas de légitime défense, ne soit pas

évoqué ne signifie pas que la doctrine traditionnelle de la guerre juste soit évacuée. Mais

l'option est clairement prise d'en venir à l'exclusion de la guerre comme hypothèse, et à

plus forte raison comme recours.

Depuis Léon XIII, l'Eglise a essayé de fonder son discours social et politique de paix

sur l'Ecriture Sainte et la Tradition, ouvrant ainsi la voie au Concile Vatican II avec

lequel nous verrons davantage les orientations concrètes dans le domaine de la recherche

de la Paix et de la Justice.

II. 3. L'ENSEIGNEMENT DE VATICAN II

Fermement résolu à travailler sans crainte conformément aux exigences de notre

époque, selon les propres termes de Jean XXIII, lors de l'ouverture officielle du Concile le 11

octobre 1962, l'Eglise entendait par cette interpellation, comme un appel retentissant à

s'investir davantage pour la cause de l'homme, ainsi que de son humanité, à l'image, il y a

cent quatre onze ans, du pape Léon XIII à travers son encyclique "Rerum Novarum" (1891).

Point de départ d'une époque nouvelle et d'une pastorale nouvelle for caractérisée par

ses nombreuses ouvertures, l'Eglise s'aventurera avec l'avènement de Vatican II sur un terrain

presque totalement "miné", où l'homme, loin de vivre un bonheur véritable, sombre de jour en

jour dans un abîme dont il est à lui seul, l'auteur et la victime.

Concernant l'enseignement doctrinal qu'elle donne sur la paix et la justice au mépris de

la guerre et de tout son corollaire de malheurs que sont : la misère, l'injustice, la violation des

droits humains, la détérioration de l'image sacrée de l'homme…, l'Eglise ne se fera pas le

plaisir d'être une complice de par son silence. Usant de son pouvoir de dépositaire du message

évangélique au milieu des hommes, elle se mettra à la tâche en dénonçant et appelant tout un

chacun (chrétiens et personnes de bonne volonté) à œuvrer pour une promotion meilleure de

tout l'homme par le biais de la paix et de la justice.

II.3.1. Constitution pastorale sur l'Eglise dans le monde de ce temps (Gaudium et Spes)

Joie et Espérance, tels sont les deux mots phares qui symbolisent essentiellement cette

Constitution pastorale qui se focalise sur l'Eglise dans le monde de ce temps.

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Joie et Espérance comme le signifie le titre, parce que l'homme et son humanité,

plongés dans une nébuleuse situation aux conséquences politico-sociale et économique

malades, ne pourront sortir de cet engrenage que grâce à ces deux vertus dont ils auront fait

preuve dans la seule personne du Christ Jésus notre Sauveur de par leur foi. Ainsi donc, ce

document conciliaire revêt une importance primordiale pour comprendre l'approche actuelle

de l'Eglise dans la construction d'une société plus humaine où surtout la paix est d'or.

Dans le chapitre 5 de cette Constitution (n° 77-90) consacré à la sauvegarde de la paix

et à la construction de la Communauté des nations, le Concile Vatican II développe au

préalable un enseignement qui met fortement l'accent sur les tâches positives pouvant poser

les premiers jalons d'une paix durable. Puisque « la paix n'est pas pure absence de guerre », il

faut en poser les fondements par la solidarité internationale, l'élimination des injustices, le

développement des peuples, le renforcement des institutions internationales (n° 78). Mais on

ne peut esquiver la question de la guerre, car "elle n'a pas disparu de l'horizon humain"

(Section 1, n° 79, § 4).

Le Concile a pris la mesure du problème : il sait que l'existence des « armes

scientifiques », comme il dit, « nous force à reconsidérer la guerre dans un esprit entièrement

nouveau » (n°80, § 2). Mais cet « esprit nouveau » ne signifie pas un abandon de la tradition

de la « guerre juste » : le droit de légitime défense est réaffirmé quand bien même restant

« une dure nécessité », du moins aussi longtemps « qu'il n'y aura pas d'autorité internationale

compétente et disposant de forces suffisantes » (n°79, § 4).

Si l'expression "guerre juste" n'apparaît pas plus ici que dans l'encyclique de Jean

XXIII, le contenu de la doctrine est en revanche très présent. C'est même au nom des critères

classiques de discrimination et de proportionnalité que les Pères du Concile vont mener leur

réflexion sur l'usage de ces armes scientifiques (euphémisme étrange, désignant sans nul

doute les armes nucléaires, chimiques, bactériologiques). Particulièrement significatif de cet

héritage, le paragraphe où le rappel du droit de défense est assorti de l'affirmation claire que

ce droit n'est pas sans limites, et que l'une de ces limites est précisément la discrimination

entre combattants et non-combattants : « le progrès de l'armement scientifique accroît

démesurément l'horreur et la perversion de la guerre. Les actes belliqueux, lorsqu'on emploie

de telles armes, peuvent en effet causer d'énormes destructions faites sans discrimination, qui

du coup vont très au-delà des limites d'une légitime défense » (n° 80)54.

En se référant aux derniers papes, le Concile prononcera, en une phrase maintes fois

citées depuis, une solennelle condamnation de toute stratégie anti-cités : « Tout acte de guerre

54 Christian MELLON, Chrétiens devant la guerre et la paix, Ed. Centurion, Paris 1984, pp. 138-139

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qui tend indistinctement à la destruction de villes entières ou de vastes régions avec leurs

habitants est un crime contre Dieu et contre l'homme lui-même, qui doit être condamné

fermement et sans hésitation » (n° 80). On a souvent fait remarquer qu'il s'agit là de la seule

condamnation prononcée par ce Concile.

Cette condamnation défendant le principe de l'immunité de la population civile n'est pas sans

conséquences, puisqu'elle signifie que l'Eglise donne d'avance son approbation à ceux qui

refuseraient d'exécuter un tel acte, même s'ils en recevaient l'ordre de leurs supérieurs

légitimes. Qualifier un acte de "crime", en effet, c'est affirmer du même coup que le chrétien a

non seulement le droit mais le devoir de désobéir si on lui ordonne de le commettre, d'où

l'intervention de la notion d'objection de conscience. Nous en distinguons deux sortes, à

savoir : l'objection de conscience limitée ou partielle (en tant que le refus limité à une guerre

déterminée considérée comme injuste) et l'objection de conscience absolue (en tant que refus

de toute activité militaire, par suite d'une volonté inconditionnelle de non-violence). A cet

effet, la doctrine théologique traditionnelle a toujours préconisé la seconde comme

interdiction de participer à une guerre qu'on estimerait manifestement injuste (n°79, § 3).

Le Concile prendra position pour une sorte de tolérance provisoire vis-à-vis de la

dissuasion par terreur mutuelle (nous sommes, ne n'oublions pas, au milieu des années 1960,

l'âge d'or de la dissuasion par "équilibre de la terreur"), assortissant cette tolérance d'une

condition stricte : que l'on mette à profit ce "délai" pour trouver les méthodes qui nous

permettront de régler nos différends d'une manière plus digne de l'homme. Ainsi, le Concile,

bien que favorable à cette tolérance provisoire de la dissuasion, mettra un accent particulier

sur la course aux armements, voyant en celle-ci « une voie moins sûre pour le ferme maintien

de la paix… et pouvant même aggraver les risques de guerre » (n° 81, § 2). « Au nom de la

morale naturelle et de l'idéal évangélique : la course aux armements…est contraire à l'homme

et contraire à Dieu. Cette course folle est donc à proscrire au niveau de l'éthique » dira plus

tard le pape Jean-Paul II55.

Enfin, le Concile invitera les chrétiens à davantage s'impliquer dans la construction de

la paix internationale non seulement par leur présence, mais aussi et surtout par leurs actions

effectives d'ordre social ou caritatif, et pourquoi pas jusqu'au niveau des institutions

internationales. De là, ils devront s'atteler à rechercher une collaboration active et positive,

soit avec leurs frères séparés qui, unis à eux, professent l'amour évangélique, soit avec tous les

hommes en quête d'une paix durable (n° 90, § 2).

55 Cf. Le Saint Siège et le désarmement, in D C, n° 1701 du 04 juillet 1976, pp. 604-610

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II. 3. 2. POPULORUM PROGRESSIO de Paul VI

Ce titre est à lui seul, en deux mots, une admirable synthèse de la question sociale.

Publiée en la fête pascale du 26 mars 1967 par sa Sainteté le pape Paul VI, cette encyclique

proposant un programme d'action exempt de toute ambiguïté d'après les termes du Professeur

François PERROUX : « Scelle, avec une force souveraine, l'alliance d'universalismes qui se

sont historiquement engendrés ; celui du Décalogue, celui de l'Evangile et celui de la

Déclaration des droits »56.

A nous en tenir simplement au titre de cette encyclique qui se focalise beaucoup plus

sur "le développement des peuples" à la lumière des Ecritures et de la déclaration des droits

universels de l'homme de 1948, on a comme l'impression qu'elle n'aborde guère la question de

la paix. Erreur, nous fera savoir son contenu.

En effet, si « la paix est le fruit de la justice » pour reprendre les propres termes du

prophète Isaïe (Is 32, 17), cela suppose d'autant que cette justice soit pratiquée à l'égard de

tout un chacun, tout comme à l'égard de toutes les nations qu'englobe notre univers humain.

Chose qui n'est point évidente quant à son application effective sur le terrain. Face donc à

cette inégalité morbide constatée par ci et par là, tant entre les citoyens d'un même état,

qu'entre les différentes nations, les maux sociaux, les guerres et les violences émergent ne

peuvent que trouver une raison de "bon aloi". C'est dans le but de tuer les racines de ces

différents maux qui se souscrivent dans les actes d'injustice socio-économique, politique et de

violation des droits de l'homme que s'inscrit l'essentiel de cette encyclique du pape Paul VI.

Car comme le soulignera Jean-Paul II devant l'Assemblée de l'ONU, le 02 octobre 1979 :

« L'esprit de guerre, dans sa signification première et fondamentale, surgit et mûrit là où les

droits inaliénables de l'homme sont violés ». De quoi déduire que la promotion des droits de

l'homme est évidemment au cœur du processus de construction d'une humanité pacifiée et

d'une société fraternelle.

Pour parvenir à couvrir totalement ce respect de droit de l'homme pour tous, Paul VI

demande-t-il aux pays riches de coopérer avec ceux dits pauvres en vue d'un renforcement de

rapport de justice et de solidarité avec eux. Et pour ce, l'encyclique formule les quatre

commandements suivants : nourrir les hommes, soigner les hommes, instruire les hommes,

libérer les esclaves (n° 76-80), autrement dit : promouvoir "tout l'homme et tous les hommes"

(n° 42).

Sans se limiter à ces quelques recommandations, le pape Paul VI préconisera aussi la

constitution d'un fond mondial alimenté par une partie des dépenses militaires, pour venir en

56 François PERROUX, le pain et la parole, collection Foi Vivante, Ed. Cerf, Paris 1969, p. 281

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aide aux déshérités sur lesquels l'encyclique porte principalement son attention (n° 51). Les

fortes remarques suivantes de François PERROUX sont à retenir dans ce sens : "Seules les

dépenses d'armement sont à l'échelle des dépenses pour l'éradication de la pauvreté absolue,

pour l'élimination de la misère d'un milliard et demi d'êtres humains. Le désarmement

contrôlé et généralisé est l'objectif premier et ultime. Le choix est entre la préparation de la

destruction de l'espèce et la préparation du sauvetage des hommes et de l'humanité"57.

Enfin, comme pour résumer l'encyclique, Paul VI dira-t-il en somme que "le

développement est le nouveau nom de la paix" (n° 87) ou pour mieux dire : "le chemin de la

paix passe par le développement" (n° 83). Car comme l'ont pensé les Pères du Concile, la

source la plus menaçante de l'avenir n'est pas la rivalité entre les super-puissances, mais bien

plus l'écart entre le niveau de vie des peuples riches et celui des peuples pauvres : il peut

déclencher, en effet, une "guerre de classes" au niveau international qui, comme à l'époque

atomique, serait de toute façon, et quel que soit le vainqueur, désastreuse pour l'humanité. De

même qu'à l'intérieur des nations développées, semblait conclure le Concile, on a réussi dans

une certaine mesure à surmonter les oppositions de classes en égalisant les niveaux de vie, de

même la paix internationale dépendra d'une répartition plus équitable du revenu mondial.

II. 3. 3. Eléments d'une réponse pastorale

Dans un domaine particulièrement préoccupant comme la recherche de la paix

authentique, l'Eglise recommande aux fidèles d'adhérer à certains programmes pratiques pour

répondre à l'interpellation faite à leur foi.

1) Programmes d'éducation et formation des consciences

Puisque la guerre, particulièrement la menace d'une guerre nucléaire, est l'un des

problèmes centraux de notre époque, la manière dont nous cherchons à le résoudre pourrait

déterminer la manière et même la possibilité de vivre sur terre. Dieu a fait des hommes les

intendants de la terre ; nous ne pouvons échapper à cette responsabilité (GS, n° 88). C'est sur

les données de cette consistante base non réfutable que s'appuie l'Eglise pour demander

instamment à chaque diocèse et paroisse de mettre au point des programmes équilibrés et des

objectifs pour aider les hommes de tout âge et de tout niveau à mieux comprendre les

problèmes de la guerre et de la paix58. Le développement et la mise en œuvre de tels

programmes doivent bénéficier d'une priorité absolue dès maintenant et au cours des années à

57 Idem, p. 13058 Cf. Lettre pastorale des évêques américains, Le défi de la paix in DC, n° 1856 du 24 juillet 1983, p. 756

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venir (GS, n° 89). Ces programmes se chargeront d'enseigner toutes les implications de notre

foi chrétienne. Cela devra se faire sans doute avec l'appui des lettres pastorales,

l'enseignement catéchétique, les homélies, les conférences, et les séminaires animés par les

agents pastoraux.

Dans le développement des programmes d'éducation sur la guerre et la paix, les chrétiens

ne devront pas négliger la dimension morale profonde qui en découle, de laquelle ils tiendront

compte59. Car ce sont des questions de vie et de mort. Ayant aussi une dimension politique,

parce que s'insérant dans le débat politique, l'Eglise à travers ces programmes aura pour

devoir d'apporter à ses membres l'aide dont ils ont besoin pour former leur conscience. Elle

devra leur apprendre avec le politique dans un esprit de discutions, de témoignage et d'agir,

comment former des jugements moraux et responsables.

2) La vraie paix exige «   le respect de la vie   »

Dans un monde où la suppression de la vie sous quelle que forme que soit, est devenue

monnaie courante, comment présager pour celui-ci une quelconque paix ? Aucune société ne

peut vivre en paix avec elle-même ou avec le monde sans avoir pleinement conscience de la

valeur et de la dignité de chaque personne humaine et du caractère sacré de toute vie

humaine60. Accepter la violence, c'est admettre la guerre elle-même. La violence a de

nombreux visages, dira l'Eglise : l'oppression du pauvre, la privation des droits humains

fondamentaux, l'exploitation économique, l'exploitation sexuelle, le mépris ou l'abus des

personnes âgées ou de celles qui ont besoin d'aide et de nombreux autres actes inhumains.

L'avortement, en particulier, viole le sens du caractère sacré de la vie humaine61. Dans une

société où les innocents qui ne sont pas encore nés sont honteusement tués, comment peut-on

attendre des hommes qu'ils éprouvent des sentiments justes de répulsion devant l'acte ou la

menace de tuer des non-combattants à la guerre ? Raison pour laquelle l'Eglise tout en

rappelant le précepte : « Tu ne tueras pas » (Mt 5, 21), stipule : « le respect et la croissance de

la vie humaine demandent la paix. La paix n'est pas seulement absence de guerre et elle ne se

borne pas à l'équilibre des forces adverses. La paix ne peut s'obtenir sur terre sans la

sauvegarde des biens des personnes, la libre communication entre les êtres humains, le respect

de la dignité des personnes et des peuples, la pratique assidue de la fraternité. Elle est

tranquillité de l'ordre. Elle est œuvre de la justice et effet de la charité »62.59 Cf. Déclaration des épiscopats allemands et français, faire la paix in l’Eglise devant la menace nucléaire de Gérard DEFOIS, Centurion, Paris 1983, p. 10960 Jean-Paul II, Redemptor hominis, n° 1761 Catéchisme de l'Eglise Catholique, nn° 2270-2275, pp. 565-56762 Idem, n° 2304, p. 573

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Le pape Paul VI dans la même logique d'idée, dira lors de son message pour la Journée de

la paix du 1er janvier 1976 : « Si vous voulez la paix, défendez la vie »63. L'Eglise plaidant

avec tous ceux qui veulent œuvrer pour mettre fin au fléau de la guerre, invite tout un chacun

à commencer par défendre la vie au moment où elle a le moins de défense, la vie de l'enfant

qui n'est pas encore né.

3) La Prière

« C'est par la conversion des cœurs et des esprits qu'il nous sera possible d'entrer dans une

plus grande communion avec Notre Seigneur. Cette communion, nous la nourrissons par la

prière personnelle et communautaire. C'est en effet dans la prière que nous rencontrons Jésus,

lui qui est notre paix et de qui nous apprenons le chemin qui mène à la paix  » disaient les

évêques américains dans leur lettre pastorale intitulée "Le défi de la Paix"64.

Abordant dans le même sens, le pape Jean-Paul II s'exprimera lors de la Journée de

prière pour la paix organisée à Assise (Italie) le 24 janvier 2002 en ces remarquables termes :

« Bâtir la paix dans l'ordre, dans la justice et dans la liberté requiert donc l'engagement

prioritaire de la prière, qui est ouverture, écoute, dialogue et en dernier ressort union avec

Dieu, source originelle de la paix véritable. Prier ne signifie pas s'évader de l'histoire ni des

problèmes qui s'y présentent. Au contraire, cela consiste à choisir d'affronter la réalité non pas

seul, mais avec la force qui vient d'en haut, la force de la vérité et de l'amour, dont la source

ultime est en Dieu »65.

Ces quelques assertions du Magistère suffisent pour confirmer combien la prière sous ces

multiples formes (Eucharistie, Adoration, Rosaire, Repentir, Louange, Méditation de la Parole

de Dieu…) tient une place indispensable et irremplaçable dans toute quête de la paix.

4) Le dialogue pour la paix, un défi pour notre temps

Tel fut en effet le thème central du massage du pape Jean-Paul II adressé à l'ensemble des

chrétiens du monde entier et des hommes de bonne volonté lors de la célébration de la

Journée mondiale de la paix du 1er janvier 198366.

Riche de contenu, le dialogue comme thème principal de ce message papal, reste l'une des

pièces maîtresse pour voir réellement aboutir à des fins meilleures la consolidation d'une vraie

paix. Si l'éducation des consciences, le respect de la vie et la prière constituent le socle pour la 63 Paul VI, Message pour la Journée de la paix, 1976, in D C 1976, n° 1690, p. 5264 Cf. Documentation Catholique, n° 1856 Op. Cit., p. 75665 Cf. Prière pour la paix à Assise in D C, n° 2264 du 17 février 2002, p. 16966 Commission Pontificale justice et Paix, Chemins de la paix, messages pontificaux pour les journées mondiales de la paix (1968-1986), Cité du Vatican, p. 191

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construction d'une paix véritable, le dialogue n'en est pas moins. La raison en est que sans le

dialogue, le dialogue authentique bien sûr, il ne peut y avoir de paix entre les hommes. C'est

dans un dialogue franc et sincère que naissent les prémices de la paix. Comme le soulignera

Jean-Paul II, ce dialogue qui nécessite l'effort de tous et un défi à relever par tous, est

nécessaire, pas seulement opportun ; il est difficile certes, mais pas impossible, malgré les

obstacles que le réalisme nous oblige à considérer67. Et c’est partant de cet appel à favoriser le

dialogue que l’Eglise invite les siens à cultiver au préalable les vertus que sont : l'ouverture,

l'accueil et l'écoute des autres (GS, n° 74).

Le dialogue demeure ainsi aux yeux de l’Eglise comme cet autre passage obligatoire par

lequel doivent passer ses fils et les personnes de bonne volonté en vue d'assurer à tous une

construction harmonieuse de la paix. Le pardon et la réconciliation ne sont pas moins à

négliger dans le même sens, car d’après Jean-Paul II, ils constituent le seul chemin à parcourir

pour dépasser les barrières de l’incommunicabilité68.

Bref, les réponses pastorales telles que proposées ici par le Magistère ne sont pas

exhaustives. La liste pourrait s'avérer plus longue s'il fallait les énumérées toutes. Nous nous

limitons à ces quelques-unes unes que l'Eglise considère dans sa mission d'artisan de paix

comme l'ossature de toute vraie paix.

II. 4. L'EGLISE D'AFRIQUE ET LE DRAME DES CONFLITS ARMES

Rien de ce qui est drame socio-économique, politique ou culturel de ces moments

présents ; bref, tout ce qui touche, frappe la vie et la dignité de l'homme Africain de plein

fouet, ne laisse aujourd'hui indifférente l'Eglise qui est en Afrique. « Nouvelle patrie du Christ

et responsable de la mission sur le continent et dans le monde »69 pour reprendre les termes du

pape Jean-Paul II, elle se bat plus que jamais en vue de redonner à l'être humain en général et

à l'Africain en particulier, toute sa dignité d'homme, ternie par les fléaux que sont : les guerres

et les injustices sociales de tout genre70.

Face à cette mission noble et lourde d'ampleur dans une Afrique où le message

évangélique marque encore de sa torpeur dans le cœur et l'agir des fidèles chrétiens,

67 Idem, p. 19168 Cf. Message pour la Journée Mondiale de la paix (1er janvier 2001) du pape Jean-Paul II in DC, n° 2239 du 7/01/2001, pp. 1-6.69 Cf. Ecclesia in Africa, n° 670 Cf. Lettre pastorale du SCEAM, Op. cit., nn° 45 ; 61-62

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l'implication concrète et effective des uns et des autres pour la défense des idéaux de paix et

de justice demeure s'il faut le dire denrée rare.

Bien que difficile à réaliser, elle n'est cependant pas impossible. Surtout pas quand on est

motivé par l'esprit du Christ lui-même, premier défenseur de la paix et de la justice.

La complexité d'une telle mission qui incombe à l'ensemble de l'Eglise africaine et à ses

membres (pasteurs et laïcs), tant sur le plan moral qu'évangélique, nous invite d'ores et déjà à

nous poser certaines questions d'envergure considérable à ne pas prendre à la légère, à savoir :

Le baptisé Africain, a-t-il conscience du rôle primordial de pacifiste qu'il a à jouer dans une

Afrique encline à institutionnaliser les conflits armés ? Comment faire ou quelle action

concrète posée pour être signe de paix et de justice dans le milieu qui est le sien ?

Répondre à ces questions, suppose avant tout que l'énorme travail dévolu aux pasteurs,

à savoir : responsabiliser, ait porté fruit dans le sens positif du terme, puis ait effectivement

pris corps dans la conscience et l'agir "des brebis" que sont leurs fidèles chrétiens. Pour

l'heure, retenons que la paix plus que jamais, reste un devoir qu'il nous faut tous accomplir, du

moment où elle est encore possible, dixit Jean-Paul II à l'occasion de la Journée Mondiale de

la Paix en ce début d'année 200471.

L'Eglise et le baptisé Africain, tous invités à prendre activement part à la construction de la

Cathédrale de la paix, doivent faire sien ce vœu formulé par Jean-Paul II afin de procurer à

l'Afrique tout entière une joie de vivre sans guerre, où justice et paix pourront enfin

s'embrasser (Ps 85, 11-12).

II. 4. 1. Le devoir pastoral de formation et d'orientation des laïcs pour la promotion de

la paix et de la justice

« Evêques des communautés catholiques de toute l'Afrique et de Madagascar, nous

trahirions notre mission et nous manquerions gravement à l'amour et au service que nous

devons aux hommes de cette terre si nous gardions le silence devant une telle situation. Pour

nous, ce qui est en cause dans les faits évoqués, c'est l'homme…, l'homme Africain, quels que

soient la couleur de sa peau, son ethnie, sa condition sociale, son univers culturel et religieux ;

ce sont ses aspirations et ses espoirs, ses luttes et ses souffrances, ses succès et ses échecs »72.

Cet extrait de la déclaration portant sur la paix et la justice des évêques Africains,

réunis pour leur 5ème Assemblée générale du SCEAM à Nairobi (Kenya) en juillet 1978, vient

confirmer la reconnaissance par les évêques élargie aux prêtres, du rôle qu’il leur revient de

71 Cf. Introduction du message de paix du pape Jean-Paul II, 1er janvier 200472 Cf. Les évêques d'Afrique parlent (1969-1992), Ed. Centurion, Paris 1992, p. 266

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jouer pleinement en tant que guides et éducateurs des communautés chrétiennes confiées par

le Christ lui-même.

En effet, comme le rappelle le Saint Père Jean-Paul II dans son Exhortation

Apostolique Ecclésia in Africa : « Les évêques eux-mêmes prendront grand soin de paître

l'Eglise qui s'est acquise par le sang de son propre Fils en accomplissant la charge que l'Esprit

saint leur a conférée (Ac. 20, 28). Suivant la recommandation conciliaire, ils s'appliquent à

leur charge apostolique comme des témoins du Christ devant les hommes. En collaboration

confiante avec le presbyterium et les autres agents pastoraux, ils exercent personnellement

l'irremplaçable service de l'unité dans la charité, en remplissant avec sollicitude leurs

fonctions d'enseignement, de sanctification et gouvernement »73.

Ainsi, les évêques et les prêtres disposent dans l'Eglise d'une charge pastorale qui leur est

propre envers tous les fidèles. Voyons à quoi consiste cette pastorale en ce qui concerne la

promotion de la paix et de la justice.

a) le devoir de formation

La première des choses à faire dans ce cadre de la part des pasteurs, est d'abord celle de se

savoir suffisamment préoccuper à enseigner et à former les fidèles aux exigences de

l'Evangile en matière de paix et de justice. Pour cela, devront-ils selon Jean-Paul II :

« Approfondir leur culture théologique et fortifier leur vie spirituelle, en prenant part, autant

que possible, aux sessions d'aggiornamento et de formation organisées par les conférences

épiscopales ou le Siège Apostolique. Ils se rappelleront en particulier que, selon la marque de

Saint Grégoire le grand, le pasteur est la lumière de ses fidèles, avant tout par une conduite

morale exemplaire et empreinte de sainteté »74.

Mais là n'est pas tout. Il leur reviendra aussi d'avoir une bonne formation en matière sociale et

politique dans le contexte actuel. Cela leur permettra non seulement de se familiariser avec le

milieu et toutes les réalités sociopolitiques, mais également de bien fixer les limites de leurs

engagements et interventions en la matière. Ainsi, pourront-ils mieux se sentir à l'aise dans

une pastorale d'accompagnement auprès de tous les laïcs qui, par devoir sont engagés tant

socialement que politiquement.

Dans la formation qu'ils auront à recevoir en plus de celle dite permanente, leur permettant

de prendre conscience de leurs tâches dans l'Eglise et dans le monde, les laïcs seront soumis à

une formation rigoureuse en ce qui concerne la connaissance spirituelle, biblique et 73 Ecclesia in Africa, n° 9874 Idem, n° 98 ; Mgr Robert SARAH, La formation permanente des fidèles laïcs, Ed. IMC, Conakry 1994, pp. 34-35

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doctrinale, surtout celle de la doctrine sociale de l'Eglise par le biais de la catéchèse et de la

prédication (homélies, récollections, retraites, sessions…)75.

Comme le sollicitera aussi le SCEAM : « Il faut encourager et promouvoir la création des

"commissions Justice et Paix", chargées de susciter dans tout le peuple de Dieu la pleine

connaissance du rôle que les temps actuels réclament de lui de façon à promouvoir le progrès

des peuples plus pauvres, à favoriser la justice sociale entre les nations, à offrir à celles qui

sont moins favorisées une aide telle qu'elles puissent pourvoir elles-mêmes à leur progrès »76.

Aussi au cœur de cette formation des laïcs, ne devra surtout pas se soustraire

l'enseignement des valeurs morales telles qu'enseignées par l'Eglise. Car comme le précise

Jean-Paul II dans son Encyclique Véritatis Splendor (Splendeur de la Vérité) : « Ces théories

éthiques ne se limitent pas à dénoncer ou à réfuter, mais, positivement, elles visent à soutenir

avec beaucoup d'amour tous les fidèles pour la formation d'une conscience morale qui porte

des jugements et conduit à des décisions selon la vérité »77.

b) Le devoir d'orientation

Si dans la fonction des pasteurs, le devoir de formation des laïcs demeure une priorité,

celui de leur orientation n'en est pas moins, car tous deux vont de pair. Ainsi donc, il

appartient toujours aux pasteurs d'orienter leurs fidèles en ce concerne la recherche

convenable et pacifique des voies et moyens pour aboutir à la construction des idéaux de paix

et de justice. Tâche qui suppose que les laïcs remédient en premier à toutes les situations

d'injustice, d'oppression, de discrimination et de violation des droits de la personne humaine78.

Ils s'attèleront de même à respecter les lois établies pour le bien de tous et à se soumettre à

l'autorité comme l'indique l'Apôtre Paul dans sa lettre aux Romains : « Que tout homme soit

soumis aux autorités qui exercent le pouvoir, car il n'y a d'autorité que par Dieu et celles qui

existent sont établies par lui » (Rm 13, 1). Cependant, en hommes avisés, les pasteurs se

chargeront de faire comprendre aux laïcs qu’étant citoyens, leur soumission aux autorités

civiles ne prendra pas un aspect négatif allant à contre-sens des prescriptions et lois dites

justes, ou encore des valeurs morales telles que mentionnées plus haut. Au risque de quoi se

verra dangereusement compromise l'instauration d'une paix véritable, qui n'est pas seulement

absence de guerre, mais tranquillité de l'ordre.

75 Cf. Conseil Pontifical Justice et Paix, Nouveau regard sur la doctrine sociale de l’Eglise, Ed. Vatican, pp. 128-12976 Les évêques d'Afrique parlent ,Op. cit., p. 29377 Jean-Paul II, Veritatis Splendor, n° 8578 Cf. Document de travail du Synode spécial des évêques pour l’Afrique, L’Eglise en Afrique, Ed. Centurion/Cerf, Paris 1993, p. 104

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Pour ce faire, l'éducation et la formation des consciences devront être de mise dans un

esprit de justice79. C'est partant de cette base que la création des Commissions Justice et Paix,

initiée par Paul VI en 1967 s'inscrit comme l'une des priorités dans cette quête de la Justice et

de la Paix. Toutes les Eglises locales sont appelées à aller dans ce sens, car cette Commission,

si elle est mise en place, sert d'organe efficace de conscientisation du chrétien quant à son rôle

et à ses devoirs dans les domaines de la justice, du développement des peuples, de la

promotion humaine, de la paix et des droits de l'homme.

II. 4. 2. La spécificité de l'identité chrétienne des laïcs

Connaître l'utilité du baptême qui fait de nous des chrétiens et des enfants de Dieu

dans l'unique Fils Jésus Christ, puis mesurer ce à quoi elle nous engage tant dans l'animation

de la vie ecclésiale que sociale, est un point essentiel de notre présent travail, devant rappeler

à tout baptisé, en particulier Africain, l'immensité et la profondeur du statut baptismal qu’il

revêt.

Abordant cette question dans la Constitution dogmatique sur l'Eglise "Lumen

Gentium", ainsi que dans l'Exhortation Apostolique post-synodale "Christifideles laici" du

pape Jean-Paul II, l'Eglise met sous le mot de laïcs : « l'ensemble des chrétiens qui ne sont pas

membres de l'ordre sacré et de l'état religieux sanctionné dans l'Eglise, c'est-à-dire les

chrétiens qui, étant incorporés au Christ par le baptême, intégrés au peuple de Dieu, faits

participants à leur manière de la fonction sacerdotale, prophétique et royale du Christ,

exercent pour leur part, dans l'Eglise et dans le monde, la mission qui est celle de tout le

peuple chrétien »80.

Cependant, retenons que la dignité baptismale commune chez les laïcs, revêt une

modalité qui les distingue, sans toutefois les séparer, du prêtre, du religieux, de la religieuse.

Celle-ci se caractérise par son caractère propre qui est le domaine séculier. Ainsi, pouvons-

nous affirmer que par les laïcs, l'Eglise tout entière, prend activement part aux joies et soucis

de ce monde comme témoin vivant et présent du Christ, venu sauver tout le genre humain.

II. 4. 3. Le devoir chrétien de participer à la construction de la paix et de la justice pour

tous

Par le caractère séculier de sa dignité baptismale, le chrétien a pleinement reçu mandat

de la part de son Seigneur Jésus d'intervenir au milieu des affaires de ce monde pour la

79 Idem, pp. 33 ; 10480 Lumen Gentium, n° 31 ; Jean-Paul II, Christifideles laici,n° 9

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sanctification de celui-ci. Tout comme dans les autres secteurs de la vie sociale, cet

engagement baptismal du chrétien doit aussi s'exprimer par la défense de la paix et de la

justice.

Dans ce domaine particulier cher à notre humanité, tout chrétien se doit d'être heureux

d'intervenir en faveur de ces idéaux qui tirent leur source première du Christ lui-même.

"Christ est notre paix" (Eph. 2, 14) nous dira Saint Paul. Tout en les cultivant au-dedans

d'eux-mêmes, pour mieux les faire régner entre les hommes, la paix et la justice devront

s'inscrire au cœur des chrétiens comme l'un des principaux bastions de leur devoir baptismal,

car sans elles, rien de constructif n'est possible.

Au passage, nous soulignerons que ce devoir pour le chrétien d'édifier la paix et la justice, ne

vont pas sans sacrifice. « La route de la paix passe par le chemin de la Croix. Elle est passage

et passion, mort et résurrection dans le Christ notre Paix » s'exclamera Jean XXIII dans son

encyclique Pacem in Terris81.

Le baptisé Africain, à l'instar donc des autres chrétiens du monde entier, devra pour

l'instauration de la paix et de la justice dans une Afrique meurtrie et envahie par les conflits

armés, faire preuve de chrétien convaincu, loyal, fier de sa foi et capable de s'engager dans sa

famille et dans les milieux de vie pour montrer avec des œuvres que le Christ n'est pas mort

en vain pour lui, et que la force de sa résurrection purifie et transforme sa vie. Autrement dit,

le chrétien Africain doit renoncer à la paix (spéculative) comme mot pour vivre celle du

comportement82.

Proclamer et témoigner de l'Evangile dans toutes ses dimensions, telle sera sa préconisation

pour l'évangélisation de la paix : « L’évangélisation devra contribuer à bâtir une société de

Justice et de Paix : elle ne peut se faire du bout des lèvres et rester quasiment à l’extérieur de

l’oreille. Mais il lui faut pénétrer les replis des cœurs et des esprits, façonner des

comportements de vraie piété et d’authentique justice… »83. Cette évangélisation de la paix

devra toutefois s'accompagner de l'évangélisation de la justice. De même, le baptisé Africain

devra dans sa lutte contre la violence se munir "d'armes" qui lui seront indispensables, à

savoir : la prière, cœur de la vie ecclésiale, l'action comme symbole de la communion

fraternelle par la défense des opprimés, des exploités, des persécutés, des plus pauvres et le

dialogue dans la vérité84.

81 Cf. Mgr Bernard LALANDE, Op. cit., p. 9482 Paul VI, Evangelii Nuntiandi, n° 7683 Mgr Robert SARAH, Une mission pour l’Eglise qui est en Afrique, Conakry 1994, p. 1784 Mgr Robert SARAH, Op. Cit., p. 21

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Loin de s'en passer, devra-t-il aussi s'investir dans les recherches contemporaines sur

la médiation et l'interposition85, et surtout participer aux efforts pour réhabiliter la politique.

Car comme le souligne Christian MELLON : « La politique, quand elle fonctionne bien, est

justement la gestion non violente de la conflictualité d'une société »86.

Eduqué et formé à vivre les valeurs morales selon l'Evangile, le baptisé Africain devra

beaucoup s'appesantir sur ce facteur dont Jésus est lui-même le moteur pour mieux participer

et contribuer à la construction de la paix. Car c'est de la qualité de son jugement moral que

dépendra son action et sa détermination pour ou contre la paix et la justice.

Devant les menaces de violence quelconque, la non-violence devra être son premier

mot d'ordre. « Elle est à la fois un esprit et une technique. Comme technique, elle peut

apparaître comme un moyen de force et de contrainte. Comme esprit, elle rejoint l'attitude du

Christ qui a vaincu la violence en acceptant sans résistance la mort de la Croix »87. Dans cette

démarche de non-violence, son appel et son implication pour l'éveil des consciences, le

respect de la vie, la participation au développement, l'ouverture, l'accueil des autres, l'amour

de la vérité et le dialogue entre les uns et les autres, pourront servir de clef de voûte au

dénouement des tensions.

En aucun cas, le baptisé Africain ne devra répondre à la violence par l'application de la

traditionnelle citation : « Si tu veux la paix, prépare la guerre ». Car, loin d'être la véritable

force pour enrayer une guerre, dira Paul VI : « Elle est explosion d'une énergie aveugle,

dégradant l'homme qui s'y abandonne, en l'abaissant du plan de la raison à celui de la

passion…Conduisant à la révolution, et la révolution à la perte de la liberté, elle humilie celui

qui y a recours »88. Quand bien même devra-t-il avoir recours à la violence (devoir de

défense) pour empêcher une injuste agression sur ordre du suprême commandement de la

charité et une fois usé tous les moyens de résolution pacifique, le baptisé Africain devra le

faire avec le plus grand regret. « La colère, même légitime, déforme le visage » dit un

proverbe polonais. Même légitime, la violence est redoutable.

Toujours dans la longue liste des efforts à fournir en faveur de la paix et de la justice,

le baptisé Africain s'attellera aussi à rechercher une collaboration solidaire des autres couches 85 Cf. Lettre pastorale SCEAM, Op. cit., n° 10486 Christian MELLON, La paix à travers les conflits in Unité des Chrétiens, n° 132, octobre 2003, p. 1687 Pax Christi, Apprendre à faire la paix, Cerf, Paris 1980, p. 1588 Cf. Chemins de la paix, messages pontificaux pour les journées mondiales de la paix (1968-1986),Op. cit., pp. 113-114

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sociales, confessions confondues visant le même le but, avec lesquelles il pourra par des

actions d'ordre associatif ou caritatif davantage renforcer cette lutte (GS, n° 92).

A ceux exerçant spécialement leur fonction dans les médias et l'armée. Leur rôle dans

la pacification de l'Afrique et du reste du monde, est d'autant important qu'ils se doivent

d'opter tous deux pour le règne de la vérité et de la sécurité selon les valeurs morales

requises89.

Pour les laïcs des médias, l'option fondamentale sera de faire en sorte que le vrai soit

distingué du faux dans les informations qu'ils auront à véhiculer. Ils refuseront d'obéir au nom

de leur foi chrétienne et des règles de l'art au pouvoir politique qui aurait l'ambition de

falsifier les infos à son avantage aux risques et périls d'un nombre d'innocents90.

A ceux de l'armée, chargés d'assurer la sécurité et la liberté des peuples. Le Concile Vatican II

leur demande de s'acquitter correctement de cette tâche pour concourir vraiment au maintien

de la paix (GS, n°79, § 5). Le prophète Jean Baptiste jadis, était allé dans le même sens de

cette recommandation. Il n'a pas enjoint aux militaires de quitter leur métier ; il leur a plutôt

dit : « Ne faites ni violence ni tort à personne, et contentez-vous de votre solde » (Lc 3, 14),

c'est-à-dire : ne vous permettez aucun pillage. Le Seigneur Jésus de même, doux et humble de

cœur, s'est émerveillé de la foi d'un centurion païen et, sans lui reprocher la profession des

armes, lui a consenti un joli miracle (Mt 8, 5-13). Ceci dit, le chrétien Africain au service de

l'armée, tiendra compte de la validité permanente de la loi morale même durant les conflits

armés. Ce qui l'empêchera de poser des actes désinvoltes et non fondés.

CONCLUSION

Comme nous aurons dû le constater tout au long de ce chapitre, la question sur la

guerre et la paix dans la doctrine sociale de l'Eglise n'est pas du tout chose facile à débattre,

encore moins quand il s'agit de l'implication concrète des chrétiens, qui en arrivent souvent à

une division. Cependant, nous retiendrons que le souci majeur de l'Eglise reste avant tout la

paix et la justice pour tous. Mais encore, faudra-t-il que chacun de nous, né de l'eau du

89 Cf. Xec MARQUES i COLL, Sortir de la crise africaine : l’urgence d’une conscience christologique in RUCAO, n° 18, 2003, pp. 93-10890 Cf. Prosper Mawuko AKUETEY, Vérité, communication en temps de crise socio-politique in RUCAO, n° 18, 2003, pp. 7-22

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baptême à l'image et à la ressemblance du "Prince de la Paix", oeuvrions par des actes

d'amour, de prière, d'ouverture, d'accueil et de solidarité pour parvenir à cette fin.

Bref, comme le diront les évêques d’Afrique  : « Le fléau de la guerre et de la violence dans le

monde, avec toutes ses tentacules, apparaît comme l’une des forces les plus opposées à la

mission de l’Eglise et à l’avènement du Règne du Christ. A cet égard, l’Eglise-famille de

Dieu s’avère être un moyen pastoral efficace pour relever le défi de la division et de la haine,

de la violence et de la guerre en Afrique et dans le monde »91.

91 Cf. Lettre pastorale SCEAM, Op. cit., n° 8

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CHAPITRE III

CONTRIBUTION PERSONNELLE D'ORDRE THEOLOGICO-MORAL

La Paix cessera d'être un rêve et la guerre une réalité, quand seulement tous les hommes de

la terre, unanimement se déploieront à construire l'une et à détruire définitivement l'autre au

moyen de l'unique Amour qui les lie les uns aux autres comme enfants d'un même Père : Dieu.

Beaucoup s'accordent à reconnaître, croyants ou non que toute guerre même

théoriquement justifiée, est d'abord la preuve d'un échec, une ineptie tant sur le plan de

l'intellect que de la morale. La paix et la justice jusqu'ici recherchées, figurent encore

malheureusement au panthéon des perles dites rares au grand dam de nos pays en proie à tout

genre de conflits. Chose pas étonnante quand on sait que le cœur de l'homme jusqu'alors

réputé être le "Sanctuaire de Dieu", s'est forgé en demeure privilégiée du Satan et de ses

œuvres. Quoi de solide et de sain peut faire ou construire l'homme s'il n'est assisté d'un plus

grand et plus fort que lui ? Certes rien de durable, de consistant et de bien, à condition de

mettre sa confiance en Dieu, seul capable de le conduire sur les sentiers de la vraie vie.

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L'histoire témoigne de plusieurs cas de figure de l'échec de l'homme à chaque fois qu'il s'est

détourné de Dieu pour se mettre à l'école de son cœur malade et compliqué.

La paix, la justice, la solidarité, l'amour fraternel, l'ouverture et l'accueil de l'autre dont

a ardemment besoin chacune de nos nations africaines pour vivre une harmonie sociale,

économique, politique, culturelle, n'ont en effet leur fondement d'existence premier qu'en

Dieu seul, manifesté en Jésus Christ notre Seigneur, Prince de la Paix. D'où notre audace

d'affirmer que : faire ou cultiver l'esprit de paix et de justice, reviens à fixer quotidiennement

son regard sur le Christ Jésus, Prince de la paix véritable. Ainsi, seul Dieu peut aujourd'hui

accorder au cœur meurtri et désarçonné de l'homme la vraie sérénité. Mais encore, faut-il que

celui-ci le reconnaisse en sa qualité de Dieu et accepte de faire chemin ou équipe avec Lui.

C'est sur cette réalité de fait difficile à accepter de tous que se penchera l'essentiel de ce

troisième chapitre consacré à notre contribution personnelle d'ordre théologico-moral.

III. 1. "CHRIST EST NOTRE PAIX" (Eph. 2, 14)

Choisir le Christ comme solution première à tout ce qui est contraire à la paix et à la

justice humaine peut sembler bien absurde aux yeux de notre humanité, aujourd'hui

hautement sécularisée et hostile à tout ce qui arbore le domaine du divin. Se référer également

au Christ pour prétendre résoudre les nombreux problèmes qui sont les nôtres en ces jours,

n’est pas moins source de questions telles : que peut-il bien apporter de constructif pour

l'homme et sa société d'aujourd'hui étant donné qu'il est mort depuis 2000 ans passés ? ou

encore : que connaît-il de nos réalités présentes ? de nos guerres ? etc.

Questions bien pertinentes dirions-nous. Mais trop vite fait de nous en limiter à ce processus

de réflexion cartésienne, n'oublions pas que le Christ Jésus, bien que mort et ressuscité, reste

toujours présent et vivant parmi nous à travers non seulement sa parole qui donne vie, révélée

dans les Saintes Ecritures, mais aussi à travers Dieu lui-même dont il est l'image, veillant jour

et nuit sur la Communauté entière des humains.

« Christ est notre Paix » transparaît alors ici comme un message de grande portée que

Dieu par la bouche de l'Apôtre Paul, veut lui-même faire véhiculer à l'ensemble des peuples

humains, victime de l'inhérence de la violence et de la guerre suite au péché d'Adam (Gn 3-4).

La paix telle que l'apporte le Christ Jésus est plus qu'une simple absence de guerre ou

de violence. Elle symbolise beaucoup plus la sérénité, la tranquillité tant dans le cœur, dans

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l'esprit, dans l'être que dans le vécu quotidien de l'homme et de ses activités. Avant de faire

nôtre cette citation paulinienne tirée de la Lettre aux Ephésiens pour y découvrir un message

de dénouement aux crises conflictuelles africaines, tâchons tout d'abord de l'analyser. Analyse

qui sera directement suivie d’un bref survol de la Lettre pastorale « Christ est notre paix » du

SCEAM qu’on ne saurait passer sous silence.

III. 1. 1. La Paix du Christ selon l'Epître aux Ephésiens

a) Brève présentation de l'Epître

La Lettre aux Ephésiens appartient au groupe des lettres de la captivité. La parenté très

proche du contenu, comme celle de la forme, avec la lettre aux Colossiens permettent de

supposer qu'elle a été écrite assez peu de temps après celle-ci, probablement pendant la

première captivité à Rome (61-63)92. Cette épître attribuée à saint Paul est l'une des plus

doctrinales. La première partie de l'épître (I, 3- III, 21) traite du dessein de Dieu, vu ici par

l'auteur comme le rassemblement et la rédemption dans le Christ Jésus de toutes les forces et

tous les êtres en conflit. Les passages clefs de cette partie sont l'affirmation de la suprématie

universelle et infinie du Christ (I, 20-23), ainsi que le chapitre 2 où Paul parle du salut par la

grâce (II, 5) et de la réconciliation des chrétiens, des païens et des juifs dans la maison de

Dieu (II, 19). La deuxième partie (IV-VI, 17) porte principalement sur la nature et le rôle de

l'Eglise, considérée par Paul comme le Corps du Christ (V, 30-32) et comme l'instrument de

Dieu pour accomplir l'unification suprême d'un monde marqué par la discorde et la

désunion93.

b) L'analyse Paulinienne de Eph. 2, 14

"Le Christ est notre Paix" tel que l'explique l'Apôtre Paul à cette époque, concerne la

réconciliation d'une part opérée entre Grecs et Juifs jusqu'alors ennemis, et d'autre part entre

ceux-ci et Dieu. Désormais, deux peuples jadis adversaires sont devenus un seul peuple

nouveau. Le Christ a détruit le mur qui séparait les deux mondes. Il supprime la haine.

Rappelons que la Loi juive était ce qui maintenait la distance entre juifs et païens. La Loi

représentait pour les juifs le signe de leur situation privilégiée de peuple de Dieu, tandis que

les Gentils, qui n'observaient pas la Loi, apparaissaient de ce fait comme réprouvés. D'ailleurs

la Loi elle-même contenait un certain nombre de préceptes interdisant le commerce avec les 92 M. ZERWICK, La lettre aux Ephésiens, Ed. Desclée, Paris 1967, p. 793 Cf. Cours sur les Actes et Paul du Père Jean-Marie TARDIF donné aux étudiants du second cycle du Grand Séminaire de Samaya (Bko-Mali), année 2000-2001, p. 163

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païens. C'est la Loi qui établissait donc une barrière infranchissable entre les deux, une haine.

Par haine il ne faut pas entendre nécessairement des sentiments de haine, mais une oppression

irréductible, un état de séparation. Jésus a supprimé la Loi. Etablissant une économie de

grâce, il rend la Loi non seulement non obligatoire, mais inutile. Les préceptes de la Loi

n'ajoutent absolument rien au salut reçu par la grâce de Dieu en vertu de la seule croix de

Jésus. Les païens et les juifs sont ainsi établis sur un pied d'égalité absolue.

Il n'y a plus désormais qu'un seul peuple. Il est clair que saint Paul déplace ici l'application

du concept de paix. Du contexte de la réconciliation avec Dieu, il passe à celui de mystère de

l'entrée des Gentils dans le peuple de Dieu et de la réconciliation des peuples. Le Christ opère

ainsi donc une double réconciliation des hommes avec Dieu et des hommes entre eux94. Le

résultat de l'œuvre du Christ est la situation nouvelle des hommes par rapport à Dieu, situation

qui est qualifiée de paix pour la simple raison que ceux qui étaient loin (les païens) et ceux qui

étaient proches (juifs) (cf. v. 17) ont reçu même paix de la part de Dieu : "Paix à ceux qui sont

loin, et paix à ceux qui sont près, dit Yahweh" (Is. 57, 19).

Il n'y a plus de proche ni de loin. Ils ont tous également accès à Dieu. Ils sont dans le même

état de paix avec Dieu. Le Christ transparaît alors par ce fait comme le prototype et le

premier-né d'une nouvelle race d'hommes. Par sa résurrection, il a été établi chef de file d'une

nouvelle lignée, un nouvel Adam. Ou plutôt, il porte en lui-même dans l'unité de son Corps

glorifié, tous ceux qui croiront en lui. Tous unis avec le Corps glorifié du Christ, ils ne

forment plus qu'un (Gal. 3, 28). Le thème de paix est ainsi parallèle à celui d'unité. Par son

sacrifice, le Christ supprime la Loi. Or la Loi maintenait une barrière entre les deux parts de

l'humanité. Grâce au Christ, il n'y a maintenant plus de séparation ; car nous assistons à la

restauration de l'unité première du genre humain. L'homme était sorti d'un Adam, il redevient

un dans le nouvel Homme. Il est réuni tout entier dans le seul Corps de Jésus Christ. Les

Gentils étaient à la fois séparés de Dieu par le péché, et séparés des juifs par la Loi.

Maintenant la mort du Christ détruit l'un et l'autre obstacle. Il n'y a plus de division. Il n'y a

plus de peuple qui soit "loin", ils sont tous proches et donc tous réunis. Le Christ est

l'unificateur du genre humain. Il est notre paix.

III. 1. 2. La Paix du Christ selon la Lettre pastorale « Christ est paix » du SCEAM

94 Joseph COMBLIN, Théologie de la paix I principes, Ed. Universitaires, Paris 1960, p. 227

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Notre choix de la citation paulinienne « Christ est notre paix » comme lumière et voie

d’inspiration pour notre contribution personnelle au thème de ce présent essai ne va pas sans

reconnaissance à l’endroit de ceux et celles qui, avant nous en ont fait usage dans le cadre

d’un travail similaire, relatif à la question de paix. A toutes ces personnes connues ou

inconnues, nous voulons rendre ici un vibrant hommage pour ce plus apporté à notre

humanité grâce à leur réflexion si petite soit telle pour la promotion d’un climat de paix et de

justice pour tous. Parmi celles-ci, nous voulons spécialement faire allusion au Symposium des

Conférences Episcopales d’Afrique et de Madagascar (SCEAM) qui, dans une lettre pastorale

récemment publiée en a fait son thème principal sous l’intitulé suivant : « Christ notre paix :

l’Eglise-famille de Dieu, lieu et sacrement de réconciliation, de pardon et de paix en

Afrique »95 . Mais en fait pourquoi cette lettre pastorale ?

a) Son importance

En effet, spécialement réfléchi, conçu et mûri dans le contexte de l’actualité africaine, le

contenu de cette lettre pastorale de nos pères évêques, ne peut en aucun cas nous laisser

indifférents quant à son évocation et l’inspiration enrichissante dont il pourrait faire l’objet en

matière de réflexion sur un sujet aussi passionnant que brûlant comme la paix. Riche de sens

et de maxime faits à la lumière de l’Evangile, cette lettre pastorale se doit d’être considérée et

utilisée aujourd’hui comme un « bréviaire » par toute l’Afrique. D’où son importance

capitale.

b) Son but

Rédigée à la suite de leur XII ème Assemblée plénière tenue à Rocca di Papa, près de

Rome, du 30 septembre au 09 octobre 200096, le Symposium des Conférences Episcopales

d’Afrique et de Madagascar (SCEAM) a voulu par cette lettre répondre aux objectifs

suivants : Revivre spirituellement l’événement de grâce du Synode spécial des évêques

d’Afrique de 199497 et par la même occasion, poursuivre la réflexion déjà entamée durant

ledit Synode du thème : « Christ notre paix : l’Eglise-famille de Dieu, lieu et sacrement de

pardon, de réconciliation et de paix en Afrique » sur lequel fut principalement axée cette XII

ème Assemblée plénière.

95 Cf. Message « Christ, notre paix en Afrique » du SCEAM in DC, n° 2238 du 17 décembre 2000, pp. 1087-109196 Idem, p. 108697 Cf. Ecclesia in Africa, n° 105-107

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c) Circonstances et situations dans lesquelles a été écrite cette Lettre

Les circonstances et les situations dans lesquelles fut écrite cette Lettre pastorale ne sont

du tout pas gaies. Bien que décrétée par le Saint Père Jean-Paul II année du pardon, de la

réconciliation et de la remise des dettes suite au grand Jubilé (2000), elle n’en demeure pas

moins aussi celle de la désolation, des conflits armés, de la violation des droits de l’homme,

des politiques lamentables, du sabotage économique… enregistrés sur l’ensemble du

continent africain. Bref, c’est un moment dira-t-on où l’Afrique s’enlise de plus bel dans

l’abîme en portant atteinte aux notions de paix, de justice et du respect de la vie pour ne citer

que ceux-là. Et n’oublions que cela ne va pas sans entrave à l’évangélisation de l’Eglise

continentale qui ne peut se faire que dans un climat de paix et de quiétude.

d) Les destinataires

Face à la situation inquiétante, l’appel pressant des évêques du SCEAM fut non seulement

lancé à l’adresse de l’Eglise-famille de Dieu en Afrique, mais également au monde, aux

leaders et à tous les hommes de bonne volonté afin d’aider le continent à sortir de ces

différents cercles vicieux. Rappelant à leurs destinataires les bienfaits de la promotion d’une

culture de paix dont Jésus seul est le vrai détenteur, les évêques d’Afrique et de Madagascar

tout en dénonçant les tares, les dérives du passé et du moment, exprimeront unanimement leur

profonde aspiration de voir un jour l’Afrique débarrassée de tous ces fléaux semant l’horreur

de la mort, de l’homme et donc celle de Dieu lui-même.

e) Les propositions

La dénonciation ne fut pas l’unique soucis des évêques du SCEAM dans leur Lettre

pastorale, les propositions étaient aussi au rendez-vous. Parmi celles émises pour une sortie de

crise, l’appel fut lancé à davantage construire, développer et consolider la conversion des

cœurs, la réconciliation, le pardon, l’amour du prochain, l’éducation à la vie fraternelle et à la

paix constituant tous des chemins sûrs pour aboutir à une Eglise-famille où tous se

reconnaîtront fils et filles d’un même Père : Dieu.

En faisant nôtre cette formule paulinienne de la paix inspirée par Dieu lui-même, on

ne saurait dire mieux encore aujourd'hui sinon que réaffirmer que le Christ reste toujours

notre paix, mais à condition de nous mettre à son école où tous sont frères et citoyens égaux

d'un monde régi par l'unique Seigneur Dieu. Faire du Christ la pièce maîtresse de notre

quotidien vital, constitue la première condition ouvrant la porte à une paix véritable. Si les

guerres, les violences, les injustices sont l'expression de nos égoïsmes identitaires personnels,

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ethniques ou régionaux, par le Christ mort et ressuscité pour tous, elles trouvent un

dénouement meilleur permettant un bon vivre ensemble. Car hors du Christ, pas de salut

possible. C'est dans ce sens que l'annonce en profondeur de l'Evangile doit être de mise

aujourd'hui dans toutes les nations et à l'adresse de tous les hommes sans distinction aucune,

afin de voir naître au cœur de notre humanité les véritables fruits de la paix que sont : la

justice, l'amour de l'autre, l'accueil, le pardon, la réconciliation, la solidarité etc. Pour mener à

bien cette rude entreprise d'évangélisation tous azimuts, chacune de nos Eglises locales doit

dès maintenant prendre à bras le corps le souci de la formation intégrale et effective non

seulement de ses agents pastoraux, mais aussi des laïcs eux-mêmes. La qualité et la teneur de

la formation reçue, leur permettra à coup sûr de semer cet Evangile du Christ dans le cœur

d'un plus grand nombre. Qu'à cela ne tienne, à cette évangélisation, devra être joint les actes.

Car la paix tout comme l'Amour, ne se dit pas. Elle se vit en s'appuyant sur celui qui en est

l'incarnation, la source, le fondement, la cellule nourricière : Dieu.

III. 1. 3. La création sans son Créateur s'évanouit (GS 36 § 3)

Le choix de ce sous-titre tiré de la Constitution Pastorale Gaudium et Spes sur l'Eglise

dans le monde de ce temps, pour faire une interprétation personnelle des conflits armés

africains n'est pas sans fondement. D'ailleurs, on ne saurait parcourir cette Constitution sans y

prendre quelques instants de méditation profonde sur cette phrase bien pensée et réfléchie par

nos pères conciliaires.

Evocatrice de la toute puissance divine, et provocatrice quant à sa dénonciation

indirecte de l'orgueil de l'homme, la création sans son créateur s'évanouit, nous fait déjà

penser à la relation entre Dieu et l'homme. Relation qui n'a pas toujours été au beau fixe à en

voir et constater l'attitude bien souvent ingrate et décevante du second envers le premier.

L'homme et les conflits qu'il engendre, sont en quelque sorte l'image caricaturée de cette

création qui s'évanouit, en ce sens que Dieu absent de la violence, ne concourt guère à la

construction de l'homme par un tel moyen.

A en croire ses ambitions, l'homme a toujours œuvré pour se doter d'un monde

meilleur où lui seul règnerait en grand maître grâce à la suprématie de son intelligence sur les

autres êtres de la nature. Chose qui n'est pas mauvaise en soi parce que voulue par Dieu lui-

même, qui dès le début de la création l'a établi comme son co-créateur (Gn 1, 28) en lui

donnant pouvoir sur le reste des êtres de la terre. Cependant, suite à son égoïsme acerbe vis-à-

vis de son Créateur, l'homme déviera du chemin de Dieu en écartant Celui-ci de son projet de

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vie et de société. Imaginons un bébé qui aussitôt venu au monde, demande l'indépendance vis-

à-vis de sa sève nourricière qu'est sa mère génitrice. N'est-ce pas là courir d'office à une mort

prématurée de la part de ce bébé ? Certes. C'est exactement le même cas ici pour l'homme qui,

croyant construire un monde meilleur et juste par l'usage des armes, fruit de sa réflexion

scientifique, technique et technologique, ne contribue qu'à s'enliser lui-même dans le cercle

vicieux de son égoïsme. Toute entreprise humaine en deçà donc de la contribution divine ne

concourt qu'à un fiasco tout préparé. Voilà ce qui expliquerait la cause principale de tous les

conflits qui gangrènent notre humanité, en particulier le continent africain. Les causes

politique, économique, sociale, ethnique ou religieuse évoquées plus haut comme étant à

l'origine des conflits armés par nos analyses socio-anthropologiques le sont parce qu'elles ont

tout simplement manqué de la sève divine pour leur bon fonctionnement. Autrement dit, les

morts, les malheurs, les misères, les maladies, les exilés massifs, la famine engendrés par ci et

par là par les conflits africains sont à lire comme l'expression de l'évanouissement de l'homme

Africain lui-même suite à son refus d'adjoindre Dieu et ses principes de vie à la sienne. Ceci

dit, l'occasion nous est encore offerte de méditer et comprendre ces paroles du psalmiste :

« Heureux tous ceux qui craignent le Seigneur et suivent ses chemins » (Ps 128, 1).

La paix et la justice, avant de les construire par nos faibles instincts humains comme

nous le verrons dans le point suivant, se doivent d'abord d'être lues et reconnues comme des

dons divins offerts gratuitement dans la mort et résurrection du Christ Jésus, par Dieu pour le

salut et le bonheur de toute l'espèce humaine. « Envoyé de Dieu et Dieu lui-même, Jésus

Christ est l'incarnation de la paix, parce qu'il révèle et réalise dans l'histoire humaine la

plénitude de la vie divine (Col 2, 9), c'est en lui que se concentre et par lui que se répandent

les divers dons de Dieu aux hommes (Col 1, 27). C'est pourquoi la paix est liée à la personne

du Christ et à sa présence (Jn 14, 27 ; 16, 33 ; 20, 19-21), cette paix n'est pas simplement un

don de Dieu, mais davantage la qualité de vie et de relation d'amour où Dieu s'offre lui-même

en Christ et par l'Esprit (Rm 8, 6), donné pour la rémission des péchés (Jn 20, 22-23), cette

dimension trinitaire de la paix en confirme l'origine et la finalité divines. Voilà pourquoi le

Christ, Médiateur entre Dieu et les hommes (1 Tm 2,5), personnifie lui-même cette paix et en

représente la source permanente : le Christ est notre paix (Eph. 2, 14) »98.

III. 1. 4. Bâtir ensemble la cathédrale de la paix

98 Cf. Lettre pastorale "Christ est notre paix" du SCEAM, Op. cit., n° 49

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Transformer une dynamique de guerre et de violence en une dynamique de paix, de

justice et de solidarité dans une Afrique blessée et meurtrie dans son amour propre par les

guerres civiles, demeure un travail de longue haleine qui demande à toutes les composantes

sociales de la Communauté africaine de nombreux sacrifices. N'étant pas quelque chose à

posséder par simple coup de baguette magique, la paix comme don de Dieu et résultant de

l'engagement unanime de tout un peuple, de toute une nation et de tout un continent, doit pour

se construire harmonieusement, bénéficier de l’apport de tout un chacun. Certes, une telle

entreprise ne peut réussir qu'à condition de brûler soi-même d'un amour fou pour la paix, pour

les autres. Mais brûler d'un amour fou pour la paix n'est aussi possible que si chacun accepte

d'ouvrir son cœur, son esprit et sa conscience aux idéaux du dialogue, du pardon, de l'amour

mutuel, de l'accueil de l'autre, bref d'un dépassement de soi afin de voir l'Afrique devenir un

eldorado de paix et une oasis de justice. Que donc faire ou entreprendre pour aboutir à la

réalisation d'un tel projet jugé jusqu'ici impossible et dont Dieu nous a déjà gratifiés dans la

mort et résurrection de son Fils notre Seigneur Jésus Christ, source première de toute paix ?

Sans trop nous évertuer en spécialistes sur les questions de paix, nous jugeons tout

d'abord nécessaire la création des conditions pour la mise en place d'une Afrique unie, non pas

par le verbiage ou la roublardise, mais par l'action et encore l'action concrète, pragmatique.

Pour cela, nous encourageons d'ores et déjà l'existence des organisations régionales et sous-

régionales qui, d'année en année, améliorent considérablement leur vivre ensemble par des

échanges fructueux tant sur le plan politique, économique que social. L'organisation des

activités sportives au niveau continental africain n'est pas non plus à négliger pour asseoir les

bases d'une paix durable. La CAN (Coupe d'Afrique des Nations) qui déjà fait preuve en ce

sens depuis maintenant vingt-quatre ans, nous indique bien qu'au-delà du ballon rond qui fait

vibrer plus d'un, se cache cette possibilité de voir l'Afrique un jour unifiée et pacifiée.

Mais là n'est pas tout. Les gouvernants et dirigeants à quel que niveau soient-ils :

politiques, administratifs, religieux et militaires sont invités à se donner la main afin

d'institutionnaliser une éducation de la paix accessible à toutes les couches sociales tant au

niveau de leur pays respectif qu'au niveau de toute l'Afrique des villes et des villages. Et cela,

en ne faisant exclusion de personne, quelle que soit sa condition sociale, religieuse ou

économique. Ceci dit, les familles constituant les premières écoles de tout homme, devront

être nos premiers pédagogues en matière de paix. Familles dans lesquelles, les parents auront

le souci majeur de jouer le rôle capital d'éducateurs éclairés et exemplaires à travers l'amour,

la tolérance et le pardon dont ils auront eux-mêmes fait preuve. Cet exemple, loin d'être vain

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en soi, donnera aux enfants témoins d'une telle vie, l'audace et l'envie d'en reproduire à leur

tour partout où ils seront.

En dehors de la famille génitrice, l'école comme institution qui se chargera de

poursuivre l'éducation des enfants appelés à devenir citoyens de demain, devra prendre soin

de rendre à l'humanité tout entière un grand service en inculquant à ceux-ci dès leur plus bas

âge, l'amour de la paix, de la justice et de l'amour fraternel. Car à ce stage de l'âge où l'esprit

est encore malléable, une telle éducation a de forte chance de porter fruit. Dans le même

cadre, les disciplines qui se pencheront spécifiquement sur les thèmes telles que l'éducation

civique et la morale, devront être enseignées avec zèle et amour de manière à pousser les

enfants à en faire autant. De même, il faudrait aider les enfants étendus aux adultes à ne point

épouser l'idée où l'esprit de la permissivité, attitude de vie dans laquelle il est interdit

d'interdire. Cela pourrait bien mener tôt ou tard à des actions désinvoltes poussant à la

violence ou à la guerre dont les conséquences peuvent s'avérer très ou trop graves.

Aux autorités politiques dont l'un des principaux devoir est d'assurer la paix et la

justice pour tous. Elles tâcheront de mettre en place des structures de paix qui auront pour

charge de veiller au strict respect des droits et devoirs de chaque citoyen, à la promotion du

développement humain, à l'élimination de la violence puis à la construction d'une sécurité

solidaire. A cette longue liste, nous ne passerons pas sous silence la folle course aux

armements dans laquelle beaucoup de nos Etats africains se sont ces dernières années révélées

championnes, en dépensant de faramineuses sommes qui auraient pu valablement servir à des

secteurs sociaux plus importants tels que : la santé, l'éducation, le payement des salaire etc.

Face à ce danger à l'idée de perpétuer les tensions et conflits armés, il est d'ores et déjà

envisageable avec l'appui des Nations Unies et autres organisations internationales, de créer

un système international de réglementation des achats et transferts d'armes, pouvant ainsi

nettement diminuer le risque de guerre. La création d'un mécanisme de prévention des conflits

par l'ensemble des Etats africains majoritairement réunis au sein de l'Union Africaine (UA) ne

serait pas du tout mal non plus. D'ailleurs, elles est plus que souhaitée aujourd'hui par un

grand ensemble.

A l'Eglise d'Afrique, ainsi qu'à l'ensemble de ses membres. Le déterminant rôle qui

leur revient dans la recherche de solutions pacifiques aux conflits qui déchirent leur continent,

ne sera pas à prendre à la légère. Symbolisant le sel et la lumière, censés donner goût de vivre

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et éclairer tous les hommes de la terre (Mt 5, 13), ils s'évertueront par l'annonce de la Bonne

Nouvelle du Christ et l 'exemple de vie, à instruire en eux et autour d'eux, la paix comme

norme de vie en humanité. Ils s'appliqueront dans ce sens, à mettre leur confiance dans

l'Evangile qui les rassure que leur action en faveur de la paix n'est pas vaine puisque fondée

sur le Christ notre paix véritable. Ils auront de même à charge comme le leur demande la

grande tradition ecclésiale, de prendre parti en faveur des victimes et de contribuer à chercher

des moyens pacifiques et non-violents de leur rendre justice. Comme le remarque les évêques

allemands : « L'Eglise est toujours attachée à la nécessité de protéger les innocents contre la

violence et l'oppression, de résister à l'injustice, de défendre le droit et l'équité. Une

renonciation unilatérale et déclarée à cette protection et cette résistance peut, comme

l'expérience de l'histoire nous l'a appris, être comprise comme un signe de faiblesse, et

éventuellement comme une invitation au chantage politique. Une telle renonciation est de

nature à favoriser précisément ce qu'elle est censée empêcher : que des innocents soient

opprimés, qu'ils soient victimes de la souffrance ou de la violence »99.

CONCLUSION

Tout au long de ce dernier chapitre, notre interprétation personnelle des conflits armés

en Afrique fut de faire remarquer comme l’ont déjà fait certains travaux antérieurs au nôtre

que ces conflits ne sont autre que le fruit d'une désapprobation de Dieu par l'homme Africain.

Détenteur de toute vraie paix, la réhabilitation de Dieu au cœur de l'agir des Africains,

s'impose aujourd'hui comme indispensable pour mettre fin aux tragédies sanglantes que ne

cesse de connaître et vivre le continent africain.

Certes, d'énormes efforts sont à fournir dans divers domaines tels que : le politique,

l'économique, le social et le respect des droits de l'homme, réputés être les talons d'Achille

menant aux conflits armés. Mais même là encore, s'il venait à manquer des signes de la

présence divine tels que : l'amour du prochain, le respect de la vie et de la dignité humaine, la

tolérance, le pardon, la réconciliation, le dialogue, l'ouverture, l'accueil, la justice pour tous…,

cela ne mènerait à rien. Résumons-nous en disant que l'Afrique a aujourd'hui plus que besoin

de revenir de tout son cœur vers le Dieu de sa vie et de sa paix, incarné en Jésus Christ,

Sauveur de tout le genre humain. Reprendre dans ce sens les chemins de l'église, du temple,

de la mosquée ou de nos forêts sacrées pour offrir tel ou tel sacrifice à ce Dieu n'est pas tant la

99 Cf. Lettre pastorale des évêques allemands, La justice construit la paix in DC, n° 1853, p. 582

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véritable solution. La vraie solution repose dans la transformation de nos cœurs de pierre en

cœurs de chair, appelés à vivre de son amour infini et de sa connaissance. Car ce n'est tant de

sacrifices que Dieu a besoin, mais plutôt de la conversion de l'homme lui-même (cf. Os 6, 6 ;

Ps 50 ; Mt 9, 13 ; 12, 7). Pour ce faire, le baptisé Africain dans une Afrique religieusement

plurielle devra jouer le rôle primordial de porte-flambeau de la paix en initiant par exemple

avec les membres des autres communautés religieuses des actions telles que :

La formation et l’éducation des consciences à la paix tant dans les lieux de culte que dans

les quartiers avec à la base, la création des commissions paix et justice.

La création des Associations Caritatives (centre d’accueil pour orphelins, mutilés de

guerre ou sociaux, réinsertion des enfants-soldats, femmes violés…).

L’organisation momentanée avec l’accord des autorités politiques et administratives des

manifestations (marches, prières, compétitions sportives, séminaire-atéliers, concertations

périodiques entre dirigeants politiques, administratifs et population civile…)

CONCLUSION GENERALE

Que pouvons-nous retenir de notre thème sur le rôle et la place du chrétien Africain

face aux conflits armés de son continent ?

Dans un premier temps, nous nous accorderons tous pour dénoncer et condamner avec

fermeté la guerre et la violence, à les tuer tous deux à leurs racines par l'apport de tout un

chacun des membres de la Communauté africaine.

Dans un second moment, la paix, reconnue de tous comme projet extrêmement

complexe, mais cependant réalisable, se doit d'être fixée comme une option fondamentale

vitale au cœur de chacun des fils et filles du continent africain. Et c'est dans ce sens que l'idée

de substitution de guerre destructive doit pouvoir faire place à une dynamique de "guerre

constructive", de "guerre à gagner", c'est-à-dire celle désignant de toute évidence des

entreprises de paix comme par exemple, l'organisation d'une lutte efficace contre la faim, la

maladie ou la violation du droit à la vie, à laquelle tous sont invités à prendre une part active.

Mais bien avant de parvenir à ce qui se présente encore à nos yeux comme un idéal de vie,

devons-nous apprendre à ouvrir aujourd'hui, ici et maintenant des pistes favorisant la

construction de cette paix par des voies et moyens pratiques comme : l'amour fraternel, le

dialogue, le pardon, la réconciliation, l'accueil, pour ne citer que ceux-ci. Encore là, faudra-t-il

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être à mesure de se reconnaître comme cet Etre, crée à l'image et à la ressemblance de Dieu,

source première et plénière de toute vraie paix, à la suite de qui, nous sommes tous appelés à

vivre en artisans de paix grâce à l'exemple qu'il nous a donné par son Fils Jésus Christ notre

frère.

"Heureux les artisans de paix : ils seront appelés fils de Dieu" (Mt 5, 7). Cette

exhortation lancée par le Christ Jésus comme un mot d'ordre pour la pacification du monde, se

veut aussi adresser à tous les chrétiens Africains, à qui revient également cette noble et lourde

tâche pour le cas spécifique de l'Afrique. Car si leur engagement en faveur de la paix est

suffisamment profond, il deviendra un exemple contagieux, permettant ainsi une construction

plus harmonieuse étendue à un plus grand ensemble. La présence donc de l'Eglise dans notre

Afrique malade des guerres et de ses contradictions internes, est comme déjà signe que la paix

peut fleurir, voire recouvrir toute la dimension continentale, si seulement le baptisé Africain

accepte de jouer le rôle qui est le sien et d'occuper la place qui est la sienne, à savoir : être un

artisan infatigable de la paix par l'annonce pacifique et pratique de l'Evangile du Christ. Son

incarnation de l'Eglise Mère, Protectrice et soucieuse du bien-être de ses enfants ne doit en

aucun cas se soustraire des joies et peines que connaît son continent comme l'indique ici Mgr

Arthur ELCHINGER : « Il est incontestable que l'Eglise ne peut rester étrangère aux

souffrances et aux combats des hommes. Il est inacceptable de se figurer l'Eglise comme un

refuge spirituel bien chaud, à l'écart des difficultés et problèmes du monde »100.

Bref, l'engagement éthique et missionnaire qui revient aux baptisés Africains dans la

recherche de solutions pacifiques aux conflits armés qui rongent l'Afrique, est d'une portée

noble et exigeante, qui demande hardiesse et foi pour y répondre favorablement. Cependant,

malgré les conséquences que cette recherche de paix puisse créer en nous et autour de nous,

n'oublions pas qu'elle reste aujourd'hui une priorité dans la mission de tout baptisé Africain

soucieux d'agir comme son Maître Jésus Christ pour la cause de la paix. C'est dans cette

perspective que notre réflexion présente se voudrait être comme une piste aidant l'ensemble

des laïcs Africains à davantage s'impliquer pour la lutte contre les guerres fratricides et civiles

que couve en ces moments le continent. Puisse chacun de nous faire sienne cette belle prière

de Saint François d'Assise dédiée à la paix : « Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix,

là où est la haine, que je mette l'amour. Là où est l'offense, que je mette le pardon. Là où est la

discorde, que je mette l'union. Là où est l'erreur, que je mette la vérité. Là où est le doute, que

100 Mgr Arthur ELCHINGER, Je plaide pour l'homme, Ed. fayard, Paris 1976, p. 74

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je mette la foi. Là où est le désespoir, que je mette l'espérance. Là où sont les ténèbres, que je

mette la lumière. Là où est la tristesse, que je mette la joie. O Seigneur, que je ne cherche pas

tant à être consolé qu'à consoler, à être compris qu'à comprendre, à être aimé qu'à aimer. Car

c'est en se donnant qu'on reçoit, c'est en s'oubliant qu'on se retrouve, c'est en pardonnant qu'on

est pardonné, c'est en mourant qu'on ressuscite à l'éternelle vie »101.

BIBLIOGRAPHIE

I – SOURCES ET DOCUMENTS DU MAGISTERE

1- La Traduction Œcuménique de la Bible (TOB),Cerf, Paris 1988.

2- Catéchisme de l’Eglise Catholique, Editions Mame/Plon, Vatican 1992, 800 p.

3- Concile Œcuménique Vatican II, Constitutions, Décrets, Déclarations, Centurion, Paris,

1967, 1012 p.

- Lumen Gentium (Constitution dogmatique sur l’Eglise)

- Gaudium et Spes (Constitution pastorale de l’Eglise dans le monde de ce temps)

4- COMMISSION PONTIFICALE Justice et Paix, Chemins de la paix, messages pontificaux

pour les journées mondiales de la paix (1968-1986), Cité du Vatican, 272 p.

5- CONSEIL PONTIFICAL Justice et Paix, Nouveau regard sur la doctrine sociale de

l’Eglise, Editions Cité du Vatican 1990, 210 p.

6- Déclaration des épiscopats allemands et français : Faire la paix in L’Eglise devant la

menace nucléaire de Gérard DEFOIS, Centurion, Paris 1983, 114 p.

7- Document de travail du Synode spécial des évêques pour l’Afrique, L’Eglise en Afrique,

Centurion/Cerf, Paris 1993, 125 p.

101 Pierre DEBERGE, Prière pour la paix in Messages, n° 565 de janvier 2003, p. 28

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8- JEAN-PAUL II, L’Eglise en Afrique, Editions Pierre Téqui, Paris 1995, 154 p.

9- JEAN-PAUL II, Les fidèles laïcs, Centurion, Paris 1989, 200 p.

10- JEAN-PAUL II, Le Rédempteur de l’homme (Redemptor Hominis), Centurion, Paris

1979, 119 p.

11- JEAN-PAUL II, Message pour la célébration de la journée mondiale de la paix, 1er

janvier 2004 (fascicule), 16 p.

12- JEAN-PAUL II, Veritatis Splendor, Editions Pierre Téqui, Paris 1993, 186 p.

13- JEAN-PAUL II, Les religions au service de la paix in Documentation Catholique (DC),

n°2264, pp. 167-170.

14- JEAN-PAUL II, Message pour la journée mondiale de la paix (1er janvier 2001) in

Documentation Catholique (DC), n° 2239, pp. 1-6.

15- Les évêques d’Afrique parlent (1969-1992), Centurion, Paris 1992, 443 p.

16- Lettre pastorale des évêques allemands, La justice construit la paix in Documentation

Catholique (DC), n°1853, pp. 568-594.

17- Lettre pastorale des évêques des Etats-Unis, Le défi de la paix in Documentation

Catholique (DC), n°1856, pp. 715-762.

18- PAUL VI, Evangelii Nuntiandi, Editions Cité du Vatican 1975, 118 p.

19- PAUL VI, Message pour la journée de la paix (1976) in Documentation Catholique

(DC), n° 1690, p. 52.

20- PAUL VI, Populorum progressio, Editions Spes, Paris 1967, 182 p.

21- PIE XII, Message de Noël : 24 décembre 1948 in Etudes Religieuses, n°644, 20 p.

22- Symposium des Conférences Episcopales d’Afrique et de Madagascar (SCEAM), Christ

est notre paix, Lettre pastorale, octobre 2001.

II- LIVRES

23- Dictionnaire de la langue philosophique, PUF, Paris 1992.

24- Nouveau Larousse Universel, Tome 1, Paris 1948.

25- COMBLIN, Joseph, Théologie de la paix I principes, Editions Universitaires, Paris 1960,

325 p.

26- COMBY, Jean, Pour lire l’histoire de l’Eglise Tome 1, Cerf, Paris 1997, 201 p.

27- COSTE, René, Les religions et la guerre, Collectif sous la dir. De Pierre Viaud, Cerf,

Paris 1991, 583 p.

28- COSTE, René, Théologie de la paix, Editions Cerf, Paris 1997, 448 p.

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29- D’AQUIN, Thomas, La charité Tome II, questions 27-33 in Somme Théologique,

Editions Desclée et Cie, Paris 1950, 403 p.

30- DIATTA, Nazaire, Démocratie et politique en Afrique, Ed. Castel, Conakry (Guinée)

2004, 245 p.

31- ELCHINGER, Arthur, Je plaide pour l’homme, Editions Fayard, Paris 1976, 301 p.

32- LALANDE, Bernard, Commentaire de Pacem in Terris, Editions Fleurus, Paris 1963, 287p.

33- MELLON, Christian, Chrétiens devant la guerre et la paix, Centurion, Paris 1984, 209 p.

34- NGOUPANDE, Jean-Paul, L’Afrique face à l’islam, Ed. Albin Michel, Paris 2003, 295 p.

35- Pax Christi, Apprendre à faire la paix, Cerf, Paris 1980, 190 p.

36- PERROUX, François, Le pain et la parole, Collection Foi Vivante, Cerf, Paris 1969, 334 p.

37- SIBOMANA, André, Gardons espoir pour le Rwanda, DDB, Paris 1997, 247 p.

38- -ZERWICK, M, La lettre aux Ephésiens, Editions Desclée, Paris 1967, 191 p.

III- ARTICLES ET REVUES

39- AKUETEY, Prosper Mawuko, Vérité, communication en temps de crise socio- politique

in RUCAO, n° 18, 2003, pp. 7-22.

40- CHEVALLIER, Sabine, Rwanda : le pays aux mille pardons in Famille Chrétienne, n°

944 du 15 février 1996, pp. 18-24.

41- DEBERGE, Pierre, Prière pour la paix in Messages, n° 565, janvier 2003, p. 28.

42- Documentation Catholique, n°1701 du 04 juillet 1976, pp. 604-610.

43- GHALI, Boutros Boutros, Agenda pour la paix in Etudes, octobre 1995, p. 329.

44- JOBLIN, Joseph, De la guerre juste à la construction de la paix in Documentation

Catholique (DC), n° 2206, pp. 587-594.

45- MARQUES I COLL, Xec, Sortir de la crise africaine : l’urgence d’une conscience

christologique in RUCAO, n° 18, 2003, pp. 93-108.

46- MELLON, Christian, La paix à travers les conflits in Unité des Chrétiens, n° 132,

octobre 2003, pp. 15-17.

47- SARAH, Robert, La formation permanente des fidèles laïcs, Imprimerie Mission

Catholique, Conakry 1994, 75 p.

48- SARAH, Robert, Une mission pour l’Eglise qui est en Afrique, Conakry 1994, 19 p.

49- STENGER, Marc, Pacem in Terris, une encyclique pour aujourd’hui in Prêtres

diocésains, décembre 2002, pp. 471-477.

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Numéros du Bulletin d’Information Africaine

N° 368 du 15 mai 1999, p. 5

N° 375 du 1er octobre 1999, p. 9

N° 387 du 1er avril 2000, pp. 10-11

N° 402 du décembre 2000, pp. 5-6

N° 406 du 15 février 2001, pp. 1-2

N° 441 du 1er octobre 2002, pp. 1-2

N° 461/-09 du 1er septembre 2003, p. 12

N° 464/-06 du 15 octobre 2003, pp. 5-6

Numéros de Jeune Afrique/L’intelligent

N° 2152 du 08 au 14 avril 2002, p. 65

N° 2212 du 1er au 07 juin 2003, pp. 90-92

N° 2213 du 08 au 14 juin 2003, pp. 98-101

N° 2227 du 14 au 20 septembre 2003, pp.49-98

SOMMAIREDEDICACE................................................................................................................................1REMERCIEMENTS...................................................................................................................1INTRODUCTION GENERALE................................................................................................2CHAPITRE I...........................................................................................................................4ANALYSE SOCIO-ANTHROPOLOGIQUE DES CONFLITS ARMES.............4INTRODUCTION......................................................................................................................5

I. 1. NOTION DE CONFLIT..................................................................................................6I. 2. ELEMENTS CONSTITUTIFS DES CONFLITS ARMES............................................8I. 3. INTERPRETATIONS OU EXPLICATIONS DES CONFLITS ARMES..................13I. 4. APPROCHE DE SOLUTIONS.....................................................................................18I. 5. EXEMPLE DE CONFLIT : LE GENOCIDE RWANDAIS (06 avril 1994 – 25 août 2003).....................................................................................................................................22CONCLUSION.....................................................................................................................28

CHAPITRE II.......................................................................................................................29LA DOCTRINE DE L'EGLISE SUR LA GUERRE ET LA PAIX.......................29

II. 1. L'ENSEIGNEMENT BIBLIQUE ET PATRISTIQUE...............................................31

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II. 2. L'ENSEIGNEMENT PONTIFICAL AVANT VATICAN II......................................39II. 3. L'ENSEIGNEMENT DE VATICAN II.......................................................................42II. 4. L'EGLISE D'AFRIQUE ET LE DRAME DES CONFLITS ARMES........................49CONCLUSION.....................................................................................................................57

CHAPITRE III......................................................................................................................57CONTRIBUTION PERSONNELLE D'ORDRE THEOLOGICO-MORAL.......57

III. 1. "CHRIST EST NOTRE PAIX" (Eph. 2, 14)..............................................................57CONCLUSION.....................................................................................................................57

CONCLUSION GENERALE...................................................................................................57BIBLIOGRAPHIE....................................................................................................................57SOMMAIRE.............................................................................................................................57

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