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Défense des droits de la femme L'idée d'écrire Défense des droits de la femme est née de la lecture du rapport de Talleyrand à l'Assemblée constituante en 1791, dans lequel il est affirmé que les femmes ne devraient recevoir qu'une éducation à caractère domestique. Mary Wollstonecraft commente ce document, puis se sert de son propre commentaire pour lancer une attaque contre le double standard , le « double critère » appliqué selon le sexe. À cette occasion, elle accuse les hommes d'encourager les femmes à s'abandonner aux excès de l'émotion. La rédaction de ce pamphlet s'est faite à la hâte, en réaction aux événements en cours ; Mary Wollstonecraft manifeste l'intention d'écrire un deuxième volume plus réfléchi, mais meurt avant de l'avoir achevé. Si Mary Wollstonecraft appelle à l'égalité entre les sexes dans certains domaines de la vie, tels que la moralité, elle n'affirme pas explicitement qu'hommes et femmes sont égaux. Ses prises de position restant ambiguës, il est difficile de la considérer comme une féministe selon le sens moderne du mot, d'autant que ni le terme ni le concept n'existaient à son époque. Bien qu'aujourd'hui, on pense généralement que Défense des droits de la femme ait été mal reçu à sa parution, c'est une idée fausse et récente fondée sur la croyance que Mary Wollstonecraft était autant vilipendée de son vivant qu'elle le devient après la publication des Memoirs of the Author of A Vindication of the Rights of Woman que William Godwin publie en 1798. Défense des droits de la femme est en réalité bien accueilli lors de sa première parution en 1792. Un biographe en a dit qu'il s'agit « peut-être du livre le plus original du siècle » [ 1 ] . Contexte historique Défense des droits de la femme est écrit dans le contexte tumultueux de la Révolution française et des débats qu'elle génère en Grande-Bretagne. Dans une guerre de pamphlets animée et parfois rageuse, connue aujourd'hui sous le nom de controverse révolutionnaire (Revolution Controversy), les commentateurs politiques britanniques traitent de sujets allant d'un gouvernement représentatif jusqu'aux droits de l'homme, en

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Dfense des droits de la femme - Wikipdia

Dfense des droits de la femmeL'ide d'crire Dfense des droits de la femme est ne de la lecture du rapport de Talleyrand l'Assemble constituante en 1791, dans lequel il est affirm que les femmes ne devraient recevoir qu'une ducation caractre domestique. Mary Wollstonecraft commente ce document, puis se sert de son propre commentaire pour lancer une attaque contre le double standard, le double critreappliqu selon le sexe. cette occasion, elle accuse les hommes d'encourager les femmes s'abandonner aux excs de l'motion. La rdaction de ce pamphlet s'est faite la hte, en raction aux vnements en cours; Mary Wollstonecraft manifeste l'intention d'crire un deuxime volume plus rflchi, mais meurt avant de l'avoir achev.Si Mary Wollstonecraft appelle l'galit entre les sexes dans certains domaines de la vie, tels que la moralit, elle n'affirme pas explicitement qu'hommes et femmes sont gaux. Ses prises de position restant ambigus, il est difficile de la considrer comme une fministe selon le sens moderne du mot, d'autant que ni le terme ni le concept n'existaient son poque.Bien qu'aujourd'hui, on pense gnralement que Dfense des droits de la femme ait t mal reu sa parution, c'est une ide fausse et rcente fonde sur la croyance que Mary Wollstonecraft tait autant vilipende de son vivant qu'elle le devient aprs la publication des Memoirs of the Author of A Vindication of the Rights of Woman que William Godwin publie en 1798. Dfense des droits de la femme est en ralit bien accueilli lors de sa premire parution en 1792. Un biographe en a dit qu'il s'agit peut-tre du livre le plus original du sicle[1].Contexte historiqueDfense des droits de la femme est crit dans le contexte tumultueux de la Rvolution franaise et des dbats qu'elle gnre en Grande-Bretagne. Dans une guerre de pamphlets anime et parfois rageuse, connue aujourd'hui sous le nom de controverse rvolutionnaire (Revolution Controversy), les commentateurs politiques britanniques traitent de sujets allant d'un gouvernement reprsentatif jusqu'aux droits de l'homme, en passant par la sparation de l'glise et de l'tat, sujets dont un bon nombre ont t soulevs tout d'abord en France. Mary Wollstonecraft prend part pour la premire fois la bataille en 1790 avec A Vindication of the Rights of Men (Dfense des droits de l'homme), qui rplique aux Reflections on the Revolution in France (1790) (Rflexions sur la Rvolution en France) d'Edmund Burke[2].Dans son livre, Burke critique les nombreux penseurs et les crivains de son pays qui ont approuv les premiers pas de la Rvolution franaise. L o ils voient la rvolution comme analogue la Glorieuse Rvolution britannique de 1688, qui avait restreint les pouvoirs de la monarchie, Burke soutient que l'analogique historique approprie est faire avec la Premire rvolution anglaise (1642-1651) au cours de laquelle le roi Charles Ier avait t excut en 1649. Pour lui, la Rvolution franaise, c'est la destruction de la lgitimit par la violence. tre citoyen, cela n'inclut pas le droit la rvolte contre un gouvernement, la civilisation rsultant d'un consensus social et politique. Les traditions ne sauraient tre constamment remises en cause, sous peine de conduire l'anarchie. L'un des arguments essentiels de Dfense des droits de l'homme, publi tout juste six semaines aprs les Rflexions de Burke, est que le fondement du droit n'est pas la tradition; le droit existe parce que raisonnable et juste, indpendamment de la tradition[3].Lorsque Talleyrand prsente son Rapport sur l'instruction publique (1791) l'Assemble nationale en France, Mary Wollstonecraft ressent le besoin d'y ragir[4]. Dans ses recommandations pour un systme d'ducation national, Talleyrand crit:levons les femmes, non pour aspirer des avantages que la Constitution leur refuse, mais pour connatre et apprcier ceux qu'elle leur garantit. [...] Les hommes sont destins vivre sur le thtre du monde. L'ducation publique leur convient: elle place de bonne heure sous leurs yeux toutes les scnes de la vie: les proportions seules sont diffrentes. La maison paternelle vaut mieux l'ducation des femmes; elles ont moins besoin d'apprendre traiter avec les intrts d'autrui, que de s'accoutumer la vie calme et retire[5],[6].Mary Wollstonecraft ddicace Dfense des droits de la femme Talleyrand: Ayant lu avec grand plaisir une brochure que vous avez dernirement publie, je vous ddicace ce volume; pour vous inciter reconsidrer le sujet, et peser mrement ce que j'ai avanc concernant les droits de la femme et l'ducation nationale[7]. La fministe franaise Olympe de Gouges vient juste de prsenter l'Assemble nationale sa Dclaration des droits de la femme et de la citoyenne, et la question des droits de la femme vient au centre des dbats politiques tant en France qu'en Grande-Bretagne[2].Dfense des droits de la femme est un prolongement des arguments dvelopps dans Dfense des droits de l'homme. Ce dernier ouvrage, comme le suggre son titre, traite des droits de l'homme, mais il s'agit d'une catgorie particulire, celle des hommes de Grande-Bretagne au XVIIIesicle, alors que Dfense des droits de la femme aborde des droits accords la femme, en tant que catgorie abstraite, ne limitant pas son argumentation aux femmes du XVIIIesicle, non plus qu'aux femmes britanniques. Le premier chapitre s'attache la question des droits naturels et pose la question de savoir qui dispose de ces droits inalinables et sur quel fondement. Elle rpond que, puisque les droits naturels sont confrs par Dieu, le fait, pour une partie de la socit, de les dnier une autre, devient un pch[8]. Dfense des droits de la femme aborde ainsi non seulement des vnements spcifiques la France et la Grande-Bretagne, mais galement des questions plus larges que soulvent des philosophes politiques comme John Locke et Jean-Jacques Rousseau[9].ThmesMary Wollstonecraft n'a pas recours l'argumentation conventionnelle ou au genre de raisonnement logique communs aux crits philosophiques du XVIIIesicle lorsqu'elle compose ses propres ouvrages. Dfense des droits de la femme est un long essai qui prsente tous ses thmes principaux ds les premiers chapitres pour y revenir ensuite de faon rpte, chaque fois sous un angle diffrent. Le livre adopte galement un ton hybride qui combine les arguments fonds sur la raison avec la rhtorique ardente de la sensibilit[10].Au XVIIIesicle, la sensibilit est perue comme un phnomne physique qui se trouve rattach un ensemble de croyances morales prcises. Les mdecins, les anatomistes, croient que plus les nerfs d'une personne sont sensibles, et plus leur environnement provoque en eux des motions. tant donn que l'on considre que les femmes ont des nerfs plus affts que les hommes, on en conclut qu'elles sont davantage sujettes prouver des motions[11].L'excs d'motion associ la sensibilit conduit en bonne logique une thique de la compassion: les tres dous de sensibilit peuvent aisment ressentir de la sympathie pour ceux qui souffrent. Ainsi des historiens ont imput l'accroissement des efforts humanitaires tels que le mouvement en faveur de l'abolition du commerce des esclaves au discours li la sensibilit de ceux qui le mettent en avant[13]. Mais la sensibilit paralyse aussi ceux qui l'ont en excs; comme l'explique G. J. Barker-Benfield, un spcialiste de cette poque, le raffinement inn du systme nerveux est rapprocher d'une souffrance accrue, de faiblesse, et d'une prdisposition au drangement de l'esprit (an innate refinement of nerves was also identifiable with greater suffering, with weakness, and a susceptibility to disorder)[11].Lorsque Mary Wollstonecraft commence crire Dfense des droits de la femme, la sensibilit fait dj depuis plusieurs annes l'objet d'un feu roulant d'attaques[14]. La sensibilit, que l'on voyait initialement porter la promesse de rapprocher les tres grce la sympathie, est maintenant perue comme un facteur profond d'clatement social (profoundly separatist); des romans, des pices et des pomes qui emploient le langage de la sensibilit revendiquent des droits individuels, la libert sexuelle et des relations familiales non conventionnelles fondes sur le seul sentiment[15].Qui plus est, ainsi que le soutient Janet Todd, autre spcialiste de la sensibilit, aux yeux de beaucoup en Grande-Bretagne, le culte de la sensibilit a fminis la nation, donn aux femmes une importance indue et mascul les hommes (to many in Britain the cult of sensibility seemed to have feminized the nation, given women undue prominence, and emasculated men)[16].ducation fonde sur la raisonL'un des points essentiels soutenus par Mary Wollstonecraft dans Dfense des droits de la femme est que les femmes devraient recevoir une ducation fonde sur la raison, ce qui leur permettrait de servir la socit de manire efficace. Au XVIIIesicle, aussi bien les thoriciens de l'ducation que les auteurs de manuels de bonne conduite (conduct books) que l'on peut considrer comme les anctres des livres de dveloppement personnel[17] partent du postulat que les femmes, trop sujettes aux motions, trop fragiles, sont incapables de pense rationnelle ou abstraite. Mary Wollstonecraft, comme d'autres progressistes telles que Catharine Macaulay et Hester Chapone, est d'avis qu'au contraire, elles sont mme de penser en toute clart et mritent, de ce fait, d'avoir accs l'ducation. Elle dfend ce point de vue dans son propre conduct book (manuel de bonne conduite), Penses sur l'ducation des filles (Thoughts on the Education of Daughters), paru en 1787, puis dans son livre pour enfant Original Stories from Real Life (1788) et, enfin, dans Dfense des droits de la femme[18].En dclarant dans sa prface mon raisonnement principal est construit sur ce principe simple, savoir que si [la femme] n'est pas prpare par l'ducation devenir la compagne de l'homme, elle entravera le dveloppement du savoir et de la vertu, la vrit devant tre commune tous[N 1], Mary Wollstonecraft avance l'ide que, sans femmes duques, la socit ne peut que dgnrer, surtout que les mres sont les premires former les jeunes enfants[19]. Les hommes portent la responsabilit de ce problme, le systme ducatif erron qu'ils ont institu reposant sur des ouvrages crits par leurs semblables pour qui le sexe fminin se compose de femmes et non d'tres humains (considering females rather as women than human creatures)[20]. Bien videmment, les femmes sont capables de raisonnement; s'il en parat autrement, c'est que les hommes leur ont dni l'ducation et les ont encourages la frivolit, les condamnant la superficialit et la sottise, les transformant en pagneuls et faisant d'elles des jouets[21],[22]. Pour autant, si Mary Wollstonecraft rcuse l'ide d'une diffrence de nature, elle accepte que les femmes puissent rester en de du savoir atteint par les hommes[23].Elle s'en prend certains auteurs de manuels de bonne conduite, tels que James Fordyce et John Gregory, ainsi qu' des thoriciens comme Jean-Jacques Rousseau, lui qui soutient qu'une femme n'a nul besoin d'une ducation fonde sur la raison. Dans L'mile, en effet, il nonce la maxime devenue clbre selon laquelle les femmes devraient tre duques pour le plaisir des hommes. Mary Wollstonecraft pourfend ce raisonnement et cloue l'auteur lui-mme au pilori[24]. Pour illustrer les limites imposes par les thories ducatives de l'poque, elle crit: form depuis l'enfance l'ide que la beaut est le sceptre de la femme, l'esprit se conforme au corps et, tournant dans sa cage dore, ne cherche qu' orner sa prison[N 2],[25], laissant entendre que, sans cette idologie pernicieuse qui encourage les jeunes femmes privilgier leur beaut et leur apparence, elles pourraient s'accomplir de manire bien plus fconde. Les pouses seraient de vritables compagnes, exerceraient un mtier si elles le souhaitaient: les femmes pourraient certainement tudier l'art de gurir et tre des mdecins aussi bien que des infirmires. Devenir des sages-femmes, ce quoi la dcence semble les destiner []; elles pourraient aussi tudier la politique [] et occuper toutes sortes de fonctions[N 3],[26].Pour Mary Wollstonecraft, l'ducation la plus parfaite est un exercice de l'intelligence calcul au mieux pour fortifier le corps et former le cur, en d'autres termes, permettant l'individu d'acqurir les habitudes vertueuses qui assureront son indpendance.[N 4],[27]. Au-del des gnralits philosophiques, elle labore un plan spcifique pour l'ducation nationale, en opposition celui qu'a conu Talleyrand pour la France. Dans le chapitre XII, Sur l'ducation nationale, elle propose que tous les enfants soient envoys dans une Country Day School[N 5], tout en recevant une certaine ducation chez eux pour leur inspirer un amour du foyer et des plaisirs domestiques. Elle privilgie aussi la mixit, faisant valoir que les hommes et les femmes, dont le mariage est le ciment de la socit, devraient tre duqus sur le mme modle[28].FminismeLa dbutante (1807) par Henry Fuseli; La femme, victime des conventions sociales des hommes, est attache au mur, contrainte la couture, et garde par des gouvernantes. L'image reflte les opinions de Mary Wollstonecraft dans The Rights of Women [sic][29].La dfinition de fministe variant selon les spcialistes, dterminer si Dfense des droits de la femme est un texte relevant de cette qualification reste sujet controverse. Certes, Mary Wollstonecraft ne l'aurait jamais ainsi qualifi, pour la bonne raison que le mot n'est apparu que pendant les annes 1890[30]. De plus, pendant toute sa vie, aucun mouvement fministe proprement parler ne s'est manifest. Dans l'introduction son ouvrage fondateur sur la pense de Mary Wollstonecraft, Barbara Taylor crit:Dcrire [la philosophie de Mary Wollstonecraft] comme fministe est problmatique, et je ne le fais qu'aprs mre rflexion. Cette tiquette est, bien entendu, un anachronisme... Traiter la pense de Mary Wollstonecraft comme une anticipation des thses fministes des XIXesicle et XXesicle a impliqu de sacrifier ou de distordre quelques-uns de ses lments essentiels. Exemples majeurs de [cette drive] [...], le manque d'attention gnralis l'gard de ses croyances religieuses, la conception errone que l'on a d'elle comme d'une bourgeoise librale, ce qui [] a conduit occulter son radicalisme utopique d'inspiration religieuse au profit d'un rformisme laque, avec un esprit de classe aussi totalement tranger son projet politique que son rve d'un ge de bonheur universel promis par Dieu peut lui-mme l'tre au ntre. Plus important encore, cependant, a t le fait d'attribuer Mary Wollstonecraft une image d'individualiste hroque en total dcalage avec sa motivation d'ordre thique en faveur de l'mancipation des femmes. L'ambition majeure qu'avait Mary Wollstonecraft pour les femmes tait qu'elles pussent atteindre la vertu, et c'est cette fin qu'elle recherchait leur libration[N 6],[31]Dans Dfense des droits de la femme, Mary Wollstonecraft ne revendique pas l'galit des sexes en faisant appel aux mmes arguments ou au mme vocabulaire qu'emploieront les fministes de la fin du XIXesicle et du XXesicle. Par exemple, plutt que d'affirmer sans quivoque qu'hommes et femmes sont gaux, elle soutient qu'ils le sont aux yeux de Dieu, ce qui implique seulement qu'ils sont chacun soumis la mme loi morale[32].Pour Mary Wollstonecraft, hommes et femmes sont gaux dans les plus importants domaines de la vie. Si une telle ide peut ne pas paratre rvolutionnaire aux lecteurs du XXIesicle, ses implications le deviennent au cours du XVIIIesicle. Cela exige, par exemple, que les hommes, aussi bien que les femmes, fassent preuve de pudeur[33] et respectent la saintet du mariage[34]. La thse dveloppe par Mary Wollstonecraft met nu le double standard (critre double) de la fin du XVIIIesicle et elle exige que les hommes adhrent aux mmes vertus que celles qu'on exige des femmes.Cependant, ces arguments en faveur de l'galit s'opposent ses dclarations sur la supriorit de la force et de la vaillance masculines[35]. En effet, dans une affirmation la fois clbre et ambigu, elle crit:N'allons pas conclure que je souhaite inverser l'ordre des choses; j'ai dj admis que, de par la constitution de leur corps, les hommes semblent conus par la Providence pour parvenir un plus grand degr de vertu. Je parle collectivement de l'ensemble de ce sexe; mais je ne vois pas l'ombre d'une raison de conclure que leurs vertus doivent diffrer eu gard leur nature. En fait, comment le peuvent-ils, si la vertu ne se mesure qu' une aune ternelle? Si je raisonne logiquement, il me faut soutenir qu'ils sont astreints la mme ligne de conduite, toute simple, et cela, avec la mme vigueur que je soutiens qu'il y a un Dieu[N 7],[36]De plus, c'est aux hommes, plutt qu'aux femmes, que s'adresse Mary Wollstonecraft pour initier les changements sociaux et politiques esquisss dans Dfense des droits de la femme. Puisque que les femmes n'ont pas reu d'ducation, elles ne peuvent changer leur tat et les hommes se doivent de leur venir en aide[37]. la fin de son chapitre Des effets pernicieux, rencontrs dans la socit, de distinctions sans fondement naturel, elle crit:J'aimerais alors convaincre les hommes raisonnables de l'importance de quelques-unes de mes remarques, et parvenir les persuader de soupeser sans passion toute la teneur de mes observations. J'en appelle leur comprhension et, en tant que leur congnre, revendique, au nom de mon sexe, que leur cur s'y intresse. Je les conjure d'aider l'mancipation de leurs compagnes, qu'ils fassent d'elles des auxiliaires dignes d'eux! Si, gnreusement, les hommes voulaient bien briser nos chanes et se satisfaire d'une compagnie doue de raison plutt que d'une obissance servile, ils trouveraient en nous des filles plus respectueuses des rgles, des surs plus affectueuses, des pouses plus fidles, des mres plus raisonnables en un mot, de meilleures citoyennes[N 8],[38].C'est le dernier roman de Mary Wollstonecraft, Maria: or, The Wrongs of Woman (1798) (Maria, ou, les injustices subies par la femme), qui est en gnral considr comme son uvre fministe la plus radicale[39].SensibilitL'une des critiques les plus cinglantes que dveloppe Dfense des droits de la femme concerne les excs de la fausse sensibilit, en particulier chez les femmes. Selon Mary Wollstonecraft, les femmes qui succombent la sensibilit sont emportes par des bouffes d'motion instantane (blown about by every momentary gust of feeling), et puisqu'elles sont la proie de leurs sens (the prey of their senses), elles ne parviennent pas penser raisonnablement[40]. De ce fait, elles ne nuisent pas seulement elles-mmes, mais aussi l'ensemble du monde civilis. De telles femmes ne sauraient raffiner la civilisation, mais tendent plutt la dtruire. Cela dit, la raison et le sentiment ne suivent pas un chemin diffrent, ils se nourrissent l'un l'autre et, pour Mary Wollestonecraft comme pour son contemporain, le philosophe David Hume, les passions sous-tendent toute manifestation de la raison[41]. Ce thme est rcurrent dans toute son uvre et plus particulirement dans ses romans Marie, fiction (Mary, a fiction) (1788) et Maria, ou Les torts infligs la femme (Maria or, The Wrongs of Woman).Pour appuyer son ide selon laquelle les femmes profiteraient accorder moins d'influence leurs sentiments, Mary Wollstonecraft insiste sur le fait que le corps ou la sexualit ne devraient exiger ni contrainte ni esclavage[42]. La prcision de l'argument a conduit nombre de fministes prtendre que Mary Wollstonecraft dnie aux femmes le dsir sexuel. Cora Kaplan, par exemple, soutient que l'attaque, ngative et consacre par l'usage, porte contre la sexualit fminine est un leitmotiv de Dfense des droits de la femme[43]. De fait, pour un mariage idal, Mary Wollstonecraft conseille ses lectrices de laisser calmement la passion retomber et se transformer en amiti. Cet idal est celui d'une relation de bonne compagnie, conception naissante l'poque[44]. [Il serait prfrable], crit-elle, [quand] deux jeunes gens vertueux se marient [...] qu'une circonstance fortuite vnt freiner leur passion[45]. Elle ajoute: amour et amiti ne peuvent pas survivre dans la mme poitrine[45].Mary Poovey pense qu'elle trahit l sa peur que le dsir fminin ne se prte aux dgradantes attentions de la lascivit masculine et que, de ce fait, la condition subalterne des femmes en vienne tre mrite. Tant que les femmes ne parviendront pas surmonter les dsirs de leur chair, elles seront l'otage de leur corps[46]. Sans sexualit, elles chappent la domination. Le danger existe qu'elles ne se consument dans une romanesque irrsolution (romantic wavering), qu'elles ne songent qu' satisfaire leur concupiscence[47]. Et Cora Kaplan de renchrir: Dfense des droits de la femme limine la sexualit de la vie d'une femme et, en cela, tmoigne d'une violente hostilit ce qui touche au sexe, tout en exagrant l'importance de la sensualit dans la vie quotidienne des femmes. Mary Wollstonecraft efface la sexualit de sa reprsentation de la femme idale au point qu'elle finit par lui confrer une importance primordiale en insistant prcisment sur son absence[48]. Cela dit, ajoute Cora Kaplan avec d'autres, Mary Wollstonecraft s'est peut-tre trouve contrainte ce sacrifice: il est important de se rappeler que le concept de la femme indpendante, jouissant de droits politiques, [tait] fatalement li, [au XVIIIesicle], l'exercice pervers et sans frein de sa sexualit[49].RpublicanismeClaudia L. Johnson, autre spcialiste de Mary Wollstonecraft, crit de Dfense des droits de la femme qu'il s'agit d'un manifeste rpublicain (a republican manifesto)[50]. Selon elle, son auteur, nostalgique de l'idal rpublicain du Commonwealth que son pays a connu au XVIIesicle, cherche en retrouver l'thique et, de ce fait, souhaite voir dvolus aux citoyens des droits, certes bien affirms mais distincts, selon leur sexe[51]. Ainsi, elle dnonce l'effondrement de la diffrence sexuelle, marque distinctive de son sicle et fcheux rsultat de la sensibilit dominante. La socit se voit donc mine de l'intrieur par la fminisation des hommes[N 9],[52]. Si les hommes se sentent autoriss adopter tout la fois une posture masculine et la sensibilit fminine, il ne reste aucun rle pour les femmes dans la socit[53]. En cela, Mary Wollstonecraft, aussi bien dans Dfense des droits de l'homme que dans Dfense des droits de la femme, s'oppose la dviance de la sensibilit masculine, telle, par exemple, qu'elle apparat dans les uvres d'Edmund Burke, en particulier Rflexions sur la Rvolution franaise[54].Dans sa Dfense des droits de la femme, elle opte pour un rpublicanisme aboutissant la suppression de tous les titres, monarchie comprise. Elle soutient galement, quoique sans s'y attarder, que les hommes et les femmes soient tous reprsents au gouvernement. L'essentiel de sa critique politique, cependant, comme l'exprime Chris Jones, se dcline surtout en termes de moralit (is couched predominantly in terms of morality)[55]. La vertu, telle qu'elle la conoit, s'applique plus au bonheur individuel qu'au bien de la collectivit[55]. Cette attitude se retrouve dans l'explication qu'elle donne des droits naturels qui, en fin de compte, procdant du pouvoir divin, entranent des devoirs qui incombent tous et chacun. Pour autant, les valeurs du rpublicanisme et de la bienveillance se transmettent par la famille, dont les liens restent essentiels l'ide que se fait Mary Wollstonecraft de la cohsion sociale et du patriotisme[56].Une morale pour la classe moyenneDe bien des faons, Dfense des droits de la femme est inflchi par une conception bourgeoise de la socit, tout comme son prdcesseur, Dfense des droits de l'homme. L'uvre s'adresse la classe moyenne qu'elle appelle l'tat le plus naturel ([the] most natural state). Aussi n'a-t-elle de cesse de recommander les vertus du travail (industry) et de la pudeur (modesty), considres comme typiques de cette middle class l'poque[57].crivain elle-mme issue de cette classe et en promouvant l'thique, elle s'en prend aux riches avec les mmes arguments que ceux qui alimentent sa critique des femmes. Elle souligne le faux raffinement, l'immoralit et la vanit des nantis, les affublant des qualificatifs faibles, artificiels, les brocardant comme tant des tres levs au-dessus des besoins et des affections de leur race, de manire prmature et dnue de naturel, ce qui mine le fondement mme de la vertu et propage la corruption dans le corps social tout entier[N 10],[58].Cela dit, cette critique des riches ne va pas ncessairement de pair avec de la sympathie envers les pauvres. Pour Mary Wollstonecraft, les pauvres ont bien de la chance de ne point courir le risque d'tre jamais attirs dans les filets de l'abondance: Heureux sont ceux que les soucis obligent lutter, car ces soucis les protgent des vices qui minent le caractre, que l'oisivet suffit gnrer! (Happy is it when people have the cares of life to struggle with; for these struggles prevent their becoming a prey to enervating vices, merely from idleness!)[59]. De plus, la charit, pense-t-elle, n'entrane que des consquences fcheuses parce que, comme l'exprime Jones, Mary Wollstonecraft la rend responsable de maintenir l'ingalit dans la socit tout en offrant un alibi de vertu aux gens riches (sees it as sustaining an unequal society while giving the appearance of virtue to the rich)[60].Son plan d'ducation nationale prserve ces distinctions de classe, l'exception, cependant, des dispositions concernant les [enfants] intelligents. Elle propose en effet qu' Aprs l'ge de neuf ans, les filles et les garons qu'on destine aux tches de la maison ou aux activits de la mcanique, soient orients vers d'autres tablissements scolaires o ils recevront l'ducation approprie leur futur tat. Les jeunes gens plus dous ou socialement favoriss pourraient alors recevoir, dans une autre cole et de faon plus avance, l'enseignement des langues mortes et vivantes, les bases de la science, sans exclure la littrature de bon got[N 11],[61].Accueil critique et postritAccueil initialLors de sa premire publication en 1792, Dfense des droits de la femme reoit de bonnes critiques de lAnalytical Review, du General Magazine, du Literary Magazine, du New York Magazine, ainsi que de la Monthly Review. Pourtant, encore aujourd'hui, persiste l'ide que l'accueil fut plutt hostile[76].La mme anne, paraissent une seconde dition, puis plusieurs aux tats-Unis, et l'ouvrage est traduit en franais. C'est, crit Barbara Taylor, un succs instantan[77]. De plus, des auteurs comme Mary Hays et Mary Robinson se rfrent spcifiquement au texte dans leurs propres uvres. Mary Hays cite Dfense des droits de la femme dans le roman Souvenirs d'Emma Courtney (Memoirs of Emma Courtney) de 1796, et modle ses personnages fminins sur l'idal de Mary Wollstonecraft.Les conservatrices, telle Hannah More, clouent la personnalit de Mary Wollstonecraft au pilori, tout en partageant nombre de ses valeurs. Comme l'a montr Anne Mellor, les deux femmes appellent de leurs vux une socit fonde sur les valeurs chrtiennes de la bienveillance raisonne, de l'honntet, de la vertu, de l'accomplissement du devoir social, de l'conomie, de la sobrit et du labeur (Christian virtues of rational benevolence, honesty, personal virtue, the fulfillment of social duty, thrift, sobriety, and hard work)[78]Au dbut des annes 1790, la place des femmes dans la socit britannique tait devenue un enjeu majeur du dbat d'ides. Ainsi, Anna Laetitia Barbauld et Mary Wollstonecraft firent assaut d'crits, la premire ragissant par des pomes, et la seconde rpliquant par des notes ajoutes ses pages[79].Ractions suite aux Souvenirs de GodwinEn 1798, un an aprs la mort de Mary, son mari, William Godwin, publie un recueil de souvenirs sous le titre Souvenirs de l'auteur de la Dfense des droits de la femme (Memoirs of the Author of A Vindication of the Rights of Woman). Il y rvle certains aspects de sa vie prive, en particulier ses amours, et l'illgitimit de son premier enfant. Il est anim des meilleures intentions, dressant de son pouse un portrait qu'il juge affectueux et sincre, empreint de compassion. Ses contemporains, cependant, voient les choses diffremment: choqus par un style de vie qu'ils jugent dissolu, certains se font un malin plaisir de noircir la rputation de Mary. Ainsi, Richard Polwhele la prend pour cible dans un long pome anonyme, Les femmes asexues (The Unsex'd Females) (1798), qui pourfend l'assurance de soi qu'affichent les femmes de lettres, oppose la figure christique d'Hannah More celle, satanique, de Mary, et, ainsi, fait mouche auprs du public[80]. Le pome a tout autant la faveur de certains critiques. L'un d'eux se rjouit de son ingniosit, de ces saillies d'un esprit la fois badin et sarcastique (playful sallies of sarcastic wit) dcoches contre nos dames prises de modernit (our modern ladies)[81]. D'autres, cependant, le jugent ennuyeux et manquant singulirement de vie (a tedious, lifeless piece of writing[82]).En fait, les ractions correspondent des clivages politiques bien dfinis. L'amalgame est vite fait entre les ides de Mary Wollstonecraft et l'histoire de sa vie; aussi, ses congnres fminins rpugnent dsormais se rfrer elle. Mary Hays, par exemple, nagure si ouvertement partisane de sa Dfense des droits de la femme, prend ses distances et l'omet de son recueil Femmes illustres et clbres (Illustrious and Celebrated Women) de 1803[83]. Maria Edgeworth, dans son roman Belinda (1802), la caricature en fministe radicale sous les traits de Harriet Freke[84]. Pour autant, tout comme Jane Austen, elle ne rejette pas ses ides et acquiesce au propos que les femmes jouent un rle crucial dans le dveloppement de la nation. Les personnages fminins des deux romancires sont minemment rationnels et la recherche d'un mariage fond sur l'estime rciproque entre poux[85].Rvaluation et postritIl faut un sicle pour que les critiques ngatives s'estompent au profit d'une rvaluation de l'uvre de Mary Wollstonecraft. Sa Dfense des droits de la femme doit attendre les annes 1850 pour se voir nouveau publie et, mme cette poque, le livre a une rputation sulfureuse. George Eliot dcrit le prjug diffus en certains milieux qui en fait, bon an mal an, un livre rprhensible, mais les lecteurs qui franchissent le pas seront surpris de son grand srieux, de sa morale trs stricte et mme quelque peu rebutante (there is in some quarters a vague prejudice against the Rights of Woman as in some way or other a reprehensible book, but readers who go to it with this impression will be surprised to find it eminently serious, severely moral, and withal rather heavy)[86]. La suffragiste[N 14] Millicent Garrett Fawcett, dans l'introduction qu'elle rdige pour l'dition du centenaire, blanchit la rputation de Mary, en laquelle elle voit un prcurseur de la lutte pour l'obtention du vote des femmes[87].