Tempus fugitSiana

Tout est enfin prêt. Je pense n’avoir rien laissé au hasard. Le stress ne me détournera pas de

mon but, ma concentration doit être totale. Si l’expérience réussit, elle nous offrira tant de

possibilités ! Tous me prennent pour un fou, mais bientôt ils devront reconnaître mon génie !!!

J’attends cela depuis des années, rien ne m’empêchera de mener à bien le test prévu

aujourd’hui.

Le cobaye est entré à 16h12. Comme à son habitude, il a mis la bouilloire en marche pour

préparer une théière, aujourd’hui de sencha. Je peste intérieurement, pourvu que l’eau soit assez

chaude. Si seulement cette garce avait préféré du pu-er ! Non, non, cela va marcher, cela DOIT

marcher. J’ai eu tant de mal ce matin à glisser subrepticement la poudre dans la bouilloire…

Son élaboration, entre la théorie et la quête des ingrédients n’a pas été sans risque ni

sacrifice… Tout mon temps libre des derniers mois lui a été consacré. J’ai foi en sa composition et en

mon plan.

Ah, la voilà qui verse l’eau dans la théière !!! Elle ne se rend compte de rien. Parfait. Pour une

fois, sa distraction m’est bien utile.

16h23, le cobaye s’est installé devant son ordinateur, a ouvert le fichier sur lequel il travaille,

mais prend le temps de consulter ses mails. Je ne peux m’empêcher de tourner en rond, la fébrilité

s’empare de moi et me hérisse le poil.

Foutredieu, bois ce fichu thé !!!

Elle prend la tasse, le verse, nous y sommes presque !

Elle fait une drôle de tête, pourvu que le goût ne l’alerte pas. Et si elle n’en buvait pas assez ?

Cette idiote aurait vraiment dû choisir du pu-er… Si elle met tous mes efforts à mal, elle me le paiera,

je le jure sur ma moustache !

La voilà qui se plonge dans son travail, cela va me faciliter les choses si toutefois elle a

ingurgité assez de potion.

16h29, l’attente me rend fou. Elle ne semble pas décidée à boire plus, ses fichues corrections

l’obnubilent, et je ne peux risquer que les effets s’estompent, il va falloir prononcer l’incantation et y

croire de toutes mes forces.

Je la dis avec ferveur, la voix plus rauque que jamais… Et rien ne se produit.

Le désespoir menace de m’envahir, quand soudain j’aperçois le miracle se dérouler sous mes

yeux : le ciel s’assombrit à toute vitesse. Je hurle ma joie et l’humaine sursaute. Elle prend conscience

de la pénombre nouvelle, regarde l’heure au coin de son écran et glapit.

— 19h32 !!! Bon sang, mais qu’est-ce que j’ai fait tout ce temps ? J’ai à peine avancé.

Saloperie de Facebook !

Je jubile intérieurement, le cerveau de l’humaine a trouvé d’emblée une explication logique

qui m’arrange bien. Ils sont si hermétiques à toute forme de magie… Elle s’étire et je miaule en me

frottant à ses jambes pour lui faire prendre conscience de ma présence.

— Ah, tu es là toi, réglé comme du papier à musique. Tu dois avoir faim mon gros. J’arrive

tout de suite.

Pour aujourd’hui, servante, je vais te pardonner de m’avoir traité de gros. Trois heures ! J’ai

réussi à faire avancer le temps de trois heures ! Je m’en frotterais les pattes de contentement. Mon

voisin Peluche, cet imbécile bouffeur de piafs, devra se rendre à l’évidence, mes théories étaient

exactes, plus jamais l’heure du repas ne me sera inaccessible. Quelle avancée pour ma race !

Va petite servante, va ! J’ai trouvé un bon moyen de te ramener à tes priorités. Ton temps

m’appartient.