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PSYCHIATRIE ET PSYCHOLOGIE ddficits staturaux infanto-juvdniles par influence psychosomatique L. KREISLER Des gdn6rations de p(~diatres, et non des moindres, ont railld les relations psychologiques d'enfants qui cessent de gran- dir parce qu'ils sont des mal- aim~s. Certains, organicistes purs et durs, le nient encore ou n'y voient que de I'excep- tionnel, n6gligeable dans la pratique. Les faits d~montrent pourtant jusqu'~ 1'6vidence caricaturale, la participation de I'environnement affectif dans les alias de la croissance sta- turale. L E syndrome d~finit les petites tailles patho- logiques dont l'~tiologie ~chappe ~tune cause organique et fi une insuffisance nutrition- nelle. Leur origine psychoaffective est recon- nue dans la litt~rature sous de nombreuses appella- tions dont la plus r~pandue est le ,, nanisme psycho- social ,>. Ce terme est doublement contestable car le d~ficit statura] ne confine pas toujours au nanisme et d'autre part l'insuffisance sociale est loin d'Stre la r~gle. Notre but, limit~ et precis, est de situer la patholo- gie de la croissance dans les perspectives psychoso- matiques actuelles [4]. C'est dans cet esprit qu'il convient d'analyser successivement, pour les res- saisir finalement dans ]eur globalitd: Le syndrome, ses caract~ristiques cliniques et ' " phy h 1 giq ses mecamsmes siopat o o ues. * La psychopathologie de l'enfant, cernde ~lecti- vement dans ses rapports fi la vuln~rabilit~ psycho- somatique et aux m~canismes mentaux de la soma- tisation, notamment la d~pression. Les conditions traumatiques, g~n~ratrices d'in- teracdons d~sorganisantes du point de vue psycho- somatique. La personne-cl~ de la relation et ses caract~ris- tiques mentales, les conditions familiaies et sociales. Ces donn~es g~n~rales, qui gouvernent l'investiga- tion psychosomatique de tout enfant, trouvent dans notre sujet une illustration singuli~re ~ tel point que Yon a pu faire du nanisme par souffrance psychologique un module de la pathologie psycho- somatique infantile [3]. Comit~ de lecture Article re cu le 6/04/90. Accept~ le 15/05/90. Journal de PEDIATRIE et de PUI~RICULTURE n ~ 6-1990 L. KREISLER, H6pital de I'lnstitut de Psychosomatique, 1, rue de la Poterne des Peupliers, 75013 Paris. R6seau INSERM ~< Psychiatrie du Nourrisson ~>. 349

déficits staturaux infanto-juvéniles par influence psychosomatique

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Page 1: déficits staturaux infanto-juvéniles par influence psychosomatique

PSYCHIATRIE ET PSYCHOLOGIE

ddf ic i ts s t a t u r a u x i n f a n t o - j u v d n i l e s par i n f l u e n c e p s y c h o s o m a t i q u e L. K R E I S L E R

Des gdn6rations de p(~diatres, et non des moindres, ont railld les relations psychologiques d'enfants qui cessent de gran- dir parce qu'ils sont des mal- aim~s. Certains, organicistes purs et durs, le nient encore ou n'y voient que de I'excep- tionnel, n6gligeable dans la pratique. Les faits d~montrent pourtant jusqu'~ 1'6vidence caricaturale, la participation de I'environnement affectif dans les alias de la croissance sta- turale.

L E syndrome d~finit les petites tailles patho- logiques dont l'~tiologie ~chappe ~t une cause organique et fi une insuffisance nutrition- nelle. Leur origine psychoaffective est recon-

nue dans la litt~rature sous de nombreuses appella- tions dont la plus r~pandue est le ,, nanisme psycho- social ,>. Ce terme est doublement contestable car le d~ficit statura] ne confine pas toujours au nanisme

et d'autre part l'insuffisance sociale est loin d'Stre la r~gle. Notre but, limit~ et precis, est de situer la patholo- gie de la croissance dans les perspectives psychoso- matiques actuelles [4]. C'est dans cet esprit qu'il convient d'analyser successivement, pour les res- saisir finalement dans ]eur globalitd:

�9 Le syndrome, ses caract~ristiques cliniques et ' " phy h 1 giq ses mecamsmes siopat o o ues.

* La psychopathologie de l 'enfant, cernde ~lecti- vement dans ses rapports fi la vuln~rabilit~ psycho- somatique et aux m~canismes mentaux de la soma- tisation, notamment la d~pression.

�9 Les conditions traumatiques, g~n~ratrices d'in- teracdons d~sorganisantes du point de vue psycho- somatique.

�9 La personne-cl~ de la relation et ses caract~ris- tiques mentales, les conditions familiaies et sociales. Ces donn~es g~n~rales, qui gouvernent l'investiga- tion psychosomatique de tout enfant, trouvent dans notre sujet une illustration singuli~re ~ tel point que Yon a pu faire du nanisme par souffrance psychologique un module de la pathologie psycho- somatique infantile [3].

Comit~ de lecture Article re cu le 6 /04 /90 . Accept~ le 15/05/90.

Journal de PEDIATRIE et de PUI~RICULTURE n ~ 6-1990

L. KREISLER, H6pital de I ' lnst i tut de Psychosomat ique, 1, rue de la Poterne des Peupliers, 75013 Paris. R6seau INSERM ~< Psychiatrie du Nourrisson ~>.

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La litt&ature du syndrome est importante, comme il appara~t dans une analyse critique r~cente [1]. I1 est entrd dans la connaissance p~diatrique d~s les armies 1945 aux USA (Talbot, Bakwin) et plus tard en France grace ~t Rappaport et coll., Ponte et coll. Longtemps, seuls les ddficits staturaux majeurs ont attir~ l'attention, par l'dvidence des conditions traumatiques et la reprise de la crois- sance, spectaculaire, d~s que l'enfant est retir~ de son milieu familial. Ce sont les formes sdv~res classiques que nous d~crirons d'abord.

le v e r s a n t s o m a t i q u e

Les donn~es cliniques et biologiques peuvent ~tre condens~es ainsi: �9 Le syndrome recouvre toute la p&iode de la crois- sance, du nourrisson ~ l'adolescent compris. I1 ne semble pas exister de prevalence sex ratio.

�9 Le retard statural important, sup~rieur ~ trois d~viations standard, allant parfois jusqu'~ 7 ou 8 DS. I1 s'agit d 'un nanisme harmonieux, sans rnai- greur ni obesitY. La morphologie est parfois, mais non toujours, ~vocatrice d'une insuffisance en hor- mone de croissance. L'~ge osseux correspond sou- vent ~ la taille. La cassure de la courbe staturale est un marqueur pr~cieux du d~but des impacts psychopathog~nes. �9 La reprise de la croissance, immediate et rapide (jusqu'~l 10 cm en quelques mois) d~s que l'enfant est soustrait ~t l'ambiance pathologique et la r~ci- dive de la stagnation quand il y retourne ; v~rita- ble ~preuve diagnostique pour de nombreux p~diatres.

�9 Du point de vue biologique, on constate un blo- cage hormonal hypophysaire, rapidement rdversi- ble apr~s la s~paration. I1 avait longtemps dchapp~ aux investigauons car c'est le jour m~me de l'hos- pitalisation que les dosages doivent ~tre effectu~s. Fait remarquable, l'injection substitutive d'hormone somatotrope n'influence en rien la croissance, si l'enfant rest e soumis aux conditions familiales patho- genes.

Ajoutons que sauf dans un but de recherche, rien n'oblige d'asseoir le diagnostic sur des preuves biologiques car l'essentiel du syndrome est d'ordre clinique. D'autres modalit~s d'expression somatique sont souvent associ~es : polydipsie et boulimie, troubles digestifs avec distension abdominale, constipation opini~tre, m&ycisme, les troubles du sommeil sur- tout. On a pu objectiver des alt&ations profondes de la fonction hypnique, une disparition presque totale du sommeil lent, affectant surtout les pha- 350

ses III et IV du sommeil profond. L 'EEG peut se r~gulariser d~s la s~paration -- comme la reprise de la sdcr~tion hormonale --. La connaissance des relations entre le sommeil lent et la s~crdtion de l 'hormone somatotrope a suscit~ des hypotheses int&essantes (Wolff, Money, Guilhaume)[2].

le v e r s a n t m e n t a l

Les caract&istiques psychologiques de l'enfant r~sul- tent de carences affectives s~v~res, doubl~es de malmenages moraux et parfois physiques, dans des conditions que l 'on a pu comparer fi celles des enfants victimes de sdvices.

Les tableaux psychocliniques sont varids mais con- tiennent constamment deux ~ldments essentiels:

�9 D'une part de graves d~sordres de l'organisation psychoaffective qui inscrivent l'enfant dans des structures hautement vuln~rables vis-a-vis de la d~sorganisation psychosomatique. �9 D'autre part une d~pression, m~canisme mental majeur de la somatisation.

L'~ge leur conf~re des particularit~s likes aux stades ~volutifs du d~veloppement: �9 Chez le bSbd jeune: l'indiff&ence, l'absence du rite et du sourire, la pauvret~ des vocalisations ; le regard vide, qui se d~tourne ~l l 'approche des personnes, l'abrasion des conduites de competence et de communication sociale. �9 Entre 6 et 18-24 mois : les sympt6mes indicateurs de l'incapacitd ~t construire un attachement indivi- dualis~ ~t la m~re, faille fondamentale dans la cons- truction affective de la personnalit~ et caract&isti- que du ,~ comportement vide ~ (Kreisler 1981, 1987). Les principaux indices en sont : l'absence d'inqui~-

" �9 '" ' ^ objets inanim~s rude face ~ 1 etranger, 1 mteret aux plus qu'aux personnes qui sont englobdes dans l e A �9 �9 , meme anonymat, la pauvret~ des actlvttes auto- ~rotiques orales et transitionnelles. Ces b~b~s se signalent parfois par une hyperactivit~ d~bordante.

�9 Dks la f in de la deuxikme annde se confirment les caract~ristiques structurelles du fonctionnement comportemental. Le faire et l'agir envahissent l'ex- pression clinique. Les activit~s sont monotones, pauvres et vides, privies d'imaginaire et de fantas- matisation, purement attachdes fi la mat&ialit~ du factuel, op~ratoires pour tout dire. Le comporte- merit vide est variable: tant6t calme dans l'isole- ment ou des errances diurnes et parfois nocturnes curieuses, tant6t et souvent agressif ou encore mar- qu~ de singularit~s comme dans ces observations o6 l'oralit~ est jetde crt~ment dans le passage l'acte de boulimies et de polydipsies qui poussent

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l'enfant fi absorber, sans discernement, des quanti- tds incroyables d'aliments et de boissons : ,< une miche de t~ajn enti~re, une boTte de farine et six ceufs, la patee du chien, l'eau de vaisselle ou des flaques... >, (Powell). Ces troubles disparaissent souvent ~t la s~paration, remplac~s par des conduites de qu~te affective dont l'intensit~ r~pdtitive est frappante pour les person- nels hospitaliers et institutionnels. Notons que la structure comportementale a ~t~ une des premieres d~crites, dans les aptitudes ~l la d~sorganisation psychosomatique [3], [4]. Les troubles les plus graves de l'organisation affective [5] touchent la plupart des secteurs du ddveloppement : la motricit~, le langage, la sphere cognitive, l'organisation temporo-spatiale. I1 peut en r~sulter une apparence d'insuffisance intellec- tuelle et de sdrieuses difficult~s scolaires ult~rieu- res. Frappants peuvent ~tre les d~fauts de l'identit~

y compris l'identit~ de genre, remarquablement observ~e en fr~quence et en durde; des enfants d~j~l grands, incertains sur leur appartenance sexuelle.

prdvalence de la ddpression

Qu'il s'agisse du comportement vide ou de trou- bles encore plus graves de l'organisation affective, la composante d~pressive est fr~quente et m~me constante dans nos observations. Cette constata- tion renvoie fi l'id~e maTtresse des conceptions psychosomatiques contemporaines qui font de la ,< d~pression essentielle >>, d~crite par Marty chez l'aduhe, un processus mental majeur de la somati~ sation ~. tous les ~.ges de la vie y compris chez l'enfant et le nourrisson (Kreisler 1981, 1989)[5].

DEUX OBSERVATIONS A TITRE D'EXEMPLE

Observation 1. -- Arr~t de la croissance, eczdma gdn~ralisd. D~pression majeure du nourrisson.

Un petit garcon nous avait 6tb adress~ b I'IPSO I'~ge de 13 mois pour ecz6ma facial et corporel

qui s'6tait install6 rapidement b I'~ge de 9 mois. En m~me temps s'~tait produite une cassure de la courbe staturale : il n'avait pas pris un centim~- tre dans les quatre derniers mois. Non moins frap- pante avaient ~t~ les modifications du comporte- ment, rapides, profondes, globales. II 6tait devenu inactif et indiff6rent, m~me ~ sa m~re, restant de longs moments de la journ6e absent et inerte. Cette triade symptomatique -- I'arr~t de la crois- sance, I'ecz6ma, la d~pression -- s'~tait produite en m~me temps qu'une d~pression s~v~re de la m~re. Celle-ci fut trait~e et prise en psychoth~ra- pie conjointe avec son b~b~. En quelques semai- nes, le b~b~ devait recouvrer tonus et gaiet~ en m~me_temps que I'ecz~ma s'effa,cait et que la croissance red~marrait. II s'agissait pour la m~re d'une d~pression exog~ne li~e & un traumatisme, dans une structure n~vrotique mobilisable.

Observation 2. -- Retard massif de la crois- sance. Comportement vide et d~pression.

Marc nous avait ~t~ montr~ pour suspicion de nanisme PsVchosocial. A 3 ans, il avait la taille d'un enfant de 18 mois, gracile, aux traits fins et d~licats, de proportions corporelles harmonieu- ses. La cassure de la courbe staturale s'~tait pro- duite ~ I'~ge de 11 mois, en coi'ncidence avec

un placement familial, oe il se trouvait encore au moment de I 'examen. Abandonn~ par sa m~re, ce placement avait 6t~ demand~ ~ la suite d'un long s~jour en pouponni6re.

On ~tait frapp~ par sa passivit6, son indiff6rence et sa tristesse. ~< II semble porter sur lui la pau- vret~ du monde ~, disait I 'assistante sociale qui I 'accompagnait. On ne le voyait jamais rire ni pleu- rer, m~me pas pour les prises de sang. La nourrice ~tait d6crite comme perfectionniste et rigide. A plusieurs reprises, des ecchymoses avaient 6t6 remarqu~es sur le corps de I'enfant, sans explica- tion credible.

Au cours de la consultation se faisaient jour les particularit6s du comportement vide : un contact trop facile et anonyme avec les personnes pr6sen- tes. L'assistante sociale le confirmait : << il suivait n' importe qui ~>. Les activit~s ludiques 6taient sui- vies et coh~rentes, mais r6p~titives, sans la moin- dre impulsion imaginaire, motiv~es par I'encha?ne- ment factuel des situations mat~rielles. II en r~sul- tait une impression p6nible de vide affect i f et de comportements monotones.

La consultation pr~c6dait de peu la remise de Marc dans une famille candidate ~ son adoption. Deux mois apr~s, il avait gagn6 plusieurs centim~tres, il avait fallu changer deux fois ses chaussures !... Le comportement s'6tait normalis6 avec des mar- ques d 'at tachement 61ectifs ~ son adoptante. Le nouvel enfant du d6sordre psychosomatique [3].

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cond i t ions pathog nes personna l i tds m a t e r n e l l e s

Les interactions pathog+nes ne sont pas univoques. Les plus typiques introduisent dans la relation deux sortes d'anomalies dont l'association est signi- ficative ~ notre avis. �9 D'une part, des insuffisances quantitatives et chro- niques de l'attachement, g6ndratrices d'une frustra- tion permanente, l 'enfant laiss~ ~t lui-m~me, priv~ non seulement de stimulations mais des apports affectifs fondamentaux. �9 D'autre part, des incohdrences, inductrices de d6sar- roi et de d&resse. L'enfant est tantSt abandonn6, tantSt submerg6 de contraintes brusques sinon vio- lentes. ,, Les discontinuitds qui envahissent la vie de l'enfant sont quotidiennes, ressenties par l'en- fant comme une suite de mini abandons ,, (M. Da- vid). Ces enfants oscillent entre le rejet et la sou- mission )l des conduites qui passent des malmena- ges ~t des contacts corporels, d'une pression d6bor- dante et d'une grande cruditd sensuelle. L'ambi- guftd des sentiments maternels alterne entre l'inca- pacit6 d'un contact et le besoin narcissique de captation.

Du point de vue e'conornique, l'interaction peut 8tre d&rite en terme de sornmations ddsorganisantes inten- ses, permanente, hors de toute possibilitd de d~tente, fut-elle passag~re. Cet aspect traurnatique pourrait rendre cornpte de la r~gression instantan~e des trou- bles, dbs la levde des contraintes.

Des insuffisances fondamentales affectent la m~re (ou son substitut) dans ses aptitudes ~ investir son enfant, ~ reconnakre ses besoins et y pourvoir, bref ) exercer une ,, fonction maternelle ,, d'une qualit6 suffisante. Comme pour les enfants victimes de s6vices, le nanisme de d&resse a pu nous 6clairer beaucoup sur les d6viances des sentiments maternets et paren- taux. I1 ne nous appartient pas de les juger mais de les comprendre en vue du traitement. Beaucoup de ces femmes ont elles-m4mes souffert dans leur enfance de carences graves, de malmena- ges et parfois de sdductions et de violences, toutes circonstances qui se reproduisent dans une r@&i- tion transgdndrationnelle. Leur personnalit6 est marqu6e de failles narcissi- ques profondes qui les incitent ~l projeter leurs probl~mes sur l'enfant, d~s lors re~u comme un objet impersonnel, insatisfaisant et hostile. Ces failles s'inscrivent dans des structures varia- bles, tant6t n6vrotiques et mobilisables, tant6t carac- t6rielles, d'une rigidit6 intraitable ou encore corn- 3 5 2

portementales, off le faire et l'agir s'exercent hors de route intuition maternelle. Sous des formes diverses se dessine la trame de personnalitds vuln~rables, ~i tendance d@ressive. Ce sont parfois des d@ressions typiques, avec id6es suicidaires, plus souvent des d@ressions masqu6es, accompagn6es de somatisations.

i n f luences famiUales et socia les

Les conditions socio-familiales d6favorables jouent un rSle certain mais non pas g~n~ralisd, comme la nomination de ,, nanisme psychosocial ,, pour- rait le faire croire. Elles appellent des pr6cisions.

L'analyse des situations ~i risques r6v~le des parti- cularit~s propres ~ chaque cas: enfant mal venu dans le chSmage, famille nombreuse, isolement de la m6re, d6sertion du conjoint, etc. I1 serait f~cheux de les mdlanger dans un fourre-tout social. Un seul enfant de la fratrie est touch6, v6ritable enfant-cible du rejet et des malmenages; ce qui souligne l'individualitd des probl6mes. I1 en rdsulte que l'essentiel se trouve dans la fragi- litd des personnalitds maternelles, &ant bien entendu que les situations socio-familiales p6nibles peuvent &re d6cisives ou les faire basculer dans les compor- tements pathog~nes.

v a r i a n t e s c l in iques

En m~me temps que les investigations psychiatri- ques se multiplient et s'affinent apparaissent de plus en plus souvent des cas qui s'~cartent d~lib~r~- ment de la description qui vient d'&re donn~e. �9 Des farnilles de niveaux sociocuhurel et &onorni- que normaux, voire ~lev~s.

�9 Des enfants dont la psychopathologie est de type ne'vrotique, porteuse des caract~ristiques que nous avons reconnues dans les troubles n~vrotiques risque psychosomatique [3]: angoisses real dlabo- r~es, fonctionnements instables et irr~guliers, r@res- sions des instances agressives, blocage des proces- sus d'individuation et d'autonomisation... Comme la structure comportementale, ces structures n~vro- tiques particuli~res sont expos~es ~l la d@ression. �9 Des personnalitds maternelles tr~s diff~rentes des abandonniques esquiss~es pr~c~demment. Ce sont souvent des ndvroses de ' ' par caractere, marquees un besoin de toute puissance et de makrise. Par

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des comportements abrupts ou subtils, ces femmes contiennent leur enfant dans une emprise inflexi- ble, jusqu'~ l'exclusion du p~re, celui-ci plus ou moins ouvertement complice de cette main-mise. �9 Des interactions domindes par la rigiditd et la contrainte qui s'exerce fi l 'encontre des aspirations naturelles de l'enfant, ses besoins de sEcuritE et d'autonomie. Une observation tirEe d'un travail dEjfi cite [1] mon- tre dans sa singularitE, ~i quel point la personnalitE enti~re de l'enfant peut ~tre touchEe, jusqu'~i l'iden- titE sexuelle m~me, dans ce cas.

Un preadolescent de 12 ans de trbs petite tai l le, - 5 DS, dont la cassure staturale s'dtait produite & 6 ans, appar tenant & un mi l ieu socio-culturel elev~, pr~sentait les caract~ristiques psychologi- ques du << syndrome du jeune gar.con e f femine , , avec le risque 6vo lu t i f connu vers une deviance sexuelle telle que le t ransexual isme. L 'enfant s'iden- tifiait aux aspirations de sa mere. Elle ~tai t non seulement contraignante mais d'une proximit~ sen- suelle envahissante, comme animde par le d~sir de garder & sa devot ion un eternel petit enfant fa.conne ~ sa propre image, une femin i te toute narcissique, hors de I'influence paternelle.

�9 Des anorexies mentales de l'adolescence ont EtE sig.nalEes dans le cours Evolutif de nanismes psycho- g~nes qui touchent au refus d'accEder fi une fEmi- nitE adulte.

Beaucoup des variantes cliniques appartiennent ~i la pathologie psychosomatique de la contrainte. Celle-ci trouve son point d'impact dans des struc- tures infantiles fragiles, certes nEvrotiques mais

risque de dEsorganisation somatique, par le mEca- nisme de la ,, depression essentielle >, qui court- circuite les defenses mentales.

q u e s t i o n s o u v e r t e s

Les points sensibles des controverses sont: �9 limites du syndrome Les positions rigoureuses n'acceptent le diagnostic que sur l'Epreuve de la separation et du placement. A l'opposE se trouvent les partisans de l'influence psychosomatique dans la plupart des retards dits idiopathiques de la croissance staturale. �9 formes de la petite enfance Parfois contestEes, elles paraissent pourtant fiE- quentes. Elles gagneront ~l ~tre ElucidEes fi la lumi~re des connaissances nouvelles sur la psychosomati- que du nourrisson (l'observation 1 en est un exemple). Journal de PI~DIATRIE et de PUI~RICULTURE n ~ 6-1990

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�9 ~preuve de la s~paration Spectaculaire et convaincante lorsqu'elle est posi- tive, elle ne peut ~l notre avis Eliminer le diagnostic lorsque la croissance n'est pas influencEe par le placement. �9 m~canismes du freinage de l'hormone de croissance Le r61e des perturbations de la fonction hypnique est une hypoth~se sEduisante (voir plus haut), mais il pourrait s'agir d'une correlation conjointe plus que d'un dEterminisme. REcemment, des mEcanis-

/ / i I mes auto-immuns ont ete evoques. Ils concordent avec les relations dEcrites entre la depression men- tale et les immuno-dEpressions. Cette voie pleine de promesse reste ~ dEmontrer. �9 caract~ristiques mentales Elles ne sont pas univoques et l 'on a voulu arguer de cette variEtE pour discuter nos conceptions. Or, celles-ci sont prEcisEment fondEes sur la cons- tatation qu'il n'est pas de portrait psychosomati- que robot mais bien des personnalitEs fragiles de formes diverses et des mEcanismes dEsorganisants en particulier la depression et la surcharge d'excita- tion par le stress, qui dEbordent les defenses men- tales.

d 6 d u c t i o n s t h 6 r a p e u t i q u e s

Les petites tailles par souffrance psychologique appartiennent ~ la pathologie psychosomatique de

, �9 ! ! �9 �9 1 1 enfant mal alme, malmene et gravement morgamse. Les deviances de l'investissement maternel entrat- nent des deviances interactives qui apparaissent en proportions variables selon les cas. Elles sont de deux ordres principaux: �9 Une insuffisance quantitative et chronique de l'attachement inductrice de carences affectives. �9 Des incohErences, provocatrices de stress itEra- tifs, gEnErateurs de sommations intenses et haute- ment dEsorganisantes pour l'Equilibre affectif qui dEfinit l'homEostase psychosomatique. Cette determination Etiologique bipolaire est asso- ciEe dans les formes les plus sEv~res, qui sont aussi les plus frEquentes dans la pratique hospita- li~re, d'o6 le recours habituel et oblige aux mesu- res de separation dans ces cas. Les progr~s de l'abord psychiatrique du syndrome conduisent fi la dEcouverte de formes, non plus marquees par des insuffisances relationnelles, mais par des deviances interactives qui nous introdui- sent fi la pathol0gie psychosomatique de la con- trainte et de la surcharge, hautement prEjudiciable

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la libert~ mentale. Ces variantes cliniques ouvrent la possibilit~ d'actions psychoth~rapiques en ~vi- tant les s~parations ; sans m~connattre les grandes difficult~s inh~rentes aux r~sistances maternelles. Dans ces formes comme dans les autres apparais- sent chez les enfants des composantes d~pressives pr~valentes.

Le probl~me de l'influence psychosomatique dans les retards staturaux dits idiopathiques est ouvert. La prophylaxie pr~coce rejoint les mesures preven- tives et th~rapeutiques de la psychiatrie du nour- risson, discipline nouvelle o6 le p~diatre est engag~ en premiere intention. []

B i b l i o g r a p h i e

1. CHAMPION M.H. -- Controverses & propos du nanisme psychosocial. Dipl6me d'6tudes sp6ciali- s~es en psychiatrie. Facult~ de M~decine Xavier Bichat, 1989.

2. GUILHAUME A . , BENOIT O . , RICHARDET J.M. -- Ddfi- cit en sommeil lent profond et nanisme de frus- tration. Arch. Fr. de Pddiatrie, 38, 25, 1980.

3. KREISLER L. -- Retard de croissance par souf- france psychologique. Nanisme de d6tresse. Le nouvel enfant du d~sordre psychosomatique, 177-89, Toulouse, Privat, 1987.

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