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Gilles Deleuze cours du 10/11/1981- Première parti Ce que je voudrais faire cette année, pour que vous compreniez, surtout que vous sachiez, s’il convient que vous veniez, que vous veniez encore. Eh bien voilà, d’une certaine manière, je voudrais faire trois choses. Je voudrais faire trois choses différentes, même très différentes en apparence, et je voudrais que chacune de ces choses vaille par elle-même : Première chose, je voudrais vous proposer une lecture d’un livre de Bergson, à savoir "Matière et mémoire". Pourquoi ce livre de Bergson ? Parce que je suppose, je crois, que c’est un livre très extraordinaire, non seulement en lui-même mais dans l’évolution de la pensée de Bergson."Matière et mémoire", c’est le second grand livre de Bergson, après "l’Essai sur les données immédiates [de la conscience", le troisième grand livre sera "L’évolution créatrice". Or, dans l’évolution de la pensée bergsonienne, on dirait - et pour ceux qui ont déjà lu ou pris un peu connaissance de ces livres de Bergson, peut-être vous avez déjà eu cette impression - on dirait que "Matière et mémoire" forme pas du tout, ne s’inscrit pas dans une espèce d’enchaînement progressif, mais qu’il forme une très bizarre, un très bizarre détour, comme une pointe extrême. Pointe tellement extrême que peut- être Bergson atteint là quelque chose, que pour des raisons que nous aurions à déterminer, il renoncera à exploiter, qu’il renoncera à poursuivre, mais qui marque un sommet extraordinaire dans sa pensée, et dans la pensée tout court. Ça, c’est un point, voilà. "Matière et mémoire", j’ai envie de vous parler de ce livre. Deuxième point, j’ai envie aussi cette année de vous parler d’un autre très grand livre, beaucoup plus ancien, à savoir "la Critique du jugement" de Kant. Et la "Critique du jugement" de Kant, c’est un livre où Kant dit ce qu’il pense, ce qu’il estime devoir dire, sur le Beau et d’autres choses au- delà du Beau ou autour du Beau. Et cette fois, je dirais de ce livre aussi que c’est un sommet pas seulement pour la pensée en générale, mais pour la pensée kantienne. Parce que, pas tout à fait de la même manière que "Matière et mémoire" qui représente une espèce de rupture dans une évolution, cette fois-ci, c’est presque lorsqu’on s’y attendait plus. La "Critique du jugement", c’est un des rares livres écrits par un vieil homme, à un moment où pratiquement il a fait toute son œuvre. D’une certaine manière on n’attendait plus grand chose de Kant, très vieux, très vieux... Et voilà que, après les deux critiques qu’il avait écrites : "Critique de la raison pure", "Critique de la raison pratique", survient tout d’un coup ce dont personne n’avait l’idée que ça pouvait être, la "Critique du jugement", qui va fonder quoi ? Qui va fonder une très bizarre esthétique, sans doute la première grande esthétique, et qui va être le plus grand manifeste à la charnière de l’esthétique classique et du Romantisme naissant. Voyez, je dirais que c’est là aussi un livre sommet, bon, mais pour d’autres raisons et dans une autre configuration que "Matière et mémoire". Tout ça, ça n’a pas l’air de bien

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  • Gilles Deleuze cours du 10/11/1981- Premire parti

    Ce que je voudrais faire cette anne, pour que vous compreniez, surtout que vous sachiez, sil

    convient que vous veniez, que vous veniez encore. Eh bien voil, dune certaine manire, je

    voudrais faire trois choses. Je voudrais faire trois choses diffrentes, mme trs diffrentes en

    apparence, et je voudrais que chacune de ces choses vaille par elle-mme :

    Premire chose, je voudrais vous proposer une lecture dun livre de Bergson, savoir "Matire et

    mmoire". Pourquoi ce livre de Bergson ? Parce que je suppose, je crois, que cest un livre trs

    extraordinaire, non seulement en lui-mme mais dans lvolution de la pense de Bergson."Matire

    et mmoire", cest le second grand livre de Bergson, aprs "lEssai sur les donnes immdiates [de

    la conscience", le troisime grand livre sera "Lvolution cratrice". Or, dans lvolution de la

    pense bergsonienne, on dirait - et pour ceux qui ont dj lu ou pris un peu connaissance de ces

    livres de Bergson, peut-tre vous avez dj eu cette impression - on dirait que "Matire et mmoire"

    forme pas du tout, ne sinscrit pas dans une espce denchanement progressif, mais quil forme une

    trs bizarre, un trs bizarre dtour, comme une pointe extrme. Pointe tellement extrme que peut-

    tre Bergson atteint l quelque chose, que pour des raisons que nous aurions dterminer, il

    renoncera exploiter, quil renoncera poursuivre, mais qui marque un sommet extraordinaire dans

    sa pense, et dans la pense tout court. a, cest un point, voil. "Matire et mmoire", jai envie de

    vous parler de ce livre.

    Deuxime point, jai envie aussi cette anne de vous parler dun autre trs grand livre, beaucoup

    plus ancien, savoir "la Critique du jugement" de Kant. Et la "Critique du jugement" de Kant, cest

    un livre o Kant dit ce quil pense, ce quil estime devoir dire, sur le Beau et dautres choses au-

    del du Beau ou autour du Beau. Et cette fois, je dirais de ce livre aussi que cest un sommet pas

    seulement pour la pense en gnrale, mais pour la pense kantienne. Parce que, pas tout fait de la

    mme manire que "Matire et mmoire" qui reprsente une espce de rupture dans une volution,

    cette fois-ci, cest presque lorsquon sy attendait plus. La "Critique du jugement", cest un des rares

    livres crits par un vieil homme, un moment o pratiquement il a fait toute son uvre. Dune

    certaine manire on nattendait plus grand chose de Kant, trs vieux, trs vieux... Et voil que, aprs

    les deux critiques quil avait crites : "Critique de la raison pure", "Critique de la raison pratique",

    survient tout dun coup ce dont personne navait lide que a pouvait tre, la "Critique du

    jugement", qui va fonder quoi ? Qui va fonder une trs bizarre esthtique, sans doute la premire

    grande esthtique, et qui va tre le plus grand manifeste la charnire de lesthtique classique et du

    Romantisme naissant. Voyez, je dirais que cest l aussi un livre sommet, bon, mais pour dautres

    raisons et dans une autre configuration que "Matire et mmoire". Tout a, a na pas lair de bien

  • saccorder.

    Et puis, troisime point, je voudrais aussi faire quelque chose concernant, je pourrais dire, limage

    et la pense, ou plus prcisment concernant le cinma et la pense. Mais en quoi, voil ma

    question, en quoi ce nest pas trois sujets ? Si jinsiste, pourtant - je voudrais dune certaine manire

    - cest pour a que toute cette anne, jattacherai beaucoup dimportance, pour nous faciliter les

    choses tous, des espces de divisions. Jannoncerai par exemple que telle sance, cest limage

    chez Bergson, telle autre sance, cest tel aspect du cinma, etc. Je multiplierai des divisions, l,

    comme quantitatives : I, II... pour que vous sachiez, pour que vous suiviez plus facilement o on va.

    Car ce que je voudrais, comprenez-moi, cest finalement que chacun de mes trois thmes vaille pour

    lui-mme et pourtant que tout a sentrelace absolument. Que a fasse vraiment une unit, cette

    unit tant finalement : cinma et pense. Or, pourquoi a ferait une unit ? Voil ma question.

    Pourquoi trois choses aussi diffrentes : "Matire et mmoire" de Bergson, la "Critique du

    jugement" de Kant et une rflexion sur pense et cinma, pourquoi a sunifierait ?

    Quant Bergson, je rponds tout de suite que, en effet, cest assez simple, la situation est assez

    simple. Pourquoi ? Je prends quelques dates qui importent :" Matire et mmoire", 1896 ; le livre

    suivant de Bergson, "Evolution cratrice", 1907. "Lvolution cratrice" est, ma connaissance, le

    premier livre de philosophie tenir explicitement et considrablement compte du cinma. Au point

    que le quatrime chapitre de "Lvolution cratrice" de 1907 sintitule : Le mcanisme

    cinmatographique de la pense et lillusion mcanistique . En 1907, cest quand mme trs tt

    cette prise en compte du cinma. Bon. "Matire et mmoire", cest 1896. La date, la date ftiche de

    lhistoire du cinma, savoir la projection Lumire, la projection Lumire Paris, cest : dcembre

    1895. Je peux dire en trs gros que Bergson ne peut pas au moment de "Matire et mmoire" tenir

    compte explicitement du cinma mme sil en connat lexistence. En 1907, il peut et il profite de

    loccasion. Mais bizarrement - et a va dj nous poser un problme - bizarrement, si vous lisez

    "Lvolution cratrice" et "Matire et mmoire", quest-ce que vous vous dites peut-tre ? Vous

    vous dites que dans "Lvolution cratrice", il tient explicitement compte de lexistence du cinma

    mais pour dnoncer, selon lui, une illusion que le cinma promeut, ninvente pas mais, selon

    Bergson, laquelle le cinma donne une extension jusque l pas connue.

    Donc - et le titre du chapitre, Le mcanisme cinmatographique et lillusion mcanistique - il

    sagit de dnoncer une illusion o a a lair dtre, on croirait que... Il sagit de dnoncer une

    illusion. Ma question, cest, si au contraire, dans "Matire et mmoire" de 1896, Bergson dune

    certaine manire ntait pas beaucoup plus en avance, et l compltement en prise avec quelque

    chose non pas que le cinma inventait mais que lui inventait dans le domaine de la philosophie

    quelque chose que le cinma tait en train dinventer dans un autre domaine ? Ce serait une manire

  • dexpliquer peut-tre le caractre tellement insolite de "Matire et mmoire". Mais donc, Bergson

    nous conduit une espce de confrontation cinma / pense, ou sinsre dans une telle

    confrontation, pas de problme.

    Pour Kant, pour Kant cest videmment moins vident, ne serait-ce que par les dates. Si bien que ce

    qui mintresse dans la "Critique du jugement", cest ceci. Dans "Matire et mmoire", je peux dire,

    car je vous demande videmment une chose, cest, ceux qui suivront cette anne, cest de lire deux

    livres, vous avez lire vous, "Matire et mmoire", au point que pour la semaine prochaine

    jaimerais bien que vous ayez lu le premier chapitre de "Matire et mmoire". Ah, il faut, il faut, il

    faut, sinon... sinon faut pas venir, voil. Et puis, aprs, la "Critique du jugement".

    Or, si vous lisez la "Critique du jugement", ou bien quand vous la lirez, vous verrez ceci : que tout

    le dbut porte sur le Beau, et que, cest trs beau mais cest une espce desthtique classique. Cest

    lespce de dernier mot une esthtique classique qui consiste se demander quelles sont les belles

    formes. Quand est-ce que je dis quune forme est belle ? Or, se demander quand est-ce que je dis

    quune forme est belle ? cest prcisment le problme esthtique de la grande priode classique.

    Mais que toute la suite de lesthtique de Kant consiste nous dire : oui, soit, mais en dessous du

    Beau, au dessus du Beau, au del du Beau, il y a certaines choses qui dpassent la beaut de la

    forme. Et ces choses qui dpassent la beaut de la forme vont recevoir successivement le nom de :

    Sublime, le Sublime ; ensuite, lintrt du beau, alors que le beau par lui mme est dsintress,

    lintrt du beau ; et enfin, le gnie comme facult des ides esthtiques, par diffrence avec les

    images esthtiques. Cest tout cet - en dessous du Beau - , cet - au del du Beau - qui est comme

    lannonciation du Romantisme.

    Pour moi, ma question, cest si, prcisment ce niveau l, il ny a pas quelque chose, il ny a pas

    un nouveau rapport propos par Kant entre limage et la pense. Bon, rapport quil faudrait appeler

    dans ce cas l pr-cinmatographique , mais que, dune autre manire, le cinma pourrait

    confirmer... Donc moi, ce que je souhaite de vous, de ceux qui continueront venir, cest la lecture

    de ces deux livres. Encore une fois en commenant par "Matire et mmoire", si vous voulez bien.

    [Intervention inaudible]

    Mais cest une catastrophe, mais cest une vritable catastrophe...[brouhahas]

    Eh ben, il faut aller le lire en bibliothque. Oh, il va peut-tre rapparatre quand mme... Il nest

    pas question, cest scandaleux quoi, cest scandaleux...

    Eh bien, coutez, vous le lirez pas, je vous le raconterai, hein [rires]. Alors pressez vous en tout cas

    de vous procurer la "Critique du jugement" parce quelle va tre puise aussi, alors. La "Critique

    du jugement", cest chez Vrin. Il y a une traduction rcente, prenez la traduction rcente de

  • Philonenko. Bon. Jajoute enfin parce que je redoute beaucoup, je redoute par crainte lgitime, je

    prcise bien que, en aucun cas, nest-ce pas, je ne pourrais prtendre vous proposer un cours sur le

    cinma, cest donc dun bout lautre un cours de philosophie. Voil... Voil, voil. Alors, on

    commence.

    Je dis je commence comme a, a nous fait donc beaucoup. Vous comprenez, cette anne, je

    voudrais essayer beaucoup plus une espce de parcours, donc. Avec ce centre : pense / cinma, tout

    a, mais... je voudrais donc, comme jai dit, bien numroter pour, et je commence donc par vraiment

    un grand 1, qui va nous tenir un certain temps, savoir : les thses de Bergson sur le mouvement.

    Les thses de Bergson sur le mouvement. Voil, a, cest mon grand 1, je vous prviendrai quand

    jenaurais fini.

    Et je dis, imaginez, un philosophe, cest jamais aussi simple que a, hein, ni aussi difficile, ni aussi

    simple, ni aussi compliqu, ni aussi simple quon dit. Parce que, une ide philosophique, il me

    semble, cest toujours une ide niveaux et paliers. Cest comme une ide qui a ses projections.

    Je veux dire, elle a plusieurs niveaux dexpression, de manifestation. Elle a une paisseur.

    Une ide philosophique, un concept philosophique, cest toujours une paisseur, un volume. Vous

    pouvez les prendre tel niveau, et puis un autre niveau, et un autre niveau, a se contredit pas.

    Mais cest des niveaux assez diffrents.

    Si bien que quand vous exposez une doctrine, vous pouvez toujours donner de la doctrine ou de

    lide une prsentation simple, une prsentation - cest un peu comme des tomographies - une

    prsentation en paisseur, telle distance, tout a. Il y a mme un philosophe quavait trs trs bien

    vu a, ctait Leibnitz qui, lui, prsentait ses ides daprs lintelligence suppose de ses

    correspondants. Alors il avait tout un systme, ctait le systme, alors : petit 1, quand il pensait que

    ctait quelquun quest pas dou, puis il avait un systme petit 2, un systme petit 3, tout a. Et tout

    a sharmonisait, ctait une merveille. Ce que je veux dire, cest que chez Bergson, il y a aussi des

    pages extrmement simples. Et puis, vous avez des prsentations de la mme ide un niveau

    beaucoup plus complexe, puis un autre niveau encore. Je dirais quil y a en quelque sorte,

    concernant le mouvement, trois Bergson, et quil y en a un que nous connaissons tous, mme quand

    nous ne lavons pas vu. Il y en a un qui est devenu tellement le Bergson, le Bergson apparent, quoi.

    Et je commence donc, supposer quil y en ait trois, sur ce problme du mouvement, trois grandes

    thses de Bergson, de plus en plus subtiles, mais simultanes, compltement simultanes.

    Je commence par le premire, ou plutt par rappeler la premire puisque vous la connaissez. La

    premire, elle est trs simple. Bergson a une ide qui assigne en mme temps la dmarche de la

    philosophie, savoir : le monde dans lequel on vit, cest un monde de mlanges. Cest un monde de

    mlanges, les choses, elles sont toujours mlanges. Tout se mlange. Dans lexprience, il ny a

  • que des - comment dirait-on ? - il ny a que des mixtes. Il y a des mlanges de ceci et de cela. Ce

    qui vous est donn, cest ces mlanges.

    Quelle est la tche de la philosophie ? Cest trs simple, cest analyser. Analyser. Mais quest-ce que

    a veut dire analyser pour Bergson ? Il transforme compltement ce que les gens appellent

    analyse . Car analyser, a va tre chercher le pur. Un mixte tant donn, analyser le mixte, cest

    dgager - quoi ? Les lments purs ? Non. Bergson dira trs vite : mais non, ce qui est pur, cest

    jamais des lments. Les parties dun mlange, cest pas moins mlang que le mlange lui-mme.

    Il ny a pas dlment pur.

    Ce qui est pur, cest des tendances. La seule chose qui puisse tre pure, cest une tendance qui

    traverse la chose. Analyser la chose, cest donc dgager les tendances pures. Cest dgager les

    tendances pures entre lesquelles elle se partage. Dgager les tendances pures qui la traversent.

    Dgager les tendances pures qui la dposent. Bon. Alors, cette analyse trs spciale qui consiste

    dgager dans un mixte les tendances pures qui sont supposes dposes lensemble, cest ce que

    Bergson appellera lintuition. Dcouvrir les articulations de la chose.

    Bon. Est-ce que je peux dire que la chose se divise en plusieurs tendances pures ? Non, non. Dj

    ce niveau, vous devez sentir, le pur, il ny en a jamais quun. Ce que je dois faire quand janalyse

    quelque chose, cest diviser la chose en une tendance pure qui lentrane, qui entrane la chose, et

    quoi ? Une autre tendance pure ? On pourrait dire comme a. Mais en fait, a se passe jamais

    comme a. Une chose se dcompose en une tendance pure qui lentrane et une impuret qui la

    compromet, une impuret qui larrte. Et en plusieurs, hein, cest pas forcment deux. Mais faire

    une bonne analyse, cest dcouvrir une tendance pure et une impuret qui jouent lune par rapport

    lautre.

    Bon, a devient plus intressant, cest en sens que lintuition est une vritable analyse, analyse des

    mixtes. Or, quest-ce que nous dit Bergson ? Cest que, cest trs curieux mais, rien que dans le

    monde de la perception, cest tout le temps comme a, parce que ce qui nous est donn, cest

    toujours des mixtes despace et de temps. Et que cest catastrophique pour le mouvement a, pour la

    comprhension du mouvement.

    Pourquoi ? Parce que nous avons toujours tendance - et cest bien l que surgit le Bergson le plus

    connu - nous avons toujours tendance confondre le mouvement avec lespace parcouru. Et nous

    essayons de reconstituer le mouvement avec lespace parcouru. Et ds quon se lance dans une telle

    opration, reconstituer le mouvement en fonction dun espace parcouru, on ne comprend plus rien

    au mouvement. Voyez, cest tout simple comme ide.

    Pourquoi est-ce que le mouvement est irrductible lespace parcouru ? Cest bien connu, le

    mouvement est irrductible lespace parcouru puisquen lui-mme, cest lacte de parcourir. En

  • dautres termes, lorsque vous reconstituez le mouvement avec lespace parcouru, vous avez dj

    considr le mouvement comme pass, cest--dire comme dj fait.

    Mais le mouvement, cest lacte de parcourir, cest le parcourir en acte. Cest dire, le mouvement,

    cest ce qui se fait. Prcisment, quand il est dj fait, il ny a plus que de lespace parcouru. Mais il

    ny a plus de mouvement. En dautres termes, irrductibilit du mouvement lespace parcouru.

    Pourquoi ? Bergson dit, au niveau de cette premire grosse thse, il dit : cest vident, lespace

    parcouru, il est fondamentalement divisible, il est essentiellement divisible. Au contraire le

    mouvement comme acte de parcourir un espace, lui, il est indivisible. Cest pas de lespace, cest de

    la dure. Et cest une dure indivisible.

    A ce niveau, on en est o ? Au plus simple : lopposition catgorique entre lespace divisible et le

    mouvement - dure indivisible. Et en effet, si vous substituez au mouvement-dure indivisible, si

    vous substituez au mouvement indivisible, cest--dire qui parcourt en une fois un espace, si vous y

    substituer lespace parcouru qui lui est divisible, vous comprendrez plus rien, savoir : le

    mouvement, la lettre, ne sera mme plus possible. Do nous rappelle Bergson constamment le

    fameux paradoxe de Znon lorigine de la philosophie, lorsque Znon montre quel point il est

    difficile de penser le mouvement.

    Oui, il est difficile de penser le mouvement, il est mme impossible de penser le mouvement si on le

    traduit en terme despace parcouru. Achille ne rattrapera jamais la tortue, nous disait le vieux

    Znon, lantique Znon, ou, bien plus, la flche natteindra jamais sa cible. La flche natteindra

    jamais la cible, cest le fameux paradoxe de Znon, nest-ce pas, puisque vous pouvez assigner la

    moiti du parcours, de la flche point de dpart la cible, la moiti du parcours ; quand la flche est

    cette moiti, il reste encore une moiti ; vous pouvez divisez la moiti en deux quand la flche est

    ce point, il reste encore une moiti, etc., etc. Moiti / moiti, vous aurez toujours un espace

    infiniment petit, un espace si petit quil soit, entre la flche et la cible. La flche na aucune raison

    datteindre la cible. Oui, dit Bergson, Znon a videmment raison, la flche natteindra jamais la

    cible si le mouvement se confond avec lespace parcouru, puisque lespace parcouru est divisible

    linfini. Donc il y aura toujours un espace si petit quil soit entre la flche et la cible. Mme chose,

    Znon ne rattrapera pas la tortue. Voil. Donc, ce premier niveau, je dis juste Bergson, vous voyez

    ce quil fait, il oppose en effet le mouvement-dure indivisible lespace parcouru

    fondamentalement, essentiellement, divisible.

    Si ctait que a, ce serait srement trs intressant, mais enfin, on sent bien que a peut tre quun

    point de dpart. Et en effet, si lon reste cette premire thse de Bergson, je vois immdiatement

    que, elle a, cette premire thse, elle-mme - cest pas une autre thse - elle a un expos possible

    dj beaucoup plus... beaucoup plus curieux. Pourtant premire vue, a a pas lair davoir chang

  • grand chose. Bergson nous dit, cette fois, non plus ma premire proposition,

    ctait : on ne reconstitue pas le mouvement avec lespace parcouru. La deuxime prsentation de

    cette premire thse, de cette mme thse, est un peu diffrente.

    cest : on ne reconstitue pas le mouvement avec une succession de positions dans lespace, ou dins

    tants, de moments dans le temps. On ne reconstitue pas le mouvement avec une succession de

    positions dans lespace ou avec une succession dinstants ou de moments dans le temps. En quoi

    cest dj beaucoup plus pousse cette thse l ? Quest-ce que a ajoute la formulation

    prcdente ? On voit bien que les deux formules sont tout fait lies. Quest-ce quil y a de

    commun, position dans lespace ou instant dans le temps ? Et bien, cest, en eux-mmes, ce sont des

    coupes immobiles. Ce sont des coupes immobiles prises, opres sur un trajet. Donc Bergson nous

    dit, non plus exactement : vous ne reconstituerez pas le mouvement avec lespace parcouru ; mais :

    vous ne reconstituerez pas le mouvement mme en multipliant les coupes immobiles prises ou

    opres sur le mouvement. Pourquoi a mintresse plus ? Pourquoi a me parat dj une autre

    prsentation dune ide. Tout lheure, vous vous rappelez, il sagissait simplement dtablir une

    diffrence de nature entre lespace divisible et le mouvement-dure indivisible.

    A ce second niveau, il sagit dautre chose. Il sagit de quoi, ce second niveau ? Cest... cest trs

    curieux. Car lorsque je prtends reconstituer le mouvement avec une succession dinstants, de

    coupes immobiles, en fait je fais intervenir deux choses : les coupes immobiles, dune part, dautre

    part, la succession de ces coupes, de ces positions. En dautres termes, jai de ce ct l, du ct

    gauche - vous sentez que le ct gauche de lanalyse, cest toujours le ct impur, cest limpuret

    quil y a de contrarier la tendance pure - eh bien, de ce ct gauche, jai quoi ? Je nai plus un seul

    terme : lespace est divisible ; jai deux termes : les coupes immobiles, cest--dire les positions ou

    instants, et la succession que je leur impose, la forme de succession laquelle je les soumet. Et cette

    forme de succession, cest quoi ? Cest lide dun temps abstrait, homogne... galisable...

    uniforme. Lide dun temps abstrait, uniforme, galisable. Ce temps abstrait, il sera le mme pour

    tous les mouvements supposs. Je vais donc sur chaque mouvement, je prendrais des coupes

    immobiles. Toutes ces coupes immobiles, je les ferais se succder suivant les lois dun temps

    abstrait homogne... et je prtendrais reconstituer le mouvement comme a.

    Bergson nous dit : pourquoi a va pas ? Pourquoi a va pas, et pourquoi l aussi, il y a le mme

    contresens que tout lheure sur le mouvement ? Cest que le mouvement, il se fait toujours entre

    deux positions. Il se fait toujours dans lintervalle. Si bien que sur un mouvement, vous aurez beau

    prendre les coupes immobiles les plus rapproches que vous voudrez, il y aura toujours un intervalle

    si petit quil soit. Et le mouvement, il se fera toujours dans lintervalle. Cest une manire de dire :

    le mouvement, il se fait toujours dans le dos. Il se fait dans le dos du penseur, il se fait dans le dos

  • des choses, il se fait dans le dos des gens. Il se fait toujours entre deux coupes.

    Si bien que vous aurez beau multiplier les coupes, cest pas en multipliant les coupes que vous

    reconstituerez le mouvement. Il continuera se faire entre deux coupes si rapproches que soient

    vos coupes. Ce mouvement irrductible qui se fait toujours dans lintervalle, il se laisse pas

    confronter, il se laisse pas mesurer par un temps homogne abstrait, a veut dire quoi ? a veut dire

    quil y a toute sorte de mouvements irrductibles. Il y a le pas du cheval, et le pas de lhomme, et le

    pas de la tortue. Et que cest mme pas la peine de drouler ses mouvements sur la mme ligne dun

    temps homogne. - Pourquoi ? Ces mouvements sont irrductibles les uns aux autres, cest mme

    pour a que Achille dpasse la tortue. Si Achille dpasse la tortue, cest pour une raison trs simple,

    cest que ses units de mouvement lui, savoir un bond dAchille, na aucune commune mesure -

    cest pas parce quil y a une mesure commune - na aucune commune mesure avec le petit pas de la

    tortue. Et parfois, on peut ne pas savoir qui gagnera. Un lion poursuit un cheval. Il ny a pas de

    temps abstrait, il ny a pas despace abstrait, hein, qui permette justement de dire dabord, il y a

    quelque chose dimprvisible. Est-ce que le lion va avoir le cheval ou pas ? Si le lion a le cheval,

    cest avec des bonds de lion. Et si le cheval chappe, cest avec son galop de cheval.

    Ce sont des mouvements qualitativement diffrents. Ce sont deux dures diffrentes. Lune peut

    interrompre lautre, lune peut semparer de lautre ; elles ne se composent pas avec des units

    communes. Et cest avec un bond de lion que le lion va bondir sur le cheval, et non pas avec une

    quantit abstraite dplaable dans un temps homogne. Quest-ce quil est en train de nous dire

    Bergson ? Il nous dit : tous les mouvements concrets, bien sr ils ont leur articulation, chaque

    mouvement est articul comme tel ou tel. En dautres termes, bien sr les mouvements sont

    divisibles, bien sr il y a une divisibilit du mouvement. Par exemple, la course dAchille se divise

    en... en... comment on appelle a lunit de pas de lhomme... en foules, la course dAchille se

    divise en foules. Trs bien. Le galop du cheval, il se divise. Evidemment, il se divise, la fameuse

    formule : 1,3,2... 1,3,2... 1... Tous les mouvements se divisent. Voyez que a devient dj beaucoup

    plus complexe. Mais ils ne se divisent pas suivant une unit homogne abstraite.

    En dautres termes, chaque mouvement a ses divisions propres, ses sous-divisions propres, si bien

    quun mouvement est irrductible un autre mouvement. Un pas dAchille est absolument

    irrductible un pas de tortue. Si bien que lorsque je prends des coupes immobiles sur les

    mouvements, cest toujours pour les ramener une homognit du temps abstrait uniforme, grce

    auquel prcisment juniformise tous les mouvements, et je ne comprends plus rien au mouvement

    mme. A ce moment l, Achille ne peut pas rattraper la tortue.

    [Intervention : Est-ce que la rencontre est possible ?]

    La rencontre, oh oui, tout est possible. Pour que la rencontre, pour quAchille et la tortue se

  • rencontrent, il faut que la dure ou le mouvement dAchille trouve dans ses articulations lui, et

    que la tortue trouve dans les articulations de son mouvement elle, quelque chose qui fait que la

    rencontre se produit au sein de lun et lautre des deux mouvements.

    En dautres termes, quest-ce quil nous dit, l ? Voyez que tout lheure, ctait le premier expos

    de sa thse. a consistait dire : distinction de nature, opposition si vous voulez, entre espace

    parcouru et mouvement comme acte de parcourir. Maintenant, deuxime prsentation, a me parat

    dj beaucoup plus intressant et intriguant, il distingue, il oppose deux ensembles :

    premier ensemble, gauche, coupes immobiles + ide de succession comme temps abstrait,

    et de lautre ct, du ct droit, mouvement qualifi comme tel ou tel mouvement + dure concrte

    qui sexprime dans ce mouvement.

    Bon, alors peut-tre que vous comprenez pourquoi tout dun coup, la rencontre, la confrontation

    avec le cinma se fait. Et pourquoi, dans "Lvolution cratrice", Bergson bute contre cette

    naissance du cinma. Car le cinma arrive avec son ambition, fonde ou non fonde, dapporter non

    seulement une nouvelle perception mais une nouvelle comprhension, une nouvelle rvlation, une

    nouvelle manifestation du mouvement. Et, premire vue... premire vue, Bergson a une raction

    trs hostile. Sa raction, elle consiste dire : ben oui, ben vous voyez, le cinma, il ne fait que

    pousser lextrme lillusion de la fausse reconstitution du mouvement. En effet, avec quoi procde

    le cinma ? Il fait manifestement partie de la mauvaise moiti, en apparence. Il procde en prenant

    des coupes instantanes sur le mouvement, coupes instantanes, et en les soumettant une forme de

    succession dun temps uniforme et abstrait. Il dit : cest sommaire. Est-ce que cest sommaire ? Est-

    ce que l, il a pas... il est pas en train de comprendre sur le cinma en 1907 quelque chose que la

    plupart des gens, commencer mme par certains de ses disciples plus avancs que lui quant au

    cinma pourtant, par exemple Elie Faure, je pense, avaient pas encore compris... concernant... cest

    compliqu, a.

    Parce que les conditions du cinma, au moment de Bergson, vous les connaissez bien, cest quoi ?

    En trs gros, en trs gros cest : prise de vue immobile, identit de lappareil de prise de vue et de la

    projection, et enfin, quelque chose qui semble tout fait donner raison Bergson et qui a pas cess,

    un grand principe sans quoi le cinma naurait jamais exist, enfin un grand principe technique

    quoi, quelque chose qui assure lquidistance des images.

    Il ny aurait pas de projection sil ny avait pas quidistance des images, il ny aurait pas de

    projection cinmatographique.

    Et tout le monde sait que un des points techniquement fondamental dans linvention du cinma, de

    la machine cinma, a a t assurer lquidistance des images, grce quoi ? Grce la perforation

    de la bande film. Si vous avez pas lquidistance, vous aurez pas de cinma. On verra pourquoi, je

  • laisse cette question, quitte essayerde le montrertoutlheure.Or,Bergsonesttrsaucourantdea, et

    de lappareil des frres Lumire. Et dj, assurer lquidistance des images par la perforation de la

    bande, cest la dcouverte de qui ? Cest la dcouverte, juste avant Lumire, cest la dcouverte de

    Edison ; ce qui fait quEdison a eu tant de prtentions justifies sur linvention mme du cinma.

    Donc a t un acte technique, mme si on peut le considrer dautres gards comme secondaire,

    cette quidistance des images instantanes, aa t un acte technique qui vraiment conditionne le

    cinma. Or, a semble compltement donner raison Bergson ; quelle est la formule du cinma, en

    1907 ? Succession dinstantans, la succession tant assure par la forme dun temps uniforme,

    deux images tant quidistantes. Les images tant quidistantes.

    Lquidistance des images garantie luniformit du temps. Donc cette critique du cinma de

    Bergson, elle a lair trs... ce moment l, tout le cinma opre dans lensemble : coupes immobiles

    + temps abstrait, et donc laisse chapper le mouvement, savoir le mouvement rel dans son

    rapport avec les dures concrtes. Bien. Est-ce quon peut dire ce moment l que, ds lors, est-ce

    quon peut, nous, nous rfrer ltat du cinma aprs pour dire : ah ben oui mais Bergson, ctait

    le dbut du cinma. Il sest pass tant de choses, savoir par exemple, est-ce quon peut invoquer le

    fait que la camra soit devenue mobile, pour dire : ah ben non, l le cinma a rcupr le vrai

    mouvement, etc.

    Or, a changerait pas, ce qui est rest... a changerait pas... ce qui est rest, le fait de base du

    cinma, savoir que le mouvement soit reproduit partir dinstantans, et quil y ait une succession

    dinstantans impliquant lquidistance des images correspondantes. On voit mal comment a

    subsisterait pas puisque sinon il ny aurait plus de cinma. Il y aurait dautre chose, il y aurait

    dautre chose, mais a ne serait pas du cinma. Si bien que notre problme, il ne serait pas, il ne

    pourrait pas consister invoquer une volution du cinma aprs 1907.

    Je crois que ce que nous avons invoquer, cest tout fait autre chose. Cest un problme que

    jappellerais le premier problme relatif au cinma, savoir le problme de la perception. Bon, le

    cinma me donne du mouvement percevoir. Je perois du mouvement. Quest-ce que veut dire

    Bergson lorsquil dnonce une illusion lie au cinma ? Quest-ce que a veut dire, quest-ce quil

    veut, quest-ce quil est en train de chercher ? Aprs tout, peut-tre que si on pose cette question, on

    sapercevra que la critique du cinma chez Bergson est peut-tre beaucoup plus apparente que

    relle, cette critique trs dure, savoir : le cinma procde par coupes immobiles, par instantans.

    Par coupes immobiles. Il se contente de les soumettre une forme de la succession abstraite, une

    forme du temps abstrait.

    Bon. Je dis cest bien entendu que - mais quest-ce que a veut dire ? - cest bien entendu que les

    moyens, le cinma reproduit le mouvement. Daccord, il reproduit. Le mouvement reproduit, cest

  • prcisment le mouvement peru, au cinma. La perception du mouvement, cest une synthse du

    mouvement. Cest la mme chose, dire synthse du mouvement, perception du mouvement ou

    reproduction du mouvement. Si Bergson veut nous dire que le mouvement au cinma est reproduit

    par des moyens artificiels, cest vident. Bien plus, je dirais une chose simple : quelle reproduction

    de mouvement nest pas artificielle ? Cest compris dans lide mme de reproduire. Reproduire un

    mouvement implique videmment que le mouvement nest pas reproduit par les mmes moyens par

    lesquels il se produit. Cest mme le sens de prfixe re-.

    Cest donc ncessairement par des moyens artificiels que quelque chose, que ce soit du mouvement

    ou autre chose, que quelque chose est reproduit. Donc que le mouvement au cinma soit reproduit

    par des moyens arti[ficiels,... est-ce que a veut dire que le mouvement que je perois, que le

    mouvement reproduit, soit lui-mme artificiel ou illusoire ? Comprenez ma question. Les moyens

    de reproduction sont artificiels, est-ce que a veut dire, est-ce que je peux conclure du caractre

    artificiel des moyens de reproduction au caractre illusoire du reproduit ? [...] Daprs la mthode

    mme, quest-ce quil devrait nous dire, un fantme de Bergson ? Il vient de nous dire : la

    perception naturelle, finalement, ce que nous saisissons dans lexprience, notre perception

    naturelle, cest toujours une perception de mlanges. On ne peroit que des mixtes, on ne peroit

    que de limpur. Bon, daccord, dans les conditions naturelles, on ne peroit que de limpur, des

    mixtes despace et de temps, des mixtes dimmobiles et de mouvements, etc. On peroit des

    mlanges. Trs bien, trs bien, on peroit des mlanges.

    Mais prcisment, la perception cinmatographique, cest bien connu - on aura revenir l dessus,

    comme a, mais cest un principe de base quil faut tablir tout de suite, quil faut rappeler tout de

    suite - la perception cinmatographique, cest pas la perception naturelle. Pas du tout. Le

    mouvement nest pas peru au cinma, le mouvement dun oiseau au cinma, nest pas du tout

    peru - je parle en termes de perception, hein - nest pas du tout peru comme le mouvement dun

    oiseau dans les conditions naturelles de la perception. Cest pas la mme perception.

    Le cinma a invent une perception. Cette perception, encore une fois, elle est dfinissable, il faudra

    la dfinir, comment est-ce quelle procde par diffrence avec la perception dans les conditions

    naturelles. Bon. Ds lors, quest-ce qui mempche de dire que, prcisment, le cinma nous

    propose ou prtend nous proposer une perception que les conditions naturelles de lexercice de la

    perception ne pouvaient pas nous donner, savoir la perception dun mouvement pur, par

    opposition la perception du mixte.

    Si bien que, si les conditions de la reproduction du mouvement au cinma sont des conditions

    artificielles, a ne signifie pas du tout que le reproduit, lui, soit artificiel. Cela signifie que le cinma

    invente les conditions artificielles qui vont rendre possible une perception du mouvement pur, tant

    dit que une perception du mouvement pur, cest ce que les conditions naturelles ne peuvent pas

  • donner parce que, elles condamnent notre perception naturelle ses ides mixtes. Si bien que ce

    serait a, que tout lartifice du cinma servirait cette perception, et lrection de cette perception

    du mouvement pur. Ou dun mouvement qui tend vers le pur, vers son tat pur.

    Pourquoi est-ce que... Et en effet, quest-ce qui nous fait dire a ? Cest que, sen tenir la

    description bergsonienne des conditions de la reproduction du mouvement au cinma, on a

    limpression quil y a dune part les coupes immobiles, et dautre part le mouvement qui entranent

    ces coupes. Le mouvement uniforme abstrait. Le temps, ce temps abstrait, homogne. Et cest vrai

    du point de vue de la projection, mais cest pas vrai du point de vue de la perception.

    Le fait de la perception cinmatographique, cest quoi ? Cest que le mouvement ne sajoute pas

    limage. Le mouvement ne sadditionne pas limage. Il ny a pas limage, et puis le mouvement.

    Dans les conditions artificielles que Bergson a bien dtermines, ce qui est prsent par le cinma,

    ce nest pas une image laquelle du mouvement sajouterait. Cest une image-mouvement - avec un

    petit trait, avec un petit tiret. Cest une image-mouvement.

    Bien sr, cest du mouvement reproduit, cest--dire, mouvement reproduit, jai essay de dire ce

    que a voulait dire, a veut dire : perception de mouvement, ou synthse de mouvement. Cest une

    synthse de mouvement. Seulement voil quand je dis le mouvement ne sajoute pas limage, je

    veux dire la synthse nest pas une synthse intellectuelle. Cest une synthse perceptive immdiate,

    qui saisit limage comme un mouvement. Qui saisit en un, limage et le mouvement, cest--dire je

    perois une image-mouvement. Avoir inventer limage-mouvement, cest a lacte de cration du

    cinma.

    Oui, Bergson a raison, parce que cela implique des conditions artificielles. Pourquoi ? On verra, on

    a pas du tout dit encore pourquoi a impliquait de telles conditions artificielles, savoir a implique

    tout ce systme de coupes immobiles instantanes, prises sur le mouvement, et leur projection

    suivant en effet un temps abstrait. Mais a, a ne dpasse pas les conditions artificielles. Mais ces

    conditions artificielles, elles conditionnent quoi ? Elles conditionnent pas une illusion ou un artifice.

    Encore une fois, je ne peux pas conclure de lartificialit de la condition lartificialit ou

    lillusion du conditionn. Ce que ces conditions artificielles du cinma rendent possible, cest une

    perception pure du mouvement que la perception naturelle, dont la perception naturelle tait

    absolument incapable. Cette perception pure du mouvement, nous lexprimerons dans le concept

    dimage-mouvement.

    Or, merveille, est-ce que cest contre Bergson l que je me bats comme a ? Non, pas du tout, pas

    du tout, car "Matire et mmoire" lavait dj dit. Car "Matire et mmoire", et ctait lobjet du

    premier chapitre de "Matire et mmoire", o Bergson - donc il ne pouvait pas ce moment l

    invoquer le cinma - nous disait peu prs ceci dans le premier chapitre, "il faut dune manire ou

  • dune autre arriver jusqu lintuition suivante : lidentit de limage, de la matire et du

    mouvement". Il dit : et pour a, pour arriver lidentit de limage, de la matire et du mouvement,

    il disait : il faut, cest trs curieux," il faut se dbarrasser de tout savoir," il faut essayer de retrouver

    une attitude, qui tait pas lattitude nave, il disait, cest pas lattitude nave, cest pas non plus une

    attitude savante, il savait pas bien comment qualifier, vous verrez en lisant le texte qui sera

    imprim, il savait pas trs bien comment qualifier cette attitude trs spciale, o lon allait pouvoir

    saisir cette identit bizarre de limage, du mouvement et de la matire. Et l, on a avanc un peu.

    Voyez, ce serait le premier problme que nous poserait vraiment le cinma, savoir : quest-ce que

    cest que cette perception du mouvement, que lon pourrait la limite qualifier de pure, par

    opposition la perception non pure, la perception mixte du mouvement dans les conditions

    naturelles. Bon. Voil la premire thse de Bergson, si je la rsume cette premire thse sur le

    mouvement, elle consiste nous dire :

    Attention, ne confondez pas le mouvement, ni avec lespace parcouru, ni avec une succession de

    coupes immobiles prises sur lui. Car le mouvement est tout fait autre chose, il a ses articulations

    naturelles, mais ses articulations naturelles sont ce par quoi un mouvement nest pas un autre

    mouvement, et les mouvements ne se rduisent aucune mesure commune. Cest donc ce vrai

    mouvement ou ce mouvement pur, ou ces mouvements purs, notre question ctait : est-ce que cest

    pas a que nous livre la perception du cinma ? Bon.

    Deuxime thse de Bergson. Cette deuxime thse alors, elle va faire, elle va nous faire faire,

    jespre, un progrs trs considrable. Ecoutez-moi. Vous tes pas fatigus, hein, encore ? Parce que

    l, il faut que vous fassiez, je voudrais, trs, trs attention parce que cest, il me semble, une trs

    grande ide de Bergson. Il revient un peu en arrire, hein, et il nous dit : bon, daccord, il y a toutes

    ces tentatives car lhumanit pensante, la pense, na jamais cess de faire a, vouloir reconstituer le

    mouvement avec de limmobile. Avec des positions, avec des instants, avec des moments, etc.

    Seulement, il dit : voil, il y a eu, dans lhistoire de la pense, il y a eu deux manires trs

    diffrentes. Elles ont en commun toujours de, cette mauvaise chose, remarquez, l, cette chose

    impure, prtendre reconstituer le mouvement partir de ce qui nest pas mouvement, cest--dire

    partir de positions dans lespace, de moments dans le temps, finalement partir de coupes

    immobiles. a, de tout temps, on la toujours fait. Et Bergson - a, a fait partie de lorgueil des

    philosophes - mais Bergson peut estimer juste titre que il est le premier tenter la constitution

    dune pense du mouvement pur. Bon. Seulement, il dit : cette chose quon a tent, reconstituer le

    mouvement avec des positions, avec des coupes, avec des moments, dans lhistoire de la pense, on

    a procd pour a de deux manires trs diffrentes. Do tout de suite notre question avant quil

    commence : et ces deux manires, est-ce quelles sont galement mauvaises ? Ou est-ce quil y en a

  • une moins mauvaise que lautre ? Quest-ce que cest ces deux manires, avant tout ? L, je crois

    que Bergson crit des textes dune clart, dune rigueur, qui sont immenses. Donc, il faut que vous

    soyez patients, l, que vous mcoutiez bien.

    Il dit : ben, oui, il y a par exemple une trs grande diffrence entre la science antique et la science

    moderne. Et il y aussi une trs grande diffrence entre la philosophie antique et la philosophie

    moderne. Et quest-ce que cest ? Gnralement, on nous dit : ah, oui, la science moderne, elle est

    beaucoup plus quantitative, tandis que la science antique, ctait encore une science qualitative.

    Bergson, il dit : cest pas faux, mais enfin, cest pas a, a va pas a, cest pas bien, cest une ide

    pas au point a. Et lui, il se sent fort pour assigner une sorte de diffrence trs intressante. Il dit : eh

    ben voil, justement propos du mouvement, il dit comment les physiciens antiques, par exemple

    les grecs, mais encore au Moyen Age, tout a, a va se jouer au Moyen Age la naissance de la

    science moderne, et dans lAntiquit, comment est-ce que les physiciens ou les philosophes ou

    nimporte qui, traitent le mouvement ? Vous vous rappelez ?

    Pour que vous suiviez bien, il faut vous rappeler la donne de base. De toute manire, les uns

    comme les autres recomposent, ou prtendent reconstituer le mouvement, avec des instants ou des

    positions. Seulement voil, les Anciens, ils prtendent reconstituer le mouvement avec des instants

    privilgis. Avec des instants privilgis. Avec des moments privilgis. Avec des positions

    privilgies. Comme il y a un mot grec commode, vous allez voir pourquoi jai besoin du mot grec

    pour indiquer ces instants privilgis, les grecs, ils emploient le mot, prcisment, position ,

    thse , thse , thesis . La position, le positionnement, la thesis. Cest le temps fort, la

    thesis, cest le temps fort par opposition au temps faible. Bon. En dautres termes, ils prtendent

    reconstituer le mouvement avec - quoi ? Il y a le mot franais qui correspond exactement au mot

    grec thesis, cest le mot pose .

    Deleuze 10/11/81 (502) 1B transcription : lise Renaux. Deuxime parti

    Deleuze : on va reconstituer le mouvement avec des poses, p / o / s / e, pas pause, cela irait aussi

    mais avec des poses... Quest que cela veux dire a ? Vous verrez dans...prcisment le quatrime

    chapitre de "lvolution cratrice", quil faut que vous lisiez alors, parce que il ne doit pas tre

    puis celui l... Il le dit trs bien, bien oui, prenez la physique dAristote quand il sagit danalyser

    le mouvement, quest quil nous dit ? Il retient essentiellement deux thmes, deux poses, deux

    moments privilgis :

    Le moment o le mouvement sarrte, parce que le corps a rejoint son lieu dit "naturel"

  • et dautre part le sommet du mouvement, par exemple dans une courbe le point est lextremum.

    Voil un cas trs simple : on retient des positions, des poses, on procde avec des poses, on retient

    des positions privilgies sur un phnomne. voyez... et on rfrera le phnomne tudier ses

    positions privilgies, ses instants privilgis. Par exemple, cest la mme chose en art, tout lart

    grec stablira en fonction prcisment de moments privilgis. La tragdie grecque cest

    exactement comme lextremum dun mouvement, cest ce que les Grecs appellent aussi bien pour le

    mouvement physique que pour le mouvement de lme dans la tragdie, cest ce quils appellent

    lacm, Le point tel quil ny en pas de plus haut, avant cela monte vers ce point et aprs cela

    descend. Ce point extrmal... ce point extrmal cela va tre prcisment un moment privilgi.

    Bon quest ce que cela veut dire au juste ? Quest que cest une pose, ? je dirais une pose cest une

    forme, une pose, une position, cest une forme et en effet le mouvement est rapport des formes -

    pas une forme - des formes. Quest ce que cela veut dire a ? le mouvement est rapport des

    formes, ce nest pas que la forme soit elle-mme en mouvement au contraire, une forme nest pas en

    mouvement, elle peut tendre vers le mouvement, elle peut tre adapte au mouvement, elle peut

    prparer le mouvement, mais une forme en elle-mme cest le contraire du mouvement, cela veut

    dire quoi ?

    Cela veut dire quune forme serait ou non actualise, sactualise dans une matire, lopration par

    laquelle une forme sactualise dans une matire cest ce que lon appelle, ce que les Grecs appellent,

    une information. Une forme actualise une matire, par exemple un sculpteur actualise une forme

    dans une matire, dit Aristote.

    Bon quest ce qui se meut ? quest ce qui est en mouvement ? cest la matire, ce qui se meut cest

    la matire. Quest que cela veut dire se mouvoir alors ? cest passer dune forme une autre. Ce

    nest pas la forme qui se transforme cest la matire qui passe dune forme une autre. Cest une

    ide constante a chez Platon, ce nest pas le petit qui devient grand, ce nest pas le froid qui

    devient chaud. Mais quand leau schauffe, une matire fluide leau, passe dune forme une autre,

    de la forme du froid la forme du chaud, ce nest pas le froid qui devient chaud.

    Les formes en elles mme, elles sont immobiles ou bien elles ont des mouvements de pure pense,

    mais le mouvement fini cest celui dune matire qui passe dune forme une autre. Un cheval

    galope, cest quen effet vous avez deux formes : vous pouvez distinguer une forme dun cheval et

    le dessinateur lautre, la forme du cheval au maximum de sa contraction et la forme du cheval de sa

    contraction musculaire - et la forme du cheval au maximum de son dveloppement musculaire. Et

    vous direz que le galop cest lopration par laquelle la "matire cheval", le corps du cheval avec sa

    mobilit ne cesse de passe de la forme A la forme B et de la forme B la forme A .

  • Peut tre est ce que vous comprenez alors ce que lon est en train de dire ? je dis il y a, je dis

    daprs Bergson, il semble que change peine les termes, il y a une premire manire de reproduire

    le mouvement, et cette premire manire cest quoi ? Vous pouvez reproduire le mouvement en

    fonction dinstants et de moments privilgis et cela veut dire quoi a ? A ce moment l vous

    reproduisez le mouvement en fonction dune squence de forme ou dun ordre de pose : squence

    de la forme contracte du cheval et de la forme dilate du cheval et tandis que cest la matire, le

    corps matriel du cheval qui passe dune forme une autre. En dautres termes cest pas la forme

    elle-mme qui se meut, cest la matire qui se meut en passant de la forme A la forme B. Les

    formes elles, elles sont simplement plus ou moins saisies proches de leur moment dactualisation

    dans une matire.

    Alors quand je disais une forme est plus ou moins "prte" la mobilit, cela veut dire, vous la

    saisissez ou bien pour elle-mme ou bien son point dactualisation dans une matire. Et tout lart

    grec jouera, alors que la philosophie, elle, se chargera de penser les formes en elles mme, lart grec

    lui, se chargera de faire surgir les formes au point de leur actualisation dans une matire fluante.

    Et vous voyez donc il me semble, Bergson a tout fait raison de dire et de dfinir la pense antique

    par cette reconstitution du mouvement partir, finalement le mouvement reconstitu dpendra de

    quoi ? il dpendra de la squence des formes ou des poses. Mais cest une squence de quelle

    nature ? Cest une squence, qui sera une squence logique, non pas physique. Ce qui est physique

    cest le mouvement de la matire qui passe dune forme une autre. Mais les rapports entre formes

    cest de la logique, cest de la dialectique, entre dautres termes cest une dialectique des formes des

    poses qui va servir de principe la reconstitution du mouvement, cest dire la synthse du

    mouvement. Cest une dialectique des formes ou des poses qui va servir de principe la synthse du

    mouvement cest dire sa reproduction.

    Par exemple la danse : dans la danse le corps fluide de la danseuse ou du danseur passe dune pose

    une autre et sans doute les formes de la danse sont saisies au maximum du point de leur

    actualisation. Cela nempche pas que le mouvement de la danse est engendr par cette squence de

    pose. Comprenez la conclusion dj, janticipe ce niveau et si on en tait rests l, il ne serait pas

    question quil y est quoi que se soit qui ressemble au cinma.

    En revanche, il serait question quil y est quoi ? Tout le reste : lanterne magique, ombre chinoise

    tout ce que vous voulez. Je voudrais vous suggrer cest quen effet on ne peut pas faire une ligne

    technologique absurde comme dans...

    on ne pas faire une ligne technologique absurde qui commencerait ou qui irait chercher une espce

    de pr-cinma dans les ombres chinoises ou les lanternes magiques. Cela na absolument rien voir,

    il y a une bifurcation, le cinma implique une bifurcation de la ligne technologique. En dautres

    termes je dirais : tant que vous reconstituez - vous pouvez trs bien reconstituer du mouvement,

  • vous reproduisez du mouvement - mais tant que vous reproduisez du mouvement partir dune

    squence de forme ou de pose, vous navez rien qui ressemble du cinma. Vous avez encore une

    fois, des ombres chinoises, vous avez des images qui bougent, vous avez tout ce que vous voulez -

    ce nest pas du cinma. Vous avez de la danse, vous avez tout, mais rien voir avec le cinma.

    Or la science moderne, quest ce quelle a fait ? quest ce cest que son coup de gnie selon

    Bergson ? son coup de gnie est en mme temps son coup trs inquitant, si vous mavez suivi,

    vous allez comprendre tout de suite, son coup de gnie, cest ceci a la science moderne, la science

    moderne voil ce quelle fait : elle a reconstitu le mouvement mais pas du tout la manire des

    Anciens. Dans la mme tentative de reproduire le mouvement, de reconstituer le mouvement,

    comment est ce quelle a procd ? Cette fois ci elle a reconstitu le mouvement partir dun

    instant ou dun moment quelconque.

    Et cest la diffrence effarante, cest la diffrence insondable entre les deux sciences. La science

    moderne est ne partir du moment o elle disait : le mouvement doit tre dfini en fonction dun

    instant quelconque. En dautres termes il ny aucun privilge dun instant sur lautre. Je pourrais

    aussi bien dire trs rapidement, du point de vue esthtique que ctait la fin de la tragdie et ctait

    la naissance de quoi ? du roman, par exemple en littrature, le roman cest bien. Et quest ce que

    cela veut dire le mouvement rapport l instant quelconque au lieu dtre rapport des instants

    privilgis et ds lors au lieu dtre r-engendr, reproduit partir des instants rels privilgies ? -

    l il va tre reproduit partir de linstant quelconque. Quest ce que cela veut dire linstant

    quelconque ? Comprenez cest trs concret comme notion.

    Cela veut dire un instant tel que vous ne pouvez pas le poser en lui accordant le moindre privilge

    sur linstant suivant, en dautres termes, linstant quelconque cela veut dire des instants quidistants.

    Ce ne veut pas dire pas tous les instants, cela veut dire nimporte quel instant, condition que les

    instants soient quidistants, Ce que la science moderne invente cest lquidistance des instants.

    Cest a qui va rendre possible la science moderne, Et dans "lvolution cratrice", dans ce chapitre

    quatre auquel je vous renvoie, Bergson donne trois exemples, donc pour bien comprendre son ide

    de linstant quelconque, Galile, non

    -Kepler dabord, Kepler et lastronomie,

    -Galile et la chute des corps,

    -Descartes et la gomtrie.

    Il dit quest ce quil y a de commun ? par quoi a marque vraiment laurore, le dbut dune science

    moderne ? cest dans les trois cas, aussi bien le trajet astronomique de Kepler, que la chute des

    corps selon Galile, que la figure selon que la figure gomtrique suivant Descartes, quest ce quil

    y a dtonnamment nouveau ? Vous voyez ces mathmaticiens Grecs, chez un gomtre Grec par

  • exemple, une figure est dfinie par sa forme. Cela veut dire quoi la forme dune figure ? cela veut

    dire prcisment ses thses, ses positions, ses points privilgis. Une courbe sera dfinie, les

    mathmaticiens grecs ils sont extrmement savants, ils poussent trs loin lanalyse des courbes, ils

    la dfinissent en fonction de points privilgis.

    La grande ide de la gomtrie de Descartes cest par exemple quune figure renvoie un trajet,

    lequel trajet doit tre dterminable tout instant, tout instant de la trajectoire. Cest dire lide de

    linstant quelconque apparat pleinement. Quand vous rapportez la figure non plus la forme mais

    linstant, tel que, cest dire un moment privilgi mais linstant quelconque, quest ce que vous

    avez ? vous avez non plus une figure, vous avez une quation. Et une des manires possibles de

    dfinir une quation, cest prcisment la dtermination dune figure, en fonction de linstant

    quelconque concernant la trajectoire qui dcrit cette figure. Donc vous lirez jespre, ces pages de

    Bergson trs belles. Voil donc que cest vraiment une toute autre manire de penser, saisissez

    mme a la limite, on peut pas se comprendre, cest deux systmes compltement diffrents.

    Dans un cas vous prtendez reconstituer le mouvement partir dinstants privilgis qui renvoient

    des formes hors du mouvement, des formes qui sactualisent dans une matire.

    Dans lautre cas, vous prtendez reconstituer le mouvement partir dlments immanents du

    mouvement. Je dirais, partir de quoi, quest ce qui soppose la pose ? vous allez reconstituer le

    mouvement non plus avec des poses mais avec des instantans. Cest lopposition, cest

    lopposition absolue du cinma et de la danse. Bien sr, on peut toujours filmer une danse, ce nest

    pas cela qui compte. Lorsque quElie Faure commence ses textes sur le cinma, qui sont trs beaux

    par une espce danalogie cinma / danse, l il y a quelque chose qui ne va pas. Cest deux

    reconstitutions de mouvement, absolument, absolument opposes... Et pourquoi, quest que a veut

    dire ? essayons de le dire alors l techniquement, technologiquement. Et bien en effet, cest

    vraiment les ... lorsque par vu dhistoire universelle, on nous dit, on nous raconte une histoire qui

    irait depuis de la lanterne magique jusquau cinma. Parce quenfin ce nest pas a, ce nest pas a !

    Je prends mme des exemples qui sont dans toutes les histoires du cinma, des exemples trs

    tardifs.

    Au 19eme sicle vous avez ces deux appareils trs connus : le fantascope, le fantascope de plateau

    et puis vous avez le praxinoscope.

    ( cesses de te marrer tout le temps, cest agaant, je narrive plus rflchir, tu es l tout le temps,

    tu me gnes, ou bien mets toi de ct ou viens pas, je veux dire cest nervant...)

    Et bien le praxinoscope de... comment il sappelait celui l ? on voit cela partout...de Reynaud,

    quest ce qui se passe ? Le principe vous le connaissez cest prcisment sur un cercle l, on fait des

    dessins, et puis le cercle tournant on va projeter nest ce pas, sur un miroir, et bien avec Reynaud, il

  • va y avoir un prisme central qui vite le miroir, bon tout ces trucs trs connus.

    En quoi a na rien voir avec le cinma ? cest tout ce que vous avez dessiner - alors que vous

    layez dessiner ou photographier cela ne change rien - que se soit du rel - mthode ombres

    chinoises - cest des parties du corps rel, que se soit une image - un dessin ou comme dans la danse

    du rel le corps -, que ce soit oui, si je prends dans lordre, que ce soit du corps, que ce soit de

    lombre, que ce soit une image, un dessin ou que ce soit une photo, cela ne change strictement rien,

    vous aurez fait une synthse du mouvement partir dune squence de forme. Ce que jappelais -

    vous aurez fait une synthse de mouvement partir dun ordre de pose - vous aurez des images

    animes parfaitement a ...oui...oui...oui - rien voir de prs ni de loin avec le cinma, ce nest pas

    cela le truc du cinma.

    Quand est ce quil commence, quand est ce que a commence le cinma ? je dirais une chose

    simple : a commence exclusivement - non pas que a existe dj - mais cest rendu possible quand

    est que cest possible ? quand est ce, comment le cinma est il possible ?... Le cinma est possible

    partir du moment o il y a une analyse du mouvement au sens littral du mot, o il y a une analyse

    du mouvement, telle quune synthse ventuelle du mouvement dpende de cette analyse. Ce qui

    dfinira le cinma, cest bien une synthse du mouvement cest dire une perception du

    mouvement - donner percevoir du mouvement - mais il ny a pas de cinma, et rien voir qui

    ressemble du cinma quand la synthse du mouvement nest pas fournie, nest pas conditionne

    par une analyse du mouvement. En dautres terme tant que la synthse du mouvement est

    conditionne par une dialectique des formes et ou par un ordre ou par une logique des poses, il ny a

    pas de cinma.

    Il y a cinma lorsque que cest une analyse du mouvement qui conditionne la synthse du

    mouvement.

    [question dun tudiant inaudible]

    Deleuze : Quoique... non.. Non ...non. Il ne faut pas me troubler, il faut retenir cette question

    puisque dans... la fin l et constamment et a je ne loublierais pas dans mon premier lment, jai

    beaucoup insist sur la diffrence perception cinma/perception naturelle. Quest ce que a veut

    dire ? heu... la question je dirais l... jai rpondu htivement "non" je ne sais pas si notre il est une

    camera, cela na pas beaucoup de sens mais en revanche, je dirais : mme si notre oeil est une

    camera, notre vision nest pas une vision de cinma, notre vision, notre perception visuelle nest pas

    une perception cinmatographique.

    Quand la question rapport de lil et de la camera, ... me parat beaucoup plus compliqu, de

    toute manire cela ne change rien au fait de la diffrence de nature entre perception de cinma et

    perception dans les conditions naturelles, Alors quest ce que je voulais dire ?...oui...a se passe

  • comment historiquement en effet la formation du cinma ? Lanalyse du cinma non pardon...

    lanalyse du mouvement, elle ne passe pas ncessairement par la photo. Mme historiquement on

    sait que un des premiers avoir pouss lanalyse du mouvement trs loin, cest Marey. Comment il

    pousse lanalyse du mouvement ? Trs prcisment en inventant des appareils graphiques qui

    permettent de rapporter un mouvement lun de ses instants quelconques donc Marey est bien un

    savant moderne au sens bergsonien. Bergson avait une formule parfaite qui rsumait tout, il disait :

    la dfinition de la science moderne cest ceci : cest une science qui a trouv le moyen de considrer

    le temps comme variable indpendante. Cest a, rapporter le mouvement un instant quelconque,

    cest traiter le temps comme variable indpendante. Les Grecs nont jamais eu lide de traiter le

    temps comme variable indpendante, pourquoi ? a il y toutes sortes de raisons, pourquoi ils ne

    pouvaient pas traiter le temps comme variable indpendante.

    Mais cette espce de libration du temps saisie comme variable indpendante, cest a qui permet

    de considrer le mouvement en le rapportant linstant quelconque, or Marey comment il faisait ? Il

    prenait ses appareils graphiques pour enregistrer toutes sortes de mouvements : mouvement du

    cheval, mouvement de lhomme, mouvement de loiseau bon etc....Loiseau ctait plus difficile,

    mais enfin a consistait en quoi ? Il ny avait pas photo, du moins au dbut - Marey se servira de la

    photo - mais au dbut quest ce qui se passe ? Il se sert dappareils enregistreurs, savoir les pieds,

    les sabots l du cheval sont pris dans des appareils, des espces de coussins avec des fils, cest un

    appareil trs beau, trs beau, pour les pieds, heu pour les mouvements verticaux, la croupe du

    cheval est elle-mme prise dans un appareil, la tte du cavalier avec un petit chapeau de toutes

    sortes, et puis cest le cavalier videment qui tient le truc enregistreur o toutes les aiguilles se

    rejoignent, tout a, et il obtint ses fameuses courbes que vous trouvez dans les livres de Marey et

    qui sont trs belles et qui permettent de dcouvrir cette chose admirable : que prcisment le galop

    du cheval ne se fait pas avec deux poses.

    Le galop du cheval contrairement ce que les peintres et les artistes prcisment croyaient et

    forcement, ne dpend pas dune dialectique des formes mais prsente simplement une succession

    dinstantans, savoir le cheval tient sur un pied, sur trois pieds, sur deux pieds, sur un pied, sur

    trois pieds, sur deux pieds, etc. des instants quidistants. Cest bouleversant a comme dcouverte,

    cest la substitution je dirais vraiment, cest la substitution de lanalyse du mouvement la

    dialectique des formes ou lordre des poses ou la logique des poses.

    Or bon quest ce qui se passe ? Vous savez lhistoire ? enfin je la rsume pour beaucoup, voil

    quun homme de cheval est tellement tonn de voir que, lui qui sy connat qu"un cheval au galop

    tient sur un pied, il dit que cest pas possible ! Il prend contact avec un trs bon photographe trs

    trs plein de malice et lui dit comment vrifier cela avec des photos ? cest lhistoire de Marey

    puisque Marey ne disposait que de ses enregistrements que de ses courbes

  • (intervention inaudible dtudiante )

    Deleuze : - et le photographe va avoir cette ide trs trs bonne de mettre distance quivalente - et

    cest toujours le principe dquivalence qui est fondamental- cet appareil de photo reli un fil,

    lequel fil va tre rompu au passage du cheval donc lappareil va dclench et il va avoir sa

    succession dimages quidistantes qui vont confirmer les rsultats de Marey. Bon, a doit nous

    ouvrir des horizons a, quand est ce quil y cinma ? Encore une fois quand la dialectique des

    formes laisse la place une analyse du mouvement, lorsque la synthse du mouvement est produite

    par une analyse du mouvement, par une analyse pralable du mouvement et non plus par une

    dialectique des formes ou des poses.

    Cela implique quoi ? Est-ce que cela implique la photo ? oui cela implique la photo, videment a

    implique la photo et cela implique lquidistance des images sur la bande, cest dire cela implique

    la perforation de la bande. Cest l le cinma, cela implique la photo mais quelle photo ? Il y a une

    photo de pose, si la photographie tait reste une photo de pose, jamais le cinma ne serait n,

    jamais. On en serait rest au niveau du praxinoscope, on en serait rest au niveau de lappareil de

    plateau ou de lappareil de... comment il sappelle dj, je ne sais plus - ou de lappareil de

    Reynaud, on aurait pas eu de cinma.

    Et en effet, le cinma apparat prcisment lorsque lanalyse du mouvement sest faite au niveau de

    la srie des instantans et lorsque la srie des instantans remplace la dialectique des formes ou

    lordre des poses.

    Du coup peut tre, est ce quon est apte comprendre alors dans quelle situation en mme temps

    que le cinma faisait une chose tonnante, savoir : il ny a aucun rapport entre la reproduction du

    mouvement partir dune analyse du mouvement cest dire dune succession dinstantans -

    aucun rapport entre a et une reproduction du mouvement quoi quil y ait aussi reproduction de

    lautre ct, une reproduction du mouvement partir dune dialectique des formes ou dun ordre

    des poses, dune logique des poses.

    Je dirais ce qui a rendu possible le cinma, ce nest mme pas la photo, cest la photo instantane

    partir du moment o lon a pu assurer lquidistance des images par la perforation. Bon a cest la

    dfinition comme technique, mais on voit bien ds lors que le cinma se trouvait dans une espce de

    situation la limite sans issue. Sa grandeur faisait, sa nouveaut mme faisait que ds le dbut, on

    va se retourner contre lui, sur lui, en disant mais quel intrt ? quel intrt ? Sil sagit de reproduire

    le mouvement partir dune srie dinstantans, quel intrt ? Intrt artistique, intrt esthtique

    nul, intrt scientifique nul, ou bien si petit, si petit. Voil que tout se retourne contre lui partir de

    son originalit, oui parce que, on dira "cest possible tout a, le cinma il reproduit le mouvement

    partir dune analyse du mouvement", a nempche pas quil ny a dart - et a cest une condition

  • de lart - que dans la mesure o le mouvement est reproduit partir dun ordre des poses et dune

    dialectique des formes.

    Et en effet la preuve que le cinma nest pas de lart, on linvoquait, comme Bergson, dans cette

    succession mcanique des instantans et du point de vue de la science, est ce que cest intressant

    au moins ? Evidement non ! Pourquoi ? parce que ce qui intresse la science, cest lanalyse du

    mouvement - la reproduction cest pour rire - et en effet si vous prenez Marey, cest trs clair chez

    lui, ce qui lintresse - cest mme pour cela quil ne passait pas toujours par la photo - ce qui

    lintresse cest lanalyse du mouvement, cest dire une perception pure, ou une synthse du

    mouvement :

    la manire ancienne en fonction dinstants privilgis, qui nous renvoie une dialectique des

    formes,

    la manire moderne en fonction dinstants quelconques qui nous renvoie une analyse du

    mouvement, et bien est ce quelles se valent ? Est-ce quelles se valent ? Bon l Bergson devient

    trs hsitant et cela devient ce texte de lvolution du chapitre quatre de "lvolution cratrice". Il

    dit : et bien finalement elles se valent - sa thse gnrale elle est trs subtile - oui, les deux manires

    se valent mais elles auraient trs bien pu ne pas se valoir. Alors on se sentirait plus libres nous, pour

    dire et bien finalement elles ne se sont pas valu du tout et en grande partie peut tre grce

    Bergson. Curieux je fais l une parenthse sur :...Bergson lui, il ne fait que sa critique du cinma,

    mais finalement positivement il a une grande influence - je veux dire, que parmi les premiers qui ait

    vraiment penser le cinma, il y a Elie Faure qui fut lve de Bergson et il y a un homme de cinma

    Epstein, qui a crit des textes trs beau or Epstein tous ses textes sont trs bergsonien, linfluence de

    Bergson sur Epstein est vidente - bon alors voil quil nous dit : "bien oui dune certaine manire

    les deux manires se valent", lantique et la moderne saffrontent, pourquoi ?

    Quest ce qui a de commun entre les deux manires ? et bien ce quil y a de commun entre les deux

    manires vous comprenez, cest que de toute manire on recompose le mouvement avec de

    limmobile, soit avec des formes qui transcendent le mouvement et qui ne font que sactualiser dans

    des matires, soit avec des coupes immobiles intrieures au mouvement, et cela revient au mme

    dun certain point de vue, dun certain point de vue on recompose toujours le mouvement avec des

    positions, avec des positions, soit des positions privilgies, soit des positions quelconques. Soit

    avec des poses, soit avec des instantans puis aprs, cest dire dans les deux manires, on a

    sacrifi le mouvement limmobile et on a sacrifi la dure un temps uniforme.

    Donc en rester l, ce ne serait pas bien, ni lune ni lautre_ Cest dire ce que lon rate dans les

    deux cas cest quoi ? ce que lon rate dans les deux cas cest toujours le thme bergsonien, ce qui se

    passe entre deux coupes, ce que lon rate dans les deux cas, cest lintervalle. Et le mouvement il se

  • fait dans lintervalle. Ce que lon rate aussi bien dans le second cas que dans le premier cest quoi ?

    cest ce qui se passe entre deux instants - il y a que a dimportant pourtant - savoir : non pas la

    manire dont un instant succde un autre, mais la manire dont un mouvement se continue - la

    continuation dun instant lautre - cest la continuation dun instant lautre nest ce pas, a nest

    rductible aucun des instants et aucune succession dinstants. Ce que lon a rat cest donc la

    dure. La dure qui est la continuation mme dun instant lautre. En dautres termes ce que lon a

    rat, cest ce qui fait que linstant suivant nest pas la rptition du prcdent. Sil est vrai que le

    prcdent se continue dans le suivant, le suivant nest pas la rptition du prcdent.

    Ce phnomne de la continuation qui ne fait quun avec la dure, on ne peut pas le saisir, si lon

    rsume le mouvement une succession de coupes. Bien plus, quest ce quil y a de commun entre la

    mthode antique et la mthode moderne ? bien il y a quelque chose de commun, cest que pour les

    uns comme pour les autres, tout est donn, et a cest le grand cri de Bergson, quand il veut

    critiquer et les modernes et les anciens et marquer sa diffrence. a cest des penses o tout est

    donn, comprenez au sens fort, tout est donn, on dirait aussi bien le Tout est donn, pour ses

    penses l le tout est toujours donn ou donnant, tout est donn par ce que le Tout est donnable,

    quest ce que cela veux dire : "le Tout est donnable ? en effet prenez la pense antique, il y a cet

    ordre des formes, cet ordre des formes qui est un ordre ternel, cest lordre des Ides avec un grand

    I et le temps, puisque le temps il surgit lorsque les ides sincarnent dans une matire, le temps

    quest ce que cest ? Le temps ce nest jamais quune dgradation, cest une dgradation de

    lternel. Formule splendide de Platon : "Le temps, image mobile de lternit", et le mouvement est

    comme une image dgrade de lternit. Et toute la pense grecque fait du temps une espce

    dimage de lternel.

    Do la conception du temps circulaire, tout est donn, tout est donn, puisque les raisons dernires

    sont hors du temps dans les ides ternelles. Et dans la science moderne surgit le principe quun

    systme est explicable un moment donn en vertu du moment antrieur. Cest comme si le

    systme mourait et renaissait chaque moment, linstant suivant rpte linstant prcdent, l aussi

    dune autre manire dans la science moderne tout est donn - notamment par exemple dans la

    conception de lastronomie - je ne dis pas lastronomie moderne, pas actuelle, pas contemporaine,

    mais lastronomie du dix huitime, du dix septime, du dix huitime, du dix neuvime sicle, tout

    est donn, cest dire le Tout est donn cette fois ci cest quoi ? pas sous la forme dides

    ternelles, hors du temps, cette fois ci, cest la forme du temps qui est donn cest le mouvement

    dans la forme du temps qui est donn, le mouvement nest plus ce qui se fait,cest un dj fait, il est

    l il est fait. Si bien que de deux manires diffrentes, soit parce que la philosophie et la science

    moderne se donnent le temps, soit parce que les anciens se donnent quelque chose hors du temps,

  • dont le temps nest plus quune dgradation - dans les deux cas : tout est donn, cest dire le Tout

    est de lordre du donnable. Simplement, on dira ha ben, oui ! Nous, les hommes, on atteint pas au

    Tout, pourquoi ? On atteint pas au Tout ? Parce quon a une intelligence limite, on a un

    entendement limit, etc. mais le "Tout est donnable en droit".

    Cest pour cela que malgr toute les diffrences, dit Bergson, la mtaphysique moderne sest coule

    et sest accorde et a prit le relais de la mtaphysique ancienne au lieu de rompre avec elle. Voyez il

    y a donc bien quelque chose de commun aux deux mthodes, la mthode ancienne et la mthode

    moderne et pourtant Bergson renverse tout et pourtant on tait deux doigts. Ds que la science

    moderne a fait son coup de force - rapporter le mouvement linstant quelconque, cest--dire

    riger le temps en variable indpendante - quelque chose devenait possible qui ntait pas possible

    aux anciens. Si le mouvement se rapporte linstant quelconque comment ne pas voir ce moment

    l que tout ce qui compte, cest ce qui se passe dun instant un autre, cest ce qui se continue dun

    instant un autre, cest ce qui crot dun instant un autre, cest ce qui dure - en dautres termes il

    ny a que la dure de relle.

    Cest les coupes immobiles sur le mouvement, en tant quelles rapportaient le mouvement

    linstant quelconque qui devaient tre, qui auraient pu tre capables de nous faire sauter dans un

    autre lment, savoir lapprhension de ce qui est plus, lapprhension de ce qui se continue dun

    instant lautre, lapprhension de lintervalle dun instant un autre, comme tant la seule ralit.

    En dautres termes la science moderne rendait possible une pense du temps, une pense de la

    dure. Il aurait suffit que, il aurait suffit que la science moderne ou que la philosophie moderne

    consente renoncer lide que tout est donn, cest dire que le Tout est donnable. Si bien que si

    je dis non le Tout nest pas donnable, non le Tout nest pas donn. Quest ce que cela veut dire ? l

    encore cela cest tellement compliqu, cest trs bien, cela se complique parce que le Tout nest pas

    donnable, le Tout nest pas donn, cela peut vouloir dire deux choses ou bien cela veut dire la

    notion de Tout na aucun sens. Il y a beaucoup de penseurs modernes qui ont pens, qui ont pens

    que le Tout tait un mot vide de sens, "Tout" cela voulait rien dire, cela peut se dire mais ce nest

    pas lide de Bergson, en somme ce nest pas cela lorsque il dit : "Tout nest pas donn tout nest

    pas donnable", il veut pas dire la notion de Tout est une catgorie de naissance il veut dire le Tout

    est une notion parfaitement consistante mais le Tout cest ce qui se fait.

    Cest trs curieux , il catapulte dans lide de Tout, deux ides premire vue tout fait

    contradictoires en apparence : lide dune totalit et lide dune ouverture fondamentale, le Tout

    cest lOuvert, cest trs bizarre comme ide, le tout cest la dure, le Tout cest ce qui fait, cest ce

    qui se fait, le Tout cest ce qui cre, et cr cest le fait mme de la dure cest a dire, cest le fait

    mme de continuer dun instant un instant suivant, linstant suivant ntant pas la rplique, la

  • rptition de linstant prcdent. Or la science moderne aurait pu nous amener une telle pense,

    elle ne la pas fait, elle aurait pu donner la mtaphysique un sens moderne. Et quest ce que cela

    aurait t ? Le sens moderne de la mtaphysique cest celui que Bergson pense restaurer, tre le

    premier restaurer, savoir une pense de la dure.

    Une pense de la dure a veut dire quoi ? a lair trs abstrait mais concrtement, cela veut dire

    une pense qui prend pour question fondamentale principale : comment quelque chose de nouveau

    peut il se produire ? Comment y a til du nouveau ? comment y a til de la cration ? Selon Bergson

    il ny a pas de plus haute question pour la pense : comment un quelque chose de nouveau - pas

    norme : comment un quelque chose de nouveau peut-il se produire dans le monde ? Et Bergson

    dans des pages trs intressantes finit par dire : cest a la pierre de touche de la pense moderne.

    Cest trs curieux, parce que quand on pense ce que, ce qui sest pass en dehors de Bergson,

    tout a on a limpression et pourtant il nest pas le seul, il y a un philosophe anglais trs important,

    trs gnial qui sappelle Whitehead la mme poque et les ressemblances, les chos entre

    Whitehead et Bergson sont trs grands, ils se connaissaient trs bien et Whitehead....

    vous memmerdez, vous savez, non cela ne peut pas durer, vous...ce nest que cela me gne, ou que

    cela me vexe mais cela mempche de parler vous comprenez, ds que jai les yeux sur vous je vous

    vois hilare alors que se soit un tic, ou que vous rigoliez dans le fond de vous mme, moi cela mest

    gal , mettez vous l bas, cest trs trs embtant pour moi, un espce de ricanement, cest gnant,

    oui, oui, il me fait taire une ide)

    Oui Whitehead est trs curieux parce quil construit des concepts, il construit des concepts qui lui

    paraissent absolument ncessaire, ne serait ce que la comprhension de la question. La question ne

    va pas de soi, cest une question trs trs difficile, quelle est le sens de la question ? comment se

    fait il que quelque chose de nouveau soit possible ? alors il y a des gens qui diront justement, ah

    mais non ! il ny a rien de nouveau, ce nest pas possible quelque chose de nouveau - bon daccord

    bon, ben tant pis cest comme cela. Il y a un certain ton du Bergsonisme qui est tout entier la

    promotion de cette question l, comment lapparition dun nouveau galisme est il possible une fois

    donn, le monde, lespace etc. Il lui faudra toute sa philosophie repondre cette question l et en

    effet cest est une.. alors Whitehead il invente des catgories, il va appeler a, il invente une

    catgorie de crativit, il explique que la crativit cest la possibilit, uniquement la possibilit

    logique, que surgisse du nouveau dans le monde.

    En effet, on peut concevoir quest ce quil y a dans le monde, qui fait que : une nouveaut est

    possible ? Lmergence dune nouveaut soit possible, pas vident, il faut que le monde soit

    structur de telle manire que quelque chose de nouveau soit productible, si on admet que quelque

    chose de nouveau apparat. Alors il lui va falloir une premire catgorie de crativit et puis une

  • seconde catgorie il va lui falloir, trs belle celle l, quil appelle la concressence, et la concressence

    ce sera la production de quelque chose de nouveau dans le monde de la crativit, cest--dire dans

    le monde o cest possible. Enfin je ne raconte a que par rfrence Bergson, pour dire que il nest

    pas seul quand mme. Et que a cest un ton proprement bergsonnien qui aboutit ceci : le

    renversement par rapport la philosophie antique. Par rapport la philosophie antique le

    renversement, il est immdiat, savoir : en faisant dpendre le mouvement et la constitution dans le

    mouvement dune logique des formes. Finalement toute la mtaphysique antique sous entendait que

    labstrait explique le concret : le concret ctait le mouvement de la matire qui passait dune forme

    une autre, il fallait une dialectique des formes pour expliquer cela.

    Que labstrait explique le concret, a cest la force de labstraction dans la philosophie antique. Le

    renversement au niveau de Bergson ou au niveau de Whitehead, cest vident, cest vraiment une

    espce de dfi l, cest juste le contraire : savoir cest labstrait dtre expliqu, il faut

    expliquer : cest labstrait. Donc ncessit darriver des concepts qui en tant que concepts, ils sont

    a la fois des concepts et puis en mme temps en tant que concepts sont des concepts concrets, que le

    concept cesse dtre abstrait et que se soit partir des concrets quon explique labstraction,

    labstrait. Bon peu importe voyez ce quest en train de dire Bergson : dune certaine manire la

    mthode moderne, la science moderne dans la mesure o elle rapporte le mouvement des

    instantans cest dire une analyse du mouvement, rend possible ou aurait pu rendre possible, une

    toute nouvelle forme de pense.

    Quelle pense ? Une pense de la cration, au lieu dtre une pense de quoi ? dune certaine

    manire de lincr, cest dire de Dieu, du crateur, ou de lincr : les ides ternelles. Une

    pense de la cration, une pense du mouvement, une pense de la dure, ce qui veut dire quoi ?

    Qui veut dire la fois mettre la dure dans la pense et mettre la pense dans la dure et sans doute

    cest la mme chose, mettre la dure dans la pense et mettre la pense dans la dure, cela voudrait

    dire quoi ? cela voudrait dire une dure propre de la pense, que la pense se distingue des choses,

    que la pense se distingue dun cheval, dune fleur, dun monde, uniquement par une manire de

    dure, que la pense elle mme soit un mouvement, bref quil y ait lavnement dun mouvement :

    la fois que la pense soit apte a penser le mouvement et le mouvement concret, parce que en tant

    que pense elle est elle mme un mouvement. En dautres termes quil y ait une vitesse propre de la

    pense, quil y ait un mouvement propre de la pense, quil y ait une dure propre la pense. Bon

    est ce que se serait une nouvelle pense tout a ? bon peut tre, en tout cas la science moderne

    rendait une tel, comment dire, un tel remaniement de la philosophie possible et finalement cela ne

    sest pas fait, encore une fois cela ne sest pas fait un peu par contingence, par hasard, parce que la

    science moderne a prfr, adapter ou radapter ou bien nier la mtaphysique et la supprimer ou

  • bien refaire une mtaphysique qui prenait le relais de la mtaphysique ancienne. Mais constituer

    une nouvelle mtaphysique qui soit la science moderne, ce que la mtaphysique ancienne tait la

    science ancienne, cest ce que lon a pas su faire.

    Si bien que la grande ide de Bergson, cest que lui est sans doute un des premiers laborer une

    mtaphysique qui corresponde la science actuelle. Et en effet quand on voit les mtaphysiques, la

    plupart des mtaphysiques du dix neuvime sicle, on a limpression que, elles correspondent la

    science du dix huitime. Et les mtaphysiques du vingtime, on a limpression quelles

    correspondent la science du dix septime ou du dix huitime.

    Mais faire une mtaphysique qui soit comme le corrlat de la science actuelle - a cest l vous

    comprenez cest trs important par ce que cest a la vraie ide de Bergson - alors que le Bergson le

    plus simple, le Bergson premier l, je dirais quest ce quil fait lui ? le Bergson premier, il fait ce qui

    est clbre, qui est aussi chez Bergson, une critique de la science, il critique la science au nom de la

    dure, bon mais en fait cest beaucoup plus profond que cela, ce nest pas critiquer la science qui

    lintresse. Cest laborer une mtaphysique, qui soit vraiment le corrlat de ce que la science

    moderne raconte et a fait.

    Alors je dirais a comme mon...mon second problme, je disais tout lheure il y a un problme de

    la perception du mouvement au cinma. l aussi.., est ce que Bergson nous ouvre beaucoup plus

    douvertures encore quon aurait cru, car cette pense dont il rclame quelle soit une pense

    moderne en corrlat avec la science moderne.

    Est ce que le cinma na pas quelque chose dire sur cette pense, comprenez juste jajoute que des

    lors, il sagirait pas - ce problme du rapport du cinma et de la pense on peut le poser de

    diffrentes manires mais on sent tout de suite quil y en a qui sont insuffisantes, pas mauvaises

    mais insuffisantes - Je veux dire, on peut se demander par exemple comment le cinma reprsente la

    pense alors on invoque le rve au cinma, la reproduction du rve au cinma, ou bien la

    reproduction du souvenir au cinma, le cinma et la mmoire, le cinma et le rve etc... il faudra

    bien pass par l, sans doute cest trs intressant, cest trs important, le jeu de la mmoire au

    cinma, trs important, mais ma question est au del aussi : il ne sagit pas de savoir comment le

    cinma se reprsente la pense, il sagit de savoir :

    sous quelle forme de la pense se fait la pense dans le cinma. Quest ce que cest cette pense ?

    dans quel rapport est elle avec le mouvement, avec la vitesse, etc. ? Est ce quil y a une pense

    proprement cinmatographique ?

    En un sens on pourrait dire mais cette pense que Bergson rclame, cette pense de la cration, de la

    production de quelque chose de nouveau, est ce que ce nest pas cette pense l, laquelle

    prcisment le cinma saddresse quand nous le regardons ? Et de mme quil y a une perception

  • cinma propre au cinma, irrductible la perception naturelle, de mme il y a une pense cinma

    irrductible sans doute la pense philosophique ou peut tre pas la pense philosophique mais

    laquelle tout a. Il y a une pense cinma qui serait particulire et quil faudrait dfinir,

    Voil et enfin jai presque fini parce que vous devez ne plus en pouvoir, je dis voil la seconde thse

    de Bergson et je veux juste dire : cest trs curieux parce quil y a une troisime thse sur le

    mouvement. Voyez la seconde thse de Bergson ctait : "sans doute cest pas bien de reconstituer le

    mouvement avec des positions et des coupes immobiles mais il y a deux manires trs diffrentes de

    le faire et ces deux manires finalement ne se valent pas".

    Et troisime thse alors l qui a quelque chose de stupfiant - vous comprenez que parfois cest

    dans la mme page quil y a un clin dil pour chacune de ses.-. ne se contredisent pas mais elles

    sont bizarres, voil que dans toutes sortes de pages, le lecteur peut tre et jespre que vous serez

    comme moi, est un peu tonn toujours, dans ce quatrime chapitre de lvolution cratrice, trs

    tonn le lecteur parce quil se dit tout dun coup mais quoi ? tout lheure on nous disait ceci, tout

    lheure on nous disait : "linstant est une coupe immobile du mouvement". Toute la thse que jai

    prsent l de Bergson cest : "linstant