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TEXTE SARAH BURKHALTER « J’aime bien faire des objets qui subliment le  quotidien » . Delphine Frey, talentueuse ECA- Lienne, s’apprête à exposer pour la première fois en solo au Salon Satellite de Milan. Profil l’a ren- contrée dans un palace lausannois, où le décor feutré tranchait avec la personnalité déterminée de la jeune designer. Française, mais de souche suisse, Delphine Frey a distillé ses pre- mières réussites depuis Renens. Formée à l’École cantonale d’art de Lausanne, elle s’illustre très tôt avec I-cone (2007), un cornet à glace en porcelaine qui a séduit d’innombrables rédactions déco-design, ainsi que les hauts cadres de la maison Bernardaud, commanditaires et collaborateurs décidément chanceux avec les synapses créatives de Romandie. Le luxe et les paradoxes des matériaux, le rêve et la rigueur du savoir-faire : telles sont les impulsions qui animent le travail de Delphine Frey, elle qui aimante ses objets d’une valeur poétique indéniable. Cette capacité à activer le détonateur “ coup de foudre ” lui attire non seulement le regard de Wallpaper* – qui publie sa lampe en carbone plissé en couverture de l’édition de janvier 2010 –, mais aussi la confiance d’industries locales et d’ateliers de renom interna- tional. Après une mise sur orbite via l’acronyme de son école, où elle enseigne désormais, parions que c’est bien son nom en entier qu’on lira à l’avenir. Comment êtes-vous arrivée au design d’objet ? Depuis toute petite, j’ai toujours aimé la mode, le design, la décora- tion. Quand j’ai passé mon bac, je me suis inscrite à HEC – donc rien à voir ! –, et juste avant la rentrée, j’ai réalisé que non, ce n’était pas pour moi. Puis j’ai trouvé l’ECAL, où j’ai eu la chance d’être admise. J’ai tout de suite commencé en section design. C’était alors une évi- dence. Après vos premières réalisations, voyez-vous une continuation, une démarche qui se dessine ? Depuis 2009, j’ai beaucoup travaillé le plissé. J’aime bien faire des objets qui font rêver, des objets qu’on achète par coup de foudre. Quelque chose qui a un brin de folie dans l’acte. Grâce à mon Master, j’ai commencé à travailler avec des maisons de luxe. Ma démarche s’adapte donc bien à ce domaine : on peut se permettre de faire des objets un peu moins rationnels, mais qui restent tout de même ancrés dans l’utile, avec quelque chose de fascinant en plus. Quels ont été les temps forts de cette formation ? Ce sont des temps forts tout le temps ! Les workshops, très intenses sur trois semaines, nous ont donné l’occasion de travailler avec des maisons comme Christofle. Il y a là un tel savoir-faire, une telle tradi- tion ! Il s’agit de proposer la juste dose de nouveauté, sans occulter le passé de la maison. Comment s’imprègne-t-on de cette histoire ? En visitant les ateliers et le musée. J’ai passé beaucoup de temps avec l’archiviste, qui est là depuis trente ans, et qui connaît tout par cœur. Nous avons longuement discuté de dé- tails, d’anecdotes, de périodes. Pour le seau, compliqué à fabriquer car l’argent se prête plus facilement aux formes rondes qu’aux angles, j’ai travaillé avec l’atelier de haute orfèvrerie. C’était une très bonne surprise lorsque j’ai appris qu’ils allaient le commercialiser ( 25 éditions vendues en une semaine : la collaboration avec Christofle continue pour Delphine, ndlr). On retrouve le plissé à plusieurs reprises dans votre travail… Ça me plaît de donner l’illusion de mouvement à un matériau rigide. Je poursuis cette idée dans les objets présentés à Milan en avril prochain. J’aime l’illusion des plis qui s’étirent sous le poids de la bouteille, tout comme celle du morceau de tissu suspendu pour la lampe en carbone Slim & Strong (2009). Vous aimez défier les matières premières ? Oui ! Le carbone, on le trouve d’habitude dans des formes très douces, comme des ailerons de formule 1. Alors, par- fois, on nous dit : « ce n’est pas possible, on ne l’a jamais fait ». Mais j’ai eu la chance de tomber sur des fabricants très réceptifs, qui nous aident vraiment à développer une idée : le prototype de la lampe plissée a été réalisé par une entreprise spécialisée à Crissier. Qui et qu’est-ce qui vous inspire ? Je m’intéresse beaucoup à la mode, à la haute couture, car le travail du détail m’inspire énormément. Christian Lacroix, John Galliano pour ses volumes et ses structures toujours ma- gnifiques. En design, mes modèles sont Ronan Bouroullec, et, pour son travail sur le textile, Patricia Urquiola. Et puis aussi, les musées d’arts décoratifs, les brocantes : je feuillette volontiers la Gazette Drouot, car les objets du patrimoine m’attirent beaucoup. Quand un objet se transmet, quand il dure, il a tout de suite une âme. Si on vous donnait carte blanche aujourd’hui ? S’il y a un matériau que j’aimerais bien travailler, c’est le cristal. Il s’agit d’un matériau fascinant – transparent et dur à la fois. Un objet dans la collection du plissé, mais en cristal cette fois… FIN www.delphinefrey.ch. 099 Slim & Strong I-cone Pleat © Elena Rendina / Ecal 098 DESIGN 1

Delphine Frey pour PROFIL

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Interview de Delphine Frey (PROFIL magazine, mars 2010)

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Page 1: Delphine Frey pour PROFIL

TexTe Sarah Burkhalter

« J’aime bien faire des objets qui subliment le quotidien ». Delphine Frey, talentueuse ECA-Lienne, s’apprête à exposer pour la première fois en solo au Salon Satellite de Milan. Profil l’a ren-contrée dans un palace lausannois, où le décor feutré tranchait avec la personnalité déterminée de la jeune designer.

Française, mais de souche suisse, Delphine Frey a distillé ses pre-mières réussites depuis Renens. Formée à l’École cantonale d’art de Lausanne, elle s’illustre très tôt avec I-cone (2007), un cornet à glace en porcelaine qui a séduit d’innombrables rédactions déco-design, ainsi que les hauts cadres de la maison Bernardaud, commanditaires et collaborateurs décidément chanceux avec les synapses créatives de Romandie. Le luxe et les paradoxes des matériaux, le rêve et la rigueur du savoir-faire : telles sont les impulsions qui animent le travail de Delphine Frey, elle qui aimante ses objets d’une valeur poétique indéniable. Cette capacité à activer le détonateur “ coup de foudre ” lui attire non seulement le regard de Wallpaper* – qui publie sa lampe en carbone plissé en couverture de l’édition de janvier 2010 –, mais aussi la confiance d’industries locales et d’ateliers de renom interna-tional. Après une mise sur orbite via l’acronyme de son école, où elle enseigne désormais, parions que c’est bien son nom en entier qu’on lira à l’avenir.

Comment êtes-vous arrivée au design d’objet ?Depuis toute petite, j’ai toujours aimé la mode, le design, la décora-tion. Quand j’ai passé mon bac, je me suis inscrite à HEC – donc rien à voir ! –, et juste avant la rentrée, j’ai réalisé que non, ce n’était pas pour moi. Puis j’ai trouvé l’ECAL, où j’ai eu la chance d’être admise. J’ai tout de suite commencé en section design. C’était alors une évi-dence.Après vos premières réalisations, voyez-vous une continuation, une démarche qui se dessine ?Depuis 2009, j’ai beaucoup travaillé le plissé. J’aime bien faire des objets qui font rêver, des objets qu’on achète par coup de foudre. Quelque chose qui a un brin de folie dans l’acte. Grâce à mon Master, j’ai commencé à travailler avec des maisons de luxe. Ma démarche s’adapte donc bien à ce domaine : on peut se permettre de faire des objets un peu moins rationnels, mais qui restent tout de même ancrés dans l’utile, avec quelque chose de fascinant en plus.Quels ont été les temps forts de cette formation ?Ce sont des temps forts tout le temps ! Les workshops, très intenses sur trois semaines, nous ont donné l’occasion de travailler avec des maisons comme Christofle. Il y a là un tel savoir-faire, une telle tradi-tion ! Il s’agit de proposer la juste dose de nouveauté, sans occulter le passé de la maison.

Comment s’imprègne-t-on de cette histoire ? En visitant les ateliers et le musée. J’ai passé

beaucoup de temps avec l’archiviste, qui est là depuis trente ans, et qui connaît tout par cœur. Nous avons longuement discuté de dé-

tails, d’anecdotes, de périodes. Pour le seau, compliqué à fabriquer car l’argent se prête plus facilement aux formes rondes qu’aux angles, j’ai

travaillé avec l’atelier de haute orfèvrerie. C’était une très bonne surprise lorsque j’ai appris qu’ils allaient le commercialiser (25 éditions vendues

en une semaine : la collaboration avec Christofle continue pour Delphine, ndlr). On retrouve le plissé à plusieurs reprises dans votre travail…

Ça me plaît de donner l’illusion de mouvement à un matériau rigide. Je poursuis cette idée dans les objets présentés à Milan en avril prochain. J’aime l’illusion

des plis qui s’étirent sous le poids de la bouteille, tout comme celle du morceau de tissu suspendu pour la lampe en carbone Slim & Strong (2009).

Vous aimez défier les matières premières ?Oui ! Le carbone, on le trouve d’habitude dans des formes très douces, comme des ailerons de formule 1. Alors, par-

fois, on nous dit : « ce n’est pas possible, on ne l’a jamais fait ». Mais j’ai eu la chance de tomber sur des fabricants très réceptifs, qui nous aident vraiment à développer une idée : le prototype de la lampe plissée a été réalisé par une

entreprise spécialisée à Crissier. Qui et qu’est-ce qui vous inspire ?Je m’intéresse beaucoup à la mode, à la haute couture, car

le travail du détail m’inspire énormément. Christian Lacroix, John Galliano pour ses volumes et ses structures toujours ma-gnifiques. En design, mes modèles sont Ronan Bouroullec, et,

pour son travail sur le textile, Patricia Urquiola. Et puis aussi, les musées d’arts décoratifs, les brocantes : je feuillette volontiers la Gazette Drouot, car les objets du patrimoine m’attirent beaucoup.

Quand un objet se transmet, quand il dure, il a tout de suite une âme. Si on vous donnait carte blanche aujourd’hui ?S’il y a un matériau que j’aimerais bien travailler, c’est le cristal. Il

s’agit d’un matériau fascinant – transparent et dur à la fois. Un objet dans la collection du plissé, mais en cristal cette fois… fIn

www.delphinefrey.ch.

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Slim & Strong

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Pleat© Elena Rendina / Ecal

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