32
Demande de soins et équilibre budgétaire dans un système public de santé : une analyse dynamique stochastique Étienne Gaudette 1 Université du Québec à Montréal Résumé La littérature théorique à la Grossman (1972) étudiant la demande de soins de santé repose uniformément sur des hypothèses fortes de prix monétaires aux soins et de date de décès certaine des agents. À l’aide d’outils de programmation dynamique, nous développons un modèle théorique de demande de soins de santé à la Grossman dans un contexte plus réaliste : les soins auxquels ont recours les agents présentent les caractéristiques de files d’attente et de prix monétaires nuls des systèmes publics et l’évolution de l’état de santé des agents, tout comme leur date de mort, est incertaine. Le choix des agents consiste à consulter un médecin ou non en fonction de leur âge, leur état de santé, leur niveau de richesse, leur productivité, leurs anticipations quant à l’évolution de leur état de santé, le niveau de taxation et la congestion des soins. La résolution analytique du modèle révèle que les agents utilisent les soins de santé si les gains attendus en longévité et en qualité de vie sont supérieurs à l’utilité sacrifiée en période courante pour obtenir les soins. La résolution numérique permet de nombreux résultats qualitatifs et quantitatifs. Pour un modèle simple de demande, elle clarifie le rôle simultané de l’âge et de l’état de santé des patients dans leur choix d’utilisation des soins. L’ajout de l’épargne nous indique que celle-ci présente un cycle clair dans la vie des agents, mais n’a qu’un impact mineur sur leur utilisation des soins. Finalement, la résolution numérique de l’équilibre budgétaire des soins montre que l’effet de politiques visant à réduire la congestion, telles l’embauche de nouveaux médecins et l’accroissement du budget dédié à la santé, est systématiquement restreint par un accroissement du nombre d’usagers. 1. Introduction S’il existe une certitude chez le genre humain, c’est que tous seront tôt ou tard confrontés au déclin de leur niveau de santé, lent ou brusque, et à la mort. Le désir des individus de maintenir leur niveau de santé et vivre longtemps est indéniable et se manifeste de plusieurs façons. Au niveau agrégé, un indicateur de l’importance de cette préoccupation dans les sociétés modernes est les ressources consacrées aux soins de santé, soit en moyenne 8,9 % du PIB des pays de l’OCDE en 2006. Aux États- Unis, ce secteur occupait 15,3 % de l’activité économique (OCDE, 2007). Or, si la délivrance des soins de 1 Département d’économique, Université du Québec à Montréal, Case postale 8888, Succ. Centre-Ville, Montréal, (Québec), CANADA, H3C 3P8. [email protected] .

Demande de soins et équilibre budgétaire dans un …‰tienne Gaudette...l’extension de la vie (Ehrlich et Chuma, 1990) et l’investissement en capital-santé sous la forme d’un

  • Upload
    others

  • View
    2

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Demande de soins et équilibre budgétaire dans un …‰tienne Gaudette...l’extension de la vie (Ehrlich et Chuma, 1990) et l’investissement en capital-santé sous la forme d’un

Demande de soins et équilibre budgétaire dans un système public de

santé : une analyse dynamique stochastique

Étienne Gaudette1

Université du Québec à Montréal

Résumé La littérature théorique à la Grossman (1972) étudiant la demande de soins de santé repose

uniformément sur des hypothèses fortes de prix monétaires aux soins et de date de décès certaine

des agents. À l’aide d’outils de programmation dynamique, nous développons un modèle théorique

de demande de soins de santé à la Grossman dans un contexte plus réaliste : les soins auxquels ont

recours les agents présentent les caractéristiques de files d’attente et de prix monétaires nuls des

systèmes publics et l’évolution de l’état de santé des agents, tout comme leur date de mort, est

incertaine. Le choix des agents consiste à consulter un médecin ou non en fonction de leur âge,

leur état de santé, leur niveau de richesse, leur productivité, leurs anticipations quant à l’évolution

de leur état de santé, le niveau de taxation et la congestion des soins. La résolution analytique du

modèle révèle que les agents utilisent les soins de santé si les gains attendus en longévité et en

qualité de vie sont supérieurs à l’utilité sacrifiée en période courante pour obtenir les soins. La

résolution numérique permet de nombreux résultats qualitatifs et quantitatifs. Pour un modèle

simple de demande, elle clarifie le rôle simultané de l’âge et de l’état de santé des patients dans

leur choix d’utilisation des soins. L’ajout de l’épargne nous indique que celle-ci présente un cycle

clair dans la vie des agents, mais n’a qu’un impact mineur sur leur utilisation des soins. Finalement,

la résolution numérique de l’équilibre budgétaire des soins montre que l’effet de politiques visant à

réduire la congestion, telles l’embauche de nouveaux médecins et l’accroissement du budget dédié

à la santé, est systématiquement restreint par un accroissement du nombre d’usagers.

1. Introduction

S’il existe une certitude chez le genre humain, c’est que tous seront tôt ou tard confrontés au

déclin de leur niveau de santé, lent ou brusque, et à la mort. Le désir des individus de maintenir leur

niveau de santé et vivre longtemps est indéniable et se manifeste de plusieurs façons. Au niveau agrégé,

un indicateur de l’importance de cette préoccupation dans les sociétés modernes est les ressources

consacrées aux soins de santé, soit en moyenne 8,9 % du PIB des pays de l’OCDE en 2006. Aux États-

Unis, ce secteur occupait 15,3 % de l’activité économique (OCDE, 2007). Or, si la délivrance des soins de

1 Département d’économique, Université du Québec à Montréal, Case postale 8888, Succ. Centre-Ville, Montréal,

(Québec), CANADA, H3C 3P8. [email protected].

Page 2: Demande de soins et équilibre budgétaire dans un …‰tienne Gaudette...l’extension de la vie (Ehrlich et Chuma, 1990) et l’investissement en capital-santé sous la forme d’un

2

santé est une composante des économies modernes, au moment de la rédaction de cet article, l’analyse

économique des questions relatives à ce secteur est encore jeune et comporte des lacunes importantes,

notamment quant à la demande de soins de santé des agents.

Le champ entier de l’économie de la santé trouve ses fondements cruciaux dans l’article

innovateur d’Arrow (1963), dans lequel il est proposé que les institutions et normes anti-compétitives

qui caractérisent le secteur des soins de santé ont émergé de façon plus ou moins efficace en réponse

aux particularités propres à ces services. Notamment, les sources multiples d’incertitude et d’asymétrie

d’information les entourant les distinguent radicalement des biens généralement traités par la théorie

microéconomique. Un pas important fut franchi par Grossman (1972), qui, s’inspirant de la littérature du

capital-humain, affirma que les services de santé consommés par les individus sont en fait des biens

intermédiaires parmi d’autres, tels une bonne alimentation et l’activité physique, consommés par les

individus dans l’objectif d’obtenir un bien final unique : une bonne santé. Grossman considérait de plus

la santé comme un stock se dépréciant à un taux dépendant de l’âge de l’individu et entraînant la mort

lorsque le stock de l’individu atteint un seuil critique. Sous cette approche de modélisation, l’état de

santé de l’individu est déterminé par son stock de capital-santé. La conception de Grossman entraîna

une littérature théorique florissante et le développement de modèles qui ont mis en évidence de

nombreux aspects importants des décisions des consommateurs en santé. Les articles émergeant de

cette littérature ont notamment étudié la décision du départ à la retraite (Wolfe, 1985), la valeur de

l’extension de la vie (Ehrlich et Chuma, 1990) et l’investissement en capital-santé sous la forme d’un

actif risqué (Chang, 1995).

Ceci étant dit, cette littérature se restreint généralement à des questions n’ayant que peu de

lien avec la réalité : Ehrlich et Chuma, par exemple, étudient la demande de longévité sous l’hypothèse

d’absence d’incertitude, de sorte que la fatidique période T, à laquelle l’individu meurt, est parfaitement

déterminée par l’individu. Wolfe, de son côté, considère T comme fixe malgré l’investissement en santé,

de même que Picone, Uribe et Wilson (1997) dans une simulation d’un modèle à la Grossman. Ensuite,

un problème général commun à la littérature du capital-santé est l’hypothèse implicite présence de

marchés conventionnels associée à la présence de prix monétaires aux soins de santé. Conséquemment,

nous n’avons recensé aucun article s’intéressant à l’équilibre global des soins de santé, nécessaire à

l’étude de politiques de santé dans les systèmes publics. La portée des résultats qui résulte de ce

courant de recherche n’est alors que théorique : la moyenne des dépenses de santé assumées par l’État

des pays de l’OCDE était de 73 % en 2006. Même aux États-Unis, où la part du privé dans les dépenses

Page 3: Demande de soins et équilibre budgétaire dans un …‰tienne Gaudette...l’extension de la vie (Ehrlich et Chuma, 1990) et l’investissement en capital-santé sous la forme d’un

3

santé est la plus importante des pays de l’organisation, près de la moitié des dépenses en santé (46 %)

était publique. De plus, seuls quelques articles ont tenté d’aborder de front la question de l’incertitude

omniprésente dans l’investissement des individus en santé, pourtant soulignée comme primordiale par

Arrow.

Dans le présent article, nous tenterons d’apporter des solutions originales à ces lacunes. Nous

étudierons en premier lieu les déterminants de la demande de soins de santé dans un cadre théorique

rigoureux où le système de santé est financé par l’État. À cette fin, nous utiliserons la programmation

dynamique afin de résoudre le problème d’individus averses au risque différenciés par leur âge, niveau

de santé, richesse et salaire réel. Pour représenter plus fidèlement le cadre dans lequel les agents

prennent leurs décisions, des variables qui n’ont pas été mises de l’avant dans la littérature du capital-

santé, telles la congestion du système et le niveau de taxation des agents, interviendront dans notre

modèle. De plus, nous ferons intervenir les deux principales sources d’incertitude notées par Arrow :

l’incertitude quant au déclin du niveau de santé dans le futur et quant à l'effet qu’auront les soins sur

celui-ci. En second lieu, nous ajouterons l’offre publique de santé et étudierons l’équilibre de la

délivrance de soins pour un système public, ce qui n’a encore jamais été mis de l’avant à notre

connaissance. Cette approche nous permettra ainsi de répondre aux questions suivantes : quels sont les

déterminants du choix des agents dans un système public?; les riches sont-ils plus enclins à utiliser les

soins?; Comment le gouvernement peut-il influencer les choix individuels via le financement du

système?; Quelles politiques sont les plus susceptibles de mener à un optimum social?

Le reste de l’article va comme suit. À la section 2, nous développons le problème de l’agent et

écrivons l’équation de Bellman correspondante. À la section 3, nous résolvons de façon analytique une

version sans épargne de ce problème. Nous présentons à la section 4 les bases théoriques de l’offre et la

notion d’équilibre qui ferment notre modèle au niveau global. Pour une calibration ad hoc, a la section

5, nous présentons des résultats de simulation numérique à titre d’exemple des résultats que nous

obtiendrons lorsque nous aurons calibré le modèle sur des données nationales. En premier lieu, dans un

modèle simple de demande sans possibilité d’épargne, nous voyons l’impact simultané de l’état de

santé et de l’âge des agents dans leur utilisation des soins. En ajoutant la possibilité d’épargner des

agents, nous observons l’impact du niveau d’épargne des agents sur leur utilisation des soins, ainsi que

l’épargne optimale en fonction de l’âge. Ensuite, en ajoutant l’équilibre budgétaire, nous observons

l’impact de macro-politiques de santé sur l’équilibre du modèle, notamment en termes d’impact sur la

Page 4: Demande de soins et équilibre budgétaire dans un …‰tienne Gaudette...l’extension de la vie (Ehrlich et Chuma, 1990) et l’investissement en capital-santé sous la forme d’un

4

congestion du système, le coût du système et le nombre d’utilisateurs. Finalement, à la section 6, nous

discutons de l’état d’avancement du projet de recherche et des étapes à venir.

2. Le problème de l’agent

Notre modèle représente la demande de soins de santé des utilisateurs comme un choix binaire,

soit l’utilisation ou non du système de santé à une année donnée de son existence. On s’approche ainsi

du choix véritable auquel fait face l’utilisateur dans un système de santé public tels ceux de la majorité

des pays de l’OCDE. En effet, dans ce type de système, une fois la première démarche effectuée, la

majorité des individus acceptent les traitements subséquents qui sont recommandés par le personnel

médical, n’étant pas contraints par le coût monétaire des traitements. Le seul vrai choix concerne alors

l’utilisation ou non de soins de santé et non le niveau d’utilisation comme il est généralement

conceptualisé dans la littérature du capital-santé. Le coût auquel l’individu fait face dans notre modèle

est un coût d’option proportionnel au temps d’attente lié aux traitements, ce qui n’a, à notre

connaissance, pas encore été mis de l’avant dans un modèle explicite de capital-santé.

Notre formulation s’inspire de Grossman (1972) ainsi que d’Ehrlich et Chuma (1990) pour les

concepts cruciaux et la notation et utilise la programmation dynamique pour décrire le problème de

l’individu. Celui-ci cherche à maximiser son utilité sur un horizon infini dans un monde incertain via ses

choix de travail, d’épargne et d’utilisation du système de santé. Il maximise donc :

max � �����(��, �)����� , (1)

où � est son taux d’actualisation, �� et � sa consommation et son loisir en bonne santé au cours de la

période t, respectivement. Il est à noter que, dans notre formulation, l’état de santé � n’entre pas

directement dans la fonction d’utilité mais l’affecte de deux façons : il détermine la quantité de temps

en bonne santé à séparer entre travail et loisir et la probabilité de survie en période suivante de

l’individu.

Comme Grossman, nous attribuons une importance clé à la séparation du temps afin de cerner

l’impact de la congestion du système de santé sur les choix individuels. La période considérée est de 365

jours pendant lesquels les variables d’état sont inchangées. Le temps perdu � (�, ��), non disponible

pour le loisir et la production, est une fonction du capital-santé et, si l’individu utilise les soins de santé

(� = 1), du niveau de congestion du système de santé �. Comme la majorité des modèles de capital-

Page 5: Demande de soins et équilibre budgétaire dans un …‰tienne Gaudette...l’extension de la vie (Ehrlich et Chuma, 1990) et l’investissement en capital-santé sous la forme d’un

5

santé, nous supposons que la mort survient lorsque le stock de santé tombe sous un seuil critique, ����. Une fois ce seuil atteint, l’individu obtient une utilité nulle pour l’éternité. De la même façon,

nous supposons qu’il existe un état de pleine santé qu’on ne peut surpasser et le nommons ����. Nous

trouvons intuitif de considérer la congestion du système � définie dans un intervalle fermé de zéro à

l’unité. Du côté de la congestion, le cas où � = 0 s’interprète comme une situation idéale dans laquelle

les soins de santé seraient reçus sans délai, c'est-à-dire que l’agent n’aurait qu’à désirer être soigné pour

l’être instantanément. L’implication du cas � = 1, un état de totale congestion du système, est moins

claire et nécessite la formulation d’hypothèses supplémentaires sur la fonction de temps perdu. Ceci dit,

les propriétés suivantes de la fonction semblent désirables du point de vue théorique : � (����, 0) = 0

et � (� → ����, 1) = 365. L’interaction des deux paramètres ainsi que les secondes dérivées de la

fonction dépendent de la conception du modélisateur : � %& ⋚ 0, � %% ⋚ 0, et � && ⋚ 0 2. Le temps

disponible (en santé) �( peut être réparti par l’individu soit en jours de travail �) ou de loisir . La

séparation du temps est donnée par :

�( = 365 − � (�, ��) (2)

et

�( = + �), (3)

de sorte que l’individu n’a qu’à déterminer s’il utilise le système de santé et le nombre d’heures

travaillées pour allouer la totalité de son temps. Par hypothèse, la production quotidienne , perçue par

l’individu est indépendante du nombre annuel de jours productifs et fixe dans le temps. Il est à noter

que, dans ce modèle, l’individu est considéré comme un producteur indépendant : son revenu d’emploi

n’est pas assuré lorsqu’il est en attente de soins de santé ou qu’il est incapacité de produire par la

maladie. Sa contrainte de consommation au cours de la période est donnée par :

� ≤ ( + , ∙ �)(1 − /), (4)

où ( est la richesse monétaire détenue par l’individu en début de période et / la taxe sur le revenu

d’emploi prélevée par le gouvernement afin de financer le système de santé. L’excédent non consommé

est transféré en richesse à la période suivante, augmenté du taux d’intérêt fixe r.

2 On peut concevoir, par exemple, que le temps perdu est additif en temps de maladie et en temps de congestion

puisque, une fois l’intervention effectuée, le temps de maladie correspond à la rémission du patient. En contraste, on pourrait aussi penser que seul le temps d’attente est à considérer si le patient utilise le système de santé, puisqu’il est soigné passé l’intervention.

Page 6: Demande de soins et équilibre budgétaire dans un …‰tienne Gaudette...l’extension de la vie (Ehrlich et Chuma, 1990) et l’investissement en capital-santé sous la forme d’un

6

L’équation de Bellman de l’agent, sans sacrifier de généralité, s’écrit :

0(�, (, 1) = max2,34,5 (�, ) + � ∙ �60(�7, (7, 17)8

9. à. ; � ∈ 60,18�) ∈ �0, �(�� ∈ �0, ( + , ∙ �)(1 − /)�0(�, (, 1, ,, �, /) = 0 ∀ � ≤ �>?@�A.B (5)

Dans (5), trois variables d’état implicites sont absentes : le revenu de travail quotidien, l’engorgement

du système de santé et le taux de taxation. Ces variables sont fixes dans la perception du problème qu’a

le consommateur. Alors que , est supposé fixe, � et / sont fixés par le gouvernement et l’équilibre

général de l’économie. Nous verrons à la section 5 comment ces variables peuvent être affectées de

façon endogène par le modèle. L’évolution des autres variables d’état est donnée comme suit. La

richesse évolue telle que nous l’avons décrite précédemment, de façon déterministe :

(7 = (1 + C)(( + , ∙ �)(1 − /) − �). (6)

Le capital-santé, quant à lui, est affecté par le taux de dépréciation ainsi que l’impact de

l’utilisation du système de santé, tous deux caractérisées par de l’incertitude :

�7 = D� ∙ E1 − F(1, GH) + �IJ�, GKLM 9N � > �>?@�A� 9NPQP B. (7)

Si l’individu est en vie, le taux de dépréciation est une fonction croissante dans l’âge et décroissante

dans le paramètre aléatoire GH : F%(1, GH) > 0, F&(1, GH) < 0. Nous imposons la décroissance dans le

paramètre aléatoire simplement pour faciliter l’interprétation des développements qui vont suivre : un

choc aléatoire positif entraîne ainsi une amélioration relative du stock de capital-santé. D’un point de

vue théorique, nous pouvons considérer des valeurs négatives du taux de dépréciation pour certaines

valeurs du paramètre aléatoire, s’interprétant comme des améliorations du niveau de santé exogènes

au comportement de l’individu, e.g. la guérison d’un virus après un certain délai. Contrairement à

Grossman, l’individu que nous considérons ne connaît pas avec certitude la dépréciation de son capital

santé en fin de période et par conséquent la date de sa mort est incertaine et seulement indirectement

endogène. La dérivée croisée de la fonction de dépréciation ainsi que la dérivée seconde du terme

aléatoire sont, comme pour l’équation du temps perdu, non déterminées dans un cadre général et

dépendent de l’interprétation du modélisateur. Il en est de même pour la forme précise de l’incertitude

Page 7: Demande de soins et équilibre budgétaire dans un …‰tienne Gaudette...l’extension de la vie (Ehrlich et Chuma, 1990) et l’investissement en capital-santé sous la forme d’un

7

sur le taux de dépréciation. Si le stock de santé de l’individu est inférieur au seuil de mort, il demeure à

ce seuil.

Si l’individu choisit d’utiliser les services de santé offerts par l’État, il obtient l’incrément

incertain I(�, GK) à son stock de santé. S’il est clair que la fonction est affectée par le niveau de santé,

le signe de la relation est à priori incertain. Cette relation, nommée effet de seuil du niveau de santé

(Chang, 1995), peut être positive ou négative, selon le cas médical. Si elle est positive, l’interprétation

est qu’un individu en bonne santé est plus facile à soigner qu’un individu en mauvaise santé. Il est

généralement plus facile de traiter avec succès un individu indisposé par un nombre limité de maladies

plutôt qu’un grand nombre d’entre eux. La seconde interprétation, toute aussi plausible, est que plus

l’individu est malade, plus les soins de santé qu’il reçoit ont un impact positif sur son niveau de capital-

santé. C’est le cas, par exemple, d’un individu traité avec succès lors d’un infarctus. À notre

connaissance, il n’existe pas de fait stylisé au niveau agrégé qui permette de déterminer le signe de

cette relation dans le modèle. En second lieu, nous supposons que le choc aléatoire a un impact positif

sur la production de santé, ce qui n’entame pas la généralité du modèle puisque le choc peut être

négatif (par exemple s’il y a des effets secondaires ou des complications imprévues lors d’une

intervention).

Finalement, l’âge de l’individu augmente inexorablement d’une unité à chaque période :

17 = 1 + 1. (8)

3. Résolution du problème de l’agent

Comme l’utilisation des soins de santé � est une variable de contrôle dichotomique, le problème

de l’agent consiste à comparer la fonction de valeur (5) obtenue s’il utilise les soins de santé et s’il ne les

utilise pas. Nommons ces fonctions 0% et 0� respectivement, où l’indice correspond à la valeur de �. Les

soins de santé seront utilisés ssi 0% ≥ 0�, c'est-à-dire si :

� ∙ (��0%7� − ��0�7�) > (��, �) − (�%, %), (9)

où 0%7 = 0J�(1 − F(1, GH) + I(�, GK)) , (%7 , 17L et 0�7 = 0(�(1 − F(1, GH)) , (�7 , 17). Du côté droit de

l’inégalité, (��, �) et (�%, %) sont les utilités découlant des choix optimaux de l’agent s’il utilise ou

non les soins de santé, respectivement. Cette condition s’interprète d’elle-même : l’individu utilisera les

soins de santé si l’espérance actualisée de gain dynamique permise par ce choix, le terme de gauche de

Page 8: Demande de soins et équilibre budgétaire dans un …‰tienne Gaudette...l’extension de la vie (Ehrlich et Chuma, 1990) et l’investissement en capital-santé sous la forme d’un

8

(9) est supérieure à l’utilité sacrifiée en période courante, le terme de droite. Dans un premier temps,

pour simplifier l’analyse, imposons que l’agent ne peut épargner et consomme la totalité de sa

production en période actuelle, i.e. ( = (T7 = 0. Nous relâcherons cette hypothèse dans une version

ultérieure du présent document.

3.1 Gain dynamique

Attardons-nous d’abord au gain dynamique espéré. Même en imposant une épargne nulle,

l’analyse de ce dernier est plus subtile qu’on serait tenté de le croire puisque la fonction de valeur

présente une discontinuité en capital-santé lorsque � ≤ �>?@�A. Étudions d’abord la fonction de valeur

espérée en période suivante lorsque l’on n’utilise pas les soins. En conférant à la partie aléatoire de F les

fonctions de densité U(GH) et de densité cumulative V(GH), on obtient l’espérance de valeur en période

suivante :

��0�7� = W 0(�(1 − F(1, GH)),0, 17) U(GH)XGH. (10)

Maintenant, considérons la réalisation critique GH de la valeur aléatoire, telle que �>?@�A = � ∙(1 − F(1, GYZ )). À l’aide d’une différentielle totale, il est facile de montrer que GH est une fonction

implicite croissante en 1 et décroissante en �. Intuitivement, plus un individu vieillit et/ou voit sa santé

se détériorer, plus sa mort est plausible à la fin de la période. Comme, pour des réalisations de GH

inférieures à GH , l’espérance de valeur future est nulle, (10) peut être précisée comme

��0�7� = [ 0 YZ J�J1 − F(1, GH)L, 0, 17L U(GH)XGH

= \1 − V E GHM] ∙ � ^0(��7 , 0, 17) _GH ≥ GH B`

= aCQb(��7 ≥ ����) ∙ ��0(��7 , 0, 17)|��7 ≥ �>?@�A B�,

(11)

l’espérance conditionnelle obtenue si on est encore en vie pondérée par la probabilité d’être encore en

vie. Le gain dynamique par rapport à cette espérance de valeur est déterminé par l’impact sur niveau de

santé de l’utilisation des soins, c’est-à-dire IJ�, GKL, lequel peut à priori présenter des valeurs

négatives selon le choc aléatoire. Étudions la fonction de valeur attendue si on utilise les soins de santé

avec la même approche que précédemment. En accordant à la partie aléatoire de I les fonctions de

densité et de densité cumulatives d(GK) et e(GK), respectivement, on obtient :

Page 9: Demande de soins et équilibre budgétaire dans un …‰tienne Gaudette...l’extension de la vie (Ehrlich et Chuma, 1990) et l’investissement en capital-santé sous la forme d’un

9

��0%7� = f 0J�(1 − F(1, GH) + I(�, GK)),0, 17L d(GK)U(GH)XGKXGH. (12)

Contrairement à précédemment, nous ne pouvons pas trouver de valeur critique unique de GK

déterminant l’atteinte du seuil de capital-santé en-deçà duquel l’individu s’éteint. GK est plutôt un

continuum de valeurs critiques en fonction de la réalisation de GH, satisafaisant �>?@�A = � ∙ (1 −F(1, GK ) + I(�, GH)), ∀GH. Un regard à la différentielle totale de cette condition permet de trouver

qu’il s’agit d’une fonction implicite croissante en 1 ainsi qu’en GH. Elle dépent aussi de � mais le signe de

la relation dépend du signe de l’effet de seuil décrit par Chang et de la force du lien entre � et I. La

figure 1 résume les notions de valeurs critiques de ces variables et clarifie leur impact sur la vie et la

mort de l’individu. La probabilité de vivre en période future correspond à la probabilité d’obtenir un

couple JGH , GKL situé en haut à droite de la fonction GK (GH). Si l’individu n’utilise pas les soins de santé,

la vie ne nécessite qu’un tirage de GH à droite de la valeur critique GH . Dans le graphique, la réalisation

GK̂ est celle qui annule l’effet de l’utilisation des soins de santé, i.e. IJ�, GK̂L = 0. Figure 1

Vie et mort de l’agent selon les réalisations de GH et GK

Vie en t+1

Mort en t+1

GK

GK̂ GK (GH)

GH GH

Page 10: Demande de soins et équilibre budgétaire dans un …‰tienne Gaudette...l’extension de la vie (Ehrlich et Chuma, 1990) et l’investissement en capital-santé sous la forme d’un

10

En conservant la notation aussi simple que possible, nous notons la fonction implicite des

valeurs critiques des soins de santé GK (GH) et récrivons:

��0%7� = [ h[ 0J�(1 − F(1, GH) + I(�, GK)),0, 17L d(GK)XGKYi (YZ) j U(GH)XGH

= \1 − [ e( GK (GH))U(GH)XGH] ∙ � ^0(�%7 , 0, 17) _GK ≥ GK(GH) ∀GH B`

= aCQb(�%7 ≥ �>?@�A) ∙ ��0(�%7 , 0, 17)|�%7 ≥ �>?@�A B�.

(13)

On trouve ainsi une expression de l’espérance comparable à (11), en fonction encore une fois de

l’espérance d’être encore en vie à la période suivante et de l’espérance de valeur conditionnelle au fait

d’être encore en vie. Avec quelques manipulations, il nous est maintenant possible de récrire

l’expression du gain dynamique comme la somme de deux termes facilement interprétables :

��0%7� − ��0�7� = �aCQb(�%7 ≥ �>?@�A) − aCQb(��7 ≥ �>?@�A)� ∙ ��0�7|��7 ≥�>?@�A B� + aCQb(�%7 ≥ �>?@�A) ∙ (��0%7|�%7 ≥ �>?@�A B� − ��0�7|��7 ≥ �>?@�A B�). (14)

La première composante du gain dynamique est la différence de probabilité d’être en vie à la période

suivante si on utilise les soins de santé. Nous la nommons le gain (la perte) en espérance de vie3. La

seconde composante résulte de la différence de valeur attendue si on est encore en vie en période

suivante.Nous la nommons le gain (la perte) en qualité de vie. Comme il a été rendu clair dans le

développement précédent, le niveau des deux gains dépend fortement des réalisations des variables

aléatoires GH et GK. Concrètement, la distribution jointe de celles-ci génère une distribution de l’état de

santé en période future k(�′). On peut incidemment anticiper une perte en espérance de vie associée à

un gain en qualité de vie et vice versa. Les deux premiers graphiques de la figure 2 présentent deux

exemples de ces possibilités. Le graphique A présente, si les soins sont utilisés, une faible probabilité de

survie en période suivante, mais un niveau élevé de santé et donc un gain positif en valeur en cas de

survie. On peut par exemple penser à une opération délicate pour traiter une tumeur grave.

3 Nous remarquons que, comme le modèle développé présente une grande flexibilité, le choix de la fonction

d’utilité est primordial. Entre autres, puisque nous modélisons la mort comme une séquence infinie d’utilités nulles pour l’agent, si la fonction d’utilité admet des valeurs négatives, l’individu peut désirer la mort et voir une augmentation de la probabilité d’être en vie comme une perte et, ainsi, effectuer des choix à priori surprenants. Pour la suite de l'article, nous rompons avec la réputation, datant de Carlyle, de la science économique d'être une science lugubre et prenons pour acquis que l’utilité est positive pour toutes valeurs de consommation et de loisir, i.e. qu'il est toujours désirable pour l'individu d'être en vie.

Page 11: Demande de soins et équilibre budgétaire dans un …‰tienne Gaudette...l’extension de la vie (Ehrlich et Chuma, 1990) et l’investissement en capital-santé sous la forme d’un

11

���� �′

k(�′)

���� �′

k(�′)

���� �′

k(�′) k(��7 )

k(�%7)

Figure 2

A. Perte en espérance de vie et gain en qualité de vie

B. Gain en espérance de vie et perte en qualité de vie

C. strictement positif des soins de santé

Page 12: Demande de soins et équilibre budgétaire dans un …‰tienne Gaudette...l’extension de la vie (Ehrlich et Chuma, 1990) et l’investissement en capital-santé sous la forme d’un

12

Le graphique B, au contraire, montre une augmentation de la probabilité de survie mais une

diminution de la qualité de vie après le traitement. On peut alors penser à une amputation de la jambe

d’un patient pour traiter une infection. Le graphique C présente un cas particulier intéressant, celui où

toutes les réalisations de GK sont supérieures à GK̂. Une telle distribution entraîne une dominance

stochastique de premier ordre de la distribution de �′ et assure un gain positif, car l’utilisation des soins

de santé entraîne alors toujours une augmentation du niveau de capital-santé. En dehors de ce cas

limite, seule l’analyse des gains en espérance de vie et en qualité de vie via les distributions des

paramètres GH et GK permet d’être assuré de la présence d’un gain dynamique et d’en qualifier

l’ampleur. En particulier, l’augmentation de ���7� est insuffisante à cette fin. Ces observations sont

largement en accord avec l’article séminal de Arrow en 1963, qui mettait l’emphase sur l’importance de

l’incertitude dans les choix individuels en santé. Si on ajoute à cette double incertitude des agents un

problème de qualité d’information des agents par rapport aux distributions réelles de GH et GK (une

mauvaise compréhension des conséquences sur leur état de santé résultant du choix d’utiliser ou non

les soins de santé), l’étude du problème devient extrêmement complexe.

En guise de résumé, nous notons que le gain dynamique de l’agent est particulièrement

déterminé par les variables ayant une incidence médicale sur le problème. Ces déterminants sont ceux

qui apparaissent dans la (7) : la fonction de dépréciation F(1, GH), la fonction d’effet des soins de santé I(�, GK), l’âge de l’agent, son état de santé en période actuelle et les distributions des variables

aléatoires GH et GK. Évidemment, les variables � et /, tributaires du système de santé, affectent les

espérances de valeur qui composent le gain dynamique, mais comme c’est à la fois le cas pour ��0�7� et ��0%7�, leur impact sur le gain est indirect. Nous verrons que ces variables affectent directement le terme

de droite de (11), l’utilité sacrifiée en période courante.

3.2 Utilité sacrifiée

Nous portons maintenant notre attention au terme de droit de (9), l’utilité sacrifiée en période

courante. En conservant l’hypothèse d’épargne nulle des agents, le problème de maximisation de

l’agent pour les deux valeurs de � est fort simple et donné par :

max34 J, ∙ �)(1 − /), 365 − � J�, �T�L − �)L

9. à. m �) ∈ �0,365 − � (�, �n�)�0(�, 1, ,, �, /) = 0 ∀ � ≤ �>?@�A B (15)

Page 13: Demande de soins et équilibre budgétaire dans un …‰tienne Gaudette...l’extension de la vie (Ehrlich et Chuma, 1990) et l’investissement en capital-santé sous la forme d’un

13

Partant du problème dynamique à trois variables de contrôle décrit par (5), nous comparons

maintenant deux problèmes simples à une variable de contrôle. Les optimisations en �) de 0% et 0�

sont de plus statique, seul le choix d’utilisation des soins de santé ayant des implications dynamiques. La

condition de premier ordre (CPO) quant au travail des deux problèmes est identique et correspond à un

résultat microéconomique usuel : elle indique que le ratio des utilités marginales de la consommation et

du loisir est égal au ratio de leur prix. Comme le prix du loisir est le coût d’option à ne pas travailler et

que la consommation est composite et a un prix unitaire, on a :

op(5,q)or(5,q) = ,(1 − /). (16)

Cette condition est évidemment sujette à la contrainte �) ∈ �0, �s�, mais celle-ci n’est pas

contraignante pour des fonctions d’utilité présentant des courbes d’indifférence convexes en

consommation et loisir. Le terme de droit de (16) étant fixe, il suffit de supposer que le temps perdu est

plus grand si les soins sont utilisés pour tout niveau de santé et nous aurons, pour des fonctions d’utilité

usuelles, (��, �) ≥ (�%, %) en période courante. La différence de temps disponible est donnée par :

�s� − �s% = (�)� + �) − (�)% + %) = � (�, �) − � (�, 0). (17)

L’agent disposant de plus de temps à séparer en travail et loisir s’il n’utilise pas les soins de santé, il

obtient une utilité plus élevée en période courante. Notons que cette différence est croissante en le

taux de congestion du système de santé, qui pénalise en termes de temps disponible l’utilisateur des

soins de santé. En différenciant totalement (16), nous trouvons qu’il suffit de supposer que %%, && < 0

et que %& ≥ 0 pour obtenir X� X ⁄ > 0, pour des niveaux fixes de salaire et de taxe. Sous cette

condition, nous aurons qu’à la fois le temps de travail et le loisir seront plus élevés si l’agent n’utilise pas

les soins de santé.

Il nous est maintenant possible de voir l’effet du niveau de salaire et du taux de taxation sur

l’utilité sacrifiée en période courante. Une étude des différentielles de (16) par rapport à ces variables

permet de trouver, sans surprise, que X X/⁄ > 0, X X,⁄ < 0, X�) X/⁄ < 0 et X�) X,⁄ > 0. Il est

alors possible de démontrer que la différence d’utilité en période courante,

(��, �) − (�%, %) = (, ∙ �)�(1 − /), �) − (, ∙ �)%(1 − /), %), (18)

dépend positivement de , et négativement de / sous certaines hypothèses quant à la courbure de la

fonction d’utilité (voir le développement en Annexe). Sous ces hypothèses, les individus plus productifs

sont dissuadés d’utiliser les soins de santé dans un système public via un coût d’option en utilité élevé

Page 14: Demande de soins et équilibre budgétaire dans un …‰tienne Gaudette...l’extension de la vie (Ehrlich et Chuma, 1990) et l’investissement en capital-santé sous la forme d’un

14

en période courante. À l’inverse, comme les taxes réduisent le revenu réel d’emploi, des taxes élevées

encouragent l’individu à utiliser les soins de santé.

4. Offre de soins de santé et équilibre budgétaire

La section précédente nous a permis d’analyser les variables intervenant dans le choix des

individus, mais est insuffisante pour l’analyse de politiques ou de phénomènes tels l’évolution

démographique des nations, qui affectent l’ensemble du système de soins de santé. Pour ce faire, il est

nécessaire d’expliciter l’offre des soins de santé dans un système public et les conditions d’équilibrage

entre la demande et l’offre. Nous supposerons que le gouvernement est capable d’anticiper les

décisions optimales de temps alloué au travail et d’utilisation des soins de l’ensemble de la distribution

d’agents dans l’économie. À l’inverse, rappelons que l’engorgement � et le niveau d’imposition / sont

des variables d’état connues en début de période pour les individus. En réalité, évidemment, le niveau

d’engorgement est déterminé simultanément avec le taux de taxation et les décisions individuelles.

Vu la complexité des systèmes de soins de santé, il est délicat de spécifier une forme précise

satisfaisante de l’offre de soins de santé. Il est essentiel que celle-ci soit à la fois suffisamment générale

afin que le modèle puisse être appliqué à des systèmes publics différant quant au détail de leur

structure organisationnelle et salariale et suffisamment précise pour permettre de lier de façon

convaincante l’offre et la demande de soins de santé. Il nous semble essentiel de choisir pour élément

central de l’offre de soins les médecins, au cœur de la production de soins de santé dans tout système.

Notons us la quantité de médecins dans le système de santé à une date donnée. Au cours de la

période, l’État ne peut modifier cette quantité, de sorte qu’elle est l’unique variable d’État du système

de santé. La quantité totale de soins offerte est mesurée en temps total travaillé par les médecins :

us_wNxy = us_wNxy(us, � / ∙ ,n ∙ �)n�

n�% ) (19)

Celui-ci est une fonction croissante de la taille du système de santé, représentée par le nombre de

médecins, ainsi que de l’ensemble des taxes collectées (l’indice correspond au i-ème individu, N étant la

quantité totale d’agents). Nous supposons que la quantité de médecins représente à elle seule la taille

du système de santé. Il s’agit évidemment d’une simplification grossière, mais la présence de médecins

dans l’offre de soins nous permet de lier intuitivement l’offre et la demande de soins au taux de

congestion. Notons que, dans ce contexte, la totalité des taxes récoltées est versée au système de santé.

Page 15: Demande de soins et équilibre budgétaire dans un …‰tienne Gaudette...l’extension de la vie (Ehrlich et Chuma, 1990) et l’investissement en capital-santé sous la forme d’un

15

Cette somme peut s’interpréter, de façon réductrice, comme le salaire total versé aux médecins, mais

correspond en réalité au coût total du système de santé, incluant donc les dépenses fixes et salaires

versés aux autres professionnels de santé.

L’équilibre budgétaire survient lorsque la combinaison d’un taux de taxation et de congestion

sont cohérentes avec les actions de l’ensemble des usagers qui composent l’économie. Par exemple, si

l’État fixe un taux de taxation donné, l’équilibre est associé à un point fixe dans le taux de congestion du

système de soins. Pour ce taux, noté �∗, les choix optimaux simultanés de travail et d’utilisation des

soins de la distribution d’agents mène au même taux de congestion. Nous trouvons intuitif de

représenter la congestion du système de santé comme un ratio de l’utilisation totale du système par les

agents, pondérée par leur état de santé, et de la quantité totale de temps travaillée par les médecins :

� = {(�%, �&, … ��}%, �� , �%, �&, . . , ��}%, ��)us_wNxy(us, ∑ / ∙ ,n ∙ �)n�n�% ) . (20)

Au numérateur, { est une fonction qui s’interprète comme la pression totale que la demande impose au

système de santé, un phénomène croissant dans la quantité d’usagers et décroissant dans leur état de

santé individuel. Nous prouvons (à l’Annexe C) que, dans un tel cadre, en fixant un taux de taxation

donné, l’équilibre est unique si 1- il existe un équilibre budgétaire auquel est associé un point fixe en

taux de congestion �∗ et 2- l’élasticité du temps de médecin disponible dans le système par rapport au

taux de congestion est supérieure ou égale à l’élasticité de l’utilisation du système de santé par rapport

au taux de congestion. Ainsi, sous la seconde condition, le gouvernement sait s’il y aura un équilibre

budgétaire possible pour un taux de taxation donné, de même que son implication sur l’utilisation des

soins de santé par les agents et la congestion du système4. En outre, nous trouvons que cette condition

est pratiquement assurée d’être respectée pour des formes de { et us_wNxy ainsi que des distributions

d’agents raisonnables (voir la discussion qui suit la preuve, en annexe également). Notons que nous ne

spécifions pas à ce stage de formes fonctionnelles à { et us_wNxy, afin de conserver la généralité du

modèle.

4 Il serait également possible de formuler l’équilibre en fonction du taux de taxation : le gouvernement fixerait

alors un certain niveau de congestion � et trouverait le taux de taxation cohérent. Cependant, nous préférons nous concentrer sur l’équilibre en fonction du taux de congestion pour deux raisons : tout d’abord, le résultat d’unicité de l’équilibre n’est pas plausible si l’équilibre est formulé en fonction du taux de taxation, puisque les revenus de taxe pourraient alors présenter les propriétés de la courbe de Laffer; ensuite, il nous appert qu’en pratique, l’État annonce, via son budget, le financement du système de santé et le taux de congestion fluctue de façon endogène, plutôt que l’inverse.

Page 16: Demande de soins et équilibre budgétaire dans un …‰tienne Gaudette...l’extension de la vie (Ehrlich et Chuma, 1990) et l’investissement en capital-santé sous la forme d’un

16

Dans ce cadre, comment le gouvernement peut-il mettre en place une politique précise? Si la

seconde condition énoncée précédemment est respectée, toute politique de court terme atteignable

par le gouvernement est accessible via le seul choix du taux de taxation des agents. Les objectifs visés

par l’État pour une période donnée dans le cadre du modèle peuvent alors prendre plusieurs formes, les

plus évidentes étant de garder fixe un niveau d’imposition donné, d’atteindre des objectif de niveau

d’engorgement ou de santé publique, de maximiser l’utilité ou la valeur sociale et, dans un modèle où

les individus seraient amenés à voter, d’assurer sa propre réélection. Quant aux politiques de long

terme, elles pourraient s’inscrire de deux façons dans notre formulation : la taille du système peut varier

via un changement du nombre de médecins5, alors que l’efficacité peut être modifiée en affectant la

forme des fonctions { et us_wNxy et/ou leurs paramètres.

5. Résolution numérique

Le modèle étant fondé sur un problème de programmation dynamique, il est possible de le

calibrer et le résoudre numériquement. Le programme mis sur pied à cette fin présente l’imbrication de

deux algorithmes disctincts, le premier permettant de solutionner le problème des agents pour une

combinaison de / et � donnés, et le second déterminant la combinaison de / et � permettant un

équilibre budgétaire pour une distribution d’agents donnés. Nous détaillons ces deux algorithmes en

détail à l’Annexe D. Au cours de la présente section, nous présentons et expliquons les formes

fonctionnelles que nous avons choisies afin de numériser le modèle et présentons les principaux

résultats obtenus à ce jour. Nous séparons ces résultats en trois parties : la demande de soins des agents

sans épargne, le rôle de l’épargne dans la demande soins et l’impact de politiques de santé sur

l’équilibre obtenu.

5.1 Choix des formes fonctionnelles

Avant de détailler l’algorithme de résolution mis sur pied et les résultats obtenus, nous

remarquons que les résultats sont fortement tributaires du choix de formes fonctionnelles essentielles

au modèle : trois du côté du problème des agents et deux du côté de l’équilibre du modèle. Du côté des

agents, ces formes déterminantes sont la fonction d’utilité (�� , �) dont la somme infinie détermine la

valeur de l’agent, la fonction de temps perdu � (�, ��) déterminant le temps disponible à l’agent dans

5 Implicitement, nous supposons qu’en faisant varier la quantité de médecins entre les périodes, l’État augmente

proportionnellement le personnel entourant le travail des médecins et les infrastructures médicales.

Page 17: Demande de soins et équilibre budgétaire dans un …‰tienne Gaudette...l’extension de la vie (Ehrlich et Chuma, 1990) et l’investissement en capital-santé sous la forme d’un

17

(2), et l’équation (7), déterminant le stock de santé en période future. En premier lieu, la fonction

d’utilité choisie est une simple Cobb-Douglas :

(�, ) = �@% @& (21)

Cette fonction spécifique mène à une séparation fixe du temps entièrement déterminée par les

exposants des arguments. Nous avons choisi de calibrer 11 = 12 = 0,4, donnant ainsi la même

importance au loisir et au travail : il en résulte que l’agent choisit à l’optimum de consacrer la moitié de

son temps disponible au travail. Cela dit, les paramètres tels le salaire réel et le taux de taxation

conservent une influence réelle sur le problème et l’offre de travail : en affectant la perte d’utilité en

période courante, ces paramètres peuvent affecter le choix d’utilisation des soins de santé et donc le

temps alloué au travail. Notons que, si 11 + 12 < 1 , la concavité de cette forme fonctionnelle en ses

arguments est assurée. En second lieu, la fonction de temps perdu que nous considérons présente des

effets séparables de l’état de santé et de la congestion des soins de santé :

� (�, ��) = 365 ∙ J1 − ��% + ���&L, (22)

où b1 = b2 = 1,5, ce qui signifie qu’à la fois l’état de santé et la congestion ont un impact convexe sur

le temps perdu de l’agent. Nous imposons par ailleurs des valeurs de H et gamma comprises entre 0 et

1. Pour un niveau de congestion donné, cette forme fonctionnelle admet des valeurs de temps perdu

supérieures à 365 jours pour certains niveaux de santé donnés. Cette particularité peut être évitée en

restreignant le temps perdu à 365 jours pour les cas où ��& > ��%. Or, les agents n’auraient alors

qu’une faible différence en temps perdu à choisir � = 1. Nous avons donc choisi le seuil critique de la

mort, �>?@�A, de façon à éviter que les agents se trouvent dans cette situation. D’autres formes

pourront être considérées dans des versions ultérieures du présent document. Finalement, l’état de

santé en période suivante en fonction état de santé, de l’âge et des paramètres aléatoires des agents est

donné par :

�7J�, 1, GH , GKL=

������ ∙ �1 − \1 − 1�n� − GH1�@� − 1�n� ]5% + � \ ��@� − � + GK� ∙ (��@� − �>?@�A)]5&� 9N � > �>?@�A

�>?@�A 9NPQP .B (23)

Cette forme fonctionnelle présente plusieurs aspects séduisants du point de vue théorique. En premier

lieu, le terme de dépréciation du capital-santé dû à l’âge est croissant dans l’âge de l’agent pour des

valeurs neutres du paramètre stochastique GH. Ensuite, comme nous fixons �1 = 3, cet impact est non

Page 18: Demande de soins et équilibre budgétaire dans un …‰tienne Gaudette...l’extension de la vie (Ehrlich et Chuma, 1990) et l’investissement en capital-santé sous la forme d’un

18

linéaire, admet des améliorations de l’état de santé et croît plus que proportionnellement au fur et à

mesure que l’on s’approche de l’âge maximum considéré dans la calibration (à cet âge, la dépréciation

obtenue avec une valeur neutre de GH est de 100%). Du côté de l’impact des soins de santé, la

spécification retenue se comporte de façon similaire, avec une bonification des soins de santé plus

importante au lorsque l’agent est en mauvaise santé, i.e. que � s’approche de �>?@�A. �2 est également

un paramètre de non-linéarité, alors que � limite la portée des soins. Sans ce dernier paramètre, un

agent ayant un niveau de santé très près de �>?@�A pourrait espérer voir doubler son état de santé pour

des valeurs neutres de GK, ce que nous trouvons exagérément optimiste; nous fixons � = 1.75.

Du côté de l’équilibre, les deux formes fonctionnelles-clé sont celles qui composent le ratio (19),

c’est-à-dire le temps travaillé des médecins pour une quantité de taxes et de médecins donnés us_wNxy(us, ∑ / ∙ ,n ∙ �)n�n�% ) et la pression de la demande de soins des agents sur le système de

santé {(�%, … ��, �%, … , ��). Nous supposons que les médecins ont un accord initial avec l’État pour

offrir un temps de base pour un salaire de base donné. Par la suite, les heures de travail

supplémentaires présentent des coûts exponentiels par rapport au salaire de base. Cette formulation de

coût et l’égalisation des recettes et des dépenses mènent au temps total travaillé suivant :

us_wNxy(us, � / ∙ ,n ∙ �)n�

n�% ) = us ∙ �us_b19y_wNxy + \(∑ �∙��∙34����r }��∙��_�@�?_�n�?∙��_�@�?_�)��∙��_�@�?_� ]%/>%�,

(24)

où d1 est l’exposant du temps de travail supplémentaire, que nous fixons à 1,2. Ceci signifie que la 13e

unité de temps supplémentaire de travail d’un médecin lui rapporte 1,99 fois plus qu’une unité de

travail de base.

Finalement, la pression de la demande de soins est donnée par la formule suivante :

{(�%, … ��, �%, … , ��) = J∑ �n∗ ∙ (1 − �n)�n�% + y1L y2� . (25)

La pression sur le système de soins est simplement une fonction du nombre d’utilisateurs des soins de

santé, pondérés par leur niveau de maladie (1 − �n). Le paramètre e1 s’interprète comme une pression

indépendante de l’utilisation des agents, et inclut les secteurs d’activités d’entretien des bâtiments, de

direction, etc. e2 est quant à lui un paramètre de pondération choisi afin d’obtenir des niveaux de

congestion conséquents avec le temps d’attente des agents; nous le fixons à 10. Tel que nous le

Page 19: Demande de soins et équilibre budgétaire dans un …‰tienne Gaudette...l’extension de la vie (Ehrlich et Chuma, 1990) et l’investissement en capital-santé sous la forme d’un

19

mentionnons à la section précédente, des politiques gouvernementales visant à améliorer l’efficacité du

système de soins pourraient affecter le paramètres e1, alors que l’augmentation de la taille du système

passerait par l’augmentation de us. Il est à noter que, puisque la forme choisie implique un salaire de

base aux médecins, l’augmentation de us peut forcer l’État à augmenter son taux de taxation, si celui

qui prévalait précédemment n’est plus suffisant pour permettre des taxes suffisantes au paiement du

salaire de base des médecins.

Tableau 5.1

Calibration du modèle sans épargne

Dimension des vecteurs

Min Incrément Max

Âge 20 1 129

Santé 0,01 0,01 1

Chocs -3.5σ 0.5σ 3.5σ

Paramètres

Système de santé Généraux

τ 0,1 β 0,96

γ 0,3 w 1

Formes fonctionnelles

a1 0,4 c1 3

a2 0,4 c2 3

b1 1,5 κ 1,75

b2 1,5 H_death 0,35

Stochastiques

μ_δ 0 σ_δ 8 μ_ψ 0 σ_ψ 0,05

5.2 Demande de soins de santé sans épargne

En premier lieu, nous nous intéressons aux choix des agents si ils ne peuvent épargner (A=A’=0)

et ont tous le même niveau de productivité , afin d’étudier l’impact de l’âge et de l’état de santé sur

l’utilisation des soins de santé dans un contexte où les agents ne diffèrent pas quant à leur niveau de

richesse. Les choix de calibration et le format des variables sont présentés au tableau 5.1. Au moment

présent, cette calibration vise à nous renseigner sur le fonctionnement du modèle mis sur pied plutôt

Page 20: Demande de soins et équilibre budgétaire dans un …‰tienne Gaudette...l’extension de la vie (Ehrlich et Chuma, 1990) et l’investissement en capital-santé sous la forme d’un

20

qu’à représenter fidèlement l’environnement décisionnel des agents. Dans une version ultérieure ou un

travail futur, nous calibrerons le modèle à partir de micro-données afin de faire des analyses quantifiées

de problématiques de santé.

Le tableau 5.2 présente les

choix optimaux d’utilisation des soins

de santé des agents découlant de la

calibration. Étant donné le caractère ad

hoc de la calibration, ces résultats

doivent être interprétés avec

prudence. Ils permettent toutefois de

mettre en évidence comment l’âge et

l’état de santé des agents impactent

leurs choix d’utilisation des soins de

santé. On y voit notamment que les

personnes âgées de plus de 55 ans

ayant de faibles niveaux de santé,

étant plus à risque de mourir en

période suivante, sont celles trouvant

des gains en espérance de vie aux

soins. Pour tout niveau de santé, les

individus plus jeunes ont généralement

des gains dynamiques en qualité de vie plus importants que les individus plus âgés, via un horizon de vie

à venir plus long. C’est pourquoi les agents de 25 à 55 ans ayant un état de santé de 60% auront recours

aux soins de santé, alors que les agents plus âgés jugeront plus avantageux de ne pas utiliser les soins

pour ce niveau de santé. Assez intuitivement, nous trouvons que les individus choisissent d’utiliser les

soins de santé lorsque leur état de santé est très faible. Lorsque les agents ont un état de santé de

100%, à l’inverse, ils anticipent des gains dynamiques nuls à l’utilisation des soins et choisissent �∗ = 0.

En générant des chocs aléatoires GH et GK à partir d’une distribution uniforme, nous obtenons

des prévisions sur l’évolution de la santé des agents et leurs choix d’utilisation des soins de santé. Un

exemple de vie plausible d’un agent en parfaite santé à 20 ans conforme à notre calibration est présenté

à la figure 5.1. Il maintient un bon état de santé (avec un niveau de capital-santé de plus de 0,8) jusqu’à

Tableau 5.2

Choix d’utilisation des soins selon l’âge et l’état de santé

Gain Dynamique espéré

H Âge α* Perte

d'utilité en t Espérance

de vie Qualité de vie Total

40%

25 1 11.68 0.00 25.08 25.08

40 1 11.68 0.00 21.36 21.36

55 1 11.68 3.10 15.24 18.34

70 1 11.68 14.29 20.68 34.97

85 1 11.68 1.23 13.33 14.56

60%

25 1 9.86 0.00 15.19 15.19

40 1 9.86 0.00 12.52 12.52

55 1 9.86 0.00 10.00 10.00

70 0 9.86 0.00 7.66 7.66

85 0 9.86 0.08 5.61 5.69

80%

25 0 8.90 0.00 4.35 4.35

40 0 8.90 0.00 2.65 2.65

55 0 8.90 0.00 3.36 3.36

70 0 8.90 0.00 2.18 2.18

85 0 8.90 0.00 0.71 0.71

100%

25 0 8.26 0.00 -0.01 -0.01

40 0 8.26 0.00 0.05 0.05

55 0 8.26 0.00 0.07 0.07

70 0 8.26 0.00 0.06 0.06

85 0 8.26 0.00 0.01 0.01

Page 21: Demande de soins et équilibre budgétaire dans un …‰tienne Gaudette...l’extension de la vie (Ehrlich et Chuma, 1990) et l’investissement en capital-santé sous la forme d’un

21

50 ans, après quoi il se détériore de près de 0,3 jusqu’à 60 ans. L’agent utilise ensuite ponctuellement

les soins de santé jusqu’à environ 70 ans afin de maintenir son stock de santé, après quoi il les utilise

sans interruption jusqu’à sa mort, à 79 ans. Lors de ses 59 années de vie simulées, l’agent aura utilisé 16

fois les soins de santé, soit 27%, et toutes ses visites ont lieu lors de ses 20 dernières années de vie.

Figure 5.1

Évolution aléatoire de la santé d’un agent et utilisation des soins de santé

Cette vie simulée permet notamment une explication plausible à la présence importante des

personnes âgées dans les systèmes de santé qui n’est pas évidente dans le tableau 5.2. Nous y

observions qu’avec l’âge, les agents prévoient des gains de qualité de vie de l’utilisation des soins sur

une plus courte période et sont donc relativement moins incités à utiliser ces derniers. Ils devraient donc

être moins nombreux à utiliser les soins de santé. Or, la figure 5.3 met en évidence qu’avec

l’accélération de la dépréciation de la santé avec l’âge, un individu âgé est plus à même d’être en faible

Page 22: Demande de soins et équilibre budgétaire dans un …‰tienne Gaudette...l’extension de la vie (Ehrlich et Chuma, 1990) et l’investissement en capital-santé sous la forme d’un

22

santé qu’un individu jeune. C’est via ce mécanisme que l’âge pourrait être corrélé avec l’utilisation des

ressources de santé.

5.3 Demande de soins de santé avec épargne

L’ajout de possibilité d’épargnes nous a permis à la fois d’étudier l’impact de la richesse sur

l’utilisation des soins de santé à une période donnée de la vie des agents et les choix intertemporels

d’épargne. Pour ce faire, nous avons utilisé une calibration similaire à celle du tableau 5.1, à partir de

laquelle les quelques ajouts et modifications sont présentés au tableau 5.3. Les modifications quant à la

dimension des vecteurs ont été apportées afin d’alléger les calculs, étant donné la différence importante

de complexité entre les deux versions

du programme, tout en conservant

autant que possible les mêmes

propriétés que précédemment.

Afin de mesurer l’impact de

l’épargne sur l’utilisation des soins,

nous avons calculé la différence entre

l’utilisation des soins des agents

disposant du niveau d’épargne

maximale en début de période (1000) et ceux dont l’épargne est nulle, et ce pour tout âge et état de

santé. La figure 5.2A est une illustration de ce résultat. La surface présente les différences d’utilisation;

les rectangles en vert pâle présentent les situations où le choix optimal est le même pour les deux

groupes (différence=0), les rouges sont les situations où seul l’individu riche utilise les soins (1) et les

bleus sont les situations où seul l’individu pauvre utilise les soins(-1). La grande majorité des

combinaisons âge-santé mène au même choix pour les deux groupes, ce qui suggère que la richesse des

agents n’est pas un facteur déterminant de l’utilisation des soins de santé dans un système public.

Rappelons que nous considérons la différence de richesse maximale entre les agents, et nous trouvons

que seule une faible proportion des combinaisons âge-santé est affectée par celle-ci. Ceci dit, nous

observons bien davantage de situations où la différence est positive que l’inverse, ce qui suggère que,

même dans un modèle ou n’interviennent pas de prix des soins ou des différences entre les individus

quant à leur réseau, capital-humain ou information disponible, les individus plus riches sont plus incités

à utiliser les soins. Dans le cadre de notre modèle, l’individu disposant d’un niveau d’épargne élevé peut

utiliser une partie de celle-ci pour compenser son temps de travail perdu en utilisant les soins, et ainsi

Tableau 5.3

Calibration du modèle avec épargne (ajouts et modifications)

Dimension des vecteurs

Min Incrément Max

Santé 0,05 0,05 1

Chocs -1,5σ 0,5σ 1,5σ

Épargne 0 50 1000

Paramètres

Stochastiques Généraux

σ_ψ 0,1 r 0,02

Page 23: Demande de soins et équilibre budgétaire dans un …‰tienne Gaudette...l’extension de la vie (Ehrlich et Chuma, 1990) et l’investissement en capital-santé sous la forme d’un

23

maintenir un niveau de consommation constant dans le temps. L’épargne pourrait donc être utilisée par

les individus afin de lisser leur niveau de consommation dans les périodes où elles seront incommodées

par la maladie et le temps d’attente.

Figure 5.2

A. Différence d’utilisation des soins entre les agents les plus fortunés et ceux sans épargne, pour tous âges et états de

santé (bleu = -1, vert = 0, rouge = 1)

B. Épargne optimale en période future d’un agent ayant h=1 et un niveau d’épargne en t de 250

La figure 4B renforce cette interprétation. Elle présente l’épargne optimale en t+1 en fonction

de l’âge d’un individu en pleine santé disposant de 250 unités d’épargne en t. Un tel individu,

évidemment, n’utilise jamais à l’optimum les soins de santé. Or, nous le contraignons à les utiliser et

observons son épargne optimale, présentée en bleu dans le graphique. Notons que, dans ce cas, il

choisit systématiquement un niveau d’épargne inférieur ou égal en période future, ce qui confirme le

rôle de l’épargne comme une réserve pour une période où l’agent utilise les soins. Le graphe permet

d’observer un second phénomène intéressant : les choix d’épargne optimaux y présentent un cycle au

cours de la vie de l’agent. En début de vie l’agent préfère consommer son épargne et choisit des niveaux

relativement bas en t+1, n’anticipant pas être incommodé par la maladie pour les premières décennies

de sa vie. Alors que son âge avance et qu’il s’approche des périodes de dépréciation de son état de

santé, il devient optimal d’épargner davantage pour les périodes futures. Ensuite, lorsque l’agent est en

âge avancé, sa probabilité d’être en vie en période future diminue et il utilise son épargne pour lisser sa

consommation et obtenir une utilité aussi forte que possible lors des périodes courantes.

Page 24: Demande de soins et équilibre budgétaire dans un …‰tienne Gaudette...l’extension de la vie (Ehrlich et Chuma, 1990) et l’investissement en capital-santé sous la forme d’un

24

5.4 Impact de politiques

publiques sur l’équilibre

La présente section est au moment

présent extrêmement rudimentaire.

Elle vise à présenter un exemple du

type d’analyses possibles une fois le

modèle calibré sur une économie

réelle. Le tableau 5.4 présente la

calibration ad hoc que nous avons

utilisé pour effectuer des tests de

politiques. Il est à noter que la taille

des vecteurs a été réduite au

minimum afin de résoudre le

problème en des temps pratiques.

Lorsque nous effectuerons les tests

finaux, nous rétablirons la taille des

vecteurs.

Afin de simuler des politiques, nous

fixons en premier lieu le nombre de

médecins présents dans l’économie et

appliquons un taux de taxation donné

à une population d’agents que nous

avons créée aléatoirement (voir statistiques descriptives au tableau 5.5). Par l’algorithme d’itération

défini à l’annexe D2, nous trouvons le taux de congestion des soins de santé permettant l’équilibre

budgétaire. Par la suite, nous modifions successivement le taux de taxation, le taux de médecins et les

deux simultanément pour représenter deux grandes politiques

de santé envisageables dans un système public : la modification

de long terme de la capacité productive du système via

l’embauche (le congédiement) de médecins et l’augmentation

(diminution) du financement du système de soins de santé. Les

résultats de ces expériences sont présentés au tableau 5.6, où le

scénario de base commun aux trois expériences est présenté en gras.

Tableau 5.4

Calibration du modèle équilibrant offre et demande

Dimension des vecteurs

Min Incrément Max

Âge 20 1 59

Santé 0,4 0,1 1

Chocs -1,5σ 0,5σ 3,5σ

Épargne 0 50 1000

Paramètres

Généraux β 0,96 w 1

Formes fonctionnelles de l'agent

a1 0,5 c1 2

a2 0,25 c2 2

b1 1,5 κ 1,75

b2 1,5 H_death 0,4

Formes fonctionnelles du système de santé

md_base_w 1 e1 0,2

md_base_time 100 e2 10

d1 1,2

Stochastiques

μ_δ 0 σ_δ 9 μ_ψ 0 σ_ψ 0,2

Tableau 5.5

Statistiques descriptives de la distribution aléatoire d'agents

(N=40)

Moyenne Écart-type

Age 25,4 5,4

Santé 0,75 0,17

Épargne 398,3 279,7

Page 25: Demande de soins et équilibre budgétaire dans un …‰tienne Gaudette...l’extension de la vie (Ehrlich et Chuma, 1990) et l’investissement en capital-santé sous la forme d’un

25

La première expérience illustre bien l’impact simultané sur la demande des agents qui doit être

anticipé lorsque l’État augmente la taille de son système de soins de santé : l’ajout de nouveaux

médecins permet effectivement la réduction de la congestion, mais les agents utilisent davantage les

soins, de sorte que la réduction des files d’attente est beaucoup moins que proportionnelle à

l’augmentation de médecins. Ici, la forte non-linéarité des coûts des soins considérée (d1=1,2) est telle

que l’augmentation de la taille du système diminue fortement le coût marginal des soins et n’entraîne

pas de hausse importante du coût annuel du système : ce paramètre-clé devra être choisi avec soin pour

la calibration future. Aussi, nous notons l’impact non-linéaire de la taille du système de santé sur le

temps de travail moyen des agents (et donc des taxes récoltées, égales au coût du système), en accord

avec la discussion à l’annexe C. Lorsque le taux de congestion diminue, les agents utilisant les soins de

santé à l’optimum dans les deux cas passent moins de temps en attente de soins et travaillent

davantage. Cet effet prime lorsque le nombre de médecins passe de 1 à 2, dans le tableau ci-haut.

Cependant, les agents qui changent d’avis et décident d’utiliser les soins travaillent moins qu’ils ne

Tableau 5.6

Résultats simulés de trois politiques de santé

1. Effet d'augmenter le

nombre de médecins

(investissement de long

terme dans le système de

santé) en conservant la

structure de financement

des dépenses courantes.

Mds tau* gamma TW/Agent Coût Usagers % Temps/Med

0,5 0,1 0,3678 85,5 342 12 30 302,0

1 0,1 0,3061 88,25 353 14 35 200,6

1,5 0,1 0,2737 88 352 15 37,5 159,5

2 0,1 0,2501 89 356 16 40 137,7

3 0,1 0,2333 84,25 337 19 47,5 108,1

2. Effet du taux de taxation -

les fonds collectés vont

directement au système de

santé (augmenter le budget

annuel en laissant intactes

les infrastructures).

Mds tau gamma TW/Agent Coût Usagers % Temps/Med

1 0,05 0,3722 89,875 179,75 10 25 138,4

1 0,1 0,3061 88,25 353 14 35 200,6

1 0,15 0,2679 86,375 518,25 15 37,5 252,9

1 0,2 0,235 85,375 683 17 42,5 301,7

1 0,25 0,2241 81,375 813,75 19 47,5 338,8

3. Effet combiné d'investir

et d'augmenter les points

de taxation accordées à la

santé.

Mds tau gamma TW/Agent Coût Usagers % Temps/Med

0,5 0,05 0,4545 86 172 8 20 197,6

1 0,1 0,3061 88,25 353 14 35 200,6

1,5 0,15 0,2376 87 522 16 40 198,9

2 0,2 0,2017 84,75 678 20 50 195,9

3 0,3 0,1551 79,625 955,5 25 62,5 189,0

Page 26: Demande de soins et équilibre budgétaire dans un …‰tienne Gaudette...l’extension de la vie (Ehrlich et Chuma, 1990) et l’investissement en capital-santé sous la forme d’un

26

l’auraient fait en n’utilisant pas les soins. Ce dernier effet explique la diminution du temps de travail

moyen des agents lorsque le nombre de médecins passe de 2 à 3. Afin d’affecter de façon plus directe le

financement des soins de santé, le gouvernement peut augmenter le taux de taxation des agents, ce que

nous considérons dans la seconde portion du tableau 5.6. On y voit que cette stratégie permet

effectivement d’augmenter les taxes récoltées, et de diminuer la congestion des soins. Or, étant donné

le caractère exponentiel des soins de santé lorsque la taille du système est inchangée, nous voyons que

la diminution de la congestion est relativement faible en comparaison avec l’augmentation très forte du

coût du système de soins. De plus, en face d’un taux de taxation plus élevé et de congestion plus faible,

les agents sont plus nombreux à utiliser les soins et nous observons une réduction importante du temps

travaillé des agents. L’application des deux politiques simultanément (troisième expérience) semble

permettre des résultats plus efficaces : des augmentations simultanées de 0,5 médecin pour 40

individus et de 0,5% du taux de taxation mènent à une réduction du taux de congestion du même ordre

que de tripler le nombre de médecins, tout en conservant la quantité de temps travaillée à 87. Lorsque

nous ferons de telles analyses avec le modèle calibré sur les données québécoises, nous ajouterons une

analyse de bien-être afin de compléter ces résultats, et tiendrons compte du coût (évidemment non

négligeable) de modifier la taille du système de santé.

6. Discussion

Le présent article fait état de l’avancement de nos travaux à ce jour. À pareille date l’an dernier,

nous avions couvert le volet théorique du problème de l’agent et nous heurtions à la difficulté

d’apporter des éléments concrets de résolution purement analytique. Depuis, le grand pas en avant fut

l’écriture de trois programmes informatiques, le premier résolvant le problème sans épargne des

agents, le second résolvant le problème avec épargne et le troisième permettant de déterminer

l’équilibre budgétaire pour une distribution donnée. Nous avons présenté un avant-goût qui semble

prometteur du type de résultats que permettent ces trois programmes pour des calibrations ad hoc.

Nous avons aussi explicité l’offre de santé et la notion d’équilibre, là où nous avions énoncé des

généralités dans le premier examen de spécialisation. Nous avons de plus prouvé que, sous des

conditions raisonnables, le point fixe en taux de congestion pour une distribution d’agents donnée est

unique et que nous le trouvons à partir de notre algorithme de résolution numérique.

L’essentiel du travail restant consiste en la calibration, à l’aide de données québécoises, des

programmes informatiques afin de répliquer avec succès certains paramètres clé tels les choix des

Page 27: Demande de soins et équilibre budgétaire dans un …‰tienne Gaudette...l’extension de la vie (Ehrlich et Chuma, 1990) et l’investissement en capital-santé sous la forme d’un

27

agents, leur espérance de vie, etc. Cela nécessite de finaliser la mise sur pied d’une base de données

représentative des agents et du système de santé québécois, ce à quoi nous travaillons présentement,

et au développement d’une stratégie de calibration utilisant au maximum les données existantes. Il nous

sera alors possible d’utiliser le modèle afin de faire une étude quantifiée de l’impact sur la demande de

soins de politiques publiques en matière de santé et de répondre de façon concrète aux questions

énoncées en introduction du présent document, l’objectif ultime de la présente démarche.

Annexes

A. Impact du salaire sur la différence d’utilité des agents

Énoncé : si les différences d’effets de substitution entre loisir et travail sont négligeables et que la fonction

d’utilité présente une courbure relativement faible dans la consommation, une augmentation de salaire (une

diminution des taxes) mène à une dissuasion accrue à l’utilisation des soins de santé.

Preuve : Soit l’utilité sacrifié en période courante, exprimée en fonction du temps travaillé :

∆ = (, ∙ �)�(1 − /), �) − (, ∙ �)%(1 − /), %). (A1)

Comme le temps de travail et de loisir optimaux dépendent de la taxation et du salaire, on trouve que la dérivée

de la différence d’utilité par rapport au salaire est :

X∆X, = �%(�� , �)(1 − /) ��)� + , X�)�X, � + &(�� , �) ∙ �X �X, ��

− �%(�%, %)(1 − /) ∙ ^�)% + , >34r>� ` + &(�%, %) ∙ ^>qr>� `�.

(A2)

En supposant les écarts des effets de substitution d’ordre supérieur par rapport aux différences d’effet-revenu

d’une augmentation de salaire, on peut approximer :

>∆o>� ≈ (1 − /)�%(��, �) ∙ �)� − %(�%, %) ∙ �)%�.

(A3)

Cette dernière équation permet de trouver que l’effet de l’augmentation de salaire augmente l’écart d’utilité si la

courbure de l’utilité par rapport à la consommation est faible, c'est-à-dire si, pour tous �)�, �)%, � et %,

34�34r > or(5r,qr)or(5�,q�).

(A4)

Le même raisonnement s’applique au taux de taxation, qui influence négativement l’écart d’utilité si les mêmes

conditions s’appliquent. Dans une version ultérieure du présent document, nous rendrons ce résultat plus robuste

à l’aide de méthodes plus efficaces.

B. Monotonicité du taux de congestion Il sera utile pour nous de considérer spécifiquement le cas où le taux de congestion affecte de façon

monotone le choix d’utiliser les soins de santé. Plus précisément, dans cette situation, pour toute paire de taux de congestion considérée, les agents utilisant à l’optimum les soins pour le taux le plus élevé les utilisent également pour le taux le plus faible : ∀ �%, �& w. �. �% > �&, �n% ≤ �n& ∀ N. Cette situation est intéressante parce qu’elle

Page 28: Demande de soins et équilibre budgétaire dans un …‰tienne Gaudette...l’extension de la vie (Ehrlich et Chuma, 1990) et l’investissement en capital-santé sous la forme d’un

28

permet alors affirmer que pour tout taux considéré, les usagers sont un sous-ensemble des usagers observés pour un taux moins élevé. L’étude de la condition d’utilisation des soins permet de trouver la condition nécessaire pour que cette situation soit observée

Énoncé : Si, pour tout individu N ∈ 1,2 …   et pour tout niveau de � ∈ (1, b), l’impact marginal du taux

de congestion � sur le gain dynamique espéré escompté, � ∙ ¡J¢£¤r¥¦}¢�¤�¥�L¡§ , est d’ordre supérieur à celui sur l’utilité

courante de l’utilisateur de soins, − ¡o(5r,qr)¡§ , alors le taux de congestion affecte de façon monotone sur (1, b)

l’utilisation des soins de santé de l’ensemble de la population.

Preuve :

Nous savons que �n = 1 ⇔ � ∙ (��0%7� − ��0�7�) > (��, �) − (�%, %) pour l’individu i ou, de façon équivalente

� ∙ (��0%7� − ��0�7�) − J(��, �) − (�%, %)L > 0. (B1)

Nous désirons obtenir la condition pour qu’un � plus faible affecte de façon positive l’inégalité (B1), de sorte qu’un individu utilisant déjà les soins de santé pour une congestion donnée les utilise également si celle-ci diminuait. Cette condition nécessite que la dérivée partielle du terme de gauche de (B1) par � soit négative. Notons que la congestion n’intervient pas dans l’utilité courante si l’utilisateur n’utilise pas les soins, ce qui permet d’écrire :

� ∙ ¡J¢£¤r¥¦}¢�¤�¥�L¡§ < − ¡o(5r,qr)¡§ , (B2)

ce que nous cherchions à démontrer. ∎

Discussion : Notons que l’effet de � sur les espérances de valeur futures ��0%7� et ��0�7� est dans les deux cas négatif et peu susceptible de varier considérablement : il est constitué de l’impact de la congestion sur l’utilité courante des périodes futures pendant lesquelles l’agent utilisera les soins de santé. À moins de guérison majeure de l’agent qui permette d’éviter les soins de santé pour une longue période, l’effet de la congestion sur les valeurs futures ne devrait donc pas varier considérablement, surtout en tenant compte de l’effet du paramètre d’actualisation �. Donc, le terme de gauche devrait être relativement proche de zéro dans la plupart des cas. À droite de l’inégalité, comme nous l’avons déjà mentionné, l’impact de � sur l’utilité courante du patient qui utilise les soins est directe et négative. Il nous paraît donc probable que la condition (B2) soit respectée pour des niveaux de congestion et des distributions d’individus réalistes.

C. Unicité de l’équilibre Énoncé C-1 : En fixant un taux de taxation / donné, s’il existe un équilibre budgétaire auquel est associé

un point fixe en taux de congestion �∗, cet équilibre est unique, i.e. il n’existe pas de taux �∗∗ ≠ �∗ permettant l’équilibre budgétaire, si l’élasticité du temps de médecin disponible dans le système par rapport au taux de congestion est supérieure ou égale à l’élasticité de l’utilisation su système de santé par rapport au taux de congestion, i.e.

«��_�n�?(∑ 34�∙�)���r ,§∗∗ ≥ «∑ 2�∙(%}¬�)���r ­®,§∗∗. (C1)

Preuve : Supposons que (C1) est respecté mais que l’énoncé précédent est faux, i.e. qu’il existe deux taux non identiques, �∗∗ et �∗, permettant l’équilibre budgétaire. Sans entraver la généralité de la preuve, considérons �∗∗ > �∗. Étant donnée la forme retenue de congestion, par définition de point fixe, nous savons que, pour une itération démarrant avec �∗, le taux de congestion endogène qui sera obtenu pour une boucle du programme sera

�? = {(�%∗, … ��∗ , �%, … , ��) us_wNxy(∑ �)n∗ ∙ /)�n�%� = �∗. (C2)

Comme nous considérons que �∗∗ est également un point fixe, cela signifie qu’il peut aussi être obtenu de façon endogène s’il est considéré initialement par le programme. Ainsi,

Page 29: Demande de soins et équilibre budgétaire dans un …‰tienne Gaudette...l’extension de la vie (Ehrlich et Chuma, 1990) et l’investissement en capital-santé sous la forme d’un

29

�∗∗ = {(�%∗∗, … ��∗∗, �%, … , ��)us_wNxy(∑ �)n∗∗ ∙ /)�n�% > {(�%∗, … ��∗ , �%, … , ��)us_wNxy(∑ �)n∗ ∙ /)�n�% = �∗ (C3)

En remaniant les termes, nous obtenons l’inégalité :

us_wNxy(∑ �)n∗∗ ∙ /)�n�%us_wNxy(∑ �)n∗ ∙ /)�n�% < {(�%∗∗, … ��∗∗, �%, … , ��){(�%∗, … ��∗ , �%, … , ��) . (C4)

Le non-respect de l’inégalité (C4) est la condition nécessaire pour l’unicité de l’équilibre. Notons que, si �∗∗ = �∗, nous obtenons 1 de chaque côté de (C4). L’inégalité sera donc respectée si, pour toute valeur de �, la dérivée du terme de gauche est inférieure à celle du terme de droite :

¯us_wNxy(∑ �)n ∙ /)�n�%¯�∗∗ us_wNxy(� �)n ∙ /)�n�%�

< ¯{(�%, … ��, �% , … , ��)¯�∗∗ {(�%, … �� , �%, … , ��)°

(C5)

De cette condition, il suffit de multiplier chaque côté par � pour obtenir une condition sur les élasticités des termes :

«��_�n�?(∑ 34�∙�)���r ,§∗∗ < «±(2r,…2�,¬r,…,¬�),§∗∗, (C6)

qui contredit notre hypothèse initiale. ∎

Discussion : Il est utile de remarquer que l’élasticité «∑ 2�∙(%}¬�)���r ­®,§∗∗ est négative si la condition (B2) est

respectée, car un taux de congestion plus élevé dissuade l’utilisation des soins de santé. Au contraire, le signe de l’élasticité «��_�n�?(∑ 34�∙�)���r ,§∗∗ est incertain. Le temps de médecins est strictement croissant dans la quantité de

taxes récoltées. C’est à ce niveau qu’interviennent deux effets divergents : d’une part, si (B2) est respectée, pour un taux de congestion plus élevé, une partie des agents décide de ne plus utiliser les soins et passe donc davantage de temps au travail plutôt qu’en salle d’attente (augmentation du niveau des taxes); d’autre part, les agents qui ne changent pas d’avis et décident de continuer d’utiliser les soins passent plus de temps en salle d’attente (diminution du niveau des taxes). L’énoncé suivant développe formellement ces effets et trouve une condition nécessaire, quoique peu plausible, pour assurer que le premier effet soit dominant, et donc assurer l’unicité de l’équilibre. Quoiqu’il en soit, d’un point de vue pratique, il semble intuitif que us_wNxy présente une faible élasticité en valeur absolue, puisque 1) les capacités de production des soins de santé (représentées par la quantité de médecins) sont fixes dans le système pour une année donnée, limitant l’impact d’une variation du niveau de taxes récoltées, et 2) l’impact de la congestion sur les taxes récoltées est composé de deux effets opposés. Ainsi, à condition que la distribution d’agents soit suffisamment riche et diversifiée pour présenter un nombre important d’agents pivots, utilisant le système de soins de santé pour le taux de congestion �∗ mais pas pour le taux �∗∗, il est pratiquement assuré que la condition (C1) soit respectée.

Énoncé C-2 : En fixant un taux de taxation / donné, les conditions suivantes suffisent à assurer un équilibre unique:

i) La condition (B2) est respectée, i.e. la réponse des agents à la congestion est monotone; ii) L’effet d’une congestion accrue sur temps total travaillé des usagers pivots (cessant d’utiliser les soins pour

la congestion accrue), ∑ (�n∗ − �n∗∗)(�)n� − �)n%∗ )�n�% , est plus grand ou égal à l’effet de la congestion

accrue sur le temps travaillé des agents utilisant le système de soins dans les deux situations, ∑ �n∗∗ ∙�n�%(�)n%∗ − �)n%∗∗).

Preuve : Partons de l’inégalité (C4) de la preuve précédente. Si la condition (B2) est respectée, nous savons que les utilisateurs du système pour �∗∗ sont un sous-ensemble des utilisateurs pour �∗, de sorte que �n∗∗ ≤ �n∗ ∀ N. Sous cette condition, le terme de droite est inférieur à 1. Il suffit donc de trouver que le terme de gauche de (6) est supérieur ou égal à 1 pour obtenir l’impossibilité d’une multiplicité d’équilibres. Comme le temps de médecins est,

Page 30: Demande de soins et équilibre budgétaire dans un …‰tienne Gaudette...l’extension de la vie (Ehrlich et Chuma, 1990) et l’investissement en capital-santé sous la forme d’un

30

par hypothèse, strictement croissant dans le revenu de taxation, démontrer l’impossibilité de la condition suivante suffit à contredire (C4) :

� �)n∗�

n�% − �)n∗∗ > 0 (6’)

En utilisant la condition (B2) et le fait qu’en absence d’utilisation des soins, la quantité de temps travaillée par un agent donné est identique pour tout taux de congestion, nous pouvons récrire cette inégalité comme :

� �)n�(�n∗∗ − �n∗) + �n∗ ∙ �)n%∗ − �n∗∗ ∙ �)n%∗∗�n�% > 0. (C7)

Quelques manipulations simples permettent de réécrire (9) comme :

� �n∗∗ ∙ (�)n%∗ − �)n%∗∗)�n�% > �(�n∗ − �n∗∗)(�)n� − �)n%∗ )�

n�% , (C8)

ce qui contredit la condition ii) énoncée plus haut. ∎

Discussion : Le terme de gauche de (C8) correspond à la somme du temps supplémentaire travaillé par les agents utilisant dans les deux cas le système de soins de santé si la congestion passe de �∗∗ à �∗. Le terme de droite correspond au temps total en moins travaillé par les agents qui n’utilisent pas les soins de santé pour un niveau de congestion �∗∗ et qui choisissent de l’utiliser pour un taux inférieur �∗. Il croît dans le nombre d’agents pivots et dans la diminution du choix de temps travaillé en utilisant les soins. Les deux termes sont positifs et il n’est pas certain à priori que la condition ii) soit respectée pour des distributions raisonnables d’agents.

D. Algorithmes de résolution numérique

D.1 Résolution du problème des agents L’algorithme de résolution du problème de base des agents est similaire aux algorithmes usuels de

programmation dynamique et consiste en 3 étapes principales : 1) la calibration des paramètres du modèle et la discrétisation des variables 2) les itérations sur la fonction de valeur jusqu’à l’obtention du point fixe et 3) le calcul des résultats et du choix optimal des agents.

Afin de garder le texte aussi simple que possible, nous allons ici présenter les étapes de l’algorithme permettant de résoudre le problème sans épargne des agents. Tel que nous l’avons vu à la section 3.2, le problème sans épargne de choix des agents est autrement plus simple que le problème avec épargne, car le choix du temps de travail et des niveaux de consommation et de loisir qui en résultent sont alors purement statiques (voir (15)).

Nous déterminons donc J��(�, 1), �(�, 1)L et J�%(�, 1), %(�, 1)L séparément des itérations sur les fonctions

de valeur. Nous devons cependant procéder par itérations pour déterminer les espérances de valeurs futures et ainsi trouver le choix optimal d’utilisation des soins de santé. Nous basant sur l’itération précédente, nous trouvons les espérances de valeur en période future en calculant :

��0�7(�, 1)� =����� � ²CQb� ∙ 0((��7 (�, 1, GH�), 1 + 1) 9N 1 < 1dy�@�

���%

� ²CQb� ∙ 0((��7 (�, 1, GH�), 1) 9N 1 = 1dy�@��

��%B

��0%7(�, 1)� =����� � � ²CQb� ∙ ²CQb� ∙ 0J(�%7 (�, 1, GH�, GK�), 1 + 1L 9N 1 < 1dy�@�

���%

���%

� � ²CQb� ∙ ²CQb� ∙ 0J(�%7 (�, 1, GH�, GK�), 1L 9N 1 = 1dy�@��

��%�

��%B

(D1)

Page 31: Demande de soins et équilibre budgétaire dans un …‰tienne Gaudette...l’extension de la vie (Ehrlich et Chuma, 1990) et l’investissement en capital-santé sous la forme d’un

31

où �27 est déterminé par (23), M et N sont la quantité de chocs GH et GK considérés dans la simulation et prob est

la probabilité, tirée d’une loi normale, qui leur est associée. Ensuite, nous obtenons 0� et 0%:

0�(�, 1) = J��(�, 1), �(�, 1)L + � ∙ ��0�7(�, 1)� 0%(�, 1) = J�%(�, 1), %(�, 1)L + � ∙ ��0%7(�, 1)�. (D2)

Nous imposons aussi à ce stade que 0� = 0% = 0 si � ≤ �>?@�A. Finalement, la fonction de valeur est la plus grande de 0� et 0%, conformément à l’intuition présentée à la section 3 :

0(�, 1) = max³ V³. (D3) Nous effectuons les calculs D1 à D3 jusqu’à ce que le supremum de la distance entre les 0(�, 1) de deux itérations successives soit inférieur à un paramètre de précision, i.e. qu’il y ait convergence sur la fonction de valeur. L’algorithme du problème avec épargne est en tout point similaire, mais contient davantage de boucles afin de tenir compte de tout niveau initial de l’épargne des agents et de tout niveau envisageable d’épargne en fin de période. Le choix du temps de travail optimal est alors dynamique et non statique et fait partie de la boucle principale. Le lecteur intéressé à consulter le code du programme mis sur pied peut nous contacter afin d’en obtenir une version électronique.

D.2 Résolution de l’équilibre budgétaire

Afin de trouver l’équilibre budgétaire, nous nous basons sur la théorie vue à section 4. Nous fixons donc le taux de taxation du travail des agents et itérons sur �. À chacune des itérations, nous recalculons le problème entier des agents vu en 3.1 et déterminons un nouveau taux de congestion endogène, jusqu’à ce que nous obtenions un équilibre. La procédure que nous suivons pour choisir le � d’une itération est basée sur le théorème suivant.

Énoncé : Si �∗ existe et la condition (C1) est respectée, en considérant un taux de congestion initial � >�∗, le taux de congestion obtenu par une boucle du programme sera inférieur ou égal à �∗, et vice versa pour un taux de congestion initial � < �∗.

Preuve : Soit un taux de congestion initial � > �∗. Considérons que la proposition à prouver est fausse. Cela signifie que le taux endogène trouvé par le programme sera

�? = {(�%, … �� , �%, … , ��) us_wNxy(∑ �)n ∙ /)�n�%� > �∗. (D4)

L’inégalité (D4) est une réécriture de (C3) en remplaçant �∗∗ par �. Or, sous (C1), nous avons déjà prouvé que cette inégalité ne pouvait être respectée; il y a donc contradiction. Il est trivial de prouver l’inverse pour un taux de congestion initial � < �∗. ∎

Ce résultat est fort utile et nous permet d’obtenir un algorithme d’itération à la fois simple et efficace permettant de converger à l’équilibre. Sous les hypothèses que la condition (C1) est respectée et que l’équilibre existe, il suffit d’observer la position du �? en relation avec le � utilisé en début de boucle pour déduire la position de � par rapport à �∗. Se basant sur ce principe, l’algorithme que nous utilisons comporte les étapes suivantes :

1- À partir d’un �% initial quelconque et de la distribution d’agents, trouver la valeur endogène de congestion �?; 2- Noter si le � initial était inférieur ou supérieur au � d’équilibre visé (si � > �?, nous concluons par le

résultat ci-haut que � est supérieur à l’équilibre, et vice versa); 3- Choisir �&=�? et trouver le nouveau paramètre endogène �?; 4- Par la suite, utiliser le point milieu entre la plus haute valeur inférieure au � d’équilibre et la plus petite

valeur supérieure au � d’équilibre, �n = �x1µ(� w. �. � < �∗) + xNP (� w. �. � > �∗)� 2⁄ ; 5- Il y a convergence lorsque |�n − �?| < «, un paramètre de précision donné.

Page 32: Demande de soins et équilibre budgétaire dans un …‰tienne Gaudette...l’extension de la vie (Ehrlich et Chuma, 1990) et l’investissement en capital-santé sous la forme d’un

32

Un exemple graphique du fonctionnement de cette méthode est présenté ci-dessous, où �¶ est trouvé suffisamment près de �? pour qu’on affirme qu’il y ait convergence. Choisir une valeur initiale relativement proche du � d’équilibre permet d’augmenter de façon considérable la vitesse de convergence de cette méthode.

Figure D1

Exemple graphique de la procédure itérative

1ere étape : pour un �% donné, nous trouvons �? > �% (�% est donc inférieur à �∗);

2e étape : nous fixons �& = �?, et trouvons �? > �% (�% est donc supérieur à �∗);

3e étape et suivantes : comme nous avons maintenant au moins une valeur plus élevée et une valeur plus faible que �, nous utilisons �n = �x1µ(� w. �. � < �∗) + xNP (� w. �. � > �∗)� 2⁄ .

Références Arrow, K.J., 1963. « Uncertainty and the Welfare Economics of Medical Care », American Economic

Review, Vol.53, No.5, 941-973. Chang, F-R, 1995. « Uncertainty and investment in health », Journal of Health Economics, Vol.15, 369-

376. Ehrlich, I., et Chuma, H., 1990. « A Model of the Demand for Longevity and theValue of Life Extension »,

Journal of Political Economy, Vol. 98, 761-782. Grossman, M., 1972. « On the concept of Health Capital and the Demand for Health ». Journal of

Political Economy, Vol. 80, No. 2, 223-255. OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), 2007. OECD Health Data 2007

– How Does Canada Compare? URL : http://www.oecd.org/dataoecd/46/33/38979719.pdf. Picone, G., Uribe, M. et Wilson, R.M., 1998. « The effect of uncertainty on the demand for medical care,

health capital and wealth », Journal of Health Economics, Vol. 17, 171-185. Wolfe, J.R., 1985. « A model of Declining Health and Retirement », The Journal of Political Economy,

vol.93, No.6, 1258-1267.

�% �& �· �¸ �¹ �¶