Derrida Austin l Oral Et Le Moral

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    Dconstruction et Performativit : loral et le moral

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    [Communication aux journes Morale et Performativit Nature,Normes, Conventions , Bordeaux-3, 1er et 2 juin 2004, organises parBruno Ambroise et Layla Rad]

    Dconstruction et Performativit :

    Loral et le moral

    Charles RamondUniversit Bordeaux 3 Michel de Montaigne

    crivant en 1971 Signature vnement Contexte (ou SEC),Derrida rencontre Austin et la thorie du performatif comme desobjections trs puissantes ses propres thses. Son intrt pour Austinacquiert alors une urgence qui peut expliquer la violence des critiquesquil lui adresse. La prise en compte ncessaire des contextes pourlanalyse des noncs, qui est la nouveaut austinienne, tait en effet loppos de thse derridienne de larrachement au contexte commecondition de possibilit du sens et de la communication en gnral. Poursoutenir une thse si paradoxale en apparence, Derrida sappuyait surlimpossibilit dun code structurellement secret : si je peux communiquerune signification une personne, alors je peux la communiquer aussi une autre personne, en un autre lieu, en un autre temps, etc faute dequoi je ne pourrais jamais communiquer. Cet arrachement potentiel aucontexte tait donc non seulement toujours dj prsent dans toutecommunication, mais, y insistait Derrida, il en tait mme la condition depossibilit. On comprend alors pourquoi Derrida faisait de lcriture, etnon de la parole, le modle de toute transmission de sens. Une lettre esten effet la figure parfaite de larrachement au contexte : jcris quelquun qui nest pas l, ici et maintenant, qui recevra mon messagedans un autre contexte que celui dans lequel je lai crit. Cest cela, tout

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    simplement, quon appelle la diffrance avec un a : lide quunecommunication est toujours diffre , que ce diffrement, ce retard, cedlai, le fait quelle peut toujours tre intercepte, lue par quelquundautre que le destinataire (dailleurs, le destinataire est par dfinition

    toujours quelquun dautre), nest quun ensemble de faon de dire que lacommunication se fait toujours fondamentalement dans labsence et nondans la prsence, absence au monde, absence aux autres, absence soi(ici sintercale videmment le motif psychanalytique). La conclusion quetirait Derrida de tout cela est que la parole elle-mme, lacte de parole, lediscours que je tiens ici et maintenant celui ou ceux qui est ou quisont ici et maintenant en face de moi, ne peuvent tre parole, discours,transmission dun sens, qu condition dtre toujours dj , malgr lesapparences, arrachs leur contexte. Il ny avait donc pour Derridaaucune diffrence structurelle entre la communication crite et lacommunication orale toutes deux ne pouvant exister qu conditiondtre structurellement dlies, dtaches, de leur contexte. Les conditions de possibilit du discours taient donc en mme temps les conditions dimpossibilit de toute communication authentique , pleine , etc, par o tait immdiatement rcuse toute distinction outoute hirarchisation entre des discours qui seraient normaux ou srieux et dautres qui seraient drivs ou non srieux .

    Derrida, bien sr, sait dj, dans les annes soixante-dix, que laconnaissance des contextes aide la comprhension des textes Il

    produit dailleurs de minutieuses tudes des contextes, par exemple dansGlas, et en bien dautres endroits encore. Il est donc tout prt accorderque, de fait, on ne peut pas et on ne doit pas ngliger les contextes. Maisil soutient nanmoins que, puisquil nexiste pas de contexte unique unesituation ou une nonciation donnes, la dtermination du contexte esten elle-mme toujours problmatique ; et que par consquent, en droit, lasignification ne doit jamais tre recherche par une contextualisation quiserait de plus en plus fine, comme si, la limite, une contextualisationtotale et parfaite permettait une comprhension elle-mme totale etparfaite des discours mis, un peu comme la prsence dun objet remplit

    lintuition. Non, si attentif quil ait toujours t aux problmes decontextualisation, Derrida maintiendra toujours trs radicalement sathse : en droit, structurellement, il ny a sens que par et dans ladcontextualisation, et la condition de possibilit (et dimpossibilit) dudiscours est quil soit sparable de son contexte.

    Mais soutenir cela, ctait soutenir bien videmment la fameusethse de litrabilit , autre nud de la controverse avec Austin, puisSearle. En effet, dire que la condition de possibilit du discours estlarrachement au contexte, cest dire que la condition de possibilit detout discours est quil soit ritrable, ou, comme dit Derrida, itrable ,

    cest--dire quil soit toujours possible de le rpter, de le citer, de le r-

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    citer, de le transposer, de le transporter, de le mtaphorer, de le greffer(autant de faons dexprimer cette mme ide), dans un autre contexte.Un discours ne peut donc avoir lieu (quil soit crit ou oral, peu importe, jele rpte), qu condition dtre toujours dj redoubl comme par une

    ombre de lui-mme, un fantme, un double, une citation de lui-mme. Ouencore : il ne peut y avoir de discours que toujours dj ddoubl,redoubl, rpt (refendu, cliv, entendrait peut-tre un analyste). Ouencore : comme toute chose, un discours ne peut jamais tre unvnement purement singulier et purement prsent. Il est toujours doubleds le dpart, toujours cartel, diffrant donc de soi comme de soncontexte. De ce point de vue, il ny a donc pas doccurrences singulires,et il ny a non plus aucune diffrence, structurellement, entre discoursprononc, et discours cit.

    La cible commune toute ces thses (qui ne sont quautant devariations sur un seul et mme thme) est ce que Derrida appelle alors la mtaphysique de la prsence , et quil se plat retrouver chez laplupart des auteurs de la tradition philosophique, de Platon Husserl, enpassant par Rousseau et bien dautres encore : association duneontologie de la prsence, de lorigine et de la simplicit (autant de traitsde loralit, fait remarquer Derrida), et dune morale qui tablit, souscouvert de hirarchisations purement conceptuelles (intelligible / sensible,profond / superficiel, essentiel / accidentel, propre / parasite, pur / impur,originaire / driv, modle / copie, etc) la dvalorisation des deuximes

    termes de chacun de ces couples. Cette liaison de loral et du moral serait ainsi, selon Derrida, le geste mme de la mtaphysiqueoccidentale, comme lindique ds lorigine le traitement hostile oumprisant rserv lcriture par Socrate, lami de la sagesse , quiparle mais ncrit pas.

    Derrida va donc se montrer particulirement sensible toutereprise, mme apparemment discrte, latrale, ponctuelle, de ceshirarchisations en apparence naturelles et ontologiques, en ralittoujours morales ses yeux. Et, comme les personnes qui, ayant tvictimes de discriminations (ce fut son cas en Algrie comme juif lge

    de 10 ans) savent entendre, reconnatre infailliblement, et ragir parfoisavec une violence quun observateur indiffrent ou non concern jugeraexcessive ou injustifie, la moindre connotation raciste ou antismite ousexiste dun discours apparemment neutre et technique, Derrida ragittrs vivement, et, de faon sans doute inattendue pour ses interlocuteurset pour ses lecteurs, sur le plan moral encore plus que sur le planontologique ou que sur tout autre plan, aux thses dveloppes parAustin, dans lesquelles, comme nous allons le voir, il entenddistinctement rsonner certaines harmoniques quil a appris reconnatreet auxquels il souhaite ter leur masque dinnocence et de technicit

    purement descriptive. Cest que pour lui, derrire ces fugitives

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    rsonances, sannonce toujours le formidable appareil de la traditionphilosophique dans ce quelle a de plus traditionnel et de plus moralisant.

    Nous sommes donc maintenant en mesure, me semble-t-il, demieux comprendre la fois le grand intrt que Derrida va porter auxthses dAustin, et les raisons pour lesquelles il oriente sa critique, defaon inattendue au vu des matires abordes, sur le plan moralprincipalement.

    Ce qui attire Derrida chez Austin, cest dabord, je crois, unecommunaut dans certains buts et certains moyens. Dans un cas commedans lautre, il sagit en somme de faire trbucher la philosophie sur sespropres discours. Les deux philosophes ont la noblesse philosophique, leton grand seigneur , en point de mire. IIs ont tous deux une oreille

    particulirement fine, un sens de la formulation, du dtail, un humour etune culture, une capacit dstabiliser les croyances ou les prjugs aumoyen des tournures les plus simples. Tout cela explique la loyaut aveclaquelle Derrida reconnat limportance et la qualit de la rvolutionintroduite par Austin.

    Par ailleurs, Derrida est trs sensible au geste premier de Austin, savoir la distinction entre constatifs et performatifs. Il y voit la possibilitde se dlivrer au moins dans une certaine mesure des chanes de laseule vrit (puisquen effet les noncs performatifs ne relvent pas du vrai et du faux ) , cest--dire au fond et toujours, de la tyrannie de

    ltre et de la prsence (et donc de lintuition, seule garante, toujours, eten dernier ressort, de la saisie de ladquation entre le discours et lachose)1. Lextension par Austin du performatif lensemble des discours,et la destitution corrlative du constatif, ont donc certainement t reuspar Derrida comme des outils trs puissants utiliser contre la mtaphysique de la prsence et ses retombes sous forme dintuition et dadquation . En outre, bien quon nen trouve pastrace ma connaissance dans ses textes, et bien quil sagissecertainement au fond dune lecture fautive dAustin, jaurais tendance penser que Derrida a t impressionn par les passages o Austin

    transforme des constatifs en performatifs (ou remet en cause cettedistinction mme) au moyen de la mise en vidence de la possibilit pourtout discours de se ddoubler dans la rfrence soi, phnomnes

    1J. Derrida, Limited Inc, p. 38 (dans SEC), prsente le performatif commecapable dchapper la surveillance de la vrit comme adquation, donc commeune thorie en quelque sorte libratrice : Le performatif est une communicationqui ne se limite pas essentiellement transporter un contenu smantique djconstitu et surveill[je souligne, CR ; noter la connotation morale du terme] par une

    vise de vrit (de dvoilementde ce qui est dans son tre ou dadquationentre unnonc judicatif et la chose mme .

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    proches de litrabilit ou de la citationnalit universelles que soutiendraDerrida.

    Et nanmoins lessentiel de la lecture dAustin par Derrida seratrs critique. La controverse porte non seulement sur le point essentielquest le rapport au contexte, mais galement sur la question delvnementialit mme de lnonciation. La thse de la performativit esten effet par dfinition la reconnaissance dun lien quasi substantiel dudiscours au contexte et lvnement et donc, de faon privilgie, la parole ou loralit comme modle principal des actes delangage. Cest en effet principalement par la parole, la prise de parole, lediscours prononc haute voix, que je peux intervenir, couper la parole,insulter, etc. Cela tient en bonne part (considration physiologique qui,me semble-t-il, a son importance) au fait que nous ne pouvons pas

    fermer les oreilles comme nous pouvons fermer les yeux . Nous nepouvons mme pas couter ct , dtourner les oreilles commenous regardons ct ou comme nous dtournons les yeux de ceque nous ne voulons pas voir : si bien que nous sommes obligsdentendre, sinon dcouter, celui qui nous parle , tandis que nouspouvons trs bien ne pas ouvrir une lettre, ou ne pas la lire une foisouverte. La performativit de la voix pour loreille est doncintrinsquement plus puissante que celle de la main pour lil (lorsquoncrit). Lvnementialit et la puissance performative sont donc lies deprfrence la parole, et donc, via la parole, la prsence. Cest pour

    cela que Derrida met assez lgitimement en exergue de Limited Incunpassage o Austin dclare quil [s]en [tiendra] toujours, par souci desimplicit, lnonciation parle2.

    Quand on lit Austin en effet en tant attentif au vocabulaire quilemploie lui-mme pour parler des discours, on ne peut manquer deremarquer que le vocabulaire quil utilise dsigne presque exclusivementla parole : dire noncer prononcer dclarer , etc ; jepourrais sans difficult en donner dinnombrables exemples [rf], et jecrois que le fait lui-mme est peu contestable ; sans doute Austinmentionne parfois que ce soit par crit ou par oral ; mais dune part

    cest vraiment rare dans louvrage [rf], et dautre part, le fait mmequAustin estime parfoisncessaire de prciser ou de dtailler le rapport lcrit me semble justement prouver, par contraste, que pour lui levocabulaire gnral des actes de paroles est naturellement celui deloralit, de la voix, lvnementialit de la prise de parole, et beaucoupmoins de lcrit. Dailleurs, on aurait beaucoup de mal rcrire Quanddire cest faireen employant des verbes qui dsigneraient coup sr undiscours crit, ou qui du moins pourraient valoir aussi bien pour undiscours oral que pour un discours crit. On objectera peut-tre que

    2 Austin, Quand dire, cest fairetr. fr, p. 122 ; texte anglais :

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    Austin emploie le discours du dire aussi bien pour les constatifs que pour les performatifs , et que par consquent cette oralit quediagnostiquera Derrida dans la thorie performative stend en ralit lensemble des actes de discours. Mais cela, je rpondrais volontiers

    que lvolution dAustin, de la distinction initiale entre constatifs et performatifs , vers la distinction entre actes locutoires , illocutoires et perlocutoires confirme en ralit le diagnosticderridien. Je crois en effet quon pourrait assez facilement montrer, livreen main, que Quand dire cest faire, dans sa progression du premier ausecond groupe de distinctions, montre une extension progressive, pourne pas dire une universalisation, du discours du dire , cest--dire dumodle de la voix ou du modle oral [rf]. Et, si cest bien le cas, lathorie des actes de langage (ou de discours , ou de parole ?,problme bien difficile et bien intressant ici) ne dcrirait lextension du faire dans le langage que par lextension du dire ou de loralit ettel me semble bien tre le cas.

    Je voudrais maintenant tablir, au sujet de la querelle entredconstruction et performativit, la thse suivante : Derrida et Austinperoivent, plus ou moins explicitement, les difficults duneperformativit propre lcrit. Mais partir de cette prmisse commune(que je vais pour ma part tenter dans un instant de lgitimer en elle-mme et pour elle-mme), ils divergent profondment. Austin va

    rapporter la quasi totalit de lactivit performative la parole,introduisant ainsi une discontinuit de fait, et mme une hirarchie entreoral et crit, que lui reprochera vivement Derrida. Derrida de son ct,refusant de distinguer entre crit et oral, qui relvent tous les deux selonlui de litrabilit gnralise, sera au contraire amen remettre enquestion les fondements mme de la thorie des performatifs.

    La faon ordinaire (pour Austin) dintroduire un noncperformatif, cest, donc, de dire quelque chose comme lorsque je disP , lorsque nous disons P , lorsque je dclare P , lorsquon

    dclare P , Si jnonce P , etc ; on ne trouve quasi jamais dans sesouvrages (sous sa plume), ma connaissance, des exemples deperformatifs introduits par lorsque jcris P , et encore moins par lorsque nous crivons P , ou lorsquon crit P . De tellesremarques ne peuvent bien sr prtendre tre des preuves, pas mmede vritables arguments en faveur de la thse selon laquelle Austinmettrait la performativit plutt dans loral que dans lcrit ; mais ellessont tout de mme, je crois, des indices assez intressants.

    Pour lgitimer cette association naturelle et spontane laquelle

    procde Austin entre oralit et performativit (et donc par l mme

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    montrer mon accord sur le fond avec la pratique, sinon la positionaustinienne, en mme temps que mon accord avec le diagnosticderridien), je souhaiterais dcrire maintenant deux types de problmesque soulve, inversement, la performativit du texte crit. Il y a, je crois,

    une difficult directe et intrinsque concevoir la performativit de lcrit ;et il y a une seconde difficult, qui tient son vnementialit.

    Premirement, il nous semble lgitime et naturel, dans bien descas, de reconnatre lcrit une valeur performative. Par exemple (etcest sans doute plus quun exemple), Austin y fait parfois rfrence, laquasi totalit des crits juridiques semblent bien relever de laperformativit. Et, puisque le thme de notre colloque nous y invite,arrtons-nous donc un instant sur la question des conventions crites.Quand on signe un contrat , ou une promesse de vente , par

    exemple, on accomplit incontestablement un acte performatif du mmeordre de celui quon fait lorsquon nonce haute voix lenchre la plushaute dans une vente, ou lorsquon fait une promesse voix haute. Et, dece point de vue, on pourrait lgitimement soutenir quune part immensede nos actions, dans nos socits trs contractuelles, sont rgies par desperformatifs crits, et non pas oraux. Resterait cependant savoir si leslois crites et les contrats crits peuvent vraiment tre considrs commedes performatifs. Cest une question trs difficile mes yeux, dans ltatactuel de mes connaissances et de mes rflexions. Je me contenteraidonc de proposer la question suivante : la performativit dune loi, par

    exemple, est-elle dans la loi ou dans son application ? bien y rflchiren effet, une loi ne sapplique jamais delle-mme, automatiquement. Il ya bien des cas o lon ne sait tout simplement pas quelle est la loi, et oun juge a besoin de la dire, ou de la redire : par exemple, dans lesquerelles de bornage, de murs mitoyens, doccupations de locaux, demodifications de faade, etc. Par ailleurs, certaines rgles que lon croitlgales peuvent se rvler en ralit illgales, donc illusoires en tant quelois : par exemple, si on instaure une rgle de sgrgation raciale lentre dun club, cette rgle, ft-elle crite, sera juge non valable dansun procs. Il arrive mme que des lois, mme votes par les dputs,

    soient dclares ensuite partiellement ou totalement inconstitutionnellespar le Conseil Constitutionnel. Autrement dit, le texte crit de la loi peutbien exister, il nacquiert cependant valeur performative (de rgulation,dinjonction) quau moment dune dcision judiciaire. Bien sr, cettedcision peut elle-mme tre crite (et lest dailleurs toujours, mme sielle a donn lieu une dclaration orale au tribunal), mais le simple faitquelle existe indique bien que la performativit de la loi nest pas directe,pas consubstantielle la loi elle-mme, puisquelle a besoin de ce relaisde la dcision judiciaire vnementielle. On pourrait dailleurs en direautant de certains contrats : je peux avoir sign un contrat une date

    prcise, il se peut que ce contrat mentionne sa propre dure de validit,

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    et donc que, dans lensemble, ce texte crit ait toutes les caractristiquesdune vnementialit performative. Et pourtant, de nombreux procs oulitiges portent prcisment sur les dures de validit des contrats, ou surle moment de leur mise en application, etc : si bien que mme dans ces

    cas-l, on a souvent besoin dune dcision judiciaire qui porte surlvnementialit mme du contrat ce qui prouve que cettevnementialit nest jamais assure en elle-mme, et donc que ce nestpas le contrat en lui-mme qui possde la puissance, ou la force,performatives. Une loi ou un contrats sont donc, me semble-t-il, sparsde leur propre performativit comme une loi est spare de sonapplication qui, dans tous les cas suppose la suspension de cela-mmequi est appliqu (nous retrouvons ici le thme derridien de lidentit desconditions de possibilit et des conditions dimpossibilit , par o nousconstatons une fois de plus laccord assez profond, mme sil nest pasformul, de Derrida et dAustin sur la dficience performative de lcrit).Pour prendre une dcision de justice en effet, cest--dire appliquer la loi,le juge doit momentanment suspendre la loi(sinon, la loi sappliqueraitautomatiquement, sans tenir compte des circonstances, etc, et ce neserait plus de la justice, mais de linjustice). On voit donc que laperformativit des lois et des contrats crits, loin dtre directe eteffective, suppose pour tre applique des oprations supplmentaires(des dcisions supplmentaires) qui sont dabord et fondamentalementdes mises entre parenthses, ou des suspensions momentanes de cequi a t crit. Pour cela sans doute certains pays (comme lAngleterre)peuvent se passer de constitution et de lois, sans pour autant se passerde justice. On peut donc lgitimement, semble-t-il, au moins discuter lecaractre directement performatif des lois et des contrats. (Ce rsultatvaudrait aussi, sans doute, pour des lois ou des contrats non crits. Maisce ne serait pas l une vritable objection la dmonstration. Car laremise en question de la performativit apparente des lois et des contratscrits nest pas invalide par le fait quelle touche galement les lois oucontrats non crits).

    Deuximement, la performativit de lcrit pose un problme li,me semble-t-il, la nature complexe de lvnementialit de lcrit. Il fautdabord noter que ce qui est crit , et du fait mme que cest crit ,possde assez souvent (je nose pas dire toujours) une valeur de non-vnementialit dans la littrature. Par exemple, de faon trs frappante(on le voit dans Jacques le Fataliste, et dans la plupart des contesorientaux), le destin est presque toujours formul sous la forme dun ctait crit , ou ctait crit dans le grand rouleau . Lcrit est doncassez naturellement et gnralement peru comme en opposition lvnementialit : si le destin sexprime par un toujours dj crit ,

    cest sans doute parce que lcrit relve lui-mme et dabord,

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    intrinsquement, dun toujours dj en lequel se fondent le destin,ladestination et le destinataire.

    Mais si lon voulait regarder les choses dencore plus prs, etlgitimer dune autre faon encore cette quasi rpugnance entre crit etperformativit (et ainsi mieux comprendre la fois laccord de nos deuxphilosophes sur ce point et donc le sens gnral de leur controverse), ilfaudrait distinguer peut-tre deux types de rapport entre lvnementialitet lcrit. Je verrais les choses de la faon suivante. Dun ct, il existesans doute une vnementialit globale et externe de lcrit : un livre, parexemple, est publi un moment et en un lieu prcis, apparat dans uncontexte ou dans une controverse galement dtermins, et en cela, faitincontestablement vnement, produisant par son irruption une ruptureentre lancien et le nouvel ordre des choses. De lautre, pourtant, on

    pourrait soutenir avec quelque vraisemblance quil nexiste pasdvnementialit interne lcrit. Dans un texte crit en effet, quel quilsoit (roman, thtre, philosophie), lvnementialit, me semble-t-il, esttoujours fictive. Dans ce livre que je tiens dans mes mains, tout ce qui estcrit est toujours dj l, toujours dj entirement et intgralementl. Et je ne peux tre surpris par un coup de thtre , par unrevirement de situation, par la conclusion inattendue dun raisonnement,que si je me fais complice du jeu qui est jou par lauteur : un peu commeon se retient de lire le dernier chapitre dun Agatha Christie pour ne pasconnatre le meurtrier avant la fin. Mais en ralit, ce dernier chapitre est

    toujours dj l , ds le dbut de la lecture, il informe en ralit toutlouvrage. Ma surprise finale est donc une vnementialit joue, et nonune vritable vnementialit (ce qui ne lui te dailleurs nullement saforce motionnelle, au contraire, puisque le fait de participer ce jeu delvnementialit ou de la surprise peut mme dcupler les affectsproduits, dans la mesure o on participe leur laboration). Jirais mmeplus loin : il me semble, si nous nous tournons vers les textesphilosophiques, que les textes dans lesquels le raisonnement est linaire(par exemple les Mditations) et donc dans lesquels on rencontre devritables coups de thtres philosophiques (le doute, le malin gnie,

    le cogito, les preuves de lexistence de Dieu, etc) sont en ralit toujoursmenacs, du fait mme quils sont crits, dtre fictifs plutt quevritablement dmonstratifs. De toute vidence en effet, le doute, le malingnie, etc, sont suspendus une rsolution argumentative qui est toujours dj dans les Mditations, mme si on ny parvient que plusloin dans la suite du texte, mme si, comme il arrive lorsquon lit unroman policier, on se cache avec la main la suite du texte pour jouir pluslongtemps et plus compltement de la surprise qui invitablement va se

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    produire pour nous3. Si nous sommes honntes, nous devonsreconnatre, me semble-t-il, que nous ne pourrons pas changer unevirgule au texte, quil est de part en part toujours dj l, que le cogitonous attend immanquablement dans la seconde mditation, et que par

    consquent le fait quil soit crit, toujours dj l depuis 1636, ne peutque lui ter au fond son vnementialit, que nous ne lui reconnatronsjamais celle-ci quen acceptant de jouer le jeu que nous propose lauteur,et donc, pour reprendre les termes centraux de la controverse Derrida-Searle, quen acceptant de faire semblant dtre srieux: faon de direque dans le texte crit lvnement lui-mme, et donc la performativit,sont toujours jous, feints, pas authentiques, pas purs, fictifs en ralit (sijose dire).

    Bien sr, il demeure toujours une forme de performativit interne

    un texte crit, philosophique, romanesque ou thtral. Cest mme ce quipermet les jugements moraux que nous formons lorsque nous lisons(cest une des grandes ides de Ricoeur : la littrature serait lcole dujugement moral). Lorsquun hros de roman ou de thtre fait unedemande en mariage, ou une promesse, aucun individu rel nest sansdoute engag par l : lacteur npouse pas lactrice, et ne sest pasengag le faire. Mais nanmoins le personnage a bel et bien fait unedemande en mariage ou une promesse. Et sil ne tient pas sa promessedans la suite de la pice, nous le jugerons aussi ngativement que nousjugerions un ami qui dans la vie relle naurait pas tenu une promesse

    (on peut penser certaines scnes du Don Juande Molire). Ici encorele lecteur ou le spectateur donnent ralit, par identification affective auxpersonnages, une performativit qui en elle-mme reste fictive. En unmot, les caractristiques du texte crit me semblent, dune part,vnementialit et performativit externes relles ; et dautre partvnementialit et performativit internes fictives (ce qui ne veut pas direnulles). Je conclus donc de tout cela que lcrit et la performativitdivergent sans doute pour des raisons profondes et structurelles ; et quepar consquent, lemploi apparemment contingent, par Austin, de termesrelevant quasi exclusivement du langage oral ds quil tait question de

    donner des exemples de performativit tait en ralit lindice duneassez profonde distorsion entre performativit et texte crit.

    3 En revanche un livre comme lthique, dans lequel la lecture estobligatoirement rgressive et non linaire (puisquil faut sans cesse tourner les pagesen arrire pour avancer), et qui ne laisse par consquent aucune place de prtenduscoups de thtre argumentatifs (on ne trouve rien dquivalent, dans le texte deSpinoza, aux grandes tapes ou aux grandes scnes du texte de Descartes), un textecomme lthique, donc, est me semble-t-il, moins menac par cette fictionnalisationengendre par le toujours dj l de lcrit.

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    Mais, une fois constate la valorisation de la parole, ou lemaintien dune diffrence structurelle entre crit et oral du point de vue dela performativit, il ny a plus alors, pour Derrida, qu tirer sur ce fil, pourvrifier si, comme chez Platon, Rousseau ou Saussure, la valorisation de

    la parole entrane avec elle chez Austin les dvalorisations apparemmentontologiques et en ralit morales caractristiques de la positionphilosophique traditionnelle que critique, ou plutt dconstruit ,Derrida. Et de fait, nous allons le voir, cest bien ce qui se produit. Derridatombe en effet en arrt devant un bref passage de la deuximeconfrence de Quand dire cest faire, dans lequel Austin critique lesusages non srieux du langage, les oppose un usage normal qui serait pratiqu dans des circonstances ordinaires , avant dedcider d exclure ces usages parasitaires de son tude.4 lire cepassage, on comprend quil ait pu arrter Derrida, et faire natre lacontroverse. La critique de la citationnalit par limputation de parasitisme (le terme revient deux fois, avec une connotationvidemment pjorative), la rfrence un emploi srieux , normal ,du langage, ou des circonstances ordinaires , visiblement prisescomme point de dpart, de rfrence, dorigine, point partir duquel onva comparer ce qui (les citations, les usages parasitaires sur la scnedu thtre) sera donc immdiatement et implicitement connot comme driv , pas srieux , pas normal , et donc, pour reprendre destermes quAustin emploie plusieurs fois et souligne lui-mme, que londevra exclure expressment : tout cela fait rsonner aux oreilles deDerrida un discours philosophique quil connat bien, vrai dire lediscours philosophique par excellence de la tradition, celui dont il essaiede mettre en vidence les incohrences, et de scarter, et dont il vientdentendre une fois de plus les notes caractristiques, si fugitives aient-elles t : [...] Le projet de remonter stratgiquement, idalement, une origine ou une priorit simple, intacte, normale, pure, propre, pour

    4 Austin, Quand dire, cest faire. 2me confrence, pp. 21-22 ; tr. fr. (GillesLane. Paris : Ed. du Seuil, 1970) p. 55 : Deuximement : en tant qunonciations, nosperformatifs sont exposs galement certaines espces de maux qui atteignent toute

    nonciation. Ces maux-l aussi encore quon puisse les situer dans une thorie plusgnrale-, nous voulons expressment les exclure de notre prsent propos. Je pense celui-ci, par exemple : une nonciation performative sera creuse ou vide dune faonparticuliresi, par exemple, elle est formule par un acteur sur la scne, ou introduitedans un pome, ou mise dans un soliloque. Mais cela sapplique de faon analogue quelque nonciation que ce soit : il sagit dun revirement [sea-change], d descirconstances spciales. Il est clair quen de telles circonstances, le langage nest pasemploy srieusement [je souligne ce terme, CR], et ce de manire particulire, maisquil sagit dun usage parasitairepar rapport lusage normal [je souligne ce terme,CR] parasitisme dont ltude relve du domaine des tiolements du langage. Toutcela nous lexcluonsdonc de notre tude. Nos nonciations performatives, heureusesou non, doivent tre entendues comme prononces dans des circonstancesordinaires [je souligne ces deux derniers mots, CR]. Donner le texte anglais.

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    penser ensuite la drivation, la complication, la dgradation, laccident,etc. Tous les mtaphysiciens ont procd ainsi, de Platon Rousseau,de Descartes Husserl : le bien avant le mal, le positif avant le ngatif, lepur avant limpur, le simple avant le compliqu, lessentiel avant

    laccidentel, limit avant limitant, etc. Ce nest pas l un gestemtaphysique parmi dautres, cest la requte mtaphysique la pluscontinue, la plus profonde et la plus puissante 5.

    On peroit en effet, dans le dbut de ce passage ( le projet deremonter stratgiquement une origine , etc) la rponse lune desnombreuses objections quon a pu adresser Derrida, et qui consistait dire que lexclusion dont parlait Austin dans le texte voquprcdemment tant provisoire et mthodique, il tait doncdisproportionn (voire paranoaque ?) de ragir si violemment son

    sujet. Derrida ne peut que rcuser ce type dargument : car prcisment,accepter de distinguer entre des considrations qui seraient seulementmthodologiques (ou stratgiques ) et dautres qui, par exemple, toucheraient au fond du problme , ce serait accorder davancelessentiel de ce qui est en question dans lensemble de la discussion(cest--dire, la lgitimit de distinguer le srieux et le pas srieux ,le normal et le pas normal , l ordinaire et le pas ordinaire , le propre et le parasitaire ). La violence du passage dAustin taitdailleurs plutt surprenante, de la part dun philosophe gnralementmodr et plutt dou du sens de lhumour comme si quelque chose de

    vraiment important tait soudain en jeu. Et si Derrida dresse loreilledevant de tels changements de ton, cest quil a pris lhabitude de lesreprer au sein de discours apparemment techniques6. En somme, dsquil est question de distinguer une communication normale , srieuse , ordinaire dune communication nayant pas toutes cescaractristiques, on voit, chez Austin comme chez Saussure, mais aussicomme chez Platon, dans le Phdre, le ton passer de lanalyse technique

    5 Derrida, Limited Inc, p. 174.6 Par exemple chez Saussure, capable de passer en quelques pages dun

    discours apparemment neutre un discours franchement pjoratif, voire agressif, lgard de lcriture prcisment en ce que, conue au dpart comme simpleredoublement ou reprsentation de la parole, elle en vient peu peu la contaminer, la parasiter. Voir par exemple Saussure, Cours de Linguistique Gnrale: lobjetlinguistique nest pas dfini par la combinaison du mot crit et du mot parl, ce dernierconstitue lui seul cet objet (45) ; lcriture est trangre au systme interne de lalangue (44) ; lcriture voile la vue de la langue : elle nest pas un vtement, maisun travestissement (51) ; le lien de lcriture et de la langue est superficiel,factice ; cest par une bizarrerie que lcriture, qui ne devrait tre quune image,usurpe le rle principal, et que le rapport naturel est invers (47) ; lcriture est unpige, son action est vicieuse et tyrannique, ses mfaits sont des monstruosits,des cas tratologiques, la linguistique doit les mettre en observation dans uncompartiment spcial (54) ; etc. Textes relevs par Derrida in 0000.

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    des problmes de la mimesis, ou de la rptition, ou de la citation, unecondamnation immdiatement morale et parfois trs violente. On ne peutdonc pas objecter Derrida, comme le fait Searle, quil sagit dun simpleproblme dantriorit logique ou chronologique dans le dveloppement

    dune analyse. Car, si ctait le cas, pourquoi immdiatement cesconnotations morales ? Comme dit Derrida :

    [...] Car enfin, soyons srieux, o a-t-on pris quun lmentdpendant (logiquement dpendant), un lment second, uneconsquence logique ou mme chronologique pouvait tre qualifie,sans autre prcaution ni justification, de parasitaire , anormale , malheureuse , vide , etc. ? [...] Quel logicien, quel thoricien engnral aurait-il os dire : B dpend logiquement de A, donc B estparasitaire, non srieux, anormal, etc. ? On peut dire de quoi que cesoit que cest logically dependent sans le qualifier aussitt (comme

    si on se livrait par l un jugement analytique, voire tautologique) detous les attributs qui ont videmment en commun une valuationpjorative. Ils marquent tous une dchanceou une pathologie, unedgradation thico-ontologique : plus ou moins quune simpledrivation logique 7.

    Toute la controverse peut donc finalement se rsumer laquestion de savoir sil est possible de dterminer ou de dfinir undiscours srieux ( Car enfin, soyons srieux ). Chacun de nous sait quel point cest difficile. Certains gros livres trs documents peuventtre en ralit futiles, tandis que telles scnes comiques savent toucher

    lessentiel. Le personnage du philosophe, et mme du sage sont toujourssous la menace du comique et du ridicule. Du point de vue qui est le sien,et que jai rappel au dbut de cette communication, savoir du point devue de litrabilit, de larrachement au contexte comme condition depossibilit etdimpossibilit du sens et de la communication, Derrida nepeut donc qutre extrmement mfiant, pour le moins, devant touterevendication par ses collgues dun discours srieux , normal , quise tiendrait dans un contexte ordinaire . Et par consquent, un peu la faon dont on peut rduire logiquement la position relativiste en larelativisant son tour, Derrida dnie aux thoriciens des actes de parole

    la possibilit logique de tenir demble un discours srieux sur le srieuxdu discours car cela revient toujours, de leur part, prjuger de ce quiest en question8.

    7 Derrida, Limited Inc, p. 1728 6.-Derrida, Limited Inc, p. 136 : Je sais bien que le thoriciens des speech

    actsne conseille pas comme un moraliste de prfrer le srieux au non srieux, parexemple, ni le propre au parasitaire. Du moins dans le langage ordinaire de la non-thorie. Mais avant mme lhypothse dune telle neutralit, lopposition srieux / non

    srieux [...], littral / mtaphorique, ironique, etc, ne peut faire lobjet dune analyseclassiquement et strictement rigoureuse, srieuse , sans que lun des deux termes,

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    Mais si un point de vue logique sur le srieux est impossible, carcontradictoire et prsupposant son propre objet, on devra donc conclureque le seul point de vue partir duquel peut se tenir le discours de larevendication dune distinction entre srieux et non srieux est le point de

    vue moral. Et telle est bien, en effet, la conclusion laquelle parvientDerrida, et sur laquelle il sexprime avec la dernire clart, en reprenantla plupart des termes utiliss par Austin dans le passage de la deuxime confrence qui a motiv sa raction :

    [...] On na pas besoin de monter en chaire ou dcrire des pamphletsmoralisateurs pour exiger lexclusion des mchants parasites (ceux dulangage ou de la cit, les effets de linconscient, les pharmakoi, lestravailleurs immigrs, les contestataires ou les espions), pour tenir unlangage thico-politique ou et cest tout ce que je voulais reprer dansle cas de Austin du moins- pour reproduire dans un discours dit

    thorique les catgories fondatrices de tout nonc thico-politique. Jepense que la thorie des speech actsest, en son fond et pour ce qui yest le plus fcond, le plus rigoureux, le plus intressant (car je rappellequelle mintresse beaucoup), une thorie du droit, de la convention,de la morale politique, de la politique comme morale. Elle dcrit (dansla meilleure tradition kantienne, Austin le reconnat quelque part) lesconditions pures dun discours thico-politique, dans ce qui lie sonintentionnalit une conventionnalit ou une rgle .9

    Sans doute certaines propositions de ce texte pourront fairesursauter tel ou telle dentre nous. Sans doute on estimera inutilement

    dramatique lvocation par Derrida du cortge pitoyable de tous ceux quela socit va peut-tre exclure un jour avec la bndiction desthoriciens des actes de langage... Mais je crois quon aura tort, ou dumoins quon aura mal apprci ce qui est en jeu. Car nous sommes icivritablement sur une ligne de dmarcation thorique, o le compromisnest pas possible. Et Derrida, il le revendique dailleurs tout au long deLimited Inc, entend procder, cest une dcision de mthode de sa part,avec la rigueur logique et conceptuelle la plus extrme, un peu lamanire de Descartes qui, dans la premire Mditation, rejette avec une injustice et une mauvaise foi apparente des pans entiers de toute

    thorie dans laquelle il a souponn la moindre faille. Or le point de vuede litrabilit ne peut en aucune manire trouver daccord ou decompromis thoriques avec la revendication dun discours srieux ,dun contexte normal , pas mme, me semble-t-il, avec la notion dunlangage ordinaire -du moins le compromis est-il impossible tant que lapertinence de telles notions nest pas au moins provisoirement et

    le srieux, ou le littral, ou le strict, vienne rgler la valeurdu discours thorique lui-mme. Celui-ci se trouve ainsi inclus, partie prenante et prise dans lobjet mme quilprtend analyser .

    9 Derrida, Limited Inc, p. 180

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    mthodologiquement suspendue pour que la discussion leur sujetpuisse avoir lieu. Et cest pourquoi Derrida, logiquement, ne pouvait pasconsidrer a priori la doctrine de la performativit, et toutes les notionsqui la sous-tendent, au premier rang desquelles la valorisation

    naturelle de loral , comme les expressions dun point de vuethorique en son fond, mais comme celles dun point de vue seulement etessentiellement moral.

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