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Organisation internationale pour les migrations - Niger 1 Des femmes et des enfants de Kantché sur la route de l’Algérie. Analyse socio-anthropologique d’un phénomène mal connu.

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Organisation internationale pour les migrations - Niger

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Des femmes et des enfants de Kantché

sur la route de l’Algérie.

Analyse socio-anthropologique d’un phénomène mal connu.

Organisation Internationale pour les

Migrations - Niger

Avec le financement du Secrétariat Pour Les

Migrations Suisses (SEM)

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Cette publication a été produite par le chercheur et socio-anthropologue Hamani Oumarou ([email protected])

pour le compte de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).

Les opinions exprimées dans la présente publication sont celles de l’auteur et ne reflètent pas les positions de

l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Les appellations utilisées et la présentation des données

dans le rapport n’impliquent pas l’expression d’opinion de la part de l’OIM concernant des faits tels que statut

légal, pays, territoire, ville ou zone particulière, ou à propos de leurs autorités, frontières ou confins.

L’OIM croit fermement que les migrations organisées, s’effectuant dans des conditions décentes, profitent à la

fois aux migrants et à la société toute entière. En tant qu’organisme intergouvernemental, l’OIM collabore avec

ses partenaires au sein de la communauté internationale afin de résoudre les problèmes pratiques de la

migration, de mieux faire comprendre les questions de migration, d’encourager le développement économique

et social grâce à la migration, et de promouvoir le respect effectif de la dignité humaine et le bien-être des

migrants.

Editeur :

Cette publication n’a pas été revue par les services d’édition de l’OIM.

Organisation internationale pour les migrations

17 route des Morillons 1211 Genève 19

Suisse

Tél : + 41 22 717 91 11 Télécopie : + 41 22 798 61 50

Courrier électronique : [email protected] Internet : www.iom.int

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© 2016 Organisation internationale pour les migrations (OIM)

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Tous droits réservés. Aucun élément du présent ouvrage ne peut être reproduit, archivé ou transmis par

quelque moyen que ce soit – électronique, mécanique, photocopie, enregistrement ou autres – sans

l’autorisation écrite et préalable de l’éditeur.

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Des femmes et des enfants de Kantché sur la route de

l’Algérie.

Analyse socio-anthropologique d’un phénomène mal connu.

Juillet 2016

Etude produite grâce au soutien financier du Secrétariat d’Etat aux Migrations Suisse et du Ministère

des Affaires Etrangères du Canada.

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TABLE DES MATIERES

Les sigles et abréviations ................................................................................................................................ 7

Partie 1: Les Dynamiques Migratoires dans le département de Kantché

Introduction ............................................................................................................................................................ 8

RESUME ANALYTIQUE ................................................................................................................................................ 11

I DES DYNAMIQUES MIGRATOIRES EN MUTATION ........................................................................................................ 191

Le Nigéria : destination traditionnelle pour les hommes du département ................................................ 141

Le développement d’un réseau migratoire plus récent, féminin et infantile, vers l’Algérie ..................... 161

Bilan : un territoire circulatoire évolutif ...................................................................................................... 16

II CAUSES ET CONSEQUENCES D’UNE EMIGRATION FEMINISEE VERS L’ALGERIE ............................................................... 193

II. a Le développement d’une migration féminine depuis Kantché ............................................................ 143

II. b Un processus migratoire contrôlé par les femmes, vecteur de changement social ............................ 165

II. c Les stratégies d’adaptation des femmes migrantes aux contraintes liées au genre ........................... 167

III CONSEQUENCES DE LA MIGRATION POUR LES COMMUNES D’ORIGINE .......................................................................... 19

III.a Conséquences économiques ................................................................................................................. 19

III.b Conséquences sociales .......................................................................................................................... 20

III.c Conséquences institutionnelles : La gestion des rapatriements des migrants, un dispositif en construction .................................................................................................................................................. 21

CONCLUSION ............................................................................................................................................................ 24

Partie 2: Le phénomène de la traite des personnes dans le département de Kantché

Introduction .......................................................................................................................................................... 25

Le déroulement de l’enquête de terrain ...................................................................................................... 25

Résumé analytique de l’Etude ...................................................................................................................... 26

I LE CADRE JURIDIQUE ET INSTITUTIONNEL DE LA LUTTE CONTRE LA TRAITE DES PERSONNES. ......................... 27

Le cadre juridique ......................................................................................................................................... 27

Le cadre institutionnel .................................................................................................................................. 28

Un ancrage communal à renforcer ............................................................................................................... 29

Les structures communautaires, les familles d’accueil, les brigadiers ......................................................... 29

La migration et la traite dans les documents de planification...................................................................... 30

II LES MANIFESTATIONS DE LA TRAITE .................................................................................................................. 30

Les actions et les stratégies de ‘’recrutement’’ des enfants ........................................................................ 30

Les caractéristiques des enfants impliqués dans la traite ............................................................................ 30

Des discours incitatifs ................................................................................................................................... 31

Les accords tacites entre parents ................................................................................................................. 32

Les espaces de ‘’recrutement’’ des enfants ................................................................................................. 33

Les activités exercées par les enfants en Algérie.......................................................................................... 34

III LES « OFFRES » EN MATIÈRE DE LUTTE CONTRE LA TRAITE .............................................................................. 36

Les formations .............................................................................................................................................. 36

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Les appuis divers ........................................................................................................................................... 37

IV LA GESTION DE LA TRAITE DES PERSONNES ..................................................................................................... 37

De quelques mécanismes locaux de prévention de la traite ........................................................................ 37

Le contrôle .................................................................................................................................................... 37

L’instabilité des itinéraires de voyage. Evitement de l’autogare de Kantché .............................................. 38

Voyager la nuit ou le brouillage des mécanismes de contrôle ..................................................................... 40

Les possibilités d’arrangement ..................................................................................................................... 40

Avoir ses papiers .......................................................................................................................................... 40

La prise en charge des victimes de traite ..................................................................................................... 40

V LES LIMITES À L’APPLICATION DE LA LOI SUR LA LUTTE CONTRE LA TRAITE ..................................................... 41

Méconnaissance ou faible appropriation du phénomène de traite ............................................................. 41

Le faible maillage territorial du dispositif de lutte contre la traite des personnes ...................................... 42

Les injonctions contradictoires..................................................................................................................... 42

Donner un contenu juridique à la traite des personnes ............................................................................... 42

Faible collaboration des communautés et des transporteurs. Des niveaux de complicité étendus ............ 43

Eviter l’amalgame. De la migration à la traite des personnes ...................................................................... 43

VI MIGRATIONS FÉMININES ET DYNAMIQUES SOCIALES À KANTCHÉ, VERS UNE INVERSION DES RESPONSABILITÉS AU SEIN DES MÉNAGES ........................................................................................................... 44

Le déclassement des maris ? ........................................................................................................................ 44

Emergence d’une économie locale de la mendicité/migration .................................................................... 44

Processus de socialisation à la migration ..................................................................................................... 45

CONCLUSION ........................................................................................................................................................ 45

ANNEXES……………………………………….………………………………………………………………………………………………………………….....47

1. Bibliographie indicative ............................................................................................................................ 47

2. Le canevas d’enquête .............................................................................................................................. 47

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Les sigles et abréviations

FDS Forces de défense et de sécurité

PNUD Programme des Nations-Unies pour le Développement

BIT Bureau International du Travail

ONUDC Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime

OIM Organisation Internationale pour les Migrations

ANLTP Agence nationale pour la lutte contre la traite des personnes

CNCLTP Commission nationale de coordination de la lutte contre la traite des personnes

CGDES Comité de gestion décentralisée des établissements scolaires

APE Association des parents d’élèves

ONG Organisation non gouvernementale

DG Directrice générale

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Partie 1 : Les Dynamiques

Migratoires dans le

Département de Kantché.

Introduction Le 2 octobre 2013, 92 migrants sont retrouvés morts dans le désert nigérien, à quelques kilomètres de la frontière algérienne. Ils faisaient partie d’un convoi de 112 personnes, dont une majorité de femmes et d’enfants, principalement originaires du département de Kantché, dans la région de Zinder, au Sud du Niger. Cet évènement suscita non seulement l’intérêt des médias, mais aussi des acteurs de développement. Des forums sociaux ont été organisés, qui contribuèrent à la popularisation de l’expression « phénomène Kantché ». Ce tragique évènement a en effet révélé une facette peu connue des migrations dans la région, à savoir la féminine autonome. Pour les scientifiques, il s’est alors agit d’élargir le champ d’analyse traditionnel des migrations au Niger, pour mieux comprendre les acteurs qui s’y rattachent, les réseaux qui se construisent et les systèmes de valeurs qu’elles transforment.

Contexte de l’étude – Les migrations depuis le

département de Kantché : une exception

nigérienne ?

Carrefour migratoire de l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique Centrale, le Niger est à la fois un pays d’immigration, d’émigration et de transit. La région de Zinder, située au centre-est du pays, est concernée par ses flux, notamment en tant que région d’importante émigration. Ainsi, d’après les données de l’Enquête Nationale sur la Migration au Niger (ENAMI) de 2011, le solde migratoire de la région est négatif : très peu de migrants s’installant à Zinder alors que 12,7 % de ses habitants vivent à l’étranger. Les Zinderois migrent à l’interne vers Agadez, Niamey arrivant seulement en deuxième

position, contrairement aux autres régions, et à l’international vers le Nigéria, la Lybie et l’Algérie. Suite aux évènements d’octobre 2013, les autorités algériennes et nigériennes ont renforcé leurs efforts sur le contrôle des flux migratoires et la protection des migrants sur l’axe Kantché—Arlit—Algérie. Au cours des opérations, un grand nombre de femmes et d’enfants ont été identifiés et appréhendés dans des convois clandestins en route vers l’Algérie, et/ou dans des réseaux de mendicité dans les villes algériennes transfrontalières. Depuis décembre 2014, les deux gouvernements coordonnent une opération de rapatriement de ces nigériens vulnérables depuis l’Algérie et 8 093 migrants ont été rapatriés à la date du 15 février 2016. Parmi ces migrants, 5 875 sont originaires de Zinder, dont 37 % de femmes et 38 % enfants. Parmi eux, plus de 87 % sont originaires du département de Kantché. Ces migrants ont tous été hébergés, restaurés, médicalement assistés, enregistrés et profilés au niveau des centres de transit de l’OIM à Arlit et d’Agadez, puis transportés jusqu’à leurs villages d’origine, en coordination avec le gouvernement nigérien.

Objectifs de l’étude – Analyser les spécificités

des migrations depuis le département de

Kantché, et ses conséquences

Si l’expression de « phénomène de Kantché » s’est popularisée, par cette étude l’OIM a souhaité renforcer la compréhension et analyse des flux migratoires depuis et vers cette région du Niger. En effet, si divers conférences et petits travaux ont pu être consacrés à cette situation

1, il n’existe à ce jour

pas de véritable analyse des motifs et conséquences des mouvements qui affectent cette région, et ce département en particulier.

L’équipe de recherche a donc cherché à savoir si ce « phénomène » s’inscrivait dans une tradition plus ancienne, en étudiant les projets migratoires des habitants de la région, les décisions qui ont conduit à la migration et les moyens mis en œuvre pour réaliser le projet migratoire.

D’autre part, d’après l’enquête ENAMI de 2011, 9 émigrants nigériens sur 10 (93 %) sont des hommes. L’étude du « phénomène Kantché » propose donc une analyse originale des spécificités

1 Se référer à la bibliographie en annexe.

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des stratégies migratoires des femmes. En particulier, l’équipe de recherche a cherché à comprendre comment la répartition des responsabilités et des ressources (foncier, ressources agricole, etc.) s’opère entre les hommes et femmes de ce département, et comment celles-ci influent la prise de décision, notamment celle de migrer ou non.

Par ailleurs, alors que les analyses sur les migrations insistent généralement sur « ceux qui migrent », une attention particulière a été portée aux « non-migrants » dans leurs liens avec ceux qui partent en migration. Cette mise en perspective a permis de relever les conséquences de la migration pour les ménages, les familles et communautés de ce département.

Enfin, l’étude des conséquences de l’intérêt de l’Etat et d’autres acteurs pour ce département ont permis de dresser quelques pistes et recommandations afin d’améliorer la prise en charge des personnes vulnérables de cette région.

Méthodologie : des enquêtes participatives

dans les lieux de départ et de non-départ

A travers des enquêtes de terrain et des entretiens semi-directifs menés par une équipe de chercheurs nigériens auprès de multiples acteurs locaux

2, la

situation spécifique dans deux communes du département a été analysée, à savoir les communes de Kourni et Tsaouni, dont sont originaires la majorité des migrants du département qui migrent vers l’Algérie.

Les résultats des enregistrements des migrants retournés de l’Algérie dans le cadre des convois illustre cette

prédominance des communes de Kourni et Tsaouni comme lieux d’origine

2 Plus de quatre-vingts entretiens ont été réalisés au

cours de cette première phase d’enquête. La liste complète est en annexe, mais elle comprend notamment : des acteurs en lien avec la migration (20) migrants, mères de migrantes, maris de migrantes, pères de migrantes- ; des non migrants (12) ; des autorités coutumières et assimilées (11) ; des membres de groupements et associations villageois (11) ; des agents de l’Etat (9) ; des élus locaux et militants de partis politiques (8) ; des jeunes (4) ; des commerçants (3) etc.

L’équipe de recherche s’est en particulier intéressée à analyser les contrastes importants entre certains villages, à peine éloignés de quelques kilomètres, en termes d’émigration

3. Certains,

comme Gajéré (commune de Kourni) et El Dawa (commune de Tsaouni) concentrent une grande proportion de migrants, tandis que d’autres (Mourabi pour Kourni, et Angouwal Mahalba pour Tsaouni) semblent beaucoup moins concernés par le phénomène. Analyser les raisons de ces différences a permis de fournir des pistes d’analyse quant aux motifs de la migration dans ce département.

Présentation des sites d’enquête

La commune rurale de Kourni est composée de 28 villages administratifs et 14 tribus. Sa population est estimée à 36.603 habitants en 2015 (selon le recensement administratif de la mairie) alors qu’en 2012 elle était de 30.369 habitants selon le recensement général de la population et de l’habitat (RGPH-2012). La commune de Kourni a une densité démographique de 213 hbts/km² (2012), supérieure à celle du département (168 hbts/km²). La taille des ménages varie de 7 à 25 personnes.

L’agriculture, l’élevage et le petit commerce sont les activités pratiquées par les populations.

L’essentiel des ressources des ménages provient d’une agriculture familiale pratiquée sur des champs lessivés et de petite superficie. La démographie très importante de la commune a en entraîné un morcellement des parcelles, alors même que les rendements agricoles y sont très aléatoires et tributaires de la pluviométrie. La commune ne dispose pas de potentiel d’irrigation, et deux campagnes agricoles sur trois seraient déficitaires. Pour un nombre important de ménages, la production agricole ne couvre leurs besoins que pour quatre mois dans l’année au

3 Ainsi, dans la commune de Kourni, Gajéré et Mourabis

ont été retenus. Ces villages sont assez proches du chef-lieu de la commune de Kourni. Gajéré est à 3 km et Mourabis est à environ 2 km. Dans la commune de Tsaouni, El Dawa et Angouwal Mahalba ont également été retenus. Gajéré et El Dawa sont les villages les plus touchés et Mourabis et Angouwal Mahalba, les moins touchés. Les quatre villages sont à proximité du chef-lieu de commune.

Kourni, commune de Kantché

Tsaouni,commune de Kantché

Autre commune de Kantché

Autre dept. de Zinder

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maximum. Pour ceux-ci, il est donc impératif de trouver un complément à la faible production agricole. Le village de Mourabis (faiblement touché par la migration féminine) offre cependant des possibilités de maraîchage à faible échelle, pratiqué aussi bien par les femmes que par les hommes. On y cultive essentiellement des légumes (oignon, pomme de terre, tomate, carotte, etc.) écoulés sur les marchés de Kourni, de Matameye et même du Nigéria voisin.

L’élevage, pratiqué à petite échelle, est lui essentiellement contrôlé par les femmes. « Ce sont elles qui ont les animaux », entend-on fréquemment dans nos entretiens.

Le tissu économique local à Kourni est également marqué par le petit commerce (à travers les boutiques et tabliers) et les services de taxi-motos.

La commune de Tsaouni est composée de 27 villages administratifs et 9 tribus. La population de la commune est estimée à 37 854 par le RGPH 2012.

Les activités économiques sont l’agriculture, l’élevage et le commerce. A l’instar de Kourni, la commune de Tsaouni fait face à une insuffisance des terres, une faible production agricole et une forte pression démographique. Très peu de paysans

disposent de champs d’un hectare. Or, au cours des entretiens, il est apparu que la rentabilité des terres a beaucoup diminué au cours du temps : un même champ qui produisait 10 bottes par le passé n’en produit plus que 4 bottes actuellement. Une fois récoltée, la production est stockée dans les greniers et les populations cherchent ailleurs d’autres stratégies pour assurer leur alimentation. Dans certains villages, comme à el-Dawa, les résidents réussissent à compléter leurs revenus grâce à la vente de légumes issus du maraîchage et vendus sur les marchés de Matameye, Bakin Birji et du Nigéria.

Cependant, beaucoup intègrent la migration vers l’Algérie et le Nigéria dans leurs stratégies de résilience.

Une situation typique de la région : X est chef de village. Marié à deux femmes, son ménage comprend 17 personnes. Il dispose de trois champs qui totalisent ensemble environ 3ha. En 2015, sa production totale était de 60 bottes. La consommation du ménage est d’une botte/jour. C’est à dire qu’avec sa production, les besoins de son ménage ne sont couverts que pendant deux mois. Ses femmes possèdent 4 chèvres. X a un enfant qui migre vers l’Algérie et un second qui va au Nigéria. Ces enfants lui transfèrent régulièrement de l’argent.

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RESUME ANALYTIQUE

La migration, dans le département de Kantché est

un sujet de préoccupation au niveau des autorités

régionales, locales, et coutumières. L’enquête

révèle quatre principaux points d’analyse du

phénomène.

Un contexte socioéconomique répulsif : Le

département de Kantché se caractérise par un

contexte socio-économique répulsif. En dehors de

l’agriculture pluviale, les opportunités d’emploi

sont très limitées et peu attrayantes. Or,

l’émiettement des terres de cultures sur lesquelles

les populations continuent d’appliquer des

techniques culturales dépassées contribuent au

très faible rendement des terres. A cela, s’ajoute

une pression démographique parmi les plus

importantes du pays (168 hbts/km2). Face à ces

contraintes, les départs en migration apparaissent

comme une des solutions saisies par les

populations pour répondre à leurs besoins de

survie.

Des parcours migratoires évolutifs : Dans les villages

visités, la migration comme stratégie de

développement s’ancre dans une tradition

ancienne, qui était d’abord orientée vers le Sud

(Nigéria) et quasi exclusivement masculine.

Cependant, l’insécurité dans ce pays, la nature des

travaux exercés par les migrants, et leur faible

rentabilité ont progressivement réorienté les flux

vers le Nord, et notamment l’Algérie. La législation

stricte à l’égard des travailleurs oblige les nigériens

sans la documentation adéquate à pratiquer

essentiellement la mendicité ou d’autres activités

informelles (prostitution), et a contribué à la

féminisation et infantilisation des réseaux vers cette

destination. De façon générale, ces populations

s’adaptent aux contraintes et opportunités de

chaque « route », contournant les obstacles que

peuvent dresser les Etats, et diversifiant les trajets

(Libye, Nigéria, Soudan, voir Arabie Saoudite, etc.)

La gestion institutionnelle des migrations vers

l’Algérie. En réponse à l’image dépréciative du

Niger que projettent les migrantes nigériennes

vivant en Algérie, l’Etat nigérien s’est engagé dans

une politique de rapatriement de ses ressortissants.

Cette décision a contribué à modifier l’architecture

administrative déconcentrée : des comités

régionaux et communaux sont apparus dans

l’architecture institutionnelle régionale et

communale pour participer à l’effort de gestion des

rapatriés. Par ailleurs, les acteurs du

développement qui intervenaient

traditionnellement dans ce département, ont

progressivement intégré également la dimension

« migration » dans leurs champs d’activités.

Les migrations comme porteurs de changement

social : Les migrations de Kantché, introduisent les

femmes et les enfants comme nouveaux acteurs de

la migration de la région et par conséquence

offrent des données d’analyse du changement

social. Dans les villages et communautés de ce

département, les parcours migratoires ont participé

à l’apparition de nouvelles règles et nouveaux types

de rapports au sein des ménages. Le transfert de la

charge économique du ménage, qui incombe

traditionnellement à l’homme, à la femme

reconfigure les rapports de genre dans des

communautés traditionnelles patriarcales. Si les

autorités voient généralement ce phénomène d’un

mauvais œil, les ressources rapportées par les

migrantes ont elles contribué à valoriser l’image de

la femme dans ces sociétés, bouleversant les

rapports traditionnels conjugaux et parentaux.

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I DES DYNAMIQUES MIGRATOIRES

EN MUTATION

Les migrations depuis le département de Kantché se caractérisent par leur permanence et une reconfiguration. Aux destinations « traditionnelles » vers le Nigéria, se sont ajoutées les migrations en direction de l’Algérie et d’autres pays. Cette reconfiguration élargit ainsi le « territoire circulatoire » des migrants de Kantché.

Le Nigéria : destination traditionnelle pour les

hommes du département

Les discours populaires locaux font remonter l’histoire de la migration dans ces communes à au moins un demi-siècle. Cette migration était principalement orientée vers le Nigéria voisin, pays avec lequel les habitants partagent des réalités sociales, économiques et politiques. En raison de sa proximité et des affinités culturelles, ce pays constituait une destination dominante après les travaux agricoles ou pendant les moments de difficultés alimentaires. Essentiellement masculine, la migration vers le Nigéria a toujours été, et est aujourd’hui encore, dominée par des hommes de 20 ans à 40 ans, même si l’on dénombre quelques femmes dans le processus migratoire.

Ceux-ci partent après la récolte et les mariages et reviennent à partir de juin, à l’approche de l’hivernage, pour travailler les champs. Ils séjournent en général entre trois et six mois, et se retrouvent dans les villes de Kano, Abuja et Lagos. Les migrants originaires de Kourni vont également vers Katsina, Mina et Neja et ceux de Tsaouni vers Dandoumi, Zaria et Kaduna. Ces destinations sont influencées par les réseaux de voisinage : les migrants sont accueillis par des ressortissants déjà installés, qui les aident à s’insérer économiquement Le bas niveau d’instruction des migrants les exclut du marché de l’emploi formel. Ils exercent ainsi des petits métiers de subsistance, souvent physiquement exigeants : la vente et/ou livraison d’eau ou de fruits, la maçonnerie, la menuiserie, les travaux agricoles, le gardiennage ou ils travaillent comme dockers ou taxi-motos. Un certain nombre d’entre eux se retrouvent dans des écoles coraniques.

Encadré : L’extrait d’entretien ci-dessous éclaire sur le processus d’insertion du nouveau migrant : Une fois dans les pays de migration, les nouveaux venus sont conduits par les transporteurs dans les locaux des migrants sur place. Ces ‘’locaux’’ sont des espaces publics situés en dehors de la ville communément appelé « gidan daka », dans les autos gares. Les migrants y vivent sous des bâches ou des hangars en carton. Les migrants nouvellement arrivés sur les lieux « apprennent » à se familiariser en suivant les anciennement installés. Certain migrants prennent collectivement des chambres et se partagent le loyer ainsi que le gardien.

Les migrants peuvent facilement envoyer de l’argent à leurs familles. Les fonds sont transférés par l’intermédiaire des migrants, des transporteurs et/ou commerçants de Kourni qui font constamment la navette entre le chef-lieu de commune et le Nigéria. D’autres migrants choisissent de convertir les fonds en biens alimentaires qu’ils envoient à leurs familles restées au village.

Cependant, la plupart des candidats traditionnels au départ se sont détournés de cette destination. Plusieurs facteurs expliquent ce changement : tout d’abord les problèmes d’insécurité qui touchent le Nord Nigéria depuis l’arrivée de Boko Haram ont découragé les migrants, tout en fragilisant les marchés locaux et attisant les méfiances des populations. D’autre part, l’Algérie est progressivement – depuis 5 à 8 ans – devenu le nouvel « eldorado » pour les candidats à la migration du fait de l’avantage comparatif perçu en matière de ressources à ramener au pays, par rapport au Nigéria.

Le développement d’un réseau migratoire plus

récent, féminin et infantile, vers l’Algérie

L’Algérie est devenue une destination importante pour les résidents du département à partir des années 2000. Autour de ces années, de nombreuses femmes se rendaient à Arlit, ville nigérienne à la frontière de l’Algérie, où elles se faisaient employer comme domestiques, dans un contexte de développement économique lié à l’exploitation des mines. N’ayant pas de moyens pour accéder à des logements décents, les premières migrantes se retrouvaient à la périphérie de la ville où elles reproduisaient, dans les « guidan Daka » un mode de vie semblable à celui du village.

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Les relations sociales fonctionnaient sur le mode de la solidarité et de l’entraide, les plus anciennes assurant la socialisation et l’insertion sociale et économique des nouvellement venues. D’Arlit, certaines migrantes ont tenté « l’aventure algérienne » et sont revenues avec des biens matériels que le travail de domestique ne pouvait permettre d’acquérir. A leur retour au village, ces migrantes pionnières constituaient un petit capital en achetant des vaches. Au regard de ces « investissements » et peut-être sans s’en rendre compte, ces femmes pionnières ouvraient ainsi la voie à ce qui donnera naissance au « phénomène de Kantché ». D’autres femmes vont emboîter le pas aux pionnières. Parties seules, dans un premier temps, ces dernières décideront par la suite d’amener avec elles des enfants. Cette décision repose surtout sur des considérations économiques, beaucoup d’acteurs interviewés reconnaissant qu’ « en Algérie c’est aux enfants qu’on donne l’aumône ».

Le vice maire de Tsaouni explique ainsi cette diversification des flux en direction de l’Algérie: « L’information est venue d’Arlit, avec les femmes du village qui vont là-bas depuis 20 ans faire la bonne [domestique]. Avant les gens ne connaissaient pas Algérie. Il y avait beaucoup de ressortissant du village là-bas et d’autres partaient avec leurs familles. Les gens ont commencé aller en Algérie, ils ont réussi et les autres ont vu, ils ont aussi pris la route. Dans un premier temps c’étaient les femmes qui partaient, mais actuellement c’est y compris les hommes et les enfants. Elles partent avec les enfants pour gagner plus »

4.

Les départs vers l’Algérie ont lieu à tout moment de l’année, mais avec des ampleurs plus élevées à l’approche du mois de Jeûne qui, dans la religion musulmane correspond au mois de partage et de dons. Au cours de ce mois, l’aumône est plus importante que d’habitude. Les migrants séjournent en Algérie entre 1 mois et 6 mois, plus rarement quelques années (2 à 8 ans). Ils se retrouvent dans plusieurs villes : Tamanrasset, Waharam, Alger, Gardayé, Step, Galma, Mouznata, Annaba, Bijayé, Blida, Jijil, Bijari, Wourgila, Garday ou encore Birama.

4 Propos du vice-maire (I.O.) de la commune rurale de

Tsaouni, le 17-11-2015

Bilan : un territoire circulatoire évolutif

Il ressort des entretiens et des observations que les ressortissants des communes de Kourni et Tsaouni dans le département de Kantché migrent avant tout vers le Nigéria et l’Algérie. Le voisin du Sud attire généralement des hommes, qui travaillent quelques mois entre la période d’hivernage, exerçant souvent des travaux physiquement exigeants. Mais, du fait de l’insécurité au Nord-Nigéria, mais aussi du développement d’une route considérée comme « plus lucrative » vers le Sud du pays et l’Algérie, cette destination attire de moins en moins de migrants. L’Algérie à l’inverse attire de plus en plus de ressortissants de cette région depuis les années 2000, avec une accélération sensible depuis 2014. Certains sont cependant découragés par les contrôles renforcés sur cette trajectoire depuis les évènements de novembre 2013, et empruntent soit des trajectoires un peu différentes – transitant par le Nigéria avant de remonter vers Arlit, ou évitant Agadez par exemple – ou se rendent au Bénin, au Soudan et même en Arabie Saoudite. Les jeunes hommes vont également vers la Lybie, mais en raison de l’insécurité, beaucoup se sont réorientés vers de nouvelles destinations. L’ensemble de ces pays constitue un « marché migratoire » avec des territoires inter-reliés.

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II CAUSES ET CONSEQUENCES D’UNE EMIGRATION FEMINISEE VERS L’ALGERIE

II. a Le développement d’une migration

féminine depuis Kantché

Un départ contraint, pour les hommes et les

femmes, par le manque d’opportunité

économique dans le département

Les facteurs de départ les plus souvent évoqués sont liés aux difficultés de développement économique du département, et notamment le faible rendement agricole (détaillé en introduction). Face à l’insécurité alimentaire structurelle, les alternatives à l’agriculture sont rares, notamment en dehors de la période d’hivernage. La démographie importante, le morcellement des terres lessivées, le faible système éducatif et social sont autant de facteurs répulsifs. Les populations trouvent dans la migration une stratégie de résilience.

Traditionnellement, dans la culture nigérienne, c’est l’homme qui doit subvenir aux besoins économiques du ménage – nourriture, hébergement, frais éducatifs, etc. –, tandis que la femme a la charge des tâches ménagères. C’est pour cela que lorsque les revenus de l’agriculture ne suffisaient pas, ce sont d’abord les hommes qui sont partis chercher du travail ailleurs, et notamment au Nigéria. Or, les entretiens révèlent que beaucoup d’hommes sont partis en migration, mais n’envoient pas d’argent à leurs familles restées aux villages. Les femmes ont dû alors développer des stratégies pour subvenir aux besoins du ménage. Aussi on retrouve, parmi les migrantes des veuves et des femmes célibataires. De plus, la migration vers le Nigéria étant devenue plus difficile avec le contexte sécuritaire, de nombreux chefs de ménage ont perdu leurs moyens de subsistance.

Les femmes migrent aussi du fait des

contraintes sociales qui pèsent sur elles

S’il est admis que la migration à Kantché résulte de conditions économiques difficiles, des contraintes sociales pesant spécifiquement sur les femmes les ont incités à migrer. En effet, les mères doivent par

exemple traditionnellement prendre en charge le trousseau de mariage pour leurs filles. Or, les dépenses inhérentes à ce devoir traditionnel sont très importantes : la composition du trousseau comprend généralement un ou deux lits, un gros matelas, un lot de tasses et une armoire vitrée, « koba », dans laquelle seront exposées les tasses et autres ustensiles. Les dépenses liées à ces articles peuvent parfois atteindre 250 000 Francs CFA à 500 000 Francs CFA. Certains articles – notamment le matelas et les tasses – sont réputés de meilleure qualité quand ils viennent d’Algérie. D’autre ont une portée symbolique forte, L’enjeu symbolique de koba est de rendre visible une partie des biens achetés par les parents et, montrer aux yeux des invités ce que les parents ont été capables d’offrir à leurs filles nouvellement mariées. Les femmes accordent une importance à ces dépenses, mais les hommes les considèrent généralement comme inutiles et c’est pourquoi ils les laissent à l’entière charge de la femme. Pour ces femmes, la migration répond à une quête de statut social valorisé.

De la même façon, dans cette région se sont les femmes qui traditionnellement possèdent les têtes de bétail et pratiquent l’élevage – souvent les ruminants sont offerts par leurs parents dans le trousseau de mariage. Or la migration est devenue un des moyens les plus efficaces pour ces dernières de pouvoir accéder à ce capital, et renforcer le statut social. Cette hypothèse est supportée par les enquêtes du terrain : il ressort des analyses des postes d’investissements des migrantes de retour que la constitution d’un capital bétail est en effet au centre des objectifs visés.

Paradoxalement, des femmes ont pu être contraintes à la migration vers l’Algérie suite aux programmes d’appui dont elles ont bénéficié en tant que femmes. En effet, dans le cadre de la promotion des activités génératrices de revenus, des ONG de développement ont investi le monde rural pour faciliter aux femmes les conditions d’accès au crédit. Organisées en groupements villageois, principale condition pour avoir accès au micro-crédit – « Asusu » ou « Yarda » –, les femmes ont développé des tontines alimentées par des cotisations périodiques. Suivant un système rotatif, chaque membre de groupement reçoit selon une période définie la somme mobilisée par l’ensemble

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du groupement pour entreprendre une petite activité. Or, d’après certaines autorités, dont le président de l’association des jeunes de Kourni, « Nombre de femmes ayant pris le crédit se sont

retrouvées dans l’impossibilité de rembourser. Cela les

poussent à aller en migration »5. Au lieu

d’entreprendre une activité, certaines femmes « détournent » cet argent pour financer leur voyage vers l’Algérie.

L’Algérie comme destination rentable pour les

femmes et les enfants

Historiquement, le discours populaire explique le développement de cette route migratoire par des femmes, qui travaillaient comme agents domestiques autour de la ville frontalière d’Arlit. Les premiers rapports suite aux évènements de 2013 ont également mis l’accent sur la proportion nombreuse de femmes et d’enfants sur ce trajet. La nature des activités pratiquées par les migrants est apparue comme un élément explicatif de cette proportion importante de femme. En Algérie, la mendicité est l’activité dominante pratiquée par les migrants. En effet, la règlementation rigoureuse y interdit de travailler sans autorisation formelle, et l’absence d’autorisation de travail est passible d’emprisonnement. Demander l’aumône apparaît alors comme une parade pour rester en Algérie. Les algériens sont d’ailleurs réputés plus « généreux » que les nigériens. Cependant, culturellement peu d’hommes sont enclins à adopter cette stratégie. D’autre part, nombre de rapports et d’entretiens évoquent la prostitution – « karuwanci » – comme une activité secondaire pratiquée également dans ce pays. Le statut de prostituée n’est jamais assumé/revendiqué par les migrantes elles-mêmes, et parfois ce sont les femmes restées au village qui répandant la rumeur que les migrantes s’adonnent à cette activité. Cependant, c’est un fait avéré que certaines femmes sont revenues au village avec des grossesses contractées en Algérie ou des enfants hors mariage.

Aux côtés des femmes, souvent âgées, de nombreux enfants ont également fait leurs premières expériences migratoires sur la route de l’Algérie. En effet, ces derniers sont réputés être plus « efficaces » lorsqu’il s’agit des revenus de la mendicité. Contrairement aux travaux souvent exigeants que pratiquent les migrants au Nigéria, ce type de migration ne nécessite aucune compétence

5 Entretien avec le président de l’association des jeunes

de Kourni, le 14 novembre 15.

particulière : il suffit d’avoir une tasse ou d’en donner une à un enfant pour mendier, et de collecter l’argent reçu. Des endroits stratégiques sont choisis : bordures de route passantes, abords de feux de signalisation, entrée des commerces et services. Certains migrants, et notamment les enfants, peuvent jouer sur leur style vestimentaire ou simuler un handicap pour susciter la pitié des populations locales.

Les femmes qui ont amené plusieurs enfants sont démarchées par les hommes afin qu’elles leur confient un enfant pour mendier. En retour, celles-ci reçoivent une partie de l’argent reçu.

L’effet d’imitation

Dans la commune rurale de Tsaouni, certaines femmes décident de migrer pour « faire comme » celles qui ont migré et qui sont revenues avec « beaucoup » d’argent. L’effet d’imitation constitue une des raisons avancées par les autorités municipales pour expliquer la migration féminine. La « réussite » de celles qui sont revenues de migration est un élément de motivation à partir. C’est le cas du village d’El Dawa, où la « réussite » des premiers migrants a incité beaucoup de résident au départ vers l’Algérie. Dans ce village, il est difficile de rencontrer un ménage n’ayant pas au moins un membre en migration.

Pour l’historique et à titre d’exemple, à Gajéré la première femme du village à migrer vers l’Algérie l’a fait il y a huit ans de cela. Elle est allée avec son mari à Tamanrasset. Ne possédant pas de biens matériels (maison, champs, etc.), cette femme et son mari décident ensemble de partir à Arlit. Ils y ont travaillé quelque temps avant de continuer leur migration sur l’Algérie. Ils sont revenus au village avec de la nourriture, ont acheté un champ et le chef du village leur a donné un espace pour construire leur maison. Laissant le mari à Gajéré pour veiller sur les biens qu’elle a rapportés de la migration, cette femme retourne avec leurs quatre enfants. Au moment de l’enquête, cette femme disposait d’un frigo alimenté par un groupe électrogène grâce auxquels elle prépare et vend des jus de fruit.

La migrante dont l’histoire migratoire est ici mentionnée apparaît dans le village comme un modèle de réussite que nombre de femmes voudraient bien suivre. La relative réussite de cette femme a renforcé pour ses voisins et proches l’idée qu’en Algérie les possibilités d’enrichissement sont réelles.

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Lors des entretiens, l’adverbe « beaucoup » est très employé pour qualifier le volume d’argent ramené par les migrantes. Le discours populaire relaye cette croyance que les premières femmes qui ont migré vers l’Algérie envoyaient « beaucoup » d’argent au village. Cela a incité les autres à partir. Plusieurs femmes évoquent ainsi l’acquisition de divers biens matériels – qualifiés comme « luxueux » pour les critères de la région – comme mobile de leur projet migratoire, pour être « comme les autres ».

Au fil du temps, les hommes ont emboîté le pas aux femmes, se détournant ainsi de la destination traditionnelle qui était le Nigéria. En somme, deux facteurs semblent se dégager comme mobiles de la migration des femmes de ce département vers l’Algérie : d’un côté, ces dernières ont pris les devants face à l’insécurité alimentaire chronique et aux difficultés économiques structurelles de leurs lieux d’origine, afin d’assurer la survie de leur ménage. Le fait que le travail formel soit très fortement contrôlé a été ainsi à l’origine du développement de réseau de mendicité, où elles ont su trouver leur place, ainsi que des opportunités pour leurs enfants. D’autre part, les départs et retours fructueux des migrantes ayant pris la route de l’exil a fait « effet boule de neige » sur un certain nombre de femmes restées au village, envieuse des biens matériels et du statut social auquel les migrantes de retour ont pu accéder. Les pressions sociales qui pèsent sur elles pour faire face à certaines dépenses ponctuelles (constitution de trousseau pour les filles, constitution d’un capital bétail), ont pu convaincre définitivement certaines d’entre elles.

II. b Un processus migratoire contrôlé par les

femmes, vecteur de changement social

Une des autres particularités des départs depuis ces communes réside dans le fait que le mari ne semble plus être au cœur de la décision de migrer. Les parents de la femme, et la femme elle-même participent de la décision. Cette dernière peut pour cela s’appuyer sur ses ressources propres et sa capacité à financer le projet migratoire.

Le processus décisionnel, vers une inversion

des rôles en faveur des femmes

Pour se rendre au Nigéria, la décision de migrer incombe toujours aux jeunes candidats à la migration. Ceux-ci demandent ensuite

généralement l’autorisation – localement l’on parle de « bénédiction » – à leurs parents. Certains parents peuvent décider eux-mêmes d’envoyer leurs enfants en migration vers ce pays. Les rares femmes qui décident de se rendre au Nigéria, doivent en général avoir préalablement avoir l’accord de leur mari.

En revanche, les entretiens révèlent qu’en ce qui concerne la décision de migrer vers l’Algérie, les sources de décisions sont multiples. La décision de migrer peut provenir des parents de la femme, même quand celle-ci est mariée. Dans certains cas, c’est la femme elle-même dont émane la décision, et elle recueille ensuite l’autorisation auprès des parents et/ou du mari. A l’inverse des migrations vers le Nigéria, il semblerait que dans de nombreux cas, elles quittent sans l’aval de ces derniers. Les juridictions du département ont ainsi eu à connaître de multiples cas de conflits intraconjugaux voire de divorces. Il arrive en effet qu’en réaction au refus du mari, certaines femmes demandent carrément le divorce. Dans cette perspective, laisser partir son épouse en migration apparaît paradoxalement comme une condition de stabilité du ménage. Que la candidate soit mariée ou pas, il semble que la décision du père prime sur celle du mari puisque, même lorsque le mari s’oppose au projet de migration de son épouse, il subit une pression du père. En raison de la soumission traditionnelle que le gendre doit montrer envers son beau-père, il serait malséant que celui-ci s’oppose au père de sa femme. En effet, en milieu traditionnel hausa, un gendre est tenu de faire preuve de bienveillance à son beau-père ; tout comportement contraire est socialement mal perçu. En référence à ce type de rapports, la plupart des maris ont du mal à remettre en cause une décision prise par leurs beaux pères. Le mari se trouve ainsi dans une situation de « domination symbolique ».

De façon générale, l’autorisation d’une tierce personne est sollicitée avant de migrer : les jeunes demandent l’autorisation de leurs parents, les femmes avisent leurs maris. Mais ce schéma n’est pas toujours respecté et il est fréquent de voir des femmes partir en migration sans informer leur mari ou même migrer contre son gré. A El Dawa, on parle de « femmes plus fortes » que leurs maris pour évoquer l’inversion des rapports de genre dans les ménages où c’est la femme qui part en migration et qui impose sa décision au mari.

Si certains maris s’opposent fortement à la migration de leurs femmes – à l’instar de nombre d’entre eux dans les villages de Soma et Angoua Mahalba, commune de Tsaouni, d’autres soutiennent la décision de leurs femmes. Dans le

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village de Gajéré (commune de Kourni) ou d‘El-Dawa (Tsaouni) l’idée de « bonne épouse » est associée à la migrante qui soutient son mari. Ce stéréotype détermine souvent le processus de décision si bien que des maris incitent leurs épouses à aller en Algérie, implicitement, afin de bénéficier des retombés de la migration de celles-ci. A Gajéré, les récits des personnes enquêtées font constamment référence à des femmes migrantes ayant acheté à leurs maris des motos grâce auxquelles ceux-ci font le transport. Face aux retombés de la migration, certains maris dans le village d’El Dawa, incitent même leurs femmes à aller en Algérie.

Les propos du chef de village de Tsaouni situent les tensions internes aux ménages inhérentes au départ des femmes en migration :

« Il y a des hommes qui ne veulent pas le départ de leurs femmes, d’autres acceptent. Les femmes qui partent remettent en cause le pouvoir de leur mari. Ce n’est pas bon pour la femme, même l’islam ne tolère pas ça, mais les gens mettent en avant la culture et non la religion. Le refus du mari entraine le divorce, et si la femme divorce elle laisse les enfants avec le mari, il est obligé de la laissé partir »

6.

De fait, dans le milieu religieux, la migration féminine est mal perçue, parce qu’elle conteste l’autorité de l’homme en tant qu’instance traditionnelle de décision dans le ménage. La femme qui part en migration s’expose à une sanction sociale portée par les religieux. A Angoual Mahalba, les femmes qui partent en Algérie sont ainsi déconsidérées, et font régulièrement l’objet de prêches sévères. Certains acteurs soutiennent ces discours religieux, à l’instar du chef de canton de Kantché, qui a décidé de féliciter le village d’Angoual Mahalba en offrant aux femmes qui ne sont pas parties 3 000 nairas (environ 9 000 Francs CFA).

Pourtant, les leaders religieux disposent de peu de moyens pour freiner le phénomène, comme en témoigne certains imams : « A la mosquée on dit que le départ des femmes est haram, les gens écoutent mais certains n’appliquent pas ce que nous disons »

7.

6 Chef de village de Tsaouni, le 17 novembre 2015.

7 Entretien avec A.D., imam de la mosquée d’El Dawa, 18

novembre 2015.

Les capacités de financement du voyage par

les femmes

Que le mari supporte la décision de sa femme ou non, son projet migratoire ne peut se réaliser qu’avec le financement nécessaire. Or, en dépit des discours populaires qui véhiculent l’image de migrants pauvres et très pauvres (en hausa « Talauci » ou « rashi »), les coûts de la migration, notamment vers l’Algérie, exclut certains ménages les plus déshérités.

Pour se rendre au Nigéria, les conditions de voyage sont assez souples en raison de la proximité et de son appartenance à l’espace CEDEAO. Pour financer leur voyage les migrants recourent à des prêts ou vendent une partie de leur production agricole. Les coûts restent raisonnables aux vues des ressources locales, allant de 3 000 nairas à 4 000 nairas (9 000 à 12 000 Francs CFA).

Bien que les coûts de transport varient selon les périodes et les types de véhicules à emprunter, la migration vers l’Algérie est de façon générale plus exigeante en termes financier. Les migrants déboursent environ 100 000 Francs CFA pour les hommes et entre 150 000 et 300 000 Francs CFA pour les femmes. Ce prix plus élevé pour les femmes s’explique par le fait qu’elles sont en général accompagnées d’enfants, et donc doivent payer la part de ces derniers, et que cette situation fait qu’elles sont soumises à des contrôles plus stricts, et elles ont tendance à choisir en conséquence d’emprunter des voies détournées, accroissant ainsi le coût du transport. De façon générale, les prix ont beaucoup augmenté ces dernières années, à mesure que le nombre de candidats à la migration s’accroît : d’après un retourné, alors qu’il fallait débourser « 20 000 Francs CFA avant pour se rendre d’Arlit en Algérie, les frais de transport sont passés à 100 000 Francs CFA ».

Bien que les coûts de transport varient selon les périodes et les types de véhicules à emprunter, la migration vers l’Algérie est de façon générale plus exigeante en termes financier. Les migrants déboursent environ 100.000F CFa pour les hommes et entre 150.000 et 300.000F CFa pour les femmes. Ce prix plus élevé pour les femmes s’explique par le fait qu’elles sont en général accompagnées d’enfants, et donc doivent payer la part de ces derniers, et que cette situation fait qu’elles sont soumises à des contrôles plus stricts, et elles ont tendance à choisir en conséquence d’emprunter des voies détournées, accroissant ainsi le coût du

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transport. De façon générale, les prix ont beaucoup augmenté ces dernières années, à mesure que le nombre de candidats à la migration s’accroît : d’après un retourné, alors qu’il fallait débourser « 20.000F CFa avant pour se rendre d’Arlit en Algérie, les frais de transport sont passés à 100.000F Cfa ».

Or, si tant de femmes partent en migration vers l’Algérie, c’est parce qu’elles disposent d’une diversité de sources de revenus : ce sont elles qui possèdent les têtes de bétail généralement

8 et la

vente de ces bêtes peut procurer rapidement la somme nécessaire au projet migratoire. D’autre part, elles peuvent obtenir le capital nécessaire par des petites activités génératrices de revenus: la vente des galettes, des beignets, la production d’huile d’arachide, la vente de l’eau de consommation (ga ruwa), alors que les hommes disposent de peu d’opportunité d’emploi extra-agricole (petit commerce, kabu-kabu etc.). Elles utilisent également leurs caisses de solidarité (tontines), comme explicité plus haut. Enfin, elles ont pu « détourner » certains appuis qui avaient été mis spécifiquement à leur disposition dans le département – à l’instar des transferts de fonds opérés par la Haute autorité à la consolidation de a paix (HACP) en 2014, analysé dans la partie suivante de l’étude. Parmi les autres moyens de financement utilisés tant par les hommes que par les femmes ont peu citer les emprunts auprès des parents proches (homme et femme), hypothèque des champs (par les hommes et les femmes), vente d’animaux (par des hommes qui empruntent l’animal de leur femme), et les réseaux de solidarité transnationaux : ses parents installés en Algérie financent le départ en migration de leurs parents.

Lorsque les résidents n’ont pas la totalité des frais nécessaires au voyage vers l’Algérie, ils se rendent d’abord à Arlit ou à Agadez, y travaillent quelques mois (2 ou 3 généralement), le temps de rassembler les fonds nécessaires pour continuer le trajet ou de recevoir de l’argent transféré par un parent déjà installé en Algérie.

II.3 Les stratégies d’adaptation des femmes migrantes aux contraintes liées au genre

Depuis les principales communes du département de Kantché, le voyage vers l’Algérie dure en général pas moins de sept jours. L’itinéraire « classique » est Matamey-Arlit-Assamaka-Ingeza-Tamanrasset. Cependant, au cours de la migration, les migrants combinent itinéraires officiels et voies détournées

8 Voir pages précédentes : les ruminants sont souvent

offerts par leurs parents dans le trousseau de mariage.

pour échapper aux contrôles de police, qui ont été nettement renforcés depuis 2013. Souvent les départs ont lieu la nuit, comme à la sortie du village d’El Dawa.

Encadré : Avant 2013, les départs en migration n’attiraient aucune attention. Les départs se faisaient au vu et au su de tout le monde : des intermédiaires sillonnent les villages pour « collecter » les candidats à la migration. Lorsqu’ils avaient un nombre relativement important de candidats, ils informaient les chauffeurs qui partaient les chercher. Les intermédiaires étaient alors payés par personne recrutée. Partiellement démantelé suite aux événements de 2013, ce système opère désormais dans la clandestinité. Maintenant les migrants partent clandestinement et « tu demandes d’après untel le matin, on te dit qu’il est parti en exode », affirme un enquêté.

Pour entrer en Algérie nombre de migrants empruntent des véhicules de fraude qui contournent les postes de contrôle. Beaucoup utilisent de faux papiers. Certaines femmes se font aussi établir de faux certificats de mariage, qu’elles utilisent lorsqu’on les arrête pour dire qu’elles sont avec leur mari.

Les migrants qui se rendent en Algérie vivent dans des habitats spontanés (construits dans la rue ou dans les autogares), certains dans des « camps » de fortune, sous des hangars pliables faciles à ranger, d’autres dans des locations, quand ils ont plus de moyens. Dans les camps, les mendiantes reçoivent souvent des dons en aumône de la part des Algériens : nourriture, habits, savon, etc. De leur lieu d’habitation, les migrants se rendent au centre-ville pour mendier et reviennent y passer la nuit. Pour assurer leur sécurité, les femmes migrantes contractent de faux mariage avec d’autres ressortissants nigériens. Ce phénomène s’observe aussi bien chez les femmes non mariées que les femmes mariées. Les « maris » de circonstance se chargent de sécuriser l’argent que rassemblent les migrantes. Certains « maris » sont entièrement pris en charge par leurs « épouses ». La nouvelle fonction qu’ils assurent, à savoir la sécurisation des migrantes et de leurs biens, soustrait les migrants des risques d’être jetés en prison par les autorités algériennes pour défaut de permis de travailler.

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III CONSEQUENCES DE LA MIGRATION POUR LES COMMUNES D’ORIGINE

III.a Conséquences économiques

L’argent rassemblé sur place est rarement dépensé en Algérie. Les migrants préfèrent envoyer les fonds dans leurs villages d’origine.

Les canaux de transfert des fonds

Selon les axes, les modalités d’envoi des fonds des migrants varient. Pour le Nigéria, certains migrants de retour rentrent avec leurs argent ou, lorsqu’ils ne sont pas prêts pour le retour au village, le remettent à un des leurs qui rentrent au Niger. D’autres achètent des vivres qu’ils envoient dans les ménages. Le réseau de transfert est étendu : une personne est dépêchée à Daura (Nigéria) pour réceptionner les fonds envoyés par les migrants, pour ensuite procéder à la distribution aux destinataires.

En ce qui concerne l’Algérie, l’envoi des fonds est plus complexe. Le mécanisme le plus utilisé est celui d’envoyer de l’argent à travers un intermédiaire. Des intermédiaires passent de ville en ville où résident les migrants pour collecter les fonds à envoyer au village. Dans le cadre de ce service, ceux-ci reçoivent les frais de transport, les frais d’envoi et une rétribution pour service rendu. Pour envoyer de l’argent, les intermédiaires se rendent à Tamanrasset pour convertir en CFA ensuite l’envoyer au pays. Le plus souvent, les mendiantes, peu instruites, ignorent les taux de change en vigueur. A ce niveau les intermédiaires font parfois de bonnes affaires en jouant sur la variation des taux de change. Rares sont les migrants qui utilisent, depuis l’Algérie, les circuits formels d’envoi des fonds. Les intermédiaires redescendent jusqu’à Arlit pour envoyer les fonds à Kantché. L’intermédiaire est rétribué à hauteur de

10 % du montant envoyé. Lorsqu’ils rentrent dans

leurs villages d’origine, en raison des nombreux contrôles sur la route de retour, certains migrants choisissent de convertir l’argent en biens non-alimentaires ou alimentaires : savon, matelas, pâtes alimentaires qu’ils revendent localement pour rentrer dans leurs fonds.

En résumé, les migrations féminines alimentent un ensemble d’activités connexes : ainsi, on voit apparaitre des « faux maris » utilisés comme

« gardiens de circonstance » et sollicités pour sécuriser les biens des femmes migrantes, mais aussi des intermédiaires, impliqués dans le réseau de transfert de fonds vers Kantché.

L’utilisation des fonds transférés : assurer la

sécurité alimentaire et améliorer le bien-être

familial

En termes de volume, les envois en provenance d’Algérie sont plus importants que ceux envoyés du Nigéria. Si du Niéeria, les envois se chiffrent entre 50 000 Francs CFA et 100 000 Francs CFA, « ce sont des millions de francs qui sont envoyés d’Algérie », fait remarquer le maire de Kourni. Cette différence est un facteur attractif expliquant l’attrait des résidents de la région pour l’Algérie.

Les fonds envoyés servent prioritairement à faire face aux besoins alimentaires des familles des migrants. Ensuite, l’objectif est d’améliorer le cadre de vie, et cela ce manifeste à travers la construction d’une maison couverte de tôle, l’apurement des dettes, la récupération des champs mis en hypothèque, l’investissement dans la création de petits emplois à travers l’achat de motos utilisées comme moyens de transport rural. Pour les femmes, l’argent de la migration est aussi utilisé dans la constitution de trousseaux de mariage.

Par exemple une femme nous apprend que ce qu’elle a envoyé a été utilisé pour reconstruire leur maison, mettre la tôle, l’achat de deux parcelles pour ses enfants. En revenant d’Algérie, la migrante a ramené des fonds qu’elle a utilisés pour régler les 200 000 Francs CFA qu’elle avait empruntés pour financer son départ en migration.

De fait, les fonds envoyés par les migrants d’Algérie couvrent une grande diversité de postes de dépenses. A partir du moment où les opportunités locales sont réduites et ne permettent pas d’accéder à un mode de vie espéré, la migration apparaît comme unique alternative. Par conséquent, les populations de Kantché ne migrent pas uniquement pour assurer la sécurité alimentaire des familles, elles partent en Algérie

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dans le but d’améliorer leurs conditions de vie de façon plus générale et envisager des investissements.

Cependant, de grandes différences existent entre les migrants retournés volontairement de l’Algérie, et ceux qui ont été rapatriés par l’Etat : souvent, les rapatriés n’ont pas eu le temps de gagner beaucoup d’argent sur place. Certains n’ont pu faire que quelques jours avant d’être pris dans un convoi. Les rapatriements sont ainsi de véritables drames pour les migrants ayant financé leur voyage sur la base de dettes.

III.b Conséquences sociales

Ces flux migratoires de plus en plus importants ont des répercussions sociales fortes dans les villages d’origine du département. Le retour des migrants a de nombreuses implications. On évoque le développement du petit banditisme dans la commune de Kourni du fait du retour des migrants désœuvrés, les actions en justice relativement aux mariages arrangés en Algérie. Le développement du petit banditisme est le fait des enfants revenus d’Algérie chez lesquels les populations observent de nombreux écarts de comportement : petits larcins, non-respect des normes sociales, style vestimentaire et coiffure en déphasage avec les habitudes locales.

L’autonomisation de la femme et les discours

populaires sur la migration

Les aspects évoqués plus haut, mettent en évidence que l’apparition d’une figure féminine de la migration s’est accompagnée de changement des structures traditionnelles de prise de décision. La femme migrante accède à une certaine autonomie, n’hésitant pas à demander le divorce si son mari s’oppose à son projet migratoire.

Les perceptions et discours sur la migration sont différents selon le sexe et le pays de migration, mais surtout selon les lieux d’origine.

De façon générale, dans la commune de Kourni, l’idée de « courage » est associée à la migration des hommes qui partent au Nigéria. Les hommes courageux, « mai kokari » doivent partir, y compris en empruntant de l’argent. Les « courageux » doivent prendre en charge leurs familles. Cette perception recoupe celles des leaders religieux qui considèrent qu’il appartient à l’homme de prendre en charge sa famille. A Tsaouni, les migrants sont considérés comme « ceux qui aident » (en hausa,

Masu Taïmako) leurs familles à travers les fonds envoyés. Dans certains villages, où beaucoup d’hommes migrent vers le Nigéria, le non-migrant est assimilé à un « fainéant ».

Par contre, le départ de la femme en migration est souvent mal perçu, surtout dans les villages les moins concernés par la migration : elle est soit perçue comme une « pauvre », contrainte de migrer du fait de la misère de sa situation, soit – et notamment quand elle ramène beaucoup d’argent – comme une prostituée. Les discours relatent que la migrante « ne respecte pas le mariage », tandis que d’autres pensent que « son mari est un incapable » qui ne peut pas prendre en charge sa famille. L’argent qu’elles envoient est parfois considéré comme « illicite » (ba halak ba né), « il ne dure pas », c’est de l’argent « maudit » (bay da albarka).

Dans leurs prêches, les leaders religieux font ainsi constamment allusion au statut de l’argent des migrantes. Même s’ils ne font pas référencement à la prostitution, ils récriminent la pratique de la mendicité. Si les religieux tolèrent le fait qu’une personne mendie pour subvenir à ses besoins alimentaires primaires, ils n’admettent pas le fait de faire de la mendicité une activité. A Tsaouni, la migration des femmes est un sujet tabou dont les leaders religieux évitent de parler.

De leur côté, les migrantes ont le sentiment que ces critiques sont l’expression de la jalousie « à cause de l’argent qu’elles gagnent » et qu’on veut « empêcher leurs femmes à aller en migration ».

Cependant, dans les villages très touchés par la migration, comme El Dawa, ni les migrants qui partent au Nigéria, ni ceux qui partent en Algérie ne sont mal vus par la population, à l’exception des religieux. Parler mal de la migration expose à des risques car la migration est la principale option après les récoltes. Dans certains villages, les jeunes qui ne partent pas en migration ont des difficultés à trouver une femme, et ils se retrouvent dans l’obligation de migrer pour montrer qu’ils sont en mesure de prendre en charge une famille. Les migrants qui reviennent d’Algérie sont plus « respectés » aussi bien dans leurs ménages que dans leurs villages. La migration permet aux migrants d’accéder un statut social respectable. C’est un moyen d’ascension dans la hiérarchie sociale.

L’expression d’une enquêtée illustre ce sentiment partagée par des migrantes de retour de l’Algérie :

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Organisation internationale pour les migrations - Niger 21

« Même les femmes des villes ne peuvent rien nous montrer en termes d’habillement. Nous mangeons ce que nous voulons et dépensons pour ce qui nous plait »

9

Les migrants en provenance d’Algérie sont supposés ramener plus d’argent que les migrants partis au Nigéria. Par ailleurs, dans les discours locaux on retrouve l’idée que « l’on migre au Nigéria par nécessité (sécurité alimentaire) alors que les femmes migrent en Algérie pour s’enrichir ! ». Le premier axe renvoie à une quête de survie, le second à l’idée d’accumulation. Enfin, le migrant qui revient au village de son propre chef est mieux perçu que celui qui été rapatrié.

La déscolarisation des enfants

Dans les communes étudiées, la migration a des impacts négatifs sur la scolarisation des enfants. Dans les villages les plus touchés par le phénomène, les enseignants observent une faible fréquentation des écoles.

A Gajéré, l’école a trois niveaux. Mais en raison du faible effectif des élèves, l’enseignant a été amené à les regrouper dans une seule classe. A Ourfana, un village de la commune de Tsaouni, une école de 3 classes totalisait 120 élèves en début d’année 2014/2015 (40 élèves par classe). En cours d’année, le directeur peine à avoir 40 élèves pour l’ensemble de l’école.

Si les directeurs d’écoles se plaignent de l’implication des enfants dans le phénomène migratoire, ils ne sont pas en mesure d’empêcher cette implication. On observe néanmoins quelques actions isolées entreprises courageusement par les directeurs d’école. C’est le cas à Tsaouni, par exemple, où le directeur d’école d‘El Dawa a suivi les parents d’élèves à Matameye (chef-lieu de préfecture) pour ramener les élèves inscrits dans son école en menaçant les parents de les dénoncer à la gendarmerie. Même s’il est « mal vu » par les parents d’élève, ce directeur a tout de même réussi à « sortir » les élèves de la migration.

L’implication des élèves dans la migration résulte d’un double facteur : premièrement, les parents sont souvent réticents à inscrire leurs enfants à l’école. Certaines communautés privilégient ainsi l’emploi des enfants dans les taches ménagères et

9 Une migrante rencontrée à El Dawa.

de travail des parents à la place, plutôt que de les encourager à aller l’école. Deuxièmement, la part d’enfants dans la migration s’est accrue avec le développement des migrations féminines. D’une part le fait que les femmes partent implique souvent que leurs enfants, surtout les plus petits, voyagent avec elles. D’autre part, les enfants sont devenus des véritables ressources exploitées dans la mendicité en Algérie. C’est pour cela que les parents vont mobiliser plusieurs stratégies pour les soustraire de l’école. Par exemple, les départs en Algérie intervenant à tout moment de l’année, certains parents attendent les périodes de vacances (ou les congés) pour partir avec les enfants à l’insu des enseignants. D’autres parents refusent en amont d’inscrire leurs enfants à l’école, par crainte que les enseignants les empêchent de les amener en Algérie s’ils décidaient de migrer.

III.c Conséquences institutionnelles : La gestion

des rapatriements des migrants, un dispositif en

construction

En général, les migrants rentrent à l’approche de l’hivernage, quand ils estiment avoir accumulé suffisamment d’argent. Cependant, d’autres ont été rapatriés dans le cadre des opérations conjointes entre l’Algérie et le Niger.

Le rôle de l’Etat

Les événements d’octobre 2013 ont suscité des interventions en faveur des migrants de cette localité. Certes avant cette date, on dénombrait l’intervention d’organisations de développement et/ou humanitaires dans le département de Kantché. Mais les projets mis en œuvre par ces organisations ne concernaient pas la migration. L’année 2013 a été le déclic pour les interventions dans le domaine de la migration. C’est le cas de la Haute autorité à la consolidation de la paix (HACP).

La Haute Autorité à la Consolidation de la Paix

A partir de 2013, la Haute Autorité à la Consolidation de la Paix a développé des projets dans quatre communes (Kourni, Tsaouni, Dan Barto et Yaouri) du département de Kantché. Conjointement avec les maires de ces quatre communes, retenues comme les plus touchées par la migration vers l’Algérie, des kits animaliers ont été mis à disposition de femmes rapatriées. Pour la

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Organisation internationale pour les migrations - Niger 22

gestion opérationnelle des activités sur le terrain, un comité composé de services techniques (direction du plan, du service l’élevage, du service de l’agriculture et population) et des maires a été mis en place. Au cours d’une première phase d’intervention en 2013, 76 femmes ont reçu chacune 3 chèvres et 1 bouc, et 24 femmes ont reçu chacune 80 000 Francs CFA sous forme de transfert d’argent pour entreprendre des activités génératrices de revenus. Cette phase a été coordonnée par la direction départementale de l’aménagement du territoire de Matamèye.

La seconde phase est intervenue entre 2014 et 2015, et a été marquée par une plus grande implication de la mairie. Les kits animaliers ont été abandonné au profit de transfert de fonds aux communes, qui se sont ensuite chargées de les redistribuer aux femmes retournées. Dans la commune de Kourni, 125 femmes ont bénéficié de cet appui, en raison de 80 000 Francs CFA par femme.

Le comité chargé d’accueillir les rapatriés

Depuis 2013 un comité chargé de l’accueil des rapatriés a été mis en place par l’Etat dans le département de Kantché. Il est composé de la préfecture, des forces de défenses et de sécurité (police, gendarmerie, garde nationale), de la société civile, de la direction départementale de la population. Son mandat le rend responsable de la gestion de l’accueil des retournés, et de l’organisation de l’acheminement des rapatriés. Il est également chargé de l’enregistrement des migrants, de la mise à disposition d’abris et de la gestion de leurs bagages.

L’afflux des migrants et la manque de ressource a très vite dévoilé les faibles capacités du comité à assurer l’acheminement des migrants dans leurs communes d’origine et la leur prise en charge dans des délais rapides. Ainsi, lorsqu’ils arrivent à Matameye, les rapatriés peuvent passer jusqu’à 3 ou 4 jours à attendre leurs bagages, sans véritable solution d’hébergement et de restauration.

Néanmoins, la mise en place d’un comité chargé de la gestion des migrants rapatriés donne au dispositif national un ancrage régional et communal, manifestation de l’investissement croissant de l’Etat dans la gestion des migrations.

Le rôle de l’Organisation internationale pour les

migrations (OIM)

Au départ, l’appui de l’OIM devait cibler prioritairement les femmes retournées d’Algérie, en prenant la suite des appuis coordonnés par la HACP (Haute Autorité pour la Consolidation de la Paix) par le même bailleur. Cependant, la diversité des convois et les enquêtes au niveau local avec les partenaires et autorités ont entrainé une réorientation de la cible pour inclure les hommes et également les non-migrants. L’appui apporté n’est pas individuel, mais collectif : en sus de l’appui donné à 30 groupements formés par la HACP (féminins), 90 groupements mixtes (composés de migrants et de non-migrants) ont été formés dans les neuf communes du département de Kantché. Les groupements de l’OIM ont été répartis proportionnellement aux volumes des rapatriés par commune.

Les groupements choisissent librement l’activité à faire et montent le dossier qui passe ensuite par un comité de sélection, composé des autorités locales (maire, services techniques : Plan, agriculture et élevage, protection). Les projets retenus sont alors financés par l’OIM, et les membres reçoivent des formations et le matériel nécessaire, grâce à l’appui d’une ONG locale (AFV, Action en Faveur des Vulnérables). Dans la continuité de la pratique locale, des agents villageois (AV) ont été identifiés au niveau de chaque groupement, afin d’assurer un encadrement de proximité et durable des groupements. Formés sur la vie associative, les assistants villageois ont l’objectif de transmettre les compétences apprises.

En parallèle, des activités psychosociales sont développées, avec pour objectif de créer un cadre favorable à l’épanouissement individuel et collectif, et de créer des espaces de discussion. Ce volet est coordonné par l’assistante protection de l’OIM basée à Zinder, qui organise des formations pour les AV, des focus group, et des activités récréatives. Enfin, la présente étude vise à améliorer la collecte et analyse des données propres aux flux migratoires depuis cette région.

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Organisation internationale pour les migrations - Niger 23

Le rôle des organisations non-

gouvernementales

Plusieurs organisations sont actives dans la région. L’équipe de recherche a notamment rencontré certains acteurs de GOAL et Save the Children, mentionnés ci-dessous à titre d’exemple.

L’ONG GOAL

Basée à Zinder, elle intervient dans 14 villages parmi les plus touchés par le phénomène migratoire dû au déficit alimentaire. Le ciblage des ménages très pauvres été fait à l’aide de la méthode HEA

10 plus, des groupements ont été mis

en place pour les bénéficiaires, ont été formé en vie associative, ont reçu des kits animaliers et une formation en technique d’élevage. Les femmes ont également reçu une somme de 75 000 Francs CFA chacune pour entreprendre une activité génératrice de revenus.

Initialement, la migration ne faisait pas partie de l’agenda de l’ONG GOAL. Cet objectif a été pris en compte suite à une doléance du maire de Kourni qui s’investit personnellement dans le lobying à l’endroit des ONG pour qu’elles prennent en charge la migration. Chaque fois qu’il rencontre les responsables d’ONG, le maire les exhorte à intégrer la gestion de la migration dans leurs actions. Cet appel du maire semble avoir été entendu au regard de la grande diversité des offres en direction des femmes (âgées, veuves, vulnérables, etc.) dans les deux communes.

L’ONG Save the Children

L’ONG Save the Children vient spécialement en appui aux femmes. Les femmes bénéficiaires reçoivent un cash transfert mensuel de 32 500 Francs CFA/mois pendant 4 mois), En plus du cash, les femmes bénéficie de petits ruminants et d’aliments bétail.

Dans la commune de Tsaouni, Save the Children fait également du cash transfert dans deux villages (El dawa et Maramou) au profit des femmes les plus vulnérables (personnes âgées, femmes veuves, femmes veuves avec enfants à charge). Ainsi, 106 femmes ont bénéficié chacune de 32 500 Francs CFA/mois durant 4 mois. D’autres femmes ont reçu 1 mouton et des aliments-bétail.

10

Household Economy Approach (analyse économie des ménages) est une méthode utilisée dans le cadre du ciblage des populations pauvres et très pauvres.

La gestion des migrations s’opère à travers trois principales portes d’entrée : la préfecture de Matameye, les services techniques et la commune de Kourni. Un cadre de concertation a été mis en place même s’il n’est pas très fonctionnel. Après avoir lancé ses activités en 2013, ce cadre de concertation ne fonctionne pas comme prévu. Pourtant le cadre de concertation devrait être l’espace de rencontres et d’échanges entre les divers acteurs intervenant dans la gestion des migrations.

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CONCLUSION

Dans le département de Kantché, la migration est ancrée dans l’histoire locale à travers d’abord les départs réguliers vers le Nigeria, puis au début des années 2000 des flux importants vers l’Algérie. A ces flux migratoire s’ajoutent en plus des routes vers la Libye, le Soudan et l’Arabie Saoudite. Ces multiples destinations dessinent, pour les populations de Kourni et de Tsaouni, une sorte de territoire de migration, un « marché migratoire » qui offre une diversité d’options aux candidats à la migration. Les migrants ont donc la possibilité de « surfer » sur une carte migratoire qui intègre l’Afrique de l’Ouest (Nigéria et Bénin), l’Afrique du Nord (Algérie, Libye), l’Afrique de l’Est (le Soudan) et le Moyen-Orient (Arabie Saoudite).

Les caractéristiques de la migration se transforment aussi bien du point de vue géographique que catégoriel. Au plan géographique, on assiste depuis le début des années 2000 à une réorientation des migrations en direction de l’Algérie (Nord) aux dépens du Nigeria (Sud). Au plan catégoriel, le flux des femmes et des enfants redéfinie les caractéristiques des migrations dans les communes étudiées. Dans cet éventail de destinations, seules les migrations à destination de l’Algérie sont dominées par les femmes, ne sont pas enfermées dans des temporalités précises (on migre à tout moment) et se combinent avec la migration des enfants. Selon les propos des populations, la migration vers l’Algérie rapporte « d’importantes » ressources financières aux communautés, même si pour l’instant il n’existe pas de données précises.

L’ensemble des entretiens mettent en avant le déficit des ressources tirées de l’agriculture comme principal motif de la migration dans le département de Kantché. Néanmoins, ce motif doit être corrélé avec la détérioration des moyens d’existence (lessivage des terres de culture), le manque d’opportunités d’emploi sur place, la pression démographique et les pressions sociales. Certains motifs semblent spécifiques à la situation des femmes, à l’instar de leur endettement auprès des institutions de micro-crédit, ou de leur responsabilité dans la gestion du bétail et dans la confection des trousseaux de mariage

Il est frappant de relever quelques paradoxes qui caractérisent les perceptions autour de la migration à Kantché. De façon générale et en référence aux ressources qu’elle génère dans les ménages, la migration est appréciée. Mais localement, en

référence aux caractéristiques des migrants, la migration est analysée différemment selon les acteurs concernés : quand ce sont les hommes qui migrent, la société les considère comme des « courageux » tandis que des images négatives sont associées à la migration féminine. Les femmes qui ne partent pas en migration soupçonnent les migrantes de s’adonner à la prostitution une fois en Algérie. De plus, aux discours sur la migration féminine est associé ceux sur les trafics d’enfants, mal dissimulés sous le voile du confiage.

Au sein des ménages de migrants, les migrations féminines modifient les rapports de genre et tendent à inverser les rapports de pouvoir en donnant aux femmes plus d’autorité. Subissant les pressions de leurs épouses candidates à la migration et soutenues par leurs parents, les maris ont peu de pouvoir concernant la décision sur la migration. La migration est, dans un tel contexte, une condition de stabilité du ménage.

Dans les pays de migrations, les migrantes s’insèrent dans des réseaux complexes de mendicité et d’exploitation économique des enfants amenés en Algérie. A travers la lutte contre le « trafic » des enfants et leur protection, les autorités nigériennes font de la migration vers l’Algérie un problème politique en s’impliquant dans le rapatriement des migrants d’Algérie. Ce rapatriement met ainsi fin aux ressources transférées par les migrants. Par contre, on remarque un flux d’appuis aux ménages de rapatriés et les modalités d’accès à ces différents appuis contribuent à redéfinir les stratégies des populations locales.

Les interventions ciblant exclusivement les retournés ont pu inciter les non-migrants à envisager des départs en migration afin que leurs ménages puissent accéder à la rente de la prise en charge. De même les interventions ponctuelles (cash transfert, kits animaliers) ont pu constituer des ressources réinvesties dans le financement des départs en migration.

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Organisation internationale pour les migrations - Niger 25

De la présente étude se dégagent un certain nombre de pistes de recherche. L’équipe de recherche en a identifié en particulier cinq, soit parce qu’elles n’ont pas été suffisamment abordées, soit parce qu’elles ont émergé au cours des entretiens, soit parce qu’elles sont apparues dignes d’intérêt pour la recherche et pour l’action. Ces pistes concernent

La gestion des migrations

o Les dispositifs d’intervention et la gestion de la migration

o Les communes et les migrations féminines o Les services d’état civil o Les services de la police et les déclarations

des enfants en migration

La gestion des divorces (justice, autorités coutumières, etc.) et des grossesses hors mariage

Le processus migratoire

o Les acteurs de la migration : Les chauffeurs et intermédiaires de la migration,

o La prostitution chez les migrantes en Algérie

Les enfants dans la migration o Le confiage des enfants (modalités et

mécanismes) o Le système de ‘’rémunération’’ des enfants

mendiants o Les caractéristiques socio-économiques

des enfants impliqués dans la migration o Focus avec les enfants migrants o Entretiens avec les femmes qui proposent

leurs enfants pour la migration

Le système des valeurs autour de la migration

o Les représentations sociales autour de la mendicité

o Les images associées à la migration et au migrant

Le système informel local du financement de la migration (prêt, emprunt)

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Organisation internationale pour les migrations - Niger

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Partie 2 : Le phénomène de la

traite des personnes dans le

département de Kantché

Introduction Le présent rapport se focalise sur la traite des

personnes dans le département de Kantché. Une

recherche menée en 2015, du 12 au 21 novembre,

sur le phénomène migratoire à Kantché, a révélé

l’existence du phénomène de traite qui touche

particulièrement les femmes et les enfants. Le

présent rapport se focalise essentiellement sur ces

deux catégories avec des femmes qui gèrent et

tirent profit de la traite des enfants. Dans un

rapport antérieur, nous mettions l’accent sur la

place des hommes dans le trafic des migrantes et

des enfants en Algérie. Nous n’allons pas revenir

sur ces aspects mais nous tenterons de les

compléter par des données nouvelles centrées sur

la traite des migrantes et des enfants. Ces

catégories sociales vulnérables se situent désormais

au cœur du changement social qui caractérise le

département de Kantché. La migration des femmes

vers l’Algérie et, subséquemment, les ressources

générées par la traite des enfants qui les

accompagnent redéfinissent les structures sociales

et économiques des ménages de Kantché. Les

migrations de Kantché sont sélectives ;

contrairement à l’idée généralement reçue, elles

touchent essentiellement les femmes « riches »

détentrices d’un certain capital ou capables de

mobiliser à l’intérieur d’un réseau social des

sommes importantes pour supporter les coûts

élevés de transport jusqu’en Algérie11

. Le

phénomène de traite est complexe et cette

complexité tient à son enchevêtrement,

entremêlement avec la migration vers l’Algérie12

.

11

Auxquels il faut ajouter les nombreux rackets. 12

Au moment de l’enquête (juin 2016), on enregistrait 34 morts dont 20 enfants et 9 femmes dans le désert nigérien. Au moins une victime identifiée est originaire du village d’El Dawa (Kantché).

Pour saisir ce phénomène de traite dans sa

complexité et ses manifestations concrètes, dans la

manière dont il est perçu et saisi par les

populations, une étude de type socio-

anthropologique a été conduite à Kantché. Les

analyses de l’étude se base sur un corpus de

données empiriques issues d’entretiens individuels

et collectifs. Notre approche gagnerait à être

complétée par des enquêtes ethnographiques avec

des séjours prolongées au sein des communautés

des migrants de Kantché. Dans cette perspective,

suivre les migrants de Kantché jusqu’à leurs

destinations migratoires, y séjourner et y faire des

observations constituent un idéal qui permettrait

de confronter le discours (entretiens) avec les

pratiques (observées) des migrants.

Les résultats auxquels l’étude est parvenue

fournissent des éléments d’appréciation sur le

dispositif de gestion de la traite et ses déclinaisons

à l’échelle locale et les stratégies et logiques des

acteurs ou victimes de la traite, sa portée et ses

limites. Ces stratégies et ces logiques contribuant à

la reproduction et à la dissimulation du

phénomène. Par ailleurs, le rapport est riche de

données factuelles rassemblées sur les

manifestations de la traite des personnes (modes

opératoire de la traite, circuits de recrutement des

« victimes » de traite, modalités et types d’accords

tacites, etc.).

Le déroulement de l’enquête de terrain

Les enquêtes de terrain se sont déroulées du 9 au

21 mars 2016 dans la région de Zinder, d’abord au

niveau du chef-lieu de région. Elles se sont

prolongées à l’échelle du département de

Matamey, au niveau du chef-lieu des communes de

Kourni et Tsaouni. Elles ont intégré enfin, le niveau

communautaire avec des entretiens individuels et

des focus groups au niveau des villages. Dans cette

perspective, deux villages ont servi de sites

d’enquête, à savoir Gazéré (commune de Kourni) et

El Dawa (commune de Tsaouni). Cette démarche

vise à recueillir, confronter et approfondir les points

de vue tant au niveau de la coordination, de la mise

en œuvre opérationnelle et au niveau des

communautés. Dans le souci de disposer de points

de vue diversifiés et/contradictoires, les entretiens

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ont concerné des responsables de services

déconcentrés, des autorités (régionales,

communales et coutumières), des acteurs de la

société civile locale, les agents des forces de

défense et de sécurité (FDS), des transporteurs au

niveau des autogares, des migrants et ex-migrants,

des parents de migrants, des enfants migrants et

des parents d’enfants migrants. Bien que

productive, cette démarche ne permet pas de saisir

dans sa réalité concrète les véritables conditions de

vie et d’exploitation des enfants en dehors des

récits que nos interlocuteurs acceptent bien de

nous livrer. Nous nous en tenons donc aux discours

des migrants et aux divers témoignages issus des

villages de départ que des acteurs institutionnels

avec lesquels les migrants ont eu des contacts (FDS,

agents d’état civil, etc.).

Si à l’issue des deux semaines d’enquête, un corpus

de 8313

entretiens a pu être constitué, il n’en

demeure pas moins qu’elle a été jalonnée de

quelques difficultés. Parmi celles-ci il y a la forte

méconnaissance du contenu du phénomène de

traite tant au niveau d’acteurs institutionnels qu’au

niveau des communautés.

Résumé analytique de l’étude

Les trois principaux résultats de cette étude sur la

traite des personnes dans le département de

Kantché sont les suivants :

1. Encadrement juridique du phénomène de

traite

Le Niger dispose d’une ordonnance qui encadre

juridiquement le phénomène de la traite des

personnes. Ce texte a fait l’objet d’amendements

en vue de le rendre applicable sur le terrain. Cela

est une grande avancée. Mais, l’ordonnance est

encore mal connue des communautés auxquelles

elle est sensée s’appliquer. Sur le terrain,

l’application de l’ordonnance 2010-86 butte sur le

13

Pour la liste des entretiens, se référer à l’Annexe 1. Le cherhceur a éé assisté d’une équipe constituée de jeunes sociologues, tous titulaires d’un Master. Il s’agit de Manou Nabara Hamidou, Sani Ahmet Elhadji Bachir, Hamissou Ibrahim.

respect des procédures judiciaires liées à l’enquête,

à la constitution des éléments de preuve, etc.

Une des difficultés résulte du fait que la traite, en

dehors du recrutement des enfants, a lieu hors du

Niger. Elle ne peut pas être saisie par le dispositif en

vigueur, tant que la justice n’est pas saisie. Or les

plaintes autour de l’exploitation des enfants

amenés en Algérie sont rares parce qu’elles

s’opèrent à l’intérieur des familles.

2. Manifestations de la traite des personnes

La gestion de la traite des personnes est difficile et

cette difficulté tient à son enracinement dans les

discours et les pratiques des communautés.

Nombre de discours incitent les femmes à migrer

en y amenant des enfants parce qu’elles

« gagneraient plus avec les enfants» que

lorsqu’elles décident de migrer seules. Ce discours

incitatif pousse vers une sorte de « course aux

enfants ». La traite a un caractère familial, caché et

régulé par des normes sociales et des accords

tacites à l’intérieur desquels circulent les enfants.

Les règles de « recrutement » des enfants migrants

s’appuient sur les liens de parentés. Le mode

opératoire de ces accords rend diffuses les

complicités au sein des communautés d’origine des

migrants et des enfants, avec la « confiance »

comme norme de base des accords.

Une fois en Algérie, la mendicité constitue la

matrice commune des activités exercées par les

migrantes et les enfants. Dans le prolongement des

accords tacites passés entre les migrantes et les

parents des enfants amenés en Algérie, ceux-ci sont

tenus de remettre chaque soir à leurs tutrices les

sommes collectées dans la mendicité. Une partie

des sommes engrangées est envoyée aux parents

des enfants restés au village. Les migrantes qui

amènent plusieurs enfants en Algérie font des

‘’placements’’ rentables auprès de migrantes ou de

migrants partis seuls en Algérie.

3. Les limites du mécanisme de gestion de la

traite des personnes au Niger

Certains acteurs essentiels dans la lutte contre la

traite des personnes ne sont pas assez impliqués

dans les actions entreprises.

C’est le cas des autorités coutumières (chefs de

village) qui interviennent dans les marges du

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Organisation internationale pour les migrations - Niger

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dispositif de gestion de la traite, sans aucun

ancrage institutionnel à celui-ci. De nombreuses

« bonnes pratiques » observées sur le terrain chez

certains chefs de village encouragent à leur

intégration au dispositif de lutte contre la traite des

personnes et, par extension, à l’intégration du

niveau communautaire à ce dispositif.

Les possibilités d’arrangement sur les routes

migratoires limitent l’efficacité du dispositif de

contrôle. Les migrations des femmes vers l’Algérie,

avec ou sans enfants, est une nouvelle source

d’enrichissement tant pour les FDS (à travers les

rackets), pour les transporteurs (qui appliquent des

tarifs élevés) que pour les familles (qui espèrent

recevoir en retour des ressources monétaires). Sur

le terrain, face au renforcement du dispositif de

contrôle étatique, les migrantes inventent sans

cesse de nouvelles stratégies de contournement,

trouvent de nouveaux itinéraires. En les éloignant

du dispositif étatique de contrôle, ces

contournements rapprochent les migrantes des

réseaux de trafiquants.

Enfin, la très faible compréhension du phénomène

par les communautés locales, leur quasi ignorance

des mécanismes existants pour prévenir et lutter

contre les trafiquants, et protéger les victimes,

constitue une limite considérable au dispositif de

lutte contre la traite des personnes. Pourtant,

celles-ci pourraient être impliquées et jouer un rôle

important ne serait-ce que dans la prévention à

travers la dénonciation des pratiques de traite.

Le cadre juridique et institutionnel de

la lutte contre la traite des

personnes.

L’Etat du Niger s’est engagé dans la lutte contre la

traite des personnes à travers la ratification

d’instruments régionaux et internationaux de

protection des droits humains ou relatifs à la traite,

la définition d’un cadre juridique et la mise en place

de structures chargées de la mise en œuvre de la

loi.

Le cadre juridique

L’engagement du Niger par rapport aux instruments

internationaux et régionaux qu’il a ratifiés va se

traduire par l’adoption de l’Ordonnance n° 2010-86

du 16 décembre 2010. Cette Ordonnance vise 3

principaux objectifs :

- Prévenir et combattre la traite des

personnes, en particulier les femmes et les

enfants ;

- Protéger, soutenir et assister les victimes

en faisant respecter leurs droits

fondamentaux ;

- Punir les trafiquants pour toute infraction

relative à la traite.

Une étude sur la traite des personnes s’engagera :

(1) à décrire et analyser l’organisation et le

fonctionnement du dispositif de lutte contre la

traite des personnes ; (2) à saisir les mécanismes

concrets de protection et d’assistance aux victimes

de traite ; (3) à saisir le niveau d’application des

sanctions prévues en matière de traite.

En son article 2, l’Ordonnance 2010-86 du 16

décembre 2010 définit les contours juridiques de la

« traite des personnes ». La traite des personnes

renvoie à :

« toute opération ou action qui vise à

recruter, transporter, transférer,

héberger ou accueillir des personnes,

par la menace de recours ou le recours

à la force ou à d’autres formes de

contraintes, par enlèvement, fraude,

tromperie, abus d’autorité ou d’une

situation de vulnérabilité ou par l’offre

ou l’acceptation de paiement

d’avantages pour obtenir le

consentement d’une personne ayant

une autorité sur une autre aux fins

d’exploitation ».

En référence à cette définition, trois éléments

fondamentaux structurent l’analyse de la traite des

personnes : une action (recruter, transporter,

transférer, héberger ou accueillir des personnes), le

moyen (la menace de recours ou le recours à la

force, d’autres formes de contraintes, enlèvement,

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Organisation internationale pour les migrations - Niger

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fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une

situation de vulnérabilité, offre ou acceptation de

paiement d’avantages) et le but (exploitation). De

plus, la traite fait intervenir plusieurs catégories

d’acteurs qui occupent des positions variées: des

« recruteurs », des « transporteurs », les « hôtes »,

etc.

En raison du rôle important de médiateurs qu’ils

jouent, les transporteurs font l’objet d’une

attention particulière dans la lutte contre la traite

des personnes. Ils sont soumis à des obligations et

sanctions précisées par les articles 19 et 20 de

l’Ordonnance de 2010 sur la traite des personnes.

Au regard de cette Ordonnance, les transporteurs

se situent à l’avant-garde de la lutte contre la traite.

Se situant au premier niveau du contrôle des

voyageurs, les transporteurs :

« sont tenus de s’assurer que les

passagers possèdent les documents,

quels qu’ils soient, requis pour entrer

au Niger et y transiter »

Tout manquement à cette obligation est considéré

comme un délit et expose le transporteur à une

sanction (paiement d’une amende allant de

200.000 Francs CFA à 500.000 F CFA). L’amende en

espèces infligée aux transporteurs est corrélée à un

manque à gagner que le transporteur doit

supporter car les frais afférents à la rétention de la

personne au Niger et à sa reconduite ou à son

rapatriement hors du territoire national sont à la

charge du transporteur.

L’exploitation englobe un ensemble d’activités

répréhensibles incluant l’esclavage ou les pratiques

analogues à l’esclavage, la servitude, l’exploitation

d’organes, l’exploitation de la prostitution d’autrui

ou d’autres formes d’exploitation sexuelles,

l’exploitation de la mendicité d’autrui, l’exploitation

du travail ou des services forcés (art. 10). Deux

alinéas de cet article 10 donnent des précisions

importantes qu’il n’est pas inutile de relever :

Pour les enfants mineurs de moins de 18 ans, le

transport, l’hébergement, le transfert ou l’accueil

aux fins d’exploitation sont systématiquement

considérés comme une traite des personnes.

La traite des personnes est une infraction pénale et

toute personne la commettant est passible d’une

peine d’emprisonnement de 5 à 10 ans et d’une

amende de 500 000 à 5 000 000 de Francs. Selon le

plan d’action national de lutte contre la traite, au

Niger, la traite a un profil national et un profil

international. Cette dualité de la traite s’explique

par la position géographique du pays qui en fait un

pays de transit dans les migrations internationales

entre les pays d’Afrique de l’Ouest et les pays du

nord. A la traite liée aux migrations s’ajoute un

profil interne lié aux migrations internes au

territoire nigérien. Le Niger est à la fois un « pays

d’origine de la traite, un pays de destination de la

traite et un pays de transit de la traite ». C’est sous

ce triptyque qu’il y a lieu d’envisager la présente

étude sur la traite. En effet, des populations

nigériennes sont victimes ou acteurs de la traite

lorsqu’elles migrent vers l’Algérie. Pays de

destination de la traite, le Niger reçoit des

immigrants de la sous-région ouest africaine qui

s’adonnent ou sont victimes de traite.

Le cadre juridique nigérien en matière de lutte

contre la traite des personnes est relativement

étoffé. Comment se déploie-t-il concrètement sur

le terrain ?

Le cadre institutionnel

La mise en œuvre de l’ordonnance 2010-86 sera

confiée à deux structures, à savoir :

- la Commission nationale de coordination

de lutte contre la traite des personnes

(CNCLTP)14

avec pour mission d’assurer

l’impulsion, la conception et l’élaboration

des politiques et programmes relatifs à la

prévention de la traite des personnes ; et

- l’Agence nationale de lutte contre la traite

des personnes (ANLTP)15

, structure

opérationnelle d’exécution, de mise en

14

Décret 2012-082 du 21 mars 2012 déterminant l’organisation, la composition et le fonctionnement de la commission nationale de coordination de lutte contre la traite des personnes.

15 Décret 2012-083 du 21 mars 2012 déterminant l’organisation, la composition et les modalités de fonctionnement de l’agence nationale de lutte contre la traite des personnes.

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œuvre du plan d’action national16

, des

politiques et stratégies nationales

adoptées par la commission nationale.

Structure opérationnelle d’exécution, l’ANLTP (que

nous convenons d’appeler « agence nationale ») se

déploie sur le terrain à travers certains organes.

Quoique placée sous l’autorité du ministre de la

justice, l’agence nationale est une structure

administrative indépendante dotée d’une

autonomie financière.

L’agence nationale a des démembrements aux

niveaux régional, départemental et communal. Au

niveau régional, elle est représentée par des

cellules de conseil instituées au niveau du chef-lieu

de chaque tribunal de grande instance ; elles sont

dirigées par le Procureur de la République, point

focal de l’ANLTP. Le procureur est assisté par le

service social du TGI, qui a pour mission selon

l’arrêté portant création des services sociaux des

juridictions, de mettre en œuvre les mesures de

protection, d’aide et d’assistance au profit des

victimes et témoins de la traite. Le service social

intervient selon 4 paquets d’activités que sont : les

enquêtes sociales (mineurs et adultes) ; la

protection judiciaire juvénile (exécution des

décisions de justice), la resocialisation des

délinquants et l’assistance aux victimes de traite

adultes et mineurs. Le service ne fait pas de la

prévention.

Les principales activités réalisées par l’ANLTP

concernent essentiellement la formation à l’endroit

d’une grande diversité d’acteurs impliqués dans la

lutte contre la traite des personnes. « Essayant de

s’installer »17

, les activités de l’agence se limitent

pour l’instant au niveau des régions ; ses activités

sont « moins visibles au niveau des départements

et des communes »18

. Le fonctionnement de

l’ANLTP peut également être évalué à partir du

volume de dossiers de traite traités. Ainsi, « en

2014, l’agence a enregistré 139 dossiers de

traite »19

sur l’ensemble du territoire national.

16

Adopté par décret 2014-488 du 22 juillet 2014. 17

Agent de l’ANLTP, Niamey le 4 juillet 16 18

Ibid. 19

Ces statistiques ont été fournies par un agent de l’ANLTP, 4 juillet 2016.

Il faut, enfin, noter que pour le cas des enfants il

existe la direction régionale de protection de

l’enfant qui assure la coordination et la prise en

charge des enfants victimes de violences et

exploitation de manière générale, y compris les

victimes de la traite.

Dans les départements, les bureaux sont institués

au niveau des tribunaux d’instance et dirigés par les

présidents de ces juridictions. Dans les communes,

l’agence est représentée par des bureaux d’écoute

et de référencement dirigés par les maires.

A travers cette organisation, l’ANLTP vise un

maillage complet du territoire national calqué sur le

modèle de l’administration du territoire. Faire

reposer le fonctionnement de l’agence (au niveau

local) sur des magistrats constitue à la fois un

avantage et un inconvénient. L’inconvénient est lié

à l’instabilité des magistrats qui en assurent le

fonctionnement. Dans la justice, en effet, les

magistrats sont constamment affectés sur la carte

judiciaire (à peu près tous les 2 ans). Le

fonctionnement des bureaux locaux se trouve ainsi

affecté par le manque de continuité lié à la mobilité

des magistrats sur la carte judiciaire.

Un ancrage communal à renforcer

L’ancrage communal du dispositif de lutte contre la

traite s’exprime à travers la présence d’un point

focal OIM au niveau de la commune pour animer la

mise en place des groupements villageois et suivre

la mise en œuvre de leurs activités sur le terrain. Il

n’est pas inutile de rappeler que dans le cadre de

ses projets de réintégration pour les retournés et

de stabilisation communautaire, l’OIM appuie 135

groupements composés chacun d’environ 15

membres.

Les structures communautaires, les familles

d’accueil, les brigadiers

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Les familles d’accueil sont au nombre de 12 dans la

ville de Zinder. Les familles d’accueil sont choisies

parmi les familles des 52 chefs de quartiers. Parmi

les 12 familles d’accueil, 5 sont officiellement

reconnues comme brigadiers éducatifs de vigilance.

Une formation des 52 chefs de quartiers et de leur

épouse sur l’identification des victimes de traite,

leur référencement et la prise en charge des

victimes est prévu pour la fin de juillet.

A côté des structures communautaires, on note

quelques initiatives locales qui contribuent à

réduire le départ des enfants en migration. Dans le

village de Gajéré, situé dans la commune de Kourni,

une des communes les plus touchées par le

phénomène de la migration féminines, les élus

locaux sont parfois mis à contribution pour

empêcher le départ des enfants. Un parent

d’enfant migrant explique le mode opératoire de

cette initiative :

« On refuse les départs des élèves en

migration. Si le chef de village apprend

qu’on va amener un enfant en cours de

scolarité, il essaie d’en dissuader les

parents. Si ces derniers insistent, le chef

de village en informe le maire de Kourni

qui, à son tour appelle la police de

Matamey pour qu’on intercepte les

parents concernés. Mais le problème est

que les gens partent discrètement ! »,

(père d’enfants migrants, Gajéré, 13

mars 16).

Le mécanisme de référencement mis en place dans

la commune de Kourni pourrait contribuer à réduire

les départs des enfants scolarisés en migration.

Mais il paraît se focaliser sur les élèves, laissant de

côté la masse d’enfants non scolarisés impliqués

dans la migration. Deuxièmement, le dispositif ne

peut véritablement fonctionner que lorsque le chef

de village est informé des départs. Sur ce point, un

grand nombre de départs se font de manière

totalement discrète, échappant ainsi au « dispositif

local de contrôle ».

La migration et la traite dans les documents

de planification

Alors que tout le monde s’accorde sur l’ampleur de

la migration à Zinder, la problématique de la traite

est par contre marginalement prise en compte dans

les documents de planification et les stratégies de

développement, surtout l’aspect traite des

personnes. Selon le président du Conseil régional

de Zinder :

« Le Conseil régional ne fait rien sur la

traite… Le conseil régional a adopté un

plan de développement régional qui

décline les stratégies de développement

global. Le PDR définit les politiques

générales, les secteurs d’investissement

prioritaire. Il ne touche pas directement

la migration », (président du Conseil

régional, Zinder, 10 mars 2016).

Les manifestations de la traite

Les actions et les stratégies de

« recrutement » des enfants

Le processus de « recrutement » des enfants

amenés en migration constitue la phase

déterminante pour saisir le caractère caché de la

traite et son enracinement dans les réalités sociales

et dans les logiques familiales. Le recrutement des

enfants se fait à l’intérieur des familles au sens

large ; cela rend quasi impossible les dénonciations

puisque tout le monde en tire profit.

Les femmes sont les plus impliquées dans le

recrutement des enfants en partance pour l’Algérie.

Les caractéristiques des enfants impliqués

dans la traite

Les enfants amenés en Algérie sont issus de

ménages vulnérables et moins vulnérables. Les

enfants des deux sexes sont concernés par le

départ en migration en Algérie. Ils ont un âge

compris entre 5 ans et 15 ans. Au-delà de 15 ans,

ceux-ci n’attirent pas l’aumône. Les enfants les

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moins âgés sont les plus sollicités par les migrants.

En raison de leur jeune âge et de leur degré de

vulnérabilité, ils attireraient plus la pitié aux yeux de

ceux qui font l’aumône en Algérie :

L.I. est une ex-migrante rentrée à Gajéré

depuis 2 mois et 10 jours. Agée de 30

ans, elle a 4 enfants. Elle est allée en

Algérie avec ses deux plus jeunes

enfants, laissant les plus âgés prendre

soin de leur père. Pour financer son

voyage en Algérie, L.I. a emprunté de

l’argent auprès du groupement du

village.

Amenés loin de leurs enfants, les enfants

deviennent vulnérables sans aucune protection

contre toute forme de violence :

« Lorsqu’ils ne ramènent pas beaucoup

d’argent le soir, on frappe les enfants ou

on les renvoie pour en chercher

davantage », (focus group avec les

enfants, Gajéré, 12 mars 16)

Les femmes partent en migration avec autant

d’enfants qu’elles peuvent, pourvu qu’elles aient les

moyens de leur assurer les frais de transport. Une

fois en Algérie, les enfants sont utilisés dans la

mendicité dont les fruits sont récupérés par les

tutrices. La journée de travail (mendicité) des

enfants commence à 8h00 et prend fin à 17h00.

Une fois rentrés chez eux, les tuteurs récupèrent

l’argent gagné par les enfants.

Des discours incitatifs

Les discours incitatifs le plus souvent adressés aux

parents portent sur les gains escomptés:

« Ils disent que là-bas les enfants ne

travaillent pas et il y a à manger tout le

temps », (SG de préfecture, Matamey, 18

mars 16)

La femme est l’acteur central dans les

« négociations » d’enfants à amener en migration.

Les candidates à la migration négocient avec les

mères des enfants qu’elles ont ciblés pour la

migration.

« Elles disent qu’ils auront de l’argent et

qu’une partie sera remise aux parents

des enfants migrants », (conseiller

municipal, Kourni, 12 mars 16)

En acceptant de laisser partir leurs progénitures en

migration, les parents espèrent obtenir des

ressources financières en retour. Dans un contexte

où l’économie locale semble reposer en partie sur

les ressources de la migration, avoir des enfants

constitue une « source de revenus » pour les

parents migrants ou non migrants.

La majorité des enfants auprès desquels des focus

group ont été réalisés disent ne pas savoir ce qu’ils

feraient comme travail en Algérie. Nombre d’entre

eux ont été déçus du travail auquel ils ont été

soumis par leurs tuteurs ou leurs parents :

« La majorité des enfants (8 sur 11)

ignoraient le travail qu’ils allaient exercer

en Algérie… J’étais déçu quand j’ai

découvert qu’il s’agissait de la

mendicité », (un membre de focus

group, Gajéré, 12 mars 16)

Tous les enfants ayant participé au focus group ont

une expérience migratoire vers l’Algérie. Ils y ont

été avec leurs propres parents, la mère en général.

Un d’entre eux y est allé avec son père et deux

autres avec leurs grands-mères.

Deux niveaux de discours coexistent autour des

migrations vers l’Algérie. Le premier niveau de

discours est de type public à travers lequel la

migration est associée à l’idée d’insécurité

alimentaire. Selon ce discours, les parents se

sentent obligés d’amener les enfants en migration

parce que les ressources alimentaires seraient très

limitées et qu’ils n’auraient personne à qui les

confier lorsqu’ils partent en migration :

« Les gens qui n’ont pas à qui confier

leurs enfants sont obligés de les amener

en migration à moins qu’ils soient

scolarisés. Si l’enfant est scolarisé, le chef

de village s’implique en les faisant

intercepter dès Matamey », (chef de

village, El Dawa, 16 mars 16)

La scolarisation apparaît dans le discours du chef de

village d’El Dawa comme une protection des

enfants contre leurs départs en migration.

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L’efficacité d’une telle protection repose sur la

scolarisation et le maintien des enfants à l’école.

Elle exige une implication des structures scolaires

communautaires (le Comité de gestion

décentralisée des établissements scolaires (CGDES),

l’Association des parents d’élèves (APE), etc.) et des

enseignants dans un rôle de veille et de

signalement. L’extrait d’entretien du chef de village

d’El Dawa révèle, entre les lignes, les limites de son

intervention : ses actions seraient plus efficaces

lorsqu’il s’agit d’enfants scolarisés et s’il a été saisi

du départ en migration des enfants. Cela montre

également que les autorités coutumières

pourraient constituer un maillon important de la

lutte contre la traie des enfants.

Le second niveau de discours qui renvoie aux

raisons cachées met l’accent sur les retombés de la

migration, sur « ce qu’on gagne avec les enfants ».

Vraisemblablement, les raisons économiques

semblent l’emporter sur le discours public de

justification.

Les accords tacites entre parents

« Les parents proposent leurs propres

enfants dans l’espoir d’obtenir une part

de ce qu’ils gagneront en migration.

C’est pourquoi certains parents confient

eux-mêmes leurs enfants aux candidats à

la migration », (S-G préfecture,

Matamey, 18 mars 16)

Certains interlocuteurs ont évoqué des cas de

« aro » qui correspond au « prêt ». C’est-à-dire que

certaines mères n’ayant pas les moyens de migrer

n’hésitent pas à prêter leurs enfants aux migrantes.

Les accords tacites prennent forme à travers la

répartition des fonds envoyés d’Algérie entre la

famille des migrantes et les parents des enfants

amenés en Algérie :

« Quand elles envoient l’argent, par

exemple 100 000 Francs CFA, la famille

de l’enfant aura 20 000 Francs CFA »,

(conseiller municipal, Kourni, 12 mars16)

Une ex-migrante donne un autre ordre de grandeur

des montants qui reviennent aux familles des

enfants amenés en migration :

« Celui qui n’a pas d’enfant en cherche

au sein de sa famille élargie. Lorsqu’il

envoie par exemple 150 000 Francs CFA,

on donne 50 000 Francs CFA aux parents

de l’enfant », (ex-migrante, Gajéré, 13

mars 16)

Les accords tacites sont parfois remis en cause ou

difficiles à honorer par les migrantes vis-à-vis des

enfants amenés en migration. En cas de

désaccords, les relations se brouillent et l’affaire est

portée devant les juridictions locales. C’est le plus

souvent à ce moment que la justice se saisit du

dossier et découvre les pratiques de traite. Parmi

les nombreux exemples cités par les populations

rencontrées, un cas a retenu notre attention.

L’histoire est racontée par l’agent d’état civil de

Tsaouni. En voici un extrait :

« C’est le cas d’une femme qui est en

prison actuellement. Elle avait pris la fille

d’une autre femme, elles ont emprunté

les frais de transport pour partir. La fille

mendiait en Algérie, au retour la femme

a refusé de lui donner sa part (700 000

Francs selon la fille). La mère de la fille a

porté plainte à la justice qui a enfermé la

femme. Dans un premier temps le juge a

voulu les réconcilier pour que la femme

migrante donne 250 000 Francs à la fille,

mais elle a refusé », (agent d’état civil,

Tsaouni)

Bien qu’étant au centre des accords tacites entre

parents et migrants, les enfants n’ont pas de

décision à prendre. Ils se soumettent aux décisions

prises « pour eux » par leurs parents. Les rapports

intergénérationnels qui lient l’enfant à ses parents

fait de ce dernier un acteur passif dans les projets

qui touchent pourtant à son devenir. Sur ce point,

on remarque le droit à la participation inclus dans la

Convention relative aux droits des enfants est loin

d’être en vigueur dans les milieux ruraux que nous

avons étudiés. L’enfant devient ce que les parents

ont décidé pour lui. Il subit l’influence d’une

communauté reconstruite en Algérie sur le modèle

des normes sociales du village d’origine.

Les accords tacites témoignent du degré de

complicité des parents dans la migration de leurs

enfants en direction d’Algérie. Ce degré de

complicité affaiblit l’efficacité des mesures prises

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pour lutter contre la migration et par extension, la

traite des enfants en Algérie :

« Le voyage a été fait avec l’accord de

leurs pères respectifs qui les ont même

accompagnés dans la plupart des cas

jusqu’à Matamèye. Nous sommes

informées par nos mères des activités

que nous allons exercer une fois en

Algérie qui résument à la mendicité »,

(focus avec des enfants migrants, 12

mars 16, Gazéré)

Cet extrait d’entretien réalisé avec des fillettes

âgées de 5 à 15 ans, toutes ayant migré en Algérie

avec leurs mères, situe le niveau d’implication des

parents dans la décision de migrer. On remarque

que les pères ne sont pas totalement absents de la

migration de leurs enfants, puisqu’ils leur arrivent

de les accompagner jusqu’à Matamey afin de

s’assurer qu’ils partent bien.

Les espaces de « recrutement » des enfants

Les enfants étant le plus souvent recrutés au sein

de la famille, il y a peu de négociations.

« Il n’y a pas de longues négociations, ni

de montant fixe. En plus, on décharge les

parents d’une bouche à nourrir »,

(président du syndicat des transporteurs,

Matamey, 19 mars16)

Un des nombreuses explications avancées pour

justifier le départ des enfants en migration rejoint

la thèse de la ‘’sécurisation alimentaire’’ des

ménages. Le départ des enfants en migration

apparaît réduirait les charges des ménages en

termes de ressources alimentaires. Les enfants

étant considérés comme une « charge », leur

présence en grand nombre exerce une pression sur

les biens alimentaires déjà maigres des ménages.

La plupart des migrantes vers l’Algérie partent avec

leurs propres enfants. Mais celles qui n’en ont pas

en négocient auprès de leurs proches (choisis dans

le cercle de la famille ou du voisinage) pour avoir

des enfants avec lesquels aller en Algérie. La

confiance et le « sérieux » sont les normes qui

peuvent pousser les parents à confier leurs enfants

à des migrantes :

« Il y en [des migrantes] qui sollicitent les

parents pour aller avec leurs enfants en

Algérie. Mais pour que les parents

acceptent, il faut que la personne soit

quelqu’un qu’ils connaissent », (chef de

village de Gajéré, 13 mars 16)

Contrairement aux pères qui décident d’aller seuls

en migration, les mères ont, de leur côté du mal à

abandonner leurs enfants et d’aller en migration.

C’est en partie ce qui explique que les femmes

soient accompagnées d’enfants à bas âge

lorsqu’elles en ont.

Les « clauses » des accords entre migrants et

parents d’enfants migrants sont bien connues. Les

deux parties savent que les enfants seront utilisés

dans la mendicité, une fois en Algérie. Cela n’est un

secret pour personne dans les villages de Kantché.

De plus, les parents et les migrants utilisent les

enfants à leur propre profit car les fruits de la

mendicité sont essentiellement répartis entre ces

deux catégories d’acteurs. Cet état de fait montre

bien que les enfants sont exploités doublement, à

la fois par ceux qui les amènent en Algérie et de

l’autre par leurs parents. Cette analyse fait sens

lorsque l’on se positionne du point de vue

juridique. D’un point de vue sociologique, l’opinion

populaire tend plutôt à valoriser l’enfant qui a

accepté d’aller en migration en Algérie afin de

subvenir aux besoins de ses parents. Dans le village,

un tel enfant « faisant la fierté » des parents a

tendance à être montré en exemple. C’est

sûrement cette image « valorisante » de l’enfant-

mendiant qui est mobilisée pour inciter les autres

enfants à accompagner les migrantes, y compris au

prix de quitter l’école. L’accent est mis moins sur

l’activité avilissante exercée par l’enfant que sur les

ressources qu’il est en mesure de transférer à ses

parents restés au village ou avec lesquels il vit en

Algérie. Les terrains d’étude se caractérisent par

une culture du mimétisme où « faire comme

l’autre » ou « ressembler à l’autre » sont des

déterminants sociaux du comportement (voir

rapport sur les migrations à Kantché). Ainsi, à

défaut de pouvoir partir elles-mêmes, les mères

confient leur destin à leurs enfants.

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35

Au-delà de 13 ans, les enfants sont de moins en

moins sollicités par les migrantes. Celles-ci

préfèrent amener des enfants plus jeunes pour, dit-

on localement, attirer la pitié des Algériens.

« Il est difficile pour les migrantes de

travailler ; elles ne font que la mendicité.

Les femmes partent avec les enfants

parce qu’elles gagnent plus. Si la femme

a plusieurs enfants, elle peut avoir

jusqu’à l’équivalent de 150 000 Francs

CFA par jour ; si elle n’a pas d’enfant, elle

peut avoir à peu près 50 000 Francs CFA

par jour », (chef de village de Gajéré, 13

mars 16)

Les montants annoncés par le chef de village

doivent être pris avec réserve tant qu’ils ne

proviennent pas d’une enquête rigoureuse ;

néanmoins, ils permettent d’avoir un ordre de

grandeur des retombés de la mendicité en général

et de celle des enfants en particulier.

Les enfants très jeunes sont beaucoup plus dociles,

ils ne peuvent pas décider de leur sort et se

soumettent aux injonctions de leurs parents.

Lorsqu’ils atteignent 13-14 ans, ils sont à la porte

de l’adolescence et sont susceptibles de contester

l’autorité des parents ou de celles qui les amènent

en migration. A cet âge, ce sont les enfants eux-

mêmes qui sollicitent les migrantes s’ils ne

s’organisent pas en groupe pour aller en Algérie.

En Algérie, les conditions d’hébergement des

migrants sont déplorables. Ils n’ont pas

d’habitations fixes. La majorité vit dans la rue ou à

côté des mosquées, certains au niveau des

autogares. Ceux qui ont économisez un peu

d’argent gagné dans la migration achètent des

bâches avec lesquelles ils montent des tentes qui

leur servent d’habitation. Dans certaines villes, un

espace est cédé aux migrants à la périphérie. Il

arrive souvent que des autochtones arabes

proposent gratuitement aux migrantes

accompagnées d’enfants de s’abriter dans les

maisons en chantier qu’ils sont en train de

construire.

Les activités exercées par les enfants en

Algérie

Le phénomène de la traite observée chez les

ressortissants nigériens en Algérie met d’un côté

des victimes (les enfants) et de l’autres les auteurs

(les parents biologiques des enfants, les parents

proches et d’autres nigériens). La traite des enfants

est interne à la communauté nigérienne originaire

de Kantché. Une fois amenés en Algérie, les enfants

s’adonnent à la mendicité. Le mode opératoire est

quasiment le même et se caractérise par sa relative

simplicité :

« Les enfants sont utilisés dans la

mendicité et ce qu’ils gagnent revient à

celui qui les a amenés », (chef de village,

El Dawa, 16 mars 16)

« Il s’agit d’une activité simple qui n’a pas

besoin d’un fonds pour commencer. Il

suffit juste d’avoir une petite tasse et

s’installer partout où elles veulent. Les

enfants se retrouvent dans la même

situation que les tutrices ou leurs mères,

Ils mendient dans un rayon limité autour

de leurs mères ou tutrices ; mais il arrive

souvent que les enfants aillent au-delà

du rayon et quémander au niveau des

magasins et revenir donner à leurs

mères ce qu’ils reçu», (ex-migrante)

Les enfants sont exploités par ceux qui les ont

amenés en Algérie ; les fruits de leur mendicité sont

récupérés par les « tuteurs ».

« Aux enfants qui sont capables de

mendier, on leur donne des tasses.

Quant aux plus petits, ils s’asseyent à

côté de la migrantes en bordure de

routes », (conseiller municipal, Kourni,

12 mars 16)

La mendicité des enfants présente une matrice

commune que décrit cet extrait d’entretien. Le

mode opératoire est simple : les « parents »

obligent les enfants à aller mendier et, en retour à

récupérer l’argent que ceux-ci reçoivent.

« Les adultes s’assoient et les enfants

circulent au niveau des boutiques.

Certains se placent au niveau des

mosquées. Les enfants ramènent à la

femme qui les a amenés ce qui reçoivent

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Organisation internationale pour les migrations - Niger

36

des passants », (ex-migrante, Gajéré, 13

mars 16)

Les synergies et collaborations entre acteurs

L’implication des acteurs locaux dans la lutte contre

la traite des personnes est fortement tributaire de

leur niveau de compréhension du phénomène.

Nombre de représentants de l’autorité locale

affirme avoir un vague niveau de connaissance des

contours du phénomène de la traite :

« Je ne comprends pas bien ce que veut

dire traite ! J’ai entendu qu’une

formation a été donnée sur la traite,

mais j’ignore par qui !», (une autorité de

Zinder, 10 mars 16)

Il faut souligner qu’en février 2016, l’OIM a formé

une dizaine d’ONGs locales travaillant sur la traite.

Cette formation a porté essentiellement sur la

définition de la traite, la prise en charge, le

référencement.

Selon d’autres personnes rencontrées :

« Le thème de traite n’est pas beaucoup

connu. Même ceux qui travaillent là-

dessus n’en ont pas une parfaite

maîtrise… », (chef sous-bureau OIM et

assistante psychosociale, Zinder, 11 mars

16)

A la méconnaissance des contours du phénomène

de traite, s’ajoute celui de la faible maîtrise du

dispositif de prévention et de gestion de ce

phénomène. Ces écueils sont révélateurs du niveau

de coordination des interventions en matière de

lutte contre la traite. Les réponses de certaines

autorités locales laissent à penser que la

coordination constitue le principal parent pauvre

des interventions. A Zinder, il y a un comité sur

migration, un comité de protection de l’enfant. Par

contre, il n’existe aucun comité sur la traite, en

dépit de la récurrence du phénomène dans cette

région.

Cette ignorance est encore plus accrue au niveau

des populations, actrices ou victimes de traite. Il est

attendu des populations qu’elles apportent leur

collaboration dans la lutte contre la traite, en

s’engageant dans la dénonciation du phénomène.

Pour que leur action soit efficace, les populations

doivent disposer de connaissances sur ce qu’est la

traite :

« Les gens savent que l’exploitation des

enfants est interdite ; mais ils ignorent

les sanctions. Il faut une large

sensibilisation des chefs traditionnels

pour qu’à leur tour ils sensibilisent leurs

administrés », (maire de Tsaouni, 15

mars 16)

Sur le terrain, le dispositif de lutte contre la traite

des personnes est en train de se mettre en place

avec un ancrage au niveau des tribunaux locaux. On

constate que ce sont les structures chargées de la

protection de l’enfant qui ont intégré la lutte contre

la traite des personnes dans leurs cahiers des

charges. Ces structures se rencontrent parmi les

ONGs locales ou les antennes d’ONGs de défense

des droits humains, aucunes de ces structures ne

conduit de programme spécifiquement sur la lutte

contre la traite des personnes. Au regard des

expériences dont elles disposent dans le domaine

de la protection des enfants, ces ONGs constituent

un réseau sur lequel on pourrait bâtir le dispositif

sur la lutte contre la traite des personnes. Dans

divers domaines complémentaires à la traite des

personnes, les ONGs ont reçus des formations

intéressantes qui pourraient être complétées par la

formation sur la traite :

« Je n’ai pas assez de notion sur la

question de la traite des personnes, mais

nous avons eu plusieurs sessions de

formations sur l’éducation des enfants, la

protection de l’enfant et les droits de

l’enfant avec Oxfam, Save the Children,

SNV et GIZ. Notre ONG s’intéresse

principalement à la récupération et

l’éducation des enfants vulnérables »,

(président de l’ONG ASEC/MUNGANE,

Zinder, 10 mars 16)

Par ailleurs nombre de ces ONGs interviennent

dans le département de Kantché, considéré comme

principal point de départ des enfants migrants vers

l’Algérie.

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Organisation internationale pour les migrations - Niger

37

Nombre d’ONGs ont reçu des formations sur des

thèmes proches de la traite comme, par exemple, la

migration :

« Nous avons participé pendant deux

jours à la formation à Zinder en février

2016. La formation a porté sur la

protection de l’enfant, la migration. Nous

avons vu les différentes lois sur la

migration au niveau national et

international. Une des thématiques

importantes de la formation était celle

de la traite des personnes. A l’issue de la

formation, on a eu une compréhension

précise de la traite des personnes. Il y a

trois à quatre éléments par rapport à la

traite que j’ai retenue. On peut être

victime de la traite sans le savoir. Par

exemple les bonnes qui travaillent dans

les maisons sont exploitées par les

femmes intermédiaires, le cas de talibés

exploités par les marabouts sous l’effet

de la menace, l’esclavage ; l’exploitation

sexuelle des mineurs ou même des

majeurs à base de tromperie. N’eut été

cette formation, je ne serai pas capable

de faire ce distinguo entre ces

éléments », (T.M., 10 mars 16, ONG

Amitié, Zinder)

Les sessions de formations ont permis d’améliorer

les connaissances des acteurs locaux de la société

civile sur la migration et les phénomènes de traite.

Au regard des acquis de ces formations, on peut

sans risque de se tromper affirmer qu’aujourd’hui,

ces organisations locales de la société civile

disposent des connaissances opérationnelles pour

détecter des cas de traite de personnes.

Les formations ont été étendues aux acteurs

communautaires dont les rôles dans la lutte contre

la migration et la traite des personnes sont de plus

en plus effectifs :

« Déjà dans les différents quartiers de

Zinder, il existait des comités locaux mais

non fonctionnels. AICAVE a mis des

moyens pour rendre fonctionnel ces

comités avec l’appui de la justice et le

financement de Save the Children. Le

comité a bénéficié d’une formation

financée par Save the Children. La

formation a porté sur la notion de la

protection de l’enfant. Une deuxième

formation des chefs de quartier a porté

sur le rôle des chefs de quartiers dans la

société, accepter tout enfant dans leurs

familles. Il s’agit donc d’outiller ces chefs

sur la notion de la migration, de la traite,

leur engagement dans la protection de

l’enfant sans aucune différence », (M.M

et Mme L.Z., 11 mars 16, agents de

l’ONG AICAVE, Zinder).

Les « offres » en matière de lutte

contre la traite

Les formations

L’expérience malheureuse d’enfants victimes de

traite en 2015 à Zinder a conduit l’OIM à penser à la

mise en œuvre d’un projet dont les activités ont

démarré en août 2015. Parmi ces activités, la

formation figure en bonne place. Dans le cadre de

ses activités, le projet a formé les ONG locales

travaillant sur la traite en février 2016. Elle a porté

sur la définition de la traite, la prise en charge, le

référencement. Une dizaine d’ONG ont été

formées, en raison de deux représentant chacune.

La méthodologie de la formation était axée sur des

travaux de groupe sur l’identification. Aussi, une

formation est en cours à Matamey à l’endroit des

familles d’accueil et des brigadiers sur

l’identification et la prise en charge des victimes de

traite.

Des efforts importants ont été faits à l’endroit des

acteurs impliqués dans la lutte contre la traite. Ces

acteurs, à leur tour, sont censés faire de la

sensibilisation auprès des populations sur les

conséquences de la traite. C’est le cas de la

responsable de l’état civil :

« J’ai reçu une formation sur la traite des

enfants à la direction régionale de la

population de Zinder depuis 3 ans. La

formation était destinée aux

responsables d’états civils des

communes afin qu’ils sensibilisent la

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Organisation internationale pour les migrations - Niger

38

population », (responsable de l’état civil,

Tsaouni, 15 mars 16)

Dans le dispositif de prévention de la traite, les

responsables de l’état civil se voient confier la

mission de dissuader les candidats à la migration

vers l’Algérie.

Ces formations dispensées à divers niveaux de

l’administration déconcentrée et décentralisée ont

permis de doter les acteurs institutionnels locaux

de connaissances sur la traite des personnes, sur

ses manifestations et sur les conséquences qui en

découlent.

Les appuis divers

Le projet apporte des appuis divers parmi lesquels il

y a l’élaboration d’un mécanisme de

référencement, la formation des ONG sur la traite

des personnes, l’appui à l’ANLTP (appui matériel au

point focal au niveau régional), la réhabilitation

d’un centre qui sera dédié à l’accueil et assistance

des victimes de traite, l’appui matériel et formation

aux FDS des postes frontaliers d’Assamaka, le

renforcement des groupements des migrantes et la

réalisation de projets communautaires pour les

communautés à risque de traite.

La réhabilitation d’un centre d’accueil pour les

victimes de traite est en cours à Zinder et il y aura

un gestionnaire, une assistance psychosociale,

sanitaire et des appuis directs. Les victimes qui ne

sont pas nigériens sont rapatriées par vol, ils

doivent passer à Niamey donc, c’est pourquoi là-

bas aussi le centre de transit est en réhabilitation.

Parmi les ONG formées à Zinder, ils vont identifier

une ONG qui va gérer le centre après le projet.

Les ONGs locales ont investi le département de

Kantché où elles offrent une gamme variés de

services aux « populations vulnérables ». Leurs

activités convergent vers la sensibilisation, la santé,

l’éducation de base et surtout l’inclusion

économique et productive des femmes à travers la

promotion d’activités génératrices de revenus

(AGR). Essentiellement adressées aux femmes, les

AGR sont mises en œuvre pour maintenir les

femmes sur place et réduire la migration de ces

dernières vers l’Algérie20

. Compte tenu des faibes

financements qu’elles reçoivent, ces ONGs sont

contraintes de limiter leurs champs d’intervention,

qu’elles réduisent au chef-lieu de département, de

région et/de quelques villages.

La gestion de la traite des personnes

De quelques mécanismes locaux de

prévention de la traite

Au niveau du chef-lieu de région de Zinder, les

acteurs qui interviennent dans la protection de

l’enfant ont mis en place, autour de la direction de

la protection de l’enfant, un dispositif de

prévention de la traite. Ce dispositif se caractérise

par la présence d’un comité qui traite des questions

de migration et de lutte contre la traite des enfants.

Ce comité s’est illustré à travers une série d’actions

qui englobent des tournées de sensibilisation à

Kantché à l’endroit des femmes qui partent en

migration et celles qui proposent leurs enfants aux

migrantes. Par ailleurs, en collaboration avec

l’ensemble des ONGs qui interviennent dans le

domaine de la protection de l’enfant et la

migration, le comité a conduit des formations sur la

prise en charge et le suivi des enfants vulnérables.

De plus, il existe un système de référencement

constitué autour des chefs de quartiers assurent

l’accueil et l’hébergement des enfants récupérés, le

temps de retrouver leurs familles d’origine. Dans la

même perspective, certaines ONGs comme le RAIL,

réseau d’appui aux initiatives locales prennent en

charge les enfants en difficulté pendant 72 jours.

Save the Children intervient également pour

assurer le transport des enfants récupérés dans

leurs familles respectives.

Le contrôle

Le dispositif de contrôle des migrations se déploie à

deux niveaux : au départ des migrants à partir de

20

Entretien avec S.A.M, ONG Aso Marayu, Zinder, 10 mars 16.

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39

l’autogare de Matamey et au niveau des postes de

contrôles placés sur la route en partance pour la

région d’Agadez.

Au niveau de l’autogare, le dispositif de contrôle

repose sur la collaboration des transporteurs. Selon

les responsables du syndicat des transporteurs de

Matamey, il y a une rigueur dans le contrôle des

migrations :

« Depuis la morts de 92 migrants, les

femmes ne peuvent pas être acceptées si

elles ne sont pas accompagnées de leurs

maris et si un chauffeur les prends, on

les refoule et c’est à lui de les récupérer

au point de départ », (président du

syndicat des transporteurs voyageurs de

Matamey, 19 mars 16)

Concrètement, les voyageurs ont institué de

nouvelles mesures de contrôle au départ de

Matamey :

« Avant ils prenaient les passagers sans

se préoccuper des pièces d’identité. Mais

actuellement, les voyageurs sont très

exigeants. Parfois pour prendre une

femme, ils demandent le certificat de

mariage. Lorsque la femme dit que son

mari est à Agadez, on l’oblige à aller le

signaler au commissariat une fois arrivée

à Agadez », (transporteur-chauffeur à

Matamey, 19 mars 16)

De nombreuses mesures ont été initiées pour

dissuader les transporteurs à prendre les migrants

en direction d’Agadez :

« Les FDS refoulent les migrants à

Agadez. S’il y a des femmes [voyageant

seules] parmi les passagers, on t’oblige

[le chauffeur] à les ramener au point de

départ sans te rembourser le carburant.

En plus, parmi les voyageurs, il y a ceux

qui voyagent selon le système « arriver-

payer ». Si on les refoule avant la

destination, ça veut dire que le chauffeur

n’aura pas son argent ! », (président du

syndicat des transporteurs, Matamey,

ibid.)

Aussi rigoureux que puisse paraître le dispositif de

contrôle, il n’en reste pas moins contourné par les

voyageurs. Les candidats à la migration vont réagir

face au durcissement des conditions de voyage.

L’instabilité des itinéraires de voyage.

Evitement de l’autogare de Kantché

« Les femmes partent à Zinder. Et à

Zinder, on n’empêche pas aux femmes

de prendre le bus. De là elles prennent le

bus de Tahoua. De là, il y a des passeurs

qui les prennent et qui ne suivent pas les

routes officielles», (président du syndicat

des transporteurs, Matamey, 19 mars

16)

Les passagers ne sont pas les seuls à éviter les

autogares pour échapper au dispositif de contrôle

mis en place. Les transporteurs aussi déploient des

stratégies pour contourner le contrôle :

« On a demandé à la police de contrôler

les pièces d’identité des passagers. Un

carnet de bord a été institué pour

chaque véhicule avec la liste de tous les

passagers et la destination. Mais cela n’a

pas marché. Comme les transporteurs

eux-mêmes se retrouvent [dans

l’informel], ils ont cessé de quitter à

partir de l’autogare. Ils font le

chargement en ville », (autorité à Zinder,

18 mars 16)

La lutte contre la migration irrégulière a contraint

les migrants à avoir une carte nationale d’identité

pour voyager. Mais le mécanisme de contrôle laisse

en lui-même des brèches dans lesquelles

s’engouffrent nombre de passagers :

« au moment du transport, les hommes

et certaines femmes ont leur carte

d’identité. Les personnes âgées n’en

disposent pas parce qu’en raison de leur

âge, on ne leur demande pas de carte »,

(président du syndicat des transporteurs,

Matamey, 19 mars 16)

On observe la même attitude des autorités de

contrôle vis-à-vis des enfants en migrations :

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« Avant de partir, ils (migrants] font leurs

cartes d’identité ; mais les enfants n’ont

pas de documents de voyage ! »,

(conseiller municipal, Kourni, 12 mars 16)

En l’absence de pièce d’état civil des enfants en

migration, il est difficile d’établir les liens de filiation

entre les femmes migrantes et les enfants. Les

agents chargés du contrôle s’en tiennent aux

déclarations des migrantes qui amènent les

enfants :

« Lorsqu’on demande les pièces des

enfants, les adultes disent que ce sont

leurs enfants », (focus group avec les

enfants, Gajéré, 12 mars 16)

Les migrantes trouvent toujours des subterfuges

pour tromper la vigilance des forces de sécurité au

niveau des postes de contrôle :

« A la barrière d’Arlit, les migrantes qui

ont 3 ou 4 enfants sont parfois refoulées.

Les femmes qui veulent passer partent

avec 2 enfants au maximum, ou alors si

elles ont plusieurs enfants, elles confient

certains enfants à d’autres passagers

dans le véhicule le temps de passer le

poste de contrôle », (entretien avec un

père d’enfants migrants, Gajéré, le 13

mars 16)

Les propos de ce quinquagénaire, marié à une

femme et ayant huit enfants révèle un aspect des

stratégies mises en avant par les migrantes pour

passer les postes frontières. Son épouse est une

migrante ; elle est allée en Algérie avec quatre de

leurs enfants dont le plus âgé a quatre ans. En 4

mois de séjour en Algérie, son épouse lui a envoyé

500 000 Francs CFA.

Les candidates à la migration redéfinissent

constamment leurs itinéraires pour contourner les

postes de contrôle situés sur l’axe qui mène de

Kantché à Agadez :

« Les migrantes changent d’itinéraires.

Elles partent souvent au Nigéria, puis

passent par Maradi-Dakoro-Mali-

Agadez », (autorité à Zinder, 18 mars 16)

Les stratégies de contournement auxquelles ont

recours les migrants constituent des mises à

l’épreuve importantes du dispositif officiel mis en

place par les autorités et leurs partenaires. Les

détours par le Nigéria est facilité par la proximité

géographique entre Kantché et ce pays, mais aussi

par la proximité et économique et culturelle. Sur le

plan économique, Kantché est fortement intégrée à

l’économie du Nigéria caractérisée. Culturellement,

les villes frontalières du Nigéria sont perçues par les

populations de Kantché comme le prolongement

‘’naturel’’ d’un espace de circulation. Des villes

comme Daura au Nigéria abritent des membres de

familles vivant à Kantché.

Les détours varient selon la position géographique

des villages. Par exemple, les femmes de la

commune rurale de Tsaouni :

« elles vont vers Korgom ou Tessaoua,

pour prendre le véhicule. Les gens au

village apprennent seulement qu’elles

sont parties », (maire de la commune de

Tsaouni, 15 mars 16)

Le recours à des détours apparait comme une des

stratégies inventées par les candidats à la migration

vers l’Algérie.

« Avec le commissariat de Matameye, on

a beaucoup collaboré ; c’est d’ailleurs

comme ça que le phénomène a un peu

diminué… On organisait des opérations

de contrôle au niveau des auto-gares.

C’est d’ailleurs pour cela que les

migrants ont changé d’itinéraire »,

(président du TI de Matameye, entretien

téléphonique, 7 juillet 16)

Les migrantes sont prêtes à supporter le surcoût lié

à ces détours, qui parfois les poussent à

redescendre vers le Nigéria avant de remonter vers

le nord nigérien. Cela témoigne du degré

d’engagement des migrantes pour atteindre leur

but, à savoir atteindre leur destination finale

(l’Algérie).

« Les femmes vont vers Tsernawa pour

se rendre à Abalak, puis Tchinta et Arlit.

D’autres vont au Nigéria, se font établir

des pièces nigérianes et se font passer

pour des citoyens du Nigéria », (Cdt de la

gendarmerie, Zinder, 18 mars 16)

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Organisation internationale pour les migrations - Niger

41

Ces diverses stratégies montrent que face aux

dispositifs formels de contrôle, les migrants

opposent des stratégies qui opèrent dans l’informel

voire dans l’illégalité (usage de faux papiers). Sur le

plan territorial, la migration vers l’Algérie se déploie

sur un espace morcelé qui intègre même certaines

frontières de pays voisins (Nigéria et Mali).

Voyager la nuit ou le brouillage des

mécanismes de contrôle

Pour éviter les contrôles, certains transporteurs

organisent des voyages nuitamment ou donnent

rendez-vous aux passagers en dehors de l’autogare

de Matamey.

Les possibilités d’arrangement

« Ceux qui n’ont pas de pièces ont la

possibilité de s’arranger avec les forces

de l’ordre postées sur la route »,

(transporteur-chauffeur, Matamey, 19

mars 16)

L’existence de possibilités d’arrangements réduit

l’efficacité du dispositif de contrôle et l’application

rigoureuse de la loi :

« Nous n’avons pas des passeports pour

le voyage mais certains d’entre nous ont

leurs extraits de naissance et cartes

d’identités, par exemple moi j’avais mon

extrait de naissance. Une fois au niveau

des postes de police, le chauffeur

demande à chacun d’entre nous de

cotiser quelque chose pour les policiers

et on nous laisse passer. Il faut dire que

les sommes données ne sont pas définis,

on donne ce qu’on peut », (S.A., Migrant,

Gazéré, 12 mars 16)

D’une part, la migration surtout des personnes en

situation irrégulière apparaît comme une ressource

potentielle pour les FDS, mais elle l’est également

pour les transporteurs qui appliquent des tarifs de

transport élevés pour les voyageurs qui ne sont pas

en règle.

Avoir ses papiers

Le renforcement du contrôle contraint les candidats

à la migration à se faire établir des documents de

voyage. Cette exigence permet à certains services,

à l’instar du service d’état civil, de retrouver un

certain dynamisme. Ce service reçoit de plus en

plus de demandes d’actes de mariage provenant

des candidats au voyage. La responsable de l’état

civil de la commune rurale de Tsaouni, une

commune pourvoyeuse de migrantes, fait

remarquer une légère évolution des demandes de

certificats de mariage :

« avant, je ne recevais que deux ou trois

déclarations de mariage par ana. Mais

avec la migration, je reçois au moins six

demandes par jour, sinon plus ! Il y a des

hommes qui font de faux certificats avec

3 femmes ! », (responsables de l’état civil

de Tsaouni, 15 mars 16)

L’évolution de la demande des certificats de

mariages est aussi liée à de fausses déclarations qui

sont de plus en plus nombreuses. Certains

candidats à la migration sont prêts à se faire établir

de faux certificats de mariage pour échapper aux

opérations de contrôles le long de la route menant

en Algérie. Le certificat de mariage est la preuve

que les femmes sont légalement mariées et qu’elles

se déplacent avec leur mari, par les faux

documents, elles espèrent ainsi échapper aux

opérations de refoulement à la frontière.

La prise en charge des victimes de traite

En attendant que le centre d’accueil pour les

victimes soit terminé et opérationnel, la prise en

charge des victimes se fait pour le moment au cas

par cas. Quand il y a une procédure judiciaire, le

procureur ou le juge des mineurs peuvent faire

appel aux acteurs (chefs de quartiers, ONG ou l’OIM

par exemple) qui ont des capacités d’accueil. Ces

acteurs accueillent également des victimes qui leur

sont directement référencés par d’autres individus.

L’OIM assiste, accueille et assure ainsi le suivi de

nombreuses victimes de traite au Niger. Le sous-

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Organisation internationale pour les migrations - Niger

42

bureau de Zinder a également eu à gérer plusieurs

cas, dont certains de victimes étrangères au Niger,

et d’autre nigériennes. Tous les cas spécifiquement

référés au niveau de Zinder étaient des jeunes

enfants, filles et garçons, entre 9 et 15 ans.

A titre d’exemple, en 2015 deux enfants (une fille et

un garçon, âgés de 15 ans) ont été identifiés à Arlit

avec des migrantes en partance pour l’Algérie. Le

processus judiciaire a eu lieu à Arlit, l’OIM a pris en

charge le transport, l’hébergement, les frais de

route et la réinsertion de ces victimes. La fille est

originaire de la commune de Kourni et le garçon de

la commune de Yaouri. Un agent de la Direction

régionale de la population a accompagné les

enfants jusqu’à leurs villages respectifs. L’équipe de

l’OIM est par la suite allée voir les conditions de

réinsertion. Dans le cadre de leur réinsertion sociale

et économique, la fille a choisi d’apprendre la

couture. L’OIM a assuré à cette dernière la

formation en couture à Matamey. Pour réduire la

vulnérabilité des parents, une des causes de départ

en migration, le père de la fille a reçu un appui en

semences pour faire du maraîchage. Pour sa part, le

garçon a choisi d’ouvrir une boutique qu’il gère

désormais avec l’aide de son grand frère.

Dans d’autre cas, les victimes ont été référées

d’abord par des « brigadiers » (chefs de quartier),

avant que le juge des mineurs ne saisisse l’OIM.

Les limites à l’application de la loi sur

la lutte contre la traite

Méconnaissance ou faible appropriation du

phénomène de traite

Si la traite est factuelle, le phénomène est mal

connu en tant qu’infraction à la loi aussi bien au

niveau des communautés qu’au niveau des acteurs

institutionnels. Chez les populations locales, partir

avec un enfant en migration n’est pas considéré

comme de la traite. Cela fait partie d’un mode de

vie et donc de comportements habituels et admis

socialement :

«Les populations ne sont pas

suffisamment sensibilisées sur la

question de la traite », (juge au TI de

Matamey, 19 mars 16)

La plupart des acteurs au niveau de la région ont

une faible maîtrise du contenu de la traite, c’est-à-

dire qu’ils ne comprennent pas parfaitement ce que

veut dire la traite. Il faut préciser que la notion de

traite est très complexe et revêt plusieurs formes

dont l’exploitation des enfants dans la mendicité,

objet de la présente étude. Il reste entendu qu’à

Kantché la forte médiatisation de la traite des

enfants dans la migration vers l’Algérie a étouffé les

autres formes du phénomène.

D’autres ignorent même l’existence de l’ANLTP et

son point focal régional en tant qu’instance de

recours en cas de traite. Au sein des structures qui

inscrivent la traite dans leurs cahiers des charges, le

thème n’est pas mieux maîtrisé. Sur l’ensemble des

ONG locales qui interviennent en matière de lutte

contre la traite des personnes, seuls les

responsables du service social de la justice, l’OIM et

l’ONG AICAVE ont une bonne compréhension des

contours du phénomène et des enjeux qu’il

représente à Zinder. Soulignant la complexité du

phénomène, le responsable du service social du TGI

de Zinder fait remarquer que :

« …à partir de [la] définition, on peut

aussi dire que beaucoup d’enfants sont

exploités, surtout par les marabouts qui

les font travailler pour leur compte. Par

ailleurs, les saisonniers amènent des

filles et les placent comme domestiques,

et c’est celui qui les place qui récupère le

salaire (à 90 % des cas). Enfin, il y a des

aveugles qui partent au Gabon et en

Centrafrique, ils prennent des enfants en

location, parfois scolarisés même. Mais

tous ignorent que c’est de la traite,

même les chefs de quartiers, c’est

lorsqu’on leur explique qu’ils

comprennent et donnent des exemples

rencontrés », (11 mars 16)

Au regard de sa complexité et de l’étendue des

pratiques qui sont rattachées, un juge fait

remarquer :

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Organisation internationale pour les migrations - Niger

43

« Si on doit poursuivre tous les actes de

traite, la prison sera remplie ; on va

mettre la moitié de Matamey en

prison ! », (juge d’instruction au TI de

Matamey, le 18 mars 16)

Cet extrait d’entretien met l’accent non seulement

sur l’étendue du niveau d’implication des

populations dans le phénomène de traite dans le

département de Matamey, mais aussi sur la

complexité du phénomène.

Le faible maillage territorial du dispositif de

lutte contre la traite des personnes

Le dispositif de lutte contre la traite des personnes

ne couvre pas l’ensemble du territoire nigérien. S’il

est présent au niveau des régions et des

départements, on constate son absence au niveau

communal et communautaire. Dans le cadre d’une

meilleure action de prévention et de prise en

charge de la traite des personnes, le dispositif

gagnerait à avoir des points focaux dans les

communes et si non dans les villages, du moins

dans ceux identifiés comme point de départ des

migrants vers l’Algérie à savoir Gajéré à Kourni et El

Dawa à Tsaouni.

Les injonctions contradictoires

Le dispositif de lutte contre la traite est soumis à

des injonctions contradictoires qui en limitent

parfois l’efficacité. D’un côté, il y a un discours

officiel prolongé par des actions qui visent à « lutter

contre la migration des femmes vers l’Algérie » et

de l’autre côté, il y a le « respect des droits

humains » des migrants :

« Les gardes peuvent intercepter et

arrêter les migrants, mais comme

Matamey est le point de départ, c’est

difficile de savoir où vont les migrants. Il

ne faut pas non plus porter atteinte à la

libre circulation des personnes. »

Comment alors interdire les départs en migration

sans porter atteinte à la « libre circulation » des

personnes ?

Donner un contenu juridique à la traite des

personnes

En tant qu’infraction à la loi, la traite des personnes

doit être étayée par des éléments de preuves pour

que les auteurs soient punis. Les acteurs juridiques

reconnaissent l’existence d’éléments qui renvoient

à la traite :

« Ceux qui amènent les enfants

s’accaparent de ce qu’il gagne. L’usage

des enfants (-18 ans), l’existence d’un

lien de confiance ou conjugal et l’abus de

la position d’autorité constituent une

circonstance aggravante qui doit être

assortie d’un emprisonnement de 15 à

30 ans… L’exploitation est l’élément

central de la traite, il faut prouver qu’il y

a eu d’exploitation», (juge des mineurs,

Matamey, 18 mars 16)

Au niveau des services déconcentré de l’Etat, les

agents de terrain font le même constat sur les

difficultés à ‘’contrôler’’ la migration des enfants :

« La traite des personnes existe dans la

région de Zinder ; elle est animée le plus

souvent par les femmes migrantes qui

partent en Algérie et en Arabie Saoudite,

mais elle est très difficile à détecter »,

(directrice-adjointe de la direction

régionale de la population, de la

promotion de la femme et de la

protection de l’enfant, Zinder, 11 mars

16)

La grande difficulté qui se dresse devant les

hommes de loi, c’est de « prouver » qu’il y a eu

exploitation des enfants envoyés en Algérie. Par

exemple, le fait que l’exploitation s’opère ailleurs (e

Algérie) et à l’intérieur des familles, il est difficile

d’établir des preuves. Du fait de cette difficulté

entre autres, nombre de dossiers sont encore

pendants au niveau des juridictions. A ce propos, le

juge de XX évoque plusieurs dossiers non encore

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Organisation internationale pour les migrations - Niger

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instruits. Les dénonciations pour fait d’exploitation

sont rares. De plus, le juge chargé de faire

l’instruction se retrouve le plus souvent seul, sans

service social, à conduire les enquêtes. Cela alourdit

la machine judiciaire et explique en partie pourquoi

nombre de dossiers sont pendants au niveau des

juridictions.

Faible collaboration des communautés et des

transporteurs. Des niveaux de complicité

étendus

Cette complicité s’observe chez les parents qui ne

sont pas toujours prêts à dénoncer un phénomène

dans lequel ils ont une certaine prise :

« C’est difficile de dénoncer des cas

puisqu’il y a la complicité des parents »,

(juge d’instance Matamey, 19 mars 16)

Ce constat est confirmé par le président du tribunal

d’instance de Matameye. Cette juridiction de

proximité, censée connaître des cas de traite à

l’échelle du département est :

« Rarement saisie. Vous savez il faut que

des gens dénoncent. Tant qu’on n’a pas

dénoncé, la justice ne peut pas s’auto-

saisir », (Président de TI de Matamey,

entretien téléphonique, 7 juillet 16)

L’impossibilité pour la justice de s’auto-saisir

constitue une importante limite à la gestion de la

traite par les tribunaux. A côté des parents, il y a les

transporteurs qui n’apportent pas toujours leur

soutien aux FDS dans la lutte contre la traite des

personnes :

« Les transporteurs collaborent rarement

avec les FDS car ils sont complices. Ils ne

peuvent pas dénoncer les voyageurs car

c’est là leur gagne-pain. En plus quand il

y a trop de contrôle, les transporteurs

augmentent les tarifs de transport ! »,

(Commandant garde nationale,

Matamey, 18 mars 16)

Des intermédiaires tirant profit de la migration des

femmes vers l’Algérie constituent un autre niveau

de complicité :

« Pour le deuxième voyage que j’ai

effectué seul, je n’ai eu aucun problème

puisque la migration des hommes n’est

pas tellement interdite. Pour le cas du

voyage des femmes, il se fait en

cachette. Il y a des intermédiaires qui

organisent, ils demandent aux femmes

d’être discrètes, de ne pas dire une fois à

la gare leur destination réelle », (A.I.,

père d’enfants migrants, 17 mars 16, El

Dawa)

Le déficit de collaboration des transporteurs

s’explique également par des tensions qui les

opposent aux FDS en raison de l’arrestation de

certains transporteurs :

« une fois le préfet de Matamey les [les

transporteurs] a convoqués pour leur

dire désormais de refuser les passagers

qui vont vers Agadez car ils vont en

Algérie. Le préfet a dit que le contrôle

sera renforcé et tout celui qui prend des

passagers sera sanctionné. 6

intermédiaires ont été arrêtés dont 3

sont encore en prison », (président du

syndicat des transporteurs, Matamey, 19

mars 2016)

Ce climat de tension n’est pas de nature à favoriser

une meilleure collaboration entre les deux

catégories d’acteurs. L’autogare de Matamey a 9

lignes dont une ligne Zinder-Agadez animée tous les

vendredis (jour de marché à Matamey).

Eviter l’amalgame. De la migration à la traite

des personnes

« J’ai vu le jugement d’un convoyeur

pour fait de trafic alors qu’il a toujours

transporter des gens. Quand on prend

des gens comme lui, on dit traite alors

qu’il n’a d’autre but que de transporter

les gens vers l’Algérie ! », (S-G

préfecture, Matamey, 18 mars 16)

Cet extrait d’entretien situe le niveau de confusion

et d’amalgame que font souvent les populations sur

les notions de traite, de migration et de trafic. Cet

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amalgame renforce autour de la lutte contre la

traite une image négative. Certains ont du mal à

admettre que le métier de transport qu’ils ont

toujours exercé soit aujourd’hui susceptible d’être

considéré comme une infraction. Entretenue et

diffusée localement, une telle image contribue à

faire durcir les positions entre d’un côté les

transporteurs et de l’autre les autorités engagées

dans la lutte contre la traite.

L’amalgame existe également chez les migrants

eux-mêmes pour qui amener les enfants en

migration s’inscrit dans une certaine logique :

La majorité d’entre eux ne considèrent

pas le départ avec les enfants comme

traite mais plutôt comme une migration

familiale dans le but de sauver la famille

de problème alimentaire.

Migrations féminines et dynamiques

sociales à Kantché, vers une inversion

des responsabilités au sein des

ménages

Le déclassement des maris ?

La migration des femmes de Kantché en direction

d’Algérie a des conséquences notables sur les

relations de genre au sein des ménages. Ces

relations de genre s’inversent en défaveur des

hommes qui paraissent totalement écartés du

processus de décision d’aller en migration. Ils sont

déclassés par leurs femmes au niveau de la prise de

décision de migrer individuellement (les femmes

assurant leurs propres frais de transport ou

bénéficiant du soutien de leurs parents). Ils sont

aussi déclassés lorsque la femme décide d’amener

avec elle en migration les enfants, car c’est encore

elle qui prend en charge le transport des enfants.

Nombre de témoignages insistent sur cet état de

fait :

« C’est la mère qui décide du départ des

enfants. Le père n’est souvent même pas

au courant…elles dominent leurs maris

au sein des ménages et en plus ce sont

elles qui paient le transport »,

(responsable de l’état civil, Tsaouni, 15

mars 16)

D’autres hommes optent stratégiquement pour le

départ des enfants en migration avec leurs

femmes :

« Certains hommes voient que si la

femme leur laisse les enfants, ils n’ont

pas de quoi prendre en charge ces

derniers. Donc ils la laissent partir avec

eux », (Agent OIM à Tsaouni, 16 mars 16)

Emergence d’une économie locale de la

mendicité/migration

Les ressources tirées de la migration représentent

une part non négligeable dans l’économie des

ménages à Kantché. En complément aux ressources

tirées d’une agriculture fragile et aléatoire, nombre

de ménages comptent sur les fonds transférés

depuis l’Algérie. Ces fonds atterrissent dans les

familles de migrants(tes) partis(es) s’adonner à la

mendicité ou dans les familles des enfants

employés dans la mendicité dans les villes

algériennes. Aussi, s’il y a ceux qui bénéficient

directement de l’argent de la mendicité des

enfants, à savoir les parents biologiques des enfants

et les époux et parents des migrants, tout laisse à

penser qu’une partie des fonds qui arrivent au

village est redistribuée dans les cercles de solidarité

familiale.

Dans le contexte rural de Kantché, la migration vers

l’Algérie apparaît à la fois comme une fin et un

moyen. Partir en migration est pour de nombreuses

femmes un objectif pour lequel elles n’hésitent pas

à décapitaliser des biens pour assurer les frais de

transport. C’est aussi un moyen pour modifier leur

statut social, pour se (re)constituer un capital social

(faire face aux cérémonies sociales dans le village,

offrir un trousseau digne de ce nom à une fille en

mariage) et économique (achat d’animaux,

boutiques, achats de motos pour le mari, etc.).

L’économie locale semble, elle aussi tirer profit de

la migration vers l’Algérie. L’afflux vers l’Algérie

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contribue à accroître la demande en moyens de

transport au niveau des autogares. Un

transporteur-chauffeur sur la ligne Matamey-Arlit

depuis 25 ans, rencontré à Matamey, fait

remarquer à ce propos :

« Avant, je faisais deux voyages par mois

entre Matamey et Arlit. Mais

actuellement, je fais quatre voyages

parce qu’il y a plus de voyageurs, surtout

à destination d’Algérie. Avant les clients

étaient constitués de fonctionnaires et

de vacanciers… », (transporteur,

Matamey, 19 mars 16)

Au niveau de l’administration décentralisée, les

départs en migration redynamise les services d’état

civil parce que les migrants cherchent de plus en

plus à se faire établir des actes d’état civil (carte

d’identité, certificat de mariage, extrait d’acte de

naissance, etc.) afin de voyager en règle.

Processus de socialisation à la migration

« Les enfants ont même envie de partir

[migration] certains cherchent même

quelqu’un pour les amener », (ex-

migrante, Gajéré, 13 mars 16)

Ce témoignage vient de HMS, une ex-migrante

rencontrée à Gajéré. Mariée et mère, elle a été en

Algérie avec 3 de ses 6 enfants. Son mari, un paysan

ne « faisait rien » [inactif] et n’a pas de moyens

[très vulnérable]. Le ménage « n’avait rien à

manger », c’est ce qui l’a poussée à partir. Sur la

pression de son beau-père, le mari a été contraint

de laisser partir son épouse…

Dans les villages de Gajéré (commune de Kourni) et

d’El Dawa (commune de Tsaouni), la migration vers

l’Algérie a de plus en plus un visage féminin et

infantile. Les enfants sont introduits dans le circuit

de la migration à un âge précoce soit parce qu’ils

suivent leurs mères, soit parce qu’ils sont mis à la

disposition des migrantes par leurs parents. Quel

que soit le contexte pris, il est regrettable de

constater que les enfants sont initiés et socialisés à

la migration si bien qu’à un certain âge, ils sont

tentés d’aller seuls en migration vers l’Algérie. Par

cette introduction précoce des enfants dans la

migration, on assiste à une reproduction sociale de

la migration en milieu rural de Matamey comme le

fait remarquer un acteur de la société civil tout

inquiet :

« Nous, nous recevons des enfants, nous

faisons des sensibilisations, vous savez le

département de Kantché c’est un cas

exceptionnel, ils ont goûté à la migration,

rien ne peut plus les arrêter », (S.A.M.,

ONG Aso Marayou, Zinder, 10 mars 16)

Si ce discours peut paraître pessimiste, il met en

lumière l’ampleur prise par le phénomène de

migration des enfants en Algérie qui, pour certains

acceptent d’aller mendier (donc de se faire

exploiter au sens juridique du terme) par les

migrants. Comment alors mettre fin à un

phénomène dans lequel les victimes sont elles-

mêmes consentantes ?

Il y a aussi un manque de mécanisme de

coordination des activités dans la traite. Sur la

migration, il y a un comité régional, sur protection

de l’enfant aussi, mais sur la traite non. Par ailleurs,

il existe des difficultés d’identification des victimes.

Le projet initié par l’OIM en août 2015 prévoyait de

prendre en charge 50 victimes, et alors qu’une

vingtaine de cas ont été identifié dans le reste du

pays (Agadez et Niamey), seuls deux cas ont été

directement identifiés à Zinder.

Eléments de conclusion Conclure est un exercice difficile. En lieu et place

d’une conclusion formelle, il est plus judicieux de

passer en revue quelques éléments d’ordre général

qui découlent de l’étude. Le Niger est un pays de

destination et d’origine de la traite des personnes.

Ces deux facettes de la traite ont été observées sur

le terrain, à travers d’un côté le cas, dans la ville de

Zinder, de petites filles béninoises exploitées

économiquement par celles qui les ont amenées. Le

Niger est également un pays d’origine de la traite

des personnes en raison du nombre important

d’enfants « recrutés » et amenés en Algérie par des

migrantes à des fin d’exploitation. Pus connues et

plus médiatisée, cette forme de traite s’exprime à

travers la pratique de la mendicité dans les villes

algériennes à laquelle les enfants sont assujettis.

L’argent de la mendicité est récupéré par les

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Organisation internationale pour les migrations - Niger

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migrantes et une partie est envoyée aux parents

des enfants exploités.

Arrivés en Algérie, femmes et enfants se retrouvent

en situation de vulnérabilité. Non instruites et ne

disposant pas de documents officiels d’entrée et de

séjour en Algérie, ils sont réduits à mendier et à

loger dans les marges des villes.

L’Etat du Niger s’évertue à déployer un dispositif

opérationnel de lutte contre la traite des personnes

à travers la mise en place d’une Agence nationale.

Cette jeune structure multiplie les efforts pour

lutter contre le phénomène. Cependant, et malgré

ces efforts, ces capacités d’action restent limitées,

notamment en termes de ressources humaines et

financières, pour mener des actions sur tout le

territoire, y compris dans les départements et

villages éloignés des capitales de région.

Au sein de la communauté, au regard du faible

niveau de connaissance généralisé sur les questions

de traite des personnes, leurs manifestations et les

sanctions qui leur sont rattachées, la sensibilisation

apparaît comme un des canaux à envisager. Elle

peut être envisagée sur le modèle de films et de

théâtres populaires sur les risques et les sanctions

liés à traite des personnes Ces outils doivent

prioritairement s’adresser aux enfants (victimes de

traite) et aux femmes (auteurs de la traite des

enfants). Les jeunes et les autorités, y compris

coutumières, pourraient également être mis à

contribution et pris en compte dans cette stratégie

de communication.

Par ailleurs, les villages de départ des migrantes,

espaces privilégiés de « recrutement » des enfants

victimes de traite, regorgent d’une multitude de

structures communautaires sectorielles (comités de

gestion des écoles, comité de gestion des

structures sanitaires, associations des parents

d’élèves) ou générales (groupements villageois,

etc.) qui méritent d’être associées dans le dispositif

officiel de lutte contre la traite des personnes.

Une grande proportion des enfants amenés en

migration voyagent sans documents officiels (actes

d’état civil). Cela rend difficile d’établir les filiations

concrètes entre ceux-ci et les personnes qui les

amènent en Algérie. Il y a lieu désormais de

renforcer les contrôles des documents de voyages

des enfants.

La migration continue d’attirer des candidats parce

qu’elles « rapporte » énormément. Sous réserve de

vérifications, les personnes rencontrées avancent

des sommes allant de 500 000 Francs CFA à

1 000 000 Francs CFA comme fonds rapportés au

cours de la migration. Ces sommes suscitent des

convoitises dans les villages des migrants et incitent

à partir « tenter sa chance » en Algérie. Face à ces

espoirs, les populations sont prêtes à braver les

mesures prises par les autorités pour interdire les

migrations féminines vers l’Algérie. Par ailleurs, les

dispositifs de l’Etat reposant sur la répression, ne

sont pas appropriés pour freiner la migration qui

est déjà ancrée dans les habitudes des populations

de Kantché (femmes, hommes et enfants).

D’ailleurs les mesures coercitives ne pousseraient-

elles pas les migrants à s’orienter vers les réseaux

de trafiquants. L’Etat et ses partenaires devraient

privilégier une démarche plutôt progressive et

participative en lieu et place d’une approche

répressive qui montre ses limites au regard du

volume des départs.

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ANNEXE

1. Bibliographie indicative

Boukar, H., Eléments d’information sur la migration

féminine de Kantché, Alternative Espace citoyen, rapport de mission, février 2015

Isabelle Chort, I. et Dia, H., 2013, « L’argent des

migrations : les finances individuelles sous l’objectif des sciences sociales », Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.), Autrepart, n°67-68, pp.3-12

Maga I.H., 2011, « Migrations hors et vers le

Niger », note d’analyse et de synthèse, 2011/18

Manou Nabara, H., 2014, Migrations de retour,

stratégies de réinsertion et changement social dans la commune urbaine de Tchintabaraden, mémoire pour l’obtention du diplôme de Master « Sociétés de Développement », Université Abdou Moumouni (Niamey)

Etude en vue de l’élaboration d’une politique

nationale en matière de migration, bureau d’études Niger Horizon, juin 2014, version finale

Réseau Exodus, Bulletin n°1-février 2013 Bulletin d’information trimestriel n° 5Bulletin 5,

avril-juin 2014, OIM Situation des ressortissants nigériens rapatriés de

l’Algérie, décembre 2014- novembre 2015, rapport de l’OIM

2. Le canevas d’enquête

L’identification de l’enquêté

- Sexe, âge, niveau d’instruction - Expérience migratoire - Taille des ménages

La migration dans le département

- Historique des migrations dans le département

- Caractéristiques des migrations (durée, catégories sociales touchées, moment de départ et de retour)

Motifs de la migration

- Raisons avancées (économiques, sociales, ou autres)

- Projets migratoires (individuels ou collectifs ?)

Processus de la migration

- Décision de migrer (individuelle, collective ou communautaire)

- Financement du voyage - Les étapes ‘’migratoires’’ (transit) - L’entrée en Algérie - Nouvelles destinations

Insertion des migrants dans les pays de migration

- Activités exercées en migration - Les modes d’insertion sociale et

économique, les formes de solidarités entre migrants, socialisation/initiation)

- Transferts de fonds des migrants

Perceptions par rapport à la migration

- Perceptions par rapport aux migrants - Perceptions réciproques des migrants de

différentes destinations

Les caractéristiques des ménages (des migrants)

Les ressources et les responsabilités au sein du ménage

- Répartition des responsabilités dans le ménage (rôle de la femme, rôle des hommes et rôles des enfants)

- Ressources du ménage (bétail, champs cultivables, production agricole annuelle, transferts des migrants, fonds des projets – cash transferts, filets sociaux…-, AGR, …)

- Types de ménages touchés par la migration (pauvres, riches/ polygames-monogames, dirigés par les hommes ou les femmes, etc.)

Les migrants de retour

- Conséquences (sur le ménage et sur la communauté), gestions des conséquences par les ménages

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- Rôle des migrants de retour dans le ménage (par catégorie : rapatriés, refoulés, volontaires, etc.)

- Processus de réadaptation des migrants de retour

- Discours

Les projets et interventions en direction des migrants

Les interventions en lien avec la migration

- Les interventions extérieures et leurs « offres » (adéquation de l’offre avec les attentes des populations)

- Interventions de développement et migration

- Les cibles des interventions (catégories sociales visées, secteur d’intervention)

Collaboration et partenariat entre intervenants

- La production/diffusion des données et les outils sur la migration

- Collaboration, synergie entre intervenants extérieurs, avec les services techniques de l’Etat

Les discours autour de la migration

- Discours officiel (issu des autorités) - Discours local (relevant de la population)

sur la migrationDiscours des femmes et des enfants sur la migration

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