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••• n°153 février 2012 leNSEIGNANT 13 DOSSIER 60 000 postes supprimés en cinq ans, ça ne peut plus durer ! Formation initiale et continue saccagées, aide spécialisée en voie de disparition, conditions d’enseignement dégradées… Il faut redonner des moyens à l’École, oui ! Mais pour quoi faire ? Certainement pas pour préserver le statu quo. Des moyens pour changer l’École, pour qu’elle puisse enfin réaliser la promesse républicaine qui la fonde. DES MOYENS OUI MAIS POUR QUOI FAIRE À LA VEILLE DE L ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE, le bilan sur les problèmes de l’École est relativement partagé : trop d’élèves échouent, le système est inégalitaire, l’expérience sco- laire des élèves n’est pas bonne, et on a une expérience symétrique pour les enseignants qui vivent mal les nombreuses réformes. Pour faire évoluer les choses, l’enjeu principal n’est-il pas la formation ? Emmanuel Gunther, prof de math en collège François Dubet : Grâce à Nicolas Sarkozy, qui a cassé ce qui restait de formation, nous sommes obli- gés de concevoir complètement différemment le recrutement et la formation des maîtres. Le temps où il suffisait qu’un professeur soit à peu près savant dans sa discipline pour être efficace est révolu. C’était vrai quand les élèves étaient extrêmement sélectionnés ; les enseignants sont maintenant confrontés à des enfants et à des exigences qui font qu’il n’est pas convenable de les former par quelques stages ou observations de classes. Dans les pays qui ont de très bons résultats scolaires, la formation des maîtres est aussi sérieuse que la formation des ingénieurs ou des infirmières. 2/4

Des moyens oui mais pour quoi faire

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DES DOSSIER 60000postessupprimésencinqans, çanepeutplusdurer!Formationinitialeet continuesaccagées,aidespécialiséeenvoie dedisparition,conditionsd’enseignement dégradées…Ilfautredonnerdesmoyens àl’École,oui!Maispourquoifaire? Certainementpaspourpréserver lestatuquo.Desmoyenspourchanger l’École,pourqu’ellepuisseenfinréaliser lapromesserépublicainequilafonde. 2/4 n°153 • février2012 • l’ e NSEIGNANT 13 EmmanuelGunther,profdemathencollège •••

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n°153 • février 2012 • l’eNSEIGNANT 13

DOSS

IER60 000 postes supprimés en cinq ans,

ça ne peut plus durer ! Formation initiale etcontinue saccagées, aide spécialisée en voiede disparition, conditions d’enseignementdégradées… Il faut redonner des moyens

à l’École, oui ! Mais pour quoi faire ?Certainement pas pour préserver

le statu quo. Des moyens pour changerl’École, pour qu’elle puisse enfin réaliserla promesse républicaine qui la fonde.

DESMOYENSOUI MAISPOUR QUOIFAIRE

ÀLAVEILLE DE L’ÉLECTIONPRÉSIDENTIELLE,le bilan sur les problèmes del’École est relativement partagé :tropd’élèveséchouent, le systèmeest inégalitaire, l’expérience sco-lairedesélèvesn’est pasbonne, eton a une expérience symétriquepour lesenseignantsqui viventmalles nombreuses réformes.

Pour faire évoluer leschoses, l’enjeu principaln’est-il pas la formation ?

Emmanuel Gunther, prof demath en collège

François Dubet :Grâce à NicolasSarkozy, qui a cassé ce qui restaitde formation, nous sommes obli-gés de concevoir complètementdifféremment le recrutement et laformation des maîtres. Le tempsoù il suffisait qu’unprofesseur soitàpeuprès savantdanssadisciplinepour être efficace est révolu.C’était vraiquand lesélèvesétaientextrêmement sélectionnés ; lesenseignants sont maintenantconfrontés à des enfants et à desexigences qui font qu’il n’est pasconvenable de les former parquelques stages ou observationsde classes. Dans les pays qui ontde très bons résultats scolaires, laformation des maîtres est aussisérieuse que la formation desingénieurs ou des infirmières.

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Puisqu’on recrute à bac plus cinq, pourquoine pas dire que le concours se fait à la fin dela troisième année et garder deux véritablesannées de formation professionnelle ? Maisça veut dire dépasser des corporatismes, deshabitudes et ce ne sera pas simple.

Il paraÎt que le temps c’est del’argent... et l’inverse?Dutempspourprendre du recul, réfléchir sur sa

pratique, travailler ensemble, respirer,apprendre, se former...

DavidHébert, PE en Rased

F.D. :Toutd’abord l’agenda scolairedoit êtrerevu ; la réformeDarcos ramenant la semainede classe à quatre jours par semaine et 140jours par an est une catastrophe. Cela faitbeaucoup d’heures pour des enfants de CPoudematernelle, quine sontpasenkhâgne!Un enseignant qui veut qu’un enfantapprenne le programme ne peut pas faireautre chose, il n’a pas le temps de s’occuper

••• d’un enfant qui décroche. Il faut introduiredes respirations dans le temps scolaire etrefuser cette concentration. On ne peut pasdire qu’il faut du travail en équipe, que lesprofesseurs doivent accompagner les élèves,recevoir les parents et dire qu’un enseignantne doit que son temps de présence face auxélèves !

Focaliser les moyens pour l’Écolen’est pas judicieux ; mettre l’accentsur les moyens pour l’Éducation est

pluspertinentavec lescollectivités, lesassocia-tions… afin que l’Éducation soit partagée.

Jean Roucou,militant de l’éducation partagée

F. D. : En France, on pense que seule l’Écolea la capacitédedéfinir leméritedes élèves, ledestin social d’un enfant est déterminé parson niveau scolaire à 17 ans. Il faut lever lacharge sur l’École, perdre l’obsessionde l’âgeetdévelopperdes systèmesde formation toutau long de la vie qui font que ceux qui n’ont

FrançoisDubet estsociologue, il amené denombreuses recherchessur l’École et les inégalités.Il analyse les paradoxesde notre société, s’interrogesur la place de l’individuet questionne sur la notiond’égalité des chances.

Vous trouverezsur notre blog

http://ecolededemain.wordpress.com l’intégralité decette interviewpassionnanteet passionnée ainsi quetoutes les contributions desinternautes à sa préparation.N’hésitez pas à venir ajoutervotre «grain de sel».

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pas réussi puissent «rejouer».Cequi estfait dans la vie compteautantquecequi est fait à l’École, apprendre autravail est tout aussi important.Il fautbiensûrdévelopperunetrès bonne École, mais seconvaincre qu’on peutapprendreetêtre reconnudans d’autres lieux.Il faut que l’Écoleapprenne à parler à lasociété, ellenedoit pasrenoncer à éduquer etdépasser sa fonctionde transmettre desconnaissances, ellepeut accueillir unevieassociative commecela existe dans denombreux villages.En revanche, d’autresécoles sont des for-teresses où, seloncertaines enquêtes,l’enseignant est àpeine plus populaireque le policier.On ne peut pasdénoncer les difficultéséducatives des familles,critiquer le rôledesmédiaset renoncer au rôle éducatifde l’École. Éduquer, c’estassocier des parents, desassociationsquipeuvent apporteraux enfants si l’on détendle temps scolaire.

Quantà«pourquoi faire», laquestionne devrait pas seulement porter surles objectifs éducatifs,mais aussi sur

comment aboutir. Comment sortir d’unfonctionnement sélectif ?

BernardDesclaux, directeur de CIO

F.D. :Nicolas Sarkozy propose demettre finaucollègeunique,unsociologuecommemoisait très bienque cettemesuremènera àuneguerredes classes scolaires et sociales. Il fautque tous les enfants de 4 à 16 ans aillent dansuneÉcoleobligatoireetunifiée. Il ne fautplusque 20 à 25% des élèves sortent de l’écoleprimaire avecdes acquis fragiles. À 11 ans, unélève n’a qu’un seul maître, à 12 ans il a dix

professeurs, cen’estpas acceptable.Il faut rapprocher les culturesentre primaire et collège, cequidevrait être facilitépar lefait que leniveaude recru-tement des professeursest identique.On sait que les paysqui ont choisi cemodèle ont demeilleurs résultats.On a voulu massi-fier l’École sans lachanger enpropo-sant à tous lesenfants ce qu’onproposait à uneminorité privi-légiée, chaquecycle est devenula propédeutiquedu cycle suivant,où chaque enfantqui rencontre desdifficultés est éti-queté : c’estdevenuun système detriage. Rapprocherl’écoleélémentaireducollège n’est pas unerêverie pédagogiquemais un enjeu !En France, la querelle descompétences est instruite

par ceux qui ne veulent pasd’un socle commun et qui

affirmentque seuls lesprogrammeset les savoirs permettent d’évaluer les

élèves. Il se développe une idée dangereusequi considère que les compétences seraientpour lesmauvais élèves et les connaissancespour les bons, la querelle des compétences-connaissances unit les détracteurs du socledansuneallianceétrangeentre les conserva-teurs et l’extrême-gauche, les uns ne voulantpas entendre parler de la vulgarité de la viesociale, les autres croyant que les compé-tences incarnent l’horreurducapitalisme. Leuralliance,maindans lamain, revient àdéfendredes modes de sélection qui favorisent desenfants qui sont bien nés.

Propos recueillis par Anthony Lozac’het Stéphanie de Vanssay

Questionsdes internautes :

OstianeMathon - PEEt si on

remplaçait l’obligationd’instruction des élèvespar le respect et par lesenseignants du désir et/oudu besoin d’apprendre dechacun ? Pouvoir dire à sesélèves : revenez demain,si vous le souhaitez, et si lelendemain je n’ai personneen classe, pouvoir me dire,soit tu changes de métier,soit tu changes de regard.

Tibaldi D’Òcétudiant éducateurspécialisé

Formation continuedes profs ; plus de margede manœuvre dans laconstruction de vraisprojets pédagogiques !

Gilbert DuvalcartonnisteDans chaque

établissement un Fab Lab :tout pourrait être fabriquésans pour autant êtrespécialiste, et l’on pourraitpasser de la société deconsommation à la sociétéde création…

Thibaut LabarreétudiantÉquiper les écoles

avec quelques stationsinformatiques récentes enaccès libre et équipées delogiciels de qualité pourfavoriser la créativité desélèves et permettre à tousde s’y essayer.

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L’Association de la fondation étudiante pour la ville(Afev) fête cette année ses 20 ans d’intervention ausein de 400 quartiers populaires ; 124 000 étudiantsbénévoles ont parrainé près de 140 000 jeunes.L’Afev développe de plus une partie plaidoyer :la lutte contre l’échec scolaire et la promotionde la jeunesse, avec la création de l’Observatoirede la jeunesse solidaire qui fait paraître, tous lesans, un sondage sur les Français et leur jeunesse.Thibault Renaudin, secrétaire national de l’Afev,répond à nos questions.

défaut, réservée aux élèves «nonqualifiés» pour les filièresd’enseignement général. C’est la raison pour laquelle lamajorité des sorties sans diplôme se compte dans la voieprofessionnelle, alors qu’elle accueille un tiers des lycéens

français.

2Pensez-vous que lapression scolaireaugmente en France ?

Quels effets observez-vous surles enfants ?Nous le constatons tous lesjours sur le terrain ! Cettepression a au moins deuxincidences fortes, une courseà «l’armement» scolairegénéralisée (coaching, coursprivés…) et une augmentationforte de l’angoisse scolaire.Les classes populaires setrouvent encore plus fragi-lisées. Cette situation n’estplus tenable.

(*)www.pacteechecscolaire.org

1Selons vous, quelles solutions éducatives permet-traient de réduire, de manière significative, l’échecscolaire?

Notre pacte national(*) contre l’échec scolaire, appuyépar 52 personnalités et 8 organisationsdont le SE-Unsa, propose 3 priorités :En finir avec l’amalgameeffort et souffranceNotre système a pour particularité deplacer un nombre très importantd’enfants en situation de souffrance,incompatible avec les exigences del’apprentissage.Réinventer le collège uniqueLe collègen’apas réussi le pari de lamassi-fication et doit être repensé comme leprolongementde l’écoleprimaire afinquechaque élève en sorte avec les compé-tences scolaires et culturelles nécessairespour son futur parcours.Pour une orientation choisieen filière professionnelleL’orientation en «pro» a trop longtempsété envisagée comme une option par

Ils se bougent pour 2012...

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RÉACTIONSÀLAVIDÉO

Ouipourune écolecommunequi donne le tempsaux élèves de se construire,d’apprendre à leur rythme...

Caroline Jouneau-Sion,prof en lycée

François Dubet a raison d’aborder la question du «risque de refussans alternative», de la mêmemanière qu’il serait vain de secontenterd’une alternance politique avecdesmoyens sans allerau-delà. La scolarité commune, et sa progressive unification, esteffectivement un enjeu qui implique qu’on fasse autrement.

Luc Bentz

Intéressant de qualifier de piège la question sur le temps del’enseignant. Il faut vraiment bien interroger le temps de travailde l’enseignantmais attention on n’est pas surune économie desmoyens :ce n’est pas demanderplus aux enseignants, c’est demanderdifféremment avec la logistique qui va avec.

Monique Argoualch, PE

Merci à vous de permettre aux praticiens de faire entendre leur voixet ce quels que soient leur ancrage politique. Lorsque l’on est face àses élèves on fait aveceux et poureux et non en fonction de notreappartenance politique. Il nous faut changernotremodede conduiteenmatière de politique éducative en y apportant davantage desouplesse, d’ouverture, de pragmatisme et de culture du consensus.

Ostiane Mathon, enseignante et formatrice

LEMOIS PROCHAIN«Quels enseignants et personnelsd’éducationpour l’Écolededemain ?»avec Jean-PierreObin

Pourparticiper�Notre blog : http://ecolededemain.com�Twitter : @ecolededemain #bouge2012� Facebook : École de demain

FRANÇOIS DUBET nous met fort justement en garde.

Des moyens, d’accord, mais paspour maintenir le statu quo ! Il évoque la question du tempsscolaire, de la continuité entreécole et collège, des missionsdes enseignants et de leurformation. Il rappellel’importance capitale de ne pasorienter les élèves vers des voies différentes avant la fin de lascolarité obligatoire, ce quiimplique de revoir le collègepour qu’il soit effectivementpensé pour tous et en particuliermieux articulé entre cycle 3 et sixième. L’Afev, qui mène un travail d’accompagnementremarquable auprès des enfantsdes familles populaires, nous le dit aussi : «Il faut passer d’un système de«sélection» à un modèle de«promotion», d’où chaqueenfant pourra sortir avec laqualification et les compétencesnécessaires à son futur parcours,avec un rapport confiant auxapprentissages et une imagepositive de soi». C’est le sens denos 12 leviers pour que çachange dès 2012.

L’AV

ISD

U

SYNDICAT