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Poétique de la poésie Des origines à nos jours Aloys Avini

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    oésie Poétique de la poésie

    Des origines à nos jours

    Aloys Avini

    26.08 551699

    ----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

    [Roman (134x204)] NB Pages : 358 pages

    - Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,07 mm) = 27.06 ----------------------------------------------------------------------------

    Poétique de la poésie Des origines à nos jours

    Aloys Avini

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    Introduction

    Le centre d’intérêt de notre thèse touche à l’art poétique vu à travers les écoles littéraires, sensibilité après sensibilité, siècle après siècle, depuis les origines. L’illustration textuelle et onomastique qui en résulte voudrait tracer la courbe évolutive qui part de l’alexandrinisme antique propre à la veine apollinienne du vers classique au lettrisme le plus actuel du vers libre.

    En effet, en ce qui est du vers régulier, les termes de notre étude commandent de passer en revue et d’interroger les entités du verbe à travers les prosodies appropriées. Nous parcourons et interrogeons pour cela les principales écoles de style ou des attitudes esthétiques typiques ayant pour dénominateur commun le rythme vital recherché en fonction de la métrique et de la musicalité dont la rime est une composante ce, à travers : la veine apollinienne de l’art alexandrin partant de Sapho, l’équilibre du génie

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    latin, la ferveur de la chanson populaire propre au Moyen Age, le ton doctoral de la Pléiade, l’harmonie chez les classiques, le goût chez les romantiques, la finesse chez les parnassiens, le charme chez les symbolistes, l’éclat du surréalisme, la magie du verbe de la négritude… Toutefois, sera textuellement absent le texte grec, car en fait, le texte latin supplée le texte grec par le phénomène transculturel de l’hellénisation en métrique et en musique.

    Quant au vers libre, il est abordé dans tous ses aspects à travers ses différentes chapelles en examinant ce qu’est la libération dans l’art par rapport aux règles de l’art. L’approfondissement de cet examen permet de savoir et de vérifier si la poésie a pris un rendez-vous avec l’avenir ou si le sabordage des philistins lui a fait perdre le droit de cité, notamment dans des cercles infâmes où les poétereaux en mal de chrysalide célèbrent en toute usurpation félonne ce dont ils ignorent la science mais en tirent des profits par prostitution intellectuelle, situation qui entraîne une considération critique de notre thèse sur l’anthologie contemporaine.

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    Première partie

    Position de la problématique poétique

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    I Qu’est-ce que la poésie ?

    A. FONDEMENT D’UNE PROBLEMATIQUE ESTHETIQUE

    Il est question de cerner le destin du génie poétique dans sa plénitude en dévoilant toutes les dimensions de la poésie.

    « La poésie est une imitation et une peinture », avait soutenu Fénelon dans sa Lettre à l’Académie (Albert Cahen, Hachette, p. 65 à 85) où il fit le procès des plus grands poètes français. Au fond, il voulait donner une leçon de simplicité et de vérité à ces poètes qu’il trouvait très spirituels et assez emphatiques, imbus du bel esprit.

    En fait d’imitation la poésie doit être vraie ; elle doit viser la ressemblance comme la peinture car « peindre, c’est non seulement décrire les choses, mais en représenter les circonstances d’une manière si vive

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    et si sensible, que l’auditeur s’imagine presque les voir ». Donc, « la perfection de l’art consiste à imiter si naïvement la simple nature qu’on la prend pour elle ». Homère y excelle : lorsqu’il dépeint on vit la réalité. Aussi la passion doit coller à la vérité. Pour Fénelon c’est Virgile qui en est le coryphée : « Virgile, écrit-il, anime et passionne tout. Dans ses vers, tout a du sentiment, tout vous en donne ; les arbres vous touchent » comme Théophile Gautier nous en donne l’exemple dans son poème « Le Pin des Landes ».

    Par ailleurs, Fénelon privilégie l’idéal classique qui veut que l’art se cache et que l’auteur se fasse oublier. Ceci va totalement contre le romantisme. « Je demande un poète aimable, écrit-il, proportionné au commun des hommes… Je veux un sublime si familier, si doux et si simple… ». Les principes de Fénelon sont excellents pour les classiques ; Boileau, La Fontaine et Molière n’en ont apporté la moindre critique. Même La Bruyère avait défendu les Anciens contre les Modernes dans la querelle historique qui les avait opposés.

    Au nom du sentiment esthétique l’essence de la poésie va au-delà des vues de Fénelon, par ailleurs exactes, qui consacrent imitation et peinture. A cela il faut ajouter l’émotion car, l’art comme dit Bacon, « c’est l’homme dans sa sensibilité alliée à la nature ». Davantage, les symbolistes, à travers Verlaine, élargissent le champ de l’art poétique dans l’évocation et la musique. Ainsi l’harmonie musicale imprègne les vers de Racine tant au sens des mots qu’à la qualité des

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    images. D’autres esprits voguent à l’encontre de Fénelon dans leur conception de la poésie s’en trouvant élargie : Baudelaire introduit le sensationnel, l’étonnant et l’artificiel ; Mallarmé promeut l’obscurité expressive ; Valéry cultive la poésie savante ; Claudel vogue dans le surréel et y voit de « mystérieuses correspondances ». En somme, tout un monde se construit, tout différent du monde réel de Fénelon, nouveau monde surréel qui met en lumière le rêve, l’idée, l’âme, l’infini…

    Lamartine et Musset posent un autre regard sur la poésie, regard qui ne voit en la poésie classique de Fénelon que convention et artifice. Ils privilégient, eux, la dimension lyrique et voient en elle un chant : chant de joie ou chant de douleur : « La poésie pleure bien, chante bien, mais elle décrit mal », soutient Lamartine qui dit avoir donné à la Muse une lyre dont les cordes sont les fibres mêmes du cœur humain, jovial ou souffrant.

    A côté de ce que pense Fénelon, à savoir que la poésie est imitation et peinture, les romantiques montrent qu’il n’y a poésie que lorsqu’elle pleure et chante le lyrique : l’amour, la mort, la patrie, la religion. Avec Musset, la poésie n’est jamais mieux inspirée que lorsqu’elle se lamente ou pleure. Car, dit-il, « les chants désespérés sont les chants les plus beaux… ». Pour ces poètes, peinture ou musique, la poésie est en propre le langage du cœur et de l’âme. Il faut être maître de son émotion pour atteindre à la perfection formelle.

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    « L’art par excellence, celui qui surpasse tous les autres, parce qu’il est incomparablement le plus expressif, c’est la poésie » (……). Ce qui est mis en exergue ici c’est le sentiment esthétique, celui-là même qui excite en nous un certain sentiment procurant à la fois plaisir et émotion. Le beau artistique par lui-même charme, émeut et nous transporte. Comme entre autres chefs-d’œuvre, L’Enéide de Virgile, L’Expiation d’Hugo, les paysages que dépeint Lamartine, Chénier dans La Jeune Tarentine, Leconte de Lisle dans Les Hurleurs.

    Comme la peinture la poésie est plus qu’une copie, son imitation doit susciter l’émotion car l’art, selon Bacon, c’est l’homme ajouté à la nature. Le comble se rencontre dans l’évocation et la musique : chez les symbolistes par Verlaine ; chez les romantiques par Lamartine ; chez les classiques par Racine. Chez ces poètes l’harmonie musicale épouse la qualité des images et leur puissance de suggestion. « De la musique avant toute chose », professe Verlaine car « la musique s’adresse à l’oreille, et, par les sons à l’âme ». C’est le plus émouvant de tous les arts. Et c’est alors qu’elle excelle dans l’expression des sentiments : joie, tristesse, exaltation. Comme la musique et parce qu’elle en est une, la poésie aussi plaît et émeut par les sonorités évocatrices, les rythmes, l’harmonie… Racine, Hugo, Lamartine, Verlaine, Heine… sont des figures de proue en la matière.

    Or, en accusant, j’accuse par rapport à quelque

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    chose : par rapport à l’orthodoxie ! J’ai interrogé les spécialistes de la chose : autant les aèdes et les berceuses de chez nous que les universitaires d’Outre-mer. Tous s’accordent à reconnaître ceci :

    « La poésie est une création à laquelle participe l’esprit et le cœur. Elle est quelque chose d’indéfinissable, d’insaisissable, d’inexplicable et d’ineffable. Pourtant il en est qui la définissent, la saisissent et l’expriment : ce sont les poètes. – La poésie est musique, harmonie, cadence. Ce n’est pas sans raison que les anciens voyaient dans le poète un homme supérieur, favorisé des dieux qui lui enseignaient les lois mystérieuses du Nombre. – La poésie est une aspiration vers l’achevé, le divin, un état d’oraison où tous les pauvres mots humains s’assemblent en offrande. – Mais si la poésie vit d’inspiration, elle doit pourtant se soumettre à une discipline, à des règles. L’ensemble de ces règles constitue l’art de la versification qu’il faut reconnaître et appliquer pour vêtir la pensée de la forme poétique… Quand on sait aligner dix bons vers, on est poète, et non versificateur…, quiconque ne pourra retenir son admiration en présence des spectacles de la nature : un coucher de soleil sur la mer, une aurore dissipant lentement les brumes des vallées tandis que la montagne s’érige dans le ciel, est poète dans l’âme et déjà disposé à traduire ses impressions dans le langage de la poésie. Celui-là fera des vers, qui sent agiter en lui tout un monde de sensations et de sentiments inexprimés ».

    (L’Art d’écrire, Poésie, Ecole ABC, pp.5-6)

    Somme toute, la poésie s’adresse à l’intelligence, au cœur, à l’imagination et aux sens. Elle est plus expressive en ceci qu’elle fait usage des images sonores, évocatrices, colorées, harmonieuses, dont le

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    rythme s’adapte au mouvement de la pensée et du sentiment, rythme terne ou solennel, doux ou éclatant, saccadé ou emporté. La musique poétique est plus captivante et plus émouvante, une musique qui peint et une musique qui pense ; elle touche et émeut.

    B. ESTHETISME

    Notre centre d’intérêt porte sur la poétique de la poésie selon les termes de notre thèse. Ce faisant, deux notions, deux concepts, deux univers entrent en scène : la poésie et la poétique.

    a. La poésie – il s’agit ici de la poésie dans son ensemble, c’est-à-dire considérée dans toutes les chapelles du verbe : des origines à nos jours.

    b. La poétique – Il est question de la poétique en tant qu’ensemble de principes commandant l’écriture et la composition de la littérature poétique, considérant la phraséologie de chaque école poétique dans ses constructions et ses expressions propres, considérant également l’esthétique de chaque écriture poétique comme perception du beau à travers l’ensemble des principes fondant l’expression artistique visant à la rendre conforme à l’idéal de beauté.

    C. LE SUJET POETIQUE

    Il n’y a pas de sujet qui ne soit digne d’un traitement poétique. Comme Horace et Boileau on peut s’exercer dans l’épître morale ; comme Banville et Malherbe on

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    peut se pencher sur la prosodie ; comme Homère et Li T’ai Po on peut conter l’épopée ; comme Prudhomme on peut constituer pour centre d’intérêt les problèmes liés à l’évolution du monde contemporain ; comme Péguy et Claudel on peut se vouer au sacré ; comme Solon et Théognis on peut user de l’apostolat socio-politique ; comme Tagor et Novalis ont peut pénétrer le domaine mystique, ect… La révolution thématique en témoigne depuis les Antiques jusqu’aux Néo-surréalistes en passant par les Classiques. Du mythe à l’épopée, et de la tragédie au drame, les centres d’intérêts diffèrent selon les sensibilités et les centres de gravité suivant les urgences et les préoccupations des uns et des autres à différentes époques.

    Donc tous les sujets sont passibles de poésie. « Il n’y a pas de sots sujets, il y a de sots poètes : les incapables qui ne savent pas tirer d’une passion heureuse ou malheureuse, un chant à eux ». En voilà la critique idoine qui nous vient des Modernes (A.B.C. p 51) pour stigmatiser les contemporains qui, dépourvus de génie, à ce qu’il semble, fréquentent sans profit les demeures inspirées. Or, c’est l’art qui précède l’inspiration qu’il anime. Et sans talent, les poètes contemporains seront méconnus tôt ou tard comme un certain Jules de Rességuier, poète oublié de l’école romantique. Bon nombre de poètes contemporains feront à l’Odéon un passage à vide.

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    Cela dit, analysons maintenant avec Hegel l’objet propre du sujet poétique. Hegel en aperçoit trois aspects : d’abord, « le poète s’arrête sans complaisance sur les détails ; il les peint avec amour et il traite chaque partie comme un tout complet. Ainsi, quelque grand que soit l’intérêt principal et le sujet dont la poésie fait le centre d’une œuvre à part, elle met d’autant plus de soin à organiser chaque partie » (Esthétique, pp. 120-121). Nous sommes là sur le plan organisationnel de la parturition. Ensuite, sur le plan élévation, il dit ceci :

    « Comme toute vraie poésie, la poésie lyrique doit exprimer les véritables sentiments du cœur humain. Mais, quelque solides et substantielles que soient les sujets qu’elle traite, pour devenir lyriques, ils doivent être sentis, conçus, imagés ou pensés d’une manière subjective et personnelle. En second lieu, il ne s’agit pas seulement, ici, d’exprimer simplement l’intériorité individuelle en lui adaptant le premier mot qui s’offre spontanément et qui dit épiquement ce qu’est la chose, mais de créer une expression artistique de sentiment poétique différente de l’expression ordinaire. Par conséquent, en raison même de ce qu’au lieu de rester concentrée en elle-même, l’âme du poète s’ouvre à des impressions plus variées et à des pensées plus vastes en raison de ce qu’il a conscience de son sentiment poétique au milieu d’un monde déjà marqué d’une emprunte prosaïque, la poésie lyrique exige, maintenant aussi une culture intellectuelle et artistique. Celle-ci doit apparaître comme l’heureux résultat du travail par lequel un talent naturel s’est exercé et perfectionné lui-même » (Ibid, p 138).

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    « La vérité poétique consiste donc à écarter du caractéristique et de l’individuel de la réalité immédiate, à élever à la généralité purificatrice, et à faire concilier les deux » (Ibid, p 141). Ainsi Musset a eu le mérite d’élever sa souffrance morale à la souffrance morale de l’humanité.

    Comment donc concilier l’individuel avec le général dans un sujet poétique ? Ici, « concilier se veut une opération de l’esprit, de l’intelligence qui va droit à l’universel, à la loi, à la pensée et au concept de l’objet de ce sensible concret ; elle fait un abstrait, une chose pensée », déclare Hegel (Esthétique, p 18). On reconnait ici l’être hégélien comme pensée, en philosophie. Il s’agit de pénétrer le réel et de le représenter dans son universalité. Toutefois, la ligne de démarcation reste nette entre philosophie et poésie de telle sorte qu’« on ne voudrait ni ne pourrait exclure radicalement de la poésie tout ce qu’elle comporte de fabulation parfaitement arbitraire et imaginaire (Ibid, p16). En philosophie la fabulation n’est guère arbitraire, mais assignée à l’illustration dans le champ clair de la conscience : le « Mythe de Platon » et le « Mythe de Sisyphe » sont, en propre, une sorte de télé-vision mentale par supplément d’abstraction idéationnelle, que dire, une contemplation théorique de l’intelligence. Le deuxième aspect concernant le sujet poétique, selon Hegel, se conçoit comme suit :

    « Pour que la révélation de l’âme ne se confonde pas avec l’expression accidentelle des sentiments ordinaires et

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    qu’elle affecte la forme de la pensée poétique, il est nécessaire que les idées et les impressions que le poète décrit, tout en lui étant personnelles, conservent une valeur générale, qu’ils soient les sentiments et les observations vraies de la nature humaine pour lesquelles la poésie crée, d’une manière vivante, une expression également vraie. En même temps, si la simple expression de la douleur et de la joie soulage le cœur, les épanchements de la poésie lyrique peuvent aussi rendre un égal service. Cependant, elle ne se borne pas à l’emploi de ce moyen vulgaire. Elle a une mission plus haute : celle, non de livrer l’esprit au sentiment, mais de l’affranchir du sentiment. En effet, la domination aveugle de la passion consiste en ce que l’âme s’identifie tout entière avec elle, au point de ne plus pouvoir s’en détacher, de ne pouvoir se contempler et s’exprimer elle-même. Or, la poésie délivre à la vérité, l’âme de cette oppression, en lui mettant sous les yeux sa propre image » (Esthétique, pp 136-137).

    Que l’on nous pardonne ces longueurs dans les citations ! Les révélations hégéliennes entre l’âme et le verbe sont tellement importantes que notre examen ne saurait en être indifférente, car Baudelaire, comme nous le verrons tout à l’heure, en réalise l’unité parfaite, instance de parturition que l’œuvre contemporaine n’a pas encore atteinte dans ses balbuties titanesques.

    En effet, Hegel, l’aigle de la pensée, vise le but de la poésie, qui est sublimation ; il révèle une essence de nos jours ignorée par le commun des mortels poètes : en poétisant, si la passion de la raison pour la liberté n’étouffe pas la tendresse du cœur pour le sentiment, de même, la passion du sentiment ne doit pas assujettir la passion pour que l’âme reste en libération

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    perpétuelle, afin qu’elle s’élève et qu’elle se dilate, qu’elle s’exprime elle-même à elle-même et qu’enfin elle se contemple.

    A ce niveau d’abstraction, le poète, le vrai, face à un sujet poétique, quel qu’il soit, ne doit être que le disciple de Marcel Proust pour qui « l’œuvre littéraire a pour objet de retrouver, au-delà de l’écoulement stérile de la vie quotidienne et mondaine, l’univers réfléchi par l’esprit et considéré sous l’aspect de l’éternité, qui est aussi celui de l’art ». Donc le sujet esthétique hégélien sur le sujet poétique ne fait qu’aider le poète à intégrer l’univers proustien, univers par excellence, qui aide à vivre l’inespéré dans un étonnement d’amour qui fleurit les déserts du cœur humain, faisant parler les silences d’un Dieu et faisant de toute vie une fête sans fin par le bel espoir humain.

    Le troisième aspect met en évidence la même vision hégélienne davantage plus approfondie dans le rapport dialectique de la subjectivité et de l’universalité. Ecoutons-en :

    « Mais attention ! avertit Basile-Juléat Fouda, la littérature créative doit inventer et calmer artistiquement les réalités. L’œuvre littéraire n’est pas une réalité estampillée, un pléonasme de l’expérience. Les réalités vécues ne sont qu’un dictionnaire que l’artiste met en réquisition et que son génie transfigure et magnifie par une sorte de démiurgie. Ce serait fascination : son œuvre serait un hors d’œuvre des déchets de l’expérience. L’œuvre de littérature est la conquête d’un victorieux lutteur qui attend son heure, épie la réalité, la presse, l’entrelace étroitement pour la forcer à se

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    rendre, à se montrer toute nue et dans son véritable esprit, bref à se soustraire à des contingences du temps. En devenant œuvre littéraire, c’est-à-dire une émission opératoire de l’esprit, la réalité vécue a subi une transformation profonde. L’art arrache le vécu à l’existence évanescente et périssable, il se montre en cela supérieur au donné vécu à bout portant.

    Nous voilà dès lors devant une œuvre d’intériorité poétique qui exprime évidemment des idées, les sentiments appartenant en propre à l’auteur comme individu, mais qui atteint d’autre part à l’universel, car son expression vivante et stimulante peut provoquer… des considérations et des sentiments similaires ou identiques. La littérature créative implique donc une dialectique de la subjectivité et de l’universalité » (Ozila, N° 2, mars 1970).

    En fait de littérature créative, la dialectique de la subjectivité et de l’universalité dont parle Fouda concerne fondamentalement la stature de l’auteur lyrique, stature qui doit donc dépasser les frontières de sa personnalité et de son pays pour atteindre l’Homme dans ce qu’il a de plus général et de plus profond. Ici, c’est la tendance de l’esprit lyrico-romantique qui est plus en question tel qu’il a été initié poétiquement par Lamartine qui dira dans la préface des Méditations poétiques : « Je suis le premier qui ai fait descendre la poésie du Parnasse et qui ai donné à ce qu’on nommait la Muse au lieu d’une lyre à sept cordes de convention, les fibres mêmes du cœur de l’homme, touchées et émues par les innombrables frissons de l’âme et de la nature ».

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    En somme, face au sujet poétique, Hegel et Fouda veulent voir en le poète contemporain : le bon sens de Molière, la finesse et l’élégance de Racine et l’esprit critique de Descartes. Heine et Byron ne sont plus : l’esthétique classique n’a plus d’alexandrites, vertes à la lumière du cœur et pourpre à la lumière de l’esprit.

    En tout état de fait, qu’il suffise de souligner que la majesté du sujet poétique peut être trahie par la qualité de la forme. Car la facture du poème vient rehausser l’éclat du sujet poétique. Il faut pour cela que l’artiste soit doté d’un ascendant mystérieux, que son style même soit une petite merveille de la nature. C’est question de don naturel. Car il y a des êtres à qui le destin a tout fait pour eux. Ainsi, les écrivains qui ont beaucoup de classe le sont par élection divine tandis que d’autres, sur le plan de la créativité, éprouvent éternellement de grandes difficultés par ailleurs chroniques. Ecoutons-en la confession d’un Classique qui n’est autre que Boileau.

    Rare et fameux esprit dont la fertile veine Ignore en écrivant le travail et la peine ; Pour qui tient Apollon tous ses trésors ouverts, Et qui sait à quel coin se marquent les bons vers ; Dans les combats d’esprit savant maître d’escrime, Enseigne-moi, Molière, où tu trouves la rime. On dirait, quand tu veux, qu’elle te vient chercher Jamais au bout du vers on ne te voit broncher ; Et sans qu’un long détour t’arrête ou t’embrasse, A peine as-tu parlé qu’elle-même se place. Mais moi, qu’un vain caprice, une bizarre humeur, Pour mes péchés, je crois fit devenir rimeur,

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    Dans ce rude métier, où mon esprit se tue, En vain, pour la trouver, je travaille et je sue.

    En fait, Molière serait le contraire d’un Boileau qui confessait également sa galère pour résoudre l’équation technique du poème.

    Somme toute, de la facture du poème la majesté du sujet poétique dépend. L’inverse est tout aussi vrai dans la mesure où la tentation de confusion est grande et permanente entre éloquence et pertinence.

    La rime constitue la caractéristique essentielle du vers régulier d’origine saphique. En effet, elle s’illustre en propre par sa valeur pittoresque en tant qu’élément essentiel du beau verbal qui est éloquence autant frappante à l’oreille qu’à l’esprit. La vigueur de la poésie exige la rigueur du talent. C’est pour cette raison que les poétereaux de notre temps fuient à de grandes enjambées la versification régulière pour se vautrer paresseusement dans la facilité du vers libre, et d’une liberté de dilettante : sans ordonnancement établi à titre de purgation artistique. Nous n’avons plus aujourd’hui, hélas ! des Leconte de Lisle, des Hérédia, des Mallarmé, des Properce, des Virgile, des Eschyle, des Aristophane…, eux dont, en orfèvres émérites, la rareté des rimes témoignait d’un génie besogneux et suscitait un charme qui envoûte l’esprit.

    D. LE GENIE POETIQUE Chaque génie a ses demeures inspirées, les parvis

    de sa jouvence. Mais l’accès à l’Olympe exige deux