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DES PARTIS PRIS DE MISE EN SCÈNE ORIGINAUX ET AUDACIEUX Les enfants acteurs Pour raconter l’histoire de la femme au temps des châteaux forts et de l’amour courtois, Hubert Viel choisit de confier – à l’exception du narrateur interprété par Michael Lonsdale – tous les rôles principaux à des enfants, trois filles et trois garçons : « Les enfants sont sur le fil, entre l’acteur professionnel (où tu te jettes dans un rôle) et « jouer à » comme on joue aux cowboys. Je ne voulais pas non plus me prendre au sérieux, qu’on dise que je fais du pathos avec des enfants : quand ma Jeanne d’Arc arrive à la cour du roi, c’est solennel mais en même temps dé- samorcé par l’humour quand elle lui dit «Je vous ai reconnu car vos vêtements sont trop grands pour vous». Les enfants ont tout de suite compris le principe. Et je dirige peu. » Mais si l’on n’est pas dans le « film à thèse » à proprement parler, la portée et l’ambition politique du film sont évidentes en ce sens qu’Hubert Viel déconstruit méticuleusement l’image d’un Moyen Âge archaïque et grossier. Et le choix des enfants pour incarner les personnages révèle une envie de transmettre, d’éveiller le regard, de parler légèrement de sujets très sérieux, de rendre l’histoire ludique, bref, de la rendre accessible au plus grand nombre. Sketches et pellicule Super 16 Pour nous faire entrevoir mille ans d’histoires en une heure et demie, le réalisateur choisit la forme du film à sketches – genre qui connut son heure de gloire dans la comédie italienne des années 1950 et 1960. Mais, s’il met en scène de nombreuses anecdotes il n’a pas de visée encyclopédique. Il fait plutôt figure de banderille dans l’autel des préjugés qui entourent le Moyen Âge. Pour démontrer le sérieux de son entreprise, malgré la légèreté apportée par les enfants, Hubert Viel choisit le procédé pellicule qui, depuis l’avènement du cinéma numérique, est devenu un support rare et intemporel. Enfin, plutôt que le naturalisme cher au cinéma français et qui domine le paysage cinématographique actuel de façon écrasante, il prend le parti de la poésie pastorale (on pense parfois aux Amours d’Astrée et de Céladon d’Eric Rohmer) : le but recherché n’est en aucun cas une reconstitution historique fidèle, c’est d’ailleurs une gageure que tenter d’y parvenir, l’histoire de cette époque étant bien trop lacunaire – Éric Rohmer l’avait compris et démontré en réalisant le très stylisé Perceval le Gallois. Facéties Comme l’avaient fait les Monty Python avec Sacré Graal, Hu- bert Viel choisit souvent la voie de la malice et joue avec les anachronismes : il mêle la langue triviale d’aujourd’hui à des paroles poétiques et solennelles du Moyen Âge, il jongle entre les époques et n’hésite pas à les faire se télescoper pour inter- peler le spectateur – comme l’irruption du bureaucrate dans le jardin des simples des femmes du Moyen Âge. Le film oscille en permanence entre premier et second degré et l’humour fait office de moteur : que tous les personnages – moines, savantes, reines, courtisanes, chevaliers etc. – soient campés par des enfants y participe grandement et le plaisir qu’ils ont à se couler dans la peau de chacun est évident. Jeanne d’Arc Jeanne d’Arc est peut-être la femme la plus célèbre de l’Histoire. Et c’est une drôle d’ironie que l’apparition de cette héroïne au XV e siècle, c’est à dire à l’époque même où la parenthèse émancipatrice des femmes s’est refermée. Hubert Viel n’a pu s’empêcher d’ajouter sa lecture du personnage qui a connu d’innombrables adaptations cinématographiques. D’aucuns disent que c’est d’ailleurs le personnage le plus représenté de l’histoire du cinéma. Citons notamment Domrémy des Frères lumières (1899) et Jeanne d’Arc (1900) de George Méliès, Jeanne d’Arc de Cecil B. DeMille (1916), La Passion de Jeanne d’Arc de Carl T. Dreyer (1928), Jeanne au bûcher de Roberto Rossellini (1954), Sainte Jeanne d’Otto Preminger (1957), Procès de Jeanne d’Arc de Robert Bresson (1962), Jeanne la pucelle de Jacques Rivette (1994) et le Jeanne d’Arc de Luc Besson (1999). POUR ALLER PLUS LOIN : D’autres films pour voir autrement le Moyen Âge : Monty python : sacré graal ! des Monty Python, 1975 Perceval le Gallois d’Éric Rohmer, 1978 Jeanne la pucelle de Jacques Rivette, 1994 Le Monde vivant d’Eugène Green, 2003 Et des livres pour le redécouvrir : La Femme au temps des cathédrales de Régine Pernoud, Stock, 1980 Dames du XIIe siècle de George Duby, Gallimard, 1997 Pour un autre Moyen Âge de Jacques Le Goff, Gallimard, 1977 DISTRIBUTION : POTEMKINE FILMS 8 IMPASSE DRUINOT – 75012 PARIS [email protected] – 0140180185 TEXTE : PIERRE DENOITS CONTÉ PAR MICHAEL LONSDALE

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DES PARTIS PRIS DE MISE EN SCÈNE ORIGINAUX ET AUDACIEUX

Les enfants acteurs

Pour raconter l’histoire de la femme au temps des châteaux forts et de l’amour courtois, Hubert Viel choisit de confier – à l’exception du narrateur interprété par Michael Lonsdale – tous les rôles principaux à des enfants, trois filles et trois garçons :

« Les enfants sont sur le fil, entre l’acteur professionnel (où tu te jettes dans un rôle) et « jouer à » comme on joue aux cowboys. Je ne voulais pas non plus me prendre au sérieux, qu’on dise que je fais du pathos avec des enfants : quand ma Jeanne d’Arc arrive à la cour du roi, c’est solennel mais en même temps dé-samorcé par l’humour quand elle lui dit « Je vous ai reconnu car vos vêtements sont trop grands pour vous ». Les enfants ont tout de suite compris le principe. Et je dirige peu. »

Mais si l’on n’est pas dans le « film à thèse » à proprement parler, la portée et l’ambition politique du film sont évidentes en ce sens qu’Hubert Viel déconstruit méticuleusement l’image d’un Moyen Âge archaïque et grossier. Et le choix des enfants pour incarner les personnages révèle une envie de transmettre, d’éveiller le regard, de parler légèrement de sujets très sérieux, de rendre l’histoire ludique, bref, de la rendre accessible au plus grand nombre.

Sketches et pellicule Super 16

Pour nous faire entrevoir mille ans d’histoires en une heure et demie, le réalisateur choisit la forme du film à sketches – genre qui connut son heure de gloire dans la comédie italienne des années 1950 et 1960. Mais, s’il met en scène de nombreuses anecdotes il n’a pas de visée encyclopédique. Il fait plutôt figure de banderille dans l’autel des préjugés qui entourent le Moyen Âge.

Pour démontrer le sérieux de son entreprise, malgré la légèreté apportée par les enfants, Hubert Viel choisit le procédé pellicule qui, depuis l’avènement du cinéma numérique, est devenu un support rare et intemporel.

Enfin, plutôt que le naturalisme cher au cinéma français et qui domine le paysage cinématographique actuel de façon écrasante, il prend le parti de la poésie pastorale (on pense parfois aux Amours d’Astrée et de Céladon d’Eric Rohmer) : le but recherché n’est en aucun cas une reconstitution historique fidèle, c’est d’ailleurs une gageure que tenter d’y parvenir, l’histoire de cette époque étant bien trop lacunaire – Éric Rohmer l’avait compris et démontré en réalisant le très stylisé Perceval le Gallois.

Facéties

Comme l’avaient fait les Monty Python avec Sacré Graal, Hu-bert Viel choisit souvent la voie de la malice et joue avec les anachronismes : il mêle la langue triviale d’aujourd’hui à des paroles poétiques et solennelles du Moyen Âge, il jongle entre les époques et n’hésite pas à les faire se télescoper pour inter-peler le spectateur – comme l’irruption du bureaucrate dans le jardin des simples des femmes du Moyen Âge. Le film oscille en permanence entre premier et second degré et l’humour fait office de moteur : que tous les personnages – moines, savantes, reines, courtisanes, chevaliers etc. – soient campés par des enfants y participe grandement et le plaisir qu’ils ont à se couler dans la peau de chacun est évident.

Jeanne d’Arc

Jeanne d’Arc est peut-être la femme la plus célèbre de l’Histoire. Et c’est une drôle d’ironie que l’apparition de cette héroïne au XVe siècle, c’est à dire à l’époque même où la parenthèse émancipatrice des femmes s’est refermée. Hubert Viel n’a pu s’empêcher d’ajouter sa lecture du personnage qui a connu d’innombrables adaptations cinématographiques. D’aucuns disent que c’est d’ailleurs le personnage le plus représenté de l’histoire du cinéma. Citons notamment Domrémy des Frères lumières (1899) et Jeanne d’Arc (1900) de George Méliès, Jeanne d’Arc de Cecil B. DeMille (1916), La Passion de Jeanne d’Arc de Carl T. Dreyer (1928), Jeanne au bûcher de Roberto Rossellini (1954), Sainte Jeanne d’Otto Preminger (1957), Procès de Jeanne d’Arc de Robert Bresson (1962), Jeanne la pucelle de Jacques Rivette (1994) et le Jeanne d’Arc de Luc Besson (1999).

POUR ALLER PLUS LOIN :D’autres films pour voir autrement le Moyen Âge :

Monty python : sacré graal ! des Monty Python, 1975

Perceval le Gallois d’Éric Rohmer, 1978

Jeanne la pucelle de Jacques Rivette, 1994

Le Monde vivant d’Eugène Green, 2003

Et des livres pour le redécouvrir :

La Femme au temps des cathédrales de Régine Pernoud, Stock, 1980

Dames du XIIe siècle de George Duby, Gallimard, 1997

Pour un autre Moyen Âge de Jacques Le Goff, Gallimard, 1977

DISTRIBUTION : POTEMKINE FILMS8 IMPASSE DRUINOT – 75012 [email protected] – 0140180185TEXTE : PIERRE DENOITS

CONTÉ PAR MICHAEL LONSDALE

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LES FILLES AU MOYEN ÂGE

2015 / France / 89 min. / 1.33 / 5.1

RÉALISATION HUBERT VIELSCÉNARIO HUBERT VIEL, D’APRÈS RÉGINE PERNOUDIMAGE ALICE DESPLATSSON RODOLPHE BÉGARD & FRANÇOIS PIEDNOIRMUSIQUE FRÉDÉRIC ALVAREZ & HUBERT VIELASSISTANT RÉALISATION LÉO RICHARDCASTING KAREN HOTTOISPRODUCTION ARTISANS DU FILMPRODUCTEUR DÉLÉGUÉ VALÉRY DU PELOUXDISTRIBUTION POTEMKINE FILMS

INTERPRÉTATION CHANN AGLAT, LÉANA DOUCET, MALONN LEVANA, CAMILLE LOUBENS, JOLHAN MARTIN, NOÉ SAVOYAT ET MICHAEL LONSDALE

SYNOPSIS

Bercés par le récit d’un vieil homme érudit, des enfants d’aujourd’hui se retrouvent transportés au Moyen Âge. Les garçons sont des rois, des moines et des chevaliers. Les filles, des conquérantes, des savantes, des héroïnes. Dans ce Moyen Âge méconnu, elles leur tiennent tête et n’ont de cesse de s’émanciper.

HUBERT VIEL ( RÉALISATEUR ET SCÉNARISTE )

Hubert Viel a suivi des études de cinéma à l’ESRA, puis de philosophie à l’Université Paris IV. Il réalise son premier court-métrage autoproduit en 2007, Avenue de l’opéra, tourné en super 16. Il réalise ensuite plusieurs clips mu-sicaux avant de se lancer dans la réalisation d’Artémis, cœur d’Artichaut en 2011, film qu’il a écrit, produit et réalisé et qui bénéficie d’une sortie en salles en 2013. En 2010, il fonde avec sept associés Artisans du film, sa propre société de production indépendante.

NAISSANCE DU FILM

Le film est né de la découverte d’un livre, La Femme au temps des cathédrales de l’historienne et médiéviste Ré-gine Pernoud. Ses recherches et écrits n’ont eu de cesse de s’intéresser à la place occupée par les femmes dans les sociétés médiévales et de battre en brèche le mythe d’un âge obscur et barbare. « J’écrivais le scénario en même temps que je lisais le livre qui est truffé d’anecdotes. L’écriture consistait à s’accaparer les faits historiques cités pour les rendre à la foi romanesques et burlesques » explique Hubert Viel.

ET LA FEMME DANS TOUT ÇA ? Il est étonnant en revanche de voir la bonne réputation dont souffre encore aujourd’hui l’Antiquité – période qui s’étend du quatrième millénaire avant JC au déclin de l’empire romain. Pour les femmes, ce ne fut assurément pas un âge d’or :

« Lorsqu’on étudie  l’histoire de  l’Occident,  il  est  frappant de voir à quel point elle a été masculine jusqu’à ce Ve siècle. Combien de femmes pourrait-on citer à travers les siècles d’existence de Rome et de sa domination ? Certes, on a retenu le nom d’Agrippine, la mère de Néron, mais elle le doit plus à Racine qu’à Tacite. De nombreuses monnaies portent l’effigie de Faustine, mais que sait-on d’elle ? Les manuels d’histoire romaine qu’on infligeait  jadis aux écoliers, si prolixes pour-tant sur la civilisation antique, ne mentionnaient même pas cette impératrice qui n’a pour elle que son profil de médaille. » Régine Pernoud, La Femme au temps des cathédrales

Le Moyen Âge s’étend sur dix siècles et la place des femmes y diffère grandement selon les lieux et les époques. On peut cependant identifier une émancipation des femmes de plus en plus prégnante au fil des siècles. Celle-ci débute en 493 avec le règne de la reine Clotilde, très érudite et influente épouse de Clovis qu’elle convertit au christianisme.

Tout au long du Moyen Âge, la religion occupe une place ab-solument centrale dans la société. Et la place des femmes dans l’Eglise, bien qu’exclues du sacerdoce, est importante. Elles fondent et dirigent nombre d’abbayes et monastères. Au XIe

siècle, l’Eglise érige la vierge Marie en modèle. L’influence et le pouvoir des femmes culminent au XIIe siècle, d’autant qu’elles ont à « cette époque » la liberté et la possibilité d’exercer le métier de leur choix. Lors de la grande crise économique, politique, et sociale – épidémies, Guerre de Cent Ans, famines – qui marque la fin du Moyen Âge aux XIVe et XVe, la condition des femmes opère une marche en arrière brutale. Avec la redécouverte du droit romain, les femmes perdent nombre de leurs droits, c’est le début de la Renaissance.

« Les dames du XIIe siècle m’apparaissent plus fortes que je n’imaginais, si fortes que les hommes s’efforçaient de les affaiblir par les angoisses du péché. Je crois aussi pouvoir situer vers 1180 le moment où leur condition fut quelque peu rehaussée, 

où les chevaliers et  les prêtres s’accoutumèrent à débattre avec elles, à élargir le champ de leur liberté, à cultiver ces dons particuliers qui les rendent plus proches de la surnature. Quant aux hommes, j’en sais maintenant beaucoup plus sur le regard qu’ils portaient sur les femmes. Elles les attiraient, elles les ef-frayaient. Sûrs de leur supériorité, ils s’écartaient d’elles ou bien les rudoyaient. Ce sont eux, finalement, qui les ont manquées. »  Georges Duby, Dames du XIIe.

Au XIIe et XIIIe siècle, la France et l’Europe voient naître des fi-gures féminines majeures : intellectuelles, religieuses, stratèges politiques et militaires. Leur impact sur le cours de l’Histoire est très important, on peut citer notamment Héloïse d’Argenteuil, Hildegarde de Bingen, Aliénor d’Aquitaine, Blanche de Castille et, bien sûr, Jeanne d’Arc.

Enfin il convient de noter que l’histoire des femmes au Moyen Âge demeure incomplète, la plupart des écrits étant le fait des hommes. Mais que cela ne nous empêche pas de souligner que les femmes ont eu plus de droits et de pouvoir au Moyen Âge qu’au cours des siècles qui suivirent. Et de ne pas oublier que les progrès économiques ou sociaux s’apparentent plus à des boucles qu’à des lignes droites. C’est d’ailleurs cette idée que nous retrouvons tout au long du film, notamment lorsque le narrateur déclare : « L’Histoire, c’est comme une pomme qui tombe dans le vide mais, les fruits, ça repoussent ».

C’EST QUOI LE MOYEN ÂGE ?

LE MOYEN ÂGE EST UNE PÉRIODE DE L’HISTOIRE DE L’EUROPE QUI DÉBUTE AU VE SIÈCLE AVEC LA CHUTE DE L’EMPIRE ROMAIN ET SE CLÔT À L’ISSUE DE PROFONDS BOULEVERSEMENTS DÉMOGRA-PHIQUES, CULTURELS ET TECHNOLOGIQUES QUI OUVRENT LA VOIE À LA RENAISSANCE, AU XVE SIÈCLE. LE MOYEN ÂGE A SOUVENT ÉTÉ PRÉSENTÉ PAR LES HISTORIENS DU XIXE SIÈCLE, NOTAMMENT JULES MICHELET, COMME UN ÂGE SOMBRE DE L’EUROPE. CETTE VISION NÉGATIVE ET SANS NUANCES A DEPUIS ÉTÉ REMISE EN CAUSE PAR TOUS LES MÉDIÉVISTES. MAIS LE MYTHE DEMEURE TENACE.