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Annales de dermatologie et de vénéréologie (2011) 138, 461—462 ÉDITORIAL Des recommandations pour la pratique clinique : pourquoi et comment ? Guidelines for clinical practice: Why and how? La littérature nationale et internationale, les sites des Sociétés savantes sont de plus en plus souvent le lieu de présentation de « Recommandations pour la pratique clinique », de « guidelines » et de résultats de conférences de consensus, de consensus d’experts, etc. Ces recommandations se définissent comme des propositions développées méthodiquement pour aider le médecin et le malade à rechercher les soins les plus appropriés dans des circonstances cliniques données. Il peut donc paraître opportun de s’interroger d’une part sur l’utilité réelle dans la prise en charge des malades de ces démarches et d’autre part sur la valeur de ces textes et donc de réfléchir sur la ou les méthode(s) utilisées pour les rédiger. Pourquoi avons-nous besoin de recommandations de bonne pratique ? L’article 32 du Code de déontologie médicale et l’article R. 4127-32 du Code de santé publique stipulent que : « Dès lors qu’il a accepté de répondre à une demande, le médecin s’engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s’il y a lieu, à l’aide de tiers compétents ». Actuellement, les données acquises de la science évoluent de manière considérable et les moyens d’information concernant ces acquis se sont démultipliés au cours des dernières années. Il est donc difficile pour un praticien d’identifier les données robustes appor- tant des conclusions éprouvées pour soigner au mieux son patient. Ainsi, la rédaction de recommandations de bonnes pratiques permet à chaque praticien de disposer d’un outil de référence l’aidant dans ses prises de décision et lui permettant d’appliquer aux patients ce qui est considéré à ce jour comme le standard de prise en charge dans un grand nombre de situations. Il s’agit d’une aide à la décision, il s’agit d’un outil permettant de respecter l’éthique professionnelle. Par ailleurs, le système de santé franc ¸ais reposant sur un principe de solidarité, il peut apparaître légitime que les autorités de santé choisissent de privilégier des attitudes de prise en charge éprouvées médicalement afin d’utiliser au mieux les ressources finan- cières allouées à la solidarité. Ainsi, les préoccupations éthiques et médicoéconomiques se rejoignent-elles pour justifier pleinement une prise en charge des patients véritablement fondée sur les données acquises de la science. Le niveau d’exigence est élevé et il convient donc de bien identifier dans l’ensemble de ces recommandations celles dont les conclusions sont robustes car vraiment fondées sur les résultats d’études cliniques de niveau de preuve permettant de tirer des conclusions utiles pour la collectivité et pour chaque patient individuellement. 0151-9638/$ — see front matter © 2011 Publi´ e par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.annder.2011.05.015

Des recommandations pour la pratique clinique : pourquoi et comment ?

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Page 1: Des recommandations pour la pratique clinique : pourquoi et comment ?

Annales de dermatologie et de vénéréologie (2011) 138, 461—462

ÉDITORIAL

Des recommandations pour la pratique clinique :pourquoi et comment ?

Guidelines for clinical practice: Why and how?

La littérature nationale et internationale, les sites des Sociétés savantes sont de plus enplus souvent le lieu de présentation de « Recommandations pour la pratique clinique », de« guidelines » et de résultats de conférences de consensus, de consensus d’experts, etc. Ces

recommandations se définissent comme des propositions développées méthodiquement pour aider le médecin et le malade à rechercher les soins les plus appropriés dans descirconstances cliniques données. Il peut donc paraître opportun de s’interroger d’une partsur l’utilité réelle dans la prise en charge des malades de ces démarches et d’autre partsur la valeur de ces textes et donc de réfléchir sur la ou les méthode(s) utilisées pour lesrédiger.

Pourquoi avons-nous besoin de recommandations de bonnepratique ?

L’article 32 du Code de déontologie médicale et l’article R. 4127-32 du Code de santépublique stipulent que : « Dès lors qu’il a accepté de répondre à une demande, le médecins’engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondéssur les données acquises de la science, en faisant appel, s’il y a lieu, à l’aide de tierscompétents ».

Actuellement, les données acquises de la science évoluent de manière considérable etles moyens d’information concernant ces acquis se sont démultipliés au cours des dernièresannées. Il est donc difficile pour un praticien d’identifier les données robustes appor-tant des conclusions éprouvées pour soigner au mieux son patient. Ainsi, la rédaction derecommandations de bonnes pratiques permet à chaque praticien de disposer d’un outil deréférence l’aidant dans ses prises de décision et lui permettant d’appliquer aux patientsce qui est considéré à ce jour comme le standard de prise en charge dans un grand nombrede situations. Il s’agit d’une aide à la décision, il s’agit d’un outil permettant de respecterl’éthique professionnelle.

Par ailleurs, le système de santé francais reposant sur un principe de solidarité, ilpeut apparaître légitime que les autorités de santé choisissent de privilégier des attitudesde prise en charge éprouvées médicalement afin d’utiliser au mieux les ressources finan-cières allouées à la solidarité. Ainsi, les préoccupations éthiques et médicoéconomiques serejoignent-elles pour justifier pleinement une prise en charge des patients véritablementfondée sur les données acquises de la science.

Le niveau d’exigence est élevé et il convient donc de bien identifier dans l’ensemble deces recommandations celles dont les conclusions sont robustes car vraiment fondées surles résultats d’études cliniques de niveau de preuve permettant de tirer des conclusionsutiles pour la collectivité et pour chaque patient individuellement.

0151-9638/$ — see front matter © 2011 Publie par Elsevier Masson SAS.doi:10.1016/j.annder.2011.05.015

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uelles sont les méthodes utilisées pourédiger des recommandations de bonneratique ?

a méthode de base de la rédaction de ces recommandations1] est une analyse systématique de la littérature fondée sures données de médecine factuelle.

Dans la très abondante littérature médicale, l’ensemblees informations recues par les praticiens ne possède pas leême niveau de preuves. En effet, il existe une très grandeifférence entre la robustesse scientifique du résultat d’unenalyse de cas cliniques rétrospectifs, et d’un essai contrôléandomisé de qualité méthodologique irréprochable. Danse premier cas, les données obtenues ne peuvent queefléter une impression ou une tendance. Dans le cas d’unetude méthodologiquement bien construite, les résultatsbtenus peuvent être considérés comme scientifiquementémontrés.

Même si ce préalable est unanimement admis par’ensemble des Instances règlementaires en santé ou desociétés savantes, leur mise en pratique peut être trèsétérogène sur le terrain. En effet, on peut voir coexisteres recommandations fondées sur une analyse très scru-uleuse de la littérature à partir de critères de sélectiontricts et choisis à l’avance, ou au contraire d’avis d’expertséunis autour d’une thématique donnée et proposant leurropre expérience sans recherche d’une véritable analysee la médecine factuelle. Ainsi, lors de la lecture de recom-andations, il est capital de rechercher et d’identifier laéthodologie utilisée par les auteurs pour bien faire la dif-

érence entre des recommandations pratiques de niveau dereuves et un simple avis d’expert.

Parmi les différentes méthodes proposées, il est possiblee distinguer la conférence de consensus dont le thème estlassiquement d’ampleur limitée, déclinable en quelquesuestions précises et dont les recommandations peuventtre rédigées par des non experts en un temps limité. Parilleurs, la conférence de consensus nécessite un débatublic car la controverse entre les différentes attitudes estonsidérée comme majeure.

Les recommandations pour la pratique clinique couvrenténéralement un thème plus vaste avec de nombreusesuestions et sous questions. Le débat public n’est générale-ent pas justifié.La méthodologie nécessaire à la qualité de rédaction

e ces recommandations fait appel à des critères rela-ivement précis : experts issus des différentes disciplinesmpliquées par le thème, experts issus des différentes zoneséographiques et de modes d’exercice différents, expertsyant présenté clairement d’éventuels conflits d’intérêt,t ce point a aujourd’hui une particulière acuité. Il existe’ailleurs des grilles d’évaluation pour apprécier la qua-ité des recommandations publiées. Cette grille « agree »Appraisal of Guidelines and Research and Evaluation) per-et d’identifier la qualité de recommandations publiées [2].Lorsque la médecine factuelle est trop pauvre, voire

bsente, il existe des méthodes alternatives permettant’orienter le praticien dans ses choix de prise en chargear la réalisation de la méthode du consensus forma-

isé d’experts. Ce consensus formalisé d’experts permet’obtention d’un accord professionnel sur la meilleure qua-ité de prise en charge d’un patient dans une situation

Éditorial

onnée. De très nombreuses méthodes sont proposées [3].lles reposent généralement sur l’identification d’un groupee pilotage qui rédige les questions posées aux experts.eux-ci, réunis en groupes de cotation, indiquent les choixui leurs paraissent adaptés à la situation clinique posée.orsque les réponses sont concordantes entre l’ensemblees experts, la proposition est retenue. Lorsqu’il existerop de divergences, aucun consensus ne peut bien sûr êtreormulé. Ces consensus formalisés d’experts sont très diffé-ents dans leur méthodologie et leur état d’esprit des avis’experts qui sont généralement le reflet de positions per-onnelles sur un sujet. La robustesse des conclusions estonc très inférieure à celle d’un consensus formalisé.

Une des questions essentielles reste bien sûr les modali-és de choix des experts, que ce soit pour la rédaction deecommandations basée sur la médecine factuelle ou pourn consensus formalisé. En effet, il convient que ce choixoit orienté par l’implication des professionnels choisis danseur capacité à démontrer qu’ils ont déjà pris en charge desatients correspondant au thème donné. L’avis des Sociétésavantes, la consultation des travaux publiés, sont bien sûres éléments importants dans le choix des experts. Néan-oins, un problème essentiel persiste aujourd’hui, à savoir

’identification d’experts ayant un minimum de conflits’intérêt. C’est pourquoi la déclaration de ces conflits estndispensable pour se repérer dans la qualité des conclusionsroposées.

L’existence de recommandations pour la bonne pratiquelinique est aujourd’hui indispensable pour assurer à tous lesatients une médecine de qualité fondée sur des argumentscientifiques robustes. Les méthodologies utilisées doiventtre extrêmement strictes. Elles permettent de réunir à laois la réponse au problème éthique de la prise en charge etu problème médicoéconomique posé par les dépenses deanté.

onflit d’intérêt

ucun.

éférences

1] Haute Autorité de Santé. Elaboration de recommandations debonne pratique. Guide méthodologique Saint Denis La PlaineHAS Décembre 2010. www.has-sante.fr.

2] Development and validation of an international appraisal ins-trument for assessing the quality of clinical practice guidelines:the AGREE project. Qual Saf Health Care 2003; 12:18-23.

3] Haute Autorité de Santé. Bases méthodologiques pourl’élaboration de recommandations professionnelles par consen-sus formalisé. Guide méthodologique Saint Denis La Plaine HASjanvier 2006. www.has-sante.fr.

B. Guillot1

Département de dermatologie, universitéMontpellier I, CHU de Montpellier, 80, rue

A. Fliche, 34295 Montpellier cedex 05, France

Membre de la Commission nationaled’évaluation des dispositifs médicaux et

technologie de santé à la HAS (CNEDiMTS)