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Design-fiction, spectacle ou design ?

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Max Mollon, designer chercheur, PhD candidate à l'ENSAD, nous aide à distinguer l'art du design-fiction à travers un entretien.

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Design-fictioИ,Špectacle Ou design ¿

Résumé d'une rencontre avec Max Mollon

Vendredi 8 mai 2015

Propos recueillis et synthétisés par Maxime Simon@maxmollon @maxsim_simon

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Max Mollon est chercheur en design fiction, il ré-alise des projets pour générer des discussions parmi son audience autours de thèmes technologiques, éthiques et sociétales. Il a étudié le design fiction à la HEAD (Haute École d’Art et Design), et il rédige sa thèse sur cette pra-tique du design comme moyen de faire réfléchir et dé-battre des futurs souhaitables à l’Ensad (École nationale supérieure des Arts Décoratifs).

Vous-vous adressez à des spectateurs et non à des consom-

mateurs, vous faites des produits qui n’ont pas vocation à se

vendre, vous considérez vous encore comme un designer ?

Il faut d’abord s’entendre sur le terme de specta-teur. Aujourd’hui le spectateur n’a plus le même pou-voir qu’auparavant. L’arrivée des réseaux sociaux place le spectateur comme acteur. Il peut réagir en direct avec une communauté sur le contenu ou la forme d’une informa-tion et peut même s’adresser directement aux créateurs de l’information, et interagir avec eux. Il est également actif dans le choix de se déplacer sur le lieu d’exposition ou de choisir son programme télé. Il est actif sur le seul fait de regarder. Sa capacité à s’exprimer fait également partie de ses actions. Je m’adresse donc à des spectateurs actifs.

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Cette question soulève ensuite le lien qu’il existe entre le design et l’art. Le design fiction appartient-il da-vantage au domaine de l’art ou du design ? Il est vrai que certains projets de design critique du Royal College of Art de Londres peuvent parfois être exposés dans des musées, et que les codes visuels qu’ils utilisent nous amènent à les considérer en œuvres d’art, cependant il faut être précis et fragmenter un projet de design fiction en 4 étapes ; le lieu de médiation, les codes visuels utilisés pour communiquer le projet, l’intention du projet, et les outils utilisés pour produire le concept (aussi bien les outils technologiques de production que les outils théoriques de réflexion).

Le musée comme espace de réception : que cela implique-t’il ? Quand des designers exposent leur produc-tion dans un musée, ils délèguent la gestion du débat aux curateurs d’arts, et la participation aux visiteurs. Mais le lieu du musée est-il l’endroit idéal pour que le spectateur puisse considérer ce qui lui est présenté, y réfléchir, y ré-agir, entrer dans la discussion ? Une exposition dans un musée va atteindre un public prêt à contempler de l’art et à mobiliser leurs jugements de manière spécifique selon le type d’institution. Mais qu’en est-il de l’autre partie de la population ? Comment toucher les non-visiteurs ? Ils peuvent être touchés, par des articles dans des blogs, des magazines, des reportages télé. Cependant ces médias ne sont pas construits pour accueillir un débat : permettre un dialogue structuré, évolutif et synthétisé. Ainsi, on retrouve

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généralement des débats de surface sur ces médias. Les re-layeurs de l’information ne font apparaître que des débats de surface et les débats de fond n’arrivent pas à émerger.

Comme nous l’avons dit, le spectateur est souvent actif. Il est pour moi nécessaire que le spectateur ait sur le lieu d’exposition un moyen de s’exprimer. Qu’il puisse donner son avis, qu’il puisse comprendre que le design fiction est un appel au débat est non à la provocation, je pense que c’est aussi une attente qui nous distingue de de certains travaux artistique. Si le designer fiction est intégré en entreprise, il drevrait pouvoir animer des débats, faire réagir les participants pour qu’ils puissent ensemble identi-fier les points de friction ; les points de friction que soulève le déploiement d’une nouvelle technologie par exemple ; et donc, les points de friction qui sous-tendent une vision divergente du préférable. Si le débat se faisait en mairie, à l’échelle d’une ville, cela deviendrai un débat citoyen…

En ce qui concerne les codes visuels, on ne peut pas nier que les projets proposés sont parfois proches de l’es-thétique de l’œuvre, et ce caractère est parfois renforcé par la production unique de l’objet. Selon moi, une esthétique artistique est puissante et ne laisse pas indifférent. Cepen-dant ce n’est pas la seule à adopter. Parfois, elle n’est pas pertinente pour favoriser l’appropriation d’un projet. Par exemple, Nicolas Nova utilise l’esthétique de l’objet quoti-dien. L’objet est mis en scène dans une supérette. Si un objet est dans une supérette c’est qu’il est devenu banale. C’est

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le lieu de projection particulièrement puissant puisqu’on introduit un objet de fiction dans un lieu commun, un en-droit où tout est banal. Et si cet objet venait dans notre quotidien, quelles questions cela engendrerait-il ? Le débat peut enfin commencer à prendre. Le spectateur peut se projeter.

Qu’est-ce qui différencie l’intention du designer et l’inten-

tion de l’artiste ?

Il peut y avoir des lieux communs entre ces deux démarches. Parfois l’artiste comme le designer ont pour intention de faire prendre conscience au spectateur d’une idée. L’artiste agit selon ses envies, parce qu’il a l’autorité de l’artiste. Le designer obéit à un commanditaire. Même si son objet peut être exposé en musée, son intention n’est pas de produire de l’art mais du débat et de la friction. Le designer se prépare à communiquer son produit à une diversité de personnes dans divers situations et non pas seulement aux amateurs d’arts et aux curateurs, dans le contexte du musée. Je considère la production de débat – impliquant un public varié – comme très importante. Les entreprises font parfois de la prospective, où l’objec-tif est d’avoir une vision du futur la plus juste possible et de produire un éventail complet des futurs tendances. À mon sens, prédire le futur est impossible et ce n’est pas un moyen efficace de le remettre en question et d’en débattre avec divers points de vus. Le design fiction n’affirme pas ce

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qu’il va se passer, mais quelles situations (bonnes et moins bonnes) l’entreprise risque de rencontrer en poursuivant son développement dans telle ou telle autre direction. L’objectif est de soulever dès aujourd’hui des questions sur des nouvelles technologies, des questions éthiques qui provoqueront des débats sur notre conception commune d’un futur préférable.

Je terminerai de distinguer l’art du design fiction en évoquant les moyens utilisés par le designer pour produire son objet. C’est selon moi l’élément qui distingue le plus le travail de l’artiste de celui du designer, à commencer par les moyens de production technique. En design fic-tion le designer utilise les mêmes outils que ceux du design traditionnel. Il utilise des procédés de fabrication qui sont ceux de l’industrie. L’échelle peut changer, car parfois cer-tains projets sont produits à très peu d’exemplaires , mais cela n’en fait pas des œuvres d’art pour autant, mais plu-tôt des prototypes. En plus des moyens technologiques de production qui sont propres aux designers, on peut égale-ment souligner l’utilisation d’outils théoriques. Le designer fiction peut utiliser des outils d’ethno-anthropologie. On peut d’ailleurs souligner que le design thinking est utilisé par de nombreuses autres communautés. Il est désormais introduit dans des entreprises dans l’aide d’identification de problème et dans leur résolution.

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Les moyens du design sont aujourd’hui utilisés dans des écoles, comme méthodologie. On se rend compte qu’il n’y a pas que l’intelligence des mathématiques, l’in-telligence littéraire ou l’intelligence économique qui sont les grands piliers de l’éduction scolaire française, mais qu’il existe aussi l’intelligence de la sensibilité, de la créativité, du questionnement qui peuvent être des moyens de ré-flexion pertinents.

Je peux donc répondre que oui, le designer fiction a raison de se considérer comme designer lorsqu’il produit. Puisqu’il vient apporter un type des moyens propres à sa profession et que son intention est plus proche de celle du chercheur que de l’artiste.

Enfin, vous voyez nous venons de passer une heure à débattre de la différence entre art et design fiction au lieu de débattre des questions que soulèveraient un pro-jet de design fiction. Résoudre cette question par un choix esthétique et de situation de réception appropriée à une audience, c’est laisser plus de temps au vrai débat .