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Première 20 Mars 2007

Design Sensoriel

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Tout sur le design sensoriel

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  • Premire

    20 Mars 2007

  • La journe du sensoriel

    Au moment o toutes les forces de lentreprise, de la conception au marketing, se tournent vers lutilisateur, le consommateur, pour y puiser des pistes dinnovation, quand la mondialisation met ces utilisateurs dans des contextes culturels et sociaux si diffrents, il devient capital de disposer dun langage able et quasi universel qui permette tous les partenaires du projet de sentendre, sur le rsultat attendu pour cet utilisateur qui est alors plac au centre du processus.

    Dans un monde en pleine (r)volution o les technologies deviennent plus performantes chaque jour et o lentreprise dispose de tant de moyens de communication, lobjet, le produit ou le service doivent se faire la fois communicants et intuitifs.Dans les processus de conception actuels, lergonome intervient pour assurer la conformit physiologique, le designer pour aiguiser nos sens et les technologies du sensoriel pour les satisfaire.

    Rgine Charvet Pello, designer et chef dentreprise et Jean-Franois Bassereau, enseignant et chercheur dveloppent depuis 1990, partir de la mtrologie sensorielle, une rexion sur lintgration du confort et du bien-tre dans la conception produit.Cette approche que lon peut qualier dvaluation sensorielle, va ainsi tablir un diagnostic global de qualit perue dun produit, sur toutes ses modalits sensorielles et dnir ainsi les pistes immdiatement envisageables pour un travail de conception ou reconception dun produit.

    Lobjectif de ce travail est de pointer les indices susceptibles dtre interprts positivement ou ngativement sur des produits existants et den tirer des conclusions sur les apprciations globales du produit par lutilisateur.

    Cette action permet de dgager des pistes de travail prcises, que lon peut rapidement exploiter en dveloppement de produit. La mtrologie sensorielle ouvre la voie de nombreuses applications industrielles, elle est aussi un outil dans la recherche de nouveaux positionnements, orients vers un mme objectif : lamlioration de la qualit perue globale du produit et de la marque. Ces enjeux ont dj t compris par les grands groupes, qui intgrent progressivement cette technologie considre comme un instrument de leur comptitivit.

    Cest partir de ces travaux de recherche quest ne cette premire journe dcouverte du sensoriel oriente vers lentreprise. Elle est organise par lassociation Valesens, avec le soutien de lAgglomration de Tours, du Conseil Rgional Centre, de la Chambre de Commerce et dIndustrie de Touraine, de lAgence de Dveloppement de la Touraine et de la DRIRE Centre (Direction Rgionale de lIndustrie, de la Recherche et de lEnvironnement du Centre).

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  • Sommaire :

    1.Programme de la journe 2.Prsentation de la journe

    3.Introduction par P. Labb, prsident de VALESENS 4.Les ateliers 4.1.Atelier 1 4.2.Atelier 2 4.3.Atelier 3 4.4.Atelier 4

    5.Clture RCP et annonce de louverture de la matriauthque 6.Prsentation des partenaires 6.1.CCI Touraine 6.2.Tour(s) Plus 6.3.ESCEM 6.4.DRIRE 6.5.Rgion centre 6.6.Agence de Dveloppement de la Touraine 7.Liste des participants 8.Bilan de la journe

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  • 1.Programme de la journe

    8h30 - 9h00 : Accueil des participants lESCEM 9h00 - 9h30 : Sance douverture, interventions ofcielles des institutionnels 9h30 - 10h00 : Prsentation de la journe du sensoriel par Philippe LABBE, prsident de ValesensPrsentation de la prsence du programme ENGAGE (6me PCRD), programme de recherche europen sur les outils du design motionnel, pour la cration dune communaut de connaissances sur le design motionnel. Les participants ont la possibilit de suivre un atelier le matin et un laprs-midi. Un expert dENGAGE est observateur/rapporteur de chaque atelier. 10h00 - 12h00 : Atelier 1 :anim par Anne-Marie Boutin, prsidente de lAPCIPourquoi le besoin de sensoriel dans les nouveaux produits?OU Atelier 2 :anim par Marie-Marguerite Gabillard, directrice du CDRALes mtiers du sensoriel

    12h00 - 14h00 : Pause djeuner et expriences sensorielles : Exprience matire : le bton sensoriel, Lorraine Bergeret (thse - ENSAM)Emotions et sensations : extraits de lexposition Observeur du design (APCI)Exprimentation de perceptions sensorielles en magasins de prt porter (SEV/Sensolab)Les outils de recherche du programme europen ENGAGEAnalyse dune signature sensorielle : les colles Cloptre / SENSOLABPrsentation dun nuancier polysensoriel : Loire Plasti Couleurs / SENSOLAB

    14h00 - 15h45 : Atelier 3 :anim par Anne-Marie Sargueil, prsidente de lIFDLintgration du sensoriel dans lentrepriseOU Atelier 4 :anim par Brigitte Borja de Mozota,membre du Design Management Institute, matre assistant du master en sciences de gestion et management du design de lUniversit Paris X La signature sensorielle : une image de marque pour lentreprise

    16h00 - 17h00 : Sance de clture des ateliers :Synthse en sance plnire par les 4 animatrices des ateliers et les experts ENGAGE Prsentation du centre dEtude et de Recherche sur les technologies du sensoriel et de la matriauthque sensorielle par Rgine Charvet-Pello, initiatrice du projetConclusion par Philippe Labb, prsident de VALESENS

    17h00 : cocktail de clture

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  • 2.Prsentation de la journe

    La premire journe du sensoriel sest droule le 20 mars 2007 dans les locaux de lcole Suprieure de Commerce et de Management de Tours. Environ 200 personnes, dont 50% dindustriels, ont particip cet vnement unique en France.15 professionnels du sensoriels ont nourri le dbat sur 4 thmatiques cls : Pourquoi le sensoriel dans les nouveaux produits, Les mtiers du sensoriel? Lintgration du sensoriel dans lentreprise. La signature sensorielle une image de marque pour lentreprise. Ces 4 ateliers ont t anims par les 4 ambassadrices qui font la promotion du design en France.

    La qualit des intervenants, la diversit des points de vue et les qualits pdagogiques des ateliers ont t fortement apprcis tout comme la qualit des changes entre participants.

    Cette journe a permis de renforcer, parfois mme dinitier la relation entre le sensoriel et le monde industriel, sur un territoire sensoriel par excellence : la Touraine.

    Cette journe sest close par la prsentation de la matriauthque sensorielle de Tours qui permettra dalimenter le lien entre le monde industriel et la conception sensorielle.

    3.Introduction par P. Labb, prsident de VALESENS

    Monsieur le Maire Mesdames et Messieurs,

    Je vous souhaite la bienvenue pour cette journe ddie aux technologies du sensoriel. Ce thme du sensoriel est un sujet nouveau pour la majeure partie des entreprises : pratiquement seuls quelques grands industriels se proccupent du sujet depuis plusieurs annes. Nous en verrons des exemples durant la journe. Pour la plupart dentre nous cependant, ce sera un langage nouveau, un vocabulaire indit, des concepts inhabituels souvent apparemment loigns de nos principes mcanistes sappliquant la conception traditionnelle des produits.Dans un univers o la comptition conomique sest mondialise, o la production manufacture est souvent dlocalise, linnovation est devenue une ardente obligation pour alimenter les facteurs de la comptitivit. Ainsi la conception sensorielle en rapprochant lutilisateur, en apprivoisant lutilisateur pourrait-on dire, concourt lattractivit des produits par une meilleure perception de leur qualit et participe laccroissement de la comptitivit de lentreprise.

    Le symposium est structur en quatre ateliers, chacun deux sera anim par des personnalits de la cration et du design que je remercie vivement pour leur contribution. Je remercie galement tous les intervenants qui ont accept dapporter leur tmoignage tir de leur exprience professionnelle.A la suite de ces quatre ateliers, se tiendra la runion de restitution et de synthse et la prsentation de la matriauthque sensorielle.A cette journe sont associs les reprsentants du consortium europen ENGAGE que nous sommes heureux daccueillir ici ainsi quune dlgation de la Commission Europenne conduite par le Project Ofcer Madame Trsa de Martino que je salue.

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  • Ces diffrents experts se sont runis hier Tours dans le cadre dun projet europen. ENGAGE vous sera prsent dans quelques minutes je ne mtendrai donc pas plus. Je dirai simplement que la dmarche du consortium qui tudie lintgration, lors de la conception des produits, des besoins subjectifs et motionnels des consommateurs, tisse la toile de fond de notre approche sensorielle et en fait ressortir la pertinence.Je remercie les Collectivits territoriales : Communaut dagglomration de Tour(s)Plus, Dpartement et Rgion, ainsi que le ministre de lindustrie et la Chambre de Commerce et dIndustrie de Touraine qui se sont associs nancirement cette manifestation. Que tous les partenaires, en particulier lEcole suprieure de Commerce chez qui nous sommes et la Chambre de Commerce et dIndustrie dAngers, partenaire de la premire heure, trouvent ici lexpression de ma plus vive gratitude pour leur soutien.

    VALESENS :Association loi de 1901, a pour but de crer et dvelopper la matriauthque sensorielle Tours et ddier partir de cette premire construction un ple de comptences : CERTESENS, le centre dEtude et de Recherche du sensoriel. Pour favoriser son dveloppement et entretenir un rseau actif de partenaires, VALESENS organise des journes dinformation telle LA JOURNEE DU SENSORIEL.La matriauthque sensorielle, dont louverture est prvue en 2008, est une vritable bibliothque de matriaux qui propose de les qualier et de les classer selon les modalits sensorielles tactile, visuelle, sonore, olfactive ce qui la diffrencie des matriauthques existantes. VALESENS souhaite travailler en rseau avec ces dernires pour qualier dune manire sensorielle leurs matriaux et ainsi enrichir la connaissance franaise et europenne sur les sensations qui leur sont lies.La cration dun ple de comptence vocation europenne en ce domaine, constitue un vritable enjeu pour le dveloppement des entreprises et leur rayonnement international.Ce ple aura quatre activits principales : La recherche en collaboration avec les institutions universitaires, rgionales, nationales et internationales, La formation des acteurs du sensoriel pour le monde de lentreprise, ce ple tant centr sur luniversit Franois Rabelais Un service de communication, dinformation et de vulgarisation en direction des rseaux technologiques et du public, Un service dingnierie sensorielle pour rpondre aux attentes des entreprises.

    Ainsi le Centre dEtude et de Recherche du sensoriel favorisera les enjeux scientiques et conomiques majeurs attachs cette discipline avec : La poursuite des recherches permettra didentier de nouveaux outils de mesure de la perception par les utilisateurs et denrichir des disciplines connexes (ergonomie, design, marketing) La conception, sur le plan industriel, de nouvelles gnrations de produits adapts aux volutions de la socit, aux nouveaux positionnements sur le march et au dveloppement dune offre diffrencie plus comptitive.

    Philippe LabbPrsident de Valesens

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  • 4.Les ateliers

    4.1.Atelier 1

    4.1.1.Les intervenants

    LAPCI

    Pour lAPCI, le design est dabord une approche qui privilgie lindividu dans sa relation aux objets, aux environnements, aux systmes et aux images, et porte une mme attention aux objets du travail, des espaces collectifs, de la vie domestique, de la sant, des loisirs, du sport et des transports.Si les objets conus avec des designers sont les tmoins dune culture et tentent den anticiper les tendances, ils doivent surtout tout simplement :- Etre mieux conus donc plus sensibles, plus intelligents, plus confortables et plus agrables fabriquer, transporter, vendre, utiliser et entretenir, voire moins coteux.- Proposer leurs utilisateurs des scnarios rpondant leurs modes de vie, leurs aspirations, leurs besoins.- Participer llaboration de rponses aux enjeux contemporains : vieillissement des populations, limites des ressources naturelles, dveloppement des technologies.

    Anne-Marie Boutin

    Prsidente de lAgence pour la promotion de la Cration Industrielle, APCI, fonde en 1983, elle fut vice prsidente ducation et information de 1987 1992 lICSID, prsidente et directrice de 1984 1992 de lENSCI, membre du conseil scientique du master Design Leadership jusquen 2000, et magistrat honoraire de 1993 2006, la cour des comptes.Elle est depuis 2001 Regional Advisor Europe et membre du conseil pdagogique au Strate College Designers et prsidente de lUIA.

    ENGAGE

    ENGAGE, projet europen de coordination, rassemblant 22 partenaires cherchant dvelopper une communaut centre sur la prise en compte de la dimension motionnelle dans la conception des produits retenu la journe du sensoriel pour en faire son vnement franais. Les raisons sont simples et vont au-del des logiques qui relient le sensoriel et lmotion : rassembler les nergies qui vont dans le mme sens plutt que de faire cavalier seul, rconcilier gnie cratif et mesures et jouer ainsi les complmentarits des disciplines concourant un mme but : faire de la prise en compte de lmotion une valeur ajoute dans la conception des produits et services pour une qualit de vie riche et durable. Ainsi puisse se faire que cette journe rponde, son modeste niveau, la grande ambition qui vise asseoir le dveloppement europen sur une comptitivit fonde sur la connaissance.

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  • Pierre-Henri Dejean

    Matre de confrence lUTC, il est galement architecte, docteur en ergonomie, matre durbanisme et anime lquipe dinnovation Qualit en conception des Produits et Processus Innovants de lUTC.Il est membre du jury du Janus de lindustrie de lInstitut Franais du Design et responsable de la commission ergonomics and design de lIEA.

    Jean-Louis Giordanno

    Dabord ingnieur conseil qualit perue chez Renault, il y a mis en place le management par la qualit. En 2005, il devient enseignant lcole Centrale. Actuellement, il transmet son exprience aux tudiants ingnieurs et doctorants dans le domaine Ecoute client et Projet.Il est lauteur de Lapproche Qualit perue, retraant lexprience et les mises en uvre chez Renault et autres entreprises de produits et services.

    Laurent Aron

    Crateur de la socit Taste Consulting spcialise dans le marketing du got.Consultant et enseignant au CELSA-Paris Sorbonne, il intervient sur lanalyse et la cration des discours sensoriels, ainsi que pour des dmarches de formation autour de 3 axes de dveloppement des marques : explorer, animer et exprimer.Il est lauteur du guide des bonnes pratiques de lvaluation sensorielle et ambassadeur des entretiens Belly/Brillat Savarin.

    Arnaud Aubert

    Matre de confrence lUniversit de Tours, il a suivi une formation en psychologie Exprimentale (Bordeaux) et en Psychobiologie (Berkeley, USA). Il a soutenu une thse de doctorat sur les inuences du systme immunitaire sur le comportement (Bordeaux), et est laurat du prix de neuroimmunoendocrinologie en 1998.Il est aujourdhui habilit diriger des recherches lUniversit de Tours.

    4.1.2.Les actes

    Anim par Anne-Marie Boutin

    POURQUOI LE BESOIN DE SENSORIEL DANS LES NOUVEAUX PRODUITS?

    Synthse labore partir du dbat anim par Anne-Marie Boutin, prsidente de lAPCI (Agence pour la promotion de la cration industrielle), Jean-Louis Giordano, spcialiste de la qualit perue qui a longtemps travaill chez Renault et a crit plusieurs ouvrages devenus des rfrences, Laurent Aron, smiologue, consultant et enseignant au Celsa-Sorbonne et Arnaud Aubert, matre de confrence luniversit de Tours, spcialiste en analyse du comportement, en psychobiologie des motions, et en psycho-neuro-immunologie.

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  • Faire appel lensemble des sensAnne-Marie Boutin commence par rappeler que lutilisateur doit tre au cur de tout projet associant design et sensoriel. Tout dabord car lorsquil dcouvre un objet, lusager le fait avec tous les sens, pas seulement le regard. La nalit ne se rsume donc pas proposer des objets fonctionnels et beaux. Il faut aussi que ces derniers fassent appel lensemble des sens. Ce paramtre devient important pour deux raisons convergentes. La premire tient de lvidence : tout le monde souhaite possder des produits confortables et faciles et spanouir dans une socit la fois agrable et conviviale. La seconde est que les entreprises ont constat que les seules innovations technologiques ou techniques ne sufsaient plus. Elles doivent aussi tre dordre culturel et social. En effet, de rcentes enqutes tmoignent de la monte en puissance ces quinze dernires annes des facteurs non marchands dans la comptitivit des produits. Lachat est de plus en dtermin par lergonomie, lesthtisme, la sensorialit, la crativit, le design en tant que tel. Enn, souligne Anne-Marie Boutin, parler de sensoriel revient parler dmotionnel. Langlais utilise dailleurs les termes demotional design. Car ds que lon sadresse aux sens, on touche indirectement autre chose, les rfrences psychologiques, culturelles et motionnelles

    Traduire le ressenti en rfrentiels Jean-Louis Giordano se consacre actuellement lenseignement, notamment auprs dingnieurs lEcole Centrale. Un public auquel il nest pas si facile, explique le spcialiste, de faire comprendre les enjeux lis la capacit de traduire en rfrentiels le ressenti qualitatif du consommateur. Quand un client parle, et quelle que soit la nature de son discours, banal, contradictoire, dtaill, celui-ci relve compltement du subjectif, explique lingnieur. A charge ensuite pour le fabricant de mesurer malgr tout travers ces mots lvolution de la qualit perue an de produire un barme. Pour ce faire, Renault, comme de nombreuses entreprises, utilise des chelles de notation. Peu importe leur unit de mesure, lessentiel est quelles reposent sur des lments smantiques : chaque niveau doit correspondre une signication par rapport au jugement client et dboucher sur un exemple qui se raccroche lmotionnel. Il y a la sensation pure de qualit perue et linterprtation que va en faire le client. Lobjectif est de dcoder ces signications.

    Des gots et des odeursLaurent Aron, smiologue, consultant et enseignant CELSA-Sorbonne. Son registre dintervention, tant en recherche pure quavec les entreprises, concernent les sens chimiques, soit le got et lodorat. Il a investi ce domaine aprs avoir constat que les neurosciences avaient donn il y a quelques annes les cls ncessaires aux marques pour exprimer les caractristiques senso-organiques de leurs articles. Concrtement : quand un produit sent ou gote, comment se construit cette signication, quelle est son importance dans la mesure o lapprciation que lon a dun mets ou dune boisson inue sur notre got par rapport eux. Ces rexions ont amen le smiologue rchir aux histoires et aux logiques lies aux gots, aux odeurs, quune marque peut construire pour valoriser son produit. Deux logiques tournent autour du sensoriel, expose le chercheur. Lune cherche comment caractriser un produit pour le faire voluer, le modier dans le temps an quil ne se dgrade pas dans son emballage

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  • par exemple. Lautre exploite la perception que peut avoir un groupe de consommateurs par rapport un univers produit, tels le vin ou le caf : Quels sont les mcanismes de pense qui vont inuer sur ce que lusager ressent quand il fait lexprience physique de ce produit?

    Un smiologue au service dun cognacLaurent Aron a par exemple travaill sur la signature sensorielle dun cognac haut de gamme, dans un esprit objet parfum. La marque souhaitait souvrir un nouveau march, celui des Urban Pacha : des hommes aiss, dans lapparence, et qui apprcient dassocier une gestuelle, lgrement ostentatoire, leur dgustation. La marque veut mettre en avant le contenu et non pas le contenant. Lquation se rsume donc : Tout est dans le got, comment lexprimer? Pour commencer, exit les tiquettes rococo. A la place, un certain nombre ditems sensoriels organiques, ne mettant pas en avant lalcool mais ses textures. Ensuite, situer la marque et dcrypter le discours structurant lunivers sensoriel de son cognac. Le smiologue doit alors passer des sens au sens et mettre au jour un discours que la marque pourra sapproprier an de le porter vers ses consommateurs potentiels. Ensuite, lunivers narratif construit autour du produit participera de son ancrage dans limaginaire du consommateur ou du dgustateur.La dmarche se heurte notamment des difcults formelles fortes, prcise luniversitaire, car le got et lodorat portent une plus grande part de subjectivit que la vue et loue.

    Dis-moi comment tu te maquillesArnaud Aubert, matre de confrences luniversit de Tours, a notamment particip avec le dpartement Parfums & Cosmtiques de LVMH une valuation de limpact motionnel induit par lutilisation de produits de maquillage. Outils mis en uvre : lthologie, la psychologie et la physiologie. En pratique, des femmes sont mises dans une situation relevant du quotidien : se maquiller devant un miroir. Deux groupes ont merg du panel tudi. Lun concerne des femmes souffrant dune image dgrade delle-mme, vivant dans un environnement stressant et qui in ne utilise le maquillage pour se fondre dans la masse et sy conforter. Lautre, au contraire, regroupe des sujets utilisant ces mmes produits pour sduire et se mettre en avant. Les femmes sont lmes derrire une glace sans tain. Leurs expressions faciales sont ensuite dcomposes en unit daction par groupes musculaires distincts. Objectif poursuivi travers cette mthode: mettre au jour des correspondances structurelles entre les groupes prdnis, soit dterminer si, selon les prol des femmes, apparaissent des comportements communs. Cest effectivement le cas : le premier groupe dveloppe des expressions ngatives, le second produit spontanment des gestes de sduction. Ce type dapproche permet dobjectiver une exprience relevant de lintime et se rvle intressante car elle vient en complment des mthodes lectro-physiologiques aux contraintes lourdes en terme de protocoles.

    PRSENTATION DE QUELQUES OBJETS QUI ONT TOUS RENCONTR UN SUCCS INDUSTRIEL ET COMMERCIAL ET QUI PRSENTENT UNE COMPOSANTE MOTIONNELLE ET SENSORIELLE INTRESSANTE. (cf. pages 49 53)

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  • Comment a volu la demande de sensoriel ces quinze dernires annes?Fort de sa longue exprience dans le secteur automobile, Jean-Louis Giordano aborde le thme par une leon dhistoire. Les fabricants ont poursuivi tout dabord des objectifs purement fonctionnels : le vhicule devait tre capable de transporter son pilote et ses passagers. Puis, il y a une vingtaine dannes, les clients se sont lasss de ces voitures qui se ressemblaient toutes. Renault a donc continu dune part amliorer la qualit de ses produits et dautre part a initi la recherche de concepts nouveaux, mme de se diffrencier de la concurrence. Le service design invente alors le premier monospace franais, directement inspir dun concept n aux Etats-Unis. Le vhicule est pens en terme de prestations, sans rfrence particulire au sensoriel. Une prestation de vision pour dbuter, puisque le regard du conducteur surplombe les toits des autres vhicules ; une prestation de mobilit intrieure ensuite donner la possibilit de se dplacer , et, enn une offre de modularit permettant dexploiter au mieux lhabitacle. Les designers et techniciens produits sont donc partis de lintrieur du vhicule pour en concevoir lextrieur LEspace est n, imparfait et pas vraiment able. Mais il est encore sans concurrent. Et Renault peut donc continuer le dvelopper, en privilgiant deux axes de travail, qualit et concept.Toucher de pdale et analyse sensoriellePremier objectif : corriger limage du vhicule de faon ce quil dgage ds le premier regard une impression de qualit. Sans contact physique et mme 5 mtres de distance. Puis faire en sorte que cette perception globale, dsormais positive, se conrme lors de lutilisation. La sensorialit du produit doit donc safrmer dans un premier temps visuellement, voire par le biais du son. Elle doit ensuite tre valide par le toucher. Jean-Louis Giordano voque alors un des autres problmes que les techniciens ont eu rsoudre. Il sagit de lutilisation proprement dite du vhicule. Les clients faisaient en effet la marque ce reproche rcurrent : Vous navez pas de pdale du milieu. Soit, vos voitures freinent mal. Premire consultation auprs des essayeurs qui, eux, rpondent que la sensation de bien freiner quivaut obtenir un bon toucher de pdale. Reste dnir quoi cela correspond. La mthode pour y parvenir passe par des ateliers danalyse sensorielle an de dnir un langage qui permettra de dvelopper l aussi une prestation de perception positive instantane. Renault dcide donc daccentuer sa prise en compte des aspects sensoriels et qualit perue. Une qualit sensorielle perue sera ensuite vendue, souligne Jean-Louis Giordano. Cette dmarche ne doit pas entraner de surcot mais tre intgre. Lamour du dtail bien fait : une obligationLe spcialiste signale enn quon parlait dj du bruit des portires bien avant quapparaisse la notion de qualit perue. Des enqutes ont mme t menes an de dterminer les attentes du client. Les rponses ont permis dtablir que celles-ci comportaient la fois du sensoriel ils voquaient un son mat, agrable, ni mtallique ni creux et une dimension physique et motionnelle : le son mis par la portire doit tout simplement signaler quelle est correctement ferme. Lingnieur souligne que les designers de chez Renault, passionns de la belle ligne, ne se proccupent pas forcment de certains dtails techniques, telle la jointure entre la calandre et le pare-chocs. Or, poursuit-il, lamour du dtail bien fait doit tre intgr au design. Le designer doit se mettre la place du client et viser la perfection an de bien orienter le regard de

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  • ce dernier. Cet tat desprit doit dailleurs tre partag par lingnierie. Il ne sagit pas de se contenter de produire et crer des pices fonctionnelles dune qualit acceptable. Lingnieur doit lui aussi accepter que son travail soit dtermin par un objectif nal de qualit perue.

    Que se passe-t-il dans notre cerveau?Pour le chercheur Arnaud Aubert, lvolution la plus consquente de ces quinze dernires annes concerne la faon dont on conoit les motions. Luniversitaire commence par annoncer une bonne nouvelle : nous ne sommes pas schizophrnes! Plus prcisment, notre cerveau nhberge pas deux cratures ; la premire, motive par des desseins assez primaires, la deuxime, toute de raison pure, ntant l que pour calmer ses ardeurs. On sait dsormais que les motions ne sont pas dissocies de la cognition et du raisonnement mais quelles en font intgralement partie. Il faut se dfaire dautre part de lide que le cerveau est un super calculateur ou un ordinateur : il ne fait pas de calculs formels. Alors, de quelle faon opre-t-il? La rponse passe par les spcialistes de lintelligence articielle, qui travaillent depuis trs longtemps sur la question. Ces scientiques sintressent de prs la modlisation du systme crbral puisquils essaient de crer des systmes intelligents. Ainsi, poursuit Arnaud Aubert, certains de ces chercheurs conoivent des systmes experts capables de prendre des dcisions dans des domaines aussi concrets que les ux boursiers, soit vendre ou acheter des actions en fonction de lvolution des cours. Lensemble des rgles connues en matire dconomie est modlis puis intgr des supercalculateurs mme de traiter des millions dinformations en temps rel. Ceux-ci vont donc fournir au nal une dcision qui sera effectivement la solution optimale. Le seul hic est quelle intervient au bout de quatre heures. Un cerveau humain, avec des capacits de calcul forcment moindres, va lui trancher en temps rel. Avec une marge derreur plus consquente, certes. Mais si lon totalise les rsultats globaux ainsi obtenus, on obtient une dmarche au nal beaucoup plus performante. Nous sommes donc face une nigme. Rsolue en fait depuis quelques annes. La matrise crbrale des ux boursiers ne relve ni du calcul formel ni du raisonnement pur mais fait intervenir le systme motionnel, soit du sous-cortical. Une explication simpose.Un rendez-vous chez le dentiste impossible prendreAu quotidien, dveloppe le chercheur, les raisonnements se font la plupart du temps, voire en permanence, sur la base dinformations partielles. Il narrive quasiment jamais que lon ait la totalit des donnes pour rsoudre un problme. Or, ds que le niveau dinformation est partiel, la prise de dcision va tre ralise par des zones crbrales davantage frontales. Et celles-ci vont avoir besoin de laide de zones sous corticales, qui sont impliques dans les motions. Comment le sait-on? Grce certains malades, souffrant de lsions crbrales, trs nes, qui empchent la connexion entre les parties corticales et sous-corticales. Celles-ci naffectent en rien le quotient intellectuel ou la capacit raisonner, et nentranent pas non plus de dcit motionnel. Le problme se situe ailleurs. Arnaud Aubert prend alors pour exemple une personne touche par ces lsions et qui dcide de se rendre chez son dentiste. Au terme de la sance, il apparat que le patient doit reprendre rendez-vous la semaine daprs. Mais il na pas son agenda. Et se retrouve donc confront une prise de dcision sans avoir toutes les donnes de lquation. La plupart dcideraient alors arbitrairement dune date, quitte la modier aprs. Chose impossible raliser pour la personne

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  • affecte par les lsions. Elle va se perdre en conjectures, explorer toutes les hypothses an de pouvoir y rpondre. Ce qui se rvle impossible puisquelle na pas son agenda. Et un simplissime problme du quotidien devient impossible rsoudre. Dmonstration est faite, explique Arnaud Aubert, que les motions ne sont pas un lment dissoci de la cognition ou du raisonnement, ou mme un facteur perturbant ceux-ci : elles en sont au contraire un des lments organisateurs et interviennent donc aussi dans la prise de dcision. La perception de lenvironnementCe qui conduit le chercheur partager les propositions mises par le smiologue Laurent Aron : les motions organisent galement la perception, en tant que systme de construction et donc de signication. En soulignant quil ne parle pas l de sensoriel mais de perception, soit de limage que lon se fait dun produit. Cette dmarche rejoint le concept daffordance invent par le psychologue de la perception James J. Gibson dans les annes 70. Laffordance du verte to ferb, fournir, offrir la possibilit est le concept qui sert de maillon entre perception et action. Soit lide dune cognition globale, non pas analytique ou calcule, mais organise de faon globale, notamment par les motions. Laffordance, explique Arnaud Aubert, cest tout simplement lensemble des actions possibles dans une relation avec lenvironnement. Cela peut-tre par exemple un objet. Une chaise offre ainsi laffordance de sasseoir pour un homme, de marcher pour une souris. Il en existe deux dclinaisons : les affordances perues, cest--dire ce que moi jimagine comme interaction ou utilisation possible avec ce produit ; et puis les affordances relles : ce que permet vraiment lobjet. Lide repose sur le fait que cette affordance nest pas une caractristique physique mais une relation impalpable entre lindividu et son environnement, celle-ci tant construite par le sujet. Cette construction passe par lmotionnel dans la mesure o, en tant que cognition globale, elle se passe dune analyse dexpertise. Le sujet se confronte son environnement sur diffrents niveaux, passant du global au local au fur et mesure quil interagit avec lui. Il intgre au passage diffrentes informations qui, progressivement, vont construire ces affordances, perue chacune diffremment et donnant donc une signication diffrente lobjet. Les informations ainsi intgres relvent tout autant de la mmoire de lindividu, des expriences vcues que de lacquis culturel quil vhicule et donc des normes quil a intgres. Le chercheur appuie son propos travers des travaux raliss avec ses tudiants, o ceux-ci ont cherch savoir ce quest un bruit. Ces recherches ont notamment fait merger que les motions ne se rsumaient pas une adhsion ou un rejet spontans jaime ou je naime pas mais reposaient sur un travail danalyse participant la construction de la reprsentation. Il est temps pour Arnaud Aubert de conclure : Ce qui a beaucoup volu est la faon dont on conoit les motions. Elles ne sont pas l pour nous perturber ou nous tenter mais sont vraiment un lment dorganisation de notre comportement, un lment fondamental dans la prise de dcision.

    Une socit place sous le signe du sensoriel et de limmatriel Laurent Aron signale ce paradoxe : alors qumerge le sensoriel sur le march, la socit va de plus en plus vers limmatriel. Il illustre son propos par un exemple des plus simples : le cot de rparation des appareils est devenu tellement prohibitif que les consommateurs se tournent de plus en plus vers la location dobjets qui prennent des valeurs dusage. Cest lge de lAccs : on ne cherche plus possder mais pouvoir utiliser. Cette

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  • dimension devient assez prgnante et nous allons, dit le smiologue, vers des objets qui nont plus de support. Sans compter bien entendu tous ceux lis au domaine culturel. Le sensoriel, un problme de riches?Laurent Aron fait ensuite remarquer que la qute de sensorialit est sans doute un problme de riches. Et, pour illustrer son propos, explique quen 1940, les usagers taient plutt indiffrents par rapport au bruit que pouvait faire la portire de leur voiture : ils voulaient simplement avoir de lessence et que leur auto puisse rouler. Il prolonge son raisonnement en signalant que lorsque lon na pas mang sa faim depuis longtemps, quelle que soit la qualit du plat qui sera mis sur la table, laffam aura tendance se tourner vers les sucres lents et des aliments roboratifs. Nous sommes dans une socit de lhyper choix, en tout cas pour une grande partie de la population et mme les plus dfavoriss sont confronts eux aussi des choix multiples. Cet tat de fait conduit Laurent Aron formuler une hypothse : lmergence du sensoriel comme tentative de rematrialisation dun certain nombre de produits dont le mode dutilisation est de plus en plus immatriel. Quand le acon importe plus que livresseIl appuie son propos en prenant lexemple du vin. Le postulat classique la qualit dun cru dpend de son prix et rciproquement a notamment t battu en brche lors de dgustations laveugle runissant des spcialistes reconnus. Sans rfrents ni indices matriels distinguant les bouteilles, ces derniers ont lu la premire place un vin 2 euros, le prfrant 18 AOC de prestige! Ce qui signie, poursuit Laurent Aron, que la construction de la valeur stablit partir dun certain nombre dindices, matriels quand ils sont disponibles, cognitifs et motionnels quand ils ne le sont pas. Dautre part, la profusion dobjets entourant les individus les a amens dplacer le centre de construction de leur systme de valeurs, lentranant vers plus dimmatriel. Or, pour en revenir au vin, lusager veut continuer de croire quun cru cher prsente une diffrence de valeur qualitative, histoire aussi de pouvoir se projeter au niveau social o il estime se situer. Bref! Un vin cher doit forcment prsenter une diffrence gustative. Comment signier cette dernire? En gratiant le produit dattributs sensoriels qui vont justier la valeur que lon a construit mentalement, expose Laurent Aron. Le sensoriel, un indice de matrialit?Cela passe par des protocoles empreints de sensorialit telle que la dgustation, rituel social dj bien ancr, la multiplication des clubs ddis ce plaisir en tmoigne. Dautres produits, comme le th, partagent cette qute et cherchent sattacher une dimension sensorielle et lunivers qui en dcoule, via les terroirs, le pays dorigine Le smiologue conclut en mettant cette hypothse : plus la relation physique au produit sloigne et plus se fait ressentir le besoin dtablir un systme de signications mme de lui redonner une part de matrialit. La dmarche sensorielle participe de cela.Arnaud Aubert surenchrit en soulignant que les avances technologiques ont en une dcennie considrablement dsensorialis les produits. Nombre de sensations apprcier leffort ncessaire pour faire tourner un volant par exemple ont t dmatrialises. Puis on sest aperu que sparer le fonctionnel du sensoriel tait arbitraire et un peu stupide. Dcloisonner, communiquerAnne-Marie Boutin, son tour, fait remarquer que la teneur des propos dnote une problmatique de riches. A savoir quune fois les besoins

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  • fondamentaux rgls, dautres apparaissent, de nature plus complexe. Mais elle tient surtout saluer le fait que la diversit des expriences prsentes lors de cet atelier tmoigne dune convergence luvre dans lentreprise et dans la recherche. Quil ressort dautre part que la relation de lindividu aux objets nest pas fractionne mais globale, la fois rationnelle et irrationnelle, intellectuelle, subjective, motionnelle et que pour y rpondre il fallait galement traiter la demande et ses reprsentations de faon globale. La spcialiste rappelle que pendant de longues annes le cloisonnement des services a prvalu dans lentreprise. Samuse dailleurs de navoir pu pendant trs longtemps assortir la couleur de la sellerie de son auto la carrosserie de celle-ci, sans comprendre pourquoi. Une visite chez le constructeur lui donna la rponse : ce ntait pas les mmes personnes qui se chargeaient de lintrieur et de lextrieur du vhicule. Surtout, ils ne communiquaient pas entre eux.

    Lmotionnel et le sensoriel : des besoins fondamentauxPas daccord avec la notion de problmes de riche, dclare Arnaud Aubert. Ltre humain, comme lanimal, na pas que des besoins physiologiques, lmotionnel et le sensoriel en font partie intgrante. Des expriences menes avec de jeunes primates le conrment. Ceux-ci ont t confronts deux modles maternels ; le premier, objectif, rpond ses besoins physiologiques, soif, faim ; le second, purement affectif, est une peluche. Cest vers ce dernier que se tourne le jeune singe, prfrant combler ses besoins motionnels au dtriment de son quilibre physique. Cette raction se retrouve frquemment chez lhomme, par exemple lors des missions humanitaires o lon sest rendu compte que les enfants navaient pas seulement besoin dtre nourris mais quil fallait aller au-del.

    Sensoriel et fonctionnel, duo fondamentalPour Laurent Aron, la combinaison sensoriel-fonctionnel est une spcicit humaine. Quand on ne dit rien du sensoriel, juge le smiologue, si on le lie pas au fonctionnel et que lon ne raconte rien autour des produits, il y a un vide qui privent les usagers dun plaisir accompli. Les lments sensoriels participent la construction globale du produit, soit, mais lobjectif de rencontres telles que cette premire Journe est de dcouvrir comment devenir capable de concevoir globalement et de dcomposer certaines variables an de pouvoir analyser les mcanismes en action.

    Anne-Marie Boutin propose un rapide tour de table autour des objets prsents au dbut de latelier.

    En donner toujours plus, et que cela se voit!Jean-Louis Giordano divise sa dmonstration en trois points. Le premier est que la qualit perue ou sensorielle revient exprimer son amour du produit, qui se traduit par une certaine cohrence, une sensation damour commun. Le spcialiste souligne que chez Renault, chaque fois que le cahier des charges avait intgr ce qui devait tre ressenti depuis le point de vue de la clientle par des images, des mots, des exemples le service design avait su parfaitement retranscrire ces attentes par le dessin. Do sa conance en loutil design, capable de traduire des sensations par la forme et le dessin. Mme si les designers ne forment pas une population des plus simples grer, en premier lieu car ils napprcient gure que le client dicte leur travail en quelque faon que ce soit. On ne peut leur donner

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  • de consignes, juste des tendances! samuse Jean-Louis Giordano. Il faut ensuite faire voluer le produit en cas dimperfections ou sil se rvle en-de des attentes du client. Le service design, dans ce cas, doit, admettre que certaines attentes sont dues, et donc indispensables. Quil faut en outre en donner toujours plus lusager, et que cette valeur ajoute doit tre signie. Le deuxime point poursuivi par lingnieur est la ncessit davoir une vision globale de ce que devra tre la qualit perue associe un produit, cela ds la conception de celui-ci. Ainsi de certaines planches de bord qui, vritables patchwork de produits et matriaux diffrents, signalent ainsi lincohrence ayant prsid leur conception. Sans compter que les raccords disgracieux vont tre masqus, entranant un surcot pour un produit au nal assez peu apprci en matire de qualit perue globale. Le troisime point voqu par Jean-Louis Giordano touche lvaluation sensorielle, travers le prisme dune planche de bord. Celle-ci prsente en effet des caractristiques prgnantes comme la qualit des matriaux. Le client les voit, les touche, leur qualit doit tre perue au premier regard, dgager des sensations de robustesse, de scurit, de niveau de nitions Le toucher par exemple doit tre prouv ds lamont du projet travers des tests. La difcult est alors de faire admettre quil est ncessaire de dpenser de largent pour mettre au point un tissu qui se verra immdiatement plutt que sur un dtail darmature qui restera invisible au client. Premire source dinspiration : le dsir du clientChez Renault, explique lingnieur, certaines personnes ont pour mtier deffectuer des analyses sensorielles et il est primordial que lentreprise sappuie leurs comptences. Tout comme lest la dnition, ds le dpart, du niveau de prsentation auquel lon veut se situer. La qualit sensorielle, souligne Jean-Louis Giordano, ce nest pas pour moi ni pour le technicien ou le designer, mais pour le client. Il est donc vital que les attentes de ce dernier soient traduites en critres dvaluation, ceux-ci permettant la mise au point dune procdure. Lvaluation de la qualit perue se rsume au nal par le verdict jaime, je naime pas mis spontanment par lusager. Cest lopinion du client qui compte, et si lon veut vendre un produit, le jaime, jaime pas, cest lui de le dire.Anne-Marie Boutin relve que les entreprises sont tout fait conscientes que la russite dun produit dbute ds sa conception en tant que projet, quil doit tre trait de faon globale, avec une vision sur le long terme, mais quelles achoppent sur la mise en uvre des dmarches sensorielles.

    Laurent Aron revient lui sur les objets prsents et relve ce paradoxe : la journe du sensoriel sert notamment exposer les diffrentes mthodes lies au sensoriel, et la slection prsente des produits trs design mais qui nont pas t crs pour rpondre une demande spcique dtecte en amont. Beaucoup dentreprises tentent de rencontrer des attentes qui ne sont pas collectives. Or le design est parfois la marge de lusage dun produit. Pour certains dentre eux, on peut se demander si la dmarche sensorielle avait t envisage ds le dpart ou si cest lamlioration de la fonctionnalit, un niveau de confort que lon a atteint, sinterroge le chercheur. Ainsi de Nabaztag, le lapin wi dont la sensorialit a t construit autour de la relation que lon peut entretenir avec un routeur wi. On na plus besoin de le cacher et lobjet se rvle en plus rigolo. La sensorialit chez le lapin tait au dbut une fonction accessoire ; il doit transmettre tant de mga hertz une bande passante qui donne accs linternet

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  • dans toute la maison. Un plaisir a t cr la marge, qui est autre car non prvu lorigine. Laurent Aron tient donc souligner ce paradoxe : de plus en plus doutils sont dvelopps, notamment travers lapproche sensorielle, des analyses discriminatives qui diffrencient et qualient les produits, des approches hdonistes qui quantient le plaisir provoqu par un produit ni, des outils statistiques qui orientent vers les caractristiques sensorielles les plus mmes de satisfaire globalement le consommateur mais les usagers ne sont pas mis dans les conditions du rel et on essaie de gommer les dtails les plus signiants. On aboutit une dnition du produit qui ne correspond pas la ralit rencontre par le consommateur. Un cuisinier vit par exemple tout linverse. Il met en uvre une crativit et une logique doffre au quotidien sur un objet compltement sensoriel, le plat quil propose son client. Mais lui a un retour immdiat.Une passoire passe au cribleArnaud Aubert ragit son tour propos des objets prsents. Commence par relever que ces derniers ont tous t des succs, puis sattarde sur le cas de la passoire en plastique. La russite de cet objet tient sans doute selon le chercheur ce que son objectif initial le gain de place a t complt par la cration dune affordance. A savoir que lon peut la manipuler une caractristique pas vraiment neutre dans la mesure o la tendance la manipulation est commune tous les primates et extrmement marque chez lhomme. La manipulation est de plus une source dactivit ludique, donc ressentie comme positive, et offre par l un plaisir renforc dans laction. Tout cela grce une utilisation dtourne, vide, en tout cas nullement prvue au dpart. Qui aurait pu prvoir que de plier et dplier une passoire en plastique procurerait un tel plaisir? Il en va diffremment pour le marteau de couvreur selon luniversitaire, cet outil permettant justement daborder lobservation du cheminement des diffrentes sources de plaisir. Car le plaisir nest pas que sensoriel, il peut tre directement comportemental, souligne le chercheur, par exemple quand il est li lutilisation, lefcacit. Au registre des motions, il y a toute une squence dvaluation du produit ax sur la relation que lon a lutiliser, notamment les objectifs viss. En clair : est-ce que cet outil est plus pratique et rend-il une action plus efcace? Nous aurons alors un retour ax sur lagrment, estime Arnaud Aubert qui conclut en signalant quil existait une autre source de plaisir : la dimension affective, soit la satisfaction apporte par le produit en lui-mme. Il sagit l dune jouissance intellectuelle, dpassant la seule dimension sensorielle.Qualit perue, qualit dueJean-Louis Giordano apporte son tour son regard sur les objets. Daprs lingnieur, la cl molette est lexemple mme quun inme changement ici, une nition mate plutt que brillante suft changer la personnalit dun produit et le faire basculer sur un nouveau. Au passage, il regrette quaucune modication de la forme ou nouveaut ne vienne accompagner la nouvelle dimension de loutil. Il ny a pas de petit dtail dans la qualit perue, cest quelque chose qui est d. Si on la fournit pas, on est mort. Quant au disque dur, la housse sursignie un peu trop la protection aux yeux du spcialiste. Elle nuit la cohrence du tout et on passe donc ct dune parfaite intgration. Le lapin routeur, par contre, le sduit compltement : envie de le toucher, contact motionnel, relation personnelle Une interrogation, pourtant : le mouvement des oreilles a-t-il t intgr en amont, ds la conception du projet gnral?

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  • Anne-Marie Boutin souligne alors que les objets prsents, choisis par Rgine Charvet-Pello et elle-mme, ne lont pas t car ils prsentaient une dmarche sensorielle sous-jacente mais parce quils les avaient fait ragir, lune comme lautre : Y a-t-il du sensoriel l-dedans? Que pourraient-ils provoquer comme propos sur le sensoriel et les motions? Ensuite, quest-ce que tout cela devient face lvolution des services? Anne-Marie Boutin de conter quelle avait dcouvert quune agence de locations de voitures proposait aux clients qui le souhaitaient une bombe diffusant un parfum de neuf. Ceux-ci ont ainsi limpression quils sont les premiers utiliser le vhicule. Nous sommes donc dsormais lheure de produits offrant aussi une fonction de service. En attendant la raction des spcialistes convis ce sujet, Anne-Marie Boutin donne la parole au public.Stphane Courtier, directeur conseil de Crativ First, est le premier intervenir. Lui sinterroge : quand passe-t-on de la qualit perue, qui sattache lobjet, la satisfaction perue qui est elle axe sur lindividu? Cela dans loptique o lon considre que le rfrentiel de lobjet nest pas celui de lindividu : lusager vit des expriences totalement transverses et cest sur celles-ci que seront bases les enqutes de satisfaction. Comment intgrer dans les recherches et tudes une analyse davantage construite sur lexprience et qui dpassent les seules caractristiques de lobjet? Paul Dutillon, journaliste Rfrences Innovation, lui, souhaite savoir si lon peut dater la prise de conscience de limportance du sensoriel, quels secteurs dactivit se sont rvls pionniers en la matire et quelles sont les grandes tendances venir.

    Sentendre sur le sens des motsCarole Favard Toyota Motor Europe. Travaillant au niveau europen, lindustrielle signale quelle est confronte chaque jour au dcalage produit par les diffrences de signication pour de mmes expressions, savoir qualit perue et qualit sensorielle. Si lon regarde du ct des ingnieurs, explique-t-elle, la qualit perue va viser amliorer la qualit des assemblages de pices par exemple. Mais, comme la dit Jean-Louis Giordano, la pice numro 1 peut avoir un design absolument parfait, la numro 2 aussi, mais si elles nont pas t conues dans un ensemble, la dmarche na pas de valeur. Un produit peut tre excellemment ni dun point de vue de la qualit perue pure et dure, et se rvler extrmement froid, ne rien dgager au niveau qualit motionnelle. Carole Favart conclut en souhaitant que lon puisse dsormais attacher la qualit perue le sens de qualit suprieure, la qualit sensorielle tant un peu celle de lavenir, une dimension au-del.

    Arnaud Aubert note quune sparation a toujours prvalu entre lacte dachat et lusage proprement dit du produit et que cette situation introduit une temporalit dans la dimension motionnelle. Viennent ensuite toutes les quations rsultantes : lacte dachat doit, lusage satisfait, ou bien linverse, de multiples combinaisons vont faire que limage de marque dun produit samliore ou non.

    Intgrer les sensations lmentairesPour Jean-Louis Giordano, qualits perue et sensorielle forment un ensemble. Ce qui ne relve pas de la qualit perue, ce sont toutes les qualits perceptibles dans le temps, dont celles relevant du sensoriel. Chez

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  • Renault, la n dun projet, nous dtenions une sorte de glossaire portant sur la qualit sensorielle, raconte lingnieur. Cest pour moi une rponse la qualit perue. Elle supporte les mmes critres objectifs, le ressenti va tre traduit en indices de satisfaction et apporter une connotation une reprsentation. Le marteau de couvreur, par exemple, me fait penser un piolet dalpiniste. Nous devons intgrer ces sensations lmentaires et ces interprtations dans notre travail danalyse sensorielle.En rponse Stphane Courtier qui sinterrogeait sur les modalits pour passer de la qualit perue des critres de satisfaction, Jean-Louis Giordano assigne chacune des deux dimensions une fonction : comment, et quoi. Plus clairement, le quoi, cest dj se pencher sur la satisfaction du client : quoi le produit lui sert-il? quelles sont ses attentes? Il sagit donc de capter les attentes de lusager puis de les reformuler an de pouvoir dterminer quels services on peut fournir en termes de qualits sensorielle et perue et, de cette faon, que la fourniture desdits services produisent une satisfaction. Cela revient de fait reformuler les souhaits de lusager an que les critres de qualit perue qui vont tre dsigns correspondent bien des satisfactions client.

    Sur laspect historique et prospectif du sensorielLaurent Aron dresse un bref historique des mthodes de mesure du sensoriel. Ses origines, selon le smiologue, sont essentiellement amricaines. Actuellement, derrire le terme analyse sensorielle, on trouve un mix de mthodologies, malgr lexistence des normes AFNOR. Les premires approches, qui visaient des rsultats statistiques, tentaient de fait de calibrer la dimension sensorielle. Le moteur de cette dmarche a t le secteur agroalimentaire, on parlait alors de mtrologie sensorielle. Malgr tout, il est apparu que lon manquait doutils : llasticit dun jambon peut tre mesure, cela napportera pas dinformations sur les effets quil produit en bouche. Or, cest bien lexprience globale de consommation qui intresse le producteur. Celle-ci comporte plusieurs dimensions : texture, chaleur, dventuelles perceptions chimiques, gnrales comme le got, ou le son les chips, par exemple, doivent craquer Le mot mtrologie nest pas innocent : on a voulu mesurer et rationaliser. Nestl a t un gros diffuseur de ces mthodes, le secteur automobile prenant le relais il y a une vingtaine dannes. Paralllement, certains viticulteurs afrment pratiquer lanalyse sensorielle alors quils gotent le vin an de lui donner une note, une qualication, pas une identit sensorielle particulire. Les mthodologies ne sont alors pas du tout les mmes. Laurent Aron propose donc de distinguer deux types de produit : dune part ceux rationalit statistique, dautre part ceux pense magique. Ds lors o il y a une industrie, poursuit le chercheur, des logiques sociales entrent en uvre. Notamment le got, qui est vraiment une modalit particulire via la dimension subjective qui lentoure et la grande diffrence de perceptions suivant les sujets. En schmatisant, ce que gote X nest pas ce que gote Y alors que ce que lun et lautre pourraient voir ou entendre serait sans doute quasi similaire. Ce ou permet des gens davoir un statut dexpert en sen attribuant simplement le statut. Cest le cas des nologues dont le rle a considrablement volu. Un bon professionnel est celui qui est capable de reproduire une cuve chez son client viticulteur et de stabiliser dans le temps la signature temporelle de son vin, ou de la faire voluer si son client souhaite raliser une cuve. Le bon professionnel nest pas celui qui met sa photo sur un prospectus dhyper march pour y dclarer : Jai

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  • got pour vous. Ce rle est apparu il y a une dcennie. Et Laurent Aron de poser : Dans le vin comme dans le parfum, la rhtorique, la mesure du got, cest quelquun qui sait pour les autres.Restituer la dimension sensorielle dans lacte dachatCest bien entendu diffrent dans le secteur alimentaire industriel : comment faire en sorte que la formulation du produit permette de construire une diffrence dans le temps et sassurer que des consommateurs vont pouvoir la reprer, cela de faon rptable et plaisante? On a donc labor des mthodologies qui ont petit petit dissoci tout ce qui relve de lapproche analytique pour davantage saxer sur les diffrences par le biais de statistiques ou en utilisant des prols sensoriels. Ceux-ci relvent dune tentative de qualier les principales caractristiques dun produit travers un lexique. Il y a aussi des tentatives pour faire entrer les statistiques dans lanalyse sensorielle. Les professionnels agissant dans la sphre de la recherche et dveloppement savent en tirer parti. Eux sont rompus aux statistiques multidimensionnelles et donc mme dexploiter la diversit des sujets et den tirer des enseignements. Les services marketing sont eux aussi intresss par ces mises en quation en donnes quanties. Cette notation analytique est trs utilise dans la grande distribution pour dterminer quel produit est le prfr des consommateurs. Ils vont les utiliser pour oprer des choix parfois irrationnels dailleurs : retenir le produit qui a la meilleure note nest pas lassurance quil conquire ensuite une niche valorisante. Ainsi, celui ayant obtenu une note de 15,8 sera prfr celui natteignant que 13 alors quexiste la possibilit que le moins bien not soit en effet moins apprci globalement par lchantillon interrog mais ador par une partie de celui-ci. Sur le terrain, cet engouement se transformera en niche capteuse de parts de march. Ces mthodes sont encore en plein construction et lon est confront une grande disparit, prcise Laurent Aron. Qui prconise de faire un grand mnage dans les procdures dtudes actuelles. Globalement, expose luniversitaire, sous divers habillages smantiques, ce sont les aspects quantitatifs et qualitatifs qui sont utiliss. Ces concepts remontent aux annes 30 pour le quantitatif et aux annes 50 pour le qualitatif. Cette dernire dmarche se heurtant un nouveau problme : comment interprter les comportements a posteriori, en situation relle, partir des donnes recueillies lors des tests, et donc dans des situations huis clos? Dautant plus que le ressenti des sujets par rapport au produit, quil soit tactile ou sonore, prsente de srieux contrastes. Ainsi lorsque lon pose la question Aimez-vous le sucr?, les diffrentiels atteignent des carts de 3 chez 60 % des usagers interrogs et lon relve des carts de 10 sur lensemble des chantillons. Ce qui revient dire que certains chaussent du 20 et dautres du 60 tablir une vision gnrale de la perception du sucr ncessite donc davoir des mesures trs larges. La prospective, conclut Laurent Aron, cest donc dinventer des outils permettant de restituer la dimension sensorielle dans la globalit de lacte dachat. Et il y a du boulot!

    Romain Dejonckheere, design manager Europe pour Invacare International, leader mondial en matire de matriel paramdical, prolonge le dbat en posant plusieurs questions : Comment grer lanalyse sensorielle vis--vis des gens qui souffrant justement dune dfaillance de leurs sens? Quel est limpact de ltat de sant sur la perception des produits? Ce dernier point trouvant directement un cho au secteur dactivits dInvacare puisquils

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  • fournissent des produits non pas acquis par choix mais par besoin et qui ont t prescrits. Dans ce cas, faut-il exacerber les codes sensoriels? Enn, les utilisateurs sont-ils tous gaux devant les marques et ces dernires sont-elles toutes gales devant le sensoriel?

    Savoir exploiter et enrichir lattenteArnaud Aubert souhaite tout dabord revenir sur les notions dattente et de reprsentation : en situation relle, insiste le chercheur, un sujet en situation de perception ne ragit pas directement en terme de sensations. Nos comportements sont guids par des schmas perceptifs, donc par une construction. Un individu est constitu dattentes, ce qui peut avoir des implications mthodologiques. Notamment lorsque sont effectus des tests gustatifs o, la plupart du temps, les diffrentiels entre produits sont relativement faibles, lattente peut avoir un rle contaminant trs important. Il sagit l dune consquence de notre propension toujours essayer de conformer notre exprience sensorielle relle nos attentes et non pas linverse. Ce qui revient tout simplement entretenir la cohrence de lunivers que chacun sest construit. Le chercheur cite ainsi une tude sur corrlats neuronaux lors de dgustations Pepsi versus Coca Cola. La marque Coca permet un amorage sensoriel consquent en sa faveur par rapport son rival. Limagerie mdicale permet de constater que lorsque lon active des zones prcises comme les parties frontales et hypnopompiques (relatif la phase de rveil partielle qui succde au sommeil, ndlr), les personnes testes vont compltement conformer le got en loccurrence du Pepsi limage quelles staient construites. Elles avaient imagin quon leur ferait boire du Coca et ont donc fait en sorte que la boisson ingurgite corresponde cette attente.Linuence du facteur immunitaireLe fait dtre en laboratoire et donc de pouvoir gommer les indices nest pas vraiment une valeur ajoute. Cest mme linverse : on vacue le problme au lieu de le contrler. Quoi que lon fasse, lattente, la reprsentation seront toujours l. En labsence dinformation, lindividu va se laisser guider, en construire plus ou moins au hasard ; de toute faon, lors de la dgustation, il se concentrera davantage pour tenter de deviner la nature de la boisson que sur ses sensations. Lattente et lanticipation sont donc fondamentales car lon y construit un monde signications que lon cherche toujours renforcer. Quant linuence de ltat de sant, il a t dcouvert que le systme immunitaire pouvait inuencer les attentes voques plus avant. Arnaud Aubert explique ainsi que lon obtient des niveaux assez marqus, notamment du point de vue du sensoriel, ainsi que des ractivits diffrentes selon le type de produit. Les tudes jouent sur deux aspects, les attentes et le traitement de linformation au niveau crbral. On a dcouvert il y a une quinzaine dannes que le systme immunitaire produisait des lments dinformation appels citokines, et que ceux-ci avaient des sites de rception dans le cerveau. Ce qui revient dire que le systme immunitaire agit directement sur les processus crbraux, donc sur le traitement de linformation et, de faon plus globale sur la dynamique corticale et par consquent sur la construction des attentes. Du poids du discoursLaurent Aron poursuit la dmonstration dArnaud Aubert en insistant en prambule sur le fait que tous les stimuli ntaient pas gaux dans cette logique de poids du discours et des marques. Les neurosciences ont mis

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  • au jour dans les vingt-trente dernires annes des donnes expliquant cette situation : vision et coute donne des rsultats assez stables, en tout cas pour ce qui concerne les formes et les couleurs, les stimuli olfactifs prsentent une grande disparit selon les sujets. Le smiologue opte ensuite pour un exemple o la marque pse, le champagne, et appuie son propos par des expriences menes par lINRA (Institut national de recherche agronomique) et le Centre du got Dijon. Lors de dgustations laveugle, les testeurs ne doivent pas porter de jugement qualitatif mais noter lagrment procur par la dgustation. Cette exprience est double en leur demandant combien ils seraient prs payer chaque cru dgust, cette procdure permettant de les impliquer davantage. Dans les deux cas, les notes sont les mmes, que le champagne soit low cost ou issu dune grande marque. Quand ce sont les marques qui font lobjet dune notation par contre, les rsultats correspondent la hirarchie construite par leur niveau de reprsentation. Et lorsque lon fait dguster ces champagnes sigls, lapprciation du got est chelonne en fonction de ladite reprsentation Le discours, lhistoire labore autour de chaque marque fait donc son ofce, samuse le smiologue, qui note que le poids du discours cre une reprsentation dpassant la seule exprience sensorielle. Un phnomne qui sapplique tout autant la volaille, avec par exemple la bague certiant que tel poulet est issu dune rgion lablise. Mais qui ne signie en rien que chaque produit est identique, explique Laurent Aron. Cela veut juste dire que la construction dune image de marque est tout aussi ncessaire son propritaire qu ses clients. Le premier car il se distingue ainsi de la concurrence, le second car il a besoin, en fait, que les diffrences soient bien tablies. Le consommateur na pas spcialement envie quon lui dise : Tout se vaut. Ce qui compte, cest que vous ressentez, vous. Nous vivons dans un monde o lindividu est isol et o la consommation construit des signaux sociaux dont la prgnance saccrot. Or, le consommateur a besoin de pouvoir se situer par rapport aux valeurs quon lui propose. Et la reprsentation du got fait partie de ce systme. La cl, pour les marques, est trs certainement dtre trs attentives la chane qui construit cette valeur et de mettre en uvre des mthodologies adquates. Lunivers du vin a ses gourous pour justier le systme, dautres secteurs mettront en avant des bnces sant ou sensoriels travers des statistiques. La construction de la reprsentation du produit commence par l et construit ainsi sa diffrence. Sans cette construction, cela ne fonctionne pas, conclut le chercheur.

    Pour nir, leffet anti-saint ThomasEgaux devant les marques? Selon Anne-Marie Boutin, les rponses sont relativement claires mais pas explicites. Tout dpend dans quel univers se situent les produits et les services que lon offre, depuis les plus rationnels jusquaux plus magiques. En ce qui concerne les questions lies ltat de sant ou aux handicaps, la spcialiste trouve que les travaux engags vis--vis de cette population devraient offrir des pistes intressantes pour concevoir des produits destins tout le monde.Quant aux tendances, une chose parat certaine aux yeux de la spcialiste : le sensoriel joue un rle important dans les comportements dachat et de choix. Et si tendance il y a ce serait un rapprochement entre la dmarche sensorielle et lanalyse sensorielle an de construire des reprsentations qui modieront les comportements. Anne-Marie voque ce propos sa collaboration avec un groupe de psychologues il y a une vingtaine dannes.

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  • Ils avaient baptis le mcanisme de construction des reprsentations leffet anti-saint Thomas : les gens ne croient pas ce quils voient, mais voient ce quils croient Les professionnels de la communication ont ce niveau un rle important jouer, ce sont eux qui vont construire les reprsentations sur lesquels les comportements vont pouvoir se dterminer.

    4.2.Atelier 2

    4.2.1.Les participants

    Le CDRA

    Association loi 1901, le Centre du Design Rhne-Alpes compte plus de 160 adhrents, entreprises, agences de design, consultants, coles Le Conseil Rgional Rhne-Alpes et ltat en rgion sont ses principaux nanceurs. Avec un budget de 890000 euros et 7 personnes, il contribue la performance des entreprises par le Design, en tant essentiellement Centre de Ressources en Design ddi linnovation des entreprises.Son activit sappuie sur une offre de plus de 450 professionnels du design en Rhne-Alpes (15 % de loffre design franaise), une pratique du design rpartie dans un tissu industriel diversi, un travail en rseau largi aux centres europens et aux associations internationales.Pour que les entreprises utilisent plus et mieux les ressources du design au bnce de leur innovation, le Centre du Design met en uvre des services, des actions, des outils pour clairer lentreprise, faciliter sa pratique du design et la mise en oeuvre de ses projets.Il met la disposition des entreprises une offre large de ressources structure autour de leurs principales attentes : Information, veille, formation et assistance technique la prparation de projets aussi divers que le recrutement, la formation interne, llaboration de cahier des charges de projets design Ses rencontres attirent en moyenne 1 000 personnes par an, elles illustrent, par des tmoignages, les liens du design aux fonctions et mtiers de lentreprise, les mtiers du design en pointe et les personnalits reconnues du monde de lentreprise et du design.Ses recherches sont orientes sur le thme du management du design en entreprise et de lco-design, deux thmes pour lesquels il travaille en troite collaboration avec des chercheurs reconnus. Lco-design (prise en compte de limpact sur lenvironnement ds les prmices de la dmarche de conception) est le thme stratgique de ses actions depuis 2003.Il dite trois fois par an Design Plus Magazine, un journal dinformation et de rexions sur la pratique du design en entreprise.

    Marie-Margueritte Gabillard Directrice du Centre du Design Rhne-Alpes (CDRA) depuis 1994.Diplme de HEC, depuis loption marketing et crativit de n dtudes jusqu aujourdhui, son parcours professionnel est centr sur les fonctions marketing, en entreprise ou en tant que consultante.

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  • Patrick Beau

    Docteur en Sciences, il est directeur de la socit Spincontrol, quil a cre Tours en 1991. En 1995, il se spcialise en cosmtique, avec le dveloppement de lchographie haute rsolution, de la projection des franges et de lanalyse dimage numrique.Il ouvre en Thalande en 2003, Spincontro Asia Co.ltd pour tester des produits sur un panel asiatique, selon les mmes exigences que Spincontrol France.

    Bernard Delage

    Architecte acousticien, il est directeur de la socit Via Sonora. Il est chercheur pour le Plan Construction, le ministre de lenvironnement, le Plan Urbain, il enseigne lacoustique et la domotique en cole darchitecture et en cole dingnieur, il ralise de nombreuses tudes de design sonore pour la RATP, pour des industriels de lameublement, de lalimentaire, ou du packaging, dans les annes 90.

    Jean-Nol Jaubert

    Crateur lors de sa thse du Champ des odeurs qui permet de dcomposer une odeur en composants odorifrents simple, il le commercialise an fondant sa socit IAP International-Sentic. Ses tudes sont orientes vers la biochimie et lapproche du domaine de la biognse de composs odorants.Il effectue une collaboration au sein dun groupe mondial dans la pratique des substances odorantes en formulation et en application.Il est aujourdhui professeur luniversit du Havre et luniversit de Montpellier, ainsi qu ltranger.

    Jean-Michel Durivault

    Aprs un DUT Biologie Applique luniversit de Tours en 1984, il effectue une formation lEducation du Got avec Jacques Puisais en 1987. Un an aprs, il cr avec Christophe Prouteau lInstitut de Dgustation Tours. En 1995, il obtient son D.U.S.S. Comportement, Environnement Alimentaire et Connaissance du Got lUniversit de Tours. Il cr en 2002 CQFDgustation.

    Jean-Franois Bassereau

    Aujourdhui charg de projet pour SENSOLAB et professeur LENSAM, il est diplm en architecture dintrieur lEcole Nationale des Beaux Arts Dcoratifs Appliqus LIndustrie, en design industriel lEcole Nationale Suprieure des Arts Dcoratifs de Paris.Il est associ en design sensoriel au laboratoire Conception de Produits et Innovation de lENSAM de Paris. Il a particip en tant quexpert auprs du Ministre de lIndustrie pour la mise au point de la technologie cl mtrologie sensorielle en 1995 et 2000.

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  • Gael Laurens

    Chercheur lUniversit de Technologie de Delft, il sest spcialis dans le design industriel.Il collecte et rfrence les mthodes et outils traitant dmotion pour ENGAGE.

    4.2.2.Les actes

    Anim par Marie-Marguerite Gabillard

    LES MTIERS DU SENSORIEL

    Synthse labore partir du dbat anim par Marie-Marguerite Gabillard, directrice du centre du Design Rhne-Alpes et auquel ont particip Patrick Beau, directeur de Spin Control, laboratoire spcialis dans lanalyse sensorielle des cosmtiques, Bernard Delage, architecte acousticien (Delage & Delage), Jean-Franois Bassereau, enseignant chercheur en design sensoriel lEcole Nationale Suprieure des Arts et Mtiers et Jean-Michel Durivault, de CQFDgustation Tours.

    Les cosmtiques et lobligation de la preuvePatrick Beau, directeur de Spin Control, Tours, explique les tenants et aboutissants de son mtier : tester lefcacit de produits cosmtiques. Laboratoire indpendant, Spin Control a pour objectif dapporter ses clients les preuves, sous forme de donnes chiffres, conrmant les revendications (antirides, amincissant) des crmes, gels et autres produits.Ce qui est mesurable, ce qui ne lest pasPour mesurer les rides et leffet des crmes, la tche est relativement aise : prises dempreintes, photographies, mesures (longueur, profondeur), comptage (du nombre de rides par exemple), avant et aprs traitement. Le verdict est sans appel, les rsultats faciles communiquer. Pour rendre compte de lefcacit dune crme amincissante, l encore, mesures centimtriques en nombre et utilisation dun chographe an de mesurer le relief de la peau. Les choses se compliquent quand Spin Control est confront des problmatiques dont aucun instrument de mesure ne peut venir bout, tel lclat du teint. Lobjectif du laboratoire est de mettre au point un outil objectif permettant de le mesurer malgr tout. Premire tape : dnir ce dont il sagit Pour ce faire, Spin Control a ralis des tables rondes avec des centaines de Tourangelles invites sexprimer sur le sujet. Quatre descripteurs ont t alors mis en vidence et servent de paramtres essentiels : la couleur, la transparence, la luminosit et la clart. Mesurer la douceur de la peauDeuxime tape : mise en place dune dmarche proche de lanalyse sensorielle, sans quelle en soit vritablement une. Sont tudis le toucher, la texture, lodeur, la couleur et le packaging, lment ayant un impact extrmement fort dans lintention dachat du produit cosmtique. Autre ple majeur de cet univers : la douceur de la peau. Pour la mesurer, le recours lanalyse sensorielle simpose, explique Patrick Beau. Il faut donc en faire un outil, via des professionnels spciquement entrans juger de cette dimension spcique du derme avant et aprs application du produit.

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  • Entreprises en qute de contactsSuite cette prsentation, Marie-Marguerite Gabillard interroge Patrick Beau sur ses relations avec les autres secteurs de lentreprise. Avant dobjectiver les lments quantier sur la douceur de la peau, comment les experts ont-ils t trouvs? Existe-t-il des liens avec le marketing ou la recherche? La spcialiste juge en effet important de situer le travail de Spin Control dans une dynamique de conception puisque les comptences du designer lui permettent dintervenir en amont, pendant la ralisation, et en aval dun projet. Les sens, expose-t-elle, reprsentent la premire porte par laquelle on atteint le consommateur. Lentreprise est de plus en plus en recherche de points de contact avec lutilisateur pour communiquer ses valeurs, ses performances et son image. Les sens reclent donc un potentiel extraordinaire pour le designer an daccompagner et dappuyer le message de la marque, de lentreprise et du produit. Marie-Marguerite Gabillard juge enn que le travail de Spin Control offre lopportunit aux professionnels du design dobjectiver une facette de la valeur ajoute offerte par leur discipline. Les informations fournies par le laboratoire tourangeau vont donner corps la douceur, la clart, la lumire et fournir de multiples pistes pour, notamment, faire voluer le packaging.

    Convaincre de lobjectivit de loutilPour Patrick Beau, les interventions de Spin Control se situent rsolument en amont de ltape design. Le rle du laboratoire est dobjectiver des donnes et ses interventions nont pas dimpact direct sur la vente. Elles ne font en tout cas pas lobjet dun retour quantitatif en la matire. Tout commence par la commande de mesure dun paramtre particulier par un donneur dordre, explique Patrick Beau. Premires difcults rencontres : convaincre dune part le client que loutil de mtrologie sensorielle est adapt sa demande ; persuader, dautre part, au sein de lentreprise elle-mme docteurs en sciences et autres ingnieurs que la mthodologie employe relve bien dune dmarche objective. Ce qui reprsente une vritable difcult face une quipe de scientiques, par dnition trs pragmatiques. Patrick Beau conclut : Il a fallu et il faut encore discuter an de convaincre de la pertinence de notre approche.

    La mtrologie sensorielle : des donnes prcieuses pour les designersMarie-Marguerite Gabillard ne partage pas lavis de Patrick Beau : celui-ci, son avis, sous-estime le travail de ses quipes en tant que ressources pour les designers. Ces derniers justement sont justement en qute de ce type de donnes, mme de servir dappui pour leurs recherches et dtre ainsi certains daller dans le sens o la marque veut aller. Car si les designers chouent exploiter le langage des professionnels du marketing, les donnes fournies par un laboratoire comme Spin Control sont par contre immdiatement utilisables et devraient dailleurs gurer dans les tudes de march. Aujourdhui, explique la spcialiste, le march du cosmtique oblige perfectionner loffre et tre davantage discriminant : On ne peut se contenter de travailler louverture dun pot et lodeur qui sen dgage. Le travail de Spin Control est intressant car il raconte lhistoire dun usage et cela travers des lments objectifs et mesurs.

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  • Des rsultats uctuants malgr une technique ableAlain Guerda, de Rolex SA, soulve un point intressant : concernant la douceur de la peau, les apprciations obtenues par le laboratoire sont-elles rptables six mois ou un an aprs? La rponse est nette : la rptition des rsultats nest pas garantie. Un tat de fait qui nest dailleurs pas li la mtrologie sensorielle mais au support dtude, qui est biologique. Spin Control travaille avec des tres humains dont la physiologie connat des variations dans le temps, de multiples paramtres entrant en ligne de compte: saisonnalit, culture, nourriture, tat desprit, psychologie Ce qui est vrai pour lanalyse sensorielle lest aussi pour les mesures instrumentales, poursuit Patrick Beau. Avec un panel de volontaires identique, deux mois dintervalle, les rsultats voluent. Par contre, le laboratoire peut garantir le travail de ses juges qui est, lui, rptable. Lquipe travaillant sur la douceur de la peau est compose dune dizaine de personnes spciquement entranes. Le laboratoire sassure en permanence de la justesse de leurs performances. De toute faon, insiste Patrick Beau, le mtier de Spin Control nest pas de fournir des rsultats rptables mais de garantir la justesse et la prcision de ses outils de mesure, quil sagisse dun chographe ou dun panel de juges.Inventer les outils capables de mesurer le bien treUn des objectifs de la Matriauthque est justement de capitaliser ce savoir-faire, poursuit le spcialiste. De plus, des demandes indites issues du march cosmtique entrent en jeu ainsi parle-t-on dune attente de bien tre et il va falloir apprendre les mesurer et les prouver. Mais comment mesurer le bien tre apport par un cosmtique? Lentreprise est en qute doutils innovants et originaux de la part de laboratoires danalyse et de mtrologie sensorielle pour apprhender ce type de d et ainsi conforter sa position. Elle cultive aussi dans ce but des relations troites avec luniversit.

    Essai de dnition du design sonoreIntervention de Bernard Delage, architecte de formation, devenu designer sonore par le biais de la recherche sur le paysage sonore.

    Crer un son en fonction de son environnementPour Bernard Delage, sa spcialit est une partie du design global, tout comme un son peut participer dune identit. Entre les deux se situe un domaine qui tire sa force de possder des racines puisant simultanment dans lunivers de lobjet et dans la culture musicale. Il sagit de la musique contemporaine qui exploite beaucoup les sons et les bruits que peuvent produire un objet. Un genre qui illustre par ailleurs la dmarche du designer : il ne faut pas abandonner le monde la musique, plaide Bernard Delage. Ni faire table rase de tous les bruits. Il revendique une approche toujours contextuelle, posant ladage : On ne cre pas un son sans considrer son environnement. Ce qui ncessite une attitude rchie, analytique.La bote de rglisse Zan : une forme sonoreAn dclairer sa dmarche, le designer emprunte notre patrimoine gourmand et industriel lune de ses russites : la bote de Zan. Il commence par signaler que le bruit produit lorsque lon ouvre ou ferme la bote montre que le son vient de la fonction. A contrario, le credo de larchitecte est que la forme vient de la fonction. Or le designer sonore a pour objectif de conserver toutes les qualits de cet objet et surtout de sen inspirer pour doter aujourdhui des ustensiles rels ou virtuels de la mme simplicit, dune

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  • efcacit gale et, en mme temps, du mme rapport de sympathie! Le monde moderne limine tous les frottements car ils sont sources dusure, poursuit Bernard Delage. Pourtant, deux matires diffrentes frottes lune contre lautre peuvent former un objet. Ainsi de lalliance du mtal et du bois, qui devient un appeau capable dattirer les grives. Du glouglou au bip : le son ergonomiqueLa manipulation dun objet peut galement fabriquer un son. Tel le glouglou produit par un verre en train dtre empli et dont la tonalit change au fur et mesure que le liquide se transvase. Symphonie de deux acteurs la bouteille que lon vide et le verre qui semplit. Ce geste est naturellement accompagn dun son. Si ce ntait pas le cas, il serait difcile de dterminer du degr de remplissage ou de vidage des deux ustensiles. Ces informations sonores ou auditives parviennent aux individus sans quils en aient conscience. Le son peut supporter davantage dinformation, didentit, dergonomie (cest un outil ergonomique) et servir valider une action. Il a alors le rle dun retour, ce feed-back assurant le sujet de la ralisation effective dun certain nombre dactions. Pour lusager de la RATP et du mtro par exemple, ce feed-back sonore est ncessaire dans la mesure o il conrme que lefeurement du badge Navigo sur le lecteur de lautomate a bien t pris en compte. Les usagers virtuoses du quotidienBernard Delage revient justement sur une recherche mene il y a une quinzaine dannes pour le compte de la SNCF. Son intitul : Message sonore en gare du Nord, les exigences de lurgence. Le designer a commenc par tudier le comportement des usagers lorsquils sont confronts une situation durgence ou complique : grve, retard Ils reoivent alors des informations sonores rendues souvent incomprhensibles par la rverbration produite par les halls et ces messages provoquent parfois plus dinquitudes et dincomprhensions quautre chose. Restait donc dterminer si les usagers ne captaient pas dautres indices acoustiques que la parole. Lanalyse a t mene dans des gares et auprs dun public aux perceptions trs labores dans la mesure o il utilise ce moyen de transport au moins deux fois par jour. Une population compose dacteurs du quotidien devenus des virtuoses de laction puisquil apparat quils dtectent instantanment quand ils doivent courir pour attraper un train sur le dpart ou troquer dans la seconde telle voie pour une autre. Le son, prcieux lment du rel A lissue de cette recherche, la RATP a con lquipe de lacousticien la cration de sa nouvelle identit sonore. Le contexte social et technologique est alors relativement lourd : rduction du personnel, augmentation du nombre de machines et les voitures sans conducteur appeles se dvelopper. Les metteurs en sons dcident de privilgier lide de lignes ferroviaires il ne sagit ni du train ni de lavion mais bien du mtro et den faire ressortir la modernit. Un logo sonore assez complexe est mis au point, cre en collaboration avec le compositeur Christian Zansi, notamment directeur adjoint du Groupe de Recherches Musicales (GRM, pour en savoir plus : www.ina.fr/entreprise/activites/recherches-musicales/index.html). Ce matriau a ensuite t dclin en lments sonores simples pour le distributeur de tickets ou pour la borne de validation du Pass Navigo. Les sons indiquent alors lusager sil peut entrer dans lespace RATP ou si sa carte doit tre renouvele Nous sommes l face un lment semi-objet, semi-musical, expose lacousticien avant de rappeler toute limportance des sons. Les objets peuvent se draliser, voluer, mais il est

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  • ncessaire quils gardent une part de leur matrialit et de leur prsence. Bernard Delage : Cest le son des objets. Lger, peu encombrant, rglable et adaptable, souvent utile. Cest de lergonomie.

    Sons et matires Mantes-la-JoliePoursuivant la prsentation des diffrentes facettes de son travail, le designer revient sur le parcours sonore quil a mis en place dans un parc de Mantes-la-Jolie en banlieue parisienne. Un site paysager magnique, hlas enclav au milieu dautoroutes et de rocades, et dpourvu de murs antibruit. Lespace est travers par une petite rivire, arbore un alignement darbres. On dirait une petite valle, noye dans la rumeur de la circulation. Loption retenue par Bernard Delage a t de mettre le paysage sonore la mme hauteur que lenvironnement visuel et olfactif. Le travail, effectu en collaboration avec un paysagiste, a consist ce que les visiteurs puissent prendre conscience du passage du vent dans les arbres, trop discrets, et de la prsence de leau toute proche, car la rivire se fait parfois oublier. En pratique, de grosses clochettes ont t suspendues dans les branches. Celles ci ne diffusent quune unique note. Une fabuleuse harmonie se met donc en branle ds quole dcide de soufer. Un immense instrument qui tinte au passage du vent, celui-ci modulant qui plus est les mlodies selon lintensit de son soufe. Au passage, les clochettes apportent une information venant sajouter celle fournie par le bruit de la brise dans les feuillages. Le beau dbit de leauConcernant la rivire trop discrte, lobjectif tait que le bruit de leau soit perceptible mme 15 ou 20 mtres de distance. Une douzaine de grosses boues ottantes ont t ancres dans leau. Chacune est dote dun moulin eau qui actionne une bote musique diffusant une mlodie distincte. Ce dispositif donne naissance des compositions rpondant aux seules variations du dbit de leau, soit au plus grand des hasards La ralisation repose sur la volont daugmenter une perception, celle du vent et de leau, le son devenant alors un amplicateur du ressenti global que lon peut avoir de ces deux lments dans cette ville.Sisoler des sons du monde, dangereux?Baladeurs et autres lecteurs MP3 coiffent la tte de plus en plus de passagers des transports en commun. Aussi Marie-Marguerite Gabillard sinterroge-t-elle : cela constitue-t-il un danger dtre ainsi coup des messages dalerte ou dalarme?En effet, rpond Bernard Delage, le matriel est de plus en plus perfectionn et dsormais lutilisateur est totalement coup de lenvironnement dans lequel il volue. Il sagit dailleurs de lune des facettes de lenvahissement gnral par la musique. Cet isolement se vrie aussi dans la rue. Mais, selon lacousticien, les jeunes consommateurs et utilisateurs semblent compltement matriser ces nouveaux outils. Une personne plus ge sera certainement plus maladroite dans ses dplacements quotidiens avec un casque sur les oreilles! Paralllement, couter de la musique permet de se protger du bruit dans les transports. Cest surtout une grande source de plaisir car il sagit dun moment choisi. Ce qui rejoint lintroduction des tlphones portables dans le quotidien de tous, poursuit le designer : Pour la premire fois, les consommateurs ont pu choisir la sonnerie dun outil quils avaient achet. Et le choix est vital pour lhumain.

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  • De lutilit des sonsIl savre que certains espaces sont trop bruyants, relve Marie-Marguerite Gabillard, citant en exemple le bruit des couveuses dans les services de nonatalit. Lisolement acoustique obtenu grce la musique pourrait-il tre appliqu ailleurs?Le bruit doit tre enlev sil ne sert rien et napporte pas dinformation, rpond Bernard Delage. Cest le pralable notre travail et cela va de soi. Par contre, souligne-t-il, un appareil qui fonctionne sans faire de bruit nest pas forcment scurisant pour lutilisateur. Et, justement, dans une couveuse, la mre apprcie dentendre la ventilation fonctionner. Ce son la rassure, et son absence lalertera au cas o. Vers un monde sans sensations?Les gnrations futures vont-elles smanciper des sensations? Lefeurement tactile a par exemple largement remplac le geste dactionner un bouton La position de lacousticien est claire : lhomme a besoin de savoir quil a produit ou dclench quelque chose. Quand aucun retour ne vient conrmer la manipulation de la souris de son ordinateur, par exemple, cest lexistence mme de lindividu qui est remise en cause. Les tres physiques ont besoin du son, immatriel mais terriblement physique, comme vecteur entre le rel et le virtuel.

    Du premier son de lobjet sa fonctionnalitBernard Delage expose le processus dattribution dun son un objet. Point de dpart, prcisment, lobjet : les sons quil contient, celui quil produit lors de destruction, qui se rvle souvent intressant. Ltape suivante consiste laborer un son qui soit fonctionnel et, qui, dans lidal, aidera manipuler lobjet. Il est alors vecteur dinformation. Tel le plop! saluant louverture dun pot pour nourrisson et qui signale que ledit rcipient na jamais t ouvert, assurant par l de la fracheur de son contenu. Le designer sonore tente donc de crer un son signiant, qui ait une raison dtre et ne participe pas seulement dune entreprise de sduction. Le designer, de toute faon, en crant un produit, donne naissance un bruit. Ce son peut tre informatif ou cibl vers une clientle possdant un univers de rfrences sonores en terme musical. Ces rfrences peuvent tre produites par une recherche crant, au choix, un dcalage ou de lharmonie.

    Less is more, ou lart den faire peu Le bruit est un lment trs intrusif dont on ne peut pas toujours se protger. Or, un mme son peut tre une source dinformation pour un individu et reprsenter une gne pour un autre. Le designer doit donc produire un dispositif sonore dune intensit adapte le minimum sufsant, un juste niveau, dans une certaine localisation et une frquence donne. Pour tre aussi discret quefcace, Bernard Delage prconise de choisir une frquence dj existante dans lenvironnement mais en employant un timbre diffrent. Less is more (le moins fait le plus), est mon deuxime credo, dclare le designer. Moins on nen fait et plus on est pertinent. Car lon vise alors uniquement la cible et laction nempite pas sur lenvironnement sonore des voisin