6
Désir de corps, désir de l’Autre > Between desire for the body and the desire of the Other Francis Hofstein * Psychanalyste, 5, rue Ernest-et-Henri-Rousselle, 75013 Paris, France Reçu le 12 juillet 2003 ; accepté le 4 novembre 2003 Disponible sur internet 13 mai 2004 Résumé Le désir, explique Lacan, n’est ni la demande ni le besoin. Désir de l’analyste, il fonde la pratique de la cure, et c’est dans cet axe que j’ai interrogé la différence entre le désir référé à l’Autre que l’analyste représente pour un analysant, et le désir qui peut surgir entre deux sujets liés et animés par le transfert. Le psychanalyste cependant ne doit pas oublier que sa fonction lui donne le pouvoir et que dépend de lui la place dans la cure de corps dont la jouissance réelle, physique est interdite par l’éthique psychanalytique. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Desire Lacan explains, is neither demand, nor need. The desire of the psychoanalyst, defines the praxis in a cure, and this in this perspective that I have questioned the difference between the desire referred to the Other which the analyst is, represents for a patient, and the desire that can arise between two persons linked and moved by transference. A psychoanalyst, meanwhile, should not forget that his function give him a certain power and that, in all cures, the specific place of the body depends on him; so that the real physical jouissance is strictly forbidden by psychoanalytic ethics. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. > Toute référence à cet article doit porter mention : Hofstein F. Désir de corps, désir de l’autre. Evol psychiatr. 2004 ; 69. Ce texte, écrit entre le 15 septembre et le 7 octobre 2001, a fait l’objet d’une communication à Lyon, le 13 octobre, dans la cadre d’un colloque de psychanalystes. * Auteur correspondant : M. Francis Hofstein. Adresse e-mail : [email protected] (F. Hofstein). L’évolution psychiatrique 69 (2004) 251–256 www.elsevier.com/locate/evopsy © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.evopsy.2003.11.011

Désir de corps, désir de l'Autre

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Désir de corps, désir de l'Autre

Désir de corps, désir de l’Autre>

Between desire for the body and the desireof the Other

Francis Hofstein *

Psychanalyste, 5, rue Ernest-et-Henri-Rousselle, 75013 Paris, France

Reçu le 12 juillet 2003 ; accepté le 4 novembre 2003

Disponible sur internet 13 mai 2004

Résumé

Le désir, explique Lacan, n’est ni la demande ni le besoin. Désir de l’analyste, il fonde la pratiquede la cure, et c’est dans cet axe que j’ai interrogé la différence entre le désir référé à l’Autre quel’analyste représente pour un analysant, et le désir qui peut surgir entre deux sujets liés et animés parle transfert. Le psychanalyste cependant ne doit pas oublier que sa fonction lui donne le pouvoir et quedépend de lui la place dans la cure de corps dont la jouissance réelle, physique est interdite parl’éthique psychanalytique.© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract

Desire Lacan explains, is neither demand, nor need. The desire of the psychoanalyst, defines thepraxis in a cure, and this in this perspective that I have questioned the difference between the desirereferred to the Other which the analyst is, represents for a patient, and the desire that can arisebetween two persons linked and moved by transference. A psychoanalyst, meanwhile, should notforget that his function give him a certain power and that, in all cures, the specific place of the bodydepends on him; so that the real physical jouissance is strictly forbidden by psychoanalytic ethics.© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

> Toute référence à cet article doit porter mention : Hofstein F. Désir de corps, désir de l’autre. Evol psychiatr.2004 ; 69. Ce texte, écrit entre le 15 septembre et le 7 octobre 2001, a fait l’objet d’une communication à Lyon, le13 octobre, dans la cadre d’un colloque de psychanalystes.

* Auteur correspondant : M. Francis Hofstein.Adresse e-mail : [email protected] (F. Hofstein).

L’évolution psychiatrique 69 (2004) 251–256

www.elsevier.com/locate/evopsy

© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.evopsy.2003.11.011

Page 2: Désir de corps, désir de l'Autre

Mots clés : Désir ; Jouissance ; Transfert ; Éthique ; Autre

Keywords: Desire; Jouissance; Transference; Ethics; Other

M’inscrire dans les champs du désir lyonnais, moi et ma réflexion en cours sur le corps[1,2], fut aussi simple que de proposer un titre à cette inscription. Mais, comme je nem’étais pas demandé ce qu’elle voulait, mon interlocutrice me le fit savoir : que j’exerce ma« finesse clinique ». Psychanalyste, je fais métier de prendre l’autre au mot, et voici donc,désir certes, finesse je ne sais, clinique évidemment, sur ces champs où ne figuraient alorsni acte créateur ni acte analytique, mon interprétation. Mais pas sans préambule.

La clinique, c’est-à-dire l’examen direct des malades, revient au praticien, un synonymede clinicien, et, selon le dictionnaire : un médecin en exercice, une personne qui connaît lapratique d’un art, d’une technique, ou qui exécute un travail sur les indications de l’artisteet, par exemple, dégrossit un marbre pour un sculpteur. La définition convient à ceux quel’annuaire de l’École Freudienne de Paris rangeait sous la rubrique AP, qui n’était pas untitre, puisque l’était chaque membre de l’École qui faisait part de son exercice de la fonctiond’analyste. Les titrés, qui bénéficiaient d’une présentation dans l’annuaire, étaient d’unepart – pour lequel Lacan rappelait « la maxime mise au fronton de l’École, que l’analyste nes’autorise que de lui-même (...) rappel éthique » ([3], p. 23) – l’AME, dont l’Écolereconnaissait la compétence, la qualité d’une pratique et garantissait la capacité profession-nelle, et d’autre part l’AE, qui devait à l’École une « contribution effective au progrès de lathéorie psychanalytique » ([3], p. 19). Exigence théorique pour les reconnus, exigencepratique pour les autres, cette distinction, que l’on pourrait comparer avec les appellationsdu vin, vin de pays, VDQS, AOC, ne se voulait pas hiérarchique, mais elle le fut suffisam-ment pour laisser aux uns plus qu’aux autres le bénéfice des contrôles et des cures ditesdidactiques. Comme s’il était possible d’exercer la psychanalyse sans savoir théorique, etcomme si la théorie valait sans une pratique « régulière ». Cela dit, exposer sa pratique neva pas de soi. Exemple.

Je fus amené au cours du séminaire que je tenais à la salle Magnan de l’hôpitalHenri-Rousselle à Sainte-Anne, sur la pratique précisément, à répondre à une question parune brève explicitation d’un problème posé par une patiente. Très peu de mots, maissuffisamment pour qu’une se-disant analyste de l’assistance la reconnaisse et lui commu-nique ce court usage d’un de ses symptômes. Et j’eus affaire quelques jours plus tard à unefurie, venue l’insulte aux lèvres rompre avec cet ignoble analyste qui ignorait jusqu’au plusminime respect du secret professionnel, et j’en passe... La délatrice se dénonça en neréapparaissant plus au séminaire, où je rapportais bien sûr ce grave incident, et me permitainsi, confirmant mes soupçons, de lui dire ma pensée sur sa vilenie, évidemment niée.

L’éthique est un geste, dit Lacan, qui n’empêche pas de se conduire « comme tout lemonde, c’est-à-dire comme le reste des canailles » ([4], p. 92). Ce qui ne dit pas de queldésir relève une conduite aussi agressive. Ni à quelle pulsion immédiatement agie n’a surésister cette analyste (?), emportée par une jouissance destructrice vers une triple trahison.Peut-être irréfléchi, cet acte, qui provoqua le déplacement de deux corps et un début dedélire, n’en disait pas moins dans le transfert (un transfert de travail) la haine de celui qui,tenant à la fois la place du maître et celle de l’analyste, indique le lieu d’un déni de la

252 F. Hofstein / L’évolution psychiatrique 69 (2004) 251–256

Page 3: Désir de corps, désir de l'Autre

castration (Verleugnung) d’où cette femme, violant toutes les règles pour ne pas remettre encause son identification phallique, trompa ma confiance et celle de sa soi-disant amie.Passons.

1. Clinique

« C’est ma meilleure amie, et je voudrais que vous acceptiez de la recevoir », m’avait ditune analysante, soucieuse d’éviter à son amie le parcours quelque peu chaotique qu’elleavait accompli entre sa première analyste, qui « avec ses gros seins et sa chaleur avait étéune très bonne mère » et moi, son analyste actuel. J’avais formulé mes objections et dit lesinconvénients que présentait pour deux personnes proches le fait d’avoir le même analyste.« Oui, mais je n’ai confiance qu’en vous », fut la réponse, bien moins liée à la flatterie qu’austatut du père dans l’histoire de cette femme.

La meilleure amie prit donc rendez-vous et, à l’heure dite, pénétra en conquérante dansmon bureau, moulée de blanc des épaules à la taille et de noir de la taille aux chevilles. Uncoup de jauge, et elle se lance dans le récit de sa vie, mêlant passé et présent, enchaînantavec un incontestable talent oratoire métaphores et jeux de mots, humour et autodérision. Jesuis au spectacle, mais versant voyeur.

Cette femme tout de séduction et dont la structure ne fait aucun doute veille à majouissance en sollicitant plus un regard qu’une écoute, d’un discours, je le vérifierai, clos.Mais quel regard, quand il est hors de question que l’analyste, occultant l’Autre qu’ilreprésente, jouisse de l’exhibition de cette autre jouissance qu’est, pour cette analysante, sanarration et surtout le style de celle-ci ?

Je ne rechignais donc pas à examiner ce qui m’était montré, laissant si je puis dire sonmoi m’en mettre plein la vue, pour mieux soutenir de mon regard le je de sa parole, noyédans l’exposition d’un vécu dont les avatars corporels, accidents, maladies, amours...balisaient les étapes – marquant ainsi mon choix, mon choix d’analyste : la reconnaîtrecomme sujet.

Elle m’octroya une seconde chance : à notre deuxième rencontre, jetant au passage sac etveste sur le fauteuil, elle s’allonge sur le divan. Je proteste, en affirme le prématuré etm’attire un « oh !, mais j’ai toute confiance en vous ». Après un bref instant de réflexion,aller au conflit ou relever le défi, je m’installe dans mon fauteuil : surtout éviter le corps àcorps, réaffirmer le désir de l’analyste, faire toute la place à la parole, fut-elle aussiinutilement brillante que la première fois. Se caler plus encore dans ce lieu de l’Autre où lademande, la demande et l’offre de corps, devrait se retourner en désir.

Elle est revenue sur le fauteuil en face, elle n’a pas renoncé à me séduire, elle fait bienattention à ne me laisser aucune ouverture, masquant une trop réelle détresse, et, dans cetravail où, si je l’ouvre quand même, elle me et se punit dans l’agir et la blessure, elle mesignifie clairement que c’est à moi d’être (le) patient.

De faire le mort donc – comme le fait le joueur de bridge ou de whist qui a étalé son jeuet laisse son partenaire (l’analysant) jouer avec les cartes exposées - pour, entre présence etabsence, écrit Lacan, « dégager formellement la mort incluse dans la Bildung narcissi-que »1. Là où le langage « corpsifie » ([6], p. 61) ([7], p. 409) le corps, lui gardant dans la

1 Lacan J. La chose freudienne. In : [5], p. 430).

253F. Hofstein / L’évolution psychiatrique 69 (2004) 251–256

Page 4: Désir de corps, désir de l'Autre

mort son caractère de vivant, l’analyste intervient concrètement en « cadavérisant saposition2, entre l’Autre avec lequel se joue la castration et où, dans le silence, » se constituele je qui parle avec celui qui l’entend3, et l’autre avec un petit a où, sous l’incidence del’imaginaire, s’annule la résistance de l’analyste.

Le corps s’y voit rendre une fonction de support de la relation, mais dans un rapport quin’est plus duel. Reconnu dans son réel de corps pris dans une suite de signifiants d’oùs’ordonnent des représentations où, entre symbolique et imaginaire, il se parle, il n’est pluscette chair plus ou moins mortifiable par l’analysant, plus ou moins consommable parl’analyste, mais un parmi d’autres objets personnels, très personnel, dont et que le sujettraite dans son analyse.

« Vous m’aimez trop », me dira un jour une autre analysante, pointant avec justesse monabsence de contre-transfert à son égard. Elle aussi en deuxième analyse, elle fait son travailavec cette simplicité douloureuse que donne à la parole l’expérience de la souffrance. C’estvrai, je l’aimais bien, ce qui donnait plus d’acuité, plus de vif à mon accueil, mais aussi àmes interventions, ce qui l’amena à rompre l’analyse, par refus d’une interprétation jugéepar elle inacceptable, parce que touchant au corps.

Atteint dans sa déficience, dans son réel même, son corps était soudain arraché avec elleà la toute-puissance d’un imaginaire tantôt négateur tantôt exhibitionniste et reconnu dansun dévoilement d’où tombait un statut de victime soigneusement constitué. Le désir del’Autre altérait le besoin et déplaçait la demande, pour que, dans ce désir, désir de l’Autreanalyste, analyste petit a, le corps ne soit plus organe ou collection d’organes ou decicatrices, mais histoire. Il peut ainsi revenir habiter la parole, même quand il n’y a nihandicap, ni conversion, ni symptôme, ni atteinte physique, parole d’analysant et paroled’analyste, qui peut en marquer la réalité dans la cure et donc dans la vie.

2. La question du désir

Le transfert forge le lien qui permet d’un côté de dire ce savoir insu parce que déplacé,réprimé, refoulé... que l’analysant livre à l’analyste, et de l’autre « d’interroger comme dusavoir ce qu’il en est de la vérité » ([4], p. 88). Nous ne la proférons pas. Nous tentons de ladélivrer, du lieu de cet Autre où elle est à prendre, mais nous ne risquons pas d’y atteindresi nous restons campés dans l’acte analytique comme dans une fonction phallique. L’ana-lysant nous la donne. Il en a besoin. Et c’est à partir de là qu’il ou elle confond désir de corpset désir de l’Autre.

« Quand on aime, dit Lacan ([4], p. 27), il ne s’agit pas de sexe », et la psychanalyse, oùl’amour est le ressort du transfert, et la séduction un outil de restauration et de soutien dunarcissisme, peut servir d’exemple. Mais aimer le sujet supposé savoir n’empêche pas de leprendre pour objet, par exemple de désir, où il ne peut être que comme corps [8]. Onsupposera l’analyste assez trempé pour ne pas confondre le réel et l’imaginaire, et ne pas seprendre au fantasme d’une toute-puissance qui n’est pas la sienne mais celle de l’Autre, cetAutre de l’analyste d’où lui vient qu’il n’a pas, jamais, à céder sur son désir, son désird’analyste, lié à son désir d’homme ou de femme.

2 Ibidem.3 Ibidem In : [5], p. 431).

254 F. Hofstein / L’évolution psychiatrique 69 (2004) 251–256

Page 5: Désir de corps, désir de l'Autre

Relevons l’ambiguïté : désir d’homme, homme qui désire ou homme qu’on désire ?Dans le rapport sexuel, chacun est seul, même s’il se réalise d’une jouissance, mais d’unejouissance d’organe ([4], p. 40). Ce qui n’empêche pas, bien sûr, que l’on fasse l’amour,pour peu, suggère Lacan ([4], p. 67), qu’on dise non à la fonction phallique.

Où se confirme que le désir de l’homme est bien le désir de l’Autre, quand le renonce-ment à la fonction phallique ouvre, côté homme, non pas sur l’acte d’amour qui est « laperversion polymorphe du mâle » ([4], p. 68), mais sur un faire l’amour qui est de la poésie,et côté psychanalyste, sur un exercice de la psychanalyse où il est comme un artiste, sansautre œuvre que, répétitive, celle de choir de chaque cure qu’il conduit.

Un ou une analyste peut être amené à désirer une ou un patient. Désir de l’autre ou désirde corps ? Fantasme dont la prise de conscience sans annuler le désir et son jeu les contient,ou pulsion érotique qui trouve son issue en s’alliant à une pulsion d’emprise ? Mais agissantou laissant agir un désir de corps, s’aperçoit-il que ce peut être pour le salut de son corps quel’analysant accepte d’être dominé, quitte à en récupérer un surplus de jouissance ? Au-delàdu plaisir, cette jouissance qui en même temps l’enchaîne et le déchaîne, rejoint, se conjointà celle à laquelle l’analyste, bien que tenant la place du maître, du maître du savoir et de lavérité, n’a pas renoncé [8], et elle fracture le symbolique sur le roc du réel où se déchire lefantasme.

3. La jouissance de l’autre

Quel est cet analyste qui consomme et se consomme, sinon quelqu’un qui se dispense desoutenir ce qu’il énonce d’un énoncé repris à Freud, Lacan et quelques autres, et fait sonmarché sur son divan ? Et donc dans une perversion où se dévoile sous une forme nue ce queLacan [9] nomme le plus-de-jouir ? Soit ce reste inhérent au langage et à l’ustensile dans leregistre duquel peut s’articuler la jouissance [9], cette jouissance dont il avait laissé lerisque à l’autre [9], l’autre analysant, se réservant, si on peut dire, ce reste de jouissance quientre sujet et outil, devrait faire de lui un objet a.

Or, dans cette reprise de maîtrise où il est l’esclave de ses sens ou d’une perversionprésentée ou vécue comme une sainteté, sa fonction d’analyste est une défroque, mais ilreste du côté du pouvoir et du savoir, et la décision lui appartient. Céder doit en tout casentraîner la fin de cette analyse-là, même si désir de l’autre et désir de corps ne visent pasexactement le même objet. Le pire, jeu pervers, est de laisser entendre ce désir, ou de laissercroire qu’au désir de l’analysant on serait prêt à répondre.

L’amour de transfert peut se prendre en amour de l’autre, voire en passion, et il nemanque pas d’analystes dont la compagne plus que le compagnon a été auparavantl’analysante. Ce n’est pas un crime, mais un choix : puisqu’il n’y a plus d’analyse possible,on l’arrête, l’analyste bascule de l’Autre à l’autre et, corps livré, se dépouille d’un savoir etd’un pouvoir qui, de toute manière, sont ceux de l’autre, de celle ou celui à qui il a cédé. Lesconserver, indûment donc, et poursuivre la psychanalyse après consommation, ou ne pasreconnaître son passage à l’acte et donc sa faute est non seulement une infamie mais uneforme de meurtre.

Nous croisons tous des êtres pour qui surgit un désir que, le plus souvent, nousn’assouvissons pas. La mode est à la consommation des corps, où il est bien moins questionde désir que de jouissance, dans une comptabilité plus ou moins gestionnaire où la quantitéprime la qualité. À cela, chacun est libre de céder. Sauf l’analyste dans sa fonction.

255F. Hofstein / L’évolution psychiatrique 69 (2004) 251–256

Page 6: Désir de corps, désir de l'Autre

4. Retour à la clinique

Elle n’avait pour son corps que mépris. Non seulement, comme beaucoup de femmes,elle ne l’aimait pas, dans sa et ses formes, mais, de plus, elle le traitait mal. Et, bien sûr, elletrouvait toujours des hommes pour l’aider à se maltraiter. Au fil de l’analyse, je fus amenéà insister sur le corps et, sans m’en apercevoir immédiatement, j’ai dû franchir unefrontière, puisque je me trouvais bientôt en butte à ce qui prenait peu à peu la forme d’uneérotomanie.

Cet amour fut d’abord un moteur très efficace. Elle se mit à prendre soin d’elle, consulta,quitta quelques habitudes destructrices et cessa de se laisser consommer par les hommes.Puis il devint un frein, son corps opacifiait la relation, qui ne parvenait plus à se médiatisersans lui. Il se rechargeait de symptômes, offerts comme des invites à l’analyste qui, un jour,n’en pût plus. Et lui dit en substance qu’un rapport sexuel entre eux était quelque chose detout à fait possible, et que lui, l’analyste, pouvait certainement en tirer du plaisir, mais qued’une part, il n’était pas sûr que ce soit cela qu’elle voulait et que d’autre part ce n’était pasce que lui, l’analyste, désirait, car elle avait bien autre chose à faire pour être vivante que depasser à l’acte avec son psychanalyste. Cette tirade la laissa pantoise, mais mit complète-ment fin à sa demande répétitive. Énoncer en même temps la possibilité de la chose et lerenoncement de l’analyste, se situant ainsi dans le désir de l’Autre, laissaient intact lenarcissisme de cette femme, et les rendaient tous deux à la liberté de poursuivre, puis determiner cette analyse.

Comme il m’arrive de le dire en séance, sur ma carte d’identité, à sexe, il est inscritmasculin. Cela ne dit pas si je suis un homme, ce qui relève de la castration, mais le laisseespérer. Le laisse espérer pour les femmes qui sont en analyse avec moi, mais aussi pour leshommes, même si les rapports amoureux ne peuvent pas se jouer de la même manière.Parce qu’il y a du même, l’image renvoyée en appelle plus à l’identification qu’à larencontre différenciée, et la problématique de l’Autre et du désir se joue dans un transfert etune jouissance dont l’imitation de Lacan par ses disciples a montré les dérives jusqu’auridicule. La séduction, intellectuelle, physique n’en existe pas moins, où l’analysant,comme un enfant, tantôt cherche à faire plaisir et tantôt s’oppose à l’analyste et donc àl’analyse.

Aussi s’agit-il pour l’analyste de l’être quel que soit le sexe et la sexualité de ses patients,logés sinon à la même enseigne, au moins au même respect.

Références

[1] Hofstein F. Le poison de la dépendance. Paris: Seuil; 2000.[2] Hofstein F. Le corps dans la cure. Essaim 2001;8:115–21.[3] École Freudienne de Paris : Annuaire - l’École Freudienne de Paris. Paris : École Freudienne de Paris ;

1965-1977.[4] Lacan J. Encore, Le séminaire livre XX. Paris: Seuil; 1975.[5] Lacan J. Écrits. Paris: Seuil; 1966. p. 401–36.[6] Lacan J. Radiophonie. Scilicet 1970;2/3:55–99.[7] Lacan J. Autres écrits. Paris: Seuil; 2001. p. 403–47.[8] Lacan J. L’angoisse, Le séminaire livre X 8 mai 1963 Inédit.[9] Lacan J. D’un autre à l’Autre, Le séminaire livre XVI 1968/1969 Inédit.

256 F. Hofstein / L’évolution psychiatrique 69 (2004) 251–256