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Communication Signes physiques et verbaux du mensonge : résultats des études américaines Physical and verbal signs of lying: Results of American studies C. Jonas Psychiatre des hôpitaux, docteuren Droit, chef de service, Psychiatrie A, CHU de Tours 37044 Tours cedex 09, France Disponible sur internet le 07 mai 2007 Résumé À partir détudes américaines sont passés en revue les signes qui trahiraient le mensonge lors dun entretien. Une discussion porte sur la validité de tels symptômes et leur intérêt éventuel en pratique clinique. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract The author has examined American studies and reviewed signs detecting possible lies during discussions. The author then discusses the validity and eventual interest of such symptoms in clinical practice. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Mensonge ; Mythomanie Keywords: Lie; Mythomania Les psychiatres sont-ils plus aptes que dautres à détecter la mythomanie, le mensonge ou ce que nos collègues américains dénomment les troubles factices ? Plusieurs études américaines ont révélé que le taux de réussite des psychiatres dans ce domaine dépassait à peine celui du hasard, à savoir la capacité de prédire sur quelle face une pièce retombera lorsquelle est lancée en lair. Certains ont même affirmé quun bon joueur de poker est certainement supérieur au psychiatre dans cet exer- cice. Le présent article na aucune prétention à lexhaustivité, ni même à la validité. Il résulte de la réflexion consécutive à la participation à une des très nombreuses sessions du dernier congrès de lAmerican Psychiatric Association tenu à Toronto (Canada) au mois de mai 2006 et à la traduction dun article rédigé par un neurologue, Alan Hirsch. Dans son article, il cherche à apporter à ses collègues les données qui paraissent les mieux validées en matière de signes permettant de suspecter le mensonge. Pour ce faire, il a consulté une vingtaine douvra- ges et 64 articles sur le sujet parus dans des revues profession- nelles. Il dit avoir mis en évidence 23 signes différents verbaux et non verbaux permettant de discriminer celui qui dit la vérité de ceux qui cherchent à la cacher. Il évoque ensuite un certain nombre de précautions pour éviter que le lecteur ne se fourvoie en donnant à ces signes une valeur excessive, permettant déviter les faux-positifs comme les faux-négatifs. Ainsi, reconnaît-il quil ne peut détecter que les mensonges volontai- res et en aucun cas les mensonges pathologiques dans lesquels le sujet est convaincu de la réalité de ses propos. Il précise également que le travestissement de la réalité réalisé pour des motifs très forts (le patriotisme, la conviction religieuse, pro- pose-t-il en exemple) ne saccompagne en général pas de ce type de signe. Il précise également la nécessité de prendre en compte lintégralité du contexte, reconnaissant que le simple stress dun entretien peut aboutir à la présence de nombre des signes quil décrit comme pathognomoniques. Il reconnaît éga- lement quil est nécessaire quun très grand nombre de ces http://france.elsevier.com/direct/AMEPSY/ Annales Médico Psychologiques 165 (2007) 369371 Adresse e-mail : [email protected] (C. Jonas). 0003-4487/$ - see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.amp.2007.03.005

Détecter les signes de mensonges !

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http://france.elsevier.com/direct/AMEPSY/

Annales Médico Psychologiques 165 (2007) 369–371

Communication

Signes physiques et verbaux du mensonge : résultats des études américaines

Physical and verbal signs of lying: Results of American studies

C. Jonas

Psychiatre des hôpitaux, docteur en Droit, chef de service, Psychiatrie A, CHU de Tours 37044 Tours cedex 09, France

Disponible sur internet le 07 mai 2007

Résumé

À partir d’études américaines sont passés en revue les signes qui trahiraient le mensonge lors d’un entretien. Une discussion porte sur lavalidité de tels symptômes et leur intérêt éventuel en pratique clinique.© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Abstract

The author has examined American studies and reviewed signs detecting possible lies during discussions. The author then discusses thevalidity and eventual interest of such symptoms in clinical practice.© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Mensonge ; Mythomanie

Keywords: Lie; Mythomania

Les psychiatres sont-ils plus aptes que d’autres à détecter lamythomanie, le mensonge ou ce que nos collègues américainsdénomment les troubles factices ? Plusieurs études américainesont révélé que le taux de réussite des psychiatres dans cedomaine dépassait à peine celui du hasard, à savoir la capacitéde prédire sur quelle face une pièce retombera lorsqu’elle estlancée en l’air. Certains ont même affirmé qu’un bon joueur depoker est certainement supérieur au psychiatre dans cet exer-cice. Le présent article n’a aucune prétention à l’exhaustivité,ni même à la validité. Il résulte de la réflexion consécutive à laparticipation à une des très nombreuses sessions du derniercongrès de l’American Psychiatric Association tenu à Toronto(Canada) au mois de mai 2006 et à la traduction d’un articlerédigé par un neurologue, Alan Hirsch. Dans son article, ilcherche à apporter à ses collègues les données qui paraissentles mieux validées en matière de signes permettant de suspecter

Adresse e-mail : [email protected] (C. Jonas).

0003-4487/$ - see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservésdoi:10.1016/j.amp.2007.03.005

le mensonge. Pour ce faire, il a consulté une vingtaine d’ouvra-ges et 64 articles sur le sujet parus dans des revues profession-nelles. Il dit avoir mis en évidence 23 signes différents verbauxet non verbaux permettant de discriminer celui qui dit la véritéde ceux qui cherchent à la cacher. Il évoque ensuite un certainnombre de précautions pour éviter que le lecteur ne se fourvoieen donnant à ces signes une valeur excessive, permettantd’éviter les faux-positifs comme les faux-négatifs. Ainsi,reconnaît-il qu’il ne peut détecter que les mensonges volontai-res et en aucun cas les mensonges pathologiques dans lesquelsle sujet est convaincu de la réalité de ses propos. Il préciseégalement que le travestissement de la réalité réalisé pour desmotifs très forts (le patriotisme, la conviction religieuse, pro-pose-t-il en exemple) ne s’accompagne en général pas de cetype de signe. Il précise également la nécessité de prendre encompte l’intégralité du contexte, reconnaissant que le simplestress d’un entretien peut aboutir à la présence de nombre dessignes qu’il décrit comme pathognomoniques. Il reconnaît éga-lement qu’il est nécessaire qu’un très grand nombre de ces

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signes soient présents et si possible de manière répétée au fil deplusieurs entretiens pour leur donner une véritable valeur.

1. Quels sont ces signes ?

1.2. Signes verbaux

● Qualificatifs–Adverbes : ce peut être par exemple « pasnécessairement », « mais », « quoi qu’il en soit », « ordinai-rement », « presque », « la plupart du temps », « générale-ment », « essentiellement », « parfois », « d’habitude »,« potentiellement », « actuellement », « rarement », « spéci-fiquement ».

● Forme développée ou contractée : les mythomanes ont ten-dance à insister sur les négations. Ils utilisent plus fréquem-ment les formes développées que contractées d’un verbe oud’une locution.

● Les dénégations de mensonges : le mythomane prend soinde préciser qu’il n’est pas en train de mentir et insiste sur lafiabilité de ses réponses. Par exemple : « Je n’ai absolumentaucune raison de vous mentir », « franchement », « manifes-tement », « pour être à 100 % honnête », « pour vous dire lavérité », « croyez-moi », « honnêtement », « autant que jesache ».

● Erreurs dans le discours : il peut s’agir de changement ducours de la pensée au milieu d’une phrase, d’erreurs gram-maticales, d’erreurs de temps, de personne, de pronom ouencore de lapsus.

● Besoin de remplir les vides du discours : Il s’agit alorsd’onomatopées destinées à ne pas laisser l’impressiond’une hésitation.

● Bégaiement : ce peut être différents embarras de la paroleallant du bredouillement au véritable bégaiement.

● Besoin de s’éclaircir la gorge : dans cette catégorie, lesauteurs évoquent également des sons tels les pleurnicheries,les gémissements ou les grognements !

1.3. Signes non verbaux

● Le mythomane a tendance à éviter de pointer un doigt pourillustrer ou souligner un point de son exposé. Peut-être,pense l’auteur, de peur que la vérité puisse s’échapper àtravers ce doigt (!).

● Changement de posture : lorsqu’il travestit la réalité, lemythomane a tendance à se pencher en avant, à appuyerles coudes sur les genoux ou sur une table et à changerconstamment de posture ou de position sur sa chaise.

● Mouvements de la lèvre : il existerait une augmentation dela fréquence du mouvement consistant à passer sa languesur les lèvres externes.

● Plissement des lèvres : le sujet a tendance à fermer ferme-ment la bouche et les lèvres comme s’il ne voulait rien lais-ser échapper.

● Boire et avaler : il existerait une augmentation de la soif etdu besoin d’avaler sa salive.

● Rires ou sourires : augmentation des sourires, le plus sou-vent insincères, ou de rires inappropriés.

● Diminution des mouvements des mains : l’auteur affirmeque les personnes fiables ont tendance à user de larges mou-vements de balayages des mains lorsqu’elles cherchent àillustrer un point de leur discours. Les menteurs auraientbeaucoup moins de mouvements de ce type.

● Frottements du visage : il y aurait une augmentation desmouvements des mains touchant la face, les oreilles ou lescheveux.

● Soupirs, inspirations : tendance chez ces sujets à des soupirsaudibles ou visibles et à de profondes inspirations.

● Mouvements de mains et haussements d’épaules : le mytho-mane aurait tendance à élever les mains, paumes en l’air et àhausser les épaules pour affirmer son incertitude.

● Manipulation d’objets : elle est en augmentation, avec mani-pulation d’objets tels que lunettes, stylo ou papier.

● Évitement du regard : tendance à un regard de côté ou loin-tain ou encore dirigé vers le bas après un premier contactvisuel avec l’interlocuteur.

● Clignement : il y aurait une diminution du clignement chezles sujets manipulateurs.

● Bras croisés : les bras sont pliés, croisés comme pour mettreen place une barrière face à l’interlocuteur.

● Mains fermées, doigts croisés : les doigts sont repliés sansêtre visibles, ou entrecroisés entre les deux mains.

● Se toucher le nez : on constate souvent que le sujet se frotte,se gratte ou simplement se touche le nez.

1.4. Hypothèses biologiques et psychopathologiques

L’auteur avance plusieurs hypothèses psychologiques ouphysiologiques pouvant expliquer ces signes dissimulateurs. Ilparle de l’expression d’un conflit inconscient avec des actionssymboliques destinées à prévenir le mensonge telles que le faitde se couvrir la bouche, croiser les bras ou les jambes ouencore de commettre des lapsus. Selon lui la manipulationdes objets peut symboliser la manipulation des personnes. Leshésitations du discours, l’emploi de nombreux modificateurs,adverbes ou mots vides de sens auraient également une signi-fication symbolique.

Sur un plan physiologique, il y aurait des connexions entreles muscles faciaux et le système limbique, si bien que là où levocabulaire peut être contrôlé, les expressions faciales manifes-teraient la vérité. Ainsi, selon lui un sourire en coin exprimeraitle manque de congruence entre le discours et les affects.

Sur le plan biologique, il y aurait hyperactivité du systèmenerveux autonome avec décharge catécholaminergique, ce quiexpliquerait la diminution de la fréquence du clignement oucertains mouvements parasites des mains et des pieds. Par ail-leurs, l’hyperactivité du système nerveux autonome causeraitun engorgement des tissus nasaux érectiles, appelé phénomènede Pinocchio. Par dégranulation des mastocytes, cela entraîne-rait une sensation de douleur, d’irritation ou de démangeaisonconduisant à la nécessité de frottements ou de grattements.D’autres manifestations d’hyperactivité du système nerveux

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autonome expliqueraient l’enrouement, la bouche sèche, la pro-trusion de la langue et donc le besoin de boire.

2. Commentaires

Nombre des articles sur lesquels l’auteur s’appuie pour réa-liser son travail sont publiés à l’intention des médecins impli-qués dans des activités d’expertise et d’évaluation, notammentpour le dommage corporel et psychique, aussi bien dans lesaccidents de la circulation que la pathologie du travail. Lesauteurs estiment cependant que le psychiatre puisse détecterles manipulations des patients, y compris lors des consultationsclassiques. On comprend l’intérêt de maîtriser des outils de cetype dans un pays où les dommages et intérêts sont particuliè-rement élevés et même où l’existence ou non d’une pathologiepsychiatrique peut avoir des conséquences aussi graves que depermettre ou d’empêcher l’application de la peine de mort. Onest cependant étonné d’être face à des propositions simplisteset aussi peu fiables. On se rend compte à quel point ces signessont aspécifiques et reflètent le plus souvent une simple réac-tion d’anxiété ou de malaise, explicable par des éléments enrapport avec une personnalité mal affirmée ou encore avec lesconditions de la rencontre, notamment lorsqu’il s’agit d’uneexpertise dont les conséquences majeures sont connues et com-prises par le sujet.

Les psychiatres français, impliqués habituellement dans desactivités d’expertises ou s’interrogeant sur la fiabilité des pro-pos de certains de leurs patients, savent qu’il n’existe malheu-reusement pas de signe pathognomonique du mensonge et queles faisceaux d’arguments permettant de découvrir la manipu-lation doivent prendre en compte des paramètres multiples :qualité du contact verbal et physique, modification du rythmedu discours, perturbation ou hypercontrôle des émotions, varia-bilité ou stéréotypies du vocabulaire utilisé, sans jamais avoirde certitude réelle.

Pour en savoir plus

Ekman P, O’Sullivan M. Who can catch a liar? Am Psychol 1991;46:913–20.Hall HY, Pritchard DA. Detecting Malingering and Deception. Florida: St.

Lucie Press; 1996.Harrison AA, Hwalek M, Raney DF, et al. Cues to deception in an interview

situation. Soc Psychol 1978;41:156–61.Hirsch AR. Postictal nose wiping: The lateralized sign in temporal lobe com-

plex seizures. Neurology 1999;52:1721.Hirsch AR. Physical and verbal signs of lying. Directions in Psychiatry 2003;

23:15–9.Kohnken G. Training police officers to detect deceptive eyewitness statements:

Does it work? Soc Behav 1987;2:1–17.Kraut RE. Verbal and nonverbal cues in the perception of lying. J Pers Soc

Psychol 1978;36:380–91.Lillie HI. Some practical considerations of the physiology of the upper respi-

ratory tract. J Iowa Med Soc 1923;13:403–8.

Discussion

Pr M. Bourgeois. – Qu’en est-il de l’IRM fonctionnelle ?Dr J.-P. Luauté. – Pour répondre à la question de Marc

Bourgeois sur les possibilités d’utilisation de l’imagerie fonc-tionnelle, je pense qu’on est dans la même situation quand onenregistre les corrélats neurophysiologiques avec ce que CarolJonas vient de nous dire au sujet des signes physiques du men-

songe. Comment savons-nous que le sujet ment ou dit lavérité ? On retrouve une autre difficulté quand on demande àdes sujets sains de simuler un trouble, par exemple une paraly-sie. La complaisance du sujet à réaliser la consigne ne peut pasnon plus être mise sur le même plan que le comportement d’unvrai simulateur.