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Développement culturel et environnement; 1992unesdoc.unesco.org/images/0009/000920/092036fo.pdf · avec le développement culturel et l'environnement p. 84 Chapitre IV Santé publique,

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Développement culturel et environnement

Georges Tohmé

Préparé pour le Bureau international d'éducation

Note sur l'auteur de cet ouvrage

Docteur es sciences naturelles, docteur de l'université de Toulouse, ancien élève de l'Ecole normale supérieure de Beyrouth, diplômé du Centre régional de planifica­tion de l'enseignement dans les pays arabes, Georges T o h m é a successivement enseigné dans le primaire, le secondaire et le supérieur, dirigé une école de formation des maîtres en service, exercé les tâches de conseiller pédagogique et de chef de commission des programmes scolaires. Dès 1962, il est élu à la tête du département de l'enseignement des sciences à la faculté de pédagogie de l'Univer­sité libanaise. Transféré à la faculté des sciences, il deviendra chef du département des sciences naturelles en 1972, puis doyen de ladite faculté en 1978 avant d'être n o m m é recteur de l'université en 1980. C'est en 1988 qu'il accède au poste de directeur du Bureau international d'éducation. Chercheur au C N R S du Liban et auteur, avec le professeur Henriette T o h m é , son épouse, d'une cinquantaine de publications scientifiques, il a en outre signé avec elle une centaine d'articles de vulgarisation en arabe et en français ainsi que des livres sur la protection de l'environnement et sur l'éducation environnementale, dont le dernier, au titre significatif. Education et protection de l'environnement, est paru aux Presses universitaires de France en 1991. Son v œ u le plus cher ? Renouer avec l'université pour y poursuivre joyeusement, généreusement, sa double mission de professeur et de chercheur.

Publié par l'Organisation des Nations Unies

pour l'éducation, la science et la culture

7, place de Fontenoy, 75700 Paris (France)

I S B N 92-3-202787-9

© Unesco 1992

Imprimé en Suisse par Atar, S . A . , Genève

Préface

A l'occasion de la quarante-troisième session de la Conférence internatio­nale de l'éducation, qui se tiendra à Genève du 14 au 19 septembre 1992, et dans le cadre des activités que la communauté internationale consacre à la Décennie mondiale du développement culturel (1988-1997), le Bureau international d'éducation (BIE) a entrepris plusieurs publications relatives à la contribution de l'éducation à ce développement, dont cet ouvrage. Il se distingue toutefois des autres par le fait que Georges T o h m é , son auteur, est à la fois éducateur et biologiste et qu'il offre de nombreux exemples, aussi des études de cas, se rapportant à la civilisation méditerranéenne.

D'entrée de jeu, l'auteur explique comment l'idée de donner au dévelop­pement une dimension culturelle a pris racine en mettant les pays du m o n d e sur la voie d 'un progrès harmonieux et équilibré. Il expose ensuite les relations des diverses composantes du développement culturel avec l'envi­ronnement et montre que l'accès des peuples à la culture — par l'éducation culturelle et artistique, par la promotion de la créativité — encourage les pratiques artisanales, protège le patrimoine culturel et développe des attitu­des et des pratiques culturelles positives. C e n'est pas le moindre mérite de ces pages que de montrer comment , dans différents domaines, la tendance doit être orientée vers la préservation des identités culturelles dans les pratiques agricoles, sanitaires, architecturales . . . L a m ê m e orientation s'impose dans le domaine du travail, de la technologie et de la culture.

Autre démarche de l'ouvrage : décrire les rapports entre la culture et le développement. O n y voit confirmer que la croissance matérielle due à ce dernier s'effectue au détriment du milieu naturel. C'est le comportement de l ' h o m m e qui m è n e au déséquilibre de son milieu par la disparition de certaines habitudes culturelles. Si le développement matériel qui détruit l'environnement est un fait accompli, on pourra réduire ses méfaits en adoptant une éthique environnementale et en élaborant une morale qui apportera au développement une dimension culturelle permettant d'éviter la détérioration du milieu. Pour l'auteur, c'est grâce au développement

4 Développement culturel et environnement

culturel que l'environnement sous toutes ses formes sera le mieux sauve­gardé. Mieux protégé, celui-ci contribuera en retour à l'enrichissement des valeurs culturelles qui, elles, s'intégreront au développement en respectant des principes relatifs à la lutte pour la démocratie, aux relations entre l ' h o m m e et la nature et au contrôle du développement technologique.

Tout en remerciant le professeur T o h m é d'avoir gracieusement accepté de nous enrichir de sa longue expérience dans le domaine de l'enseigne­ment, de la recherche et de l'éducation environnementale, le BIE rappelle à ses lecteurs que les idées et les opinions exprimées dans cet ouvrage sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement les vues de l ' U N E S C O . Par ailleurs, les appellations qui y sont employées et la présentation des données qui y figurent n'impliquent de la part de l'Organisation aucune prise de position quant au statut juridique des pays, territoires, villes ou zones, ou de leurs autorités, ni quant à leurs frontières ou limites.

Table des matières

Introduction générale p. 7

Chapitre I Le développement culturel p.14 Introduction p. 14 L'accès des peuples à la culture p. 15 L'éducation artistique et culturelle p. 21 La promotion de la créativité p. 25 L'encouragement des pratiques artisanales

p. 27 Le renforcement de l'identité culturelle

p. 30 L a promotion des échanges culturels p. 36 La protection du patrimoine culturel et

sa restauration p. 40 Le développement d'attitudes et de pratiques

culturelles positives p. 44

Chapitre II Pratiques agricoles, développement culturel et environnement p. 50

Introduction p. 50 L'agriculture p. 52 La monoculture, la polyculture et la culture

en serre p. 57 L'influence des changements écologiques sur

la vie paysanne p. 61 La modification des pratiques agricoles en

fonction d 'un environnement et d'une politique agricole fragiles p. 65

L a protection des sols contre l'érosion p. 66

6 Développement culturel et environnement

L'élevage, le nomadisme et le sédentarisme p. 69

La récolte et sa mise en conserve p. 73

Chapitre III Travail, technologie, développement culturel et environnement p. 77

Introduction p. 77 Q u e les activités culturelles sont des besoins

essentiels p. 78 Q u e ceux qui travaillent méritent des

loisirs p. 81 Les conditions de travail et la protection de

la qualité de la vie p. 82 La technologie, l'énergie et leurs relations

avec le développement culturel et l'environnement p. 84

Chapitre IV Santé publique, développement culturel et environnement p. 94

Introduction p. 94 Mauvaise hygiène et dégradation de

l'environnement p. 96 La prévention des maladies et

des accidents p. 99 Habitudes alimentaires et santé p. 102 Croyances, attitudes, questions éthiques

et santé p. 105

Chapitre V Développement culturel, architecture, urbanisme et environnement p. 109

Introduction p. ¡09 Cas empruntés à l'architecture p. 110 Cas empruntés à l'urbanisme p. 116

Conclusion générale p. 123

Bibliographie p. 125

Introduction générale

// est de fait que dans le cas de nombreuses sociétés préindustrielles et rurales, la gestion des ressources naturelles fait partie intégrante de leurs valeurs culturelles. Il existe une articulation essentielle entre la

production matérielle, la créativité artistique, les valeurs spirituelles et le rapport à la nature. Le monde moderne, trop souvent, considère la

nature comme étant au service de la société. En cherchant la sortie qui nous mènera du développement linéaire au développement durable,

nous serons fatalement amenés à remettre en question toute une série de postulats culturels dont il faudra nous défaire si nous voulons éteindre la dette que nous avons contractée à l'égard de nos descendants — la

dette écologique.

Federico Mayor , 1991, Séminaire sur le

«Ve centenaire et lenvironnement»

O n a beaucoup parlé de développement à partir des années mil neuf cent soixante et, depuis, le terme encourageant de «pays en développement» a remplacé le qualificatif péjoratif «sous-développé» alors attribué aux pays du tiers m o n d e en général. Dans l'esprit des gens, le mot «développement» évoque tour à tour l'économie florissante, la technologie avancée, l'indus­trie de pointe, une meilleure rentabilité agricole, une paix durable et propice à de fructueux échanges commerciaux, en s o m m e la richesse matérielle. Il est naturel que l'intérêt particulier — susceptible d'assurer sans délai une meilleure qualité de vie — soit tout d'abord visé et recherché au détriment de celui de la société en général. Or, pour atteindre un développement harmonieux et juste, l'intérêt communautaire, voire l'inté­rêt mondial, doivent être renforcés. M ê m e si la conjoncture internationale a pu favoriser une telle tendance vers la justice, c'est la face économique du développement qui reste encore la plus apparente et qui masque son aspect humain et intellectuel. Dès 1959, Gaston Berger, ancien président de la

8 Développement culturel et environnement

Commission nationale française pour l ' U N E S C O , plaidait en faveur d'une évolution dans ce sens :

Il ne s'agit plus maintenant pour les meilleurs esprits de ce temps d'accroître la producti­vité, de multiplier les biens de consommation, de développer l'information et le confort. C e stade primaire du progrès va atteindre son seuil, dans une durée très prévisible. Le temps est passé où l'on pouvait parler de l ' h o m m e en termes de consommation ou de production, d'électeur ou de prolétaire, de sous-développé ou de ploutocrate. L'humanité a atteint un état complexe supérieur où toutes les données de l'économie, de la culture, de la politique s'interpénétrent.

Des experts internationaux du développement n'ont pas tardé à réagir à ce constat des faits, mais ils ont mis plus de vingt ans à se faire entendre. Soucieux de voir s'établir un développement équitable qui re­couvrirait toutes les manifestations de la vie, individuelle, sociale, nationa­le, régionale et internationale, ils ont lancé l'idée de donner au développe­ment une dimension culturelle. Pour eux, si le culturel ne parvenait pas tout de suite à se mettre au diapason de l'économique, il aurait au moins la place qui lui revient dans le processus qui conduit harmonieusement les pays du m o n d e entier sur les voies du progrès. Dès lors, plus de pays du Sud et du Nord, avancés ou retardés, idéologiquement divergents ! Toutes les na­tions participeraient à cette course qu'est la croissance, dotées des m ê m e s atouts.

A u niveau mondial, une période de préparation à la mise en pratique d'une telle idée s'est avérée indispensable. Elle concerne toutes les institu­tions et organisations du système des Nations Unies. N e parlait-on pas déjà d'une Décennie mondiale du développement culturel à la Conférence mondiale des politiques culturelles, tenue à Mexico durant l'été 1982 et organisée par l ' U N E S C O ? U n e résolution a été alors prise dans ce sens, et au sein de l'Organisation s'est concrétisé un projet intersectoriel invitant différents partenaires à unir leurs efforts et leurs ressources pour avancer dans la ligne du thème directeur de cette Décennie. La notion de culture s'est élargie au comportement humain en général (mode de vie, systèmes des valeurs).

Ainsi la F A O (l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture) et l ' U N E S C O entreprendraient-elles ensemble une action tendant à préserver, dans les pratiques agricoles, les identités culturelles. L ' O M S (l'Organisation mondiale de la santé) et l ' U N E S C O traiteraient les thèmes de la santé, de la technologie et de la culture. L ' U N E S C O et le BIT (le Bureau international du travail) joindraient leurs efforts dans le domai­ne du travail et de la culture. Avec le P N U E (Programme des Nations Unies pour l'environnement), ce seraient l'environnement et la culture que l ' U N E S C O aborderait. D'autres thèmes impliqueraient d'autres organisa­tions. Parmi les sujets les plus intéressants, l'on citait : culture et démocra­tie, culture et droits de l'individu, culture et tolérance, culture et droit à la différence, etc. L ' U N E S C O est ainsi devenue le chef de file de toutes ces actions après qu'en décembre 1986 l'Assemblée générale des Nations

Introduction 9

Unies eut adopté le principe d'une Décennie mondiale pour le développe­ment culturel, lancée officiellement le 21 janvier 1988. Cette décennie, qui s'achèvera en 1997, a pour objectifs : — la prise en considération de la dimension culturelle dans le développe­

ment; — l'affirmation et l'enrichissement des identités culturelles; — l'élargissement de la participation à la vie culturelle; — la promotion de la coopération culturelle internationale. Des comités nationaux ont été formés dans plus de soixante-dix pays et un comité intergouvernemental représentant trente-six Etats membres de l ' U N E S C O a été constitué. Le président de ce comité, le D r Adriaan van der Staay, directeur du Bureau de planification sociale et culturelle des Pays-Bas, a déclaré que «les rapports entre développement et culture sont entourés d'un tel flou que si tout le m o n d e en parle, personne n'en a donné une définition universellement admise». Nous tenterons de décrire quel­ques-uns de ces rapports. O r si jusqu'à présent la conception du développe­ment a été fondée sur la seule croissance quantitative et matérielle, c'est souvent au détriment de l'environnement naturel que cette croissance s'est effectuée, c o m m e le montrent les trois exemples suivants :

1. Pour répondre aux besoins de logements imposés par une démographie croissante, des espaces forestiers ou agricoles, des rivages marins ou lacustres, divers sites naturels ont été sacrifiés pour la construction d'habitations, de bâtiments publics et de réseaux routiers. C'est donc l'environnement qui paye ainsi sa part au développement économique. O n a m ê m e avancé, sans pouvoir le prouver, que certains incendies de forêt qui ravagent en été plusieurs contrées sont provoqués par ceux à qui profite l'ampleur de telles catastrophes parmi les promoteurs aspi­rant à réaliser des opérations immobilières. Des espaces brûlés sont ainsi rapidement transformés en lotissements pour répondre aux be­soins d'une urbanisation galopante.

2. L'industrie qui embauche de la main-d'œuvre amène la richesse à une région mais dépense les ressources naturelles formées de sédiments fossiles, d'eau, de diverses matières premières et rejette souvent dans l'atmosphère et le milieu ambiant des déchets nocifs qui dégradent la nature et portent parfois atteinte à l ' h o m m e , à la faune et à la flore. Les nouvelles habitudes imposées par la vie citadine et le rythme quotidien exigé par le travail à l'usine contribuent à créer une culture liée à ce genre de vie et à faire oublier les cultures ancestrales, les coutumes de la vie à la campagne d'où sont souvent issues les masses humaines a m e ­nées par le flux migratoire vers la ville. Celle-ci attire, grâce aux progrès économiques, scientifiques et technologiques, tous ceux qui aspirent à une amélioration rapide de leurs conditions de vie. Ceux qui recherchent le développement économique se soucient généralement peu du développement culturel. C'est ainsi que d'anciennes habitudes sociales faisant partie de l'environnement culturel auquel appartenait la

10 Développement culturel et environnement

majorité des nouveaux habitants des grandes villes sont souvent délais­sées, négligées et oubliées au profit de la «modernité».

3. Dans l'agriculture biologique, on nourrit le sol d'engrais naturels et non chimiques, de compost ou de fumier forestier. O n pratique aussi l'alter­nance des cultures (céréales, oléagineux, par exemple) et la lutte biolo­gique. Dans l'agriculture dite traditionnelle, les pesticides, les fongicides, les nitrates, les phosphates, ainsi que plusieurs pratiques agricoles telles que le désherbage chimique portent atteinte à l'environ­nement. Les produits chimiques sont lavés par les pluies et entraînés vers les nappes phréatiques et les cours d'eau qu'ils polluent. Les variétés végétales locales, propres parfois à chaque région, malheureu­sement disparaissent car elles sont délaissées par l'exploitant moderne qui préfère des variétés présentant une plus grande rapidité de crois­sance, une meilleure résistance aux maladies ou possédant des qualités commerciales plus recherchées, telles que la couleur, la consistance, la forme, répondant mieux au goût du consommateur qui recherche les légumes et les fruits sans pépins, sans épines. 11 y a là une sorte d'érosion génétique. A ces nouvelles pratiques agricoles correspondent un train de vie différent et l'abandon des vieilles coutumes rattachées à la vie rurale.

Les brefs exemples que nous venons de citer démontrent que le comporte­ment de l ' h o m m e peut parfois conduire à un état de déséquilibre de son environnement susceptible de provoquer sa destruction par la disparition de certaines habitudes et de certaines identités culturelles. Pour conjurer ce danger, chaque citoyen doit garder à l'esprit cette définition de la culture, suggérée par André Siegfried (1953), qui fut professeur au Collège de France :

La culture est une prise de conscience par l'individu de sa personnalité d'être pensant, mais aussi de ses rapports avec les autres h o m m e s et avec le milieu naturel. D e telle sorte qu'un h o m m e cultivé est un h o m m e qui se conçoit et qui. en m ê m e temps, se situe; ce n'est pas un anarchiste, ce n'est pas un individu isolé, il est membre de sa collectivité, il est membre de l'univers, il est membre de l'espèce humaine; il a des rapports avec la terre, avec les autres h o m m e s et il cherche à les connaître. Dans ces conditions, la culture est une conception personnelle de la vie en tant que conçue par un individu.

Si l'on ne peut pas arrêter pour de bon le développement matériel qui détruit l'environnement, il faudra inventer une éthique de l'environnement et forger une morale qui lui apporte une dimension culturelle essentielle, laquelle tendra à son tour à faire éviter, dans la mesure du possible, de lui porter atteinte. D'ailleurs, on ne peut expliquer certains problèmes envi­ronnementaux ou sanitaires sans y introduire une note concernant l'éthi­que. L a notion d'éthique environnementale est ainsi expliquée dans Con­nexion : bulletin de léducation relative à l'environnement UNESCO-PNUE (1991) :

O n peut entendre par éthique un comportement humain idéal, par éthique environ­nementale un comportement humain idéal à l'égard de l'environnement, qu'il soit naturel

Introduction 11

ou construit. O n perçoit l'apparition d'une nouvelle éthique environnementale dans le souci croissant que l'on a de l'environnement, dans les mouvements en forte progression créés pour sauver la Terre, et m ê m e dans la législation et la réglementation de l'environne­ment — en vigueur et encourageantes — aux niveaux national et international. Cependant, nous savons que, c o m m e dans un contexte plus familier d'interaction sociale, il faut compléter et augmenter une stricte obéissance à la lettre de la loi par un comportement humain idéal à l'égard de l'environnement car tel est le but ultime de l'éducation environnementale.

Les exemples sont simples et ordinaires. D e nombreux pays, un grand nombre de villes et de communautés ont promulgué des lois et établi des règles pour éviter qu'on ne jette des détritus sur les routes, les terrains et dans les jardins publics. Des lois et des règlements de cet ordre traduisent une sensibilité morale collective à l'environnement souvent nouvellement acquise. Cependant, nous savons, m ê m e en ayant mauvaise conscience, que l'on peut juridiquement jeter les détritus chez soi et dans son propre jardin, si l'on en possède un. U n e éthique environnementale, créée ou renforcée, découragerait une telle attitude, m ê m e si elle était le fait d'un individu isolé. Il se peut que nous ne parvenions jamais à une harmonie parfaite avec la nature, mais l'existence d'une éthique environnementale, en partie encodée dans les lois, mais principalement question de sensibi­lité et de conscience, peut mener les individus dans la direction de ce but ultime de l'éducation environnementale, à savoir un comportement personnel idéal à l'égard de l'environnement.

Ceci doit paraître possible, car si l ' h o m m e est au centre de l'environne­ment, il est aussi la finalité du développement. Deux exemples en forme d'illustration :

1. Tracer une autoroute peut paraître très utile pour desservir une région déterminée et relancer ainsi son économie en la reliant à d'autres régions plus avancées sur les plans industriel et commercial. Mais voilà qu 'un inconvénient de taille se présente : l'autoroute doit traverser un parc naturel et le paysage sacrifié. Faut-il renoncer au projet et porter ainsi atteinte à l'essor économique de la région ou le poursuivre et du coup détruire la vie paisible du parc ? E n creusant un tunnel on contournerait la difficulté mais il faudrait alors lui sacrifier un budget plus important. C'est la formation morale et éthique des décideurs qui en définitive dictera la décision.

2 . L'emploi des pesticides d'origine chimique porte, on le sait, atteinte à l'environnement naturel. Le sol, l'air et l'eau en sont pollués. O n connaît l'histoire du D D T (dichlorodiphényltrichloréthane). Son utili­sation après la Deuxième Guerre mondiale c o m m e insecticide a été le sujet d'une polémique virulente entre les partisans de cette utilisation, qui entendaient sauver l'humanité de la famine, et ses adversaires, qui y voyaient un poison redoutable contre les insectes, les nuisibles c o m m e les utiles, contre les oiseaux, les poissons, toute la faune. Actuellement, l'usage abusif du trop puissant D D T est interdit et d'autres insecticides moins dangereux le remplacent.

Donc , en favorisant le développement économique on craint de porter atteinte à l'environnement. E n est-il de m ê m e pour qui recherche le déve­loppement culturel ? Il semble, à première vue, que celui-ci ne peut s'effectuer que grâce au respect scrupuleux et à la protection résolue de

12 Développement culturel et environnement

l'environnement. Lorsque, grâce à une volonté politique affirmée, les facteurs culturels prennent leur juste place dans le processus du développe­ment, l'environnement se trouve enrichi. L e patrimoine culturel des peu­ples, héritage des civilisations passées, doit être préservé, et le développe­ment n'assurera la continuité de leur vie culturelle qu'en la conciliant avec les changements qui s'imposent.

Nous comptons démontrer dans cet ouvrage que : a) donner au dévelop­pement une dimension culturelle, c'est mieux sauvegarder l'environne­ment puisqu'il sera apprécié à sa juste valeur; b) protéger l'environnement, c'est nécessairement contribuer à l'enrichissement des valeurs culturelles.

Les voies par lesquelles ces valeurs peuvent être intégrées au développe­ment d'une part reposent sur des principes fondamentaux et, d'autre part, mettent l'accent sur des activités éducatives et médiatiques.

Les principes fondamentaux se nourrissent des idées qui suivent : — L a lutte pour la démocratie, pour la paix et l'entente entre les peuples

favorise aussi bien la protection du patrimoine culturel (architectural, historique, archéologique, etc.) que la préservation des richesses natu­relles permettant de les étudier et donc de se cultiver par l'acquisition de nouvelles connaissances scientifiques.

— La relation entre l ' h o m m e et la nature, le respect du milieu naturel ainsi que la plupart des problèmes environnementaux rattachés à l'urbanisation et à l'industrialisation prennent leur origine dans la di­mension culturelle de cette relation.

— U n développement technologique et économique incontrôlé ne peut-il pas conduire à l'anéantissement de certaines civilisations ? E n effet, l'amélioration des conditions de vie est une aspiration légitime de tous les peuples. Elle se manifeste par la croissance matérielle fondée sur une meilleure utilisation des progrès technologiques. Elle ne s'effectue pas sur un pied d'égalité entre les différents pays. D ' o ù des risques et des menaces de destruction de l ' h o m m e et de son environnement, surtout d'affaiblissement de certaines cultures, voire de leur disparition. Ainsi la catastrophe de Tchernobyl en 1986 n'a-t-elle pas touché uni­quement la santé de l ' h o m m e et son environnement naturel, elle a aussi atteint les richesses culturelles et le patrimoine artistique de la région sinistrée d 'où les humains ont été contraints de se retirer. Les pertes subies, par suite de cette explosion nucléaire accidentelle, sont tout aussi graves pour le développement culturel que pour le développement économique.

— L a mise en œuvre de divers projets de développement ne peut être réalisée dans un pays déterminé que par la volonté des populations de ce pays et en tenant compte de son entité culturelle et de son environne­ment naturel. Tout projet qui ne prend pas en considération cette volonté est voué à l'échec. Pour réussir, il doit prendre en compte les domaines économique, social et culturel. L e milieu naturel doit être respecté pour aboutir à un dénouement heureux et complet.

Introduction 13

— Il est admis que les développements économique, technologique et social ne se réalisent qu'en respectant les environnements familial, naturel et culturel existants. L a qualité de la vie ne peut être considérée c o m m e un but si elle va de pair avec le gaspillage de l'énergie et la déperdition sans retour des ressources naturelles. Les valeurs culturelles propres à chaque peuple seront respectées dans un esprit d'équité et de solidarité. Les progrès économiques ne doivent en aucune façon l 'em­porter sur l'éthique et la justice sociale.

Les activités éducatives et médiatiques, quant à elles, se ramènent aux points suivants : — rôle des parents et de l'entourage immédiat des enfants; — formation des éducateurs et des responsables sociaux; — formation des économistes et des responsables administratifs; — rôle des grands médias et des moyens d'information; — organisation de la vie publique dans la transmission des valeurs. Notre tâche consiste à identifier ces voies et à agir de telle sorte que «développement et culture deviennent synonymes», c o m m e le dit avec bonheur Federico M a y o r (1989), Directeur général de l ' U N E S C O en parlant de l'Organisation et de l'avenir.

Admettons tout de suite qu'il n 'y a pas d'agents propres pour dispenser la culture et la développer : c'est à l'éducation que revient le rôle essentiel de cultiver les individus et les sociétés sous la double approche de l'éduca­tion formelle et non formelle ou de l'enseignement scolaire et extra­scolaire.

Aussi bien commencerons-nous par expliquer ce que l'on entend par développement culturel et les divers domaines qu'il recouvre; puis nous établirons les relations qui existent entre ce développement, l'environne­ment et quatre domaines : — les pratiques agricoles; — le travail et la technologie; — la santé publique; — l'architecture et l'urbanisme.

CHAPITRE PREMIER

Le développement culturel

INTRODUCTION

L a course au développement économique a poussé les nations du m o n d e à tenter de profiter au m a x i m u m des progrès scientifiques et techniques apparus après la Deuxième Guerre mondiale dans les pays industrialisés, sans se soucier pour autant de la sauvegarde de l'environnement, dont on ne parlait pas encore. D e sorte que les ministères de l'éducation, aussi bien dans les pays développés que dans les pays en développement, ont conçu des programmes à perspective économiste et utilitaire. L'enseignement des matières scientifiques a pris le pas sur celui des culturelles. Si apprenants et enseignants accordent plus de temps et plus d'intérêt aux mathématiques et aux sciences, c'est parce qu'il s'agit là de matières dont les coefficients aux examens sont plus élevés que ceux dont bénéficient d'autres matières bien connues c o m m e véhicules de la culture : l'histoire, la géographie, le des­sin, la musique . . . Les autorités administratives facilitent la tâche des .professeurs de sciences et leurs offrent l'avantage d'une meilleure réparti­tion des heures de cours.

Le bachotage est souvent payant et s'exerce aux dépens des matières qualifiées de secondaires, donc négligées. Toutes les disciplines qui ne sont pas sujettes à un examen sont délaissées. C e sont des disciplines bouche-trous. Les parents sont entraînés à leur tour par ce courant. Les élèves ne participent pas aux activités culturelles extrascolaires, surtout si elles ne figurent pas aux programmes. C e sont les connaissances exigées aux examens qu'ils veulent acquérir. Pour eux, le reste est inutile puis­qu'il ne rapporte pas de points. D'après une enquête auprès de plusieurs échantillons représentatifs de téléspectateurs, les programmes de télévi­sion qualifiés de culturels sont souvent délaissés au profit des program­m e s de variétés, des films ou d'autres loisirs du m ê m e genre. La famille et l'école accordent alors moins d'importance à la mission humaniste de l'éducation.

Le développement culturel 15

Or, sans la formation morale et intellectuelle des apprenants, la percep­tion des valeurs, la reconnaissance de la dimension culturelle de l'instruc­tion et du rôle universel de l'éducation, il est clair que la culture et l'école ne retrouveront pas leur juste place dans la promotion du développement culturel. C e développement dépend de beaucoup de domaines. O n peut les énumérer ainsi : — l'accès des peuples à la culture; — l'éducation artistique et culturelle; — la promotion de la créativité; — l'encouragement des pratiques artisanales; — le renforcement de l'identité culturelle; — la promotion des échanges culturels; — la protection du patrimoine culturel; — le développement de certaines attitudes face à la culture. Tous ces domaines seront envisagés au fil des pages qui suivent du point de vue de leurs relations avec Venvironnement. Si le développement culturel est l'objectif du progrès, il est aussi le complément qualitatif du développe­ment général, lequel doit s'effectuer dans le respect et la sauvegarde de l'environnement.

L'ACCÈS DES PEUPLES À LA CULTURE

O n peut lire dans un message du pape Jean-Paul II à l ' U N E S C O remontant à 1980 : «La tâche première et essentielle de la culture est l'éducation.» Formule brève, où la culture est définie par sa mission capitale. Plus ample en revanche est l'éventail des sens que lui confère en son rapport final la Conférence intergouvernementale sur les politiques culturelles en Europe (Helsinki, 19-28 juin 1972) et qui nous rappelle que . . .

la culture n'est plus seulement une accumulation d'oeuvres et de connaissances qu'une élite produit, recueille et conserve pour les mettre à la portée de tous, ou qu'un peuple riche en passé et en patrimoine offre à d'autres c o m m e un modèle dont leur histoire les aurait privés; que la culture ne se limite pas à l'accès aux oeuvres d'art et aux humanités, mais est tout à la fois acquisition de connaissances, exigence d'un m o d e de vie, besoin de communication; qu'elle n'est pas un territoire à conquérir ou à posséder mais une façon de se comporter avec soi-même, ses semblables, la nature; qu'elle n'est pas seulement un domaine qu'il convient encore de démocratiser, mais qu'elle est devenue une démocratie à mettre en marche.

O n retiendra de la diversité de ces visages attribués à la culture qu'elle est, parmi bien d'autres choses, une façon de se comporter avec la nature.

Mais qui détient la culture ? L a Conférence mondiale sur l'éducation pour tous (Jomtien, Thaïlande) a proclamé et confirmé en mars 1990 le principe justement de l'éducation pour tous, donc de la culture pour tous.

16 Développement culturel et environnement

C e droit n'est plus réservé à une élite. Tous les humains, quelles que soient leur profession, leur race, leur confession, qu'ils soient filles ou garçons, riches ou pauvres, ont le droit, le devoir d'apprendre et de se cultiver. Les sujets actifs d'un développement culturel sont les individus libres d'agir, de penser, de s'exprimer. Ils peuvent participer activement à leur avance­ment et à celui de leur communauté. Mais, pour y parvenir, il leur faut aspirer à un environnement sain, équilibré, dont la première exigence serait une meilleure qualité de vie. D ' o ù la nécessité d'une démocratie politique et sociale favorisant l'épanouissement de la culture en rendant l'instruction accessible à chaque citoyen et en mettant à sa disposition tous les moyens qui lui permettent de mieux se cultiver. Plusieurs questions viennent i m m é ­diatement à l'esprit : — Quels sont les agents de cette «marche vers la démocratie culturelle» ? — Quelles sont les finalités d'une culture de développement ? — Quels sont les nouveaux moyens à mettre à la disposition d'une culture

à notion élargie pour que l'ensemble de la communauté puisse partici­per efficacement à la conquête d'un meilleur cadre de vie ?

Les agents de la démocratie culturelle au service de F environnement

Parmi les agents de la démocratie culturelle, nous retiendrons les peuples libres, la jeunesse en général et son sens de l'éthique environnementale, les organisations non gouvernementales.

Les peuples libres sont par excellence les agents de la démocratie culturel­le. Ils ont un accès facile aux grands médias, ce qui leur permet de les utiliser pour exprimer leurs pensées et d'en profiter pour développer leurs connaissances et approfondir leur culture. Les écoles, la presse écrite et parlée, les moyens audio-visuels sont mis à la disposition de chacun. Leur vie durant, les citoyens de tous âges continuent d'accroître leur savoir et de consolider leur culture.

Sous le titre «Histoire de grand 'maman», l'auteur rapporte l'exemple suivant :

Plusieurs universités ouvrent leur porte à tous ceux qui veulent continuer de se cultiver. O n organise des cours, des conférences, des ateliers, qui sont accessibles à des personnes de tout âge. O n y apprend, entre autres, la littérature, l'archéologie, la peinture, l'informatique, la biologie...

Dans une école de quartier, lors d'une rencontre entre maîtres et parents, une mère se renseigne auprès de la maîtresse de sa fille sur la manière de se procurer un petit microscope qu'elle aimerait lui offrir à l'occasion de son anniversaire.

Deux ou trois mois après, la maîtresse se rappelant le renseignement qu'elle avait fourni à la mère, demande à la fille si elle trouve le microscope intéressant. Et celle-ci de répondre : « C o m m e si j'avais la possibilité de l'utiliser... m a grand 'maman, qui fréquente maintenant l'Université, accapare sans cesse m o n microscope» (G. T o h m é , 1990b).

Le développement culturel 17

Si les moyens technologiques modernes de la communication sont égale­ment disponibles aux citadins et aux campagnards, la diffusion culturelle qu'ils dispensent atteindra ainsi une plus large proportion de la population. Il en est de m ê m e de l'enseignement fondamental assuré par l'école obligatoire et par la formation à distance.

Dans les régions où l'analphabétisme touche une masse élevée de gens, la culture prédominante dont ils bénéficient est transmise oralement. Ainsi, dans plusieurs îles du Pacifique c o m m e dans plusieurs régions de l 'Amazo­nie, les indigènes émigrent de l'intérieur de leurs pays vers les côtes. Ils laissent à la campagne parents, femmes et enfants. Actuellement, nombre de ces émigrés côtiers présentent de temps à autre des danses rituelles et des pratiques folkloriques de leurs régions d'origine à la joie et au divertis­sement des touristes, qui les gratifient de leurs deniers. Réjouissons-nous tout de m ê m e que certaines manifestations culturelles, certaines traditions orales sont ainsi maintenues et perpétuées. Cependant, m ê m e dans ce cas et en raison de l'importance de la migration intérieure observée dans ces régions, la culture orale elle-même est en danger de se perdre, car le contact entre anciennes et nouvelles générations est souvent coupé.

Dans les pays où la liberté d'expression est étouffée par la répression policière et où les pratiques religieuses et le comportement social sont imposés par l'Etat, c'est un m o d e particulier de courant culturel qui circule, orienté par ceux qui tiennent les rênes du pouvoir. U n e certaine idéologie est rigoureusement suivie, les échanges avec l'extérieur sont coupés, les ci­toyens ne connaissent que ce qu 'on leur dicte. Discerner le vrai du faux, choisir entre plusieurs programmes culturels, aller à l'école de son choix et suivre des études librement choisies sont autant d'impossibilités, autant de difficultés qui malheureusement persistent malgré la campagne mondiale menée depuis longtemps pour que l ' h o m m e accède à la liberté de se cultiver et de s'instruire, de pratiquer sa religion ou de suivre ses croyances.

C'est sur la jeunesse que repose la responsabilité la plus grande envers le développement culturel. Les jeunes sont les plus motivés quand il s'agit de donner à la vie un sens dynamique. Les conditions d'une meilleure vie, aussi bien en ville qu'à la campagne, doivent mettre à profit leur enthou­siasme et leur penchant envers la beauté et la pureté de la nature pour diriger et mener à bien des activités environnementales. L a jeunesse est très sensible à ce que représente l'équilibre entre l ' h o m m e et la terre, entre l ' h o m m e et le milieu physique car l'avenir de l'humanité en dépend largement. L a maîtrise raisonnée des sciences de l'environnement ne peut s'acquérir que si les jeunes sont bien informés de toutes les découvertes technologiques et biologiques concernant, d'une part, leur corps, ses mala­dies, son équilibre physiologique et psychologique, la reproduction, etc., d'autre part, l'équilibre des écosystèmes.

L'information est la première étape à franchir sur la voie de la sensibili­sation de l'individu c o m m e des communautés. Constatation qui n 'a pas

18 Développement culturel et environnement

échappé aux rédacteurs du Guide pratique de la décennie mondiale du développement culturel, publié par l ' U N E S C O en 1988 :

Sous l'effet de l'urbanisation, de l'industrialisation, de la pollution, des conflits armés ou d'un développement inconsidéré du tourisme de masse, les biens culturels (oeuvres d'art et d'architecture) ainsi que les sites culturels et naturels sont de plus en plus menacés de dégradation.

L'action en faveur de la préservation du patrimoine culturel de l'humanité c o m m e la lutte contre le trafic illicite des oeuvres d'art et d'archéologie commencent par la prise de conscience à grande échelle des problèmes qui se posent aujourd'hui. C'est pourquoi la formation et l'information ont un rôle décisif à jouer, dans la mesure où elles peuvent favoriser une mobilisation des opinions publiques. Par ailleurs, toutes les ressources des techniques traditionnelles, quand cela est possible, et des technologies nouvelles doivent être exploitées non seulement pour préserver, mais aussi pour faire vivre ce patrimoine qui risque d'être irrémédiablement perdu.

Ainsi les jeunes se sentiront-ils plus responsables en se cultivant et plus conscients du rôle qu'ils doivent jouer dans le maintien de l'équilibre des écosystèmes et de la préservation du patrimoine culturel et artistique. La transmission des connaissances, au niveau de l'enseignement secondaire par exemple, doit donc s'accompagner d'une prise de position éthique.

L association de la jeunesse au processus du développement culturel doit porter sur le caractère du volontariat. C'est le cas des diverses organisa­tions non gouvernementales ( O N G ) qui, en plus de leur domaine spécifi­que, accordent à la culture un rôle important, qu'il s'agisse de l'Organisa­tion mondiale du mouvement scout ( O M M S ) , de la Ligue des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge, de la Fédération internationale de la jeunesse pour l'étude et la conservation de l'environnement ou d'autres mouvements à caractère culturel et dont le nombre dépasse les soixante-dix ( U N E S C O , 1985). La contribution volontaire à toute activité liée à la défense de l'environnement donne à celle-ci une étendue et une efficacité plus globales. Les O N G , les fondations bénévoles et de nombreuses entre­prises pratiquant le mécénat pourront couvrir ainsi certains champs d'acti­vités qui contribuent à un développement culturel lié à l'environnement tels que la vulgarisation scientifique, la traduction de certains ouvrages à caractère universel, ou encore coopérer avec l ' U N E S C O pour promouvoir des projets c o m m e ceux cités ci-dessous :

a) «Sylviculture et culture» (coopération entre la F A O et l ' U N E S C O ) dont l'objet est de «rendre opérationnelle la reconnaissance de l'importance des valeurs socioculturelles de la gestion des forêts» où vivent des populations asiatiques.

b) «Aid to Artisans — A T A » : Aide aux artisans défavorisés (conjoin­tement soutenu pour l ' U N E S C O et une organisation sans but lucratif au Ghana, au Népal) dont l'objectif est d'améliorer «les compétences en matière de commercialisation chez les artisans défavorisés qui souhai­tent maintenir leurs traditions de qualité et néanmoins survivre sur le marché mondial».

Le développement culturel 19

c) Enregistrement et réutilisation du savoir-faire et du savoir traditionnel en production de poteries, par exemple (coopération entre l ' U N E S C O et deux organismes français dont l'un est financé par le ministère de la Culture) ( U N E S C O , 1991).

Parmi ces activités qui sont développées ailleurs, on peut également citer : — la recherche fondamentale favorisant le progrès de la connaissance et

l'approfondissement de la réflexion; — le recueil et la diffusion de l'information tendant à la sensibilisation des

opinions publiques; — la coopération culturelle internationale.

Les finalités de la conservation environnementale

Pour une politique culturelle du développement, les finalités de conserva­tion portent principalement sur l'environnement construit, le milieu physi­que, la vie socio-économique.

L'environnement construit représente le cadre dans lequel se manifeste la vie culturelle. E n matière de planification touchant l'urbanisation et l 'amé­lioration des conditions de vie, la sauvegarde des ensembles architecturaux et des sites archéologiques doit être considérée c o m m e de toute première importance. Les anciennes maisons construites généralement en pierre ont un plafond plus haut que celui des habitations modernes en béton. Leur toit couvert de tuiles ou d'ardoises est entouré d'une corniche. Les terrasses, le porche, la porte d'entrée, les fenêtres, etc. donnent à l'édifice un aspect différent des immeubles modernes. Ces demeures à l'ancienne exigent un entretien continuel, leur chauffage est plus coûteux et souvent elles ne présentent pas tout le confort qu 'on trouve dans les appartements de construction récente. C'est pour cela qu'il y a une tendance manifeste à les démolir pour pouvoir mieux exploiter la grande surface qu'elles occupent. A défaut d'une loi qui protégerait de telles constructions, c'est l'éthique environnementale qui peut faire contre-poids et empêcher le propriétaire de démolir. Tout projet d'amélioration des conditions de la vie économique et sociale d 'un milieu déterminé doit être étudié en gardant à l'esprit la nécessité de sauvegarder le milieu culturel. Si, pour tracer une route ou élargir une rue, on est amené à détruire une demeure historique, par exemple, il vaut mieux renoncer à ce projet et conserver l'ancienne bâtisse.

La préservation du milieu physique, l'aménagement du territoire, la ges­tion des ressources naturelles sont autant d'activités intégrées à la politi­que culturelle. Celle-ci cherche à gérer la totalité des ressources naturelles pour en faire profiter tous les humains. Mis à part les richesses minières, dont l'extraction contribue au développement de l'industrie d 'un pays et qui se rattache à sa politique économique, le paysage, les forêts, l'eau douce et l'eau de mer, les sols constituent l'ensemble de l'environnement

20 Développement culturel et environnement

dont la perte ou la détérioration ont un impact négatif aussi bien sur l'activité économique que sur la vie culturelle. U n éventail de problèmes de développement, culturel, rural et autres, et d'environnement sont liés aux ressources en eau douce, à la mer, à la pêche et aux pratiques culturelles qui leur sont rattachées, à l'érosion des sols et à leurs systèmes alternatifs de production. La relation entre paysages, agriculture et culture est apparue dans une note diffusée par UNESCO Presse (juillet 1991). Sous le titre «Les paysages européens défigurés», on pouvait lire :

L'agriculture intensive est-elle en train de modifier les paysages européens ? Fini le charme de la campagne ! Les champs, les prairies et les forêts disparaissent peu à peu pour laisser la place à d'immenses surfaces agricoles où les m ê m e s cultures sont pratiquées sur des centaines de kilomètres. Certaines espèces animales et végétales sont en voie d'extinc­tion car leur habitat naturel a été détruit ou pollué.

L'érosion des sols se poursuit à travers tout le continent, tandis que la terre et l'eau sont polluées par la pluie acide, les engrais chimiques et les métaux lourds. Pendant ce temps, les campagnes se dépeuplent au profit des villes [...]

Les chercheurs ont convenu que pour comprendre les raisons de cette dégradation de l'environnement, il fallait commencer par expliquer les causes sous-jacentes de ces change­ments. Les facteurs d'évolution sont d'ordre écologique et socio-économique. Ils sont liés à la politique agricole que doivent appliquer sans exception tous les membres de la C o m m u ­nauté européenne, et aux mécanismes du marché agricole.

C'est d'ailleurs ce que nous verrons au chapitre suivant. Mais déjà pou­vons-nous déclarer que l'épanouissement de la personne humaine ne se manifestera pleinement que le jour où les environnements, naturel et culturel, seront liés solidement par la m ê m e volonté de conservation.

La vie socio-économique, le milieu humain, le cadre culturel font que s'inter­fèrent environnement et culture, qui tombent l'un et l'autre sous la coupe des m ê m e s ennemis dont on citera la pauvreté, l'analphabétisme, les mala­dies et leurs corollaires : famine, aliénation, délinquance, volonté de domi­nation, etc. Dans la lutte contre ces ennemis, l'environnement et la culture marquent parfois le pas ou subissent des pertes. Pour compenser ces dernières, on se dirige alors plutôt vers un développement socio-économi­que qui s'effectue souvent au détriment du culturel. L'atteinte de l'environ­nement et de la culture prend malheureusement un caractère irréversible. Dans une culture de développement, on cherche à vaincre tous les ennemis sans porter atteinte à l'environnement général et plus particulièrement à l'environnement culturel.

Dans un article intitulé « U n diplomate au service de la culture», la revue Sources UNESCO (avril 1991), se référant à R a y m o n d Chasles, ambassa­deur de Maurice à Bruxelles, parle ainsi du volet culturel de la coopération entre la Communauté économique européenne (CEE) et le tiers m o n d e :

Formés à l'occidentale, les représentants de quelques pays du tiers m o n d e étaient incapa-W e s de percevoir T interaction entre culture et développement. Ils étaient là pour défendre les intérêts économiques de leur pays, pas pour réveiller des cultures dont ils avaient une vision passéiste et dont ils craignaient que le financement ne grève le budget consacré à la coopération économique.

Le développement culturel 21

L'ambassadeur confie qu 'un de ses collègues lui a m ê m e déclaré un jour : «Nous n'avons ni cathédrale ni symphonie, que pouvons-nous alors appor­ter à une coopération culturelle ?» D u fait qu'ils n'ont pas suffisamment participé au développement technologique actuel, certains peuples se con­sidèrent marginalisés et croient leur identité culturelle oubliée et délaissée. Or, conclut-il, «il ne peut y avoir de développement sans culture».

Moyens mis à la disposition de la culture

Mis à part les nouveaux moyens qu'offrent la technologie moderne et la facilité d'accès au patrimoine culturel et artistique, d'autres moyens sont mis à la disposition de la culture afin de permettre à tous les citoyens une meilleure participation à l'amélioration de la qualité de la vie.

Le premier de ces moyens et le plus important est la volonté de régler tous les conflits par la négociation et la compréhension mutuelle. Les valeurs culturelles et les idées pacifistes doivent l'emporter sur toute volonté de belligérance. Les peuples apprendront à mieux se connaître et à se respecter lorsque les échanges culturels seront favorisés et encouragés. Ainsi les actes de violence et les effets néfastes de la guerre seront-ils écartés et l'environnement, au sens le plus large, préservé. N o u s y revien­drons plus loin avec quelques exemples.

Pour réaliser un rapprochement entre les peuples, deux sortes de moyens sont employés : l'échange intellectuel (échange d'idées, de pro­grammes artistiques, audio-visuels, échange de livres, de journaux, de revues, etc.); l'échange de personnes (artistes, enseignants, experts).

L'échange intellectuel se manifeste actuellement par la réalisation de films, de festivals de musique, de programmes de radio et de télévision, d'expositions d'œuvres d'art contemporaines ou empruntées aux musées, par l'édition de manuels scolaires où l'on insiste sur le respect des cultures autres que la sienne propre.

L'échange de personnes permettra une meilleure coopération sur le plan régional et international. Des spécialistes appartenant à différents domai­nes de la culture et de l'environnement mettront en c o m m u n leurs expé­riences respectives, ce qui facilitera la mise en œuvre de projets de préser­vation intéressant leurs pays respectifs.

L ' É D U C A T I O N ARTISTIQUE ET C U L T U R E L L E

L'éducation artistique comprend la musique, le théâtre, la danse, l'art en général, l'expression littéraire. L'originalité d 'un peuple, la caractéristique spécifique d'une communauté et tout ce qui donne à l'individu et à la société leur propre identité culturelle relèvent de la formation à la culture sans oublier l'histoire des peuples, l'évolution de leur société, leurs coutu-

22 Développement culturel et environnement

m e s , leurs lois... U n e telle éducation doit aller jusqu'à établir une véritable culture de l'environnement, ses objectifs étant fixés par les politiques de sauvegarde. L'histoire de l'art, l'ensemble des oeuvres artistiques d'une époque, son style ou les manières particulières de s'exprimer sont autant de sujets d'études qu 'on pourra inscrire aux programmes. A quoi il convien­drait d'ajouter les genres littéraires, la poésie populaire, l'histoire des grands courants artistiques, la description des principaux chefs-d'œuvre, l'héritage du patrimoine culturel mondial et d'autres sujets semblables. Voyons à qui profite cette éducation, quels en sont les buts et les condi­tions.

Les bénéficiaires

Indirectement, c'est l'environnement général et culturel qui bénéficie de l'attitude positive que les classes et les matières artistiques inculquent aux apprenants. Quiconque aime l'histoire de l'art et apprend à apprécier les oeuvres littéraires et artistiques finit par acquérir une tournure d'esprit très favorable à toute politique de sauvegarde. C'est aussi l'environnement social qui est le plus grand bénéficiaire d'une telle éducation c o m m e l'illustre l'exemple suivant :

Face à l'intense répression dont étaient victimes les jeunes des quartiers populaires de la ville du Cap en Afrique du Sud, certains étudiants des beaux-arts ont volontairement offert de donner des cours d'expression artistique dans différentes écoles noires où ces disciplines n'étaient pas enseignées. L e succès ne s'est pas fait attendre. L'exemple fut largement suivi et les bénéficiaires en furent nombreux. Des spectacles de marionnet­tes et de musique, du théâtre, des cours de peinture et de dessin, d'autres formes enfin de l'art plastique ont détourné bon nombre d'enfants de la délinquance. L e plus important est que : administrateurs, professeurs, parents, adultes et enfants ont eu conscience du développement culturel auquel ces derniers ont accédé. Leur environnement immédiat en a vite ressenti les bienfaits car les opprimés sont arrivés à surmonter la haine et la colère auxquelles ils étaient assujettis. Cette forme de culture dont avaient été privés ces enfants montre à quel point, lorsqu'elle est équitablement dispensée, elle est bénéfique, indispensable m ê m e , à l'équilibre social de l'environnement et à la quiétude psychologique de chaque individu. Le fait que les enfants sentent qu 'on entreprend patiemment de les cultiver et qu'ils peuvent manifester librement leurs talents créateurs contribue à la transformation de la communauté à laquelle ils appartiennent en élevant leur niveau de vie et en jugulant la violence à laquelle ils étaient enclins.

Les bénéficiaires directs d'une telle éducation sont les_ Tarent^ les enseignants, les responsables à tous les niveaux, les apprenants de tout âge. Aussi bien à titre individuel que du point de vue communautaire, l'éduca­tion artistique est donc des plus bénéfiques.

Le développement culturel 23

Les buts

D e l'enrichissement des connaissances de l'apprenant au développement de sa culture, les buts de cette éducation sont multiples. U n citoyen instruit viendra vraisemblablement grossir les rangs des défenseurs de l'environne­ment. Dans l'enseignement général et à tous les niveaux, on doit étendre les différents aspects de l'éducation à l'éthique et à l'esthétique en enrichissant continuellement les connaissances de l'apprenant, qui sera ainsi mis au courant de la valeur des trésors culturels mondiaux et locaux tout en étant formé culturellement. Le compositeur Marcel Landowski tient que si «les lois économiques, les liens matériels, sont indispensables, car ils sont vitaux [...] il est prudent de s'éveiller à l'éducation esthétique du genre humain». E n développant leurs goûts esthétiques et leur penchant pour le beau, les citoyens de toutes les couches de la société deviendront de farouches défenseurs de l'environnement culturel et de ses biens. Il sera facile alors de proposer aux jeunes de consacrer une partie de leurs loisirs à des activités culturelles, ce qui donnera un effet multiplicateur à l'éduca­tion formelle reçue. Celle-ci, qu'elle soit le fruit de l'enseignement primai­re, secondaire ou postsecondaire, ne vise pas uniquement à faire réussir aux examens l'élève ou l'étudiant et à voir ses études couronnées par un diplôme, mais aussi à le cultiver. Chacune des différentes disciplines enseignées jouera donc un rôle spécifique dans le développement culturel de l'individu et dans sa formation à l'éthique de l'environnement.

Mis à part l'enseignement primaire, nous jetterons un coup d'oeil sur le rôle de ces disciplines dans les enseignements secondaire et supérieur en empruntant trois voies principales : les sciences humaines (lettres, droit, économie, etc.), les sciences exactes (mathématiques, physique, biologie, etc.), les sciences appliquées (génie, polytechnique, médecine, pharmacie, etc.) Si la spécialisation postsecondaire paraît s'opposer au courant d'une culture générale, c'est un autre aspect du diplômé cultivé qu'il faut juste­ment former. C o m m e n ç o n s par présenter les tendances vers lesquelles penche la formation d 'un spécialiste, puis le rôle des trois voies citées plus haut.

Du niveau primaire au niveau universitaire, l'enseignement de chaque matière suit généralement deux tendances : a) l'acquisition des connais­sances exigées par une discipline déterminée; b) le renforcement de la personnalité de l'apprenant par une culture générale appropriée. Dans le premier cas, le but de l'enseignement c'est d'apprendre. Pour certains enseignants, il s'agit là d 'un but en soi et il ne faut pas «perdre son temps» à suivre des activités qui ne vont pas dans ce sens. Dans le deuxième cas, la culture est pour certains une modalité de l'acquisition des connaissances, elle ne peut pas être seulement une culture littéraire ou uniquement une culture scientifique. Ceux qui optent pour une forme déterminée de l'ensei­gnement doivent, pour compléter leur culture, choisir une forme différente. Ainsi les scientifiques se cultiveront par la lecture d'œuvres littéraires,

24 Développement culturel et environnement

d'ouvrages sur l'art, sur la politique, sur l'histoire, le social, l'économique, etc.; les littéraires s'enrichiront au contraire à la lecture de revues et de livres qui développeront leur culture dans différents domaines scientifiques et singulièrement dans celui des sciences de l'environnement. Étant mis au courant de ce qui les entoure et participant, chacun dans son propre domaine d'activité, à la culture universelle, les citoyens, en complétant la leur, seront sensibilisés à la sauvegarde de l'environnement social et naturel.

La spécialisation et la culture. Il a toujours été inconcevable qu 'un juriste, un psychologue, un sociologue, un historien, un artiste, voire simplement un littéraire ou m ê m e un poète, ne soit pas en mesure de comprendre et de suivre les grandes découvertes de la science qui influencent la qualité de la vie. Il en est de m ê m e de l'ingénieur, de l'architecte, de l'électronicien, de l'astronaute, de l'informaticien, aussi de l'agronome, du médecin, du pharmacien, voire du simple scientifique, dont on s'attend qu'ils soient capables de comprendre une pièce de théâtre ou d'être au courant de telle école de peinture ou de musique, ou encore de suivre l'évolution des tendances économiques. Chaque humaniste, chaque h o m m e de science, chaque technicien ne peut équilibrer sa culture qu'au prix de la réflexion. Le juriste confiné dans sa branche, de m ê m e que l'ingénieur ou le médecin ultra-spécialisé souffrent de leur technicité. Pour sortir des limites de son domaine et reconquérir une liberté intellectuelle nécessaire à l'équilibre, le spécialiste doit compléter sans relâche sa culture en assistant à des confé­rences, en suivant des cours, en s'adonnant à la lecture . . . A l'université, certains cours de culture générale sont dispensés parallèlement aux matiè­res de spécialisation. Les futurs médecins ou ingénieurs, par exemple, peuvent parfois choisir des cours d'histoire, d'art, de sociologie c o m m e de statistiques, de psychologie ou de droit. L'éthique professionnelle, les sciences de l'environnement sont des matières interdisciplinaires dispen­sées à un public de plus en plus étendu, couvrant un grand nombre de futurs humanistes et techniciens supérieurs.

Les conditions

Sur le plan du développement intégral de la personnalité, l'éducation artistique et culturelle autorisera chaque individu à réclamer l'égalité des chances d'accès à la connaissance du patrimoine national et mondial. C e qui favorisera encore mieux la préservation des richesses archéologiques, artistiques et culturelles. Les citoyens qui seront ainsi formés seront con­vaincus de la nécessité d'établir des échanges culturels avec les autres peuples et faciliteront par tous les moyens des contacts qui seront autant de ponts entres les communautés. Les principales conditions conduisant à une telle éducation sont : la liberté de choisir le domaine où s'épanouira sa

Le développement culturel 25

culture; le bonheur de dialoguer avec les autres cultures et de découvrir que se cultiver c'est aussi meubler ses heures de loisirs. — E n dehors de l'éducation formelle, le spécialiste choisit de se cultiver au

concert, au théâtre, en participant à des séminaires ou simplement en lisant un livre, une revue, un journal, en écoutant la radio ou en regardant la télévision. Personne ne l'oblige à le faire. D e lui-même, il a opté pour tel ou tel m o y e n de compléter sa formation, d 'où le plaisir de se sentir doué d'une personnalité toujours prête à apprendre.

— C e plaisir devient bonheur en découvrant d'autres cultures, d'autres peuples, avec leurs langues, leurs civilisations, leurs coutumes. E n outre, c o m m e de telles activités se déroulent généralement en dehors des heures de travail, les loisirs seront d'autant plus agréables qu'ils seront agrémentés d 'un beau film, d'une lecture captivante ou d'une audition envoûtante.

Dès 1972, la Conférence intergouvernementale sur les politiques culturel­les en Europe, constatant que «la culture englobe les structures, modes et conditions de vie d'une société et les diverses façons dont l'individu s'exprime et s'accomplit dans cette société», décidait que «la culture, dans son acception restreinte traditionnelle et davantage encore dans cette nou­velle perspective élargie, ne peut plus être considérée c o m m e le domaine d'activité réservé d'une petite élite créatrice et instruite» (Conférence d'Helsinki, 1972). D ' o ù la nécessité de promouvoir la créativité sur le plan individuel.

L A P R O M O T I O N D E L A CRÉATIVITÉ

L a promotion de la créativité s'effectue dans trois directions qui conver­gent vers la sauvegarde de l'environnement : — encouragement des artistes; — leur formation; — créativité et technologie moderne.

L'encouragement des artistes

L'idée de protéger les poètes, les peintres, les sculpteurs n'est pas nouvelle. Combien de rois, de princes, de mécènes ont pris des artistes sous leur tutelle et se sont, avec leurs cours, rendus célèbres grâce à eux. U n essaim de poètes, de musiciens était rattaché aux califes omayades et abbassides. Raphaël, Michel-Ange, Léonard de Vinci se sont manifestés grâce à la protection des papes et des princes italiens. Les auteurs classiques français du XVII e siècle ont leurs n o m s associés à celui de Louis X I V , de m ê m e que les artistes qui ont créé Versailles. Pierre le Grand et Catherine de Russie se

26 Développement culturel et environnement

sont fait mieux connaître en protégeant penseurs et peintres. Les exemples abondent et viennent de toutes les contrées du m o n d e .

C'est pourquoi aujourd'hui il est du devoir des Etats et de toutes les branches de la société d'encourager les artistes à peindre, à composer, à faire du théâtre, à créer des films . . . Pour ce faire, des primes d'encoura­gement seront dispensées, des expositions et des festivals organisés, des fêtes en leur honneur célébrées, cependant que des réceptions et des rencontres mondaines permettront de les faire connaître. Les jeunes talents de la littérature, de la peinture et de la sculpture, de la musique traditionnel­le et contemporaine seront appelés à participer aux commissions des programmes scolaires et aux activités éducatives et culturelles. Différents services d 'un Etat peuvent par exemple acheter des peintures créées par des artistes du pays et les distribuer pour décoration dans les bureaux adminis­tratifs. C'est encore une des meilleures manières de les faire connaître et de les récompenser. Tous les cinq à dix ans, les peintures ou les sculptures ainsi réparties dans différents bureaux administratifs seront réunies dans un musée d'art contemporain afin de faire place nette pour d'autres œuvres d'art, plus récemment exécutées. D e temps à autre, les artistes seront invités à participer à des concours où les meilleures œuvres seront sélec­tionnées. Ces concours seront accessibles à des artistes de diverses nationa­lités, ne serait-ce que pour démontrer que la culture n 'a pas de frontières.

Des théâtres subventionnés par les autorités publiques sont créés de nos jours pour aider les artistes talentueux à se manifester et pour mettre les spectacles à la portée du plus grand nombre (songeons aux festivals de Carthage, d'Avignon, de Baalbek, pour ne citer que ces trois-là). L a tendance actuelle est au théâtre en plein air, au spectacle interprété dans le cadre impressionnant de telles ruines historiques, telle place centrale anti­que, tel temple majestueux, manière subtile d'éveiller aussi l'attention sur le patrimoine historique qui abrite ces manifestations.

Encourager la créativité contribue à un meilleur développement culturel. L'émulation s'instaure alors entre les artistes qui cherchent à améliorer leur production. Tout citoyen épris du beau et imprégné d 'un sens artistique sera porté vers l'amour de l'environnement naturel, culturel et artistique. Rares sont les vrais artistes qui n'ont pas de penchants innés envers les fleurs, les animaux, le paysage, la qualité de la vie, le patrimoine sous toutes ses formes et qui ne cessent d'appeler leurs concitoyens à plus de clémence, plus de respect pour l'environnement.

La formation des artistes

Il fut un temps où l'art était approché uniquement par les inspirés ou par les doués; aucune formation préalable n'était alors envisagée. Les instituts et les écoles des beaux-arts n'étaient pas encore ce qu'ils sont aujourd'hui. Les peintres, les sculpteurs, les poètes, les acteurs se réunissaient en

Le développement culturel 27

associations, en salons, en cercles pour discuter et échanger leurs idées. Beaucoup d'apprentis, impatients de connaître la renommée, cherchaient à se placer en trouvant du travail dans les ateliers des grands maîtres.

Actuellement, il existe pour les beaux-arts différents types d'écoles. Elles doivent être ouvertes à un large public afin d 'y former initialement et continuellement des artistes. Des h o m m e s et des femmes de talent y seront invités pour encadrer et diriger les travaux des artistes en herbe. Dans chaque pays, les capacités nationales de ces instituts doivent être renfor­cées et les subventions qui leur sont allouées sans cesse révisées pour être suffisantes. L'égalité des chances sera ainsi offerte à tous les citoyens. Les artistes y développeront leurs facultés créatrices dans le respect de l'envi­ronnement qu'ils apprendront à mieux connaître en suivant des cours ou des conférences sur les problèmes environnementaux et leurs solutions. L a société connaîtra alors un développement culturel compatible avec une qualité de vie toujours meilleure.

Créativité et technologie moderne

L'audio-visuel et les nouvelles technologies jouent un rôle important dans la création artistique. Par exemple, tous ceux dont les activités sont de loin liées aux problèmes du logement et de l'habitat doivent effectuer des études, promouvoir des technologies compatibles avec l'environnement et mieux connaître ces nouvelles formes de création. S'il est important de choisir un matériau de construction présentant en plus de ses qualités économiques (est-il bon marché ?) une manipulation aisée, ce sont désor­mais surtout les qualités écologiques compatibles avec la préservation de l'environnement et de la santé qui seront recherchées. Parmi celles-ci, l'isolation thermique et sonore, l'étanchéité restent prioritaires. Ajoutons aussi l'utilisation de produits ininflammables pour lutter contre l'étendue des incendies (le bois, les plastiques et autres matières similaires sont imprégnés de substances ignifuges) et l'utilisation de matières chimiques non toxiques qui s'opposent au développement des germes et à leur propa­gation. L a dextérité et le savoir-faire dans la mise en application de ces nouvelles technologies contribuent au développement culturel des archi­tectes et techniciens et leur permettent de l'appliquer à la protection du milieu naturel et construit.

L ' E N C O U R A G E M E N T DES PRATIQUES ARTISANALES

L'artisanat est une des formes de la culture traditionnelle et populaire au m ê m e titre que l'architecture, la musique, la littérature, la danse, la mytho­logie, les coutumes . . . U n e des définitions de la culture traditionnelle et populaire a été donnée en 1989 à la trente-deuxième séance plénière de la

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vingt-cinquième session de la Conférence générale de l ' U N E S C O (Résolu­tion 103). C'est. . .

l'ensemble des créations émanant d'une communauté culturelle fondée sur la tradition, exprimées par un groupe ou par des individus et reconnues c o m m e répondant aux attentes de la communauté en tant qu'expression de l'identité culturelle et sociale de celle-ci, les normes et les valeurs se transmettant oralement, par imitation ou par d'autres manières.

Cet ensemble de créations entre dans l'environnement social et sa préser­vation contribue au développement culturel.

C o m m e n t procéder pour connaître, protéger et soutenir les pratiques artisanales ? Il faudra, de prime abord, les inventorier, puis encourager la vente de leurs produits et organiser des visites d'ateliers; des mesures financières seront prises par les Etats qui recourront, si nécessaire, à l'aide internationale et utiliseront les divers moyens nationaux dont ils disposent.

Inventorier les pratiques artisanales

Chaque pays devra inventorier ses pratiques artisanales les plus courantes. Citons à titre d'exemple : le travail des métaux, or, argent, cuivre, étain, bronze, fer, etc.; le travail du bois, de la nacre; la vannerie, la poterie, le verre; la fabrication de certains produits alimentaires régionaux tels le pain, les confitures, les fromages et les huiles; le tissage et l'élevage du ver à soie, le filage et la tapisserie; la broderie, l'horlogerie, etc.

Encourager la vente des produits artisanaux et la visite des ateliers

Afin de permettre à l'artisanat de survivre, un des moyens utilisés consiste à encourager la vente des produits artisanaux. Des coopératives subven­tionnées par les pouvoirs publics collectent ces produits, les exposent dans des locaux spécialisés en fixant leurs prix de vente, les font connaître grâce au concours des médias, des agences de voyage, des hôtels, etc. E n plus, les jeunes sont invités à leur tour à visiter les ateliers des artisans pour les voir à l'oeuvre et découvrir très tôt la beauté du travail manuel et apprendre à l'apprécier à sa juste valeur. Cette sensibilisation du public est indispensa­ble à la préservation «des racines» pour la qualité de la vie et le développe­ment culturel.

Prendre des mesures financières

L'intervention de l'Etat nécessite sans doute la prise de mesures financiè­res — considérées c o m m e étant superflues par certains h o m m e s politiques ou économistes dont la liste de priorités est loin d'être couronnée par l'encouragement de l'artisanat considéré c o m m e un domaine insuffisam-

Le développement culturel 29

ment rentable. D ' o ù un appel lancé aux organisations non gouvernementa­les pour contribuer à la sauvegarde de cet environnement humain. L'entrai­de internationale doit venir à son tour à la rescousse des pays en développe­ment connaissant des difficultés budgétaires avant qu'il ne soit trop tard et que l'on voie disparaître pour toujours certaines formes de pratiques artisa­nales. E n effet, par manque de main-d 'œuvre qualifiée, certains produits de l'artisanat tendent à disparaître. Leur fabrication se transmettait de père en fils et la recherche d'une meilleure rentabilité a poussé les fils à abandonner les pratiques ancestrales de leur famille en emigrant vers d'autres horizons. Il faudrait donc les encourager à revenir à leurs sources et à renouer avec ces pratiques.

Faire connaître les anciennes industries et les pratiques artisanales

Il faut mettre à la disposition de l'Etat des moyens permettant de conserver les anciennes industries et de faire connaître les pratiques artisanales. E n plus des subventions financières et de la prise de conscience de l'Etat, l'artisanat peut être mieux connu et ses pratiques efficacement préservées. A cette fin, l'Etat devrait : — Transformer en musées d'anciens édifices ayant abrité une activité

considérée aujourd'hui c o m m e artisanale. A titre d'exemples, citons : les vieux moulins utilisant c o m m e force motrice le vent, l'eau ou les animaux; les anciens pressoirs dotés de machines servant à l'extraction, par pression de certains fruits ou de certaines graines oléagineuses, du jus contenu dans leur masse; les anciens bâtiments de l'industrie séricicole comprenant les étapes de la sériciculture et de la fabrication de la soie; les anciennes mines ou salines; etc.

— Conserver les machines et les outils ayant servi à faire fonctionner ces anciennes industries : pour pouvoir les comparer à l'outillage moderne dispensé par le développement technologique; pour ne pas oublier les conditions de travail auxquelles étaient soumises les générations d'ouvriers qui ont utilisé ces machines.

— Introduire à l'école, dans les livres de lecture, des textes mettant l'ac­cent sur le respect des activités artisanales en les faisant connaître; ces textes seront illustrés par des photographies et des dessins expliquant de la manière la plus simple les différentes étapes de la fabrication et les coutumes sociales qui leur sont associées.

— Organiser des programmes de télévision sensibilisant le public à la richesse et à la beauté des produits artisanaux; on pourra confier leur présentation à des artistes de talent réputés et influents qui attirent les téléspectateurs et les poussent à mieux apprécier l'artisanat.

— Créer des centres culturels où toute une série d'activités artistiques très variées peuvent prendre la relève de bâtiments qui ont cessé de servir, anciens ou moins anciens, quels que soient leur style et leur fonction

30 Développement culturel et environnement

d'origine. Sous le titre «Les Maisons de la culture au Danemark : la lutte pour l'autonomie culturelle», on peut lire dans une publication de la Décennie mondiale du développement culturel (Culture plus, décem­bre 1990) : « A Odense, qui est la troisième ville du Danemark, une vaste mobilisation de la population a permis d'empêcher la démolition d'une usine de filature de laine qui a fonctionné du X I X e siècle jus­qu'aux années 70. Tout le quartier a été reconstruit en 1979 et il est devenu l'un des hauts lieux d'Odense. Cette usine est aujourd'hui un centre culturel géré par la municipalité, avec des salles d'exposition, des salles de réunion, des musées, ainsi que des restaurants». C'est le ministère de l'Environnement qui est chargé au Danemark de la protec­tion et de la préservation des monuments historiques. Plus loin, on attire l'attention «sur les nombreuses possibilités qui sont offertes pour peu que l'on fasse le lien entre le désir de préserver le patrimoine architectural, d'une part, et d'autre part, de favoriser le développement culturel».

LE R E N F O R C E M E N T D E L'IDENTITÉ C U L T U R E L L E

U n des quatre objectifs de la Décennie mondiale pour le développement culturel est l'affirmation et l'enrichissement des identités culturelles. L a culture des individus et des collectivités est partie intégrante de la vie. Elle englobe l'ensemble encore vivant des œuvres d'hier et d'aujourd'hui au travers desquelles s'est constitué, au fil des jours, un système de valeurs, une vision éthique propre à une société déterminée, des traditions et des coutumes, un jugement artistique spécifique et d'autres façons de vivre qui caractérisent le génie d'un peuple.

Tout en étant conscient du caractère universel d'un grand nombre de problèmes touchant l'environnement, mais aussi culturels et socio-écono­miques et dont la solution nécessite entre autres un éveil éducatif, les différents peuples de la planète et les diverses appartenances des groupes sociaux doivent découvrir progressivement leur propre identité culturelle, la respecter et la faire développer. Ceci semble être au premier abord contradictoire avec l'ouverture des cultures et leur caractère international et humain. E n effet, pour parvenir à respecter la culture des autres peuples, il faut commencer par connaître la sienne propre. Il en va de m ê m e pour les problèmes environnementaux. Avant de penser à résoudre les problèmes à caractère transfrontalier, il vaut mieux commencer par découvrir ceux qui nous touchent directement. L a relation entre le développement culturel et l'environnement est d'autant plus solide qu'elle a pour point de départ l'environnement naturel local et le patrimoine culturel national avant de s'étendre et d'englober l'humanité tout entière et l'environnement m o n -

Le développement culturel 31

dial. A u titre du programme concernant la Préservation et mise en valeur du patrimoine culturel, la Conférence générale de l ' U N E S C O , à sa vingt-cinquième session, demande :

a) à promouvoir la préservation et la mise en valeur du patrimoine culturel physique dans lequel s'enracinent les identités culturelles, à mieux l'intégrer à la vie culturelle contemporaine et à l'ouvrir plus largement au public : i) en étendant l'application des instruments normatifs adoptés dans le domaine du patrimoine sous les auspices de l ' U N E S C O ; ii) en encourageant la formation des personnels spécialisés et les échan­ges d'information entre professionnels; iii) en renforçant l'action de préservation dans le cadre de la Stratégie pour le programme des campagnes internationales de sauvegarde qu'elle a adoptée à sa vingt-quatrième session et selon les principes définis dans le troisième Plan à m o y e n terme; iv)en renforçant l'assistance aux Etats membres en matière d'action d'urgence pour la préservation du patrimoine et d'archéologie de sauve­tage; v) en encourageant le développement des musées; vi) en facilitant les négociations bilatérales pour le retour ou la restitution de biens culturels à leur pays d'origine;

b) à développer l'action en faveur de la préservation du patrimoine non physique : i) en contribuant, dans les diverses aires géoculturelles, notamment en Afrique, à la collecte et à la préservation des traditions culturelles orales et non verbales et en favorisant leur diffusion par des moyens audiovisuels; ii) en encourageant la préservation des langues en voie de disparition ainsi que des langues maternelles ou nationales, notamment africaines, etc. (1989, Résolution 103 D ) .

Le renforcement de l'identité culturelle tend ainsi à démontrer que la relation qui existe entre l ' h o m m e et la nature est une question de culture découlant du respect du milieu naturel. Assurément, «l'aménagement de l'environnement est partie intégrante de la politique culturelle». Et il existe en effet des liens très étroits entre «la sauvegarde du milieu naturel et le plein épanouissement de la personne humaine». L'urbanisme, l'architectu­re et la technologie moderne sont des manifestations humaines et, c o m m e nous le verrons plus loin, servent de cadre à la vie culturelle. N o n seule­ment le développement technologique et industriel ne doit pas conduire «à la dégradation du milieu naturel et humain» mais il y a m ê m e des «exigen­ces de la culture vis-à-vis de l'aménagement du cadre de vie». Culture et environnement interfèrent dans divers domaines «tels que la protection et la mise en valeur des monuments et des sites et les études psychosociologi­ques sur la perception de l'environnement» (Conférence d'Helsinki, 1972).

32 Développement culturel et environnement

Déjà, en 1966, à l'occasion de la quatorzième session de la Conférence générale de l ' U N E S C O , u n constat s'imposait :

Toute culture a une dignité et une valeur... tout peuple a le droit et le devoir de développer sa culture... Dans leur variété féconde, leur diversité et l'influence réciproque qu'elles exercent les unes sur les autres, toutes les cultures font partie du patrimoine c o m m u n de l'humanité.

N o u s souhaitons quant à nous que la volonté politique de chaque pays surmonte tous les obstacles pour sauver son identité culturelle :

Les gouvernements doivent prendre les mesures nécessaires à la sauvegarde de leur propre patrimoine culturel traditionnel et populaire. Des mesures législatives ou autres sont parfois nécessaires pour renforcer cette sauvegarde, surtout là où les traditions orales courent le risque d'être perdues avec le temps et le relâchement, puis l'abandon de leur pratique (G. T o h m é , 1990a).

Pour que la culture propre de chaque nation contribue à la sauvegarde de l'environnement, les mesures à prendre sont nombreuses. N o u s citerons la nécessité d'établir : — un équilibre harmonieux entre culture ancestrale, tradition populaire,

technologie et civilisation moderne; — une coopération entre le Nord et le Sud basée sur la réciprocité des

échanges culturels et des échanges d'information sur l'état de l'environ­nement;

— une connaissance réciproque des traditions culturelles, agricoles, sani­taires . . .;

— un dialogue enrichissant, franc et réel autour du patrimoine fondé sur l'idée que celui-ci doit être traité sur le m ê m e pied entre pays riches et pauvres.

L'équilibre entre l'ancien et le moderne

Plusieurs exemples illustrent l'équilibre harmonieux qui doit s'établir dans chaque pays entre l'ancien et le moderne au profit de la sauvegarde de l'environnement et du développement culturel. Ils se rapportent aux do­maines de l'architecture et de l'urbanisme, aux pratiques vestimentaires et textiles, culinaires et alimentaires, à l'expression artistique sous toutes ses formes. . .

Ainsi, dans les anciennes villes qui se développent et s'étendent, on tend à préserver certains noyaux architecturaux de V envahissement des im­meubles modernes. Les places publiques, les ruelles étroites avec leurs fontaines et leurs coins fleuris, leurs trottoirs presque inexistants, les façades des anciennes demeures forment le centre des villes q u ' a d m i ­rent actuellement touristes et amateurs de beaux édifices. D e s c a m p a ­gnes internationales ont été ainsi menées de par le m o n d e pour sauve­garder dans leur totalité des quartiers de certaines villes, c o m m e à Sanaa

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au Y é m e n , tandis que d'autres ont malheureusement disparu sous les bombes meurtrières de la guerre ou sous les coups des bulldozers qui, en quelques heures, ont abattu des siècles de civilisation. O n peut donc, lorsque la volonté politique apporte son concours, préserver un aspect du patrimoine culturel du passé en établissant un équilibre harmonieux avec le moderne.

U exemple des textiles illustre bien V équilibre à conserver entre les prati­ques traditionnelles et la technologie moderne. L a fabrication des tissus en laine, en soie, en plantes textiles (coton, jute, lin, chanvre et autres fibres) a été concurrencée par celles des textiles artificiels et synthéti­ques, surtout après la Deuxième Guerre mondiale. Actuellement cette industrie utilise un mélange harmonieux de fibres artificielles et de fibres naturelles au profit du consommateur et de l'environnement.

L'art culinaire connaît aussi une concurrence serrée entre les anciennes traditions auxquelles s'attachent, et à juste raison, beaucoup d'ama­teurs et la cuisine actuelle. Or celle-ci répond aux besoins du consom­mateur moderne toujours pressé et qu'attirent plutôt les mets faciles à préparer, ornés d 'un emballage attrayant et dont la présentation l 'em­porte souvent sur le contenu. Préserver les anciennes traditions tout en profitant de la technologie moderne est une disposition qui pourrait recueillir l'approbation de tous.

Les instruments de musique électriques apportent un concours non négligeable aux instruments classiques. Bien qu'une telle collaboration ne soit pas encore admise dans les orchestres symphoniques, elle se propage de plus en plus.

Nous n' entrerons pas dans les détails du théâtre et de la poésie moderne et classique ni dans la peinture ou la sculpture qui utilisent du matériel nouveau par rapport à ce que les artistes utilisent ordinairement.

Coopération Nord-Sud et réciprocité des échanges

Si, dans chaque pays, qu'il soit développé ou en développement, une volonté politique s'affirme et tend la main aux autres pour échanger, sans conditions préalables, activités culturelles et informations qui éclairent l'état de l'environnement, ce dernier ainsi que le développement culturel se trouveront renforcés c o m m e l'illustrent bien les exemples suivants :

Comme on le verra un peu plus loin, lors de l'étude des échanges culturels, rien ne peut mieux consolider l'amitié entre deux peuples que le contact direct entre artistes, étudiants, enseignants qui dialoguent en se vouant une admiration mutuelle, en se connaissant, en respectant chez les uns et les autres les coutumes, les croyances, les attitudes, la manière de vivre et de s'exprimer. Tout en renforçant l'identité culturelle de chaque partenaire, cela conduit à accepter volontiers celle de l'autre. Il y a autant de plaisir à donner qu'à recevoir entre peuples et gens égaux.

34 Développement culturel et environnement

Bien que chaque Etat ait un droit souverain sur l'exploitation de ses ressources, des dommages à Y environnement peuvent être causés et entraîner des répercussions sur les autres Etats.

Conformément à la Charte des Nations Unies et aux principes du droit international, les Etats ont le droit souverain d'exploiter leurs propres ressources selon leur politique d'environnement et ils ont le devoir de faire en sorte que les activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle ne causent pas de d o m m a g e à l'environ­nement dans d'autres Etats ou dans des régions ne relevant d'aucune juridiction nationale (Principe 21 de la Déclaration de Stockholm, 1972.)

Le bon voisinage exige donc d'informer l'opinion publique mondiale, et d'une façon continue et rapide, au sujet des problèmes environnemen­taux qui peuvent surgir, tels que l'accident nucléaire de Tchernobyl, la deforestation d'une région (en Amazonie, par exemple), un accident dans le transport du pétrole brut, un projet de détournement d 'un fleuve ou la construction d 'un barrage qui engloutirait des sites archéologi­ques. L'exécution du barrage d'Assouan aurait été une catastrophe pour le patrimoine culturel mondial si tous les pays n'avaient contribué à payer les frais de déplacement des temples pharaoniques avant que les eaux du Nil ne les couvrent pour toujours. Voilà un bel exemple de coopération internationale !

La connaissance réciproque des traditions. Des traditions sociales, agri­coles, sanitaires, culinaires, etc. caractérisent un pays. Si l'enrichis­sement de son entité particulière contribue indéniablement à faire avan­cer celle des autres, on ne gagne rien en revanche à vouloir délaisser ses propres traditions pour en adopter d'autres. Quelle autorité peut en effet prétendre arrêter un jugement sur telle ou telle tradition et en garantir l'authenticité ? Ces traditions sont très liées à l'environnement naturel et culturel. Nous donnerons trois exemples tirés de celles, alimentaires et sociales, et qu'il est intéressant de conserver et de connaître pour mieux les apprécier,

i) Manger de la salade est une habitude entrée dans tous les régimes alimentaires de différentes nations. C e met contient principalement des matières végétales (salade, tomates, persil, oignon, etc.) et des féculents (pommes de terre, maïs, riz, etc.). C'est l'assaisonnement, la manière de la préparer et ce qu 'on ajoute à la salade qui varient d 'un pays à l'autres selon les disponibilités du milieu. Dans la région méditerranéenne, par exemple, l'huile d'olive et le jus de citron sont fréquemment utilisés. Plus au nord, c'est le vinaigre, ailleurs c'est la crème. Les sources de protéines varient également selon l'emplace­ment géographique (régions chaudes ou froides, proximité de la mer ou des cours d'eau, etc.).

ii) Lors des naissances, des mariages, des anniversaires, des fêtes reli­gieuses, des moissons, des décès, etc., des coutumes qui se sont légèrement modifiées au cours des années dans une région déterminée continuent d'accompagner ces diverses occasions avec des modifica-

Le développement culturel 35

tions adaptées au milieu. O n gagne beaucoup à les comparer, à en rechercher l'origine lointaine et à y découvrir souvent une étonnante communauté de pensée,

iii) La musique et la danse, qui accompagnent les occasions citées plus haut, varient souvent d'une région à l'autre par leur rythme, les instruments de musique, les costumes, sans oublier les menus détails de l'exécution de chaque activité.

Le dialogue autour du patrimoine

Dans le cadre de la Décennie mondiale du développement culturel, un projet de dimension internationale et de grande envergure a été lancé par Î ' U N E S C O en 1988. C e projet est «l'étude intégrale des routes de la soie : routes de dialogue» dont la mise en œuvre se poursuivra jusqu'en 1997.

L ' u n des objectifs prioritaires de ce projet est de mobiliser la communauté universitaire à travers le monde en vue de stimuler les activités y afférentes. Par la m ê m e occasion, l'identité culturelle des nombreuses et diverses populations rencontrées sur le chemin des routes de la soie sera mise en lumière de manière à faire mieux connaître et comprendre le patrimoine culturel propre à chacune {Culture plus, décembre 1990).

Il est à noter que les sociétés et les individus des pays développés se sont éveillés à la beauté et à l'appréciation des objets d'art, des antiquités, des sites archéologiques bien plus tôt que d'autres. Ainsi, depuis plus d 'un siècle, des particuliers et des missions archéologiques en provenance de certains pays avancés ont parcouru différentes régions de la planète à la recherche de leurs richesses historiques. Des collections complètes d'oeuvres d'art, de statues, de colonnades, de sculptures et de peintures, sont venues enrichir le contenu des palais, des musées et de certains édifices de renommée mondiale. O n peut dire parfois : heureusement que ces collections ont été ainsi préservées. Actuellement, il n 'y a plus de communauté ignorant ce que vaut véritablement le patrimoine. Celui-ci devrait être conservé là où il se trouve et offert à l'admiration de tous les peuples. Aucun prétexte ne peut être invoqué pour justifier le déplacement de telle ou telle richesse d'un pays à l'autre. U n proverbe libanais dit fort judicieusement : «Venir à m a rencontre vaut mieux que de m e nourrir». Il montre l'importance du dialogue dont la franchise est enrichissante. «Les routes de dialogue», justement, pour peu qu'elles soient suivies par des gens libres et égaux, ne peuvent conduire qu'à découvrir une réalité : l'environnement et le développement culturel appartiennent à tout le genre humain. Il faut donc agir de telle manière que la sauvegarde de l'un entraîne l'essor de l'autre. L 'une des formes que prend ce dialogue sont les échanges culturels.

36 Développement culturel et environnement

LA PROMOTION DES ÉCHANGES CULTURELS

Les échanges de connaissances et de points de vues rapprochent les peuples et leur permettent de se respecter, d'être plus justes les uns envers les autres. Dialogue, connaissance mutuelle, échange sont des termes qui supposent la présence d'au moins deux interlocuteurs. Ecoutons Denis de Rougemont, fondateur du Centre européen de la culture à Genève :

U n e des premières conditions du dialogue, tel que je l'espère et que je l'appelle, ce serait d'inciter chaque région culturelle à formuler, en perspective mondiale, non point ses revendications, ses complexes psychologiques et ses rancunes, si justifiées soient-elles, mais ses besoins réels, ses motifs propres de poursuivre le dialogue, les bénéfices qu'elle en attend, enfin la contribution qu'elle peut y apporter (Rougemont, 1990).

La protection de l'environnement est mieux assurée et le développement culturel sur la bonne voie si tous les habitants de la planète collaborent, échangent leurs connaissances et se montrent résolus à sans cesse recher­cher des solutions aux problèmes environnementaux de chaque jour. Ceci contribuera à rapprocher les peuples en fondant leurs manières de penser, «de sentir et de croire, de légiférer, de rêver et d'agir» (Idem).

Pour réussir une telle politique, tout le m o n d e doit se sentir concerné : chaque citoyen, chaque communauté, mais aussi les industriels, les con­sommateurs, les décideurs, les professionnels de toutes sortes, sans oublier les municipalités, les élus, les électeurs, les enseignants, les apprenants, tous donc doivent être renseignés, sensibilisés, ouverts sur les autres cultu­res. C'est pour cela qu'il faut encourager la connaissance réciproque des humains : — en effectuant des échanges de diverses publications, de livres, de docu­

ments, etc.; — en encourageant des voyages d'enseignants et d'apprenants; — en facilitant le tourisme culturel; — en échangeant des programmes audio-visuels de haute qualité; — en prenant toutes les mesures juridiques, administratives, financières

permettant de surmonter les obstacles linguistiques, techniques et éco­nomiques qui s'opposent aux échanges culturels;

— en ouvrant les musées, les parcs naturels, les sites archéologiques à tous ceux qui veulent développer leur savoir et leur culture.

L'échange de documentation

L'atteinte à l'environnement, m ê m e le plus proche, que ce soit sur le plan social, culturel ou naturel, aura des répercussions partout et sur tous. Par exemple, la pollution de l'air aura parmi d'autres effets celui d'attaquer directement les monuments historiques et les anciennes demeures, qui peuvent ainsi s'effriter et disparaître. O n pense aujourd'hui à mettre à l'abri certaines statues ornant les places publiques et à les remplacer par des

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copies. Pour obtenir l'appui du grand public dans la mise en application de telles décisions, il faudra commencer par l'informer.

C'est pour cela qu'une rencontre internationale de grande portée a eu lieu à R o m e en juin 1991 (Rome, Media Save Art 91) dont l'objectif essentiel consistait à fournir une documentation précise sur tout ce que font les grands médias pour attirer l'attention sur le legs culturel et pour faire connaître et respecter le témoignage du passé. L a presse écrite, le cinéma, la radio, la télévision, l'audio-visuel ont associé au développement culturel de chaque société le problème de la sauvegarde du patrimoine et des efforts qu'il faut accomplir pour le conserver et pour le restaurer.

Il est apparu aux organisateurs de cette rencontre que, vu l'état bien avancé de sa détérioration, la dégradation du patrimoine est arrivée à un stade tel qu'elle ne peut plus passer inaperçue. C e sont généralement les pays les moins développés qui sont davantage touchés, car, m ê m e s'ils désirent protéger leur patrimoine, une telle politique est loin d'être priori­taire en regard des problèmes que posent la santé, l'alphabétisation et la nutrition. O n ne peut demander à ceux qui ont le ventre creux de se sacrifier pour un monument . Les pays développés sont, quant à eux, plus jaloux de conserver leurs archives, bibliothèques, tableaux, sculptures, palais, villes anciennes. Ils ont aussi les moyens de le faire. C'est que, plus un peuple est informé plus il se rend compte de la nécessité d'appuyer les services publics dans leur souci de préserver le legs culturel et naturel.

A u cours de telles rencontres, des échanges d'expériences ont lieu en plus des expositions et des débats sur la communication. L'intérêt du public et des décideurs pour la protection et la restauration des monuments sera en conséquence stimulé. Des publications allant dans ce sens seront échangées, la sensibilisation s'étendra à un plus grand auditoire et la coopération avec la communauté culturelle et artistique internationale et avec les organisations non gouvernementales compétentes sera renforcée. U n e attention particulière doit être accordée aux échanges de tous les produits culturels à caractère industriel tels que les livres, les revues, les affiches. L'impact de ces produits sur les cultures et sur la sauvegarde de l'environnement sont à souligner. Il faudra aussi renforcer les progrès de l'édition dans les pays qui en ont besoin et accroître le rôle du livre et de la lecture, en favorisant le développement «des habitudes de lecture tout au long de la vie», pour reprendre les mots du troisième Plan à m o y e n terme (1990-1995) de l ' U N E S C O .

Voyages et échanges d'enseignants et d'étudiants

Si éducation et culture sont inséparables, les enseignants et les apprenants d'un pays déterminé devront échanger leurs connaissances et leurs expé­riences avec ceux d'autres pays pour atteindre un développement culturel

38 Développement culturel et environnement

plus riche et plus prometteur. Les voyages vont permettre aux agents de l'éducation et de la culture : — de mieux connaître les cultures des autres peuples; «se frotter la cervelle

contre celle d'autrui» a toujours été bénéfique pour les individus, pour la communauté, pour l'appréciation mutuelle des cultures et pour l'en­vironnement;

— d'admirer leur patrimoine artistique, social et culturel; contempler la beauté des sites archéologiques, des peintures et des sculptures étrangè­res développera la culture des visiteurs et leur permettra de mieux s'activer à résoudre les problèmes environnementaux;

— de mesurer l'état réel de leur environnement; c o m m e certaines formes de la pollution sont transfrontalières (pollution atmosphérique, pollu­tion des rivières, pollution de la mer), certaines atteintes à l'environne­ment d'un pays déterminé peuvent donc provenir d'au-delà des frontiè­res de ce pays, et les voyages des étudiants, des professeurs leur permettront à l'occasion de se rendre compte des d o m m a g e s subis par l'environnement voisin et que leur propre pays est en train de provo­quer.

Les échanges de groupes d'élèves, la correspondance scolaire internationa­le, l'étude et la traduction d'oeuvres littéraires, de l'histoire universelle, etc. comptent parmi les moyens pédagogiques qui favorisent la connaissan­ce des cultures et l'éducation à l'environnement. Le développement cultu­rel, l'environnement et la compréhension internationale se porteront mieux si les éducateurs adoptent une approche interculturelle. A l'occasion de ces voyages qui les conduisent sous d'autres cieux, les participants peuvent échanger des livres, des films, des enregistrements, bien d'autres choses encore. Pour que les échanges culturels soient plus intenses, le rôle des gouvernements doit. . .

porter sur la mise en c o m m u n des ressources humaines et matérielles pour réactiver le développement des cultures. Les gouvernements faciliteront l'obtention de visas accordés à cet effet aux étudiants et aux chercheurs. Ils mettront à la disposition des visiteurs tout ce qui facilite le savoir. D ' u n autre côté, les nationaux qui désirent aller dans un autre pays pour étudier sa civilisation seront encouragés (G. T o h m é , 1990a).

Le tourisme culturel

L e tourisme culturel est une manière de faire d'une pierre deux coups : au plaisir des sorties, des visites et des excursions s'ajoute celui de se cultiver et d'étendre ses connaissances. C e tourisme consiste à organiser des visites guidées et commentées de musées, de monuments historiques, de galeries d'art, d'opéras et de théâtres, de parcs naturels. Il ne faut naturellement pas omettre de faire admirer les paysages, de pousser à découvrir les curiosités physiques d'une région et ses particularités. Encourager une telle forme de tourisme, à la fois historique, artistique et naturelle, ne peut que contribuer

Le développement culturel 39

à donner au développement des individus une dimension culturelle. Ils seront alors mieux sensibilisés aux campagnes de sauvetage et de restaura­tion des biens culturels et à la protection de l'environnement en général.

L'échange de programmes audio-visuels

Les programmes audio-visuels, pour peu qu'il soient performants, sont coûteux et tous les pays en développement ne sont pas en mesure de les préparer. Il est utile aux pays développés de faire profiter aux autres des programmes qu'ils organisent pour la radio et la télévision. Ces program­m e s constituent un instrument efficace pour faire connaître la culture du pays qui les a préparés. Ils contribuent surtout à dispenser une éducation extrascolaire bénéfique à tous points de vue. Les pays du tiers m o n d e feront connaître leur propre culture en organisant, pour les touristes et les visiteurs, des spectacles où des étapes importantes de leur histoire seront présentées. Divers aspects de la vie culturelle (musicale, artisanale, etc.) seront ainsi accessibles. Par ailleurs, des expositions concernant la vie artistique, les chefs-d'œuvre historiques, des représentations théâtrales, musicales, folkloriques seront aménagées dans un pays hôte permettant de mieux les faire connaître. Toutes ces activités culturelles qui se manifestent de part et d'autre des barrières frontalières contribueront à rapprocher les peuples, les cultures et les civilisations et donneront aux campagnes de protection de l'environnement une volonté plus déterminée de réussir.

Obstacles aux échanges

Des difficultés d'ordre matériel, provenant entre autres du problème des langues, s'opposent parfois aux échanges. Les films et les vidéos peuvent être sous-titrés ou doublés dans la langue du pays qui accueille des pro­grammes étrangers. Les spectacles de musique, de ballet, de danse folklori­que et de cirque ne nécessitent pas de traduction importante. Des brochures expliquant en résumé les différents programmes étrangers sont facilement réalisées dans la langue du pays d'accueil. Le prix de revient de ces brochures et de ces traductions est insignifiant par rapport à l'enrichisse­ment que ces programmes apportent à tous les partenaires.

Accès libre aux musées

Faciliter l'accès aux musées, aux sites archéologiques, aux conservatoires de musique, etc., est le devoir des pouvoirs publics, car l'école seule ne peut offrir toutes les possibilités de connaître et de comprendre ce qui nous entoure et ce qui caractérise les cultures. Les jeunes et les adultes seront initiés à l'art universel et goûteront à l'histoire mondiale. Leur curiosité

40 Développement culturel et environnement

pour les autres cultures sera également éveillée. Chaque citoyen doit pouvoir se définir lui-même en découvrant dans les sites historiques sa propre identité culturelle et de là il apprendra à mieux apprécier celle des autres peuples, surtout s'il doit côtoyer d'autres nationalités à l'école ou au travail. L'enseignement de l'histoire sera plus intéressant, les activités artistiques auxquelles on assiste à la télévision seront mieux comprises et chaque apprenant saura mieux se situer. E n se cultivant de cette manière, on est poussé à mieux respecter l'environnement culturel et le patrimoine artistique. Pouvoir visiter les parcs naturels contribuera à son tour à faire mieux connaître et apprécier la nature, donc à la protéger. C'est un m o y e n pédagogique efficace qui complétera notre tour d'horizon.

Le développement et la création de musées spécialisés dans la culture et la tradition populaires seront favorisés et les élèves encouragés à les visiter souvent c o m m e à comparer la culture ancienne à la culture contemporaine. Les gouvernements doivent rendre la visite des musées accessible au plus large public sans que les conditions économiques et sociales les en empêchent. Les collections doivent être exposées d'une manière rendant leur appréciation simple, facile et agréable. Différents spécialistes de la conservation de la culture traditionnelle doivent être formés (collecteurs, archivistes, documentalistes). Les programmes d'enseignement, aussi bien scolaires qu'extrascolaires, doivent permettre un enseignement des cultures et des traditions en les respectant, m ê m e lorsqu'elles sont très différentes des nôtres (G. T o h m é , 1990a).

LA PROTECTION DU PATRIMOINE CULTUREL ET SA RESTAURATION

L a notion de patrimoine culturel, tant matériel que spirituel, paraît indéfini­ment extensible si l'on prend en considération l'ensemble des biens cultu­rels, des us et des coutumes. N o u s pouvons y inclure aussi les paysages harmonieux et variés d'une région avec sa verdure, ses falaises, ses cours et ses chutes d'eau, son sable, ses reliefs karstiques, etc., souvent modelés, enrichis par l'effort de l ' h o m m e ou ornés d'une magnifique parure de monuments où différentes époques et divers styles sont représentés avec des villages remarquables du M o y e n A g e , de la Renaissance ou d'autres époques. Des quartiers historiques urbains, une multitude d'édifices et de maisons en pierre, des lieux anciens de culte, des usines, des ateliers, des petites pyramides, des phares, des pigeonniers, des lavoirs, des fours- à pain, des éléments d'architecture industrielle : poteries, tuileries, verre soufflé, filature, etc. Ajoutons à cela les objets d'art, les ensembles mobi­liers, les sculptures et les peintures, les costumes, les moyens de transport, sans oublier le patrimoine immatériel lié à la mémoire, aux arts et traditions populaires, au folklore, aux bonnes habitudes, aux comportements alimen­taire et vestimentaire, aux langues locales et archives historiques, adminis­tratives et religieuses, tout ce qu 'on a l'habitude de n o m m e r «civilisation par opposition à la culture, le créé par opposition au créateur» (Rougemont, 1990). N e négligeons pas pour autant d'associer à ces richesses innombra-

Le développement culturel 41

bles les biens mobiliers et les souvenirs de famille, les meubles et tableaux, de m ê m e que les épaves et les antiquités sous-marines.

Dans certaines régions du m o n d e , l'histoire des émigrés est parfois enfouie dans les registres de différents diocèses ou administration religieu­se et communautaire. Les nouveaux arrivants en Australie, par exemple, ou dans un pays d'immigration de l'Amérique latine ou de l'Afrique ont continué à fréquenter les communautés confessionnelles auxquelles ils étaient rattachés avant l'émigration et à y enregistrer naissance, mariage, profession, décès, etc. Il y a aussi les registres des tribunaux ou leurs équivalents dans les pays islamiques où les actes de vente et d'achat d'immobiliers sont relatés jour après jour. L'exploitation de ces registres par des chercheurs permettra de tracer l'histoire de l'émigration et de suivre l'évolution sociale d'une communauté déterminée.

L e patrimoine culturel peut être élargi et enrichi. C'est la mémoire collective d 'un peuple malgré parfois sa diversité et sa multiplicité dans un m ê m e pays. L a beauté et les caractéristiques spéciales d 'un tel patrimoine en font son unité. Il doit tout d'abord être inventorié, puis protégé, restauré, mis en valeur et animé.

L'inventaire du patrimoine

Dans chaque région d 'un pays déterminé, la première étape indispensable à franchir pour la sauvegarde du patrimoine consiste à l'inventorier afin de le cataloguer et le faire connaître. Lorsque toutes les richesses archéologiques et touristiques seront connues, elles entreront dans l'ensemble de l'inven­taire général du patrimoine artistique du pays. Il s'agit en fait d'étudier minutieusement tout ce qui en constitue le patrimoine sur le plan historique (monuments historiques classés, édifices publics ou privés protégés ou non), sur le plan architectural (manoirs, palais, hôtels, châteaux, anciennes habitations . . .) , sur le plan ethnologique (moulins, fontaines, pressoirs, filatures, usines, lavoirs . . .) . Les vieux ponts avec parfois des inscriptions, les routes anciennes, les pistes et les raccourcis de montagnes ne seront pas négligés. A u fur et à mesure qu'une partie de cet inventaire est dressée, il faut en publier les résultats afin d'attirer l'attention sur les listes disponi­bles. O n lancera un appel à la population lui demandant de signaler ce qui aurait pu être omis. Des recherches et des investigations seront entreprises, confiées à des étudiants qui préparent des mémoires couronnant leurs diplômes.

La dégradation du patrimoine

Les monuments et les sites archéologiques sont fragiles. Ils s'appauvrissent et se dégradent progressivement sous l'effet de l'âge, des intempéries et de l'action, volontaire ou non, de l ' h o m m e . Les variations climatiques, l'en-

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soleillement, le gel, les écarts importants de température entre le jour et la nuit, entre l'hiver et l'été sont néfastes aux constructions en pierre ou en bois. Il en est de m ê m e des autres facteurs écologiques tels que le vent chargé de sel marin ou de sable (effet d'érosion sur le Sphinx, par exem­ple), l'eau et l'humidité (le cas de Venise). N o m b r e d'édifices engloutis sous les eaux des inondations sont irrécupérables. L'action de l'humidité sur les tableaux de peinture, sur les tapisseries, les sculptures, les tablettes historiques portant des inscriptions, etc. est connue un peu partout dans le m o n d e . Il en est de m ê m e des méfaits de la lumière et du gaz carbonique sur les couleurs des fresques et des illustrations. C'est ainsi qu 'on a soustrait les grottes préhistoriques de Lascaux en Dordogne (France) à la visite des touristes pour mieux protéger les peintures pittoresques qui ornent leurs parois.

Les actions les plus néfastes viennent malheureusement des h o m m e s , souvent de leur ignorance, de leur négligence, parfois de leur cupidité. Si l ' h o m m e n'est pas convaincu de l'importance du patrimoine architectural et historique, il le négligera et ne regrettera pas de le voir se détruire jour après jour. Parfois ce patrimoine n'est pas protégé par un statut juridique clair et ferme. Certaines sociétés (municipalités, ministères et pouvoir central) n'accordent pas suffisamment de crédits à la préservation et à l'entretien; ou si des crédits sont alloués, ils sont inefficaces puisque ne permettant que des restaurations peu conséquentes. O n assiste parfois à des destructions volontaires afin d'éviter les frais d'entretien ou de réparation qu'exigeraient des bâtiments anciens. Pire encore, leurs matériaux sont proposés à la vente (tuiles, pierres de taille, pavés, fer forgé, portes, fenêtres, etc.). Parfois ces monuments sont défigurés par d'autres construc­tions ou par des pylônes électriques ou téléphoniques mal placés et, pour le moins, inesthétiques.

L'impact de l'urbanisation et de l'industrialisation se fait lourd et les menaces qui pèsent sur les sites culturels et naturels se font de plus en plus sentir. Les vols et les actes de destruction et de vandalisme perprétés contre des oeuvres d'art et d'architecture sont relatés malheureusement dans les faits divers de la presse quotidienne. Le trafic illicite de pièces archéologi­ques de grande valeur est une activité connue du public, et m ê m e banalisée. U n e campagne internationale doit être menée par les Etats, les médias, l'école pour arrêter tout ce qui achève de dénaturer notre cadre de vie.

Les effets des diverses formes de pollution sur la dégradation des sites naturels et culturels sont tragiquement illustrés par de multiples exemples dont nous citerons les plus remarquables : la ville historique de Venise, qui succombe graduellement sous l'effet de la pollution marine et du dévelop­pement massif du tourisme; on cite souvent l'exemple des monuments historiques des grandes villes (Londres, Paris, etc.), qui se couvrent d'une couche grise de micro-organismes sous l'effet de la pollution atmosphéri­que; citons aussi l'exemple des cèdres millénaires du Liban menacés de destruction par la proximité du trafic intense de camions.

Le développement culturel 43

L a guerre et les opérations militaires ont détruit et continuent de détruire des musées, des sites archéologiques, des paysages naturels de toutes sortes. L a guerre du Liban (1975-1990), par exemple, a touché et affecté très sensiblement l'environnement naturel (forêts incendiées; vallées et criques comblées par les décombres; collines éventrées pour l'extraction de sable servant à remplir les sacs — qu 'on empile afin de protéger l'entrée des immeubles des éclats d'obus — de pierres et de terre pour édifier les barrages; vergers entiers d'agrumes et d'oliviers délaissés et donc dessé­chés à cause des opérations militaires, etc.); elle n 'a pas épargné le patri­moine national et culturel (musée national, monuments historiques dé­truits, sites archéologiques volés et saccagés, trésors artistiques vendus, etc.); ni l'environnement humain et éducatif (destruction d'écoles, d'uni­versités, de laboratoires, d'hôpitaux, de lieux de culte, d'imprimeries, etc.); ni à plus forte raison le niveau de l'éducation, l'émigration des cerveaux (techniciens supérieurs et hauts diplômés), l'environnement social (famille dispersée, migration et déplacement de population, délinquance, maladies, etc.) et d'autres méfaits divers. C e malheureux exemple nous offre au moins l'occasion de constater la liaison très étroite qui existe entre le développement culturel et l'environnement : l'atteinte portée à l'un n ' a guère épargné l'autre.

La mise en valeur des monuments et des sites

Tout en respectant le cachet du site, des collectivités bénévoles sont appelées à collaborer avec les autorités publiques à la restauration et à la mise en valeur d'édifices et de monuments historiques en leur traçant des routes, par exemple, ou en organisant des programmes de type «son et lumière» ou en y produisant des représentations théâtrales ou musicales. Les jeunes bénévoles qui participent à la restauration doivent être encadrés par des spécialistes. Ils atteignent ainsi un double objectif : social, c'est-à-dire se rendre utile en s'inscrivant à un stage à la fois culturel et d'insertion; pédagogique, puisqu'il s'agit d'apprendre, au contact des spécialistes (mo­niteurs, historiens, architectes) qui les accompagnent, une technique et un savoir pratique, introuvables ailleurs. Cette formation peut être complétée par le développement de l'expression artistique (peinture, sculpture, musi­que, danse, théâtre, etc.).

— L a restauration consiste généralement à remettre en place des pierres, des colonnes, des portes, des fenêtres, ou à retoucher (chose plus délicate) des peintures, des fresques, ou encore à déblayer le tracé des murs, des allées, des ruelles et des édifices qui les entourent, des fontaines, des statues, etc.

— Pour accéder aux sites archéologiques et permettre à ceux qui y tra­vaillent ou qui les visitent d'économiser leur temps, des routes et des parcs à voitures seront tracés. O n prendra les précautions nécessaires

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pour ne pas couvrir les fouilles sous-jacentes et pour respecter le paysage.

— Les spectacles «son et lumière» attirent l'attention des touristes sur la valeur d 'un m o n u m e n t artistique en commentant les faits historiques rattachés à ce m o n u m e n t et en faisant accompagner les commentaires d 'un jeu de lumière sur fond de musique.

L'animation des civilisations passées

A u patrimoine culturel, on rattache les civilisations anciennes et les habitu­des locales, les comportements alimentaire et vestimentaire, l'art culinaire, les styles architecturaux, les langues locales, les valeurs morales et spiri­tuelles qui les caractérisent. Chaque région, chaque pays devra encourager les manifestations publiques où l'on fait revivre le passé avec ses costumes, ses chants, sa cuisine spécifique. Lorsque la pratique d'une langue particu­lière ne suscite pas de sensibilités politiques et ne réveille pas d'anciennes querelles locales, il serait bon de ranimer les vieilles chansons du terroir qui s'expriment en cette langue. Les fêtes folkloriques sont des occasions rêvées pour remettre à l'honneur les vieilles recettes de grand'mère, les vêtements de jadis, les bonnes habitudes sociales, les légendes populaires, les traditions et les valeurs morales qui accompagnent les grandes occasions de la vie d 'un pays ou d'une province (noces, moissons, vendanges . . .)

Suite à l'émigration intense qui s'effectue vers les villes, la campagne se dépeuple, les terrains agricoles sont abandonnés et la vie paysanne est c o m m e une braise qui s'étouffe sous les cendres par manque d'air vivifiant. Dans plus d 'un pays, les coutumes populaires tombent dans l'oubli, les légendes s'évanouissent et des familles, unies autrefois par de solides attaches, se disloquent. Diverses associations et organisations non gouver­nementales intéressées par la préservation du patrimoine culturel cherchent à faire connaître les anciennes traditions en créant des festivals où seront décrites et chantées les différentes étapes de la vie rurale. Des représenta­tions théâtrales, des compositions musicales, des danses traditionnelles font revivre la vie d'autrefois, éveillent la nostalgie du bon vieux temps.

Nous exposons dans les pages qui suivent quelques-uns des moyens permettant de renforcer le développement d'attitudes et de pratiques cultu­relles positives.

LE D É V E L O P P E M E N T D 'ATTITUDES ET D E PRATIQUES CULTURELLES POSITIVES

Grâce à l'éducation et à la généralisation des moyens de communication, certaines attitudes envers le développement culturel seront renforcées aux fins d'une meilleure protection de l'environnement. Aucune frontière ne

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s'opposera plus alors, vu les progrès spectaculaires des nouvelles technolo­gies industrielles productrices de biens culturels, à l'expansion des œuvres littéraires, théâtrales, musicales et autres domaines de la créativité artisti­que. L a radio, la télévision, la vidéo, la fabrication de films documentaires, de cassettes, de disques et de programmes audio-visuels vont rendre plus aisé l'accès à la culture. Celle-ci n'étant plus réservée à une élite, ne sera plus confinée à certaines des régions les plus riches du m o n d e . Ajoutons aux facilités de communication les échanges artistiques les plus divers, une plus grande possibilité offerte à un public sans cesse plus nombreux de visiter les musées, les expositions et de prendre part aux manifestations culturelles de tout genre. Si le goût personnel est sensibilisé au beau, on cherchera à identifier les attitudes et les pratiques culturelles positives en attirant l'attention sur le rôle particulier que peut jouer la f e m m e , puis l'on montrera, exemple à l'appui, commen t l'art contribue au développement culturel et à la sauvegarde de l'environnement.

La sensibilisation du goût personnel au beau

Cette sensibilisation pousse les gens ainsi cultivés à mieux respecter le patrimoine culturel et les incitent à travailler à sa préservation pour en faire profiter le plus grand nombre. C'est dans l'environnement immédiat de la personne humaine qu'une telle sensibilisation s'échafaude. Depuis sa plus tendre enfance, au foyer, entouré des siens, l ' h o m m e doit être imprégné du respect de la nature et de l'amour de l'art, et l'éveil de sa personnalité stimulé et entretenu. Sa participation à la responsabilité doit s'accroître jour après jour. L e passage de la maison à l'école devra s'effectuer harmo­nieusement en évitant des prises de positions contradictoires entre maîtres et parents. Dessiner, colorier, modeler, chanter, écouter, converser tradui­sent les premières activités scolaires : toutes devront orienter l'enfant vers l'amour du beau et l'admiration de l'environnement artistique, culturel et naturel. A l'adolescence s'affermiront les tendances, et la notion de patri­moine s'enracinera de plus en plus chez le jeune h o m m e . Culture et environnement se rapprocheront en lui au point de confirmer l'une des définitions qu'André Siegfried donnait naguère à la culture (1953) : «prise de conscience par l'individu de sa personnalité d'être pensant, mais aussi de ses rapports avec les autres h o m m e s et avec le milieu naturel».

Recherche pour Í identification des attitudes et des pratiques

Dans chaque société, il faudrait entreprendre des recherches en vue d'iden­tifier les attitudes positives et les pratiques culturelles qui vont dans le sens de la sauvegarde de l'environnement. Ainsi, tout en cherchant à instruire et à former les citoyens en utilisant des programmes transmis par les médias,

46 Développement culturel et environnement

il faudrait établir une véritable culture de l'environnement. Si nous prenons par exemple les programmes télévisés qui font connaître la vie des ani­m a u x , leur écologie, leur reproduction, leur éthologie, les téléspectateurs qui aiment et suivent ces programmes peuvent y apprendre à mieux connaî­tre ces animaux et à les protéger. L a chasse à but lucratif pourrait devenir une pratique à réviser si l'attitude des téléspectateurs se montrait défavora­ble aux chasseurs qui ne respectent pas l'éthique de la chasse, et surtout aux braconniers. Il en est de m ê m e des programmes montrant la beauté de la flore. L'attitude du public visé par de tels programmes s'opposerait aux collectionneurs de plantes et de fleurs rares. O n pourrait dire la m ê m e chose des collectionneurs de papillons, de coquillages, de coléoptères et d'autres représentants des merveilles de la faune. L a coupe abusive des arbres, sans plan et sans volonté de reboisement, serait regardée c o m m e une atteinte au cadre de vie. O n devrait encourager en revanche les activi­tés mobilisatrices pour multiplier le nombre des forêts en institutionnali­sant des journées de l'arbre sur le plan national. Les pratiques de la cuisson au feu et au charbon de bois pourraient être modifiées en fonction des disponibilités.

Parlant de l ' h o m m e et de la nature dans les communautés tribales de l'Inde, le professeur Moonis Raza (1988) relate quelques pratiques cultu­relles en faveur de l'environnement :

Les cultes, les croyances, les mythes concernant les plantes, la végétation, les animaux, les rochers, les fleuves, la pluie, le soleil, la lune, donnent un aperçu de la nature organique de la relation de la culture tribale avec l'environnement [...] Par exemple, elles [les tribus] ne chassent pas certains animaux et oiseaux de proie pendant certaines saisons ou dans certains endroits.

A l'instar de l'Inde, il faudra identifier dans chaque pays les attitudes locales qui concernent l'environnement et mobiliser pour sa protection toutes les composantes de la société, et plus particulièrement la femme.

Mobilisation de la femme

L a f e m m e peut jouer un rôle important dans le développement culturel et la protection de l'environnement en tant que mère, éducatrice, ménagère et compagne de l ' h o m m e aux champs, à l'atelier ou au bureau. O n s'en assurera en établissant une politique sans équivoque en matière de popula­tion et en éveillant la f e m m e à sa responsabilité directe par rapport à ce problème. C'est la mère qui inculque à l'enfant l'amour de la nature et les pratiques de la sauvegarde de l'environnement. U n e bonne ménagère, éveillée aux problèmes de l'environnement, acquiert vite l'habitude de trier les ordures domestiques en éléments recyclables et produits non récupérables; elle considère en outre les soins de propreté dont on doit s'entourer chez soi et autour de soi c o m m e un devoir sacré.

Le développement culturel 47

E n Afrique, par exemple, certains programmes font appel au développe­ment de la femme et à la protection de l'environnement. O n cite les projets de reboisement agro-forestier :

Le choix et la diffusion des essences arbustives fertilisantes, la protection et la conservation du sol par des baradines [sic] anti-érosives dans les pays des montagnes, la création des centres de sélection des semences pour chaque région naturelle (respect du créneau écologique); l'accroissement des revenus financiers de la f e m m e par la promotion et la diversification des cultures de rapport et des cultures vivrières (Le Renouveau du Burundi, Bujumbura, 14 avril 1991).

Contribution de l'art au développement culturel et à la sauvegarde de V environnement

UNESCO Presse (juillet 1991) révèle l'exemple d'une expérience qui montre comment l'art théâtral contribue au développement culturel et à la sauvegarde de l'environnement social et sanitaire. L'histoire de cette expé­rience est contée dans un article, «Emoi du public thaïlandais pour une expérience théâtrale» :

Quand M m e Mattani Rutnin, professeur d'art dramatique à l'université de Thammasat à Bangkok, e m m e n a pour la première fois sa compagnie, formée d'étudiants de classes moyennes, en tournée dans les villages de Thaïlande pour y présenter son théâtre inspiré des moralités, ces derniers furent d'abord choqués par la situation rencontrée sur place.

Participant à un projet pilote que soutient l ' U N E S C O , ces étudiants n'avaient jamais vu une telle pauvreté. Mattni Rutnin, lors d'une récente visite à Paris, disait qu'ils lui avaient alors demandé : «Pourquoi nous avez-vous montré cela ? A quoi cela va-t-il servir ?»

Elle savait que cela allait lui servir à écrire de courtes pièces de théâtre sur le problème du S I D A ou de la prostitution des mineurs, pour les jouer ensuite à travers la Thaïlande rurale.

Son projet pilote, appuyé par le Fonds international de l ' U N E S C O pour la promotion de la culture, a également reçu le soutien du bureau du premier ministre thaïlandais, du ministère de l'Education, de la Santé et d'autres ministères, de m ê m e que du Conseil national des femmes de Thaïlande et de l'Association nationale des femmes chrétiennes de Thaïlande.

En Thaïlande, la f e m m e est traditionnellement présentée dans les arts du spectacle c o m m e la victime d'une société patriarcale. Mais Mattani Rutnin a essayé d'adopter un autre angle de vue en choisissant l'image du «coton», qui symbolise les femmes de la campagne, et celle de la «soie», qui reflète l'opulence des citadines, deux catégories sociales qu'elle a étudiées et qui peuvent maîtriser le cours de leur existence.

Elle compare son théâtre aux moralités de l'Europe médiévale et aux légendes du roi Arthur ou des chevaliers de la Table ronde. Mais elle y incorpore des formes d'art dramatique traditionnelles qui font la richesse des arts du spectacle thaïlandais : le lakhon (danse-théâtre), le likay (danse-théâtre populaire), le nang talung (théâtre d'ombres du Sud) et le hun krabok (théâtre de marionnettes).

«Le théâtre reste toujours un divertissement très vivant dans les villages, surtout s'il s'accompagne de musique et de danse; c'est pourquoi j'ai pensé qu 'à travers ces arts populaires nous pouvions faire passer le message tout en distrayant le public», explique Mattani Rutnin.

«Le spectacle est gratuit, il se joue en plein air, au milieu des spectateurs et dure entre un quart d'heure et une heure.»

48 Développement culturel et environnement

L'histoire de Noi est une pièce que Mattani Rutnin voulait écrire après avoir tourné en 1986 un court métrage sur la prostitution des mineurs en Thaïlande, intitulé «Demain, y aura-t-il un arc-en-ciel?»

Elle se devait, dit-elle, de produire cette vidéo de quinze minutes qui a saisi d'horreur le public européen. Peu de temps auparavant, plusieurs enfants prostitués avaient en effet été trouvés morts, enchaînés à leur lit, victimes d 'un incendie dans une maison de passe en Thaïlande.

Debout au milieu de la scène, Noi, une jeune villageoise, raconte son histoire tandis que l'action se déroule autour d'elle : sa mère la vend à un propriétaire terrien contre l'achat d'un buffle. Elle est ensuite rachetée par un souteneur puis un proxénète. A la fin de la représentation, elle se joint à un groupe d'enfants prostitués pour chanter le leitmotiv «Nous s o m m e s des êtres humains et non des buffles».

Curieusement, c o m m e le fait remarquer Mattani Rutnin, L'histoire de Noi illustre le fossé culturel entre les populations urbaine et rurale, dans la mesure où les spectateurs de la «soie» — c'est-à-dire ceux des villes — craignaient une réaction négative de la part des villageois. Contrairement à leurs prévisions, ces derniers ont été fascinés par le spectacle et de nombreux parents ont m ê m e demandé aux acteurs de rendre la pièce encore plus violente pour dissuader leurs filles de s'enfuir à Bangkok, et empêcher de vendre leur progéniture à des fins de prostitution.

U n e étude approfondie du projet de Mattani Rutnin, comprenant une analyse des problèmes économiques, sociaux et politiques auxquels se heurtent les femmes thaïlandaises, a été préparée à l'intention du Fonds international de l ' U N E S C O pour la promotion de la culture.

Yudhishtir Raj Isar, Directeur du Fonds international pour la promotion de la culture, a indiqué dans un entretien, que le projet de Rutnin est original à plusieurs égards.

«Vous avez là quelqu'un de l'élite sociale et intellectuelle de son pays, travaillant avec des citadins et des étudiants privilégiés, mais qui veulent aider les femmes en milieu rural.»

«Le travail qu'elle a entrepris est une recherche-action et pas seulement une recherche, ce qui donnera lieu à des recommandations pour améliorer les choses.»

«Enfin, il s'agit d'une interface entre arts et qualité de la vie ou développement : nous parlons donc de culture et développement», a souligné Isar, ajoutant que le soutien initial de l ' U N E S C O au projet a aidé le professeur d'art dramatique à s'assurer la coopération des autorités de son pays pour l'avenir.

En conclusion, nous pouvons dire que le développement culturel a souvent cédé le pas au développement économique et que l'environnement sous toutes ses formes a payé son tribut au progrès. E n donnant une dimension culturelle au développement grâce au renforcement de la démocratie, l'éducation et la culture ne sont plus l'apanage d'une élite. Tous les peuples de la planète jaloux de leur identité culturelle se sont éveillés à la nécessité de promouvoir l'éducation artistique, la créativité et l'artisanat. Le déve­loppement culturel ne peut pas se concevoir sans l'ouverture aux cultures des autres. D ' o ù la nécessité des échanges culturels entre enseignants, étudiants, décideurs à tous les niveaux, mouvements de jeunesse, associa­tions d'adultes. Les programmes scolaires à leur tour doivent encourager la connaissance des autres civilisations au m ê m e titre que celle du patrimoine culturel national et mondial. Lorsque les individus et les communautés seront en mesure d'admirer et d'apprécier la beauté des paysages naturels, de la faune et de la flore, des sites archéologiques, des anciennes demeures, des peintures et des sculptures, de la musique, des spectacles folkloriques, etc., ils deviendront sans faute des défenseurs acharnés de l'environne-

Le développement culturel 49

ment. C'est une conséquence naturelle de la liaison étroite entre beauté, culture, environnement, art, nature, patrimoine. Elle est encore renforcée par la conservation d'attitudes ancestrales et de pratiques professionnelles éprouvées dont nous retiendrons celles rattachées à la terre, à la santé, au travail, au foyer, à la communauté. Nous commencerons par l'étude des plus anciennes, celles qui ont accompagné l ' h o m m e depuis l'aube de son histoire, en un mot les pratiques agricoles.

CHAPITRE II

Pratiques agricoles, développement culturel et environnement

INTRODUCTION

Les pratiques agricoles ont commencé à se former très loin dans le temps, depuis que l ' h o m m e , qui vivait surtout de la chasse et de la pêche, s'est mis à domestiquer les animaux, à cultiver la terre, à soigner les plantes qu'il avait sélectionnées pour leurs graines ou pour leurs fruits. Les animaux assujettis et dominés lui fournissent de la nourriture et l'aident dans le transport, le labour, la moisson et la garde de ses troupeaux. Ces pratiques constituent un ensemble de travaux accompagnés parfois de traditions, de coutumes, de règles et m ê m e de rites. Le but de toutes les habitudes agricoles est de permettre à l ' h o m m e de tirer le m a x i m u m de produits alimentaires de ses élevages et de ses plantations.

E n bon observateur, l'homme-cultivateur, ainsi que l'homme-éleveur, a appris à discerner les effets propices ou non du climat et de ses change­ments, l'influence de la nature du sol, sa fertilité, l'importance de l'eau. Il a acquis avec le temps et par l'expérience un savoir pratique et une très riche culture sauvage qu'il n 'a pas manqué de partager avec ses semblables et qu'il a transmise intégralement à ses descendants, bien avant que l'alpha­bet ne fixe ses idées. L'expérience de chaque jour lui a permis de choisir avec discernement le m o m e n t et le lieu où il devait labourer, de savoir quand il fallait semer et récolter. E n fonction des changements saisonniers du climat, il a appris à planifier et à gérer son temps dans les limites d'un cycle annuel. Les jours noirs de l'hiver, blanchis par la neige ou noyés de pluie, l'ont forcé à se reposer et à attendre calmement que la nature se réveille au printemps. Ces mois d'attente l'ont incité à réfléchir et à s'inventer des règles de vie susceptibles d'améliorer le rendement de son travail.

Il n 'a pas tardé à découvrir et à utiliser l'apport précieux que l'animal domestique pouvait lui fournir. Ainsi, les bêtes de trait allaient lui procu­rer une énergie mécanique qu'il n 'a cessé d'améliorer depuis. Des habitu-

Pratiques agricoles 51

des de mécaniculture s'ancrèrent alors en lui et s'enracinèrent profondé­ment dans son â m e , au point qu'il n 'a pu désormais s'en défaire. Pour labourer la terre, pour se déplacer, porter ses récoltes au dépôt dans les granges, à la ferme, au moulin, au pressoir ou faire tourner les machines servant à moudre les céréales ou à extraire par pression le jus des graines ou des fruits, l ' h o m m e s'est servi des bœufs, des chevaux, des mulets et des ânes. Il devait sans doute apprécier depuis longtemps le lait et la viande des caprins, des ovins et des bovins, de m ê m e que les œufs et la chair des volailles. L a peau des animaux, la laine, le crin des chevaux et d'autres quadrupèdes, le duvet des oiseaux sont utilisés c o m m e vête­ments. Le fumier fertilise le sol et améliore sa qualité. La proximité des cours d'eau a toujours été souhaitée pour abreuver les troupeaux et irri­guer les terres.

O n comprend pourquoi la culture a aussi été définie «comme ï ensemble des rapports entre l'homme et la nature environnante dans un cadre conceptuel et spirituel qui permet à l ' h o m m e d'agir c o m m e agent relative­ment autonome par rapport aux contraintes écologiques et sociales» (Rap­port de l'ambassadeur de France, Paul-Marc Henry, 1977). L e m ê m e auteur présente deux modèles de culture : a) le modèle occidental, caractéristique d'une société fondée sur la con­

sommation illimitée, se traduisant par une agression permanente de la culture servie par une «technologie conquérante» qui consomme l'éner­gie fossile, le temps et l'espace. L'évolution foudroyante des moyens de communication ne fait qu'accroître le pouvoir dévorant de cette société «développée»;

b) le modèle non occidental, où l'on reconnaît une société qui limite sa consommation en se pliant aux «contraintes naturelles», lesquelles se traduisent par l'utilisation de «l'énergie humaine, animale, solaire, éolienne et hydraulique». Cette société «non développée» résiste pour protéger son identité en travaillant «avec» le temps «selon les rythmes naturels qui affectent l'ensemble des êtres vivants».

Ces deux modèles sont dominés par l'explosion démographique dont le retentissement se répercute surtout sur les populations du deuxième type car «l'économie de nature n'est plus en mesure de satisfaire aux besoins m ê m e élémentaires et à la survivance de ces milliards d'être nouveaux.» Considérons donc quelques exemples de ces rapports entre l ' h o m m e et la nature environnante relatifs à : — l'agriculture; — la monoculture, la polyculture et la culture en serre; — l'influence des changements écologiques sur la vie paysanne; — la modification des pratiques agricoles en fonction d 'un environnement

et d'une politique agricole fragiles; — la protection des sols contre l'érosion; — l'élevage, le nomadisme et le sédentarisme; — la récolte et sa conservation.

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L'AGRICULTURE

Le mot agriculture amène à l'esprit diverses idées dont celle de sédentarité ou d'attachement à un lieu. L ' h o m m e a commencé peut-être par être un nomade, un chasseur se déplaçant continuellement à la recherche d'un nouveau gibier ou un berger conduisant ses troupeaux là où l'herbe est abondante. Dans la Genèse, le paradis est un jardin ou un verger. E n se fixant à un endroit déterminé, l ' h o m m e se construit une habitation, suit un sentier, trace une route, aménage un terrain pour le cultiver, se procure des animaux, etc. D'autres h o m m e s s'établissent à leur tour dans les parages et en attirent encore d'autres. Petit à petit la physionomie du paysage change et des relations sociales se nouent entre les habitants. «Toute région habitée par une population sédentaire se transforme peu à peu» (Paul Valéry). L a présence de l ' h o m m e n'est pas sans créer des problèmes à l'environne­ment. Le comportement de l'agriculteur se forge au contact direct de son milieu. U n e éthique se forme et une culture se développe visant au respect des biens de la nature ou vivant à leurs dépens. L'esprit pratique, l'observa­tion sont à la base de cette attitude et les domaines de l'activité rattachée au sol portent sur l'assolement, l'espacement, la culture maraîchère, l'arbori­culture, l'exploitation des forêts, l'agriculture biologique et traditionnelle.

L'assolement

C'est un procédé de succession et d'alternance des cultures sur un m ê m e terrain afin de conserver sa fertilité. Les paysans ont constaté depuis des temps immémoriaux que, par exemple, semer du blé deux années de suite, sur la m ê m e parcelle de terrain, ne donne généralement pas une bonne récolte la deuxième année. Le rendement est de loin meilleur lorsqu'on plante une année du maïs et l'année suivante du tournesol ou de la luzerne. E n revenant deux ou trois ans plus tard à la culture d'origine, la moisson retrouve sa richesse. Cette pratique n 'a trouvé d'explication et d'interpréta­tion qu'après la découverte des microbes et des principes nutritifs des végétaux. E n effet, le rhizobium, bactérie fixatrice de l'azote atmosphéri­que, vit en symbiose dans les nodosités des légumineuses (haricots, vesces, etc.), petites protubérances apparaissant sur les racines. Les bactéries enri­chissent la plante et le sol en matières azotées qu'elles produisent et libèrent. Lorsque la plante est coupée, ses racines, qui demeurent dans le sol, l'enrichissent par la décomposition des matières organiques qui les forment. D e m ê m e , on a découvert que deux espèces différentes de plantes utilisent différemment les éléments chimiques contenus dans le sol. L 'une absorbe plus de potassium que l'autre, par exemple. A u cours de deux années consécutives, toute la g a m m e d'éléments nutritifs disponibles est absorbée. Or, en faisant alterner les cultures, ce qui a été pris en première année se reforme, selon le principe des cycles biologiques, en deuxième

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année et ce qui a été fixé en deuxième année se régénère en troisième année, et ainsi de suite. Les champs peuvent rester ainsi en parfait état de production. L e but de l'assolement est de protéger la terre cultivable et de l'aménager, faute de quoi elle se ruine et s'épuise en l'espace de quelques années.

Lespacement

Faut-il réduire ou augmenter l'espacement entre deux arbres ou deux plantes ? Cette pratique, qui varie selon la nature du végétal, ses besoins nutritifs, sa taille définitive à maturité et les conditions écologiques a m ­biantes, est différente d 'un pays à l'autre. L a plantation de forêts par l ' h o m m e tient compte de ces facteurs et plus particulièrement de l'exploi­tation sylvicole. Dans les forêts vierges denses, on trouve «d'énormes arbres si pressés entre eux que, sciés à leur base, ils s'étayent les uns les autres sans pouvoir tomber» (A. Villiers D e l'Isle-Adam). C'est l'observa­tion de la nature qui a appris au paysan à protéger ses vergers du vent en les entourant de haies ou d'arbres utilisés c o m m e brise-vents. D e m ê m e , pour le paysan libanais, «les fèves aiment le chuchotement», c'est-à-dire qu'il faudrait les planter serrées pour qu'elles se soutiennent et résistent ainsi au vent. D e tels proverbes abondent chez tous les paysans du m o n d e . Ils traduisent un état de fait et sont très proches de la réalité scientifique et écologique. L'espacement permet donc un meilleur rendement.

La culture maraîchère

Cultiver son propre potager a toujours été l'activité domestique fondamen­tale du paysan; c'est actuellement le rêve de tous ceux qui possèdent une maison bien à eux. Pour se suffire à soi-même, chaque famille entretenait son jardin de manière à obtenir les légumes, les graines et les fruits qui entrent dans le m e n u quotidien. Le surplus, s'il n'était pas vendu, était mis en conserve pour les mauvais jours de l'hiver. L a préparation du sol, la plantation des semis, l'arrosage, la cueillette et tous les soins que nécessite le potager deviennent une affaire familiale à laquelle participent petits et grands. Les jeunes élevés à la campagne, en contact étroit avec la terre, apprennent à la connaître, à empêcher sa dégradation et à la protéger contre la pollution. Le paysan qui a bien travaillé est heureux : «Paysan satisfait est roi déguisé», dit un proverbe arabe. Mais il sait qu'il doit encore peiner après avoir semé et en attendant de récolter. L a terre a besoin de soins quotidiens : arracher les mauvaises herbes, piocher, surveiller les dé­faillances et les maladies. «Donne-lui de toi-même, la terre te rendra ta tendresse», dit un autre proverbe. Sinon, c'est temps et biens perdus.

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U arboriculture

Par opposition à la culture maraîchère, qui utilise généralement des plantes annuelles, l'arboriculture s'occupe d'arbres vivaces, producteurs de fruits. L'arborisation forestière ou sylviculture, de m ê m e que l'arborisation d'or­nementation, sont deux formes de spécialisation. L'arboriculteur qui vient de planter apprend mieux la patience car il doit attendre plusieurs années avant de commencer à cueillir des fruits, avant de voir les premiers résultats de sa peine. «Ils ont planté et nous récoltons, nous plantons et ils récolteront.» Ces paroles résument cette attente, mais aussi cette joie. Bien avant d'en arriver là et avant que les arbrisseaux ne se transforment en arbres et que leurs fruits ne décorent le paysage, il faut au paysan peiner longuement. U n e suite de pratiques agricoles, attentives aux conditions écologiques, est nécessaire pour mener à bien la croissance des arbres. Il faut en effet préparer le sol et l'amender avec du fumier, choisir l'espèce végétale qui supporte le climat de la région, la planter, l'arroser, surveiller la pousse des mauvaises herbes, pratiquer la greffe et tailler les branches pour débarrasser l'arbre d 'un excès de rameaux et en améliorer ainsi la production de fruits. La greffe et la taille sont deux pratiques que le paysan a toujours perfectionnées en fonction de sa culture et de son expérience.

Nous ne savons pas à quelle époque de l'histoire remonte la technique de la greffe, mais elle était déjà connue au M o y e n A g e . Elle consiste à insérer une jeune branche (greffon) ou un bourgeon dans une autre plante (sujet ou porte-greffe). Cette opération permet d'obtenir des espèces secondaires douées des qualités empruntées à la fois au greffon et au sujet. Par exem­ple, pour avoir des vignes résistantes au phylloxéra (puceron parasite), on greffe les meilleures qualités indigènes productrices de belles grappes sur des pieds américains échappant naturellement à cet insecte prédateur. Nous avons là une sorte de lutte biologique qui n'affecte pas la nature mais rend service à l ' h o m m e en protégeant son travail contre les prédateurs ou en multipliant le nombre de nouveaux spécimens désirés.

Quant à la taille, c'est une opération qui change selon la m o d e du pays. Ainsi, on dépouille un arbre des branches superflues et on lui donne une forme convenable, surtout s'il s'agit d 'un arbre d'ornementation. Actuelle­ment, pour faciliter le passage des machines agricoles dans les vergers, les pommiers, les pêchers, les poiriers sont élagués de façon à constituer une succession de rangées alignées dans le m ê m e sens. Cette opération est entrée dans la culture propre de différents pays et s'est adaptée à la manière de cueillir les fruits, à leur taille, à l'âge d'exploitation des arbres, à leur m o d e d'espacement, etc.

U exploitation des forêts

Les forêts, qu'elles soient spontanées ou plantées, peuvent être mises en exploitation selon un plan préétabli et exécuté de manière à permettre leur

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régénération. L'éthique environnementale dictera aux responsables et aux bûcherons la conduite à adopter pour maintenir la pérennité de la forêt. Seule une attitude culturelle envers la question, et plutôt bien ancrée dans les consciences, empêchera la destruction des forêts et permettra d'entre­prendre à grande échelle la plantation des arbres et leur protection. Dans certains pays méditerranéens et au Moyen-Orient, la population a attribué à la forêt un caractère sacré qui la préserve. Il existe des bois entourant des lieux de culte qui sont considérés c o m m e les plus inviolables des sanctuai­res. Par protection, des chênaies ou des pinèdes portent le n o m de person­nages illustres du m o n d e politique ou de héros nationaux. Dans certaines tribus du sud-est de l'Arabie, couper un arbre est considéré c o m m e un crime impardonnable. Les forêts des réserves naturelles de plusieurs pays d'Europe et d'Amérique du Nord ont acquis avec le temps un caractère d'inviolabilité. Le comportement humain envers la forêt est donc une question de culture. L'empereur romain Hadrien (117-138), qui s'est dis­tingué par son encouragement des lettres et des arts, fut l'un des premiers souverains à légiférer dans le domaine de l'exploitation forestière.

L'agriculture biologique et ïagriculture conventionnelle

Le terme m ê m e d'agriculture biologique éveille en nous le sentiment de sauvegarder l'environnement. Le sol destiné à accueillir nos plantes est nourri de produits naturels c o m m e le compost, qui provient de la fermenta­tion d'un mélange de débris organiques. Pour respecter la composition du sol, sa structure et son équilibre, on pratique la rotation des cultures, c o m m e on l'a vu plus haut, en faisant alterner culture de céréales avec prairie, légumineuses et oléagineux. Étant basée sur une réalité scientifi­que, cette agriculture promet d'être une agriculture d'avenir et le prouve par la haute qualité de ses produits qui se vendent plus cher, dans les pays développés, parce que plus sains et plus savoureux. Elle se fonde sur les anciennes pratiques agricoles qui ne portent pas atteinte à l'environnement général et à la santé des consommateurs.

L e désherbage, par exemple, se pratique à la main ou grâce à des machines qui ne sont utilisées que lorsque les pousses grandissent et deviennent plus résistantes. Les animaux d'élevage (volailles, moutons, etc.) se nourrissent de grain biologique et de fourrage naturel, non traités chimiquement. Les animaux élevés en plein air, c o m m e autrefois, sont sains et ne nécessitent pas autant de soins vétérinaires et de médicaments coûteux. Le fait de ne pas utiliser d'insecticides permet aux oiseaux de revenir nicher dans les prés et aux abeilles de joyeusement butiner les fleurs. Les chouettes et autres rapaces diurnes ou nocturnes se remettent à chasser les rongeurs et à participer à la lutte biologique avec les hérissons et les belettes. Les coccinelles à leur tour montent la garde dans le verger et pourchassent les pucerons. L e sol d'une parcelle non soumise aux engrais chimiques résiste mieux à l'érosion causée par la pluie.

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Si l'agriculture biologique présente autant d'avantages, pourquoi les agriculteurs n'optent-ils pas pour elle plutôt que pour l'agriculture conven­tionnelle ? Cette dernière se caractérise généralement par une monocultu­re couvrant de grandes étendues ou l'épandage massif de produits chimi­ques est régulièrement pratiqué. Engrais chimiques, herbicides et pestici­des de synthèse y sont fréquents. Le rendement en céréales, par exemple, est supérieur au double par hectare de ce qu'il est en agriculture biologique. L a croissance des plantations est plus rapide et le travail des champs est plus facile. Mais il faut augmenter les apports en produits chimiques année après année, c o m m e si le sol était «drogué» et réclamait sans cesse plus de matières de synthèse. C e sont les pénuries alimentaires et la nécessité de convertir des terrains abandonnés en parcelles cultivables qui ont poussé les agriculteurs à recourir à la fertilisation artificielle de la terre. E n région méditerranéenne, les oliveraies ont été traitées, après la Deuxième Guerre mondiale, avec des insecticides qui s'étaient révélés efficaces à l'époque contre la mouche des oliviers. Mais ce traitement a dénaturé la saveur de l'huile et surtout celle des olives qui ont pris un arrière-goût les rendant impropres à la consommation; des récoltes entières ont dû être sacrifiées ou ont été utilisées pour fabriquer du savon.

C'est l'accroissement de la population qui conduit à un surcroît de besoins. D ' o ù un changement dans les attitudes agricoles et culturelles pour répondre à ces besoins et une recherche de moyens efficaces permet­tant d'économiser l'énergie, le temps et d'améliorer la rentabilité. L'éner­gie mécanique est remplacée par l'énergie chimique, le temps est rattrapé par la sélection de variétés végétales qui poussent rapidement et qui donnent plus de fruits ou de graines. L a rentabilité est améliorée par l'utilisation des pesticides et les engrais chimiques donnent des récoltes rapides. La croissance de la population humaine et l'inégalité entre les nations conduisent à une pauvreté relative dont l'une des réactions est la surexploitation des ressources naturelles par les individus et par les c o m ­munautés.

Donc , en comparant les deux modes d'agriculture précités, qui ont leurs défenseurs, nous pouvons conclure que la qualité l'emporte sur la quantité en agriculture biologique. Mais ne pourrions-nous pas concilier les deux modes en réduisant l'utilisation des produits chimiques et en revenant beaucoup plus aux pratiques ancestrales si respectueuses de l'environne­ment ? Ainsi l'héritage culturel et le paysage pourraient-ils mieux revivre pour le bien de l'environnement et de la culture et pourrait-on compenser la faiblesse des rendements de l'agriculture biologique par l'augmentation des superficies disponibles. A l'heure actuelle, les problèmes du m o n d e agricole, tant dans les pays développés que dans les pays en développe­ment, ne s'arrêtent pas là. Dans un avenir proche, on assistera sans doute à un manque de main-d'œuvre. Ceux qui abandonnent actuellement la terre (retraite, émigration, recherche d 'un emploi, etc.) n'auront pas toujours de successeurs. Il faudrait peut-être se préoccuper de combler ces «vides» qui,

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si nous n'y prenons garde, conduiront la terre à la désertification et la campagne à l'abandon.

LA M O N O C U L T U R E , LA P O L Y C U L T U R E ET L A C U L T U R E EN SERRE

Selon les pays et leur histoire socioculturelle, leur géographie, la nature de leur relief, l'agriculture et la vie paysanne sont liées à une m o n o ou à une polyculture. Cette dernière consiste à cultiver simultanément plusieurs sortes de produits dans un m ê m e domaine ou dans une m ê m e région, ce qui conduit à une autosuffisance que ne procure pas la monoculture, plus assujettie aux facteurs écologiques et à la productivité. Etant plutôt de tendance commerciale, la monoculture place le paysan dans une position de servitude par rapport à la récolte qu'il faut écouler. Parmi les monocul­tures les plus anciennes, il faut citer celle du riz ou du blé et, pour les arbres fruitiers, celle de la vigne, de l'oranger ou du caféier. N'oublions pas le coton, la betterave, la canne à sucre, d'autres encore. L a vie paysanne — avec ses habitudes, ses coutumes, sa sensibilité, ses relations avec le pouvoir (Etat, propriétaire féodal, entreprises agro-alimentaires, banques, etc.), ses besoins continuels d'argent pour faire face aux caprices des conditions atmosphériques — varie de génération en génération en fonc­tion des deux systèmes. Pourtant, dans les deux cas, elle a coulé ses jours associée à la terre, cherchant à la protéger et à la garder en un parfait état de production. Quels sont alors les avantages, les modalités et les différents aspects de la monoculture et de la polyculture ?

La monoculture

C e système s'est imposé surtout dans les régions géographiquement h o m o ­gènes et dont les caractères physiques, chimiques et biologiques des sols sont très proches. Plusieurs facteurs écologiques et surtout climatiques, prédominants dans ces régions, sont identiques. Ainsi, pour la culture du riz, par exemple, les terrains doivent être chauds et humides, le sous-sol plus ou moins argileux; pour les oliveraies, un sol marneux est préférable, un climat méditerranéen indispensable; pour les vignobles, un sol bien drainé et un climat froid tempéré constituent des conditions optimales, etc. Mais ce ne sont pas seulement ces conditions physiques qui ont imposé ou qui imposent le choix d 'un système plutôt que d 'un autre. Il faut aussi tenir compte des problèmes d'ordre technique et économique. — Les problèmes d'ordre technique se rapportent essentiellement aux

moyens agricoles de la motoculture, des semailles, de l'irrigation, de l'entretien, de la récolte, etc. Lorsque l'étendue des champs et leur

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superficie le permettent, il est plus c o m m o d e de faire circuler les tracteurs et les machines auxiliaires et d'effectuer les opérations qu'on vient de citer. Lorsque ces champs sont plantés du m ê m e produit, celui-ci nécessite l'application des m ê m e s soins et il est soumis aux m ê m e s exigences. Imaginons un champ divisé en petites parcelles plantées chacune d'une espèce différente de légumes dont les exigences sont souvent spécifiques. Rien que pour leurs besoins en eau, par exemple, il faudrait en tenir compte pour les arroser à des dates différentes les unes des autres, avec tout ce qu'une telle opération implique de difficultés. E n monoculture, on laboure la terre, on la prépare, on sème le m ê m e produit, on le moissonne à la m ê m e période de l'année en faisant circuler les machines au m ê m e endroit et au m ê m e m o m e n t .

— Les problèmes d'ordre économique se résument à un problème de marchés et d'organisation de la vente des produits récoltés. Il va de soi que ce problème dépasse souvent l'agriculteur, sa localité, sa région et m ê m e son pays. La monoculture qui produit massivement doit pouvoir écouler les récoltes. Nous connaissons le problème des prix du café et autres questions du m ê m e genre relatives à la surproduction. Les exem­ples abondent, surtout dans le domaine de la production fruitière. Le petit exploitant doit pouvoir se débarrasser rapidement de la récolte avant que les fruits ne dépérissent. Soit on les achemine loin du lieu de leur production au-delà des frontières, ou alors ils sont destinés à l'industrie agro-alimentaire (conserverie, extraction ou fermentation éventuelle du jus, etc.), soit ils seront stockés dans des dépôts frigorifiques (telles les p o m m e s ) pour les présenter sur le marché selon la demande. Le pro­blème n'est donc pas local. Il faudrait obtenir la collaboration des grandes entreprises qui imposent parfois leurs prix d'achat, ou l'inter­vention des pouvoirs publics qui fixent les prix minima ou encore l'aide des coopératives agricoles généralement formées par l'association des cultivateurs. Le paysan doit adapter sa vie à l'affrontement de ces problèmes et élargir ses horizons au-delà de ses champs, de son verger, de sa ferme, de sa c o m m u n e ; il sera ainsi capable de vaincre ses habitudes en encourageant ses enfants à aller à l'école pour développer leur culture.

Avec son pouvoir de gros producteur, l'agriculteur d'aujourd'hui qui pratique la monoculture se sent aussi responsable que l'industriel d'une importante production qui ferait vivre des collectivités placées parfois, et sans exagération, à l'autre bout du m o n d e . C e n'est plus uniquement sa famille, ni sa localité, ni m ê m e sa région qui bénéficieront de son travail mais son pays ainsi que d'autres contrées. Lorsqu'on se rend dans un supermarché, dans n'importe quelle localité du m o n d e où le commerce est libre, on trouve exposés les uns à côté des autres des fruits, des légumes, des produits agro-alimentaires de toute sorte en provenance de pays très éloignés, voire de tous les continents : oranges du Maroc, p o m m e s et poires de France ou d'Italie, raisin du Chili, kiwis de Nouvelle-Zélande, dates du Moyen-Orient...

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La polyculture

Lorsqu'on découvre du haut d'une montagne ou d 'un avion survolant les surfaces planes de certains petits pays ou les flancs de leurs coteaux ensoleillés, on est frappé par la belle mosaïque que dessinent les petites parcelles et leurs cultures fractionnées. C'est le cas de la culture en terrasse de certaines contrées du Moyen-Orient ou de celle que pratique la multitu­de de petits propriétaires qui exploitent les terrains situés dans les plaines côtières ou dans la campagne intérieure de ces contrées. Les villageois propriétaires de leurs champs ou de leurs vergers, les ouvriers agricoles exploitant à leur propre compte les domaines de grands propriétaires n'avaient pas d'échanges importants de leurs produits avec l'extérieur. C'est ainsi qu'ils se sont habitués à diversifier leurs cultures sur le m ê m e domaine en suivant une politique agricole qui permettait aux gens de se suffire à eux-mêmes , produisant et consommant leurs propres récoltes.

Dans cette région, la monoculture du tabac, des céréales ou des bettera­ves, des vignes ou des pommiers est réalisée à faible échelle. Des machines agricoles, adaptées à la culture en parcelles séparées, ont fait leur appari­tion grâce à l'ingéniosité de techniciens autochtones. D e petits tracteurs se faufilent sur les terrasses et passent c o m m e des sauterelles mécaniques d'un niveau à un autre. Des réservoirs d'eau permettent l'irrigation au cours des mois d'été. U n e canalisation adéquate distribue cette substance vivifiante aux différentes plantes. Les fermes c o m m e on en rencontre en Europe sont rares. L'agriculteur-propriétaire de son domaine l'exploite de la manière la plus rationnelle, celle qui lui procure les meilleurs résultats. E n plus de ses arbres fruitiers, généralement des vignes et des figuiers accolés à sa maison, un coin important est réservé au potager. Si l'emplace­ment du terrain le permet, plusieurs espèces et variétés d'arbres se côtoient (pommier, poirier, pêcher, cerisier, grenadier, cognassier, sans parler de la vigne, du figuier et souvent du citronnier) abritant parfois des poules et des brebis.

Tant qu'il est maître de son domaine, le paysan qui le cultive librement se plaît à varier ses cultures. C e n'est pas l'esprit du gain qui l'attire et l'attache à la terre, mais l'amour de celle-ci et de ce qu'elle donne. Toutes les traditions attachées à la polyculture sont loin de disparaître dans les petits pays et ceux qui s'y adonnent sont toujours prêts à sauvegarder l'environnement naturel et culturel. Dans le m o n d e rural, il faut tenter l'impossible pour garder une certaine polyculture, m ê m e très limitée, et permettre à l'agriculteur de rester indépendant et non pas de se transformer en un technicien salarié de l'agriculture à la tête de son exploitation familiale spécialisée. D'après Jacques Delors, h o m m e politique français, «plus un paysan ne doit quitter la terre, m ê m e s'il faut sacrifier la moderni­sation agricole». Justement la polyculture est considérée c o m m e un retour en arrière et la monoculture une «modernisation». Si l'on craint que l'excédent de l'activité agricole ne soit pas écoulé et que le facteur finan-

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cier soit le seul guide de la politique agricole d 'un pays, il faut craindre tout autant d'arriver rapidement à rencontrer dans le m o n d e rural peu d'agricul­teurs qui se suffisent à eux-mêmes . L a vie que mènent les paysans est pénible, dure, souvent incertaine car soumise aux changements climati­ques. Ainsi s'explique qu'ils essayent d'échapper aux caprices des intem­péries en recourant à la culture en serre.

La culture en serre

C e m o y e n de production agricole est actuellement répandu dans plusieurs contrées du m o n d e et occupe parfois de grandes étendues réservées autre­fois aux cultures maraîchères ou m ê m e franchement inhospitalières. La serre était à l'origine une construction vitrée abritant, surtout dans les jardins botaniques d'Europe, des plantes exotiques pour les protéger du froid ou leur fournir la chaleur optimale grâce à l'installation d'un chauffa­ge central. C e m o d e de culture s'est répandu grâce à l'usage facile et moins coûteux du nylon ou d'autres tissus synthétiques qui ont remplacé le verre. Il est appliqué non plus uniquement aux végétaux d'ornementation, aux plantes à fleurs ou aux fruits et légumes de primeur, mais aussi à une polyculture ordinaire qui se défend contre les intempéries et qui, en plus, a souvent recours à l'aquaculture, procédé consistant à remplacer le sol par une solution de sels minéraux et d'éléments nutritifs appropriés.

La production se fait en masse. Les installations électroniques distri­buent automatiquement les solutions nutritives, l'atmosphère interne de la serre est climatisée; lorsque la lumière naturelle est voilée elle est instanta­nément remplacée par une lumière artificielle dont la durée et l'intensité sont bien réglées. Diverses machines plus ou moins sophistiquées aident à l'entreprise et «l'agriculteur» se transforme lui-même en machiniste. Les préoccupations habituelles liées au sol et aux changements fréquents du climat sont éliminées. Les appréhensions relatives aux résultats probables de la récolte n'existent plus. L'écoulement de la «marchandise» est prévu à l'avance. Les prix sont plus élevés mais la production s'effectue en fonc­tion des besoins du marché puisqu'on peut produire à volonté et au m o m e n t propice, lorsque les étalages et les rayons des fruits et des légumes sont habituellement vides ou ornés de produits étrangers importés.

Les attitudes des nouveaux agriculteurs qui pratiquent la culture en serre, leur comportement ressemblent à s'y méprendre à ceux des ouvriers de l'industrie. D o n c de nouvelles habitudes, une autre sorte de sensibilité, un autre espoir accompagnent le nouveau «paysan» qui devient unique­ment un exploitant formé à la technique et qui n 'a pas à se soucier de la sécheresse ou des inondations, de la mévente ou de la surproduction. L e capital investi dans la culture en serre doit obligatoirement être rentable et les bénéfices à la hauteur des s o m m e s investies, c o m m e dans une usine. L e technicien agricole est donc un h o m m e instruit, cultivé, qui n 'a pas à

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tenir grand compte des problèmes environnementaux car il n 'en crée pas directement, sauf lorsque la sélection végétale va contre la diversité biolo­gique. E n revanche, ce sont les problèmes économiques qui captent son attention aux dépens des facteurs écologiques et surtout climatiques.

L'INFLUENCE DES C H A N G E M E N T S ÉCOLOGIQUES SUR L A VIE P A Y S A N N E

Les médias nous informent souvent des catastrophes naturelles qui tou­chent le m o n d e rural et les revendications des paysans après une longue période de sécheresse ou suite à une grande chute de température suivie de grêle ou encore après le passage d'une importante perturbation orageuse ou d'une violente tempête. Q u e les perturbations climatiques se maintiennent plus de deux ans consécutifs et c'est, dans certaines régions du m o n d e , la disette. L a famine a toujours été une conséquence des années «maigres». Le cultivateur et ses bêtes ne sont pas les seuls à souffrir des caprices des intempéries. Si le milieu naturel est atteint, il ne tardera cependant pas à recouvrir son équilibre. C e sont l'environnement social et le développe­ment culturel qui subissent en revanche les plus dures épreuves. Et c'est d'ailleurs pour faire face à la vie dure des agriculteurs qu 'un certain niveau de formation culturelle doit être exigé.

La vie difficile des agriculteurs

Les paysans sont littéralement liés à leurs plantations qu'ils ne peuvent négliger un seul jour. Il va de soi que cette condition est plus supportable que celle des éleveurs fortement rattachée à la vie des bêtes dont ils ont la charge. Ils ne peuvent pas se permettre de s'absenter ou de s'offrir des vacances. Les fins de semaine sont des jours de travail semblables aux autres. D ' o ù une vie dure qui ne connaît pas de relâche. D e plus, les agriculteurs ne gagnent pas beaucoup d'argent et, lorsqu'ils en ont, ils savent l'économiser pour les jours difficiles. Le proverbe : «Garde ton sou blanc pour ton jour noir», s'il le dit joliment, ne dit pas autre chose. L'économie méticuleuse est une habitude ancrée dans la vie paysanne, c'est m ê m e une nécessité.

Pour rendre sa vie supportable, le m o n d e agricole essaye de se soustraire aux influences des facteurs écologiques, parfois aux dépens de l'environ­nement physique. Divers procédés de lutte contre le froid, le manque d'eau, le faible rendement du sol, la lenteur des cycles productifs, etc., sont testés. — L a culture en serre est le meilleur m o y e n , sur une faible étendue, de

lutter contre le froid. Pour couvrir les dépenses qu'exige un tel procédé, on a recours à la culture des primeurs et plus particulièrement des

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produits généralement plus chers au m o m e n t de leur production en serre (fraises, tomates, haricots verts, etc.) car plus demandés. Dans l'agrumiculture californienne, des brûleurs à gaz ou à mazout, répartis entre les orangers ou les citronniers, se déclenchent automatiquement lorsque la température s'abaisse au-dessous d 'un seuil jugé dangereux. L a pollution atmosphérique qui s'ensuit est à prendre en considération.

— L'arrosage artificiel des terres permet de lutter contre le manque de pluie, son inégale répartition au cours des différents mois de l'année et l'assèchement. Dans les zones arides, la construction de barrages et les travaux d'adduction d'eau sont fréquents. Dans les zones humides et pour faire face à une sécheresse exceptionnelle, on a recours à des puits artésiens qui, munis de pompes , fournissent l'eau d'arrosage. Si les nappes phréatiques souffrent à leur tour de la rareté des pluies, et c'est malheureusement souvent le cas, d'autres solutions sont difficilement trouvables. E n plus des privations de nourriture qui s'annoncent, il faut alors consentir à des privations d'eau.

— Si l'on demande à la terre tout ce qu'elle peut produire dans le temps le plus bref, si l'exploitant d 'un champ ne lui laisse pas le temps de se reposer (la jachère) et le gorge de surcroît d'engrais chimiques pour en tirer le m a x i m u m de profits, si le cultivateur n'est pas propriétaire de la parcelle qu'il est censé soigner, il deviendra insensible à sa ruine et son lendemain ne sera pas son souci. U n vrai paysan aime sa terre, la préserve, la ménage, lui prodigue les soins dont elle a besoin et se prive m ê m e , parfois aux dépens de sa famille, en lui accordant davantage de temps et plus d'énergie.

— Chaque plante annuelle suit un cycle de croissance bien défini depuis la germination jusqu'à la fructification. C e cycle est soumis à l'influence des facteurs externes (apports d'éléments nutritifs, chaleur, humidité, etc.). Il en est de m ê m e des arbres fruitiers qui ne commencent à porter de fruits qu'après un certain nombre d'années généralement supérieur à trois ans. Si le cultivateur est impatient d'obtenir des récoltes rapides et désire brûler les étapes, il ajoute au sol des engrais chimiques qui porteront atteinte à coup sûr à l'environnement physique et biologique du sol. D'ailleurs, le m o n d e agricole le sait bien : plus on est intensif, plus on pollue.

La vie sociale et culturelle de V agriculteur

L e paysan était jadis traité c o m m e un analphabète. Personne ne voyait d'inconvénient à ce qu'il soit ignorant. Pourtant, à nos yeux, il a une certaine culture qu 'on peut qualifier de naturelle et de pratique. Aujourd'hui, l'agriculteur possède un cadre de vie d 'un niveau plus élevé. O n n'accepte plus qu'il reste en marge de la société. Il doit maintenant étudier les sciences rattachées à son métier, et plus particulièrement celles

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de l'environnement, acquérir des notions de machinerie, connaître un peu d'économie. Ainsi tirera-t-il un meilleur parti de son savoir pour faire face aux changements écologiques et climatiques. Le travail le moins agréable est celui qu'interrompt un orage, une chute importante de la température, ou que trouble, par exemple, une tornade. Pour que le travail de l'agricul­teur lui soit plaisant, il faut l'instruire de ce qui peut l'attendre afin de l'y préparer, le soustraire à tout découragement ou abandon. Il doit être mis au courant des rapports directs qu'entretiennent l'agriculture et l'écologie et, surtout, informé des problèmes mondiaux de l'environnement qui touchent sensiblement sa propre vie de paysan. Citons : a) l'appauvrissement de la couche d'ozone qui entraîne une augmentation des effets dus aux rayonne­ments ultra-violets sur les micro-organismes du sol; b) la pollution atmos­phérique et ses répercussions sur la santé des h o m m e s et des bêtes; c) la désertification et la dégradation des sols qui réduisent les surfaces cultiva­bles; d) la deforestation par défrichement inconsidéré pour obtenir de nouvelles surfaces cultivables; e) l'accroissement des risques d'érosion menaçant les sols par suite de la deforestation, qui diminue aussi le volume de l'oxygène atmosphérique et réduit la diversité biologique; f) les rapports entre pauvreté, croissance démographique et choix agricoles, qui sont déterminants à l'échelle internationale si l'on veut sortir du cercle vicieux imposé.

Donc, pour rendre la dure vie du paysan plus supportable, pour élever son niveau, pour satisfaire aussi ses exigences sociales et lui assurer un m i n i m u m de services publics, la communauté se doit d'ouvrir des écoles pour instruire ses enfants. Ceux-ci devront, c o m m e il est naturel, avoir accès à la nourriture dont ils ont besoin ainsi qu'aux loisirs de leur âge tels que la musique, le sport (le tennis, la nage, etc.) et, naturellement, à toutes les formes de culture.

U n e des causes de l'émigration rurale vient justement du fait que les enfants paysans, une fois diplômés, doivent vivre dans un environnement humain composé uniquement de gens à niveau d'éducation souvent insuf­fisant. Si chacun contribue à élever le niveau de formation des jeunes et futurs paysans, les campagnes de tant de pays en développement ne seront plus autant désertées. Plusieurs enquêtes ont montré que, dans divers pays, le travail des champs, surtout s'il est manuel, est maladroitement considéré c o m m e avilissant par les diplômés, qui cherchent plutôt à se placer c o m m e fonctionnaire dans une grande agglomération. U n diplôme professionnel de niveau secondaire en agriculture doit être à la base du capital scientifi­que de tout jeune paysan, h o m m e ou f e m m e .

U n e réunion FAO/Pays-Bas sur l'agriculture et l'environnement s'est tenue aux Pays-Bas (à 's-Hertogenbosch) en avril 1991. Il s'agissait de contribuer à la préparation de la Conférence des Nations Unies sur l'envi­ronnement et le développement, qui aura lieu à Rio de Janeiro en juin 1992. Les discussions de la réunion ont conduit à l'adoption de la «Décla­ration de den Bosch pour une agriculture et un développement rural dura-

64 Développement culturel et environnement

ble». D u préambule de cette déclaration, nous avons retenu les trois points suivants : 1. E n l'an 2025, le m o n d e devra nourrir 3,2 milliards de personnes de plus

avec une base de ressources naturelles qui est déjà gravement menacée par des pratiques agricoles non durables et par les pressions écologiques résultant d'autres activités humaines. Déjà aujourd'hui, des millions de gens, pris au piège de la pauvreté, se trouvent contraints de chercher leur subsistance aux dépens de ressources naturelles qui sont leur seul m o y e n de survie.

2 . Il faudra, en outre, dans les prochaines décennies, pourvoir aux besoins de vivres, de fibres et autres produits agricoles ainsi qu'aux besoins énergétiques d'une population mondiale qui, non seulement augmente rapidement, mais s'urbanise non moins vite et s'attend à de meilleures conditions d'existence. Or, la base de ressources doit être utilisée rationnellement et de manière durable pour répondre aux besoins de la société, et non pour satisfaire ses convoitises.

3. L'agriculture devra relever ces défis, principalement en augmentant la production sur les terres déjà exploitées et en évitant d'empiéter encore sur des terres qui ne sont que marginalement aptes à la culture ( A / C O N F . 151 /PC/61) .

Pour répondre aux «nécessités du développement» et aux «exigences de protection de l'environnement» plusieurs conditions préalables doivent être remplies, dont une au moins est clairement exprimée dans le document et concerne l'éducation et la formation :

Les agriculteurs, en particulier les petits exploitants et ceux qui n'ont pas beaucoup de ressources, h o m m e s et femmes, doivent avoir plus facilement accès à l'éducation et à la formation, aux technologies et aux ressources appropriées {Idem).

Dans le plan d'action de la m ê m e Déclaration, plusieurs mesures sont à prendre au niveau national. Nous en avons retenu trois : 1. promouvoir le développement des ressources humaines par l'éducation,

la formation et la vulgarisation, de manière à mieux faire prendre conscience de la nécessité d'une approche systématique au développe­ment agricole durable;

2 . fournir des services d'appui et dispenser une formation visant à l'utilisa­tion optimale des ressources naturelles locales, en particulier par la mise en valeur et la gestion des sources d'énergie renouvelables ( comme l'énergie éolienne, l'énergie tirée de la biomasse, l'énergie solaire);

3. fournir des services d'appui afin de promouvoir la diversification et l'intégration des systèmes de production agricole et activités connexes en milieu rural (cultures vivrières traditionnelles, cultures arboricoles, systèmes zootechniques, rotation des cultures, cultures intercalaires, agrosylviculture, systèmes intégrés de production végétale-animale-arboricole, aquaculture, agro-industries, aménagement et utilisation de la vie sauvage) (Idem).

Pratiques agricoles 65

L A MODIFICATION DES PRATIQUES AGRICOLES E N FONCTION D ' U N E N V I R O N N E M E N T ET D ' U N E POLITIQUE AGRICOLE FRAGILES

L'équilibre de la nature est l'ultime objectif de toute politique de préserva­tion de l'environnement physique. Les cycles biologiques (cycles de l'eau, du carbone, de l'oxygène, de l'azote, etc.) reflètent par leur régularité le maintien de cet équilibre. Chaque fois qu'une perturbation touche un cycle, l'environnement en souffre. C'est le cas en premier lieu du cycle de l'azote dont l'atteinte provient des pratiques agricoles largement répandues et qui lui font payer le prix fort. Actuellement, on se pose dans plusieurs pays la question de savoir s'il ne faudrait pas envisager la possibilité de réduire l'intensité productive et de jeter du lest en agriculture spécialisée. V u la gravité du problème résultant des conséquences de la pollution due aux nitrates, et sans vouloir pour autant provoquer une chute de la production et toucher au développement économique, social et culturel des agriculteurs, des efforts doivent être tentés pour concilier environnement et intérêts de la société. Voyons donc 1) la question de la spécialisation et ses liens avec le déséquilibre biologique, 2) les mesures proposées pour modifier les prati­ques agricoles en vue de diminuer leur impact sur l'environnement et sur le développement.

La spécialisation en agriculture

Si, en agriculture, la spécialisation devient une pratique inévitable, on voit tout de suite les contraintes qu'elle impose aux agriculteurs. C e sont, tout d'abord, les inconvénients de la monoculture dont nous avons parlé plus haut. U n agriculteur qui ne produit que du tournesol, par exemple, ou du coton ou de la betterave ou des céréales, va s'effondrer économiquement s'il est frappé par la sécheresse ou les inondations. D'autres dangers, d'ordre social, culturel et environnemental, vont suivre : violence, pauvre­té, suicide, abandon, exploitation désordonnée des ressources naturelles, travail plus intensif exigé surtout des femmes et parfois des enfants.

Pour rattraper le manque à gagner, un recours exagéré à l'utilisation des engrais nitrate perturbera encore davantage le milieu naturel et plus parti­culièrement la nappe phréatique et les réserves d'eau potable. U n déséqui­libre biologique en découlera. Ainsi, par exemple, le pompage des eaux de surface ou des eaux souterraines, effectué pour combattre la sécheresse, provoquera généralement l'assèchement des marécages, des cours d'eau, voire d'un petit lac avoisinants. L a faune, et plus particulièrement les oiseaux qui fréquentent ces cours d'eau ou leurs abords, est atteinte à leur tour. Beaucoup d'insectes peuvent alors pulluler, par manque de préda­teurs, et infester les plantations.

66 Développement culturel et environnement

Mesures à prendre

Si la monoculture et la spécialisation sont inévitables, les autorités gouver­nementales doivent prendre des mesures administratives, législatives et financières pour faire face aux conséquences d'une forte spécialisation soumise aux caprices des intempéries et des fluctuations du marché. Ces mesures peuvent se ramener à trois : a) intervention de l'Etat, qui se porte garant des prix; b) réduction de l'utilisation des engrais; c) augmentation de la superficie des terrains cultivés. — Plusieurs pays ont recours au système des prix garantis (pour les céréa­

les, les betteraves sucrières, l'élevage des moutons, la sériciculture, etc.). Toutefois, pour éviter une surproduction, des plafonds par hectare sont instaurés. D e sévères conditions de qualité sont imposées. Dans certains pays, l'Etat achète toute la récolte et avance des crédits aux agriculteurs pour leur permettre de vivre et de se procurer les semences, les machines et les engrais indispensables (en moins grande quantité). Les pertes de revenus sont compensées.

— Partout dans le m o n d e , les agriculteurs deviennent de plus en plus convaincus de l'importance de la réduction des engrais azotés. Actuelle­ment et sans provoquer des chutes spectaculaires dans les rendements, une réduction dépassant les 25 pour cent s'avère rentable. Mais encore faudrait-il convaincre tous les cultivateurs du caractère bénéfique d'une telle démarche. Des efforts, on le voit, restent toujours à faire dans ce sens.

— Q u e l'utilisation des engrais soit réduite ou non, il est préférable de mettre en valeur la plus grande superficie possible de territoires cultivables en revalorisant les terrains incultes. Cette opération consiste à niveler le sol, enlever les rochers et les broussailles, retourner la terre, construire des terrasses là où la nature du terrain l'impose. Toutefois, il faudrait prendre en considération le fait de ne pas défigurer le paysage et porter ainsi atteinte à l'environnement physique. Ecologiquement parlant, des terres considérées jadis c o m m e inhospitalières seront nouvellement mieux exploitées et permettront de mettre plus facilement en jachère et par rotation des parcelles dont la superficie est égale à celle qu 'on vient de récupérer. Voilà un choix plus propice à l'écologie.

U n e telle politique agricole favorise, parce que rationnelle, un meilleur développement à tous les points de vue et donne plus d'assurance et de stabilité aux agriculteurs qui pourront ainsi avoir plus d'aisance et consa­crer leurs loisirs à enrichir leur culture et celle de leur famille.

LA PROTECTION DES SOLS CONTRE L'ÉROSION

D'après plusieurs auteurs, dont Cansdale (1970), T o h m é & T o h m é ( 1985), les Phéniciens ont été les premiers à développer la culture en terrasses sur les pentes de leurs collines. Cette pratique empêche l'érosion. D e vastes

Pratiques agricoles 67

quantités de terre auraient autrement été lessivées par les pluies torrentiel­les qui s'abattent normalement en région méditerranéenne et des collines entraînées vers le fond des vallées ou encore vers la mer. Les sols sont donc exposés autant aux méfaits de l'érosion mécanique (par le vent et par l'eau) qu'aux effets pernicieux de la surexploitation biologique et de la pollution.

L'érosion

L'eau de ruissellement est la pire ennemie des sols dénudés en région montagneuse. Si l'entretien des terrasses est abandonné, elles s'écroulent et l'eau entraîne la bonne terre vers le bas de la pente. Les terrains boisés, eux, retiennent le sol et arrêtent l'érosion, surtout celle causée par les vents qui déplacent les couches superficielles formées de terre fertile. C'est pourquoi bien des peuples ont depuis des siècles entrepris de fixer les dunes en y plantant par exemple des pins, des palmiers ou de l'alfa. Dans un article sur les arbres, paru dans le Journal du Programme alimentaire mondial — P A M (juillet-septembre 1991), D . Dixon en parle en ces termes : «Ce sont l'une des armes les plus puissantes de la nature pour protéger les sols : ils fixent les versants les plus escarpés, régularisent le régime des eaux, consolident les berges instables et protègent les champs cultivés des vents». Dans le m ê m e périodique, on donne l'exemple d 'un projet financé par le P A M en El-Salvador destiné à 11 200 petits agricul­teurs. Il porte plus spécialement sur les activités de conservation des sols. Le chargé du projet, Giancarlo Stopponi, le décrit ainsi : «La forte densité de population est à l'origine de l'érosion des sols et du manque de terres cultivables [...] le gouvernement essaie de protéger l'environnement et d'augmenter la production agricole». D ' o ù l'aide du P A M . Grâce à l'Orga­nisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture ( F A O ) , «les vulgarisateurs du Ministère de l'Agriculture ont reçu une formation sur les techniques de conservation des sols, l'utilisation des ressources forestières et la construction de fourneaux qui réduisent la consommation de combus­tibles.» Plus loin, l'article se termine sur un témoignage :

Voici un exemple de ces efforts et de changement de mentalité. U n agriculteur raconte : Chaque année, à la fin de la saison des pluies, je regardais m a terre et voyais chaque fois plus de pierres. Et je m e disais : pourquoi m e s récoltes n'augmentent-elles pas aussi ? Alors Juan (le vulgarisateur) est venu m e voir et m ' a dit que si je voulais que m e s fils et m e s petits-fils puissent travailler m a terre, il m e fallait préserver le sol. Aujourd'hui, deux ans après, il y a moins de pierres et la récolte est meilleure.

Tous ces efforts ont donc bien valu la peine puisque on peut lire dans le m ê m e article : « A u début, les agriculteurs ne comprenaient pas pourquoi ils devaient protéger l'environnement et les vulgarisateurs ont eu du mal à les convaincre de participer au projet.»

U n autre exemple illustrant la liaison entre conservation des sols, envi­ronnement et développement, et où de surcroît l'éducation et la culture

68 Développement culturel et environnement

interviennent, nous vient des monts San Blas du Panama. L a ligne de partage des eaux qui traverse leurs hauteurs sépare aussi deux régions où un contraste frappant montre, sur une pente, des pâturages ravagés par l'érosion, et, sur l'autre, une forêt vierge luxuriante. O r c'est à des exploi­tants agricoles que l'on doit ces ravages. Les Indiens Cunas, conscients de leur identité et possédant une culture très élaborée, ont quant à eux mis un frein à la deforestation en altitude en créant un parc naturel forestier sur les sols sujets à l'érosion qui sont en leur possession. C'est le Fonds mondial pour la nature (World W i d e Fund for Nature — W W F ) des Etats-Unis qui leur a fourni, avec la participation d'autres institutions internationales, une assistance technique et financière. Les Cunas ont réagi à l'avidité des exploitants en lançant leurs propres programmes de développement cultu­rel et en créant dans leur forêt une infrastructure qui puisse accueillir des chercheurs, des observateurs de migrations d'oiseaux et des touristes scien­tifiques payants. Plusieurs revues dignes de foi rapportent que les Cunas sont des gens instruits, qui envoient leurs enfants à l'école pour étudier et apprendre un métier. Ils restent néanmoins très attachés à leur milieu, à leur artisanat et savent gérer leurs richesses naturelles.

La surexploitation

C o m m e nous l'avons vu à propos de l'agriculture, la surexploitation ap­pauvrit le sol, réduit les rendements et peut conduire, si elle est poursuivie, à un état de dégradation poussée, difficilement récupérable. C'est le pre­mier pas vers la désertification. Il ne suffit pas qu'une réglementation interdise l'abus de l'épandage d'engrais, recommande pour une période déterminée la mise en friche des parcelles «fatiguées» ou oriente les exploitants vers d'autres pâturages moins fréquentés; une certaine éthique environnementale résultant d'une prise de conscience des conséquences de tels agissements est également nécessaire pour ancrer dans l'esprit des utilisateurs de nouvelles attitudes d'ordre culturel.

La pollution du sol par les déchets

Les déchets qui polluent le sol et le rendent impropre à l'agriculture sont généralement d'origine industrielle et donc chimique. U n excès d'eau délavant le sol d'une manière continue peut provoquer la chlorose. L'eau stagnante qui s'infiltre dans un verger, par exemple, dans une pinède ou dans une agrumeraie, à partir de fosses dépourvues de revêtement ou d 'un conduit d'eau en mauvais état, sature le sol autour des racines et provoque le jaunissement des feuilles, le dépérissement des arbres.

L'industrie rejette des substances dangereuses dont la liste est continuel­lement mise à jour. L'élimination de ces déchets se révèle très coûteuse et les dépenses qu'elle entraîne ne sont pas couvertes par les prix de revient.

Pratiques agricoles 69

E n ce qui concerne les rejets dans le sol, dans l'air ou dans l'eau, on tend actuellement à les réduire techniquement grâce à l'application de pratiques de gestion écologiquement rationnelles. Dans certaines régions, des dé­charges municipales et des terrains vagues sont délibérément utilisés pour accueillir des déchets liquides et solides constituant les ordures ménagères. Parmi ces ordures sont parfois déposés des déchets dangereux.

L a contamination du sol est une sorte d'érosion chimique dont les conséquences peuvent être dangereuses pour la santé. Ainsi le plomb et le cadmium, métaux lourds par excellence, peuvent être absorbés par des plantes cultivées sur des sols contaminés. M ê m e si l'on brûle à l'air libre ces déchets dangereux, des particules toxiques se déposent sur le sol après un bref parcours dans l'atmosphère. Dans les incinérateurs, les résidus qui s'accumulent posent à leur tour le problème de leur élimination.

Il faudrait profiter de ce que les pays en développement n'ont pas encore tous les produits dangereux des pays industrialisés pour les gérer économi­quement et rationnellement. L a formation d'ouvriers spécialisés dans ce domaine est urgente. L'information objective du public sur cette érosion par les déchets dangereux doit faire partie de la culture de chaque pays.

L'ÉLEVAGE, LE NOMADISME ET LE SÉDENTARISME

Bien qu'il soit difficile, dans la vie paysanne, de séparer agriculture et élevage, nous tiendrons compte de ces deux activités en évoquant l'in­fluence de l'éleveur et de ses animaux sur l'environnement en général. L a vie du fermier, c o m m e celle du berger, est soumise à des coutumes ances­trales liées à l'élevage. L a sévérité des liens qui unissent bétail et animaux de basse-cour aux soins quotidiens et à l'attention sans relâche de l'éleveur sont autant d'aspects qui caractérisent ses rapports avec l'environnement et les rapports de celui-ci avec le développement.

Nous présenterons, pour illustrer ces relations, deux exemples choisis dans la vie rurale de certains pays du Moyen-Orient : la sériciculture et l'élevage des caprins. D'autres exemples seront cités avant d'évoquer le nomadisme et le sédentarisme.

La sériciculture

L'élevage du ver à soie est aujourd'hui beaucoup moins répandu et moins prospère qu'il n'était avant 1960. L'exode rural et l'abandon de la culture des mûriers pour celle des arbres fruitiers à la suite de l'utilisation des fibres synthétiques par l'industrie textile ont sérieusement touché cette activité paysanne à laquelle sont liées beaucoup de coutumes et de tradi­tions villageoises témoignant d 'un niveau élevé de civilisation ancestrale.

70 Développement culturel et environnement

L a sériciculture est l'entreprise de toute une famille, parfois m ê m e d'une c o m m u n e . La division du travail, la répartition des tâches, le partage des revenus dénotent un esprit de vie coopérative et exigent un niveau culturel avancé. Les familles qui possèdent des mûriers et souhaitent pratiquer l'élevage se procurent au début du printemps des œufs de ver à soie vendus par paquet de 100 grammes. L'éleveur doit pouvoir disposer d'une grange ou d'une grande salle où il peut monter un échafaudage qui accueillera les claies, sortes de plateaux circulaires en fibres d'osier et de jonc entrelacées.

Dès l'éclosion des œufs, les chenilles sont déposées sur les claies. L a vie larvaire passe par cinq étapes nécessitant chacune une opération de net­toyage des claies et une nouvelle répartition des chenilles qui grandissent d'un stade à l'autre et exigent plus d'espace. Pour permettre le passage du stade de chenille à celui de chrysalide enfermée dans un cocon, les claies sont bordées d 'un branchage formé de touffes de genêts ou d'autres bran­ches d'arbres ou d'arbrisseaux. Les chenilles arrivées à terme passent des claies vers les amas de branches pour se métamorphoser et tisser leur cocon de soie.

D ' u n e manière générale, le travail des h o m m e s consiste à couper les branches de mûrier, à les amener sur le lieu de l'élevage. Ils s'occupent de l'échafaudage, de la préparation du branchage et aident au nettoyage des claies. Les tâches des femmes se rapportent à l'effeuillage du mûrier, au hachage de ses feuilles et à la répartition des petits morceaux obtenus sur les claies. Cette opération doit s'effectuer régulièrement toutes les trois ou quatre heures jour et nuit et ne s'arrête qu'au m o m e n t du passage d 'un stade larvaire au suivant. L a cueillette des cocons est l'occasion d'une manifestation communautaire à laquelle participe toute la famille, et plu­sieurs familles du voisinage. C'est une sorte de fête folklorique empreinte d'un sens profond de la culture paysanne. Les moissonneurs et les mois­sonneuses se partagent les besognes qui consistent à enlever le branchage, à le dépouiller des cocons et à débarrasser ces derniers de leurs attaches aux branches. L'opération peut prendre une journée entière entrecoupée d'ar­rêts où les participants se partagent la nourriture préparée par celles qui ont été retenues chez elles pour une raison particulière et qui apportent ainsi leur concours indirect à la cueillette. L'esprit de coopération qui accompa­gne cette manifestation est solennellement célébré au cours de plusieurs festivals de musique et de chansons populaires.

Tous les sous-produits de l'élevage sont réutilisés par le paysan et il n 'y a pour ainsi dire pas de déchets directs. Toutes les conditions écologiques sont respectées. Les branches de mûrier forment des fagots fort appréciés pour amorcer le feu des fourneaux ou des cheminées. L'écorce des bran­ches, qu 'on a pris soin d'enlever après l'effeuillage, sera mise en ballots qu'on laisse sécher. Plus tard, et après les avoir trempés dans l'eau, les lambeaux d'écorce sont utilisés c o m m e liens ou ficelles servant à consoli­der les échafaudages ou sont simplement donnés aux bêtes. Les excréments des larves, riches en protéines, sont utilisés c o m m e nourriture pour engrais-

Platiques agricoles 71

ser les moutons. Les filaments qui rattachent les cocons aux branches servent dans la filature artisanale.

L'argent de la vente des cocons revient en général aux femmes et celui des sous-produits aux h o m m e s . Les dépenses (coût des œufs, des m a n œ u ­vres, etc.) sont déduites de la vente des cocons. Le maintien de toutes ces habitudes et traditions va dans le sens des relations à respecter et qui nourrissent aussi bien la sauvegarde de l'environnement social et naturel que le développement culturel.

L'élevage des chèvres

Les chèvres sont des ruminants agiles qui grimpent facilement dans les régions montagneuses escarpées et cabriolent dans les garrigues et les maquis à la recherche déjeunes pousses. Elles sont friandes de bourgeons, se dressent sur leurs pattes postérieures pour les atteindre au sommet des arbustes qu'elles décapitent aisément. D e ce point de vue, elles sont considérées c o m m e les ennemies féroces de la régénération des forêts et de toute opération d'arborisation. U n troupeau de chèvres peut en quelques minutes dévaster toute une nouvelle plantation. Les chevriers, qui n'ont jamais été convaincus de la nécessité de reboiser les surfaces dénudées des hautes montagnes et de favoriser le remplacement des garrigues dégradées, devraient subir une formation spéciale dans ce sens avant qu'il ne soit trop tard et que toute végétation n'y disparaisse.

O n cite souvent l'exemple de l'île de Sainte-Hélène qui était complète­ment boisée avant 1513. L'introduction des chèvres à cette date y a provoqué la disparition progressive de la végétation dont on s'est rendu compte en 1810. L a volonté de reboiser l'île après avoir fait disparaître les chèvres ne lui a pas complètement restitué sa richesse naturelle d'origine. L'exemple s'est répété sur de vastes étendues de la Somalie et de l'Ethiopie où la désertification a transformé le paysage et appauvri le milieu naturel à cause de la prédation néfaste des troupeaux de chèvres. Pour gagner les chevriers à une politique de sauvegarde de l'environnement naturel, une réglementation d'ordre législatif et administratif doit être promulguée. Il faudra la faire précéder d'une campagne d'information capable de toucher le grand public et les décideurs. Tout projet d'arborisation est voué à l'échec s'il n'est pas précédé de telles mesures.

L'élevage des chèvres dans les conditions précitées porte atteinte à l'environnement en général au développement à la fois économique et culturel. Si nous prenons le cas du Liban, les chèvres y empêchent la régénération des cèdres, considérés, à juste titre, c o m m e reliques de forêts autrefois florissantes et faisant partie aujourd'hui du patrimoine historique national. Elles y empêchent aussi le maintien et la régénération des sapins, reliquat de la période des glaciations, et dont ce pays est à la limite méridionale de la répartition géographique.

72 Développement culturel et environnement

Les autres exemples d'élevage

Ils sont nombreux. Nous citerons, en plus de l'élevage du bétail, l'avicultu­re, l'apiculture, l'héliciculture, la mytiliculture, l'ostréiculture, la piscicul­ture, etc. C'est tout un art que de s'occuper de la reproduction des animaux, de veiller à leur croissance, de leur fournir l'entretien qu'il convient et la nourriture adéquate. Dans nombre de pays, des coutumes et des considéra­tions d'ordre local sont à prendre en compte lorsqu'on envisage les problè­m e s de l'environnement et du développement culturel relatifs à l'élevage. Bien que la technique soit à peu près la m ê m e , la pisciculture en Thaïlande, par exemple, se pratique selon une conception différente de ce que l'on rencontre en Europe en général. Il en est de m ê m e pour l'élevage des brebis et des moutons, qui accuse bien des différences entre l'Afrique du Nord, le Moyen-Orient et l'Argentine.

C e qu'il faut surtout noter c'est que la vie de l'éleveur est encore plus dure que celle de l'agriculteur. Le besoin continuel de nourrir ses animaux ne donne à l'éleveur aucune chance de repos et ne lui laisse aucun répit. Vendre les produits de l'élevage et de la ferme est une source de préoccu­pations qui s'apparentent aux soucis et aux situations parallèles observées chez l'agriculteur. D e tels problèmes sont connus depuis que le nomadisme et le sédentarisme existent.

Le nomadisme et le sédentarisme

Henry (1977) rapporte que l'historien et philosophe arabe Ibn Khaldun (1332-1406) a «analysé la dialectique des rapports entre civilisations sé­dentaires et populations nomades». Les sédentaires sont des citadins vivant du commerce ou des paysans exploitant la terre à proximité de l'eau, sur les pentes des montagnes, dans les vallées ou les deltas des fleuves. L a vie des nomades est austère et périlleuse. Jadis, ceux-ci convoitaient sans cesse les biens et les avoirs des autres et ne voyaient dans les razzias qu 'un m o y e n naturel de survivre.

L a poésie arabe d'avant l'Hégire et du début de l'Islam décrit, avec détails à l'appui, ces deux civilisations «tour à tour antagonistes et complé­mentaires». Elles . . .

s'organisent et réagissent en fonction des facteurs écologiques. Leur culture était le reflet direct de l'ordre naturel tel qu'elles le perçoivent et le traduisent en termes de vision du m o n d e cohérente et immanente.

Cette notion du potentiel écologique représente pour les civilisations traditionnelles un point critique permettant de relier la notion de culture à celle de développement (Henry, 1977).

Pratiques agricoles 73

LA RÉCOLTE ET SA MISE EN CONSERVE

E n comparant l'alimentation familiale d'aujourd'hui à son équivalent des années 1950, on relève tout de suite un trait distinctif de la vie d'autrefois : le souci de préparer en été, pour l'hiver, une réserve alimentaire variée et suffisante. Si la vie citadine se targuait déjà de ne pas avoir à se tracasser d'un tel problème, les campagnards, eux, étaient bien obligés de se préoc­cuper de préparer à la fin de la belle saison de quoi faire face aux besoins des mauvais jours. Aujourd'hui, dans les sociétés aisées, les produits répondant aux besoins alimentaires quotidiens sont à portée de la main et, grâce aux adjuvants chimiques de longue conservation, aux congélateurs et aux réfrigérateurs, les ménagères s'approvisionnent en fin de semaine pour une durée de plusieurs jours.

Dans diverses contrées du m o n d e rural, des coutumes ancestrales se maintiennent et des traditions séculaires accompagnent les moissons, la conservation des céréales, les vendanges et la fabrication du vin, le ramas­sage des olives et l'extraction de l'huile, la fumaison des viandes, la préparation des confitures, la cueillette et le séchage des fruits, la confec­tion d'aliments particuliers à chaque région, etc.

L a récolte des graines ou des fruits, leur stockage, l'élevage d'animaux destinés à la conserverie, ainsi que l'ensemble des opérations qui les accompagnent, constituent une part de l'identité culturelle propre à chaque pays et, souvent m ê m e , à chaque région. Les différentes pratiques utilisées respectent les conditions écologiques et dénotent une connaissance pratique des principes généraux de la préservation des aliments et des notions fondamentales de l'économie domestique. A u x niveaux familial et c o m m u ­nal, des manifestations traditionnelles, empreintes d 'un esprit de coopéra­tion et d'une culture bien avancée, vont de pair avec chaque activité. Des siècles de tradition ont accumulé ainsi un héritage inépuisable de manifes­tations culturelles, de coutumes allant dans le sens de la préservation de l'environnement, bien avant que ce mot ne soit utilisé, et d'une politique économique qui favorise la régénération des ressources naturelles fonda­mentales.

L a seule exposition de quelques exemples bien représentatifs nous per­mettra de relever la solidité du lien qui a toujours existé entre ces pratiques, l'économie domestique, la conservation de l'environnement et le dévelop­pement culturel. Les sociétés qui se précipitent sur la voie de la c o n s o m m a ­tion accélérée de leurs richesses naturelles, récupérables ou non, risquent de les perdre définitivement si leur utilisation rationnelle n'est pas planifiée. Elles se retrouveront tôt ou tard, selon l'expression de G . & H . T o h m é (1985), « c o m m e des paysans qui auraient c o n s o m m é tout leur blé de l'année sans en laisser une quantité suffisante à semer la saison suivante».

Nous prendrons les exemples de l'extraction de l'huile, du séchage des fruits, de la vendange et de la préparation des confits.

74 Développement culturel et environnement

L'extraction de l'huile a"olive

Jadis on battait les oliviers avec une gaule pour en faire tomber les olives, qu'elles soient noires (mûres) ou vertes. Actuellement le gaulage est rem­placé par une action automécanisée. Les fruits qui tombent sont reçus sur une sorte de drap. Leur triage mécanique est généralement effectué par des femmes. Les olives sont ensuite acheminées soit vers le pressoir soit vers la conserverie. Dans plusieurs régions du bassin méditerranéen, les vieilles habitudes qui accompagnaient la cueillette et le ramassage sont tombées en désuétude parce que les avantages présentés par les nouveaux moyens de récolte sont tels qu'il a bien fallu s'y convertir. Mais l'atmosphère de fête qui accompagne la récolte des olives et l'extraction de l'huile continue à se manifester entre octobre et janvier les années de grande récolte. Ces coutumes sont entrées dans le patrimoine culturel et font revivre tout le cérémonial qui vante les bienfaits de cette denrée jadis considérée c o m m e sacrée.

Le séchage des fruits

Bien qu'actuellement les fruits secs ne soient plus autant convoités que par le passé en raison de la disponibilité de fruits frais de toutes provenances au cours des différents mois de l'année, la cueillette des raisins, des figues, des prunes, etc., leur étalage sur des lits de paille au soleil pour obtenir des fruits secs sont des pratiques paysannes qui s'effectuent jusqu'à présent selon un processus quasi rituel. Conserver de telles pratiques permettra aux petits exploitants de rester maîtres de leur production qu'ils pourront vendre en un temps propice, éloigné du m o m e n t de la récolte où les acheteurs imposent souvent leurs prix.

La vendange

L a vendange ou cueillette des raisins reste l'une des pratiques les plus anciennement célébrées et qui couronne des mois d'attente où l'émotion des préparatifs arrive à son comble. Des festivités saisonnières particuliè­res à chaque région marquent le début et la fin de cette opération. C'est sans doute à cause de son produit final, qui est le vin, que cette cueillette prend une allure euphorique. Pourtant, dans bien des régions, le jus de raisin n'est pas nécessairement mis à fermenter, c'est plutôt en raisins secs et en mélasse de raisin (liquide épais, sucré de couleur ambrée, obtenu en faisant bouillir le jus dans une chaudière) que les grappes sont transformées.

Pratiques agricoles 75

Les confits

U n confit d'oie ou de mouton est une préparation de viande cuite convena­blement, salée et mise en conserve dans sa graisse. Nous parlerons de la pratique, toujours en vigueur dans certaines régions de la Méditerranée orientale, qui consiste à choisir en automne un mouton bien gras et à le sacrifier pour préparer, avec sa viande et sa graisse, un confit qui sera conservé dans des pots de terre cuite. Ainsi, au cours de l'hiver, divers plats seront cuisinés à partir de ce confit. Naguère encore, le mouton était gavé avec des feuilles de mûriers, de la farine de céréales et, en particulier, de l'orge et du maïs. Le gavage est aujourd'hui presque abandonné. Le jour où l'on égorge le mouton est une occasion de convier les membres de la famille et les amis. La fête dure généralement trois jours : le premier, on mange du méchoui, le deuxième de la viande et du riz, le troisième des tripes diversement accommodées. Beaucoup de traditions se rattachent à cette manifestation qui trouve son équivalent dans d'autres pays en fonc­tion des animaux disponibles : oies, porcs, bœufs, etc.

En conclusion, les pratiques agricoles montrent l'attachement de l ' h o m m e à la terre d'où il tire les moyens de sa subsistance. L'élevage a toujours été associé à l'agriculture. Les occupations quotidiennes de la vie paysanne, surtout celles du fermier, reposaient sur les deux volets de l'exploitation, l'animal et le végétal. Actuellement et avec la progression de la spécialisa­tion (monoculture, élevage à grande échelle), un autre aspect de cette vie a vu le jour.

Les problèmes qui accompagnent les activités agricoles et pastorales sont de deux ordres. Le premier est lié aux facteurs écologiques de la nature, le second reflète les conditions socio-économiques auxquelles sont soumis les agriculteurs et les éleveurs. Pour atteindre un niveau économi­que plus élevé, les paysans sont tentés d'exploiter au m a x i m u m le sol et les ressources naturelles, au détriment de l'environnement. D ' o ù l'éventail des pratiques accompagnant la surexploitation : deforestation, épandage sans mesure d'engrais chimiques, de pesticides, utilisation d'hormones de crois­sance dans l'élevage et autres procédés de m ê m e calibre. L a surproduction est devenue un phénomène banal dont les conséquences économiques et sociales se répercutent un peu partout dans le m o n d e . C o m m e n t écouler le surplus de la production agricole et animale sans trop faire baisser les prix ? C o m m e n t réglementer les échanges commerciaux transfrontaliers sans trop léser les producteurs nationaux ? C o m m e n t concilier les bonnes relations internationales et les intérêts locaux des agriculteurs ? Autant de questions qui entrent dans le cortège des nouvelles attitudes et que la communication et les échanges culturels peuvent contribuer à résoudre. C'est à l'éthique de l'environnement qu'il faut recourir pour faire admettre ces nouvelles attitudes. L e développement culturel et le niveau d'instruc­tion des paysans faciliteront la solution des problèmes environnementaux.

76 Développement culturel et environnement

Il en est de m ê m e des problèmes similaires créés par toutes les autres formes de travail des secteurs secondaire et tertiaire (bureau, industrie, transports, télécommunications, etc.) c o m m e nous le verrons dans le chapi­tre suivant.

CHAPITRE III

Travail, technologie, développement culturel et environnement

INTRODUCTION

Depuis la fameuse injonction biblique : «Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front», le travail est devenu signe de vie. Et en effet : «Travailler c'est vivre», écrit Voltaire. Par ailleurs, beaucoup de traditions se sont accumu­lées autour de chaque métier. N o u s venons d'évoquer celles qui sont rattachées aux activités agricoles et pastorales, et nous soulèverons encore la question de la spécialisation avec ses avantages et ses inconvénients. Ajoutons que la vie du travailleur n'aura de sens ni d'attrait si elle n'est agrémentée par des plages de repos et de loisirs propices à la détente et à la récupération. D e la m ê m e façon, pour que le travail soit intéressant et profitable, il faut que son accomplissement s'accompagne d 'un sens.

Beaucoup d'activités culturelles, telles que la fréquentation de l'école, pourraient être effectuées en dehors des heures de travail et permettraient au travailleur et au spécialiste d'étendre l'horizon de leurs connaissances aux divers domaines de la culture. L a qualité du travail s'améliorerait et l'environnement social du travailleur le conduirait à exiger une qualité de la vie toujours meilleure. C'est d'ailleurs en travaillant que l'on perfection­ne son métier et qu 'on élargit sa culture, ou, si l'on préfère, «c'est en forgeant qu 'on devient forgeron». L e contact avec les collègues, avec la clientèle, le désir de se perfectionner, de promouvoir ses connaissances, d'être mis au courant de tout ce qui évolue dans le m o n d e , de se renseigner sur les nouveautés de chaque jour sont autant de voies qui s'ouvrent devant la volonté de croître culturellement. Antoine de Saint-Exupéry (1948) rend manifeste la relation de la culture et du travail dans ces lignes de Citadelle :

Fou celui-là qui prétend distinguer la culture d'avec le travail. Car l ' h o m m e d'abord se dégoûtera d'un travail qui sera part morte de sa vie, puis d'une culture qui ne sera plus que jeu sans caution, c o m m e la niaiserie des dés que tu jettes s'ils ne signifient plus ta fortune et ne roulent plus tes espérances. Car il n'est point de jeu de dés mais jeu de tes troupeaux, de tes pâturages ou de ton or.

78 Développement culturel et environnement

Les techniques scientifiques ne cessent de s'enrichir. Cela nécessite la formation d'ouvriers qualifiés, qui se perfectionnent au fur et à mesure de l'avancement de leurs travaux et qui savent se servir de machines comple­xes, de matériel sophistiqué. Leur tâche est ainsi facilitée, leur fatigue physique souvent réduite, leur rendement multiplié et leur niveau de vie en ascension. Malheureusement, hors de sa machine, l'ouvrier qualifié est souvent incapable d'en manier d'autres; il lui ressemble et devient très lié à elle. D'après Siegfried (1953) :

Cet h o m m e ultra-spécialisé souffre du principal défaut de notre civilisation, la spécialisation. Cette spécialisation qui est une nécessité de la technique est une menace pour la culture parce qu'elle divise l ' h o m m e et l'empêche de se considérer lui-même c o m m e étant complet.

L a machine transforme donc le m a n œ u v r e de la grande industrie en un robot humain, obéissant aveuglément à la routine et participant à la pollu­tion.

Nous tenterons dans ce chapitre d'articuler quatre idées-forces : — que les activités culturelles sont, pour ceux qui travaillent, des besoins

essentiels; — que les travailleurs ont droit à des loisirs de qualité; — que l'humanisation des conditions de travail et la protection de la

qualité de la vie vont de pair; — que les progrès de la technologie, l'utilisation de l'énergie doivent

évoluer en harmonie avec le développement culturel et la protection de l'environnement.

Q U E LES ACTIVITÉS C U L T U R E L L E S S O N T DES BESOINS ESSENTIELS

Parmi les besoins essentiels liés à l'emploi, le Bureau international du travail (BIT) estime que «la satisfaction d 'un certain m i n i m u m de besoins privés», ceux «d'une famille», nécessite, en plus de l'alimentation, du logement, d 'un habillement convenable, de certains articles de ménage et de mobilier, «la fourniture des services publics essentiels : eau potable, transports publics, systèmes sanitaires, services de santé, possibilités d'ins­truction et d'activités culturelles». Ainsi donc, le B I T place les activités culturelles parmi les besoins essentiels des individus, des sociétés, et des travailleurs en particulier.

Quelles sont ces activités culturelles ?

Apprendre est peut-être l'activité culturelle la mieux appréciée. Les cours du soir, par exemple, procurent à tous les travailleurs une occasion de

Travail, technologie 79

compléter leur éducation ou de parfaire leur spécialisation. C'est aussi un m o y e n d'apprendre une autre langue, voire une autre technique profession­nelle. Fréquenter de nouveau l'école, après des années d'interruption, permet aux jeunes et aux adultes de mieux s'épanouir et de nouer des amitiés où l'esprit de camaraderie et d'entraide favorise le développement culturel. L a lecture et l'usage du livre sont de nouveau à l'honneur pour le travailleur qui en aurait perdu l'habitude depuis qu'il s'est investi dans le m o n d e du travail. Les bibliothèques des écoles du soir sont généralement prises d'assaut par ceux qui les fréquentent, tant il est vrai que la lecture aide le m o n d e laborieux à produire sa propre action culturelle.

Il existe des activités d'amateurs qui rendent la vie des travailleurs variée et joyeuse. Adhérer à des associations culturelles, visiter des m u ­sées, assister à des festivals, organiser des ateliers artistiques, des excur­sions, des fêtes, participer à des manifestations folkloriques sont autant d'exemples qu 'on peut aussi évoquer. Leurs modalités varient d'ailleurs selon les pays, les professions, le temps libre, la disponibilité des moyens , etc. Pour illustrer justement ce facteur de disponibilité, l'auteur relate l'histoire suivante :

Deux sœurs ont hérité de leurs parents le métier de boulanger. L 'une est restée dans son village natal à s'occuper de la boulangerie familiale, l'autre a suivi son mari dans une grande ville où elle a ouvert une nouvelle boulangerie. L e niveau d'instruction des deux boulangères était le m ê m e lorsqu'elles vivaient avec leurs parents. Dix ans après, la boulangère de la ville avait acquis un niveau intellectuel différent et plus élevé que celui de sa soeur vivant à la campagne. C'est que, en ville, il y avait la possibilité de mieux continuer à s'instruire, en fréquentant les cours du soir à l'université la plus proche, et surtout de se cultiver en visitant, dans les moments de loisirs, les musées, les expositions, et en se rendant à des conférences de culture générale (G. T o h m é , 1990b).

Le facteur personnel est déterminant dans la volonté de se cultiver. Lorsque toutes les chances sont égales, et les possibilités offertes identiques, les travailleurs doivent manifester le désir d'entreprendre des activités qui développent leurs connaissances et élèvent leur niveau culturel. D'ailleurs, la culture épanouit les individus et les stimule. Peut-être faut-il créer une motivation qui poussera les travailleurs non convaincus et les profession­nels à s'enrichir culturellement ? N e devrait-on pas leur promettre un avancement proportionnel à l'élévation de leur niveau de connaissances ? O u pour récompenser le fait qu'ils ont acquis, grâce à leur effort personnel, la maîtrise d'une langue étrangère, par exemple ? O u encore pour avoir conquis la faculté d'utiliser une nouvelle technique qui améliore le rende­ment de leur travail ? E n comparant leurs différentes manières de vivre, on découvre que certaines catégories de travailleurs profitent mieux de leur temps libre que d'autres, indépendamment de leurs revenus. Les uns sont actifs, mènent une vie sociale intense, recherchent la compagnie des autres, organisent des sorties, fréquentent les clubs, etc. Les autres sont passifs, restent souvent au foyer à regarder la télévision. Parmi les actifs, on cite ceux qui accomplissent chez eux des travaux de bricolage ou de jardinage.

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Mais, généralement, on constate que ceux qui effectuent un travail fati­guant ou qui ne sont pas satisfaits de leur emploi ne parviennent pas à jouir pleinement de leur temps de loisir. Ils accordent par ailleurs moins d'intérêt que les autres à la vie sociale.

Comment un travailleur cultivé peut-il agir sur la protection de /' environnement ?

Si nous avons l'occasion de traiter avec deux ouvriers dont l'un est plus cultivé que l'autre, la différence de leurs manières d'agir et de concevoir les choses ne passe pas inaperçue. C e sont leur comportement général et le respect du milieu de travail qui les distinguent.

Aspirer à un meilleur niveau de vie, adopter un comportement personnel exemplaire pour ce qui concerne le respect de l'environnement immédiat, avoir présente à l'esprit et en permanence la préservation du patrimoine culturel et la sauvegarde de la nature sont autant d'objectifs que cherche à atteindre toute personne instruite. Il est difficile à un ouvrier illettré, par exemple, de suivre les indications écrites qui tendent à protéger l'environ­nement et m ê m e s'il parvient à les lire, il lui sera souvent malaisé de les comprendre et de les apprécier à leur juste valeur. U n travailleur qui poursuit des activités culturelles de tout genre devient un précieux auxiliai­re dans toute campagne de conservation de l'environnement, qu'il soit employé de bureau, agent hospitalier, chauffeur de taxi, ouvrier d'usine, serveur de restaurant, etc.

Le lieu de travail sera étroitement surveillé pour qu'il ne soit pas pollué, les nuisances dues à la nature de certaines professions seront réduites au m i n i m u m , les consignes de sécurité et l'hygiène du travail seront respec­tées. L'impact du milieu du travail sur l'environnement général est traduit dans le «Rapport annuel, 1990» du Directeur général du Bureau internatio­nal du travail à Genève :

Maints problèmes de l'environnement en général sont directement imputables à des causes liées au milieu de travail [...] la multiplication des accidents industriels majeurs et leurs incidences sur les communautés entières ou m ê m e sur toute la planète prouvent de façon spectaculaire que ce qui se passe dans l'entreprise a des effets profonds sur la sécurité, la santé, le bien-être de la population locale et sur l'environnement en général.

U n e polémique reste ouverte dans divers pays sur l'hygiène du lieu de travail, les risques de surdité, d'empoisonnement par des gaz toxiques et d'autres accidents graves. Des efforts sont entrepris pour éliminer les dangers et rendre l'environnement du travail agréable avec des murs colorés, des fenêtres spacieuses, des balcons fleuris.

«Le vacarme est un obstacle à la culture», dit-on. L e bruit reste en effet un inconvénient de taille sur le chantier et dans les fabriques. Il empêche

Travail, technologie 81

les travailleurs de communiquer les uns avec les autres, en dehors des brefs moments de pause, et de profiter notamment de la musique, qui crée une ambiance de détente. L a tension nerveuse dont souffre bien des travailleurs est due en grande partie au bruit continuel auquel ils sont exposés et au manque de communication entre eux.

Q U E C E U X QUI TRAVAILLENT MÉRITENT DES LOISIRS

Les vacances, les congés et les loisirs deviennent une nécessité pour ceux qui travaillent d'une manière ininterrompue. L'effort physique doit être suivi par un temps de repos et par une détente des muscles, le travail intellectuel par un sommeil de l'esprit. C e temps de repos ne doit naturelle­ment pas se transformer en un temps mort où l'on se fatigue à ne rien faire. Il faut savoir alors lire un beau livre, écouter de la musique et des chants, regarder des spectacles, des danses, se promener, dormir sous un arbre ou rêver sur l'herbe, faire du sport, de la natation, pêcher à la ligne, respirer l'odeur de la mer, humer celle de la terre mouillée, contempler le lever ou le coucher du soleil.

C'est justement aussi l'occasion rêvée d'aller au cinéma, de visiter les galeries d'art, les sites archéologiques, les réserves naturelles, de participer à des clubs ou à des associations qui luttent pour la sauvegarde du patrimoi­ne culturel et naturel. Qu'il travaille ou qu'il se repose, le bon citoyen ne se lasse pas d'enrichir ses connaissances et de parfaire son esprit, faute de quoi il serait c o m m e en train de trahir sa communauté. «Tout citoyen oisif est un fripon», pensait déjà Rousseau. Des vacances ainsi remplies redon­nent plus de courage à reprendre la tâche, dont le rendement sera meilleur. O n apprécie en effet mieux le plaisir de travailler après une période de relâche bienfaisante.

Mais avant de goûter aux plaisirs d 'un repos mérité, certains auteurs pensent que, pour bien accomplir son travail, il faut qu'il ait été librement choisi par celui qui le pratique. C'est ainsi que pour le philosophe français Alain (1928) :

L e travail est la meilleure et la pire des choses : la meilleure s'il est libre; la pire, s'il est serf. J'appelle libre au premier degré le travail réglé par le travailleur lui-même, d'après son savoir propre et selon l'expérience, c o m m e un menuisier qui fait une porte.

Si vous êtes chercheur scientifique, architecte, artisan, peintre ou sculp­teur, travailler est un plaisir continuel et un acte culturel de chaque jour; la séparation entre heures de travail et moments de loisirs n'existe pour ainsi dire pas. Pour cette catégorie de travailleurs, tout est loisir, il n 'y a pas à vrai dire d'horaire fixe pour commencer et pour arrêter la besogne. Par­fois, pris par la passion d'aboutir à un résultat, d'achever ce qu'ils ont

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entrepris, de perfectionner un aspect, un détail, ces travailleurs oublient le temps et se dépensent jour et nuit, sans contrainte et sans plainte. M ê m e en dehors de leurs ateliers ou de leurs laboratoires, ils continuent à évoquer leur travail.

Le travail devient inacceptable s'il «n'est qu'une corvée à quoi l'on refuse le don de soi-même» (Saint-Exupéry, 1948). O n peut m ê m e y voir «une caricature de la culture» s'il ne peut pas éteindre la soif et calmer la faim de celui qui s'y engage. Ajoutons qu'il sera aussi un jeu inutile s'il ne devient pas un exercice formateur, si le travailleur ne sent pas qu'il avance, qu'il apprend et qu'il se perfectionne. L e travail devient ennuyeux lorsqu'il suit la routine, se soumet à la mécanisation et ne demande aucun effort intellectuel, aucune démonstration d'habileté. L a division du travail oblige à répéter chaque jour les m ê m e s gestes et écarte toute initiative de changer le déroulement des opérations planifiées à l'avance. Dès qu 'on sort de l'usine ou du bureau, on ne veut plus parler travail. 11 serait souhaitable que les travailleurs se soumettent à un régime de rotation qui leur donnerait la possibilité d'échanger régulièrement leurs postes de travail. L a monotonie de la chaîne serait ainsi brisée et la joie prendrait le pas sur la tristesse. Peut-être qu'en donnant plus de liberté aux travailleurs d'organiser leur vie à l'usine, on arriverait à leur rendre la tâche plus agréable.

LES CONDITIONS DE TRAVAIL ET LA PROTECTION DE LA QUALITÉ DE LA VIE

Les normes fondamentales et la législation du travail, les systèmes de sécurité spéciale prémunissent les travailleurs contre les accidents qu'ils peuvent encourir personnellement ou qu'ils risquent de porter à l'environ­nement. Nous prendrons en considération deux cas extrêmes : celui des travailleurs indépendants dans les pays en développement et celui des spécialistes et des techniciens supérieurs dans les pays industrialisés. Tous les cas intermédiaires existent. L a plus grande partie des grandes entrepri­ses sont entre les mains de particuliers. Il est souhaitable que leurs respon­sables soient convaincus de créer les meilleures conditions de travail physiques et psychologiques et d'ouvrir leurs portes au m o n d e extérieur à travers les activités culturelles.

Le cas des travailleurs indépendants

Les travailleurs indépendants (marchands ambulants, menuisiers, femmes de ménage, etc.) emploient parfois une main-d'oeuvre familiale, quelques apprentis et beaucoup de femmes (surtout dans les petites industries). Ces

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travailleurs pauvres, souvent non protégés et dont les activités ne sont pas réglementées par les autorités publiques apprennent leur métier sur le tas et sont presque toujours soustraits aux mesures officielles de protection des travailleurs. Ils gagnent tout juste de quoi vivre et connaissent rarement le bien-être. L'environnement dans lequel ils vivent est souvent insalubre, parfois dangereux pour leur santé car dépourvu de tout équipement sanitai­re (cas des bidonvilles). Étant souvent en marge des établissements d'en­seignement et de formation, ils sont loin du chemin qui conduit au dévelop­pement culturel et la sauvegarde de l'environnement est le moindre de leurs soucis. Ajoutons à cela que dans certains pays, le travail des enfants, bien qu'illégal, continue de perpétuer leur misère, de les maintenir dans l'analphabétisme, de leur fermer l'accès aux qualifications qui leur permet­traient, une fois adultes, d'obtenir un bon emploi.

Le cas des spécialistes et des techniciens supérieurs

Les activités qui ont un impact direct sur l'environnement sont celles des ingénieurs, des architectes, des médecins, et celles des techniciens qui leur sont rattachés : mécaniciens, électriciens, personnel sanitaire, paramédi­cal, infirmiers, responsables des appareils et des installations sanitaires, de l'épidémiologie, de la salubrité de l'eau et de sa distribution, ou encore de l'hygiène des lieux publics et des installations industrielles. N'oublions pas les chimistes chargés de la production des médicaments, des pesticides et autres. Tous ces «coureurs de risques permanents» doivent être sans cesse soumis à des cours de recyclage. Leur culture personnelle, leur formation initiale, le haut niveau de leur éthique de l'environnement, leur capacité professionnelle enfin doivent leur permettre d'avoir toujours à l'esprit le souci et la conviction de préserver leur cadre de vie. C'est donc tout d'abord une formation technique très solide doublée d'une culture person­nelle adéquate qui permettra d'obtenir des techniciens conscients des problèmes environnementaux.

L a responsabilité civile et surtout morale des travailleurs face à la sauvegarde du milieu qui les environne est fonction de leur niveau intellec­tuel, de leur niveau d'études et surtout de l'attention qu'ils accordent à leur culture personnelle. Les chefs d'entreprises, commerciales ou industriel­les, les éducateurs, les parents, les médecins, les ingénieurs, les politiques... sont évidemment plus impliqués que leurs subordonnés, leurs employés, leurs élèves, leurs enfants... Donc le degré de responsabilité dans une politique de l'environnement dépend de l'état de développement culturel auquel est censé prétendre un diplômé universitaire ou un technicien supérieur. D'ailleurs, toute nouvelle technique de travail devra préalable­ment être soumise à une recherche scientifique approfondie pour en écarter tous les risques d'atteinte à l'environnement. Il en va de m ê m e pour l'élaboration de nouveaux produits et de matériels plus performants corn-

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m e du bon fonctionnement des installations techniques (Tohmé & T o h m é , 1991). C'est d'ailleurs de la promotion de la recherche pour trouver de nouvelles sources énergétiques dans le domaine de la technologie et de l'incidence de celle-ci sur le développement culturel et sur l'environne­ment que nous traiterons dans le point suivant.

LA TECHNOLOGIE, L'ÉNERGIE ET LEURS RELATIONS AVEC LE DÉVELOPPEMENT CULTUREL ET L'ENVIRONNEMENT

La technique est un m o y e n dont le but est d'élever le niveau de vie de l'humanité; c'est strictement vrai si vous parlez du niveau de vie. Et je crois qu'il n 'y a pas de civilisation possible sans un certain niveau de vie parce qu'alors la liberté intellectuelle de pensée n'existe pas et il est nécessaire d'arriver à un certain degré de dignité matérielle et humaine pour continuer d'exister (Siegfried, 1953).

O n a longtemps opposé culture littéraire et technique. Nous n'allons pas nous enliser dans un terrain aussi sensible. Nous tenterons toutefois de montrer que plus une société est avancée sur le plan de l'éducation, de la recherche et du développement culturel, plus elle consomme de l'énergie et se montre capable de faire avancer la technologie, de tirer un profit économique certain de la mise en application des connaissances scientifi­ques. Or la machine utilisée par le technicien a aussi ses effets sur l'envi­ronnement. Le processus industriel le plus simple ne peut que produire des déchets créant un autre problème environnemental, l'un des plus insolu­bles, car il faut continuellement trouver des moyens permettant de s'en débarrasser.

Plusieurs questions se posent alors. U n pays développé techniquement l'est-il forcément quand il s'agit de culture ? Si le but de la technique est d'élever le niveau de vie, comment concilier alors machines, déchets, progrès scientifiques et environnement sain ? Si la culture et la science se mettent à l'unisson pour servir la technique pure, n 'y a-t-il pas là danger pour l'être humain ? Il en fut ainsi à un certain m o m e n t pour la recherche nucléaire et les accidents qu'elle a pu provoquer. Il en est de m ê m e pour quelques applications hasardeuses de la biotechnologie et les risques qu'el­le pourrait faire courir à la santé et à l'environnement.

L ' h o m m e s'est passionné pour la découverte scientifique bien avant les alchimistes. Il ne marchande pas son admiration pour les progrès technolo­giques. Suite à leur multiplication et malgré le profit immédiat que l'éco­nomie peut en tirer, certains décideurs, conscients des risques qu'encourt l'humanité, ont fait appel à la conscience des chercheurs et des consom­mateurs de toute classe sociale pour que soient respectées l'éthique de l'environnement, la morale et toutes les composantes de la culture. U n juste équilibre doit s'établir entre les besoins économiques, la technologie

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et son incidence sur l'environnement et sur le développement culturel. Déjà, en 1956, on pouvait lire dans la Revue française de VEducation nationale :

Il semble bien que, quand on sacrifie tout à l'utilité immédiate, c'est en fin de compte les progrès de la science qui finissent par être menacés [...] U n e civilisation où la technique aurait voulu tout dominer risquerait ainsi d'être fatale à la science et ce qu'il y a de plus pur et de plus fondamental en celle-ci risquerait d'être étouffé (Pierre Bayancé).

Dans un article sur «L'impact de la science et de la technologie sur la vie de tous les jours : une perspective africaine», Andrew O . Urevbu (1991) s'interroge :

L a science et la technologie ne sont-elles pas omniprésentes dans notre environnement ? Les modes de pensée, les valeurs et les attitudes générés par la science et la technologie occidentales n'imprègnent-ils pas plus que jamais nos conceptions ? N'est-il pas évident que la plupart des pays pauvres ont besoin de la science et de la technologie pour améliorer leur vie quotidienne ? Ces pays n'essaient-ils pas de surmonter l'état de stagnation qui caractérise leurs modes de vie traditionnels ? N'est-ce pas à cette fin que les pays industrialisés doivent leur transférer leurs connaissances scientifiques et technologiques ?

A toutes ces questions que soulève Urevbu, nous tenterons de répondre en évoquant successivement : — La machine et l'environnement; — Le développement culturel, l'énergie et les ressources naturelles; — La biotechnologie et ses applications; — Les écotechnologies; — Le rôle de la technologie de la communication et des médias électroni­

ques dans la défense de l'environnement; — Le transfert de technologie.

La machine et Y environnement

Le premier outillage que l ' h o m m e a fabriqué lui a servi pour la culture du sol, la chasse, la cuisine et la maçonnerie. Les outils étaient en bois, en os, en silex, en bronze ou en fer. C'est avec l'extraction des minerais et leur élaboration pour être utilisés c o m m e armes ou c o m m e outils qu'apparais­sent les premières pollutions et les atteintes à la nature. E n effet, le traitement des minerais a nécessité la combustion d'une grande quantité de bois et plus tard l'utilisation de l'énergie fossile. Il en est de m ê m e pour la calcination de la pierre à chaux dont le produit est employé dans la préparation des mortiers.

Dans un passé lointain, la destruction de l'environnement était à peine perceptible, eu égard à la faible densité humaine qui régnait alors. Aujourd'hui, la mécanisation fait partie de l'environnement ménager (ma­chine à laver, lave-vaisselle, réfrigérateur, aspirateur. . .), du travail de bureau (machine à écrire, ordinateur . . .), des moyens de transport, et ainsi

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de suite. Dans l'industrie, grâce à l'automatisation et au travail à la chaîne, la production devient plus massive (industrie automobile, textile, horlo-gère . . .) . Les produits étiquetés «fait main» coûtent plus chers que leurs équivalents fabriqués à la machine.

L a pollution atmosphérique créée par la combustion des carburants fossiles se fait de plus en plus sentir. Le bruit des machines, le vacarme de la circulation sont de moins en moins supportables dans les centres urbains. La qualité de la vie souffre donc du développement de l'industrie et de l'augmentation des véhicules automobiles. Nous s o m m e s à la fois les victimes et les responsables de la dégradation de l'environnement. C e développement et cette augmentation sont une conséquence de l'économie prospère d 'un pays déterminé. L e développement culturel qui accompagne normalement les sociétés prospères pousse celles-ci à opter pour une politique qui tend à réduire les nuisances de l'industrie et des moyens de transport.

D'autres causes de pollution proviennent des produits qu'utilisent les machines (détergents et autres) et des déchets toxiques de l'industrie lourde. L'utilisation d'emballages non biodégradables dans l'industrie agro-alimentaire est entrée dans les moeurs des consommateurs. C'est à ces derniers qu'il faut s'adresser tout d'abord par l'intermédiaire des médias pour demander leurs concours dans la protection de l'environne­ment en acceptant volontairement de ne pas utiliser de produits polluants non biodégradables et en faisant un tri entre les différentes sortes de déchets pour les jeter dans des poubelles appropriées (matières plastiques, verre, objets métalliques, papiers, etc.).

C'est peut-être à travers cette question des déchets domestiques que l'action du citoyen peut avoir l'effet le plus visible dans la lutte contre la dégradation de l'environnement. E n effet, le pouvoir du consommateur de choisir des produits moins emballés et moins polluants peut contribuer à infléchir les orientations de l'industrie (Claude Villeneuve, 1991).

Les accidents que peuvent provoquer différentes machines proviennent soit de la machine elle-même, qui ne remplit pas les conditions de sécurité requises, soit de l'utilisateur qui ne respecte pas à la lettre les consignes de sécurité. Des accidents corporels peuvent atteindre l'utilisateur et s'étendre aux personnes de son entourage. Des pertes de matériels (machines détrui­tes, donc inutilisables) ou d'énergie (dépenses inutiles) peuvent être les conséquences directes d'une utilisation défectueuse. La santé du travailleur et de ses collègues, les économies d'énergie dépendent donc du niveau intellectuel des fabricants de machines-outils et de leurs utilisateurs. Leur développement culturel devrait être si avancé qu'aucun accident individuel ou collectif ne serait plus permis.

Le développement culturel, Y énergie et les ressources naturelles

Il n 'y a que les ignorants pour prétendre que les sources énergétiques sont intarissables. «Les ressources de notre planète ne sont pas illimitées [...] il y

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a un plafond à ne pas dépasser, un seuil d'habitabilité à ne pas franchir», confiait en novembre 1991 Jacques-Yves Cousteau au Courrier de ï'UNESCO. L'énergie, on le sait, a deux sources : l'une non renouvelable c o m m e le pétrole et ses dérivés, l'autre renouvelable c o m m e la houille blanche et le bois de feu.

Les gisements de pétrole s'épuisent rapidement. Bien que ce phénomène ait été depuis longtemps prévisible, le m o n d e scientifique n 'a résolument entrepris de rechercher de nouvelles sources d'énergie qu'après la crise du pétrole de 1973. L'apparition de technologies nouvelles laisse espérer qu'on pourra «recourir davantage aux sources d'énergie renouvelables» en mettant au point des techniques permettant de fabriquer de l'électricité à partir de la transformation de déchets végétaux et agricoles (Goldemberg, 1991).

Les pays en développement utilisent surtout le feu de bois pour le chauffage et la cuisson des aliments, mais malheureusement ce sont ces m ê m e s pays qui ne gèrent pas convenablement cette source d'énergie. Il faudrait planter autant d'arbres que l'on en coupe. U n e des causes de la deforestation est justement imputée au fait qu 'on coupe beaucoup plus qu'on ne plante. U n e prise de conscience individuelle et collective, découlant d 'un développement culturel avancé, devra pousser les décideurs de tous les niveaux à rechercher d'autres sources d'énergie ou à mieux utiliser celles qui ne le sont pas suffisamment (énergie solaire, éolienne, courant de marée). Quant à la houille blanche, source principale de l'énergie électrique dans certains pays, elle doit faire face à des problèmes environnementaux résultant du changement du débit normal des cours d'eau sur lesquels on a construit un barrage. L'énergie hydro-électrique reste cependant la moins polluante pour l'environ­nement.

D'après Goldemberg (1991), les pays développés doivent «réduire de moitié leur consommation d'énergie par habitant» et les pays en dévelop­pement accéder à un niveau de vie plus élevé. O n devrait pouvoir «stabili­ser la consommation d'énergie à son niveau actuel tout en prolongeant la durée des réserves existantes». Nous pensons que pour parvenir à un tel résultat il faudra que les habitants des pays développés atteignent un niveau de développement culturel qui leur permette d'accepter de réduire les dépenses d'énergie et ainsi de mieux préserver l'environnement. Les habi­tants du tiers m o n d e devront de leur côté chercher à mieux développer leur niveau d'instruction et s'efforcer d'échapper au piège que représente l'imi­tation aveugle des sociétés de consommation en gardant intact leur identité culturelle.

Pour Villeneuve (1991), un grand nombre de «biens éphémères» (com­m e les automobiles) engendrent le gaspillage d'énergie et de ressources naturelles. Leur consommation est associée à l'«image du bonheur» créée

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par les annonces publicitaires. Par ailleurs, il avance que «l'accumulation des biens ne garantit pas le bien-être». Plus loin, il ajoute :

L'automobile est un des biens éphémères les plus importants dans la société de consomma­tion. Or, une plus grande partie des problèmes environnementaux est liée à la production et à l'utilisation abusive de véhicules automobiles. E n Amérique du Nord, par exemple, on lui attribue près de 40 pour cent de la consommation énergétique totale. La réduction de l'utilisation de l'automobile individuelle est l'un des premiers gestes à proposer au citoyen pour alléger sa pression sur l'environnement.

Divers moyens de pression sont utilisés aux Etats-Unis et dans d'autres pays c o m m e la Suisse pour convaincre les habitants à ne pas utiliser l'automobile. Q u ' u n e telle politique soit acceptée de plein gré suppose que les habitants admettent de collaborer. Il en est de m ê m e quand il s'agit de ne pas gaspiller l'eau durant les périodes de sécheresse et de s'habituer à régler à 19-20° le thermostat du chauffage domestique en hiver.

La population mondiale s'enrichit actuellement de 170 individus à la minute, c'est-à-dire l'équivalent de la population du Canada tous les trois mois. Cet accroissement démographi­que ne vas pas sans inquiéter les écologistes, et pour cause.

D'abord, l'éthique oblige à nourrir, vêtir et loger tous ces nouveaux citoyens du monde . Or, on y parvient assez mal, à cause des inégalités dans la répartition des richesses naturelles. Ensuite, dans le village planétaire, chacun aspire à cette société de consomma­tion qui est l'apanage des pays industrialisés.

Malheureusement le niveau élevé de consommation de ressources naturelles des Nord-Américains et des Européens ne paraît pas accessible, dans l'état des connaissances écologiques actuelles, à l'ensemble de la population mondiale.

D e nombreux auteurs, tel l'agronome français René Dumont , indiquent par exemple que, si toute la planète devait consommer l'énergie au rythme de l'Amérique du Nord, il faudrait simultanément multiplier la production de pétrole par trois, la production de gaz naturel par sept, la production de charbon par dix et le nombre de centrales nucléaires par soixante. Cette hypothèse, qui remettrait en cause la durée des réserves de combustibles, est simple­ment effrayante du point de vue de l'environnement. E n effet, les déchets créés par la production et l'exploitation des ressources énergétiques nécessaires augmenteraient de façon intolérable les précipitations acides, l'accumulation des gaz à effet de serre, et le volume des combustibles irradiés (Villeneuve, 1991).

La biotechnologie et ses applications

Les biotechniques permettent, par modification génétique (génie généti­que), la création rapide et à grande échelle de nouvelles espèces végétales et animales. Celles-ci présentent plusieurs caractéristiques dont : a) un meilleur rendement par hectare ou par unité; b) une résistance efficace aux attaques des insectes prédateurs, aux virus ou aux parasites; c) une faible exigence du point de vue des conditions écologiques (résistance à la sécheresse, aux variations de température, etc.).

Economiquement parlant, ces caractéristiques conviennent bien à l'agri­culture et à l'élevage. Elles résultent d 'un développement culturel très élevé et ne portent pas atteinte à l'environnement. Plusieurs exemples l'illustrent :

Travail, technologie 89

Dans le monde végétal. Les modifications génétiques portent sur les molé­cules (modifications du métabolisme), sur les cellules (modifications de la morphologie) ou sur les organismes (plantes ou animaux supportant mieux le froid, le manque d'eau, etc.). Des essais réalisés sur une quinzaine de plantes ont abouti, et plus particulièrement sur la p o m m e de terre, le maïs, la luzerne et le colza. L'avenir s'annonce très prometteur pour ce qui est d'obtenir des fruits et des légumes (tomates, concombres...) qui répondent aux critères exigés par l'agriculteur et par le consommateur. Des sociétés privées, en collaboration avec des instituts publics de recherche de plu­sieurs pays industrialisés, arrivent à produire et à vendre des semences artificielles résistantes aux pesticides et à des herbicides sélectifs. O n pense que du coton transgénique, par exemple, remplacerait le coton ordinaire qui nécessite une panoplie d'insecticides. D e nouveaux herbicides ont la propriété de détruire les plantes sauvages et de laisser intacte la plante cultivée. Il semble que la sélection de plantes résistantes aux herbicides par adaptation est une opération plus rentable que celle de créer un nouvel herbicide et de le tester. D e plus amples renseignements à ce sujet peuvent être obtenus dans Biotechnologies in perspective, édité par Albert Sasson et Vivien Costarini, U N E S C O , 1991, et plus particulièrement dans l'article de S.S. Filho, «Biotechnologies végétales : évolution et implication». Pour faciliter la mise à exécution des programmes de reboisement et pour varier les ressources naturelles qui fournissent le bois, les recherches s'orientent à l'heure actuelle vers certaines techniques de multiplication des essences forestières grâce à la biotechnologie. O n a ainsi sous la main du peuplier qui croît rapidement. O n peut espérer à l'avenir mener des campagnes de reboisement qui compenseront à un certain degré la deforestation qui sévit dans plusieurs régions.

Dans le monde animal. Les recherches sur l'amélioration de la productivité animale ont porté, en plus des modifications génétiques qui ont donné des animaux transgéniques, sur l'amélioration de l'efficacité des vaccins, donc sur l'immunologie en général et sur les hormones de croissance (la somato-tropine bovine, par exemple, est sans incidence sur la qualité du lait). Les techniques utilisées en embryologie, dans la fécondation in vitro et pour le dépistage de certaines infections microbiennes ( c o m m e le dépistage de la brucellose basé sur la fluorescence) sont améliorées et promettent déjà des résultats spectaculaires.

Des sources proches du Laboratoire international de la recherche sur les maladies des animaux ( I L R A D ) indiquent que les pertes annuelles en tête de bétail dues à la trypanosomiase et à la fièvre (côte est de l'Afrique) sont de trois millions. L a maladie a empêché d'exploiter sept millions de kilomètres carrés pouvant nourrir 120 millions de têtes de bétail et autant de petits mammifères. Les programmes actuels de recherche comptent identifier des gènes résistants au trypanosome, de les transplanter sur des lignées germinales et d'obtenir par hybridation, par transfert d'embryons et

90 Développement culturel et environnement

grâce à d'autres techniques similaires, une descendance de bovidés résis­tante aux maladies locales. Plusieurs pays africains (dont l'Ethiopie, le Kenya, la Somalie, la Zambie, etc.) sont arrivés, grâce au génie génétique, à la découverte de vaccins préparés localement ou, suite à une vaste opération de domestication de nouvelles races, à augmenter leur cheptel d'une manière spectaculaire. A u Nigéria, par exemple, les vaccins antivi­rus et antibactéries ont permis de multiplier la production du lait et de la viande. (Clark & Juma, 1991).

Les écotechnologies

Avant d'être des applications de la biotechnologie, les écotechnologies tentent de réduire la pollution en général. U n exemple qui commence à prendre corps dans plus d'un pays est celui de l'utilisation de l'essence sans plomb dans les moteurs des véhicules de transport. Cette pratique est capable de réduire les nuisances de la combustion de l'énergie fossile qui provoque la dégradation écologique de l'atmosphère. Il en est de m ê m e de la réduction des engrais chimiques et des déchets dangereux pour la géosphère, de la diminution des effets des pesticides et des hormones sur la biosphère. Toutes ces applications ne peuvent réussir sans le consentement volontaire du consommateur et sans qu'il ne soit convaincu de leur influen­ce bénéfique sur l'environnement.

Ces mesures ne retardent pas la croissance économique. O n a découvert et employé des micro-organismes à activité enzymatique développée. Ils permettent de lutter contre la pollution et ne perturbent pas les conditions écologiques du milieu. Pour disperser les nappes de pétrole répandues à la surface de la mer après un accident qui aurait éventré un pétrolier, par exemple, des micro-organismes spécifiques, découverts par la science, sont capables de «digérer» le pétrole. Il en est de m ê m e des micro­organismes qui aident à détruire certains déchets toxiques et à épurer les eaux usées. A l'heure actuelle, on cherche à prévenir la production de déchets industriels ou à les recycler. Les micro-organismes sont de plus en plus utilisés pour aider à la biodégradation sans porter atteinte à l'environ­nement. A u contraire, grâce aux nouvelles techniques, le traitement des polluants est générateur d'engrais (compost), d'eau propre recyclable (uti­lisée souvent dans l'irrigation) et d'énergie (alcool et gaz).

Le rôle de la technologie de la communication et des médias électroniques

U n e société qui a atteint un niveau élevé de développement culturel est en mesure de mettre les nouvelles acquisitions technologiques de la communi ­cation au service de la protection de l'environnement. Ainsi des bases de données seront établies pour réunir les renseignements concernant des études

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de cas, des solutions de problèmes environnementaux et des applications ayant réussi dans certains pays, des études bibliographiques, l'état d'avan­cement de la biotechnologie, les nouvelles techniques de la restauration des richesses artistiques, des vieux monuments, des sites archéologiques, etc.

Les médias les plus perfectionnés, électroniques et autres, permettront de diffuser rapidement des informations exactes concernant les accidents portant atteinte à l'environnement (tel celui de la centrale nucléaire de Tchernobyl). E n attendant de pouvoir éviter les catastrophes naturelles, toutes les informations qui se rapportent à leur prévention doivent être communiquées à la population et aux différents centres des services pu­blics pour essayer de limiter leurs effets ravageurs. E n un mot , la c o m m u n i ­cation doit pouvoir utiliser toute la technologie disponible pour renforcer les mesures de sécurité à prendre face aux catastrophes. Elle doit de m ê m e renseigner la communauté mondiale sur l'état de l'environnement : par exemple, sur l'état de l'amincissement de la couche d'ozone et sur l'éten­due de la nappe de pétrole qui se serait formée après un accident survenu à un pétrolier ou à une rampe d'extraction en pleine mer {offshore), sur le transfert des déchets industriels dangereux (minéraux lourds) et sur leur destination, etc.

L'accès à l'information est une condition permettant de contribuer à la sauvegarde de l'environnement. Il n'est pas l'apanage des pays développés mais doit s'étendre aussi aux pays en développement. Sur le plan internatio­nal, un réseau d'information utilisant les médias électroniques doit pouvoir fonctionner pour recevoir et communiquer l'information sur l'environne­ment à tout m o m e n t . U n e telle activité n'est possible que si le niveau culturel général est suffisamment élevé et les moyens financiers disponibles. Les décideurs et les responsables politiques seront ainsi les premiers à être informés des données scientifiques concernant l'environnement, ce qui leur permettra de prendre les décisions qui s'imposent au m o m e n t propice. C'est à cela que faisait allusion F . Mayor (1990), lors de l'ouverture de la réunion sur «La science et la technologie pour l'avenir de l'Amérique latine» :

Les institutions, les organisations et les individus qui s'efforcent de résoudre ces problèmes [problèmes écologiques créés par l'expansion démographique] ont besoin, compte tenu de la complexité de ces derniers, d'informations scientifiques qui leur permettent de décider en connaissance de cause. Il est nécessaire d'encourager la planification à long terme en tant que fondement de toute stratégie dans des domaines c o m m e la gestion des ressources en eau et ses conséquences écologiques. Le fait de disposer d'informations d'ordre scientifique parmi les connaissances exploitées pour la prise des décisions contribuera sans aucun doute à réduire la tendance à différer 1 ' adoption des mesures politiques qui s ' imposent (dans les pays industrialisés c o m m e dans les pays en développement) jusqu'au m o m e n t où elles finissent par se révéler moins efficaces et d'une application plus difficile et plus coûteuse.

Le transfert de technologie

Les pays en développement doivent profiter de l'avancement des sciences. Selon l'importance de leurs moyens financiers, ils attireront les investisse-

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ments étrangers et leurs techniques de pointe. Des techniciens spécialistes seront formés dans ces pays, ce qui contribuera à leur développement culturel et économique. Des mesures devront être prises sur le plan politi­que international pour partager avec les pays en développement les nouvel­les acquisitions technologiques des pays développés. E n m ê m e temps, il faudra résoudre équitablement, et dans un esprit qui reconnaît l'importance de la coopération scientifique internationale, le problème du transfert de la technologie pour le plus grand bien de la communauté mondiale. La disette et la famine seront ainsi mieux combattues et le niveau de l'humanité, dont parle Siegfried, permettra d'atteindre une vie plus digne et un environne­ment que les écotechnologies aspirent à protéger.

Le transfert de technologie a c o m m e n c é par être, dans les années soixan­te-dix, un problème d'ordre politique. U n e atmosphère propice, sur le plan international, à la création de capacités technologiques dans les pays en développement commence à prendre corps. La perspective d'investir dans les équipements et de moderniser les installations qui pourraient exister dans certains pays réclamant le transfert de la technologie a aplani les difficultés d'ordre économique. Mais il reste cependant beaucoup à faire sur le plan financier et certains pays en développement sont de ce point de vue dans l'incapacité de suivre l'évolution technologique.

Des mesures d'ordre fiscal doivent être prises dans les pays développés pour inciter les institutions impliquées dans la mise en application de la nouvelle technologie à venir investir dans les pays en développement. A u préalable, un noyau de ressources humaines indigènes doit être formé technologiquement dans le pays exportateur. La présence d'une infrastruc­ture locale, nécessaire à une exploitation efficace, est une condition préala­ble à tout transfert de technologie. Les compétences de ceux qui collabo­rent à l'exploitation de nouvelles technologies dans un pays en développe­ment sont tributaires de leur niveau culturel.

Parmi les nombreuses conditions que pose le «Rapport sur le transfert de la technologie», proposé par le Comité préparatoire de la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement, nous citerons les deux points suivants :

Le transfert de technologie doit être respectueux de l'environnement, mais aussi de l'intérêt des femmes et des enfants; il doit intégrer les techniques et connaissances locales, et utiliser le matériel existant localement. Il doit promouvoir des méthodes de production respectueu­ses de l'environnement et équitables à la préservation des espèces.

Les femmes doivent avoir accès aux technologies appropriées qui leur sont habituelle­ment fermées et les maîtriser pour améliorer la qualité de la vie tant pour elles-mêmes que pour leurs enfants et leur donner plus de possibilités de continuer à assumer leur rôle capital de gestionnaires, de gardiennes et de productrices de ressources (document A / C O N F . 1 5 1 / P C / 5 3 , 1991).

En conclusion, rappelons que le travail est un devoir et un droit de l ' h o m m e et de la f e m m e . Il est aussi, selon le proverbe arabe, «orfèvre de l'esprit». Nous avons vu combien il lui est bénéfique d'être entrecoupé par des

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périodes de repos, ne serait-ce que parce que les vacances et les congés sont une occasion pour chacun d'élargir sa culture. A quoi bon le progrès scientifique s'il ne réduit pas la fatigue physique des travailleurs et ne facilite pas leur tâche. Ces derniers sont appelés à perfectionner leurs connaissances et à les mettre sans cesse à jour. Les conditions de travail doivent être d 'un niveau élevé, permettant la sauvegarde de l'environne­ment et la protection de la qualité de la vie tant pour le bénéfice de l'individu que pour celui de la communauté.

Les activités culturelles des travailleurs s'effectuent généralement en dehors des heures de travail. C e sont là des besoins essentiels, au m ê m e titre que les services publics ou les possibilités de s'instruire. L e travailleur cultivé c o m m e tout bon citoyen contribue à la protection de l'environne­ment par son comportement personnel exemplaire, par la surveillance étroite du milieu de travail qu'il fréquente et par sa volonté d'économiser l'énergie et de réduire le gaspillage. Sa responsabilité civile et morale est fonction de sa culture personnelle.

U n technicien supérieur et un diplômé de l'université doivent prévenir dans leur travail tous les risques pouvant porter atteinte à l'environnement, que ce soit par les machines qu'ils utilisent ou dans la recherche de nouveaux produits et de matériels performants. Les sources énergétiques renouvelables doivent respecter l'intégrité de l'environnement. L a c o m ­bustion des carburants fossiles, qui sont en train de s'épuiser, est l'une des premières causes de la pollution atmosphérique. Mais la recherche actuelle tend à trouver, grâce à la nouvelle technologie, de l'énergie non polluante.

Dans le domaine des biotechnologies, la technique peut devenir une arme à double tranchant. Certes, il y va de l'intérêt de l'humanité d'accroî­tre la productivité végétale et animale. Mais la précaution doit être de règle. Les nouvelles espèces introduites dans un milieu peuvent faire courir des risques à la santé de l ' h o m m e , à la survie des êtres vivants natifs de ce milieu. Il faut donc procéder étape par étape et assurer une surveillance continue de tout produit nouvellement inséré dans un environnement. Si la biotechnologie risque de créer des problèmes nouveaux à la santé publique, bien des dispositions contribuent à nous prémunir contre d'autres. C'est pourquoi la médecine préventive, plusieurs aspects de l'hygiène du travail, dont le respect des consignes de sécurité n'est pas le moindre, figurent parmi les sujets qui seront traités au chapitre suivant.

CHAPITRE IV

Santé publique, développement culturel y^^Ji^^ et environnement /f/

V ; •

INTRODUCTION

«Une â m e saine dans un corps sain», maxime latine très ancienne et universellement adoptée, a son équivalent dans plus d'une langue. Elle définit l'état idéal de tout individu en bonne santé. O n pourrait étendre la portée de cette formule à la vie communautaire en constatant qu'une bonne santé publique dépend d'un environnement en équilibre et bien conservé. Il faut dire que dans un milieu où règne la propreté et où triomphe l'hygiène, la santé de la population se traduit par la sensation d'être en forme. Ces réflexions suggèrent une nouvelle formule : une bonne santé publique au sein dun bon environnement.

C o m m e première conséquence de cet état de fait, une mauvaise hygiène générale est souvent liée à un sous-développement. Le développement socio-économique se manifeste donc par une meilleure santé, c'est-à-dire qu'il s'accompagne de très peu de maladies infectieuses et parasitaires. Le sous-développement se double souvent de pauvreté, donc de dégradation de l'environnement, dont les corollaires sont la sous-alimentation, l'eau insalubre, un logement malsain et toutes sortes de maladies. D ' u n autre point de vue, de nombreux problèmes de santé, parfois «d'ordre psycholo­gique», sont dus, si l'on en croit le professeur suédois Lennart Sjobert (1989), à «la nocivité notoire des comportements» humains individuels. Il en est ainsi des conséquences du tabagisme et de l'alcoolisme, notamment, qu'on peut éviter en adoptant des habitudes plus rationnelles. E n effet, bien que souvent conscient des méfaits de ces deux problèmes, l ' homme conti­nue à absorber des produits nocifs à sa santé. C'est donc sans surprise que, dans son article sur «Les comportements humains et les changements de l'environnement planétaire : approche psychologique», nous voyons le professeur Sjöbert estimer que . . .

de nombreux problèmes environnementaux (problèmes d'ordre psychologique) sont égale­ment de cette nature : ils sont le résultat d'actions humaines volontaires, qu'il devrait être

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possible de modifier en incitant les gens à se conduire différemment. Toutefois, il s'est avéré jusqu'à présent très difficile de modifier les comportements de manière durable et profonde (Idem).

L'hygiène personnelle, les croyances ancestrales et religieuses, le respect de soi, l'amour de la propreté et tout ce qui se rapporte à la culture et à la civilisation d'un peuple déterminé ont une influence directe sur l'état de sa santé et par conséquent sur la préservation de son environnement. Les habitudes alimentaires, le choix et la variété de la nourriture, la manière de cuisiner peuvent eux aussi nous éclairer sur l'état de la santé dans une collectivité particulière. Les régimes alimentaires formés uniquement de produits laitiers ou qui sont strictement végétariens ou strictement carnés favorisent les maladies par carence.

Dans un article intitulé «Biologie moléculaire du stress associé à des facteurs d'environnement», le professeur C . A . Pasternak (1991) (membre du Comité exécutif du Réseau global pour la biologie moléculaire et cellulaire de l ' U N E S C O ) , après avoir défini le stress et montré ses rapports avec les maladies, en arrive à certaines conclusions :

11 ressort très nettement de tout cela que la distinction entre esprit et matière, entre affection psychosomatique et maladie organique, ne peut plus être maintenue. Le fonctionnement de l'esprit exerce un effet direct sur l'organisme, car les neurotransmetteurs sécrétés par le cerveau affectent le fonctionnement d'organes c o m m e les intestins, le coeur et le foie. U n e personne heureuse, détendue, est en meilleure santé qu 'un individu déprimé et stressé. Inversement, le corps influe sur l'esprit, en passant également par les neurotransmetteurs, les hormones et les molécules immunisantes; le degré de satisfaction des besoins nutritifs — la concentration du glucose, des vitamines et des minéraux dans le sang — a son rôle à jouer. U n sujet dispos et en bonne santé est plus apte à faire face aux épisodes stressants de l'existence, et à les surmonter, qu'un malade, un drogué, un alcoolique ou une personne exposée à la pollution.

Avant de poursuivre, disons que toutes les formes du développement doivent se compléter et se soutenir pour réaliser un équilibre entre la santé, la culture, le développement matériel, économique et social. U n exemple :

Les historiens ont largement commenté l'intervention progressive des Romains en Grèce, commencée après la mort d'Alexandre le Grand en 323 av. J.-C. et leur succès dans la transformation de ce pays en province romaine en 146 av. J.-C. Ils ont cherché à établir un lien entre la conquête romaine, l'anarchie régnant alors en Grèce et la propagation du paludisme dans le Péloponnèse, les îles Ioniennes, les Cyclades, les Sporades et la Crète. C e serait cette maladie qui aurait affaibli progressivement le peuple grec malgré son haut niveau culturel. Cet exemple, bien qu'il ne soit pas solidement fondé, tendrait à montrer que la culture d 'un pays ne peut pas à elle seule résister à une force matérielle supérieure, représentée par une armée étrangère. Pour montrer en quoi ce problème est lié à l'environne­ment, ajoutons que le paludisme est transmis par un moustique, l'anophèle, qui pond ses œufs dans l'eau et singulièrement celle des marécages. L a contagion est donc favorisée par le déboisement et l'eau stagnante : deux problèmes environnementaux.

96 Développement culturel et environnement

Les sociologues ont remarqué qu'actuellement les gens rendent plus souvent visite à leur médecin et subissent davantage d'examens médicaux. Ceci dénote un changement dans leur conception de la vie et dans leurs manières de prévenir les maladies. E n effet, après la Deuxième Guerre mondiale, la pharmacologie, 1'epidemiologic et la chirurgie ont réalisé un bond en avant spectaculaire. Des médicaments miracles (antibiotiques et autres), des techniques chirurgicales révolutionnaires (greffe d'organes, entre autres), la découverte de nouveaux vaccins (contre la poliomyélite, notamment), enfin une technologie instrumentale de pointe (différentes sortes de prothèse, scanner et autres appareils de dépistage) ont suscité des changements dans les modes de vie et continuent d'imprégner plus que jamais notre comportement, nos réactions et nos traditions sociales. D'après Urevbu (1991), citant le scientifique américain Emmanue l G . Mesthene, celui-ci «fait valoir que "le changement technologique devance les méthodes traditionnelles d'analyse de m ê m e qu'il périme de nombreu­ses institutions et valeurs établies de la société"». Par ailleurs, Mesthene tient que «l'émergence de technologies nouvelles a toujours généré des changements sociaux».

Nous essayerons de voir quelle relation existe entre une mauvaise hygiè­ne et la dégradation de l'environnement, puis les mesures de prévention, les habitudes de propreté, les habitudes alimentaires, et enfin les croyances, les attitudes, les comportements et la santé.

MAUVAISE HYGIÈNE ET DÉGRADATION DE L'ENVIRONNEMENT

Quels liens existe-t-il entre la pauvreté, la mauvaise santé, le manque d'éducation et le sous-développement ? E n quoi consiste une mauvaise hygiène et quelles en sont les répercussions sur la dégradation de l'environ­nement ? Les problèmes de la santé ont-ils une relation avec le développe­ment culturel ? Autant de questions auxquelles nous tenterons de répondre.

La mauvaise hygiène

Elle se traduit par une eau insalubre, un logement malsain, des carences nutritives, une élimination incomplète des déchets domestiques, etc. L'eau est un corps vital nécessaire à tout être vivant. Sa pureté et sa

salubrité sont indispensables au maintien d'une bonne santé. Sa pré­sence en quantité suffisante est nécessaire à l'hygiène personnelle et à la propreté en général. L'eau contaminée par des germes pathogènes est le vecteur de plusieurs maladies dont les plus répandues sont les crises répétées de diarrhée (d'après différentes sources, il y aurait eu un

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million et demi d'enfants morts de diarrhée dans le m o n d e en 1989). Les pénuries d'eau réduisent les pratiques d'hygiène corporelle, le lavage des légumes et des fruits, la lessive, l'élimination des excréments humains, la propreté des maisons. Lorsqu'il n 'y a pas suffisamment d'eau à boire, il est difficile d'en consacrer aux activités ménagères quotidiennes. D'ailleurs, pour apprécier l'eau à sa juste valeur, il suffi­rait d'observer le comportement des nomades et des Bédouins des steppes désertiques et sèches du Moyen-Orient, le lendemain d'une nuit printanière exceptionnellement pluvieuse. O n les voit accourir de par­tout vers les routes asphaltées qui coupent la monotonie sablonneuse des surfaces dénudées. Ils s'agglutinent avec leurs burnous noirs autour des flaques d'eau qu'ils écopent avec un récipient métallique pour verser le précieux liquide dans des outres en peau de chèvre. O n dirait des abeilles assoiffées autour d'une goutte de nectar.

Un logement malsain se caractérise par son exiguïté relativement au nombre de personnes qui l'occupent, son manque de lumière, son humidité. L'espace vital réservé à chaque personne est un facteur primordial dans l'hygiène de l'habitat. L'ensoleillement, l'isolation, l'étanchéité, le bon équipement sont autant de qualités qui font appré­cier un foyer.

La qualité et la quantité de la nourriture entrent en ligne de compte dans le maintien en bonne forme physique de l'être humain. Les trois repas quotidiens, leurs variétés en protides, lipides et glucides, leur richesse en vitamines et en oligo-éléments éliminent les troubles dus aux caren­ces alimentaires. L'hygiène des aliments, leur propreté, leur présence en quantité suffisante et équilibrée permettent croissance et bonne santé.

Les déchets de toute sorte peuvent devenir des milieux de cultures aux germes et microbes pathogènes s'ils ne sont pas éliminés quotidien­nement et d'une façon qui respecte les règles de l'hygiène.

Dans un environnement humain où l'insuffisance de l'instruction règne, où la population est pauvre et souffre de malnutrition, les ressources naturelles (eau souterraine, bois de chauffage, oiseaux, poissons, etc.) sont exploitées au m a x i m u m . L'eau des nappes phréatiques est polluée par les déchets humains, son niveau s'abaisse suite à une surexploitation par pompage excessif. Des arbres sont abattus à seule fin d'utiliser leur Dois pour la cuisson des aliments et pour le chauffage des habitations. Les oiseaux et les mammifères de l'entourage sont pourchassés et m ê m e exterminés pour leur chair. Les poissons des rivières et des lacs diminuent à leur tour, victimes d'une pêche intensive. Certaines espèces disparaissent ou sont en voie de disparition (Tohmé & T o h m é , 1981).

Suite logique d'une démographie inquiétante parce que toujours crois­sante, la pauvreté en épouse le rythme et devient à son tour galopante. Les maladies infectieuses et la sous-alimentation sont suivies par une dégrada-

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tion progressive de l'environnement. Le développement général et le déve­loppement culturel sont les premiers à pâtir des conséquences d'une telle situation. Il est rare de constater que des gens souffrant de malnutrition et continuellement préoccupés par leurs besoins de survie quotidiens puissent trouver du temps libre à consacrer à des activités d'ordre culturel.

Les problèmes de santé

Les problèmes de santé varient d'une région à l'autre et dépendent des écosystèmes, du climat, de la présence de vecteurs de maladies parasitai­res, des activités culturelles, des traditions sociales, du niveau économique de la population. E n outre, dans les pays en développement, l'évolution des maladies et leur aggravation varient d'une contrée à l'autre selon le niveau éducatif et culturel des habitants. Des comparaisons de statistiques sanitai­res établies entre régions riches et régions pauvres ont montré une liaison étroite entre pauvreté et différentes sortes de maladies (transmissibles, non transmissibles, psychosociales, parasitaires).

Paradoxalement, c'est la pauvreté et le manque de développement, aussi bien en milieu urbain qu'en milieu rural, qui sont liés à la croissance démographique et aux maladies qui en découlent. C'est l'ignorance, sur­tout celle des mères, qui est à la base de l'absence de tout développement. L'accès à l'éducation et à l'information, tout au moins grâce à la radio et à la télévision, permettra aux adultes et aux enfants de modifier leurs c o m ­portements face aux problèmes de santé. Les campagnes pour la vaccina­tion précoce des enfants, par exemple, menées avec succès par l ' U N I C E F aussi bien dans les pays développés que dans les pays en développement, ont abouti aux résultats prévus. Plus on élargit le champ de l'information et plus les attitudes prises à l'égard de la santé et de l'environnement porte­ront leurs fruits.

Certaines maladies congénitales sont directement transmises aux en­fants, probablement par des mères ignorantes et malades (affections cancé­reuses du foie, notamment, dans les régions tropicales). Nous n'entrerons pas dans le détail de ces maladies. Mais combien en aurait-on évité si le développement culturel des parents avait atteint un niveau plus élevé ?

Si le développement économique est le but exclusif des individus et de la société, beaucoup de problèmes de santé sont créés en essayant d'en atteindre un niveau meilleur. Pour illustrer cet état de fait, nous prendrons trois exemples : a) les accidents dus aux pesticides; b) les maladies propa­gées par la mise en valeur des ressources en eau; c) le déséquilibre sanitaire de l'environnement urbain.

Afin d'améliorer la production agricole et augmenter son rendement, nous avons vu plus haut que V utilisation des pesticides est largement répandue dans le monde. U n point reste cependant à signaler, ce sont les conséquen-

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ces mortelles, bien qu'involontaires, dues à une mauvaise gestion de ces produits et à une ignorance de leur m o d e d'emploi. E n effet, des paysans mal informés de la nécessité d'une protection efficace et suffisante mani­pulent improprement des produits dangereux et courent le risque de s 'em­poisonner. C'est donc souvent l'ignorance qui est la première responsable, car plusieurs enquêtes ont démontré que là où les utilisateurs avaient atteint un certain degré d'éducation, ils respectaient les consignes de sécurité, restaient disciplinés et prenaient plus de précautions dans leurs activités. Nous avons là un des meilleurs exemples montrant qu'il existe bien une étroite relation entre l'éducation, le développement culturel, la santé et l'environnement.

La schistosomiase est une maladie parasitaire qui se propage là où les systèmes d'irrigation et les réservoirs d'eau sont en train de se multiplier en Afrique et au nord du Brésil. C'est l'habitude qu'ont les paysans de se déplacer pieds nus dans l'eau qui favorise la propagation de la maladie car les larves infestantes pénètrent dans l'organisme en traversant la peau. O n estime à six cent millions le nombre de personnes exposées. Pour obtenir plus de terrains irrigués, on expose donc des paysans ignorants à l'un des plus graves problèmes de santé des temps modernes. Il en va de m ê m e d'une autre maladie parasitaire, la filariose, qui pourrait elle aussi atteindre plusieurs centaines de millions de personnes travaillant à la mise en valeur des ressources en eau pour l'agriculture et pour les besoins domestiques.

Suite à l'industrialisation très intense de plusieurs centres urbains, une migration importante s'ejfectue de la campagne vers la ville. D ' o ù un besoin croissant de logements adéquats et sains, dans ces banlieues tou­jours bondées de chercheurs d'emploi. L a population de ces centres ur­bains a un continuel besoin d'énergie, d'air pur non pollué, d'espace vert, de terrains de sport, etc. U n e certaine détérioration de l'environnement s'y ressent jour après jour. Ajoutons à cela les soucis psychosociologiques auxquels sont sujettes les familles qui y vivent généralement à l'étroit. Les conditions sanitaires sont désastreuses dans tout milieu acculé à la surpo­pulation.

Ces trois exemples sont malheureusement là pour nous rappeler les graves atteintes à la santé, à l'environnement et aussi au développement culturel, qui, paradoxalement, sont souvent les corollaires de la recherche d'une vie plus décente sur le plan économique.

L A PRÉVENTION DES M A L A D I E S ET DES ACCIDENTS

Des proverbes issus de plusieurs langues font l'éloge des mesures à pren­dre pour éviter les maladies. A u français «Mieux vaut prévenir que guérir»

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correspond l'arabe « U n dirham de précaution vaut mieux qu'un quintar de traitement». (Rappelons que le dirham et le quintar sont d'anciennes unités de mesure de masse représentant respectivement 2,5 grammes et 250 kilogrammes.) Prendre des mesures susceptibles d'éviter les maladies devrait faire partie de la culture quotidienne des peuples et des individus. Ces mesures, lorsqu'elles existent, prévoient toutes une réelle coordination avec des campagnes tendant à sauvegarder l'environnement naturel. Mais toutes se ramènent à deux points essentiels : a) la conviction individuelle qu'il faut faire passer la prévention en priorité; b) la volonté des c o m m u ­nautés de respecter l'environnement en m ê m e temps que de préserver la santé. Pour y réussir, un certain niveau d'éducation est indispensable et une campagne d'information doit être continuellement entretenue.

Attitudes et convictions personnelles

C'est par l'éducation qu'on peut convaincre les individus de la nécessité de se former à des attitudes qui permettent d'éviter les accidents et les mala­dies. Lorsqu'on est suffisamment instruit des causes de ces dernières et de leurs modes de transmission, il est facile de s'éloigner des croyances populaires et des légendes. E n sens contraire, comment faire admettre à un ignorant, imbu de fausses idées archaïques, qu'il faut se laver les mains avant de manger vu qu'elles peuvent être souillées par des germes, s'il s'entête à croire que la maladie est le signe d'une colère mystique et s'il ne croit pas à la présence de germes pathogènes ? C o m m e n t se comporter face à un ignorant qui ne voit aucun mal à ce que des insectes, en l'occurrence des mouches, se posent sur sa nourriture et y déposent des microbes ou des parasites microscopiques lorsqu'il vous rétorque qu'il ne croit qu'en ce qu'il voit et que pour lui les microbes n'existent pas puis­qu'ils sont invisibles à ses yeux. A u m o n d e des ignorants, les exemples de ce genre foisonnent.

Autres exemples : l'influence du fatalisme qui conduit au refus de mettre la ceinture de sécurité dans les voitures ou de porter un casque sur le chantier puisque, d'après les fatalistes, la mort arrivera en son temps et que ni la ceinture ni le casque ne pourront l'arrêter. Nous reviendrons plus loin sur l'absurdité d 'un tel raisonnement. Mais ces attitudes nous invitent à parler pour l'instant de la prévention routière et des précautions à prendre sur les lieux de travail pour éviter les accidents. — L a précaution routière consiste à établir une réglementation qui gère la

circulation des véhicules et le déplacement des piétons. L'essentiel est que les individus suivent cette réglementation et la respectent pour contribuer à réduire le nombre des accidentés. Parmi les causes de la mortalité, les accidents de voiture occupent la troisième place dans la plupart des pays industrialisés (après les maladies du cœur et le cancer).

— Beaucoup d'accidents graves peuvent être évités dans les industries à risque, sur les chantiers de construction si les ouvriers, les contremaî-

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tres, les ingénieurs sont suffisamment vigilants. Il suffit parfois de quelques secondes d'inattention pour provoquer un accident grave. C'est par l'éducation qu'on parvient à inculquer à chacun le sens de la responsabilité et le respect du code de la sécurité. Plus le niveau intellectuel des ouvriers sera développé et plus élevé sera ce sens.

La volonté des communautés de prévenir les maladies

Des maladies redoutables, à caractère épidémique, ont été complètement enrayées grâce à la volonté de la communauté mondiale qui s'est liguée pour les combattre. C'est le cas, par exemple, de la variole. L a vaccination a permis ainsi d'éviter la propagation de nombreuses maladies et la mission de l'Organisation mondiale de la santé ( O M S ) s'est couronnée de succès dans nombre de domaines. U n e autre organisation des Nations Unies chargée, elle, des problèmes de la mère et de l'enfant, l ' U N I C E F , m è n e une campagne d'information internationale et met à exécution, dans des dis­pensaires appropriés, une vaste opération de vaccination contre les mala­dies autrefois les plus fréquentes. Les municipalités, les autorités sanitaires locales, les institutions scolaires et les entreprises répondent favorablement à une telle initiative.

A propos des vaccins et de la prévention, on peut lire au point 8 d 'un document du Comité préparatoire de la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement (troisième session, Genève, 12 août-4 septembre 1991) :

D e gros progrès ont également été réalisés dans le domaine de la santé grâce à la mise au point de nouveaux vaccins ou à l'amélioration des vaccins existants qui présentent désor­mais une plus grande sécurité et offrent une meilleure protection contre tout un ensemble de maladies transmissibles. Les découvertes effectuées en immunologie fournissent une pro­tection contre plusieurs maladies au m o y e n de vaccins polyvalents uniques. U n nombre de plus en plus importants de vaccins sont administrés par voie orale, ce qui élimine les risques associés aux injections. A u cours de la prochaine décennie, on devrait pouvoir disposer de vaccins contre les maladies parasitaires, les maladies transmises par les protozoaires et contre certains virus c o m m e ceux qui sont à l'origine du S I D A . D'importants progrès ont déjà été réalisés en matière de diagnostic grâce aux anticorps monoclonaux et aux sondes d'acide nucléique. Les ventes dans ce secteur représentent déjà un chiffre d'affaires annuel de plus de 1,5 milliard de dollars des Etats-Unis. Des produits c o m m e les hormones, les activateurs de croissance et les facteurs permettant de contrôler, d'activer ou d'empêcher la prolifération des cellules, sont déjà mis à l'essai ou sont déjà disponibles. Les travaux menés pour mettre au point des agents contraceptifs sûrs, d'une grande efficacité et dont l'action serait réversible, pourraient faire progresser les programmes de planning familial. L'élaboration de produits destinés à traiter la stérilité est également très avancée (document A / C O N F . 1 5 1 / P C / 6 7 ) .

Ajouter à la prévention, les campagnes de dératisation dans les villes, l'évacuation des eaux stagnantes et usées dans les régions rurales pour empêcher la pullulation des insectes. D'autres campagnes sont entreprises dans différentes régions du monde pour 1'eradication de certaines maladies

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redoutables, telles que la rage. E n effet, cette maladie, transmise par la morsure d'un chien ou d'un autre mammifère enragé et dont le vaccin fut découvert par Pasteur en 1886, reste à l'état endémique dans plusieurs régions du m o n d e . Les foyers d'infection sont surtout les chiens errants, les chacals, les renards, les fouines ou d'autres carnivores et insectivores sauvages. Mener une campagne sans merci contre ces animaux va à ren­contre de la préservation de la faune. U n e technique a été mise à jour permettant de les vacciner contre la rage. Elle consiste à distribuer dans les forêts et les campagnes des têtes de poulet portant une capsule fine enfer­mant le vaccin et munie d 'un denticule qui se brise facilement. Aussitôt ingérée par l'animal, la capsule libère le vaccin. Nous tenons là un bel exemple du souci qu'ont les sociétés évoluées sur le plan culturel de combattre les maladies en ménageant l'environnement.

U n autre exemple, qui va dans le m ê m e sens, est celui de l'assèchement de certaines zones marécageuses. Si l'eau stagnante favorise la ponte et la multiplication des moustiques anophèles qui transmettent le paludisme, il est logique de penser à l'assèchement de ces marécages pour enrayer cette maladie. Or les marécages forment un écosystème indispensable à la vie des oiseaux aquatiques (canards, grèbes, râles, foulques, etc.). Les drainer ou les combler provoquerait un désastre écologique. Diverses techniques ont été mises à jour pour concilier la protection de la santé et la préserva­tion des écosystèmes aquatiques. Elles témoignent du niveau culturel élevé des utilisateurs.

HABITUDES ALIMENTAIRES ET SANTÉ

Les habitudes alimentaires sont entrées dans la culture des peuples et restent très complexes. Elles varient d'une région du m o n d e à l'autre et parfois dans un m ê m e pays. Elles portent sur ce que l'on mange, la manière de cuisiner, les ingrédients qu 'on ajoute aux différents plats, le nombre de repas quotidiens, les heures où l'on prend sa nourriture, la composition de celle-ci, les sauces, les desserts, les salades, la boisson. Il faudrait ajouter à la liste des habitudes alimentaires de chaque jour, les festivités culinaires des grandes occasions populaires ou familiales : repas des grandes fêtes religieuses ou nationales, des mariages, des anniversaires, des décès, etc.

Les heures des repas et le temps consacré à prendre sa nourriture varient en fonction du rythme du travail et de sa nature. Dans les pays développés c o m m e dans certains pays en développement, les plats non cuisinés prennent le dessus sur les repas complets. L a restauration rapide (le fast food des Américains) trouve une large clientèle chez les adoles­cents et les jeunes qui recherchent, dans les restaurants qu'ils fréquentent, la rapidité du service, la propreté des lieux, et, dans les mets qu'ils choisissent, la constance de leur bonne qualité et la réputation qu'ils

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affichent de permettre, à ceux qui les consomment, de suivre un régime alimentaire plus conforme aux besoins nutritionnels. L a convivialité que les adultes cultivent en fréquentant des restaurants traditionnels est rem­placée ici par des restaurants où les rencontres des jeunes sont plus bruyantes. U n repas rapide permet aussi au client de mieux disposer de son temps libre.

Y a-t-il une corrélation entre les habitudes alimentaires d 'un pays et certaines affections et maladies spécifiques plus répandues dans ce pays ? Divers chercheurs se sont penchés sur cette question sans toutefois arriver à un jugement définitif. Si certaines habitudes alimentaires se révèlent m a u ­vaises pour la santé, quel rôle l'éducation et l'information doivent-elles jouer pour arriver à les éliminer ? Dans une revue sur l'évolution des régimes et des comportements alimentaires, A . Sasson (1986) décrit les changements survenus dans le régime alimentaire des Français entre la fin du X I X e siècle et 1980. O n peut les résumer par les points essentiels suivants : réduction de la quantité d'alcool ingéré, remplacé souvent par des boissons sucrées non alcoolisées; consommation plus élevée de viande résultant d'une élévation du niveau de vie; diminution de la quantité de pain, de légumineuses, de beurre; augmentation des huiles d'origine végé­tale, des friandises sucrées, etc.

Les comportements individuels et les habitudes particulières à un pays, voilà les deux points que nous aimerions soulever à présent.

Les habitudes alimentaires individuelles

Les habitudes alimentaires de chacun influencent sa santé et son comporte­ment. Elles portent sur le respect de l'horaire des repas, sur les excès de la gourmandise, sur le temps qu 'on met à bien mastiquer la nourriture, sur la propreté des mains, des légumes, sur l'adaptation enfin à chaque individu d'un régime alimentaire qui tiendrait compte de son âge, de son poids, de la nature de son travail, en s o m m e de ses besoins en énergie (calculés en kilocalories). — Il est recommandé que trois repas quotidiens équilibrés se partagent la

journée de travail. Généralement, on accorde plus d'importance à l'un des repas : celui du matin ou celui pris en fin d'après-midi, c'est-à-dire dès la sortie du travail dans certains pays (aux Etats-Unis, par exemple), le repas du midi dans d'autres ou celui pris vers 14 heures (dans les pays méditerranéens et chauds). Certaines personnes se contentent de deux repas, à midi et le soir ou le matin et le soir. Respecter l'horaire des repas est très important pour la santé individuelle.

— «L'excès en tout nuit», dit un proverbe. Dépasser les limites des besoins alimentaires quotidiens est mauvais pour la santé. O n cite la mauvaise habitude de trop sucrer ou de trop saler les aliments et la bonne habitude de boire plus d'un litre d'eau par jour à la place d'un excès de sirops et

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de rafraîchissements. Il en est de m ê m e de l'excès dans la consomma­tion de l'alcool. Acquérir de bonnes habitudes culinaires, jointes à un respect rigoureux des règles d'hygiène, garantit une réduction au mini­m u m des problèmes de santé et d'environnement.

— Parmi ces bonnes habitudes individuelles, il faut insister sur le fait de bien mâcher les aliments et de manger lentement. O n ne recommandera jamais assez aux enfants de prendre l'habitude de se laver les mains avant les repas et de ne jamais introduire dans la bouche un fruit ou un légume sans l'avoir passé à l'eau.

Les habitudes alimentaires propres à chaque pays

U n petit déjeuner à la française avec croissants au beurre est différent d 'un petit déjeuner à l'américaine avec petits pains au son. Nous ne parlons pas du café ou du thé qui accompagnent le petit déjeuner ou suivent les autres repas ni de la tendance à brasser toutes les habitudes mondiales de la nourriture. U n e tasse de café prise en dehors des repas est le symbole du dialogue dans plusieurs pays. Elle forme aussi avec le thé la meilleure façon de souhaiter la bienvenue à un visiteur. Il y a c o m m e un rituel qui accompagne le déroulement de la présentation du café et la préparation de chaque aliment. C e rituel, qui varie d'un pays à l'autre et qui rentre dans les coutumes culturelles des peuples, laisse entrevoir un certain niveau de leur civilisation.

Pour se rendre mieux compte de la diversité des cuisines et des coutumes qui les accompagnent, il suffit de feuilleter le prospectus touristique d'une grande ville et parcourir la liste de la multitude des restaurants qu'il offre (africain, brésilien, bulgare, chinois, français, indien, italien, japonais, libanais, marocain, mexicain, etc.). E n les visitant, on y découvre une face des coutumes des pays d'origine. Les assaisonnements prévus pour les salades, les sauces, les condiments (poivre, plantes aromatiques), les céréa­les de base, les viandes et les poissons, le beurre, le lard ou le saindoux, les fromages et les produits laitiers, les fruits, les desserts, les confitures et autres, les légumes varient selon la disponibilité de ces produits dans les différentes contrées.

Ainsi, en France par exemple, on consomme beaucoup de matières grasses, accusées d'être à l'origine de maladies coronariennes, sous forme de fromage, de beurre, de lard, etc. Et pourtant, selon l ' O M S , 140 Français sur 100 000 meurent chaque année suite à une atteinte des vaisseaux coronaires contre presque le double chez le m ê m e nombre d'Américains consommant la m ê m e quantité de graisses. Pour expliquer ce phénomène, on a voulu établir un lien entre la consommation de fromage et le vin que les Français consomment et qui ne semble pas trop affecter le cœur. D e toute manière, la question des habitudes alimentaires et de leur influence sur la santé est très complexe. Nous y reviendrons plus loin.

Santé publique 105

CROYANCES, ATTITUDES, QUESTIONS ÉTHIQUES ET SANTÉ

Les décideurs, les chercheurs dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé, de nombreux éducateurs aussi ont une tendance naturelle et légitime à informer les apprenants de l'école formelle des résultats de la recherche et de les sensibiliser aux questions éthiques. Ils souhaitent persuader ceux qui sont soumis à une éducation non formelle, au m o y e n de campagnes menées par les médias, de la nécessité de conserver les bonnes habitudes sanitaires, d'en rejeter les mauvaises et de réfléchir sur les valeurs et les idéaux qui unissent les gens sur les récents progrès des sciences de la vie.

Dans un rapport du 15 décembre 1989, «Sciences du vivant, éthique et pédagogie», on peut lire sous la plume de Michèle Sellier, du ministère français de l'Education nationale et m e m b r e du Comité consultatif national d'éthique, de chercheurs, de professeurs, etc. :

Il est confié à l'école le soin de former des futurs adultes capables de dialoguer avec leurs médecins et soucieux de la dignité du corps c o m m e du respect de la personne humaine, aptes à assumer leur responsabilité de citoyen dans la cité. Dans cette perspective, une formation d'ordre éthique est nécessaire et légitime si, à l'opposé de tout endoctrinement, elle suscite une prise de conscience des valeurs fondamentales et une réflexion sur les choix, conditions du libre exercice de la responsabilité de chacun. L'éthique ne peut être que l'affaire de tous. [La formation éthique doit], pour une large part, s'appuyer sur des savoirs : — l'histoire de notre culture doit éclairer le sens et l'évolution des conceptions qui touchent

à la vie, à la mort, à la notion de temps, à la normalité, etc.; — de m ê m e l'anthropologie culturelle peut opportunément rappeler la dimension sociale

des notions de personne, de famille, etc., en soulignant la diversité des approches culturelles des problèmes;

— enfin et surtout, une formation philosophique est indispensable pour favoriser une réelle capacité d'analyse et de conceptualisation et en m ê m e temps un exercice autonome de la réflexion éthique.

Nous donnerons quelques exemples sur le fatalisme et son influence, sur le respect de soi-même, sur l'oisiveté et l'inaction.

Quelques croyances à rejeter

Parmi les croyances et les comportements qu'il faut rejeter, citons à titre d'exemples : — «L'eau courante ne charrie pas de polluants.» Il n 'y a, d'après cette

croyance, que l'eau stagnante qui est mauvaise pour la santé. Or une eau courante polluée ne s'autopurifie pas.

— «Le feu purifie tout.» Lisez : les aliments cuits sont nécessairement sains. Or la cuisson insuffisante d'une viande parasitée, par exemple, est un piège dangereux qu'il faut à tout prix éviter;

— L e fait d'avoir dans sa famille un grand-père, un oncle ou un autre parent qui a vécu jusqu'à un âge avancé et qui «fumait, mangeait et

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buvait c o m m e quatre», donne à tout fumeur impénitent, gros mangeur et gros buveur, une excuse, qu'il croit valable, pour ne pas modifier ses attitudes.

— Si l'on ingère des crudités (salade, concombre, tomate, etc.) qui véhiculent des microbes, il suffit de les faire accompagner d 'un bon verre d'alcool qui tue tous les corps pathogènes.

— Dans certaines zones rurales des pays chauds, les paysans se plaisent à se déplacer pieds nus pour arroser leurs plantations, par exemple, ce qui donne libre cours à leur infection active par de redoutables larves aquatiques de parasites.

Des croyances et des attitudes à conserver et à développer

Nous citerons les exemples suivants : — La propreté est la croyance primordiale à conserver et à propager. Elle

porte sur la propreté personnelle du corps, la propreté à l'intérieur de la maison, dans la rue, à l'école et sur le lieu de travail. Elle concerne également l'hygiène et la propreté des vêtements, de la nourriture, de l'alimentation en eau douce. Dans certaines religions, elle est imposée c o m m e un précepte purificateur à suivre.

— Le port de la ceinture de sécurité dans les automobiles a réduit le nombre des accidents mortels. Il ne suffira pas, grâce à la réglementa­tion, de rendre ce geste obligatoire, il faudra aussi convaincre tous les usagers de voitures aussi bien dans les pays développés que dans ceux en développement, dans les régions urbaines et rurales, de la nécessité d'acquérir une telle habitude. Elle doit devenir c o m m e un réflexe chaque fois que l'on prend place dans une voiture.

— Les parents apprennent à leurs enfants, et dès leur bas âge, à ne pas jeter les restes de pain. Dans certaines régions, le pain et la nourriture en général sont considérés c o m m e des produits à respecter et dont on fait usage avec modération et souci d'économie et de propreté.

Des attitudes fatalistes à F égard du danger

Dans diverses couches sociales de par le m o n d e , les gens pratiquent souvent la fuite en avant devant les maladies et les catastrophes en affi­chant un air de résignation ou en imputant superstitieusement leurs mal­heurs à une volonté invisible qui ne peut être contrecarrée. Les menaces qui pèsent sur la santé individuelle, c o m m e d'ailleurs sur l'environnement général, sont ainsi minimisées par une telle attitude. Dans certaines c o m ­munautés, des personnes qui manifestent avec acharnement de pareilles réactions en arrivent à refuser des soins médicaux de première urgence. Si le fatalisme est ancré dans certaines cultures, comment parvenir à le

Santé publique 107

neutraliser sans le consentement de ceux pour qui il est un m o d e de pensée ? Les campagnes d'information utilisant les voies médiatiques peuvent-elles infléchir les attitudes fatalistes ? Peut-être, mais c'est la tolérance et l'ouverture aux autres cultures qui peuvent jouer un rôle primordial dans ce sens.

Le respect de soi-même

Les personnes qui abusent de leur santé ou s'attaquent délibérément aux diverses composantes de l'environnement manquent de respect envers elles-mêmes. Elles accusent généralement un retard dans leur formation culturelle et sont souvent privées également d'une nourriture suffisante, d'éducation, et leur environnement physique leur est imposé par le milieu rural ou urbain auquel elles appartiennent. L a pauvreté n'est que la résul­tante de toutes ces privations. Entre la santé et la pauvreté, les liens sont d'ailleurs étroits. Les sociétés qui se respectent cherchent à répandre l'éducation fondamentale dans leurs différentes couches. L'accès à la culture par l'éducation est le premier pas à franchir vers le respect de soi-m ê m e . Les autres formes de développement seront atteintes par la suite, et plus particulièrement après que seront résolus les problèmes sanitaires, sociaux et économiques.

L'oisiveté et l'inaction

«L'oisiveté est la mère de tous les vices.» Cette constatation déjà ancienne explique plus que jamais aujourd'hui que l'inaction favorise l'angoisse, la tension nerveuse, divers troubles psychologiques et la persistance à l'état endémique de certaines maladies parasitaires c o m m e le montre un docu­ment de travail distribué par le Comité préparatoire de la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement ( C N U E D ) . E n effet, le paragraphe 9 de ce document explique ainsi l'influence de l'inac­tion :

Le sous-développement est lié à une mauvaise protection et à une gestion inadéquate de l'environnement. Ainsi, le caractère endémique des maladies parasitaires, du paludisme, de la schistosomiase, de la filariose, de l'onchocercose, de la dracunculose (ver de Guinée), de la leishmaniose, de la trypanosomiase africaine et des infections intestinales parasitaires est favorisé par l'inaction. Dans bien des cas la situation, au lieu de s'améliorer, risque en fait de s'aggraver si le développement continue à se faire au prix d'une dégrada­tion de l'environnement par le déboisement, l'altération des systèmes hydrologiques, la désertification et l'érosion, et par les modifications qui en résultent dans les mouvements de population et l'habitat. L'épidémiologie de ces maladies est déterminée par les écosystèmes de leurs vecteurs respectifs et par les activités sociales, culturelles et économi­ques de la population. L'importance de ces maladies au point de vue de la santé publique variant d'un pays en développement à un autre, le manque de développement aura des répercussions différentes sur leur progression, leur extension et leur aggravation ( A / C O N F . 15 l/PC/54, Genève, 1991).

108 Développement culturel et environnement

C'est aussi dans les milieux où l'inaction due au chômage est imposée que se développent des idées de violence et de vengeance et que fleurissent les pratiques qui conduisent à l'utilisation des drogues. L e désoeuvrement dégrade la personne humaine et la rend esclave de l'ennui.

En conclusion, la santé corporelle et psychique des individus ainsi que l'hygiène de la communauté sont intimement liées à un bon ou à un mauvais environnement. L e sous-développement, avec tous ses corollaires, est une des conséquences d'une politique sanitaire défaillante. U n e person­ne exposée à la pollution, par exemple, ferait difficilement face aux problè­m e s stressants de la vie quotidienne. U n équilibre durable doit être mainte­nu entre la santé, la culture et toutes les formes du développement. L a dégradation de l'environnement due à une mauvaise hygiène accompagne souvent l'analphabétisme et la pauvreté. Ceux dont l'existence est conti­nuellement en butte aux difficultés trouvent difficilement du temps à consacrer à des activités culturelles et à l'instruction. C'est l'ignorance, surtout celle des mères, qui est à la base des risques portant atteinte à la santé des enfants, mais c'est aussi en cherchant à atteindre un niveau plus élevé de développement économique que sont créés beaucoup de problè­m e s de santé. D'ailleurs, le précepte «Mieux vaut prévenir que guérir» conserve toute sa valeur sur le plan personnel et communautaire. D e nombreuses habitudes et attitudes personnelles influencent la santé, surtout au point de vue alimentaire. Tous les peuples conservent des traditions alimentaires qui font partie de leur propre culture, qui se rattachent à leurs coutumes sociales et respectent la qualité de la vie.

Mais certaines croyances et attitudes, certains agissements allant à ren­contre de la santé doivent être combattus, cependant que d'autres sont à renforcer. Parmi ces derniers, citons les repas des fêtes familiales ou grandes occasions populaires qui cultivent la convivialité et resserrent les liens amicaux entre toutes les classes de la population. Ces manifestations sont un aspect de la vie sociale dont le cadre physique est l'habitat. C'est pourquoi nous réservons à l'architecture et à l'urbanisme un chapitre spécial où nous montrerons leur relation avec le développement culturel et l'environnement.

CHAPITRE V

Développement culturel, architecture, urbanisme et environnement

INTRODUCTION

Si elle est actuellement, pour la plupart d'entre nous, la partie de la biologie qui traite des rapports des êtres vivants avec le milieu où ils vivent, l'écologie (du grec, oïkos = maison et logos = science) demeure, pour les architectes et les urbanistes, surtout la science de l'habitat. L e terme environnement (ou celui, plus traditionnel, de milieu) désigne l'ensemble des conditions biologiques, physiques et sociales, susceptibles d'influencer la vie.

Alors que l ' h o m m e se situe au cœur de l'environnement, surtout lors­qu'il s'agit du milieu construit, urbain ou rural, c'est la nature qu 'on trouve au centre de l'écologie et qui en constitue en quelque sorte l'enjeu. A u x architectes revient avant tout la responsabilité de concilier environnement construit et milieu naturel. Or, le degré de cette harmonisation dépend du niveau de développement culturel du bâtisseur.

Avant d'utiliser le té, l'équerre, le compas et la truelle, l ' h o m m e a élu domicile dans une grotte qu'il a aménagée en abri contre les intempéries et les fureurs de la nature avec laquelle il se trouvait en contact direct. Très tôt, le sens du beau se manifeste chez lui par des dessins pittoresques qui parent l'intérieur de diverses grottes découvertes au cours des cinquante dernières années, un peu partout dans le monde . Bientôt, l ' h o m m e émerge de la grotte pour se construire un habitat en plein air. Les branchages sont parmi les premiers matériaux utilisés. D e construction aisée, cet habitat de forme conique ou parallélipipédique abrite la famille au cours de la belle saison mais ne résiste pas à l'hiver. U n peu plus tard c o m m e n c e l'utilisa­tion de la pierre, du bois, de l'argile.

Les procédés de construction sont appris sur le tas. Il s'agit d 'un savoir non scolaire, base de la formation des premiers architectes. L e comporte­ment de construction est connu chez les insectes sociaux, les oiseaux et d'autres animaux. Il n'est donc pas réservé à l ' h o m m e . Si, chez les ani-

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m a u x , la finalité de ce comportement est la protection des nouveaux-nés, chez l ' h o m m e , en examinant les détails d'exécution des édifices architec­turaux, on constate combien ils sont pleins d'enseignements. C'est avec le développement culturel de l ' h o m m e que la richesse de ces détails apparaît. D'ailleurs, dès sa première prise de conscience spirituelle, l ' h o m m e a construit des lieux de culte où le beau et le solide s'allient avec art et ordre pour dialoguer avec ses dieux.

L ' h o m m e étant porté à s'organiser en société, des habitations voisines n'ont pas tardé à voir le jour dans le m ê m e site. A u départ, l'agencement de ces habitations obéissait à la nécessité de se défendre contre les animaux sauvages ou contre des ennemis éventuels. Des ensembles architecturaux furent érigés dans ce but. Ils étaient soit intégrés au paysage sans l'abîmer, soit fondés sur un rapport d'opposition équilibré sans rompre avec l'har­monie du site. Cette opposition existe dans la nature et ne fait que mieux ressortir sa beauté, telles les fleurs s'opposant aux feuilles par leur morpho­logie et leur couleur, telles les cascades qui coupent le cours des fleuves et les falaises, la monotonie d 'un plateau. Les espaces entre les habitations seront à leur tour organisés, des places centrales, des jardins publics marqueront une liaison étroite entre l'environnement et le développement culturel.

L a manière de vivre, les habitudes sociales, les exigences de l'environ­nement physique ont influencé, en tous temps et en tous lieux, les architec­tes et les urbanistes. Nous allons voir comment l'architecture et l'urbanis­m e sont souvent l'expression d'une culture et d 'un certain niveau de vie sociale en présentant des cas empruntés à l'une et à l'autre. Nous ne parlerons pas des temples, cathédrales, mosquées et autres édifices majes­tueux du passé. Nous attirons cependant l'attention sur le niveau culturel très élevé des nations qui ont construit des jardins aussi grandioses que ceux de Généralife (Alhambra) où amour de la nature et dévotion à la culture ne font qu'un.

CAS EMPRUNTÉS À L'ARCHITECTURE

L'architecture est l'art de construire des édifices selon des styles appro­priés à chaque civilisation, à chaque siècle et selon des règles et des techniques très variées, allant du foyer le plus simple au château le plus majestueux. C'est ainsi qu'en France, le classicisme, inspiré de l'antiquité gréco-romaine, a fourni les canons de la tradition artistique (exemples : le château de Versailles, les colonnades du Louvre à Paris). L'architecture chinoise avec ses pagodes en briques remonte à peu près à l'an 525. L a Grande Muraille de Chine, élevée au IIIe siècle av. J .-C. et dont la réfection se situe au début du X V e siècle, met en relief l'originalité d'une culture

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chinoise respectueuse de l'environnement historique et naturel. L'architec­ture indienne, avec ses monastères et ses sanctuaires taillés dans les ro­chers, dénote une créativité originale d'une grande valeur culturelle. L'ar­chitecture musulmane, forte de son art décoratif très riche à prédominance géométrique, de ses bains, de ses jardins, traduit une culture influencée par une religion qui rejette les représentations humaines, le souci de la propreté individuelle, le respect de la nature.

L'Italie est le paradis des architectes. Ils y trouvent de grands maîtres et où l'influence byzantine, romane, gothique et baroque se fait sentir dans des cités aux n o m s prestigieux : R o m e , Florence, Venise . . . L a Renais­sance est dominée par des noms illustres : Léonard de Vinci, Raphaël, Michel-Ange . . . A u Japon, on peut encore admirer les anciens temples en bois et les monastères bouddhiques. Chaque monastère est formé d 'un ensemble de pavillons aux toitures incurvées entourant une pagode centra­le. E n Allemagne, l'art gothique a fleuri vers 1250. Il fut influencé par l'architecture romane, représentée par des édifices religieux, couverts de voûtes en berceau ou de voûtes d'arête. L a porte de Brandebourg à Berlin, réalisée par Langhaus au XVIIIe siècle, est un modèle de néoclassicisme. Quant à l'architecture contemporaine, comment lui trouver une meilleure illustration que le palais des Nations Unies à N e w York ? Mais d'autres exemples sont aussi célèbres : l'unité d'habitations réalisée par Le Corbu-sier à Marseille, la Cathédrale de Brasilia . . .

Dans cette enumeration rapide et générale, nous avons présenté quelques exemples représentatifs de l'architecture à travers les âges et dans divers pays. Mais, quelle que soit l'époque, l'architecture repose sur trois fonde­ments : le site naturel dans lequel on désire construire; le programme ou le plan général qui satisfait les besoins matériels du client, et qui est souvent imposé par son budget; la composition et son exécution, c'est-à-dire la solution proposée par l'architecte et qui tient compte à la fois de l'environ­nement naturel, du désir du client et de l'art. U n bon architecte recherche l'équilibre entre ces trois éléments et œuvre à concilier les possibilités matérielles, le coût de la construction, le respect du paysage, bref à réaliser un acte complet selon les mots m ê m e s de Paul Valéry : « D e tous les actes, le plus complet est celui de construire» (Eupalinos ou l'architecte, 1921).

Arrêtons-nous plus longuement à présent devant quelques types de constructions qui dénotent, de la part de l'architecte, un certain souci de respecter l'environnement et témoignent d'une culture florissante.

Si, d'après Renan, «l'histoire peut, dans une certaine mesure, juger les peuples et les époques par la solidité et la beauté des édifices qu'ils nous ont laissés» {Mission en Phénicie, 1863), en analysant ces exemples, on peut juger aussi du niveau de développement culturel des peuples d'après l'adaptation de leurs demeures à l'emplacement qu'elles occupent et selon le degré de satisfaction qu'elles leur procurent en répondant à leurs besoins quotidiens. Voici, pour l'illustration, deux types d'habitation : une an-

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cienne demeure de la fin du X I X e siècle à murs épais, construite avant l'utilisation du béton armé, et une autre plus contemporaine.

Une demeure méditerranéenne ancienne

Dans plusieurs contrées de la Méditerranée orientale, on rencontre des logis qui datent de la deuxième moitié du X I X e siècle et du début du X X e . M ê m e quand le plan, la façade, la division interne, la disposition des chambres et la superficie varient d 'un endroit à l'autre, ces demeures partagent généralement les caractéristiques suivantes :

Utilisation d'un matériau naturel de construction. La pierre est par excel­lence le principal matériau de construction. Utilisée depuis l'époque phéni­cienne, elle entre aussi dans l'édification des murets qui découpent en gradins les pentes des collines où prospère la culture en terrasse. Pour isoler le foyer de la chaleur et du froid, les murs sont épais, formés de deux minces parements de pierre et d 'un remplissage en pisé argileux. Ils résistent mal aux tremblements de terre. Le plafond est formé d'un chaîna­ge en troncs de peuplier soutenus transversalement et vers le milieu par un tronc en pin ou en peuplier de plus grand diamètre. Dans les grandes demeures, une colonne verticale centrale et généralement six autres en position latérale soutiennent toute la charpente. Des solives en bois de mûrier ou d'olivier recouvrent horizontalement les espaces laissés par les troncs parallèles. L'isolement du plafond est complété par des buissons d'une plante sauvage très c o m m u n e , le Poterium, ou par des rameaux flexibles d'osier. L'étanchéité à l'eau est rendue possible par une couche d'argile qu 'un rouleau en pierre entasse régulièrement après les premières pluies automnales. L'eau glisse ainsi sur l'argile humide. L'intérieur est enduit d 'un mortier formé d'un mélange de chaux éteinte, de sable délayé dans l'eau. A défaut de marbre ou de plaque de pierre, le plancher est formé de terre battue qu 'on recouvre d'une natte protectrice de paille servant de tapis.

Disposition des fenêtres et des portes justifiée par le climat. L'aération du foyer est assurée par des ouvertures profondes, creusées dans l'épaisseur du m u r et dont la forme est généralement tronconique. Le nombre et la dimension des fenêtres dépendent de la superficie de la maison et de son orientation. L a disposition de la porte et des fenêtres est justifiée par le climat et la direction prédominante des vents. Des balcons à fleurs prolon­gent la partie basse des fenêtres et des terrasses fleuries, celle des portes qui s'ouvrent largement sur la campagne voisine rappelant ainsi les antiques maisons grecques de la mer Egée. U n e profusion de rayons lumineux entretiennent un dialogue serré avec la nature et réussissent une vraie adaptation au climat.

Architecture et urbanisme 113

Partition et décoration intérieures de la maison en fonction des goûts et des habitudes locales. O n peut estimer la richesse du propriétaire d'une maison, son niveau culturel, son amour de l'art et ainsi deviner son appar­tenance à une classe sociale aisée, en évaluant l'étendue de son foyer, la beauté de ses boiseries, la diversité de ses mosaïques et la décoration de ses pierres. Des alcôves sont aménagées dans les murs; de la boiserie peinte d'éléments floraux orne les placards, les murs et les volets; de belles mosaïques en marbre coloré tapissent le sol et complètent les murs; des pierres taillées et décorées encadrent portes et fenêtres.

Pour ce qui est du découpage intérieur classique, la maison peut être composée d 'un rez-de-chaussée bas de plafond abritant ânes et animaux de basse-cour et d 'un étage où l'on observe généralement un hall central spacieux qui dessert un ou plusieurs salons de réception, une ou plusieurs chambres à coucher. La cuisine et les commodités ont suivi, par des transformations ultérieures, l'évolution des techniques. L a largeur du hall est le signe le plus frappant de la richesse du propriétaire. Il peut contenir un bassin intérieur et des bacs à fleurs transformant la maison en un jardin. Dans les palais, le hall se transforme en une cour intérieure à ciel ouvert. Le foyer est ainsi envahi par toutes les pulsions de l'environnement extérieur. O n dirait un grand seigneur ouvrant largement ses bras pour accueillir ses hôtes ou pour prier. Ceci correspond justement à la culture particulière d'un peuple hospitalier, croyant et fidèle à ses racines.

Harmonisation avec le site. L a couleur et la forme des anciennes demeures méditerranéennes s'harmonisent avec le site et semblent prolonger les reliefs naturels du sol. O n dirait un caméléon changeant de couleur avec le feuillage qui l'entoure et le substrat qui le porte. Elles apparaissent ainsi semblables au milieu environnant et s'intègrent au paysage. C'est une sorte de mimétisme des formes et des couleurs. Sur les pentes des collines, les maisons construites de grosses pierres se confondent par leurs lignes horizontales avec les murets des terrasses. C'est la m ê m e pierre grise qu 'on distingue difficilement de loin. Dans les régions côtières près du rivage marin, la pierre en grès de couleur ocre domine et se confond avec le paysage sablonneux.

L a façade de certaines demeures est cependant plus soignée. Elle présen­te généralement trois arceaux coiffés d 'un fronton triangulaire (à la grec­que) ou ornés aussi d 'un balcon fleuri. Le soin que l'on met à fleurir sa maison témoigne d 'un niveau culturel particulier et les magnifiques jardins qui prolongent la salle de réception dénotent le degré de développement culturel des bâtisseurs et de leur attachement à la nature.

Un immeuble à appartements multiples

U n immeuble de ce type est formé de quelques étages, parfois de plusieurs dizaines. C'est la structure du gratte-ciel qu 'on rencontre un peu partout,

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aussi bien dans les grandes métropoles que dans les villes ordinaires et qui donne l'impression d'une pile verticale d'habitations «tous exactement conçus sur le m ê m e plan». Parfois m ê m e , le mobilier est identique, ce qui ne laisse aucun cachet particulier à chaque foyer. O n dirait un dortoir ou un grand hôtel dont les habitants porteraient des numéros d'identité. O n n'observe aucun sentiment de voisinage et les habitants se croisent lors des entrées et des sorties, ou en prenant l'ascenseur, sans se connaître ou m ê m e se saluer. O n est loin de cette communauté d'intérêts qui prévaut dans les villages et dans les petites communes , et qui fait que «tout le monde connaît tout le monde», loin de ces microsomes où des liens solides d'amitié et d'entraide modulent la vie de chaque jour et entrent dans la culture communautaire. O n raconte qu'au cours des bombardements de Londres, durant la Deuxième Guerre mondiale, les Londoniens vivant dans les m ê m e s immeubles, ou habitant le m ê m e quartier, ont appris à se connaître et à se découvrir lorsque le m ê m e malheur les a contraints à partager le m ê m e abri. Des sentiments de bon voisinage, qu'on croyait enterrés pour toujours, ont ressurgi et des liens amicaux se sont forgés au cours de ces réclusions forcées.

Mis à part ces aspects socioculturels de la vie citadine, un immeuble à appartements multiples, fait de bureaux, de magasins, de restaurants, de logements, est consacré aux professions libérales et au négoce. Son exécu­tion, son entretien et le déroulement de la vie quotidienne qui y a lieu contribuent à créer de multiples problèmes environnementaux que nous tenterons d'expliquer dans les paragraphes qui suivent.

Le matériel de construction. C e matériel est généralement formé d'acier, de ciment, de bois et de verre. Les dépenses et les besoins en matières premières et en énergie sont immenses.

Le découpage intérieur des logements. Il est, c o m m e on l'a signalé plus haut, identique d'un étage à l'autre et ne permet pas aux habitants d'avoir le plaisir d'y apporter une note personnelle relevant de leurs goûts ou de leur niveau culturel. O n n'y tient pas compte des habitudes locales ou de la façon dont vivent les gens. Par exemple, on peut y trouver des cuisines donnant sur le coin réservé habituellement à la salle à manger. U n e telle habitude peut ne pas convenir aux éventuels occu­pants de l'appartement et s'avérer contraire à leurs habitudes sociales. Si les gens l'acceptent, c'est parce qu'ils n'ont pas d'autre choix. Il en est de m ê m e de l'espace réduit qui leur est imposé dans les chambres et la salle de séjour. Les désirs individuels et la culture propre du proprié­taire ou du locataire ne sont pas pris en considération. Ainsi s'explique que ce foyer est généralement considéré par lui c o m m e momentané en attendant de pouvoir s'offrir un logis mieux adapté à ses désirs et à sa façon de vivre et de penser.

La lumière et l'air. Les édifices commerciaux des grandes villes sont généralement dotés d 'un système d'air climatisé qui exclut tout usage

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direct des fenêtres et des balcons. C'est à peine si une petite ouverture laissée par l'entrebâillement d'une vitre basculante facilite l'aération de la cuisine ou d'une autre salle. L a lumière artificielle fournie par des sources électriques condamne l'usage de plusieurs fenêtres. Les balcons ne concordent pas avec la conception des gratte-ciel mais conviennent mieux encore à des immeubles de cinq à quinze étages.

L'harmonisation avec le site naturel. Il n'est pas difficile de constater que les immeubles construits en bloc ont occulté l'environnement naturel. O n ne peut voir tout autour ni collines, ni forêts, ni rivières. C'est à peine si l'on entrevoit entre deux pâtés de maisons un m o n u m e n t lointain ou un autre immeuble. Aussi des espaces verts doivent-ils être imposés aux décideurs et aux urbanistes, mais le prix du terrain est généralement très cher dans les grandes villes et le haut niveau culturel du peuple devrait exiger des élus locaux et des pouvoirs publics la volonté de toujours conserver des espaces verts et des parcs permettant aux habitants de respirer et de prendre l'air, c o m m e on le verra en étudiant l'urbanisme. Avec l'air pollué et le bruit que provoquent les grandes agglomérations à population très dense, l'évacuation des dé­chets et des eaux usées resteront des problèmes capitaux que ne con­naissaient guère les maisons individuelles des régions rurales et des petites villes.

D'après un document du Comité préparatoire de la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement ( C N U E D ) , une élimination inadéquate des déchets a des effets sur le développement d 'un pays. E n effet, on estime à presque un dixième les pertes «du temps productif de chaque personne» dues aux conditions insalubres créées par cette mauvaise élimination. Sans compter les dépenses pour une médecine curative et le coût de la souffrance humaine, «la baisse de la qualité de la vie» affecte des millions de pauvres.

Pour intégrer «la gestion des déchets aux plans de développement», une approche orientée vers l'amélioration des établissements humains est exi­gée. «Tout le m o n d e vit et travaille dans les établissements humains. L a qualité de ces établissements est donc le déterminant principal de la qualité du cadre de vie et de travail» (paragraphe 31 du m ê m e document). A u paragraphe 43, l'impact des établissements humains sur l'environnement et leur planification est ainsi mesuré :

D e manière générale, la planification des établissements humains ne tient pas compte de la gestion des déchets et n'est pas liée à l'utilisation des sols et à l'aménagement du territoire. Si la plupart des pays industriels appliquent aujourd'hui des évaluations de l'impact sur l'environnement et procèdent à des enquêtes publiques avant l'exécution des projets, ce genre de procédures est rarement suivi dans les pays en développement. Or , sans de telles procédures, associées à un contrôle public des résultats, il est difficile d'avoir une planifica­tion écologiquement rationnelle. U n e amélioration de l'habitat non structuré existante et une augmentation rapide de la proportion des zones construites bien équipées sont l'une et l'autre essentielles pour contrôler la croissance urbaine et il faut tenir dûment compte des exigences de la gestion des déchets au stade de la planification (document A / C O N F . 1 5 1 / P C / 7 6 ) .

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E n conclusion, nous pouvons dire que ces deux exemples, l'un tiré du passé et l'autre du présent, nous enseignent que l'architecture contribue au développement culturel et éducatif à deux titres : «en contribuant à l'élabo­ration de nouvelles formes contemporaines d'expression architecturale, enrichies par l'éducation reçue du passé» et, «dans le présent, en aidant à comprendre l'esprit de l'architecture qui nous entoure d 'un point de vue spatial, volumétrique et fonctionnel» ( U N E S C O , 1991).

CAS EMPRUNTÉS À L'URBANISME

Adapter l'habitat urbain aux besoins des h o m m e s exige des procédés qui varient selon la culture, l'état d'esprit des habitants, leurs croyances, leurs coutumes et surtout le climat, le paysage et l'environnement naturel géné­ral. L'urbanisme est l'ensemble des techniques d'application et des métho­des de réalisation permettant cette adaptation. Divers cas vont nous intéres­ser ici : les villes américaines s'inspirant des cités anciennes et occidenta­les, les villes de l'Arabie Saoudite, certains villages de l'est méditerranéen, d'autres encore.

Le cas américain

D'après Richard Sennett (1990), dans son article «Les villes américaines : plan orthogonal et éthique protestante» paru dans la Revue internationale des sciences sociales, les plans des villes ont une signification culturelle. Ainsi, pour les Babyloniens, les anciens Egyptiens et les Romains, les villes se présentent «sous forme de rues rectilignes se croisant à angle droit, créant ainsi une succession régulière de parcelles à bâtir». Le forum des villes romaines se développe au nord du croisement central de la ville. Celle-ci se remplit «par un processus de répétition de l'idée dominante d'axes et de centres en miniature. A u x yeux des Romains, l'intérêt de ces règles était de recréer R o m e dans chaque ville nouvelle, afin qu'un citoyen romain se sentît chez lui en n'importe quel point de l'empire.» C e plan quadrillé exprime «la rationalité de la vie civilisée» face aux aggloméra­tions sans plan des peuples moins policés. Il a été utilisé depuis par les urbanistes occidentaux.

A u sud des Etats-Unis et d'après le m ê m e auteur, cet «urbanisme en damier» reflète l'influence espagnole. Selon un décret royal remontant à 1573 : «Le plan de ville avec ses places, ses rues et ses lotissements devra être tracé et mesuré à la règle et au cordeau à partir de la grand-place reliée aux portes de la ville et aux principales routes d'accès par des rues laissant suffisamment d'espace libre, pour que si la ville se développe, elle puisse le faire de manière symétrique» (cité dans John Reps, The making of urban

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America, Princeton, Princeton University Press, 1965 et rapporté par R . Sennett, 1990).

Ailleurs et toujours aux Etats-Unis, c o m m e à Chicago par exemple, des «blocs rectangulaires ont occulté l'environnement naturel, rien n'arrêtant leur progression, ni les collines, ni les rivières, ni les forêts». A N e w York, «l'environnement naturel devait être traité en ennemi». L'auteur interprète les conceptions des planificateurs du capitalisme américain par un «refus neutraliseur» où les intérêts économiques l'emportent sur le respect du paysage. Des parcelles rectangulaires, de superficie égale, sont plus faciles à vendre et les habitations bien alignées coûtent moins cher à bâtir. Bien que la surface ne manque pas pour aménager des places publiques ou pour bâtir des édifices communautaires c o m m e les écoles, les églises, les mar­chés ou les lieux de loisirs, les planificateurs américains, en général, c o m m e les spéculateurs immobiliers de N e w York, ont couru vers des investissements désastreux qui n'ont tenu compte que du profit. A u départ, l'absence de telles constructions à utilisation communautaire au centre des villes serait attribuée à l'influence des premiers colons puritains. E n réalité, il s'avère que l'environnement naturel est ici banalisé au profit du seul développement économique dénotant une culture propre et un raisonne­ment particulier.

Le cas de l'Arabie Saoudite

Des villes portuaires c o m m e Jeddah étaient avant 1975 une mosaïque d'anciennes et de nouvelles habitations. L e tracé des rues suivait l'empla­cement des édifices et des établissements humains existants. Les maisons reflétaient l'état social des propriétaires, riches ou moins riches.

A partir de 1976, les autorités publiques décident de tracer de larges avenues bordées de trottoirs spacieux, plantés d'arbres. Des passages pour piétons sont aménagés. A u x croisements, des sculptures géométriques reflétant l'art musulman ornent de somptueuses places publiques. Tout en gardant un cachet local, les urbanistes ont suivi un plan quadrillé qui a nécessité, pour être exécuté, la suppression des anciennes belles habita­tions à façade géométrique et colorée caractérisant cette région du m o n d e . L a modernisation du tracé des rues a éventré les vieilles demeures. Les artères principales ont été dessinées par des machines puissantes qui ont balayé les dédales des ruelles rencontrées sur leur chemin. Les occupants des habitations condamnées à disparaître disposaient d 'un laps de temps très court avant de déménager. L'exécution des travaux était elle-même très rapide et se faisait à coups de bulldozer. E n rentrant d 'un voyage de quelques semaines, il était parfois très difficile aux habitants de se retrou­ver. Nous pouvons dire que la technologie moderne à apporté sa contribu­tion à la transformation rapide de la ville. L'environnement culturel repré­senté par les anciennes demeures aurait pu être respecté.

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Le cas de certains villages de ï est méditerranéen

Deux types de petites villes existent dans certaines contrées de l'est médi­terranéen : celles dont les maisons sont individuelles, espacées, entourées de champs et de vergers et celles à habitations très denses, dotées de murs mitoyens et bordant des ruelles étroites. Dans les deux cas, l'extension des villes s'effectue par les nouvelles constructions qui s'élèvent parallèlement à la route principale traversant la localité ou tout au long de nouvelles rues débouchant sur l'axe routier principal. Les édifices publics les plus c o m ­m u n s sont le lieu de prière ou de rencontre, la mairie ou la municipalité, l'école, la fontaine, etc.

Dans le premier type de bourgade, la ville est très étendue, donnant I impression d'un paysage naturel qui serait sans limites. Aucun plan régulier n'est suivi : la topographie du terrain est respectée. Les forêts, les rivières, les collines et tous les accidents de la nature font mieux ressortir la beauté de la géométrie des habitations. A chaque tournant de la route, on découvre avec émerveillement une maisonnette émergeant d'un manteau de verdure enveloppant. Le climat méditerranéen impose, par sa douceur et par la profusion de ses jours ensoleillés, la présence d'une large terrasse devant chaque maison où la famille et ses visiteurs passent agréablement une bonne partie de la journée et de la soirée. O n comprend qu'il y ait désir et volonté de respecter les belles vues du paysage. L a valeur foncière de ces habitations prend m ê m e toujours en considération l'étendue du champ visuel qui s'offre aux spectateurs assis calmement sur la terrasse, sirotant leur café matinal ou admirant le coucher du soleil en savourant quelques fruits.

D u point de vue culturel, les habitants mènent une vie sociale calme, se rencontrent les jours de prière et à l'occasion d'un mariage, d 'un enterre­ment ou lors d'une manifestation de ce genre. Tous se connaissent, se visitent et des liens parentaux solides les rapprochent souvent. L'entraide est de coutume dans les champs, dans les services publics, lors d'une catastrophe naturelle, etc.

Dans le deuxième type, la cité ressemble à un ou à plusieurs conglomérats de maisons entourant une place centrale pas très éloignée de l'église, de la mosquée ou du temple. Le regard de l ' h o m m e sait ainsi où trouver son dieu à l'intérieur de cet essaim d'habitations c o m m e au profond de soi-même. Dans les villages druzes, le sanctuaire est en dehors de l'agglomération en un lieu calme et isolé. Dans les villages chiites, on trouve une salle de réunion proche du centre.

Pour expliquer la densité des demeures, on avance deux raisons : l'une socioculturelle, l'autre économique. L a première explication vient du fait que les habitants, qui appartiennent généralement à une m ê m e confession religieuse ou à un m ê m e clan familial, cherchent à vivre les uns près des

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autres pour pouvoir mieux se défendre en cas d'attaque éventuelle par des ennemis, ou pour pouvoir se réfugier chez les voisins lorsqu'ils étaient recherchés par la police à l'époque de l'occupation ottomane. L a deuxiè­m e explication vient de l'exploitation très intensive de l'espace. Elle est généralement attribuée au fait que les terrains à bâtir appartenaient, il n 'y a pas longtemps encore, à des seigneurs féodaux et l'on a été obligé de construire serré pour profiter de chaque parcelle disponible. E n outre, les constructions mitoyennes sont toujours considérées c o m m e plus économi­ques.

Les conséquences de la haute densité des habitations sont d'ordre envi­ronnemental et culturel. Ecologiquement parlant, la promiscuité est insalu­bre à cause de la pollution atmosphérique, du bruit, des conditions sanitai­res (mauvaise aération, ensoleillement voilé, évacuation saturée des eaux usées, etc.). D u point de vue socioculturel, le voisinage très rapproché des gens provoque des scènes quotidiennes de mésententes : disputes entre les enfants, gêne réciproque à cause du bruit, ou à cause des animaux domesti­ques des voisins venant piétiner les potagers, propreté ou saleté des espaces c o m m u n s , respect ou non des règles de bon voisinage, etc.

Après avoir décrit ces deux modèles de bourgades, il nous reste à relater deux points caractéristiques rattachés à la vie bourgeoise : la répartition des habitations à l'intérieur des villages ou l'agencement des maisons et des rues et le rôle socioculturel joué par la place publique.

Les habitants de la majorité des bourgades du Moyen-Orient appartien­nent à la même confession religieuse. Il n 'empêche que certaines villes, certains villages restent multiconfessionnels. Dans le premier cas, des clans familiaux se groupent généralement par quartier. C e n'est que dans les grandes villes que la séparation entre quartiers pauvres et quartiers riches devient plus visible. Dans le deuxième cas, en plus des groupements familiaux, on remarque un partage de la localité en quartiers réservés à une confession déterminée plus qu'à une autre. L à aussi, le mélange entre habitants de confessions différentes ne s'effectue généralement qu'en fonction du niveau culturel des habitants. E n effet, si ce niveau est élevé, les habitants acceptent volontairement le multiculturalisme, d 'où un rap­prochement et un désir mutuel de se rencontrer. E n revanche, là où l'illet­trisme prédomine, les habitants de croyances opposées se rejettent. O n voit, par cet exemple, que les murs et les séparations entre les peuples ne peuvent disparaître que grâce à la tolérance et à l'ouverture aux autres. Nous touchons là du reste l'un des rôles clés de l'éducation. Voyez le quartier Ras-Beyrouth entourant l'Université américaine de Beyrouth qui depuis plus de cent ans dispense une éducation où toutes les cultures sont mises sur le m ê m e pied. Le résultat obtenu est que ce nouveau quartier est habité par une mosaïque de gens appartenant à plus de dix confessions différentes et fait contraste avec les quartiers plus anciens où s'observe très peu de mélange culturel et humain.

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La place publique a joué un peu partout dans le monde un rôle historique. Dans plusieurs cités du Moyen-Orient, cette place est ombragée par un grand arbre : un chêne ou un micocoulier, par exemple, dans les régions montagneuses; un sycomore, un pin parasol dans les régions côtières. C'est sous le chêne que sont nées les premières écoles du XVIIIe siècle. Les fêtes villageoises, les discussions politiques, parfois les marchés, remplissent de vie et d'animation ce lieu idéal de rencontres, berceau du développement culturel des communautés.

Les stations balnéaires

Les stations balnéaires sont de nouvelles localités créées près du rivage marin afin de permettre aux vacanciers de prendre des bains de mer, de se relaxer et de goûter aux charmes des sports nautiques en profitant des rayons généreux du soleil. L a facilité des transports, les vacances payées ont mis la mer à la portée des citadins des villes de l'intérieur les plus éloignées et les moins ensoleillées. A l'approche de l'été, les rubans routiers convergeant vers ces stations se noircissent de véhicules. Il faut prévoir des hôtels, des appartements, des parcs à voitures, des plages aménagées, des restaurants, des lieux de loisirs avec toute l'infrastructure adéquate. Tout en respectant l'environnement côtier et marin, l'organisa­tion de ces lieux de détente permettra d'atteindre un développement cultu­rel avancé. Maintenant que les problèmes touchant l'environnement sont mieux mis en évidence, les installations portuaires, l'aménagement des plages, l'élimination des déchets, les nouvelles constructions, etc. doivent prendre en considération la protection de la nature, la préservation du milieu, le développement économique et culturel.

Les installations pour les sports d'hiver

Le ski alpin nécessite l'aménagement des pentes et la mise en place d'installations permettant la remontée des skieurs et leur séjour dans les stations édifiées dans ce but. Plusieurs nouvelles localités ont ainsi poussé depuis le début de ce siècle et se sont surtout développées à partir de 1950 dans les régions de haute montagne où il neige abondamment. Ceux qui fréquentent ces stations recherchent la détente, pratiquent le sport et respi­rent l'air pur des sommets. Les prétextes souvent invoqués pour justifier les modifications du paysage se réduisent au but louable de promouvoir le sport et de contribuer au développement économique et culturel de la région. C o m m e pour les stations balnéaires, une harmonie respectueuse de l'environnement physique doit prévaloir sur les raisons d'exploitation économique.

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Le cas des villes de ï Amérique du Sud

Graciela Schneier (1990), chargée de recherche au Centre de recherche et de documentation sur l'Amérique latine (Paris), présente certaines caracté­ristiques de l'urbanisation latino-américaine. Dans un aperçu historique, l'évolution des villes est tracée depuis la découverte du N o u v e a u - M o n d e jusqu'à l'aube du X X I e siècle. Le tiers de la population vit dans des villes de plus de quatre millions d'habitants. Des influences très variées imprè­gnent l'héritage social et culturel actuel. C'est la colonisation hispanique qui a laissé l'empreinte la plus impressionnante, dont l'urbanisme en damiers n'est pas la moindre. Les chemins de fer et les gares rappellent divers pays européens. Actuellement, la télévision, dont on observe la forêt d'antennes qui recouvre presque tous les toits depuis les quartiers à villas somptueuses jusqu'aux bidonvilles, contribue à répandre le style de vie nord-américain (celui des Etats-Unis) et d'internationaliser les modes ves­timentaires (les jeans), alimentaires (les fast foods) et autres.

L'intention des premiers colons était de créer en Amérique une nouvelle Europe. L'économie des villes dominées était alors c o m m a n d é e par les secteurs commerciaux et financiers. Puis les fils des colons devinrent des bourgeois, transformant le paysage urbain, changeant de coutumes, multi­pliant leurs activités et les diversifiant. L a pénurie de logements dont souffraient les classes moyennes les poussa à construire hors du centre des villes. D e nouveaux immigrants et des marginaux vinrent s'ajouter aux contingents de pauvres que négligeaient les pouvoirs publics. Des bidon­villes se développèrent et, dans certaines villes, les anciens quartiers pau­vres du centre disparurent derrière un rempart d'édifices nouveaux consti­tuant la ville moderne (cas de Rio de Janeiro).

L'Amérique latine est en effet partagée aujourd'hui entre une tendance à l'internationa­lisation des modes de vie et de la culture et les à-coups imposés par la rigueur économique.

C o m m e on peut le constater pour les pays centraux, le maillage de la modernité s 'accommode facilement de la coexistence avec des espaces traditionnels ou archaïques : main-d'oeuvre bon marché, activités artisanales, etc. Ainsi, l'Amérique latine accélère-t-elle le découpage de ses territoires dans lesquels se trouvent enclavées de véritables zones franches de la modernité. E n effet, l'introduction non planifiée d'innovations technologi­ques (câble, réseaux informatiques, etc.) a accéléré les tendances existantes à la ségrégation spatiale, et l'on voit se mettre en place des logis modulaires d'organisation des territoires urbains qui répondent bien à l'idée de «métropole à croissance illimitée». Chaque jour, les systèmes urbains évoluent ainsi vers une succession d'îlots monofonctionnels d'activités (administratives, commerciales, résidentielles, etc.) reliés par des réseaux et par des circuits (G. Schneier, 1990).

En conclusion de ce chapitre, nous dirons que le foyer est le premier environnement que l ' h o m m e s'est construit. Sa responsabilité vis-à-vis de la nature est grande. Il lui a emprunté son premier refuge en habitant les grottes et lui est toujours redevable en utilisant des matériaux de construc­tion en tout genre. S'il ne peut pas changer le site où il doit vivre, l'architecte reste maître de ce qu'il bâtit. Le secteur économique, qui

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exerce une influence sur le progrès individuel et collectif, ne doit en aucune façon imposer ses conditions sur l'adaptation de l'habitat aux exigences sociales et quotidiennes de ses utilisateurs et à la nature ambiante. L a créativité de l'architecte et de l'urbaniste doit être mise à contribution pour concilier environnement naturel et environnement construit. L'art de bâtir dépend du niveau de développement culturel du bâtisseur et de la société à laquelle il appartient.

L'urbaniste moderne est aux prises avec des problèmes imposés par la démographie galopante et par le besoin sans cesse croissant de nouvelles habitations, d'autant que les villes attirent et retiennent la majorité de la population planétaire. Les terrains à bâtir deviennent rares dans les grandes villes et il reste peu d'espace libre pour les parcs, les jardins, les places publiques.

Les sciences de l'ingénieur jouent un rôle clé dans les domaines relatifs à l'environnement et au développement. A u x niveaux national, régional et planétaire, l ' U N E S C O est bien placée pour promouvoir une collaboration étroite et une activité interdisciplinaire entre architectes, urbanistes et chercheurs aussi bien en sciences sociales et humaines qu'en sciences de la nature ( U N E S C O , 1979).

Conclusion générale

Dans diverses contrées de la planète, des traditions séculaires, héritées du passé, témoignent des valeurs éthiques et morales que les différents peu­ples ont toujours cultivées et entretenues. Ces valeurs constituent une part importante du patrimoine de chaque nation. Elles caractérisent les indivi­dus et distinguent les sociétés en les empreignant d 'un cachet spécial. Elles accompagnent diverses activités quotidiennes et parent le comportement humain des couleurs les plus variées.

Le développement culturel se mesure par le degré de respect que réserve chaque citoyen et chaque collectivité à l'éthique environnementale et aux belles habitudes d'autrefois et par les attitudes positives adoptées en faveur de la préservation du patrimoine artistique, de la protection de ce qui est construit et de la sauvegarde du milieu naturel.

Parmi les éléments du développement culturel, le désir de s'ouvrir aux autres cultures, sans négliger pour autant la sienne propre, couronne l'en­semble des relations qui unissent les humains. L a tolérance, dont se tar­guent tant de communautés, ne peut avoir qu'une définition : accepter le principe de l'égalité des h o m m e s qui doivent accéder sans aucune restric­tion à la culture. Le but de celle-ci est d'assurer en m ê m e temps l'acquisi­tion des connaissances, l'accès aux oeuvres d'art, la jouissance des facili­tés de la communication, l'amélioration de la qualité de la vie. Les échan­ges de programmes culturels, de personnels éducatifs et de jeunes consoli­deront la prise de conscience communautaire de l'unité des êtres vivants et de la nécessité de garder intact pour l'avenir le legs des générations antérieures.

L a dimension culturelle du développement est l'un des objectifs du progrès qui ne peut se réaliser pleinement qu'en renforçant les relations de l'éducation et de la culture, de la science et de la communication avec l'environnement. U n e action d'ampleur universelle doit être entreprise à l'échelle de la planète pour protéger l'environnement et assurer tout à la fois un véritable développement pour tous.

124 Développement culturel et environnement

A l'aube du X X I e siècle, des mesures urgentes sont à prendre pour atténuer la pauvreté, cause essentielle de la dégradation de l'environne­ment. Des changements radicaux doivent s'effectuer dans les pratiques agricoles, alimentaires et sanitaires, dans le m o n d e du travail et l'architec­ture, dans la recherche et la technologie. Parmi les points qui retiennent l'attention, il faudrait : — éviter de multiplier les «points de non retour» c o m m e l'abus des engrais

chimiques qui polluent la nappe phréatique, ce qui augmente la durée du cycle d'épuration de l'eau;

— accroître les quantités des aliments sous l'incidence des nouvelles biotechniques — l'utilisation de micro-organismes c o m m e sources im­portantes de nouvelles protéines, ne sera pas toutefois la solution de tous nos problèmes;

— étendre la vaccination à toute la planète et sensibiliser le public à une collaboration encore plus vaste dans le domaine de la prévention;

— rendre le travail plus attrayant et les loisirs plus éducatifs, mieux meublés par des activités culturelles;

— transformer l'architecture en un art plus respectueux de l'environne­ment naturel et humain;

— encourager la recherche dans les domaines de l'informatique, de la biologie cellulaire et de la biochimie, la promotion de la recherche technologique étant très liée au développement culturel et porteuse d'incidences évidentes sur l'environnement.

Sans perturber l'écologie existante, des micro-organismes compatibles avec l'environnement seront mis au point grâce aux progrès de la biotech­nologie pour réduire et minimiser la pollution. Dans l'intérêt présent et futur de la société et grâce aux biotechniques, l'environnement pourrait être sauvegardé et les ressources naturelles de la terre exploitée de manière rationnelle.

C o m m e n t mieux refermer ces pages que sur ces pensées que nous livrait hier encore Federico Mayor lors d 'un discours prononcé à Kinshasa (Zaïre) en mars 1991 :

Une nouvelle approche du développement est désormais requise, fondée sur une prise de conscience qui a eu lieu : on ne développe pas, on se développe ! Mais, en m ê m e temps, il nous faut réaffirmer l'impératif de la coopération culturelle internationale car aucune culture ne peut désormais s'épanouir en refermant sur elle-même les frontières de son identité. Tel est l'esprit dans lequel l ' U N E S C O aborde les vastes perspectives d'action et le défi de la Décennie mondiale du développement culturel.

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A u chapitre du développement, les rapports entre le culturel et ce que, naguère encore, on appelait le milieu ont longtemps cédé la vedette à la croissance purement matérielle. Or nul n'ignore aujourd'hui l'impact du développement économique sur l'environnement et sa dégradation. Après avoir exposé les facteurs qui interviennent dans le développement culturel et montré comment les agents de la démocratie et de la formation à la culture renforcent les pratiques artisanales, protègent le patrimoine, développent les attitudes et le sens de l'éthique environnementale, Georges T o h m é met ici en relief les liens qui non seulement unissent l'environnement et le développement culturel mais encore associent pratiques agricoles et pastorales, travail et technologie, santé publique, architecture et urbanisme. Bref, les liens qui font un monde où tout se tient — non sans danger de rupture — , à commencer par l ' h o m m e et le milieu qui l'environne.

I S B N 92-3-202787-9