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Joël Ernult, Arvind Ashta / Cahiers du CEREN 21(2007) pages 4-31 ISSN 1768-3394 4/100 Cahiers du CEREN 21 (2007) www.escdijon.com Développement durable, responsabilité sociétale de l'entreprise, théorie des parties prenantes : Évolution et perspectives J. Ernult 1 et A. Ashta 2 1 Département Gestion – Droit - Finances - Groupe ESC Dijon Bourgogne, BP 50608 – 21006 Dijon cedex – France – [email protected] 2 Département Gestion – Droit - Finances - Groupe ESC Dijon Bourgogne, BP 50608 – 21006 Dijon cedex – France – [email protected] Résumé Depuis le début des années 70, le monde a progressivement pris conscience que la croissance économique n'entraîne pas nécessairement le progrès social et risque même de mettre en péril l'équilibre naturel de la planète et des notions, telles que le bilan social, l'entreprise citoyenne, le développement durable, la responsabilité sociale (ou sociétale) de l'entreprise (RSE), parties prenantes, ont émergé. Ce papier décrit les notions de développement durable, de RSE et de parties prenantes et montre les nombreuses intersections qui existent entre toutes ces notions et leurs limites. Dans une première partie, il reprend l'évolution historique de la notion de développement durable, les définitions et conceptualisations proposées et en souligne les limites et controverses. La deuxième partie focalise sur la responsabilité sociétale de l'entreprise, dont elle trace l'évolution historique. Elle reprend pour cela les divers modèles et synthèses proposés, depuis un concept passif centré uniquement sur l'entreprise et ses responsabilités économique et juridique jusqu'à un concept proactif impliquant toutes les parties prenantes de l'entreprise, qui ont toutes un rôle à jouer pour que l'entreprise soit viable, la société équitable et l'environnement vivable. La troisième partie de cette introduction termine par une description de l'évolution de la théorie des parties prenantes et rappelle quelques typologies proposées. Mots clés: Développement durable, Responsabilité Sociale des Entreprises, Responsabilité Sociétale des Entreprises, RSE, CSR, parties prenantes, Triple Bottom Line, Triple Top Line "Nous n'héritons pas de la Terre de nos parents, nous l'empruntons à nos enfants" Adage africain Le modèle économique occidental a permis une croissance continue depuis plus d'un siècle. Le progrès technologique (accroissement de la productivité) et la mondialisation des échanges et du commerce (mondialisation des marchés, interdépendance croissante des économies, augmentation des échanges commerciaux et des flux financiers,) favorisent cette croissance économique. Mais cette croissance économique s'accompagne souvent de comportements de production et de consommation dont les conséquences sont porteuses de risques et d'inégalités : pollution de l'air et de l'eau, épuisement des ressources naturelles, érosion des sols, déforestation, émission de gaz à effet de serre entraînant un réchauffement climatique aux conséquences désastreuses, désertification, disparition des espèces animales et végétales, inégalité croissante dans les pays et entre les pays (notamment entre les pays du Nord et les pays du Sud), exclusion sociale, précarité de l'emploi. Depuis le début des années 70, le monde a progressivement pris conscience que la croissance économique n'entraîne pas nécessairement le progrès social et risque même de mettre en péril l'équilibre naturel de la planète.

Développement durable, responsabilité sociétale de l'entreprise, théorie des parties prenantes : Évolution et perspectives

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Cahiers du CEREN 21 (2007) www.escdijon.com

Développement durable, responsabilité sociétale de l'entreprise, théorie des parties prenantes :

Évolution et perspectives J. Ernult1 et A. Ashta2

1Département Gestion – Droit - Finances - Groupe ESC Dijon Bourgogne, BP 50608 – 21006 Dijon cedex – France – [email protected] 2Département Gestion – Droit - Finances - Groupe ESC Dijon Bourgogne, BP 50608 – 21006 Dijon cedex – France – [email protected]

Résumé

Depuis le début des années 70, le monde a progressivement pris conscience que la croissance économique n'entraîne pas nécessairement le progrès social et risque même de mettre en péril l'équilibre naturel de la planète et des notions, telles que le bilan social, l'entreprise citoyenne, le développement durable, la responsabilité sociale (ou sociétale) de l'entreprise (RSE), parties prenantes, ont émergé. Ce papier décrit les notions de développement durable, de RSE et de parties prenantes et montre les nombreuses intersections qui existent entre toutes ces notions et leurs limites.

Dans une première partie, il reprend l'évolution historique de la notion de développement durable, les définitions et conceptualisations proposées et en souligne les limites et controverses.

La deuxième partie focalise sur la responsabilité sociétale de l'entreprise, dont elle trace l'évolution historique. Elle reprend pour cela les divers modèles et synthèses proposés, depuis un concept passif centré uniquement sur l'entreprise et ses responsabilités économique et juridique jusqu'à un concept proactif impliquant toutes les parties prenantes de l'entreprise, qui ont toutes un rôle à jouer pour que l'entreprise soit viable, la société équitable et l'environnement vivable.

La troisième partie de cette introduction termine par une description de l'évolution de la théorie des parties prenantes et rappelle quelques typologies proposées.

Mots clés : Développement durable, Responsabilité Sociale des Entreprises, Responsabilité Sociétale des Entreprises, RSE, CSR, parties prenantes, Triple Bottom Line, Triple Top Line

"Nous n'héritons pas de la Terre de nos parents, nous l'empruntons à nos enfants"

Adage africain

Le modèle économique occidental a permis une croissance continue depuis plus d'un siècle. Le progrès technologique (accroissement de la productivité) et la mondialisation des échanges et du commerce (mondialisation des marchés, interdépendance croissante des économies, augmentation des échanges commerciaux et des flux financiers,) favorisent cette croissance économique.

Mais cette croissance économique s'accompagne souvent de comportements de production et de consommation dont les conséquences sont porteuses de risques et d'inégalités : pollution de l'air et de l'eau, épuisement des ressources naturelles, érosion des sols, déforestation, émission de gaz à effet de serre entraînant un réchauffement climatique aux conséquences désastreuses, désertification, disparition des espèces animales et végétales, inégalité croissante dans les pays et entre les pays (notamment entre les pays du Nord et les pays du Sud), exclusion sociale, précarité de l'emploi.

Depuis le début des années 70, le monde a progressivement pris conscience que la croissance économique n'entraîne pas nécessairement le progrès social et risque même de mettre en péril l'équilibre naturel de la planète.

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Les catastrophes industrielles à répétition (Seveso, Bhopal, Tchernobyl, Exxon Valdez, Erika, AZF,…) font croître les préoccupations du public quant à son milieu de vie et à l'environnement en général. Mais au-delà de la seule perspective environnementale, les scandales financiers (Enron, Parmalat, Vivendi,…), les licenciements abusifs, le travail des enfants, les salaires démesurés de certains dirigeants d'entreprises, etc. ont souligné un besoin d'éthique dans notre société (et pas seulement dans les entreprises). Les disparités entre les pays développés et ceux qui le sont moins soulignent également un besoin d'équité non seulement au sein de chaque pays mais aussi entre les pays.

Depuis 1987, à la suite du rapport Brundtland2, on assiste à la constitution de tout un corpus de principes, de lois et de règlements, de guides et de normes cherchant à établir un meilleur équilibre entre les dimensions économiques, sociales et écologiques en vue d'un développement durable (Sustainable Development).

Au-delà d'une mode passagère, voire d'une utopie, il semble que le développement durable soit progressivement devenu une réalité incontournable exigeant de nouveaux choix de développement, de nouvelles approches, ainsi que des attitudes et des comportements différents, c'est-à-dire un mode nouveau de développement au service d'un nouveau modèle de société.

Notons toutefois que cette notion de développement durable semble bien plus influencer la vie économique dans les pays du Nord que dans ceux du Sud. Ainsi, comme le soulignent Arnaud, Berger et De Perthuis (2005, p. 12), « les grandes entreprises se sont appropriées le concept, au moins sur le plan de la communication. Mais ce n'est pas le cas de celles du Sud, qui ne sont pratiquement pas représentées dans le World Business Council for Sustainable Development (WBCSD) ».

Certains auteurs rejettent même toute notion de développement dans la mesure où il générerait intrinsèquement une montée des inégalités, une augmentation de la production des biens et services sans accroissement équivalent du bien-être et l'épuisement des ressources environnementales. Pour Latouche (2001), le concept de développement durable est un oxymore, dans la mesure où, selon lui, les deux termes seraient contradictoires3. Notons cependant que la conception des "objecteurs de croissance" est irrecevable pour la majorité des populations du Sud qui aspirent à améliorer leurs conditions de vie grâce notamment à la croissance et au développement.

Dans le processus de création d'un nouveau mode de développement, les entreprises ont un rôle de plus en plus important à jouer car elles occupent une position exceptionnelle dans le monde contemporain. La responsabilité sociale et environnementale des entreprises – ou responsabilité sociétale – apparaît ainsi comme étant l'une des composantes du développement durable.

A cause des limites théoriques, ces notions de développement durable et de responsabilité sociétale des entreprises restent cependant ambiguës, controversées et difficiles à mettre en œuvre concrètement. Il semblerait pourtant que, par le biais d'un corpus de normes et de "bonnes pratiques", la notion de responsabilité sociétale des entreprises permette un certain consensus.

Certes les freins sont nombreux et importants, parmi lesquels on peut citer :

- une (encore) insuffisante sensibilisation des décideurs et de l'ensemble des citoyens aux enjeux du développement durable,

- un foisonnement des normes et des labels et par conséquent un manque de lisibilité, qui ne facilitent pas la communication,

- l'absence de contraintes et de sanctions, en particulier dans les domaines environnementaux et sociétaux (cf. la loi NRE4, les principes du Pacte Mondial (Global Compact) et les indicateurs de la GRI5 ou encore les principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales).

Il semble néanmoins que les entreprises (surtout les grandes) soient aujourd'hui de plus en plus nombreuses à considérer le développement durable non comme un coût mais (à l'instar de la gestion de la qualité) comme un investissement; non comme une contrainte mais comme une opportunité à saisir et comme un enjeu stratégique.

Bien que l'existence d'une corrélation positive entre la performance sociétale des entreprises et leur performance financière reste difficile à démontrer et que les résultats des nombreuses études empiriques menées sur ce sujet

2 Voir ci-dessous. 3 On appelle oxymore (ou antinomie) une figure rhétorique consistant à juxtaposer deux mots contradictoires, comme l'obscure clarté, par exemple. 4 Loi sur les Nouvelles Régulations Économiques (2001), article 116. Voir ci-dessous. 5 Global Reporting Initiative (1997). Voir ci-dessous.

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doivent être relativisés (limites méthodologiques et théoriques), il semble qu'ils penchent globalement plutôt vers l'existence d'une telle corrélation positive (Gond, 2001, p. 82). Intégrer le développement durable dans sa stratégie offrirait ainsi à l'entreprise un avantage concurrentiel en termes de création de valeur.

Dans cette première partie de l'étude, nous verrons tout d’abord l’origine, les définitions et les limites des concepts de développement durable (Chapitre 1) et de responsabilité sociétale des entreprises (Chapitre 2). Nous verrons ensuite la notion de parties prenantes, les typologies proposées, et notamment comment la théorie des parties prenantes peut permettre d'opérationnaliser le concept de RSE dans les entreprises (Chapitre 3).

Partie 1. Le développement durable

1.1. Prise de conscience des enjeux écologiques et humains : les dates clés

Si le concept de développement durable est relativement récent (Our Common Future, Gro Harlem Brundtland, 1987), la prise de conscience des enjeux écologiques et humains à l'échelle planétaire remonte au début des années 70.

→ En 1971, le Club de Rome publie le rapport Meadows au titre provocateur : The Limits to Growth (Halte à la croissance). Face à la surexploitation des ressources naturelles liée à la croissance économique et démographique, le rapport pose la question de la pertinence de la poursuite indéfinie de la croissance. La croissance zéro y est prônée.

→ En 1972, se tient la Conférence de Stockholm des Nations Unies sur l'environnement humain qui conclut à la nécessité d'un développement écologique; on parle d'éco-développement. Les organisateurs soulignent la nécessité d'intégrer l'équité sociale et la prudence écologique dans les modèles de développement du Nord et du Sud. Suivra la création du Programme de Nations Unies pour l'Environnement (PNUE) et du Programme de Nations Unies pour le Développement (PNUD).

→ Historiquement, le concept de sustainable development, traduit en français par dévelop-pement durable6, a été utilisé pour la première fois en 1980 par l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) qui s'alarmait de la disparition progressive des milieux naturels.

→ Il faudra pourtant attendre 1987 pour que le terme de sustainable development soit repris par Gro Harlem Brundtland, Présidente de la Commission Mondiale pour l'Environnement et le Développement, dans son rapport Our Common Future (Notre avenir à tous) et formalisé comme « un développement économique qui permet de satisfaire les besoins de la présente génération, sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire les leurs ».

→ La notion de développement durable a reçu une consécration officielle à la Conférence de Rio des Nations Unies sur l'environnement et le développement (connue sous le nom de Sommet de la Terre) en juin 1992. Prenant acte de la nature globale et interdépendante de la planète, les nations rassemblées dans la cadre de ce sommet y définissent les bases d'un programme d'action à appliquer au niveau international, national et local, comprenant un ensemble de recommandations (27 principes) sur les orientations futures pour favoriser le développement durable : c'est l'Agenda 21. Il est du ressort de chaque État et Institution Internationale d'en intégrer les principes dans la législation. Les Agenda 21 locaux en sont des déclinaisons au niveau des villes et des collectivités locales.

→ La même année, avec le Traité de Maastricht, la protection de l'environnement devient un objectif de la nouvelle Union Européenne.

6 Notons l'ambiguïté du terme que l'on peine à traduire en français : développement durable, soutenable, viable, "supportable",…

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2002 Johannesburg

1999 Global Compact

1992 Rio → Agenda 21 Maastricht

1997 KyotoGRI

1987 Rapport Brundtland : Our Common Future

1971 Club de Rome : The Limits to Growth

1972 Stockholm → PNUE et PNUD

2001 loi NRE (en France)

2005 Ratification de Kyoto

Figure 1 : Le développement durable : quelques dates clés

→ Les problématiques de Rio ont été ensuite déclinées dans plusieurs conférences inter-nationales (sommet sur la démographie au Caire, sommet social à Copenhague, sommet des villes à Istanbul,…) et la notion de développement durable n'a cessé d'être reprise dans les traités internationaux (Agenda 21; Protocole de Kyoto, Convention internationale sur la biodiversité,…), dans les discours des ONG, des organisations internationales (ONU, Banque Mondiale, OMC, OCDE, OIT,…) et des entreprises.

→ En 1997, signature du Protocole de Kyoto, principal texte d'application de la convention cadre sur le changement climatique élaborée en 1992.

→ La même année, la Global Reporting Initiative (GRI) est lancée par l'association américaine Coalition for Environmentally Responsible Economies (CERES) et sous l'égide du Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE). La GRI est aujourd'hui une organisation indépendante (siège à Amsterdam) dont la mission est d'élaborer, de mettre à jour en permanence et de diffuser des lignes directrices et des indicateurs mondialement utilisables pour aider les entreprises à produire des rapports de développement durable. La traduction française de ces indicateurs a été réalisée par l'Observatoire sue la Responsabilité Sociétale des Entreprises (ORSE) 7.

→ En 1999 : démarche "Global Compact" (Pacte mondial) initiée par Kofi Annan, secrétaire général des Nations Unies, qui a pour ambition d'"unir la force des marchés à l'autorité des idéaux individuels" afin de responsabiliser les entreprises8. Le Global Compact vise à faire respecter (sans contrainte) par le monde des affaires dix principes (voir en annexe : Les Principes du Pacte mondial et les indicateurs de performance de la GRI, parmi lesquels on peut citer notamment :

- promouvoir et respecter la protection des droits de l'homme dans la sphère de leur influence

- veiller à l'abolition du travail des enfants

- veiller à l'élimination de la discrimination dans le recrutement et l'évolution des carrières

- prévenir les risques environnementaux

- lutter contre toutes les formes de corruption

7 L'ORSE est une association loi 1901, créée en juin 2000, qui rassemble des grandes entreprises, des sociétés de gestion de portefeuille, des organisations syndicales et des institutions de prévoyance et mutuelles. 8 Le Global Compact propose de renforcer le sens des responsabilités et le civisme des entreprises en rassemblant entreprises, monde du travail et représentants de la société civile autour de dix principes fondamentaux relatifs aux droits de l'homme, aux normes du travail, à l'environnement et à la lutte contre la corruption.

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→ En 2001, la France a inclus dans sa loi Nouvelles Régulations Économiques, dite loi NRE9, l'obligation pour les entreprises cotées de droit français de faire état dans leur rapport annuel de « la manière dont la société prend en compte les conséquences sociales et environ-nementales de son activité » (article 116). Le décret d'application de la loi (20 février 2002) précise la liste des informations d'ordre social et environnemental que l'entreprise doit fournir comme, par exemple, la consommation de ressources en eau, matières premières et énergie, les émissions de gaz à effet de serre, l'égalité professionnelle entre hommes et femmes, l'insertion des personnes handicapées.

→ En 2002, dix ans après Rio, la Conférence de Johannesburg a réuni, sous l'égide des Nations Unies, des chefs d'État et de gouvernement, des dirigeants d'entreprises, d'ONG et de collectivités locales. Le texte adopté met en évidence les mesures à prendre dans les domaines de l'eau, de la biodiversité, de l'énergie, du commerce et de la gouvernance.

→ En 2005, entrée en vigueur du protocole de Kyoto sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre à la suite de sa ratification par la Russie.

1.2. Formalisation du concept de Développement durable

1.2.1. Le texte fondateur : le Rapport Brundtland10

« C'est un développement économique qui permet de satisfaire les besoins de la présente génération sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire les leurs. Deux concepts sont inhérents à cette notion : le concept de "besoins" et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis à qui il convient d'accorder la plus grande priorité, et l'idée des limitations que l'état de nos techniques et de notre organisation sociale imposent sur la capacité de l'environnement à répondre aux besoins actuels et à venir ».

1.2.2. Autres définitions de référence

Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement (Rio de Janeiro, juin 1992).

Principe 1:

« Les êtres humains sont au centre des préoccupations relatives au développement durable. Ils ont droit à une vie saine et productive en harmonie avec la nature ».

Principe 3:

« Le droit au développement doit être réalisé de façon à satisfaire équitablement les besoins relatifs au développement et à l'environnement des générations présentes et futures ».

Principe 4:

« Pour parvenir à un développement durable, la protection de l'environnement doit faire partie intégrante du processus de développement et ne peut être considérée isolément ».

Traité de Maastricht, janvier 1992

Article 2 : « Promouvoir une croissance durable respectant l'environnement, inventer des modes de développement et donc de consommation pour assurer le bien-être des hommes d'aujourd'hui sans compromettre celui de hommes de demain ».

De ces définitions, il ressort les points suivants :

9 La loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 prévoit un certain nombre de mesures importantes touchant aux relations juridiques à caractère économique et modifie principalement le Code Monétaire et Financier, le Code du Commerce, le Code de la Consommation et le Code du Travail. Cette loi réglemente notamment la notion de dirigeant d'entreprise, l'information concernant les conventions conclues avec un des dirigeants, les cessions ou acquisitions d'actions cotées sur les marchés financiers, les certificats d'investissement, la lutte contre le blanchiment de l'argent "sale", les moyens et les pouvoirs du Conseil de la Concurrence, les moyens pour lutter contre certaines pratiques commerciales anti concurrentielles, la création des fonctions de Directeur général délégué, le cumul des mandats, le statut des Commissaires aux comptes, la libération du capital des SARL et des sociétés à capital variable, les attributions du Comité d'entreprise, la procédure d'injonction de faire. 10 Commission mondiale pour l'environnement et le développement, Rapport Brundtland Our Common Future, 1987

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- Face aux limites et aux excès de notre mode de développement actuel centré sur la seule performance économique, toutes ces définitions soulignent la nécessité d'établir un nouvel équilibre entre l'homme et son environnement afin d'assurer un développement durable.

- Le développement durable cherche par conséquent à concilier trois objectifs : croissance économique, équité sociale et protection de l'environnement (cf. le schéma ci-dessous : les trois "piliers" du développement durable).

- Il implique en outre une vision et une conception systémique, c'est-à-dire que les éléments qui le composent sont considérés comme un tout, de façon intégrée, et non plus séparément.

- Il s'inspire notamment de la pensée du philosophe Jonas (1995) qui met l'accent sur la responsabilité de la génération vivante envers la génération future.

1.2.3. Conceptualisation

Le développement durable suppose ainsi un équilibre le plus harmonieux possible entre l'économique, le social et l'environnemental. Ces trois dimensions (ou "piliers") sont souvent représentées par trois cercles qui s'entrecroisent. L'intersection entre ces trois cercles figure la zone de convergence entre l'économique, le social et l'environnement.

ENVIRONNEMENTNATURE

ÉCONOMIQUESOCIAL/SOCIETAL

DURABLE

Figure 2 : Les trois "piliers" du développement durable11

Le développement durable repose aussi sur trois principes généraux : le principe d'équité, le principe de précaution et le principe de participation :

- Le principe d'équité :

Ce principe doit se décliner sur trois niveaux :

o Dans un pays, il consiste essentiellement à assurer les besoins de tous par une meilleure répartition de la richesse (réduction de la pauvreté).

o Entre les pays ou les peuples, il repose sur la reconnaissance du caractère mondial et commun de l'environnement et sur la nécessité d'en partager les ressources. Les enjeux portent notamment sur le développement des pays du sud, le commerce équitable, etc.

o Enfin le développement durable suppose une équité non seulement intra-générationnelle (réduction de la pauvreté, relations Nord-Sud) mais aussi intergénérationnelle (stabilité climatique, préservation de la biodiversité, etc.), c'est-à-dire à la fois une ouverture de notre horizon spatial (équité entre les pays ou les peuples) et de notre horizon temporel (équité entre les générations).

11 Adapté du Guide SD 21000, AFNOR, p. 8.

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- Le principe de précaution :

Ce principe, introduit dans le Préambule de la Constitution française en 2005, consiste à prévoir et à prévenir les conséquences environnementales de tout projet. Il complète la prévention (qu'il ne faut pas confondre avec la précaution) face aux risques avérés. Concrètement, il met en balance des bénéfices immédiatement tangibles et des coûts futurs difficiles à évaluer, potentiellement élevés et souvent occultés, les préoccupations court-termistes l'emportant généralement sur la prise en compte d'une perspective à long terme. C'est pourquoi, alors que la plupart des traités et accords internationaux concernant l'environnement mentionnent ce principe, ils sont souvent difficiles à faire appliquer. Les États Unis, par exemple, ont signé la convention cadre sur le changement climatique mais se sont retirés du Protocole de Kyoto qui en constituent le principal texte d'application.

- Le principe de participation :

Le développement durable est une responsabilité collective qui requiert la participation active et la collaboration de tous, à tous les niveaux. La consultation et la concertation à tous les échelons décisionnels (organisations internationales, États et gouvernements, entreprises, syndicats, organisations non gouvernementales, collectivités décentralisées ou locales, etc.) sont indispensables à la gestion durable des ressources et induisent par conséquent de nouveaux modes de gouvernance.

1.3. Limites de la définition : interprétations et controvers es

La définition du développement durable, issue du Rapport Brundtland, a progressivement été adoptée dans le monde entier. Elle semble aujourd'hui faire l'unanimité sur le fait qu’elle correspond à la recherche d’un nouveau mode, voire modèle de développement.

Elle n'est pas pour autant dénuée d'équivoques, tant au niveau de ses finalités que de ses contenus. Les principes invoqués, par exemple, varient d'un acteur à l'autre et l'un des principes de base – le principe de précaution – est largement controversé (Capron et Quairel-Lanoiselée, 2004). Quels sont, notamment, les fondements théoriques sur lesquels s'appuyer pour codifier et déployer le développement durable ? (Lauriol, 2004). La notion de responsabilité, qui lui est lié, n'est pas moins controversée, comme on le verra ci-dessous (§ 2.3.2 ).

Au plan des finalités, le débat autour du développement durable se situe entre deux approches :

- l'une, écologico-centrée, dont le principe de base est que le développement de nos sociétés passe par un environnement sain. La figure ci-dessous illustre cette approche.

Environnement

Social

Économique

"développement"

Figure 3 : L'approche "écologico-centrée" dite de "durabilité forte"12

- l'autre, économico-centrée, est sous-tendue par le principe inverse : c'est la prospérité économique qui permet le progrès social et la protection de l'environnement. La figure ci-dessous illustre cette approche.

12 Adapté de Boutaud (2001) cité par Dontenwill (2005)

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Environnement

Social

Économique

"développement"

Figure 4 : L'approche "économico-centrée" dite de "durabilité faible"

Ce débat autour du développement durable oppose également une approche pragmatique, fondée sur la théorie des parties prenantes (que l'on développera ci-dessous), d’une approche éthique ou morale qui s'appuie sur un principe de responsabilité inspiré par Hans Jonas (1995). « S'agit-il, comme le souligne Jacques Lauriol (2004, p.138), d'une nouvelle logique du développement qui résulterait d'un meilleur arbitrage entre préoccupations court-termistes (fondées pour l'essentiel sur des critiques économiques), ou d'une nouvelle définition de la performance élargie à des considérations environnementales et sociales ? »

Ce débat autour du développement durable oppose également une approche pragmatique, fondée sur la théorie des parties prenantes (que l'on développera ci-dessous), d’une approche éthique ou morale qui s'appuie sur un principe de responsabilité inspiré par Hans Jonas (1995). « S'agit-il, comme le souligne Jacques Lauriol (2004, p.138), d'une nouvelle logique du développement qui résulterait d'un meilleur arbitrage entre préoccupations court-termistes (fondées pour l'essentiel sur des critiques économiques), ou d'une nouvelle définition de la performance élargie à des considérations environnementales et sociales ? »

Partie 2. LA RESPONSABILITE SOCIETALE DES ENTREPRISES (RSE)

La prise en compte progressive du développement durable par les gouvernements et les organismes nationaux et internationaux, la pression conjuguée de l'opinion publique (par l'intermédiaire notamment des ONG et des mouvements alter mondialistes), du monde financier (Investissement Socialement Responsable et Agences de notation) et des médias provoquent progressivement un changement dans les mentalités, les valeurs et les perspectives d'activité des entreprises.

Les dirigeants sont de plus en plus conscients de la nécessité d'intégrer le développement durable dans leurs stratégies et dans les politiques qui en découlent pour assurer la pérennité de leurs entreprises (pas seulement les grandes mais aussi les PME entraînées par les grandes, même si ce sont les grandes qui sont en général les premières concernées).

Transposé à l’entreprise, le développement durable se traduit par l’idée de Responsabilité Sociale (ou Sociétale) de l'Entreprise (RSE) et l'on constate que, depuis une dizaine d'années, la RSE prend une importance croissante dans les pratiques et dans les discours des entreprises, comme l'avait prédit Dennis (1981). Une enquête récente, réalisée par la Commission euro-péenne13, montre ainsi qu'environ 50 % des PME européennes développent des actions de RSE, sans toutefois toujours les identifier comme telles (David, Dupuis et Le Bas, 2005).

13 European SMEs and Social and Environmental Responsability, 7th Observatory of European SMEs, 2002.

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2.1. Historique

La préoccupation des dirigeants pour la qualité de l'environnement social de leurs employés n'est pas nouvelle en France. « Les discours et les pratiques des dirigeants du XIXe siècle sont déjà imprégnés de moralisme, liés à la religion, mais aussi à des comportements individuels laïcs. Le patronage, puis le paternalisme, constituent l'essentiel des relations sociales entre patrons et ouvriers en France à partir de la révolution industrielle » (Ballet et De Bry, 2001, p. 43). A partir des années 20, le patronage va décliner et être progressivement remplacé (surtout après 1945) dans le domaine social par l'État-providence.

L'approche contemporaine de la RSE est marquée par l'ouvrage de Bowen (1953), Social Responsability of the Businessmann, que beaucoup considèrent comme étant le premier à aborder ce sujet. Selon lui, la notion de Responsabilité sociale repose sur deux principes :

� le contrat social (niveau macro) : si l'entreprise existe, c'est parce que la société le veut bien et en contre partie son comportement et ses méthodes doivent respecter les lois formulées par la société;

� l'agence morale (niveau micro) : de par son influence dans la société et son pouvoir de décision, l'entreprise doit avoir un comportement exemplaire, cohérent avec les valeurs de la société.

Cet ouvrage a été suivi de nombreuses publications qui l'ont critiqué et qui ont ainsi contribué à la définition du concept de RSE autour du principe de responsabilité : McGuire (1963), Friedman (1962, 1970), Manne et Wallich (1972), Davis (1973), Wartick et Cochran (1985), etc. (voir, ci-dessous, § 2.3.2).

Davis (1973) propose notamment un inventaire des arguments en faveur et contre l'introduction du concept de RSE dans la société :

Arguments en faveur de la RSE Arguments contre la RSE

Intérêt à long terme de l'entreprise Maximisation du bénéfice

Image publique Coûts sociétaux de l'engagement social

Légitimité de l'entreprise dans la société Manque de compétences sociétales

Éviter la régulation par le gouvernement Dilution des buts primaires de l'entreprise

Se conformer aux normes socioculturelles Affaiblissement de la compétitivité des entreprises nationales et de la Balance des paiements

Intérêt des actionnaires possédant un portefeuille diversifié

Les entreprises ont déjà trop de pouvoir sociétal

Donner la possibilité à l'entreprise de réduire les maux de la société

Manque de contrôle sur les résultats des actions sociétales

L'entreprise dispose des ressources nécessaires (capital, talents et expertise)

Manque de soutien de nombreux groupes d'influence dans la société

Les problèmes sociaux peuvent se convertir en opportunités et bénéfices

Il vaut mieux prévenir que guérir

Davis conclut qu'il appartient à chaque pays de trancher en faveur ou contre l'introduction de la RSE dans l'entreprise et que la société actuelle (pays développés) a tranché en faveur.

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En France, en particulier, la notion de RSE est directement issue de réflexions sur la place de l'entreprise dans la société, concrétisées par l'établissement d'un bilan social annuel dans les entreprises (loi du 12 juillet 1977), puis par le concept de l'entreprise citoyenne proclamé par le CJD14 dès 1975 et consacré par les lois Auroux (1982).

2.2. La RSE : un concept "ambigu"

Le concept de RSE reste cependant un concept ambigu, qui a fait l'objet de nombreuses interprétations15 et de nombreuses critiques, notamment de la part d'économistes (Friedman, 1962, 1970) ou de sociologues suspectant son caractère instrumental et manipulateur (Salmon, 2002; Gendron, 2000). Friedman (1970) considère notamment que la RSE doit se limiter aux niveaux économique et juridique. Si elle va au-delà, soit il y a un problème d'agence16, soit les managers usurpent le rôle du gouvernement17.

Cette ambiguïté est de nature à la fois sémantique, théorique et idéologique.

L'ambiguïté sémantique tient au fait que le concept de CSR a été utilisé chez les anglo-saxons à la fois au sens de Social Corporate Responsability (ou CSR1) et de Social Corporate Responsiveness (ou CSR2) et que, comme le soulignent Gond et Mullenbach (2003), certains auteurs les présentent comme les stades successifs d'un même processus de conceptualisation de la notion de responsabilité sociétale (Wartick et Cochran, 1985; Wood, 1991; Ballet et De Bry, 2001; Aggeri et Acquier, 2005), tandis que d'autres les présentent comme des alternatives irréconciliables (Frederick, 1994, cité par Gond et Mullenbach, 2003, p. 11).

Par ailleurs, la traduction même du concept anglo-saxon de Corporate Social Responsability donne lieu à des formulations diverses qui peuvent être sources de confusion. Ainsi, la traduction française de social responsability par "responsabilité sociale" des entreprises peut prêter à confusion : elle peut en effet être comprise au sens restreint des relations humaines au sein d'une organisation18. C'est pourquoi, la locution "responsabilité sociétale" des entreprises lui est préférée pour exprimer une dimension élargie à la société dans son ensemble et éviter ainsi toute confusion.

L'ambiguïté théorique tient essentiellement au manque de construit théorique et au débat entre une approche éthique ou morale qui s'inspire de la philosophie de Jonas (1995) et une approche pragmatique, contractualiste, relevant de la théorie des parties prenantes (Freeman, 1984; Carroll, 1979; Donaldson et Preston, 1995; Mitchell, Agle et Wood, 1997) (voir ci-dessous, Chapitre 3), qui s'inscrit dans la théorie de l'agence (Jensen et Meckling, 1976; Jensen, 1983).

L'ambiguïté idéologique relève de la notion de "responsabilité". Cette notion pose en effet le problème des limites de l'entreprise qui opposent les tenants d'une vision minimaliste (Friedman, 1962) aux tenants d'une vision plus ou moins "élargie" de cette responsabilité (aux parties prenantes de l'entreprise) (voir ci-dessous, Chapitre 3).

A l'origine, la notion de responsabilité est utilisée dans le cadre de la responsabilité civile : « tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer » (code civil, article 1382). Mais elle a également une dimension morale puisqu'elle est, comme l'indique le Petit Robert (1994), « l'obligation morale de réparer une faute, de remplir un devoir, d'assumer les conséquences de ses actes ». Quelles sont dès lors les limites économiques, légales et morales de la responsabilité de l'entreprise ? Peut-on ou doit-on parler de "sociétés à responsabilité illimitée" pour reprendre l'expression de Roy et Peretti (1977) ? Il semble clair néanmoins que l'entreprise ne puisse être tenue pour responsable de "tous le maux de la société" et que sa responsabilité se limite à ses domaines d'activité.

14 Centre des Jeunes Dirigeants 15 Comme exemple de cette diversité d'interprétations, voir : Purcell et al. (1974). 16 Les managers utilisent les bénéfices appartenant aux actionnaires pour les distribuer aux causes sociétales que eux considèrent comme étant d'intérêt (notons que les actionnaires auraient pu prendre eux-mêmes cette décision). 17 Ils exercent ainsi un impôt sur les bénéfices (or ils n'en ont pas la légitimité). 18 Dans cette étude, nous utiliserons l'acronyme RSE au sens de Responsabilité Sociétale des Entreprises.

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2.3. Les modèles de représentation

2.3.1. RSE et principe de résultat : le Triple Bottom Line

Transposé à l'entreprise, le développement durable se traduit par la notion de Triple bottom line (Elkington, 1999) ou "triple résultat", c'est-à-dire que l'entreprise socialement responsable doit être performante dans les trois dimensions (représentées par trois cercles qui s'entrecroisent) que sont l'économique, le social/sociétal et l'environnemental (cf. Chapitre 1), ce qui conduit à évaluer sa performance sous trois angles :

� la rentabilité économique,

� le respect de l'environnement,

� l'équité sociale.

Autrement dit, s'engager dans le développement durable consiste pour un dirigeant à veiller à la rentabilité économique de son activité tout en cherchant à minimiser son impact sur l’environnement et en prenant en compte les intérêts des "parties prenantes".

L'économique

Cette dimension fait référence à la performance financière “classique“ mais aussi à la capacité de l'entreprise à contribuer au développement économique de sa zone d’implantation et à celui de ses parties prenantes, au respect des principes de saine concurrence (absence de corruption, d’entente, de position dominante…). Cette dimension regroupe la performance financière, les aspects commerciaux, le respect de la concurrence.

Le social/sociétal

Cette seconde dimension englobe les conséquences sociales de l’activité de l’entreprise pour l’ensemble de ses parties prenantes : employés (conditions de travail, niveau de rémunération, non-discrimination, exclusion, chômage,…), fournisseurs, clients (sécurité et impacts psychologiques des produits), communautés locales (nuisances, respect des cultures) et la société en général. L'entreprise est évaluée à partir de sa politique sociale et du respect des droits de l’Homme.

L'environnement

Cette dernière dimension concerne la compatibilité entre l’activité de l’entreprise et la protection des écosystèmes. Elle suppose une analyse des impacts de l’entreprise et de ses produits en termes de consommation de ressources, de production de déchets, d'émissions polluantes, etc. Un indicateur de la performance environnementale d'une entreprise peut être fourni par son éco-rating.

Vivable Viable

ENVIRONNEMENTNATURE

ÉCONOMIQUESOCIAL/SOCIETAL

Durable

Equitable

Figure 5 : Le Triple Bottom Line

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Les intersections entre ces trois dimensions représentent pour Elkington (1999) des zones de tensions (shear zones) qui constituent des risques ou des opportunités pour l'entreprise (des opportunités de développement, par exemple, peuvent apparaître avec l'adoption de nouveaux modes de production ou de consommation répondant aux attentes des parties prenantes, au respect d'une nouvelle réglementation ou à la pression de l'opinion publique) :

L'intersection entre l'économique et l'environnement concerne la viabilité de l'activité humaine et fait notamment référence à l'économie des ressources, à l'éco-efficience, à l'écologie industrielle, à la valorisation des sous-produits, etc.

L'intersection entre l'économique et le social concerne l'équité et la justice sociale et fait référence au respect des droits sociaux, au respect des règles de la diversité et de l'égalité des chances, à la valorisation du capital humain, à la participation aux résultats, etc.

L'intersection entre le social et l'environnement concerne les conditions permettant de rendre vivable l'activité humaine : hygiène, sécurité, santé, gestion des risques professionnels et environnementaux, intégration de l'entreprise dans son bassin d'emploi, participation à la vie locale, etc.

L'intersection entre les trois dimensions représente la durabilité, notion qui n'est guère moins ambiguë et difficile à mettre en œuvre au niveau "micro" de la RSE qu'elle ne l'est au niveau "macro" du développement durable.

2.3.2. RSE et principes de responsabilité et de réactivité (Responsiveness)

La notion de responsabilité sociétale exprime l'idée d'un élargissement du domaine de la responsabilité du management, au-delà de son acception traditionnelle, à la fois au niveau social et environnemental et dans le temps, incluant ainsi les conséquences à long terme des activités de l'entreprise. Cette réflexion, née comme on l'a vu dans les années 50, a donné lieu à de vives controverses opposant les tenants de la "main invisible" du marché qui assurerait l'équilibre économique et l'optimum social aux tenants d'un contrat implicite entre la société et l'entreprise (Davis, 1973) qui imposerait à cette dernière de tenir compte des aspects sociaux et environnementaux sous peine de perdre sa légitimité.

Ce débat repose sur l'opposition entre un modèle managérial fondé sur "la dissociation business – hors business" et un modèle managérial fondé sur l'intégration business – hors business" (Pérez, 2005).

Pour le premier modèle, prôné par les économistes libéraux (Friedman, 1962, 1970; Levitt, 1958; Jensen, 1981), « le concept de RSE et celui de "responsabilité globale" qui lui est associé sont vides de sens […] : dans la sphère business, les objectifs du management et donc sa responsabilité sont strictement économiques, leur efficacité se mesurant au montant du revenu net obtenu ou, pour les entreprises cotées, à l'évolution du cours de l'action […]; dans la sphère hors business, c'est également le principe de liberté qui répond, ce qui permet à l'homo economicus de se montrer aussi bon père de famille, bon voisin et/ou bon citoyen qu'il a été un entrepreneur âpre ou un dirigeant implacable » (Pérez, 2005), d'où les actions philanthropiques et caritatives menées par certaines entreprises.

Ce modèle présente cependant de graves insuffisances, notamment l'absence complète de reconnaissance des externalités négatives qu'engendre l'activité de l'entreprise, ce qui manifeste d'une attitude globalement responsable insuffisante, bien que le concept de "enlightened self interest" puisse permettre à l'entreprise de « convertir les problèmes sociétaux en opportunités économiques et bénéfices économiques, en capacités productives, en compétences humaines, en emplois bien rémunérés et en richesse » (Drucker, 1984, p. 62)

Le second modèle s'oppose radicalement au premier dans la mesure où le contrat implicite existant entre la société et l'entreprise établit des obligations pour l'entreprise, non seulement économiques et juridiques, mais également envers de toutes ses "parties prenantes" (stake-holders) : salariés, actionnaires, clients, fournisseurs et société civile (voir ci-dessous, Chapitre 3) à qui elle doit être en mesure de rendre compte. McGuire (1963) suggère notamment que l'entreprise n'a pas seulement des obligations économiques et légales, mais qu'elle a également des responsabilités envers la société, lesquelles vont au-delà de ces obligations. Jones (1980) précise la notion de responsabilité sociétale relève à la fois de contraintes normatives, d'initiatives altruistes et d'impératifs moraux qui vont au-delà de ce que la loi prescrit. L'entreprise doit ainsi engager des actions dans un certain nombre de domaines (problèmes de pollution, de pauvreté, de discrimination raciale, etc.) (Hay, Gray et Gates, 1976, cités par Carroll, 1979, p. 498). Manne et Wallich (1972) et Jones (1980) soulignent par ailleurs que la RSE doit être un engagement volontaire.

Dans les années 70, le débat se déplace au sein des tenants d'une responsabilité sociétale de l'entreprise. Deux modèles s'opposent alors : la Corporate Social Responsability (ou CSR1), issue des travaux de Bowen (1953) puis du Committee for Economic Development (CED, 1971), et la Corporate Social Responsiveness (ou CSR2).

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2.3.2.1. La Corporate Social Responsability (CSR1)

Le modèle CSR1 s'attache à savoir en quoi consiste la responsabilité sociétale, c'est-à-dire à savoir à quelles responsabilités autres qu'économiques est soumise l'entreprise et quelles en sont les motivations implicites. Il a ainsi une connotation éthique.

Ce modèle s'appuie sur une représentation en trois cercles concentriques (CED, 1971, voir Figure 6).

Le cercle interne correspond aux responsabilités de base de l'entreprise : produire, employer, etc. Le cercle intermédiaire correspond aux lois ou aux valeurs qui imposent une contrainte à l'entreprise. Le cercle extérieur représente une volonté émanant de l'entreprise.

Ces trois cercles concentriques représentent un continuum de responsabilités de l'entreprise allant des responsabilités économiques "traditionnelles" jusqu'aux responsabilités "volontaires" (discrétionnaires) (Steiner, 1975, p. 169).

Responsabilitééconomique

Responsabilité et actions discrétionnaires

Normes sociales et écologiques

Figure 6 : Le modèle CSR1

Selon Wartick et Cochrane (1985), ce modèle a reçu trois types de critiques :

� La responsabilité économique (Friedman, 1962, 1970) vue ci-dessus (§ 2.3.2); cette critique a été réfutée par trois arguments : (1) seul le court terme est pris en compte, au détriment du long terme; (2) impossibilité d'influencer les lois et les politiques au bénéfice des actionnaires; (3) la réalité montre que les entreprises font du lobbying.

� La responsabilité publique (Levitt, 1958; Preston et Post, 1975, 1981), selon laquelle le gouvernement n'est responsable que du bien-être public et n'a pas à interférer dans la conduite des entreprises; en revanche, l'entreprise doit influencer les politiques publiques qui influencent les bénéfices; c'est pourquoi cette approche distingue les responsabilités publiques (niveau macro) des responsabilités sociales (niveau micro). Cette critique est réfutée par l'argument que si la politique publique est définie d'une façon large, les différences entre responsabilité publique et responsabilité sociale disparaissent.

� La Social Responsiveness (Ackerman et Bauer, 1976; Frederick, 1978; Sethi, 1979) : traitée ci-dessous.

2.3.2.2. La Corporate Social Responsiveness (CSR2)

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Ackerman et Bauer (1976) critiquent le modèle CSR1 en lui reprochant notamment de se focaliser sur les motivations sans tenir compte des performances économiques.

C'est pourquoi le modèle CSR2 s'interroge davantage sur la manière pour l'entreprise de faire face à ces responsabilités (Social Responsiveness) (Ackerman et Bauer, 1976; Frederick, 1978; Sethi, 1979). La notion de Social Responsiveness se réfère à « la capacité de l'entreprise de répondre aux pressions sociétales » (Frederick, 1978, p. 6, cité par Wartick et Cochran, 1985). Pour cela, il s'agit de mettre en place des mécanismes, des procédures et des modèles de comportement qui, pris collectivement, feront que l'organisation sera plus ou moins capable de répondre aux pressions sociales. Le modèle CSR2 est donc pragmatique et n'a aucune connotation éthique, l'interrogation ne portant plus sur les obligations de l'entreprise et implicitement sur les motivations, mais sur les réponses que l'entreprise est capable d'apporter aux pressions sociétales. On passe ainsi du concept de CSR1 au concept de CSR2 (Frederick, 1978), c'est-à-dire d'une réflexion sur ce qu'il est important de faire à une réflexion sur la manière d'agir19.

Ce modèle a reçu trois types de critiques (Wartick et Cochran, 1985) :

� Il se focalise sur les problèmes sociétaux actuels et non pas sur les vérités éthiques fondamentales.

� Il est donc réactif et non proactif.

� La "loi de fer de la responsabilité" (Davis, 1973) : si une institution a un pouvoir social, cette institution doit l'utiliser de façon responsable sous peine de perdre ce pouvoir qui sera repris par la société. Or répondre aux problèmes sociétaux ne signifie pas nécessairement répondre de façon responsable.

2.3.2.3. Tentatives de synthèse des modèles CSR1 et CSR2

Différents auteurs (Carroll, 1979; Wood, 1991, notamment) proposeront une synthèse de ces deux modèles avec l'émergence de la notion de Performance sociétale de l'entreprise (Corporate Social Performance ou CSP)20

1) La synthèse proposée par Carroll

Carroll (1979) propose une synthèse qui intègre trois des dimensions vues ci-dessus : (a) les différentes catégories de responsabilités sociétales (CSR1), (b) les actions ou la manière de répondre aux attentes sociétales (Corporate Social Responsiveness ou CSR2) et (c) les domaines spécifiques dans lesquels sont engagées ces actions (cf. Hay, Gray et Gates, 1976, cités par Carroll, 1979, p. 498).

a. Les différentes formes ou catégories de responsabilités sociétales

Carroll identifie quatre catégories de responsabilités sociétales (proches du modèle du CED, 1971) non mutuellement exclusives et qui s'imposent toutes à l'entreprise (voir Figure 7) :

� les responsabilités économiques : l'entreprise, unité économique de base de la société, doit produire les biens et les services souhaités par la société en faisant du profit;

� les responsabilités légales constituent les obligations légales codifiées dans un cadre réglementaire que doit respecter l'entreprise;

� les responsabilités éthiques représentent des comportements et des activités qui ne sont pas nécessairement codifiés dans un cadre légal, mais que les membres de la société s'attendent à voir assumer par l'entreprise;

� les responsabilités discrétionnaires renvoient aux responsabilités à propos desquelles la société n'émet pas de message clair mais qui vont généralement au-delà de ce qui est attendu par la société et qui sont laissées à la libre appréciation de l'entreprise (activités philanthropiques, par exemple); elles correspondent au domaine "volontaire" de Steiner (1975) et au troisième cercle du CED (1971).

Carroll souligne qu'il n'y a pas de séparation entre l'économique et le social. Dans le secteur bancaire, par exemple, la politique consistant à ne pas utiliser de l'argent "sale" ou à ne pas financer le terrorisme relève à la fois de la responsabilité éthique des banques et de leur responsabilité légale (respectivement : Article 324-1 du Code pénal et loi Perben 2 du 9 mars 2004).

19 Pour plus de précisions sur les distinctions entre CSR1 et CSR2, voir Wartick et Cochran (1985). 20 Notons que cette notion de Performance sociétale de l'entreprise représente une "digression" sémantique de la notion de Responsabilité sociétale stricto sensu (Gond et Mullenbach, 2003).

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Figure 7 : The pyramid of Corporate Social Responsibility21

b. La manière (philosophie ou stratégie) de répondre aux attentes sociétales

Différents types de stratégies de réponse de l'entreprise aux attentes sociétales (Corporate Social Responsiveness), allant de la situation où l'entreprise ne fait rien à la situation où elle agit au mieux, ont été proposés (Wilson, 1975; McAdam, 1973; Davis et Blomstrom, 1975, cités par Carroll, 1979, p. 502) (voir Figure 8)

Ian Wilson Réactive Défensive Accommodation Proactive(1975)

Terry McAdam Lutter Faire uniquement Être Être leader(1973) ce qui est exigé progressiste dans son secteur

Davis & Retrait Approche par les Approche Négocier Résoudre lesBlomstrom relations publiques légale problèmes(1975)

Ne rien faire <_______________________________________________________________________________________ > Agir

Figure 8 : Stratégies de Corporate Social Responsiveness

Carroll reprend la typologie de Wilson (1975) et retient les quatre stratégies de Social Responsiveness que ce dernier a définies : la stratégie réactive, la stratégie défensive, la stratégie d'accommodation et la stratégie proactive.

21 Carroll (1979, p. 499) et Carroll et Buchhholz (2003, p.40)

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c. Les domaines spécifiques dans lesquels sont engagées ces actions ou ces stratégies

Carroll propose six domaines d'intervention : le consumérisme, l'environnement, la discrimination, la sécurité des produits, la sécurité du travail, les actionnaires. Ces domaines peuvent être différents d'un secteur de l'économie à l'autre (une banque, par exemple, ne sera pas soumise aux mêmes pressions environnementales qu'une entreprise industrielle) et peuvent changer dans le temps. L'évaluation réalisée par Vigeo pour la Caisse d'Épargne, par exemple, retient les domaines suivants : la gouvernance, les ressources humaines, les droits de l'homme, la communauté et la société, la relations avec les clients et les fournisseurs et l'environnement).

A partir de ces éléments, Carroll (1979) construit une grille de lecture opérationnelle en croisant les quatre niveaux de responsabilité, les quatre types de stratégies (réaction, défense, accommodation, pro-action) et les six domaines qu'il a choisis (voir Figure 9).

Proaction

Accommodation

Defence

Reaction

Discretionary Responsibilities

EthicalResponsibilities

LegalResponsibilities

EconomicResponsibilities

SOCIALRESPONSABILITYCATEGORIES

PHILOSOPHYOF SOCIALRESPONSIVENESS

Consu-merism

Environ-ment

Discri-mination

ProductSafety

Share-holders

Ocupa-tionalSafety

SOCIAL ISSUES INVOLVED

Figure 9 : The Corporate Social Performance Model22

Ce modèle propose aux entreprises un outil opérationnel leur permettant de mieux conduire leurs actions sociétales (en réinsérant notamment leurs responsabilités éthiques et discré-tionnaires dans un cadre économique et légal) et d'évaluer leur performance globale23.

2) La synthèse proposée par Wood

Sur la base des travaux de Carroll (1979), Wartick et Cochrane proposent un modèle de CSP qu'ils définissent comme « l'intégration sous-jacente entre les principes de responsabilité sociétale, le processus de social responsiveness et les politiques développées pour répondre aux problèmes sociaux » (Wartick et Cochrane, 1985, p. 758). Ils montrent notamment comment plusieurs perspectives alternatives (responsabilité économique, responsabilité publique, social responsiveness) peuvent être incorporées dans ce modèle. Par la suite, plusieurs recherches théoriques et empiriques ont été menées mais, comme le souligne Wood (1991, p. 692), aucune modification majeure n'a été apportée au modèle.

22 Carroll, 1979, p. 503 23 Notons la grande similarité entre le modèle propose par Carroll et la méthodologie utilisée par l'Agence de notation Vigeo.

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A partir de la définition de la notion de CSP proposée par Wartick et Cochrane (1985), Wood (1991, p. 693) propose une autre définition de cette notion : c'est « une configuration de principes de responsabilité sociétale, de processus de social responsiveness, et de politiques, programmes et résultats observables en tant qu'ils se réfèrent aux relations sociétales de l'entreprise ». Cette définition permet à l'auteur de proposer un nouveau cadre conceptuel pour le modèle de CSP qui prend en compte : (a) les principes de la responsabilité sociétale de l'entreprise, (b) les processus de la corporate social responsiveness et (c) les résultats des actions menées par l'entreprise pour répondre aux attentes de la société, et de remettre en cause les quatre catégories de responsabilités définis par Carroll (1979) qui ne sont en fait que des domaines dans lesquels s'insèrent ces principes. Wood définit alors trois niveaux d'approche des quatre catégories de responsabilités de Carroll :

a) Le niveau institutionnel qui repose sur le principe de légitimité : la société délègue à l'entreprise le pouvoir de "faire du business", à condition de respecter les normes légales et éthiques existantes et de résoudre les problèmes que son activité a créés directement (responsabilité "primaire") et indirectement (responsabilité "secondaire"). Ce principe de légitimité est appuyé par l'idée de stakeholders (Freeman, 1984), comme le soulignent Ballet et De Bry (2001, p. 194) : « l'organisation est située en interrelation non seulement avec les clients, les fournisseurs, les employés, les détenteurs de capitaux, mais également avec toute personne, tout groupe de personnes ou toute institution qui peuvent être affectés par l'organisation de l'entreprise et sa production ».

b) Le niveau organisationnel qui repose sur le principe de la responsabilité publique : l'entreprise est responsable, directement et indirectement des conséquences de son activité dans les domaines où elle intervient. Mais sa responsabilité n'est pas infinie : un constructeur automobile pourra, par exemple, être tenu pour responsable d'un accident provoqué par une défaillance mécanique de son véhicule, mais en aucun cas de la mauvaise conduite du conducteur ou de l'illettrisme dans le pays.

c) Le niveau individuel qui repose sur la volonté managériale : l'entreprise est composée d'acteurs qui prennent constamment des décisions dont ils doivent assumer personnellement la responsabilité économique, légale et éthique.

En croisant les quatre catégories de responsabilité de Carroll (1979) et les trois niveaux d'approche, Wood construit une nouvelle grille de lecture plus opérationnelle.

2.3.3. RSE et le principe de pro-activité : le Triple Top Line

Comme nous l'avons vu ci-dessus (§ 2.3.1), le Triple Bottom Line est une approche utile permettant aux entreprises de focaliser leur attention sur la RSE. Le modèle CSR1 permet d'améliorer ce concept mais demeure néanmoins un outil passif. Le modèle CSR2 est actif mais plutôt réactif.

McDonough et Braungart (2002) proposent une nouvelle approche à la RSE permettant de concevoir des processus de fabrication et de développer des produits de qualité dès le début au lieu de d'essayer de répondre aux problèmes sociétaux et environnementaux a posteriori. Cette nouvelle perspective crée ainsi une croissance Triple Top Line, c'est-à-dire des produits qui augmentent le bien-être à la fois sur le plan environnemental, culturel et économique.

Les auteurs citent l'exemple d'une fabrique qu'ils ont créée, pour une nouvelle ligne de textile, avec des éléments tellement sécurisés qu'ils permettent de filtrer l'eau utilisée par l'usine pendant la production, ce qui permet de s'éviter ainsi tout soucis de respect des règlements ou de problèmes de santé. Après sa vie commerciale, le tissu peut même être utilisé comme compost pour restaurer la terre et ainsi améliorer les jardins de la communauté !

2.4. Définitions de la RSE proposées par les organismes internat ionaux

On retrouve la plupart des éléments présentés ci-dessus dans les définitions de la RSE proposées par les organismes internationaux :

« La RSE consiste en un engagement des entreprises à agir dans un cadre légal en vue de participer au progrès économique et de contribuer à l'amélioration de la qualité de vie de ses salariés, de l'environnement et de la société dans son ensemble »24

La RSE est « l'intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes »25

24 World Business Council for Sustainable Development, 1992

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La RSE signifie « non seulement satisfaire pleinement aux obligations juridiques applicables, mais aussi aller au-delà et investir "davantage" dans le capital humain, l'environnement et les relations avec les parties prenantes »25

La RSE est un concept qui reconnaît que « les entreprises peuvent contribuer au développement durable en gérant leurs opérations en vue, d'une part, de renforcer la croissance économique et d'accroître leur compétitivité et, d'autre part, de garantir la protection de l'environnement et promouvoir leur responsabilité sociale »26

Malgré les nombreuses interprétations dont fait l'objet la RSE et la variété des approches, il semble néanmoins qu'il existe un consensus sur ses principales caractéristiques :

« La RSE est intrinsèquement liée au concept de développement durable : les entreprises doivent intégrer les retombées économiques, sociales et environnementales dans leur gestion »26, c'est-à-dire qu'elles doivent non seulement se soucier de leur rentabilité et de leur croissance, mais aussi de leurs impacts sociaux et environnementaux.

La RSE est un engagement volontaire de l'entreprise de mise en œuvre d'une démarche de développement durable.

« La RSE n'est pas une option à "rajouter" aux activités centrales de l'entreprise – elle a trait à la gestion même de l'entreprise »26

L'entreprise socialement responsable doit être performante à la fois dans les domaines économique, social et environnemental : c'est le triple résultat ou Triple bottom line que l'on a vu ci-dessus.

L'entreprise socialement responsable doit notamment, pour cela, prendre en compte les attentes de l'ensemble de ses partenaires et de ses collaborateurs, c'est-à-dire de l'ensemble des ses parties prenantes ou stakeholders (voir ci-dessous, Chapitre 3) : clients, salariés, actionnaires, fournisseurs, syndicats, riverains et société civile, etc.

- Être socialement responsable signifie pour l'entreprise dépasser le simple cadre économique et légal et s'investir dans des actions relevant du "moralement" attendu par la société.

Alors que le développement durable fait encore l'objet de nombreuses controverses, il semble que la RSE soit en mesure aujourd'hui de faire émerger un consensus sur ces différends en « s'inscrivant clairement dans un champ (l'éthique des affaires) aux principes établis (logique contractualiste entre parties prenantes) » (Lauriol, 2004, p. 138) et en s'appuyant notamment sur un corpus de normes ou référentiels dans les domaines de l'environnement (ISO 14001, ISO 14004), de l'hygiène et de la sécurité au travail (OHSAS 18001, BS 8800), du social et de l'éthique (SA 8000, AA 1000) et de l'excellence (EFMQ), et sur de "bonnes pratiques".

Partie 3. L'ENTREPRISE ET SES PARTIES PRENANTES

3.1. La théorie des parties prenantes

La RSE implique la prise en compte des attentes de tous les acteurs (ou "parties prenantes"), internes à l'entreprise (actionnaires, salariés) et externes à l'entreprise (clients, fournisseurs, détenteurs de capitaux, société civile), qui peuvent être affectés par son fonctionnement. C'est une condition sine qua non de la réussite de l'entreprise (Hillman et Keim, 2001).

La notion de parties prenantes (stakeholders27) apparaît pour la première fois dans la littérature du management dans une note du Stanford Research Institute (SRI), en 1963 (Gond et Mullenbach, 2003). Elle s'est développée à partir des travaux de Freeman et Reed (1983) et plus particulièrement de Freeman (1984), Strategic Management : A Stakeholder Approach, considéré comme le fondement de cette théorie.

La théorie des parties prenantes présente l'entreprise comme une "constellation" d'intérêts coopératifs ou concurrents (Donaldson et Preston, 1995, Martinet et Reynaud, 2001). Elle place ainsi l'entreprise au cœur d'un ensemble de relations avec des partenaires qui ne sont plus seulement les actionnaires (shareholders), mais tous les acteurs qui ont "partie prenante" directement ou indirectement des décisions et des activités de l'entreprise,

25 Commission européenne, juillet 2001 26 Commission européenne, juillet 2002 27 Lancé comme un jeu de mot (stakeholder / stockholder), la notion de stakeholder permet d'étendre la notion de stockholder (actionnaires) à l'ensemble des acteurs envers qui l'entreprise a une responsabilité.

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ainsi que de l'impact de ces décisions sur le "patrimoine commun", économique, social, culturel et environnemental (les stakeholders).

Au plan théorique, cette approche par les parties prenantes s'inscrit dans la théorie de l'agence (connue aussi sous le nom de théorie des mandats ou théorie contractuelle des organisations) (Jensen, 1983, Jensen et Meckling, 1976) qui représente l'entreprise comme un "nœud de contrats", implicites ou explicites, qui régissent les relations internes (entre ses membres) et externes (entre ceux-ci et les tiers). L'organisation apparaît comme « le point focal d'un processus contractuel complexe, par lequel les objectifs conflictuels des individus atteignent l'équilibre. En ce sens, la conduite d'une organisation est comme celle d'un marché, qui n'est que la résultante d'un processus complexe de recherche de l'équilibre » (Jensen et Meckling, 1976, p. 311).

Il n'existe cependant pas de consensus sur ce que sont les parties prenantes de l'entreprise. Elles sont en effet, selon la définition la plus étroite, ceux qui supportent un risque (Risk Bearers) volontairement ou involontairement (Clarkson, 1994) et, selon la définition la plus large, « tout groupe ou tout individu qui peut affecter ou être affecté par la réalisation des objectifs d'une organisation » (Freeman, 1984, p. 48).

3.2. Typologies des parties prenantes

La définition de Freeman étant très large, elle aboutit à un ensemble très hétérogène de parties prenantes, incluant les actionnaires et même les concurrents. Elle est par conséquent difficile à mettre en œuvre.

On retrouve la question de la responsabilité de l'entreprise : jusqu'où doit aller cette responsabilité ? Envers quels groupes de parties prenantes est-elle responsable ? En droit civil, la responsabilité se définit, comme nous l'avons vu, par l'obligation de réparer le dommage que l'on a causé à autrui. Si "être responsable" signifie assumer ses actes et leurs conséquences et accepter d'en rendre compte (accountability) et d'en répondre, envers quels groupes de parties prenantes l'entreprise doit-elle répondre de ses actes, d'autant que si l'entreprise est responsable de ses actes, elle l'est aussi des actes qui sont commis pour elle, en matière de sous-traitance, par exemple, et de délégation d'activités à des sociétés toujours plus spécialisées, ce qui rend les contours de l'entreprise plus imprécis ? Jonas (1995) étend encore le domaine de responsabilité des entreprises quand il met l'accent sur la responsabilité de la génération vivante envers les générations à venir et Starik (1994, cité par Carroll et Buchholtz, 2003, p. 70) précise qu'il faudrait prendre en compte l'environnement, les espèces non humaines et les générations futures…

Freeman (1984) propose trois niveaux de réflexion pour appréhender les différentes parties prenantes d'une entreprise :

� le niveau "rationnel" : approche descriptive qui conduit à une identification exhaustive des parties prenantes et s’appuie sur la représentation ci-dessous (Figure10 : Freeman, 1984, p. 55);

� le niveau "processus", s’intéressant à la procédure systématiquement développée par l’entreprise pour prendre en compte les intérêts des parties prenantes dans son processus d’élaboration, de mise en œuvre et de contrôle de la stratégie (Freeman, 1984, Carroll, 1989);

� le niveau "transactionnel", cherchant à comprendre comment interagir, négocier, gérer les parties prenantes.

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Figure 10 : Cartographie des parties prenantes d’une très grande organisation

D'autres typologies existent, notamment celles fondées sur la distinction interne / externe à l'entreprise et sur la notion de contrat. Ainsi, Carroll (1989) et Freeman (1984) distinguent :

� les parties prenantes "primaires", internes ou externes à l'entreprise, impliquées directement dans le processus économique et ayant une relation formelle, officielle ou contractuelle, avec l'entreprise (actionnaires, employés et dirigeants, représentants du personnel, fournisseurs, clients, banquiers, etc.)

� des parties prenantes "secondaires", ayant des relations volontaires ou non avec l'entreprise dans le cadre d'un contrat implicite ou moral, appartenant à la "société civile" (associations de riverains, ONG, associations de consommateurs, collectivités territoriales, monde politique, monde médiatique, etc.).

De même Bonnafous-Boucher et Pesqueux (2006) propose une classification ordonnant les parties prenantes selon le caractère explicite ou implicite de leurs relations avec la firme et définissent :

� les parties prenantes contractuelles comme les acteurs en relation directe et déterminée contractuellement avec l'entreprise (actionnaires, salariés, clients, fournisseurs),

� les parties prenantes diffuses comme les acteurs situés autour de la société et qui peuvent affecter ou être affectés par cette société sans forcément se trouver en lien contractuel (autorités publiques, collectivités locales, associations, ONG…).

On peut alors préciser les attentes spécifiques de chaque groupe de parties prenantes :

Parties prenantes Attentes

Direction générale • Flexibilité et mobilité du personnel • Adhésion des syndicats à la politique globale de l'entreprise • Motivation du personnel, cohésion sociale et attractivité • Délégation (efficacité de l'encadrement intermédiaire)

Encadrement intermédiaire

• Constance dans les décisions de la direction • Respect de la hiérarchie et de la délégation (respect de la fonction d'intermédiaire • Participation au management

PARTIES

PRENANTES

INTERNES

Personnel Employés • Rémunération attractive

• Conditions de travail • Autonomie / Développement personnel • Formation et perspectives d'évolution

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• Épargne salariale • Considération des supérieurs hiérarchiques • Politique sociale et environnementale (rôle civique du salarié)

Représentants du personnel

• Respect des acquis sociaux et des libertés syndicales • Participation des salariés à la politique générale de l'entreprise • Clarification des règles de gestion du personnel

Fournisseurs • Respect des contrats et prévention des pratiques anticoncur-rentielles • Confiance et relations à long terme • Intégration dans le système de production: achats, délais, transports, outsourcing. • Intégration dans le système qualité • Politique sociale et environnementale

Clients / Consommateurs

• Prix • Innovation / qualité du produit / services après-vente • Risques environnementaux et sanitaires liés aux produits • Respect des règlementations (sociales et environnementales) • Certification du produit (qualité, écolabels, traçabilité)

PARTIES

PRENANTES

EXTERNES

STAKEHOLDERS

EXTERNES

Monde économique

Banque / Assureurs / Investisseurs

• Valeur de l'action • Efficacité et transparence du management (corporate gover-nance) • Risques financiers (Stratégie et Investissements) • Fiabilité de l'information et transparence (reporting fiable) • Fréquence et réalisation de contrôles (audits internes y contrôle de gestion) • Responsabilité juridique (transparence) • Risques liés à l'activité (pollution, sécurité interne) • Certification du système de production (qualité) • Certification légale (audit des comptes)

Monde politique

• Développement économique local (emploi local, effet d'attraction d'autres acteurs de la vie économique, optimisation des retombées économiques sur l'activité locale,...) • Investissements à long terme (pérennité) • Risques et impacts environnementaux et sanitaires liés aux produits ou à l'activité • Taxes et redevances (contributions aux finances publiques) • Respect de la règlementation • Communication externe et participation à la vie entrepreneuriale • Certification

Monde médiatique

• Communication externe (transparence) • Rapports avec la collectivité et les institutions • Risques et impacts environnementaux et sanitaires liés aux produits ou à l'activité • Respect des règlementations (sociales y environnementales) • Certification (rapport annuel et qualité) • Implication et respect de la vie locale

PARTIES PRENANTES EXTERNES

Riverains et ONG

• Implication et respect de la vie locale • Risques et impacts environnementaux et sanitaires liés aux produits ou à l'activité / nuisances (sonores, infrastructures) • Respect des règlementations (sociales et environnementales) • Responsabilité juridique (transparence) • Fiabilité de l'information et transparence en termes de communication / dialogue ouvert et honnête

Friedman et Miles (2002) s'appuyant sur la double distinction compatible/incompatible avec les intérêts de l'entreprise, et nécessaire (lorsqu'il s'agit d'une partie prenante interne) / contingente (pour une externe), aboutissent à la constitution de quatre groupes (Friedman et Miles, 2002, p. 9) :

� les relations nécessaires et compatibles : actionnaires, direction, partenaires,

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� les relations nécessaires mais non compatibles : syndicats, salariés, gouvernement, clients, fournisseurs, prêteurs, organisations,

� les relations contingentes et compatibles : public en général, organisations connectées dans des associations communes,

� les relations contingentes mais non compatibles : ONG.

Figure 11 : Stakeholder configurations and associated stakeholder types

Mitchell, Agle et Wood (1997) critiquent cependant ces modèles de représentation des parties prenantes de l'entreprise pour leur caractère statique. Ils proposent un modèle dynamique en identifiant les parties prenantes à partir de trois critères : le pouvoir, la légitimité et l'urgence (voir Figure 11) :

� le pouvoir est détenu par des groupes d'acteurs qui peuvent influencer les décisions actuelles ou futures de l'entreprise.

� la légitimité : les auteurs reprennent la définition de Suchman (1995) qui définit la légitimité comme « l'impression partagée que les actions de l'organisation sont désirables, convenables ou appropriées par rapport au système socialement construit de normes, de valeurs ou de croyances sociales ».

� l'urgence caractérise les parties prenantes qui demandent une attention immédiate. Elle est fonction à la fois de la sensibilité au temps (elle représente le degré de réaction considéré comme acceptable ou non par les parties prenantes) et de l'aspect critique de la demande.

Le pouvoir et la légitimité correspondent à des critères statiques. L'urgence donne au modèle son caractère dynamique.

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Pouvoir Légitimité

Urgence

1 2

5

7

6

4

3

Figure 12 : Les différentes parties prenantes Mitchell, Agle et Wood

La combinaison de ces trois critères définit sept sous-ensembles de parties prenantes. Les sous-ensembles 1, 2 et 3 représentent les parties prenantes "latentes" (latent) qui ne possèdent qu'un seul critère (par exemple, les actionnaires minoritaire sont légitimes mais n'ont pas le pouvoir) Les sous-ensembles 4, 5 et 6 représentent les parties prenantes "en attente" (expectant) qui possèdent deux des trois critères (par exemple, les riverains d'un site polluant non organisés en association de défense). Le sous-ensemble 7 représente les parties prenantes qui possèdent les trois critères et qui "font autorité" (definitive).

Disposant de ressources limitées, l'entreprise est ainsi amenée à sélectionner les parties prenantes qui vont retenir son attention et/ou qui requièrent une attention immédiate afin d'intégrer leurs attentes dans l'élaboration de ses stratégies et de ses politiques de RSE et de communication.

De nombreux auteurs (Capron et Quairel-Lanoizelée, 2004, Biefnot et Pesqueux, 2002, Lauriol, 2004, etc.) soulignent cependant que la théorie des parties prenantes présente encore de sérieuses limites dans la mesure où :

Elle suppose que les conflits d'intérêt entre les parties prenantes peuvent se résoudre par la maximisation des intérêts de chacune d'entre elles,

Elle propose un modèle réducteur de la RSE, sur lequel reposent l'évaluation de la performance sociétale de l'entreprise, les divers référentiels de management de la RSE (GRI, AA 1000, SD 21000, etc.), ainsi que les publics cibles de la diffusion d'information sociétale. Lauriol, (2004) ajoute que cette approche fondamentalement contractualiste pose problème parce que les structures et systèmes de gouvernance sont, pour le moment, principalement conçus pour des parties prenantes internes (ou primaires).

Mais qu'en est-il des parties "qui ne prennent pas", c'est-à-dire des parties qui ne ressentent pas nécessairement le besoin de contractualiser leur relation avec l'entreprise (victimes potentielles, générations futures,…) ? Dans ce cas, comment les intégrer ?

Peut-on réduire de la sorte l'intérêt général à la somme des intérêts spécifiques de chacune des parties prenantes ?

Enfin, Mitchell, Agle et Wood (1997) soulignent que la dimension morale des contrats explicites ou implicites entre les parties prenantes et l'entreprise est faible, chartes ou codes éthiques internes mis à part.

CONCLUSION

Dans cette première partie de l'Étude, nous avons décrit les notions de Développement Durable, de Responsabilité Sociétale des Entreprises et de Parties Prenantes et nous avons montré que de nombreuses intersections existent entre toutes ces notions.

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Nous avons surtout focalisé sur la responsabilité sociétale de l'entreprise et en avons tracé l'évolution historique, depuis un concept passif centré uniquement sur l'entreprise et ses responsabilités économique et juridique jusqu'à un concept proactif impliquant toutes les parties prenantes de l'entreprise, qui ont toutes un rôle à jouer pour que l'entreprise soit viable, la société équitable et l'environnement vivable.

Malgré toutes les questions qui restent encore sans réponse pour le moment, on peut néanmoins considérer que « malgré son état encore embryonnaire, le concept de RSE progresse, parce que les entreprises perçoivent de mieux en mieux les attentes sociales émergentes et que leur conscience de l'aspect social d'un développement durable mondial s'améliore » (PNUE, 2002).

Appliquer toutes ces notions dans le secteur des services, surtout financier, n'est pas chose facile, notamment parce que l'impact sur l'environnement n'est pas aussi visible que dans le secteur industriel (déchets, pollution, etc.).

Les parties suivantes de cette étude présentent plus spécifiquement comment le secteur bancaire répond à cette question.

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ANNEXE

Les indicateurs de performance GRI

(www.pactemondial.org)

1. Indicateurs GRI concernant les droits de l'homme

2. Indicateurs GRI concernant les normes du travail

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3. Indicateurs GRI concernant l'environnement

4. Indicateurs de GRI concernant la lutte contre la corruption