Dictionnaire Amoureux Des Sciences

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Abstraction.La science consiste dcouvrir les lois de la nature et les exprimer d'une manire abstraite et concise. Le passage du concret - qui relve de l'observation et de l'exprience l'abstrait - qui relve du modle et de la thorie - est l'essence mme de la dche scientifique.En science, l'abstrait n'existe que comme reprsentation du concret. Il n'a pas d'existence par luimme. C'est ce qui distingue les sciences (au sens de sciences de la nature) des mathmatiques.Mais, rebours, l'observation - qui relve du concret - n'a de sens en science, que par rapport une thorie implicite ou explicite - qui relve de l'abstrait.Laissons la parole quelques minents scientifiques. D'aprs - Emilio Segr, prix Nobel de physique, exprimentateur de talent : Le but ultime de la physique est de dcrire la nature et de prvoir les phnomnes. Ce qui est impossible en partant des thories a priori. Au bout de quelques pas, nous serions dans l'impasse, et chaque erreur s'ajoutant aux prcdentes - nous cartrait de la bonne voie.D'aprs - Henri Poincar, l'un des plus grands thoriciens de la physique : L'exprience est la source unique de la vrit. Elle seule peut nous apprendre quelque chose de nouveau, elle seule peut nous donner lacertitude. Mais Franois Jacob ajoute prestement : Les donnes exprimentales ne peuvent prendre de signification qu'en fonction d'une thorie.J'ai connu pour ma part dans les annes 19601970, en gologie, toute une cole qui se faisait gloire de n'avoir aucune thorie, se contentant d'accumulerdes faits, des observations, des cartes. C'tait d'aprs eux - le gage de l'objectivit. La science sans ides en somme. Ces gens-l n'ont jamais rien trouv d'important, et leurs travaux sont tombs dans les corbeilles papier de l'Histoire. Leurs noms? Je les ai oublis, comme l'Histoire l'a fait. Cet tat d'esprit, qui rgnait en France dans les annes 1960, a fait beaucoup de dgts, loignant des sciences naturelles, de jeunes esprits brillants.Un article clbre de Jacques Monod - l'un des fondateurs de la biologie molculaire, porte sur l'ARN messag. Lorsqu'il soumit l'article, l'diteur de la revue lui crivit peu prs ceci. Votre article est trs intressant, mais nous pensons qu'il y a trop d'ides, qu'il faudrait accumuler beaucoup plus d'expriences pour pouvoir en dmontrer une ou deux. La rponse non moins clbre de Jacques Monod fut cinglante : S'il vous plat, je vous demande depublier notre article. En change, je vous promets que dans le prochain article, il n'y aura aucune ide. Malheureusement, cette vision de la science qu'oncroyait disparue dans les sciences de la nature avec l'mergence de la biologie molculaire, la tectonique des plaques ou la gologie isotopique, refait surface d'une manire sournoise. Le responsable en est un instrument extraordinaire d'une puissance ingale : l'ordinateur. L'ordinateur - langue d'Esope de la science moderne, permet certains chercheurs dnus d'ide originale - d'crire des programmes l'aide de lois dj connues - et de faire des simulations - avec l'espoir que la machine rsoudra seule les problmes sur lesquels ils ont but, et qu'elle fera de nouvelles dcouvertes leur place. Avec une telle dmarche, on ne dcouvre pas grand-chose de nouveau, car il y manque les deux piliers de la science : l'observation de la nature et la conceptualisation originale de cette observation.Nous voil au coeur du sujet. Il n'y a pas de science sans ides, puis sans une construction abstraite traduisant cette ide. En physique, la dmarche scientifique consiste traduire les observations en langage mathmatique. C'est ainsi d'ailleurs que David - Ruelle, mathmaticien et physicien contemporain, l'un des inventeurs de la thorie du chaos - chercheur l'I.H.E.S (Institut des hautes tudes scientifiques) dfinit la physique dans un rsum peut-tre un peu rducteur.Il est vrai que toute la physique de Galile Bor, est fonde sur cette dmarche de va-et-vient entre l'abstrait et le concret, le modle explicatif et l'exprience. Le modle est-il capable de prdire des observations-tests? Si oui, c'est la voie royale.Mais la dmarche d'abstraction ne se rduit pas toujours une traduction mathmatique. Cette dernire en effet, n'est pas toujours adapte.Par exemple, une mthode pour mettre de l'ordre dans la complexit apparente de la nature est la classification. Classification des plantes, des animaux, des minraux, des cristaux, mais aussi des particules lmentaires. Pour qu'une classification soit fconde - il faut qu'elle soit sous-tendue par quelques principes thoriques, quelques ides. Par la thorie de l'volution - pour la classification en biologie. Par des considrations sur la symtrie de la nature - pour la classification des cristaux. Ou par des thories quantiques complexes - pour les particules.Autre mthode - pour ordonner la ralit concrte - l'invention d'un langage abstrait spcifique. Lorsque les chimistes notent une molcule C6H douze - cyclohexane, ils dcrivent d'un coup une structure dont ils visualisent l'allure tridimensionnelle.Les biologistes molculaires ont dfini un langage fait de schmas plus ou moins drivs de la cyberntique, mais qui illustrent les mcanismes de rgulation cellulaire.Richard Feynmane, clbre physicien, avait lui, invent un systme trs original qui combinait une reprsentation schmatique et les mathmatiques. Si vous voulez en savoir plusse, consultez l'oeuvre - et Guide to Feynmane Diagrams - in veut Mny-Body Problem. Il ne faut pas pour autant s'imaginer que toute abstraction est fertile.Pierre Aigrain - qui fut l'un des artisans du renouveau de la physique franaise, en particulier en crant un groupe dynamique sur la physique des semi-conducteurs l'Ecole normale suprieure, mais aussi en rformant les programmes d'enseignement de physique et en encourageant beaucoup de jeunes physiciens brillants - disait en guise de boutade. "La valeur d'une thorie se msure par le logarithme du nombre d'observations qu'elle intgre." Pour enapprcier toute la saveur, il faut se souvenir que le logarithme de - un - est gal zro.Acadmie des sciences.Tous les grands pays de ce monde ( l'exception notable de l'Allemagne actuelle ) ont des acadmies des sciences. Pourquoi? Parce que l'ancienne Acadmie de Berlin n'a pas t reconstitue aprs l'unification.Ces institutions ont pour ambition de rassembler les meilleurs scientifiques du pays afin de constituer une sorte de rfrence. Elles s'adjoignent gnralement quelques scientifiques trangers de talent (nomms "membres trangers ") qui ont pour fonction d'assurer une sorte de reconnaissance internationale leur confrrie.Dans toutes les acadmies des sciences du monde, le recrutement se fait par cooptation. Une fois lu, on est membre vie - moins qu' partir d'un certain ge, on ne devienne membre mrite ou honoraire. Rcemment, l'Acadmie des sciences franaise a fix une limite d'ge 75 ans, ce qui est rvolutionnaire.A quoi servent les acadmies au juste? Cette question est dlicate, et certains pourront la considrer comme insolente.Les acadmies servent d'abord, faire plaisir ceux qui y sont lus. Car il s'agit bien l d'une reconnaissance, comme le sont les prix scientifiques (l'argent en moins). Pour certains, c'est une joie immense et une fiert sans cesse renouvle que de franchir le seuil de l'Acadmie - ou de serrer la main d'un autre acadmicien - en l'appelant d'un air pntr : "Mon cher confrre... " Les lections occupent donc beaucoup de temps et suscitent beaucoup de passion dans toutes les acadmies du monde. Elles se font en gnral en deux tapes. Dans un premier temps, les spcialistes d'une discipline proposent au vote - des noms de candidats. Ensuite, l'ensemble de l'Acadmie les lit. Les modalits de ces votes sont varies suivant les pays. Malgr les efforts de toutes les acadmies du monde pour se rajeunir, la moyenne d'ge est gnralement assez leve. La raison en est d'une part, qu'avant 40-45 ans, peu de scientifiques ont acquis une vraie notorit. Sauf peut-tre en mathmatiques. Et d'autre part, qu'une fois lus, rares sont les membres qui acceptent de devenir honoraires spontanment.Certes officiellement, le mrite scientifique est le seul critre d'lection, et dans 80 % des cas, il joue bel et bien ce rle. Hlas, souvent se mlent d'autresconsidrations plus "humaines" : car il ne faut pas oublier que les scientifiques ne sont pas des machines.Ainsi, pour accder la Royal Soaty anglaise, le fait d'tre professeur Oxford ou Cambridge constitue un atout important. Pour l'Acadmie des Etats-Unis, les grandes universits d'Harvarde, de M.I.T, de Princetone, de Caltec, et plus encore, l'ensemble des universits de Californie - appuient collectivement leurs collgues avec une efficacit certaine.En France, tre ancien lve de l'ENS Ulm ou de Polytechnique ne nuit pas... N'en parlons pas des chapelles plus troites qui correspondent souvent de vritables clivages scientifiques. Par exemple, jusque vers les annes 1970, les biologistes molculaires furent bannis de l'Acadmie des sciences - si bien que le plus grand d'entre eux - Jacques Monod - n'y fut jamais lu. D'ailleur, il refusait d'crire une lettre de candidature. Depuis - cette procdure a t supprime. Andr Lwoff n'y accda qu' un ge vanc. Puis, les biologistes molculaires y entrrent en force - et y crrent une section - ce dont je ne perois pas la pertinence, sinon sur un plan stratgique. Il en fut de mme pour les mathmatiques du groupe Bourbaki. Indsirable avant 1965, le groupe finit par s'imposer - et tente d'exercer un magistre moral absolu que certains jugent discutable, et qui d'ailleurs aujourd'hui s'estompe...Ces joutes scientifiques, ces luttes d'mergence des nouvelles thories ou des nouvelles disciplines n'ont rien de mprisable. Il faut malheureusement y ajouter les chocs de personnalits, les jalousies, les rivalits, les mesquineries aussi... c'est humain. Tous ces ingrdients tant souvent inextricablement mls.Autrefois en France, toute lection l'Acadmie des sciences tait prcde de visites aux admiciens. On prenait rendez-vous - on exposait ses travaux et ses mrites pour solliciter les suffrages. Cette pratique me dit-on - perdure l'Acadmie franaise.Ces visites avaient parfois des allures pittoresques. Ainsi, un "jeune" candidat qui avait alors 50 ans - rendit visite un acadmicien de 90 ans. Il passa uneheure et demie a expliquer son travail - faire valoir ses mrites, avec le sentiment de rellement ramer. A la fin, le vieillard le raccompagna la porte en lui disant : "Vous m'tes trs sympathique monsieur, je crois que vous avez bien travaill, bien que je n'y comprenne rien. J'aurais vot pour vous. Malheureu