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Cned – Université Lyon 2 – Université de Rouen Licence de sciences de l’éducation Crocé-Spinelli Hélène - ISPEF, Université Lumière, Lyon2. Rispail Marielle. Université de Saint Étienne, Jean Monnet. Anière Karine. IUFM de Rouen. Cours didactique du Français Directeur de publication : Serge Bergamelli ________________________________________________________________________________________________ Les cours du Cned sont strictement réservés à l’usage privé de leurs destinataires et ne sont pas destinés à une utilisation collective. Les personnes qui s’en serviraient pour d’autres usages, qui en feraient une reproduction intégrale ou partielle, une traduction sans le consentement du Cned, s’exposeraient à des poursuites judiciaires et aux sanctions pénales prévues par le Code de la propriété intellectuelle. Les reproductions par reprographie de livres et de périodiques protégés contenues dans cet ouvrage sont effectuées par le Cned avec l’autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie (20, rue des Grands Augustins, 75006 Paris).

Didactique du français

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Cours de didactique du français, utilisé dans le cadre d'une licence 3 Science de l'Education

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Page 1: Didactique du français

Cned  –  Université  Lyon  2  –  Université  de  Rouen

Licence  de  sciences  de  l’éducation  

Crocé-Spinelli Hélène - ISPEF, Université Lumière, Lyon2. Rispail Marielle. Université de Saint Étienne, Jean Monnet. Anière Karine. IUFM de Rouen.

 

Cours  didactique  du  Français            Directeur  de  publication  :  Serge  Bergamelli  

________________________________________________________________________________________________  

Les  cours  du  Cned  sont  strictement  réservés  à  l’usage  privé  de  leurs  destinataires  et  ne  sont  pas  destinés  à  une  utilisation  collective.  Les  personnes  qui  s’en  serviraient  pour  d’autres  usages,  qui  en  feraient  une  reproduction  intégrale  ou  partielle,  une  traduction  sans  le  consentement  du  Cned,  s’exposeraient  à  des  poursuites  judiciaires  et  aux  sanctions  pénales  prévues  par  le  Code  de  la  propriété  intellectuelle.  Les  reproductions  par  reprographie  de  livres  et  de  périodiques  protégés  contenues  dans  cet  ouvrage  sont  effectuées  par  le  Cned  avec  l’autorisation  du  Centre  français  d’exploitation  du  droit  de  copie  (20,  rue  des  Grands  Augustins,  75006  Paris).    

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INTRODUCTION

CHAPITRE 1 – DIMENSION HISTORIQUE

1.1. Pédagogie ou/et didactique ?

1.2. Les dénominations

1.3. Quelques repères historiques

1.3.1. La méthode naturelle

1.3.2. Une pédagogie du projet

1.3.3. Innovation/rénovation

1.3.4. Noter, évaluer

1.3.5. L’apport de Vygotski

1.4. Des questions contemporaines

1.4.1. Des recherches sur l'apprenant, des recherches sur l'enseignant

1.4.2. Rapprochement du français avec d’autres disciplines

1.4.3. L’ère des TIC

CHAPITRE 2. LA CONSTITUTION DE LA DIDACTIQUE COMME CHAMP

2.1. Les disciplines contributoires

2.2. Langue et communication

2.2.1. Le modèle de Jakobson

2.2.2. Le modèle de Palo Alto

2.2.3. Communication et enseignement/apprentissage du français

2.3. Quelques concepts de la didactique

2.3.1. Le triangle didactique et sa complexification

2.3.2. Les caractéristiques du contrat didactique

2.3.3. Les situations didactiques

2.3.4. La transposition didactique en débat

2.3.5. Pratiques sociales de référence

2.3.6. Le rapport à ; les postures ; le malentendu didactique

2.4. Quelques points forts actuels

2.4.1. Le travail en projet

2.4.2. Apprentissage, évaluation et compétences

2.4.3. Les différents types de discours

2.4.4. Normes et variations

2.4.5. Curriculum

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CHAPITRE 3 - MONDE DE L'ECRIT, MONDE DE L'ORAL

3.1. Le monde de l'écrit

3.2. Monde de l’oral

3.3. Ecrit/oral, les interactions

3.3.1. Les particularités de l’oral

3.3.2. Les distinctions oral/écrit

3.3.3. Oral et écrit en interaction

3.4. Place de la langue dans la classe de français

3.5. La notion de littéracie

3.6. L’oral et l’écrit pour penser et apprendre

3.6.1. Parler et écrire pour penser

3.6.2. L'oral et l'écrit réflexifs

3.7. La place de la littérature

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CHAPITRE 4. DIDACTIQUE DES FRANÇAIS :

DES SITUATIONS ET DES PUBLICS SPECIFIQUES

4.1. Le jeune enfant

4.1.1. Le développement cognitif

4.1.2. L’entrée dans le langage

4.2. Les publics non francophones

4.3. Le français au secondaire

4.3.1. L'étude de la langue, expressions écrite et orale

4.3.2. La culture humaniste

4.4. Le français pour les adultes : à l'université, dans le monde du travail

4.5. Apprendre hors de l'école

CHAPITRE 5. DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET SOCIETE

5.1. Pratiques langagières

5.2. Le poids des interactions

5.3. Didactique et pratiques sociales

5.4. Le français en contact avec d’autres langues

5.5. Institution, programmes, évaluations nationales dans le contexte français

5.6. Des outils pour la classe

CONCLUSION

ÉLÉMENTS BIBLIOGRAPHIQUES

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INTRODUCTION

Bonjour et bienvenue dans ce cours de didactique du français1. Nous espérons faire avec vous un chemin agréable, parsemé de découvertes, d’étonnements, bref de questions plus que de réponses. Nous espérons surtout vous donner envie d’aller plus loin, d’enseigner et de vous renseigner, sur le français, son enseignement et sa rencontre quotidienne avec d’autres langues.

Peut-être enseignez-vous déjà ? ou avez-vous envie d’enseigner, ou êtes-vous sur le point d’entrer dans la « carrière » - dans le sens de « voie » ou « chemin » ? Vous avez choisi de faire une pause et de réfléchir avant de vous lancer. Car quelle est la différence entre enseignement et didactique ? On peut dire, quitte à caricaturer un peu, que la didactique est une réflexion sur l’enseignement. Cela veut dire que l’un ne va pas sans l’autre et que ces deux expériences se nourrissent l’une de l’autre ; la didactique prend sa source dans le désir d’améliorer et de faire évoluer les pratiques d’enseignement ; quant à ces dernières, elles évoluent grâce aux analyses et aux propositions de la didactique. Loin de nous l’idée que l’enseignant-e ne réfléchirait pas ! Mais il est vrai que, pris-e dans le feu de l’action et de la classe, on n’a pas toujours le temps de se pauser, de s’interroger, de choisir, d’inventer. Disons, toujours pour simplifier, qu’un-e didacticien-ne est quelqu’un qui double son expérience d’enseignement d’un temps de réflexion sur cet enseignement ; cette réflexion, qu’on pourrait appeler une activité « méta » (nous reviendrons sur cette notion), lui permet de dégager des questionnements, des savoir-faire, un regard critique, des pistes nouvelles, qui ont la particularité de dépasser son expérience personnelle et de pouvoir être utiles à d’autres. Ce transfert du particulier au général ou au moins au collectif, permet à la didactique d’être considérée, au-delà d’une discipline, comme un domaine scientifique et de recherche à part entière.

Dans la mesure où ce domaine s’intéresse à l’éducation et à l’école, on peut dire qu’il fait partie des sciences de l’éducation ; dans la mesure où, pour le cours qui nous concerne, il vise l’enseignement d’une langue, le français, on peut dire qu’il fait partie des Sciences du langage ; dans la mesure où, socialement, l’enseignement du français a été très marqué, que ce soit en tant que langue maternelle ou en tant que langue étrangère, par ses usages littéraires, on peut dire aussi que ce domaine fait partie de la littérature. Vous avez déjà deviné que, pour être plus exact, on définira la didactique du français comme un champ à l’intersection d’au moins trois domaines scientifiques : la littérature, les sciences de l’éducation et les sciences du langage. C’est la raison pour laquelle c’est une équipe plurielle qui a construit ce cours, chacune d’entre nous étant spécialiste d’un aspect ci-dessus de la didactique. Toutefois nous partageons toutes trois l’expérience de la formation d’enseignant-e-s, en IUFM et à l’Université. Bon voyage en notre compagnie !

De quoi est née la didactique ? On peut dire qu’elle est venue de la constatation, peu glorifiante pour des enseignants, de l’échec scolaire – les esprits chagrins diront : d’un échec scolaire grandissant – et de l’envie de le dépasser en s’interrogeant sur ses causes. En effet, pendant des siècles, d’un enfant ou d’une personne qui ne réussissait pas à apprendre, on a dit : « il / elle est paresseux / se, il / elle ne travaille pas assez, il / elle n’est pas douée-e pour les maths, pour

1 Nous savons que le français est une langue en partage dans plusieurs pays, déclarés francophones ou pas. On nous pardonnera, sans nous y limiter, de prendre souvent nos exemples dans le contexte français, que nous connaissons mieux que les autres.

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les langues, pour la musique, etc. ». Bref, c’était toujours de la faute de l’élève ! Pourtant, quelques penseurs et philosophes avaient commencé à instiller le doute dans les esprits : Montaigne écrivait déjà dans ses Essais qu’il fallait se mettre (descendre ?) à la hauteur de l’élève pour enseigner, Rousseau un peu plus tard rêvait de professeurs qui comprendraient les élèves et les écouteraient : on annonçait ainsi que les « ratés » de l’apprentissage pourraient ne pas venir des seuls élèves.

Au XXè siècle, avec la généralisation de l’école, le désir de scolariser tout le monde, le passage de la réussite sociale par la réussite scolaire, on a commencé à se rendre compte que, loin de donner ses chances à toutes et tous, l’école fabriquait aussi des « exclus sociaux ». Au point que le phénomène, lié au développement des sciences humaines, la psychologie et la sociologie entre autres, a posé de nouvelles questions au grand jour : et si le maitre2, le professeur, l’enseignant, avait aussi sa part de responsabilité dans l’échec scolaire ? et s’il existait plusieurs façons d’enseigner ? et si on devait aussi prendre en compte l’élève comme individu et pas seulement comme « page blanche » à remplir ? et si les études n’étaient pas faites pour créer une élite ? et si tout le monde pouvait réussir ? La réflexion didactique est née de cette pensée généreuse et optimiste et c’est sur ce chemin, pas toujours confortable, que nous avons le désir de vous entrainer.

Vous trouverez dans notre texte de nombreuses références à des penseurs issus de plusieurs disciplines qui, de nos jours ou bien avant le 3è millénaire, ont essayé de se poser des questions et de leur trouver des réponses pour que l’école devienne pour toutes et tous un endroit non seulement des apprentissages partagés, mais aussi du désir de savoirs et de la socialisation en devenir. Comme vous le constatez, on ne peut séparer quelque enseignement que ce soit (ici du français) de son contexte social et des options qui l’accompagnent. Cela signifie que le cours que nous vous présentons ne prétend ni à l’exhaustivité ni à l’objectivité : nous pensons que ces préoccupations sont des leurres, car tout discours est situé socialement et idéologiquement, qu’il vienne d’universitaires, d’enseignants, de formateurs ou de toute personne socialement engagée. Nous allons donc vous présenter brièvement les options qui ont présidé à la conception de ce cours de didactique du français. Ce faisant, vous comprendrez le plan que nous avons adopté.

Nous posons d’abord que toute position pour penser la société (et l’école est partie prenante de la société) est le fruit d’une histoire. Rien ne nait ex nihilo, et ce que nous vivons a été préparé par ce que d’autres ont vécu avant nous. Cela explique l’importance de la dimension historique dans les pages qui viennent : impossible de parler d’évaluation, d’enseignement, d’élèves, de classe, d’activités, de grammaire, etc. sans se souvenir de ce qu’on en a dit et écrit dans les années, les décennies qui précèdent – voire davantage.

Une deuxième option est celle de l’exigence terminologique. Il nous a paru essentiel de définir les mots3 que nous employons souvent couramment, mais sans les avoir questionnés, avant d’avancer dans les chapitres. Que veut dire être élève ? enseigner ? langue maternelle ? par exemple. Mettons-nous les mêmes sens sous ces mots a priori si familiers ? Ce souci de rigueur est aussi pour nous une qualité d’enseignant, qui doit avoir des répercussions dans la classe : faire partager la charge sémantique des notions utilisées en commun est sans doute le

2 Ne vous étonnez pas de ne pas trouver d’accent circonflexe sur ce mot : nous avons pris le parti, comme nous le demandent les instructions officielles françaises, d’adopter les NNO (nouvelles normes d’orthographe) préconisées par le JO du 6 décembre 1990. Nous en reparlerons dans notre chapitre sur l’orthographe.

3 Autant que faire se peut, nous mettrons en gras les définitions dans nos chapitres.

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premier respect que nous devons à l’élève et à la classe, pour en faire des interlocuteurs à part entière. Vous trouverez donc de nombreuses définitions dans nos pages, y compris des définitions contradictoires, si les divers auteurs sollicités ne sont pas du même avis.

Notre troisième option est un choix qu’on peut appeler scientifique. Nous essaierons de vous démontrer que, fondamentalement, il n’est peut-être pas justifié d’effectuer des séparations pourtant largement admises : par exemple français langue maternelle / français langue étrangère, ou dans la classe / hors de la classe, écrit / oral, familier / soutenu, premier degré / second degré, etc. et nous remettrons en question ces frontières, car elles sont souvent sources de difficultés pour les élèves et de blocages entre professeurs et élèves. De plus, les relativiser nous permettra de constater que la didactique, comme tout domaine de recherche et d’exercice, est soumise à variations et qu’aucune vérité n’existe en la matière : ainsi, les choix officiels dans d’autres pays ou zones francophones que la France diffèrent d’un endroit à l’autre. Ce qui est valable en Suisse ne l’est pas en Belgique, les programmes du Québec ne sont pas ceux de France, etc. Il est intéressant d’envisager l’enseignement d’une langue comme dépendante du contexte institutionnel dans lequel il s’inscrit, et d’en connaître l’évolution, pour mettre en valeur le fait que tout le monde cherche à mieux faire et que les innovations pédagogiques sont des bricolages, des essais par lesquels on avance peu à peu et à tâtons. Il va de soi, en outre, que les avancées technologiques ont une place importante dans ces évolutions et qu’elles jouent un rôle pas toujours prévu dans les démarches scolaires : nous leur consacrerons un chapitre. Ces incertitudes et questionnements croisés ne sont pas la preuve que notre discipline est indécise, mais plutôt que nous mesurons nos réussites à l’aune de l’humain et que la complexité du domaine humain nous enjoint d’être modestes dans nos conclusions et résultats, si nous voulons être honnêtes. Vous aurez compris que le travail didactique répond à des exigences éthiques.

Nous avons donc structuré le cours qui suit en 5 sections de la façon suivante :

- la première est historique et replace la didactique du français actuelle dans une continuité qui va de ce qu’on appelait la « pédagogie » jusqu’à l’introduction des nouvelles technologies dans la classe ;

- la deuxième s’intéresse à la naissance du champ didactique, à l’intersection d’autres domaines de recherche, jusqu’à définir ce qui fait sa spécificité ;

- on arrive ainsi, en 3è section, à envisager les mondes de l’écrit et de l’oral, dans leur particularité et leur intersection, dont découle la façon de les aborder dans la classe ;

- la 4è section aborde la pluralité de la didactique, on devrait sans doute dire « des » didactiques, vu la multiplicité des pratiques envisagées, suivant qu’on enseigne en France, hors de France, à des enfants, à des adultes, etc.

- enfin la 5è section élargit la réflexion aux relations entre école, langues et société pour montrer à la fois comment les pratiques d’enseignement des langues s’inscrivent dans des pratiques sociales et comment les interactions entre ces deux domaines d’action les enrichissent mutuellement.

Au cours de notre cheminement, nous aborderons les points principaux auxquels sont confronté-e-s élèves et enseignant-e-s dans une classe, tout en ouvrant quelques perspectives d’avenir. Nous illustrerons nos propos d’exemples et d’activités d’entrainement, éventuellement accompagnées de pistes de correction.

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CHAPITRE 1 – DIMENSION HISTORIQUE

D’où viennent les questions que nous nous posons ? D’où viennent les pratiques actuelles de nos classes ? Quels principes ont présidé à l’enseignement des langues avant notre époque ? Quels grands penseurs en ont guidé l’évolution ? Sans tomber dans l’érudition, nous allons vous donner quelques points de repère indispensables pour vous guider dans les chapitres qui suivent. Une définition de départ vous mènera des premières interrogations pédagogiques vers la révolution informatique actuelle.

1.1. Pédagogie ou/et didactique ?

Ces deux concepts apparus au XVIème siècle ont une étymologie grecque. « Pédagogie », dérivant de « paidagogia », lui-même composé de « paidos » (enfant) et de « agein » (conduire) renvoie à l’idée métaphorique d’« accompagner l’élève sur le chemin du savoir », le « pédagogue » étant, dans l’Antiquité, l’esclave qui mène l’enfant sur son lieu d’étude. « Didactique », dérivant de « didaktikos », adjectif construit sur le verbe « didaskein » (enseigner) désigne à l’origine le genre rhétorique destiné à instruire, en fait, les procédés du discours persuasif. Progressivement les deux termes réfèrent à l’ensemble des techniques d’enseignement, mais le second s'est trouvé pendant longtemps peu employé.

Au début des années 1970, la distinction réapparait, mais sans modélisation précise avant les travaux de Conne (1981), Brousseau (1883), Vergnaud (1983) qui s’interrogent sur les « connaissances préalables » des élèves en mathématiques avant l’apprentissage. Ils reprennent le terme de « didactique » pour évoquer les rapports qui se jouent entre le savoir codifié attaché à une discipline particulière, l’apprenant qui y est confronté et l’enseignant qui doit organiser la relation. La « pédagogie » concerne davantage les conditions matérielles mises en place par l’enseignant, les méthodes d’enseignement et la gestion des interactions maître/élèves dans la transdisciplinarité.

Selon Halté (1992), les travaux des didacticiens portent dans les années 90 sur :

- les objets d’enseignement : comment transposer un « savoir savant » en « savoir à enseigner » ? (Chevallard, Johsua, 1991) (dominante dite « épistémologique »)

- les conditions d’appropriation du savoir : comment les élèves assimilent-ils les notions ? (dominante dite « psychologique »)

- l’intervention didactique : quelles démarches adopter pour surmonter les obstacles dans cette assimilation ? (dominante dite « praxéologique »)

Didactique et pédagogie semblent donc complémentaires dans la formation des enseignants.

1.2. Les dénominations

Avant de parler de didactique du français, il faut définir les mots que nous allons employer au cours de ces pages. Car si nous nous sommes à peu près entendus sur le mot « didactique », il n’en va pas de même pour « français », même si la question vous étonne. De quel français parlons-nous ? ou plutôt : y a-t-il un ou plusieurs français ? Les auteurs de manuels, suivant en cela quelques dénominations officielles, ont voulu depuis quelques décennies séparer « français langue maternelle », qui serait le français des locuteurs « de France », ou de

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« pays francophones », et le « français langue étrangère », qui désignerait le français de celles et ceux qui parlent à la maison une autre langue que le français. À ces deux catégories, s’est ajouté de façon quasi officielle avec le livre de Jean-Pierre Cuq (cf. bibliographie), le « français langue seconde », expression destinée à désigner le français d’un pays où cette langue est employée couramment, entendue dans la rue et lue dans une partie de la presse, mais où elle n’est pas la langue familiale des enfants : autrement dit, les pays où le français, pour faire vite, a été la langue du colonisateur et a laissé des traces dans la vie sociale (certaines zones d’Afrique, de l’Océan indien, de l’Asie aussi, etc.).

Même commodes, ces catégories sont pourtant trompeuses. Suffit-il en effet de vivre et d’enseigner en France pour penser qu’on enseigne du « français langue maternelle » (FLM) ? Si on regarde les prénoms de nos élèves, leurs patronymes, on se rend vite compte que les écoles, collèges, lycées, sont le lieu des mélanges, des rencontres : les élèves d’origine italienne, maghrébine, d’Europe de l’Est, d’Afrique centrale, des îles des Océans pacifique et indien, se mêlent aux fils de réfugiés espagnols, de travailleurs polonais ou turcs, ou d’Arméniens ayant fui les massacres dans leur pays. Il y a ainsi de fortes chances pour que le français qu’on leur enseigne en classe ne soit pas une langue « maternelle » (au sens propre : parlée par la mère), mais une langue découverte au mieux dans la rue et ensuite à l’école. On peut ajouter tous ceux qui parlent une langue régionale (basque, breton, catalan, francique, …), tous ceux dont les parents parlent des langues différentes et communiquent dans une troisième langue avec leurs enfants, ceux qui parlent une langue « du voyage », etc. Qui reste-t-il qui a vraiment appris le français et rien que le français dans sa famille ? Évidemment, toutes ces données risquent de changer la façon d’enseigner ou les contenus proposés aux élèves. Et on voit que les notions de langue « étrangère, maternelle, seconde » sont en fait sujettes à caution. Vous-mêmes qui nous lisez, vous avez sûrement aussi, dans vos familles, entendu et pratiqué, peut-être, divers types de langues, officielles ou pas, et peut-être que pour vous non plus le français n’est pas la langue première.

De toute façon, et pour éviter ces confusions qui ont de lourdes conséquences didactiques (peut-on enseigner de la même façon le français au monolingue qui ne parle que français dans sa famille, et au bilingue dont les parents se parlent en vénitien et en italien, par exemple ?), une terminologie autre a été proposée, entre autres par nos collègues suisses : ne pouvant pas toujours savoir ce qui se parle dans les familles, ils se contentent de nommer les langues que l’enfant apprend à l’école, et l’ordre dans lequel il les apprend, sans se risquer à dire si ces langues sont maternelles, étrangères, ou autres. On parle alors de langue première (= la première langue introduite à l’école), langue seconde (= la seconde langue introduite à l’école), etc. D’autres disent aussi, L1, L2, L3. Et c’est cet ordre d’introduction dans le domaine des apprentissages scolaires qui va guider les méthodes employées et les contenus des savoirs – tout en garantissant une certaine garantie aux élèves.

Sauf cas contraire justifié dans notre cours, nous parlerons donc du français L1, c’est-à-dire langue avec laquelle les élèves sont en contact quand ils entrent à l’école – que ce soit en France ou ailleurs. Cela n’exclut pas qu’on tienne compte des langues d’origine des élèves, mais cela suppose surtout qu’on ne suppose pas cette langue « pré-connue » avant l’entrée à l’école, ne serait-ce que de façon orale, comme on le fait pour les langues dites maternelles – ce qui handicape fortement ceux qui n’ont pas ces pré-savoirs.

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Nous en arrivons à affirmer ici une option forte de notre cours, à savoir qu’en disant L1, L2 ou L3, on désigne une langue, toute langue possible, et pas seulement le français. Celui-ci n’a pas besoin en soi d’une didactique spécifique, mais d’une didactique valable pour toute langue qui serait, comme le français dans notre cas, appris comme première langue scolaire par des élèves. La didactique d’une L1 est donc valable pour l’italien, le hollandais ou le berbère ! C’est ainsi qu’on peut parler, de notre point de vue, d’une discipline qui s’appellerait « didactique des langues » et non pas « didactique du français », et se diversifie suivant les diverses situations des langues en question dans l’école. On peut à présent entamer notre voyage ensemble, en commençant par les grands noms qui ont donné une impulsion nouvelle à l’école au début du XXè siècle.

1.3. Quelques repères historiques

1.3.1. La méthode naturelle

Célestin Freinet (1896-1966), instituteur militant, fut à l’origine d’un vaste mouvement de rénovation de l’enseignement dont les fondements perdurent encore aujourd’hui. Dès 1920, il étudie tous les mouvements d’éducation nouvelle qui se développent dans la pédagogie internationale et expérimente avec ses élèves ce qui deviendra « La Méthode naturelle ».

Si c’est l’apprentissage de la lecture qui est particulièrement rénové, la « pédagogie Freinet » vise également tout un ensemble d’acquisitions essentielles du point de vue relationnel et culturel. Ici l’adjectif « naturel » renvoie à l’idée :

- de développement biologique sans heurt (éviter les carences affectives à l’origine de blocages dans les méthodes négligeant les besoins individuels, respecter l’identité personnelle et la diversité) ;

- de processus de socialisation inhérente à l’humain (prendre en compte le besoin de s’exprimer librement et d’entrer en communication avec autrui, développer la structure du langage à travers la relation de travail coopératif) ;

- d’acquisitions de connaissances selon son style propre (installer des stratégies personnelles d’appropriation des savoirs, développer une attitude de recherche fondée sur la curiosité naturelle).

Des méthodes « globales » de lecture apparues dès la fin du XVIIIè siècle, Freinet retient le processus psychologique de « vision globale » décrit par le genevois Claparède qui, en 1916, démontre que pour l’enfant « le mot ou même la phrase forment un dessin dont la physionomie générale le captive bien davantage que le dessin de lettres isolées qu’il ne distingue pas dans l’ensemble »4. Mais Freinet reproche aux méthodes globales d’oublier « les conditions mêmes de la vie », d’inventer des situations permettant l’utilisation de mots ou phrases types, de ne pas partir de l’expérience individuelle ou collective de l’élève. « Quand on écrit au tableau et imprime : « Avec une pile et une ampoule, Mimile nous fait de la lumière », les mots sont intégrés naturellement, sans passe-passe scolastique, dans une pensée et un événement vécus ».5

Le travail centré sur le message écrit conduit à deux types d’activités

4 Claparède, E. (1916). Psychologie de l’enfant et pédagogie expérimentale. Genève : Kundig.5 Freinet C. (1968). La Méthode naturelle : apprentissage de la langue, Collection « Réalités pédagogiques et

psychologiques ». Neuchâtel : Delachaux et Niestlé.

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complémentaires : la lecture (découverte/compréhension du message) et l’écriture (production/émission du message). Elles sont ici indissociables et si elles s’attachent d’abord au sens, le code6 va prendre une importance croissante.

Au départ, il y a le texte libre, retranscription de la parole d’un enfant comme par exemple : « Aujourd’hui on va à la piscine tous ensemble. On va bien rigoler. »Cette petite phrase écrite par l’enseignant sous la dictée d’un élève sera lue par groupes de souffle qui correspondent aux lignes d’écriture, on suivra avec le doigt les mots prononcés. Des indices spatiaux, graphiques (et donc déjà orthographiques) seront pris, mis en correspondance avec ce qu’on connait déjà et un réajustement permanent du savoir à travers le débat collectif se produit. Aujourd’hui, des étiquettes correspondant aux lignes sont tapées sur le clavier de l’ordinateur. Les élèves les remettent dans l’ordre et s’en imprègnent. Par la suite les lignes seront coupées en mots. Auparavant, elles étaient imprimées par les élèves eux-mêmes en coopération, à partir des lettres d’une casse qu’il s’agissait de ranger une à une dans un composteur en s’aidant d’un miroir puisque ces dernières devaient être rangées dans un sens négatif, l’impression finale, après encrage, renversant l’ordre.

Peu à peu, l’accumulation de textes travaillés collectivement permet la recherche d’indices pour écrire ses propres productions. La méthode de travail est rigoureuse : comparaison de mots lettre par lettre, comparaison de segments de mots, regroupement de segments connus pour former de nouveaux mots, vérification des hypothèses par la recherche dans des outils de références qui se construisent au fur et à mesure : textes de base affichés, répertoires de mots usuels, dictionnaires personnels, etc. L’objectif est de rendre l’élève capable d’appliquer de façon autonome des démarches logiques de questionnement de l’écrit.

1.3.2. Une pédagogie du projet

Motivé par une situation de vraie communication, à la recherche du sens de ce qui est écrit ou de ce qu’il a à écrire, l’élève est placé au cœur d’une démarche de résolution de problème, et donc en situation de projet effectif. Ressentant personnellement l’enjeu du lire-écrire, il développe ses propres processus d’apprentissage de façon dynamique.

En 1924, Freinet organise la première correspondance interscolaire entre ses élèves de Provence et ceux d’une classe de Bretagne. En 1926, il introduit pour la première fois l’imprimerie à l’école qui va être l’outil de base utilisé par les élèves eux-mêmes pour la diffusion des textes libres, de la correspondance avec l’extérieur et du journal de l’école.

Aujourd’hui, les classes de CP/CE1 qui travaillent en méthode naturelle de lecture-écriture ont abandonné le lourd appareillage de l’ancienne imprimerie, mais la

6 Par commodité, on appelle « code » l’ensemble des conventions partagées, écrites et orales, qui font que la langue nous permet de communiquer. C’est ce code qui demande à être enseigné (l’orthographe, l’intonation orale, le choix du vocabulaire, l’ordre des mots dans la phrase, etc.) : il rend celui / celle qui le maitrise capable de transmettre du sens (par exemple l’expérience de la douleur) à un interlocuteur ou un lecteur (« j’ai mal », « ouïe, ouïe », « si tu savais comme le souffre », etc). On dit qu’on « encode » le sens que celui qui reçoit le message le « décode » pour le comprendre.

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correspondance reste à la base de l’apprentissage et de la motivation. Certains écrits documentaires ou littéraires ont été introduits qui se sont révélés nécessaires à la réalisation de divers projets à partager avec les correspondants : écritures de recettes, explications pour fabriquer des objets, affiches pour annoncer un spectacle à l’école, création d’un journal de classe ou d’un magazine, d’albums réalisés suite à des visites, de textes poétiques, de contes, etc.

1.3.3. Innovation/rénovation

Au début de la IIIè République en France, le besoin s’est fait sentir de fonder un Musée pédagogique qui s’est ensuite accompagné d’une bibliothèque, d’une cinémathèque, d’un service de publications de l’Éducation nationale. Ces établissements réunis en 1955 sous le nom de Centre national de documentation pédagogique (CNDP), deviennent en 1956 l’Institut pédagogique national (IPN). À nouveau scindé en deux en 1970, c’est en 1976 que sont officialisés d’une part le CNDP, offrant les ressources documentaires, et d’autre part l’INRP, Institut national de recherches pédagogiques, regroupant des chercheurs institutionnellement proches du terrain (enseignants de primaires surtout, conseillers pédagogiques) auxquels se joindront des chercheurs universitaires qui vont augmenter ces ressources et influencer les décisions ministérielles.

Ces innovations correspondent à un besoin nouveau. En effet, au début des années 1970, le monde de l’Éducation connait une période de crise du savoir scolaire : les « savoirs savants » en linguistique se sont considérablement développés et l’écart devient trop grand entre les notions enseignées et les nouvelles recherches, et ce notamment dans le domaine de la langue. Mais il n’y a pas encore de réelle tentative de modélisation de l’enseignement, le terme de « didactique » n’est pas encore apparu.7 On parle alors de « linguistique appliquée » qui se préoccupe des « méthodologies d’enseignement » et cherche à répondre à la question « Comment enseigner ? » (Galisson, 1977)8

C’est dans le domaine linguistique que ces innovations ont eu le plus de retentissement.

Á l’instigation d’un groupe de chercheurs, en 1970, parait « Le Plan de Rénovation du français à l’école élémentaire » (dit Plan « Rouchette »). Dans le souci de préparer l’enfant à la vie sociale, culturelle et professionnelle, la priorité est donnée à la pratique de la communication, cette dernière étant comprise comme la faculté de comprendre et de se faire comprendre dans des situations particulières où les formes langagières sont amenées à varier. Les principes du Plan de rénovation reposent ainsi sur les apports des sciences du langage et de l’éducation. Celles-ci perçoivent la communication comme une interaction entre des sujets, comme la mise en œuvre d’une dynamique susceptible de modifier le comportement du destinataire dans son contexte social. Le Plan de rénovation insiste donc sur l'importance de diversifier les pratiques et usages sociaux de la langue française9 en relation avec des supports culturels sociaux10. Par ailleurs, l’interaction se doit d’être permanente entre les divers apprentissages (oral et écrit, lecture et écriture, arts et littérature...) et entre les démarches d’enseignement. On

7 Apparition du terme en 1981 dans le titre d’une brochure de l’INRP.8 Galisson, R. (1977). Étude de linguistique appliquée, n° 27.9 Par exemple les expressions régionales ou francophones, les différents registres de langue, apports de langues

étrangères, le langage scientifique, technique ou professionnel sont intégrés à l’enseignement.10 Par exemple, les albums, affiches, articles de presse, B.D., télévision…

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conseille par exemple de prendre en compte les découvertes des élèves en situation de recherche grâce à l'accompagnement de l’enseignant, de prendre en compte les différences langagières entre les enfants comme facteur d’enrichissement, comme une occasion de s'approprier les codes sociaux et leurs variations.

Ce plan est très vite attaqué parce qu’il s’oppose, d’une part à la transmission de la norme du « bon usage » de la langue que l’on imitait alors des « bons auteurs » dans les « morceaux choisis » de leurs œuvres, et d’autre part à la parole « spontanée » des enfants. Mais c’est à partir de ce travail expérimental et après quelques modifications terminologiques que paraissent les Instructions officielles de 1972. Hélène Romian11 expliquera plus tard que la démarche proposée repose sur un système d’interactions pédagogiques au « principe double : « libération » de la parole / « structuration » de la langue », précisant que « « cette libération » suppose en classe des situations de communication « fonctionnelles », où écouter autrui, prendre la parole, lire ou écrire ont une signification, une raison d’être nécessaires à la réalisation de projets collectifs, individuels (et entrent en interaction). Elles sont fonctionnelles aussi en ce que la parole orale ou écrite y a une « fonction » explicite : débattre d’une décision à prendre, présenter un poème qu’on aime, prendre des notes…. « fonctionnelles » enfin parce qu’elles répondent à des fonctions du langage différentes (et interactives)… ». La « libération » du langage consiste à s'entrainer à communiquer à l'oral et à l'écrit. « La situation de départ déterminera la forme linguistique usitée aussi naturellement que dans la vie : on ne parle pas à un commerçant comme on parle à ses amis, ses parents, à ses enfants, au public d’une conférence…on ne raconte pas, on ne parle pas non plus au téléphone comme à table… »12. À l’oral, des jeux de rôle inspirés du quotidien seront donc proposés : « chez le médecin », « à la boulangerie », « au volant, dans la circulation »… À l’écrit, les découvertes des différents textes proposés par l’enseignant en lecture (lettres, comptes rendus, poésies, coupures de presse, récits…), apprendre à catégoriser les usages sociaux, les fonctions des écrits et de s'initier aux premières rédactions. En fait, il convient que les élèves prennent conscience non seulement des différentes « fonctions du langage » (Jakobson, cf.2.2.), mais aussi des lois qui structurent la langue dans ses diverses pratiques sociales. Celle-ci devient alors objet d’observation et de réflexion.

La « structuration » du langage, quant à elle, se fait par apprentissages progressifs selon une approche interactive et métacognitive de la langue (cf.3.6.2). En maternelle, on peut utiliser les échanges dans la classe pour mettre en place des exercices structuraux. Par exemple, en GS, l’enseignante vise l’apprentissage de l’emploi de la construction « C’est celui de…/ C’est celle de… ». Elle propose deux exemples : « Je montre un objet et je vous demande : « Est-ce que c’est le cahier de Julie? » Vous répondez : «Oui, c’est celui de Julie. » / « Est-ce que c’est la feuille de Martin? » Vous répondez : « Oui, c’est celle de Martin. ». Après quelques essais avec les élèves, il s’agira de réfléchir tous ensemble sur l’emploi de « celui » et de « celle ». On proposera aussi des reconstitutions de textes à l’écrit, c’est la grammaire textuelle qui est ici visée : comment l’information progresse d’une phrase à une autre grâce à l’emploi des déterminants, des pronoms, des substituts nominaux (« Une petite fille » devient dans la phrase suivante « celle-ci » puis « cette étourdie », etc.), des ponctuations, des connecteurs (« Tout d’abord…ensuite…finalement »). Un texte, par exemple, sera découpé sous formes

11 Romian, H. (dir), (1985). Plan de rénovation de l’enseignement du français à l’école élémentaire. Fascicule n° 3 « Et l’oral alors ? ». INRP : Nathan, pp. 4-5.

12 Plan de Rénovation ou Plan Rouchette

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d’étiquettes correspondant à une phrase ou quelques phrases. Il faudra s’appuyer sur des indices morphologiques, syntaxiques ou lexicaux pour reconstituer la structure initiale du texte. Une analyse intuitive et implicite se produira d’abord puis celle-ci deviendra explicite et permettra d’avancer dans l’analyse de la langue. Par exemple ici, une étude des emplois des déterminants pourra s’effectuer :

Découpage d’un extrait de Le petit Nicolas de Sempé et Goscinny (2007) à remettre dans l’ordre.

1 « Et dans l’étang, il y a des têtards ».2 « Dans mon quartier, il y a un square »3 « Les têtards, ce sont des petites bêtes »4 « où nous allons jouer souvent ».5 « Dans ce square, il y a un étang ».6 « qui grandissent et qui deviennent des grenouilles ».

(correction : 2, 4, 5, 1, 3, 6)

C’est dans cette mouvance rénovatrice qu’Emile Genouvrier et Claudine Gruwez vont proposer dès 1972, les fruits de leurs travaux. Ils expliquent13

métaphoriquement que s’ils proposent des « gammes », exercices contraignants au niveau de la grammaire de phrase, ils sont conscients que c’est pour mieux maitriser « la mélodie » qui ne se construit au niveau de la grammaire de texte qu’après avoir travaillé des automatismes et pris conscience des mécanismes de fonctionnement pour produire en toute « liberté ».

Ils s’opposent à la leçon de grammaire traditionnelle qui repose sur la mémorisation de résumés, listes et définitions accumulés sans véritables liens et dont le seul objectif est de répondre aux « questions de dictée ». Ils critiquent également la dispersion entre les critères d’analyse qui s’appuient parfois sur « la forme » des groupes (avec ou sans préposition : COD, COI), parfois sur « le sens » (compléments circonstanciels de manière, de moyen…), parfois encore sur « la logique » (sujet/objet). Ils se proposent alors deux objectifs : « la maîtrise d’une pratique » et « la maîtrise d’un code »14

Pour remplir le premier objectif, des exercices structuraux sont proposés pour asseoir des automatismes linguistiques par imprégnation implicite. Ces derniers, une fois maitrisés empiriquement, permettront d’aborder l’exploration et la réflexion sur le fonctionnement du système qui conduiront à une description de la langue (essentiellement sur des critères formels à partir de trois procédures : permutation, commutation, transformation). La découverte personnelle des lois qui régissent les structures linguistiques permet progressivement la réalisation du deuxième objectif : « la maitrise du code ».

1.3.4. Noter, évaluer

Un des chantiers de l'INRP dirigé par Hélène Romian a été celui sur l'évaluation des écrits à l'école primaire. Si vous écoutez des enfants jouer « à la maitresse » (tiens donc ! et pourquoi jamais « au maitre » ?), il ne se passera guère de minutes sans que celui / celle qui joue l’enseignant-e ne distribue avec emphase « bonnes » et « mauvaises » notes à ses ouailles. Preuve que l’acte de « noter » est

13 Genouvrier E. & Gruwez C. (1973). Français et exercices structuraux au CM1. Structures de la langue française. Paris : Larousse, p. 20.

14 Pour en savoir davantage, lisez les travaux du groupe EVA de l’INRP, entre autre Évaluer les écrits à l’école primaire, sous la direction d’Hélène Romian (cf. notre bibliographie finale).

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À débattre : Entendu dans une conférence sur l’évaluation : « Il n’y a pas de mauvais élèves, il n’y a que de mauvais professeurs » … Qu’en pensez-vous ?

1.3.5. L’apport de Vygotski

La pensée de Vygostki, même de façon vulgarisée, a eu du mal à se faire connaitre, autant dans son propre pays (la Russie) que dans le monde, sous forme de traduction. Sa pensée est pourtant fondamentale et, au début du XXe siècle, elle était résolument novatrice. C’est en fonction de ses répercussions sur les apprentissages que nous vous en parlons dans ce cours. En effet, Vygostki, outre d’autres apports de première importance dans la connaissance psycho-cognitive, a insisté dans son ouvrage Pensée et langage sur l’importance des interactions dans la construction des savoirs. On voudrait ici insister sur deux aspects de ses travaux :

- il est d’abord parmi les premiers à avoir démontré que l’enfant (et plus tard, on le verra l’adulte aussi) n’apprend pas comme un seau vide qu’il suffirait de remplir, mais grâce à des échanges divers où il est actif et partie prenante. Autrement dit, c’est en exerçant son esprit critique, en posant des questions, en découvrant lui-même de nouveaux faits, domaines ou notions, qu’il apprend et intériorise les savoirs. Il ne peut donc le faire qu’en discutant avec d’autres personnes, en se « frottant » à leurs avis, leurs expériences, leurs interrogations aussi ;

- de plus, contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce n’est pas le dialogue avec le maitre ou l’adulte qui est le plus fécond. Vygotski a découvert que les échanges avec ses « pairs », c’est-à-dire avec des personnes du même niveau (d’âge ou de savoir) sont aussi importants que ceux avec celui / celle « qui sait ». C’est en confrontant ses opinions et hypothèses avec celles de ses semblables que l’enfant (ou l’adulte) apprenant va construire ses savoirs.

Les conséquences pour la didactique (des langues ou autres) sont de taille. Nous en soulignerons trois principales :

- les travaux de Vygotski mettent en valeur, si besoin était, l’importance fondamentale de l’oral et des échanges oraux dans la classe. Non pas seulement pour développer le langage oral (ce peut en être une conséquence secondaire) mais pour construire des savoirs durables et enracinés. En effet, c’est par la verbalisation, par la parole échangée et confrontée, qu’on donne peu à peu forme à ce qu’on découvre. Et on retient et comprend mieux ce qu’on a découvert ensemble que ce qui a été apporté de l’extérieur (par la voix magistrale entre autres) ;

- il s’ensuit que l’organisation de la classe, d’une séance ou d’une séquence, doit intégrer cette dimension interactive et délaisser peu à peu le monologue magistral. C’est autour des échanges et débats, entre élèves, et entre maitre et élèves, que les activités les plus fécondes vont se mettre en place ;

- cela remet fondamentalement en question le rôle de l’enseignant dans la classe, qui ne sera plus là pour apporter un savoir qu’il serait seul à posséder, mais pour lancer, organiser, faire durer , synthétiser les dialogues qui mettront au jour les savoirs ou savoir-faire visés.

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profondément lié à l’idée que nous nous faisons de l’enseignant. Qu’est-ce que noter ? c’est mettre une note (un nombre, une lettre, un symbole, un logo …) sur un travail. En soi, cela n’a aucune valeur et le même travail obtiendra des notes différentes selon la personne qui note, la situation de notation, l’âge et le niveau de l’élève, ce qu’il est censé savoir ou ne pas savoir, les objectifs de l’enseignant, etc. Par exemple, le fait d’écrire une lettre en classe peut être noté différemment selon qu’on attend de l’élève qu’il connaisse les codes épistolaires, ou qu’il sache raconter ou expliquer, ou faire une demande, écrire dans une langue standard …, selon que l’élève est francophone d’origine ou pas, débutant ou avancé, selon qu’il est enfant ou adulte, etc. Une note objective n’existe donc pas, il n’y a que des notations situées et relatives. Cela entraine deux conséquences.

La première est qu’on note selon des critères, c’est-à-dire des façons de voir, qui peuvent varier d’un enseignant à l’autre, suivant la période de l’année à laquelle on est, etc. Il est indispensable d’expliciter ces critères auprès des élèves, quel que soit leur âge, avant et après une tâche : « dans ce devoir, je vais noter telle ou telle chose, et je vais laisser de côté telle ou telle autre ». Ces critères sont souvent, avant le travail noté, des « objectifs d’apprentissage » sur lesquels on aura travaillé avant de vérifier par une tâche notée s’ils ont été atteints. Par exemple, on étudie et on s’exerce à former des noms au pluriel, puis une tâche de vérification des acquis des marques du pluriel est proposée aux élèves et notée15.

La deuxième est que ces critères peuvent être mis en valeur comme des avancées du travail en classe, mais pas obligatoirement par des notes. On peut très bien donner du poids, de la « valeur » à un savoir fraichement acquis, ou en cours d’acquisition, sans pour autant « noter » le travail qui le vérifie : c’est d’ailleurs ce qu’on fait dans les petites classes en disant « c’est bien », ou « c’est très bien », ou « tu vas y arriver », à un élève. Il n’a pas besoin de « note » pour savoir ce que « vaut » ce qu’il vient de faire. On a donc petit à petit remplacé, en didactique, la notion de « noter » par celle d’ « évaluer », plus large et surtout plus souple. Évaluer veut dire qu’on pèse la valeur de quelque chose : cela peut être ce que sait l’enfant avant de commencer une nouvelle leçon, ce qu’il a acquis en cours d’une séquence, ce qu’il sait en fin de séquence, ce qu’il en a retenu en fin d’année, etc. Cela peut être aussi un travail collectif, le résultat final d’un projet, etc. Et on peut évaluer à différents moments, par des mots seulement, des actes (confier un objet, une tâche, une responsabilité), des échanges : par exemple les réponses à un débat « cette sortie était-elle réussie ou pas ? pourquoi ? qu’avez-vous appris ? » peuvent constituer une évaluation fine et intéressante pour tous.

Qui peut évaluer ? tout le monde ! et pas seulement l’enseignant-e … Si on expose au grand jour les critères d’évaluation, les élèves eux-mêmes peuvent s’auto-évaluer, ou évaluer en groupe la production de chacun (co-évaluation) ; on peut même construire avec eux leurs propres critères (« alors, dites-moi, comment va-t-on voir qu’un exposé est réussi ? donnez-moi vos idées, je les marque au tableau ») et en faire une « grille d’évaluation » que chacun-e connaitra et respectera au mieux.

Conçue ainsi, l’évaluation peut devenir un moment-clé de la vie en classe, où on apprend à juger son propre travail et à vivre ensemble.

15 Pour en savoir davantage, lisez les travaux du groupe EVA de l’INRP, entre autre Evaluer les écrits à l’école primaire, sous la direction d’Hélène Romian (cf. notre bibliographie finale).

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Une pédagogie tout à fait nouvelle découle des principes ci-dessus : on peut dire qu’il y a un avant et un après Vygotski16 !

1.4. Des questions contemporaines

1.4.1. Des recherches sur l'apprenant, des recherches sur l'enseignant

Depuis la naissance de la didactique du français dans le milieu des années 70 portée par le projet de démocratisation de l'accès à la lecture, à l'écriture, les objets des didacticiens du français ont évolué.

Un premier temps a été consacré à comprendre les pratiques effectives d'enseignement du français dans les classes.

Le milieu des années 1980 a marqué un second tournant en lien avec les avancées des recherches en didactique des mathématiques, mais aussi avec le développement, entre autres, de travaux de la sociologie, de la psychologie cognitive, du constructivisme, des modèles de l'évaluation. La didactique du français s'est alors centrée sur l'apprenant, sur ses mécanismes d'apprentissage, sur l'analyse des erreurs des élèves, sur les obstacles aux apprentissages. On peut prendre pour exemple les travaux d'Emilia Ferreiro (1986) sur les représentations que se font les enfants de la langue écrite, sur les « conceptualisations » qu'ils se font de l'écrit. Les didacticiens ont alors montré que des obstacles aux apprentissages pouvaient provenir des différences entre les pratiques langagières sociales et scolaires. Dans ce même temps, les travaux du Groupe Écouen en 1985 ont porté sur les processus de planification et de révision de textes.

Depuis les années 2000, un troisième temps toujours centré sur l'apprenant s'intéresse à ses dimensions non seulement cognitives, mais aussi affectives, dans l'apprentissage, à son « rapport à » la lecture, à l'écriture, à ses processus réflexifs. On peut citer les travaux de Barré-De Miniac (2000) sur « le rapport à l'écriture » ou encore ceux de Bucheton et Chabanne (2002) sur la réflexivité des pratiques langagières.

À cette époque, en lien d'une part avec la professionnalisation des enseignants devenue centrale face aux modifications du contexte socioprofessionnel et d'autre part avec la diffusion des thèses socio-constructivistes, un courant de la didactique du français s'intéresse au rôle des activités langagières dans la transmission et la construction de savoirs. La didactique s'intéresse par conséquent au rôle du maitre en situation d'interactions avec ses élèves et aux effets de ses macro et micro17 façons de faire et de dire sur la construction des apprentissages, ce que les didacticiens nommeront « gestes professionnels » (Jorro, 2002 ; Bucheton, 2009). L'emploi de ce concept - étym. lat. gestum, action ou mouvement du corps pour faire ou signifier quelque chose - montre que ces chercheurs étudient l'activité réelle des acteurs à travers l'analyse des actions signifiantes. Cet emploi s'oppose à

16 Sur le plan cognitif, ce dernier fonde ses affirmations sur l’existence de ce qu’il appelle la « ZPD » (zone proximale de développement, traduction approximative), notion sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir plus loin.

17 Mettre « micro » ou « macro » devant un objet d’étude signifie qu’on s’intéresse à ses aspects généraux, structurels (macro) ou au contraire à ses aspects de détail, voire microscopiques (micro). Par exemple, regarder la classe de façon macro signifie qu’on va regarder l’ambiance collective d’une classe, son rythme, sa progression générale ; le faire de façon micro veut dire qu’on va observer tel ou tel élève en particulier, ou telle réaction dans une activité, etc.

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la conception rationnelle, décontextualisée et désincarnée de l'approche par compétences (cf. cahier des charges de la formation des maîtres de 2007). Les compétences professionnelles présentent, à la différence des gestes professionnels, des savoirs, des savoir-faire, savoir-être professionnels génériques, décontextualisés, transversaux, non ancrés dans des situations didactiques précises. Les didacticiens dénoncent cette approche comme peu opératoire pour permettre aux enseignants de s’ajuster dans l'interaction aux processus d'apprentissage des élèves.

1.4.2. Rapprochement du français avec d’autres disciplines

À l'école, le français est aujourd'hui appréhendé à la fois comme discipline autonome consacrée à l'apprentissage de la lecture, de l'écriture, de l'oral, du fonctionnement de la langue et comme discipline transversale, du fait qu'il est le vecteur de transmission et d'acquisition des apprentissages scolaires dans les différentes disciplines. En effet, pour apprendre dans les différentes disciplines il est nécessaire de parler, lire, écrire. Chaque domaine disciplinaire doit travailler des apprentissages en français, par exemple, le travail sur la compréhension en lecture, ou l'apprentissage du lexique. Les enseignants doivent identifier les différents usages de la langue spécifiques aux disciplines, les genres de discours privilégiés par les disciplines, comme la démonstration en sciences, l'interprétation en lecture littéraire, la description en géographie et identifier également les savoirs langagiers à faire acquérir dans chaque discipline. Par ailleurs, outre les finalités communicatives du français vecteur d'apprentissage, on sait, depuis la diffusion des travaux de Vygotski, que le langage ne sert pas à coder une pensée préconstruite mais qu'il est un outil au service de la pensée. Ainsi, le langage pour penser et apprendre (Chabanne & Bucheton 2002 ; Bautier & Rayou, 2009) est à travailler comme objet d'enseignement dans les différents domaines disciplinaires. Il revient aux enseignants de proposer aux élèves des tâches complexes qui nécessitent non seulement de communiquer mais aussi de se questionner, de s'interroger, d'exprimer ses représentations, de discuter, de reformuler, de synthétiser, autrement dit d'utiliser des formes langagières réflexives au service du travail de la pensée et de ne pas focaliser l'attention seulement sur des productions langagières terminales. Le chapitre de ce cours intitulé « L'oral et l'écrit pour penser et apprendre » vous permettra de creuser cette dimension des pratiques langagières réflexives.

Pour conclure, la discipline français n'est pas à considérer comme une discipline close sur elle-même, mais comme une discipline outil et objet des autres apprentissages disciplinaires du fait de la dimension transdisciplinaire du langage. Cette spécificité de la discipline français conduit les enseignants à devoir penser, dans leur enseignement, au sein de chaque discipline, en intégrant les spécificités disciplinaires, un travail de la langue comme outil de communication, mais aussi comme objet d'analyse, et comme moyen d'apprendre et de penser ceci en permettant la circulation entre ces différents usages de la langue. Cela suppose un travail de programmation de l'enseignement qui intègre ces trois aspects avec une définition claire des objectifs poursuivis et pour l'enseignement dans le secondaire une concertation entre professeurs de français et professeurs d'autres disciplines.

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Exercice :

La situation présentée ci-dessous ainsi que le texte produit par un élève de 3ème sont extraits d'un compte rendu d'une activité interdisciplinaire : la narration de recherche, conduite conjointement par deux professeurs de français et de mathématiques avec des élèves de collège18.

Pouvez-vous analyser le ou le(s) statut(s) du français dans ce texte d'un d'élève de 3ème, produit dans un travail en mathématiques?

L'enseignant demande aux élèves de résoudre des problèmes et d'expliquer par écrit ce qu'ils ont compris. Les élèves sont répartis en groupes de 3 ou 4 ; les groupes doivent résoudre ces problèmes et rédiger collectivement toutes les phases de réflexion qui accompagnent leur recherche. Ensuite chaque membre doit produire individuellement un texte dans lequel il revient sur l'ensemble de l'activité : ce texte est nommé narration de recherche. En voici un exemple :

Vous trouverez comment répondre à cet exercice dans ce chapitre ainsi que dans le chapitre futur 3.6.2. « L'oral et l'écrit réflexifs ». Pour des compléments d'information vous pouvez consulter le compte rendu de cette expérience sur le site que vous trouverez référencé en note de bas de page.

1.4.3. L’ère des TIC

Le développement considérable de l'ère du numérique concerne également l'école. Depuis 2008, en France, les élèves, pour obtenir le Brevet des Collèges, doivent obtenir le brevet informatique et internet (B2i). On assiste progressivement à un développement des TIC (technologies d’information et de communication) comme outil d'enseignement. La didactique du français est particulièrement concernée par le développement des TIC, du fait que les médias numériques transforment les pratiques d’écriture, de lecture, de recherches, de communication « en multipliant et en complexifiant les usages » (Barré-De Miniac, 2003). La question qui se pose aux enseignants et aux didacticiens du français est la suivante : dans quelle mesure les TIC peuvent-elles favoriser les apprentissages en lecture et d'écriture ?

18 Vous trouverez le récit de cette expérience rédigée par Paulin, R. à l'adresse suivante : http://www.math.jussieu.fr/~leidwang/wwwIREM/Deslapins.pdf

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À partir de la mise en relief des spécificités du numérique, des recherches portent, entre autres, sur l'efficacité didactique de ces médias pour favoriser le passage à l'écriture d'élèves résistants, pour développer les conduites d'écriture et de réécriture des textes, de révision des textes. D'autres portent sur l'intérêt des correcteurs orthographiques et de leur utilisation sur le développement des compétences orthographiques. D'autres encore s'intéressent aux postures de lecture que la recherche sur internet développe, ou enquêtent sur l'utilisation de logiciels d'aide à la compréhension de textes. D'autres explorent la voie collaborative pour étudier, dans des échanges entre classes, l'intérêt du passage par la communication écrite dans une communication à distance sur les apprentissages.

Ouvrons la réflexion au bouleversement sociétal produit par les nouvelles technologies. Comme le dit Serres (2012), avec Face book, le GPS, Google Earth, Wikipédia (...) la planète, l’humanité, la culture sont à la portée de chacun, partout et immédiatement. Le savoir n'a, aujourd'hui, plus le même statut et les facultés sociales, cognitives, affectives se trouvent modifiées par l'utilisation des TIC. Nous savons que l'invention de l'écriture, puis celle de l'imprimerie ont modifié les façons de penser. Aujourd'hui nous vivons, avec l'évolution des TIC, une nouvelle ère de mutation des façons de penser, un changement de paradigme.

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CHAPITRE 2. LA CONSTITUTION DE LA DIDACTIQUE COMME CHAMP

Cette partie interroge la spécificité de la didactique du français dans ses relations avec les autres didactiques disciplinaires. Compte tenu du fait que la didactique suppose d'envisager l'acte d'enseigner en fonction de l'objet à enseigner, la didactique du français pose la question de la spécificité de la discipline « français ». À la différence des autres disciplines scolaires, le français est à la fois objet et moyen pour l'enseignement/apprentissage de toutes les autres disciplines, mais aussi une pratique culturelle extérieure à l'école. Il est l'objet de multiples considérations idéologiques, culturelles, le lieu de tensions au plan politique : prenons pour exemple des débats sur la norme à enseigner. L'enseignement du français ne peut se restreindre à l'applicationnisme linguistique, il ne relève pas d'une science, mais de savoir-faire et de pratiques sociales et culturelles et s'appuie sur des référents théoriques hétérogènes. Comme dit dans notre introduction, la didactique du français emprunte aux domaines de l’éducation, aux domaines du langage ainsi qu'aux études littéraires. Dans cette partie est par ailleurs interrogée la possibilité de transfert, à la didactique du français, des concepts élaborés par d'autres didactiques disciplinaires plus anciennement constituées.

2.1. Les disciplines contributoires

Si les Sciences de l’Éducation ont pour préoccupation première d’améliorer la connaissance des phénomènes qui influencent l’action éducative et notamment de comprendre les causes de l’échec scolaire par une réflexion sur la transmission-acquisition des savoirs et savoir-faire, celles-ci ont dû se tourner vers des sciences dont l’objectif premier n’est pas les apprentissages scolaires.

Ainsi dès 1922, E. Durkheim19 considère que la pédagogie doit prendre appui sur la sociologie en tant que science des institutions sociales, pour déterminer ce que devraient être les institutions pédagogiques, elles-mêmes microcosmes sociaux.

Dans les années 1970, ce sont les Sciences du Langage, en tant qu’étude des conditions de production de la langue qui ont fait émerger l’idée que « l’interaction conversationnelle » était la matrice fondamentale de l’usage du langage et que son rôle est primordial dans le processus éducatif, quelle que soit la discipline. A cette époque, les théories de la sociolinguistique, comme celles de B. Bernstein20 ou W. Labov21 ont permis de comprendre la diversité des usages de la langue qui engendrent peut-être l’échec scolaire. Plus récemment, c’est la mise en évidence du rôle cognitif de l’oral et de l’écrit qui a fait progresser les didactiques (Cf.3.6.).

En 1969, J. Piaget22, répondant en quelque sorte à Durkheim, considère que « la pédagogie expérimentale » ne peut progresser sans l’apport de la psychologie. On s’intéressera alors à l’approche cognitiviste, apparue dès les années 1950, qui considère qu’il est possible de modéliser les processus mentaux de traitement de l’information mis en œuvre par les sujets à l’intérieur de leur cerveau « boîte noire » considérée comme insondable par le paradigme behavioriste qui s’attachait à observer uniquement les stimuli d’entrée et les réponses de sortie.

19 Durkheim, E. (1922/1989). Sociologie et Education. Paris : PUF. 20 Bernstein, B.(1975). Langage et classes sociales. Paris : Ed.de Minuit.21 Labov, W. (1976) . Sociolinguistique. Paris : Ed. de Minuit.22 Piaget, J. (1969). Psychologie et pédagogie. Paris : Denoël-Gonthier.

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Ces divers domaines théoriques se complétant, ils concourent à l’extension du champ des sciences de l’éducation.

2.2. Langue et communication

Si le langage est considéré comme la faculté universelle et immuable propre à tous les hommes de communiquer entre eux au moyen de systèmes de signes (oraux, écrits, comportementaux, culturels…), la langue est un de ces systèmes de signes particuliers élaborés arbitrairement par une communauté historique et géographique qui la parle et éventuellement l’écrit aussi. C’est un système évolutif en constante mutation.

Le mot « communication » vient du verbe latin « communicare », il apparait en français au XIIIè siècle avec le sens du verbe latin dont il est originaire : « avoir part à », « participer », « être en relation avec ». À partir du XVIè siècle, l’idée première de relation entre personnes est déplacée métonymiquement sur l’objet qui relie ces personnes. Le verbe devient transitif direct (suivi d’un complément d’objet direct) et prend alors le sens de « transmettre » : « communiquer une nou-velle ». Néanmoins, les théories de la communication en tant que possibilité d’échange d’informations n’apparaissent qu’au milieu du XXè siècle avec le déve-loppement des moyens de transmission de l’information à distance et notamment avec l’invention du télégraphe. À cette époque, de nombreux théoriciens, essentiel-lement aux États-Unis, proposent une conceptualisation de « la communication ». Voici les deux modèles les plus connus qui se complètent mutuellement et que nous présentons même s'ils ont été fortement controversés.

2.2.1. Le modèle de Jakobson

Le linguiste biélorusse Roman Jakobson23, installé à l’université de Harvard en 1949, élargit ses recherches sur la phonétique et la structure du langage à l’ensemble des sciences de la communication. Il propose dès 196324 une analyse du contenu de la communication qui repose sur 6 facteurs correspondant chacun à une fonction du langage.

RÉFÉRENTfonction référentielle

Émetteurfonction expressive (émotive)

MESSAGEfonction poétique

RÉCEPTEURfonction conative (incitative)

fonction phatique (relationnelle)

CODEfonction métalinguistique

Schéma de la communication de Jakobson

23 Auquel on a reproché entre autres choses son côté « statique ».24 Jakobson, R. (1963). Essais de linguistique générale. Paris : Editions du Seuil.

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CANAL

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Pour Jakobson, dans tout acte de communication, un émetteur (destinateur) envoie un message à un récepteur (destinataire). Le message, dont le contenu sémantique attaché à un contexte social est appelé référent, se transmet par un canal physique et psychologique qui établit le contact entre l’émetteur et le récepteur, tous deux comprenant le même code (la même langue).

En outre, dans tout acte de communication, 6 fonctions du langage s’exercent simultanément, mais avec une fonction dominante selon les messages.

La fonction expressive permet à l’émetteur d’insister sur ses émotions, son ressenti, ses volontés (Ah ! j’ai mal !). La fonction conative incite le récepteur à agir et réagir dans le sens impulsé par l’émetteur. (Ferme la porte !) La fonction phatique permet de provoquer et de maintenir le contact. (Tu m’entends ?) La fonction métalinguistique permet de s’exprimer sur le code lui-même pour vérifier notamment qu’on l’utilise de façon identique. (« Bleu » est un adjectif.) La fonction référentielle est orientée vers le contenu du message et sa compréhension dans la situation de communication. (Qu’est-ce ?) La fonction poétique est attachée à la forme du message, pas seulement poétique, mais signifiante par elle-même. (Viens ! par opposition à Pourrais-tu venir ?).

2.2.2. Le modèle de Palo Alto

Ce nouveau modèle est né, dans les années 50, dans une petite ville proche de San Francisco qui lui donna son nom. Un de ses principaux fondateurs est G. Bateson. Les travaux de ce groupe dénoncent la « vision télégraphique » du modèle précédent, d'une communication comme simple transmission d'un message qui suit le sens d'une « flèche » d’un émetteur vers un récepteur. Avec le concept de « feedback » ou de « rétroaction » ce modèle dépasse cette conception linéaire et s'intéresse à l’action en retour. Ainsi ce modèle appréhende les phénomènes de communication humaine en mettant l'accent sur l'interaction, sur ce qui se joue entre les partenaires engagés dans une situation de communication. Les comportements de chacun des communicants sont envisagés comme des réponses aux comportements de l’autre et le comportement de chacun dépend en grande partie de celui de(s) (l')autre(s). Par exemple quand un maître dit en fronçant les sourcils : « Il y a trop de bruit dans cette classe ! », il s'agit de sa part d'une réponse en retour aux comportements de ses élèves. Ce modèle prend en compte non seulement le langage verbal, mais montre que différents modes de comportements tels que des gestes, des choix vestimentaires, des attitudes, des usages de l'espace, du contexte interviennent dans toute situation de communication.

2.2.3. Communication et enseignement/apprentissage du français

Alors que les textes officiels de 1972 (Plan de rénovation) insistent sur la nécessité de faire s’exprimer les élèves dans « de véritables situations de communication », une impulsion est donnée à l’enseignement de l’oral devenu l’égal de l’écrit. Cela provoque une réflexion didactique intense dans les années 1980 avec notamment la prise en compte des théories de la communication et des recherches linguistiques comme celles de J. Austin et de J.R. Searl. Pour ces derniers, les énoncés ne servent pas uniquement à décrire le monde mais sont un moyen d’action sur le récepteur (affirmer, demander, ordonner, promettre…), c’est

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Page 24: Didactique du français

la théorie des actes de langage.25

Les propositions qui sont faites en didactique de la communication pour permettre aux élèves de prendre la parole et de développer leur production d’écrit reposent alors sur la création de situations pragmatiques dans des contextes diversifiés où l’élève doit prendre en compte la situation des émetteurs et récepteurs et la fonction dominante du langage à utiliser : débats, explications de procédures, dialogues sous forme de jeux de rôle à l’oral / lettres, textes narratifs, descriptifs, argumentatifs à l’écrit.

À la fin des années 1980, l’oral n’est pas encore perçu comme objet autonome d’enseignement et c’est aux modèles de l’écrit normé que l’on se réfère encore pour l’enseigner.

Exercice :

Une mère exaspérée par la tenue vestimentaire de sa fille lui dit : « Tu appelles ça une jupe ! »1- Relevez dans cet énoncé les différentes fonctions du langage telles que les a décrites Jakobson.2- En quoi peut-on dire, selon la conception de la communication de l’École de Palo Alto, que la fille est à l’initiative de la communication ?

Éléments de correction :

1- « Tu appelles ça une jupe ! » Les fonctions principales sont les fonctions référentielle (il s’agit de désigner le vêtement incriminé), poétique (l’exclamation produite et le pronom péjoratif « ça » au centre de la phrase expriment la désapprobation de l’émetteur et permettent de mettre en lumière la fonction expressive) et conative (l’énoncé a pour but de faire renoncer l’émetteur à ce choix vestimentaire.)Deux fonctions semblent moins importantes : la fonction métalinguistique est ici utilisée de façon ironique (et donc davantage poétique), il ne s’agit pas réellement d’une demande de précision de vocabulaire. La fonction phatique représentée par l’emploi du pronom « tu » introduit le lien entre l’émetteur et le récepteur qui sont l’un en face de l’autre.2- La fille peut être considérée à l’initiative de la communication dans la mesure où sa tenue vestimentaire peut être une marque de sa volonté de s’opposer à sa mère.

2.3. Quelques concepts de la didactique

2.3.1. Le triangle didactique et sa complexification

Á l’origine était un triangle... puis vinrent les critiques...

C’est J. Houssaye, éducateur et formateur qui, le premier, a formalisé ce qu’il a appelé le « triangle pédagogique », mettant en relation un élève, un enseignant et un savoir (un contenu d’apprentissage), représentés symboliquement par les trois sommets d’un triangle.

25 Austin, J. (1962). Quand dire, c’est faire. Paris : Editions du Seuil, et Searle, J.-R. (1972). Les actes de langage. Paris : Hermann

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« Le triangle pédagogique » Houssaye, 1993.

Les relations nécessaires à tout acte pédagogique sont caractérisées par les côtés du triangle. Adoptant la métaphore du jeu de bridge, Houssaye fait remarquer que, le plus souvent, deux des actants s’assemblent alors que le troisième « fait le mort », c’est-à-dire qu’il n’a plus part au jeu, même si sa présence est nécessaire, ses cartes étant visibles sur la table. Le troisième est aussi désigné comme « le fou », celui qui a perdu la raison et qu’on ne laisse pas s’exprimer. Trois processus pédagogiques se forment alors, selon celui qui joue le rôle du « mort » :

- processus ENSEIGNER : si l’enseignant se préoccupe davantage du savoir et l’élève « fait le mort » (modèle classique transmissif où l’élève n’a qu’à engranger passivement les connaissances.)

- processus FORMER : si l’enseignant se préoccupe davantage de l’élève, le savoir « fait le mort » et devient accessoire (modèle des pédagogies libertaires de Neill ou Hambourg, des pédagogies non-directives de Rogers).

- processus APPRENDRE : si l’élève est directement en rapport avec le savoir et que l’enseignant « fait le mort », se met nettement en retrait. (modèles de L’Éducation nouvelle, de Freinet, des pédagogies différenciées proposées par Meirieu (1992), mais aussi de l’enseignement assisté par ordinateur (EOA) ou même des cours de formation à distance).

Si la pédagogie consiste à mettre en relation deux sommets du triangle, la didactique exige davantage puisqu’elle s’intéresse aux rapports dynamiques s’installant entre les trois pôles. Dès qu’un d’entre eux est négligé, la dimension didactique disparaît.

Selon Jonnaert (2009), dans ce triangle, ce ne sont plus seulement les sommets ou les côtés qui comptent mais « la surface d’interaction », qui est l’espace de dialogue entre les trois pôles. Une « relation didactique » est établie dans ces rapports sociaux entre enseignant et élèves quand l’objectif est de réaliser une action d’enseignement-apprentissage dans le cadre spatio-temporel de la classe. Pour que les interactions se produisent véritablement entre les trois pôles, un « contrat didactique » va permettre de définir les rôles de chacun.

La principale critique adressée à ce modèle porte sur la non prise en compte du contexte dans lequel s'inscrit tout acte pédagogique. La notion de triangle va être remise en cause en français. Michel Dabène (1995) propose un autre modèle, celui de la constellation didactique qui « montre l’insuffisance (...) de la notion de triangle didactique et la nécessité de son inclusion dans le contexte social et le contexte éducatif prenant en compte non seulement les disciplines de recherche et les matières d’enseignement mais aussi les représentations et les pratiques sociales de la langue, des textes et des discours ».

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Savoir

Élève(s)Enseignant

Processus « enseigner » Processus « apprendre »

Processus « former »

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La constellation didactique. Dabène, M. (1995).

2.3.2. Les caractéristiques du contrat didactique

Guy Brousseau26 (1986) montre que les situations d'enseignement/apprentissage sont, de fait, régies par un « contrat » très particulier qu'il nomme « contrat didactique ». « Dans toutes les situations didactiques, le maître tente de faire savoir à l’élève ce qu’il veut qu’il fasse mais ne peut pas le dire d’une manière telle que l’élève n’ait qu’à exécuter une suite d’ordres. Ainsi se négocie un contrat didactique qui va déterminer explicitement pour une part, mais surtout implicitement, ce que chaque partenaire va avoir à charge de gérer. » « On appelle contrat didactique, l’ensemble des comportements de l’enseignant qui sont attendus de l’élève, et de l’ensemble des comportements de l’élève qui sont attendus de l’enseignant (...) Ce contrat est l’ensemble des règles qui déterminent explicitement pour une petite part, mais surtout implicitement, ce que chaque partenaire de la relation didactique va avoir à gérer et dont il sera, d’une manière ou d’une autre, comptable devant l’autre. » Un des problèmes majeurs du contrat didactique est son caractère implicite. Á l'école les enseignants et les élèves sont censés respecter des accords sur ce que chacun peut et doit faire envers le savoir et envers les autres. Ces accords font rarement l'objet de discussion et de verbalisation. Ils se manifestent donc souvent au moment de leur rupture. Ceci est dû au fait qu'enseignant et élèves sont liés par ce contrat qu'ils ne maitrisent pas et qui est caractéristique de la situation d'enseignement. Si le contrat didactique est transgressé par l'un des partenaires c'est alors qu'il devient manifeste comme dans les problèmes dits « d'âge du capitaine »27.

26 Brousseau, G. (1986). « Fondements et méthodes de la didactique des mathématiques », in : Recherches en didactique des mathématiques, 7.2. Grenoble : La Pensée sauvage.

27 On a proposé à 97 élèves de CE1 et CE2 le problème suivant :« Sur un bateau il y a 26 moutons et 140 chèvres. Quel est l’âge du capitaine? »

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Un contrat didactique mal posé ou incompris est à l'origine de beaucoup de malentendus(cf.2.3.7) chez les élèves qui ne savent pas ce qu'on attend d'eux. Ces malentendus génèrent des difficultés chez l'enseignant et les élèves. L’idée de « contrat » ne peut donc pas être prise ici dans le sens habituel de « convention conclue au terme de négociations entre partenaires qui s’entendent sur un projet et ses règles pour une durée donnée ». Il semblerait au contraire que le « contrat didactique » ne puisse pas figer des règles permanentes pour chacun des pôles, ce qui irait à l’encontre non seulement de l’asymétrie des rapports aux savoirs (l’enseignant en sait toujours plus que l’élève et c’est lui qui décide du degré de son intervention) mais aussi à l’encontre d’un dynamisme fondé sur les changements du rapport au savoir (l’élève doit faire évoluer ses connaissances dans une rupture par rapport au savoir initial). Le rôle du contrat didactique est donc bien de générer ces changements et donc d’évoluer lui-même en fonction de ceux-ci sur le temps court de la relation didactique. En outre, par le contrat didactique, toute une série de règles implicites et explicites seront mises en place selon « la coutume de la classe », la décision de l’enseignant, mais aussi en fonction du milieu scolaire, de la logique professionnelle de l’établissement et de la logique organisationnelle du système scolaire de l’État ayant une influence spécifique. Le contrat didactique mettra en équilibre ces règles dans le respect des différents partenaires et permettra à chacun de mieux comprendre ce qu’il peut attendre de l’autre.

2.3.3. Les situations didactiques

Selon la théorie des « situations didactiques » de Brousseau (1986), trois niveaux permettent de faire évoluer la relation didactique dans le temps.

Au premier niveau, l’enseignant propose une situation didactique : il y affiche clairement son objectif de « faire apprendre » en proposant une activité dont il expose les règles. L’élève sait qu’il aura à découvrir un nouveau savoir. Prenons l’exemple en CE2 d’une séquence sur la découverte et l’utilisation du dictionnaire. L’enseignant aura mis en place une situation particulière à l’issue de laquelle les élèves auront appris à se servir du dictionnaire.

Au deuxième niveau, vient la situation a-didactique. Au sein même de la classe, l’élève a reconnu une situation où il peut réinvestir ses acquis, il est conscient que sa connaissance sera efficiente pour réaliser une tâche et que son action spontanée répondra aux attentes de l’enseignant : il ira par exemple chercher un mot dans le dictionnaire pour comprendre son texte de lecture. Il y a eu opération de transfert des connaissances sans intervention du maitre cette fois.

Au troisième niveau, la situation est non-didactique : dans la vie quotidienne, l’enfant saura trouver une solution à son problème grâce à ce qu’il a appris en classe. Le maitre n’apparait plus ici, mais le savoir est transféré : l’élève de CE2 saura chercher dans le dictionnaire familial un mot entendu à la télévision.

Or comment s’opère véritablement le passage du « savoir savant au savoir enseigné »28 , à ce que sait véritablement l’élève au terme d’un apprentissage ?

Or, parmi les 97 élèves, 76 ont donné l’âge du capitaine en utilisant les nombres figurant dans l’énoncé. Ces réponses absurdes à une question absurde montre que les élèves ont intégré, comme système d'attentes, le fait qu'un énoncé comprend les données nécessaires à la réponse à sa question et qu'il faut utiliser toutes les données d'un problème pour répondre aux questions posées, or pour l'enseignant l’élève doit trier ce qui est nécessaire pour la résolution du problème posé. On est face à une rupture du contrat didactique. Vous pouvez vous reporter au livre Baruk, S. (1988). L'âge du capitaine. De l'erreur en mathématiques. Paris : Seuil.

28 Extrait du titre de l’ouvrage de Chevallard et de Joshua (1991), La transposition didactique. Du savoir savant

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C’est tout le problème de « la transposition didactique ».

2.3.4. La transposition didactique en débat

Le « savoir enseigné » n’est pas la simple vulgarisation d’un savoir théorique (celui du chercheur) ni même d’un savoir expert ou savant(celui du professionnel, musicien, écrivain…) : il est un choix sociétal, institutionnel, fragmenté pour des raisons de séquentialisation des contenus et de progressions à l’intérieur du système scolaire. Le « savoir enseigné » est donc une création originale qui émane autant des autorités politiques, administratives que des didacticiens eux-mêmes. Par ailleurs, la difficulté, pour une discipline comme le français, est qu’elle vise surtout des savoir-faire langagiers dont l’enjeu est l’insertion dans la société. Or ces savoir-faire entretiennent des rapports éloignés avec les savoirs métalangagiers très disparates des chercheurs. Y. Reuter (1992, p.13) évoque « une discipline aux contours flous et historiquement mouvants (langue, texte, discours, littérature, image…) » et précise « qu’il n’existe aucun consensus sur les contenus, qu’à l’intérieur de multiples champs théoriques de référence différentes théories s’opposent. » C’est ainsi à l’enseignant d’adapter l’objet d’apprentissage au contexte de sa classe et au niveau de connaissances de ses élèves, dans le cadre des programmes institutionnels, après avoir identifié les finalités pour ses élèves.

2.3.5. Pratiques sociales de référence

On appelle « pratiques sociales de référence », des usages langagiers issus de la vie quotidienne qui vont servir d’exemples, sinon de modèles, pour construire des activités dans la classe. Ce type de démarche didactique a pour objectif de créer des liens entre ce que vivent les élèves en classe et leur environnement langagier, au lieu de vivre ces deux espaces de façon séparée, comme cela a trop longtemps été le cas. Par exemple, on s’appuiera sur des affiches observées sur les murs de la ville ou du village pour écrire des textes illustrés d’images, on s’appuiera sur des boniments enregistrés au marché pour prendre conscience des procédés oraux argumentatifs ou des faire-part de naissance ou de mariage pour écrire des textes courts informatifs. Au besoin, ces productions écrites ou orales pourront prendre place dans une pédagogie du projet (voir le chapitre qui lui est consacré). Les pratiques sociales de référence servent donc à actualiser les savoir-faire inculqués aux élèves, en leur donnant du sens issu des situations réelles dans lesquelles ces pratiques prennent place, au lieu de proposer des critères d’évaluation basés sur une vision normée de la langue. Une production écrite ou orale sera « réussie » si elle répond aux critères d’efficacité et de communication que demande la vie courante aux pratiques de référence. On voit les conséquences, en particulier pour l’évaluation, de ce type de référence : car l’évaluation se réfèrera au vécu social et non aux normes scolaires. On entre ainsi dans une réflexion sur la variation, où plusieurs formes linguistiques non normées pourront par exemple être acceptables et acceptées, si elles font preuve de transparence sémantique et d’efficacité sociale, comme dans une publicité, un titre d’article de journal, une formule rapide de restaurant, etc.

au savoir enseigné. Grenoble : La Pensée sauvage.

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2.3.6. Le rapport à ; les postures ; le malentendu didactique

Charlot (1999 : 3) définit « le rapport au savoir » comme « l’ensemble (organisé) des relations qu’un sujet humain, donc singulier, entretient avec tout ce qui relève de l’apprendre et du savoir : objet, contenu de pensée, activité, relation interpersonnelle, lieu, personne, situation, occasion, obligation, etc., liés en quelque façon à l’apprendre et au savoir ». Cette notion permet :

- de substituer au déterminisme sociologique de l'échec et de la réussite scolaire, une logique compréhensive en prenant en compte la singularité du sujet et les logiques nourries de son histoire personnelle, familiale, sociale et scolaire qui sous-tendent ses façons de faire

- de penser dans le contexte singulier de la situation qui lui est proposée, d'envisager des leviers d'action.

« Le rapport à l'écriture » sert à désigner l'ensemble des relations nouées avec l'écriture, c'est-à-dire les images, représentations, conceptions, attentes, jugements » (Barré-De Miniac, 1997:12) qu'un sujet se construit dans la « liaison avec un objet », autrement dit au contact de l'écriture elle-même. Comment ces concepts peuvent-ils aider un enseignant ? Prenons un exemple extrait d'un mémoire de CAPA-SH (Dulac, 2006) : c'est le cas de X, élève de CE1 âgé de 9 ans, qui n’entre dans la lecture qu’au cours de l’année CE1 après avoir redoublé le CP. Pour cet élève de culture tzigane, les évaluations à l'entrée du CE1 montrent qu'il est capable de déchiffrer des mots simples dans une phrase, mais qu’il n’entre pas dans la compréhension littérale d'une phrase et que son temps de concentration dans des tâches de lecture est très court. Le sens qu'il donne au savoir lire est que lire lui servira à lire les pancartes sur la route. Les entretiens avec les parents apprennent qu'ils parlent une autre langue que le français à la maison, qu'ils ne savent pas lire et que pour eux cet apprentissage et l’assiduité à l’école ne semblent pas importants. Cet exemple emblématique met en lumière la dimension non seulement cognitive, mais psychoaffective et identitaire de l'écriture scolaire qui, dans ce cas, peut être perçue par l'élève comme s'opposant à sa culture familiale. Ce n'est qu'en comprenant ces phénomènes que l'enseignant pourra envisager des leviers pour permettre à cet élève de rentrer dans la lecture.

Exercice :

1- Le guide d'entretien suivant est extrait d'une recherche conduite par Barré-De Miniac, C. & Cros, F. & Ruiz, J. (1993)29 avec des élèves de collège. Après l'avoir lu, pouvez-vous dégager les intentions du chercheur ainsi que les fonctions des différentes questions ? Selon vous, serait-il intéressant pour un enseignant d'avoir accès aux réponses produites par ses élèves dans cet entretien ? Quelle est la nature des informations qu'il recueillerait ? En quoi ces informations pourraient l'aider dans son enseignement de l'écriture avec ses élèves ?

« 1. Si je te dis écriture que réponds-tu ? 2. Écris-tu ? Quand ? 3. Est-ce que l'écriture s'enseigne ? 4. Qui t'a appris à écrire ? Quand ? Comment ? 5. Quel est ton premier souvenir d'écriture ? 6. Est-ce que tu penses que tes professeurs écrivent beaucoup à l'école / en dehors de l'école ? 7. Est-ce que tes parents

29 Barré-De Miniac, C. & Cros, F. & Ruiz, J. (1993). Les collégiens et l'écriture. Des attentes familiales aux exigences scolaires. Paris : ESF. p.64.

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écrivent ? 8. Aimes-tu écrire ? 9. Préfères-tu écrire à l'école ? Hors de l'école ? »

1- En guise de correction, donnons la parole au chercheur :« Il s'agit d'un guide d'entretien qui permet de mettre au jour le rapport à l'écriture des élèves. Ce guide cherche à mettre au jour leur représentation de l'écriture, de ses modalités d'apprentissage. Dégager le rôle que les élèves attribuent à leur famille et à l'école pour rendre compte de leurs compétences et de leur intérêt en matière d'écriture, tant du point de vue quantitatif que du point de vue qualitatif. »

2. Voici deux réponses données par deux élèves à la question 1.« Si je te dis écriture que réponds-tu ? ». Pouvez-vous dégager des différences de représentation de l'écriture dans ces réponses ? En quoi ces réponses présentent-elles des représentations différentes de l'écriture ?

« M. Vous voulez dire expression ? Ben s'exprimer à l'écrit c'est beaucoup de choses. ce sont les lettres, les devoirs, les petits mots, quoi ! Et puis, je sais pas. Heu ... les poèmes aussi.(p.110)

B. Oui ben voilà, symboliquement, ça représente un peu l'École [...] Le scolaire. [...] ça sert à travailler, à se cultiver, à s'informer, plein de choses, quoi [...] »

Vous trouverez les réponses comment répondre à cet exercice dans ce chapitre. Pour des compléments d'information vous pouvez consulter l'ouvrage référencé en note de bas de page.

Le concept de « posture » définit « la manière particulière dont un sujet négocie la tâche qu'il doit accomplir, la manière dont il la comprend, l'interprète, lui donne du sens et s'y implique » (Bucheton, 1999). Si nous revenons au cas de l'élève tzigane, nous comprenons la forte corrélation entre son rapport à la lecture et la façon dont il va s'engager ou refuser de s'engager dans les tâches scolaires de lecture qui lui seront proposées. Les travaux de recherches de Jorro (1999), Bucheton (1999), Crocé-Spinelli (2007), sur les postures de lecture d'élèves confrontés à une lecture documentaire ou à celle d'un roman de littérature de jeunesse, montrent que si on demande à des élèves de réagir à un passage d'un texte lu, on constate que ceux-ci mobilisent diverses postures de lecteurs :

- une posture de « lecteur récitant » en répétant littéralement des passages du texte lu,

- une posture de « lecteur interprète » quand les élèves établissent des liens avec leur propre vie ou réagissent à certains comportements des personnages ou encore quand, de façon plus distanciée, ils déploient les implicites, ou apprécient les jeux d'écriture littéraire,

- une posture « d'évadé du texte » quand des liens distendus avec le texte ou une très forte identification émotive les conduise à se saisir du texte pour s'évader dans leur propre monde interne.

Comment favoriser une circulation entre des postures d'écriture ou de lecture variées et adaptées aux situations ? Comment permettre à des élèves d'adopter une posture distanciée, alors que leur rapport au langage est celui de l'immédiateté et de l'affectivité, peu favorable à une pensée critique comme le montrent les travaux de Bautier, Bucheton ?

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Selon les rapports aux savoirs construits par les élèves, les postures langagières mobilisées, les élèves peuvent interpréter certaines tâches différemment de ce qu'attend l'enseignant ou encore l'enseignant interprète de que fait l'élève différemment de ce que l'élève a voulu faire. On se trouve alors face à une non compréhension du « contrat didactique » (cf. ch. 2.3.3.) ou pour le dire autrement à un « malentendu didactique ». Comme pour le contrat didactique, il s'agit d'une « construction conjointe de l’élève et de l’enseignant » (Bautier & Rayou, 2009, p.105). Ces auteurs prennent l'exemple d'une tâche fréquemment demandée aux élèves de moyenne section de maternelle : on demande aux élèves de découper les vignettes de mots, puis de les remettre en ordre pour constituer une phrase. On voit alors le malentendu entre les attentes de l'enseignante qui portent sur les stratégies de lecture permettant la remise en ordre des mots, alors que l'activité de l'élève est centrée sur le soin apporté au découpage. Comment, pour l'enseignant, limiter les confusions entre la tâche demandée et l’activité intellectuelle sollicitée quand les élèves ne disposent pas des codes de l'école ?

Exercice :

Bautier et Goigoux (2004 : 94) proposent l'exemple30 ci-dessous, extrait de la transcription des échanges entre un enseignant et ses élèves de CP : il s'agit d'étudier un phonème.Pouvez-vous identifier l'activité visée par l'enseignant? Pouvez-vous interpréter l'erreur de Kévin et la réponse de Farid ? Essayez d'utiliser dans cette analyse les concepts didactiques de ce chapitre.

« Un jour du mois de septembre, dans un cours préparatoire lors d'une séance relative à l'apprentissage de la lecture : La maîtresse : « Pouvez-vous me proposer desmots où l’on entend le son [a] ? »– Karen : « Papa »– La maîtresse : « Oui »– Farid : « Maman »– La maîtresse : « Bien »– Kevin : « Tonton ». »

En guise de correction, donnons la parole aux chercheurs :

« On peut faire l'hypothèse que Farid traite le problème par analogie avec d'autres situations habituelles à l'école maternelle (et dans la vie quotidienne) où la proximité sémantique par association est pertinent. Kévin ne parvient pas à réaliser un traitement exclusif de la dimension phonologique. En d'autres termes, il lui est très difficile de dissocier la dimension phonologique du langage de ses autres dimensions (sémantiques et affectives). Il n'a pas compris que les enjeux de cette séance en termes d'apprentissage portent sur l'identification du phonème [a], il y a un malentendu didactique lié très certainement au rapport au langage de cet élève. »

30 Cet exemple est extrait de l'article de Bautier, E. et Goigoux, R. (2004) « Difficultés d’apprentissage, processus de secondarisation et pratiques enseignantes : une hypothèse relationnelle », in Revue Française de Pédagogie, n° 148.

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2.4. Quelques points forts actuels

2.4.1. Le travail en projet

La pédagogie du projet existe depuis longtemps : Célestin Freinet en a fixé les principes (cf. le chapitre qui lui est consacré), mais il ne l’a pas inventée. De nos jours, elle a été en partie renommée « approche actionnelle » en didactique des langues, mais elle recouvre la même intention de départ : apprendre en faisant ensemble. Il s’agit d’apprendre une langue (qu’elle soit nommée « maternelle » ou « étrangère »), non pas à coups de leçons à suivre puis à apprendre, mais en réalisant un projet commun, engageant des activités linguistiques et langagières diverses. Par exemple, on va organiser un voyage de fin d’année à la mer : cela va demander qu’on écrive à des compagnies de bus pour savoir leurs tarifs, qu’on contacte des assurances pour le trajet, qu’on fasse un budget, qu’on demande des autorisations à l’inspection académique et à la mairie, qu’on écrive un journal pour raconter le séjour aux parents, qu’on prépare une exposition pour en faire profiter les autres classes de l’école, etc. Au cours de ces tâches, chacun-e trouve sa place suivant ses goûts et ses capacités ; on travaille ensemble et l’évaluation passe moins par des notes que par la réussite du but final et de ses étapes. On a même une obligation de réussite pour avancer, car tout le groupe est mis en danger en cas d’échec ou de retard. On a de plus, bien sûr, droit à l’erreur (une tractation peut échouer avec un partenaire), mais surtout on doit surmonter cette erreur et recommencer pour aller plus loin. Ce type de travail est particulièrement formateur, on s’en doute, car il place l’élève dans une responsabilité collective ; les apprentissages se font au cours de l’action et de la réalisation de tous.

2.4.2. Apprentissage, évaluation et compétences

Le terme d’ « apprentissage » relève de plusieurs définitions : tantôt il s'agit d'une accumulation passive de connaissances provenant d’informations extérieures (c’est ce qu’on appelle le modèle transmissif classique : on apprend parce qu’on vous transmet des informations sur un sujet donné), tantôt il s’agit d'une modification d’un ou plusieurs comportements observables en réponse à des stimulations nouvelles (c’est ce qu’on appelle le modèle béhavioriste de Skinner : on apprend à réagir de telle ou telle façon à des éléments extérieurs stimulants). Parfois aussi l’apprentissage consiste à recevoir des informations extérieures (comme dans le premier cas) mais qu’on ne va pas retenir telles quelles : on va les transformer (on dit les « traiter ») personnellement par l’action de facteurs psychologiques, cognitifs ou affectifs (c’est ce qu’on appelle le modèle cognitiviste issu des théories du traitement de l’information). Ces divers modèles sont à l’origine des diverses façons dont nous enseignons dans nos classes et vous pourrez les repérer, ou en repérer des traces, si vous observez des enseignants avec leurs élèves. Il faut ajouter à cela le fait que l’apprentissage est vu aussi comme la transformation d’anciennes représentations que nous nous faisons d’un objet de savoir vers de nouvelles représentations que nous appelons « connaissances » (c’est la conception constructiviste de Piaget : on apprend en transformant petit à petit nos représentations). Par exemple, de jeunes enfants ont une certaine idée du « cercle » avant d’avoir leur première leçon de géométrie sur ce thème : cette idée va se transformer en définition et en concepts de plus en plus précis (circonférence, rayon, aire, etc.) au fur et à mesure qu’ils vont avancer dans sa connaissance ; ils vont alors en construire une nouvelle image, qui se

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transformera de nouveau quand ils aborderont la sphère, etc. On assiste alors à un processus réflexif et créatif de l’apprenant sur ses propres acquisitions. Cette conception s’est enrichie par la prise en compte de l’environnement et des interactions avec toutes les personnes (enseignant, camarades, parents, milieux extérieurs, etc.) appelées « médiateurs » qui incitent l’apprenant à réfléchir sur ce qu’il vient d’apprendre (c’est la conception socioconstructiviste de Vygotsky et Bruner).

Quoi qu’il en soit, une des tâches de l’enseignant est de vérifier le résultat de l’apprentissage pour orienter ses choix didactiques et établir sa progression qui dépend du degré d’acquisition des élèves. L’organisation réfléchie d'une progression spécifique à la classe (dans le cadre prescrit par les programmes nationaux) sera étroitement liée aux différentes évaluations indiquant les performances des élèves. Tout d'abord il est à distinguer l'évaluation à visée formative de l'évaluation à visée certificative

- L’évaluation diagnostique se situe en début de séquence. Elle a pour fonction, avant de débuter un apprentissage, de recueillir les représentations initiales des élèves, d'identifier les acquisitions et les difficultés éventuelles des apprenants, d’analyser leurs besoins. Elle fournit des repères aux enseignants pour organiser la suite des apprentissages et proposer des situations didactiques qui soient adaptées aux besoins de leurs élèves, autrement dit des situations qui se situent dans leur « zone proximale de développement »31 (cf. 1.3.5).

- L’évaluation formative se situe, contrairement aux deux autres modalités évaluatives, en cours d'apprentissage. Elle a pour fonction d'aider l'élève à apprendre. Elle suppose une orientation vers des tâches complexes et une conception formative de l'erreur. Celle-ci s'oppose à la conception de l'erreur comme faute qui a longtemps prévalu à l'école. En effet, pendant longtemps, les erreurs commises par les élèves ont été considérées comme des fautes qui témoignaient de leurs faiblesses qu'il fallait sanctionner. Depuis l'apport des théories constructivistes et des travaux de la didactique, on sait que l'erreur est consubstantielle au processus d'apprentissage. Elle n'est plus considérée comme une lacune mais comme une production par laquelle l'élève manifeste ses représentations, son mode de raisonnement, ainsi que ses résistances. Pour l'enseignant, il s'agit de chercher à comprendre les erreurs, de mettre en évidence les représentations que les élèves se font de la tâche, de comprendre les démarches d’apprentissage de chaque élève, d'évaluer la pertinence des situations qu'il propose.

L'évaluation formative permet à l'élève, grâce à l'élucidation des critères de réalisation des tâches ou des critères de réussite, d'identifier les procédures à suivre pour atteindre les objectifs visés, de l'aider à planifier ses façons de résoudre les tâches demandées, ou d'apporter des modifications à ses façons de faire. Le critère de réussite concerne le produit fini et permet à l'élève de répondre à la question : « à quoi je vois que mon produit est réussi ? » Le critère de réalisation caractérise la démarche qui permet la réalisation du produit réussi et c'est ce qui permet à l'élève de répondre à la question : « qu'est-ce qu'il faut que je fasse pour réussir la tâche demandée ? ». Cette modalité évaluative accompagne donc l'élève dans la régulation de ses apprentissages.

31 « C'est la distance entre le niveau de développement actuel tel qu'on peut le déterminer à travers la façon dont l'enfant résout des problèmes seul et le niveau de développement potentiel tel qu'on peut le déterminer à travers la façon dont l'enfant résout des problèmes lorsqu'il est assisté par l'adulte ou collabore avec d'autres enfants plus avancés » (Vygostki, 1985).

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L'évaluation formative sert aussi pour l'enseignant à mettre en place la remédiation nécessaire à certains élèves. Elle permet ainsi non seulement à l’enseignant d’adapter les conditions d’enseignement, mais aussi à l’élève d’adapter son apprentissage. (Allal, 1991) .

- L’évaluation sommative se situe au terme d'une séquence d'apprentissage. Elle permet en fin de séquence d’établir un bilan des acquisitions et donne un repère à l’élève sur les progrès accomplis. Il s’agit également de mesurer si les objectifs d’enseignement sont atteints. En effet, l’enseignant vérifie ici la validité de ses choix didactiques et peut les réajuster en fonction des résultats obtenus, notamment lors des séquences suivantes. Les apprentissages demandant du temps, le résultat de l’évaluation sommative ne peut être que partiel. Cette évaluation s'appelle « certificative » quand elle se fait en fin de formation et qu'elle débouche sur la délivrance d'un diplôme (Bac à lauréat).

Ainsi l’évaluation permettra de déterminer les compétences de l’élève. L’origine de la notion de « compétence » provient du modèle behavioriste et a été théorisée par B.S. Bloom dans les années 1960 aux États-Unis pour évoquer les activités mentales réalisées dans une tâche industrielle. Il s’agissait alors de former les ouvriers en découpant et analysant les différentes étapes du travail. Le monde de l’éducation critique, depuis les années 90, cette parcellarisation des tâches et des situations et la perte de sens qui en découle pour définir la compétence comme un savoir-faire complexe qui permet d'accomplir une activité complexe. À la différence de l'objectif pédagogique qui désigne ce que l'élève doit apprendre, la compétence désigne les comportements potentiels (affectifs, cognitifs et psychologiques) qui permettent à un individu d'exercer efficacement une activité considérée généralement comme complexe »32"La compétence est la mobilisation ou l'activation de plusieurs savoirs, dans une situation et un contexte données" 33

Le Boterf distingue plusieurs types de compétences : des savoirs théoriques (savoir comprendre, savoir interpréter), des savoir-faire procéduraux (savoir procéder, savoir opérer), des savoir-faire expérientiels (savoir y faire, savoir se conduire), des savoir-faire sociaux (savoir se comporter, savoir se conduire), des savoir-faire cognitifs (savoir traiter de l'information, savoir raisonner, savoir nommer ce que l'on fait, savoir apprendre). En France, il existe un référentiel institutionnel de compétences : « le socle commun de compétences et de connaissances » qui définit en termes de connaissances, de capacité et d'attitudes les compétences que l'élève doit maitriser à la fin de la scolarité obligatoire (cf. 5.5).

C’est à travers des objectifs linguistiques ciblés (ce qui veut dire qu’on pourrait organiser différemment les progressions dans les programmes et donc dans les classes) que nos élèves sont évalués en français. En France, ce sont les types de discours qui ont guidé l’écriture des programmes officiels, et donc les apprentissages des élèves.

Exercice 1:

Vous déterminerez à quel type d’évaluation (diagnostique, formative ou sommative) correspondent ces situations.Situation 1 : En CM2, l’enseignant dicte un texte de 10 lignes au présent contenant des verbes en -yer, -eter, -eler.Situation 2 : En GS, l’enseignant, en présentant un nouvel album, demande aux élèves s’ils connaissent d’autres ouvrages de cet auteur.

32 Reuter, Y. (2007). Dictionnaire des concepts fondamentaux des didactiques. Bruxelles : De Boeck. p. 67.33 Le Boterf, G. (1995). De la compétence, essai sur un attracteur étrange. Paris : Editions d'organisations.

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Situation 3 : En PS, l’enseignant demande à l’élève de chanter et mimer le premier couplet de la comptine de l’« éléphant ».Situation 4 : En CP, l’enseignant demande de dessiner l’épisode de l’histoire qui vient d’être lue.Situation 5 : En CM1, l’enseignant demande comment on peut faire pour trouver le sens du mot « ininflammable ».Situation 6 : En MS, l’enseignant demande à l’élève de raconter l’album du début à la fin en s’aidant des illustrations.

Éléments de correction :

Situation 1 : Évaluation sommative (une évaluation diagnostique n’aurait ciblé que les verbes)Situation 2 : Évaluation diagnostiqueSituation 3 : Évaluation formative (la comptine est en cours d’acquisition)Situation 4 : Évaluation formative (le récit n’est pas connu entièrement) Situation 5 : Évaluation diagnostique (pour savoir ce que savent déjà les élèves des préfixes et suffixes)Situation 6 : Évaluation sommative (le récit est connu en entier)

Exercice 2 :

Vous déterminerez à quel type d'évaluation correspond la situation présentée ci-dessous extraite de Obin, J.-P. & Veslin, J. & Cardinet, J.(1992, p.89)34.

Est-ce que l'évaluation de l'enseignant présentée dans la partie : Analyse du travail de Mathieu » porte sur le produit ou sur la démarche de l'élève ? Quelle est la fonction des retours à faire à l'élève présentés dans la partie « Quels retours lui faire ? »

34 Obin, J.-P. & Veslin, J. & Cardinet, J.(1992). Corriger des copies, évaluer pour fomer. Paris : Hachette éducation.

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Vous trouverez comment répondre à cet exercice dans ce chapitre. Pour des compléments d'information vous pouvez consulter l'ouvrage référencé en note de bas de page.

2.4.3. Les différents types de discours

L’énoncé, texte oral ou écrit, plus ou moins long, produit lors de l’acte d’énonciation d’un émetteur s’adressant à un récepteur dans un cadre spatio-temporel particulier se caractérise par sa cohérence globale qui dépend de facteurs sémantiques et syntaxiques : répétitions des mêmes éléments sémantiques repris par des substituts ( l’élève dort, le maître le réveille, ce dernier est en colère…), progression de l’information par apports d’éléments nouveaux sur le thème ( Il a envie de donner une punition…se ravise….reprend son cours…), enchainements logiques des informations qui ne doivent pas se contredire (…Le poisson ne mord pas ce matin, un triangle a trois côtés. : incohérence par rapport au début du texte.)

Au départ, Adam s’est demandé, dans une réflexion très novatrice : à quoi sert ce que je dis ou ce que j’écris ? quelle intention d’action ai-je sur celui qui va recevoir mon texte ? Il a ainsi établi une première typologie, selon qu’un texte sert à raconter, expliquer, etc. et a distingué : les types narratif, descriptif, explicatif ou informatif, injonctif, argumentatif, conversationnel ou dialogal, poétique. Puis il a lui-même35 critiqué cette première typologie des textes, qui réduisait la diversité

35 Dans l’article de Adam, J.-M. (2005). « La notion de typologie de textes en didactique du français. Une notion dépassée ? ». Lille : Recherches n°42, 11-23.

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des réalisations discursives en ne s’intéressant qu’à leur fonction. En effet un texte possède une dominante (narrative ou argumentative, par exemple) mais il contient aussi différentes séquences (sous-ensembles de phrases) qui peuvent correspondre à d’autres objectifs (dans un récit, on trouve des passages de description, des dialogues, des argumentations, etc.). L’identification de la dominante du texte peut même parfois se révéler problématique.

Or, un texte se comprend aussi dans une situation de communication particulière, un contexte énonciatif socio-historique et culturel qui motive sa production et son interprétation. On parlera alors de « discours » qui correspond à la modalité énonciative dans laquelle se produit l’énoncé. Adam propose alors la notion de genre du discours (cf.5.3) à celle de type de textes: - Genres narratifs (prototypes : conte, fable, etc.)- Genres de l’argumentation (prototypes : plaidoyer, débat, etc.)- Genres de l’explication (prototypes : conte étiologique, notice explicative, etc.)- Genres descriptifs (prototypes : portrait, petite annonce de vente, etc.)- Genres conversationnels (prototypes : la lettre personnelle, administrative, l’interview, la pièce de théâtre, etc.)Adaptées au contexte scolaire ces approches permettent de donner des repères qui vont aider les élèves à se représenter l’énoncé oral ou écrit à produire.

2.4.4. Normes et variations

La problématique de la norme est assez récente et bouleverse le monde enseignant à propos des langues. En effet, pendant longtemps on s’est contenté de décider si telle forme écrite ou orale produite par un élève (« j’ai été à la noce », « y en de beaux », « quand c’est qu’on mange ? », « il fait chaud, voire même trop chaud », etc. ) était « correcte » ou « incorrecte », voire de façon encore plus traditionnelle « juste » ou « fausse ». Et il était facile de noter, (voir le chapitre sur l’évaluation) de barrer, de corriger … Cela vaut bien sûr autant pour le français que pour les autres langues, dites étrangères. On a donc enfermé la (ou les) langue(s) de l’école dans un carcan de règles à respecter que personne bien sûr ne respecte … sauf l’école elle-même – on tourne en rond. Le résultat ? les élèves français sont parmi les plus « mauvais » d’Europe en langues : à force d’académisme jamais assimilé et inutile, on les a détournés des langues et de leur apprentissage. Or que nous disent les « pratiques sociales » que nous pouvons observer tous les jours autour de nous ? que les titres des journaux sont des phrases sans verbes, qu’une publicité peut commencer par une relative sans principale et être totalement compréhensible, qu’on peut lire dans un sms « tkt » au lieu de « ne t’inquiète pas » et qu'on est compris, etc. Qu’est-ce à dire ? que toutes ces formes rencontrées quotidiennement sont fausses ? ou plutôt qu’il n’existe pas « une » norme, « une » façon de bien écrire et bien parler, mais plusieurs qu’on appelle alors « variations ». On avancera même l’idée que « bien » posséder une langue, c’est savoir en adapter les éléments écrits et oraux à la situation de communication et aux auditeurs ou lecteurs à qui on s’adresse : rien n’est donc en soi « juste » ou « faux » mais « adapté » ou « non adapté » à une situation donnée. C’est donc la réussite de la communication dans cette situation qui permet de décider si la variation choisie par le locuteur ou le scripteur est « bonne » ou « moins bonne ».

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2.4.5. Curriculum

Depuis les années 70, l'emploi du terme de curriculum s'est développé, dans l'optique de reconstituer la culture scolaire dans un contexte alors lié aux enjeux éthiques et économiques de la démocratisation des études longues et de la massification scolaire.

Le terme de curriculum (cf. Dumortier, 2010) désigne la structuration d'un projet éducatif à l'échelle d'un pays : ce concept met l'accent sur le fait que les contenus d'enseignement sont le produit d'une sélection sociale et politique dans un ensemble de possibles, le produit d'une construction scolaire et ce pour tous les contenus disciplinaires.

Plus précisément, cette structure qui existe dans tous les pays définit les contenus, les rôles des acteurs de l'éducation et leur répartition, les objectifs des diverses formations et leurs principes pédagogiques. Il définit également les supports didactiques, des pratiques, les procédures d'évaluation des résultats, ainsi que les profils de sortie des formations et les phases de réalisation du plan. Pour le didacticien d'une discipline particulière, le curriculum désigne tout ce qu'il faut faire, au cours de la scolarité obligatoire, pour rendre possible l'appropriation par les élèves des contenus de la discipline en question.

Ainsi, un enseignant, à travers le programme d'une année, participe à la réalisation de ce plan inscrit dans les contextes de son établissement mais aussi de l'institution scolaire et de la société. Ses séquences didactiques sont des maillons intermédiaires de cette réalisation d'ensemble.

Nous conclurons sur le fait que les curriculums varient selon les pays. Par exemple, les découpages de l'enseignement primaire, secondaire, supérieur différent : l'école maternelle n'existe par exemple pas en Allemagne, la durée du collège peut être de trois ans comme en Algérie, alors qu'elle est de quatre année en France. Un autre exemple de variation est la possibilité pour un élève de redoubler ou pas une classe dans son cursus scolaire. Pour finir, dans de nombreux pays, c'est un examen terminal qui sanctionne la fin de l'enseignement secondaire et détermine la poursuite d'études supérieures, alors que dans certains pays, comme la Suède, il s'agit d'un contrôle continu.

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CHAPITRE 3 - MONDE DE L'ÉCRIT, MONDE DE L'ORAL

Les enseignants ont l’habitude, pour se simplifier la vie, de séparer les activités écrites et orales dans la classe : ils séparent ainsi les exercices, les notations, les moments de classe consacrés à l’un ou l’autre monde. Il est vrai que les langues étrangères nous ont habitués, par exemple, aux 4 domaines de compétences : lire / écrire (réception / production à l’écrit), parler / comprendre (production / réception à l’oral). Mais cette simplification va à l’encontre à la fois de ce qui se passe dans la vie courante (on a souvent besoin de téléphoner, puis d’écrire à la même personne pour confirmer une demande ou une réclamation) et dans les formes scolaires complexes (il faudra dès le lycée apprendre à écouter et prendre des notes en même temps, deux pratiques orale et écrite simultanées). Il serait donc profitable, didactiquement parlant, de mêler dès les plus jeunes âges, les activités écrites et orales pour que les enfants, et plus tard les adolescents, s’habituent à leur complémentarité et leur co-développement. Par exemple, on apprendra à résumer à l’écrit un débat qu’on vient de mener en classe, à rapporter oralement sur un travail de groupe débouchant sur un texte écrit, à commenter une exposition de poèmes écrits par la classe, etc. Ainsi les deux domaines ne seront plus séparés, voire opposés : ils se développeront de façon complémentaire et leur interaction s’appuiera sur leur spécificité propre. Par exemple, on écrit pour qu’une chose qu’on vient de dire puisse rester, on parle pour communiquer et chercher à plusieurs une solution à un problème. Cette complémentarité est particulièrement bien mise en valeur dans la pédagogie du projet, où elle s’impose par les tâches complexes demandées par le projet.

3.1. Le monde de l'écrit

Les travaux de Lahire (2000) ont mis en évidence les inégalités sociales face à l'écrit et la place qu'occupe l'accès à la culture de l'écrit dans la réussite scolaire, sociale, professionnelle, dans une société où l’ensemble des pratiques sociales (politiques, économiques, juridiques, religieuses, artistiques, techniques, didactiques...) s’organise autour des pratiques d’écriture. Comment permettre à l'ensemble des élèves, même à ceux issus de milieux où l'écrit a peu de place, de s'emparer de l'écrit et de ses usages? Commençons par clarifier les spécificités de l'écrit.

Écrire désigne le fait de tracer des signes graphiques codifiés, conventionnels pour produire un message signifiant, lisible et compréhensible par un récepteur. Écrire fait appel à un double processus de formation des lettres et de production de sens. Écrire ne signifie pas seulement mettre de l'oral sur papier. L'écriture n'est pas seulement un changement de modalité de communication ; elle induit un changement de mode de pensée du fait de ses spécificités : elle permet, du fait de la permanence des traces de l'écrit, d'inscrire, de fixer, d'abstraire et de rendre visible la pensée (Reuter, 2011). Ces spécificités vont permettre le développement de pratiques sociales variées. L'enseignement de l'écrit doit alors avoir pour contenu les usages de l'écrit et leur compréhension.

Cette approche culturelle de l'enseignement de l'écrit où « le savoir écrire et lire, coder et décoder sont des compétences seulement contributives à

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l'appropriation de l'écrit » (Barré-De Miniac, 1995) s'oppose à un enseignement trop souvent exclusivement centré sur les techniques et les codes. Pendant longtemps on n'accédait à la lecture de textes qu'après avoir appris le code alphabétique, on n'apprenait à écrire qu'après avoir appris à lire. Trop souvent l'enseignement de la lecture, de l'écriture, de l'orthographe, de la grammaire, de la conjugaison, du vocabulaire ont été appréhendés comme des entités séparées, sans grande relation. Les univers de l'écrit scolaire étaient faits de répétitions d'exercices mécaniques peu stimulants, les élèves n'avaient que rarement à produire des textes complets.

En fait, dès la maternelle, des pratiques de lectures et d'écritures signifiantes peuvent permettre la découverte du langage écrit, de ses usages sociaux en mettant les enfants en contact avec différents types d'écrits (comme par exemple, le livre, l'affiche, le journal, la lettre, la recette de cuisine...) en leur permettant d'en connaître la fonction, de travailler la compréhension et la production de textes écrits ainsi que la découverte du code écrit. Certaines activités de productions d'écrits utilisent la « dictée à l'adulte » (l'adulte est le secrétaire du texte élaboré par les élèves), l'« écriture inventée » à partir des travaux d'Emilia Feirreiro (où les élèves s'essaient eux-mêmes à des activités d'écriture alors qu'ils ne savent pas écrire) pour développer leur conceptualisation du système d'écriture et leurs rapports à l'écrit.

Pour l'apprentissage de la lecture au CP (contexte français), Goigoux (2001) identifie quatre composantes impliquées dans l’enseignement de la lecture qu'il montre indissociables de celui de l’écriture : « l’identification et la production des mots, la compréhension de textes, la production de textes et l’acculturation à l’écrit ». Ce travail est à entreprendre dès la maternelle, sans attendre que les élèves identifient les mots. Les quatre composantes doivent être présentes dans l'enseignement/apprentissage de la lecture dès le CP, pour ne pas séparer code et sens. La question des méthodes d'apprentissage de la lecture a encore récemment fait l'objet de débats fortement médiatisés (en 2005, lorsque un ministre veut imposer la méthode syllabique). Il y a plusieurs façons d'aborder l'acte de lire :

- des « méthodes ascendantes » alphabétiques ou syllabiques partent de la plus petite unité, la lettre ou la syllabe associée à un son pour conduire au déchiffrage de mots puis par la suite de phrases,

- des « méthodes descendantes » axées sur la construction de sens en donnant la priorité à la mémorisation des mots, à l’anticipation, à la formulation d’hypothèses,

- une « méthode mixte » où l'on vise à construire la connaissance du code à la fois par l’analyse et par la synthèse des lettres et des syllabes (méthode aujourd'hui la plus utilisée). Aujourd'hui les chercheurs en didactique de la lecture s'accordent à présenter la lecture comme une activité complexe qui nécessite de travailler de façon simultanée et interactive les quatre dimensions présentées ci-dessus et qui ne se limite pas au décodage en lecture. La langue écrite est composées de graphèmes composés de une ou plusieurs lettres : ch, eau, ot, ant ... Ces graphèmes servent à transcrire les sons de la langue française appelés phonèmes et transcrits entre crochets : [oe], [ƒ], [y], ... ils sont réunis dans l'API (alphabet phonétique international). On appelle « décodage » en lecture l'activité qui consiste à passer des graphèmes aux phonèmes.36. . Il ne suffit pas en effet d'en avoir décodé les mots pour saisir le sens d'un texte.

36 Voici un exemple du système de conversion graphèmes / phonèmes nécessaire au décodage du mot chapeau, formé de quatre graphèmes et de quatre phonèmes : « ch » « a » « p » « eau » ==> [ƒ] [a] [p] ]o] ==> [ƒ a p o].

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Nombreux sont les élèves qui restent dans cette croyance. Certaines pratiques traditionnelles, comme les questionnaires écrits, évaluent la compréhension au lieu de l'enseigner. En revanche, travailler la compréhension en lecture suppose de rechercher des dispositifs qui favorisent la construction de sens, notamment les inférences qui sont des opérations logiques de déduction qui consistent, à partir d'indices présents dans le texte, à rendre explicite une information qui n'est qu'implicite,. pour mettre en lien diverses données du texte. Cependant il ne suffit pas de favoriser l'activité inférentielle pour travailler la compréhension. Il est nécessaire d'accompagner la progression dans le texte d'une activité de retour sur sa lecture, de contrôle par le lecteur de la pertinence de ses premières inférences avec l'arrivée de nouvelles données pour les valider ou les faire évoluer. Goigoux montre que les mauvais compreneurs ne remettent pas en cause les les représentations erronées qu'ils se forgent dès les premières pages d'un livre. Ces dispositifs privilégient la reformulation ou les échanges oraux entre élèves sur des questions portant sur l'implicite, l'accès au sens perçu, à travers des interactions entre lecture, oral et écriture.

Insistons sur l'interaction entre la lecture et l'écriture pour mettre en relief le fait que l'expérience du travail d'écriture favorise la conception de la lecture comme moyen de communication entre un auteur et un texte. Réciproquement, la lecture nourrit le processus d'écriture, dans les différentes phases du projet d'écriture, dans la planification, la production ainsi que dans la réécriture. Les travaux portant sur l'écriture comme processus se sont intéressés aux brouillons d'écrivains et aux brouillons d'élèves (Fabre-Cols, 2002) pour montrer l'importance de la place de la réécriture dans le processus même d'écriture. La réécriture en tant que pratique transformatrice du matériau est à distinguer de la correction. La réécriture suppose, de la part d'un élève, des opérations de suppression, d'ajout, de déplacement, de substitution et favorise une activité métadiscursive, une activité de retour sur le fonctionnement du discours.

Vous trouverez ci-dessous une activité qui vous permettra de connaitre diverses situations d'écriture dans les classes et de les mettre en relation avec les concepts que nous venons de définir.

Excercice: Dans les 5 cas suivants, quelles situations vous paraissent favoriser l'entrée dans la culture écrite à l'école et son appropriation ? Justifiez vos réponses.

Cas n°137 : Voici un extrait de manuel de lecture. Un maitre de CP l'utilise exclusivement pour travailler l'apprentissage de la lecture dans sa classe. Ses séances suivent la trame présentée dans l'extrait de manuel scanné ci-dessous.

37 extrait de : Houblain, L.& Raymond,V.& Paturaud,V. & de Sagazan, B. (ed. 2011). J'apprends à lire avec Daniel et Valérie. Paris : Nathan. p.3.

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Cas n°238

J-P. Jaffré (2000) présente, dans l'article référencé en bas de page, une situation d'écriture recueillie, en grande section de maternelle, au mois de novembre. « Á la mi-novembre, une vingtaine d'enfants visite une exposition consacrée aux œuvres d'Aristide Caillaud, un peintre naïf contemporain. 4 jours plus tard, ils écrivent leurs impressions, après en avoir explicité le contenu lors d'une brève phase préparatoire. Emmanuel propose d'écrire « J'ai aimé les peintures d'Aristide Caillaud et les fleurs », ce qui va lui prendre environ 8 minutes. Il commence par « écrire la date » et comme l'atelier se déroule le vendredi, il trace de mémoire VEN. Son voisin qui regarde ces trois lettres, réagit aussitôt : « C'est pas ça ... c'est lundi qu'on a été à l'exposition. » Emmanuel en convient et prend donc une nouvelle feuille, hésite un instant puis va chercher l'étiquette LUNDI, qu'il recopie. Il hésite à nouveau et dit avoir un problème avec la date. On l'aide par conséquent à trouver la bonne date - le 9 en l'occurrence - qu'il reproduit à l'envers. Il ajoute ensuite NOVEMBRE qui est écrit au tableau.Emmanuel s'attaque ensuite au texte qu'il a projeté d'écrire - et qu'il répète alors sous sa forme initiale. À une phase de prise d'informations graphiques succède une phase au cours de laquelle il va calculer des graphies plausibles, sachant ce qu'il sait alors du fonctionnement de l'écrit. (...) Cette phase « d'invention graphique » est présentée « sous la forme du tableau ci-dessous ».

À la fin de l'atelier, Emmanuel relit son texte - phase imposée à tous les apprentis : « Lundi 9 novembre, j'ai aimé les peinture d'Aristide Caillaud. » Signé, Emmanuel.

Quelques apports du chercheur :« Cette séquence illustre les temps forts des ateliers d'écriture avec notamment un comportement aussi autonome que possible des enfants. (...) Emmanuel utilise par ailleurs les sources d'informations disponibles (...) Et surtout, il n'hésite pas à produire des solutions apparemment originales mais en réalité conformes aux mécanismes de base de l'écriture du français. (...)Pour écrire son texte, Emmanuel utilise trois types de procédures qui sont représentatives, à des degrés divers de ce que font les élèves en GS dans les ateliers d'écriture. Au début, il recourt à la copie.(...) les ateliers d'écriture rassemblent de multiples informations orthographiques. Celles-ci sont en général

38 extrait de : Jaffré, J.P. (2000). « Ce que nous apprennent les orthographes inventées ». In Fabre-Cols (Dir). Apprendre à lire des textes d'enfants. Bruxelles : De Boeck Duculot. pp.64-66.

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issues d'activités antérieures, qu'elles soient sociales (lecture de documents ou d'albums, par exemple) ou plus techniques (recherches de mots qui finissent ou qui commencent pareil, classement des prénoms, etc...). Certains mots plus fréquents que les autres, et dont les enfants ont plus souvent besoin, sont classés dans des boites, des tiroirs, des fichiers ; d'autres figurent simplement en des lieux accessibles et connus des enfants (un jeu, une recette, une lettre, un livre). » Cet exemple permet de montrer comment Jaffré travaille à « comprendre la démarche des enfants qui apprennent à écrire et la nature des opérations cognitives qu'ils utilisent à ce moment-là. »

Cas n°3 39:

Maurel, M. & Fabre-Cols, C. (2001)présentent une situation qui se situe, dans une classe de CP, vers la fin de l'année scolaire (mars-avril). Cette classe a pour projet d'écrire « des histoires » pour les élèves de Grande section de maternelle. Les enfants écrivent, par groupe de deux, un premier jet dont la réécriture fait, pour sa communication, l'objet d'un accompagnement par l'enseignante.

L'enseignante fournit ensuite « deux documents aux élèves: une version initiale orthographiquement correcte du texte produit (DOC.1) ; une fiche-guide résumant sa lecture critique (DOC.2) et proposant quatre questions, quatre problèmes à résoudre (...) Vous trouverez, ci-dessous, les deux documents transmis par l'enseignante (DOC.1 et DOC.2) ainsi que la transcription des interactions entre les deux élèves lors de l'utilisation de la fiche guide dans un travail de réécriture (DOC.3)

Version initiale orthographiée correctement (DOC.1)« Il y avait une fois deux petites souris qui voulaient faire de la randonnée. Mais soudain, la pluie se déclencha. Ils se sont dit : « il faudrait se trouver un abri ». L'une d'elles se dit : « j'ai faim ! ». Tout à coup, « regarde, un chapeau ! ». Elles se mirent à l'ouvrage ; l'une d'elles trouva un bâton. Une fois que le chapeau fût prêt, les deux amies firent un feu et s'endormirent ».

Fiche-guide (DOC.2)« À mon avis, votre texte est déjà un très bon texte. Vous avez, par exemple, fait parler les personnages et vous n'avez pas oublié les guillemets: tout cela est très bien.Voici quelques problèmes :1. (...)2. À votre avis, est-ce important pour votre histoire qu'une petite souris dise qu'elle a faim ?Peut-on supprimer cette partie ?3. Vous avez écrit : Tout à coup « regarde, un chapeau ! » Mais on ne sait pas qui prononce ces paroles. Essayez d'ajouter une information pour que celui qui lira votre histoire la comprenne bien. N'oubliez pas que vous êtes les auteurs ! »4. (...)

Retranscription des interactions entre les deux élèves dans un travail de

39 extrait de : Maurel, M. & Fabre-Cols, C. (2001). « Fondements et modalités de l'écriture accompagnée au cycle des apprentissages fondamentaux ». In Lidil n°23, 165-186. Les nouveaux écrits à l'école nouveaux programmes, nouvelles pratiques, nouveaux savoirs. Numéro coordonné par Fabre-Cols.

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réécriture (DOC.3)

« Mathilde et Manon lisent la troisième question

Mathilde : ben, les petites sourisManon : l'une d'ellesMathilde : l'une d'elles dit / regarde un chapeauManon : tout à coup, l'une d'elles ditMathilde : tu vas le rajouter là Manon : (réécrit tout en lisant) tout à coup l'une d'elles dit regarde un chapeau.../ bon c'est bonMathilde : ben ouiMathilde (à propos du mot « dit ») alors, qu'est-ce qu'on pourrait.../ ben/ dit je sais pas.../ faudrait mettre un e ou pas ?Manon : ben/dit non, c'est un tMathilde : oui / regarde un chapeau / elles se mirent à l'ouvrage ... / tu crois que les petits vont comprendre ?

les fragments d'avant-texte oral figurent en italiques »

Cas n°4 40: Un projet de rédaction d'un guide touristique.Cette année-là les enfants d'une classe de CM2 vont vivre une classe « préhistoire » en Dordogne.: dès le début de l'année scolaire, l'enseignante intéresse les enfants à cette région, leur propose de demander par courrier de la documentation sur le département, sur la région Aquitaine, etc.Bientôt la démarche se généralise, et les élèves vont réunir de la documentation sur différentes régions françaises (une quinzaine) ; ils réaliseront par la suite, pour chacune d'elles - l'initiation à l'informatique aidant -, un dépliant touristique aussi attirant que possible. Ce qui implique : -un ensemble de courriers, réalisés par équipe de 2 destinés à différents offices de tourisme répartis sur l'ensemble des régions, de façon à récolter un nombre suffisant de dépliants publicitaires pour pouvoir procéder à leur classement, à leur analyse, à les constituer en « modèle de fonctionnement textuel » (incluant les variantes remarquables) ;-une collecte d'informations dans des ouvrages de géographie et, dans la mesure du possible, dans des guides de voyage, de façon à mobiliser des lectures abondantes et à poser le problème de la sélection des informations.Une fiche-référence du dépliant touristique a été élaborée par la classe

• Le dépliant touristique• Forme générale

Il peut être en forme de livre (2 volets)Il peut avoir 2, 3, 4 ou 5 voletsIl peut se déplier comme une carte routièreLe titre

• Sa dispositionIl peut être droit, en arrondi, en escalier, à angle droitIl est toujours accompagné d'une photo ou d'une image

• Sa placeIl est sur la première page, le plus souvent en hautOn le trouve parfois en bas ou au milieuIl est quelquefois accompagné de sous-titres

40 extrait de : Devanne B. et le groupe lecture-écriture de l'Orne (2006). Lire, dire, écrire en réseaux. Des conduites culturelles. Paris : Bordas. Pratique pédagogique Cycle 3.

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• Ses caractèresEn majuscules, en gras, en relief et parfois en couleurLes textes et les illustrations

• La quantité de texte (...)

Cas n°541 :J. Boussion, M. Schöttke et C. Tauveron (2000 : 126-127) présentent une situation de classe recueillie dans une classe de CP. À l'issue d'une visite au parc de Gévaudan, une classe de CP a pour projet la rédaction d'un texte documentaire sur les loups dans le journal de l'école. « Au moment d'écrire les rubriques « Disparition du loup » et « le loup aujourd'hui », l'enseignant conduit une discussion à partir de la question : « Alors d'après ce que vous savez pourquoi les loups ont-ils disparu ? » Enseignante - « Alors, d'après ce que vous savez pourquoi les loups ont-ils disparu ? »ÉLÈVE - « ils sont tous morts. Ils n'avaient plus assez à manger. On les a tués ... »ÉLÈVE - « oui mais on nous a dit qu'on en remettait en liberté ».ÉLÈVE - « non pas n'importe comment ».ÉLÈVE - « et puis il y a longtemps qu'on les a tués ... »ENSEIGNANT - « vous avez tous raison. On avait très peur des loups.On les a chassés et tués. Ils ont disparu à cause de l'homme. Vous avez tous lu le texte « La disparition du loup ». Qu'en avez-vous retenu ? Ce que vous venez de dire, mais encore ? »ÉLÈVE - « Ils ne mangeaient pas souvent les gens ».ÉLÈVE - « Oui mais il ne fallait pas qu'ils les mangent du tout ».ÉLÈVE - « Maintenant on saurait se défendre ».ÉLÈVE - « Et après il y a plein de renards qui dérangent les poules et les lapins. Et aussi les souris. Et puis on a lu qu'il y avait trop de souris et de rats. On pense à l'histoire du joueur de flûte et des rats partout. Enseignant - « Vous avez peur qu'on remette les loups en liberté ? »ÉLÈVE - « On aurait tous peur ».ÉLÈVE - « Oui mais le loup des Vosges n'a mangé que des moutons. C'était en été et il était tout seul ».ÉLÈVE - « Moi j'aurais peur des meutes... »ENSEIGNANT - « À condition d'être raisonnable, attentif à l'équilibre de la nature, en prenant toutes les précautions, les spécialistes pensent qu'on peut remettre quelques loups. Mais beaucoup de gens sont contre cette idée. (...)Donnons la parole aux chercheurs : « Le projet central de l'enseignante est bien de former des enfants lecteurs et producteurs de texte. Pour autant, ou plus exactement pour cette raison même, il s'attache tout particulièrement à favoriser les interactions verbales parce qu'il sait qu'elles sont une aide à la construction de la pensée. Il ne s'agit pas pour lui de « faire parler » les élèves dans un jeu de questions/réponses, mais de les aider à verbaliser et à échanger leur savoir et ce faisant à le synthétiser, le recomposer et, sans paradoxe, le construire. » (Boussion, J., Schöttke, M., & Tauveron, C. ,2000).

41 extrait de : Boussion, J.& Schöttke, M., & Tauveron, C. (2000). Lecture, écriture et culture au CP. Paris : Hachette. (p.126-127).

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3.2. Monde de l’oral

On peut dire que l’oral consiste à communiquer avec un interlocuteur, dans le même temps et le même lieu42. Ce mode communication est de plus frappé de réciprocité puisque le récepteur peut devenir interlocuteur et le locuteur récepteur : les rôles sont interchangeables, dans une chronologie linéaire.

Les méthodes de langues dites « étrangères » ont mis à l’honneur l’oral par leurs méthodes «communicatives » : cela consiste à poser la réussite de la « communication » entre deux ou plusieurs personnes comme prioritaire par rapport à la soi-disant « correction » de la langue employée. Or, comme c’est à l’oral que nous communiquons le plus, cette modalité et son étude sont passées peu à peu sous les feux du projecteur didactique, y compris pour le français en zones francophones.

On s’est en effet rendu compte à cette occasion qu’il ne suffisait pas, contrairement à ce qu’on croyait avant, de parler français en famille pour comprendre tout ce qu’on vous dit, voire pour faire des progrès à l’oral ou réussir les tâches orales demandées par l’école. C’est ainsi que le besoin d’enseignement de l’oral s’est peu à peu imposé dans toutes les classes et à tous les niveaux, s’opposant au préjugé selon lequel n’auraient eu besoin de « leçons d’oral » que les « très jeunes enfants et les étrangers » (résultats d’une enquête sur les représentations de l’oral, que nous avons faite en 1999). Mais que veut dire « enseigner l’oral » ? ou son pendant « apprendre l’oral » ? On se heurte ici à une deuxième série de préjugés, réduisant souvent l’oral à l’action de « parler ». Il s’agirait alors de faire « parler mieux » les élèves, de réparer leur « vocabulaire pauvre » et leurs « phrases incorrectes » : paroles courantes d’enseignants …, qui confondent souvent écrit et oral, qui jugent l’oral à l’aune de l’écrit et qui pensent que c’est en faisant des « phrases correctes » qu’on se fait le mieux comprendre … Autant de questions sur lesquelles la didactique de l’oral s’est attachée à apporter des réponses peu en accord avec ce que pensent les non spécialistes. Quels sont donc les principes de cette didactique de l’oral ? Nous allons les résumer en quelques points synthétiques dont vous excuserez le côté schématique et que notre bibliographie vous aidera à approfondir si ce sujet vous intéresse :

1 – l’oral est un « monde » (cf. Peytard, Halté JF), comme l’écrit, fait de plusieurs dimensions en interaction les unes avec les autres, et qui sont loin de se limiter à des compétences linguistiques. On y produit (parler), on y écoute (comprendre), on y échange (interagir), on s’influence l’un l’autre, on fait des sous-entendus (importance des implicites), on profite de connivences, de rappels de ce qui est connu et commun, on s’appuie sur des situations de communication dans lesquelles s’inscrivent ces échanges. Dans ce cadre, les gestes ou le silence peuvent être des « actes » de l’oral au même titre que les paroles elles-mêmes, qu’il faut autoriser, voire encourager dans la classe.

2 – l’oral, ce n’est donc pas « savoir parler » mais au moins autant « savoir écouter ». Et cela s’apprend, cela s’entraine, cela s’évalue, cela se développe, au même titre que la production verbale. Les activités de « réception » (écouter et comprendre), très faciles à organiser en groupe, devraient donc constituer une bonne moitié des séances d’oral, trop d’enseignants se plaignant de ne pouvoir organiser ces séances sous prétexte qu’ils ont des classes trop nombreuses ! On

42 Bien sûr, cette définition de départ ne tient pas compte des avancées technologiques, qui perturbent les frontières de départ entre oral et écrit. On peut, par le téléphone ou le magnétophone par exemple communiquer oralement avec un interlocuteur qui est à l’autre bout du monde.

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peut pourtant écouter à 10 comme à 50 un texte lu, une information enregistrée à la radio, une chanson ou un conte issu-e d’un disque, une conversation enregistrée dans un lieu public, un entretien, une émission de télé, un document sonore disponible sur internet, etc.

3 – l’oral a une vie propre, à côté de l’écrit, mais pas au-dessous de l’écrit ou pour servir l’écrit. En d’autres termes, à l’école, on n’apprend pas à parler POUR savoir écrire ; on apprend à parler ET à écrire. Et il faudra poursuivre l’apprentissage de l’oral au-delà de l’accès à l’écrit. Alors que, malheureusement, les activités orales sont riches et inventives dans les petites classes ; puis elles diminuent, voire disparaissent souvent à partir de 7-8 ans dans les classes, pour réapparaitre (en France) au moment du Brevet des Collèges et de l’oral du Baccalauréat : moments un peu tardifs pour se rendre compte que nos élèves sont « mauvais à l’oral », n’ont « pas appris à parler » et que l‘école leur a au contraire appris à se taire !

4 – l’usage de l’oral est une activité éminemment sociale, partagée par tous, qui prend ses modèles dans la vie de tous les jours (convaincre, raconter, débattre, s’interroger, expliquer, discuter) même si certaines de ses utilisations sont particulièrement développées à l’école : expliquer, analyser, questionner, par exemple. Il conviendra donc de partir des expériences vécues par les élèves pour les amener à réfléchir sur les activités orales, leurs fondements, leurs qualités. Par exemple, on partira de situations courantes : « comment convaincre ta maman de te donner de l’argent de poche ? diras-tu la même chose pour convaincre ton papi ou ton grand frère ? ». On mettra ainsi l’accent sur l’interlocuteur, sur sa demande et son écoute – bref on abordera tout de suite et sans le dire les « variations » de l’oral. « Bien » écrire n’a rien à voir avec « bien écrire », car on ne raconte pas de la même façon à l’écrit et à l’oral, on n’argumente pas de la même façon, etc.

5 – dans ce foisonnement, quelle progression suivre ? plusieurs solutions sont possibles. On peut suivre le programme de l’écrit et envisager les diverses façons (avec leurs deux versants réception / production) de raconter, décrire, expliquer, argumenter, etc., selon ce qu’on appelle la « typologie des textes », suggérée par JM Adam, abordée au primaire en France, puis reprise au collège (cf.4.3). On peut aussi partir des « actes de langage » de la vie courante (demander, raconter, se demander, expliquer, faire rire, poser une question, contredire, émouvoir, objecter, se présenter, etc., la liste est infinie) et en travailler quelques-uns à l’oral, en voyant les nombreuses variétés discursives et les procédés linguistiques utilisés (formes négatives, champ lexical, mots interrogatifs, structure des phrases, tournures de mise en relief, etc.). On peut aussi choisir la méthode genevoise des « genres sociaux » et partir de situations sociales : écouter / raconter un conte, écouter / faire une interview, suivre / diriger un débat télévisé, etc. qui, étudiés et décortiqués, vont ainsi servir de « modèles » pour construire des schémas structurels de base, à faire évoluer suivant les années, les âges et les niveaux (cf.5.3). On peut enfin ne rien prévoir du tout et se laisser guider par les besoins issus de la pédagogie du projet, si c’est par projet qu’on préfère travailler.

6 – Il est très important d’évaluer l’oral (cf. notre chapitre sur l’évaluation) au même titre que l’écrit, ou que la rencontre écrit / oral, dans les compétences de réception et de production : dans chaque cas, il faut expliciter aux élèves le but poursuivi (« aujourd’hui on va apprendre à dire à quelqu’un qu’on n’est pas d’accord avec lui, mais sans le vexer », ou « aujourd’hui, on va apprendre à écouter une fois une histoire et à en retenir 3 éléments essentiels ») pour qu’ils sachent ce qu’on va évaluer ou noter dans leur travail.

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En quoi consiste alors la compétence orale ? Elle consiste à savoir s’adapter et adapter son message à celui à qui je parle et à la situation de communication (concrète et symbolique) dans laquelle nous nous trouvons.

3.3. Écrit/oral, les interactions

3.3.1. Les particularités de l’oral

Du latin « os, oris », le terme « oral » se rapporte à ce qui se produit par la bouche et plus particulièrement par l’appareil phonatoire : larynx, pharynx, bouche et nez. Le langage oral a la particularité d’être produit et perçu en simultané par l’émetteur qui peut donc exercer un contrôle sur sa production. Historiquement l’être humain est passé de l’émission vocale indistincte de sons à l’émission articulée de voyelles et de consonnes (réalisations acoustiques tangibles appelées phones) et à leur combinaison à travers les syllabes et leurs regroupements qui vont produire un sens. Le langage oral peut être considéré comme un flux verbal linéaire passant par un codage linguistique (choix syntaxiques, lexicaux…) et un codage prosodique constitué :

- par l’intonation (montante dans les phrases interrogatives, descendante en fin de phrases déclaratives, etc.) Elle organise les tours de parole dans une conversation et facilite les interactions.

- par l’accentuation qui met en relief selon l’intensité (mesurée en dB), la durée (mn) et la hauteur (Hz) de certaines syllabes, mots ou groupes (comme c’est le cas en français où les mots ne sont pas isolés par un accent propre).

- par le rythme qui est produit et perçu par l’alternance des accents et des pauses créant des groupes rythmiques (en moyenne 3 à 10 syllabes composant un « syntagme » terminé par un accent) et des groupes de souffle.

Dans l’exemple ci-dessous, on a souligné les syllabes accentuées dans les groupes de mots et marqué par des / les pauses qui séparent ces groupes. Il faudrait ajouter à cela par des courbes la montée et descente puis remontée de la voix pour marquer l’interrogation :

« Dis-moi / tu sais que j’essaie de dormir ? / fais un peu moins de bruit / s’il te plait ! ».

« Les bruits lointains de la rue / bercent mes pensées. »

Quand on pense que certaines personnes disent encore que le français n’a pas d’accents !

Mais la prise de parole ne se limite pas à l’utilisation de moyens linguistiques et prosodiques, le langage corporel, avec les gestes, les regards, les mimiques faciales, les postures, viendra ajouter des informations au cours de l’interaction communicative. Souvent, au-delà de l’aspect universel des signaux non linguistiques (rires, silences…), le décodage nécessite une connaissance culturelle. (soupirs et reniflements sont des banalités pour les Japonais, mais indisposent les Français).

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3.3.2. Les distinctions oral/écrit

Elles peuvent être d’ordres différents :

- selon les conditions d’utilisation : La communication orale est immédiate entre les interlocuteurs et la situation spatio-temporelle permet de poser des référents communs qui n’auront pas besoin d’être évoqués explicitement, mais qui pourront être éventuellement désignés par des gestes. (« Tu peux me le donner ? » Les pronoms ici utilisés sont compris dans le contexte particulier de cette conversation. On les appelle les déictiques). Il y a donc économie de moyens linguistiques. La communication écrite est coupée de la situation de communication aussi bien dans le temps que dans l’espace, elle nécessite donc une précision sur les référents que le récepteur ne connaît pas immédiatement (le pronom « le » n’aura plus de valeur déictique, mais anaphorique en rappelant un élément déjà cité dans le texte comme « le crayon »), mais aussi sur le contexte spatio-temporel.

- selon les conditions de production : l’oral connaît des degrés différents de spontanéité entre la conversation entre amis où la parole est improvisée, l’entretien d’embauche où il faut « peser ses mots » et la conférence lue d’après un texte écrit (qui ici confère à l’ « écrit oralisé » comme la récitation ou la lecture orale.) Par rapport au texte écrit sur lequel on a pu revenir à différentes reprises pour apporter des corrections, des compléments et des raffinements, le « parler ordinaire » tel que l’ont analysé Gadet (1989) et Blanche-Benveniste (1990, 1997) est fait de reprises, hésitations (heu..), reformulations, énoncés apparemment tronqués, des ruptures de constructions par rapport à la norme écrite, des éléments phatiques (« tu sais / n’est-ce pas ? »), des bruits de bouche, etc. Si en général le locuteur n’a pas conscience de ces phénomènes, il semble tout faire pour que son énoncé soit compréhensible pour l’auditeur, ce qui explique les répétitions et autres faux départs pour se corriger. Or, quand ces paroles sont retranscrites, on peut souvent y percevoir le travail d’élaboration de la pensée en construction comparable au brouillon de l’écrit.

3.3.3. Oral et écrit en interaction

Le langage oral peut être considéré comme un flux verbal linéaire (improvisé ou préparé) passant par un codage linguistique (choix syntaxiques, lexicaux…), un codage prosodique (intonation, accentuation, rythme), et une attitude corporelle (gestes, regards, mimiques, posture). Il est en cela différent du langage écrit qui nécessite des précisions linguistiques sur ce à propos de quoi on écrit et peut subir des corrections et compléments sur le temps long de la rédaction.

Voyons cependant en quoi ces deux formes linguistiques se répondent.- Au niveau des réalisations phoniques et graphiques : dans la langue française 85% des graphèmes correspondant à un phonème, selon la description de Catach : les 15 % restants sont des graphèmes qui n’ont pas de réalisation sonore comme par exemple les « s » du pluriel. Peytard (1971 :.163) explique que « le même signe apparaît susceptible de la double réalisation, graphique dans une circonstance, phonique dans l’autre, sans que l’on attribue la primauté à l’une ou à l’autre. La communication dépend d’une situation où l’on exploite l’une ou l’autre face du signe ».- Au niveau des choix lexicaux : il apparait, d’après l’enquête sur Le Français

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fondamental menée dans les années 1950, qu’un noyau de 800 à 1000 mots (essentiellement déterminants, pronoms, conjonctions, prépositions) se retrouve autant à l’oral qu’à l’écrit. - Aux niveaux morphologique et syntaxique : les temps et les modes sont employés aussi bien à l’oral qu’à l’écrit même si leurs conditions d’utilisation diffèrent. C'est dans l’organisation syntaxique du discours que l'oral et l'écrit diffèrent le plus. Voyons maintenant en quoi, dans l’enseignement, oral et écrit peuvent interagir pour conduire vers les apprentissages. Voici quelques exemples de situations didactiques.

Quand l’oral interactionnel peut être considéré comme retour réflexif sur l’écrit à produire :- En situation de « dictée à l’adulte » en cycle 1 ou 2, les élèves sont conduits par l’étayage du maitre à structurer et organiser la langue orale pour qu’elle puisse devenir langue écrite. Les programmes 2008 proposent (p.13 du B.O. n°3 du 19 juin 2008, hors-série) : « À la fin de l’école maternelle, [les élèves] savent transformer un énoncé oral spontané en un texte que l’adulte écrira sous la dictée.» Prenons l'exemple d'un récit raconté à l'oral par un élève : le maitre écrit ce qui dit l'enfant. Ce faisant il est amené à discuter avec l'élève de certaines formes linguistiques qui ne seraient pas acceptées ou pas compréhensibles à l'écrit. - En situation de dictée « négociée », les élèves de primaire regroupés par deux ou trois rendent une seule dictée collective, élaborée à partir de leur dictée individuelle qui a donné lieu à une négociation dans le groupe. Les interactions des élèves font se confronter leurs conceptions sur les graphies à adopter, par exemple. Motivés par la volonté de réussir ensemble, les élèves vont justifier leur choix, expliquer leurs stratégies, argumenter en faisant référence à leurs connaissances antérieures qui seront alors mutualisées. - En situation de « texte fendu », les élèves doivent reconstituer la partie manquante d'un texte coupé à la verticale : cette opération implique de prendre en compte des indices orthographiques, lexicaux et syntaxiques, mais aussi d’indices de cohérence textuelle. La motivation est créée par la situation d’énigme que posent les processus de lecture, puis de rédaction mis en œuvre. Ces derniers, mis au jour à travers les interactions orales, nécessitent une activité métalinguistique intense. Cette activité nécessite d'être accompagnée par l'enseignant.

L’écrit peut également apparaitre comme support de l’oral :- Pour faire un exposé oral, les élèves ont à prendre des notes à partir de divers documents, à les agencer pour construire leur exposé. Ensuite, ils préparent leur discours oral pour être compris par leurs camarades. - En situation de restitution de récit, les élèves de cycle 2 ou 3 peuvent prendre des notes personnelles à la lecture d’un texte par l’enseignant. Répartis en groupes, ils confrontent leurs points de vue et peuvent construire une affiche permettant restituer le récit à l'oral. Dans ces situations, l’élève se sert « d'écrits intermédiaires » (Bucheton et Chavanne, 2000) qui portent la trace de son cheminement intellectuel. L’oral permet de construire l’écrit et vice-versa ; quand le produit est collectif, le passage à l’écrit peut induire des verbalisations métalinguistiques.

3.4. Place de la langue dans la classe de français

Faut-il faire des leçons de grammaire ou intégrer l'apprentissage de la langue dans différentes activités ?

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Si les choix radicaux de la grammaire des années 1970, centrée sur l’analyse des formes et des structures (Cf .1.3.) se sont révélés peu opérants dans la mesure où les élèves de primaire ont beaucoup de mal à faire abstraction du sens pour décrire un phénomène linguistique, au fil des décennies, on a réintroduit certains éléments de l’ancienne grammaire sémantique (le verbe exprime l’action, le sujet l’accomplit, le complément d’objet la subit, etc.) et on a essayé d’introduire d’autres recherches comme la théorie de l’énonciation, initiée par Benveniste, la linguistique textuelle, etc. Or il semblerait qu’en amalgamant les différents niveaux d’analyse, en distinguant « grammaire de phrase » et « grammaire de texte », la confusion s’est accentuée et l’adaptation aux besoins des élèves ne s’est pas véritablement réalisée. Bentolila évoquait l’ « insécurité linguistique »43 qui aujourd’hui nuit non seulement au développement de la personnalité mais aussi à l’insertion sociale.

La compétence 1 du socle commun des connaissances en France s’intitule « La maitrise de la langue française ». Il indique pour le premier palier, en fin de CE1, que les élèves doivent44:

« - s’exprimer clairement à l’oral en utilisant un vocabulaire approprié - écrire sans erreur sous la dictée un texte de 5 lignes en utilisant ses connaissances lexicales, orthographiques et grammaticales »

Et pour le deuxième palier, en fin de CM2 (p.27) :

« - s’exprimer à l’oral comme à l’écrit dans un vocabulaire approprié et précis - rédiger un texte d’une quinzaine de lignes (…) en utilisant ses connaissances en vocabulaire et en grammaire ;

- orthographier correctement un texte simple de dix lignes - lors de sa rédaction ou de sa dictée - en se référant aux règles communes d’orthographe et de grammaire ainsi qu’à la connaissance du vocabulaire. ».

Il est clair que la grammaire, l’orthographe et le vocabulaire sont considérés de façon très normée comme des outils au service de la langue. Or, si les tableaux de progressions proposés en pages 32 (cycle 2) puis 35 à 36 (cycle 3) du même B.O. indiquent les listes de leçons qui donneront lieu à des « séances spécifiques », le problème qui se pose à l’enseignant est bien le réinvestissement de ces leçons qui permettrait d’évaluer une réelle « maitrise de la langue » en situation de communication orale et écrite.

Développons les trois démarches d’enseignement aujourd’hui connues :

- une démarche déductive : Un modèle abstrait est proposé qui sert de base de leçon, il est validé à postériori à travers les exemples rencontrés. Les élèves ont à accepter les descriptions du manuel et du maitre puis à les apprendre. Cette démarche se fait plus rare aujourd’hui, mais se trouve encore dans les manuels Bled par exemple.

- une démarche inductive : la plupart des manuels de langue aujourd’hui proposent un extrait de textes littéraires ou documentaires dans lequel les élèves découvriront à partir d’une série de questions des règles de fonctionnement d'un phénomène linguistique (par exemple, l'emploi de l'imparfait) qu’ils auront à s'approprier par la suite(cf. ci-dessous, page 122 du manuel CM2, Mot de Passe, Hachette Education, 2011, dans la rubrique « Je retiens »). Les exercices devront permettre l’automatisation des acquis.

43 Bentolila A., (2007). Le verbe contre la barbarie. Paris : Odile Jacob.44 Bulletin officiel, hors-série, n°3 du 19 juin 2008, p.20

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- une démarche hypothético-déductive telle que la propose C. Tisset (2010)45. Prenant appui sur la résolution d’une situation- problème, cette démarche repose sur la réflexion de l’élève et de sa classe à partir d’un obstacle réel qui est apparu et qu’il s’agit de surmonter. Par exemple, lors d’un exercice de sciences où il faut décrire les fourmis qui ont installé leur fourmilière dans la cour de l’école, les élèves s'interrogent sur l’absence du « e » au mot « fourmi » : ils sont convaincus que tous les mots féminins prennent un « e ». Les élèves proposent alors des hypothèses sur le fonctionnement du « e » au féminin et formulent des explications. Le maitre, sans commenter les remarques qui peuvent parfois être erronées, les enregistre. Puis il propose des contre-exemples, des manipulations (selon les différents cas, cela peut être des regroupements analogiques, des suppressions, des déplacements, des remplacements) pour orienter les recherches et faire progresser la réflexion commune. C. Tisset (id.p.20) considère que les élèves vont ainsi « passer de l’épilinguistique au métalinguistique, d’une intuition sur le fonctionnement à une explication rationnalisante. ». Les interactions entre les élèves sont ici comme ailleurs très importantes, mais le rôle de l’enseignant est primordial pour que chacun puisse passer d’une conception à une autre, au moment précis où son cerveau est prêt à abandonner ses anciennes

45 Tisset, C.(2010). Enseigner la langue française, la grammaire, l’orthographe et la conjugaison à l’école. profession enseignant, Paris : Hachette Education.

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représentations et à passer à l’abstraction que demande la grammaire. La décontextualisation de la notion sera ensuite abordée à travers des exercices où la réflexion continuera de s’élaborer, où il faudra encore justifier son analyse et la confronter à celle des pairs avant que le fonctionnement de la notion ne devienne un automatisme.

Cependant de nombreuses recherches ont montré que l’automatisation des difficultés orthographiques se fait sur le long terme et que la maturation du cerveau joue un rôle important, certaines notions ne pouvant s’acquérir avant 13 ou 14 ans, voire plus tard. C’est pourquoi il vaut mieux prévoir que l’apprentissage soit continu de l’école primaire au collège.

C'est dans cette perspective d’appropriation continue des règles de fonctionnement de la langue que D. Cogis46 propose des alternatives aux « leçons d’orthographe traditionnelles » pour faire évoluer les conceptions orthographiques.

- l’orthographe intégrée à la séquence de production d’écrit : collectivement les élèves sont amenés à soulever un problème orthographique nécessaire à la réalisation de leur projet d’écriture, c’est ensemble qu’ils trouvent la solution et l’intègrent à leurs différents textes. Par exemple, les élèves sont tombés d’accord sur le fait qu’il fallait utiliser le passé composé pour rapporter un fait divers à insérer dans le journal de l’école. Ensemble, ils observent ensuite des textes de journaux (sélectionnés par le maitre) pour en déduire la règle d’accord des participes passés.

- les rituels quotidiens d’orthographe : une « phrase du jour » est dictée aux élèves. Lors de la correction collective, il s’agit de faire émerger les conceptions erronées, de les discuter et de justifier les choix définitifs. Cela permet de revenir chaque jour sur des notions déjà rencontrées et de forger des automatismes. Par exemple, dans une école de la campagne provençale, le maitre dicte en CM1 : « Le berger doit mener ses chèvres affamées dans les prés. ». La discussion portera sur les terminaisons en [e] et réactivera la distinction des noms en « er » et en « é », mais aussi la différence entre infinitif et participe passé.

- les « chantiers d’orthographe » : à partir de corpus analysés sur plusieurs séances consécutives et d'une question commune (par exemple en CM2 : à quoi servent les accents en français ?), les élèves découvrent les fonctionnements particuliers qui sont en jeu. Plusieurs notions sont abordées qui permettent de concevoir la langue comme un système et non comme un agglomérat de règles sans rapport entre elles. D. Cogis (2000) reprend les théories linguistiques de N. Catach (1978)47 et propose une adaptation de la grille typologique des erreurs pour permettre de donner des pistes aux enseignants (cf. tableau ci-dessous extrait des pages 212, 213 op.cit. en note 20). Habitués à leurs propres classements, les élèves peuvent élaborer leur propre grille, travail de structuration intellectuelle qui oblige à repérer les invariants des catégories et qui permet l’intégration des notions.

Dans ce type d'activité, les élèves s’approprient l’orthographe qui devient projet personnel et peut-être même source de plaisir intellectuel si elle n’est plus seulement vue comme un objet d’évaluation et de sanction48 !

46 Cogis, D.(2005). Pour enseigner et apprendre l’orthographe, nouveaux enjeux- pratiques nouvelles Ecole/collège. Paris : Delagrave.

47 Catach, N.(1978).L’orthographe.collection : « Que sais-je ? » N° 685. Paris : PUF48 Les programmes officiels de français en France demandent depuis plusieurs années aux enseignants

d’enseigner aux élèves les « nouvelles normes » qui étaient en 1990 seulement des propositions de simplifications orthographiques. Il s’agit de simplifier l’écriture française, en se basant à la fois sur la

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Exercice 1 :

Vous déterminerez la démarche d’enseignement choisie par l’enseignant (déductive, inductive, hypothético-déductive) dans ces différentes situations d’étude de la langue.Situation 1 : En CM2, à partir d’un ensemble de phrases, l’enseignant demande si le groupe de mots situé après le verbe peut s’enlever ou non. Les élèves devront justifier leur choix à l’oral ensuite.Situation 2 : En CE1, l’enseignant présente un tableau où sont classées les différentes graphies du son [g], les élèves doivent le commenter puis appliquer la règle dans leurs exercices.Situation 3 : En CE2, les élèves doivent réécrire une recette contenant des verbes

prononciation actuelle, sur la simplification de « règles » devenues obsolètes et incompréhensibles et sur la « francisation » des mots étrangers. Nous ne pouvons nous y attarder mais vous les trouverez sur le site renouvo.org.

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à l’infinitif en utilisant la 2ème personne du singulier : « Tu découperas une tranche… » et observer les changements.Situation 4 : En CM1, à partir d’une représentation du roi Louis XIV, les élèves doivent s’imaginer être des courtisans décrivant dans le détail le costume du roi à des personnes ne l’ayant pas vu. Les productions écrites seront mises en commun pour analyser comment les détails ont été donnés (expansions du nom). Situation 5 : En CE2, à partir d’un texte au présent où des verbes du même groupe connaissent une variation de terminaison, on demandera de trouver pourquoi ces changements se produisent en relevant des indices (les différents sujets).

Éléments de correction :

1: démarche inductive 2: démarche déductive3: démarche inductive4: démarche hypothético-déductive (à partir d’une situation problème)5: démarche inductive

Exercice 2:

Vous classerez les erreurs orthographiques de ce texte extrait d'une copie de CM2 à partir du tableau de D.Cogis. Vous proposerez quelques pistes de remédiation pour cet élève à partir du type d’erreur le plus récurrent.Elle esseilla de dénnicher des bonnes gosse carote avec une rasine pointu. Lerbe était mouiller. En saprochant du caré plenter de carote, elle vit soudin lune d’elle bougé.

Éléments de correction :

Elle esseilla de dénnicher des bonnes gosse carote avec une rasine pointu . Lerbe était mouiller. En saprochant du caré plenter de carote , elle vit soudin lune d’elle bougé.

Erreurs concernant le pôle lexical : - Erreur phonétique : « gosse » pour « grosse » : oubli d’un phonème- Erreur de phonogramme :

→ erreurs sur le choix d’un phonogramme/morphogramme lexical« esseilla » pour « essaya » « rasine » pour « racine » : erreur par méconnaissance de la loi de position « s » entre deux voyelles « erbe » pour « herbe » : oubli ou méconnaissance du « h » étymologique« plenter » pour « planté »« soudin » pour « soudain »

→ erreurs sur le doublement de la consonne« dénnicher » pour « dénicher » : avec en plus ajout de l’accent, en fait, erreur sur la jonction préfixe/radical « carote » pour « carotte » « saprochant » pour « s’approchant »« caré » pour « carré » Erreurs concernant le pôle grammatical : - Erreur de segmentation : (ici il s’agit d’une méconnaissance du statut des

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mots : différenciation déterminant/nom, pronom réfléchi/verbe, pronom indéfini de formation complexe comme « l’une ».)« Lerbe » pour « L’herbe »« saprocher » pour « s’approcher »« lune » pour « l’une »- Erreur de marque nominale ou pronominale :« de bonnes gosse carote » pour « de bonnes grosses carottes » : marque de nombre, accord dans le groupe nominal« rasine pointu » pour « racine pointue » : marque de genre, accord dans le groupe nominal« lune d’elle » pour « l’une d’elles » : marque de nombre pour le pronom- Erreur de marque verbale :« caré plenter » pour « carré planté » : marque du participe passé« bougé » pour « bouger » : marque de l’infinitif.

Il est à noter qu’il n’y a aucune erreur de majuscule ou de ponctuation, que les deux verbes au passé simple et celui à l’imparfait sont correctement orthographiés (Il faudrait toujours avoir un regard bienveillant sur les acquis des élèves avant de s’attacher à la remédiation des erreurs).Les erreurs les plus fréquentes concernent le choix des phonogrammes et notamment le doublement des consonnes qui reste une grande difficulté de notre langue. Une remédiation possible consiste ici à faire observer le mot, en le rapprochant des mots de la même famille quand c’est possible (planter, plante, plantation). On envisagera également de programmer une leçon sur la construction des mots dérivés pour travailler la jonction préfixe/radical (ap/procher, dé/nicher).On pourra aussi construire des exercices sur la règle de fonctionnement de la graphie du son [s ] ; en regardant travailler l'élève, on pourra évoquer avec lui les difficultés pour écrire le son [s] avec ses variantes. Cela permettra également d’évoquer le « s » morphogramme de pluriel nominal ou adjectival. Un travail individuel est nécessaire au départ, il pourra être ensuite intégré à une phrase dictée du jour où l’on veillera à donner la parole à cet élève pour réactiver la règle dans sa mémoire et lui faire acquérir peu à peu les automatismes dont il manque.

3.5. La notion de littéracie

La notion de littéracie est récente mais très utile. Vous la trouverez sous des orthographes différentes, dont nous n’avons pas la place ici de vous expliquer les nuances. Venue du monde anglo-saxon, elle désigne l’ensemble des compétences langagières (écrire, lire et même parler et comprendre ensuite) utiles dans notre vie sociale. Ainsi on peut dire que tout le monde n’a pas les mêmes besoins littéraciques sur le plan professionnel, selon qu’on est maçon sur un chantier, secrétaire de direction, guichetier à la poste ou serveur de restaurant : chaque métier ou situation d’apprentissage suppose des nécessités différentes, dans les domaines de l’écrit et de l’oral. De la même façon, suivant leur origine familiale, socio-culturelle ou autre, les élèves arrivent en classe avec des acquis en littéracie différents et des demandes différentes. Certains didacticiens définissent un peu brièvement la littéracie comme le contraire de l’illettrisme : c’est une façon positive de nommer les besoins sociaux sur le plan langagier. L’essentiel est de retenir à ce propos que la littéracie appartient à tous ; c’est une notion évolutive puisque nous n’avons pas les mêmes besoins, sur les plans de l’écriture et de la lecture par exemple, tout au long de notre vie, on ne peut donc jamais

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parler de « maitrise en littéracie » puisqu’on peut toujours repousser plus loin les besoins qui sont les nôtres suivant notre place dans la société. Le professeur de français doit donc faire preuve de souplesse pour évaluer les besoins littéraciques de ses élèves, au lieu de leur imposer des savoirs ou savoir-faire tout prêts, construits en-dehors de leur vécu social.

3.6. L’oral et l’écrit pour penser et apprendre

3.6.1. Parler et écrire pour penser

La recherche a mis en valeur ces dernières années combien le proverbe « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement » était erroné. En effet, ce n’est pas quand on a une idée claire qu’on peut l’exprimer avec clarté, mais parce qu’on exprime une idée (à l’écrit ou à l’oral) qu’elle devient claire. Il en résulte que c’est en donnant le plus possible la parole aux enfants dans nos classes qu’on leur apprendra à construire leurs pensées et leurs réflexions : et pour cela, ils ont droit à toutes les hésitations, tous les « euh … », toutes les phrases interrompues et qui repartent dans un autre sens, qu’ils le désirent. L’oral bien utilisé devient un brouillon, un atelier de la pensée, de la recherche du mot juste et, à ce titre, il est fait de bribes, de retours en arrière, de boucles qui sont autant de signes de sa richesse.

De la même façon, écrire aide à construire sa pensée : on est obligé de la mettre en ordre, de choisir un début et une fin, de se décider pour un mot en laissant tomber d’autres mots possibles, etc. Tout cela contribue à faire émerger notre message dans une linéarité chronologique : tous ceux qui écrivent le savent, tant qu’on n’a pas commencé à écrire, toutes les idées qu’on a dans la tête ne servent à rien, c’est comme si la pensée n’était pas née. Là aussi, vous comprenez que cela doit entrainer des activités de classe où on encourage au maximum les élèves à écrire, dès le plus jeune âge, pour que les pensées prennent forme peu à peu. Et, dans ce cadre, peu importent les maladresses ou lacunes, l’essentiel est que se déroule le discours qui construit la réflexion, au fur et à mesure de sa production.

3.6.2. L'oral et l'écrit réflexifs

À l’école, l’enfant qui utilise le langage, on l’a vu (Cf.3.2.), s’insère dans le tissu social en tant que personne communicante et structure sa pensée en décrivant et ainsi en comprenant le monde qui l’entoure. Ce faisant, il développe ses compétences langagières. Or certains didacticiens49 ont cherché à montrer que par-delà une transcription des réalités préexistantes, à travers les activités de l’oral et l’écrit, l’enfant, en interaction avec les partenaires de sa classe, est amené à réfléchir dans des situations diverses, quelle que soit la discipline, et à se construire des connaissances en élaborant de nouvelles formes sémiotiques pour ses représentations. Quelles sont donc ces situations où l’écrit et l’oral sont « réflexifs », c’est-à-dire qu’ils permettent, à travers le langage, de prendre de la distance par rapport à l’expérience immédiate, de se détacher de son vécu personnel hic et nunc pour accepter le discours et la pensée de l’autre et les intégrer à sa propre représentation ainsi reconstruite ? La réflexivité se traduit également d’un point de vue métalangagier et métadiscursif dans la capacité à revenir sur sa production pour expliquer un terme, reformuler un énoncé, corriger

49 Didacticiens qui ont contribué à l’ouvrage de Chabanne J.-C. et Bucheton D. (2002) Parler et écrire pour penser, apprendre et se construire, l’écrit et l’oral réflexifs, Éducation et formation. Paris : PUF.

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la construction d’un phrase, ajuster et développer un argument en fonction de ce qu’on attend de la compréhension de l’autre. Il s’agirait donc de proposer des situations où les interactions entre maitre et élèves et élèves entre eux, sont inscrites dans un contexte connu et commun avec des règles acceptées et devenues routines pour favoriser un climat sécuritaire dans lequel chacun s’autorise à penser avec l’autre et à co-construire ses connaissances (Vygotski, 1934)50. Ces situations permettraient de « réfléchir » les discours entendus dans le contexte de la classe, c’est-à-dire ici de les reprendre en les transformant (François, 1984)51, en les faisant siens et ainsi en se construisant sa propre identité dans la différence avec l’autre. Les discours disponibles dans la classe, et à partir desquels on réfléchit et on apprend sont autant ceux normés du maitre, des auteurs des différentes lectures que les discours des pairs et du sujet lui-même qui peut être invité à retravailler son propre énoncé. En outre, ces discours, dans la mesure où ils font écho à l’affectivité ou au système des valeurs des élèves (« oui, chez moi aussi il faut faire comme ça ! Oui, moi aussi j’ai ressenti cela ! »), auront d’autant plus de poids dans la construction des connaissances qu’il auront touché une corde sensible.

Voici deux situations didactiques extraites de l’ouvrage cité ci-dessous52 dans lesquelles les écrits et les oraux ont une portée « réflexive » et font apparaitre une dynamique cognitive :

- La lecture-feuilleton d’un récit littéraire en GS : M.-T. Chemla et M. Dreyfus53 analysent comment les interactions verbales entre pairs jointes l’étayage du maître permettent de développer des compétences de compréhension / interprétation d’écrits complexes. Voici comment les chercheuses analysent ces situations : Les phases d’écoute de la lecture oralisée de l’enseignante (ici sous forme de lecture feuilleton du roman de Michel Piquemal, Salamani, l’indien solitaire, en général étudié au cycle 3) mobilisent les opérations mentales individuelles de saisie, de mémorisation et de hiérarchisation des informations avec les diverses inférences nécessaires à leur compréhension et interprétation. Les phases d’interaction orale permettent d’accéder non seulement à la clarification de certains éléments linguistiques non compris (vocabulaire, tournure syntaxique), à la caractérisation plus précise des personnages et de leurs actions mais aussi d’accéder aux univers que les autres se sont construits à l’écoute du même écrit, de concevoir qu’on peut avoir d’autres émotions, qu’un tel passage peut avoir d’autres résonnances dans l’esprit de son camarade. Pour exemple, la reprise du passage de la mort du père du héros permet de montrer comment, même si au premier abord on peut y voir un empilement anarchique de données, il s’agit en fait d’une continuité syntaxique qui se développe sur plusieurs tours de parole :

« 46 Rk Et puis il est tombé il a +++54

47 Kl Il a cassé48 Rk Il s’est fait mal49 M Et le père de Salamani s’est fait mal50 Rk Il est mort

50 Vygotski L. (1997), Pensée et langage, trad. F. Sève, Paris , la Dispute ; 1ère éd.,1985, Messidor/Editions sociales.

51 François F., Hudelot C. et Sabeau- Jouannet E. (1984) Conduites linguistiques chez le jeune enfant, Paris, PUF.52 Chabanne J-C., Bucheton D. (2002). Parler et écrire pour penser, apprendre et se construire, l’écrit et l’oral

réflexifs. Paris : PUF.

53 In Chabanne J-C., Bucheton D. (2002). Parler et écrire pour penser, apprendre et se construire, l’écrit et l’oral

réflexifs. Paris : PUF.54 Le numéro correspond à celui de la réplique d’un élève dans la séance filmée. Les initiales représentent

élèves, M étant la maîtresse et +++ signifie une pause ou un silence. Les blancs graphiques permettent de montrer la continuité linguistique du propos dans les différents échanges.

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51 Bd Il ne pouvait plus bouger52 M Bd53 Bd i+++i+++54 Mr Il s’est assommé55 M Bd d’abord56 Mr assommé57 Bd Il s’est fait très mal + alors il pouvait pas bouger + alors il a brûlé assommé ».

M.-T. Chemla et M. Dreyfus mettent en évidence comment le prédicat « il » est repris différemment selon les élèves dans une co-construction du sens du récit et particulièrement comment Bd, sollicité directement par l’enseignante, s’appuyant sur le propos qu’elle vient de confirmer (s’est fait mal), sur sa propre proposition (il ne pouvait plus bouger) et le participe proposé à deux reprises par Mr (assommé) construit une séquence personnelle, causale et chronologique. Il s’est construit du sens grâce à l’interaction ».

- Les écrits intermédiaires dans l’élaboration d’une production d’écrit en CE1 : J.-C. Chabanne et D. Bucheton analysent comment ce qu’ils ont appelé « écrits intermédiaires »55 (2000) sont porteurs de la trace de l’activité cognitive de l’élève. La situation décrite ici ne consiste pas à demander aux élèves d’écrire plusieurs jets d’un même texte où les différentes réécritures permettraient de réguler un problème de contenu ou de langage (tels que le proposent les modèles des groupes EVA (1991) ou Ecouen (1988), Cf.1.3.). Mais il s’agit, à partir de différentes consignes, de diversifier ses postures d’écriture pour s’ajuster à la tâche demandée. Les conclusions de cette analyse montrent qu’il est possible d’évaluer en quoi l’activité langagière écrite à différents moments, permet une réflexion personnelle sur :

- la position énonciative à adopter (énonciateur présent ou non dans son texte, réorganisation des marquages des discours rapportés, adaptation des actes de langage, etc.)

- la construction de l’univers symbolique (mise en relation de divers contenus de pensée et d’affects pour créer une histoire avec ses personnages, ses descriptions qui expriment la représentation d’un monde compréhensible pour le lecteur.)

- la langue elle-même (prise en compte des normes lexicales, syntaxiques, textuelles et discursives pour répondre aux deux difficultés précédentes comme par exemple l’utilisation du temps adéquat pour signifier une différence entre un récit et un discours rapporté, pour exprimer une antériorité d’action, etc.)

Dans ces deux situations évoquées, la réflexivité langagière est démontrée, porteuse des « mouvement cognitifs, identitaires et affectifs qui définissent l’apprentissage ou le développement. » (opus cit.p.21).

Exercice :

Chabanne et Bucheton (2002) donnent l'exemple suivant :

Une classe de CM2 de Perpignan a l’habitude de travailler le débat philosophique de cette façon : à partir d’une lecture ou d’une situation, une question est posée explicitement (ici : « L’homme est-il un animal ? »). Les élèves sont invités à

55 Il s’agit en fait des écrits transitoires personnels ou collectifs qui permettent soit une aide à la mémorisation d’une leçon, d’un futur exposé oral, soit un bilan personnel d’un savoir, soit une étape conceptuelle dans l’élaboration d’un projet plus long.

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rédiger, chez eux, une réponse d’au moins 5 lignes sur leur cahier d’écrits quotidiens (possibilité de faire des recherches, d’échanger avec les parents si on le souhaite). Lors d’un débat réglé par un président de séance, les élèves exposent leurs idées sur la question et débattent. Pour la semaine suivante, les élèves doivent rédiger un texte où ils donnent leur nouveau point de vue sur la question. Nous vous proposons ici les deux écrits de Cindy et un extrait du débat oral56 ».

Vous repèrerez en quoi le passage par l’interaction avec les pairs, lors du débat en classe, permet de faire évoluer le point de vue de Cindy. Vous observerez notamment :

- les traces de son activité cognitive dans ses paroles,

- son évolution entre le premier et le deuxième écrit.

Premier écrit de Cindy :

« Moi, je pense qu’oui car nous descendons du singe. Presque tous les animaux sont comme nous, ils ont un nez mais on ne dit pas forcément un nez pour un chien ou un cheval, une bouche, des yeux, et surtout un cœur, ils respirent et aussi ils marchent, ils font leurs besoins et puis ils ont des enfants tout comme nous. L’homme est intelligent ».(p.59).

Débat en classe (paroles de Cindy uniquement, le numéro correspondant à la place de sa réplique dans les échanges avec ses pairs) :

« 27 Cindy : Ben moi je pense que/merci/ que l’homme est un animal car heu/heu/il a pre/il a presque tout comme nous/en fait/il a une pensée//les hommes chassent aussi/on a plein de choses comme /en commun /ils sont intelligents, on est intelligent et ils ont beaucoup d’avantages sur nous comme le flair/ils ont une très bonne ouïe, oui, voilà (...) (p.60)81. Cindy : Ce qui différencie l’homme de l’animal/c’est que l’homme/l’homme vit dans/ vit dans une ville/il a/il a une vie civilisée l’a /l’animal lui/il peut/il peut/avoir/il peut vivre dans une ville ou il peut vivre dans la nature.86. Cindy : Mais y parlent aussi les animaux90. Cindy : Comment tu peux savoir que/la pensée/que notre pensée est plus dév/développée que la leur ?107. Cindy : Moi j’ pense que c’est [l’intelligence] apprendre des choses nouvelles/heu/penser aussi et découvrir des choses166. Cindy : J’suis d’accord avec Olivier parce qu’on a plusieurs versions/y en a qui disent que qu’on descend d’un mulot, d’autres qu’on descend d’un singe et puis voilà188. Cindy : Ceux qui disent que l’homme n’est pas un animal/les animaux ne s’habillent pas heu/ils ne/ils ne parlent pas ». (p.61)

Deuxième écrit de Cindy :

« Oui et non

Oui l’homme est un animal car ils ont la même manière de vivre que nous, ils mangent, ils boivent, ils dorment […] L’homme ne descend pas du singe mais d’après d’autres informations, l’homme pourrait également descendre d’un mulot ou d’un rat […]

56 d’après les pages 59 à 67 de l’ouvrage de Chabanne J-C., Bucheton D. (2002). Parler et écrire pour penser,

apprendre et se construire, l’écrit et l’oral réflexifs. Paris : PUF.

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Aussi on dit que l’homme est un loup pour l’homme, c’est à dire qu’il est comme un animal capable de tuer les autres sans faire attention à leur conscience […]

Et non car l’homme crée, invente des machines. Nous, nous en avons besoin alors qu’eux se débrouillent tout seuls. L’animal ne peut pas trop penser. Ils n’ont pas la pensée aussi développée que nous. L’homme n’est pas un animal parce que l’homme est instruit. Il a un langage articulé ». (p.59)

Donnons la parole aux chercheurs :

Les premières paroles de Cindy ne consistent pas en une lecture de son premier écrit. On suppose que déjà habituée à ce genre de débat, elle sait qu’il ne s’agit pas de lire mais d’exposer un point de vue personnel. Par ailleurs, elle parle après 26 interventions d’élèves et ne peut se permettre de répéter ce qui a déjà été dit (ce que certains font certainement quand-même mais le président de séance est là pour veiller à ce que cela ne se produise pas !) Néanmoins les propos de Cindy vont dans le même sens que son premier écrit : l’homme est un animal et elle se réfère aux points communs entre l’homme et l’animal : les attributs corporels notamment. Or, « le flair » est une reformulation linguistique pour « nez » : son langage s’adapte donc à la situation sous l’écoute attentive de ses pairs. Elle propose aussi une comparaison sur les capacités intellectuelles : « il a une pensée » (on suppose que le pronom se réfère à l’animal, ici la réflexion de Cindy se cherche, sa syntaxe est hésitante mais elle donne des arguments avec des connecteurs comme « en fait », des exemples « comme le flair » et elle façonne sa pensée en parlant.

À partir de la réplique 81, Cindy ayant entendu de nombreux arguments fait évoluer sa position : elle envisage les différences entre l’humain et l’animal, cette fois, ce qu’elle n’avait pas du tout fait auparavant que ce soit à l’écrit ou à l’oral. Mais sa remarque 86 montre qu’elle reste encore ancrée dans son idée première que les animaux ressemblent en tout à l’homme et elle leur accorde même la parole ici, comme elle l’avait fait auparavant pour l’intelligence. Ainsi dans sa question 90, elle montre que non seulement le sujet l’intéresse particulièrement mais aussi qu’elle n’est pas encore convaincue de la différence d’intelligence entre l’homme et l’animal. Sa réplique 107 est certainement la conséquence d’une question d’un de ses pairs sur sa définition personnelle de l’intelligence, ce dernier ayant perçu que la difficulté venait de ce manque d’accord préalable sur le sens du terme employé.

Dans ses deux dernières répliques Cindy reprend les arguments de ses pairs pour développer son propre raisonnement ; elle accepte plusieurs hypothèses (166) et revient sur son idée première de langage pour l’animal (188). Il y a bien co-construction des savoirs ici par l’intégration des discours d’autrui dans l’énoncé oral mais aussi dans l’énoncé écrit.

En effet, le deuxième écrit s’enrichit linguistiquement : il devient un véritable texte argumentatif avec exposition des deux points de vue opposés et agencement réfléchi des différents arguments. Sa première position est exposée en début de texte et ce qu’elle a appris en deuxième partie, ce qui semblerait montrer qu’elle y attache davantage d’importance. Il y a véritablement intégration de l’idée que l’homme a une intelligence plus développée. Son écrit en est la confirmation.

Il semble, en outre, y avoir reprise de certaines phrases entendues dans le débat

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avec explication précise: « l’homme est un loup pour l’homme, c’est-à-dire qu’il… » et emploi d’un vocabulaire spécialisé « sans faire attention à leur conscience », « langage articulé ».

Le dispositif choisi par l’enseignant semble véritablement avoir permis la circulation et l’intégration de représentations cognitives et culturelles (même si l’idée que l’homme descende d’un mulot ou d’un singe est à revoir par la suite !) par des formes langagières communes mais aussi par certaines expressions que les élèves n’avaient pas eu l’occasion d’utiliser auparavant (vocabulaire scientifique, philosophique). On peut alors parler d’acculturation puisqu’il y a eu actualisation individualisée de ces formes dans le deuxième écrit. Les compétences métalangagières et métacognitives développées dans ce dispositif relèvent bien d’un aspect de la réflexivité, avec prise de conscience de ses propres apprentissages .

3.7. La place de la littérature

La littérature comme « nouvelle » discipline de l’école élémentaire française a fait, en 2002, son entrée officielle dans les programmes de l'école primaire et, avec elle, la lecture littéraire.

L'enseignement de la littérature était jusqu'alors réservé au collège et au lycée, donc à une certaine « élite », et l'étude de la langue aux classes du primaire. Le structuralisme, dans les années 70, provoque un premier tournant dans l'enseignement de la littérature au secondaire. Celui-ci était jusqu'alors centré sur des lectures savantes liées à la biographie des auteurs : l'emblème de cette approche était le manuel « Lagarde et Michard ». On est passé ensuite à une conception centrée sur le texte et sa structure. La classification par courants littéraires a fait place à une classification par types de textes (narratif, descriptif, explicatif, argumentatif et prescriptif) (cf.2.2.2.), puis par genres littéraires (récit, poésie, théâtre, autobiographie, avec pour sous-genres du récit, le roman, la nouvelle, le conte, le fantastique, la science-fiction, le policier etc.). « La grande littérature » est minorée au sein des corpus étudiés et complétée par une littérature traditionnellement jugée paralittéraire : le policier, le fantastique, la science-fiction et par des genres dits mixtes qui allient l'écriture, le visuel et l'audio tels que l'album, la bande dessinée, la chanson, le cinéma, la publicité, l'écrit journalistique, etc... L'étude des textes littéraires se fait alors grâce à de nouveaux outils : l'analyse structurale (schéma de communication de Jakobson (cf.2.2.1), schéma narratif de Propp, schéma actanciel de Greimas) et ses concepts (par exemple la fonction poétique, la fonction référentielle, la situation initiale, la quête, le héros, l'adjuvant, l'opposant...).

Dans les années 80, on a assisté à une évolution des théories littéraires marquée par le passage du structuralisme aux théories de la réception avec notamment « l'esthétique de la réception57 » de Jauss (1978), la théorie de « l'effet esthétique » de Iser (1976), « la coopération interprétative » de Eco (1985), la « lecture littéraire » de Picard (1986). Dans le même temps, la littérature de jeunesse, réel objet littéraire et artistique, a obtenu ses lettres de noblesse à l’école.

Giasson (2000) synthétise les trois phases qui ont marqué l'enseignement de la littérature sous l'angle de leurs questionnements emblématiques. Elle montre

57 ce qui signifie le fait de prendre en compte le lecteur.

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qu'on est passé de questionnements du type : « qu'a voulu dire l'auteur ? » à des questions du type: « pouvez-vous résumer l'intrigue en dégageant la structure du récit, les relations entre les personnages ?» et enfin avec la centration sur le lecteur à des questions du type : « quelles réactions avez-vous en lisant ce passage ? ».

Aujourd'hui, la plupart des didacticiens la lecture littéraire à partir notamment des travaux de Michel Picard (1986). Employer le terme de « lecture littéraire » signifie que toute lecture de texte littéraire n'est pas littéraire par nature. Le texte n'existe qu'à travers la lecture, il échappe toujours à son auteur et a besoin du lecteur pour être actualisé dans une lecture singulière. Nous avons vu dans le chapitre 2.3.7 que face à la lecture d'un texte, certains élèves de cycle 3 mobilisent différentes postures de lecture et que si les lectures fusionnelles et distanciées participent, toutes deux, à la lecture littéraire, les enseignants doivent chercher à faire accéder tous les élèves à une lecture symbolique et critique.

Prenons le temps d'illustrer ici ce discours sur les postures par des propos d'élèves. Pour exemple, une recherche (Crocé-Spinelli, 2007) dont le recueil consiste dans l'enregistrement et la transcription d'un extrait de débat littéraire58 conduit par une enseignante avec 8 élèves de cycle 3 âgés de 10 ans. Ceux-ci durant l'échange réagissent, à l'oral, à un passage d'un roman de littérature de jeunesse, « L'enfant Océan » de Jean-Claude Mourlevat. Ce recueil met en valeur la manifestation, en fin de séance, d’une lecture distanciée avec la caractérisation du genre littéraire du texte à partir d'une interprétation d'un premier élève portant sur le fonctionnement du texte, son genre « / moi j’ai trouvé un truc /(...) il y a une histoire qui se rapproche plutôt de la réalité et une autre qui s’éloigne de la réalité ! / ». Un autre élève complète cette interprétation avec l'utilisation d'une métaphore : « / on a d’un côté de la feuille / on a l’histoire qui se passe dans la réalité / avec Yann comme dit Romain y a du magique / et de l’autre côté de la feuille et ben il y a la vraie vie avec tous ces mots vulgaires et tous ces sentiments et quand on replie ces deux feuilles / elles se correspondent / ». L'analyse de ces propos au regard du texte montre la pertinence de cette interprétation. Le texte se situe en effet « entre conte et récit réaliste ». Cette recherche montre, par ailleurs, le processus qui a conduit ces lecteurs à cette interprétation : cette dernière n'est pas le fait d'élèves isolés, elle est le fruit d'une activité plurielle et collective de tout le groupe où des lectures faites de réactions subjectives immédiates « / j’ai pas trop aimé la fin / », de réactions évaluatives »/ pour moi l’histoire elle est pas terminée / » permettent aux élèves d'engager, dans l'interaction, un processus de distanciation en utilisant leurs savoirs sur les dénouements des récits « / autant une fin qui fasse réellement un déclic pour euh / pour vraiment qu’on finisse l’histoire / », en faisant appel à leurs expériences de lecture « / comme par exemple « Sacrée sorcière » / ». Ce processus de distanciation à partir d'une activité de lecture plurielle permet aux élèves d'aboutir à l’appréciation du caractère magique de cette fin « / là c’est plus magique / » et de son inscription dans le monde des contes merveilleux « / là / on dirait quelqu’un qui sort d’un conte merveilleux / » pour produire l'interprétation du genre évoquée au début de cette exemple.

Cet exemple illustre la conception de la lecture littéraire comme « va et vient dialectique entre participation psycho-affective et distanciation critique » (Dufays, 2006) où des réactions subjectives immédiates participent, dans l'échange, à la maturation du processus interprétatif. Il permet également d'illustrer la place nouvelle que l'interprétation occupe à l'école primaire qui

58 Un débat littéraire désigne une situation d'échange autour d'un texte littéraire.

60

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s'oppose à la conception traditionnelle de la compréhension et de l'interprétation comme des activités séparées, avec le travail de la compréhension réservé à l'enseignement primaire, celui d'une interprétation savante, aux classes du secondaire.

Notre exemple permet par ailleurs d'évoquer le débat littéraire comme dispositif didactique d'enseignement de la lecture littéraire qui s'oppose aux dispositifs traditionnels de lecture de textes littéraires qui privilégiaient l'explication du vocabulaire et les questionnaires de compréhension. Pour ceux qui souhaiteraient creuser la question des dispositifs didactiques favorables à la lecture littéraire, ils pourront notamment se référer aux travaux de Tauveron (2002) et de son équipe dans « Lire la littérature à l'école » ainsi qu'à l'ouvrage de Giasson (2000), « Les textes littéraires à l'école ». Ils y trouveront des dispositifs de questionnements des textes qui proposent l'articulation de l'oral, de la lecture et de l'écriture.

Nous vous proposons ci-dessous une activité en trois étapes qui vous permettra de différencier différentes pratiques de lecture dans la classe : vous essaierez de voir laquelle vous parait la plus riche pour les élèves.

Activité :

1- Dans une classe de cycle 3, l'enseignant demande aux élèves de lire le texte suivant :

(Cette situation est extraite de l'article de Cèbe, S. & Goigoux, R. & Thomazet, S. (2004))59.

« Ce matin, nous avons accueilli dans la classe, pour la première fois, un camarade italien. François l’a fait asseoir à côté de lui et lui a demandé son nom. Avec une petite courbette qui nous a tous fait rire, le nouveau a dit, souriant à toute la classe : « Angelo ». Il connaît mal notre langue car il n’est en France que depuis une semaine. Il comprend les explications du maître et peut parfois faire les problèmes, mais il est incapable de suivre la dictée. Il semble avoir très bon caractère et rit avec nous de bon coeur des fautes qu’il fait en parlant. Il chante très bien et nous a promis de nous apporter demain les photos de son pays dont il a décoré sa chambre ».Les élèves sont ensuite invités à répondre à des questions sur le texte. Vous trouverez ci-dessous les questions et les réponses fournies par un des élèves :

« 1. Comment s’appelle le nouveau camarade ? Il s’appelle François2. Depuis quand suit-il cette classe ? Depuis une semaine3. Quel est l’exercice le plus difficile pour lui en classe ? C’est les problèmes4. En quoi est-il très bon ?Il est très bon en caractère (ou coeur). »

2- Voici deux types de questionnements différents possibles sur un texte littéraire :

59 Cèbe, S., Goigoux, R. et Thomazet, S. (2004) Enseigner la compréhension. Principes didactiques, exemples de tâches et d’activités. In « Lire écrire, un plaisir retrouvé », dossier du groupe national de réflexion sur l'enseignement du français en dispositif relais, préface de Catherine Bizot, inspectrice

générale de l'Éducation nationale de lettres. Paris : DESCO (MEN) En ligne sur http://www.bienlire.education.fr/04-media/a-classerelais.asp

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2.1- Quelles différences voyez-vous entre ces questionnements ?

2.2 -En quoi induisent-elles des activités différentes de l'élève face au texte ?

1er questionnement extrait de Giasson, J. (2000). Enseigner les textes littéraires à l'école. Québec : Gaëtan Morin.

(le texte sur lequel portent les questions suivantes n'est pas précisé)

« Qu'as-tu remarqué dans l'histoire ? », « Quelles émotions as-tu ressenties ? », « Cette histoire te fait-elle penser à ta propre vie ? Pourquoi ? », « Te fait-elle penser à d'autres livres que tu as lus ? ».60

2ème questionnement :

(Le texte sur lequel portent les questions suivantes n'est pas précisé.)

De quoi parle le texte ? Selon toi qu’est-ce que le texte veut dire ? Qu’est ce qu’il raconte, explique... ? Pourrais-tu trouver une phrase pour dire le type de conflit dans lequel est engagé le personnage ? Comment ce conflit a-t-il été réglé ? Comment l'histoire se termine-t-elle ?

3 -Comparez les trois façons de travailler un texte littéraire dans les deux étapes précédentes. Comment les définiriez-vous ? En quoi suscitent-elles des activités différentes chez l'élève ?

Voici comment Sylvie Cèbe et Roland Goigoux et Serge Thomazet, chercheurs spécialistes de la compréhension en lecture, commentent la première activité :

« Quand ils sont mis face à des textes, ils tendent à adopter une attitude plutôt passive, attendant le plus souvent de disposer du questionnaire pour s’y intéresser véritablement. Leur première lecture a une fonction de repérage thématique (« de quoi parle le texte ? »), rarement de construction problématique (« qu’est-ce que le texte veut dire ? Qu’est-ce qu’il raconte, explique... ? Quel est le problème ? »). Ce repérage superficiel leur suffit bien souvent pour répondre aux questions. Ils mettent en œuvre des procédures relativement rudimentaires qui demandent peu d’efforts : ils identifient un mot-clé dans la question (qui, quand, où, comment…) puis ils cherchent à localiser, dans le texte, un indice (une majuscule…) ou un segment textuel (un complément de temps, de lieu…) qui renvoie à ce mot-clé ou qui est en rapport avec lui. Ils recopient l’information trouvée (la plupart du temps celle qui est placée à droite du mot-clé). »

60 Extrait de Giasson, J. (2000). Enseigner les textes littéraires à l'école. Québec : Gaëtan Morin.

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CHAPITRE 4. DIDACTIQUE DES FRANÇAIS :

DES SITUATIONS ET DES PUBLICS SPÉCIFIQUES

Ce chapitre a pour objectif de vous faire découvrir que tous nos élèves ne sont pas de « charmantes têtes blondes », nés en France et tranquillement à l’école depuis la maternelle … Ils peuvent venir d’ailleurs, être adultes, entendre le français pour la première fois en entrant dans la classe, etc. Nous ne prétendons pas couvrir toute les diversité des situations possibles, mais plutôt vous sensibiliser au fait que, dans chaque situation différente, il faudra trouver une façon de les saluer, de les intéresser, de les faire travailler ensemble. Autant de publics différents, autant de traitements didactiques différents. L’enseignement est le lieu de la créativité et de l’inventivité …, on ne vous l’avait pas encore dit ?

4.1. Le jeune enfant

La petite enfance (de la période prénatale à 7 ans) est la phase la plus importante dans le développement biologique et cérébral de tout individu. Elle est caractérisée par une croissance rapide influencée par l’environnement. Nutrition adéquate, préservation contre les maladies et stimulation intellectuelle et affective sont primordiales pendant les trois premières années de la vie où se développe le potentiel cognitif, social et émotionnel. Toute carence dans l’un de ces trois facteurs avant l’âge de trois ans peut laisser des séquelles sur le développement futur.

4.1.1. Le développement cognitif

De nombreux psychologues ont centré leurs travaux sur le développement des connaissances. Parmi eux, J. Piaget (1957)61 a défini les stades du développement de la pensée logique. Pour lui, l’enfant ne nait pas porteur de la connaissance qu’il développerait naturellement selon un phénomène de maturation : c’est le contact avec son environnement qui favorise l’évolution et le passage d’un stade à un autre par un facteur interne d’équilibration passant de l’accommodation à l’assimilation des données du réel. Néanmoins, pour Piaget, le comportement du nouveau-né reste sous l’influence de son équipement biologique et du social (famille, environnement scolaire) et ne s’accroit qu’au fur et à mesure, l’enfant vivant au départ dans un « égocentrisme social ».

Les travaux de W. Doise, A ;-N. Perret-Clermont62 et G. Mugny63 à la fin des années 1970 intègrent la dimension sociale au modèle piagétien du développement cognitif. Ils ont montré que l'enfant progresse davantage dans des situations d'interaction. On parle de « conflit socio-cognitif » quand des partenaires d'apprentissage sont placés dans une situation d’opposition et sont obligés de trouver une solution. Par exemple, en CM1, un groupe d’enfants doit négocier l’orthographe de la phrase : « On était des enfants terribles. ». L’un d’eux propose d’écrire « Ont étaient » parce que, dit-il : « ils sont plusieurs, les enfants ». Ses camarades vont avoir des difficultés à lui faire admettre qu’il a tort : ils vont lui

61 Piaget J. (1957). Apprentissage et connaissances, Paris : PUF, Etudes d’épistémologie génétique (vol.VII).62 Perret- Clermont, A.-N. (1979). La construction de l’intelligence dans l’interaction sociale. Berne : Peter Lang.63 Doise W., Dionnet S., Mugny G. (1978). « Conflit socio-cognitif, marquage social et développement cognitif »,

Cahiers de psychologie, 21, 231-243.

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proposer un remplacement (« nous étions »), lui faire comprendre que « on » est un pronom et pas le verbe « avoir » à la troisième personne du pluriel au présent, etc. Dans l’esprit de l’enfant, c’est un véritable renoncement à sa représentation initiale qui se joue ici à cause de (ou plutôt grâce à) ses camarades.

Pour Vygotski64 (1985), le partenaire social représente la ressource indispensable sur laquelle l’individu peut prendre appui momentanément pour résoudre une tâche avant de parvenir à l’effectuer lui-même. Le développement n’est pas subordonné à des lois internes avec une succession d’acquisitions mais il est activé par l’apprentissage avec la collaboration d’un partenaire plus expérimenté. Ainsi l’enfant acquiert de nouveaux instruments de pensée ou d’action en s’appuyant sur l’imitation, la sollicitation et l’aide d’autrui dans sa « zone proximale de développement » (cf. 1.3.5.) avant de devenir autonome.

Pour J. Bruner65 (1984), l’enfant est amené très tôt, avec sa mère, à prendre sa place à l’intérieur de situations de communication selon des rituels d’interaction prenant l’apparence de « routines » qu’il appelle « formats » ou « scénario ». Par exemple, si la mère habitue son enfant à lâcher l’objet qu’elle lui tend dès que ce dernier a dit « merci », il s’habituera vite à utiliser le mot dans la même circonstance. Il s’agit déjà de cadres sociaux véhiculant des valeurs que l’enfant expérimente et interprète. Le savoir porte ainsi les traces des systèmes symboliques en vigueur dans la société. Chez Bruner comme chez Vygotski, le langage joue ici un rôle essentiel, il est instrument de transmission des représentations et des significations sociales et culturelles.

4.1.2. L’entrée dans le langage

L’intention de communication se manifeste chez l’enfant dès qu’il s’aperçoit que ses pleurs, ses gestes et mimiques reçoivent une réponse de l’adulte. Quand l’enfant est capable de langage articulé, la communication, jusqu’alors « paraverbale », s’établit par des « mots-phrases » puis par des phrases plus complexes.

Comme on le voit, entre 3 et 5 ans le langage s’enrichit et l’école maternelle se doit d’en développer les trois dimensions :

- la dimension symbolique : le langage permet à l’enfant une prise de conscience de son identité sociale personnelle au sein de la collectivité et favorise la construction de sa personnalité (l’enfant apprend à distinguer le je du tu et à exprimer ses ressentis et ses désirs en prenant sa place dans le groupe). Vers 4 ans l’enfant acquiert « la théorie de l’esprit », il devient capable de faire des hypothèses sur ce que ressentent les autres, de prédire un comportement en inférant la réaction d’une personne face à une situation en s’imaginant à sa place. Il sait ce qui fait peur, plaisir à l’autre. Il interprète des états mentaux derrière les paroles (L’enfant a renversé son pot de peinture et l’étale sur la table, la maîtresse lui dit : « Eh bien vas-y, continue ! » ; l’enfant répond : « J’ai pas fait exprès. » : L’excuse qu’il propose montre qu’il a compris l’antiphrase de l’enseignante.) Vers 5 ans, ses capacités d’abstraction se sont élargies et il devient capable de comprendre l’humour.

64 Vygotski, L.V..(1985). Pensée et langage. Paris : Editions sociales.65 Bruner J. (1987). Comment les enfants apprennent à parler. Paris : Retz.

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- la dimension cognitive : le langage est instrument de représentation du monde, il permet de décrire et de comprendre ce que l’on voit, ce que l’on fait (langage en situation) mais permet aussi d’évoquer les évènements passés ou à venir en se décentrant du moment présent pour se construire une représentation temporelle (langage d’évocation).

- la dimension métalinguistique : le langage est aussi un objet de manipulation et d’observation. L’enfant acquiert progressivement la capacité de se servir de la langue pour manifester ses remarques sur la langue elle-même (métalangage). Au départ, il s’agit d’un « discours épilinguistique » (Gombert, 1990) qui manifeste une intuition précoce de l’enfant sur sa langue (Oh, il a dit « j’ai peindu le soleil.») L’enfant sait qu’une erreur de langage s’est produite mais ne peut pas encore l’expliquer. Les comptines, les jeux phonologiques et la dictée à l’adulte permettront progressivement de lui faire prendre conscience du système de fonctionnement de la langue avant l’entrée dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture.

Ces trois dimensions sont développées par les programmes officiels de 2008 de l'école élémentaire en France.

4.2. Les publics non francophones

Plusieurs moments de ce cours vous l’ont déjà suggéré : tous les élèves que vous rencontrerez dans votre carrière n’ont pas le français en partage de la même manière. Certains le parlent chez eux, uniquement ou avec une autre langue, d’autres l’ont découvert dans la rue ou à la télé, d’autres encore dans des films ou des chansons qui leur ont donné envie de l’apprendre, d’autres enfin seulement à l’école parce que leurs parents ont décidé qu’ils « feraient du français ». Toutes ces situations sont différentes et, même si on ne peut pas prendre en compte tous les cas particuliers, elles peuvent se classer dans certaines catégories pour vous aider à y voir clair. Car vous pouvez vous douter que les méthodes d’enseignement vont varier suivant ces différences – ou du moins devraient varier.

Si des enfants ont entendu le français chez eux, ils auront les sons du français « dans l’oreille », ils sauront sans doute, avant d’aller en classe, les différencier et peut-être les répéter et vous pourrez vous référer à ces acquis pour aborder la langue – avantage que n’auront pas ceux qui parlent une langue différente (étrangère ou régionale) dans leur famille. Cette familiarité phonétique à l’oral est primordiale pour la suite didactique de votre travail car elle dictera que vous preniez appui sur elle pour entrer dans l’écrit et expliquer l’orthographe qui est le lien entre des éléments sonores (la phonie) et des éléments visuels (la graphie).

Les enfants non francophones découvrent en même temps en classe l’oral et l’écrit, ce qui suppose que l’enseignement du français soit alors basé sur leur relation : « vous entendez ceci, vous écrivez cela » ; et cette précision est de taille si on pense que nombre de langues parlées par nos élèves soit ne sont pas écrites, soit ne sont pas connues d’eux sous leur forme écrite. Pensons par exemple au berbère, parlé par nombre d’élèves venus d’Algérie ou du Maroc, dont la graphie existe, mais que ne connait pas la majorité des berbérophones, surtout issus de l’immigration. En outre, parmi ces élèves non francophones, il faudra différencier ceux dont les langues sont plus ou moins proches du français, de plusieurs points de vue :

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- phonétique et étymologique (les langues latines) ;

- culturel (les langues de cultures occidentales, qu’elles viennent d’Europe, d’Amérique, etc.) ;

- graphique (les langues qui s’écrivent avec l’alphabet latin, aménagé ou pas)

etc.

C’est la moindre des choses (j’allais dire, la moindre des politesses) 66qu’un enseignant se renseigne un peu sur les langues parlées par ses élèves, qu’il soit dans leur pays, professeur de français à l’étranger, ou dans un pays francophone, professeur de français à des « étrangers ». Ce ne sont pas des choses difficiles, il suffit souvent d’observer. Par exemple, enseigner le français à des Laotiens ou des Viet-Namiens (habitants de deux pays asiatiques proches, frontaliers et très ressemblants à bien des égards – ils sont très nombreux dans nos classes en France) n’a rien à voir : car le laotien s’écrit en écriture lao, alors que le viet-namien s’écrit depuis quelques décennies en écriture latine. Notre graphie est donc acquise dans le second cas. Les exemples que nous prenons sont bien sûr valables pour tout type de public, et pas seulement pour des enfants.

Envisageons maintenant un autre aspect de la question. Venir d’une autre langue, c’est venir d’une autre culture dans laquelle on a grandi, qui a donné sa forme à l’être qu’on est au monde. Or c’est sur la fierté de ces racines qu’on peut se construire et apprendre. L’apprentissage du français, une langue sentie comme étrangère dans le sens de « autre », peut être senti comme une agression contre ces langues et cultures d’origine, quel que soit l’âge de la vie auquel il intervienne. Charge donc à l’enseignant de français de ménager des transitions d’une langue à l’autre, de valoriser des connaissances qu’il n’a pas : « comment dit-on cela dans ta langue ? », de favoriser les rapprochements : « qui a ce son dans sa langue familiale ? », de faire réfléchir : « savez-vous qu’il y a 27 mots pour dire la neige dans la langue inuit des Eskimos ? », etc. Il construira de cette façon de nouveaux apprentissages, qui ne viendront pas heurter ce qui est déjà là. Ces façons de faire sont essentielles, autant chez les enfants que chez les adultes. Elles doivent aller jusqu’à laisser cohabiter les langues d’origine dans la classe de français, qu’il s’agisse de pallier un mot qui manque, de faire une plaisanterie, d’expliquer quelque chose de difficile à un camarade, de jouer avec les mots dans un poème, etc. Cette cohabitation accueillie et assumée, explicitée, sera source de connaissances partagées, de moments métalinguistiques et favorisera la détente cognitive qui permet d’apprendre sans honte, sans la peur de se tromper. Contrairement aux idées reçues, ces pratiques ne font pas du tout obstacle à l’apprentissage d’une langue, car les proportions de la langue-cible (le français) et les langues d’origine s’inversent peu à peu au fil des mois et la langue-cible prend naturellement la priorité au bout de quelque temps.

4.3. Le français au secondaire

Les études secondaires s’effectuant, en France, au collège puis au lycée entre 11 et 18 ans correspondent à une période particulièrement sensible du développement physiologique et psychologique, établissant le passage entre l’enfance et l’âge adulte. Pour certains, elles marqueront la fin de la scolarité (obligatoire jusqu’à 16

66 cf. Le tour du monde de la politesse. Denoël. Le Monde. 2012.

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ans en France), pour d’autres, elles seront un tremplin vers les études supérieures. Tout le problème pour les didacticiens du Français langue maternelle est donc d’établir un niveau à faire atteindre en maitrise de la langue et en culture littéraire permettant une insertion dans la société du travail ou un parcours universitaire.

4.3.1. L'étude de la langue, expressions écrite et orale

Les Instruction officielles pour le collège67 établissent, tout comme celles du primaire, une distinction entre la grammaire, l’orthographe et le lexique qui doivent faire l’objet de séances particulières, en s’appuyant sur les acquis de l’école pour les enrichir et aborder des notions plus complexes. Néanmoins la grammaire de phrases reste l’apprentissage privilégié. Les indices de cohérence textuelle et d’énonciation (cf. 2.4.5.), les connecteurs temporels, spatiaux et logiques qui font progresser l’information, assurent la chronologie, expliquent les causes et les conséquences des actions, les pronoms et les substituts nominaux qui réfèrent à un nom déjà cité n’apparaissant qu’en classe de Quatrième avec cette restriction : « dans la mesure où ils sont exprimables en termes simples et clairs et où ils désignent des faits de langue dont la compréhension est primordiale. ». (id.p.1) La progression orthographique poursuit également celle établie en primaire par « un apprentissage raisonné et régulier ». La mémorisation des règles permettront le réinvestissement systématique dans des activités d’écriture. Les Instructions officielles insistent également sur la continuité des activités de dictées telles qu’on les exerce en primaire : « Parmi tous les types de dictées auxquels le professeur peut avoir recours (dictée-copie, dictée dialoguée68…), la dictée de contrôle est une modalité indispensable d’évaluation de la compétence orthographique. » (id. p.2). L’enrichissement du lexique se développe également pour un réinvestissement à l’écrit comme à l’oral, avec un élargissement au vocabulaire abstrait dès la Quatrième « en relation avec le maniement des idées et la structuration de la pensée, afin de faciliter la transition du collège au lycée. » (id.p.2).

Les programmes de Seconde générale et technologique et de Première des séries générales insistent sur le fait que « L’étude de la langue se poursuit en classe de seconde, dans le prolongement de ce qui a été vu au collège et dans la continuité du socle commun : il s'agit de consolider et de structurer les connaissances et les compétences acquises, et de les mettre au service de l'expression écrite et orale ainsi que de l'analyse des textes. Dans le cadre des activités de lecture, d'écriture et d'expression orale, on a soin de ménager des temps de réflexion sur la langue.»69. Les séances d’étude de la langue n’ont donc plus un caractère systématique, mais sont intégrées aux autres activités, que ce soit pour l’orthographe ou la grammaire de phrases, afin de combler les lacunes en morphologie et en syntaxe lors de la rédaction d’écrits, pour la grammaire de textes et de discours afin de comprendre les textes lus, mais aussi pour le vocabulaire afin de favoriser l'expression d'une pensée abstraite à l’écrit comme à l’oral.

67 Bulletin officiel spécial n°6 du 28 août 2008.68 La dictée copie consiste à rédiger en commun un texte de synthèse de leçon, les problèmes orthographiques

sont résolus en commun au fur et à mesure. Le texte est ensuite recopié dans le cahier. La dictée dialoguée consiste pour le maitre à dicter un texte, les élèves peuvent poser des questions sur l’orthographe d’un mot, il y a propositions et contre-propositions avec justification, puis choix individuel de l’orthographe après ces échanges.

69 B.O. spécial N°9 du 30 septembre 2010.

Page 72: Didactique du français

De même, alors qu’au collège, l’expression écrite et orale font l’objet de séances particulières partant du principe que « l’oral s’enseigne comme l’écrit »70 avec des exercices variés suivant une progression précise définie par les programmes (productions d’écrits en relation avec les textes étudiés, et à l’oral, débats, expressions d’émotions et échanges d’arguments, lectures oralisées, récitations, etc.) au lycée, la pratique de l’écrit et de l’oral vise avant tout la préparation aux examens du baccalauréat.

4.3.2. La culture humaniste

Si l’école primaire privilégie la découverte des œuvres « du patrimoine », le collège comme le lycée ont pour vocation de « fonder une culture humaniste »71 avec notamment la découverte des « textes fondateurs » au collège (La Bible, le Coran, l’Iliade et l’Odyssée, etc.) et les grands textes de la littérature dite « classique » au lycée. Ainsi, les programmes du lycée précisent : « Dans la continuité de l'enseignement qui a été donné au collège, il s'agit avant tout d'amener les élèves à dégager les significations des textes et des œuvres. À cet effet, on privilégie deux perspectives : l'étude de la littérature dans son contexte historique et culturel et l'analyse des grands genres littéraires. ». Le collège a, en effet, déjà privilégié « la découverte des formes et genres littéraires » (op.cit.p.3), l’étude des « types de textes » (narratifs, descriptifs, explicatifs, argumentatifs, injonctifs) n’apparaissant plus sous cette expression controversée (Cf.2.4.3), mais étant remplacée par la découverte des « différentes formes de langage : celui de la littérature, de l’information, de la publicité, de la vie politique et sociale. » (ibid.). Les repères en histoire littéraire permettent d’établir, au collège comme au lycée, des liens transdisciplinaires avec l’Histoire et les Arts et de construire une culture commune. L’étude des grands genres littéraires (poésie, théâtre, roman, littérature d’idées) et de leurs principales caractéristiques de forme, de sens et d'effets ont pour objectif au lycée de favoriser « le développement d'une conscience esthétique » (op.cit.), et ainsi, par-delà la culture littéraire et les capacités de réflexion, permettent l'accès à l’enseignement supérieur.

4.4. Le français pour les adultes : à l'université, dans le monde du travail

Vous avez vu que, jusqu’à maintenant, nous avons parlé de didactique du français et éventuellement de didactique des langues en général, mais en mettant l’accent sur des élèves français, assez jeunes, et donc implicitement sur l’école maternelle ou élémentaire, voire secondaire, car nous savons que nombre d’entre vous visent un emploi dans l’Éducation Nationale, au niveau primaire.

Il serait toutefois injuste et erroné d’oublier que l’école n’est pas le seul endroit où l’on apprend – entre autres les langues – et en tout cas qu’il n’y a pas d’âge pour apprendre ! D’autres moments de cette partie ont mis l’accent sur les enfants très jeunes ou plus âgés. Nous voudrions ici insister sur le fait qu’on peut apprendre aussi à l’âge adulte ; et pas seulement pour des raisons professionnelles, comme vous le présentera la section suivante. On peut croire qu’on écrit et parle bien le français, et se trouver désarçonné-e devant ce que demande l’université sur le plan

70 B.O. spécial N°6 du 28 août 2008, p.3.71 Sous-titre pour le chapitre II La lecture, p.3, B.O. spécial N°6 du 28 août 2008.

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langagier ; on peut être lettré ou cultivé dans sa langue d’origine et se trouver démuni-e en abordant, pour diverses raisons, le français ou une autre langue. C'est sur ces cas que nous allons nous pencher.

Il existe ce qu’on appelle un « français universitaire » ou « français sur objectifs universitaires » (que certains se sont amusés à abréger en FOU …), qui rassemble les diverses techniques linguistiques et discursives que demandent les diverses tâches universitaires : prendre des notes pendant un cours magistral, préparer un oral d’examen par des notes écrites ou un Power Point à projeter, prendre des notes sur un livre qu’on va rendre à la bibliothèque et dont il faut garder l’essentiel, rédiger le compte rendu d’une réunion de travail ou d’un travail de groupe, synthétiser oralement des lectures, etc. Tous ces travaux sont nouveaux pour de nombreux étudiants, qu’ils soient français ou étrangers. Ne parlons pas de la rédaction d’un rapport de stage, d’un mémoire ou d’une thèse – ni de leur soutenance ! Tous ces « exercices » s’apprennent au fur et à mesure qu’on les découvre et on n’en possède les codes que lorsqu’on n’en a plus besoin, bien souvent … En tout cas, il est rare qu’un professeur les enseigne explicitement ou qu’un programme d’enseignement les prenne en compte. La didactique du français se penche donc aussi sur ces domaines d’apprentissage, d’autant plus importants qu’ils déterminent souvent des échecs ou réussites universitaires qui sanctionnent bien autre chose que la valeur de la personne dans une discipline donnée, mais plutôt sa connaissance ou non connaissance des codes linguistiques en vigueur. Par exemple, quelles sont les diverses dispositions possibles sur une page d’une prise de notes efficace ? faut-il dire « nous », « je », ou « on », dans un rapport de stage ? comment se préparer à un entretien oral ? quel type d’argumentation attend un enseignant dans un devoir d’évaluation ? quelle est la proportion d’auteurs qu’on peut citer dans un mémoire ? comment présenter une bibliographie ? etc. autant de questions qui requièrent des savoirs et compétences spécifiques, rarement identifiées ou enseignées. On s’est de plus rendu compte que ces codes sont loin d’être universels et que les codes anglais ne sont pas les codes français ou les codes espagnols. On peut donc arriver à l’université sûr-e de soi à cause de réussites les années précédentes dans son pays d’origine, même proche de la France, et s’effondrer face à des codes culturels et linguistiques qu’on n’avait pas soupçonnés. Comme dans la classe devant des enfants débutants, tout n’est que convention, rien ne va de soi, et la seule arme universelle est l’explicitation régulière et sans arrêt répétée des rituels en vigueur – qui de plus évoluent avec le temps …

Mettons-nous maintenant à la place d’un jeune homme du Laos qui vient suivre des cours de français dans un Centre Culturel français de son pays car il doit aller vivre quelques années au Québec avec sa famille ou des amis. Que doit-il apprendre ? assimiler ? connaitre d’urgence ? pour s’intégrer au mieux ? Quels savoirs fondamentaux lui présenter et comment le faire pour qu’il ne se sente pas rabaissé et pris pour un enfant ? comment le « prendre par la main » pour le mener d’une culture à une autre ? Ces questions se posent à tous les enseignants qui ont affaire à des adultes qui ont choisi d’apprendre le français, pour des raisons diverses et qui leur appartiennent, personnelles, de formation ou professionnelles. À ces adultes il faudra sans doute parler d’égal à égal, revoir les modes d’évaluation (voir notre chapitre sur ce thème) et d’exigences, prendre en compte leurs motivations ; il faudra créer des dialogues entre eux et éviter encore plus qu’avec de jeunes enfants des cours magistraux, viser sans doute moins une

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norme linguistique que des qualités communicatives, etc.

Bref, vous vous rendez compte à présent combien ces questions didactiques dépassent les seuls points linguistiques à quoi on peut être tenté de réduire l’acte d’enseignement d’une langue. Envisager le champ didactique, c’est donc aussi savoir sortir de la classe, imaginer toutes les situations d’enseignement / apprentissage possibles à côté de l’école, ouvrir nos compétences d’enseignant à une « méta » capacité d’écoute, puis d’adaptation à divers publics et à leurs multiples raisons de vouloir apprendre une langue – en l’occurrence le français.

C’est sur cet aspect social que nous clôturerons ce cours dans le chapitre 5.

4.5. Apprendre hors de l'école

Pour apprendre (une langue surtout) il y a d'autres moyens que l'école. Si on se réfère à l'histoire, les langues se sont toujours transmises par les voyages, les guerres, le commerce, les "missions" religieuses, bref la mobilité humaine. Au niveau "micro", c'est par la famille que les langues se transmettent, se mélangent, sont chargées d'affectivité, de culture, etc. Les didacticiens emploient le terme « d'apprentissages informels » ou encore de « frayage » ou d’ « immersion » pour nommer les apprentissages qui se réalisent de façon spontanée72. La plupart des apprentissages langagiers se font de manière informelle, dans l'interaction sociale, en parlant avec les autres. La plupart du temps, ils sont non intentionnels, et s'effectuent lors d'actions qui ne sont pas finalisées par l'apprentissage, comme par exemple, en discutant avec des amis, en lisant des livres, des magazines, en écoutant la radio ou en regardant la télévision, mais aussi en allant sur internet... Ces apprentissages ne sont ni structurés par des objectifs ni par une temporalité donnée.

Pour enseigner certains apprentissages, comme celui de la lecture et de l'écriture, ou encore les mathématiques au plus grand nombre, l'homme a mis en place une forme d'apprentissage par l'étude dispensée dans des institutions avec une organisation centrée sur les apprentissages et non sur l'action immédiate et le souci de production. Ainsi, à partir de 1830, l'école s'est centrée, avec un projet politique de francisation, sur les apprentissages fondamentaux lire/écrire. Les didacticiens emploient le terme « d'apprentissages formels ». La didactique s'est alors et pendant longtemps coupée des modalités de transmissions informelles des pratiques langagières, en séparant acquisition et apprentissage. L'école a privilégié des savoirs formels sur les langues.

Ce modèle a été critiqué par de nombreux didacticiens du français dans la mesure où, selon eux, la visée de cette discipline doit préparer les apprenants à être capables de parler, lire, écrire efficacement dans les diverses situations langagières de la vie qu'elle soit professionnelle, civile ou privée, plutôt que de cibler l'acquisition d'aspects formels du langage. Ainsi, à partir des années 80, la didactique du français a mis en avant la communication et les visées pragmatiques, avant la langue et ses règles. Depuis, les savoirs de la classe de français proviennent également des pratiques sociales de référence, autrement dit des usages sociaux et écrits du langage dans la société.

Si aujourd'hui l'école intègre dans son enseignement les usages sociaux du

72 Brougère, G.& Ulmann, A-L. dir. (2009). Apprendre de la vie quotidienne. Paris : P.U.F.

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langage, il n'en demeure pas moins qu'elle sélectionne ces usages, qu'elle les hiérarchise. Ainsi certaines pratiques langagières extrascolaires ne sont pas ou peu légitimées, se trouvant plus ou moins éloignées du langage scolaire, comme par exemple, le slam, le rap, le tchat, les sms, certains plurilinguismes. Il n'est pas rare que des enseignants ignorent les pratiques langagières extrascolaires de leurs élèves, leurs compétences interculturelles alors que, par exemple, ces derniers sont auteurs de blogs sur internet ou qu'ils tiennent des journaux intimes voire écrivent pour un groupe musical de leur entourage. Il arrive en effet que les pratiques d'écriture extrascolaires des élèves soient d'une grande richesse et intensité, sans que pour autant ceux-ci les réinvestissent à l'école. Souvent, ils les taisent. La perspective (socio)didactique cherche à établir des ponts entre les pratiques langagières dans et hors l’école, comme moyens de circulation, en réinterrogeant les rapports entre « la classe » et son environnement, en comprenant les processus d’appropriation dans, mais aussi hors de la classe.

CHAPITRE 5. DIDACTIQUE DU FRANÇAIS ET SOCIÉTÉ

Même si les pratiques peuvent se diversifier à l’infini, en fonction des situations différentes que constituent chaque classe et chaque public, heureusement des espoirs et objectifs communs nous rassemblent. Dans tous les cas, les enjeux de l’enseignement du français sont les mêmes : il s’agit de faire progresser nos élèves, de leur faire découvrir et construire une aisance de plus en plus grande dans la langue et à travers les langues en général. Il s’agit aussi, par cette aisance, de faciliter leur intégration sociale, de les rendre capables d’évoluer et d’exercer leur esprit critique, d’entrer en interaction avec la société dans laquelle ils se trouvent. C’est la raison pour laquelle ce chapitre développera divers points de contact entre la didactique du français et son ancrage social.

5.1. Pratiques langagières

Le concept de pratiques langagières permet à Elisabeth Bautier (1981) d'aborder le problème des différences linguistiques et de leurs conséquences sur le plan scolaire. Cette auteure définit ce concept comme « les manifestations résultantes dans les activités de langages de l'interaction des différents facteurs linguistiques, psychologiques, sociologiques, culturels, éducatifs, affectifs ... qui sont constitutifs des caractéristiques individuelles et de groupe ». Elle s'oppose ainsi aux recherches sur les origines des différences de réussite scolaire qui se centrent exclusivement sur les différences de codes linguistiques pour s'intéresser à ce qui est fait avec le langage, aux usages du langage en considérant les relations de ces usages langagiers avec d'autres comportements sociaux. Ce concept met ainsi l'accent sur la multiplicité des facteurs linguistiques et non linguistiques que la mise en œuvre du langage mobilise. Le langage n'est pas considéré comme la réalisation d'une pensée déjà faite, mais comme une des dimensions dynamiques de la vie sociale d'un individu et de sa pensée en construction.

Les pratiques langagières sont définies comme des pratiques sociales avec des ritualisations, des normalisations des fonctionnements langagiers caractéristiques des groupes sociaux d'appartenance. Toute situation de communication suppose une interprétation de ses enjeux, de sa fonction et de l'usage du langage qu'elle

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implique.

Les recherches sur le rapport entre les pratiques langagières et les difficultés scolaires, montrent que « les représentations liées au langage et à ses utilisations (...) s'exercent massivement dans les modes de transmission et d'appropriation des savoirs ».

Quels leviers d'action en termes d'enseignement ouvrent ces travaux ? Comment, par exemple, permettre à un locuteur qui utilise, dans son vécu social, quasi exclusivement la langue pour faire, pour dire dans la connivence avec l'autre, d'utiliser la langue pour prouver, argumenter ?

Prenons un exemple de Bautier elle-même, relatif à une situation en sciences en CE2. Face à une consigne très ouverte énoncée par une enseignante, deux élèves de CE2 produisent deux énoncés très contrastés: « Aujourd'hui on va parler de l'eau, de comment on trouve l'eau ». Une première élève répond : « Elle [l’eau] a trois formes/ elle a l’eau gazeuse/ l’eau normale et l’eau en glace », alors qu'une seconde élève : « Moi des fois je bois de l’eau chez moi / Je sens que le goût il vient de la piscine. »

La première élève « interprète le cadre de travail sur le registre “scolaire”(au sens de la restitution de savoirs acquis) » alors que la seconde répond au niveau personnel et subjectif des sensations éprouvées, ayant interprété « la situation « comme offrant une possibilité de faire part de son expérience » (...) le verbe trouver a été interprété sur le plan de l'expérience sensible et non sur le plan cognitif ».

Cet exemple montre l'importance de l'interprétation de la situation par les élèves. « Ces différentes façons d'être des élèves en face de la même situation peuvent être corrélées à des socialisations langagières, elles aussi différentes, leur analyse permet de mettre au jour des processus potentiellement différenciateurs de la scolarité des élèves (...) ». Les recherches montrent la forte présence de cet usage du langage qui relève de la seule immédiateté du dire, dans la connivence avec l'autre chez les élèves en difficulté, de milieux socioculturels défavorisés en particulier. Ainsi ce recueil, en montrant « la pluralité des interprétations des élèves dès lors qu’aucune contrainte explicite ne porte sur le type de texte à produire (...) », met en évidence le rôle structurant ou pas de la situation et des consignes de travail face à des élèves de milieux socioculturels défavorisés qui se caractérisent, selon Bautier, « par des usages du langage plus communicatifs et expressifs que cognitifs et élaboratifs, qui manifestent une grande difficulté à penser la langue comme un objet d'analyse ».

5.2. Le poids des interactions

Tout au long de ce cours, vous avez rencontré à plusieurs reprises la notion « d'interactions » à laquelle nous avons voulu accorder une place centrale. On la trouve dans une première acception qui désigne le « processus d'actions, réactions entre deux domaines langagiers qui ne sont plus appréhendés comme disjoints » (Kerbrat-Orecchioni, 1998) pour parler des relations qu'entretiennent les pratiques sociales des langues dans la société et les pratiques d'enseignement des langues à l'école, ainsi que pour désigner les relations entre l'oral et l'écrit. Un second type d'emploi désigne l'interaction comme « une forme

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de discours produit collectivement, par l'action ordonnée et coordonnée de plusieurs interactants » (Kerbrat-Orecchioni, 1998) quand il a été par exemple question du rôle des interactions langagières dans la construction des savoirs.

Depuis plus d'une dizaine d'années, tant les programmes d'enseignement que les travaux de recherches font une place aux interactions langagières, autrement dit aux dialogues et échanges verbaux dans la classe, et ce dans les différentes disciplines pour favoriser l'acquisition et l'apprentissage de conduites langagières.

C'est sous l'influence des courants américains de l'anthropologie de la communication (École de Palo Alto), de l'analyse conversationnelle (École de Chicago) que l'approche interactionnelle des échanges en classe s'est développée. Les participants coopèrent, dans le respect des règles implicites d'une culture donnée, pour construire ensemble un discours en situation. Dans l'échange, dans un contexte donné, les énoncés sont constamment adaptés par le locuteur en fonction des réactions des récepteurs, de façon à les rendre plus efficaces et compréhensibles par les interlocuteurs. Les différents locuteurs et récepteurs participent à l'interprétation des énoncés dont ils « négocient » le sens à donner. Les interprétations et les ajustements réciproques concernent les énoncés eux-mêmes, ainsi que leurs objectifs et leurs enjeux, et sont liés aux représentations que chacun se fait des intentions de l'autre.

Toute situation d'interaction court constamment le risque de l'incompréhension ou du malentendu d'autant plus quand il y a méconnaissance de la culture de l'autre et de ses habitudes communicatives. Prenons l'exemple d'un maitre de cycle 3 confronté à une élève d'origine chinoise qui ne prend la parole que sous l'injonction pour répondre à une question. Le maitre interprète l'attitude de cette élève comme un manque d'implication, une attitude d'ennui alors que, dans la culture chinoise, un élève ne doit pas demander d'explications à son enseignant, ceci serait une marque de non respect vis-à-vis de l'enseignant, et de critique sur sa façon d'enseigner. L'attitude de cette élève chinoise trouve son explication dans le fait que la relation asymétrique entre le maître et l'élève propre à la situation d'enseignement est beaucoup plus marquée hiérarchiquement dans la culture chinoise, alors qu'elle a évolué vers une relation qui a une apparence plus égalitaire dans certains contextes d'enseignement francophones. Elle trouve également une explication dans le concept de « face » (Goffman, 1974), c'est-à-dire que, dans l'interaction, les participants veillent à ce que personne ne perde la face, ne soit blessé dans son amour propre, ce qui structure de manière implicite en partie le discours.

Cet exemple, permet de mettre l'accent sur les différences interculturelles. Parler une langue implique d'en connaître le système et surtout les usages culturellement construits. Comprendre la dynamique interactionnelle, c'est savoir ce qu'on peut dire ou non selon le contexte, comment, à qui et dans quelles circonstances, ce qui dépend de conventions sociales implicites.

Pour tout enseignant, en France, face à la diversité du public scolaire, il est important d'être conscient de l'importance des différences interculturelles et de comprendre comment et pourquoi une même situation langagière est assurée de façon différente selon les cultures, ce qui lui permettra d'éviter nombre de malentendus. Dans une perspective interculturelle, l'enseignant de langue doit intégrer, dans son enseignement, les variations d'usages entre les cultures et les

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comparer. Par ailleurs, comprendre la dynamique de l'interaction suppose de prendre non seulement en compte les échanges verbaux, mais aussi le non verbal, le regard, les mimiques, les postures, les gestes, ainsi que ce que l'on appelle le paraverbal, le débit, l'intonation, voix, ce que les travaux de recherche ont mis au jour. Les enseignants connaissent bien le rôle du regard pour gérer la parole dans un débat, les coups d'œil et les petits mots comme « hein » pour maintenir l'attention, ou encore les hochements de tête qui montrent l'écoute.

Sur le plan méthodologique, cette approche suppose de partir de « situations authentiques » enregistrées au filmées. Ainsi, nombre de recherches enregistrent ou filment des situations d'enseignement/apprentissage pour analyser, à partir de la transcription des interactions et du codage de certains aspects non verbaux, l'efficacité du discours de l'enseignant dans l'interaction.

Exercice 1 :

1- Identifiez et analysez les différences entre le schéma de la communication produit par Jakobson présenté dans la partie 2.2. Langue et communication et celui de Charmeux (1989 : 94)73 présenté ci-dessous. Quels sont les apports de ce second schéma de la communication produit par E. Charmeux par rapport à celui de Jakobson ?

2- À quel schéma vous réfèreriez-vous pour décrire des situations d'enseignement/apprentissage de la lecture ? de l'écriture ? de l'oral ? Justifiez votre réponse.

Schéma de la communication d'E. Charmeux. (1989).

En guise de réponse, donnons la parole à E. Charmeux 74:

« Ce qui apparaît ici, c'est contrairement au schéma traditionnel, la coïncidence entre le projet d'émission et celui de réception on ne comprend pas forcément ce « qu'a voulu dire l'auteur », selon une formule chère à nos souvenirs scolaires. La construction du sens en lecture, comme en réception orale, ne consiste pas seulement à donner du sens à un énoncé , grâce aux connaissances que l'on a de la langue et du monde (...), mais à articuler cet énoncé sur la situation pour l'ériger en discours, et, par l'opération d'interprétation, à en construire la

73 Charmeux, E. (1989). Le « bon » français ... et les autres. Norme et variations du français d'aujourd'hui. Paris :Milan Education. p. 94.

74 Charmeux, E. (1989). Le « bon » français ... et les autres. Norme et variations du français d'aujourd'hui. Paris Milan Education. p. 94.

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signification, c'est-à-dire la rapport entre le sens linguistique de l'énoncé et les données situationnelles (qui parle ? pourquoi dit-il cela ? pourquoi le dit-il comme cela?)Recevoir un message, ou lire un texte, implique donc plusieurs opérations.

Exercice 2 :

Quels sont les rôles des interactions verbales dans cet extrait proposé par J ; Boussion, M. Schöttke et C. Tauveron (2000 : 126-127) ?

À l'issue d'une visite au parc de Gévaudan, dans le Massif Central, une classe de CP a pour projet de rédiger, pour le journal de l'école, un texte documentaire sur les loups.

« Au moment d'écrire les rubriques « Disparition du loup » et « Le loup aujourd'hui », l'enseignant lance la discussion» suivante :

ENSEIGNANT - Alors, d'après ce que vous savez pourquoi les loups ont-ils disparu ? ÉLÈVE - Ils sont tous morts. Ils n'avaient plus assez à manger. On les a tués ... ÉLÈVE - Oui mais on nous a dit qu'on en remettait en liberté .ÉLÈVE - Non pas n'importe comment.ÉLÈVE - Et puis il y a longtemps qu'on les a tués ...ENSEIGNANT - Vous avez tous raison. On avait très peur des loups. On les a chassés et tués. Ils ont disparu à cause de l'homme. Vous avez tous lu le texte « La disparition du loup ». Qu'en avez-vous retenu ? Ce que vous venez de dire, mais encore ? »ÉLÈVE - Ils ne mangeaient pas souvent les gens.ÉLÈVE - Oui mais il ne fallait pas qu'ils les mangent du tout.ÉLÈVE - Maintenant on saurait se défendre .ÉLÈVE - Et après il y a plein de renards qui dérangent les poules et les lapins. Et aussi les souris. Et puis on a lu qu'il y avait trop de souris et de rats. On pense à l'histoire du joueur de flûte et des rats partout. Enseignant - Vous avez peur qu'on remette les loups en liberté ?ÉLÈVE - On aurait tous peur.ÉLÈVE - Oui mais le loup des Vosges n'a mangé que des moutons. C'était en été et il était tout seul.ÉLÈVE - Moi j'aurais peur des meutes...ENSEIGNANT - À condition d'être raisonnables, attentifs à l'équilibre de la nature, en prenant toutes les précautions, les spécialistes pensent qu'on peut remettre quelques loups. Mais beaucoup de gens sont contre cette idée ». (...)En guise de correction, donnons la parole aux chercheurs :

« Le projet central de l'enseignante est bien de former des enfants lecteurs et producteurs de texte. Pour autant, ou plus exactement pour cette raison même, il s'attache tout particulièrement à favoriser les interactions verbales parce qu'il sait qu'elles sont une aide à la construction de la pensée. Il ne s'agit pas pour lui de « faire parler » les élèves dans un jeu de questions/réponses, mais de les aider à verbaliser et à échanger leur savoir et ce faisant à le synthétiser, le recomposer et , sans paradoxe, le construire. » Boussion, J.& Schöttke, M., & Tauveron, C. (2000)75.

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5.3. Didactique et pratiques sociales

Les genres sociaux écrits ou oraux (autre façon de créer des progressions)

Ce qui suit est issu de deux moments de ce cours. Le chapitre 2 vous a initiés à la notion de « pratiques sociales de référence » : vous pouvez y retourner si vous voulez vous rafraichir la mémoire. Le chapitre 3 sur l’oral a abordé la question des « genres sociaux », dont on vous a dit que c’est la « méthode genevoise ». Nous allons revenir sur ce point.

Une tendance de la didactique des langues, soucieuse de lier ce qui se fait à l’école à ce qui se vit hors de l’école, a pour principe de s’appuyer sur des observations qu’on peut faire dans la vie courante pour en déduire des activités et exercices à développer dans la classe. L’idée est que tous les élèves partagent, hors de la classe, des vécus communs : ils passent dans les mêmes rues, de leur ville ou de leur village, devant les mêmes affiches, voient des journaux dans les vitrines, entendent la radio et la télévision, côtoient des commerçants au marché ou dans les magasins, etc. Toutes ces expériences les mettent en contact avec diverses façons d’utiliser la langue ou les langues : on entend des marchandages sur un produit à acheter, des débats sur la place du village, les ordres d’un gardien de parc ou de musée, les informations d’un journaliste ; on voit des publicités sur les murs, les magazines ou entre deux émissions de télé, on reçoit des faire-part de mariage ou de naissance, on écrit des cartes postales ou des textos, le docteur nous donne une ordonnance pour le pharmacien, on doit remplir un chèque ou un formulaire d’inscription etc. On peut dire ainsi que la vie sociale est rythmée par tous ces usages linguistiques, qui nous offrent à voir ou entendre sans arrêt des « textes » écrits ou oraux. Certains didacticiens se sont dit qu’on pourrait mettre à profit cet énorme réservoir d’expériences pour que celles-ci servent de « modèles » à utiliser dans la classe.

On voit les divers avantages de cette idée : non seulement, celle-ci crée une certaine égalité entre les élèves, puisqu’elle fait référence à des expériences communément partagées, et non aux privilèges dus au niveau dit « culturel » de certaines classes sociales ; par ailleurs, le fait de se référer à ces pratiques sociales dans la classe évite à l’enseignant de justifier ses propositions de travail, car elles trouvent leur sens dans cette expérience même. Ainsi, inutile d’expliquer à quoi sert une publicité, un prospectus ou un annuaire : leur utilisation quotidienne leur donne sens et on postule qu’un enfant ou un adulte travaillera plus volontiers sur des produits dont il connaît la fonction sociale que sur des produits qui lui paraissent gratuits et sans intérêt (une rédaction, un résumé, etc.). Un autre avantage est la gamme infinie de ces produits sociaux, qui évoluent avec le temps et les inventions de la modernité, varient suivant les lieux et les époques, l’âge des acteurs sociaux, et proposent donc des difficultés très variables sur le plan linguistique. On peut dire par exemple que, dans le domaine de la correspondance, un faire-part sera plus facile à lire qu’une carte postale, qui sera elle-même plus facile à écrire qu’une lettre. Et dans les lettres, on différenciera les lettres personnelles, les lettres administratives, etc.

On appelle donc « genre social », tout « produit linguistique » issu de l’usage social, à entendre ou lire par les usagers sociaux. Contrairement à des produits didactiques uniquement scolaires, les genres sociaux existent toujours

75 Boussion, J.& Schöttke, M., & Tauveron, C. (2000). Lecture, écriture et culture au CP. Paris : Hachette. (p.126-127).

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en production et en réception, quasi en même temps : ainsi un conte est raconté par un-e conteur / se et écouté par des auditeurs ; une information est donnée par le journaliste de la radio en même temps qu’elle est diffusée aux auditeurs ; une publicité est rédigée par un publiciste pour être distribuée dans des boites aux lettres ou donnée à des passants dans la rue, etc. Ces genres sociaux, écrits ou oraux, qu’on peut décrire sur le plan linguistique, discursif, lexical, syntaxique, etc. ne se limitent pas à leur dimension linguistique : puisqu’ils sont basés sur un objectif de communication, ils devront intégrer aussi des éléments iconiques, spatiaux, etc. pour de l’écrit, intonatifs, déclamatifs pour de l’oral, etc. La langue n’y est donc pas coupée des autres moyens d’expression, qui la complètent et grâce auxquels elle prend une allure riche et complexe. Travaillant les genres sociaux, l’élève apprend aussi à être un acteur social.

De côté de l’enseignant, le travail par les genres sociaux permet de prendre appui sur des modèles existants (de « vraies » informations radios, de « vrais » débats télévisés, de « vrais » règlements de train ou de bus, etc.) qu’il s’agira d’observer avant d’en reproduire les traits linguistiques les plus saillants. L’enseignant peut aussi créer des progressions en demandant de reproduire un seul trait linguistique (l’infinitif, par exemple, pour les verbes d’une recette) d’un genre social, puis en complexifiant la tâche : inclure des quantités, ajouter une liste d’ingrédients, décrire le plat final obtenu, etc. Cette méthode facilite les co- et auto-évaluations puisque l’apprenant, ayant un modèle sous les yeux, peut facilement, s’il est guidé dans le choix des critères, comparer ce qu’il a produit avec le « modèle social » proposé en début de séquence. Il peut aussi, par la suite, lui ajouter une phase de « remédiation » pour s’approcher davantage de ce modèle. Enfin, l’infinité des genres sociaux offre à l’enseignant une palette inépuisable de « modèles » qui évite la monotonie et lui permet de s’adapter à des publics nouveaux en empruntant ces modèles à leur quotidien.

Voilà pourquoi nos collègues suisses ont fait le choix de ce type de travail, tandis que nombre des enseignants français s’appuient depuis longtemps dans leurs classes sur des « genres sociaux » sans parfois en savoir le nom !

5.4. Le français en contact avec d’autres langues

Nous arrivons vers la fin de notre parcours qui, vous avez pu le constater, va de la stricte vision de la classe de français vers la place de ce français dans divers contextes sociaux. Ces contextes nous mettent sous les yeux (et dans les oreilles) quelques phénomènes intéressants, quant à la vie des langues, et donc leur enseignement. En effet, que m’écrit un de mes fils sur un récent texto ? « hello, mam, voy a riguardare la TV avec mes amis, ciao ». Que lisez-vous ? une phrase que vous comprenez inévitablement, dont on peut reconnaître des éléments issus du français, de l’espagnol, de l’italien, d’une langue anglo-saxonne, un sigle international (TV) et une abréviation qui peut appartenir à plusieurs langues, entre autres latines. Question : mon fils a-t-il conscience de ce mélange lorsqu’il écrit ? sans doute non, et quand il ajoute « salutipache comme disent les Corses », faisant sans doute allusion à la formule « salute i pacce » qu’il a peut-être entendue mais jamais lue, quelle langue écrit-il ? Je serais tentée, de façon un peu provocante, de répondre qu’il écrit du français, du français de jeunes Français de 2012, métissé d’autres langues rencontrées dans sa vie, mais aussi dans la vie du français. En effet, si nous nous plaçons du point de vue d’une langue, il est inévitable que les

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moyens de communication actuels (TV, internet, téléphone, texto, voyages de tous ordres, media, CD, etc.) et passés la mettent ou l’aient mise en contact avec d’autres langues, puisque les frontières étant des inventions humaines, elles n’existent heureusement pas à l’état naturel. Il s’ensuit que les langues se déplacent dans le monde avec leurs locuteurs, qu’elles se rencontrent, se croisent, empruntent l’une à l’autre, se complètent, se font écho, etc. Et nous recevons, lisons, écrivons, entendons, transmettons ces mélanges, dans nos usages quotidiens. Que faisons-nous d’autre quand nous disons : « je vais manger une pizza », « sois un peu plus cool s’il te plait », « to be or not to be, c’est la question » ? etc. Notre vécu langagier est truffé de mélanges, d’interférences, d’emprunts, plus ou moins conscients, plus ou moins récents, qui font vivre et évoluer les langues. Certains vont disparaitre, comme les modes, d’autres vont s’incruster et faire partie de la langue.

Face à ces phénomènes subtils et passionnants, que devons-nous enseigner ? Que devons-nous accepter en classe ? Bref : dans quelle mesure le français de l’école doit-il se soumettre à un idéal de « pureté » qui certes a une histoire et sa raison d’être ? ou être à l’écoute des autres langues qui le font évoluer et feront la norme de demain ? C’est une question didactique bien difficile mais que tout enseignant de langue et de français doit se poser. Car elle régit tous nos réflexes d’évaluation, de valorisation ou dévalorisation, de transmission, permission ou interdiction dans la classe ; elle règle aussi le lien que nous voulons entretenir, dans notre enseignement, avec les usages sociaux. Il ne va pas de soi de prendre une position nette et définitive.

Pour notre part, nous conseillons une position scolaire souple et nuancée. Règle 1 : montrer aux élèves, dans des cours de vocabulaire abordables à tout âge, que toute langue évolue, que de nouveaux mots apparaissent, sont empruntés à d’autres langues, d’autres disparaissent, changent de sens, se transforment, etc. Henriette Walter, spécialiste de l’histoire des langues, parle de « mots nomades », qui passent d’une langue à l’autre, les enrichissent, leur ajoutent des nuances, de nouveaux sens, etc. L’approche étymologique va alors dans le sens d’une relativisation de la norme et des usages. Ce qui est « correct » à un siècle donné ne l’est plus au suivant, une forme condamnée (par exemple « Est-ce que … ?» à l’écrit dans les années 50) à une époque est acceptée à une autre, et ainsi de suite. Nos langues sont le miroir de nos sociétés et de nos rencontres : les guerres ont insufflé de nombreux termes étrangers en français, comme les déplacements économiques et les mobilités politiques. Les religions des autres influencent aussi notre langue en y intégrant leurs termes propres, comme toutes les habitudes sociales (sport, cuisine, art …) : le surf, la paella, le couscous, le rap, le net, en sont la démonstration, autant dans leur dénomination que dans les lexiques qui les caractérisent. Il est très utile que les enfants et apprenants de tous âges voient le français (et toute langue) comme un grand fleuve qui charrie des alluvions, s’en enrichit et en laisse d’autres sur la rive, au fur et à mesure qu’inexorablement il avance.

Mais il serait faux de faire croire que tout langage, tout mélange, toute nouveauté, est admissible et à sa place dans toute situation de communication. Règle 2 : faire observer qu’à l’écrit comme à l’oral, les coutumes sociales nous invitent à utiliser tel ou tel mot, tel ou tel style, telle ou telle formule, suivant à qui nous nous adressons et dans quelle relation nous sommes avec notre interlocuteur : l’exemple de la correspondance, et des formules d’ouverture et de clôture dans une lettre,

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sont un bon exemple de cette variation. On peut donc enseigner aux élèves tout ce français métissé qui est celui des Français de leur époque, tout en leur enseignant que certains mots d’origine étrangère (ciao), ou d’introduction récente (surfer sur la toile) ou limitée à un type de situation (il a gagné par ippon), ne sera pas accepté par tout le monde.

Règle 3 : bref, cela signifie qu’on enseigne une langue d’abord en fonction des situations de communication dans laquelle va se trouver l’apprenant, et en présentant la langue standard, normée, comme une variation possible, acceptée dans des situations formelles (examen, école, professionnel, administration, situation d’évaluation, etc.). On commence donc par les variations, puis on arrive à un standard « commun », élément de ces variations, et non l’inverse : c’est cet angle de vue qui est fondamental.

Règle 4 : et toujours envoyer à un dictionnaire récent, garant controversé mais traditionnel du standard de l’époque, en cas de doute. L’enseignant devrait d’ailleurs toujours avoir son dictionnaire sur son bureau et le consulter plusieurs fois par séance, pour inculquer cet automatisme aux élèves.

5.5. Institution, programmes, évaluations nationales dans le contexte français

Les programmes constituent le cadre national obligatoire de l'enseignement. Ils prescrivent les contenus, les découpages disciplinaires et les horaires des différentes disciplines pour le primaire, collège et le lycée.

Les programmes pour l'élémentaire et le secondaire ont évolué, depuis 1970, sous l'influence des travaux de la linguistique, des théories de la communication et des études narratologiques, et depuis 1989 avec la sortie de la loi d'orientation qui met l'enfant au centre du système éducatif et qui a pour objectif de permettre à 80% des élèves la réussite au bac. L'organisation institutionnelle de l'enseignement primaire est alors marquée par un nouveau découpage du cursus en cycles et par l'apparition d'évaluations nationales afin que les enseignants puissent repérer les difficultés de leurs élèves et mettre en place des remédiations.

En 2002, la littérature (cf. 3.7.) apparait dans les programmes de l'école primaire, l'enseignement de la grammaire rompt avec la conception traditionnelle pour développer une démarche réflexive sur la langue, toutes les disciplines sont concernées par la maîtrise de la langue. L'enseignement des langues étrangères et régionales a pour objectif de favoriser une analyse réflexive sur les langues. Cette rénovation de l'enseignement du français est accompagnée d'une série de documents d'application.

En 2007, les programmes apportent des précisions sur les premiers apprentissages en lecture et sur l'enseignement du vocabulaire.

Les programmes de 2008 présentent une conception plus traditionnelle de l'enseignement de la grammaire qui privilégie l'identification de la nature et fonction des mots et des propositions au détriment d'une grammaire outil au service de la lecture et de l'écriture. On en revient à la rédaction traditionnelle plutôt qu'à la « production d'écrits », d’où l'abandon des genres sociaux de l'écrit et de l'enseignement du processus d'écriture. L'enseignement de la littérature y est réduit.

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Pour le collège, dans les programmes de 1995, apparait la notion de « séquence » qui constitue une organisation de l'enseignement du français qui rompt avec un enseignement cloisonné de la lecture, de l'écriture, de la grammaire, de l'orthographe, de la conjugaison et du vocabulaire. Ces « séquences didactiques » articulent, sur plusieurs séances, la grammaire de texte et l'étude de texte en lecture et en écriture pour l'étude d'un genre ou d'une œuvre littéraire. Des documents d'accompagnement aident les enseignants par des exemples de séquences, des éclairages notionnels.

Dans les programmes publiés en 2008, on ne trouve plus l'emploi explicite des termes de séquence et de discours. Ils insistent néanmoins sur une organisation temporelle et cohérente des apprentissages. Ils présentent un enseignement progressif de la grammaire, de la grammaire de phrase à la grammaire de discours et de texte, laquelle n'est abordée qu'en 3ème. La place accordée à la littérature de jeunesse est réduite en faveur de l'analyse des œuvres d'art.

Pour le lycée, les programmes mettent l'accent, jusqu'en 1992, sur les apprentissages techniques du texte argumentatif et sur l'histoire littéraire de façon quasi encyclopédique avec une épreuve anticipée du bac de français constituée du choix entre un résumé de texte argumentatif, un commentaire littéraire ou une dissertation et de l'étude d'un texte à l'oral.

En 2001 le programme se recentre sur des objets d'étude. Les sujets de l'épreuve anticipée du bac de français consistent en un ensemble de textes distribués au candidat, représentatifs d'un objet d'étude du programme, corpus sur lesquels une ou deux questions demandent des réponses rédigées. Trois types de travaux d'écriture sont aussi proposés au choix : un commentaire, une dissertation, ou une écriture d'invention.

En juillet 2006, le décret d'application de la loi d'orientation pour l'avenir de l'école de 2005 instaure le « socle commun de compétences et de connaissances » : ce que l'élève doit maîtriser à 16 ans, à la fin de la scolarité obligatoire. Ce socle fait une place prépondérante à l'enseignement du français. Il s'organise en 7 grandes compétences dont la première est la maîtrise de la langue française et dont la cinquième, la culture humaniste, comprend la dimension culturelle de l'enseignement du français. Ces compétences sont validées à trois moments clés, au CE1, au CM2 et en troisième. Un dispositif d'évaluation nationale en CE1 et CM2 porte sur les compétences du socle en lien avec les programmes, afin d'accompagner les élèves en difficulté. Depuis 2008, est mis en place un livret personnel de compétences à l'école primaire, et en 2009 au collège. Pour obtenir le diplôme national du brevet des collèges, l'élève doit attester de la maîtrise du socle commun. Les différents pays francophones accordent la même importance à la notion de compétence qui organise l'enseignement du français et l'inscrit dans les pratiques sociales de référence.

Par ailleurs, il existe deux évaluations internationales sous formes d'enquêtes. Le programme PISA (programme international pour le suivi des acquis des élèves) organisé sous l’égide de l’OCDE évalue les élèves européens de 15 ans sur leurs compétences en compréhension de l’écrit, en culture mathématique et scientifique. Le programme PIRLS (Progress in International Reading Literacy Study) sous l'égide de l’IEA évalue les compétences en lecture d'élèves de fin de la quatrième année de scolarité obligatoire (CM1).

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5.6. Des outils pour la classe

Quels sont outils de la classe de français, au service de l'enseignement apprentissage, disponibles pour les enseignants et les élèves ?

Le manuel apparait être l'outil de référence premier de préparation pour l'enseignant, notamment pour les enseignants débutants, en début de carrière ou débutant dans un nouveau cycle d'enseignement. Cet outil a fait débat dans les années 80. Le monde de l'éducation critiquait alors l'aspect préconçu, décontextualisé, fermé des manuels qui proposaient des démarches en décalage avec la rénovation de l'enseignement du français. Cette critique a donné lieu à une multiplication de l'usage des photocopies qui permettaient alors aux enseignants de fabriquer leurs propres outils, de choisir des textes, des exercices, dans différents manuels, ou documents authentiques, permettant d'adapter ainsi les outils didactiques à leur projet et aux besoins des élèves. Depuis les années 90, on est revenu sur cette utilisation massive des photocopies à l'école qui ont eu pour conséquence de poser aux élèves des problèmes d'organisation de classeurs et de structuration des apprentissages et aux enseignants la question éthique du photoco-pillage. Ainsi, les manuels scolaires ont été revalorisés et repensés pour être adaptés aux nouvelles conceptions de l'enseignement du français en cohérence avec les programmes ministériels. Ils constituent un lien entre l’école et les parents, permettant à ces derniers de suivre le travail fait en classe. Les manuels, pour la plupart, comprennent un livre du maître ou guide pédagogique , et pour les élèves, des activités et exercices, des synthèses de connaissance et de structuration des acquis. Certains manuels peuvent comprendre des disques, des images, des CD de films.

Il est rare de rencontrer un enseignant de français qui ne s'en tienne qu'aux ressources et aux supports du manuel. Il les complète de ressources personnelles, tant dans le choix des exercices que dans les textes proposés, ou encore avec des supports audio visuels, comme par exemple l'interview d'un écrivain. Son enseignement peut être également enrichi par les apports personnels des élèves : ceux-ci peuvent apporter des documents qui seront exploités lors des activités (extraits de journaux, publicités, documentaires...)

Aujourd'hui, à l'ère du numérique, se développent des manuels numériques avec des fonctionnalités interactives, conçus davantage comme des sites internet, donnant accès à d’autres contenus, permettant le travail collaboratif et la mutualisation de supports.

À côté des manuels proposant des démarches pédagogiques et exercices, on trouve également, dans les classes, à disposition des élèves, en ligne ou sous format papier, des livres de référence tels que les dictionnaires de langue, les dictionnaires des synonymes, les encyclopédies, des atlas, des guides de conjugaison.

Des outils d'entraînement tels que les fichiers d'exercices ou cahiers d'activités peuvent compléter les manuels. Ces fichiers sont dans la plupart des cas autocorrectifs, ils peuvent également se présenter sous format papier ou sous format numérique.

Depuis 2002, avec l'introduction de l'enseignement de la littérature dans les programmes de l'école primaire et de listes d'œuvres à étudier, les textes supports ne se trouvent plus seulement dans des recueils de textes, mais les écoles

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achètent des œuvres de littérature de jeunesse.

Par ailleurs, des enseignants proposent, sur la toile, de nombreuses ressources concrètes à disposition de leurs collègues et des élèves, telles que des préparations de séquences, mais aussi de nouveaux outils d'écriture et de communication avec, par exemple, la proposition de correspondances pour leurs classes par internet.

Un autre outil à disposition des enseignants consiste dans les revues professionnelles (par exemple, « Les cahiers pédagogiques » ou plus axées sur la recherche, la revue « Pratiques », la revue « Repères », la revue du « Français aujourd'hui » ...) qui se trouvent, pour la plupart, sous format papier, mais également consultables en ligne.

Par ailleurs, l'enseignant doit réfléchir non seulement au choix des supports, à leur intérêt pour son enseignement, mais aussi aux modalités de leur utilisation par les élèves. Comment organiser l'exploitation de ces ressources par les élèves ?

Les cahiers et classeurs sont les supports de travail les plus utilisés dans les classes. Leurs dénominations et contenus « jouent un rôle considérable dans la conscience disciplinaire » (Giguère J. & Reuter, Y., 2003) et la représentation de l'image de la discipline. On trouve, dans certaines classes, un cahier d'expression écrite, dans d'autres un cahier d'écrivain, alors que dans d'autres classes le travail d'écriture se fait dans le cahier du jour.

Les outils qui servent à écrire sont les crayons « papier », les stylos, les stylos de couleur, les stylos à plumes, les surligneurs, le traitement de texte, ceux qui servent à effacer comme la gomme, le blanco, l'éponge pour le tableau ou l'ardoise. On peut également trouver des enregistreurs, tels que des dictaphones, voire des caméscopes. Le choix de ces outils et de leurs utilisations a des incidences en termes de rapport à l'écriture scolaire des élèves, à l'oral mais également en termes de traitement de l'erreur. En effet, le crayon à papier et la gomme, l'effaceur et le dit « blanco » permettent de faire disparaitre les erreurs. L'ordinateur a modifié le rapport à l'écrit institué par la machine à écrire. Par ailleurs, l'ordinateur est particulièrement utilisé avec des élèves handicapés pour leur rendre accessible l'écriture. En France, depuis la loi du 11 février 2005 les élèves handicapés se trouvent être scolarisés en classe ordinaire quand leur handicap le permet.

Quels sont les affichages d'une classe de français ? Au CP, on trouve dans les classes, pour les élèves, des pancartes, aides mémoire, présentant l'alphabet ou encore des placards de sons présentant les différentes graphies des phonèmes. Des pancartes peuvent rappeler les règles orthographiques. Des affiches peuvent également annoncer des évènements ou encore mettre en valeur les travaux des élèves.

Un support permanent emblématique du métier d'enseignant est le tableau comme support de l'institutionnalisation du savoir, de la leçon à copier ou encore de la correction collective. Aujourd'hui, on commence à trouver dans les classes françaises de plus en plus de tableaux blancs interactifs. On peut penser que ce nouvel outil modifiera, entre autres, les modalités d'élaboration des textes des leçons.

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CONCLUSION

Nous voici arrivé-e-s au bout de notre voyage ensemble. Nous espérons que vous nous avez suivies sans trop de mal. Vous avez sans doute perçu nos diverses voix, dont nous n’avons pas cherché à vous cacher les différences : comment faire autrement, dans un cours de didactique qui revendique la variation et la complexité comme guides ? Nous nous sommes aussi permis les redites, parfois sous des formes différentes, de choses essentielles auxquelles nous croyons : bis repetita placent, disaient les Latins. L’enseignement aussi est fait de répétitions.

Peut-être êtes-vous déçu-e-s ? Non, ce cours n’est pas un manuel « clé en mains » pour « faire la classe ». Non, vous ne saurez sans doute pas, après sa lecture, quoi faire en mettant les pieds dans une classe pour la première fois. Au moins, vous saurez peut-être ce qu’il ne faut pas faire ? … Rassurez-vous, personne ne sait définitivement comment faire et tout enseignant, quelle que soit son expérience, quel que soit son âge, est toujours un peu angoissé la veille de la rentrée. L’enseignement est le lieu du doute et des questions ; la didactique nous aide à y voir clair mais la modestie et la vigilance sont toujours de mise.

Pour « apprendre à enseigner », il vous faudra encore beaucoup observer, discuter, lire, changer, essayer de nouvelles choses. On ne « sait » jamais enseigner, car la société évolue, nos élèves aussi, comme nos conceptions et nos représentations. On est toujours en route …, c’est ce qui fait que notre métier est passionnant, c’est ce qui fait que la didactique, science éminemment sociale, a encore de beaux jours devant elle. A bientôt sur le chemin ?

Auteures du cours :

Anière Karine. IUFM de Rouen.

Crocé-Spinelli Hélène. ISPEF, Université de Lyon2.

Rispail Marielle. Université de Saint Étienne, Jean Monnet.

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Manuel :

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Entrainement  à  l’évaluation  :    Cours et documents permis Durée : 2h. Il est conseillé de répondre en style télégraphique aux questions 1, 2 , 3 et de rédiger une réponse argumentée pour la question 4. Dossier : S’exprimer en français, Séquences didactiques pour l’oral et l’écrit Sous la direction de : Joaquim Dolz, Michèle Noverraz et Bernard Schneuwly Volume IV, 7è, 8è, 9è, Ed. De Boeck / COROME. Bruxelles, 2001. Séquence 1 : La parodie de conte, Danièle Marmillon ⁃ page de couverture (1 page) ⁃ tableau de départ des 6 modules (2 pages) ⁃ fiche 12 : le conte tahitien en puzzle (2 pages) ⁃ fiche 13 : le texte sans alinéas (1 page) ⁃ fiche 15 : les temps de verbes (1 page) ⁃ fiche 18 : les critères d’évaluation (grille) (1 page) ⁃ Annexe 7 : aide-mémoire (1 page) Consignes : 1) A partir du tableau de déroulement de la séquence : 3 pts ⁃ à des enfants de quel âge peut s’adresser cette séquence ? ⁃ d’après vous, combien de temps peut-elle durer ? ⁃ quelle place y ont la construction de la langue et les savoirs grammaticaux ? ⁃ pouvez-vous repérer les éléments macros et les éléments micros de la séquence ? ⁃ pouvez-vous citer 2 ou 3 compétences visées ? 1) le puzzle sur le conte tahitien : fiches 12 et 13 : 3 pts ⁃ d’après vous, quels sont les savoirs visés ? ⁃ pouvez-vous indiquer quelques difficultés que pourraient rencontrer les élèves à réaliser ces

activités, en les classant ? 1) la grille d’évaluation : 3 pts ⁃ imaginez comment on peut construire ou faire construire cette grille, dans la classe ; ⁃ qui peut l’utiliser et comment ? ⁃ de quel type d’évaluation s’agit-il ?

4) Question longue : 5 pts + 6 pts - A l’origine, un conte est une production langagière orale : imaginez comment on pourrait enrichir cette séquence d’une partie orale. Quelles compétences peut-on viser ? Quelle activité imaginer ? Quelles consignes donner ? Quelle évaluation ? - Quelles parties du cours vous semblent mises en valeur dans ces documents et cette séquence ? Organisez librement votre réponse par un § argumenté et exemplifié.

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