140
Guérin Montilus Dieux en Diaspora Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin) CELHTO Niamey, 1988

Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Embed Size (px)

DESCRIPTION

collection des Publications du CELHTO/Union Africaine sur la tradition orale africaine, les langues et la culture

Citation preview

Page 1: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Guérin Montilus

Dieux en Diaspora

Les Loa Haïtiens

et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin)

CELHTO

Niamey, 1988

Page 2: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

© 1989, CELHTO

B.P. 878 Niamey - Niger

Page 3: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

AVERTISSEMENT

Cette monographie que nous publions avec un certain écart entre sa rédaction et sa parution, est réalisée à partir d'un manuscrit originaire qu'il nous a été impossible de soumettre à l'auteur. Rédigée en 1971, nous pensons qu'avec le recul dans le temps et l'éclosion de nouvelles lectures et interpréta­tions de la même réalité -le Vaudoun - un réaménagement aurait été nécessaire, ne serait-ce que sur certains détails.

Nous nous efforçons néanmoins, en nous tenant très près du manuscrit, de présenter le fond du texte tel quel, ne prenant que la liberté de modifications structurelles dans le seul souci de rendre la lecture plus facile.

Nous avons cru bon de signaler les passages difficiles à déchiffrer ( ... ) accompagné de notes de notre main toujours précédées d'un astérique.

De même quand nous avons dû introduire ou rétablir un terme pour donner sens à une phrase, nous l'avons placé entre crochets.

Les termes illisibles ou douteux sont signalés dans le cours même du texte de la manière suivante:

illisible : (?) douteux : (traduction ?)

(interprétation ?)

Ceci pour préciser les difficultés quant à la traduction des termes fon et à l'interprétation de certaines données culturelles.

Nous espérons que ce texte, dont le mérite est évident, suscitera des réactions qui permettront de mesurer l'évolu­tion des études comparatives sur les sociétés noires d'Afrique et de la Diaspora.

5

Page 4: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

VALEURS DES SIGNES EMPLOYÉS EN CRÉOLE ET EN FON

Voyelles:

a - a é é comme élevé. è = è comme chèque. i comme dans rime. o = 0 comme dans mot. o = 0 comme dans bonne. u - ou comme dans mou. y ill comme dans feuille, taillé, veille. ê in comme dans gamin. ô on comme dans bon. â = an comme dans maman.

Consonnes:

g est toujours dur comme dans gâteau. j dj comme dans adjectif. kp kp s est toujours siffiant comme dans siffiet. s = ch comme dans cheval. Z J comme dans joli. w ou

En ce qui concerne la langue fon, nous regrettons de ne pas pouvoir indiquer le d rétroflexe ainsi que les tons, faute de signes adéquats.

6

Page 5: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

INTRODUCTION

Au Dahomey, il existe une religion dont la structure est faite des mêmes éléments que notre Vaudou. (Dr Jean Priee-Mars, Ain.fi parla l'oncle, p. 47).

Ce travail a été réalisé ici à Allada, sur notre terrain de recherche lui-même. Voilà ce qui eût réjoui les fondateurs de l'Ecole d'Ethnologie d'Haïti, le feu Dr Jean Price-Mars, qui a tant travaillé pour faire reconnaître, aux Haïtiens eux-mêmes puis à tous ceux qui le niaient, les sources africaines de la culture et de la religion traditionnelle d'Haïti. Quand son livre parut en 1928, - Ainsi parla l'oncle, - Haïti tout entière a été ébranlée sur ses bases qu'elle voulait croire entièrement occidentales. Du moins, son élite des villes se leurrait à le croire. C'est la pensée de ce précurseur qui nous a conduit jusqu'ici, au Dahomey pour remonter aux sources des traditions religieuses haïtiennes. Car il nous indiqua le chemin à suivre et le pays où nous rendre comme le montre la phrase citée ci-dessus.

Ce travail rédigé à Allada sur notre champ de recherche même eût réjoui aussi deux autres ethnologues émérites, A. Métraux et M. J. Herskovits. Tous deux ont été si frappés par la vigueur des survivances de la religion dahoméenne en Haïti qu'après avoir fait leurs recherches là-bas dans l'Ile des Caraibes ils se sont sentis obligés de venir ici au Dahomey. Sans avoir eu leur expérience en terre haïtienne, nous pouvons dire que notre démarche s'inscrit dans leur sillage. Cependant il y a une différence dans le lieu d'implantation. Eux furent attirés par Abomey, l'ancienne capitale politique de l'ancien royaume du Dahomey et aussi le point centripète de tous les cultes de ce même Etat. En nous fixant à Allada,

7

Page 6: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

nous avons voulu renouer avec les tout premiers départs des Fon pour Haïti. Car c'est Rada (d'Arada) et non Agbomin (Abomey) qui survit jusqu'à nos jours dans la mémoire collective. Dans les pages à venir, on en verra la raison.

Certes, le champ de comparaison entre les deux vaudou, la religion haïtienne et la dahoméenne, et plus spécialement celle du Royaume d'Allada, ne manque pas d'objet. Il faut choisir. Il yale panthéon, le rituel, la pensée religieuse, la spiritualité, la mystique, la possession des personnes par les « esprits», etc. Chaque point soulève un monde de problè­mes. C'est pourquoi il faut se limiter et délimiter son propr~ objet. Dans cette présente étude, nous nous sommes arrêté à deux points. Le premier, à la vérité secondaire par rapport au second, c'est la perpétuation de l'image de la terre dans la mémoire collective. Affectivement l'Haïtien est resté et vit encore dans la pensée qu'il est un habitant de l'Afrique­Guinée, d'Arada, emmené en exil en Amérique. Pourquoi? Et comment cela se manifeste-t-il? Telle est la première question à laquelle nous tenterons de répondre.

Le second point que nous avons choisi, c'est celui du panthéon. Nous n'aurions pu passer à côté de celui-ci. Car non seulement l'Haïtien se réfère à la terre de l'Afrique­Guinée, d'Arada, comme la mère féconde qui l'a enfanté, mais celle-ci aurait encore enfanté ses /wa, c'est-à-dire ses « esprits» protecteurs. Toute une catégorie de /wa haïtiens sont servis et honorés sous le nom de /wa rada. Ils ont leur rite propre dit rite rada, leurs tambours propres dits tambours rada. Ce nom donc est perpétué dans le langage. Ces /wa dits rada, qu'en est-il réellement? Et même posant la question dans un sens plus large, quelles relations y a-t-il entre les deux structures religieuses, celle du vaudou haïtien et celle du vaudou dahoméen tel qu'on peut le saisir dans le royaume d'Allada? Il faut donc aller aux mythes.

Tel est donc l'objet de notre étude. Nous ne prétendons

8

Page 7: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Introduction

pas traiter celui-ci d'une façon exhaustive. Car il est ditfcile de tout dire surtout quand on est lié par certains pactes religieux. Certains secrets doivent être gardés. Néanmoins ce qui sera dit pourra élucider certains points obscurs jusqu'ici. De plus, il reste un très long travail encore. Le champ est immense. Il faudra du temps. Nous comptons déjà deux ans révolus -sur le terrain, cela paraît comme une goutte d'eau. Mais qu'importe? C'est déjà quelque chose que de commen­cer. ~ous devons aussi rendre hommage à un patient maître de

terrain, M. Pierre Verger. Sa documentation publiée dans Dieux d'Afrique, Notes sur le culte des Orisa et Vaudun, est un trésor. Nous avons été heureux de retrouver à Allada les traces de certaines traditions qu'il a rapportées. Nous n'avons pas la prétention de valider ses savantes recherches. Mais à la façon des jeunes professionnels fon, nous rendons hommage à cet ancien :

A valu towe die! Hommage ton voici! Hommage à toi!

di t le jeune. Et l'ancien de répondre

e na cè nu we. il donner bénédiction pour toi. tu seras béni.

Et le jeune de répondre :

A xo wa di Tu frapper venir se réaliser Tu as prié, cela sera exaucé.

Que cette entreprise d'ethnologie comparative entre le vaudou haïtien et le vaudou dahoméen puisse connaître la marche de celle du culte des Oricha au Brésil et au Nigéria.

Allada. le 9 octobre 1971

9

Page 8: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

1

LE FANTASME DE LA TERRE

Pour les paysans haïtiens, l'Afrique-Guinée et le Dahomey sont des pays mythiques et ils ne sont pas loin de se croire autochtones.

(A. Métraux, Le Vaudou haïtien, p. 22)

L'Africain est un terrien, a écrit très justement le Professeur Dominique Zahan 1. C'est un homme dont la pensée est géocen­trique. Il y a prédominance de la terre sur tous les autres éléments de son univers symbolique. La terre se situe au centre de son cosmos. Et ce centre, en dernière analyse, est finalisé par la destinée de l'homme lui-même. C'est une orientation centripète du monde. Néanmoins la terre demeure au sein de cette pensée la réalité par excellence.

En cela, l'Haïtien est resté bien africain. La terre est restée bien au centre de sa pensée. La perpétuelle référence au lieu d'origine, la terre natale, en est, entre beaucoup d'autres, un signe notoire. Psychologiquement et affectivement, il reste attaché à la terre-mère, la matrice féconde qui lui a donné naissance. La référence la plus profonde et la plus remarquable est sans doute celle que l'homme de la masse fait continuellement à son origine africaine. Ainsi dans les moments solennels, pour renforcer une affirmation, on dira vigoureusement, en se frappant la poitrine :

Mwê mêm, nèg Ginê! Moi même, nègre Guinée! Moi-même, nègre de la Guinée

Cela est dit pour signifier la force de caractère et la transcendance de la personnalité du locuteur. Car la Guinée, - et ici, il s'agit du Golfe de Guinée, connu encore scientifiquement sous le nom de la Côte des Esclaves, - est restée dans la mémoire collective la terre par excellence des braves, des hommes intrépides, des hommes de

1. D. Zahan, Religion, spiritualité et pensée africaines, p. 22.

10

Page 9: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Le fantasme de la terre

caractère, des homme de parole, des hommes d'honneur, des hommes dôtés de profondes vertus sociales et humaines, des hommes d'organisation, des hommes invulnérables, des guerriers acharnés, etc. Il s'agit d'une tradition morale et spirituelle reçue dans un enseignement implicite, léguée par les ancêtres mais qui n'est consignée nulle part. Personne, non plus, ne peut en expliciter le contenu.

Cependant nous n'inventons rien. Et pour bien mesurer la valeur de l'héritage culturel qui est véhiculée par cette expression, il faut opposer cette dernière à une autre qui est celle-ci :

Nèg congo! Nègre Congo!

Cette dernière expression est une injure. C'est l'équivalent de traître. Mais il s'agit de trahison envers la solidarité raciale. Et d'où est venue cette expression?

Ici, la tradition est plus explicite. Cette épithète de « nèg congo» rappelle la docilité des esclaves congo aux maîtres blancs. C'est une accusation implicite. La tradition accuse les esclaves congo d'avoir accepté passivement l'esclavage et de s'être désolidarisés de la masse de ceux qui travaillaient sous la verge du commandeur. Retenons en passant que cette accusation, dans sa fonnulation générale, est exagérée, car il y eut des esclaves marrons et des chefs de bandes de marrons qui étaient eux-mêmes congo. Cependant il y a un fond de vérité dans cette tradition, et quel est-il?

Le Congo avait été touché depuis longtemps déjà par les Portugais, vers le milieu du quinzième siècle. L'ethnie congo avait reçu un léger vernis de christianisme avant même le trafic de la traite entre l'Afrique et l'Amérique. Etait-ce l'effet de l'accultura­tion ou encore un don de la nature? Ces nègres congo étaient réputés doux et gais. C'est surtout dans leurs groupes que les colons puisaient le lot des domestiques ou esclaves de maison. De leur côté, gais, soumis et extérieurement insouciants, ils aimaient la compagnie des Blancs. Ils se sont acculturés beaucoup plus facilement que les autres esclaves. Jusqu'ici, dans le vaudou haïtien, le rite congo est celui qui a fait le plus d'emprunt à la culture occidentale. En tout cas, cette vie à proximité du colon a fini par créer une image un peu péjorative du nègre congo, et finalement de la terre congo elle-même. C'est pourquoi on n'entendra jamais un Haïtien s'exclamer:

II

Page 10: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

Mwê mêm, nèg Congo! Moi meme, nègre Gongo! Moi-même, nègre de Congo

Car dans son pensée et dans son esprit, il s'est établi l'opposition suivante:

n~g Congo / nèg Gin in negre Congo / nègre Guinée nègre de Congo / nègre de Guinée

tout comme s'oppose à :

la résignation / la résistance la passivité / l'action l'esclavage / la liberté la soumission / la révolte

et surtout la trahison / la solidarité.

Encore une fois, c'est le fait de l'histoire. On n'y peut rien. Revenons cependant à cette terre de Guinée. Celle-ci a fini par

symboliser mythiquement pour l'Haïtien l'Afrique elle-même tout entière dans ce qu'elle a de meilleur en fait de valeurs humaines: sociales, morales, politiques, etc. Dans cette Guinée mythique, cette Afrique-Guinée, deux autres terres polarisent encore la mémoire collective: c'est Danhomin et Rada. Bien que les nègres de cet important golfe de Guinée aient dû être acheminées pêle-mêle vers St-Domingue, - depuis les Ibo jusqu'aux Ewe, ainsi de l'Est à l'Ouest, - il se trouve que ces deux terres Danhomin et Rada sont restées ineffaçables dans la mémoire de la masse haïtienne. Danhomin est l'ancien royaume Danhomin, dont le nom fon a été francisé et a donné le Dahomey d'aujourd'hui. Rada est le diminutif de A rada, correspondant à l'ancien royaume d'Ardres dont la capitale a été l'Allada d'aujourd'hui.

Ces deux noms Danhomin et Rada existent dans le langage haïtien dans un contexte bien particulier. C'est dans le langage culturel. Les expressions les plus courantes où on les retrouve dans la bouche du peuple sont les suivantes :

1) Lwa rada 2

2) Bô /wa danhomin

2. Cf. glossaire, p. 204, 207

12

Page 11: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Le fantasme de" la terre

Or, les /wa, dans le va"udou haïtien, sont les espnts créés par Dieu 3

et qui gouvernent l'univers, chaque groupe dans le domaine même que Dieu, en tant que créateur, lui a confié.

On le sent bien donc : le contexte est religieux, surnaturel et spirituel. La terre d'Allada et du Dahomey est restée dans la pensée de l'Haïtien rattachée à la religion, donc à la substance même de sa vie, de sa personnalité. Il est vrai qu'il y a une autre référence concernant Allada. Tout Haïtien, sachant lire et écrire, - et les autres à force d'entendre apprendre les leçons par cœur et à haute voix, - sait que «Toussaint-Louverture était fils de Gaou Guinou et petit-fils du roi des Aradas ». C'est une phrase inoubliable dans l'histoire d'Haïti. Car c'est l'un des rares héros de l'Indépendance haïtienne dont la référence africaine est si nettement indiquée, et l'imagination enfantine ne manque pas d'être frappée par cette épithète de « petit-fils du roi des Aradas ». Néanmoins l'intelligence n'était pas du tout saisie par le nom de Gaou qui, en fon, signifie chef de guerre et qui désignait le chef suprême des armées du roi du Danhomin et certainement aussi du roi des Arada, pour reprendre l'expression du manuel d'Histoire d'Haïti.

En tout cas, ces deux terres - Danhomin (Dahomey) et Rada (Arada, Allada) - se retrouvent aujourd'hui encore avec des liens physique avec Haïti. Après l'Indépendance du Dahomey, en 1960, les deux pays échangèrent des représentations diplomatiques. Le Dahomey, avec le Libéria - la première république noire indépen­dante en Afrique de l'Ouest - sont les deux seuls pays de cette côte occidentale à avoir avec Haïti des relations de ce type. Allada, lui­même, a donné à l'artère de la route nationale goudronnée qui la traverse le nom de «Avenue Toussaint-Louverture », en souvenir de ce glorieux fils né là-bas, à St-Domingue. De son côté, Haïti, restée toujours attachée au Danhomin non moins glorieux, qui comprenait finalement le royaume d'Allada, a donné à l'une des Rues Principales le nom d'« Avenue Behanzin », du nom du dernier grand roi du Dahomey.

Cette digression entend montrer comment l'Haïtien est viscérale-

3. C'est le fondement théologique même du vaudou haïtien : un monothéisme syncrétique. L'Etre suprême s'est adjoint des associés dans le gouvernement du monde. Cf. glossaire, /wa, p. 19 t. Ce monothéisme syncrétique se trouve à ta base de toute la religion traditionnelle africaine. et c'est l'une des notes spécifiques. de celle­ci.

13

Page 12: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

ment attaché à la terre du Dahomey et à celle d'Allada: De part et d'autre, les traditions sont demeurées bien vivaces, même si elles sont seulement implicites. Les deux peuples sont de sédimentation culturelle africaine. Ils n'ont pas du tout une structure mentale discursive comme l'Occidental. Leur structure mentale est vécue. Le souvenir réciproque se vit plutôt qu'il ne se systématise. Et l'Haïtien, quoique coupé du Dahomey depuis près de deux cents ans, porte presque physiquement l'empreinte de ce pays. C'est ce que A. Métraux a très bien saisi et exprimé ainsi :

Haïtiens et Dahoméens présentent entre eux un air de famille d'autant plus frappant que, depuis deux siècles, leurs destins ont été bien différents et que nul contact n'a été maintenu entre eux. Pour les paysans haïtiens, l'Afrique-Guinée et le Dahomey (c'est nous qui soulignons) sont des pays mythiques et ils ne sont pas loin de se croire autochtones. Pourtant, la culture dahoméenne s'est conservée en dehors des domaines religieux, esthétiques ou économiques, dans certaines formes de comportement aussi subtiles que les gestes ou les expressions faciales. Bien que le vocabulaire créole soit entièrement français à l'exception d'un petit nombre de termes africains ou espagnols, il présente, par sa phonétique et sa grammaire, de nombreux caractères communs avec les langues du Dahomey et de la Nigéria [00'] 4

La culture façonne l'homme, sait-on en anthropologie. Le cas de l'Haïtien vient confiriner cet adage bien connu. Et c'est ici que nous rejoignons ce que nous disions plus haut. Allada et Dahomey qui sont restés attachés à la mémoire de l'Haïtien par les Iwo réputés forts, puissants, bénéfiques, - et il ne faut pas oublier les tambours rada qui sont rattachés au service et au culte de ces mêmes Iwo, -Allada et Dahomey ont marqué l'Haïtien jusqu'à être reconnais­sable psychologiquement.

Nous reviendrons sur cet aspect fondamental de la culture haïtienne: les survivances de la tradition religieuse dahoméenne en celle-ci. Notons auparavant cet autre aspect de la représentation du Dahomey dans la pensée de l'Haïtien. Pour celui-ci, le Danhomin est la terre même d'où l'on est venu. Dans son comportement, l'Haïtien, - et principalement le paysan haïtien, - semble dire dans son vernaculaire

Mwê pas mun isit m' sé mun Danhonmin Moi pas personne ici moi être personne Dahomey Je ne suis pas d'ici, je suis du Dahomey.

4. A. Métraux, Le Vaudou haïtien, p. 22.

14

Page 13: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Le fantasme de la terre

C'est ce que Métraux disait plus haut :

Pour les paysans haïtiens, l'Afrique-Guinée et le Dahomey sont des pays mythiques et ils ne sont pas loin de se croire autochtones ...

Ici, l'image de la terre laissée derrière soi est très forte. On ne peut s'empêcher de rappeler la tradition de la traite d'esclaves quittant ce Danhomin pour St-Domingue. On ne peut s'empêcher non plus de penser combien les esclaves eux-mêmes ont transmis à leurs fils cette pensée de la terre laissée là-bas derrière soi. La tradition n'est pas formulée ni systématisée : elle est vécue au niveau de l'inconscient et se révèle dans le comportement. Allons plutôt au fait.

L'une des choses qui frappe en Afrique noire, c'est la force des liens de parentés, des liens familiaux. La famille est une donnée fondamentale. Et c'est autour d'elle et à partir d'elle que l'ethnie se construit et se saisit. La grande famille constitue le premier et le principal rempart de sécurité de l'Individu contre la précarité de la vie. La terre d'origine, mère de la vie que l'on a tous reçue d'elle, sert de point de repère dans l'espace à tous les membres de la famille. Avec celle-ci, la terre d'origine constitue une donnée essentielle à la personne. Ce sont deux coordonnées indispensables pour se situer dans l'espace et dans le temps.

Ici, dans le Danhomin de l'Haïtien, le souvenir de la terre d'origine n'est pas moins une donnée essentielle. C'est à elle que se fixe la mémoire collective de la lignée. Chez les Fon, la grande famille, ou la famille étendue, constitue le hinnou. Si l'un des membres de ce hinnou vient à essaimer, il continue à être lié au hinnou original jusqu'au moment où, par la force des choses, cette nouvelle branche vient à constituer elle-même un nouvel hinnou. Cependant tout lien n'a pas cessé pour autant avec le hinnou originel. Les liens religieux et spirituels vont demeurer. Car en quittant la terre d'origine on a apporté avec soi le hinnou vaudou, c'est-à-dire le vaudou protecteur de la famille. Ce vaudou lui-même a son mythe d'origine, tout comme la grande famille elle-même. Ce vaudou est considéré comme le générateur de cette famille. C'est de lui que celle-ci détient sa vie et sa pérennité. C'est pourquoi on appelle ce vaudou très justement tahiô. Ta signifie père; hia, offrir un sacrifice : le père auquel on offre des sacrifices.

Ce tnMn est emporté avec tous ceux qui essaiment, et couvre sous

15

Page 14: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

sa protection tous les hinnou issus de la souche familiale initiale. Ainsi en est-il par exemple d'Adjahouto, le héros fondateur d'Allada, qui a émigré de Tado avec ses frères, et emmenant avec le groupe Huanlokué, le hinnou vaudou de la famille à Tado.

L'ensemble de tous les hinnou couverts par la protection du même hinnou vaudou constitue l'ako. Celui-ci constitue donc la plus grande étendue familiale, englobant une multitude de frères épars. Mais tous ceux-ci se réfèrent à la terre d'origine d'où le tohiO, appelé encore hinnou vaudou, ou aussi ako vaudou, est parti. Et tous ces frères portent un même surnom, dit ako gniko, nom d'ako. Ainsi, les descendants d'Adjahouto et de ses frères portent le nom de sadonou comme ako gniko. Et totis se réfèrent à Tado, leur terre d'origine ..

La célébration du tohiO est un moment extrêmement important pour les hinnou les plus rapprochés. Car cette tète réunit dans une même pensée de communion aux ancêtres qui ont tracé le chemin à suivre et donné la prescription à observer, tous les frères rap­prochés, d'abord les vieux - les min ho - puis, les jeunes. C'est dans un même élan de ferveur que l'on célèbre cette commémora­tion qui peut durer de cinq à quinze jours. La communauté se renouvelle. Ce n'est pas le lieu ici de développer le schéma de cette fête, s'ouvrant par la prière et le sacrifice du cabri au toniO, suivi de la venue des vaudou sur la tête des hounsi - c'est-à-dire de tous les enfants de la famille qui sont consacrés à ce tohiO ou aux vaudou de la branche à laquelle appartient celui-ci. Alors, on danse pendant le reste des jours.

Ainsi, la racine même du culte vaudou se trouve située dans l'histoire de la famille et la terre d'origine de celle-ci. Si le culte vaudou est dit familial, l'explication fondamentale de cette asser­tion se situe justement dans le culte du tohio. Celui-ci unit les membres de la même famille dans une même communion spirituelle et mystique.

On peut tirer plusieurs conséquences de cette constatation quant au fait haïtien. Cela explique par exemple, comment finalement par les lwa, l'Haïtien reste affectivement et viscéralement attaché à la terre danhonmin, comme nous l'avons dit plus haut. C'est une tradition qui a été reçue d'ici. L'on peut partir, mais le vaudou reste le trait d'union entre ceux qui partent et ceux qui restent. Le vaudou rappelle constamment et concrètement la terre d'origine

16

Page 15: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Le fantasme de la terre

d'où l'on est parti. Le lien spirituel et mystique dont nous parlions plus haut, et existant entre les hinnou éparpillés se trouve ici réalisé entre Haïti et le danhonmin, qui, grosso modo, peuvent être considérés comme deux hinnou unis dans le même culte ancestral. Mais l'Haïtien se réfère toujours dans sa célébration à la terre d'où il est parti pour se trouver sur la terre présente où il a été transporté. Le vaudou, ou si l'on veut, le /wa, reste l'élément majeur de cette référence. Si « pour les paysans haïtiens, l'Afrique­Guinée et le Dahomey sont des pays mythiques» et s' « ils ne sont pas loin de se croire autochtones », c'est qu'il y a tout le cortège des /wa protecteurs - à l'instar du tohiO - et qui ne sont pas de la terre d'Haïti mais de la terre du Danhonmin. Et c'est ce qui rend, du même coup, la pensée des /wa inséparable aussi des frères qui sont demeurés là-bas, au Danhonmin, et qui continuent ce même culte venu de chez eux, ou plutôt de chez nous. Car chez eux, c'est chez nous. Leur terre, c'est notre terre. En effet, remontant dans le temps, nous avons le même père. Si l'on veut, l'inconscient haïtien, sur ce point précis serait structuré par cette pensée :

tè pa nu, sé pa isit terre part nous, ce pas ici, Notre terre n'est pas celle d'ici,

mê li nan Ginê, Dâhômê mais elle dans Guinée, Dahoméy mais elle est en Afrique-Guinée, au Dahomey.

Cette pensée inconsciente est extrêmement riche. Nous n'allons pas tirer ici toutes ses conséquences sur le plan de la conscience d'appartenance au groupe local. Mais elle pourrait très bien expliquer psycho-sociologiquement le comportement du paysan haïtien qui a été d'abord coupé, puis s'est tenu coupé de l'évolution des affaires haïtiennes, quelles qu'elles soient. C'est que la valence spirituelle et mystique de la terre - valence transmise et maintenue grâce aux /wa - oriente les esprits ailleurs qu'en Haïti. Au fond, il y aurait, pour la masse haïtienne elle-même, un milieu d'apparte­nance, Haïti, et un milieu de référence, l'Afrique-Guinée et le Danhonmin. La désolidarisation des paysans haïtiens avec l'élite, surtout la bourgeoisie claire, pourrait s'expliquer, par ce biais de la religion :

nu pa sèvi mêm /wa. nous pas servir même lwa. Nous ne servons pas les mêmes lwa.

17

Page 16: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

Et voilà la nation scindée en deux, parce que l'un des deux groupes se réfère, par ces /wa, à l'Afrique pour puiser les principales valeurs qui orienteront sa vie, et l'autre, d'ailleurs se référant aussi à une autre terre, cherche ses valeurs en Occident caucasique. Il serait extrêmement intéressant de prolonger cette analyse et de retrouver tout ce que dicte en fait de comportement socio-culturel cet attachement à la terre ancestrale médiatisé par les /wa à l'instar du tohio. Mais tel n'est pas notre but ici.

La terre d'origine constitue donc un principe dynamique dans les deux vaudou, celui du Dahomey et celui d'Haïti. Mais le second a reçu du premier cette tradition, ainsi le pensent les Haïtiens. Cependant, à feuilleter l'histoire d'Haïti, on retrouve un curieux phénomène qu'il faut rattacher toujours à la mystique de la terre d'origine, et ce phénomène n'était pas nécessairement danhonmin. C'est pourquoi il ne faudrait pas trop durcir cette position.

Milo Rigaud raconte le fait suivant qui est d'ailleurs confirmé par d'autres historiens :

Mourir n'effrayait pas les Ibo qui croyaient à la transmigration des âmes, écrit-il. Ils se pendaient pour retourner dans leur pays. Les Mina, pour la même raison, se coupaient la gorge ou mangeaient de la terre jusqu'à ce que mort s'ensuive.

Et l'auteur ajoute en note :

C'est une croyance encore répandue en Haïti que les Africains, quand ils mouraient, retournaient « Nan Guinin» [ ... ] Lorsque le « grand moune » (c'est-à-dire le vieillard) se sentait près de mourir, il préparait ses affaires. Tenant les petits plats destinés au service des Marassa Uumeaux), il prononçait une invocation, suivie d'un chant spécial, puis il disparaissait [ ... ] 5

Milo Rigaud parle de la croyance à la «transmigration des âmes» et c'est à celle-ci qu'il attribue le comportement des Ibo. Je ne sais vraiment pas si cette croyance était réelle dans le groupe Ibo, d'autant plus qu'il faut manier ce concept de « métempsychose» et de « réincarnation» avec infiniment de précaution. Seul le langage du peuple lui-même peut révéler l'objet de sa foi. La motivation que l'auteur donne est plus acceptable: « Ils se pendaient pour retourner dans leur pays». Il s'agit donc de rejoindre la terre d'origine. Et finalement, dans sa note explicative, l'auteur élargit sa

5. M. Rigaud, « Le rôle du Vaudou dans l'indépendance d'Haïti », in Présence africaine, n° 17-18, fév.-mai 1958, p. 61.

Page 17: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Le fantasme de la terre

vision et montre que même dans la mort naturelle, on voyait aussi - et l'on voit encore - le moyen de retourner là-bas au pays des ancêtres, dans la terre d'origine. Cette croyance était une soupape de sûreté aux amertumes de l'esclavage. Elle donnait une espérance. Et cette espérance est le fruit de la mystique de la terre d'origine.

Assez curieusement, on retrouve ici dans le Danhonmin une tradition similaire, la migration dans la terre d'origine après la mort. Il s'agit des Alladahonou émigrés et fondant le royaume de Danhonmin. On ne parlait pas de la mort du roi, mais, pour annoncer sa mort, on disai t :

e vi Alada il aller Alada Il est allé à Allada.

C'est qu'Allada est la nouvelle terre d'origine depuis l'émigration de Tado après la brutale rupture avec les frères de là-bas. Allada est le siège même, disons la terre du hinnou. C'est le foyer paternel, d'autant plus qu'Adjahouto qui a conduit le groupe de Tado à Allada a toujours été considéré comme le nouveau père du groupe, le daa. On dit que les émigrés avaient emporté de Tado les restes du vieux roi, leur père, et qu'ils sont enterrés à Togoudo avec d'autres restes non moins importants. Togoudo, qui est à deux kilomètres d'Allada, lieu où s'est finalement fixé Adjahouto, est une terre sacrée. Il s'y trouve les mânes des ancêtres. Les Alladahonou émigrés vers le Nord s'en souvinrent. Lorsque leur premier chef mourut vers 1620 - ils transportèrent le corps de celui-ci, donc Dogbagri, à Allada. Entendez par là Togoudo, comme nous venons de l'expliquer. Il fut donc inhumé à Allada, près de ses ancêtres, reposant au milieu d'Adjahouto et des autres ... On a gardé aussi la coutume d'apporter dans ce même lieu au moins le crâne des autres rois de Danhonmin. Et ainsi même dans l'inhumation, on continue à former une seule et même famille.

Cette tradition, raconte-t-on encore, n'est pas seulement propre au roi de Danhonmin. Certains nous ont affirmé que toutes les fois que l'on dit d'un aboméen - d'Abomey, la capitale de l'ancien Dahomey - toutes les fois que l'on dit de lui :

e vi Alada il aller Alada Il est allé à Allada.

19

Page 18: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

on signifie par là qu'il est mort. Et c'est pourquoi, si l'on veut dire de quelqu'un qu'il a voyagé à Allada, on dit plutôt

e yi Sado il aller Sado il est allé à Sado

ou encore, et ce qui est plus courant

e yi Adâhusa il aller Adanhoussa il est allé à Adanhoussa.

Sado désigne également Tado. Et l'on se rappelle que c'est l'ako des sadonou qui a émigré de Sado ou Tado et fondé Allada. Aller à Sado signifie en définitive « se rendre à la nouvelle terre de Sado ou Tado». C'est donc se rendre au pays d'origine, mais en étant vivant. La terre est donc toujours présente à l'esprit. On ne peut s'en détacher. Et quelqu'un m'expliquait, que, pour les deux branches émigrées, l'une au Danhonmin, dont Abomey est la capitale, et l'autre à Hogbonou, Porto-Novo, Allada reste la terre du hinnou paternel. Venir à Allada, c'est revenir chez soi.

Le terme Adanhoussa lui, désigne le fromager planté par Adjahouto lors de sa prise de possession d'Allada. Et depuis ce temps, peut-être plus de quatre siècles, cet arbre se survit et symbolise Allada lui-même, en tant que nouvelle cité des Sadonou.

Et c'est ainsi que la terre a orienté et oriente encore tout l'esprit de ceux qui ont quitté Allada pour d'autres lieux. Si on meurt, c'est pour s'y rendre. Et c'est ici que l'on rejoint le phénomène haïtien: mourir, c'est se rendre en Guinée (nan Guinin).

Il n'y a pas que les morts qui ont ce privilège de voyager à la terre d'origine. La mythologie haïtienne le dit aussi des vaudou, des /wa. Ce monde des /wa n'est pas du tout statique. Il est très dynamique. Les /wa ne sont pas fixés en Haïti. Ils se promènent d'Haïti à la Guinée, et de la Guinée à Haïti. Et voici comment J. B. Romain explique cette conception mythique :

La Guinée symbolise l'Afrique noire dans sa totalité. La géométrie sacrée la place de part et d'autre des projections de l'axe ciel-terre: le ciel étant la ville-au-camp 6 et la terre, les Eaux souterraines. Les

6. Ville mythique qui se situerait quelque part sur une montagne au Nord-Ouest d'Haïti, près de St-Louis-du-Nord, disent certains, de Port-de-Paix, disent d'autres. C'est une espèce de « quartier général» des lwa. Cf. A. Métraux, op. cit., p. 80 ; J.-B. Romain. Quelques mœurs et coutumes des paysans haïtiens, p. 212.

20

Page 19: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Le fantasme de la terre

esprits qui peuplent Haïti viennent en majorité de la Guinée. Ils font le circuit Guinée - Eaux souterraines - Ville-au-Camp - Guinée, en l'adaptant à leur convenance, quand aucun culte ne les retient à la surface de la terre. « Avrékêté », connu surtout dans le Nord où il compte d'ailleurs peu d'autels, a été convoqué d'urgence en notre présence. Il arriva tout essouflé (à en juger, bien entendu par l'attitude du possédé qui l'incarnait, lit-on en note) avec un appréciable retard, ce jour-là. Son premier soin fut de s'excuser d'avoir été retenu en Guinée par un malade 7.

Et l'auteur donne le schéma suivant de ce mythe

CIEL - VILLE-AU-CAMP

GUINEÉ

TERRE - EAUX SOUTERRAINES

GUINEÉ

Les lwa haïtiens voyagent. Ils font constamment le trajet Nan Guinin - Haïti, et vice-versa. Ce dynamisme est encore symbolisé autrement. Lorsque par exemple, on fait une célébration en l'honneur des /wa, et nous-même nous l'avons vu, on allume un feu, appelé boucan dans la langue sacrée. C'est là que sont censés demeurer les lwa venus de Nan Guinin et appelés pour assister à la cérémonie. Ce boucan est un feu pétillant qui brûle constamment pendant toute la cérémonie. Il est entretenu avec du bois bien sec pour que sa flamme soit toujours scintillante, du moins tel que nous l'avons vu. Et alors, chaque fois qu'un nouveau lwa arrive, c'est-à-dire qu'il se manifeste en l'une quelconque des hounsi présentes, le nouveau possédé reçoit un gobelet d'eau qu'on lui présente et va faire des libations rituelles près du boucan. On lui donne également de la boisson et il en fait de même. Je ne sais pas s'il salue ici les autres lwa qui ont précédé son arrivée ou si encore il salue la nouvelle terre qui l'a accueilli. En tout cas ce qui est intéressant, c'est que la liturgie vaudou a concrétisé ce mythe dans son rituel par un symbole très significatif. Ce boucan - ce feu pétillant - devient le trait d'union entre l'Afrique-Guinée et Haïti.

7. J.-8. Romain, op. cit., p. 213.

21

Page 20: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

Il rappelle concrètement aux serviteurs des /wa que ceux-ci ne sont pas originaires d'Haïti, que leur terre se trouve là-bas, de l'autre côté de l'océan, et qu'en conséquence c'est là aussi que se trouve leur propre terre de l'assemblée culturelle. On comprend pourquoi, et encore par le biais de la religion, à la mort on pense rejoindre la terre d'origine. C'est de là que vient le secours qu'apportent les /wa. On retourne à la source.

Le thème de la terre d'origine marque de son empreinte toute la vie de l'Haïtien. On le retrouve sous mille formes dans la vie culturelle haïtienne. On le retrouve encore dans le rituel de la naissance. C'est le rite du cordon ombilical.

Ce rite était l'un des plus importants de la naissance dans le monde paysan haïtien. Il consistait à enterrer le cordon ombilical de chaque nouveau-né à un endroit du lieu d'habitation. Et l'on avait coutume de planter un cocotier dessus. Celui-ci, pour ainsi dire, devait immortaliser dans la mémoire de chacun la terre de sa naissance, sa terre d'origine. Et ce jour-là, c'est-à-dire le jour de la naissance, chacun était mis sous la protection du /wa protecteur­disons générateur - de la famille. Et ce /wa s'appelle /wa-racine, nom composé qu'il faudrait traduire par « /wa qui enracine». En effet, ce /wa avait son temple au milieu de la propriété commune. C'est un peu comme le tohio dont nous avons parlé plus haut. C'est au /wa-racine qu'on reconnaissait d'avoir toute naissance qui vient agrandir la grande famille et c'est du /wa-racine qu'on attendait protection et secours pour le nouveau membre dont le cordon ombilical a été enterré sur la propriété à l'ombre du temple sacré, le houmfo familial.

La famille dont nous parlons ici n'est pas la petite famille occidentale, la famille nucléaire. Il s'agit de la famille étendue qui a existé dans un passé encore récent en Haïti. Et son domaine constituait une véritable petite terre d'Afrique. Ce domaine s'appelait /acou. L'enfance de beaucoup d'Haïtiens vivant actuelle­ment a été marquée par ce phénomène /acou, comme terre d'origine. On ne peut s'empêcher d'en donner une brève idée ici.

Après l'Indépendance proclamée le 1 er janvier 1804, la troupe d'esclaves s'est muée en une masse paysanne. Celle-ci devait donc occuper la terre d'Haïti et façonner elle-même une écologie pour son implantation sur des propriétés brûlées, presque détruites de fond en comble. On devait songer à une nouvelle structure et une

12

Page 21: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Le fantasme de la terre

nouvelle organisation communautaires. Et c'est ici que le fantasme de la terre d'origine d'Afrique s'est enfin matérialisé en Haïti. On tenta de refaire les villages africains. Autour d'un grand père, faisant fonction de chef de famille, les fils étaient groupés avec leurs épouses et leurs enfants dans leurs cases respectives. L'ensemble constituait le domaine familial. La terre était indivise et l'on travaillait en commun. Et c'est là que chacun naissait et que l'on « plantait» le cordon ombilical, comme nous le disions plus haut. Cette terre était sacrée car le lwa ancestral, le lwa-racine couvrait de son ombre protectrice toute la grande famille éparpillée autour de son temple. Et ce lwa unissait tout le monde dans le même culte, le même « service », selon l'expression haïtienne. Ce « service» était annuel et pouvait durer plusieurs jours, jusqu'à quinze, selon la décision du chef de famille et de son conseil. Ajoutons à cela que les morts formaient une même communauté avec les vivants. Car tous étaient enterrés dans un petit cimetière familial dont les tombeaux blanchis à la chaux relevaient encore la sacralité de ce lieu. En l'honneur des défunts, il y avait annuellement, en novembre, le deuxième jour de ce mois, selon le calendrier même de l'Eglise Catholique, une fête des morts qui rappelait le souvenir de tous, peu avant le grand service des /wa, à Noël et les jours suivants.

On reconnaît, à peine voilé, le schéma de l'installation spatiale de la famille fon du danhonmin. Chaque grande famille occupe une terre choisie par l'ancêtre fondateur de cette lignée. Cette habita­tion s'appelle houé en fon, ce qui signifie maison. L'ensemble de toutes les cases (ho) forme le houé et porte le nom de l'ancêtre fondateur. Il en est de même de la grande famille elle-même qui porte aussi ce même nom. Nous avons déjà parlé plus haut de la grande famille fon connue sous le nom de hinnou et de son installation au sol. Nous ajouterons ces explications complémentai­res. Le chef de la grande famille, le seul vrai chef de famille d'ailleurs, s'appelle daa, c'est-à-dire père. On peut voir le rappro­chement avec le Jacou d'Haïti dont le chef s'appelait papa, et les fils ou les petits-fils, pitite. Dans le houé dahoméen, ces derniers s'appellent vi, c'est-à-dire enfants, tout comme le terme pitite haïtien doit être traduit par le terme enfant aussi. Servant de modèle à la tradition haïtienne, les morts fon sont aussi enterrés dans le houé, et même plus, dans chaque case (ho). Mais ils sont tous réunis dans une seule et unique case où l'on a érigé leurs

23

Page 22: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

emblêmes dénommés assin en fon. C'est là qu'on prie les morts et qu'on leur donne à manger, normalement chaque année, d'ailleurs tout comme au tohiO.

C'est donc le schéma fon que l'Haïtien a suivi pour façonner son écologie là-bas en Haïti. Il s'est installé au sol à la façon fon. Le banhonmin était donc présent à l'esprit des esclaves qui s'instal­laient dans la campagne haïtienne, après l'Indépendance. Cepen­dant il faut le dire, s'ils ont suivi le schéma fon d'installation au sol, ils l'ont un peu enflé d'apports divers, occidentaux et autres, tels, par exemple, les tombeaux groupés en cimetière, au lieu de n'avoir que les assin, tradition qui a été perdue, sans doute sous l'influence de la rencontre avec l'Occident. Il y a eu une foule d'autres apports venant d'autres traditions africaines, tel le fait de «planter» le cordon ombilical dans le /acou et de planter un cocotier dessus, symbolisant la longévité, la fécondité et la prospérité *. Néanmoins le langage était là pour rappeler la structure Ion avec les termes de papa, pitite,lrè (frères), sè (sœurs) usités entre les membres de cette grande famille, et d'une sonorité très Ion.

Malheureusement le /acou a disparu sous la pression même des vicissitudes de l'histoire. La notion d'héritage, appliquée à l'occiden­tale, a démembré le /acou par les divisions successorales : la terre s'est émiettée, et la grande famille, disparue, dispersée aux quatre coins du pays. Cependant il en reste quelque chose. Le /acou continue à vivre dans les cœurs et les esprits des plus vieux. Le « service» des /wa-racine est assuré encore par la famille dispersée, chacun invitant à domicile ou parfois à l'ancien lieu de culte familial, les membres les plus rapprochés. Et le /acou est désigné de plus en plus sous le nom de bitation. Ce terme peut se rapprocher davantage du houé fon. Car il réfère davantage à la notion de logis, donc de maison. C'est ainsi qu'il reste encore aujourd'hui des réminiscences de cette institution de structure dahoméenne.

Il nous faut revenir sur une idée émise dans les pages précédentes. Il s'agit du terme rada que nous employons et que les Haïtiens disent pour qualifier l'un des trois principaux rites du vaudou d'Haïti. On dit communément /wa rada. Ces /wa rada ont leurs danses et leurs tambours propres, également dénommés tambours rada, danses rada. Retenons que ces /wa rada groupent les vaudou

• Cette pratique existe bien au Danxome aussi.

24

Page 23: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Le fantasme de la terre

originaires du Golfe de Guinée ou de la Cô~e des Esclaves. Ce terme rada est important au plan de la mémoire collective.

Ce terme de rada est un diminutif d'Arada, le nom de l'ancien royaume qui était mieux connu sous le nom d'Ardres. Et jusqu'ici, les habitants d'Allada s'appellent Ardresiens dans le langage noble; Alladanou est plutôt commun, populaire *. Ardres ou Arada est cette terre d'Adjahouto dont nous avons raconté très brièvement l'occupation par l'ancêtre fondateur. Après la mort d'Adjahouto, au début du 17e s., il y eut une émigration vers le nord qui a fondé le royaume du Danhonmin, lequel devrait devenir dans la suite extrêmement conquérant, s'étendant ainsi depuis la mer jusqu'à 240 km à peu près à l'intérieur, du nord au sud. Puis, une autre émigration eut lieu au sud-est, à Hogbonou (Porto­Novo).

Ce qui est important au plan de la mémoire collective, c'est la place qu'a occupée la mémoire dans l'esprit de tous. Car c'est cette image qui est restée sous forme de réminiscence dans la vaudou haïtien. Allada, en dépit de toutes ses vicissitudes historiques, est toujours resté la capitale religieuse des trois royaumes, et plus tard des seuls royaumes du Danhonmin et de Hogbonou, après la conquête du royaume d'Ardres par le Roi Agadja en 1724. Ce privilège est dû au système fon lui-même: la maison paternelle, comme nous l'avons déjà dit, est le point centripète de tous les descendants (vi, enfants). Car, c'est là que reposent les mânes du père fondateur de la lignée et de tous les autres ancêtres qui continuent à engendrer des fils par leurs descendants. C'est encore eux qui donnent toute force (hlonhlon) pour gouverner, réussir, etc. Celui qui occupe donc le zîkpo (tabouret) de l'ancêtre fondateur, est le canal par lequel viennent toutes bénédictions (dè). Ses prières sont toujours exaucées, et les paroles de bénédiction qu'il prononce sont efficaces. Car c'est la parole du daa (père) qui continue. Ce tabouret est donc source d'un très grand privilège. La transcen­dance du Zîkponon (celui qui occupe le tabouret de l'ancêtre), découle, non pas d'une vision politique des choses, mais d'une vision spirituelle. Et c'est cette transcendance qui explique les privilèges du daa d'Arada.

• Ce que l'auteur désigne par langage noble c'est simplement la « françisation » ; le terme donné comme « plutôt commun» est le vocable par désignant les habitants d'Allada (Ndu) (Allada).

25

Page 24: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

C'est ainsi que c'est lui qui devait introniser les rois d'Agbomin et de Hogbonou. Ce pouvoir n'était pas l'exercice d'un droit de suzeraineté, mais seulement l'exercice de ce privilège spirituel dont nous avons parlé. Bien sûr politiquement, les uns et les autres ont essayé de s'y soustraire, mais la tradition était là, et c'est celle-ci qui comptait dans l'ensemble des représentations du peuple. Allada était pour celui-ci le centre où devaient converger tous les esprits, y compris ceux des rois.

Si Arada a laissé son nom à un groupe de /wa haïtiens, aux danses et aux tambours qui leur sont consacrés, c'est que ce nom devait avoir une résonance particulièrement importante pour les prêtres de vaudou (vaudounon) et les initiés (vaudounsi, hounsi) vendus comme esclaves à St-Domingue et qui ont imposé la structure de leur religion à celui-ci. C'est pourquoi il nous faut encore élargir notre connaissance d'Allada. Car trop souvent hélas, les écrits sur le vaudou haïtien ne tiennent pas compte de l'importance de la mémoire collective des esclaves. Il faut se dire qu'Arada fut mêlé à la question de la traite et touché par les Européens bien avant le Danhonmin, au 17c s., alors que celui-ci était en pleine organisation interne et en pleine lutte pour la conquête de son territoire. Il en est de même du royaume de Porto­Novo. Allada évoluait politiquement et religieusement sans être inquiété par ces deux royaumes, beaucoup plus préoccupés par leur formation et leur recherche d'unité. C'est cet Allada dont les premiers esclaves venus au 17e s. ont apporté l'image à St­Domingue. « Il est certain que par son étendue déjà, le royaume d'Allada était imposant. Il était borné au Nord par la dépression de la Lama, s'étendait au Sud jusqu'à la mer (Jacquin était le port de traite, arrivant d'ailleurs difficilement à faire concurrence à Oui­dah), à l'ouest jusqu'au lac Ahémé et à l'Est jusqu'à l'Ouémé» 8.

Territorialement et politiquement, l'Arada des premiers esclaves fon, - ou venant des terres soumises à l'hégémonie de ce royaume

revêtait une certaine importance.

Ce n'est peut-être qu'après 1700, la traite des esclaves devenant prospère, que les souverains de ces deux royaumes tentèrent de faire

8. J. Lombard, « Contribution à l'histoire d'une ancienne société politique du Dahomey: La royauté d'Allada» in Bulletin de /'Institut fondamental d'Afrique Noire, Dakar, IFAN, Tome XXIX, Série B n° 2, 1967, p. 50.

26

Page 25: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Le fantasme de la terre

jouer leurs liens familiaux, afin de s'assurer un contrôle sur les bénéfices de cette traite, dont seul profitait le roi d'Allada 9.

Si le roi d'Arada avait donc la préséance spirituelle sur ceux d'Abomey et de Porto-Novo, initialement il avait un territoire et des pouvoirs qui pouvaient imposer le nom de son royaume à ceux qui quittaient celui-ci pour St-Domingue. Sauf l'interdiction rituelle de quitter le palais d' Adjahouto,

il devait avoir sensiblement les mêmes pouvoirs que n'importe quel souverain. Avec l'assistance de ses ministres, il avait toute latitude de rendre jusrtice dans les limites de son royaume, d'entretenir une armée, confiée à l'un de ses chefs militaires. Il semble toutefois qu'en dehors de la guerre contre les Agadja et contre les Yoruba d'Oyo, cette armée n'ait jamais été utilisée qu'à des fins commerciales : convoyer les troupes d'esclaves, surveiller les traitants intermédiai­res, etc. 10.

Nous avons déjà mentionné la préséance spirituelle du roi d'Arada, il faut aussi ajouter l'exercice effectif d'un véritable pouvoir spirituel s'étendant sur tous les vaudounon (prêtres de vaudou) de son royaume, et même sur un certain nombre de vaudounon d'Abomey et de Porto-Novo, prérogative qui dispa­raîtra après la conquête d'Allada par Agadja en 1724. Pouvoirs spirituels, rôle politique, tout cela devait contribuer à imposer l'image d'Arada aux esclaves partis avant 1724. On comprend que les vaudounon et initiés vendus comme esclaves jusqu'en 1724, soient restés attachés et fixés au centre religieux de leur terre d'origine. Leurs vaudou étaient d'Arada. Et puisque ce sont ces mêmes nègres qui assuraient à St-Domingue l'organisation et l'exercice du culte africain, ils ont continué ce qui se faisait déjà depuis longtemps dans le royaume d'Arada : l'appropriation des vaudou étrangers et l'imposition de l'hégémonie spirituelle rada sur les autres traditions culturelles africaines, surtout celles des groupes ethniques venus du Golfe de Guinée.

n y avait donc une tradition déjà établie depuis plusieurs années à St-Domingue 10rsqu'Arada perdit son indépendance en 1724. Lorsque les nouveaux esclaves danhonmin viendront à partir de cette époque et jusque vers 1780, date des dernières arrivées sous Kpengla, roi du Danhonmin, le nom d'Arada était fermement établi

9. J. Lombard, op. cit., p. 50. 10. J. Lombard, op. cit., p. 50.

27

Page 26: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

à St-Domingue. D'autres vaudou venus des conquêtes d'Abomey s'ajouteront aux premiers /wa rada, mais désormais ce dernier nom était indéracinable dans la tradition orale des esclaves. Ici, il existe un témoignage extrêmement important, c'est celui de Moreau de St-Méry. C'est le tout premier historien de la colonie de St­Domingue qui a vraiment parlé du culte vaudou. Son témoignage remonte dans les dernières années de la période coloniale, soit vers la fin du Ise s. Il rapporte que ce sont les nègres Arada, - et en cela parlant des Noirs de la côte du Dahomey, - qui « sont de varitables sectateurs de vaudoux et qui en maintiennent les principes et les règles Il ». Les prêtres rada avaient donc définitive­ment installé leur hégémonie quand sont arrivés les vaudounon danhonmin d'Abomey. C'est pourquoi l'expression /wa danhonmin est moins fréquent dans le langage courant, sauf pour désigner tel ou tel /wa que l'on veut différencier d'un autre du même nom, lequel est parfois une création haïtienne. C'est ainsi que l'on distingue Ezili Fréda Danhonmin de Ezili Gé rouge (Ezili yeux rouges). Le premier est bénéfique, le second, maléfique. Mais l'Ezili Fréda est l'Azili du groupe des Ninsouhoué d'Abomey. Néanmoins, il est quand même servi dans le groupe rada. Les « bons /wa danhonmin », selon l'expression haïtienne elle-même, ont été absorbés par la tradition rada antérieure à celle venue d'Abomey, et d'ailleurs, au demeurant, qui a été coupée bien vite de sa source avec les révoltes de la fin du Ise s. à St-Domingue.

Ainsi, même avec le Danhonmin, il y a eu dans la colonie deux courants de tradition, celle de Rada et celle du Danhonmin. Si le principal rite bénéfique du vaudou haïtien a reçu et porte encore le nom de Rada, c'est que cela est fondé sur des contacts antérieurs. Cette antériorité est aussi renforcée par les privilèges spirituels de la terre d'Arada, - considérations lignagères propres aux traditions des trois royaumes d'Arada, d'Abomey et de Porto-Novo. C'est ainsi que le vaudou haïtien reflète dans la structure de son culte cette terre laissée derrière soi. Et ce sont les Nègres Arada, plus que les Nègres Danhonmin qui lui ont donné sa structure, c'est-à-dire le type d'arrangement des éléments symboliques. Comment cela pouvait être autrement, car les Nègres d'Arada étaient les premiers à exercer leur influence sur St-Domingue. Leur activité dans le

11. Moreau de St-Méry, Description ... , p. 46.

28

Page 27: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Le fantasme de la terre

groupe des esclaves les avait même fait classer. Et c'est ainsi que Milo Rigaud écrit :

Les femmes arada, causeuses éternelles, sont rarement employées comme domestiques [ ... ] Les Arada [ ... ] sont craints pour leur caractère sanguinaire mais réputés pour leur intelligence 12.

Bien sûr, il ne faudrait pas durcir cette position e~ pratiquer une exclusivité qui n'aurait pas de base historique. Car~·d'après Moreau de St-Méry, tous les noirs originaires de la Côte des Esclaves étaient connus sous le nom d'Arada 13.

Néanmoins il y a un témoignage irrécusable en faveur de tout ce que nous venons de dire sur l'apport culturel du groupe des Arada fon, si l'on peut parler ainsi: c'est la langue religieuse elle-même du vaudou haïtien.

La philologie vient confirmer les données de l'histoire et de la tradition, écrit justement A. Métraux. Le terme de « vaudou» suffirait déjà à nous orienter. Certains, dans leur désir de «blan­chir» les cultes vaudou, ont fait de ce mot une corruption de « Vaudois» [ ... ] Or, au Dahomey et au Togo, chez les tribus appartenant à la famille linguistique des Fon, un vaudû est un « dieu», un esprit, son « image», bref, tout ce que les Européens appellent « fétiches ». Les servantes de la divinité sont des hounsi (en Fon hû, divinité, et si, épouse) ; le prêtre est le houngan, c'est-à-dire le « maître du dieu». Les accessoires du culte portent encore leurs noms dahoméens: gôvi (cruches), zê (pot), sô (hochet sacré), asê (emblêmes sacrés), hûnto (tambour) etc. Si, abandonnant la liturgie, nous examinons la liste des divinités du vaudou, nous constatons que les principales d'entre elles appartiennent aux panthéons des Fon et des Yoruba. Legba, Damballah-Wèdo, et Aïda-Wédo, sa femme, Hevioso, Agassou, Ezili, Agoué-taroyo, Ogou, Chango, et bien d'autres, ont encore leurs temples dans les villes et les villages du Togo, du Dahomey, et de la Nigéria. Il est vrai que dans les catalogues des loa haïtiens figurent également des divinités congolai­ses et soudanaises, mais la plupart d'entre elles sont loin d'occuper, dans la piété populaire, la place accordée aux grands loa de l' « Afrique-Guinée» 14

Sur ce point précis de la langue religieuse du vaudou haïtien, si nous avons voulu faire appel au témoignage de A. Métraux, c'est qu'il s'agit d'une voix autorisée. Il montre comment les esclaves Arada-fon ont marqué profondément la structure de la religion

12. M. Rigaud, op. cit., p. 46. 13. Suzanne et Jean Cornhaire-Sylvain, « Survivances africaines dans le vocabu­

laire religieux d'Haïti» in Etudes dahoméennes, XIV, 1955, p. 16. 14. A. Métraux, op. cit., p. 21.

29

Page 28: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

haïtienne. La langue et les gestes rituels se sont presque entièrement conservés. C'est là surtout que l'on sent le terroir dahoméen. Il faut encore relever ce témoignage de Métraux :

Les prêtres qui ont été au nombre des captifs vendus sur les marchés antillais, n'ont pu faire école. La vie dans les ateliers ne favorisait guère la transmission d'une théologie savante [ ... ] Le rituel vaudou, par contre, a moins souffert du déracinement que le système des croyances. Pour ne prendre qu'un exemple, l'initiation du kanzo reproduit encore le schéma de son prototype dahoméen. Le baptême du sang, le dépôt des cheveux et des ongles dans des pots, les battements de mains, l'obligation de mendier, bref mille détails correspondent aux rites de l'initiation des fameux couvents du Dahomey IS.

Le témoignage de A. Métraux est massif. Nous aurons l'occasion d'y revenir au cours des pages qui suivront. Notre témoignage personnel viendra mettre en relief tel ou tel élément dahoméen. Cependant il ne faudrait pas exagérer cette similitude et les ressemblances entre les deux vaudou. Il y a eu les effets de la déportation et de la transplantation sur une autre terre qui présentait des structures sociales différentes. S'il est vrai que le système religieux est avant tout la projection du système social dans l'univers surnaturel, selon un adage sociologique bien connu, des mythes ont dû être modifiés; sous les mêmes noms doivent se tenir d'autres réalités conceptuelles selon les impératifs du milieu. La religion du nègre est existentielle: elle fait vivre et aide à vivre ... Elle est au service de la vie de l'homme, et sa vie sur la terre. Les croyances ne sont pas purement spéculatives, elles sont liées au déroulement de l'histoire ... En ce cas qu'a fait Haïti du panthéon fon? Telle est la question à laquelle nous tenterons de répondre maintenant. ..

15. A. Métreaux, op. cil., p. 320, 321.

30

Page 29: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

II

STRUCTURE RELIGIEUSE

Les deux exemples que nous venons de donner, du Brésil et de la Trinité, attes­tent hautement la fidélité à l'Afrique, en face du monde des Blancs. Mais à Haïti, d'où les Blancs ont disparu, le vaudou a pu évoluer pour constituer non plus à proprement parler, une religion africaine, mais bien, maintenant, la religion «natio­nale» de Haïti, expression moins d'une volonté de «retour à l'Afrique» qu'au contraire, de la communauté paysanne de l'île, dans ce qu'elle a d'original et de spécifique.

(Roger Bastide, Les Amériques Noires, p. 144)

Les observateurs superficiels se tiennent généralement au niveau de la terminologie et de la philologie du langage religieux haïtiens, et s'empressent de conclure à l'identité des deux religions d'Haïti et du Dahomey. C'est ainsi que souvent nous-mêmes, nous avons entendu de certains Haïtiens qui n'ont fait que visiter le Dahomey:

mô se sé mêm bagay ak la mon cher c'est même chose avec dans Mon cher, c'est la même chose que chez nous.

kay nu. maison nous.

De notre côté, pendant notre enquête à Allada, il a suffi seulement que nous nommions quelques Iwa haïtiens (Ogou, Legba, Dambala) et qui sont des vaudou dahoméens pour que tout de suite on dise:

nu dokpowè chose seule c'est C'est la même chose.

L'illusion est donc grande et facile des deux côtés. Cela est inévitable si l'on ne va pas jusqu'à la structure religieuse elle-même, c'est-à-dire le type d'arrangement propre aux deux systèmes, et qui est fonction de l'histoire vécue par chacun des deux peuples.

31

Page 30: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

R. Bastide que nous avons cité plus haut, A. Métraux, dans son livre Le Vaudou haïtien, les deux se sont révélés très sensibles à la valeur sémantique des mythes religieux des deux religions. A. Métraux, dans la conclusion de son livre, parle « des transformations qui se sont produites dans la personnalité et les attributs des divinités incorporées au vaudou », de « la dégradation subie par les religions africaines importées en Haïti ». Il parle encore « de la façon dont la mythologie dahoméenne a été déformée», « des échos affaiblis d'une tradition extrêmement riche, appauvrie au point d'en être méconnaissable 1 ».

A. Métraux caractérise le phénomène religieux dahoméen retrouvé en Haïti de quatre manières: transformation, dégradation, déforma­tion, appauvrissement. Sans doute, le plus heureux des termes est celui de transformation. Car les mythes et les rites des religions ne sont pas idéalistes : ils sont fonction des conditions historiques de la vie de la société qui les fabrique. Ce sont les impératifs du temps, de l'espace et des structures sociales qui donnent aux mythes et aux rites leur spécificité.

R. Bastide; dans Les Amériques Noires, parle de « change­ment» 2. Il rejoint par là A. Métraux lorsque celui-ci parle de « transformation». Nous-même, nous' parlerons de réinterpréta­tion. La vie en Haïti nécessitait l'ajustement du système africain et dahoméen aux conditions historiques de St-Domingue différentes de celles que les Nègres avaient laissées sur le continent africain. Ce fut d'abord l'esclavage, puis la guerre de l'Indépendance, ensuite l'implantation paysanne après la libération, enfin la lutte perp­étuelle contre le paupérisme, les déficiences des structures socio­économiques, etc. Le milieu haïtien a exercé une véritable pression, - pression spécifique selon les moments de l'histoire, - sur le Nègre pour que celui-ci donne un nouveau contenu aux mythes et aux rites emportés d'Afrique; pour qu'il adapte ses croyances et ses pratiques aux nécessités de l'histoire. C'est pourquoi les expressions comme celles de dégradation, déformation, appauvrissement, ne saisissent pas l'essentiel du phénomène qui s'est produit par la transplantation du Nègre de la terre d'Afrique à celle de St­Domingue. Le fait de la réinterprétation des mythes et des rites

1. A. Métraux, op. cit., p. 320. 2. R. Bastide, Les Amériques noires, p. 145 ss.

32

Page 31: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

étaient une nécessité de l'histoire. C'est ce qu'il nous faut d'abord établir afin que l'on puisse comprendre la spécificité de la structure religieuse du vaudou haïtien et pourquoi celle-ci s'est éloignée de celle du Dahomey.

A. Les différentes influences religieuses

La toute première nécessité de l'histoire, c'est celle qui a été imposée par la rencontre elle-même des ethnies et des races à St­Domingue, chacune apportant son système culturel. Le vaudou haïtien naîtra d'abord de ce brassage de peuples tel que les paragraphes suivants vont le présenter.

1) Le groupe culturel nègre

Tout a commencé avec la découverte du Nouveau Monde par Christophe Colomb. On avait convoité l'or de l'Amérique. il fallait extraire celui-ci et cultiver les terres pour nourrir les nouveaux occupants espagnols. Il s'est tout de suite posé le problème de la main-d'œuvre. Le climat chaud nécessitait des travailleurs adaptés et résistants. On pensa d'abord à réduire les Indiens en esclavage. En moins de dix ans - de 1492 à 1502 - les conquistadors firent mourir plus d'un demi-million de ces premiers indigènes.

Mais déjà avant leur extinction, un prélat catholique, Las Casas, évêque de Chiapa, avait conseillé aux souverains espagnols, dès 1497, de substituer des Nègres aux Indiens. Et bientôt un premier contingent de ces nouveaux travailleurs débarqua à Hispaniola, nom que les Espagnols avaient donné à l'île en lieu et place d'Haïti, tel que les Indiens la nommaient. Ces premiers Nègres durent venir de l'Espagne, achetés des Portugais qui exploitaient déjà ce bois d'ébène depuis le milieu du quinzième siècle. Ces premiers Nègres arrivèrent en 1502. Plus tard, malheureusement on ne sait pas à quel moment, mais très tôt déjà, la traite se fit directement avec les côtes africaines. Et ainsi, Haïti et les autres îles environnantes se noircirent de Nègres.

33

Page 32: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

L'Afrique déversa sur Haïti ses ethnies les plus diverses. Certains auteurs, tel que Moreau de St-Méry, ont étudié en partie ce brassage de populations et ont laissé des listes d'ethnies africaines rencontrées sur les plantations : Sénégalais, Wolof, Foulbé, Bambara, Quiamba, Arada, Mina, Caplaou, Fon, Mahi, Nago, Mayombé, Mandingue, Angolais, etc 3.

Kléber Georges-Jacob a tenté d'ordonner cette nomenclature. Et il cite :

a) Le groupe soudanais, comprenant Wolof, Poula, Bambara, Quimba, Soussou, Mandingue, Malinké, Haoussa, etc.;

b) Le groupe dahoméen, comprenant Arada, Fon, Mahi, Mina, etc. ; c) Le groupe guinéen embrassant Nago, Ibo, Caplaou, etc.; d) Le groupe congolais dont les représentants furent les Fang, les

Mondongue, les Mayombé, les Biafoté, etc. 4.

La composition ethnique de la population noire de ce temps est très importante pour expliquer les modifications à certains vieux fonds de mythes de telle ou telle ethnie, et surtout des mythes dahoméens qui, comme nous l'avons dit, sont prédominants dans le système du vaudou haïtien. Ce fait de la diversité ethnique du groupe culturel nègre n'a pas échappé à Métraux; lorsqu'il aborde - il est vrai, rapidement, - la question de la formation de la religion haïtienne, il écrit ce qui suit :

Que sont devenus en Haïti les autres groupes africains signalés par les documents et la tradition orale? Les Congolais, les Sénégalais, les Mina, ont fini par se noyer dans la masse des Fon et des Yoruba, enrichissant le panthéon vaudou de quelques dieux et introduisant dans la liturgie des danses et des rythmes de musique qui leur étaient propres.

Mais, ajoute-t-il,

Ces apports n'ont pas altéré sensiblement le caractère du vaudou qui, dans sa structure et son esprit, est resté typiquement dahoméen.

Car, nous le savons déjà, et A. Métraux le redit:

Moreau de Saint-Méry, parlant du vaudou dans les dernières années du XVIIIe siècle, constate que ce sont les nègres Arada (c'est-à-dire les Noirs de la côte du Dahomey) qui « sont des véritables sectateurs de vaudoux et qui en maintiennent les principes et les règles S ».

3. Moreau de St-Méry, Description, v. ), p. 26 ss. 4. K. Georges-Jacob, Contribution à l'étude de l'homme haïtien, p. ) 27 ss. 5. A. Métraux, op. cil., p. 22.

34

Page 33: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

Et A. Métraux ajoute ce qui suit : Les différents grouPes ethniques du golfe de Guinée, en dépit de différences linguistiques profondes, possédaient une culture sensible­ment uniforme. Des contacts fréquents et des influences réciproques contribuaient à accroître les ressemblances. Les esclaves venus de cette aire géographique et culturelle n'ont eu aucune peine à combiner leurs différentes traditions et à élaborer en Haïti une religion nouvelle de type syncrétique 6.

A. Métraux n'a donc pas ignoré la spécificité propre de la religion haïtienne. Cette dernière parole le prouve bien. Lorsque nous parlerons plus loin du contenu de la structure religieuse de cette « nouvelle religion de type syncrétique », on verra ce qu'il en est des éléments apportés par les Fon et comment ceux-ci ont utilisé ceux des autres. Voyons auparavant ce qu'il en est du contact culturel avec les Indiens et avec les Blancs.

2) Le contact culturel

a) A vec les Indiens

Du peu de contact culturel entre le Nègre et l'Indien, qu'en reste­t-il? Pratiquement rien.

Cependant quelques objets ou rites vaudou sont attribués à la culture indienne. Ainsi les pierres sacrées dites piè loray ou piè tonnè (pierres d'orage ou pierres de tonnerre), - des objets magiques très redoutés, - seraient des haches et des outils indiens.

Dans les hounfo (temples du culte vaudou) on conserve des amulettes de l'époque indienne. Parmi les instruments de musique, on aurait le tchatcha (hochet) qui scande les danses vaudou. On pense que les vèvè 7 seraient aussi d'origine indienne.

Somme toute, très peu de chose. Car le contact entre les deux groupes ethniques a été de très courte durée et très faible. Les Nègres sont venus parce que les Indiens étaient presque tous décimés, et les bras allaient manqLer.

b) A vec les Blancs

C'est sous le sceau du catholicisme blanc et européen que les Nègres entrèrent en contact avec la culture blanche en Haïti

6. A. Métraux, op. cil., p. 22. 7. Pour le sens, cf. glossaire.

35

Page 34: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

comme en Afrique. Déjà, après la découverte de la côte occidentale de l'Afrique par les Portugais, de 1420 à 1486, le Pape Nicolas V, en 1454, avait accordé aux souverains du Portugal la propriété des terres trouvées par leurs navigateurs. En même temps il leur imposait le devoir d'évangéliser les « idolâtres» et les « infidèles» qui habitaient ces lieux. Plus tard, le Pape Alexandre VI, le 1 4 mai 1493, partagea les parties du globe non encore explorées, entre l'Espagne et le Portugal. L'Espagne eut les terres des Indes de l'Ouest que Colomb venait de découvrir. Elle les recevait encore au nom de l'évangélisation.

Ce devoir d'évangéliser les terres nouvellement découvertes allait bouleverser le système religieux des Nègres. Ceux-ci se sont heurtés de plein front à la culture des Blancs. Ces derniers allaient imposer aux Noirs leurs propres modèles culturels religieux. Les Nègres, de leur côté, ne renonceront pas tout à fait à leur propre héritage culturel. Il en surgira un curieux phénomène de création religieuse dont parle ainsi l'ethnologue haïtien Jean Priee-Mars :

L'un des aspects les plus saisissants et à coup sûr le plus curieux du vaudou, c'est son association avec le catholicisme dans la foi des masses haïtiennes à l'heure actuelle. La confrontation des deux croyances remonte très haut dans les cours des âges depuis l'époque reculée où les Portugais plantèrent la croix sur les côtes occidentales d'Afrique et catéchisèrent bon nombre de païens sur les rives du Congo jusqu'à la période active de la traite entreprise au nom du prosélytisme religieux, par sa Majesté Très Chrétienne. N'est-ce pas ce que Moreau de Saint-Méry entend dénoncer lorsqu'il parle du catholicisme des congolais panaché d'idolâtrie et d'islamisme? En tout cas, à St-Domingue, la justification de l'entreprise coloniale impliquait la conversion globale et obligatoire dans les termes que nous avons déjà précisés ... ( ... ) Sans qu'il fût besoin d'édifier aucune dogmatique, par simple phénomène d'endosmose et par le pragma­tisme de l'action sociale, les croyances lentement réagirent les unes sur les autres, s'amalgamèrent en d'inextricables écheveaux et maximèrent la conduite des hommes de telle façon que leur catholicisme ne fut plus la doctrine de l'Eglise et leur vaudouisme le simple animisme primitif [ ... ] 8.

Jean Priee-Mars, lui aussi a été sensible au problème de la métamorphose des croyances africaines au contact du christia­nisme. Cependant il ne faudrait pas concevoir un cadre trop pacifique à l'élaboration de cette nouvelle culture. Il faut analyser

8. Dr Jean Priee-Mars, Ainsi parla l'oncle, p. 164 ss.

36

Page 35: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

les faits en terme de rapports de fO,rces, de conflits, de stratégies et de manipulations. Voyons les uns et les autres à l'œuvre.

A St-Domingue, le fait fondamental était le baptême obligatoire pour tous les Nègres nouvellement arrivés dans la colonie. Du temps des Espagnols, Nicolas Ovando, nommé gouverneur d'Hispa­niola en 1502, reçut des Souverains Catholiques la recommanda­tion de ne point laisser introduire des esclaves juifs ou maures dans la colonie mais «d'y encourager l'importation des Noirs pourvu qu'ils fussent nés au pouvoir des chrétiens ». Plus tard, lorsque les Français eurent la partie occidentale de l'Ile, - l'actuelle Répu­blique d'Haïti, - un règlement de police fut promulgué en 1664 par M. de Tracy, « lieutenant général pour le roi des îles françaises de l'Amérique». Les maîtres étaient obligés de baptiser leurs esclaves. L'article 2 du Code noir (10 mars 1685) prescrivit expressément ce qui suit :

Tous les esclaves qui seront dans nos Iles seront baptisés et instruits dans la religion catholique apostolique et romaine. Enjoignons aux habitants qui achètent des nègres nouvellement arrivés d'en avertir dans une huitaine au plus tard les gouverneurs et intendants des dites îles, à peine d'amende arbitraire, lesquels donneront les ordres nécessaires pour les faire instruire et baptiser dans le temps convenable.

Le pouvoir royal tenait beaucoup au baptême des nègres. Car aux yeux de Rome qui avait partagé le monde entre les Etats catholiques, l'occupation des terres de l'Afrique et de l'Amérique n'était "justifiée moralement que par la conversion et l'évangélisa­tion des Noirs. C'était la motivation fondamentale de la traite.

Quelle fut donc la réaction des Blancs et des Noirs? Les colons n'avaient aucune dévotion particulière à la conver­

sion des Nègres. Ils étaient dans la colonie pour faire fructifier une affaire. Dès lors seule la rentabilité des entreprises caféières et sucrières les intéressait. Le reste, ils n'en avaient cure. La seule disposition du Code Noir qui fut réellement observée était l'imposition du baptême aux nouveaux arrivés. Cette cérémonie faite, on s'estimait quitte envers Dieu et envers le roi. Ce baptême n'était précédé d'aucune instruction religieuse, et ne fut pas suivi d'enseignement et d'encadrement sérieux pour permettre l'intégra­tion religieuse de l'esclave dans la religion catholique. Les maîtres ne toléraierit pas l'intrusion des religieux dans leurs exploitations. Il

37

Page 36: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

y avait sans doute la crainte de voir leur cruauté et leurs mœurs dissolues dénoncées d'une façon ou d'une autre. Mais beaucoup plus, il y avait surtout la crainte de l'esprit révolutionnaire contenu dans les principes d'égalité de l'évangile. C'est ce qu'un témoin nous apprend :

Les maîtres de St-Domingue, loin d'être fâchés de voir leurs nègres vivre sans religion, s'en félicitaient au contraire, car ils ne voient dans la religion catholique que des sentiments d'égalité dont il est dangereux d'entretenir les esclaves 9.

La rentabilité des entreprises était l'unique souci des colons. Messes, tètes, processions, etc., tout cela était pour eux perte de temps. La religion s'insérait mal dans cette structure d'exploitation outrancière. Aussi, les colons allèrent jusqu'à demander au roi d'obtenir un décret du Pape pour réduire à dix le nombre de tètes d'obligation. Cela diminuait également les chances des esclaves de se rencontrer, d'ourdir quelque révolte. L'isolement était de règle dans la colonie.

Quelle fut la réaction des Nègres face à l'injonction du baptême général? Ils intégrèrent très tôt cette cérémonie religieuse du baptême dans leur propre système, mais après réinterprétation. Ce sacrement servit bientôt à diviser les esclaves en groupes de prestige et devint un critère de stratification sociale dans les plantations et les ateliers. Ainsi les Nègres créoles déjà baptisés dans le catholi­cisme, tiraient de leur ancienneté marquée par le baptême, un motif de supériorité sur les nouveaux venus. Les premiers appelaient les seconds des nègres « bossaI », c'est-à-dire non encore éduqués. Pour comprendre l'insulte qui était ainsi imputée aux victimes, il faut se rappeler que ce terme de « bossaI» était et est encore collé en créole aux animaux non encore domptés : chevaux, ânes, etc. Mais lorsque les nègres « bossaI» reçurent le baptême, leurs congénères plus anciens ne les distinguèrent pas moins d'eux en les appelant du sobriquet «baptisés debout». Le baptême fut donc interprété en terme de distinction sociale.

Il y a plus et mieux. La cérémonie du baptême devint pour le plus grand nombre une occasion de faire ripaille et bombance avec leurs parrains et marraines choisis d'office. Aussi, mal leur en prit

9. P. de Vaissière, Saint-Domingue (1629-1789). La Société et la vie créole sous l'Ancien régime, p. 213.

38

Page 37: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

de se faire baptiser plus d'une fois. Il s'en suivit donc que les Nègres allaient à ce baptême avec un engouement suspect. Le baptême fut compris comme un acte théâtral, un geste à poser sur commande en raison de l'ostracisme dont étaient frappées les religions africaines dans la colonie. Car le même Code Noir prescrivait :

Interdisons tout exercice public d'autre religion que la catholique, apostolique et romaine; voulons que les contrevenants soient punis comme rebelles et désobéissants à nos commandements; défendons toutes assemblées pour cet effet, lesquelles nous déclarons conventi­cules, illicites et séditieuses, sujettes à la même peine qui aura lieu même contre les maîtres qui les permettront ou souffriront à l'égard de leurs esclaves.

Cet édit est formel. Et il est aussi le premier qui frappe la religion des Nègres au point le plus vulnérable: la pratique religieuse elle­même. Il crée officiellement un conflit qui ne sera jamais résolu. Le culte nègre sera ou défendu, ou toléré, mais jamais permis. L'esclave devra s'ingénier pour vaincre cette résistance créée par le Roi au nom, apparemment, d'un certain christianisme, mais exploité par les entreprises coloniales à cause de l'influence catalytique des croyances et de la peur de la magie ou de la sorcellerie nègres. Milo Rigaud a écrit à ce sujet quelques lignes très suggestives :

Les colons ont la terreur des « sorciers nègres» ... Tout au début, on ne parle pas encore de « vaudou, mais de magie, de sorcellerie. En 1701, un nègre, convaincu d'être sorcier et de faire parler une petite figure de terre, fut condamné par la justice d'être brûlé vif... Si on ne brûle pas le coupable, il est roué de coups. En 1698, une négresse était malade, un esclave qui se mêlait de médecine fut trouvé dans sa case. Un petit marmouset de terre ( ... ) était sur un petit siège au milieu de sa case, et le nègre, prétendu médecin, était à genoux devant le marmouset et semblait prier avec beaucoup d'attention. Un peu après, il prit un coui, c'est-à-dire une moitié de calebasse, où il y avait du feu, il mit de la gomme dessus et encensa l'idole ... La punition fut exemplaire pour le malheureux malgré le but charitable qu'il se proposait. Il fut attaché et on lui distribua environ trois cents coups de fouet qui l'écorchèrent des épaules jusqu'aux genoux. Puis on mit le sorcier aux fers après l'avoir lavé avec une pimentade 10.

Les Blancs de la colonie ont eu donc dans cet édit un puissant instrument pour calmer leur angoisse face à la « magie» et à la

10. M. Rigaud, op. cit., p. 48.

39

Page 38: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

« sorcellerie» nègres, et du même coup, un moyen efficace pour défendre et protéger les structures sociales établies, contre toute tentative de regrouper les forces pour saper et renverser le régime colonial.

Quant aux Nègres, ces mesures drastiques ne les désarmeront pas. C'est encore Milo Rigaud qui ajoute : .

La traite a donc pour curieuse conséquence morale, non pas d'abrutir ses martyrs par leurs souffrances, mais plutôt d'exalter leur foi religieuse r.ar une extension de cette foi dans leurs divinités vaudouesques 1.

Il y a mieux. Cet édit prohibant le culte nègre va faire appel à la créativité des esclaves pour continuer à vénérer leurs vandou en commun. Deux autres choses vont entrer en ligne de cause: d'une part, le baptême forcé; d'autre part, l'absence d'instruction reli­gieuse. L'acculturation religieuse du Noir en Haïti va se développer désormais dans cet étau. Voici l'origine du vaudou haïtien.

Le peu de contact que l'esclave eut avec le culte catholique lui a permis d'emprunter aux croyances et surtout aux rites de celui-ci, ou bien pour enrichir ses propres rites ou bien pour dérober ces derniers à la connaissance des Blancs. Il y aura int~gration rituelle et dogmatique, digestion de la religion catholique par les croyances africaines. Le groupe congo, formant le lot des domestiques et dont nous .avons parlé ci-devant, était le principal agent entre les deux cultes et le principal vecteur entre le rassemblement cultuel des esclaves et l'assemblée dominicale des Blancs. Ce groupe complè­tera l'information des esclaves qui ne suivaient pas leurs maîtres jusqu'à l'église ...

Tous les domaines vont s'approvisionner à cette nouvelle source que sont les croyances chrétiennes: les mythes des /wa, la liturgie, l'anthropologie, la cosmologie, etc. Contentons-nous de rappeler ici brièvement les deux domaines les plus apparents : l'espace et le temps.

Dans le domaine spatial, des modèles furent créés et qui marquent encore le vaudou haïtien. Ainsi, des objets rituels catholiques furent intégrés par les Nègres dans leur propre culte : chapelets, croix, crucifix, chromos' ou statues des saints, etc. Plus tard, après l'Indépendance, quand la religion négro-africaine

11. M. Rigaud, op. cit., p. 51.

40

Page 39: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

pourra enfin vivre en plein air, on élèvera des autels surmontés de croix comme ceux des catholiques, mais on ne les appellera pas moins pé, du nom des buttes sacrificielles dahoméennes. Ces objets donc furent introduits dans le système, se combinant avec d'autres issus des souvenirs de l'Afrique. Il y a eu une nouvelle composition avec ce riche apport.

Quant au domaine du temps, les choses ne se passèrent pas moins bien. Un certain nombre de difficultés' se présentaient pour concilier à la fois le calendrier religieux africain avec celui qui était possible dans la colonie. Il fallait suivre le rythme des fêtes des Blancs, puis, dans la journée choisir le moment favorable. Aussi, les réunions avaient lieu secrètement, la nuit, dans les bois. Puis, les grandes tètes catholiques, occasion de réjouissances générales, servaient d'occasion aux principales célébrations nègres. C'est ainsi, et même de nos jours encore, le cycle des tètes de la Noël jusqu'à l'épiphanie, la Toussaint et la tète des morts, - réin­terprétée et devenue tète des ancêtres, -les Jours gras, la Semaine Sainte (la mort du Christ remplaça, le deuil des ancêtres royaux). Toutes ces tètes devinrent les temps forts de l'année religieuse des Nègres. Puis, des dates vinrent rythmer le reste de l'année, mais toujours en harmonie avec celles des Blancs. Car, pour camoufler à ces derniers l'existence des /wa et leur culte, les esclaves intégrèrent les saints catholiques du calendrier romain dans le système de représentations symboliques nègres, mais après réinterprétation. Et ainsi les saints, avec leurs lithographies ou leurs statues, vinrent à signifier les vaudou africains ou plutôt les /wa coloniaux. Car ces esprits africains, eux aussi, reçurent de nombreuses modifications dans leurs mythes à cause de la double réalité physique et sociale de St-Domingue. Dès lors, les tètes de ces saints, - appelées fêtes patronales jusqu'ici en Haïti, - devinrent celles des /wa que les Noirs ont reconnus dans les premiers. C'est sans doute ici que les Nègres ont montré le plus de génie. Les mythes des /wa retrouvè­rent leurs homologues dans les légendes des saints, ou encore seulement dans la représentation lithographique de ceux-ci. Des formes d'expression des croyances catholiques servirent à garnir la nouvelle religion qui se formait. Et ainsi, dans un système très cohérent, tel ou tel saint plutôt que tel ou tel autre fut pris et intégré à la position voulue sans modifier le réseau des relations structurales dans l'héritage africain.

41

Page 40: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

Et voici quelques exemples de cette réinterprétation :

Saints catholiques St Pierre ............................... . St Patrice .............................. . La Vierge des 7 Douleurs ............... . St Expédit ............................. . St Jacques Majeur ...................... . St Jean-Baptiste ........................ . etc .................................... .

Lwa haïtiens Legba Dambala Ezili Agoué Ogou Férail Chango etc.

Et ainsi, les vaudou africains ne furent pas privés de célébration en temps opportun.

On adopta aussi des prières catholiques, des «oraisons» que l'on retrouve encore de nos jours en vente dans beaucoup de villages, et que l'on porte comme amulettes. Les sacrements catholiques, eux aussi, furent intégrés. De nos jours encore, le houngan peut prescrire d'assister à la messe en l'honneur de tel ou tellwa en tel ou tel lieu, à tel ou tel jour, ou bien de faire dire une messe pour les morts, ou plus précisément pour tel ou tel mort. Il peut prescrire aussi de faire chanter un Magnificat, un libera, un Salve Regina, etc. par un prêtre afin de conjurer tel mauvais sort.

On a aussi repensé les sacrements catholiques en terme africain. La communion fut conçue pour fortifier tel ou tel lwa. On alla jusqu'à organiser des vols d'hosties consacrées par l'intermédiaire des communiants pour tel ou tel office vaudou. L'hostie n'était pas avalée, mais habilement dissimulée dans un mouchoir et apportée au houngan. Le baptême fut considéré nécessaire, non pas pour le salut éternel, mais pour que les médicaments (les remèdes-feuilles) prescrits par le lwa loko puissent être efficaces. Le houngan ne soigne pas les non-baptisés. Nous avons déjà vu comment ce sacrement de baptême était aussi interprété en terme de distinction sociale. Cela s'appelle encore de nos jours

ré tiré swal nâ tèt mun rétirer cheval dans tête personne Chasser le cheval de la tête de quelqu'un.

C'est-à-dire faire passer l'individu du stade de l'animalité à celui de personne. Et, de nos jours encore, lorsqu'on veut signifier à un enfant trop turbulent qu'il doit se conduire en être intelligent, on dit:

42

Page 41: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

u pa ti bêt Vous pas petite bête Vous n'êtes pas un petit animal,

u sé krétyê Vlva Vous êtes chrétien vivant Vous êtes un chrétien plein de vie.

Ou bien l'on dira à quelqu'un qui se conduit d'une façon inconsidérée :

kumâ ! gêl' u pâ ko batizé Comment! il semble vous pas encore baptisé Comment! il semble que vous ne soyez pas encore baptisé!

Ainsi, non seulement le baptême donne un statut social, en Haïti, c'est ce sacrement qui, dans l'esprit des gens, donne au nouveau-né le statut de personne. Le non-baptisé n'est pas un homme. Cette idée est un reliquat du temps colonial, comme nous l'avons montré plus haut.

Le mariage vint à sceller l'union avec tel ou tel /wa, principale­ment le /wa Ezili, cette femme amoureuse, sensuelle et débauchée.

Les lieux sacrés furent aussi assimilés. C'est ainsi que de nos jours encore, la Croix du cimetière - celle qui est à l'entrée - est l'habitacle des /wa guédé, ces vaudou des guédévi qui furent délogés de Cana (Dahomey) par les Fon et vendus comme esclaves en Haïti. Une chose demeure, c'est que ces Guédévi étaient réputés comme sorciers dès le Dahomey. Les lieux de pélerinage catholique devinrent, après l'Indépendance, des hauts-lieux vaudou, et leurs fêtes patronales, de véritables fêtes vaudou où se rendent les pélerins-serviteurs-des-/wa. Citons seulement

Lieux Torbeck Baconnois Trou-du-Nd Miragoâne Anse d'Hainault Ville- Bonheur F ond-des-Nègres Acul-du-Nord Limonade Bord-de-mer de Limonade St-M ichel-du-Sud etc.

Saints Patrons St Joseph St Yves St Jn Baptiste

Fêtes 19 mars 19 mai 24 juin

Notre-Dame du Mont-Carmel 16 juillet

St Jacques Majeur Ste Anne Ste Philomène St Michel Archange etc.

25 juillet 26 juillet 21 août 29 septembre etc.

43

Page 42: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

Et c'est amsl que les pèlerinages chrétiens européens ont été vite interprétés comme le rendez-vous en un lieu sacré vaudou et sont vécus jusqu'ici dans cet esprit. C'est autant de lieux pour implorer les Iwa figurés sous le revêtement de ces saints. Une fois de plus, l'attachement africain à la vie a eu raison du système occidental. Celui-ci est digéré.

'C'est dommage que finalement l'on n'ait pas de documents sur l'exercice du culte vaudou durant la majeure partie de l'époque coloniale. C'eût été tellement intéressant de suivre au fil des ans ce processus d'acculturation religieuse. Mais il faut attendre seulement la mi du dix;.huitième siècle pour avoir quelque écho de cette création et de cette activité religieuse. A cette époque, nous disposons de quelques témoignages précis sur la symbiose des rites africains et catholiques.

Par exemple, un arrêt de Règlement du Conseil du Cap (1761) faisait savoir que les membres d'assemblées religieuses secrètes d'esclaves « mêlaient souvent les choses saintes de notre religion à des objets profanes d'un culte idolâtre 12 ».

Le Père Labat, de son côté, écrit :

Les nègres font sans scrupule ce que faisaient les Philistins; ils joignent l'arche avec Dragon et conservent secrètement toutes les superstitions de leur ancien culte idolâtre avec les cérémonies de la religion chrétienne 13.

Le mot de superstition ne convient pas ici. Car il existait un corps de croyances et de rites bien organisés, et qui s'épanouissaient en pratiques religieuses intelligibles seulement aux initiés et aux fidèles eux-mêmes. R. Bastide note justement :

Lorsque les fidèles vont donc jusqu'à identifier Shangô, par exemple, à saint Jérôme, il n'y a pas lieu de parler de superstition ou d'absurdité logique; dans un système très cohérent, ils s'identifient en effet, parce qu'ils occupent la même place intermédiaire dans un réseau de liaisons et qu'ils jouent les mêmes fonctions; contrôler les forces du feu, diriger la foudre seulement sur les méchants [ ... ] 14.

Il faut donc accorder la plus grande attention à cet important facteur de création de mythes qu'est la rencontre du Nègre avec le catholicisme. Les termes dépréciatifs ne font pas pénétrer à

12. Moreau de St-Méry, Lois et constitutions des colonies françaises, p. 4, p. 384. 13. R. Bastide, op. cit., p. 161. 14. R. Bastide, op. cit., p. 158.

44

Page 43: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

l'intérieur du phénomène et ne l'expliquent pas non plus. Dans le cas présent qui nous préoccupe, savoir: les relations du vaudou dahoméen avec celui d'Haïti, et les survivances mythiques et rituelles qui perdurent, il faut dire que les pressions de conversion du milieu blanc sur le milieu nègre ont effrité les formes et les modes de croyances dahoméennes et africaines. Le vaudou haïtien est une religion de type syncrétique et métissé, un peu comme les mulâtres haïtiens eux-mêmes. Il ne faut pas être surpris si finalement le vaudou a gardé et conservé sa spiritualité et sa mystique africaines sous un vêtement bigarré de gestes catholiques. Cela est hérité du catholicisme espagnol lui-même, de caractère plus social que mystique, du moins tel qu'il se manifeste dans toute l'Amérique latine. il ne faut pas oublier que l'Espagne gouverna l'Ile de 1492 à 1625, année où le tiers occidental - l'actuelle République d'Haïti - passa à la France. Si les résistances se sont manifestées au niveau des pratiques essentielles de la religion africaine, il faut l'attribuer à l'esprit systématique des Dahoméens.

R. Bastide, lui-même, le fait remarquer:

Ethniquement, le syncrétisme est d'autant plus prononcé que l'on passe des Dahoméens (Casa das Minas) aux Yoruba et, de ces derniers, aux Bantous, les plus perméables de tous aux influences extérieures 15.

Cette réflexion de R. Bastide permet de comprendre pourquoi en Haïti où il y eut partout un groupe imposant d'esclaves dahoméens et arada le noyau religieux africain a plutôt gardé les marques de l'ethnie fon, et pourquoi le vocabulaire religieux du vaudou haïtien est à prédominance fon. Ainsi, il n'est pas étonnant que malgré les identifications de vaudou africains aux saints catholiques, le syncrétisme haïtien est relativement modéré si on le compare à celui du Brésil où prédominent les Yoruba, Cuba également, Trinité, Yoruba et Fon, et déjà la différence est remarquable, enfin Haïti où les Fon étendent leur hégémonie culturelle négro-africaine. Le tableau suivant élaboré par R. Bastide 16 est très suggestif à cet égard :

15. Père Jean-Baptiste Labat, Nouveau voyage aux îles d'Amérique, v. 4, p. 132. 16. R. Bastide, op. cil., p. 163.

45

Page 44: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

SAINTS BRESIL CUBA TRINITÉ HAïTI ~ ~ (Yoruba) (Yoruba) (Yoruba) (Fon) 0'\

(Fon) trl ~

Jésus-Christ ................... Obatala Obatala Ayizan >< Notre-Dame du Rosaire ........ Yemanja trl Notre-Dame de la Chandeleur .. Oshum Z Notre-Dame de la Conception .. Oshum (Porto Alegre) ~ Notre-Dame des Plaisirs ........ Oshum (Recife) -La Vierge de la Règle ......... Yemanja >

CIl Notre-Dame de la Charité ...... Oshum ." ~ater r>olorosa ............... Ezili 0 Sainte Anne ................... Anamburucu (Oshum) ~

Sainte Catherine ............... Oba (Oia) (A vlekete) > Saint Benoît .................. Obatala Saint Patrick .................. Dambala-Ouédo Saint Antoine ................. Ogun Da Zodji Legba Saint Georges ................. Oshossi (Bahia)

Ogun (Rio de Janeiro) Oshossi Saint Jérôme .................. Shangô (Shakpanan) Saint Hubert .................. transformé en St Albert Oshossi (Obo Zuin) Saint ~ichel .................. (Ogun) Saint Sébastien ................ Omolu Saint François ................. Irôco Orumilla (Osain) Saint Roche ................... Omolu Saint Lazare .................. Abaluate (le plus vieux

des Omo lu) Babaluayê Saint Jean-Baptiste ............. Shângô (Shangô) (Sobo) Saint Pierre ................... Eshu (Porto Alegre) Agun Legba Les ames du Purgatoire ........ Elegba Le Diable ..................... Eshu (Bahia, Recife,

Rio) Saint Cosme et Saint Damien .. Les Ibeji Saint Expédit 17 ••••••••••••••••

Les Jimaguas Les ~arassa Agoué

17. Ajouté par nous-même.

Page 45: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

Ce tableau comparatif montre bien la différence entre les ethnies au plan du syncrétisme par correspondance vaudou-saints.

Au Dahomey, la représentation de la divinité par une image anthropomorphe est beaucoup moins fréquente qu'en Nigéria, ce qui explique sans doute la rareté des idoles en Haïti, alors qu'au Brésil, où les Yoruba sont très nombreux, les figurations anthropo­morphes des dieux sont relativement fréquentes 18.

Jusque-là donc le génie religieux fon a marqué Haïti. Dans le cas du syncrétisme haïtien, on se dirige plutôt vers une

certaine abstraction, comme dans la religion fon d'ailleurs. Les Nègres d'Haïti ont finalement reconnu très peu de leurs /wa dans les saints catholiques (p. 47). C'est un fait qu'on rencontre très peu de statues de saints catholiques dans les hounfo. Il en est autrement des chromos. Ceux-ci sont beaucoup plus expressifs grâce aux couleurs vives (rouge, vert, bleu, jaune) qui frappent la vue dès qu'on pénètre dans le lieu sacré de prière. Mais ces chromos des saints ne sont pas pour autant une identification pure et simple avec tel ou tel /wa. Le raisonnement est abstrait. Ces saints sont interprétés comme autant d'intermédiaires, comme les /wa, pour garder et accroître la force vitale, guérir les malades, etc. Ils sont considérés comme les /wa des Blancs. On surimpose donc le système de ceux-ci sur celui du négro:-africain. Ou plutôt il se passe ce que R. Bastide dit du syncrétisme spatial :

Ce qui caractérise le syncrétisme spatial, c'est que, de par la nature même des objets qui vont s'y insérer et qui sont des solides indéfonnables, le syncrétisme ne peut ici être fusion, il reste sur le plan de la co-existence d'objets disparates. C'est ce que nous avons appelé plus haut le syncrétisme en mosaïque 19.

Il y a pour ainsi dire juxtapoqition des éléments. C'est ainsi que si l'on considère le type de dévotion affective et maladive qui se déroule autour de la chapelle de Notre-Dame du Perpétuel Secours au Bel-Air de Port-au-Prince, à celle de Châlons, près de Mira­goâne, et même dans toute Haïti autour de cette Madone, c'est le terme de « Secours» (en créole, sécou) qui a orienté l'esprit des Nègres haïtiens et l'a fixé sur cette Vierge, patronne d'Haïti. Il faut voir les femmes, les bras largement ouverts, qui répondent à cette invocation :

18. A. Métraux, op. cit., p. 23. 19. R. Bastide, op. cit., p. 159.

47

Page 46: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

Notre-Dame du Perpétuel Secours Rép. Secourez-nous.

Et même, cette Sainte est finalement dénommée «Pèpétie/» (Perpétuel) dans le langage courant. Et l'on dit plus fréquemment encore: « Manman Perpétie/». Et l'on ajoute: « Gadé pitite ou ». Or, cette Vierge n'a pas de correspondance parmi les /wa haïtiens: elle est implorée dans l'esprit même du culte vaudou, c'est-à-dire dans la perpétuelle recherche d'intermédiaires pour garder et accroître cette force vitale. La plupart des saints catholiques sont priés de cette manière. Et que de fois, on entend

Mâmâ Pèpétyèl ba mwê los ak kurai Maman perpetuel, donne moi force avec courage Maman perpétuel, donne-moi force et courage.

C'est à ce niveau précis que se situe la dévotion aux Saints catholiques.

Cette juxtaposition dont nous parlons, nous la retrouvons actuellement chez les Fon du Dahomey. L'autel des jumeaux (hoho houé) cohabite avec le crucifix dans la même famille chrétienne. C'est le même processus qu'en Haïti. Il y a cumul en vue d'une efficacité recherchée coûte que coûte. Cela frise la magie, dirait-on. C'est difficile à dire dans le cas d'Haïti, et dans celui du Dahomey. Car, ici on est encore dans le domaine de l'adoration, du respect. Le hoho houé relève de la tradition ancestrale, tandis que le crucifix, la statue de la Vierge viennent des Blancs. Et c'est ainsi aussi qu'après les funérailles traditionnelles, on clôt ces cérémonies par la messe catholique des défunts. En tout cas, en ce qui concerne le phénomène d'assimilation du christianime, dans les deux cas, les saints sont plutôt vus comme d'autres intermédiaires - ceux des Blancs -. Et ils sont juxtaposés aux vaudou familiaux.

C'est ainsi que lorsque, plus haut, nous avons parlé des lieux de pèlerinage catholique comme de hauts-lieux pour la piété vaudou, nous n'avons voulu en aucune manière faire croire que dans ces églises se déroulent des cérémonies vaudou. Non, mais la dévotion y est vécue à la façon vaudou. Ces églises sont juxtaposées aux hounfo, comme au Dahomey les églises le sont aux hounfo familiaux. il faut tenir aux deux pour continuer à exister.

Nous n'allons pas nous arrêter plus longuement sur ce sujet. Il fallait seulement retenir que même dans le syncrétisme haïtien, le

48

Page 47: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

fon y a mis aussi sa marque. Le syncrétisme nègre en Amérique n'est pas uniforme comme on tendrait à le croire. R. Bastide nous en a dissuadé, et son tableau est une preuve irrécusable du sceau des génies ethniques sur les diverses religions locales négro-africaines. Et c'est ainsi que, dans le cas du vaudou haïtien, au lieu de vouloir coûte que coûte syncrétiser tel/wa avec tel saint catholique, on s'est efforcé plutôt de consacrer aux esprits africains des arbres dits «pié-boi-sèvi» ou encore « piè-boi-réposoi». Pratiquement' chaque /wa haïtien a son «pié-boi-sèvi». On reconnaît assez facilement l'agencement dahoméen « vaudou-aman» (vaudou-feuilles). C'est qu'au Dahomey chaque vaudou a ses feuilles qui sont médicinales presque toutes. Cela est si vrai que les vieux généralement disent :

vaudû /è amâ wè nyi vaudou les feuilles c'est être Ce sont les feuilles qui sont les vaudou.

C'est que les feuilles sont toute la médecine indigène. Celles-là deviennent, par leurs vertus, les symboles mêmes du pouvoir surnaturel des vaudou, au service des hommes. Dans le cas haïtien, les «pié-boi-sèvi» ou « pié-boi-réposoi» ne sont pas choisis en fonction de leurs valeurs médicinales. Généralement ce sont des arbres fruitiers : orangers, avocatiers, etc., sauf le fromager (le mapou), l'arbre des lwa guédé. Ce dernier arbre suit un autre symbolisme. Cependant on remarque très bien le lien entre les arbres fruitiers qui sont de véritables providences dans un pays où la faim est chronique, et les /wa qui sont aussi les assistants immédiats de l'homme dans la lutte quotidienne. Le fromager, lui, est choisi comme gîte des /wa de la mort, justement à cause de son ambiguité : il est grand et ne donne aucun fruit. Il est à la fois vivant et mort, mort en ce qu'il s'agit de la substance de l'homme. Si on ne peut pas dire des /wa haïtiens comme l'on dit des vaudou dahoméens, que ce sont les arbres qui sont les /wa, n'empêche qu'ils sont plus facilement associés à l'essence végétale comme au Dahomey qu'avec les statues ou les saints catholiques, comme chez les Yoruba du Brésil, de Cuba ou de la Trinité.

Voilà donc ce qu'il en est de la rencontre du Nègre avec les autres groupes ethniques à St-Domingue. Le génie du Fon s'est toujours fait remarquer. Il s'est imposé dans la constitution du vaudou haïtien jusque dans le syncrétisme de celui-ci. Dans cet ordre d'idée, signalons encore un dernier point dans la « juxtaposi-

49

Page 48: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

tion» dont nous avons parlé ci-devant. Il s'agit des prières catholiques utilisées dans les cérémonies cultuelles du vaudou haïtien. Elles sont employées absolument selon la tradition fon elle­même, c'est-à-dire tout au début de la cérémonie. C'est ce que signale R. Bastide et que nous-même nous avons constaté :

Si nous passons du monde des représentations collectives à celui des gestes rituels, nous nous trouvons en présence de processus hétéro­gènes ... ( ... ) Les moments du temps peuvent, comme les objets de l'espace, continuer dans leur syncrétisme, le moment chrétien restant chrétien et le moment africain, africain, se juxtaposant seulement comme des volumes dans l'espace. ( ... ) A Haïti, les cérémonies du Vaudou commencent par des prières catholiques, pas forcément prononcées par les prêtres-savanes, destinées à appeler la bénédic­tion divine sur l'assemblée qui va se tenir 20.

Ainsi, la prière d'introduction, si elle a été empruntée au catholi­cisme, et même si elle est habituellement dite par le substitut du prêtre catholique, généralement son sacristain qui est appelé « père­savane », il n'est pas moins vrai que cette prière se trouve située à sa place normale dans la cérémonie fon, c'est-à-dire au commence­ment. Et, comme chez les Fon, c'est l'unique et seule prière.

Maintenant que nous avons vu l'action du Fon dans le syncrétisme haïtien, il reste à savoir ce qu'il en est dans la constitution du système vaudou lui-même. C'est l'objet maintenant de notre démarche.

B. - Le système des êtres spirituels

Nous entendons par système l'ensemble des éléments unis les uns aux autres qui forment un tout indissociable. Les êtres spirituels sont ceux-là que les Haïtiens conçoivent comme des esprits et qui appartiennent au monde invisible. Ces êtres spirituels, ces esprits, n'existent pas isolément. Ils sont classés, arrangés selon des normes, et ils forment un tout cohérent. C'est ce que nous verrons dans la suite. Mais en même temps, nous essaierons de discerner ce qui a survécu dans le système haïtien et qui est un reliquat fon.

20. R. Bastide, op. cil., p. 164.

50

Page 49: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

Le système haïtien des êtres spirituels est des plus compliqués en raison même du syncrétisme avec le catholicisme. On peut dire qu'il existe deux grands groupes. D'abord, à l'arrière-plan de la pensée religieuse du peuple, existent le Bon Dieu des chrétiens, Jésus­Christ (dit St-Sauveur), la Vierge, tout le cortège des saints, les anges: les bons anges et les démons, tel que l'enseignent l'Eglise catholique et sa théologie occidentale. Quel que soit le développe­ment que nous donnerons ultérieurement sur le groupe suivant, on ne devra pas oublier celui-là qui se trouve toujours au subconscient de l'Haïtien et à l'arrière-plan de sa pensée religieuse. Car cet enseignement catholique mal assimilé et indigeste a structuré les consciences d'une certaine manière. Mais d'emblée, il faut le dire: cet ensemble catholique fait partie non pas de la culture chrétienne, mais de la culture vaudou, car il est interprété et vécu comme les autres éléments du système vaudou, et donc les éléments africains eux-mêmes, sauf qu'on les attribue aux Blancs. On utilise ces éléments «blancs», selon l'expression haïtienne elle-même, pour leur efficacité dans la lutte pour vivre. Les gens sont-ils allés plus loin dans la systématisation? Non. Nous verrons plus loin comment l'un ou l'autre de ces éléments s'inséreront dans le système haïtien lui-même. Une chose est certaine: on n'est pas resté au plan catholique.

Ensuite, il y a les «esprits» africains. Eux captent toute l'attention des serviteurs des /wa. Ce sont ceux-là qu'on a organisés et au sujet desquels on a édifié une mythologie. C'est l'objet essentiel du culte vaudou : servir les /wa. On peut ainsi classer le système haïtien. Premièrement au-dessus du panthéon et en dehors de celui-ci existe Dieu que les Haïtiens appellent «Papa Bon Dieu ». Puis, il y a les /wa qui sont les adjoints de Dieu. ensuite, les jumeaux, les «morts». Enfin, il y a également le «diable» dont l'intervention dans le monde visible n'est que maléfique. Le « diable» haïtien est un être syncrétique issu de l'enseignement catholique et des croyances africaines dans la force maléfique, existant comme telle. L'enseignement catholique a permis de personnifier celle-ci, et le contenu sémantique du « diable» haïtien est syncrétique. Voyons maintenant cela de plus près.

51

Page 50: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

1) La notion de Dieu

Le peuple haïtien a la bouche pleine du nom de Dieu Papa bô Dyé Papa bon Dieu Dieu, notre bon père

Démê si bô Dyé vlé Demain si bon Dieu veut Demain, si Dieu veut.

Telle sont les deux expressions que, si l'on est attentif au fait, l'on remarquera continuellement sur les lèvres de l'Haïtien. La pre­mière, c'est le nom même de Dieu. Les mots mêmes disent la représentation qu'en a le peuple. C'est un «bon papa». A. Métreaux l'a très bien saisi lorsqu'il écrit :

Le mot « Dieu» revient constamment dans la bouche des paysans haïtiens, mais il serait faux d'en conclure qu'ils le craignent ou même qu'ils s'en soucient beaucoup. Lê « bon Dieu» est Deux otiosus, s'il en fut. Il n'évoque à l'esprit aucune image précise et il est trop lointain pour qu'il y ait avantage à s'adresser à lui. « C'est un bon papa débonnaire, incapable de se fâcher et de se faire craindre, et avec qui on saura se débrouiller lorsqu'il faudra lui rendre compte de sa vie. Il n'est donc pas besoin de s'astreindre à le servir 2 •

Cette notion d'un Dieu bon et inoffensif est fondamentale dans le vaudou haïtien. Cela remonte bien loin dans l'histoire d'Haïti. Voici la prière que fit le houngan Boukman à la cérémonie vaudou du 14 août 1791, lors du pacte de sang des esclaves juste la veille de la guerre de l'Indépendance :

Bô Dyé ki fè solèy Bon Dieu qui faire soleil Bon Dieu, qui as fait le soleil ki kléré nu â ho qui éclairer nous dans haut qui nous éclaire d'en-haut, ki sulvé lâmè qui soulver mer qui soulèves la mer, ki fè loray grondé qui faire orage gronder qui fais gronder l'orage,

21. A. Métraux, op. cit., p. 72.

52

Page 51: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

zot yo tandé autres vous entendre vous autres, entendez, bô Dyé la kasé Bon Dieu être là caché Bon Dieu est présent, caché nô nyaz yo dans nuage les dans les nuages é la li gadé nu et là il regarder nous et là, il nous regarde li wè tu sa blô fè il voir tout ce que blanc faire il voit tout ce que le blanc fait bô Dyé pa mâdé crim bon Dieu pas demander crime Bon Dieu ne veut pas qu'on commette le crime é pa nu vlé dibyê et par nous vouloir bien et le nôtre veut le bien 22

mê Dyé la ki si bô mais a Dieu ce qui si bon mais ce Dieu qui est si bon, li mâdé nu vazas il demander nous vengeance il nous ordonne la vengeance, li va kôdi nu il aller conduire nous il va nous conduire, l'a ba nu asistôs il aller donner nous assistance il va nous donner assistance, zeété potré Dyé blô jeter portrait Dieu Blancs jetez l'image du Dieu des blancs 23,

ki swèf dlo nâ ze nu qui soif eau dans œil nous qui a ~oif de l'eau de nos yeux, kuté libèté ki nô kè nu écouter liberté qui dans cœur nous écoutez la liberté qui est dans notre cœur 24.

22. Il Y a opposition entre le Dieu des Blancs et celui des Nègres. 23. Ce verset s'en prend au Dieu qu'on a inculpé aux esclaves dans les leçons

rudimentaires de catéchisme. 24. Ce texte est rapporté par le Dr Jean Priee-Mars, op. cil., p. 42. La traduction

littérale et littéraire est de nous.

53

Page 52: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

Telle est la prière que le houngân Boukman a faite au début de la cérémonie vaudou du Bois-Caïman qui devait être le point de départ de la prise d'armes générale des esclaves sur toutes les plantations et qui devait aboutir à la proclamation de l'Indépen­dance d'Haïti le 1er janvier 1804. Ce texte est un credo d'une particulière importance. Il est encore la toile de fond de toute la croyance haïtienne en un Dieu bon, inoffensif, doux; créateur, souverain maître de toutes choses, invisible; omniprésent, juste, vengeur de l'innocent, secourable, aimant passionnément l'inno­cent, c'est-à-dire celui qui n'est ~oupable d'aucune faute vis-à-vis de l'homme son frère. Dieu, protecteur, vengeur de l'innocent entendu en ce sens, est même l'objet d'un proverb~ haïtien

bé! sâ ké, bœuf sans queue, Le bœuf qui n'a pas de queue, bô Dyé pusé mus pu li bon Dieu chasser mouche pour lui Le bon Dieu chasse les mouches pour lui.

Dieu ne laisse pas périr ceux qui ont besoin de son aide et qui sont dépourvus de tout secours. Assez curieusement, nous retrouvons le même proverbe chez les Fon :

kâli e ma do si a e 0 animal qui ne pas avoir queue pas l'animal qui n'a pas de queue, gbè wé nô nyâ nature c'est (avoir habitude de)chasser c'est la nature qui chasse les mouches sukpo n(u)' i mouche pour lui pour lui.

C'est le même proverbe, acculturé. La nature est personnifiée chez les Haïtiens: c'est le « Papa Bon Dieu ». Cependant l'influence fon est très nette dans cette théologie de Dieu qui est fondamentale pour l'Haïtien: Dieu est le protecteur des innocents, des orphelins, des abandonnés, des persécutés. Et que de fois, quand quelqu'un a été protégé d'un malheur, on entend dire

gê yu bô Dyé pu ma/éré il y a un bon Dieu pour malheureux il y a un Bon Dieu pour les malheureux

54

Page 53: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

C'est-à-dire Dieu veille sur ceux qui sont dans le malheur, sur les petits, les pauvres... Cette théologie est un pur produit de l'esclavage. Car c'est à longueur de journée que l'Haïtien s'écrie:

bô dyé bô Bon Dieu bon Dieu est bon!

C'est-à-dire Dieu fera en sorte que le malheur ne fonde pas sur la personne pour qui on invoque le Protecteur. Et c'est pourquoi l'on entend souvent :

bô dyé papa mwê Bon Dieu papa moi Bon Dieu, mon papa!

ou encore bô dyé mama mwê Bon Dieu maman moi Bon Dieu, ma maman!

ou encore

bô dyé sé u ki tut mwê Bon Dieu c'est vous qui tout moi Bon Dieu, c'est vous qui êtes mon tout!

Autant d'invocations qui mettent Dieu en opposItIon avec la méchanceté des hommes, ou encore qui en font la force suprême et le dernier recours contre le dysfonctionnement des structures. On le sent: l'Haïtien s'est donné un Dieu qui est un antidote à sa misère physique et morale. C'est un Dieu qui a été forgé dans l'enfer de l'esclavage et de l'exploitation du Nègre à St-Domingue. Car pour l'Haïtien, Dieu est au-dessus de tout. Il est le Maître souverain. Et c'est pourquoi souvent le paysan se contente seulement de dire

grâ mèt la Grand Maître le Le Grand Maître

en nommant Dieu. Car, dans l'arrière-pensée de l'Haïtien, Dieu est au-dessus de tous les « Maîtres» qu'il a eus et qu'il a encore, et qui détiennent toutes sortes de puissances, politiques, économiques, militaires, etc. Dieu est le Souverain. Et c'est lui qui rétablit l'équilibre. Et c'est pourquoi souvent afin d'attester son innocence, l'Haïtien dit :

55

Page 54: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

papa bô. dyé u wè mwê Papa Bon Dieu vous voir moi Papa Bon Dieu, vous me voyez!

C'est-à-dire vous êtes le seul témoin, le seul juge de mon innocence, de ma sincérité ... C'est qu'en définitive, l'Haïtien se remet au seul Juge impartial auquel il croit. Cet homme fonde cette foi sur son expérience de la condition humaine du Nègre telle que celle-ci a existé à St-Domingue et a continué à exister très longtemps encore dans la Haïti indépendante. Si cet homme n'a pas créé de mythes discourant sur son Dieu, il n'a pas moins de celui-ci une connaissance existentielle, vécue. Dieu est celui à qui il remet son sort quant à la vie d'ici-bas, puisque les structures sont un perpétuel défi à toute vie' humaine.

Ainsi le Dieu haïtien est très différent du Dieu fon. Car les conditions de l'élaboration de la connaissance de Dieu dans les deux cas sont très différentes. Le fon n'a pas connu sur la terre dahoméenne cette existence entravée par l'esclavage. Tous les Vieux interviewés répondent en tout premier lieu :

Mawu gbèdoto wè n'i Mawu propriétaire du monde c'est pour lui. Mawu est le propriétaire du monde 2S.

Nous reviendrons plus loin sur la signification. des termes eux­mêmes. Acceptons pour tout de suite que Mawu désigne Dieu. Pour le Fon, ce n'est pas le fait brutal de l'esclavage qui lui a imposé la connaissance de Dieu, Mais le monde et son contenu. Le monde qui est à son service, qui en est en définitive le propriétaire? Le Fon répond: Dieu. C'est que dans l'organisation sociale, les usufruitiers du sol n'en sont jamais en définitive les propriétaires. Il faut toujours remonter à l'ancêtre, et de là remonter encore plus haut, et là on trouve Mawu, Dieu. Cette connaissance est encore existentielle, vécue, mais à partir des structures sociales. Dieu est celui qui a le' monde:

gbè monde (ou plutôt) l'immensité c'est-à-dire l'espace vide

25. Cf. plus loin, p. 77 ss.

56

Page 55: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

do = avoir, au sens strict, faire, au sens large 26

to = Celui qui

D'où Dieu est le créateur du monde (de l'immensité). Et c'est pour cela tout dépend de lui. Dès lors,

Car

é nyi nu daxo il être chose supérieure il est l'être suprême.

é do wèkè bi il avoir monde tout il est le propriétaire du monde.

Et c'est pourquoi

do nukô nukô ô M awu wè é nô do dans devant devant le Mawu c'est on hab. dire en tout premier lieu, c'est le nom de Dieu qu'on dit.

C'est qu'il est l'être transcendant, ou plutôt le transcendant. Cette transcendance se manifeste tout d'abord dans l'histoire :

e nô do Mawu jro 0 on hab. dire Mawu vouloir On dit : si Mawu veut telle chose, enê ô nu le na ci le alors chose telle (fut.) être telle cela le sera.

La volonté de l'être suprême est transcendante. Voici donc les deux points d'appui de la connaissance Ion de

Dieu : Celui-ci est le propri~taire du monde et sa volonté est souveraine.

Dès lors, il ne faut point être surpris que le Fon se rapporte à Mawu par des invocations existentielles à divers moments de sa vie. C'est que tout est entre les mains de Dieu.

Au moment d'entreprendre un travail, on formule ainsi ce vœu: do Mawu si acè mê ô par Mawu de puissance donc Par la puissance (l'autorité) de Mawu.

~6. Cest ce do avoir qui nous fait traduire gbedoto par propriétaire et non par createur.

57

Page 56: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

On reconnaît que c'est parce que Mawu donne le pouvoir à l'agent que celui-ci peut agir. On n'est pas loin de cette autre formule

kpè Mawu hlôhlô tô grâce Mawu force de Grâce à la force de Mawu!

Si acè fait appel à l'autorité de Mawu comme le Grand Maître du monde - et en cela qu'on se rappelle que la notion de maître est inséparable de celle de propriétaire - hlôhlô souligne la vertu qui fait agir tout ce qui se meut. Donc tout mouvement est une participation au Mouvement de Mawu. Et c'est pourquoi on dit souvent:

o gbèdoto o Propriétaire du monde!

Car - et on le dit encore en guise d'invocation

Nu de hu Mawu do gbè me a chose une plus que Mawu dans monde pas Rien n'est plus grand que Mawu dans le monde!

Et c'est la réponse que l'on fait à celui qui se vante de pouvoir faire un gri-gri contre soi :

na do bo nu we (fut.) faire gri-gri pour toi je ferai un gri-gri contre toi

dit le provocateur. C'est pourquoi quand le malheur fond sur quelqu'un, on lui dit

e jro Mawu 0, e na nyô cela plaire cela (fut.) bon S'il plaît à Mawu, le sort sera bon

Ainsi on remet tout changement de situation possible entre les mains de Mawu. Car il dispose de tout pouvoir. Et c'est pourquoi si jamais un malheur menace, on dit:

Mawu ma lô 0 Mawu ne pas permettre A Dieu ne plaise!

Tout est entre les mains de Dieu. C'est lui qui nous réveille

58

Mawu ni fô mi Mawu que réveiller nous Que Mawu nous réveille!

Page 57: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

Tel est le souhait que l'on se fait avant d'aller se coucher. Et l'interlocuteur répond :

a xo wa di tu frapper venir exaucer Tu as prié et cela sera exaucé.

Ou encore l'on formule ce vœu:

Mawu ni co mi Mawu que garder nous Que Mawu nous garde!

Car tout est entre ses mains

e do Mawu si cela être Mawu main C'est entre les mains de Mawu

dit-on fréquemment. Si Dieu le veut est le sens primordial de cette formule. C'est l'équivalent de cette formule haïtienne que nous vous avons indiquée plus haut

si bô dyé vlé si bon Dieu vouloir Si Dieu le veut!

et qui ponctue toutes les sentences haïtiennes annonçant un futur. Mais le Fon dispose d'une autre formule plus expressive encore:

Mawu na blo Mawu (fut.) travailler Mawu travaillera. (ou encore : Dieu fera)

C'est-à-dire Dieu œuvrera pour qu'en sorte le projet entrepris puisse réussir. Qu'on prenne garde de croire qu'il s'agit d'un abandon, d'un défaitisme quelconque. Car un dicton bien connu éveille bien l'attention :

zé do ko/i M awu na dida we charger sur genoux, Mawu (fut charger-sur-tête toi Mets-toi la charge sur les genoux, Mawu te la mettra sur la tête.

Et cela n'est pas dit seulement de Mawu, l'attention est aussi éveillée en ce qui concerne les vaudou

Ajahuto na deji nu we Adjahoutô (fut) en plus pour toi Adjahoutô t'en ajoutera

59

Page 58: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

C'est-à-dire le vaudou invoqué te donnera par dessus ton avoir, encore qu'il faille posséder et qu'il faille faire en sorte que l'on possède déjà à un certain niveau pour que l'addition vaille la peine.

Voilà donc d'une façon existentielle comment le Fon découvre l'Etre suprême, Dieu. C'est la vie de tous les jours qui lui impose cette expérience. Mais voyez en même temps la différence d'expres­sion avec l'Haïtien. Alors que pour le Fon, Dieu est d'aqord le propriétaire, donc le Maître du monde - parce qu'il l'a fait -pour l'Haïtien, Dieu est d'abord le protecteur de celui qui souffre. Néanmoins si l'on suit les deux - le Fon et l'Haïtien - dans les méandres de la vie, on s'aperçoit bien vite que l'expression haïtienne de la connaissance de Dieu passe par la conceptualisation fon. C'est ainsi que l'expression haïtienne « Grand-Maître» pour désigner l'Etre Suprême ne peut se comprendre sans la· notion de Dieu comme le créateur· du monde (gbèdoto)·. L'appellation haïtienne est finalement une traduction créole du concept fon, et cela, sans trop presser les choses. La notion de Dieu créateur n'est pas absente des deux théologies, et finalement il y a une même manière de l'exprimer. L'Haïtien énumèrè :

Bô Dyé ki fè solèy Bon Dieu qui faire soleil Bon Dieu qui a fait le soleil ki kléré nu â ho qui éclairer nous en haut qui nous éclaire d'en haut ki sulvé lâmé qui soulever mer qui soulève la mer ki fè loray grondé qui faire orage gronder qui fait gronder l'orage ...

Le Fon fait une énumération similaire: seuls les éléments de cette énumération sont différentes. Voici ce que nous avons nous-mêmes recueilli d'un Vieux et que nous avons souvent entendu quand on veut expliciter l'objet de la possession de Dieu ou si l'on veut l'objet de l'acte créateur :

• Gbédoto : créateur. • (Agboué) ou (Agbwé)?

60

Page 59: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

M awu do wèkè bi Mawu avoir monde tout Mawu a le monde entier, bodo ati kpo kâ kpo il avoir arbre avec liane avec il a l'arbre et la liane.

L'énumération complète comprend encore

bo do jinukusi kpo ayikûgbâ kpo et avoir firmament avec terre avec et a le firmament et la terre.

Structure religieuse

Ce qui est intéressant ici, c'est de constater que la syntaxe même de l'expression de la croyance en Dieu de l'un et l'autre peuple se trouve identique. Les lexèmes sont différents, mais la valeur sémantique est la même. Le Fon a dû changer de termes en Haïti en face de ce soleil si splendide et si souriant, de cette mer qui entoure l'île de tous les côtés et qui est si proche (les centres les plus éloignés ne le sont que d'une centaine de kilomètres, et même moins). Il faut aussi penser à ces terribles coups de tonnerre qui retentissent pendant les mois propres aux ouragans et aux cyclones, d'août à octobre. Tout cela a dû contribuer à altérer l'énumération. Mais la forme demeure. Fondamentalement la connaissance du Dieu créateur est puisée dans l'existence du monde, que ce soit chez l'Haïtien ou que ce soit chez le Fon. Et c'est à partir de là qu'on a conclu à sa toute-puissance, à sa force. Celle-ci, en Haïti, est au service des deshérités du sort, et chez les Fon, au service de tous ceux qui entreprennent quelque chose. On ne fait rien sans la force, le concours de Mawu. Cette dernière pensée, l'Haïtien l'a gardée. La conception du Dieu des deshérités est une création purement haïtienne et est ajoutée à la 'couche de sédimentation théologique fon. C'est le sens du

Papa bô dyé Papa Bon Dieu

qui est l'expression la plus courante pour désigner Dieu. Cette expression révèle davantage la conscience de la misère physique, d'abandon, du délaissement. Remarquer le mot papa qui est tout affectif et plein d'onction. Dieu n'est donc pas aussi indifférent qu'on se plaît à le dire à sa création 27. A partir de toutes les

27. Cf. par exemple, J.-B. Romain, op. cil., p. 152.

61

Page 60: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

expressions que nous avons déjà citées, il est clair que l'Haïtien comme le Fon connaît le Dieu transcendant et immanent. Cepen­dant il faut le dire l'immanence est plus estompée. Car il y a ici projection des structures sociales dans la superstructure surnatu­relle. Le Vieux qui est à la tête de la grande famille, tout en intervenant dans la direction de cette communauté, le fait rarement directement, mais plutôt par son représentant ou ses représentants, selon les grandes familles. Qu'il soit dit qu'il y a une brèche ouverte pour comprendre le rôle des « esprits », donc des vaudou ou des Iwa haïtiens. Mais enfin, ici, c'est l'explication des deux notions de transcendance et d'immanence qui nous intéressent. Si physique­ment Dieu est considéré comme éloigné, mais existentiellement, il est très près de la pensée et des lèvres du peuple haïtien et fon; et cela selon une même syntaxe.

Cette notion d'éloignement ou de proximité de Dieu nous amène à parler de Dieu lui-même. Qui est-il pour l'Haïtien et pour le Fon, ou plutôt pour ce dernier avant le premier? Plus haut nous avons répondu plutôt à la question : qu'est-il?

Qui est Dieu? Ici encore la théologie haïtienne comme la théologie fon n'est pas spéculative, elle est plutôt vécue. La première semble venir de la seconde. A ce sujet, voici ce qu'écrit l'ethnologue haïtien J.-B. Romain, dans son livre Quelques mœurs et coutumes des paysans haïtiens, après une enquête menée sur le terrain :

Cette figure austère du panthéon haïtien qu'est Papa Bô Dyé offre, par certains traits, des ressemblances avec Se ou Mawu l'être suprême des Dahoméens. Nous retenons ici deux de ces traits communs. Le premier est ce détachement, cette attitude d'indiff­érence vis-à-vis de l'objet même de leur création: le monde 28 ( ••• ) Le deuxième trait de ressemblance entre Mawu et le Grand Maître est l'état d'imprécision qui règne, relativement à leur sexe. Pareille confusion existe au sujet de Mawu. La mythologie le fait passer tantôt pour hermaphrodite, tantôt pour la partenaire de Lisa. En outre, une collection royale du musée d'Abomey représente ce père des dieux avec des seins cloués au thorax. Ainsi, aucune certitude sur sa nature mâle ou femelle 29.

De ce texte il ressort que l'Etre Suprême des Haïtiens comme celui des Fon est conçu sur le même modèle. Qu'il soit dit en passant

28. Il en est de même pour la théologie de la religion traditionnelle africaine en général.

29. J.-B. Romain, op. cit., p. 152.

62

Page 61: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

ceci: il y a eu très peu de chercheurs - et nous n'en connaissons pas - à part J.-B. Romain, qui furent sensibilisés à ce problème théologique du Discours des deux peuples sur la nature de leur Dieu. Le Dieu-couple ou principe double comme base de la théologie des Fon est un fait que tous les chercheurs ont souligné. Denise Paulme écrit :

Au sommet du panthéon (fon), un principe double, Lisa-Mawu, correspond aux divisions Est/Ouest, soleil/lune, homme/femme, etc.; parfois aussi Lisa/Mawu est tenu pour un androgyne. Ce créateur a partagé l'Univers entre ses quatorze enfants, donnant à chacun un domaine particulier : le ciel, la terre, la pluie ... JO

G. Parrinder développe plus longuement le mythe fon : [Les Fon du Dahomey] croient en un dieu suprême, Mawu, et un grand nombre d'autres divinités, qui lui sont apparentées. Mais Mawu appartient tantôt au sexe masculin, tantôt au sexe féminin. Ce dieu a un compagnon appelé Lisa et tous deux sont considérés comme jumeaux. Un mythe raconte que ces jumeaux naquirent d'une mère primordiale, Nana Buluku, qui créa le monde et se retira. Mawu était la lune, être féminin, qui gouvernait la nuit et demeurait à l'occident. Lisa était le soleil, de nature masculine, et vivait à l'orient. Quand ils occupèrent les places qui leur furent assignées, ils n'avaient pas d'enfants, mais ils se rencontrèrent à la faveur d'une éclipse. Lors d'une éclipse de soleil ou de lune, on dit que Mawu et Lisa font l'amour. Les jumeaux primordiaux, le couple Mawu-Lisa, furent les parents de tous les autres dieux. [ ... ] On dit qu'un jour, Mawu-Lisa rassemblèrent leurs enfants et attribuèrent une fonction à chacun d'eux ...

Et l'auteur conclut de cette manière : Notons que l'Etre Suprême est souvent appelé Mawu, sans que le nom de Lisa soit mentionné, et, dans la pratique, on constate une tendance à unir ces divinités, sans qu'il soit question de nature masculine ou féminine 31.

Nous reviendrons sur cette conclusion très importante. Car elle nous met en rapport avec un phénomène nouveau et très intéressant, celui de l'acculturation probable de la théologie fon par le contact avec l'Occident chrétien.

A. Le Hérissé, de son côté, relate ainsi son enquête : Mawu est un « vaudoun» féminin qui habite l'espace, du côté de l'Orient. Il réussit un jour à joindre Lisa, le caméléon, qui résidait à

30. Denise Paulme, Les civilisations africaines, p. 108. 31. G. Parrinder, Mythologies africaines, p. 21.

63

Page 62: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

l'Occident. Les deux divinités s'aimèrent. Elles regagnèrent ensuite leur demeure dans l'espace et entre elles apparut le fruit de leur amours, Aghé, la terre. Il existe parmi les objets ayant appartenu à Ago-li-Agbo, successeur de Béhanzin, une statue de bois qui représente Mawu. Bien qu'elle soit de fabrication récente, elle ne manque pas d'intérêt. Sa couleur rouge rappelle celle de l'aurore; entre ses mamelles énormes -symbole de maternité - pendent des chapelets de cauris (coquillage blanc qui sert de monnaie) et dans une de ses mains elle porte un croissant, car Mawu est le dispensateur des richesses et lance les astres dans leur course de chaque jour. Nous n'avons pas trouvé d'autres images de Mawu. On voit des caméléons, au contraire, représentés partout, sur des bas-reliefs, en peintures murales ( ... ) Mais ce ne sont pas là autant d'images du grand vaudoun Lisa. Il ne faut y voir que les copies des images vivantes que lui-même a disséminées dans la brousse, pour rappeler aux humains comment il peut colorer l'horizon chaque soir d'une façon différente. Le culte de Mawu, épouse de Lisa et mère d'Aghè est relativement récent au Dahomey. On raconte que c'est la mère de Tegbésou (cinquième roi) qui l'importa d'Adjahommê où elle était née. Et cela paraît exact, car les divinités ont chacune un temple dans une des parties du palais, sous la surveillance spécüile de la vieille femme, qui représente la mère de Tégbèsou. Ces temples ne sont aujourd'hui que de misérables cases rondes à toit pointu et en chaume. Leurs dimensions ne dépassent pas un mètre de diamètre et trois de hauteur totale. Par leur emplacement respectif ils rappellent la légende: à l'ouest s'élève celui de Mawu, à l'est celui de Lisa et au centre celui d'Aghé.

A. Le Hérissé pose le mythe en terme d'actualité:

Le Mawu ainsi honoré est-il le même que le Mawu, créateur de l'Univers, qui préside le système religieux des Dahoméens? Nous n'avons pu obtenir là-dessus que des éclaircissements peu précis. Cependant le fait que ce vaudoun fut importé d'un pays adja, pays d'origine des Aladahonou, permettrait de résoudre cette question par l'affrmative. La dualité n'existerait plus alors que dans le culte et la légende, modifiés sans doute par les Aladahonou au cours de leurs migrations 31.

Pierre Verger apporte cette explication très éclairante :

Mawu, considéré comme dieu suprême par les Fon et les Ewé, est aussi, chez eux, l'élément féminin du couple des dieux créateurs Lisa et Mawu. Ce même couple est appelé Obatala ou orishala et Yémowo à Ifè d'où il est venu.

31 bis. A. Le Hérissé, l'Ancien Royaume du Dahomey, p. 127.

64

Page 63: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

Et l'auteur écrit en note : Lisa dérive de (0 )risha(la). Les Fon transforment les r en 1, c'est ainsi que iroko est devenu loko, Mawu vient de (Yèyè)mowo 32.

Au sujet de Obatala, le même auteur écrit:

Obatala appelé aussi orichanla (le grand Orisha) est le dieu de la création pour les Yoruba. ( ... ) Obatala, dans son temple à Ilé-Ifé, lieu d'origine de toutes choses, suivant la tradition Yoruba, est figuré assis, ayant à son côté sa femme Yémowo (ou Yéyé mowo). Ils forment ensemble le couple créateur symbolisant la dualité « ciel­eau ». [ ... ] Chez les descendants des Yoruba établis il y a fort longtemps sur les rives du Mono à Doumé les partenaires du couple créateur prennent les noms de Lisa et Mawu. ( ... ) Le culte de Lisa et Mawu fut importé à Abomey, l'ancienne capitale du Dahomey, par Na Wangelé, mère du roi Tègbéssou (1728-1775); les prières et les louanges des dieux de ce temple sont faites en vieux Nago de la région de Doumé 33.

On peut donc dire que la conception fon d'un couple créateur plonge ses racines dans une source yoruba. Et cette croyance s'est promenée dans tout le Bas-Dahomey avec la migration des Yoruba allant de l'est à l'ouest, et vice-versa, de la Côte des Esclaves. Aujourd'hui, c'est le terme de Mawu qui est resté pour désigner l'Etre Suprême. C'est sans nul doute dû à l'acculturation en raison des contacts avec l'Occident déjà depuis un temps très reculé.

De cette tradition il en est resté quelque chose en Haïti. « ( ... ) Le paysan haïtien invoque l'être suprême, indifféremment comme un homme ou comme une femme 34». En effet il s'écrie continuelle­ment:

bô Dyé papa mwê bon Dieu papa moi Bon Dieu, mon papa

ou encore: bô Dyé mâmâ mwê bon Dieu maman moi Bon Dieu ma maman.

Et dans le même temps, il parle de Grâ mèt la Grand Maître le le Grand Maître

32. P. Verger, Dieux d'Afrique, p. 17. 33. P. Verger, Dieux d'Afrique, p. 175. 34. J.-B. Romain, op. cit., p. 152.

65

Page 64: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

Parfois aussi, le paysan dit papa bô Dyê mwê papa Bon Dieu moi Bon Dieu, mon papa!

A ce moment-là, il s'adresse à un Dieu père, donc de principe masculin.

La conclusion que nous tirons de cet examen, c'est que cette indétermination, ou plutôt cet état d'imprécision du sexe du Dieu de l'Haïtien remonte à des traditions lointaines apportées par les esclaves ron.

Autre chose a demeuré. Les auteurs ont fait remarquer que les deux points cardinaux est-ouest, orient-occident, sont liés aux deux principes mâle et femelle du couple divin. Mawu est liée à l'est, à l'orient; Lisa, à l'ouest, à l'occident. Chose curieuse, on retrouve des réminiscences en Haïti. C'est ainsi que le paysan haïtien, avant de commencer son travail des champs tôt le matin, au lever du soleil, se tourne d'abord vers l'est et fait le signe de la croix. Pour lui, il invoque

Sê Niko/a Saint Nicolas.

Puis, il se tourne vers l'ouest et refait le même geste. C'est pour invoquer

Sê Sovè Saint Sauveur.

Et quand on l'accuse Injustement et qu'il veut proclamer son innocence, il se tourne vers l'est, fait le signe de croix et dit :

Sê Niko/a u wè mwê Saint Nicolas, vous voir moi Saint Nicolas, vous me voyez

Et invoque de la même manière à l'ouest Saint Sauveur. Le nom de St Nicolas est sans doute lié à la légende de ce même saint sauvant les petits enfants tués par le boucher et ressuscités par lui. Celui de St Sauveur est lié plutôt au Christ du calvaire. C'est' lui que l'Haïtien appelle Saint Sauveur. Car il a été toujours présenté comme sauveur par les missionnaires. C'est finalement le nom qu'il a gardé. Et comme en créole, le mot sauver est parfaitement identique de sens à celui du français, on comprend finalement quel

66

Page 65: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

est le sens que l'Haïtien a donné au Christ. C'est lui qui délivre de tout danger.

Mais en fait, et c'est ce qui est intéressant, ce n'est ni St Nicolas, ni St Sauveur que l'Haïtien prétend invoquer lorsqu'il agit ainsi, mais Dieu lui-même qu'il a identifié sous ces noms au soleil levant et au soleil couchant. Le même astre présentant deux phénomènes différents à l'aurore et au déclin du jour reçoit deux noms différents. Pourquoi ne dit-il pas simplement Papa Bon Dieu, selon son habitude: il faut croire que liant l'Etre Suprême à cet astre, la majesté de celui-ci lui fait redouter la grandeur de Dieu. D'où on ne nomme pas son nom à ce moment précis: le symbole impose autre chose. C'est alors qu'intervient le choix si bien approprié de St Nicolas et de St Sauveur pour signifier Dieu. Ce qui est intéressant dans ce fait, c'est la réminiscence de l'orient et de l'occident, de l'est et de l'ouest comme lié au principe divin. Cette tradition viendrait­elle nécessairement des Fon? On a raison d'en douter. Car « Pour beaucoup de peuples (de l'Afrique Noire), autrefois pasteurs, c'est le soleil qui est, par excellence, le symbole de Dieu, car il donne lumière, chaleur et vie; le soleil « manifeste Dieu », il « le fait connaître », il est « l'œil de Dieu », disent les Masaï et les Waka-ny­ama. Aussi se tourne-t-on vers l'est pour réciter sa prière du matin et, le soir, vers l'ouest, pour faire sa prière du soir 3S ». Et donc, dans le cas de l'Haïtien, son symbole, ce n'est pas seulement l'orient ni l'occident comme tels, mais il faut plutôt parler du soleil levant et du soleil couchant, en retenant que son esprit est tout d'abord polarisé par cet astre. Il y a là un glissement à partir de la tradition fon. Car l'Haïtien n'oppose pas comme fait cette dernière le soleil à la lune (soleil/lune) comme l'élément masculin l'est à l'élément féminin, l'homme à la femme. Cette représentation n'existe pas en Haïti dans la théologie de Dieu, de l'Etre Suprême. Il n'existe pas non plus l'opposition symbolique ciel-terre, ou ciel-eau, liée à l'opposition d'un double principe masculin et féminin existant en Dieu, l'Être Suprême. Il n'existe aucun symbole en ce sens. Tout a été lessivé, emporté par le contact avec le christianisme et la catéchèse. Le seul point précis de similitude qui demeure, c'est l'état d'imprécision quant au sexe.

Demeure aussi au plan liturgique l'ab&.ence de culte pour Dieu

35. Louis-Vincent Thomas et René Luneau, Les religions d'Afrique noire, p. 47.

67

Page 66: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

comme Être Suprême. On ne le sert pas. Toute l'attention est retenue par le culte des « esprits» responsables du bon ordre de l'univers. En cela, c'est un phénomène commun à toute l'Afrique Noire: si l'Etre Suprême est connu et parfois invoqué, il n'a, en revanche, d'autel nulle part, et nulle part on ne lui offre de sacrifices.

Demeure encore l'étonnante facilité avec laquelle le paysan haïtien jure par le nom de Dieu sans que pour autant il soit sincère:

â vérité dyé en vérité Dieu C'est la vérité, Dieu!

entend-on souvent, et c'est la formule la plus courante de serment. On l'emploie sans crainte. Mais on ne le fera pas avec cette autre:

Tônè bulé mwê Tonnerre brûler moi Que le tonnerre me brûle!

Car on a peur de la foudre. Il n'en est pas différent avec la coutume telle qu'elle existe encore

aujourd'hui au Bas-Dahomey. Bernard Maupoil l'atteste : Par ailleurs, tout Européen ayant vécu dans le Bas-Dahomey remarque avec quelle facilité les Noirs prennent à témoin Mawu, notamment lorsqu'ils sont dans leur tort. Ayant eu mainte fois à remplir les fonctions de juge instructeur en divers lieux du Bas­Dahomey, nous observâmes que le fait d'invoquer Mawu était l'indice presque assuré d'un faux témoignage. Les dépositions sincères ne contenaient que très rarement une allusion au grand vaudou.

Et l'auteur donne cette explication : L'explication de ce phénomène est fort simple: Mawu est le nom par lequel les Missionnaires chrétiens désignèrent leur dieu. Pourquoi choisirent-ils Mawu qui, dans le couple créateur, est femme? Les noirs l'ignorent, mais ils s'étonnent parfois de constater que l'Occidental distingua dans leur panthéon M awu, principe femelle, pour le matérialiser dans les catéchismes sous les espèces d'un vieil homme barbu. Lorsqu'au tribunal un témoin ou un inculpé désire faire une fausse déposition, il est donc normal qu'il invoque Mawu devant le juge européen, signifiant ainsi, par une restriction mentale qui le met à l'abri de toute sanction, non pas son dieu, mais celui de l'homme blanc. Invité à prononcer le même serment sur son vaudou, le parjure hésite, refuse; s'il accepte, il doit inventer une autre restriction mentale, ou faire un sacrifice expiatoire en rentrant chez lui 36.

36. B. Maupoil, La Géomancie à l'ancienne côte des Esclaves, p. 69.

68

Page 67: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

De part et d'autre on retrouve donc le même phénomène. Et nous­mêmes, ici à Allada, et un peu partout ailleurs où nous sommes allé, nous avons retrouvé la formule haïtienne « En vérité, Dieu» sous une forme aussi brève en fon : Mawu, dit-on simplement, quelquefois en levant la main vers le ciel.

Voilà tout ce qui existe de similitude et de dissemblance dans la conception haïtienne et fon de Dieu, l'Etre Suprême. Il nous faut maintenant passer aux intermédiaires entre Dieu et les hommes, et qui régissent le monde pour le plus grand bien de ceux-ci.

2) Les lwa et les vaudou

En Haïti comme au Dahomey, ce qui est à l'avant-plan des préoccupations religieuses ce sont les «esprits» établis par Dieu pour régir le monde. De cette manière, ces « esprits» ont en main les principaux éléments qui doivent assurer la vie de l'homme. D'où tout le soin et toute l'attention pour se concilier les bonnes grâces de ces « esprits », et l'ampleur du culte qu'on voue à ceux-ci. C'est que la vie même fait toucher du doigt l'étroite dépendance de l'homme par les nécessités et les impératifs quotidiens de la vie.

C'est très facilement que l'on étiquette les Iwa haïtiens d'origine dahoméenne et particulièrement fon. Qu'en est-il du système lui­même? C'est par ce biais que nous continuerons cette étude comparative.

Il nous faut au préalable établir une précision. Lorsqu'on parle des Iwa et des vaudou, on les appelle toujours des intermédiaires. Le terme n'est pas tout à fait juste. Car les uns et les autres, dans la pensée de l'Haïtien et du Fon, ne font point le va-et-vient entre Dieu et l'homme. Ces « esprits» sont créés responsables de tel ou tel secteur du monde et détiennent les pleins pouvoirs en ce qui concerne leur domaine. Ils n'ont pas à présenter la prière des hommes à Dieu. Ils reçoivent les supplications et les demandes des humains, les exaucent ou les rejettent. Et en tout cela, les Iwa et les vaudou agissent en dernière instance, sans appel. C'est ce qu'un vieux fon nous expliquait lui-même. Lorsque, dit-il, un vaudou punit quelqu'un et que celui-ci va se plaindre à Mawu, celui-ci saisit le plaignant par les bras, le jette dans la position assise et dit : « Toi, reste ici, et vous, vaudou, continuez votre travail». Et le

69

Page 68: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

vieux d'ajouter: « Le vaudou ne fait que ce que Mawu lui a prescrit comme œuvre à accomplir». Le /wa et le vaudou sont des ministres souverains, bien sûr, dans les limites fixées par Mawu.

Cette considération nous amène à parler de la classification des /wa et des vaudou selon leur domaine. Les /wa haïtiens sont répartis selon les quatre éléments suivants: eau, air, terre, feu 37. Ils sont ainsi classés. Chez les Fon, la division est moins rigoureuse, et la hiérarchisation des « esprits» est différente. Les vaudou occupant le premier rang dans le culte sont d'abord les ancêires vaudouifiés et les vaudou appartenant au culte familial ancestral. C'est de loin le groupe le plus important à Allada où nous menons encore notre enquête. Cela établit une différence très importante avec la religion locale haïtienne. Celle-ci ne comprend pas d'ancêtres vaudouifiés, si ce n'est peut-être que l'empereur Dessalines 38, le héros de la guerre de l'Indépendance d'Haïti et le fondateur de la patrie Haïtienne. C'est le seul héros, devenu /wa, que nous sachions. En cela, l'Haïtien a suivi la ligne du génie religieux africain qui « divinise» généralement tous les héros fondateurs ou civilisateurs. Mais il faut le dire le /wa Dessalines n'a pas du tout dans le culte haïtien l'importance dont jouit le héros fondateur Adjahouto qui a conduit les Fon de Tado à Allada, et vaudouifié dans la suite. Ici, il s'agit d'un véritable ancêtre : « Notre père Adjahouto», disent les Alladanou. Le culte de ce père a un relief que ne connaît nul vaudou. Sa fëte est célébrée avec éclat par toute la collectivité dans une euphorie indescriptible. Il n'y a pas ce type de culte en Haïti. Dessalines est « servi» (privément) par ses hounsi. Un autre homme « divinisé» dans la religion locale haïtienne, et très connu, c'est Makandaf39. C'est un houngan, magicien et guérisseur, martyr des colons. « Condamné comme empoisonneur et révolté, il fut brûlé en 1758 au Cap. Nous verrons plus loin son histoire. Lui, non plus n'a pas de culte «national».

Cette différence entre les deux religions est d'ordre structural. C'est-à-dire elle ne nous réfère pas seulement à la forme extérieure de la religion, mais plus profondément à la loi interne de l'esprit. L'esprit fon est cristallisé autour de l'ancêtre, les autres vaudou ne

37. J.-B. Romain, op. cil., p. 156. 38. J.-B. Romain, op. cil., p. 168. 39. J.-B. Romain, op. cil., p. 167.

70

Page 69: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

sont que des « esprits» adventices, d'ailleurs découverts et rangés ultérieurement, dans le contact avec les autres ethnies. Voici ce que le Professeur J. Lombard, qui a enquêté avant nous à Allada, a recueilli :

On dit d'Allada, écrit-il, qu'elle était « la ville aux mille fétiches» et ce nombre serait sans doute au-dessous de la vérité, s'il fallait comprendre tous les sous-groupes et les différentes filiations de chaque culte 40.

Il Y a tout d'abord les « fétiches» autochtones d'Allada-Togoudo, ceux des Daviénou, chefs de la terre. Le principal est celui de Tefdo, qui a été déifié et dont le tombeau se trouve dans un petit bosquet, à l'ouest d'Allada, où réside d'ailleurs son prêtre Teïdonon. Sa famille comprend sa femme, Wan et ses ancêtres, dont Sogan, Gangbo, Ganza, Zekpon, Dovizuhi, ainsi qu'Aziza, génie des forêts, qui a appris la musique aux hommes. Puis, le fétiche Ava vient au second rang. Il y a ensuite, et ce sont de loin les plus importants, les cultes dépendants d'Adjahuto, celui d'Adjahuto lui-même, qui possède deux grands prêtres, l'Adjahutonon daho et l'Adjahutonon kpévi, son adjoint d'Alomé [ ... ]. Parmi les autres cultes dans la famille d'Adjahuto, Awanloko et Awanlokosu, ancêtre mythique de celui-ci et le plus important « fétiche », Gandjo, sa femme, Awisu, Anasi-Gbésu, ses fils, Alaton, Sakpata-Yénu; le Sakpata d'Adjahuto, Huniton, Domélokowé, Kpohué, Hévo, Sokon, Akaba-Houesu, déification du roi d'Abomey Akaba, réunis dans la famille d'Adjahuto, avec Lansu et Ghana, ses frères, Midjo, A vésu, Aïzandjé, etc. Viennent ensuite les cultes d'Abomey, liés plus ou moins à celui d'Adjahuto, comme Agasu, les Nésuwé des rois, etc. Enfin les groupes cultuels étrangers, ceux venus de la région de l'Ouémé, comme Siligbo, Wésyo, Gbodo, Awangola, Datin, Tossa, Aïzun, Saféloko et surtout Gbosikpon, Dovo et Massé; ceux venus du lac Ahémé, comme Hébiosso, Avlékété, Agbé et d'autres régions comme Sakpata, Mawu et Lisa 41.

On le sent donc: le fond archaïque du culte d'Allada est familial. Il est constitué d'abord par l'héritage de Tado augmenté des déifications faites sur place. Puis on y a joint le panthéon familial des Daviénou, les occupants du sol d'Allada - qui s'appelait alors Davié - à l'arrivée des Sadonou. Les vaudou appartenant à la famille royale d'Abomey ou déifiés par celle-ci, ont été implantés à Allada-village,et non à Allada-Togoudo, après la prise d'Allada

40. J. Lombard, op. cit., p. 54. On lit en note: On sait en effet qu'un culte est constitué comme une famille. C'est par le nom du père qu'il est désigné, mais il a de nombreuses femmes et des enfants qui ont chacun leur nom particulier.

41. J. Lombard, op. cil., p. 54.

71

Page 70: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

par le roi Agadja (1724). C'est alors que celui-ci entreprit de créer de toute pièce l'actuel Allada-village qui devait lui servir de pied-à­terre pour envahir le royaume de Savi afin de s'approprier le port d'esclave de Wida et, par Allada, contrôler la route de la traite menant à l'intérieur du pays. Tous ces vaudou qui occupent l'avant-plan du culte fon nous montrent bien la différence de structure entre les deux religions haïtienne et fon. Et c'est pourquoi quand il y a une célébration religieuse collective ici à Allada, soit en l'honneur d'Adjahouto, soit en l'honneur de Tédo, comme ce fut le cas en mars dernier, et tous les deux ans, cette tète prend une allure de manifestation familiale, - nous l'avons déjà dit. - C'est qu'on célèbre des ancêtres. Et s'il s'agit des vaudou familiaux, on vit la célébration comme une communion avec les gestes rituels ou encore avec la volonté des ancêtres. Or, de tous ces vaudou, aucun n'a survécu dans l'actuelle Haïti, c'est peut-être parce qu'ils n'y sont jamais allés. Car, si leurs prêtres n'ont pas été vendus, comme esclaves, comment aurait-on pu les connaître, connaître leurs rites, leurs chants, etc. La traite n'avait pas donc atteint le corps sacerdotal d'Allada, du moins celui des Sadonou au moment de la constitution du culte haïtien. C'est ce qui explique l'absence de ces vaudou. Tandis qu'il en est autrement des vaudou des groupes cultuels étrangers dont parle le Professeur Lombard. Ceux-ci constituent le fond même du culte haïtien. C'est très compréhensible parce que ce furent leurs prêtres qui ont constitué, sans doute, le principal contingent du lot sacerdotal vendu à St-Domingue. Et ce sont les vaudou de ces groupes cultuels étrangers qui sont ainsi divisés en quatre groupes en suivant les quatre éléments, eau, air, terre, feu. Cette classifica­tion est celle-même qu'ont apportée ces prêtres avec, bien sûr, quelques modifications là-bas par l'introduction de /wa créés sur place ou encore par d'autres processus ..

Mais nous devons souligner deux exceptions. Il s'agit des deux vaudou Agassou et Azili; le premier, ancêtre mythique de la famille royale d'Abomey; le second, un vaudou dit tohossou de la famille des Ninsouhoué, culte propre à la famille royale d'Abomey. Le premier est classé parmi les vaudou de la terre, le second a gardé son appartenance à l'élément liquide: c'est un /wa habitant les eaux douces. On les a fait donc entrer tant bien que mal dans la classification faite par le corps sacerdotal majoritaire. Et pourquoi

72

Page 71: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

ce furent exactement ces deux vaudou qui furent emmenés? La vérité, peut-être on ne la saura jamais. Mais il faut croire que l'un ou l'autre prêtre d'Abomey ou encore - un ou des membres influents exilés à Haïti, par exemple du type de Gaou Guinou, le père de Toussaint Louverture, et ministre de la guerre du roi d'Allada, - ont été expatriés en Haïti et ont introduit le culte de ces deux vaudou. Mais finalement ceux-ci ne sont plus «servis» dans la même perspective. Quand aux Sadonou d'Allada, ils n'ont pas de vaudou familial à Haïti.

Voyons tout cela d'un peu plus près.

a) Les /wa des eaux

Le premier des «esprits» aquatiques haïtiens et l'un des plus populaires des /wa est Danbala. On peut même dire qu'il occupe la première place dans la hiérarchie de ceux-ci. Son nom lui vient, dit J.-B. Romain, de « Dangbé serpent, et Allada, capitale de l'ancien royaume d'Adra 42». Ce n'est pas tellement juste. Mais si l'on se réfère à la langue elle-même. Il s'agit de Dan, qui désigne en fon le serpent, la couleuve, et non de Dangbé, comme on le croit le plus souvent en Haïti, ce qui a amené J.-B. Romain à écrire ce qui suit:

Son nom vient de la contraction de deux mots: Dangbé, serpent et Allada, capitale de l'ancien royaume d'Adra. Dan ou encore Dangbé, est un python non vénimeux, considéré par les Dahoméens comme un génie. Il reçoit les hommages dans des temples dont les plus importants se trouvent à Ouidah et à Porto-Novo 43 ».

Ce que dit J.-B. Romain vaut pour Dangbé «Pytho regius », python royal, divinité des Houéda. Son temple était d'abord à Savi. C'est après la conquête de cette capitale par Agadja en 1727, que le culte fut transféré à Ouidah (Gléhoué) 44. D'ailleurs on ne voit pas très bien comment finalement les Haïtiens auraient pu associer le Dangbé à l'eau. Or, ce Dan dont il est question est un vaudou aïzij qui est représenté par une tige de fer imitant le serpent. Ce vaudou habite l'espace où il se manifeste sous la forme d'arc-en-ciel, et qu'on appelle Dan Ayidohouédo. On le représente aussi par deux petits pots à couvercle (Zin) avec deux serpents roulés dessus (Dan mâle et Dan femelle) 4S.

42. J.-B. Romain, op. cit., p. 156. 43. Ibid., p. 156. 44. R. P. B. Segurola, Dictionnaire fon-français, 2e éd. 1968, p. III. 45. R. P. B. Segurola, op. cit., p. 110.

73

Page 72: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

Ce Dan serait l'un des plus vieux vaudou étrangers possédés par les Fon. Car les Aïzô étaient les voisins immédiats d'Allada, l'encerclent pour ainsi dire. Et le « bala» qui a été ajouté à Dan pour faire Danbala n'est pas autre que le verbe fon bla qui signifie enserrer, entourer, etc. On voit très bien le lien avec la forme du serpent. Ce qui achève d'emporter notre adhésion, c'est que, dans la mythologie haïtienne, Danhala est un lwa mâle, époux d'A ïdo­houédo. Les Haïtiens ont dédoublé le vaudou unique aizo compre­nant le principe mâle et femelle, un vaudou androgyne. Le lwa haïtien reste lié à l'eau en réminiscence de l'arc-en-CÎel. D'autres réminiscences demeurent encore. Par exemple,en fon on appelle Dan mi la fiente du serpent. D'après la croyance populaire elle sert à fabriquer de l'or. Dans la mythologie fon, il s'agirait des excréments du vaudou Dan qui se présenteraient sous cette forme. Et le mot Dan mi a fini par désigner la fortune, l'argent. Or, il existe une tradition en Haïti qui veut que l'arc-en-ciel (ou plutôt les deux arcs-en-ciel, quand ils sont deux) ait tête et queue. En suivant la tête, dit le mythe, si on arrive à la trouver, celle-ci porte un bonnet qui est rempli d'argent.

Bonèt li plê lajâ Bonnet son remplir argent Son bonnet est rempli d'argent

disent les gens. On sent bien le lien avec le Dan mi. Par ailleurs aussi, on dit que la tête de l'arc-en-ciel rejoint la source même d'une rivière :

tèt dlo tête eau source

dit-on. Voilà donc que le mythe fon-aïzo rejoint le mythe haïtien. Les deux ne font plus qu'un. Car. lorsqu'il y a deux arcs-en-ciel, les gens disent que c'est Danhala et sa femme Aïdohouèdo qui boivent à une source: ils se désaltèrent, pense-t-on. Il y a d'autres fioritures au mythe : ainsi, par exemple, on ne montre pas l'arc-en-ciel du doigt de peur que ce lwa ne coupe celui-ci.

En liaison avec le Dan mi fon, le Danbala haïtien est considéré comme le lwa de la richesse, du bonheur, de la prospérité. Il est censé faire découvrir les trésors enfouis (les jarres) au temps de la colonie avant le départ des colons. Il est le lwa de l'argent.

74

Page 73: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

ses /wa. Mais il n'y a pas que cela. Il y a aussi ce qu'on appelle vèvè. Le mot, lui-même, est d'origine fon. Il désigne dans le rituel dahoméen la farine de maïs teintée d'huile rouge. On s'en sert dans la liturgie fon comme mets rituel des jumeaux, ou pour faire des cercles à l'intérieur desquels on fait asseoir un enfant lorsqu'il commence cet apprentissage (visojijanyi). On en fait encore d'autres usages rituels. Mais dans le vaudou haïtien le vèvè désigne le «dessin symbolique représentant les attributs d'un /wa, que l'on trace sur le sol avec de la farine de maïs, de la cendre, du marc de café ou de la brique pilée 48 ». Et c'est ainsi qu'il y a le vèvè de Danba/a et de sa femme Aïdohouèdo. C'est la gravure ci-après. Voici comment le pratiquant du vaudou se représente le /wa en question (fig. 1) : deux couleuvres se dressant sur leur queue et se regardant. L'une représente Danba/a et est mâle; l'autre, Aïdo­houèdo, et est femelle. On retrouve la même tradition dans le pays Ion. Le Dan Aïdohouèdo fon est représenté par deux serpents en fer, l'un mâle, et l'autre femelle. Ces deux serpents se dressent droit sur les kpé (autels), comm~ dans la mythologie haïtienne. Mais Haïti a perdu la tradition de la représentation métallique. Le vèvè, tel que nous l'avons défini plus haut dans la tradition haïtienne, remplace celle-là. Il y a eu substitution de matière, mais la pensée demeure. C'est si vrai que le principe masculin et féminin qui est ainsi représenté symbolise la vie, la perpétuation de l'espèce humaine. Ce couple est source de toute prospérité. Tel est le contenu du mythe fon. Il en est de même dans la pensée haïtienne qui fait de Danba/a le père du bonheur, de la prospérité, de la richesse. Dans une économie précaire de subsistance, on comprend pourquoi l'Haïtien, engagé dans une lutte sans merci pour vivre, ou plutôt pour survivre, a fini par faire de ce /wa le premier de son panthéon. En effet, il attend tout de ce « père de tout bien ». Il y a à l'arrière-plan de cette mythologie l'idée fondamentale de la continuité, la pérennité dans l'existence. C'est encore une idée fon. Car, on représente aussi Dan Aïdohouédo, au Dahomey, sous la forme d'un serpent qui se mord la queue. Cette image tirée du cercle symbolise la continuité de la vie (fig. 2). Toute la mythologie fon, empruntée des Aïzo, a servi donc de sédimentation à la pensée religieuse

48. Cf. glossaire.

77

Page 74: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

FIG. 1. - Vèvè de Danbala el de son épouse Aïdohouédo.

7'15

Page 75: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

FIG. 2. - Dan Aïhohouédo avalant sa queue.

haïtienne en formant son Danbala. Cette idée de continuité est aussi reprise dans un autre sens dans le vaudou haïtien.

En effet, toute case de lwa, dite houmfo en créole, est muni par­devant d'un apatam appelé «péristyle» ou « tonnelle» en créole. Le « péristyle» est le terme propre à la langue sacrée. Ce «péristyle» est une large terrasse couverte de chaume le plus

79

Page 76: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

souvent, et dont le parquet est en terre battue. C'est là que se déroulent les grandes cérémonies vaudou. A son centre s'érige un pilier que l'on nomme en créole poteau mitan ou, si l'on veut, poteau central. C'est autour de celui-ci qu'ont lieu les danses rituelles. Il reçoit pendant les cérémonies divers hommages qui soulignent son caractère éminemment sacré. Car ce poteau mitan est le point de communication entre le firmament et la terre, le chemin pour lequel les lwa descendent sur la terre et remontent chez eux. C'est en ce lieu que se concentre tout le flux surnaturel dans lequel baigne l'athmosphère religieuse du houmfo. Aussi, c'est autour de ce poteau mitan que le houngan dessine sur le sol les vèvè des lwa, tel que nous l'avons déjà expliqué plus haut. Pour marquer la continuité entre le ciel et la terre, entre le monde d'en-haut et celui d'en-bas, entre le monde des lwa et celui des hommes, le poteau mitan porte dessiné sur lui, de haut en bas, une longue couleuvre qui est une figuration de Danbala. Cet élément symbo­lique est de création haïtienne dans sa réinterprétation du vaudou fon Dan Aïdohouédo. Il est au centre de la mythologie et de la pensée religieuse haïtienne.

Le lwa Danbala nous donne l'occasion de toucher à deux autres changements que subissent les vaudou fon en passant dans la mythologie haïtienne. Chez les Fon, les vaudou sont assemblés par groupes de caractères homogènes. C'est le mot ahwâ, signifiant troupe, assemblée, groupe, qui désigne un tel phénomène. Ainsi, on dit à Allada : Adjahouto kpodo ahwâ tô kpo, c'est-à-dire Adjahoutô et son groupe. On entend par là le vaudou Adjahouto et les autres qui s'alignent sous lui et qui forment le groupe des « vaudou de la droite », comme on les appelle. Il en est de même de ceux du groupe de Hébiésso, le groupe collectif du ciel; de Sakpata, celui de la terre; de hou, celui de la mer, etc. En Haïti, l'ahwâ devient fâmi (famille). C'est-à-dire les lwa tendent à se grouper sous un même nom, se distinguant seulement par un qualificatif. C'est ainsi que l'on a dans la famille de Danbala :

1) Danbala, que nous avons déjà étudié; 2) Dan Afdahouèdo, la femme du premier, et dont nous avons

également déjà parlé; 3) Jean Danto ; 4) Faro Danto ; 5) Ezili Danto ; 6) Philomise Danto;

80

Page 77: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

7) Anaïse Danta; 8) A Dan Uzo

etc.

Structure religieuse

Ces /wa forment une famille. Néanmoins, sauf Ezili Danto, plus couramment appelé Ezili seulement, ils sont de création haïtienne. C'est là une spécificité de la religion haïtienne, de créer de nouveaux /wa propres au terroir et de les associer au panthéon africain. C'est le second changement que nous voulons souligner et que R. Bastide avait saisi lorsqu'il écrivait :

Si les principaux vaudoun des Fon restent connus et adorés, écrit-il, ( ... ) il existe à côté des lwa créoles, c'est-à-dire nés dans l'île, et dont le nombre va sans cesse en augmentant; bref il y a enrichissement constant du panthéon,qui cesse d'être «dahoméen» pour devenir « national» 4 •

Le milieu géographique et les circonstances historiques ont influencé la créativité haïtienne. Nous allons pouvoir nous rendre compte comment ces /wa de création haïtienne se sont réellement éloignés du mythe initial de Danba/a. C'est J.-8. Romain qui a mené l'enquête au nord d'Haïti. Voici ce qu'il nous livre :

Jean Danta, très célèbre, vit entre 1933-1940 son culte s'épanouir sous la direction du Houngan H. Son sanctuaire se trouvait dans un quartier du Cap-Haïtien au nom très significatif: Petite-Guinée [ ... ]. Faro Danta passe pour le dieu le plus élégant. Une chanson l'appelle: jeune homme baiseur,expression vraiment flatteuse dans le dialecte du Nord. Cette chanson lui assigne comme demeure la grande rivière du Borgne. Phi/omise Danta habite à l'embouchure de la rivière du Haut du Cap. Son sanctuaire public se dresse non loin, sur la rive droite de cette rivière au lieu dit Hôpital-des-Pères. Anaïse Danta garde, de concert avec Clermezine Clermeil, l'entrée orientale de la ville du Cap, endroit connu sous le nom de Bassin­Rodeau (Bassin des eaux profondes). Mais maints pêcheurs affir­ment l'avoir aperçue de leur barque dans l'îlot du bourg de limonade, sous l'apparence d'une jolie négresse. A Dan Uzo devait être un excellent chef politique. Peut-être s'était-il recommandé, comme tel, par une vie exemplaire ou un gouverne­ment d'une grande sagesse, car la tradition le compare à St-Louis, roi de France. Preuve en est, la chanson populaire qui débute comme suit: A Dan Uzo, A Dan Uzo, roi eh! Les serviteurs et les dévôts organisent des tètes somptueuses tous les ans, à la date du 25 août, en l'honneur d'A Dan Uzo dans la ville du Quartier-Morin placée sous le patron nage de St-Louis.

49. R. Bastide, op. cit., p. 145.

81

Page 78: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

Vraiment, on le voit, il n'y a plus de lien avec le mythe original si ce n'est que le nom Dan qui persiste et subsiste en connexion avec le thème eau.

Mais venons à Ezili Danto. Ce /wa est universellement connu en Haïti. Cette popularité constraste avec celle du vaudou dahoméen du nom d'Azili. Ce dernier a même un temple à Allada. Ce temple fait partie de l'ensemble consacré aux Ninsouhoué d'Abomey. Ces vaudou sont de création aboméenne. Donc on comprend pourquoi à Allada on connaît si peu le mythe de ce vaudou. Il ne semble pas que ce mythe soit très développé. Azili est un marigot d'Abomey où résident des Ninsouhoué d'Abomey. Cependant il semble qu'il soit aussi un vaudou. Car il a un temple à Allada.

En Haïti, Azili,est devenue Ezili. Elle est représentée par une mulâtresse et personnifie la beauté et la grâce féminines. Mythique­ment elle a tous les charmes de la créole antillaise. On la dit coquette, sensuelle, amie du luxe et du plaisir, dépensière à l'extravagance. Les hommes la désirent pour leur maîtresse, et chacun désire rêver d'elle. Souvent dans les houmfo ou les maisons familiales, on trouve un coin réservé à Ezili. A Pilate, dans le nord d'Haïti, où nous avons mené notre enquête, certains hommes avaient une case réservée à Ezili. Il y avait un lit recouvert de draps blancs. Une fois par semaine, généralement le jeudi, le propriétaire va y coucher et attendre Ezili. A New York où nous avons mené quelque enquête parmi les émigrés haïtiens, ceux-ci ont gardé encore la même habitude. Ezili a encore un lit, et une fois par semaine, on y va coucher.

Dans les houmfo haïtiens, dans le coin réservé à Ezili sont déposés des bijoux, des robes roses et bleues. Sur une table attendent le /wa cuvette, serviette de toilette, savonnette, brosse à dents, peigne, rouge à lèvres, cure-ongles. Dès que Ezili s'empare d'une hounsi, homme ou femme, on la conduit dans ce lieu, elle fait sa toilette et se pare. Pendant toute la durée de la toilette, on chante ordinairement :

82

A/a nyou bè/ fâm Quelle une belle Femme Quelle belle Femme! Sé Ezili C'est Ezili! Ezili m'a fè nyou kado Ezili je (fut.) faire un cadeau Ezili je te ferai un cadeau

Page 79: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

avâ u alé abobo avant tu aller, abobo ! Avant que tu t'en ailles, abobo!

Sa toilette faite, Ezili entre dans l'assemblée avec toute la séduction d'une femme créole. Elle a les cheveux dénoués pour symboliser l'abondante chevelure de la mulâtresse, épouse une démarche luxurieuse, faisant des œillades aguichantes aux hommes, et leur prodiguant des baisers et des caresses. Elle regarde les femmes de haut: ce sont ses rivales. Elle affecte de parler le français, et prend volontiers une voix aiguë et pointue. Ezili est donc la projection, dans la mythologie haïtienne, de la femme au teint clair de l'ère coloniale. Elle a pour symbole un cœur quadrillé transpercé d'une glaive. Ce symbole est emprunté à la Mater Dolorosa. Les serviteurs d'Ezili ont fait de ce chromo catholique l'image d'Ezili. Ezili habite les sources et les rivières. En cela, on est resté fidèle au mythe dahoméen. A Pilate où nous avons mené notre enquête, elle séjourne dans les eaux de la Grande-Rivière-de-Nord qui y passe. Partout on la suppose toujours assise sur un rocher, en train de se coiffer avec un peigne en or. Enfin on dit qu'elle est la maîtresse de Danbala et rivale de Aïdohouèdo. Néanmoins elle a eu des liaisons avec d'autres Iwa : Agoué Taroyo, Ogou Badagri, etc. Cependant Guédé Nibo, un Iwa noir, la courtise en vain. Car Ezili, la mulâtresse, ne veut pas de maris noirs. C'est encore la projection dans le monde surnaturel, des problèmes et des antagonismes sociaux haïtiens.

Nous sommes loin, bien loin de la tradition aboméenne d'Azili. Ce vaudou fon s'est haïtianisé au point d'être méconnaissable. On lui a même fabriqué un régime alimentaire. En effet, les offrandes à Ezili sont ordinairement de qualité: mets recherchés et raffinés (riz, macaroni, poulets), parfum, colliers de prix, etc. Ezili est une très grande dame et symbolise la vie de la haute société haïtienne. Ce n'est plus un vaudou dahoméen, mais un Iwa national haïtien.

Avec Ezili Danto finit le cortège de Danbala. Cependant fait encore partie des Iwa des eaux Agoué, un Iwa de la mer. Celui-ci est totalement détaché du grand groupe dont nous venons parler et qui sont, pour ainsi dire les Iwa des eaux douces.

Le nom Agoué vient de Agbé *. Celui-ci désigne un vaudou

50. J.-B. Romain. op. cil., p. 157.

83

Page 80: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

originaire du sud-Ouest du Bas-Dahomey. Il s'agit en effet du même vaudou. Mais en Afrique, son mythe n'est pas aussi précis ni aussi tranché qu'il l'est en Haïti. Agbé est lié au vaudou du tonnerre. Le Hérissé nous en parle ainsi :

Dans le chœur de Hébyoso sont compris Hou, la mer, et sa famille. Hou, ou Agbé ou Houalahoun, est comme son dernier nom l'indique, originaire Houala (Grand-Popo); mais ce fut de Houeda ou Pêda que Tègebsou emporta son culte au Danhomé. Hou est le mari de Naété, dont il a eu Avrékété, cette trinité est honorée dans les temples du tonnerre et a les sept mêmes plantes sacrées que lui. Hou a élu domicile dans les volutes mugissantes de la barre qui déferle sur les côtes dahoméennes. Naèté, bonne mère de famille, se plaît dans les eaux calmes, en avant de la barre. Avrékété est terriblement agité, si bien que son père afin de lui faire dépenser son ardeur qui finirait par maintenir la barre dans un trouble perpétuel, l'envoie comme messager auprès des autres divinités et des hommes. C'est pour cette raison que les féticheurs d'Avrékété sortent en procession avant les autres féticheurs du chœur du tonnerre. La mort du piroguier qui se noie en passant la barre est considérée comme un châtiment infligé par Hou. Aussi le corps de la victime est-il enterré dans le sable du rivage, d'aucuns disent jeté à la mer. Hou et Naèté n'ont pas engendré Avrékété seulement; ils ont encore comme enfants beaucoup de « fétiches qui résident dans les eaux» (tovau­douns). Citons Tchaché, Sao, Tokpodoun. Tchaché serait le clapotis de l'eau; Sao serait la sirène. Aouanga est l'esprit d'une lagune situé en avant de Hévié. Ses eaux engloutissent les voleurs ... Nous n'avons pas pu savoir pourquoi ces fétiches figurent auprès du tonnerre. Y a-t-il un lien de parenté entre les familles qui s'en prétendent issues? Y a-t-il une simple relation de similitude que leur donne l'eau née dans les nuages où Hébyoso promène sa fureur? Ce sont des questions que nous aurions pu élucider, peut-être, auprès des indigènes de Pêda, mais sur lesquelles ceux d'Abomey ne paraissent pas très fixés, parce qu'aucune famille du cercle ne procède de ces fétiches, croyons-nous» SI.

Herskovits donne une tradition presque similaire

Agbé, fils de Sogbo aurait eu de sa sœur et femme Naèté les enfants suivants: Agboyu, le premier fils, surveille sa mère. Axwangan est très brutal et veut toujours dépasser son père. Comme lui, il fait le mal; il provoque les naufrages. Mais quand son père a vu tous ses méfaits, il lui a ordonné de quitter la mer et d'aller s'établir à Xevié. Tokpodun, une fille identifiée avec Yalodé, la déesse que les femmes adorent spécialement. Elle est très calme et bien élevée, elle fut si consternée par la brutalité de ses frères, qu'elle laissa la maison de

51. A. Le Hérissé, op. cit., p. 109.

84

Page 81: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

ses parents dans la mer pour s'établir non loin de Whydah, devenant une rivière. Sayo habite les vagues qui font monter le niveau de l'océan. Gbeyongbo, dieu de la barre, fait chavirer les barques et noie les hommes. Afrékété, la plus jeune, enfant gâtée, joue les rôles de Legba ; elle est au courant des secrets de son père et en parle sans discrétion 52.

On sent donc à quel corps de tradition chez les Fon appartient le vaudou Agbé. Il Y a eu acculturation. On a lié les vaudou de la mer à ceux du tonnerre. Il faut croire qu'Haïti a eu sa tradition d'Agbé et des autres vaudou de la mer, Av/ékété, le /wa haïtien, la Sirène qui doit être le Sao des Pêda (cf. ci-dessus). En fait, la tradition des /wa de la mer est complètement séparée de celle des /wa du tonnerre en Haïti. Il n'y a pas cette confusion que j'ai pu constater moi­même à Allada au point où les vaudou de la mer Agbé, Av/ékété, etc., partagent la même case que Hébyosso, vaudou du tonnerre, sauf qu'on divise celle-ci en deux et que l'un et l'autre groupe habitent des compartiments séparés. En effet, c'est sous Tègbessou (1728-1775) que ces vaudou de la mer entrèrent à Abomey. Haïti a dû avoir ses traditions directement des esclaves venus de Ouidah et du pays Mina, habités par les pêda, serviteurs de ces vaudou.

Nous n'avons pas pu mener une enquête dans le pays pêda. Si cependant on peut se fier à la mime qui est faite par ces vaudou -Adbé, Av/ékété - pendant la danse qui leur est propre et consacrée, on peut observer ce qui suit. Ces vaudou, à Allada, sont munis à cette occasion d'un aviron - un petit aviron - et esquisse des pas de danse en imitant le canotier qui rame. En plus le vaudou Av/ékété est toujours muni d'un pavillon blanc et d'un chapeau à large rebord, comme portent les marins. Or, les Fon ne sont pas marins. Cette tradition leur vient du pays de ces vaudou, voisin de la mer, pays côtier. Ce caractère marin et navigateur semble être l'essentiel de ce vaudou, et c'est ce qui a été retenu par les Haïtiens. Comme le fait remarquer Le Hérissé, Agbé est le principal vaudou de la mer des pêda que ceux-ci appellent aussi Hou, mot qui signifie mer en fon. En Haïti, on n'a pas retenu le terme Hou, mais Agbé. Qu'en est-il resté?

Parmi les /wa les plus connus et dont le domaine est aussi le plus

52. M.-J. Herskovits, Dahomey an ancient West African Kingdom, t. Il, p. 152 ss., cité par P. Verger, Notes sur le culte des Orisa et vodun, p. 539.

85

Page 82: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

connu, c'est Agoué. Les Haïtiens l'appellent encore Agoué Taroyo. Ce dernier nom est d'origine fon. Aujourd'hui encore, à Allada, on appelle le vaudou Agbé, (Agbé toawoyo) que l'on peut ainsi décomposer

Agbé le vaudou lui-même 10 = rivière

awoyo = vaste, immense.

En fon, la mer s'appelle hou ou encore agbéto. Il est à remarquer que le nom même du vaudou Agbé est homonyme (le même ton modulé descendant sur les deux syllabes) d'agbé, écureuil. C'est qu'il y a une légende, m'a-t-on raconté, qui veut que ce soit l'écureuil qui ait uriné et formé la mer. D'où Agbéto devrait être lu ainsi :

agbé = écureuil 10 = rivière

Donc, la rivière de l'écureuil. Le nom complet du /wa haïtien pourrait se lire en fon :

L'immense rivière de l'écureuil (interprétation ?). A Allada, si on appelle la mer hou, plus fréquemment on dit

agbétoawoyo. C'est un phénomène linguistique bien connu en fon. On nomme parfois l'élément que gouverne le vaudou par le nom de celui-ci. C'est ainsi qu'on appelle parfois la terre Sakpata. Ou encore l'on nous dit: Sakpata, c'est la terre. La foudre est dite Hèbyosso, du nom même du vaudou qui lance ce feu du ciel. Agbétoawoyo, le vaudou de la mer est devenu le nom même de celle-ci.

C'est dans cette direction que se situe la ligne de la pensée haïtienne. En effet, la mer, sa faune et sa flore, les bateaux et les moindres embarcations qui la sillonnent, tous ceux qui vivent de ses ressources, les navigateurs, les marins, les pêcheurs, les commerçants, grands et petits, qui empruntent souvent la voie maritime (car presque toutes les grandes villes haïtiennes sont situées sur la côte), tous sont placés sous la juridiction d'Agoué Taroyo. Celui-ci a pour vévé (emblême) des bateaux en miniature, des avirons peints en bleu ou en vert. Comme le pavillon d'Av/ékété qui est blanc au Dahomey, l'Agoué Taroyo des Haïtiens a aussi le blanc comme couleur symbolique. Le blanc est aussi le symbole de presque tous les /wa aquatiques haïtiens. Complétant les données

86

Page 83: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

africaines, les serviteurs des lwa en ont fait un mulâtre au teint clair et aux yeux verts (gé vèté). C'est la projection dans le monde des esprits des hommes blancs qui sont généralement les capitaines des bateaux à vapeur. Ce lwa porte un uniforme d'officier de marine, des gants blancs, un casque ou un képi d'officier de haut grade. Pour le peuple, les salves qui saluent l'arrivée des bateaux de guerre dans les rades haïtiennes sont tirées en l'honneur d'Agoué Taroyo. Rappelant les signaux qui sont faits par les marins, les serviteurs de ce lwa lui chantent :

U sinyalé Agwé Taroyo Vous signaler Agoué Taroyo Vous signalez Agoué Taroyo M'apé sinyalé Agwé Taroyo Je être en train de signaler Agoué Taroyo Je suis en train de signalez Agoué Taroyo M'apé sinyalé Kuala Taroyo Je être en train de signaler Kouala Taroyo Je suis en train de signalez Kouala Taroyo Sinyalé duâ ue/o Signaler douan ouelo Signalez douan ouelo M'ap sinya/é Je être en train de signaler Je suis en train de signalez, Prézidâ Agwé Président Agoué.

Ce chant initie bien au mythe du lwa Agoué. Le thème du signal y est ainsi que le haut rang qu'il occupe dans la pensée populaire: on le salue du titre de président. En effet, c'est lui qui gouverne l'océan et son immensité. Ce chant est un hommage rendu à la grandeur d'Agoué. Voici un autre qui implore sa protection :

Mèt Agwé koté u yé Maître Agoué, où vous être Maître Agoué, où êtes-vous? U pa wè mwê nâ résif Vous pas voir moi dans récif V ous ne me voyez pas sur le récif? Agwé Taroyo, koté u yé Agoué Taroyo, où vous être Agoué Taroyo, où êtes- vous? U pa wè mwê su lâmé Vous pas voir moi sur mer Vous ne me voyez pas sur la mer?

87

Page 84: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

M' gê zaviron nâ mê mwê Je avoir aviron dans main ma J'ai l'aviron en main, M' pa sa tunê dèyè Je pas pouvoir revenir derrière Je ne puis pas revenir en arrière, M' duvâ déza Je devant déjà Je suis déjà en avant, Mèt Agwé Woyo koté u yé nô Maître Agoué W oyo où vous être, non! Maître Agoué Woyo où êtes- vous, non ! U pa wè mwê nâ résif Vous pas voir moi dans récif Vous ne me voyez pas sur le récif?

Ce chant d'un ton suppliant montre bien la confiance du serviteur du /wa en Agoué. Il faut le dire, et c'est là une différence avec les chants religieux fon, le chant adressé au /wa revêt souvent le ton d'une supplique lorsqu'il n'est pas un enseignement. Car il s'agit toujours d'un péril immédiat dont il faut sortir le suppliant. Ce /wa Agoué a joué un rôle important dans les croyances à l'époque de l'esclavage. Les Nègres de St-Domingue étaient persuadés qu'en dessinant un voilier sur le sol et invoquant Agoué, ils pouvaient se rendre en Afrique-Guinée. Cette tradition est restée longtemps dans les légendes haïtiennes. Que de prisonniers on a dit s'être évadés par ce même moyen et en évoquant Agoué. Et si l'on considère que l'Africain est un terrien, on peut s'imaginer comment le /wa Agoué s'est accru d'importance pour lui en traversant cet immense océan, et de plus, en raison même de la proximité des côtes à tout point du territoire haïtien. En Haïti, ce lwa a une fonction existentielle.

Les cérémonies en l'honneur d'Agoué sont célébrées sur la mer, ou sur le rivage, ou encore sur le bord d'un étang ou d'une rivière. Ce cérémonial reprend à sa manière le vieux rite africain tel que P. Verger le rapporte :

88

Agbé ou Hou, dit-il, est la divinité de la mer pour les Houla. Ceux-ci lui font, en d'assez rares occasions, des offrandes au cours d'une cérémonie appelée gozin (jarre). C'est Hounon dagbo, le grand prêtre de Ouidah, d'origine Houla qui fait lui-même cette offrande.

Auparavant, du temps des rois d'Abomey, Hounon se rendait au bord de la mer, monté sur un bœuf blanc et, arrivé au bord des flots, il prononçait des paroles aujourd'hui oubliées; les eaux s'ouvraient devant lui et il poursuivait sa route sur le fond de la mer, suivi des

Page 85: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

prêtres portant des offrandes et des animaux à sacrifier. Il partait au loin voir le vaudoun, ancêtre des Houla qui serait autrefois venu de la mer. Quelques heures plus tard Hounon revenait vers la terre, monté sur les épaules d'un porteur et suivi des prêtres qui ramenaient une partie de la viande des animaux sacrifiés au loin dans la mer et cuite là-bas.

Les cérémonies actuelles n'ont plus la splendeur d'antan, mais restent très brillantes et de nombreux prêtres animistes de la région y participent. Hounon Dagbo va vers la plage, protégé par un grand parasol; il est coiffé d'un chapeau haut de forme brodé; les porteurs d'assen et d'objets sacrés des vaudoun Houla le précèdent; les dignitaires et les gardiens des divinités de Ouidah l'entourent. Des barrages l'arrêtent trois fois sur la route, l'obligeant à payer des droits de passage. Par moment, il monte sur le dos d'un homme qui représente le bœuf d'autrefois. La marche jusqu'à la mer est accompagnée de chants, de cris et de louange aux vaudoun. La cérémonie d'offrande se fait au bord de la mer; elle est précédée de libations pour les morts versées sur les assen plantés sur un monticule. Hounon va ensuite présenter un cabri à la mer; le secret de la séparation des eaux ayant été perdu, le sacrifice se fait à terre. L'eau de mer est rapportée dans une jarre (gozin). Au retour à Ouidah de grandes fëtes ont lieu. Hounon Dagbo reçoit les salutations de tous les prêtres des vaudoun. C'est un extraordi­naire défilé. Certains portent des tavaudoun, sortes de jarres, ou des ashina, de grandes ailes de plumes placées sur des paquets. Jarres et paquets contiennent des objets chargés de la force sacrée des vaudoun. Ceux qui se présentent sous cette forme sont généralement des pays Aïzo et de la région du fleuve Ouèmé : tel Gnangé,ancêtre divinisé d'une famille de forgerons, portent des récades de bois sculpté, symboles de leur dignité. Pendant plusieurs semaines, les vaudoun vont danser sur les places de Ouidah. Au cours de cette cérémonie de nombreuses transes suivies d'entrées de novices au couvent se produisent, assurant la continuité du culte aux vaudouns S3.

Ce schéma très antique du cérémonial ou rituel du vaudou Agbé n'est pas étranger à la formation du rituel haïtien en l'honneur du /wa Agoué Taroyo. A. Métraux en parle ainsi:

Les fëtes d'Agoué sont célébrées sur le bord de la mer (sinon d'un étang ou d'une rivière) et l'on y porte en procession un bateau en miniature. Les mets de toutes sortes dont Agoué est friand, ses boissons préférées (le champagne entre autres) sont placés sur une « barque» - petit meuble à compartiments superposés, peint en bleu et décoré de motifs marins. A Port-au-Prince, la confrérie qui veut offrir un grand « service» à Agoué loue un voilier et s'embarque à destination des Trois Islets, récifs célèbres situés à quelques kilomètres du rivage. Le bateau est pavoisé de banderoles,

53. P. Verger, Dieux d'Afrique, p. 187.

89

Page 86: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

les drapeaux du Houmfo claquent au vent, les tambours battent et les hounsi dansent tant bien que mal sur le pont ou dans la cale. Quand le bateau parvient à hauteur des Islets, on jette à la mer un ou plusieurs moutons blancs et enfin la « barque », sur laquelle on a attaché des poules blanches. Après avoir fait quelques libations, on s'éloigne le plus rapidement possible sans regarder en arrière par crainte d'offenser le dieu lorsqu'il sort de l'eau pour absorber les nourritures qui lui sont offertes. Au moment où le sacrifice est consommé, il se produit généralement de nombreuses possessions provoquées par Agoué et par d'autres dieux marins, tels qu'Ogou­Balindjo et Agaou qui font partie de son « escorte ». L'équipage doit veiller à ce que ceux qui sont saisis par des loa marins ne cèdent pas à leur nature, en sautant par-dessus bord, pour plonger dans la mer [ ... ]. Les offrandes à Agoué peuvent aussi être entassées sur un petit bateau que le courant est chargé d'emporter aux trois Islets. Si le flot le ramène au rivage, c'est signe qu'Agoué refuse le sacrifice et qu'il faut l'apaiser par un autre « service» 54.

J.-B. romain note pratiquement le même rituel dans le nord d'Haïti:

Agwé (on ajoute Royo ou Taroyo à son nom dans certaines régions) règne plus spécialement sur la mer. Ce neptune haïtien a pour symbole une barque peinte aux couleurs rouge, blanche ou verte dessinée sur les marches de ses autels ainsi que sur les ustensiles destinés à son usage. Le caïman, animal qu'on lui sacrifie ordinaire­ment, peut être remplacé par un coq rouge. Le sacrifice à son intention se déroule au bord de l'eau. Là, le prêtres réunit les offrandes faites au dieu dans un paquet et en compagnie de ses aides s'en va livrer celui-ci au hasard des flots en haute mer 55.

Nous-mêmes, nous avons enquêté à Pilate, localité à l'intérieur des terres dans le nord d'Haïti également. Les cérémonies d'Agoué s'y déroulent presque comme le décrit J.-B. Romain, au bord de la Grande-Rivière-du-Nord qui longe Pilate. A Miragoâne, ville que nous connaissons particulièrement et où le culte d'Agoué est très florissant, les cérémonies en l'honneur d'Agoué empruntent plutôt les traits du rituel que décrit A. Métraux. Miragoâne est un port ouvert au commerce extérieur, possédant une flotille de cabotage très importante et une organisation de pêcheurs. Cela explique l'importance du culte d'Agoué au milieu de cette population maritime. Chaque canot de pêche, chaque voilier, chaque petit bateau de cabotage, chacun est l'objet de ce que l'on appelle le « baptême». On va faire sur la mer les cérémonies grandes ou petites, selon les moyens du propriétaire, au Maître Agoué Taroyo.

54. A. Métraux, op. cil., p. 90. 55. J.-B. Romain, op. cil., p. 157.

90

Page 87: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

Si on ne « paie» pas ce Iwa, la prospérité de ce nouveau bien est compromise. Parfois le soir, on voit des canots s'éloigner du rivage avec lanternes et on entend des chants au Iwa Agoué, c'est l'annonce d'une cérémonie.

Ce qui est intéressant dans ce rituel, c'est son lien avec ce qui se passe à Ouidah. Il faut se déplacer pour aller sur le rivage de la mer, ou, mieux encore, il faut se rendre sur la mer pour s'acquitter des sacrifices envers ce grand Iwa. On a retenu aussi la couleur blanche de la victime, laquelle est en Haïti un mouton, bête tout indiquée pour être substituée au bœuf blanc des Houla. La mémoire collective a conservé la même pompe entourant les festivités d'Agbé telles qu'elles se déroulaient sans doute au moment de la traite.

Ce rituel haïtien enfonce ses racines dans une tradition qui semble dépasser le cadre de Ouidah. Parlant du vaudou Yémanja. P. Verger écrit ce qui suit :

Yémanja est la divinité des eaux de mer et des eaux douces. Elle réside à Abéokuta en Nigéria dans la rivière Ogoun. Elle est la mère de tous les autres orisha. ( ... ) Au Brésil, Yémanja est également la divinité des eaux salées et des eaux douces et la mère des autres orisha. Elle est syncrétisée avec la Vierge de l'Immaculée Conception ( ... ). Elle est symbolisée par des galets marins et des coquillages. [ ... ] C'est une divinité extrêmement populaire. Des grandes tètes lui sont dédiées à Bahia le 2 février et le 8 décembre au bord de la mer à la plage de Rio-Vermelho. [ ... ] Des gens viennent participer, en foule, à une offrande à la « Maë d'Agua », la mère des eaux. ( ... ) Les dons sont amoncelés dans un immense panier: savon, parfums, fleurs naturelles ou artificielles, mouchoirs de dentelle, coupons d'étoffe, revues de mode, colliers, bracelets, argent; le tout accompagné de lettres et de suppliques des fidèles qui ont une grâce à lui demander. Vers la fin de la matinée, le panier, transformé en une immense gerbe de fleurs, est porté en procession jusqu'à la plage, au milieu des applaudissements, des chants et des louanges à la mère des eaux. L'offrande est embarquée à bord d'un voilier qui cingle vers le large, suivi d'une flotille de « Saveiros », voiliers locaux où s'entassent les fidèles enthousiastes chantant et frappant des tambours. Elle est lancée à la mer. Pour qu'elle soit acceptée par Yémanja, il faut qu'elle s'enfonce sous les eaux, si elle surnage c'est un signe de refus et de mécontentement. Il faudra faire de nouveaux sacrifices et de nouvelles offrandes pour attirer sa protection S6.

On retrouve donc à propos de la «Maë d'Agua» une tradition presque identique à celle du rituel d'Agoué d'Haïti sauf le

56. P. Verger, Dieux d'Afrique, p. 186 SS.

91

Page 88: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

syncrétisme yoruba auquel les Fon d'Haïti sont plus imperméables comme on le verra plus loin. Ce voyage sur la mer semble bien rejoindre une tradition du Golfe de Guinée. Un autre trait reste à signaler, c'est le symbolisme de Yémanja : elle est symbolisée par des galets marins et des coquillages, dit P. Verger. De son côté, A. Métraux souligne que Agoué Taroyo est invoqué sous les noms de «Coquille de mer », mais aussi d'Anguille» ou de «Tétard l'étang» 57. Ce coquillage qui revient dans les deux mythes pourrait faire penser à une souche commune. En ce cas, la tradition haïtienne a bien pu se garnir d'éléments yoruba perdus parmi les éléments fon, ou plutôt des éléments houla ou pêda habilement arrangés, structurés et systématisés par les Fon. Car ceux-ci ne sont point marins, et la tradition de ces vaudou de la mer semble bien s'être cantonné chez les peuples en bordure du Golfe des Esclaves.

C'est dans cette tradition de vaudou marin qu'il faut joindre deux autres Iwa, ceux-ci de création haïtienne, mais d'inspiration européenne. Ce sont les Iwa La Sirène et la Baleine. Ils sont deux Iwa étroitement unis, vénérés ensemble et célébrés dans le même chant. Certains disent que la Baleine est la mère de la Sirène, d'autres qu'elle est son mari, enfin d'autres pensent que ces deux noms s'appliquent à un seul et même Iwa. On se représente la Sirène sous les traits mêmes qu'en donne la tradition européenne. Quand elle s'empare de sa hounsi, celle-ci emprunte les traits d'une jeune femme coquette, fort soucieuse de sa toilette. Son épouse change de langage et affecte de parler français. En cela, elle rejoint Ezili Danto dont nous avons parlé plus haut.

Ce Iwa la Sirène s'aligne d'une certaine manière dans une certaine tradition du Golfe des Esc/aves : c'est celle de Yémanja dont nous avons déjà parlé, et qui est un vaudou d'origine yoruba. Sa féminité, sa coquetterie, tout l'aligne dans le même courant qui a produit la Yémanja brésilienne, syncrétisée avec la Vierge de l'Immaculée Conception. Assez curieusement le Iwa la Sirène est représentée par le même symbolisme. En effet, la « Maë d'Agua », la mère des eaux, - ainsi qu'on surnomme Yémanja au Brésil, -«est représentée sous une forme un peu latinisée, par une statuette de sirène aux longs cheveux flottants» 58. La Sirène haïtienne ne

57. A. Métraux, op. cit., p. 89. 58. P. Verger, Dieux d'Afrique, p. 187.

92

Page 89: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

serait donc pas une invention pure et simple, elle serait plutôt une réminiscence de la Yémanja yoruba fortement occidentalisée par l'apport européen du mythe de la sirène. Mais cette veine mythique est aussi africaine, et la créativité haïtienne s'en est souvenu dans la constitution de son panthéon.

La présence yoruba est encore manifeste dans la création de cet autre /wa haïtien, Manman Boukou, dont l'existence est rapportée par J.-B. Romain :

Manman Boukou, écrit-il, ce /wa est très connu dans le Nord. On lui attribue de nombreux miracles ( ... ). Sa fête se célèbre, chaque année à Limonade, durant huit jours à partir du 26 juillet. Dans l'imagination populaire, elle est vieille, très vieille au point qu'on désigne sa correspondante catholique sous le nom de «grann» (Grand'mère) Ste-Anne. Elle passe pour avoir été prêtresse des autres dieux avant sa canonisation comme déesse aquatique. Aussi l'invoque-t-on en qualité de mambo (prêtresse) et de patronne naturelle de toutes les mambo ou Hounsi Kanzo. Manman Boukou porte une robe d'une pièce (karako) fixée à sa taille par une ceinture en pite (sisal). Elle aime la couleur bleu pastel, se nourrit de sucreries, de kola, de banane, de viande cuite, de poule gris cendré. Elle habite dans le lit de la Grande Rivière de Limonade. A une époque qu'on ne peut préciser, la région de Limonade et l'île qui en dépend formaient un tout. A en croire la tradition, c'est à la suite d'une violente colère de la déesse que l'Ile fut détachée de la terre ferme et ses habitants isolés car ces derniers lésinaient trop sur les sacrifices à lui offrir.

J.-B. Romain termine très justement ainsi son récit : Manman Boukôu doit résulter d'une altération du nom de la déesse nigérianne Nana Boukou. Nana Boukou est vénérée à Abéokuta et à Ibadan. Elle compte aussi des tem~les à Doumé, Dassa, Banté, dans le Dahomey et en pays Yoruba 9.

De fait, cette tradition est rapportée par beaucoup d'auteurs 60 dont P. Verger nous a donné une synthèse:

Nanan Bouroukou est une divinité dont le caractère est difficile à définir, car il varie suivant les endroits où des temples lui sont consacrés. Il n'est pas facile non plus de déterminer son lieu d'origine. Est-elle partie de Ilè-Ifè et est-elle arrivée jusqu'à la région de l'Adélé au Togo britannique au cours de migrations très anciennes des Ifès vers l'Ouest? Est-elle au contraire originaire de cette région

59. J.-B. Romain, op. cit., p. 158. 60. Cf. P. Verger, Notes ... , p. 277 ss.

93

Page 90: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

et a-t-elle trouvé des fidèles vers l'Est? La question reste encore sans réponse. Son nom varie lui-même suivant le lieu. Dans l'Adélé, Nanan Boukou est considérée comme la divinité suprême de la création; tous les trois ans, des pèlerinages, que seuls ses adeptes peuvent suivre, y ont lieu. Ils y vont en grand nombre, conduits par OU Boukou, prêtre de Nanan Boukou à Atakpamé, point de concentra­tion des fidèles venus de régions éloignées. Ceux-ci doivent aller trois fois de suite au lieu de ce pèlerinage, s'ils veulent respecter scrupuleusement leurs obligations envers la divinité. Plus à l'Est, dans la région de Doumè, Nanan Bouroukou aurait créé le couple Lisa-Mawu et à Tchétti elle serait à nouveau dieu suprême unique remplaçant Mawu. A Dassa Zoumé le même doute subsiste; divinité suprême, ou partenaire de Orisha; elle y est, par ailleurs, en contact avec les divinités Sakpata et Dan des populations Mahi.

Dans les pays Nago-Yoruba à Kétou et Abéokuta, Nanan Bouroukou devient la mère de Om%u ou Oba/ouayé (Shapanan) divinité de la variole. Au Brésil comme à Kétou, elle est tenue pour la mère de Om%u Oba/ouayé. Elle y est considérée comme la plus vieille divinité des eaux; elle est syncrétisée avec sainte Anne; les perles portées par ses adeptes sont blanches, rouges et bleues, le jour qui lui est consacré est le samedi. Elle danse avec dignité; ses manifestations sont saluées des cris de « sa/ouba». Son autel voisine toujours avec celui d'Om%u et d'Oshoumaré, car à Bahia, ces trois orisha sont connus pour être de Nation Djèdjè Mahi 61.

La Manman Boukou haïtienne est un autre /wa aquatique originaire du Golfe des Esclaves. Elle est d'origine yoruba. Elle a conservé sa caractéristique fondamentale de maternité. Car elle est syncrétisée avec Ste-Anne. En cela, il est curieux que la correspondance catholique est identique avec le syncrétisme brésilien. Haïti en a fait une mambo (prêtresse) avant d'être devenue /wa elle-même. Ne serait-ce pas une réminiscence de sa maternité mythique dans les pays du Golfe des Esclaves?

Il y a donc un fond de tradition de vaudou aquatiques et marins tout à fait étranger à la tradition religieuse fon elle-même qui a été ré-employé en Haïti dans la constitution des mythes et du panthéon haïtiens. En est-il toujours ainsi? Non, et nous allons tout de suite le voir avec la « famille» des Simbi, cette fois totalement étrangère à la tradition des vaudou aquatiques et marins du Golfe des Esclaves.

Tandis que les /wa dont nous avons parlé ci-devant sont dits de

61. P. Verger, Dieux d'Afrique, p. 185.

94

Page 91: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

rite rada, - /wa rada, dit-on, - car on les croit venir du royaume d'A rada, les /wa Simbi sont dits de rite Petra, - /wa petra, dit-on. - Ces /wa petra appartiennent à une secte née dans l'île d'Haïti en 1768, sous l'influence d'un nègre d'origine espagnole, Don Pedro. C'est pourquoi on a deux grands types de /wa, ceux dits rada, rattachés, malgré les innovations, à l'Afrique et particulièrement au royaume d'Arada, et ceux dits Petra, entièrement créoles, croit-on. Qu'ils soient entièrement créoles, c'est beaucoup dire, car on retrouve souvent les mêmes /wa dans l'un et l'autre rite. Cependant on ajoute à ceux de rite petra le déterminatif gé rouge pour indiquer leur extrême machanceté. Car les yeux rouges sont une des caractéristiques physiques du sorcier (soché) ou du diable (diab) , croit-on.

Les /wa Simbi de rite petra forment également une escorte. Voici les plus connus de la «famille» Simbi :

1) Simbi Yayé 2) Simbi d'[eau ou Simbi-entre-deux-eaux 3) Simbi caille 4) Simbi trois Zilets 5) Simbi empaca 6) Simbi trois carrefours 7) Simbi Maza 8) Simbi Feuilles 9) Simbi Travaux

Quoique les Simbi soient considérés comme les gardiens des sources et des mares 62, seul cependant Simbi d'/eau ou Simbi-entre-deux­eaux habite sous l'eau. Les autres habitent dans les plaines, les grands bois 63. Simbi-entre-deux-eaux est le chef de l'escorte et est surnommé Maitre d'/eau (Maître de l'eau).

Simbi-entre-deux-eaux est représenté sous l'aspect d'un général blanc, vêtu de blanc, ayant des épaulettes, aiguillettes, décorations, médailles en or, avec bicorne blanc orné d'or, sabre et fourreau en or. Sa femme se nomme Mambo Dé/aï et sa mère, Grann Samba (Grand'mère Samba). Les Simbi sont réputés comme très puis­sants. Les « services» pour les Simbi se célèbrent près des sources, et plusieurs de leurs chants font expressément mention de celles-ci comme leur demeure préférée :

62. A. Métraux, op. cit., p. 92. 63. M. Benoit, « Simbi, Lwa des eaux» in Bulletin du Bureau d'Ethnologie

d'Haïti, série 3, N°S 20-22, p. 12.

95

Page 92: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

Sêbi nâ sus Ô ! Simbi dans source oh! Simbi dans la source oh! Ré/é /wa yo, 0 papa Sêbi appeler lwa les, 0 papa Simbi appelez les lwa, 0 papa Simbi Grâ Sêbi wayo ! Grand Simbi wayo! Grâ Sêbi soti nâ sus Grand Simbi sortir dans source Grand Simbi sort de la source Li tu muyé il tout mouillé il est tout mouillé.

Les enfants qui vont chercher de l'eau eux sources - surtout s'ils sont de teint clair - s'exposent à être enlevés par Simbi qui les entraîne sous l'eau pour en faire ses domestiques. Après quelques années, il les renvoie sur terre et, en récompense de leur peine, leur octroie le don de clairvoyance.

De ce qui vient d'être dit, il ressort que le général Simbi est une variante du Président Agoué. Nous avons déjà parlé de ce dernier Iwa dans les pages précédentes, sauf que le domaine des Simbi se trouve confiné dans les eaux douces. Il est aussi apparenté à la «famille» de Danbala, car pour les uns et les autres on trouve dans la majorité des houmfo un petit bassin, ou encore un trou d'eau, ou même un simple récipient contenant de l'eau où ils se tiennent ou se désaltèrent. Ce lien de parenté entre les Iwa des deux rites, rada et petro, est frappant. Et c'est R. Bastide qui conclut en ces termes: « Le même culte existe dans le Nord de l'île sous le nom de Lamba, qui est le nom d'une tribu congolaise, et nous pouvons penser qu'au fond le Vaudou Petro a consisté à réinterpréter la religion dahoméenne dominante en termes de magie bantoue» 64. Tout porte à le croire.

De tout cela que faut-il conclure en ce qui concerne les Iwa des eaux? Tout porte à conclure qu'ils appartiennent à un corps de tradition venu du Golfe des Esclaves ou Golfe de Guinée. Les Fon qui n'avaient pas de tradition ferme sur les « esprits» des eaux -sauf ceux d'Abomey avec les Ninsouhoué, culte qu'ils ont emprunté sans doute aux Mahi, - ont structuré tant bien que malles divers

64. R. Bastide, op. cil., p. 147.

96

Page 93: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

éléments mythiques recueillis de la tradition aïzo (Dan Aïdohouédo), des Houla (Agbé), des Yoruba (Yémanja donnant la Sirène, Nanan Bouroukou donnant Manman Boukou) ... Finalement il n'y a aucun vaudou fon, donc arada, parmi ces maîtres de l'élément liquide. En Haïti, d'ailleurs comme à Allada, les Fon se sont efforcés d'assimiler, de domestiquer les autres ethnies et leurs éléments culturels jusqu'à donner à ceux-ci leur propre couleur ethnique, faisant oublier ainsi l'origine première des éléments. On est allé jusqu'à étiqueter ces lwa de Rada (A rada). Les noms yoruba, aïzo, Houla ont été effacés, supprimés. C'est une coutume très bien connue. Car, ici, à Allada, n'est-ce pas que les vaudou des premiers habitants du pays furent incorporés au culte fon - comme nous l'avons déjà mentionné, - comme faisant partie intégralement des traditions religieuses et du panthéon fon? N'étant pas venus de Tado avec des tovaudou (vaudou de l'eau), ils ont été heureux d'en trouver d'abord à Allada - anciennement Davié, ceux des Aïzo, et en Haïti, ceux qui furent apportés par les ethnies que nous avons déjà mentionnées. Il s'agit d'une habile acculturation fon sous le titre de lwa rada.

Qu'en est-il maintenant des lwa de l'air?

b) Les lwa de l'air

Les lwa de l'air, comme leurs homologues des eaux forment aussi une «famille ». Les principaux et les plus connus sont :

1) Chango; 2) Agom T oné ; 3) Badé; 4) Sogbo; 5) Bossou-trois-cornes; 6) Agaou: 7) Ogou-Badagri; etc.

C'est comme toutes les «familles» des lwa haïtiens, la liste n'est jamais exhaustive, il faut se contenter le plus souvent de citer seulement les plus connus. Voyons maintenant les rapports de ces lwa avec les traditions du Golfe de Guinée.

1) Chango

En Haïti, Chango est connu sous l'étiquette de lwa rada ou lwa petro, les deux à la fois. Car il est tantôt servi selon le premier rite,

97

Page 94: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

tantôt selon le second. Donc, selon la pensée haïtienne, Chango serait ou bien un /wa danhonmin (Arada), ou bien un /wa de création locale appartenant aux /wa petra dont nous avons déjà parlé. Et même il faut qu'il soit de l'un ou l'autre groupe selon l'aspect sous lequel il est envisagé. A la vérité qu'en est-il?

Chango, en Afrique est l'orisha du tonnerre des Yoruba. Il est viril, et gaillard, violent et justicier. Il punit les menteurs, les voleurs, les malfaiteurs, en général tous ceux qui violent les règles des relations sociales en enfreignant la vérité, la justice, la fidélité. C'est pourquoi la mort par la foudre est considérée comme une malédiction. C'est une infâmie. Une maison qui a été touchée par la foudre est considérée comme marquée par la colère de Chango : il faut que le propriétaire fasse des sacrifices expiatoires. De plus, les prêtres de cet Orisha viennent sur les lieux frappés par la foudre, y font des recherches pour retrouver les pierres ou haches de foudre lancées par Chango. Ces pierres et ces haches sont censées rester enterrées là où le sol a été marqué.

Ces haches, qui sont à la vérité des pierres néolithiques, sont déposées sur l'autel de Chango. Cet autel est fait d'un mortier de bois sculpté qui symbolise l'action brutale et fracassante des pierres de foudre. Celles-ci broient et écrasent leurs victimes comme le pilon le fait des graines qui se trouvent dans le mortier. L'image est saisissante. Ces pierres sont sacrées puisqu'elles ont été lancées par Chango lui-même. Elles disent relation à cet orisha. C'est pourquoi c'est sur elles que l'on fait les libations de sang des animaux qui sont sacrifiés à Chango. C'est le bélier qui est l'animal de prédilection de celui-ci. En effet, la force des coups de tête de cet animal, la promptitude et la rapidité de son action rappellent bien la soudaineté du tonnerre fondant sur ses victimes.

L'emblême de Chango est la double hache stylisée appelée oché que ses épouses portent en main lorsqu'elles sont « possédées» par leur mari. Cet emblême de Chango représente souvent un person­nage portant le feu sur la tête. Ce feu et la double hache forment le même symbolisme. C'est toujours celui de la force, de la violence. Dans les danses consacrées à cet orisha, ses possédés brandissent la hache de celui-ci avec force. De même, à l'accélération du rythme, ils font le geste de prendre dans un sac imaginaire des pierres de foudre et de les lancer sur la terre. C'est le type de mime que nous avons déjà rencontré dans le vaudou haïtien.

98

Page 95: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

Pierre Verger rapporte cette croyance :

Les rois Yoruba revendiquent Chango comme ancêtre. Il fut le quatrième roi légendaire d'Oyo. Il avait, dit-on, de son vivant, le pouvoir de faire tomber le tonnerre à volonté. Il était également possesseur de talismans qui lui permettaient d'émettre feu et flammes par la bouche et les narines. Terrifiant ainsi ses adversaires, il gagna de nombreuses guerres et annexa les territoires voisins de son royaume.

Sa fin fut mystérieuse: suivant certaines versions son caractère violent lui créa des ennemis dans son entourage immédiat; il voulut se débarrasser des principaux d'entre eux, deux de ses généraux Timi et Gbonka. Il les opposa l'un à l'autre en un combat singulier et envoya le vainqueur faire une expédition guerrière vouée d'avance à un insuccès certain.

Ces incidents provoquèrent un mécontentement général et Chango s'exila et se pendit à un arbre. Cependant ses partisans eurent à souffrir les vexations de leurs adversaires et, pour sauvegarder la mémoire de leur roi et se protéger eux-mêmes, ils eurent recours eux aussi à des talismans. La foudre frappa les maisons des ennemis de Chango et transforma peu à peu en respectueuse terreur leurs sentiments agressifs.

D'autres versions disent que Chango fit un essai imprudent de l'efficacité de ses talismans; il fit tomber la foudre sur son propre palais, le détruisant totalement et y faisant périr ses femmes et ses enfants. De rage il aurait frappé le sol de son pied et se serait enfoncé sous terre avec un bruit terrifiant; il était devenu un Orisha. Trois de ses femmes également; l'une Oya, devint le fleuve Niger et les deux autres Ochun et Oba, les rivières qui portent ces noms 65.

Dans le vaudou haïtien, Chango est le premier des « esprits» de l'air. C'est lui qui lance la foudre du ciel sur la terre sous forme de pierres. Ces pierres dites pierres-tonnerre sont recueillies et placées sur les pé (autels) de ce Iwa. Ce sont seulement ses hounsi, ses houngan qui peuvent trouver ces pierres. Il s'agit, à la vérité, de pierre taillée des Indiens précolombiens. Chango utilise ces pierres pour en frapper ses serviteurs infidèles, qui ne s'acquittent pas de leurs devoirs. Chango les utilise encore contre ceux qui jurent faussement par son nom. Il se venge ainsi de leur mensonge et de leur parjure. Certaines formules de serment mettent spécialement ce lwa en ca use :

[oray ~razé mwê orage ecraser moi Que la foudre m'écrase!

65. P. Verger, Notes ... , p. 305.

99

Page 96: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

ou encore:

loray fân mwê orage fendre moi Que la foudreme fende!

ou aussi:

tônè fân mwê tonnerre fendre moi Que le tonnerre me fende!

Il est certain que c'est peut-être par les serments que ce /wa soit le plus connu. Ces formes de serments sont les plus sacrées pour l'Haïtien. Chango est connu aussi comme un grand soldat et reconnu comme un grand protecteur de ceux qui sont en danger. On l'invoque dans les dangers, et c'est ce chant surtout qui fait appel à son aide :

Sâgo u pa wè mwê sé petit u Chango. vous pas voir moi être petit vous Chango, ne voyez-vous que je suis votre enfant, ki tôbé rélé qui tomber pleurer qui pleure amèrement, Sâgo nu nô dlo Chango nous dans eau Chango, nous sommes au milieu de la rivière, vin sové m' venez sauver moi Venez me sauver, nu nâ dlo nous dans eau nous sommes au milieu de la rivière. vin sové m' venez sauver moi venez me sauver, Sâgo 0 0 0 .. .

Chango 0 0 0 .. .

S'âgo u pa wè sé pllll . u Chango vous pas voir c'est petit vous Chango, ne voyez-vous pas que c'est votre enfant ki tôbé rélé qui tomber pleurer qui pleure amèrement.

Le Chango haïtien n'est pas seulement l'orisha justicier, violent des Yoruba. Il est acculturé. Sa virilité et sa force sont invoquées pour être mises au service de l'esclave, et plus tard de tous ceux que la

100

Page 97: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

misère tenaille. Cette force est restée dans la mémoire collective, mais elle est plus implorée que crainte. On comprend dès lors pourquoi l'Haïtien syncrétise Chango avec le Christ du calvaire 66.

C'est l'image du sauveur qui sous-tend ce symbolisme. Par ailleurs, on immole à Chango le coq rouge doré. C'est un symbolisme de sa royauté, de sa majesté. De même, c'est le foulard rouge qu'arborent ses «possédés» et qu'ils brandissent. Tout cela marque la transcen­dance de ce lwa. On comprend aussi pourquoi cette même force peut lui donner l'ambivalence rituelle qu'il connaît en Haïti. Il est tantôt servi selon le rite rada, - donc les lwa doux, cléments, - et tantôt servi selon le rite petro, donc les lwa « méchants », disent les Haïtiens.

Enfin, le Chango haïtien n'a en définitive gardé que certains traits du Chango yoruba. L'histoire d'Haïti, la vie sociale et politique de ce pays l'ont un peu façonné.

2) Agom Tonè

Dans le panthéon de l'air haïtien, Chango connaît un rival, c'est Agom Tonè. Ce lwa commande au tonnerre et à l'ouragan. L'Haïtien semble bien établir une différence entre le bruit que fait le tonnerre et la foudre elle-même. Cette dernière serait l'apanage de Chango, et le premier, le domaine d'Agom Tonè. Toute la violence qui se déchaîne en bruit dans l'atmorphère est l'œuvre de ce lwa. C'est aussi lui qui donne la pluie. C'est J.-B. Romain qui rapporte ce fait qui révèle bien la jalousie d'Agom Tonè envers Chango.

« Un jour, dit l'ethnologue haïtien, qu'il s'était incarné dans la tête de Pierre H., il s'empara incontinent d'un bâton, en frappa rageusement barreaux de chaises, gonds, linteaux des portes. Comme nous lui demandions la raison de sa particulière mauvaise humeur, il déclara que Chango était caché dans la maison et qu'il l'en chassait pour y rester 67 ».

«Il se dit aussi puissant que Chango, continue le même ethnologue. Il en fit preuve, à son gré, en 1842, en déchaînant le cyclone et le tremblement de terre qui ensevelirent la ville du Cap­Haïtien ainsi que ses environs sous un morceau de ruines 68 ».

66. J.-B. Romain, op. cit., p. 160. 67. Ibid., p. 161. 68. Ibid., p. 161.

101

Page 98: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

On le sent bien, Agom Tonè est une création haïtienne qui vient expliquer les nombreux cataclysmes que provoquent presque chaque année les cyclones et les ouragans en ravageant le bassin des Caraïbes. Il en est de même des tremblements de terre qui secouent surtout le nord du pays. Ces fléaux révèlent la force de ce /wa. On le craint, et dès qu'il se manifeste en prenant possession de l'une de ses hounsi, l'assistance entonne ce chant de salutation :

zénéral Agom o! Général Agom ô! ala u rivé N'est-ce pas vous arriver N'est-ce pas que vous êtes arrivé? zénéra/ Agom o! Général Agom ô! a/a U rive N'est-ce pas vous arriver N'est-ce pas que vous êtes arrivé? Yo di u rwa lakay u ils dire vous roi maison vous Ils disent que vous êtes roi chez vous, Sa ki pa kônê Agom Ceux qui pas connaître Agom Ceux qui pas connaÎssent pas Agom,

vini wè li /akay la venir voir le maison voilà Qu'ils viennent le voir dans la maison que voici!

On sent tout le respect qui est porté à ce /wa en le saluant du nom de roi. On sent également le métissage culturel du nègre haïtien lorsqu'il salue son bva du titre de général.

C'est le lézard qui est le symbole d'agom. On dit que ce reptile mord d'une façon tenace et ne lâche prise que si le tonnerre gronde. Mais il est syncrétisé avec St-Jean Baptiste. Sa grande tète coïncide avec celle de ce saint, le 24 juin.

Ce /wa ne semble pas avoir de correspondant dans la zone comprise entre le pays des Ewé et celui des Yoruba. On ne le rencontre pas dans le cortège de Hébiosso, ce vaudou collectif du tonnerre chez les Fon. Sa spécialisation même semble bien montrer que Agom Tonè serait une création haïtienne eu égard au type de cataclysmes qui ravagent périodiquement Haïti. N'est-ce pas d'ailleurs l'une des fonctions du mythe d'établir la logique de tout ce qui paraît ne pas en avoir ? .. Le mythe haïtien d'Agom Tonè ne fait pas exception.

102

Page 99: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

3) Badé

Badé n'est pas un /wa spécifiquement de création haïtienne, comme le pourrait être Agom Tonè. C'est l'un des vaudou du tonnerre connus chez les Fon sous le nom collectif d' Hèbiosso. « Avec Hèbiosso, écrit justement P. Verger, nous nous trouvons en présence d'une famille de vaudoun dont l'origine, les origines plus exactement, sont difficiles à déterminer si elles sont étudiées à Abomey, endroits où Hèbiosso est constituée par la réunion de vaudoun de caractéristiques très différentes.

Un premier groupe de dieux du tonnerre ou vaudoun dont l'action justicière est de provoquer la mort et la destruction par la foudre y figure côte à côte avec un autre groupe de dieux dont l'activité est liée avec la mer et les eaux ... [ ... ] L'origine d'une partie des vaudou du tonnerre semble liée à un groupe Aïzo-Sèlo, mal étudié jusqu'ici et, peut-être comme le suggère Le Hérissé au culte du dieu du tonnerre des Yoruba 69.

Ce qui nous intéresse ici, c'est le fait que ce groupe de vaudou du tonnerre n'est pas d'origine fon, bien qu'en Haïti les /wa pris dans ce groupe soient alignés sous le titre de Rada. Puis, en Haïti, il n'y a pas ce phénomène propre au Dahomey des Fon: celui de joindre les vaudou du tonnerre à ceux de la mer que nous avons étudiées plus haut. En Haïti, les deux groupes sont disjoints. Les /wa de la mer donc des eaux salées, ou mieux de la navigation, sont plutôt liées à ceux des eaux douces, bien que les deux domaines soient relativement séparés: eaux salées et eaux douces. C'est sans doute parce que la formation du panthéon haïtien n'a pas connu les heurts survenus dans la formation de celui des Fon au pays natal et que souligne P. Verger :

A mieux examiner les choses, il semble que cette réunion de vaudoun dans le panthéon du tonnerre à Abomey est moins le fait d'une cosmogonie ancienne que le résultat du hasard; acquisition de ces vaudoun soit par rapt dans les pays voisins à la faveur de campagnes guerrières soit par des voies plus pacifiques et rusées 70 ».

Et de plus, comme nous l'avons déjà expliqué, comme le Fon d'Abomey sont arrivés en Haïti après ceux du royaume d'Arada, ils

69. P. Verger, Notes ... , p. 525. 70. P. Verger, Notes .... p. 525.

103

Page 100: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

n'ont pas pu imposer cette tradition aboméenne qui d'ailleurs s'est imposée à Allada après la conquête quand les rois d'Abomey ont entrepris de peupler le « domaine paternel» de ces mêmes vaudou.

Ces vaudou du groupe d' Hébiosso les plus connus à Ouidah, à Abomey, à Allada, sont les suivants:

a) Sogbo, « fils de Mawu et Lisa, père de tous les autres; s'il foudroie quelqu'un, l'homme reste debout; à l'arrivée du vaudounon celui-ci lance certains médicaments sur lui et il tombe à terre en expliquant ce qu'il a fait pour mériter d'être foudroyé. Les tambours jouent et les vaudoun montent sur la tête des vaudounsi. b) « Aden, vaudoun féminin. Avant qu'elle ne foudroie, il fait noir, il y aura des éclairs, la pluie tombe un peu et Aden tue. Avant cela son père Sogbo crie en grondant: « Ahumevi Anabahan/an ». Il ne faut pas tuer les gens. c) « Ak%mbé et Djakata (vaudoun masculins) Bésu et Kunté (vaudoun féminins), Badé Vaudoun masculin, très violent. plus méchant que tous les autres, tue en déchiquetant tout le corps 71.

Cette tradition que P. Verger a recueillie à Ouidah et à Abomey est légèrement différente de ce que nous-même nous avons recueilli à Allada. Ce sont les mêmes vaudou, mais le sexe ou l'attribution changent pour quelques-uns.

C'est ainsi que Sogbo devient la mère de tous ces vaudou du tonnerre et Badé, leur père. Aden est leur fils aîné, et le plus terrible. C'est lui qui foudroie avec force les voleurs, les malfaiteurs, les parjures, les menteurs. Sogbo est plutôt pacifique. Sa pluie est toute fine. C'est elle qui implore la clémence de son fils Aden et de son mari Badè lorsque ceux-ci déchaînent leur colère. Jakata est roi. C'est pourquoi il est vêtu tout de blanc et porte un chapeau de haut de forme tout blanc. D'ailleurs, alors que les autres vaudou peuvent avoir plusieurs hounsi dans le même groupe attaché au service du même temple, Jakata ne peut en avoir qu'une seule. Car il n'y a qu'un roi dans la maison. Dans ce hounkpamin (couvent) où nous avons travaillé, les deux vaudou réputés durs (sUn) sont Aden et Jakata. Après eux, vient Badè. Sogbo reste la mère: elle a pitié.

En Haïti. la pensée des gens a été moins frappée par les foudroyés, ce qui arrive plus fréquemment ici au Dahomey. Cette mort infâmante a tellement frappé l'imagination dans ce pays d'Afrique que le peuple en a donné une spécialisation à chaque vaudou du cortège. Sogbo foudroie, Akolombè arrache la tête des

71. Ibid., p. 528.

104

Page 101: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

victimes, Badè déchiquette les corps ... Dans l'Ile des Caraïbes, voici comment est tissé le symbolisme.

Sogbo, frère de Bossou-trois-cornes, est le hva de la foudre. C'est lui qui lance sur la terre les pierres polies (haches indiennes) dites pierres-tonnerre. Celles-ci sont recueillies et on en fait le symbole des /wa de cette «famille ». Au sujet du Sogbo haïtien, certaines remarques sont à faire. Il n'est ni père, ni mère, comme cela existe dans la tradition dahoméenne. Il partage son privilège avec Chango, l'orisha yoruba également adopté par les Haïtiens. Néan­moins les deux /wa restent attachés à deux traditions différentes. On n'est pas porté à les unir. Chango, selon la tradition yoruba reste puissant et solitaire, tandis que Sogbo, selon la tradition daho­méenne est inséré dans une «famille ». La sédimentation mythique africaine a donc demeuré. Sogbo est dit frère de Bossou-trois­cornes. Est-ce que ce dernier /~va ne serait pas le bèssou dahoméen, vaudou féminin, d'ailleurs comme Kounté et Aden, qui elles sont absentes du panthéon haïtien? Sogbo, en Haïti, a pour compagnon inséparable, Badé le /wa des vents. Nous n'avons pu interroger pour savoir le véritable lien de parenté établi entre Sogbo et Badé, là-bas en Haïti. Nous savons seulement qu'ils sont dans le même cortège. En tout cas, le domaine des vents qui est donné à Badè en Haïti est tout à fait différent de celui qu'il assumait dans la mythologie dahoméenne: déchiqueter le corps des foudroyés. Le Badè haïtien partage l'hégémonie du vent avec Agaou, le /wa de la tempête. C'est cet attribut d'Agaou que proclame le chant suivent :

Agau vâté, vâté Agaou venter venter Agaou, vente, vente, Li vâté nodé il venter nord-est Il vente le nord-est 72

Li vâté siwa il venter sud-ouest Il vente le sud-ouest 73

Agau sé pa mun isit Agaou être pas personne lCl

Agaou n'est pas d'ici

72. Le vent du nord-est est appelé « nordé» en Haïti. 73. Le vent du sud-ouest est appelé « sioua» en Haïti.

105

Page 102: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

Agau grôdé grôdé Agaou gronder, gronder Agaou gronde, gronde Li grôdé foray Il gronder orage Il (Agaou gronde de l'orage Agau vâté, vâté Agaou venter venter Agaou, vente, vente, Li vâté li vâté Il venter, il venter Il (Agaou) vente, vente Agau soti fan Ginê Agaou sortir la Guinée Agaou vient de la Guinée Li vâter, li vâter il venter, il venter Il (Agaou) vente, il vente.

Ce chant porte la caractéristique fondamentale des chants liturgi­ques haïtiens. Il proclame l'attribut du /wa : produire le vent, faire gronder l'orage, bref déchaîner la tempête. Le symbolisme est si fort que non seulement Agaou est le /wa-moteur qui déclenche la tempête, mais il est lui-même la tempête, il est lui-même l'orage, il est lui-même le vent. Lorsqu'on considère le caractère presque guerrier de ce /wa, son nom ne peut manquer de venir de celui de Gaou, l'un des deux grands chefs militaires du roi d'Abomey. L'autre s'appelait le possou. Ce nom donc est une réminiscence fon qui a servi dans l'acculturation des vaudou du tonnerre du groupe d' Hèbiosso. Il faudrait identifier à Agaou le /wa Agom Tonè que nous avons déjà vu plus haut. Ils ont les mêmes attributs. Car, comme Agom Tonè, Agaou fait aussi trembler la terre. Et quand la terre tremble, les gens disent qu'Agaou est mécontent. Les transes qu'il provoque sont très violentes. La même force anime les «possédés» d'Agom Tonè. On dit qu'Agaou peut, par sa brutalité, causer la mort des individus qu'il chevauche. Ses «possédés» cherchent à imiter les grondements du tonnerre et les mugissements de la tempête, en soufflant de toute leur force et en crachant comme des phoques. Mais le caractère guerrier de ce /wa Agaou apparaît dans ces paroles que celui-ci ne cesse de répéter lorsqu'il vient sur la tête de sa hounsi :

106

Sé mwê, kânônyé bô Dyé C'est moi, canonier Bon Dieu C'est moi, canonier de Dieu

Page 103: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

La m' grôdé Lorsque moi gronder Lorsque je gronde, syèl la trâblé ciel le trembler Le ciel tremble!

Structure religieuse

On retrouve le même caractère guerrier et autoritaire d'Agom Tonè. Agaou, lui aussi, est conscient de son rôle, de son pouvoir. On peut aussi remarquer la conscience de dépendance du /wa de Dieu qui est l'être suprême, et en même temps aussi la conscience de la plénitude de sa puissance dans le domaine qui lui est attribué. Nous avons déjà parlé de tout cela. Ces paroles viennent confirmer notre assertion.

4) Ogou- Badagri

Le pouvoir sur les phénomènes atmosphériques - foudre, orage, ouragan, tempête - est disputé par de nom breux /wa. Il y a encore Ogou-Badagri qui est aussi le maître de la foudre et de l'orage comme le témoigne ce chant:

Badagri ô! iénéral sâglâ Badagri oh! général sanglant Badagri oh! généraL qui aimez le sang, Badagri ki kêbé loray Badagri qui tenez orage Badagri, qui tenez l'orage U sé iénéral sâglâ Vous être général sanglant Vous êtes le général qui aime le sang, zèklè fè kataoo éclair faire kataoo Les éclairs font kataoo 74

Sé u ki voyé zèklè C'8st vous qui lancer éclair C'est vous qui lancer l'éclair, Tonè grôdé Tonnerre gronder Le tonnere gronde, Sé u ki voyé tônè c'est vous qui lancer tonnerre C'est vous qui lancer le tonnerre Badagri ô! iénéra/ sâg/â Badagri oh! général sanglant Badagri oh! général, qui aimez le sang.

74. Onomatopée qui souligne le grand nombre d'éclairs.

107

Page 104: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

Ce chant met bien en relief le mythe de ce /wa, son caractère militaire, sa fonction dans le corps des /wa.

Une première remarque s'impose. Agom Tonè, Agaou, Ogou­Badagri se recoupent dans leurs fonctions, sauf que ce dernier ne fasse pas trembler la terre et se cantonne seulement dans les phénomènes atmosphériques. Les trois ont le caractère militaire. On peut se demander s'il ne s'agit pas là de tradition de sources différentes, néanmoins relative aux mêmes phénomènes atmosph­ériques et présentant des personnages de noms différents. Il le semble bien. Si la mémoire du chef militaire des rois d'Abomey survit dans la mythologie haïtienne sous le nom d'Agaou, le vaudou des Yoruba survit avec même son surnom, Ogou-Badagri.

Une seconde remarque s'impose. C'est que l'Ogoun des Yoruba s'est démultiplié en un certain nombre d'Ogou en Haïti appartenant au groupe des /wa du feu, et habitant les airs. Néanmoins ces /wa sont liés à l'éclair et au tonnerre. La foudre est spécifiquement de leur ressort en tant qu'elle est liée à l'idée de guerre, de bataille. Il nous faut revenir sur tout cela dans le paragraphe suivant. Voilà pourquoi nous allons parler des /wa du feu avant l'imposant cortège de ceux de la terre. Car les Ogou haïtiens sont liés au feu.

c) Les /wa du feu

Le feu est dans la culture africaine un élément non seulement sacré, mais encore mystérieux. Il en est de même dans la tradition haïtienne. Mais lorsqu'on parle des /wa du feu, c'est l'aspect destructeur du feu qui a semblé retenir l'attention. Cet aspect destructeur est lié à la guerre. Ces lwa sont représentés surtout par deux groupes très importants :

1) Les Ogou, dont nous avons commencé à parler; 2) Les Marinette, de rite petro.

Tout d'abord nous poursuivrons notre étude sur les Ogou.

1) Les Ogou

108

Pierre Verger écrit ceci

Ogun chez les Yoruba, Gu chez les Fon est le dieu des forgerons et de tous ceux qui utilisent le fer : guerriers, chasseurs, cultivateurs, bouchers, pêcheurs, coiffeurs, etc.

Page 105: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

Et depuis quelques décades Ogun est devenu aussi l'Orisha des chauffeurs et des mécaniciens. Ogun est un, mais on lui donne sept noms car le chiffre sept lui est associé: on le dit complet en sept parties. Il est représenté par des instruments de fer forgé au nombre de sept, quatorze, seize, vingt-et-un ou quarante-et-un enfilés sur une tige de fer. Il est aussi représenté par des franges de feuilles de palmier effilochées appelées mariwo par les Yoruba et azan par les Fon. C'était le vêtement porté par Ogun autrefois et la présence de ces franges, au-dessus d'une porte ou en travers de l'entrée d'un chemin, suffisent par leur présence à l'évoquer et à éloigner les mauvaises influences; posées plus près du sol elles interdisent le passage; aller outre serait s'exposer à la colère du dieu. Si d'une part, Ogun ferme les chemins aux forces néfastes extérieu­res, par ailleurs c'est lui qui ouvre le chemin pour toutes les actions à entreprendre; il convient de le saluer de suite après Echou. Au cours des sacrifices pour les autres Orisha des louanges lui sont exprimées et des offrandes lui sont faites, car sans couteau forgé par lui, le sacrifice ne serait pas possible. [ ... ] Voici un certain nombre de légendes recueillies au sujet d'Ogun. Elles varient sensiblement suivant l'endroit où elles ont été recueillies et semblent influencées par les traditions locales. Elles vont du récit historique à l'histoire légendaire et à la légende dépouillée de son contexte historique en passant par la rationalisation de certaines coutumes ou même de simples contes. A llè Ifè le renseignement suivant m'a été donné par le Oni de Ifè : Ogun était le fils, premier né, de Odudua et il commandait à la place de son père lorsque celui-ci devint aveugle, Ogun étant mort avant Odudua, celui-ci déclara: «Je n'ai plus de fils puissant pour garder l'ensemble de mon royaume; Obalufon n'est pas assez guerrier» et il partagea ses terres entre ses divers fils. Plus tard il retrouva la vue et plus tard encore Obalufon lui succéda. Ogun devint la divinité du fer et de la guerre, il n'eut jamais de couronne. Ses fils vivent à Ire où il y avait sept villages; ces villages sont détruits maintenant. Le chef de famille est Onire à Ifé Ekiti près de Ado Ekiti. Ogun lakaiye dede igbo est le nom qu'il portait de son vivant.

A Ifé Ekiti, Onire m'a raconté sur Ogun l'histoire suivante, continue P. Verger :

Ogun est le fils premier né de Odudua, c'est un guerrier redoutable sanguinaire et insatiable; il ramène toujours un butin considérable de ses expéditions. Il combat contre la ville d'Ara et capture les gens d'Ara, il conquiert la ville de Ire en tue le roi et y établit à sa place son fils aîné né à Ilè Ifè qui prend le titre de Onire, il part se battre ailleurs, fait d'autres conquêtes et retourne à llè Ifè d'où il est venu.

Longtemps après il décide de revenir à Ire où par malheur, le jour où il arrive une cérémonie est célébrée au cours de laquelle les assistants ne doivent parler sous aucun prétexte, et ne peuvent

109

Page 106: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

s'exprimer que par geste. Ogun a faim et il a soif: il voit des jarres qui ont contenu du vin de palme mais il ignore qu'elles sont vides; personne ne lui parle ni ne répond à ses paroles; il ne reconnaît pas les lieux car il n'est pas revenu à Ire depuis très longtemps. Ogun est pris de colère devant le silence général qu'il prend pour du mépris; il commence à briser à coups de sabres les jarres qu'il espère pleines mais où il ne trouve rien; puis, emporté par l'action, il se met à couper la tête des gens jusqu'au moment où son fils Onire apparaît et lui offre les nourritures qu'il aime et où figurent en bonne place chiens et escargots, de l'huile de palme des feuilles appelées tètè et force jarres de vin de palme. Pendant qu'il apaise sa faim et sa soif les gens d'Ifè chantent ses louanges. Ogun calmé, regrette ses actes de violence et déclare: «Quelles que soient la bravoure et la vaillance d'un homme, il lui faut un jour trouver où reposer; j'ai fait preuve jusqu'ici de bien assez de courage ». Il abaisse son sabre vers le sol et s'enfonce sous terre; avant d'y disparaître, il prononce quelques mots; mais ceux-ci ne peuvent être répétés à la légère, car lorsqu'ils sont dits au cours d'une bataille, Ogun apparaît, dit-on, aussitôt à l'aide de celui qui les a prononcés. Il n'y a pas de place au monde où l'on puisse aller sans l'aide de Ogun. [ ... ] Cette autre histoire m'a été contée également à Porto-Novo, dit P. Verger, et semble extraite d'une légende d'un Odu de lfa : Ogun était un guerrier envoyé pour casser les villes au profit du roi (Odudua). Un jour il va à Ifé où il avait été provoqué; il casse tout, ramasse tout, coupe la tête du roi d'Ife. Ilia met dans un sac; il attache tous les prisonniers et les amène chez son seigneur. Mais des gens, des ministres ont entendu parler de la chose: ils courent voir le roi et disent: « Ogun veut ta mort, il vient présenter la tête du roi d'Ifé, or un roi ne doit jamais voir la tête fraichement coupée d'un autre roi. Le roi envoie donc une commission à Ogun devant les portes de la ville pour lui prendre la tête du roi d'Ife. Une fois celle-ci entre leurs mains, les délégués envoient dire au roi (Odudua) qu'il peut recevoir Ogun sans danger. Ogun apparaît donc devant le roi qui pour s'en débarrasser lui dit: « Je te confie tous ces prisonniers, retourne à Ife et règne sur eux ». C'est ainsi que Ogun est devenu roi de Ifé 75.

Ce qui sous-tend tous ces récits, c'est le thème de la guerre. Or, voici comment J.-B. Romain décrit l'Ogou ou plutôt les Ogou haïtiens :

Les esprits du feu forment une famille - celle des Ogu - aussi importante que la famille des Dan. Ils appartiennent à la caste des guerriers, des forgerons, des

75. P. Verger, Notes ... , p. 141 ss.

110

Page 107: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

métallusgistes, des travailleurs du fer, en général. Les plus populaires d'entre eux se nomment Balêjo, Fer ou Féra i//e , Badagri. Ogu Balêjo les représente tous, les ayant tous supplantés. Il règne souverainement dans le département du Nord. Il est là, une sorte de dieu guerrier à l'instar du dieu Mars des Romains. Nombre de héros haïtiens de l'époque coloniale viennent du Nord. Selon la tradition, ils doivent leur bravoure et leur prestige militaire à Ogu Balêjo. Leur comportement à la bataille de Vertières le prouve. S'ils montèrent victorieusement à l'assaut de cette citadelle en plongeant leur bras dans la gueule des canons pour en arracher les boulets c'est qu'ils incarnaient, alors, le dieu du fer et du feu. Balêjo a pour symbole un sabre planté en terre ou une forge en miniature devant son autel. Sa couleur préférée est le rouge, son oiseau de sacrifice, un coq rouge comme celui des autres Ogu. Mais ce coq porte une crête double ou marquée d'un sillon en son milieu. Cette particularité rappelle que Balêjo est frère jumeau d'Ogu Férai//e. Deux jours par semaine, le mercredi et le vendredi, son autel doit être éclairé, à l'huile de palme christi. Autant que possible on allume la mèche nageant dans le contenu d'huile d'un bol, en soumant sur une braise ardente. Au cours des cérémonies à l'adresse de Balêjo l'officiant fait sauter, par trois fois, la poudre à canon. Puis il chante la chanson suivante qui glorifie le dieu et le considère comme St Jacques le Majeur: Ogu Balêjo Ogou Balindjo Wa a di yo mwê vânyâ gasô vous (fut.) dire leur moi vaillant garçon Vous leur direz que je suis un homme vaillant; Mn'ê mêm sê zak maze Moi même saint Jacques Majeur Moi-même saint Jacques Majeur; Wa a di yo mwê vânyâ gasô vous (fut.) dire leur moi vaillant garçon Vous leur direz que je suis un homme vaillant 76.

Balêjo et les autres dieux haïtiens du feu trouvent leurs pendants en Afrique noire avec des attributs identiques. Ces dieux africains s'appellent également Ogi chez les Yoruba, les Bini, les Dassa et Gu chez les Fon 77.

Ce texte de J.-B. Romain met bien en relif le caractère guerrier, martial de rOgou haïtien. C'est le reliquat de la mythologie yoruba. On comprend que le peuple ait donné à ces Iwa le domaine de la foudre, des éclairs, de l'orage à cause du fracas des batailles. Ce fracas et le tonnerre sont identiques dans la pensée populaire. Et puisque la foudre brûle, on comprend que du coup on a confié la garde du feu à ces mêmes Iwa.

76. Il fait allusion à sa qualité guerrière. 77. J.-B. Romain, op. cit., p. 159.

III

Page 108: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

Mais ce caractère guerrier, martial, l'Haïtien lui a donné la couleur du terroir en raison même de la guerre de l'Indépendance (1791-1804) et de nombreuses guerres civiles qui ont déchiré le pays jusqu'en 1915. Voici comment A. Métraux dépeint l'Ogou haïtien:

« On prête à Ogou l'aspect et les façons des vieux briscards du « temps des baïonnettes» (guerre civiles). Pour mieux incarner Ogou, les fidèles qui sont habités par lui se coiffent d'un képi à la française et revêtent un dolman rouge. Ceux qui ne possèdent pas ces défroques militaires se ceignent la tête d'un foulard rouge et attachent d'autres foulards de cette même couleur autour de leurs bras. Les « Ogou» brandissent un sabre ou un coupe-liane. Ils affectent le langage brusque et énergique du soldat, qu'ils entrecou­pent de gros jurons. Ils mâchonnent un cigare et réclament du rhum selon la formule consacrée

grên mwê frèt testicules moi froids Mes testicules sont froids

Les membres de cette famille divine sont de grands buveurs que l'alcool n'incommode jamais. C'est ce que nous apprend 'un chant en leur honneur :

Mèt Ogou bwè Maître Ogou boire, Maître Ogou boi t, li bwè, mê li jâm su il boire, mais il jamais saoul Il boit, mais il n'est jamais saoul 78

Ogou ne serait pas un vrai soudard s'il n'avait aussi un faible pour les jupons. Il se ruine pour les jolies femmes :

Ogou travay 0 ! li pas mâzé Ogou travailler oh! il pas manger Ogou travaille oh! il ne mange pas. Li séré lazâ il cacher argent il cache de l'argent Pu li al' domi kay bèl fâm pour il aller dormir maison belle femme Pour aller dormir chez les belles femmes. y è 0 swa Ogu dom; sâ supé hier au soir Ogou dormir sans souper hier au soir Ogou a dormi sans souper

78. La traduction des deux chants a été remaniée.

112

Page 109: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Ogu travay 0

Ogou travailler oh! Ogou travaille oh!! Ogu pa mâ~é Ogou pas manger Ogou ne mange pas Li aS"té bè/ rob pu fâm li Il acheter belle robe pour femme lui Il achète de belle~ robes pour sa femme. Yè 0 swa Ogu Idomi sâ supé Hier au soir Ogou dormir sans souper Hier au soir Ogou a dormi sans souper 79

Structure religieuse

A. Métraux a donc saisi un Ogou tout à fait acculturé. C'est le vieux militaire haïtien tel que le 1ge s. l'a connu après l'Indépen­dance. C'est aussi le militaire avec un langage un peu paillard. On pourrait dire que c'est l'un des côtés pittoresques de la vie des casernes. Mais l'on peut retrouver dans le pays d'origine des éléments qui ont peut-être présidé à la création de cette partie du mythe haïtien. P. Verger rapporte cette histoire qui lui a été racontée à Ifé par Onire :

Autrefois Ogun était très batailleur. Il était le premier né de Odudua. S'étant battu du côté de Oyo, il ramena la mère de Oraniyan de la bataille. La femme était attrayante, lorsqu'il la vit il eut des relations avec elle. Lorsque Ogun arriva auprès de son père Odudua, celui-ci trouva aussi la femme attrayante. Odudua dit à Ogun qu'il espérait qu'il n'avait pas eu de relation avec elle. Odudua prit la mère de Oraniyan comme femme. Odudua était de teint clair. Ogun était quelqu'un de très noir. Neuf mois après la femme accoucha d'un enfant dont une partie était noire et l'autre partie était claire. Odudua, père de Ogun appela Ogun et dit : « Lorsque je t,ai demandé si tu avais eu des relations avec cette femme sur le chemin ce jour tu étais d'accord ». Ogun n'a pas pu répondre 80».

Il ne faudrait donc pas que l'on croie que les liens entre Ogun et les femmes ont commencé avec la mythologie haïtienne. Il y a à l'arrière-plan de celle-ci la pensée yoruba tout comme va encore le confirmer cet autre mythe recueilli par P. Verger à Kétou :

A Kétou on dit que: « O/orun a mis Ogun au monde avec sa femme O/ure et leur a dit de descendre sur terre. O/ure ne veut pas que Ogun vienne avec elle. Ogun reste au ciel. Elle se met en route et trouve qu'un très grand

79. A. Métraux, op. cit., p. 96. 80. P. Verger, Notes ... , p. 143.

113

Page 110: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

arbre est tombé en travers du chemin. Elle revient trouver O/orun et lui demande que Ogun vienne couper l'arbre. Ogun coupe l'arbre et ouvre le chemin. O/ure est assise les jambres écartées et un morceau de bois saute accidentellement et entre dans son vagin. Ogun retourne vers O/orun et O/ure va vers la terre, mais le morceau de bois la fait souffrir, elle ne peut plus continuer, elle retourne vers O/orun pour que Ogun la débarrasse de ce bois. Ogun lui demande si elle l'épousera, elle accepte. S'il avait été plus patient ce seraient les filles qui demanderaient les garçons en mariage. Ogun enlève le morceau de bois et une cicatrice est restée. C'est l'origine de l'excision. O/ure devient sa femme et O/orun leur dit de descendre tous deux sur la terre. Après cela, les femmes disent que les hommes ne sont rien dans la ville. C'est la femme qui marche devant le mari. Tous les hommes sont Ogun. Toutes les femmes sont O/ure. Ils vont à Ekiti Ado. Ogun a des relations avec O/ure mais comme le sperme ne sort pas assez vite Ogun coupe le bout de son pénis; c'est l'origine de la circoncision 81.

Dès le pays yoruba donc, Ogun est mêlé à des problèmes des relations sexuelles. En Haïti, cette sédimentation mythique a survécu, mais réinterprétée selon les circonstances historiques particulières au milieu.

Il en est de même pour l'affinité de l'Ogou haïtien avec le rhum, le tafia... Cette affinité est déjà en germe dans le mythe nago ou yorubSl. L'histoire racontée à P. Verger et que nous avons mentionnée plus haut, concernant les jarres de vin de palme, est très explicite là-dessus. A cette histoire il faudrait encore ajouter celle-ci qu'a recueillie encore P. Verger à Porto-Novo :

A Porto-Novo, écrit-il, la raison pour laquelle les jarres vides de vin de palme sont tournées ouverture vers le bas est donnée par l'histoire suivante qui dérive de la précédente (c'est-à-dire celle que nous avons mentionnée ci-dessus) : Ogun voyage, le soleil est ardent, il est midi, il a grand soif. Il passe devant un apatam (abri couvert de chaume) où on vend du vin de palme. Il demande à boire, les jarres sont toutes vides, il n'y a plus de vin de palme. Mécontent il part, les vendeurs se mettent à rire. Ogun fâché revient et demande « De quoi riez-vous donc?» Il tire son épée et les blesse puis il regarde et voit que les jarres sont bien vides et jusqu'aujourd'hui les vendeurs de vin de palme retournent les jarres vides, ouverture vers le sol, afin d'éviter toute méprise et difficulté avec Ogun s'il venait à passer 82.

81. Ibid., p. 144. 82. Ibid., p. 142.

114

Page 111: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

Il Y a donc une tradition qui lie Ogun à la boisson. C'est sans doute à celle-ci que se rattache la mythologie haïtienne sur ce point. C'est dire qu'il faut manier avec une certaine précaution les concepts de transformation, de changement appliqués aux mythes des Iwa haïtiens lorsqu'on compare ceux-là aux mythes africains des pays d'origine. Parfois il faut se demander finalement à quel récit s'accroche et se rattache, même par un fil très ténu, la version haïtienne. Par exemple, cette parole de R. Bastide ne pourrait pas s'appliquer au mythe d'Ogou :

Troisième changement écrit-il: la mythologie des Fon a entièrement disparu 83 et à sa place s'est créée sur place une nouvelle mythologie, qui consiste à identifier l'histoire du Iwa avec le comportement de ses fidèles; ce sont donc les biographies des « chevaux» des dieux, leurs aventures miraculeuses, qui remElacent les mythes ancestraux, perdus par la mémoire collective 4.

Personnellement nous croyons qu'il faut parler de réinterprétation en ce qui concerne ce point précis, phénomène très compréhensible à cause de la pression ethnique des Fon en Haïti, des circonstances historiques et des situations sociales propres à ce milieu. Cela ne veut pas pour autant dire qu'il y a eu complète disparition des éléments primitifs.

Mais en fait, il y a malgré tout une transformation radicale et que souligne justement R. Bastide.

Il reste de l'Afrique, écrit-il, l'idée que ces Iwa forment des « familles» (fanml) mais ce ne sont pas les familles traditionnelles de la mythologie fon, telles qu'on peut les retrouver bien conservées au Marannâo; ce sont des groupements de divinités de même nom, distingués seulement par un qualificatif; par exemple, la famille des Ogou comprend le père, Papa Ogou, Ogou Badagri, qui est général, Ogou Ferraille, qui est le protecteur des soldats, Ogou Ashadé, qui connaît les plantes médicinales (rattaché à la famille probablement parce qu'il soigne les blessures de guerre), Olisha, magicien, Ogou Balindjo (guérisseur et général), Ossange (l'Ossaim des Yoruba), etc. Donc, premiere changement par rapport à l'Afrique 8S.

Enfin, ces Ogou, habitant les airs et maniant l'orage, le tonnerre et la foudre, liés aussi au feu parce que celui-ci est lui-même le symbole de la destruction de la guerre dont les Ogou sont les

83. C'est nous qui soulignons. 84. R. Bastide, op. cit., p. 145. 85. Ibid., p. 145.

115

Page 112: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

maîtres, ces Ogou, disons-nous, sont finalement bien haïtiens. Il reste des réminiscences, à coup sûr, des mythes africains, - c'est d'ailleurs ce qui rattache ces /wa à la terre d'origine - mais malgré tout, ceux-ci sont le produit du terroir à cause même de la projection du social haïtien dans la superstructure religieuse.

Qu'en est-il des Marinette dont le feu est aussi le domaine?

2) Les Marinette

Cette fois, nous avons affaire à un type de /wa étrangers à la Côte des Esclaves. Ils relèvent de la tradition congo, appartiennent au rite petro, sont considérés comme création haïtienne. A. Métraux dit de ces /wa :

116

Marinette bois-chèche, l'un des /wa les plus redoutés de la classe des petro, nous est particulièrement bien connue grâce à une excellente monographie que Mme Odette Mennesson-Rigaud et M. Lorimer Denis lui ont consacrée. C'est une diablesse vouée au mal et l'exécutrice des basses œuvres de Kita, lui-même un grand /wa sorcier. La chouette est l'animal symbolique de Marinette ou, si l'on veut, elle est une chouette, car ceux qu'elle possède s'efforcent de ressembler à cet oiseau. Ils font «bec à terre» (baissent la tête), laissent pendre leurs bras comme des ailes et recourbent leurs doigts en griffes. Marinette est surtout révérée par les loups-garous qui lui font des « services» propitiatoires lorsqu'ils ont besoin de son aide. Elle vagabonde dans les bois et c'est là que ses « serviteurs» viennent déposer leurs offrandes dans des endroits secrets. Elle s'y rend à la faveur de la nuit, afin de ne pas devoir partager sa nourriture avec quelque autre /wa, car elle passe pour une divinité « chiche ». Le culte de Marinette-bois-chèche n'est pas répandu dans tout Haïti. Au moment de mon séjour, il gagnait les départements du Sud. Les cérémonies en son honneur sont célébrées en pleine campagne sous une tente élevée près d'un « poteau-démembré » (poteau sacré). On allume un grand feu dans lequel on jette du sel et de l'essence. Le houngan provoque des possessions parmi l'assistance en frappant les gens qui l'entourent avec un foulard rouge. Par la bouche de ses « chevaux» Marinette avoue ses crimes et se vante du nombre de gens qu'elle a « mangés ». Houngan et possédés se jettent dans le feu et le piétinent jusqu'à ce qu'ils l'aient éteint. On lui sacrifie des poules - plumées vivantes - des chèvres et des truies de couleur noire. Personne ne touche à ces offrandes que l'on 'doit enterrer. Marinette-bois-chèche est la maîtresse de Petro-jé-rouge, mais elle est aussi la femme de Ti-Jean-pied-fin, prince Zandor, Ti-Jean­Zandor ; c'est un petit homme habillé de rouge, qui sautille sur une jambe et se perche volontiers sur le sommet des palmistes d'où il surveille les routes et s'élance sur les passants, qu'il dévore. Il m'a suffi d'observer les jeux de physionomie et les gestes que Jean

Page 113: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

Zandor habitait pour que me soit révélée sa nature violente et rageuse. La possédée, les yeux dilatés et fixes, commença par marcher à reculons, les bras dans le dos. Quand les tambours s'arrêtèrent, elle tomba à genoux près de la fosse contenant les restes du sacrifice et se mit à jeter furieusement les bras d'un côté et de l'autre, comme en proie à un immense chagrin. Puis, croisant les bras sur la poitrine, elle les mordit à belles dents. Quand on eut fait éclater près d'elle de petites charges de poudre, elle tendit ses bras vers la fumée et, plongeant sa tête dans la fosse, la secoua avec une énergie féroce. Bakoulou-baka, qui' traîne des chaînes derrière lui, est un Iwa si terrible qu'on n'ose l'invoquer. Lui-même ne possède personne. On lui porte ses offrandes dans les bois dont il fait sa demeure &6.

Cet exemple du Iwa Marinette montre combien dans le vaudou haïtien il est difficile de parler d'une tradition et d'une tradition dahoméenne. Les deux groupes de Iwa du feu - Ogou et Marinette - n'ont pas de rapport avec une création fon. Car les Fon eux­mêmes ont reçu leur Gu des Nago. Nous-mêmes nous n'avons pas rencontré trace de tradition de ces Iwa haïtiens à Allada. Heureuse­ment les Iwa Marinette ne sont pas rangés sous le nom de Rada mais celui de petro. Ces Iwa Marinette constituent un exemple peut­être d'une interprétation de la magie bantou en terme de religion par les Fon d'Haïti. Mais là nous sommes à l'inverse du phénomène tel qu'il est expliqué par R. Bastide : « Nous pouvons penser qu'au fond le Vaudou Petro a consisté à réinterpréter la religion dahoméenne dominante en termes de magie bantoue» 87. Nous avons déjà cité ce texte. Il faut manier le fait religieux haïtien avec infiniment de précaution. Tout le rituel des marinette avec tout son cortège de symboles: chouette, culte de loups-garous, repas rituel dans la nuit et au fond des bois, poules plumées vivantes, sacrifice de truies (surtout !), de chèvres et de poules de couleur noire, le « crime» même de la sorcellerie (<< mangé moune », manger personne), bref, tout cet ensemble fait partie de la sorcelleriefon ou du rituel de conjuration de la sorcellerie tel que l'applique le bokonon, qui est le prêtre anti-sorcier. A la limite, il faudrait dire que c'est le champ symbolique de la sorcelleriefon qui s'est muté en religion grâce à l'apport congo. En tout cas, les Fon en Haïti ont bien pu se retrouver dans ce rituel congo et même l'enrichir.

86. A. Métraux, op. cit., p. 103. 87. A. Métraux, op. cit., p. 147.

117

Page 114: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

Ces lwa du feu forment un double cortège de tradition mythique très différente. Néanmoins les Haïtiens n'ont pas fait que les placer dans leur propre système des esprits. Les figures de ces lwa ont été modifiées, ciselées selon les exigences propres de la société haïtienne et eu égard aux impératifs de l'histoire et du milieu naturel. C'est ce double facteur qui a concouru à produire ces lwa qui nous étonnent par leur originalité lorsqu'on se réfère à leurs homonymes africains.

En est-il de même pour les lwa de la terre?

d) Les lwa de la terre

C'est très justement que G. Parrinder a écrit :

Les esprits de la terre occupent une place de premier plan dans la vie religieuse de l'Afrique occidentale. Les dispensateurs de fécondité, pour la famille et pour les récoltes, sont honorés comme l'étaient ailleurs Demeter, la terre-mère et les déesses similaires de l'ancienne Europe et de l'Orient 88.

Il existe une prise de conscience de la terre comme source de vie. Ainsi, continue G. Parrinder,

Chez les Ibo, le terre «est la grande déesse-mère, l'esprit de fécondité, la plus proche et la plus chère de toutes les divinités. Certaines de ses statues se trouvent dans les temples des Ibo Mbari ... ; elle a un enfant dans ses bras ou sur ses genoux, un halo autour de la tête, et souvent le croissant lunaire est dessiné soit au­dessus d'elle, soit à côté; telles, ces statues rappellent quelques madones d'Italie, et plus encore Ast ou Isis avec son enfant, Horus. Les attitudes des deux déesses sont très similaires. Souvent aussi, comme pour les déesses crétoises, des serpents sont représentés à la suite de la grande mère ibo» (Talbot) [ ... ] Dans les trois principaux groupes que nous étudions, le développe­ment des cultes chtoniens n'est nullement uniforme. Il s'agit parfois d'une divinité féminine; ailleurs elle est masculine; çà et là, des apports successifs l'ont obscurcie. En général, le dieu de la terre ou de la région persiste, au milieu de pratiques cultuelles importées ultérieurement, et il prend place parmi les divinités supérieures. La divinité de la terre est le second grand esprit que révèrent les Ashanti; ils l'appellent Asasé Ya ou Abéréwa (vieille mère - Asasé Efua en dialecte fanti) ; Ya est un terme très répandu pour désigner une vieille femme, et c'est aussi le nom propre des femmes nées un jeudi, jour mis à part au service de la terre-mère. Beaucoup considèrent cette déesse comme étant l'épouse du dieu du ciel; cependant «aucun temple ne lui est élevé, aucun autre objet, consacré; et son pouvoir n'en reste pas moins universellement reconnu» (Rattray, Ashanti, p. 214 s.)

88. G. Parrinder, La religion en Afrique occidentale, p. 60.

118

Page 115: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

Dans le chapitre précédent, nous avons parlé d'Odudua, la déesse­terre, créatrice, des Yoruba, la partenaire de l'Obatala c~leste, connue des Gû sous le nom d'Odua. ( ... ) Odudua est la patronne de l'amour, en tant que déesse de la fécondité. L'un de ses principaux temples se trouve à Ado, près de la frontière entre le Nigéria et le Dahomey. L'Ewe vénère la terre sous les noms d'Ayi et de Li. Ce dernier est souvent rapproché de Dâ, dieu serpent populaire ... La moindre bourgade possède un sanctuaire du dieu chtonien, ayi­zâ. Il y a un clan « fils de la terre» (ayinôn-vz) qui adorent un certain arbre, l'iroko ... Dans la plupart des villes et des villages existe un chef ou « propriétaire de la terre» (balê, ayi-nôn). Il est le représentant des occupants primitifs du soL. Une autre divinité chtonienne des Yoruba est Orishaoko, le « dieu de la ferme», Orishaoko, par contraction, qu'on appelle aussi Ajo­oko, « le serpent de la ferme». C'est un dieu de la fécondité; on l'adore particulièrement lors de la récolte des ignames ... Actuellement, le culte d'Odudua est moins répandu et prédomine moins que celui de Shôkpona ou Sakpata, généralement connu comme «dieu de la petite vérole». Au Dahomey, ses fidèles sont plus nombreux que ceux de tous les autres dieux. Ce culte a le plus souvent embarrassé et même égaré les chercheurs qui étudiaient la religion nigérian ne et éwé ; ils inclinaient à n'y voir que du mal. Le premier, semble-t-il, Le Hérissé aura découvert que Sakpata était un dieu chtonien: « Il est le fétiche du sol» (l'Ancien royaume du Dahomey, p. 128). Ce résultat fut renforcé par les études de Herskovits. Récemment, on a surtout insisté sur la sanction dont ce dieu dispose au moyen de la petite vérole, et ceci recouvre plus ou moins son caractère de divinité de la terre. Les Fon donnent à Sakpata la place d'honneur; il est pour eux le premier dans le panthéon terrestre (ayi-vodû). Certain mythe installe Sakpata dans la moitié inférieure de la calebasse, celle d'en haut revenant à l'ancien dieu Sogbo, ou Dada Sêgbo. Un petit-fils du roi Glélé, à Abomey, me donna spontanément cette information: « Ayi est Sakpata». On appelait Sakpata « roi de la terre»; telle est l'une des raisons auxquelles se réfère le bannissement temporaire dont le frappèrent certains rois dahoméens, car deux rois ne peuvent régner dans la même cité ... L'un des quatre jours composant à eux seuls l'ancienne semaine dahoméenne (mioxi) est consacré à Sakpata. Ce jour-là on ne laboure pas; de là vient que c'est devenu le jour de marché, ou le jeudi quand prévalut la semaine de sept jours ... 89

Il existe donc sur la Côte des Esclaves une véritable tradition concernant le culte de la terre comme telle. Celle-ci est mythisée en un esprit tutélaire. C'est ce qui ressort de cette analyse de

89. Ibid., p. 60 ss.

119

Page 116: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

G. Parrinder. Nous-mêmes, nous avons constaté la même chose durant notre enquête au Dahomey. « Sakpata, c'est la terre », nous a-t-on souvent dit.

En Haïti, on a perdu cette tradition. La terre n'est pas considérée en elle-même comme Iwa comme elle est vaudou chez les Fon ou chez les autres ethnies du Golfe de la Guinée. Sur ce point précis, il y a rupture. Car Haïti n'a aucun Iwa proprement chtonien. Et quand nous parlons des Iwa de la terre, nous n'entendons pas pour autant que la terre est divinisée en tant que telle, mais que ces « esprits» y habitent ou exercent leur pouvoir en des lieux qui s'y rapportent. Et pourquoi la perte de cette tradition? Il semble bien que les Haïtiens, pressés par l'esclavage, la misère physique, psychologique et morale plus que par le souci de se reproduire, furent portés à regarder vers le ciel et à implorer les « esprits» d'en­haut et « Papa Bon Dieu» lui-même plus qu'à regarder en bas vers la source de la vie. Le panthéon haïtien est né d'un besoin urgent d'un salut-délivrance. Ses Iwa sont des sauveurs. Car c'est toujours le même cri qu'on adresse à tous les Iwa :

sové /avi mwê sauver vie moi Sauvez ma vie.

Ou encore:

ba mwê /avi donner moi vie Donnez-moi la vie.

La vie est prise comme une donnée. Tout le souci de l'homme est de la conserver et l'arracher des griffes de tout ce qui la menacent. A ce sujet les chants vaudou haïtiens sont très suggestifs. Ceux-ci sont tissés de complainte et de supplication, tel ce refrain à Danbala :

Papa Dâbala, Papa Danbala, Sél pu protéié mwê c'est pour protéger moi Vous devez me protéger.

Aussi c'est en vue de cette protection que l'Haïtien a organisé son panthéon de la terre. Et voici les principaux représentants de celui­ci:

120

Page 117: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

1) Legba 2) Loko 3) Aïzan 4) Agassou 5) A vrékété ou V élékété

Ils correspondent généralement à des vaudou connus dans le Bas­Dahomey. Qu'en est-il de leurs mythes dans les deux mondes dahoméens et haïtiens?

1) Legba

Ce /wa est originaire du pays yoruba et s'appelle Eschou ou E/egbara. De là, il a émigré chez les Fon et s'appelle Legba. C'est ce dernier nom qu'il porte en Haïti. P. Verger a fait la synthèse suivante de la tradition africaine relative à cet orisha ou vaudou:

Eschou E/egba est le messager des autres orisha; il est aussi le gardien des temples, des personnes, des maisons et des villes. D'un caractère irascible il est la colère des Orisha et des hommes; il aime à susciter les dissentions et les querelles et à provoquer les accidents et les calamités publiques et privées. Il obtient ces résultats en créant avec astuce des malentendus. Voici quelques légendes à ce sujet : L'une, très connue, dont il existe de nombreuses variantes, raconte la façon dont il brouilla deux amis qui travaillaient dans des champs voisins. Il mit un bonnet rouge d'un côté et blanc de l'autre et passa sur un sentier qui séparait les deux champs. Au bout de quelques instants l'un des amis fit allusion à l'homme au bonnet blanc, l'autre lui fit remarquer que le bonnet était rouge, le premier insista, maintint son affirmation, le second sa rectification. Comme ils étaient tous deux de bonne foi ils s'entêtaient dans leur point de vue, le soutenaient avec chaleur, puis avec colère. Ils en vinrent aux mains et s'entretuèrent. Une autre légende montre Eschou plus machiavélique. Il alla trouver une reine délaissée depuis un certain temps par son époux et lui dit : « Apporte-moi quelques poils de la barbe du roi, et coupe-les avec le couteau que voici; j'en ferai une amulette qui lui rendra son empressement de jadis auprès de toi. Le roi va partir en guerre, lui dit-il, et te prie d'aller ce soir au palais accompagné de tes guerriers.

Il alla enfin parler au roi : « La reine ulcérée de ta froideur à son égard veut te tuer pour se venger; fais donc attention ce soir». Vient la nuit, le roi se couche, fait semblant de dormir et voit bientôt sa femme lui approcher un couteau de la gorge; elle voulait couper un peu de sa barbe, il croit qu'elle veut l'assassiner. Le roi la

121

Page 118: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

désarme et ils se disputent à grand bruit. Le prince qui arrivait au palais avec ses guerriers, entend des cris chez le roi; il Y court. Voyant le roi un couteau à la main, le fils pense qu'il veut tuer sa mère; le roi voyant entrer, en pleine nuit chez lui, son fils armé suivi de ses partisans croit qu'ils en veulent à sa vie. Il crie à l'aide; ses gens accourent et il s'ensuit une mêlée et un massacre général.

Une historiette plus simple montre l'activité d'Eschou dans la vie de tous les jours; une femme est au marché vendant sa marchandise; il met le feu à sa maison, elle s'y précipite, en abandonnant ses affaires sur la place. Elle arrive trop tard, la maison est brûlée, pendant ce temps un voleur enlève ses marchandises. Tout cela ne serait pas arrivé: les amis ne se seraient pas disputés, le roi et le prince entremassacrés et la marchande ne se trouverait pas ruinée s'ils avaient fait à Eschou les offrandes et sacrifices d'usage. C'est à lui, en tout premier, que doivent être faites louanges et offrandes avant toute cérémonie ... Lorsque Eschou Elegba se manifeste chez les Yoruba et les Nago d'Afrique, il porte à la main un gourdin ou des pendentifs ... Ce gourdin (ogo) aurait la vertu, précieuse pour un messager, de le transporter en quelques heures à des centaines de kilomètres et d'attirer aussi rapidement, par un pouvoir magnétique, les objets placés à la même distance. Il joue un rôle important dans la divination, car c'est de lui, suivant certaines légendes, qu'Ifa a reçu ce don. En Nigéria, dans la région d'Ijébu, on le dit mis au monde à Ilè Ifè par Oloja (propriétaire du marché). Il aurait été le premier roi de Kétou (Alakétou) et serait l'ancêtre du premier roi des Egba. Au Dahomey, on dit qu'il fut un homme qui devint vaudoun à Ijelou au pays d'Ayo, à quelques jours de marche de Ilè Ifè (c'est-à-dire Nigeria). C'est de là que son culte se serait répandu au Dahomey. Chez les Fon il s'appelle Legba et joue le même rôle qu'Eschou Elegba des Yoruba. Il y prend cependant un caractère plus phallique; les buttes de terre qui le représentent sont toujours agrémentées de volumineuses verges de bois. Ceci ne fait de lui, comme certains voyageurs l'ont affirmé, ni le dieu de la fécondité, ni celui de la copulation; c'est la marque de son caractère truculent, violent et sans vergogne et de son désir de choquer les bonnes mœurs. Les statues des Legba de Zangbeto sontjlarticulièrement portées à l'exhibitionisme et aux ébats érotiques .

Ce caractère érotique du Legba Fon est très marqué surtout pendant le rythme et la danse propres à Legba que celui-ci seul danse. C'est l'imitation de l'acte sexuel tandis que le vaudou tient son grand phallus en bois appuyé à son ventre et pointé vers les

90. P. Verger, Dieux d'Afrique, p. ),82 ss.

122

Page 119: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

spectateurs. Et à chaque mouvement de déhanchement, ceux-ci applaudissent et rient dans un vacarme indescriptible. Ce rythme est battu par trois fois. Legba, en ce sens, m'a paru symboliser l'exhubérance de la vie dont regorge le monde invisible des vaudou.

Pendant les danses, Legba, ici au Dahomey, joue aussi son rôle de trouble-Ïete. Bien qu'il faille toujours jouer son rythme par trois fois au début de la cérémonie, souvent il intervient pendant la danse, va s'asseoir sur l'un ou l'autre tambour, empêche tel ou tel vaudou de danser. Il fait tout pour briser le bon ordre. Legba est celui qui sème la zizanie. C'est le père de la chicane.

Cependant le Legba fon n'est pas que cela. Il est aussi gardien. C'est lui qui garde les portails des maisons. On l'appelle Agbonu­hossou (roi du portail) ou encore Legba Honnoukon (Legba devant la porte). Il garde le marché: il s'appelle alors axi Legba (Legba du marché). Il garde l'entrée des villages: c'est le To Legba (Legba du village). Chaque portail de houmfo (temple de vaudou) est défendu par un Legba appelé Houn Legba (Legba du vaudou).

Tels sont les principaux caractères du Legba africain tel que ceux qui sont partis pour Haïti ont dû le laisser ici.

Le Legba haïtien a pour rôle principal de « garder la barrière» par laquelle on pénètre au domicile des /wa et par laquelle ceux-ci passent pour venir dans le monde des hommes. C'est pourquoi il est syncrétisé avec saint Pierre. Car il détient la clé de la communication avec le monde des « esprits ». La tradition africaine continue en Haïti de telle sorte que dans toutes les cérémonies vaudou on salue Legba avant tous les autres lwa et on chante ceci:

Papa Legba, /uvr; bayè a pu mwê, ago yé! Papa Legba, ouvrir barrière la pour moi, ago yé ! Papa Legba, ouvrez-moi la barrière, ago yé! 91

Papa Legba, /uvr; bayè a pu mwê Papa Legba, ouvrir barrière la pour moi, Papa Legba, ouvrez-moi la barrière, pu mwê pasé; Pour moi passer; Pour que je passe; Lij m' a tunê Lorsque moi (fut.) revenir, Lorsque je reviendrai,

91. Cf. glossaire, p. 202.

123

Page 120: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

m a di /wa yo meSl moi (fut.) dire Iwa les merci Je dirai merci aux lwa. Papa Legba, /uvri bayè pu mwê Papa Legba, ouvrir barrière pour moi, Papa Legba, ouvrez-moi la barrière, o /uvri bayè a pu mwê Oh! ouvrir barrière la pour moi, Oh! ouvrez-moi la barrière, pu mwêpasé; Pour moi passer; Pour que je passe; La m' a tunê Lorsque moi (fut.) revenir, Lorsque je reviendrai, m a di /wa yo mèsi moi (fut.) dire lwa les merci Je dirai merci aux lwa.

Ce chant dans la bouche du suppliant demande que Legba mette celui-ci en communication avec les /wa. Personne ne peut aller à ceux-ci sans la permission de Legba. Nous sommes en plein dans la tradition yoruba et fon concernant le même vaudou. En Haïti, aucun /wa ne peut se manifester sans l'autorisation de Legba. Quiconque a offusqué celui-ci ne peut plus prier les autres /wa ni obtenir leur protection. Aussi, on prend grand soin de ne pas provoquer sa colère.

Legba n'est pas seulement le maître de la barrière qui donne accès aux /wa, il est aussi le gardien de toutes les barrières des habitations. On l'invoque en ce sens sous le titre de

Mèt bitasion Maître habitation Maître de l'habitation.

L'Haïtien a donné une certaine extension au mythe africain. Le Legba d'Haïti est aussi le gardien de toutes les voies de passage: les routes, les sentiers, les chemins et surtout les carrefours. C'est que dans la croyance haïtienne, les croisées des chemins sont des endroits hantés par les mauvais esprits et propices aux arts magiques. C'est le lieu sacré de prédilection des sorciers. C'est pourquoi ceux-ci saluent toujours Legba avant de commencer leurs cérémonies. Et celui-ci préside ainsi à leurs incantations et à leurs envoûtements. Beaucoup de formules magiques commencent généra­lement par les mots :

124

Page 121: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

Pa puvwa Mèt Kalfu Par pouvoir Maître Carrefour Par le pouvoir de Maître Carrefour.

Nous retrouvons l'habitude haïtienne de personnifier le domaine du /wa jusqu'à faire du nom de celui-là celui du dernier: Legba ou Maître Carrefour, c'est identique.

Est-ce parce que Legba est le Maître des chemins qu'on lui donne encore pour correspondant catholique St-Antoine? On l'invoque pour retrouver les objets perdus ou volés. Voilà une modification du mythe africain au contact du christianisme occidental.

Le Legba haïtien a gardé aussi le caractère phallique fon. Ses possédés dansent, exhibant un pénis en bois, et leur danse volontairement lascive choque les gens. Il a donc gardé sa truculence particulièrement fon. Il a aussi gardé son caractère violent. Le Legba haïtien se présente sous l'apparence d'un vieillard infirme, couvert de haillons avec une pipe à la bouche et une sacoche en bandoulière. C'est la tenue du paysan haïtien. Le /wa, ainsi vêtu, avance péniblement, appuyé sur une béquille. Celle-ci est son symbole et on la trouve accrochée au mur de presque tous les houmfo. Cet aspect pitoyable lui a mérité le surnom de Legba-pied­cassé. Mais sous cette apparence, ce /wa dispose d'une force terrible, et celle-ci se révèle par la brutalité des possessions qu'il provoque. Son possédé est projeté sur le sol où il se débat frénétiquement, ou encore reste inerte comme frappé par la foudre. Ce caractère violent est d'une expression plus marquée en Haïti qu'en Afrique. Son sans-gêne a été aussi retenu en Haïti, mais on l'a symbolisé d'une façon originale. Dans sa sacoche, il porte banane verte boucanée, riz cassave grillée, chair de volaille provenant d'un coq à plumage bigarré qu'il mange tout en se manifestant. C'est le seul /wa à agir de la sorte.

Ainsi, les traits de caractère du Legba africain se sont conservés mais réinterprétés dans leur expression. Chaque fois que je vois danser le Legba fon, je me dis que c'est peut-être le seul vaudou d'Allada et même du Dahomey que les frères d'ici reconnaîtraient facilement en allant chez nous, là-bas en Haïti. Et c'est avec raison que A. Métraux dit au sujet de la réinterprétation haïtienne du Legba «Comme le remarque fort bien Bastide, dit-il, il y eut

125

Page 122: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

prolongement et intensification - et non diminution d'un trait africain» 92.

2) Loko

Le loko des Dahoméens ou l'Iroko des Yoruba (chlorophora excelsa) est cet arbre géant qui domine tous ceux qui l'environnent et s'impose à l'attention de tous. Il est aussi un bois précieux, dur et résistant avec lequel on fait les meubles. Par sa taille, son usage recherché, cet arbre symbolise bien l'essence forestière. Néanmoins le loko n'est pas un arbre sacré en lui-même. Il devient sacré s'il sert de support à un vaudou. Il semble bien toutefois qu'il y ait une légende ou plutôt des légendes qui ont donné naissance aux mythes du vaudou Loko. Néanmoins celui-ci, quoique symbolisé par l'arbre, ne se confond pas avec ce dernier, de telle sorte que celui-ci n'est pas finalement sacré en lui-même quoiqu'il soit l'arbre de prédilection de certains vaudou tels que Dan etc. J'en ai même vu un qui logeait le vaudou Agassou, dans un quartier d'Allada. La majesté du Loko prête bien à ce genre d'usage cultuel. L'arbre donc, lui-même, est souvent inféodé au culte, mais il est rarement vénéré pour lui-même. Au sujet des légendes que nous évoquions plus haut, voici ce qu'en écrit Le Hérissé :

«Il y a autant de légendes du Roco que de Vaudoun dans les noms desquels cet arbre figure : Adanloko, Atanloko, Léléko, Lokozoun, etc. En voici deux à titre d'exemples:

Légende de l'Adanloko : Un roco immense sortit de terre subitement à Dôoué et de ses branches descendirent un homme et une femme. L'homme s'appelait Adan, qui veut dire « courageux». Il eut beaucoup d'enfants. Un jour gu'il chassait, il s'enlisa et disparut dans un banc d'argile, to-oué 93. Ses enfants décidèrent alors de ne plus jamais se servir de cette argile; ils abandonnèrent leur pays et vinrent se soumettre aux fils d'Agassou à Allada. Quand ceux-ci se divisèrent, les Adanlokovi Doouênou (fils d'Adanloko, gens de Dôoué) suivirent en masse la branche qui émigra vers Abomey. Deuxième légende. - Les Aïnonvi Hountonou, dont un des ancêtres divinisés est Atanloko, racontent que celui-ci se changea en arbre pour empêcher son âme de se perdre. Il choisit le roco qui atteint un âge très grand. C'est depuis ce temps-là que les Aïnonvi offrent des

92. A. Métraux, op. cil., p. 320. 93. On lit en note : « To-ouè est le caolin blanc appelé encore Oué-ko (terre

blanche). On s'en sert pour crépir les maisons, les temples, les tombeaux.

126

Page 123: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

sacrifices aux rocos qui croissent près de leurs cases, car ils pensent que ces arbres poussent spontanément, pour indiquer la tombe d'un individu dont toute la famille est éteinte et qui reste par suite sans aucun culte des morts 94.

Ces deux légendes montrent comment des groupes donnés peuvent arriver à servir le Loko comme arbre sacré. Mais souvent ce culte est lié à tel Loko bien précis. Il ne s'agit pas d'un culte généralisé.

Le culte haïtien du vaudou Loko ne semble pas relever de cette tradition que nous venons de mentionner. Car en Haïti le /wa Loko est le maître de la forêt. C'est lui qui donne aux feuilles leurs propriétés curatives et leurs vertus rituelles. C'est le /wa « doctè fèy», c'est-à-dire le /wa guérisseur. Etant donné l'importance des feuilles dans la thérapeutique haïtienne, on comprend sans peine qu'il faut un /wa patron des guérisseurs et qui explique les vertus curatives des plantes. L'Haïtien a fait de Loko le gardien des houmfo, sanctuaires des /wa, et on le considère comme un houngan (prêtre du vaudou) invisible, exerçant son autorité sur tous les houmfo d'Haïti. Dans un chant il est dit que ce /wa détient la clé du houmfo :

Loko dé, ayibobo ! Loko deux, aibobo! o Loko, miroi, o Loko, miroir, k/é houmfo nan mê u. clef temple des /wa dans main vous. La clef du temple des /wa est dans vos mains.

Si different qu'il soit du culte Loko qui existe actuellement au Dahomey, le culte haïtien ne relève pas moins d'une certaine tradition dahoméenne. C'est un reliquat du culte des arbres tel qu'il a semblé régner au moins dans le Bas-Dahomey à une époque antérieure. «Le culte des arbres, écrit P. Verger, a partagé, au deuxième rang, la célébrité de celui des serpents pour avoir été cité après lui pendant longtemps par les premiers voyageurs. Il était considéré comme le deuxième « fétiche» en importance à Ouidah suivant l'opinion de Bosman en 1698 ... L'un des principaux arbres auxquels des dons étaient faits est Loko ( ... ). Et l'auteur cite de nombreux témoignages dont :

94. A. Le Hérissé, op. cil., p. 114.

127

Page 124: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

Bosman :

Il y a panni eux trois divinités principales connus par tout le pays; ... la seconde sont des arbres extraordinairement hauts et qui semblent être le chef-d'œuvre de la nature. On se contente de leur faire des offrandes en cas de maladie, et surtout en temps de fièvre.

R. P. Labat:

Il n'en coûte pas tant (voir sacrifices à la mer) pour se rendre favorable les arbres qui sont les divinités de la deuxième espèce. Ce sont d'ordinaire les malades qui ont recours à eux ( ... ). On ne sacrifie aux arbres que des pains de mil, de maïs ou de riz; le Marabout les met au pied de l'arbre auquel le malade a dévotion, et les y laisse quelque temps, après quoi il les emporte, à moins que le malade ne s'accommode avec lui pour les y abandonner jusqu'à ce que les chiens, les cochons ou les oiseaux s'en soient emparés.

Guillaume de Smith:

Leurs divinités du second ordre sont des arbres de haute futaie, pour lesquels ils ont une grande vénération.

Pruneau de Pommegorge :

De gros arbres qui sont arbres fétiches: ils sont révérés du peuple et personne n'oserait les couper, sans craindre les plus grands malheurs pour le pays.

Richard Burton :

Le deuxième (dieu) est représenté par des arbres superbes et altiers « dans la formation desquels Dame Nature semble avoir exprimé son art le plus grand ». On leur fait des prières avec des offrandes aux époques de maladies et spécialement de fièvre. Les plus révérés sont le hun-tin ou «acanthaceous silk cotton-tree» (Bombax) dont les femmes égalent celles du serpent, et le Loko, l'ordalie Edum ou l'arbre poison bien connu de la Côte Ouest Africaine. Ce dernier a peu de Loko'-si ou femmes de Loko : mais d'un autre côté, il a ses propres poteries fétiches qui peuvent être achetées dans n'importe quel marché ... »

Skertchely :

128

La divinité suivante en importance est A tin vodun , dont la forme terrestre est celle de divers arbres, cependant que sa demeure est dans quelques curieux spécimens d'arts de la céramique. ( ... ) Le culte de Atin- Vodun consiste dans la foi dans son pouvoir à prévenir et à guérir les maladies, spécialement la fièvre et en offrande d'eau versée dans le pot. Bien entendu c'est le saint patron de tous les médecins. N'importe quel grand arbre est considéré être habité par cette divinité, mais ceux spécialement sacrés pour lui sont le Hun, ou fromager, et le Loko, ou arbre de poison, une décoction de ses feuilles est utilisé comme ordalie pour déterminer tout crime caché.

Page 125: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

On peut, à la lumière de ces témoignages, voir dans quel sol le culte haïtien du /wa Loko, protecteur et inspirateur des docteurs-feuilles d'Haïti, plonge ses racines et puise sa sève. C'est que dès l'Afrique­Guinée, on connaissait cette tradition. On retiendra qu'en Haïti l'arbre qui est consacré à Loko, c'est spécialement le fromager antillais, appelé mapou en Haïti. C'est le plus grand arbre d'Haïti. Et c'est à celui-ci qu'on accroche la sacoche d'offrandes au /wa Loko.

Le /wa Loko, lorsqu'il se manifeste, peut être reconnu par la pipe qu'il fume et la canne qu'il tient à la main. Ces symboles rappellent le paysan. Le bâton, de plus, symbolise la vieillesse, l'âge de la sagesse. Qui dit sagesse, dit connaissance. Or, c'est encore une tradition dahoméenne, particulièrement fon, la connaissance pri­mordiale et fondamentale est celle des feuilles, de la pharmacopée locale. Et c'est ici que nous rejoignons cette déclaration qu'a recueillie Melville Herskovits à Abomey et que moi-même j'ai souvent entendue: « Si vous saviez le nom et J'histoire de toutes les feuilles de la forêt, vous sauriez tout ce qu'il y a à savoir en religion dahoméenne 95». Le /wa Loko symbolise la connaissance, la sagesse. C'est pourquoi le paysan haïtien dit souvent :

Mwê-mêm, mwê sé Loko Basiyé, Moi-même, moi être Loko Vacille, Moi-même, je suis Loko Vacillé, u mét wè tu sa m ap fè a, Vous pouvoir voir tout ce que moi être en train de faire Vous pouvez voir tout ce que je suis en train de faire tèt mwê â plas. tête moi en place. Ma tête est en place.

C'est-à-dire, je puis être ouvert à toutes les influences, et même si vous voyez que je suis en train de vaciller sur ma base, ne craignez rien: j'ai la tête en place. On peut dire que le Lwa Loko, c'est la personnification du bon sens du paysan.

3) Aïzan

Le /wa haïtien, l'un des plus remarquables et des plus importants, Aïzan, vient du Dahomey et des Fon. A Allada, on dit qu'il est

95. P. Verger, Notes ... , p. 522 SS.

129

Page 126: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

originaire de Tado et que c'est Adjahoutô, qui l'aurait apporté avec lui lors de son exode avec les Sadonou. P. Verger lui-même a recueilli ces données. Il écrit: « Ayizan est un vaudoun très ancien, orginaire d'Allada, semble-t-il. Il y fut, disent certains, amené par Adjahouto lorsqu'il arriva de Tado. D'autres affirment que Ayizan était déjà dans le pays avant son arrivée et qu'il représente « la natte de la terre », « la croûte terrestre» 96. En fait, il existe deux Aïzan à Allada. Il y a celui qui serait apporté par Adjahouto, lequel vaudou était le To-zan 97 de Tado, dit-on. Cet Ai'zan est parmi les sept vaudou qui forment le groupe d'Adjahouto, y compris celui-ci. Il y a aussi celui du marché, l'ahi-zan 98. Ce dernier est tantôt dit être placé là par Adjahouto qui aurait créé ce marché et planté en même temps le fromager qui abrite celui-ci. Il est tantôt dit être placé là par quelqu'un d'autre. Néanmoins, chose remarquable, le prêtre de l'Ai'zan d'Adjahouto n'officie pas pour l'A hi-zan. Le temple de l'Ai'zan qui serait venu de Tado est ailleurs dans le quartier d'Alomên, où Adjahouto se serait fixé avant d'aller définitivement à Togoudo (2 km). En ce dernier lieu, là où Adjahouto avait établi sa demeure, ce lieu ,porte le nom d'Ai'zanli, c'est-à-dire lieu fondé, édifié sur Ai'zan. Devant la propriété, il existe une butte qui est vénérée et servie comme abritant l'Ai'zan d'Adjahputo. il garde l'entrée de la propriété.

Ce rôle de gardien n'est pas identique à celui de Legba. Ai'zan est particulièrement le gardien des marchés. P. Verger écrit avec raison:

Il s'en trouve aux marchés des grandes villes telles que Abomey et Ouidah. Ils en sont les gardiens ou plus exactement ils en sont les maîtres, les protecteurs de la ville, les propriétaires du sol. Certaines familles ont un Ayizan particulier qui est leur soutien, la dirige et punit les fautes des enfants, une sorte d'ancêtre : « la terre» 99.

Il faudrait donc regarder Ai'zan comme maître du sol où l'on s'établit. Legba n'est pas le maître du sol, mais le défenseur des entrées, ce qui est bien différent. C'est pourquoi d'ailleurs, dans la mythologie populaire, du moins à Allada, on conçoit Aïzan comme

96. Ibid., p. 524. 97. Ayi = terre; zâ = natte, en fon. 98. En fon : to = village, ville, pays; zâ est dit pour Ayizan. Il y a omission des

deux premières syllabes par euphonie. 98. En fon : ahi = marché; zâ est dit pour ayizan, cf. note 97. 99. P. Verger, Notes ... , p. 551.

130

Page 127: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

un sédentaire (il ne se déplace pas, disent les gens), tandis que Legba est très mobile.

Alors qu'au Brésil où règne en maître la civilisation yoruba, le culte de ce vaudou n'existe pas, en Haïti où ont dominé les Fon, celui-ci a gardé une grande importance parmi les /wa haïtiens. Il a été réinterprété.

Emile Marcelin, ethnographe haïtien, en parle ainsi :

Aïzan Velequete, épouse de Atibon Legba, déesse protectrice et déesse des eaux douces, préside aux marchés, aux places publiques, aux portes, aux barrières, aux routes ... Une couleuvre, connue sous le nom de couleuvre-madeleine, la représente, elle a le même reposoir que Legba, le médicinier béni (Jatropha curcas). Aïzan avait autrefois, dit-on, son culte propre. Avant de donner à manger aux dieux Vaudou on séparait la nourriture en deux portions égales: rune pour les loas (vaudou) et l'autre pour Aïzan. D'après un houngan (prêtre vaudou). Aïzan est le plus ancien des loas. Par conséquent, selon lui, on devrait le servir le premier. On lui fait les mêmes offrandes qu'à Legba 100.

Il semble que Aïzan, du moins où Emile Marcelin a recueilli ses informations, soit un syncrétisme de Aïzan et A vrékété dont nous parlerons ci-après. En tout cas, il y a une transformation si radicale de la mythologie fon, ou plutôt des bribes mythologiques fon que l'on peut parler d'un tout nouveau mythe. A ce sujet, A. Métraux, regrettant toujours un peu de ne pas trouver la mythologie originale africaine en Haïti, écri t ceci :

Le cas du loa Aïzan fournit un autre exemple où la mythologie a été déformée. En Haïti, Aïzan est représentée sous les traits d'une vieille femme. En tant qu'épouse de Legba, elle protège les marchés, les places publiques, les portes et les barrières. On dit la plus ancienne des divinités, d'où son droit aux premières offrandes. Elle est invoquée sitôt après son mari, Legba. Au Dahomey, Aïzan est le nom d'esprits plus anciens que les fondateurs mythiques des clans sur lesquels ils veillent, ainsi que sur les marchés et les maisons. Ils sont symbolisés par des monticules de terre que l'on arrose d'huile et que l'on entoure d'azan, franges de feuilles de palmiste. Le souvenir du rapport entre Aïzan et les azan s'est maintenu en Haïti où l'on appelle aïzan les franges de feuilles de palmistes auxquels on attribue des vertus purificatrices et prophylactiques. L' « arbre-reposoir» du loa Aïzan est le palmiste. Et ceux qu'ils possèdent s'habillent de blanc et portent en sautoir une frange de feuilles de palmiste « effilochées» 101.

100. Cité par P. Verger, ibid., p. 551. 101. A. Métraux, op. cit., p. 320.

131

Page 128: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

4) Avrékété ou Vélékété

Avrékété ou Vélékété nous étonne par la profonde réinterpréta­tion dont il a été l'objet en Haïti. Dans le Bas-Dahomey, ce vaudou fait partie du cortège de Hou, le vaudou de la mer des Houla, et adopté par les Fon. Avrékété est féminine au Dahomey. C'est une femme de caractère malicieux, indiscret et scabreux. Elle a trois rythmes de tambour qui lui sont propres, du moins à Allada. Le premier, Avrékété le danse en imitant le canotier qui rame. Elle porte un chapeau de paille, à bords plats et mime le canotier avec un petit aviron. Par là, ce vaudou révèle son caractère marin, -comme nous l'avons vu pour le vaudou Agbé ou Hou. Le second rythme, elle le danse en distribuant de la main des baisers à toute l'assistance et en tendant l'oreille comme pour écouter. C'est son caractère indiscret et scabreux qui s'y révèle. Mais ce dernier trait, l'aspect scabreux, est rendu plus manifeste par le troisième rythme, où elle mime carrément l'acte sexuel en dansant par trois fois devant un membre de l'assistance. Elle est paillarde. Et cette dernière danse rappelle beaucoup le rythme favori de Legba dont nous avons déjà parlé.

Or, en Haïti, Avrékété est un Iwa masculin. Il n'a gardé aucun des traits précédents. Voici les informations recueillies par J.-B.

Romain:

Quelques paysans du Nord le comptent dans leur panthéon. Deux fois par an seulement, Avrékété s'incarne dans son serviteur. Ce dieu a charge d'âmes en Guinée. Il ne vient visiter ses protégés haïtiens que si le cas s'avère grave et l'appel pressant. Avrékété passe pour un excellent guérisseur. Son impopularité dans les autres régions du pays s'explique en partie par le masque plutôt repoussant dont s'affuble son possédé : yeux exorbités, mains tordues, pieds retournés, comme en proie à une crise d'épilepsie. Cette divinité est masculine en Haïti, tout au moins dans le Nord; tandis que l'Avrékété des Fon et des Gè est une déesse marine, fille de Hué et de Naèté 102.

Ce caractère violent de la crise de possession de l'A vrékété haïtien a été aussi retenu par A. Métraux. Il nous raconte une scène dont il a été témoin lui-même :

102. J.-B. Romain, op. cil., p. 165.

132

Page 129: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Structure religieuse

La jeune femme continua à danser, mais ne tarda pas à être « saisie» par Ti-Jean-Dantor, dont l'incarnation fut cependant assez brève. A peine était-il parti que les traits de L. C ••• , qui avaient reflété successivement le caractère rude et farouche du dieu-soldat et la gaieté un peu perverse de Ti-Jean-Dantor, devinrent hideux. Elle gisait recroquevillée sur le sol, le cou tordu, le visage incliné sur l'épaule, les yeux blancs, la bouche crispée d'où pendait une langue démesurée et violacée, les bras rejetés en arrière et les doigts en griffes. On étendit cette gargouille vivante sur une natte et la foule se pressa autour d'elle. Chaque spectateur, à tour de rôle, vint enjamber la possédée et accrocher son petit doigt au sien. Le public étant nombreux, le défilé dura bien une heure. Pendant tout ce temps, L. C ... resta figée dans la même grimace et la même position incommode. Lorsque Vélékété - tel était le nom de la divinité qui venait de se manifester - s'en alla, L. c ... se releva d'un bond et reprit son expression habituelle comme si on lui eût arraché un masque. Elle exécuta plusieurs danses parmi ses compagnes, jus­qu'au moment où, pour la quatrième fois, elle tomba en transe. Le dieu qui l'avait «montée» était sans doute son « mari » car, de temps à autre, elle lançait un juron ou réclamait du rhum. Elle le partageait généreusement avec d'autres danseurs ~ui, à la première gorgée, étaient à leur tour possédés par Ogou 10 •

L'Avrékété ou Vé/ékété haïtien, comme l'on peut voir, est si différent de son homologue dahoméen que l'on peut se demander si les croyants haïtiens de ce /wa ont eu à partager à un moment donné le même rythme. De l'A vrékété dahoméen il ne reste plus que le nom, et rien de plus.

5) Agassou

Il en est de même d'Agassou. Ce vaudou, au Dahomey, est lié à Adjahouto, le fondateur de la dynastie d'Allada de laquelle celles d'Abomey et de Porto-Novo essaimèrent. Voici ce qu'en évrit P. Verger:

Les diverses légendes qui le (Adjahouto) concernent s'accordent presque toutes pour situer l'origine d'Adjahouto à Tado près de la rivière Mono; presque toutes également lui donnent une parenté avec une panthère nommée Agassou. Dans certaines d'entre elles c'est une panthère mâle qui aurait eu des relations amoureuses avec la femme du roi de Tado; dans d'autres, c'est le roi de Tado qui aurait épousé une femelle de panthère métamorphosée en femme. Dans les deux cas le fruit de cette union aurait été le futur Adjahouto. Il prit ce nom, qui signifie le tueur d'Adja, pour avoir

103. A. Métraux, op. cil., p. 193.

133

Page 130: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

donné la mort à un de ses frères au cours d'une querelle à propos de la succession au trône de Tado. Obligé de s'enfuir, il serait venu se fixer à Allada avec ses partisans 104.

Ici, à Allada, on trouve les représentants des deux légendes de la panthère père ou mère d'Adjahouto. En tout cas, c'est comme tel qu'Agassou est vénéré au temple qui lui est consacré. Pour son prêtre, ce vaudou est la mère d'Adjahoutô. Mais pour d'autres informateurs, et c'est le plus grand nombre, ce même vaudou est le père d'Adjahouto. Il y a même une troisième tradition qui fait de ce vaudou seulement un animal chasseur, grand ami d'Adjahouto ... A la vérité, cette dernière n'a pas beaucoup d'adeptes.

En Haïti, il ne reste rien de cette légende. Il reste très peu de chose du mythe dahoméen de ce vaudou. Néanmoins un fil très ténu relie encore la représentation haïtienne de ce vaudou à son modèle originel. En effet, le /wa Agassou, « lorsqu'il possède un de ses fidèles, (il) le contraint à recroqueviller ses mains comme des griffes» lOS. C'est sans doute là un dernier reste du mythe de la panthère. Il faut aussi ajouter qu'en Haïti, Agassou n'est pas un /wa majeur comme au Dahomey. Il est perdu dans la masse des petits /wa mineurs. C'est peut-être à cause de l'arrivée tardive des représentants de cette tradition ...

104. P. Verger, Dieux d'Afrique, p. 191. 105. A. Métraux, op. cit., p. 24.

134

Page 131: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

CONCLUSION

Tout au long de cette étude nous avons tenté de situer le vaudou haïtien par rapport au vaudou dahoméen tel que celui-ci est connu par son panthéon dans le royaume d'Allada. Le souvenir de la terre d'origine, la notion de Dieu, les mythes des vaudou eux-mêmes, tel a été l'objet de notre analyse. Ce sont des points fondamentaux.

Il ressort qu'il ne faut pas prendre l'étiquette de Rada comme une marque d'origine. Ce nom a permis à l'Haïtien de sérier ses « esprits» en une des trois catégories qui satisfont à la fois son intelligence et son affectivité: rada, congo, petro. Le cas haïtien, en ce qui concerne ces vaudou originaires du Golfe de Guinée, est un exemple typique des effets de la migration des dieux. Ceux-ci ne peuvent subir les effets du déménagement et de l'emménagement sans être un peu bousculés dans leur existence. Gaston Bachelard le dit bien : en traversant les frontières du temps, de l'espace, des langues, du milieu social, les dieux changent de caractère, au point qu'un mot déformé peut donner un nouveau dieu. L'exil trans­forme, façonne les hommes comme les dieux. On range ceux-ci autrement. On leur donne d'autres attributions. On leur donne d'autres visages plus conformes à la psychologie du milieu, aux impératifs du milieu social, des structures. Car les dieux sont le produit du langage des hommes.

Que reste-t-il de dahoméen et plus spécialement fon dans les mythes des lwa haïtiens? A la fois peu et beaucoup.

Il en reste peu si l'on considère les mythes originels. Ceux-ci ont été rabotés, lessivés par le temps. Les mutations sont profondes. En devenant des lwa haïtiens, des vaudou dahoméens ou des orisha yoruba ont changé de sexe, tels Avlékété, Aïzan; ont changé de condition physiologique, tel le truculent Legba devenu un vieillard impotent; ont changé de profession, tel Loko devenu médecin de campagne. Certains se sont dédoublés, tel Danbala et sa femme Aïdahouédo, vaudou androgyne au Dahomey. Certains traits ont été approfondis, tels ceux du Gou fon où l'aspect guerrier n'était pas trop mis en relief. L'Ogou Ferraille haïtien a renforcé ses traits belliqueux. Il est devenu le Général Ogou. Dieu lui-même n'a pas été épargné. S'il est toujours resté le propriétaire du monde et

135

Page 132: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

désigné comme tel par ce nom pittoresque de Grand Maître en Haïti, il n'est pas moins vrai qu'il est le Dieu sauveur avant d'être le Dieu créateur dans la pensée haïtienne. Tout le système mythique des « esprits» a été bousculé par les exigences du milieu social.

Cette mutation témoigne du dynamisme, de la vigueur, de la vitalité, de la vivacité et de la santé de la religion traditionnelle africaine. « C'est à ce dynamisme que nous devons être attentifs, plutôt qu'aux formes qu'il revêt 1 ». J'ai déjà montré ailleurs à quel point le vaudou savait s'adapter aux impératifs du milieu haïtien 2.

Ce qui est dit du culte, vaut tout aussi bien pour les mythes des « esprits ». Haïti est la preuve que la figure des dieux africains n'est pas fixée, figée dans un dogmatisme sans impact sur le réel.

D'autre part, il reste beaucoup si l'on considère très attentive­ment les éléments mythiques encore conservés dans le Golfe de Guinée, et certaines manifestations des /wa haïtiens. Tout ne s'est pas évanoui. Ce même Legba, devenu vieillard impotent, qui marche clopin-clopinant, ne lui a-t-on pas attribué un type de possession d'une vigueur sans pareille? Ne faut-il pas être fort pour le supporter dans son corps? A-t-il perdu toute sa truculence? Il reste encore paillard malgré son grand âge et son extérieur plutôt froid. L'Haïtien a même songé à lui donner une épouse : Aïzan. Et si nous prenons Loko, par exemple, n'est-il pas resté attaché à la flore? Ogou, aux armes ? .. Il reste donc un fond sémantique qui sert de base structurelle à toute l'activité créatrice haïtienne. L'imagination brode là-dessus, mais la sédimentation africaine demeure et nourrit toute la mythologie haïtienne de sa sève.

Mais il reste que la créativité de ces hommes victimes de l'esclavage et, après, des situations socio-politiques aberrantes, s'est manifestée dans une expression très originale. La vaudou haïtien n'est pas le vaudou dahoméen, même s'il y a des rapprochements très suggestifs, des similitudes indiscutables. Maintenant chacune de ces religions évolue selon la pression spécifique des influences qui les harcèlent. En Haïti, les mythes continuent à changer, et les /wa à naître. Au Dahomey, la loi est autre; c'est l'adhésion aux

1. Père Henri Gravrand, A la rencontre des religions africaines, p. 12. 2. Guérin Montilus, « Haïti: un cas-témoin de la vivacité des religions africaines

en Amérique. Et pourquoi? », Communication au Colloque de Cotonou sur « La religion traditionnelle africaine comme source de valeurs de civilisation », 16-22 août 1970.

136

Page 133: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

Conclusion

mythes des vaudou qui s'affaiblit et la magie qui se renforce. Les distances vont donc en s'accentuant.

Il semble ainsi que le mythe puisse donner raison à toute philoso­phie. Etes-vous historien rationaliste? Vous trouverez dans le mythe le récit encombré des dynasties célèbres. N'y a-t-il pas dans les mythes, des rois et des royaumes? Pour un peu on daterait les différents travaux d'Hercule, on tracerait l'itinéraire des Argonautes. Etes-vous linguiste, les mots disent tout, les légendes se forment autour d'une locution. Un mot déformé, voilà un dieu de plus. L'olympe est une grammaire qui règle les fonctions des dieux. Si les héros et les dieux traversent une frontière linguistique, ils changent un peu leur caractère, et le mythologue doit établir de subtils dictionnaires pour déchiffrer deux fois, sous le génie de deux langues différentes, la même histoire. Etes-vous sociologue? Alors dans le mythe apparaît un milieu social, un milieu moitié réel moitié idéalisé, un milieu primitif où le chef est, tout de suite, un dieu 3.

3. Gaston Bachelard, Le Symbolisme dans la mythologie grecque, de Paul Diel, préface.

137

Page 134: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

GLOSSAIRE

Ce glossaire contient surtout les termes créoles etfon les plus fréquemment utilisés dans la présente étude. La plupart des définitions données ici sont inspirées du Vaudou haïtien d'Alfred Métraux et du Dictionnaire Fon-Français du P. Segurola.

1. CRÉOLE

Ayibobo ou abobo : Acclamation rituelle qui ponctue la fin des chants rada ou exprime l'enthousiasme religieux. L'ex­clamation est accompagnée parfois du bruit que l'on produit en frappant la bouche avec les doigts.

Les Fon ont la même acclamation qui ponctue la fin de leur prière après la vérification de celle-ci avec les noix de kola. En cas de réponse affirma­tive, on fait le même geste rituel en disant : awobobo.

Ago : Exclamation rituelle dont le sens est «attention».

Mot fon qui signifie : attention! gare! place!

Bossai: De l'espagnol bosal qui signifie «sauvage, indompté». Ce mot s'ap­pliquait aux Nègres nouvellement arrivés dans la colonie et non encore baptisés. On le dit toujours de nos jours des enfants non encore baptisés.

Choual : Forme créole du mot «che­va!». Personne possédée par un loa.

Les fon disent plutôt assi qui signifie épouse, femme. En ce cas, le vaudou est dit assou qui signifie époux, mari.

Le créole n'a pas d'équivalent d'as­sou pour désigner le Iwa en tant qu'il est présent dans la personne possédée.

Caye : Mot créole signifiant maison. L'équivalent fon, c'est ho.

Caye-mystère : Maison des esprits ou /wa. On dit aussi houmfo.

138

En fon, on dit : -hü ho

esprit case case de l'esprit

Remarquer le rapprochement avec le houmfo haïtien.

On dit encore vodû ho esprit case case de l'esprit

Escorte : Groupe de /wa qui accom­pagne un /wa important. Ce mot a parfois le sens de «famille» de /wa.

Le fon emploie le terme ahwâ qui signifie groupe, assemblée, cortège.

Le concept est donc fon. Houmfo : Cf. caye-mystère ci-dessus. Houngan : Prêtre vaudou.

C'est un mot d'origine fon. Il se décompose ainsi :

hû = esprit gâ = chef.

Dans le hûhô fon, c'est le chef du corps des hûsi. Cf. ce mot ci-dessous. Le hûgâ fon n'est pas le prêtre, mais il est adjoint à celui-ci dans l'organisa­tion de la maison de l'esprit. Le prêtre se dit hûno, vô dûno (propriétaire du vodû).

L'Haïtien a donc élargi le sens du mot fon hûgâ.

Hounsi: Homme ou femme qui a passé par les rites d'initiation et qui est consacré au service des Iwa.

Ce mot est d'origine fon : hû = esprit si (pour as,) = épouse.

En fon, homme ou femme qui a été initié pour être possédé par un vodû.

Page 135: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

On dit encore : vodûsi : vodû esprit

si (pour asi) = épouse. Alors qu'en Haïti le Iwa peut pos­

séder celui qui n'a pas été initié, au Dahomey seules les hûsi peuvent être possédées.

Lwa : Esprit associé à l'Etre suprême dans le gouvernement du monde. Il est une personnification d'une force de la nature. Il est chargé de l'ordre du monde, dispose pour cela des pouvoirs étendus et peut venir au secours des hommes.

Ce mot est plutôt d'origine yoruba et vient de oluwa qui signifie seigneur.

Les Fon disent vodû. hû. Et les Yoruba, orisa.

Manger: Offrandes de nourriture. M anger-Iwa : Cérémonie destinée à

nourrir les Iwa auxquels on offre des sacrifices d'animaux et des nourritu­res diverses.

Monter: Ce verbe est employé dans la possession lorsqu'on parle d'un Iwa qui descend sur un fidèle.

Le fon dit plutôt « wa ta », c'est-à­dire « venir sur la tête».

Nago : Nom que les Fon donnent au Yoruba.

Ogan : Cloche en fer à battant extérieur. L 'ogan peut être un morceau de fer que l'on frappe avec une tige de métal.

Cet instrument est employé dans le culte fon pour accompagner la récita­tion des devises des vodû et s'appelle gâ.

Glossaire

Pé : Autel en maçonnerie dans un houmfo. On y dépose les cruches sacrées, les pierres des esprits, leurs attributs et les accessoires du prêtre ou ce de la prêtresse du vaudou. C'est sur le Pé que l'on place les offrandes faites aux Iwa.

Ce mot est d'origine fon; kpé. Ce mot signifie butte, marche ou estrade en terre ou en ciment pour y installer un vodû.

Péristyle : Annexe du houmfo ayant l'aspect d'un grand hangar ouvert sur les côtés. C'est là que se déroulent presque toutes les cérémonies vaudou et qu'ont lieu les danses rituelles. Chez les Fon, on retrouve la même annexe au hûho, aux jours de grandes cérémonies. On l'appelle azava.

Poteau-mitan : Pilier situé au centre du péristyle et considéré comme le che­min des esprits. C'est un objet émi­nemment sacré. Cela n'est pas dans la tradition fon.

Service : Cérémonie en l'honneur des esprits vaudou.

Ce mot correspond au fon sê (ser­vir). En effet, la culte est dit en fon sÎsê qui signifie service.

vèvè : Dessin symbolique représentant les attributs d'un Iwa que l'on trace sur le sol avec de la farine de maïs, de la cendre, du marc de café ou de la brique pilée.

Ce mot fon désigne dans le culte la farine de maïs teintée d'huile rouge. On s'en sert pour dessiner sur le sol des traînées à caractère magique.

2. FON

Adjahouto: Héros conducteur des Sado­nou de Tado à Allada. Il est à l'ori­gine des dynasties d'Allada, d'Abo­mey et de Porto Novo. Il est vénéré comme vaudou à Allada, et son culte y occupe le premier rang. Cependant celui-ci n'a pas été emporté en Haïti.

Agbomin Abomey. Capitale du Royaume du Danhonmin (Dahomey).

Arada : Nom du royaume d'Allada au 17< s. et 18< s. On l'appelait encore le Royaume d'Ardres, Ardra ou Grand­Ardra. Jusqu'ici on appelle les habi­tants d'Allada Ardresiens dans le lan-

139

Page 136: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

gage noble. Ordinairement on dit Alladanou.

Arada, Ardra est resté simplement Rada pour les Haïtiens. Il désigne l'une des trois catégories dans lesquel­les les /wa sont rangés et servis selon leurs rites propres. Les deux autres sont : Perro, Congo.

Assin : Objet en métal représentant les morts d'une famille.

En Haïti, tige de fer surmontée d'un petit plateau rond. Il est planté devant l'autel et sert de support à des bougies.

140

Danhonmin : A l'origine, ce mot désignait le palais d'Akaba, bâti à Abomey « sur le ventre du Dan» ; par suite, il a désigné la ville d'Abomey, puis tout le pays soumis aux rois d'Abomey.

Ce nom a survécu en Haïti comme terre d'origine.

Vaudou: Cf. p. 191 : Lwa. En Haïti, le mot vaudou désigne la

religion traditionnelle africaine haï­tienne. Il y a eu donc un glissement de sens. C'est le mot Lwa, d'origine yoruba, qui est employé au sens de vaudou fon en Haïti.

Page 137: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

OUVRAGES CITÉS

BASTIDE (Roger). Les Amériques noires, Paris, 1967, 237 pages. BENOÎT (Max). « Symbi-Loi des Eaux» dans Bulletin du Bureau d'Ethno­

logie, Port-au-Prince, Haïti, série 3, n° 20, 21, 22, 1959, p. 12-22. COMHAIRE-SYLVAIN (Suzanne et Jean). « Survivances africaines dans le

vocabulaire religieux d'Haïti» dans Etudes dahoméennes, Institut fran­çais d'Afrique noire, Porto-Novo, n° 10, 1969, p. 8-20.

GRAVRAND (R. P. Henri). A la rencontre des religions africaines, Roma, 1969, 187 pages.

HERSKOVITS (Melville J.). Dahomey, an ancient West-African Kingdom, New York, J. J. Augustin, 1938, 2 V.

LABAT (R. P. Jean-Baptiste). Nouveau Voyage aux Isles de l'Amérique. Paris, G. Gavelier, 1722, 6 V.

LE HÉRiSSÉ (A.). L'Ancien Royaume du Dahomey, Paris, 1911. LOMBARD (Jacques). « Contribution à l'histoire d'une ancienne société

politique du Dahomey: La royauté d'Allada » dans Bulletin de l'Institut fondamental d'Afrique noire, Dakar, IFAN, Tome XXIX, série B, n° 1-2, 1967, p. 40-66.

MAUPOIL (Bernard). La géomancie à l'ancienne Côte des Esclaves, Paris, 1943.

MÉTRAUX (Alfred). Le Vaudou haïtien. Paris, 1958. MONTILUS (Guérin). «Haïti: un cas-témoin de la vivacité des religions

africaines en Amérique. Et pourquoi?». Communication au Colloque de Cotonou sur « La religion traditionnelle africaine comme source de valeurs de civilisation», Cotonou, Dahomey, 16-22 août 1970.

MOREAU DE SAINT-MÉRY (Louis-Elie). Description topographique, physique, civile, politique et historique de la partie française de l'ile de Saint­Domingue, Philadelphia, 1797, 2 v.

- Lois et constitution des colonies françaises de l'Amérique sous le vent. Paris, 1780, 5 V.

PARRINDER (Geoffrey). La religion en Afrique occidentale, Paris, 1950. - Mythologies africaines, Paris, 1969. PAULME (Denise). Les civilisations africaines, Paris, 1969. PRieE-MARS (Jean). Ainsi parla l'oncle, Paris, 1928. RIGAUD (Milo). « Le rôle du Vaudou dans l'indépendance d'Haïti» dans

Présence africaine, n° 17-18, fév.-mai 1958, p. 43-68. ROMAIN (Jean-Baptiste). Quelques mœurs et coutumes des paysans haïtiens,

Port-au-Prince, Haïti, 1958. SEGUROLA (R. P.). Dictionnaire fon-français, Ronéotypé, Cotonou, 1963,

Second tirage 1968, Cotonou, Dahomey. THOMAS (Louis-Vincent) et LUNEAU (René). Les religions d'Afrique noire.

Textes et traditions sacrés, Paris, 1969. VAISSIÈRE (Pierre de). La Société et la vie créole sous l'ancien régime. Paris,

Perrin, 1909.

141

Page 138: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

DIEUX EN DIASPORA

VERGER (Pierre). Dieux d'Afrique, Paris, 1954. - Notes sur le culte des Orisa et Vodun à Bahia, la Baie de tous les Saints,

au Brésil et à l'ancienne Côte des Esclaves en Afrique. IFAN, Dakar, 1957.

ZAHAN (Dominique). Religion, spiritualité et pensée africaines. Paris, 1970. GEORGES-JACOB (Kléber). Contribution à l'étude de l'homme haïtien, Port­

au-Prince, Haïti, 1946.

142

Page 139: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

TABLE DES MATIÈRES

Avertissement. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 Valeurs de signes employés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6 INTRODUCTION. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 CHAP. 1 - Le fantasme de la terre.............. 10 CHAP. II - Structure religieuse.................. 31

a. Les différentes influences. . . . . . . . . . . . . . . . . . 33 b. Le système des êtres spirituels. . . . . . . . . . . . . . 50

CONCLUSION ................................. 135 GLOSSAIRE. . . . .. . .. . . . . . . .. .. . . . . .. . . . . . . . .. . 138 OUVRAGES CiTÉS....................... . . . . . . 141

143

Page 140: Dieu en diaspora: Les Loa Haïtiens et les Vaudou du Royaume d'Allada (Bénin). - (Guérin Montilus)

ACHEVÉ D'IMPRIMER EN SEPTEMBRE 1989

PAR L'IMPRIMERIE F. PAILLART

ABBEVILLE

N° d'impression: 7309 Dépôt légal : 3~ trimestre 1989

Imprimé en France