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Psychologie de léducation Diffusion dune clairvoyance normative en internalité par un travail éducatif en orientation sur la connaissance de soi Diffusion of clear-sightedness in internality by a career intervention based on the self-knowledge L. Auzoult 1 7, avenue des Poiriers, 76530 Grand-CouronneLes-Essarts, France Résumé Nous avons étudié, auprès délèves de collège, leffet dun travail éducatif relevant de la connaissance de soi, sur la clairvoyance normative concernant les normes sociales renvoyant à lindividualisme. On demandait aux élèves de se décrire, soit selon un ancrage individuel (traits de personnalité), soit selon un ancrage catégoriel (catégories ou groupes sociaux). Les mesures concernaient la clairvoyance vis- à-vis des normes dancrage, dautosuffisance et dinternalité captées à laide du QNL (Dubois et Beau- vois, 2002). Les résultats mettent en évidence un effet du travail sur la connaissance de soi ancrée indi- viduellement sur la clairvoyance normative en matière dinternalité. Ces données ont été discutées et quelques pistes détudes proposées pour de futures recherches. © 2006 Société française de psychologie. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract We studied the diffusion of social norms returning to individualism, following a career intervention. Pupils, 14 years old, either having to describe themselves with personality or social groups. All partici- pants answered to QNL (Dubois et Beauvois, 2002) to observe clear-sightedness in anchoring, self- sufficiency and internality. The results indicate that the work on self-description with personality pro- vokes clear-sightedness in internality. These results are discussed and some tracks suggested for future research. © 2006 Société française de psychologie. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés. http://france.elsevier.com/direct/PRPS/ Pratiques psychologiques 12 (2006) 317330 1 Conseiller dorientation psychologue. Adresse e-mail : [email protected] (L. Auzoult). 1269-1763/$ - see front matter © 2006 Société française de psychologie. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.prps.2006.06.002

Diffusion d'une clairvoyance normative en internalité par un travail éducatif en orientation sur la connaissance de soi

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Pratiques psychologiques 12 (2006) 317–330

Psychologie de l’éducation

Diffusion d’une clairvoyance normative

1 Conseiller d’orieAdresse e-mail :

1269-1763/$ - see frdoi:10.1016/j.prps.20

en internalité par un travail éducatif

en orientation sur la connaissance de soi

Diffusion of clear-sightedness in internalityby a career intervention based on the self-knowledge

L. Auzoult1

7, avenue des Poiriers, 76530 Grand-Couronne–Les-Essarts, France

Résumé

Nous avons étudié, auprès d’élèves de collège, l’effet d’un travail éducatif relevant de la connaissancede soi, sur la clairvoyance normative concernant les normes sociales renvoyant à l’individualisme. Ondemandait aux élèves de se décrire, soit selon un ancrage individuel (traits de personnalité), soit selonun ancrage catégoriel (catégories ou groupes sociaux). Les mesures concernaient la clairvoyance vis-à-vis des normes d’ancrage, d’autosuffisance et d’internalité captées à l’aide du QNL (Dubois et Beau-vois, 2002). Les résultats mettent en évidence un effet du travail sur la connaissance de soi ancrée indi-viduellement sur la clairvoyance normative en matière d’internalité. Ces données ont été discutées etquelques pistes d’études proposées pour de futures recherches.© 2006 Société française de psychologie. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract

We studied the diffusion of social norms returning to individualism, following a career intervention.Pupils, 14 years old, either having to describe themselves with personality or social groups. All partici-pants answered to QNL (Dubois et Beauvois, 2002) to observe clear-sightedness in anchoring, self-sufficiency and internality. The results indicate that the work on self-description with personality pro-vokes clear-sightedness in internality. These results are discussed and some tracks suggested for futureresearch.© 2006 Société française de psychologie. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés.

ntation [email protected] (L. Auzoult).

ont matter © 2006 Société française de psychologie. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés.06.06.002

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Mots clés : Norme sociale de jugement ; Éducation à l’orientation ; Connaissance de soi ; Clairvoyance normative

Keywords: Social norm of judgment; Career intervention; Self-knowledge; Clear-sightedness

1. Introduction

L’approche éducative constitue un des éléments mis en avant pour caractériser les pratiquespsychologiques en orientation, en l’occurrence celles relevant de la guidance (Guichard, 2001 ;Guichard et Huteau, 2001). On peut rechercher une origine au développement de cette appro-che, dans la volonté des professionnels de l’orientation, de contrebalancer une mise en œuvrede l’orientation sous l’aspect de la sélection et de la gestion des flux d’élèves (Sénécat, 2004).De même, l’approche éducative s’est certainement développée en relation avec les mutationséconomiques vécues au XXe siècle, ces pratiques visant à enseigner des manières de penseret d’agir face à l’incertitude et à mettre avant les qualités, au sens large, de la personne (Guil-lon, 2001). Du point de vue théorique, cette perspective peut être associée à des noms commeLéon (1957), Legrès et Pémartin (1980) et des courants de recherches comme l’ADVP2. (Pel-letier, et al. 1984).

Dans le champ scolaire français, cette approche s’est institutionnalisée sous l’appellationd’éducation à l’orientation, cette dernière ayant pour objectif d’étendre les connaissances etde développer les compétences des élèves de manière à ce que chacun d’entre eux puisse déci-der le plus rationnellement possible de leurs choix d’orientation. Notamment, du point de vuepédagogique, l’éducation à l’orientation repose sur la transmission et la mise en relation deséléments liés à la connaissance de soi, la connaissance des systèmes de formation et laconnaissance de l’environnement économique et social.

1.1. L’évaluation des pratiques éducatives

Les pratiques éducatives en orientation ont fait l’objet de nombreuses évaluations. Demanière globale et indépendamment de la nature des modifications observées, les revues surle sujet (Huteau, 1999 ; Guichard, 2001 ; Oliver et Spokane, 1988) s’accordent sur plusieurspoints : notamment, il apparaît que ces effets sont positifs, bien que plus modérés lorsquel’on se réfère à la littérature européenne qu’à celle américaine (Guichard et Huteau, op. cit.).L’importance de ces effets est reliée aux caractéristiques des sujets, aux modalités de captationdes effets, à l’intensité de l’action en heures ou en nombre de séances et au type de mesureutilisé (Oliver et Spokane, op. cit.). Ainsi, les interventions massées semblent plus efficientesque les interventions distribuées dans le temps eu égard au rapport « effets sur les personnes/temps d’intervention du conseiller ». De même, les méthodes de groupe semblent plus effica-ces que les méthodes individuelles, du moins dans ce domaine. Bien sûr, ce type d’approchen’échappe pas à un certain technocentrisme (Lévi-Strauss, 1952) que doit corriger la prise encompte d’éléments plus qualitatifs et faisant référence à d’autres rationalités collectives, cultu-relles ou professionnelles.

2 Activation de développement vocationnel et personnel.

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De fait, les évaluations de ces pratiques éducatives portent, également, sur les modalités deleurs mises en œuvre et sur leurs effets sur les personnes. Sur la première dimension, on peutmettre en évidence deux constats. Les premiers ont trait à la satisfaction des personnes bénéfi-ciaires de ces actions éducatives. En l’occurrence, ce type d’indicateurs ne donne pas lieu àdes effets totalement cohérents. On observe, effectivement, quelques constats positifs aussibien chez les bénéficiaires que chez les formateurs (Chapron, 1992 ; Blanc, 1998), qu’accom-pagnent également des observations plus nuancées (Thommen et Dirren, 1997), voire parfoisnégatives (Pelletier, 1994). Toujours en relation avec la mise en œuvre de ces pratiques, ondoit noter l’impact de variables davantage liées aux situations dans lesquelles elles s’élaborent.Ainsi, dans une enquête réalisée par Baranger, et al. (2001), ces derniers ont pu observerl’existence d’une relation entre la réalisation de séquences éducatives et l’histoire de l’établis-sement dans laquelle elles s’inscrivent. Par ailleurs, il s’avère que l’appropriation de séquenceséducatives, par leurs bénéficiaires, dépend de l’actualité institutionnelle des questions d’orien-tation au moment de leurs déroulements. D’autres éléments sont mis en avant dans l’enquêtede Benhaïm (2003). Il apparaît que les modalités de mises en œuvre peuvent relever du fonc-tionnement organisationnel, par exemple, de l’efficacité du travail d’équipe ou de l’implicationdes personnels. À un niveau plus institutionnel, on note aussi une relation entre les modalitésde mises en œuvre de ces pratiques et les politiques en matière de formation de personnel.

Concernant les effets sur les personnes, l’évaluation des pratiques éducatives se réfère auxfinalités prescrites dans le domaine de l’orientation, voire en fonction d’indicateurs relatifs auxmodèles d’élaboration des projets professionnels (Guichard et Huteau, 2001 ; Huteau et Loa-rer, 1992). Ainsi, on peut remarquer que les séquences éducatives produisent des effets sur lareprésentation des formations ou des professions, qui évolue vers une différenciation et uneperception plus fine des métiers (Legrès et Pémartin, 1980). Toutefois, ces effets peuvent êtreliés aux caractéristiques de leurs bénéficiaires. Ainsi, Forner et Vouillot (1995) observent-ilsdes effets positifs sur la connaissance des formations, mais préférentiellement chez les garçons.On observe également des effets relativement récurrents au niveau de la connaissance de soi.Ainsi, peut-on constater que ce type d’action peut modifier la représentation de soi qui tend àdevenir plus riche, c’est-à-dire fondée sur davantage de catégories, et décentrée socialement(Thommen et Dirren, op. cit.). De fait, ces technologies semblent donc accompagner, voirefavoriser le développement normal de l’image de soi chez les adolescents (Rodriguez Tomé,1983), l’expression de soi étant reliée aux contextes sociaux dans lesquels elle s’effectue (Pio-lat, 1999). Toutefois, ces effets semblent, une nouvelle fois, dépendants d’autres variables.Ainsi, Guichard, et al. (1988) observent-ils des effets contradictoires sur la connaissance desoi en fonction du niveau d’enseignement. De même, Legrès et Pémartin (1985) notent deseffets, sur la connaissance de soi, qui sont reliés au sexe des bénéficiaires, les filles tirantparti cette fois de ce type de travail comparativement aux garçons. Finalement, ces effetsdépendent du type de méthodes employé, ces dernières traduisant des conceptions de l’orienta-tion, des procédures et des contenus dissemblables sur de nombreuses dimensions (Guichard,1992).

D’autres types de connaissances semblent se développer à travers la participation à ce typed’action. Entre autres, il ressort de plusieurs recherches que la participation à un programmeéducatif permet aux élèves de développer l’acuité de la perception des déterminismes agissantsur les trajectoires scolaires et professionnelles (Guichard, Pierotti, Scheurer et Viriot, op. cit. ;Legrès et Pémartin, 1985). Par exemple, on observe que les élèves participant à ce type d’ac-tion peuvent prendre davantage en compte l’importance de la réussite scolaire sur leurs trajec-

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toires individuelles. De ce point de vue, ces actions éducatives pourraient faciliter une démar-che d’autonomisation, en favorisant la prise de conscience des déterminismes qui s’exercentsur les choix ou les projets de leurs bénéficiaires (Huteau, 1984). D’autres effets amènent,cependant, à moduler ce constat. Effectivement, on constate que la mise en œuvre de ce typede technologie en collège, conduit les élèves à rapprocher leurs choix d’orientation des pres-criptions émanant du système éducatif, sans rendre plus actives leurs conduites (Guichard etal., op. cit. ; Benhaïm, op. cit.). Plus précisément, ces phénomènes apparaissent, une nouvellefois, modulés en fonction du type de public considéré. Ainsi, Forner et Vouillot (op. cit.)observent-ils que les élèves les plus défavorisés socioéconomiquement sont plus enclins queles autres à modifier leurs intentions d’avenir vers des filières d’études professionnelles, quirestent largement dévalorisées dans le contexte où s’effectuent ces observations.

La mise en œuvre de ces pratiques provoque, également, des effets sur d’autres dimensionspsychologiques (Oliver et Spokane, op. cit.), médiatisés une nouvelle fois par les caractéristi-ques des bénéficiaires ou les éléments du contexte : par les filières de formation ou le niveauscolaire pour l’indécision scolaire et professionnelle ou par le sexe pour la maturité vocation-nelle (Forner et Vouillot, op. cit.). De même, concernant la maturité vocationnelle, Myers, etal. (1975) observent un effet en relation avec la durée de la séquence éducative.

Dans leur ensemble, ces évaluations n’autorisent pas à établir de relation univoque entre untype d’exercice ou une séquence éducative complète et les effets observés sur les élèves. En cesens, on peut considérer que la question des processus en jeu dans la mise en œuvre de ce typede travail éducatif est, en partie, occultée. Ce constat s’avère d’autant plus important qu’ilsemble parfois difficile d’établir une correspondance claire entre ces pratiques et l’étayagethéorique censé les inspirer. L’étude que nous présentons ici a pour but de se pencher surl’examen de ces processus. De fait, nous nous proposons d’examiner en quoi un travail éduca-tif sur la connaissance de soi est susceptible de provoquer des modifications de la représenta-tion de la personne chez les élèves dans le sens de l’individualisme, ce dont relèvent certainesnormes de jugement.

1.2. La représentation individualiste de la personne

Dans leurs récents travaux, (Dubois et Beauvois 2002) ; (Dubois et Beauvois, 2005) ;Dubois, (2005) examinent les relations existantes entre certaines dimensions de la représenta-tion individualiste de la personne. Cinq dimensions sont envisagées, chacune d’entre-elles pou-vant se décliner selon une opposition de type individuel–collectif. En l’occurrence, troisd’entre-elles s’avèrent être des normes de jugement : l’internalité qui traduit la valorisationsociale des explications des renforcements ou des comportements qui accentuent le rôle causalde l’acteur (Jellison et Green, 1981), l’autosuffisance qui renvoie à la valorisation sociale desjugements, exprimant la capacité à trouver en soi la possibilité de satisfaire ses besoins et derépondre aux questions que l’on se pose (Dubois et Beauvois, op. cit.) et l’ancrage individuelqui se définit comme la valorisation sociale des jugements, exprimant la tendance à se perce-voir et à se définir sans référence à des appartenances catégorielles ou groupales (Dubois etBeauvois, op. cit.). Les deux dernières dimensions envisagées sont l’individualisme au sensstrict qui traduit la primauté des objectifs et intérêts individuels sur la primauté des objectifset intérêts collectifs ou du plus grand nombre et la contractualité qui traduit l’intérêt de nouerdes relations fondées sur la différence ou sur la ressemblance. Dans deux études, Dubois etBeauvois réalisaient, auprès d’élèves de CM2 ou d’étudiants, un modelage sur les deux pôles,

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individualiste et/ou collectiviste, de ces cinq dimensions. Après avoir effectué le modelage del’un des deux pôles d’une des dimensions, les sujets devaient répondre à un questionnaire denormativité libérale (acronyme QNL) portant sur les dimensions n’ayant pas subi de modelage.Dans ces conditions, les résultats révèlent que les élèves de CM2 sont plus individualistes etdonc plus normatifs que les étudiants. Cependant, ces derniers semblent avoir une représenta-tion plus cohérente de la personne. En effet, l’impact des modelages est plus important chezles étudiants que chez les élèves de CM2 : dans des cas plus nombreux, l’apprentissage de laréponse sur une dimension affecte le jugement du sujet sur une autre des quatre dimensions.Comme le notent Dubois et Beauvois : « tout se passe un peu comme si une éventuelle norma-tivité était acquise avant la cohérence » (p. 92). En outre, pour ce qui nous intéresse, on peutnoter qu’un modelage sur la dimension de l’ancrage individuel affecte les jugements des élè-ves de CM2 sur la dimension de l’autosuffisance et de l’internalité, alors que le même mode-lage provoque, chez les étudiants, un changement au niveau de l’internalité et de la contractua-lité. C’est d’ailleurs sur cette dimension de l’ancrage individuel que les effets apparaissent,chez les élèves du primaire, les plus importants et les plus consistants selon Dubois et Beau-vois (2002). De ce point de vue, on peut constater que c’est sur une dimension de la construc-tion de soi, en l’occurrence liée à la différenciation avec autrui, que les apprentissages de lareprésentation individualiste de la personne apparaissent avoir le plus d’effet.

1.3. Diffusion cognitive et/ou métacognitive des normes de jugement

Les résultats de Dubois et Beauvois soulèvent la question de la signification des change-ments observés auprès de leurs populations expérimentales. Ces derniers sont-ils synonymesd’une acquisition de la norme chez les sujets ou, plus simplement, d’une activité métacognitivepouvant se traduire par une clairvoyance en matière de normativité ?

Ce questionnement réintroduit la distinction opérée entre l’intériorisation et la transmissiondes normes, à propos de l’internalité. Dans le premier cas, l’internalité serait l’objet d’unapprentissage social au sein des structures éducatives et, s’exprimerait de façon automatiquechez le sujet, indépendamment des contraintes s’exerçant en provenance de son environne-ment. Au contraire, la clairvoyance amènerait à exprimer de façon stratégique des réponsesconformes à la norme (Dubois, 1994), c’est-à-dire sans que soit rendue nécessaire l’adhésionà ces réponses. Plus précisément, la clairvoyance normative peut être définie comme « uneconnaissance versus une non-connaissance d’une part, du caractère normatif ou contre-normatif d’un type de comportements sociaux ou d’un type de jugements et d’autre part, dela conformité versus la non-conformité d’un comportement par rapport à ce qui est attendupar un individu possédant un certain statut ». (Py et Somat, 1991). Habituellement, elle estmesurée à partir de la différence entre les scores obtenus à un questionnaire de normativité,en consigne pronormative (répondre afin de donner une bonne image de soi) et en consignecontre-normative (répondre afin de donner la plus mauvaise image possible de soi). Sa mesurese révèle relativement stable (Py et Somat, 1996) et peut être considérée comme différencia-trice des personnes (Py et Ginet, 1999). En l’occurrence, on considère la clairvoyance norma-tive comme étant une métacognition (Jouffre, et al. 2001 ; Guingouin, 2001). Parallèlement àla nature des activités mises en jeu, on peut souligner le consensus qui existe au niveau de lasignification sociale de cette variable. Plusieurs auteurs considèrent avec Guingouin (2001)que la clairvoyance normative constitue une véritable compétence qualifiée de relationnelle,puisqu’elle donne à l’évalué « la possibilité de donner de soi une image valorisante » (Rai-

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naudi et Braconnier, 2001) à l’évaluateur et, par-là même, lui permet d’influer sur les condui-tes qui se mettent en place à son sujet. Enfin, les travaux menés dans ce domaine conduisent àconsidérer que les pratiques pédagogiques libérales (Beauvois, 1994) favorisent l’intériorisa-tion de l’internalité, alors que les pratiques plus traditionnelles favorisent, pour leur part, unetransmission normative fondée sur la clairvoyance normative (Dubois et Le Poultier, 1993).

1.4. Objectif de l’étude et hypothèse

Nous avons mentionné qu’un modelage sur la dimension de l’ancrage individuel affectaitles jugements sur les dimensions de l’internalité et de l’autosuffisance chez des élèves deCM2 et sur les dimensions de l’internalité et de la contractualité chez des étudiants. Nousavons tenté de transposer cette situation expérimentale à un contexte pratique réel, c’est-à-dire, précisément ici, à une action éducative en orientation en milieu scolaire. Effectivement,on peut être frappé par l’idée que le travail réalisé par les professionnels de l’éducation quesont les conseillers d’orientation psychologues, s’avère finalement parfois très représentatif decette tendance à centrer l’élève sur lui-même. Que l’on songe ici à l’utilisation des tests psy-chologiques ou à d’autres techniques plus collectives centrées sur la connaissance de soi, ondoit constater que les élèves confrontés à ces pratiques pourraient être concernés par le proces-sus décrit par Dubois et par Beauvois (2002) dans leur étude.

Plus précisément, cette étude constitue une quasi-réplication d’une première étude explora-toire portant sur une problématique similaire. Dans cette dernière, on étudiait la diffusion denormes sociales renvoyant à l’individualisme, suite à un travail éducatif sur la connaissancede soi auprès d’élèves de collège. Des élèves, de sixième ou de troisième, ayant confrontéavec autrui leur image de soi élaborée à l’aide d’intérêts, de valeurs et de traits de personnalité,ayant participé à un travail sur la connaissance des professions ou ayant simplement discutéavec un conseiller d’orientation, étaient amenés à exprimer leur clairvoyance normative enmatière d’internalité ou d’autosuffisance. Les résultats mettent en évidence une plus forte clair-voyance normative en matière d’internalité dans la condition relevant de la connaissance de soicomparativement aux deux autres conditions, cela uniquement chez les élèves de troisième.Toutefois, les contraintes méthodologiques (mesure après traitement uniquement et échantil-lonnage non aléatoire entre les conditions) ne permettent pas de conclure à un effet du travailsur la connaissance de soi sur l’accentuation de la clairvoyance normative.

La présente étude vise à reproduire les conditions permettant d’évaluer l’effet d’un travailéducatif centré sur le pôle individuel de l’ancrage (connaissance de soi), sur l’acquisitiond’une clairvoyance normative en matière d’internalité. En l’occurrence, nous avons cherché àcentrer les élèves sur eux-mêmes, dans tous les cas, tout en confrontant leur image de soi avecles perceptions d’autrui. Cependant, cette description de soi s’effectuait soit dans le sens d’unancrage individuel, soit dans le sens d’un ancrage catégoriel, cette seconde condition consti-tuant une condition témoin visant à neutraliser l’effet Hawthorne (Huteau et Loarer, 1992).De plus, nous avons décidé d’introduire à titre de variables dépendantes, la clairvoyance nor-mative en matière d’internalité et d’autosuffisance comme dans l’étude exploratoire, mais aussil’ancrage qui constitue également une norme de jugement.

Au niveau des effets attendus, l’étude de Dubois et de Beauvois (2002) laisse penser quel’on observera une modification sur la dimension de l’internalité, quel que soit l’âge. Parconséquent, nous nous attendons à ce que le travail éducatif sur la connaissance de soi effectuésur le pôle individuel de l’ancrage provoque une augmentation de la clairvoyance normative

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des sujets en matière d’internalité comparativement à une situation témoin. Pour ce qui est del’autosuffisance ou de l’ancrage, cette même étude ne permet pas d’établir de prédiction aussidirectement auprès de notre population de collège.

2.1. Contexte méthodologique

2.1.1. Les sujets

Quatre-vingt-quatre collégiens(nes), scolarisés en quatrième et âgés en moyenne de 14 anset trois mois, ont participé à cette étude. Leur participation s’inscrivait dans le cadre d’un pro-gramme d’éducation à l’orientation. Huit élèves ont été écartés de l’analyse pour n’avoir pasrempli complètement les questionnaires.

2.1.2. L’ancrage induit pendant le travail éducatif

Le travail proposé aux élèves dans les deux conditions (adaptation de l’exercice no 5 deLegrès et Pémartin, 1980) consiste à demander aux élèves de se décrire et de confronter cetteimage d’eux-mêmes à des descriptions effectuées par des pairs du même âge.

Deux types d’ancrage, correspondant à deux conditions expérimentales, ont été mis enœuvre. Dans la première condition, correspondant à un ancrage individuel, on distribuait auxélèves une série de 24 qualificatifs (Dubois et Beauvois, 2001) devant servir à se décrire enterme individuel (ambitieux, agréable, prétentieux, naïf, dynamique, attachant, hypocrite, ins-table, intelligent, sympathique, agaçant, timide, actif, honnête, vantard, vulnérable, autoritaire,ouvert, menteur, étourdi, travailleur, sincère, mesquin, émotif)3. Après s’être décrit, chaqueélève transmettait sa feuille de réponse à trois autres élèves, qui le décrivait l’un après l’autre.Les élèves étaient ensuite invités à discuter des similarités et des différences de perceptionsentre eux-mêmes et leurs pairs.

Dans la seconde condition, correspondant à l’ancrage catégoriel, on distribuait aux élèvesune série de 24 qualificatifs devant servir à se décrire en terme catégoriel (fille, normand, chré-tien, blanc, noir, français, famille, classe, européen, garçon, bande d’amis, ville, club sportif,musulman, rural, établissement scolaire, juif, jeune, collégien, quartier, fumeur, musicien, cita-din, adulte). Après s’être décrit, chaque élève transmettait sa feuille de réponse à trois autresélèves, qui le décrivait l’un après l’autre. Les élèves étaient ensuite invités à discuter des simi-larités et des différences de perceptions entre eux-mêmes et leurs pairs.

Pour chacun des qualificatifs, l’élève répondait en indiquant par un (+) s’il pensait que lequalificatif le décrivait lui ou son camarade (dans le cas du jugement d’un pair), un (–) s’ilpensait que le qualificatif ne le décrivait pas lui ou son camarade, un (0) s’il pensait que lequalificatif le décrivait un peu lui ou son camarade et un (?) s’il ne savait pas.

Après avoir constitué des groupes de quatre élèves, chacune des conditions était introduitealéatoirement, les élèves de chaque groupe pouvant être amenés à se décrire soit individuelle-ment, soit catégoriellement4.

3 Nous avons proposé aux sujets autant de traits négatifs que positifs et autant de traits utiles que désirables defaçon à ce que notre matériel n’induise pas d’effet sur la clairvoyance.4 Afin que tous les élèves bénéficient d’un travail équivalent, tous les élèves, après captation des VD, participaient à

la condition à laquelle ils n’avaient pas précédemment appartenue.

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2.1.3. La clairvoyance des sujetsNous avons retenu trois dimensions du questionnaire de normativité libérale (QNL) de

Dubois et Beauvois (2002) pour la mesure de la clairvoyance : l’internalité (par exemple,« quand on est bien évalué, c’est sans doute parce qu’on a bien travaillé » internalité versus« on peut être bien évalué sans qu’on y soit vraiment pour quelque chose » externalité), l’au-tosuffisance (par exemple, « on devient adulte lorsqu’on sait trouver l’aide dont on peut avoirbesoin » hétérosuffisance versus « on devient adulte lorsqu’on a de moins en moins besoin desautres » autosuffisance) et l’ancrage (par exemple, « un américain ne peut pas aimer lesmêmes choses qu’un français » ancrage catégoriel versus « tous les gens aiment des chosesdifférentes qu’ils soient américains ou français » ancrage individuel).

Les sujets ne répondaient pas aux huit items contenus dans le QNL mesurant chacune deces trois dimensions, cela pour alléger le dispositif expérimental, et permettre l’introductiond’un test et d’un retest. En l’occurrence, nous avons repris le QNL en scindant en deux cha-cune des trois échelles (Annexe A).

Avant les traitements expérimentaux, on fournissait aux élèves la première demi-échelle duQNL, en indiquant : « Je vais maintenant vous donner un questionnaire à remplir. Je vousdemande de répondre aux questions en essayant de vous faire bien voir par le (la) conseiller(e) d’orientation, c’est-à-dire comme si vous vouliez que nous soyons contents de vos répon-ses » (consigne pronormative). Ils devaient alors répondre aux 12 questions portant sur l’inter-nalité (n = 4), l’autosuffisance (n = 4) et l’ancrage (n = 4).

Après les traitements expérimentaux, les sujets répondaient à la seconde demi-échelle por-tant sur les mêmes dimensions, mais constituée de 12 items différents, après avoir lu laconsigne suivante : « Vous allez répondre à un second questionnaire. Cette fois, je vousdemande de répondre aux questions en essayant de vous faire mal voir par le (la) conseiller(e) d’orientation, c’est-à-dire comme si vous vouliez que nous soyons mécontents de vosréponses » (consigne contre-normative). On obtient pour chaque dimension un score allant de0 à 4. Le score de clairvoyance est obtenu en faisant la différence entre les scores en consignepronormative et en consigne contre-normative, les scores se distribuant de –4 à +4. La variableservant à l’analyse est constituée par la différence ; temps 2–temps 1, au niveau des scores declairvoyance normative.

2.1.4. Le déroulementLes sujets, élèves de collège, participaient en groupe à une séquence éducative fondée sur la

connaissance de soi. Dans un premier temps, ils répondaient à un questionnaire permettant demesurer leur clairvoyance normative en matière d’ancrage, d’autosuffisance et d’internalité.Puis, on leur demandait de se décrire soit à l’aide de descripteurs individuels (traits de person-nalité), soit de descripteurs catégoriels (groupes ou catégories sociales) avant de confronterleur autodescription aux descriptions de trois autres élèves. Puis, ils répondaient à un secondquestionnaire visant à mesurer leur clairvoyance normative sur les trois mêmes dimensionsque précédemment.

3. Résultats

Nous avons traité les effets principaux à l’aide d’une Anova classique (F de Fisher-Snédécor). De même, nous avons testé les différences entre les conditions expérimentales àl’aide du test post-hoc HSD de Tukey. Nous avons retenu le seuil de significativité à 0,05.

Tableau 1Effectifs, moyennesa et écart-types sur les scores de clairvoyance normative d’ancrage, d’autosuffisance et d’internalitéen fonction du Type d’ancrage réalisé pendant la séquence éducative

Conditions expérimentales Clairvoyance surl'ancrage

Clairvoyance surl'autosuffisance

Clairvoyance surl'internalité

Ancrage individuel (nombre = 42) 0,16 (2,38) 0,33 (2,31) 2,09ba (2,56)Ancrage catégoriel (nombre = 42) –0,02 (1,95) –0,07 (2,63) 0,57a (2,64)a Les moyennes, qui ne sont pas affectées d’une même lettre, diffèrent significativement entre elles.

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On ne constate pas d’effet du type d’ancrage réalisé avec les élèves sur les scores de clair-voyance normative d’ancrage (F[1,82] = 0,69, n.s.) et d’autosuffisance (F[1,82] = 0,45, n.s.).En revanche, on observe (Tableau 1) un effet du type d’ancrage sur le score de clairvoyancenormative d’internalité (F[1,82] = 7,19, p < 0,008). Dans ce cas, on observe, dans la conditionfondée sur l’ancrage individuel une augmentation plus importante de la clairvoyance normativecomparativement à la condition fondée sur l’ancrage catégoriel. Notre hypothèse est donc véri-fiée. Nous avons invoqué diverses variables, comme l’âge, le sexe, le niveau scolaire(moyenne générale des élèves en trois classes ; faible, moyenne et forte), pouvant interagiravec nos traitements expérimentaux. À ce niveau, on observe que le niveau scolaire des élèvesinteragit avec le type d’action éducative que nous avons introduit (F[2,78] = 5,08, p < 0,008).Plus précisément, le test post hoc de Tukey permet d’établir que la clairvoyance normative, enmatière d’internalité, augmente essentiellement chez les élèves moyens (m = 2,90)5 ayant suivile travail fondé sur l’ancrage individuel comparativement aux élèves les plus faibles(m = –0,10) ou aux élèves moyens ayant travaillé sur un ancrage catégoriel (m = –0,11). Defait, tous les élèves ne profitent pas de manière égale d’un travail favorisant l’accroissementde leurs compétences métacognitives.

4. Discussion

Cette étude avait pour finalité de décrire l’impact d’une pratique éducative en orientationfavorisant l’individualisation sur la diffusion de la clairvoyance normative relevant de la repré-sentation individualiste de la personne, cela dans un contexte scolaire. Nous pensions que letravail réalisé par les élèves sur la description d’eux-mêmes, à l’aide de traits de personnalité,devait les amener à se montrer davantage conscients de la valeur associée aux explications desrenforcements ou des comportements qui accentuent le rôle causal de l’acteur. Ces effetsn’étaient pas attendus, dans le cas où les élèves travaillaient sur la connaissance d’eux-mêmesfondée sur l’appartenance à des catégories ou des groupes sociaux. Les données obtenues révè-lent qu’un travail réalisé dans le sens de l’ancrage individuel provoque chez les élèves uneaccentuation de la clairvoyance normative en matière d’internalité. On n’observe aucun effetsur la dimension de l’autosuffisance ou de l’ancrage, cette fois considérée comme variabledépendante. Ainsi, le fait d’apprendre aux élèves à se décrire en terme individuel les amèneraità percevoir la valeur des explications reliant les personnes à leurs conduites, leurs réussites ouleurs échecs, mais pas la valeur associée aux jugements indépendants d’autrui ou aux défini-tions de soi indépendantes du social.

5 Bien que le test post hoc ne révèle pas de différence significative, on observe que les bons élèves ayant suivi letravail fondé sur l’ancrage individuel varient positivement et fortement comparativement aux autres conditions(m = 2,50).

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Toutefois, on observe, dans le même temps, que les effets, produits auprès des élèves, sontmodulés par leurs caractéristiques personnelles, à savoir, ici, les éléments reliés à leur niveauscolaire. À ce niveau, on doit rappeler que la clairvoyance normative résulte d’une activitémétacognitive. Or, on doit garder à l’esprit que le contexte social de l’élève (le retour d’infor-mation en provenance de ses pairs et la comparaison qui en découle), l’autoévaluation de sonactivité, la verbalisation de son expérience, etc., constituent a priori des éléments facilitantl’activité métacognitive. À ce niveau, tous les élèves, considérés en fonction de leur rétributionscolaire, ne tirent pas nécessairement un même profit du contexte scolaire et n’y développentpas des attitudes équivalentes.

5. Conclusion

Du point de vue théorique, ce résultat confirme la nécessité d’envisager systématiquementles effets produits par les technologies éducatives en orientation en relation avec les caractéris-tiques des bénéficiaires et de développer par-là même, une perspective interactionniste dansl’utilisation de ces technologies.

De même, ce résultat pourrait fournir une explication aux données parfois contradictoires,observées, dans la littérature, au niveau de la mesure de l’internalité (Huteau, 1999), cela enfonction du poids accordé au travail sur la connaissance de soi ou au contexte d’évaluationdes pratiques, une clairvoyance normative ne donnant pas systématiquement lieu à une expres-sion de soi normative.

Enfin, concernant les processus en jeu, on doit remarquer que le travail réalisé sur laconnaissance de soi avec les élèves reposait à la fois sur une définition de soi par ces dernierset sur une confrontation de l’image construite auprès d’autrui. De fait, il est difficile, à partirde nos données, de savoir si l’accentuation de la clairvoyance normative est due à une élabo-ration de l’image de soi en terme individualiste ou à la confrontation de l’image de soi auprèsd’autrui ? De ce point de vue, un contrôle plus strict des contextes dans lesquels s’initie cetype de pratiques éducatives pourrait permettre une compréhension plus fine des processus enjeu dans la construction de la personne via la mise en œuvre de pratiques psychologiques fon-dées sur l’individualisation. C’est, d’ailleurs, dans ce sens que s’orientent nos travaux derecherche.

Du point de vue pratique, on peut noter que les liens potentiels entre les séquences éduca-tives et la question de l’ancrage ne sont pas univoques et cela, même lorsque la mise en placed’une séquence d’éducation à l’orientation vise un objectif précis et unique. Par exemple, letravail sur la connaissance de soi peut se décliner à travers l’exploration–construction d’uneimage de soi sur la base d’intérêts ou d’aspirations personnelles, de valeurs, de traits de per-sonnalité ou d’aptitudes, etc. Dans ce cas, c’est une représentation de la personne relevant del’ancrage individuel qui est induite, c’est-à-dire fondée sur une définition de soi sans référenceà ses appartenances catégorielles ou groupales. Mais, la connaissance de soi peut aussi biensuivre en parallèle un objectif de connaissance des professions, en vue de remettre en causeles stéréotypes concernant les formations ou métiers dits féminins ou masculins. Dans ce cas,c’est plutôt une réflexion sur l’ancrage catégoriel qui sera induite auprès des élèves. Il semble,toutefois, qu’en ce domaine, le travail éducatif favorisant un ancrage individuel, apparaîtconforme aux pratiques dominantes des professionnels de l’orientation aussi bien qu’aux ensei-gnants se saisissant de ces technologies.

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Dans cette perspective, les résultats, que nous avons obtenus, pourraient être mis en relationavec les éléments laissant penser, par ailleurs, que l’éducation à l’orientation pourrait faciliterla mise en œuvre de processus de rationalisation6 (Dumora, 2000 ; Curinier, 2001), dans le casoù l’orientation deviendrait problématique, c’est-à-dire dans le cas d’une orientation prescritedans une filière non désirée. En l’occurrence, l’appariement qui sous-tend la logique de l’édu-cation à l’orientation entre les éléments de « soi » et les filières éducatives, pourrait rendresaillant le caractère problématique de l’orientation pour certains élèves. Celui-ci pourrait ainsitrouver un terrain favorable à la rationalisation, dans le contexte de déclaration de liberté, quefournit en principe la possibilité de choix des familles. Or, de nombreuses données expérimen-tales tendent à démonter que la clairvoyance normative provoquerait une inhibition des proces-sus favorisant la rationalisation cognitive (Jouffre, et al. 2001 ; Mangard, 2004). À ce niveau,les données que nous avons obtenues amènent à supposer que les pratiques tendant à aider lesélèves à mieux se connaître, tout en permettant à certains d’entre eux de développer des com-pétences sociales, pourraient entraver l’adaptation des élèves dont les trajectoires scolairesbifurquent des voies d’excellence.

Annexe A

A.1. Questionnaire portant sur l’ancrage, l’internalité et l’autosuffisance au temps 1

A Quand on a faim, il faut se satisfaire de ce que l’on aB Quand on a faim, il faut savoir demander aux autresA Quand on se pose une question, le mieux c’est encore d’essayer d’y répondre par soi-

mêmeB Quand on se pose une question, le mieux c’est de trouver les gens qui peuvent nous aider

à trouver la bonne réponseA Quand on veut réussir quelque chose, on doit surtout trouver les gens qui peuvent nous

aiderB Quand on veut réussir quelque chose, on doit surtout compter sur soiA Quand on ne sait pas faire un travail difficile, le mieux c’est de reprendre à zéro pour

essayer de comprendreB Quand on ne sait pas faire un travail difficile, le mieux c’est de se faire expliquer par

ceux qui semblent avoir comprisA En général, ce que font les gens n’a rien à voir avec le fait qu’ils soient des hommes ou

des femmesB En général, les hommes font ce que font les autres hommes et les femmes font ce que

font les autres femmesA Les musulmans ne peuvent pas avoir les mêmes idées que les catholiquesB Chacun a ses propres idées qui sont bonnes ou mauvaises, qu’il soit catholique ou musul-

man

6 La rationalisation est une transformation des croyances et des valeurs d’un individu, lorsqu’un concours de cir-constance, amène cet individu à réaliser une conduite qui n’est pas conforme à ses croyances et à ses valeurs initiales.Comme l’indique Dumora, dans le domaine de l’orientation, la rationalisation serait la transformation des représenta-tions et des motivations d’un individu, lorsqu’un concours de circonstances amène cet individu à effectuer un choixou une prise de décision qui ne sont pas conformes à ses représentations et à ses motivations initiales.

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A On peut aimer les mêmes livres à tout âgeB Souvent les livres que l’on aime changent avec l’âgeA Un américain ne peut pas aimer les mêmes choses qu’un françaisB Tous les gens aiment des choses différentes qu’ils soient américains ou françaisA Quand on est bien évalué, c’est sans doute parce qu’on a bien travailléB On peut être bien évalué sans qu’on y soit vraiment pour quelque choseA Le plus souvent les gens auxquels il arrive des malheurs l’ont bien cherchéB Les gens auxquels il arrive des malheurs n’y sont bien souvent pour rienA Quand quelqu’un a fait quelque chose de bien, on peut être sûr que c’est quelqu’un de

bienB Quand quelqu’un a fait quelque chose de bien, c’est le plus souvent parce qu’il se trou-

vait dans une situation où tout le monde aurait fait pareilA Quand quelqu’un qui travaille est disputé, c’est qu’il l’a bien cherchéB Bien souvent les personnes sont disputées au travail parce que leur chef est de mauvaise

humeur

A.2. Questionnaire portant sur l’ancrage, l’internalité et l’autosuffisance au temps 2

A On devient adulte lorsqu’on sait trouver l’aide dont on peut avoir besoinB On devient adulte lorsqu’on a de moins en moins besoin des autresA Quand on achète quelque chose de cher, il faut bien savoir ce que l’on veutB Quand on achète quelque chose de cher, il faut savoir se faire bien conseillerA Quand on choisit un vêtement, la seule chose qui compte, c’est de savoir si on plaira ou

non avecB Quand on choisit un vêtement, la seule chose qui compte, c’est de savoir si on l’aime ou

si on ne l’aime pasA Pour bien se débrouiller dans la vie, il faut savoir ne compter que sur soi-mêmeB Pour bien se débrouiller dans la vie, il faut savoir aller voir les personnes capables de

nous aiderA Quand on est enfant, le métier dont on rêve n’a souvent rien à voir avec ce que font vos

parentsB En général, les enfants riches et les enfants pauvres ne rêvent pas des mêmes métiersA En général, ce que l’on aime manger, varient avec les régions et les paysB Nous aimons manger certaines choses qui n’ont rien à voir avec la région ou le pays où

nous vivonsA Si les enfants sont différents ce n’est pas parce que leurs parents ont des origines sociales

différentesB Les enfants de cadres sont très différents des enfants d’ouvriersA La plupart des livres plaisent autant aux hommes qu’aux femmes, ce n’est qu’une affaire

de goûts personnelsB On sait bien que les livres qui plaisent aux femmes ne sont pas les mêmes que ceux qui

plaisent aux hommesA La réussite des gens dépend surtout de ce qu’ils sont et de ce qu’ils fontB La réussite des gens dépend surtout des conditions dans lesquelles ils se trouventA Si les gens se conduisent mal, c’est en général parce qu’ils sont mauvais

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B C’est souvent à cause des autres que les gens se comportent malA Quand on aide quelqu’un, c’est parce qu’on aime faire plaisirB Quand on aide quelqu’un, c’est parce qu’on nous l’a demandéA Si un homme triche, c’est parce qu’il est mauvais joueurB Si un homme triche, c’est parce que les autres trichent aussi

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