Discours (et faits) stratégiques

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Synthèse d'articles tirés de mon blog @Geographedumond

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Discours (et faits) stratgiques

16 novembre 2006. Le Moyen-Orient vu des Etats-Unis. Avant den venir lanalyse rcente dun intervenant rgulier du Monde, je me permets den extraire une plus ancienne des archives du quotidien : mme auteur, et mme sujet (les relations internationales). Elle date du 7 fvrier 2003, avec pour titre Le monde selon G.W. Bush . Je me permets non pas den donner quelques extraits, mais de citer un paragraphe entier. Lauteur a pralablement replac laction du prsident Bush dans son contexte, les menaces apparues loccasion de lattentat du 11 septembre 2001. Il le dpeint comme volontaire et anim par une vision simple (cet adjectif est sans doute plus appropri que simpliste) . Un peu aprs, il parle dun dessein."Quoi qu'il en soit, Saddam Hussein sera limin dans les tout prochains mois, trs probablement par la guerre. Du point de vue amricain, ceux des allis qui s'opposeront ou mme s'abstiendront dans cette action, si elle est ncessaire, manqueront purement et simplement le train de l'histoire. Bush sait parfaitement qu'il aura affronter bien d'autres problmes. Quand l'ordre amricain rgnera Bagdad, il espre que les voisins de l'Irak courberont l'chine, ce qui lui permettra de s'occuper srieusement de la Core du Nord. Quant au problme isralo-palestinien - toujours dans l'optique de l'actuelle administration -, il n'y a pas urgence. Lorsque le moment viendra de le traiter, ce sera dans un tout autre cadre et sans Arafat. On verra peut-tre resurgir l'option jordanienne. On peut mme imaginer qu'une sorte de Mandela (Marouan Barghouti ?) merge des prisons israliennes pour devenir le premier prsident d'une rpublique transjordanienne aux dpens de la monarchie hachmite. Mais d'autres scnarios sont concevables. Ce qui est certain, c'est que toute la donne sera transforme. " [TM / fvrier 2003]Ce huitime paragraphe ne termine pas lanalyse, qui se poursuit sur le thme des relations entre les Etats-Unis et lEurope, et plus particulirement le risque aux yeux de lauteur dune transformation du vieux continent en une seconde Confdration helvtique, pour cause de neutralit dans le conflit de l'poque (intervention amricaine en Afghanistan). Mon propos tant ici de porter un regard critique sur une mthode, je men tiendrai mon intention, celle de comparer une autre analyse sur le mme thme, par la mme personne, mais trois ans et demi plus tard. Cette fois, le titre est lchec de G.W. Bush (Le Monde du 16 novembre 2006).Laccroche a chang, puisque le parti rpublicain sort perdant des lections de mi-mandat (7/11). Lauteur graine cette fois les checs militaires et/ou diplomatiques de ladministration toujours en place. En Afghanistan, chacun craint en Occident le retour des talibans. La production dopium augmente et le prsident pakistanais vacille. En Irak, les pertes humaines se comptent par dizaine de milliers : civils ou militaires, dorigine trangre ou plus gnralement locale. Aux Etats-Unis mme, lopinion publique doute, tandis que la colre gronde manifestement au sein des institutions militaires : la crdibilit de la superpuissance est svrement atteinte. Dans le reste de larticle lauteur complte son tour dhorizon par le Proche-Orient, lIran, la Core, le vaste monde.Tout allait, et rien ne va plus. Quest-ce qui a chang ? Mystre. En tout cas, aux yeux de lanalyste, le monde reste ternellement comprhensible : condition de ne pas confronter les conclusions dune anne lautre. Ainsi G.W. Bush, prsent en fvrier 2003 comme volontaire et anim dun dessein se transforme en novembre 2006 en un homme prisonnier de son idologie , qui na pas compris (en loccurrence le conflit isralo-palestinien)Je laisse dautres le soin dattaquer le prsident amricain, et surtout de dmonter les thories no-conservatrices : il ne manquera pas de plumes hier souvent moutonnires dans le commentaire compass pour agir en ce sens. Ces thories ont t tellement caricatures de ce ct-ci de lAtlantique, quil me parat difficile dy voir tout fait clair aujourdhui. Sur le fond, il ny a toutefois pas grand mrite constater lchec de ladministration Bush : militaire et diplomatique. Les lecteurs amricains me semblent avoir tranch la question la semaine dernire. Le fonctionnement politique dune grande dmocratie semble dcidment plus simple comprendre que le vaste monde !*27 mars 2007. Iran-Etats-Unis. Prenez une peccadille, labandon par une reine espagnole de son trne (en septembre 1868). A Berlin, la chancellerie propose un nom pour fonder une nouvelle dynastie (les Hohenzollern), comme Londres, Moscou, Bucarest, pour ne citer que quelques exemples. Mais le gouvernement franais ne lentend pas ainsi : le coq sur ses ergots. Un Prussien Madrid ; pourquoi pas au Mexique, tant quon y est ? Les apprentis historiens du quai dOrsay ressortent la figure de Charles Quint, en oubliant au passage que les guerres de Religion avaient la mme poque caus infiniment plus de dgts au royaume de France que tous ses ennemis rassembls. Et puis quy a-t-il de commun en dehors de la langue entre un Autrichien et un Prussien ? Mais lerreur danalyse ne sarrte pas l. Sy ajoute de la part des Franais une amnsie double dun aveuglement criminelLes autorits espagnoles ont tout craindre des Franais, linverse des Prussiens. Lors des premire (1795 1797) et troisime Coalitions continentales (1805), elles se sont engages aux cts des Franais sans rcolter en contrepartie aucun succs : marine de guerre affaiblie (Trafalgar), perte dinfluence en Amrique latine (en particulier dans les Carabes) et installation des Anglais Gibraltar. En fvrier 1808, Murat a pntr dans la pninsule la tte dune arme qui le conduit jusqu Madrid, inaugurant cinq annes de guerre plus ou moins larve en Espagne : Wellington repousse les derniers troupes franaises outre Pyrnes en 1813. En 1822 enfin, lissue du congrs de Vrone, Paris dcide une nouvelle expdition au sud des Pyrnes, cette fois pour sauver la mise de Ferdinand VII, celui-l mme que Napolon avait fait enfermer Valenay quinze ans plus tt, monarque affaibli par une opposition librale : laffaire aboutit une nouvelle prise de Madrid (fort du Trocadro en 1823).Un demi-sicle plus tard, les autorits franaises semblent ngliger ce passif, tout en se focalisant lexcs sur une posture type, de la citadelle assige. Le marchal et ministre de la Guerre Leboeuf, qui lon demande si larme franaise est prte toute ventualit, rpond quelle est admirable, discipline, exerce, vaillante. On chercherait en vain les modernisations (pense tactique et stratgique & armement) tirs en France de la guerre de Scession ou de la guerre entre la Prusse et lAutriche (Sadowa, 1866). Mais la guerre avec la Prusse clate finalement par la faute du ministre franais des Affaires trangres (Gramont) qui na pas mesur le caractre calculateur du chancelier Bismarck. Car ce dernier agit finalement linsu du roi Guillaume. Cherchait-il vraiment une guerre avec la France ? (Voir ici)Il mimporte surtout de dissquer un projet gopolitique, celui dun dirigeant prussien pouvant clairer celui dun dirigeant persan. Pour poser le problme autrement, Bismarck ne cherchait-il pas simplement une guerre pour la Prusse, et pourquoi ? Il faut viter tout dterminisme qui considrerait comme vident et logique lenchanement des vnements conduisant la proclamation de lEmpire allemand. Lunification rpondait certes au vu dun grand nombre de germanophones dEurope centrale ; tous nen formait cependant pas le vu. En 1815, dans la Confdration germanique coexistent encore quatre villes libres, douze principauts, dix duchs et sept grands-duchs ; lunification a dabord fonctionn par louverture dun march commun germanique lintrieur duquel les souverains suppriment les droits de douane (Zollverein, en 1834). Pour le reste, les tensions demeurent fortes au plan religieux (entre protestants et catholiques), politique (entre libraux et conservateurs), et enfin diplomatique : tiraillement avec le Danemark (1848 1852) pour le Schleswig Holstein ou plus encore avec lAutriche.La primaut que souhaite donner Bismarck la Prusse ne rentre donc pas dans un ordre naturel incontest ; bien au contraire. La force de la Prusse tient surtout son agriculture : ses industries et mines se situent en priphrie (haute Silsie et Saxe Anhalt). Ses fleuves nont alors de connexion ni avec le Rhin, ni avec le Danube ; les grands ports de la Confdration (Hambourg, Brme ou Lbeck) se situent en dehors du royaume. Les mines de charbon et de fer chappent galement au contrle prussien. Son chancelier sige dans une capitale en rapide croissance, mais au milieu dune Prusse sans grandes villes internationalement reconnues du point de vue des arts, des lettres, des sciences ou des techniques. Mais avec une arme moderne et une administration ambitieuse, Bismarck croit sa porte une union des Etats allemands dirige par un souverain prussien. Ou par son chancelier ! La diplomatie lui donne loccasion de bluffer en envoyant la dpche dEms : si vous ntes pas avec la Prusse contre lennemi (et ex envahisseur) franais, vous tes de mauvais Allemands ! Un passage la Galerie des Glaces, et lon proclame le ReichLe titre de mon papier aura cependant alert le lecteur : le prsident Ahmadinejad est-il un nouveau Bismarck ? La comparaison peut surprendre, mme sil ne lui cde en rien du point de vue de la rouerie. Le projet gopolitique iranien nest pas seulement celui dun homme, mais celui dune caste de dignitaires religieux forms Qom. Elle se caractrise aussi par son obsession unificatrice, dont tmoigne la carte : au plan ethnique (par rapport aux Caucasiens, Kurdes, Arabes, ou Baloutches) religieux (au regard des minorits sunnites), et enfin conomique : dirigisme tatique centralisateur inefficace, qui va lencontre de la Confdration germanique du XIXme sicle [la politique des mollahs nest-elle pas un simple drivatif pour une population critique son encontre ?] Thran prsente ses frontires nationales comme sous la menace dennemis protiformes, au premier rang desquels se trouvent les Anglo-Saxons. La diffamation renvoie nanmoins au coup dEtat contre Mossadegh (fvrier 1953) ou encore au soutien accord au Chah la veille de la prise de pouvoir de layatollah Khomeyni en 1979.Les thocrates de Qom disposent de solides atouts, bien au-del du cas des quinze marins capturs et de limpossibilit pratique de la communaut internationale de bloquer tout programme nuclaire en Iran. Les faits gographiques lemportent sur toute autre considration. Les armes occidentales prsentes en Irak ont cop dune (trop ?) lourde tche, mais larme britannique plus encore que les autres : dans son secteur doccupation se trouve la frontire avec lIran, le long du thalweg (au milieu) du Chatt el Arab, lestuaire du Tigre et de lEuphrate. Le gouvernement Blair a msestim le risque dincidents de frontires dans une zone aquatique, par dfinition prive de repres topographiques (facile dire ? En 1980, la guerre Iran Irak se dclenche pourtant dans ce secteur). A Londres, les premires ractions font craindre le pire par leur navet pince : Tony Blair a dnonc, dimanche 25 mars, le caractre injustifi et incorrect de la capture. (Le Monde)Thran peut pousser loin son effronterie, parce que les Occidentaux joue cette partie avec un handicap. Au 1er janvier 2005 [1], on estime que le sous-sol iranien contient 17 milliards de tonnes de ptrole, c'est--dire environ 10 % des rserves prouves dans le monde (au prix du baril 01/05). LIran a produit un peu plus de 200 millions de tonnes en 2004, au troisime rang mondial. En lespace de quelques minutes, le pouvoir iranien peut ordonner le sabordage de nimporte quel supertanker croisant au droit de ses ctes mridionales. Larme iranienne a les armes pour bloquer le dtroit dOrmuz qui spare lIran de la pninsule arabique (largeur minimale, 54 kilomtres), et donc dinterrompre un tiers des exportations mondiales de ptrole ! Larme amricaine a bien sr les moyens de riposter, en admettant un accord bien improbable de la communaut internationale ; mais comment volueraient brusquement les cours ptroliers ? Quadviendrait-il la croissance amricaine, dj trs ralentie ?Le rgime des mollahs nattend quune maladresse hier le dossier nuclaire, aujourdhui les marins britanniques pour trouver une deuxime dpche dEms et ressouder la population iranienne derrire lui. Il semble linverse que chaque jour qui passe laffaiblit. DEms Qom, raccourci historique et gographique.*5 mai 2007. Chine-Etats-Unis. Cet avant titre mrite toute notre attention : 'le scnario drangeant dun expert amricain.' De quoi va-t-on parler ? 'Et si la Chine ne devenait jamais une dmocratie ?' le sous-titre donne de lpaisseur au suspense : 'Contrairement ce que soutiennent les dirigeants amricains, lempire du Milieu ne se dmocratisera pas forcment sous leffet de louverture conomique. Et la nouvelle classe moyenne chinoise pourrait avoir intrt voir perdurer un rgime autoritaire. 'Existe-t-il un plaisir plus pouss que celui procur par lecture dun expert ? Et bien, lorsquun expert dmonte le discours dun autre expert ; lui, il vous embrouille avec ses sources ventes, mais moi je vais vous raconter ce qui va vraiment se passer en Chine, car je connais plein de gens influents !En loccurrence, il sagit dun article dAsia Times Online repris par lavant-dernier Courrier International (n860, p.48) dans lequel Benjamin A. Shobert prsent comme spcialiste des relations sino-amricaines, [qui] dirige une socit de conseil qui aide les entreprises asiatiques simplanter sur le march nord-amricain [note de C.I.] dmonte largumentaire de James Maan. Ce dernier bnficie de la mansutude de son accusateur en mauvaise prvision, qui lui consacre lincipit de son article (pour mieux l'reinter par la suite) : Spcialiste de longue date des relations sino-amricaines, James Maan vient de publier un nouveau livre, The China Fantasy : How Our Leaders Explain Away Chinese Repression. La charge commence quelques lignes plus tard, par cette phrase qui rate son effet. De laccus Maan, B.A. Shobert prcise en effet quil laisse ouvertes les questions gnralement poses sur la Chine. Je persiste personnellement parer de tous les vices ceux qui pataugent dans lexcs contraire en sen vantant, affirmateurs de tous poils et faonneurs de rponses toutes faites. Le livre de Maan, revenons-y, sorganise autour de trois scnarii sur lvolution de la Chine communiste toujours selon B.A. Shobert mais discrdite les deux plus excessifs, lun o rien ne se passe, lautre o tout clate. Du premier, Maan note quil a sduit les prsidents amricains depuis Richard Nixon et quil flatte les hommes daffaires occidentaux, aveugls par leur sjour Shangai ou dans une grande mtropole de lEst ; tous ceux qui se persuadent que toute la Chine est rentre dans un vaste mouvement de modernisation, scnario sduisant, car lourd de promesses.Du second scnario, le plus sombre des trois, il faut retenir que Maan rechigne faire le parallle entre la Chine du dbut du XXIme sicle et les pays asiatiques mergents dhier (le Japon) ou daujourdhui (la Core du Sud). Il lui semble manifestement quil y a une assimilation abusive : pas de dmocratie, une masse insatisfaite de paysans pauvres, des citadins en phase avec la modernisation prsente et redoutant un retour en arrire. Mais lauteur Maan ne cache pas au passage son dsaccord avec les mauvais augures qui prsagent un long dchirement entre factions en Chine continentale. Il sappuie sur lhistoire passe, mais son argument provoque le doute : le scnario dun clatement de la Chine va lencontre dune longue tradition. Et alors ? Le dernier scnario de Maan est de toute vidence celui quil privilgie. Ce troisime scnario ne signifie pas que, dans un quart de sicle, la Chine sera dirige par le mme Parti communiste que celui qui est au pouvoir aujourdhui Mais dune faon ou dune autre, les fondements du systme actuel resteront intacts Si tout change, mais que rien ne change, il y a de quoi rester sur sa faim. B.A. Shobert peste contre cette faon de ne rien trancher ; mi-chou, mi-chvre. En n'cartant aucune hypothse, Maan se tire pourtant honorablement de cet exercice que je qualifierai de la boule de cristal, mme si son accusateur peine le reconnatre explicitement. B.A. Shobert se contente finalement d'une remise en cause globale. Celui quil critique sintresse moins lavenir qu la politique immdiate, assne-t-il : son but est dobliger les Amricains sinterroger sur leur politique et se demander sils sestimeront satisfaits de lissue que lui juge la plus probable. Je trouve cet objectif digne d'intrt... Au-del des Amricains ici en ligne de mire, car tous les Occidentaux se privent dune rflexion sur ce thme. Le regretteront-ils un jour ? Tout un chacun espre en effet que la rentre de la Chine dans les changes internationaux provoquera des retombes positives sur la population chinoise (lesquelles, et sous quelle forme ?) et que la croissance du PIB enregistre anne aprs anne aboutira au mme rsultat.Il nempche quen 1990, en 1995, en 2000 ou en 2007, les consommateurs occidentaux participent au fonctionnement de l'conomie chinoise, la survie d'un rgime totalitaire. Cest une compromission, lchons le mot, qui ne connat pas de prcdent dans lhistoire de laffrontement Est Ouest. LU.R.S.S. de 1991 importait des matires premires agricoles et quelques biens manufacturs, exportait des hydrocarbures, des musiciens et des dissidents. Mais si bien peu dOccidentaux ont uvr pour son effondrement, peu nombreux furent ceux qui senrichirent en commerant avec les Sovitiques. 1991, anne de la dislocation de lU.R.S.S. ne constitue pas un vnement marquant en Occident. Que lon songe en revanche aux dgts indirects causs par la collaboration militaire force entre Occidentaux et Sovitiques, unis de 1941 1945 contre lAllemagne nazie : interrogeons-nous sur lopinion des habitants dEurope centrale ou orientale au sujet dun Occident qui les abandonne lArme rouge lissue de la chute de Berlin. Plus de soixante ans aprs, les rancoeurs passes continuent dempoisonner les relations diplomatiques et commerciales lintrieur comme lextrieur de lUnion europenne.Craignons que lanne 20xx (?) ne fasse vaciller les conomies occidentales. Que la banque centrale Pkin cesse dacheter de la dette amricaine, ou que les produits manufacturs chinois, dans le textile, la chaussure, les articles de sport, loutillage du dimanche, le jouet en plastique, la micro-informatique bas de gamme ou encore le petit lectromnager, que ces produits ne parviennent plus jusquaux supermarchs occidentaux : alors llvation continue du pouvoir dachat des mnages europens et nord-amricains au cours des deux dernires dcennies appartiendra un pass rvolu. Mais craignons plus encore que leffondrement du communisme chinois laisse un got amer, quel qu'en soit le moment. Oublions les bnficiaires du compromis intress avec les autorits de la Chine communiste qui regretteront certes les richesses vanouies. Il y a fort parier que les intellectuels occidentaux pleureront devant le spectacle d'une nouvelle Chine divise ou runie peu importe mais trs probablement hostile lOccident compromis, lOccident sacrificateur de ses propres idaux humanistes et dmocratiques*25 fvrier 2008. Chine-Etats-Unis (et Australie). Rsumons. Winston Churchill joue le rle du rtrograde. L'ambassadeur d'Australie Washington Sir Owen Dixon racontait qui voulait l'entendre les paroles mmes du devin Roosevelt. Ce dernier avait eu de nombreuses discussions avec Winston sur la Chine et [qu'] il avait le sentiment que Winston avait quarante ans de retard sur la Chine, qu'il parlait sans cesse des Chinois en disant 'les Chinks' ou 'les Chinamen' - il trouvait a trs dangereux. Roosevelt, lui, voulait garder de bonnes relations avec la Chine, car il pensait que, dans quarante ou cinquante ans, la Chine pourrait trs bien devenir une grande puissance militaire. Sylvie Kauffmann ou l'ingnue du Monde retranscrit mot mot l'opinion banale d'un rond-de-cuir australien au sujet de l'opposition entre les deux dirigeants de la Deuxime Guerre mondiale. Elle cite sa source, un article de Foreign Affairs sign John Ikenberry, qu'elle pare de tous les talents : l'un des plus brillants chercheurs amricains en politique trangre . Elle omet malheureusement de mettre un lien avec cet hymne L'ascension de la Chine et l'avenir de l'Ouest . Ikenberry enfile les banalits comme d'autres les perles, en se contentant au fil des lignes de s'appuyer sur quelques noms, des personnes qui ont pour seul mrite d'avoir parl ou crit avant lui. Sa problmatique apparat ds la premire page dans laquelle il rappelle que les Etats-Unis ont accd au rang de premire puissance aprs 1945, et que l'Europe a perdu cette occasion sa place prminente. Stupfiant. Il s'insurge contre les pessimistes qui prdisent le dclin des Etats-Unis et se pose une question : la Chine n'est-elle pas l'avenir pour les Etats-Unis, la fois ennemi militaire et partenaire commercial ? On relve encore et toujours la personnification des pays, vieille ficelle de l'analyste gostratgique, toujours prompt instiller du simplisme dans l'tude des relations internationales. Pour Ikenberry, la Chine est la seule rivale des Etats-Unis. Il en veut pour preuve son conomie qui a quadrupl depuis la fin des annes 1970 , le fait que la Chine produit de l'acier, du fer et du charbon, dispose d'une rserve de change en monnaies trangres de 1000 milliards de dollars (fin 2006), et dpense chaque anne davantage pour l'quipement de ses armes [trad perso]. Chacun aura reconnu les accents kremlinologiques de cette analyse. Or, l'conomie n'augmente pas, les millions de tonnes si dates historiquement (poque premirervolution industrielle...) ne prouvent rien. Quant aux rserves en dollars de la Bank of China, elles reprsentent autant un handicap qu'un atout. A chaque dvaluation du dollar par rapport aux autres monnaies, le pcule chinois perd de sa valeur. Cet argent non inject dans le pays rel ne doit en outre son existence qu' la capacit des mnages amricains s'endetter ; les drapages des crdits immobiliers US rendent bien vaine la politique montaire de Pkin. Le PCC n'a gure de choix alternatif, il est vrai...La Chine reproduit les schmas du pass videmment, tout est crit et suit les traces de l'Allemagne d'aprs 1870. Ikenberry a tout vu : l'Allemagne se dveloppait trop vite, et le Royaume-Uni n'a pas support cette concurrence, l'poque. Donc il fallait une guerre mondiale, une coalition de tous les Europens contre l'Allemagne. L'Alsace-Lorraine, la longue entente entre Londres et Berlin, les questions coloniales, etc. ? Broutilles que tout cela. Ces explications ne conviennent pas notre visionnaire. Donc la Chine, comme l'Allemagne en d'autres temps, devient une menace et suscitera contre elle une coalition ? Les conclusions manquent. Parce qu'elle s'apprte dominer le monde qu'importent les deux tiers de paysans (voir le Monde), la dsagrgation des structures politiques, les milliers de condamns aux travaux forcs, le dsastre de l'enfant unique, les problmes de sant publique, ou encore la pollution catastrophique, l'analyste jette un voile pudique la Chine incarne le pril jaune, qui stimule et dpasse l'Occident. Ikenberry cependant tient viter tout drapage : les Etats-Unis ont certes occup une position dominante de superpuissance, mais cela n'a rien voir ! Ce fut toujours de faon raisonne, pour le service du bien, de la dmocratie et d'organisations supranationales dfendant le droit et l'quit. Je partage plutt ce point de vue, mais le problme est l : nous divaguons dans le brouillard, une somme d'affirmations subjectives. Allemagne (1870 1914) = Chine (1970's ?) = Etats-Unis (1945 1970). La dmonstration conduit une absurdit logique.Ikenberry fait part de son espoir. Il ne dsespre de voir l'emporter Pkin les dirigeants chinois les plus aviss ( The most farsighted Chinese leaders ), ceux qui souhaitent l'intgration de leur pays dans un systme de relations internationales bas sur le libre-change et le droit international, une puissance comme une autre, en quelque sorte. Mais les questions militaires, nuclaires, la place de la Chine dans les institutions internationales ne laissent planer aucun doute : la Chine est bien l, rpte inlassablement Ikenberry. Rvolutionnaire. Il consacre les derniers paragraphes de son article dvoiler sa vision de la politique trangre amricaine : rester leader du camp occidental, faire respecter le droit international, restaurer des liens de confiance avec les pays membres de l'OTAN, relancer les ngociations l'OMC, participer la lutte contre le rchauffement climatique... Dans un Occident uni derrire les Etats-Unis, la marge de manoeuvre de Pkin se rduit, et sa capacit de nuisance par la mme occasion. Qui pourrait se dire totalement hostile cet ultime dveloppement d'Ikenberry ?A la fin de la lecture de l'analyste amricain, on s'aperoit que Sylvie Kauffman n'a retenu qu'un morceau de la deuxime page. Roosevelt avait raison et Churchill avait tort. Elle ne s'en tient pas l et largit sa note de lecture un autre intellectuel de qualit (sic) : Mark Leonard, qui a crit What China Thinks. Qu'on se le dise, la Chine pense. O l'on dcouvre que les Chinois, eux aussi, rflchissent sur l'avenir du monde. Et que, contrairement une ide trs rpandue, ils ne pensent pas tous de la mme manire. Je me rends de tels arguments (...) faute d'avoir parcouru cet ouvrage. Sylvie Kauffman ne s'arrte plus : elle a galement lu Kishore Mahbubani, ancien ambassadeur singapourien et auteur de plusieurs livres sur la politique internationale . [The New Asian Hemisphere, prcise-t-elle]. Le pouvoir mondial est parti vers l'Est. Bientt englouti dans le Pacifique ?La journaliste conclut sur la situation de l'Australie. En effet, les Australiens crivent moins, mais, se sentant plus proches aujourd'hui de Roosevelt que de 'Winston', ils agissent. Pars du premier chef de gouvernement du monde dvelopp parler couramment le mandarin, le travailliste Kevin Rudd, ils participent allgrement au ramnagement de l'ordre gopolitique dans la rgion Asie-Pacifique. La Chine est devenue en 2007, devant le Japon, le premier partenaire commercial de l'Australie. J'pargne les trmolos lyriques du final, l'vocation d'une gauche australienne habite par le gnie politique depuis que Kevin Rudd occupe le poste de premier ministre. Je reste toutefois btement persuad que la realpolitik de Canberra ressemble s'y mprendre un suivisme abject et inutile ; abject par qu'il fait accepter sans sourciller les pires abominations du rgime communiste chinois ; inutile parce qu'il risque fort de mener une impasse diplomatique en mme temps qu'conomique... *8 avril 2008. Le nouvel ordre mondial. Henry A. Kissinger ne dcroche pas. Il signe mme cette semaine une tribune dans l'International Herald Tribune qui constitue une transcription crite de rflexions sur le nouvel ordre mondial (new international order). Cette expression mriterait elle seule un commentaire, tant elle ne signifie rien. Prive de toute borne historique, elle relve du discours incantatoire et ne renseigne aucun titre. Le monde connut-il l'ordre ? Les priodes charnires gnralement retenues au 20me sicle souffrent la discussion. Au lendemain de la Deuxime Guerre mondiale, l'Union Sovitique s'imposait en Europe orientale, si ce n'est par les armes, en tout cas par la force et l'intimidation. Dans l'ancienne colonie japonaise de Core, une guerre fratricide germait, lourde de consquences tragiques. Les forces nationalistes de Chang Kai-Sek se dlitaient face l'Arme de Libration Nationale, et abandonnaient ds le premier semestre de 1946 la Mandchourie. En Indochine, les forces du Vietminh tentaient un coup d'clat Hanoi. A l'poque, Washington s'intressait peu au problme du terrorisme. Les responsables politiques restaient fermes sur leur convictions anticolonialistes et la croyance dans le droit des peuples disposer d'eux-mmes (voir une poigne de noix fraches). Les lendemains de l'effondrement de l'URSS reprsentent en thorie une deuxime priode de paix. Qu'en fut-il, en Yougoslavie, en Afghanistan, en Irak et en Iran ? Tout juste doit-on reconnatre la prminence militaire amricaine aprs 1991. La tragdie se joue l. En Irak, depuis 2003, l'administration Bush porte la responsabilit historique crasante d'un camouflet. Peu importe les jugements ports sur l'action de l'arme amricaine. Les plus svres ne tiennent pas compte de l'extraordinaire adaptabilit des GI's, du dvouement de tous ces soldats prts tomber au pied de la bannire toile. Je les plains, car leur point de vue europen douloureusement ressenti par Kissinger nglige cette vidence qu'un soldat ignore toujours les ncessits de la haute stratgie. Pour un ensemble de mauvaises raisons, bien des armes europennes se sont effectivement coupes de leurs populations et prives de leurs meilleures sources de recrutement. En se contentant de rtablir les sergents recruteurs de l'Ancien rgime, prts obtenir des signatures d'engagements sous les drapeaux par tous les moyens pour garnir les rangs de leurs rgiments, elles restent en retrait de l'US Army. D'un ct quelques centaines d'hommes, de l'autre des dizaines de milliers. D'un ct des units spciales bien entranes et surquipes dans le cas franais, l'exact oppos de la dotation gnrale des rgiments lambda de l'autre, le systme divisionnaire dans son ensemble, mlant forces de mle et forces d'appui. Tout cela compte pourtant peu dans les mdias europens. Seule compte l'inespr enlisement amricain on tente ici ou l de voiler une indcente jubilation . Parce que l'on est europen, on se targue d'intelligence, de finesse. L'art de la guerre, proprit continentale ? Pitoyable.Henry A. Kissinger vite bien entendu de s'tendre sur la situation au Moyen-Orient, si ce n'est par quelques lapalissades. Vieux travers gopoliticien, il fait des Etats-Unis le sujet, et les Amricains unanimes, les acteurs d'une tragdie imparable. Si on y est, c'est qu'on y est. Si on y est, c'est pas pour rien. Si on n'y tait pas, la situation ne vaudrait pas mieux. L'argumentaire, par dfinition indmontrable, rvle une pense uniquement capable de recycler des vieilles thmatiques : en particulier celle qui dcrit le centre du monde en dplacement de l'Atlantique vers le Pacifique [ the drift of the center of gravity of international affairs from the Atlantic to the Pacific and Indian Oceans.]. Celui qui tombe s'agrippe au premier bras venu, quitte entraner quelqu'un d'autre dans sa chute. L'auteur distille en ralit une amertume pleine d'incohrence ses lecteurs. De deux choses l'une : si le Pacifique perd son statut de priphrie, la question du secours apport par les Europens en Irak, ou de leur coopration dans les oprations de l'Otan en Afghanistan devrait ne susciter qu'ennui poli de l'autre ct de l'Atlantique. Bien loin de celui-ci, Kissinger tempte contre les Europens inconsquents, contre les Europens lches, contre les Europens gostes. Contre les Europens assourdis par le bruit des armes : et Kissinger de reprendre l'argument cul des consquences des deux guerres mondiales. Croit-il vraiment au plus jamais !? Je l'ignore. Pour ne pas avoir l'air de reprendre une mlodie vieille de plusieurs dcennies au sujet du Pacifique [voir Alexandre de Marenches au dbut des annes 1980], il associe ce dernier l'ocan Indien, afin de dcrire le dcentrage gopolitique du monde. Remarquez, on dit que les extrmes se rejoignent. Et puis aller de Bagdad Los Angeles, ou de New York Jrusalem, cela revient effectuer deux minuscules sauts de puce.De l'amertume, on tombe ensuite dans l'aveuglement. Sur les lointaines consquences de la disparition de l'Empire ottoman, l'auteur s'en tient la thse du progrs en marche. [1] L'Empire devait disparatre en 1918 parce qu'appartenant au camp battu. L'erreur proviendrait de la fixation des frontires, irrespectueuses des diffrenciations ethniques, linguistiques et religieuses ; contrairement l'Europe, prcise l'auteur. Ainsi, Henry A. Kissinger gomme le caractre catastrophique du principe des nationalits dans l'Entre-deux-guerres. Pire, il fait montre d'une certaine mauvaise foi en taisant la lente construction europenne dont il se mfie. Celle-ci a pourtant, aprs 1945, garanti l'instauration d'une paix durable l'chelle du continent...Aprs un couplet ennuyeux sur la menace islamiste, l'ancien conseiller de Nixon tient terminer sur l'essentiel : les Etats-Unis ternels et les nouvelles perspectives gopolitiques. Il se montre donc la fois guerrier et Pacifique. L'tat des relations sino-amricaines l'inquite, et on retrouve l l'oracle du pragmatisme. Washington ne peut s'engager en ce dbut de sicle dans une confrontation avec Pkin, alors que l'arme amricaine peine en Irak et en Afghanistan [2]. Le questionnement final tmoigne d'un louable appel au dialogue. Il reste que l'auteur ne s'interroge aucun moment sur ce qui dfinit la superpuissance (sous-entendue amricaine [3]). Sur ses limites gographiques et bien davantage conomiques, je reste sur ma faim. Comment l'administration amricaine justifiera-t-elle auprs de son opinion publique la poursuite des oprations militaires en Irak et en Afghanistan, sans l'obtention de rsultats indniables sur le terrain ? Comment l'administration amricaine compte-t-elle financer dans le futur l'effort de guerre actuel, si le dollar continue se dvaloriser et si le monde ne finance plus les dficits publics amricains ? Henry A. Kissinger fustige les Europens munichois sans doute n'a-t-il pas tout fait tort mais jette un voile pudique sur l'abandon moral d'une Amrique endette jusqu'au cou : la banque centrale de Chine dtient plus de 1.000 milliards de dollars de bons du trsor amricain. Il hurle au loup et dnonce le danger de terroristes islamistes, dont le seul fait d'armes remonte cependant au 11 septembre 2001 [4], mais compte pour rien la fragilit conomique amricaine l'approche d'une crise d'ores et dj compare celle de 1929. Kissinger, prophte du monde d'hier.[1] The successor states of the Ottoman Empire were established by the victorious powers at the end of the First World War. Unlike the European states, their borders did not reflect ethnic principles or linguistic distinctiveness but the balances achieved by the European powers in their contests outside the region. / Henry A. Kissinger.[2] No previous generation has had to deal with different revolutions occurring simultaneously in separate parts of the world. / [Id.][3] In a world in which the sole superpower is a proponent of the prerogatives of the traditional nation-state, in which Europe is stuck in a halfway status, in which the Middle East does not fit the nation-state model and faces a religiously motivated revolution, and in which the nation-states of South and East Asia still practice the balance of power, what is the nature of the international order that can accommodate these different perspectives? / [Id.][4] That struggle is endemic; we do not have the option of withdrawal from it. We can retreat from any one place like Iraq but only to be obliged to resist from new positions, probably more disadvantageously. Even advocates of unilateral withdrawal speak of retaining residual forces to prevent a resurgence of Al Qaeda or radicalism. [Id.]*5 septembre 2008. L'ordre mditerranen. Dans son livre 'Gopolitique de la Mditerrane' (Armand Colin / 2006), Yves Lacoste veut s'affranchir du cadre physique et humain. Il nest pourtant pas inutile de rappeler les ordres de grandeurs dune mer vaste comme cinq fois lHexagone, qui stend sur 4.000 kilomtres dEst en Ouest, et ne dpasse jamais 800 kilomtres entre ses rives mridionale et septentrionale les plus loignes. La pninsule italienne scinde la mer Mditerrane en deux bassins distincts, avec des profondeurs maximales suprieures 5.000 mtres. Ceux-ci nont pas toujours t runis : il y a prs de 6 millions dannes (entre 5,9 et 5,3 Ma / crise de salinit du Messinien), la Mditerrane ne communiquait pas avec lAtlantique. Le dtroit de Gibraltar actuellement large de 13 kilomtres formait une barrire qui empchait les courants marins ocaniques de rquilibrer les pertes en eau du bassin ferm. Il en a rsult une baisse du niveau marin denviron 1.500 mtres, et la sparation en deux bassins. Louverture du canal de Suez en 1869 a de faon beaucoup plus rcente boulevers les cosystmes et permis la diffusion d'une faune ainsi que d'une flore originaires dune mer plus chaude et plus sale (la mer Rouge).Cent-cinquante millions de personnes vivent sur les bords de la Mditerrane, dans des rgions unifies par les mmes caractristiques de sols et de climats. En passant de la rive septentrionale la rive mridionale, lt sec devient aride, commence plus tt (ds mai) et termine plus tard (en octobre) : ce phnomne sobserve en Libye, en Egypte ou en Isral, pour lesquels un rapprochement avec le climat sahlien parat presque plus indiqu. En Mditerrane, les prcipitations ne se rpartissent pas quitablement : les orages violents et les inondations quils provoquent constituent une menace la fois grave et banale.Yves Lacoste rcuse le caractre restrictif de la climatologie. Pour lui, le climat mditerranen ne constitue quun lment secondaire, car il tient considrer chacun des Etats donnant sur le bassin, dans sa globalit. Peu importe ce titre qu'ils possdent des marges dsertiques (en Afrique) ou ocaniques (en Europe occidentale). Ce biais lui permet en outre dinclure la mer Noire dans son tude. Or celle-ci savre impuissante contrecarrer les rigueurs du climat continental. A ce titre, en Bulgarie, en Ukraine ou dans le Caucase, lt concentre une part importante des prcipitations annuelles : lexact oppos de ce que lon peut observer dans la zone mditerranenne stricto sensu.Ltude de la Mditerrane, prise en tant que lieu de chevauchement des grandes religions monothistes simpose aux yeux du gopoliticien cause des attentats sur les Tours Jumelles le 11 septembre 2001. Militairement, les Etats-Unis maintiennent en Mditerrane une flotte aronavale (la VIme). Yves Lacoste prcise galement que larme amricaine concevait au dpart linvasion de lIrak en passant par la Turquie. Il dborde de ce fait en traitant de lIran et lIrak, pourtant hors cadre gographique ; la guerre contre le terrorisme ny change rien.Le gopoliticien donne une grande importance dans sa mise en perspective historique aux grandes questions transverses : colonisation et dcolonisation (dans le cas de lAlgrie et de la France), legs de lEmpire ottoman, constitution dIsral, clatement de la Yougoslavie, etc. Son tude sorganise malheureusement partir des principaux Etats qui structurent le bassin mditerranen : pourquoi consacre t-il galit un chapitre pour la Tunisie, et un pour lensemble des Balkans ? Yves Lacoste affirme pourtant que 'la plupart des nombreuses tensions gopolitiques qui se manifestent autour de la Mditerrane sont celles qui traduisent des rivalits entre des pouvoirs territorialement voisins les uns des autres.' [P.14] Il cite ensuite le cas des Kurdes et des Turcs, des Catalans et des Castillans. En dehors du cas spcifique du Proche-Orient, insiste t-il, il ny a pas de tensions intertatiques notables. Les changes bilatraux entre lAlgrie et la France ou entre lEspagne et le Maroc en tmoigneraient, mme sils passent par des phases plus dlicates.Yves Lacoste succombe en particulier dans sa premire partie intitule Vues densembles au pige du hors-sujet, par exemple sur lorigine des explorations par les navigateurs portugais des ctes occidentales de lAfrique, ou sur les quilibres dmographiques lintrieur du monde musulman. Je retiendrai plutt trois ides intressantes mais mal mises en valeur. 1.Une partie des islamistes militants explique Lacoste sont persuads que lOccident chrtien menace la sphre arabo-musulmane : non pas seulement militairement, mais aussi moralement. 2.Concernant les courants migratoires, '[les islamistes] redoutent que, dans les grandes villes europennes, les musulmans pratiquent moins strictement leur religion, quils se laissent aller suivre des modes occidentales, et surtout que les filles et les femmes se comportent comme des Europennes.' 3.Lhostilit envers lOccident se comprend par lexistence dun terreau plus ancien : le nationalisme arabe, qu'en d'autres temps, le fondateur d'Hrodote dfendait. Lanti-imprialisme et lanticolonialisme dhier alimentent en effet les discours extrmistes daujourdhui. Or que seraient les seconds sans les premiers ?Les faades Sud et Nord de la Mditerrane ne sopposent que dans la pense contemporaine la plus rcente, autre pan retenir de la dmonstration : "Il fut un temps pas si lointain, celui de lAfrique du Nord franaise, o lon ne parlait gure des diffrences entre le nord et le sud de la Mditerrane. [] Autrefois, pour nombre de penseurs espagnols, ce quils appelaient la Berbrie tait, abstraction faite de lIslam, comme le prolongement de la pninsule ibrique. " (P.47-48). Lacoste ne nie pas pour autant les diffrences entre lAfrique du Nord massive et les rives europennes (ou asiatiques) ponctues par trois pninsules. Mais il relve par exemple que la Turquie musulmane se trouve sur la partie septentrionale. De mme, les littoraux africains sont moins peupls (150 contre 280 millions dhabitants, en prenant la globalit des pays concerns), mais localement, la basse valle du Nil concentre plus de populations que partout ailleursLe contraste interne chacun des Etats concerns savre plus remarquable : dans le cas de lEspagne (Andalousie) et de lItalie (Mezzogiorno), il a perdur sans jamais s'estomper compltement. Lacoste nvoque malheureusement pas lopposition entre plaines et zones montagneuses, qui vaut des degrs divers dans les Balkans, en Turquie ou dans le Maghreb. Encore une fois, la prise en compte de lorganisation politique et des frontires entre Etats limite fortement la comprhension de ce quest le bassin mditerranen. Le gopoliticien prive le lecteur dune rflexion sur les consquences de ses assertions : si la mer ne forme quune interface, et non une frontire entre anciennes colonies et anciennes mtropoles, une intgration se dessine, avec en mme temps un fort potentiel de dstabilisation. Le risque se situe mon sens au Sud et non au Nord. Nen convient-il pas en voquant le ressenti des populations concernes face la politique migratoire de lUnion europenne, ou encore limpact des tlvisions europennes en Afrique du Nord ?*11 septembre 2008. L'ordre international, sept ans aprs les attentats du 11/09. On trouvera en note [1] la traduction d'une tribune d'Andrew Bacevich, professeur de relations internationales l'universit de Boston. Qu'a t-elle de remarquable ? L'auteur synthtise l'histoire de la politique trangre amricaine sous la prsidence de G.W. Bush (2000 2008), en mme temps qu'il pose des jalons pour une rflexion stratgique. Andrew Bacevich date de la fin du mois de septembre 2001 le lancement d'une guerre mene tous azimuts 'contre le terrorisme'. A Washington, on souhaite ds le dpart modifier en profondeur la situation gopolitique du Moyen Orient. Il n'y a aucun doute chez les preneurs de dcision du Pentagone ou de la Maison Blanche. Bacevich y voit la marque d'une croyance qu'il qualifie de religieuse. On pourrait tout simplement utiliser le terme de nationalisme pour dcrire cette croyance dans l'omnipotence des Etats-Unis. Mais ce n'est sans doute pas suffisant, car sont rentrs en compte la fascination pour la technologie et l'armement de l'arme amricaine. Et au fond, qui pouvait douter de l'crasante supriorit de celle-ci l'automne 2001 ? Les attentats contre les tours n'avaient jet une ombre que sur la centrale de renseignement, et non sur la puissance militaire en elle-mme. L'enseignant de Boston dcrit combien la connaissance du monde arabo-musulman, pour Rumsfeld, prsentait des lacunes. J'inclinerais personnellement pour une interprtation complmentaire parce que l'on ne gagne rien mpriser ceux que l'on critique . Il s'agit de se souvenir de l'inertie d'un haut Etat-major. Pendant la Guerre Froide, les analystes avaient pris l'habitude d'chaffauder des plans sur la comte sur le pril rouge. La menace sovitique souvent mal comprise autorisait toutes les extrapolations. Je ne vois finalement gure de diffrences entre la thorie des dominos et celles promues par l'quipe Bush Rumsfeld. Il y avait un ennemi dans les deux cas, mme s'il ne se comportait pas comme attendu : la doctrine de la 'transformation' du Moyen Orient ne me parat ni plus idiote, ni moins bien taye. Andrew Bacevich n'pargne aucune des promesses non tenues, et ne cache rien de l'chec final. Il convainc d'autant plus son lecteur qu'il explique comment on ne peut plus se leurrer. En tout cas, volont d'apporter la libert ou pas, sept ans aprs, nous ne pouvons nous voiler la face. Nous avons gaspill d'immenses ressources et bascul dans la dette. Notre dpendance financire vis--vis de l'extrieur constitue dsormais une menace autrement plus proccupante que celle reprsente par Ben Laden. Pour tout dire, avant mme l'occupation de l'Irak, on pouvait deviner l'issue. Quand le pays a t occup, la messe tait dite, comme l'anticipaient Kagan et Kristol. Le gouvernement provisoire install Bagdad n'y changera rien. Admettons un instant que l'Irak rintgre demain la communaut des nations, personne n'osera soutenir que l'opration 'Iraqi Freedom' puisse servir de modle imiter. Le snateur McCain jure qu'il maintiendra sur place les troupes aussi longtemps que ncessaire. Mais curieusement, il ne propose pas d'appliquer le schma stratgique suivi en Irak d'autres pays dangereux de la zone (Syrie, Iran, voire Pakistan). Celui-ci est rentr dfinitivement dans les livres d'histoire : d'un point de vue oprationnel, il est enterr. [Traduction personnelle]Le successeur de G.W. Bush corrigera t-il les erreurs commises ? Nul ne le sait. Andrew Bacevich donne au lecteur de quoi mditer sur la vanit humaine : Rumsfeld et son administration prtendaient rgler les affaires d'une partie du monde en quatre coups de cuillres pot. Dans les heures qui ont suivi le 11 septembre, Rumsfeld a donn l'ordre ses adjoints de prparer un plan comprenant 'trois, quatre, voire cinq volets en un seul'. En un mot, mfions-nous de ceux qui prsentent la pense stratgique comme des recettes dans un livre de cuisine ! Ds dcembre 2001, le Pentagone a pressenti que les Etats-Unis remportaient la 'premire manche' en Afghanistan. L'administration Bush n'a pas attendu une seconde pour claironner, et faire cette occasion l'annonce d'une large victoire. L'attention s'est ensuite porte sur un deuxime thtre d'opration : l'Irak. J'avance un pion, je bouge une tour et c'est bientt chec et mat. [Traduction personnelle] Quant la possibilit de prvoir l'avenir, l'impression qui domine la lecture de l'article de la revue Nation est que les oracles et voyants continuent de recruter des adeptes.Il y a de quoi se laisser gagner par le pessimisme. A la tte de l'Etat occidental, le mensonge par omission a pollu toute la communication gouvernementale. Les citoyens des socits dmocratiques en l'occurrence les Amricains ont d longtemps s'accommoder de la censure (celle-ci demeure). Ils doivent maintenant dcrypter les discours officiels. En rsulte une mfiance gnralise et prilleuse. Andrew Bacevich succombe des sentiments encore plus noirs lorsqu'il dcrit un Moyen Orient domin par Thran, le Hamas et le Hezbollah. C'est tout--fait discutable. J'admire cependant cet universitaire qui peut dans le mme article combiner un respect douloureux pour son pays et ses institutions avec une grande libert de ton. Il conclut trs durement : Dans les faits, la stratgie de 'transformation' a avort. Lamentablement. Ds que nous en serons persuads, nous pourrons en tirer tous les enseignements. On sent l'envie de rebondir, un pessimisme sans dfaitisme.Les Franais pratiquent l'exercice inverse, me semble t-il. Dans les hautes sphres politiques ou mdiatiques, on observe un unanimisme oppressant, les ravages d'une doctrine venue d'outre Atlantique, rcupre avec une quinzaine d'annes de retard. Le terrorisme constitue l'horizon indpassable (...) de la pense stratgique hexagonale. Paris cherche appliquer avec dix ou vingt fois moins de moyens financiers et militaires ce que Washington a mis en place ds 2001 en Afghanistan : obsession pour un renseignement cens rpondre des questions qui se formuleraient d'elle-mme, got pour les forces spciales rputes combattre les pirates de l'ocan indien, les dtourneurs d'avion, les rebelles centrafricains ou les montagnards afghans, volont de s'quiper de tous les matriels. Celui qui veut se convaincre du rsultat attendre gagnera lire l'article traduit in extenso...[1] 9 divis par 11, plus 7. A l'issue des sept annes qui ont suivi les attentats du 11 septembre, on peut dsormais juger assez srement la stratgie adopte par l'administration Bush sous le vocable 'Guerre sans limites au terrorisme'. Cette stratgie a chou partout et sans aucun espoir concernant une russite de dernire minute. Toutes affaires cessantes, il convient d'admettre cet chec : la nation attend que l'on remise la doctrine Bush et que l'on en adopte une autre. Malheureusement, aucun des deux candidats l'lection prsidentielle ne parat en mesure de s'atteler la tche.Le 30 septembre 2001, le secrtaire d'Etat la Dfense, Donald Rumsfeld, remettait au prsident Bush une note synthtisant les buts poursuivre dans la 'guerre contre le terrorisme'. Emanant de l'analyste en stratgie Douglas Feith, elle commenait ainsi : 'Si la guerre ne met pas plat les quilibres gopolitiques, les Etats-Unis n'auront pas atteint leurs objectifs.' Ceux-ci Feith s'en est expliqu par la suite son suprieur visaient 'transformer le Moyen Orient, et au-del, l'ensemble du monde musulman'.Avec d'autres fonctionnaires de l'administration Bush, Rumsfeld et Feith partageaient les mmes illusions religieuses. Tous appartenaient l'Eglise de la Trs Chre Nation, une petite mais trs influente secte de Washington cre l'poque de la Guerre Froide. Les croyants confessaient une foi commune dans le caractre indpassable de la puissance amricaine. La stratgie de la 'transformation' en a dcoul directement. Les membres de la secte se sont en outre mutuellement aveugls quant leurs capacits de faire face la situation. Quelle chance avons-nous eu d'coper de tels hurluberlus pour sauver la nation en pril !Modifier le monde musulman constituait une tche titanesque. Cela impliquait de prendre en compte des aspects politiques, conomiques, sociaux et culturels. Le 18 septembre 2001, Rumsfeld a voqu mystrieusement la ncessit pour 'eux' de 'changer de vie'. Il n'a pas prcis qui il faisait allusion. L'ellipse tait claire. Tout le monde avait saisi qu'il voquait les musulmans rsidant dans un arc gographique allant du Maroc l'ouest, jusqu'au sud des Philippines l'est.L'action entreprise, malgr ses ambitions gnreuses, n'a pas produit le succs escompt. Une fois pacifi ('libr') le Moyen Orient tait cens devenir une rgion hostile aux terroristes ennemis des Etats-Unis, une rgion dbarrasse des possesseurs d'armes de destruction massive, de ses tyrans habitus ne rendre aucun compte pour leurs sanglants agissements. Dans ce nouveau Moyen Orient, les femmes allaient enfin pouvoir vivre normalement, et une paix stable permettre l'exploitation sans tracas des richesses minires contenues dans le sous-sol. Isral gagnait aussi au change dans cette perspective. L'antibiotique liminait non pas une, mais plusieurs infections simultanes. Or, et pour filer la mtaphore, on ne fait place nette qu'en donnant un norme coup de balai.A l'heure de l'excution du plan, rien ne paraissait impossible. Dans les heures qui ont suivi le 11 septembre, Rumsfeld a donn l'ordre ses adjoints de prparer un plan comprenant 'trois, quatre, voire cinq volets en un seul'. Ds dcembre 2001, le Pentagone a pressenti que les Etats-Unis remportaient la 'premire manche' en Afghanistan. L'administration Bush n'a pas attendu une seconde pour claironner, et faire cette occasion l'annonce d'une large victoire. L'attention s'est ensuite porte sur un deuxime thtre d'opration : l'Irak. J'avance un pion, je bouge une tour et c'est bientt chec et mat. William Kristol et Robert Kagan ne s'en laissent pas compter l'poque lorsqu'ils crivent : 'on saura dans les mois qui viennent si l'opration en Irak porte ses fruits. Dans le cas contraire, le revers sera terrible.' Faut-il enfoncer le clou ? Les armes (introuvables) de Saddam Hussein et son soutien (inexistant) Al Qaida ont seuls convaincu Bush de se lancer dans cette aventure. Un peu comme les Russes prtextant la paix menace en Osstie du Sud et envahissant la Gorgie.L'Irak a simplement offert l'opportunit de mener bien un projet relevant de la pure spculation. 'Une fois Saddam renvers' s'est enthousiasm Max Stinger de l'Institut Hudson, 'il y aura des explosions en chane dans les pays avoisinants'. Les succs irakiens offriraient aux Etats-Unis le rle de puissance incontournable. Saddam chti, comme le pronostiquaient le noconservateur influent Richard Perle, 'les Amricains obtenaient un blanc-seing pour intimider tous les autres dictateurs.' Et Perle de dresser la liste des nombreuses fortes ttes bientt ramenes dans le rang.Les hauts-fonctionnaires engags derrire Bush ont gomm toute asprit dans leurs interventions publiques, dlivrant des messages polisss et consensuels. 'Cela fait 60 ans Condoleezza Rice s'exprimait devant un parterre d'tudiants au Caire que les Etats-Unis poursuivent en vain une politique au nom de la stabilit. Du point de vue du respect de la dmocratie, le rsultat produit n'est pas satisfaisant au Moyen Orient. Il est temps d'en finir'. Rien de moins. 'Nous allons effectuer un complet revirement, et dsormais encourager les aspirations dmocratiques de chacun des peuples de la rgion'. Il fallait que les musulmans du monde entier se persuadassent que l'arme amricaine poursuivait d'innocents objectifs. Qui sait si Rice tait sincre ?En tout cas, volont d'apporter la libert ou pas, sept ans aprs, nous ne pouvons nous voiler la face. Nous avons gaspill d'immenses ressources et bascul dans la dette. Notre dpendance financire vis--vis de l'extrieur constitue dsormais une menace autrement plus proccupante que celle reprsente par Ben Laden. Pour tout dire, avant mme l'occupation de l'Irak, on pouvait devenir l'issue. Quand le pays a t occup, la messe tait dite, comme l'anticipaient Kagan et Kristol. Le gouvernement provisoire install Bagdad n'y changera rien. Admettons un instant que l'Irak rintgre demain la communaut des nations, personne n'osera soutenir que l'opration 'Iraqi Freedom' puisse servir de modle imiter. Le snateur McCain jure qu'il maintiendra sur place les troupes aussi longtemps que ncessaire. Mais curieusement, il ne propose pas d'appliquer le schma stratgique suivi en Irak d'autres pays dangereux de la zone (Syrie, Iran, voire Pakistan). Celui-ci est rentr dfinitivement dans les livres d'histoire : d'un point de vue oprationnel, il est enterr.Les Etats-Unis ne changeront pas le monde dans le sens souhait par les hauts fonctionnaires prcdemment cits. Le Moyen Orient ne connatra pas d'explosions en chane salutaires, mais subira en revanche la mainmise de Thran, du Hamas et du Hezbollah. Compte tenue de la dconfiture en court, plus personne n'est intimid par la puissance amricaine. Les Russes n'ont pas manqu d'en tirer les enseignements dans le Caucase. Le raz-de-mare dmocratique, Rice l'a rang dans son cartable. L'Islam rsiste la cure de changement annonce, en tout cas celle impose de l'extrieur. Nous ne changerons pas les musulmans.Dans son livre rdig avant 2003, Kristol confiait cette prophtie : 'On sait que la mission commence Bagdad, on ne sait ni o ni quand elle s'achvera. Dans les faits, la stratgie de 'transformation' a avort. Lamentablement. Ds que nous en serons persuads, nous pourrons en tirer tous les enseignements. [TRADUCTION JdeL]*5 juin 2009. Discours du Caire. En ce dbut d'aprs-midi du 4 juin 2009, le prsident amricain de passage en Egypte [photo / The Economist] a tenu un discours la fois attendu et trs prpar. Tout l'intrt de l'analyse se situe ce niveau. Car il s'exprime en tant que prsident amricain, et non comme intellectuel ou dignitaire religieux. Qu'il ait truff son intervention d'inexactitudes, d'oublis ou mme de contre-sens compte peu au regard de l'intention affiche, la rconciliation entre l'Amrique et les musulmans. Il fait montre de bonne volont.Un ou deux passages se rvlent assez convaincants, en particulier dans le dernier tiers, sur le thme du droit des femmes. Mais il me semble bien plus utile de remettre le discours du Caire dans une perspective gopolitique, afin de mettre en lumire la continuit de la politique trangre amricaine. Le prsident des Etats-Unis dit s'adresser aux musulmans du monde entier, y compris aux citoyens de son pays adhrant cette religion. Il part du principe que la tribune partir de laquelle il a pris la parole est naturelle, compte tenu des vnements qui ont succd aux attentats du 11 septembre 2001. Or il est l'hte d'un rgime autoritaire, tout entier dpendant de l'aide amricaine.Revenons cependant brivement en arrire. Les Etats-Unis reprsentent une puissance originale l'chelle mme de l'histoire des derniers sicles. Le pays ne domine aucun empire [Une poigne de noix fraches]. Les Amricains se targuent de possder la premire arme du monde, mais celle-ci s'est contente jusqu' une priode rcente d'interventions ponctuelles en dehors du pays. Certains voient dans le got trs rpandu outre - Atlantique pour l'isolationnisme la preuve que ses dirigeants agissent en politique trangre comme si les Etats-Unis taient une le. De fait, les Etats-Unis sont devenus la premire puissance mondiale parce que les Europens ont pendant des dcennies choisi la politique du pire, la voie de l'anantissement collectif. Il n'est pas utile d'en rappeler les principales tapes. Aprs 1945, l'affaiblissement des Europens se manifeste d'autant plus que l'URSS semble en mesure de disputer par les armes ou par son potentiel industriel la suprmatie amricaine. En tant qu'Europen, je n'oublie bien sr ni ce pass, ni le gant relev par les Amricains ds 1944, puis pendant la Guerre Froide : Ich bin ein Berliner sonne toujours mes oreilles.Mais il me parat difficile de nier l'vidence : les premires impasses gopolitiques ne datent pas de l'aprs 1945. Jusque l cependant, leurs effets restaient d'ampleur modeste. Il serait trop long d'voquer l'ensemble des relations internationales contemporaines, le problme des non - aligns, l'occupation de l'Europe orientale par l'Arme rouge, la construction europenne, ou encore le soutien Isral. Pour en arriver au discours du Caire, je me bornerai deux lignes directrices valant d'une administration une autre, la premire touchant au rapprochement avec l'Iran (jusqu'en 1979) et avec l'Arabie Saoudite pour assurer l'approvisionnement nergtique des Etats-Unis. Les liens constamment entretenus avec la monarchie saoudienne ont t la fois continus et cyniques. Plus l'Arabie Saoudite - premire rserve mondiale d'hydrocarbures - s'enrichissait grce ses ventes ptrolires, plus Riyad finanait la construction de mosques un peu partout dans le monde, l'aide aux Palestiniens rfugis, ou encore le fonctionnement de confrries et associations islamiques l'extrieur de l'Arabie Saoudite. Aprs l'invasion de l'Afghanistan par l'Arme rouge en 1979, Washington ne s'est pas prive de dtourner l'avantage de l'Occident ces rseaux afin d'pauler les combattants afghans via le Pakistan. Avec les consquences funestes que l'on connat.L'autre ligne directrice de la politique trangre amricaine s'est applique ses allis europens, pays colonisateurs. Le soutien de la Maison-Blanche aux nationalistes du Tiers-Monde et plus gnralement la cause de la dcolonisation a t aussi continue que la prcdente, mais nettement plus teinte d'idalisme, en rfrence l'histoire de la guerre d'Indpendance amricaine, formalise officiellement l'poque de la prsidence Wilson. Certes, force, la rgularit des appuis a mis mal l'idalisme mis en avant au nom des droits de l'homme. Dans la sphre musulmane, la plupart des rgimes autoritaires ont bnfici de l'aide plus ou moins discrte des Etats-Unis, pour peu qu'ils aient affich une hostilit l'URSS : en Indonsie, au Pakistan, en Iran, en Irak, en Egypte, et au Maghreb. La France a pay cher le prix de cette politique, l'Algrie devenant indpendante aprs 1962. Tous ces pays ont tt ou tard chass les puissances coloniales. Mais qu'ont retir les populations de la dcolonisation ? Pour un Maroc la situation relativement contraste, combien compte t-on de pays placs sous l'autorit d'un pouvoir honni, mais dfendu par Washington au nom d'une politique trangre inchange, l'alignement pro-Occidental ? [Une poigne de noix fraches].Ces quelques lignes sont tombes depuis longtemps dans le domaine public, mais Barack Obama n'en a souffl que quelques mots, trs orients [1]. De la chronologie, il ne reste que le 11 septembre 2001. Son prdcesseur la Maison-Blanche a engag son pays dans une guerre sans ennemi dclar. Aucun procs gnral n'a t organis la suite de l'effondrement des tours. Aucune rflexion n'a t mene sur les limites d'une diplomatie et d'une stratgie entirement rorientes la lumire de ce seul vnement [Une poigne de noix fraches]. Mais G.W. Bush pouvait arguer de l'urgence. Il doit aujourd'hui ventuellement regretter sa prcipitation. Barack Obama envoy par les lecteurs la Maison-Blanche en octobre dernier aurait - lui - matire discuter cette date fondatrice. Or il s'y refuse.L'arme amricaine intervient pourtant directement en Irak et en Afghanistan, pesant par ricochet sur les affaires intrieures de la plupart des pays du Proche et du Moyen - Orient. Les mois passent et la rcolte qui s'annonce n'est gure brillante [Drone de guerre]. Et pourtant, ne juge t-on pas l'arbre ses fruits ? Le prsident amricain n'a pas prononc le mot terrorisme. La belle affaire ! Quels buts les gnraux amricains poursuivent-ils dans ces conditions [Une poigne de noix fraches] ? Barack Obama ne considre t-il pas les oprations militaires en cours comme justes et lgitimes, alors qu'elles sont au contraire discutables et probablement impossibles achever [2] ? Joue t-il le rle de Johnson intensifiant l'intervention amricaine au Vietnam ou de Nixon dcidant un peu plus tard le dpart du Sud - Vietnam et la fin de la guerre ?Dans un de ses derniers paragraphes - je reprends in extenso - Barack Obama conclut en prophte : Je sais qu'un grand nombre de gens - musulmans et non musulmans - se demandent si nous arriverons vraiment prendre ce nouveau dpart. Certains veulent attiser les flammes de la division et entraver le progrs. Certains suggrent que a ne vaut pas la peine ; ils avancent qu'il y aura fatalement des dsaccords et que les civilisations finissent toujours par s'affronter. Beaucoup plus ont tout simplement des doutes. Il y a tellement de peur, tellement de mfiance qui se sont accumules avec les ans. Mais si nous choisissons de nous laisser enchaner par le pass, nous n'irons jamais de l'avant. Je veux particulirement le dclarer aux jeunes de toutes les fois et de tous les pays, plus que quiconque, vous avez la possibilit de r-imaginer le monde, de refaire le monde. Tout est dans tout et rien dans rien. Mais qu'offre ce discours du Caire, si ce n'est le fruit d'une pense approximative et syncrtique, assez loigne de l'ide de ce que l'on peut se faire de la civilisation, au moins une suite de bons sentiments ? Le pass est certes convoqu, mais un pass assez vague, auquel on se rfre au dtour d'une phrase, sans soin ni prcision. Je note au fil de la lecture. Le Caire est une ville essentielle pour l'Islam ; mais c'est en partie par l'importance de la basse valle du Nil et plus directement par la proximit d'Alexandrie, entre les IIme et IVme sicles au moins, la premire ville de la chrtient naissante : Clment d'Alexandrie, Origne et Athanase. Nos deux peuples. Barack Obama voque l le peuple amricain et le peuple musulman (au lieu de l'expression traditionnelle de l'ouma, ou assemble des croyants). On pourrait s'amuser de la question qu'est-ce que le peuple amricain ?, et relever que l'Amrique anglo-saxonne dconsidre souvent l'Amrique latine, celle-l mme qui a incorpor l'hritage arabo-andalou.Mon vcu : cette expression prte sourire, s'agissant d'un prsident en fonction. Il y a eu plusieurs prsidents amricains d'origine nerlandaise, un d'origine irlandaise. Ils n'en ont pas inflchi pour autant la diplomatie amricaine. Un peu plus loin, on apprend que l'Islam a permis la Renaissance et les Lumires. Puis on saute du 11 septembre Buchenwald et la justification laborieuse de l'existence d'Isral. La situation des Palestiniens est juge insoutenable : mais encore ? Je ne m'arrte pas sur l'allusion l'Andalousie Pendant l'Inquisition (comme rfrence d'Islam tolrant ?), aux Etats-Unis grand pays musulman (sic.) , ou au pays du Golfe comme modles de dveloppement harmonieux (...). Une allusion me fait sursauter. Que vaut l'appel la dfense des minorits religieuses si l'on voque une Indonsie respectueuse des chrtiens ! Dans l'archipel des Clbes, et en particulier Sulawesi, des centaines de chrtiens ont t rcemment massacrs [Un rhinocros au-dessus du Pacifique]. Pour tre tout fait complet, Barack Obama aurait pu aussi parler des musulmans minoritaires en Chine communiste ou en Inde, et victimes d'ostracisme ou de perscution.Le plus tonnant apparat dans l'expression droutante notre relation, propos du dialogue ncessaire entre les Etats-Unis et le monde musulman. Je ne me prononce pas ici sur le fond, mais sur les rfrences. Qu'un prsident des Etats-Unis cite le Maroc comme premier pays reconnatre les Etats-Unis laisse pantois. Les Etats-Unis ont-ils ce point besoin d'auxiliaire qu'ils ferment les yeux sur les rgimes politiques et sur l'tat des socits concernes [Le loup est las] ? Ainsi, la France et le Royaume-Uni rtrogradent-ils au rang des connaissances loignes, et non des amis proches. Mais le prsident amricain ne s'arrte pas l. A trois reprises, il parle du Saint Coran et pas de la Sainte Bible. Certes, la formule tonne. Mais qu'en dit-il au juste si ce n'est des banalits entendues dans un cabinet de psy new-yorkais ? Pour progresser, il faut se parler et se comprendre.Il est plus facile de froisser ses amis que de dsarmer ses adversaires ou ses ennemis. En fin de compte, les bons sentiments participent d'une tradition solidement ancre dans l'histoire diplomatique occidentale. Le prsident amricain en visite au Caire truffant son allocution de rfrences aux Pres fondateurs n'en disconviendra pas. Qu'il prenne le contre-pied des no-conservateurs rjouit le plus grand nombre. C'est pourtant un peu court : la dmocratie, c'est ce qu'il y a de mieux, mais on ne va pas l'imposer... assne t-il ! Je suis venu ici au Caire en qute d'un nouveau dpart pour les tats-Unis et les musulmans du monde entier, un dpart fond sur l'intrt mutuel et le respect mutuel, et reposant sur la proposition vraie que l'Amrique et l'islam ne s'excluent pas et qu'ils n'ont pas lieu de se faire concurrence. Mais que valent les bonnes intentions si l'action demeure inchange ? Le prsident amricain peut-il ngliger le contexte conomique pour mener sa stratgie en Afghanistan ou en Irak ?Discours de circonstance, plutt que discours de civilisation... De la part d'un homme cultiv et intelligent, je ne vois gure qu'une explication : il s'adresse des Occidentaux, qu'ils soient conquis d'avance ou dans l'incapacit de relever les lieux communs et les inexactitudes. De l'eau coulera sous les ponts avant qu'un prsident amricain reconnaisse que l'idalisme ne fait pas bon mnage avec la politique trangre d'une grande puissance. Il faudrait accepter pour cela de rendre Csar ce qui est Csar, et Dieu ce qui est Dieu... L'Occident chrtien a mis quinze sicles avant de commencer appliquer cette parole d'Evangile.[1] Les relations entre l'islam et l'Occident se caractrisent par des sicles de coexistence et de coopration, mais aussi par des conflits et des guerres de religion. Dans un pass relativement plus rcent, les tensions ont t nourries par le colonialisme qui a priv beaucoup de musulmans de droits et de chances de russir, ainsi que par une guerre froide qui s'est trop souvent droule par acteurs interposs, dans des pays majorit musulmane et au mpris de leurs propres aspirations. Discours du Caire, le 4 juin 2009.[2] La situation qui prvaut en Afghanistan illustre les objectifs de l'Amrique et la ncessit de collaborer tous ensemble. Voil maintenant plus de sept ans, forts d'un large appui de la communaut internationale, les tats-Unis ont donn la chasse al-Qada et aux talibans. Nous avons agi de la sorte non par choix, mais par ncessit. Je suis conscient que d'aucuns mettent encore en question ou mme justifient les vnements du 11 Septembre. Mais soyons clairs : Al-Qada a tu prs de trois mille personnes ce jour-l. Ses victimes taient des hommes, des femmes et des enfants innocents, venus d'Amrique et de beaucoup d'autres pays, et qui n'avaient rien fait personne. Mais al-Qada a choisi de les tuer sans merci, de revendiquer les attentats et il raffirme aujourd'hui encore sa dtermination commettre d'autres meurtres une chelle massive. Ce rseau a des membres dans de nombreux pays et il essaie d'largir son rayon d'action. Il ne s'agit pas l d'opinions dbattre - ce sont des faits combattre. Eh bien, ne vous y trompez pas : nous ne voulons pas laisser nos soldats en Afghanistan. Nous ne cherchons pas - nous ne cherchons pas y tablir des bases militaires. Il nous est douloureux pour l'Amrique de perdre ses jeunes gens et ses jeunes femmes. La poursuite de ce conflit s'avre coteuse et politiquement difficile. Nous ne demanderions pas mieux que de rapatrier tous nos soldats, jusqu'au dernier, si nous avions l'assurance que l'Afghanistan et maintenant le Pakistan n'abritaient pas d'lments extrmistes dtermins tuer le plus grand nombre possible d'Amricains. Mais ce n'est pas encore le cas. / Discours du Caire, le 4 juin 2009.*23 fvrier 2013. Retour sur la Campagne de Russie (1812-13) La campagne militaire voque cumule les dfauts de conception. Elle est organise des centaines de kilomtres de ses bases, ce qui implique un tirement des lignes d'approvisionnement. Les deux tiers des effectifs, 600.000 hommes au dpart, sont constitus de divisions trangres (Polonais, Rhnans, etc.). Celles-ci ne sont pas rompues aux dplacements de l'arme franaise formaliss lors de la campagne de 1805 : quipement minimum et haltes rduites.La Grande Arme parcourt une rgion essentiellement rurale (trois tapes 'urbaines' correspondent des villes importantes, Wilno, Vitebsk et Smolensk) dont les formes naturelles sont domines par une fort de rsineux qui facilite le harclement et l'embuscade. Les paysans russes vivent d'une polyculture organise autour d'une activit principale, l'levage : que les troupeaux soient disperss et il ne reste plus grand chose pour nourrir des dizaines de milliers de soldats.La Grande Arme suit un trajet septentrional, qui contourne les principales rgions cralires (Ukraine). Son itinraire est coup de plusieurs cours d'eaux larges aux rives marcageuses, commencer par le fleuve Niemen ; mme si l'objectif perceptible a manifestement t de suivre la ligne de sparation des eaux entre le bassin fluvial de la Dina (qui se jette dans le golfe de Riga, c'est--dire la Baltique) et celui du Dniepr (qui se jette dans la mer Noire).Les deux critiques principales portent toutefois sur la date de dpart, manifestement trop tardive (fin juin 1812), et sur la destination. Pourquoi Napolon choisit-il de rallier Moscou, alors que ce n'est plus la capitale des tsars : la ville est d'ailleurs brle sans trop de dommages pour l'Etat russe, juste avant l'entre des Franais ? Saint-Ptersbourg est plus rapide atteindre, plus facile ravitailler par voie maritime, et surtout plus apte coller au projet gopolitique ; Napolon enrage de voir la Russie commercer avec l'Angleterre. Atteindre l'interface entre la Russie continentale et la Baltique aurait permis de renforcer le Blocus...En s'arrtant en Espagne au lieu de conqurir le Portugal, l'arme napolonienne peut toujours esprer contrler la pninsule - on sait ce qu'il est advenu - ; dans un pays continent, qui peut croire faire cder le tsar, mme l'issue d'une victoire dcisive ? On voit en tout cas clairement que la droute de la Grande Arme ne s'explique pas cause d'un facteur accidentel (le froid ou les poux), mais bien par la combinaison de facteurs prvisibles. Il est donc vain de reconstituer les vnements en gommant l'un ou l'autre de ces accidents. Avec des 'si', on gagne une campagne militaire !Un compte-rendu tombe point nomm pour montrer quel point les historiens bousculent aujourd'hui les rcits piques. Il s'agit d'une confrence donne le 19 octobre dernier (2012) aux Rendez-vous de l'Histoire de Blois. L'intervention s'intitulait La campagne de Russie corrige par de nouvelles sources, et avait pour intervenants Marie-Pierre Rey et Dominic Lieven. On doit la premire L'effroyable tragdie (dont le sous-titre est Une autre histoire de la campagne de Russie) qui dit tout d'une campagne qui tue ou disperse 95 % des effectifs de dpart, et au second La Russie contre Napolon.Marie-Pierre Rey a donn ici une interview qui permet de se faire une ide de son travail, cette fois sans intermdiaire. Elle explique avoir commenc tudier le tsar Alexandre 1er, qu'elle dcouvre trs au fait de la situation gopolitique europenne en 1810, parce qu'il bnficie de renseignements immdiatement exploitables (espions, migrs franais, etc.) : les lites civiles et militaires russes parlent la langue de Diderot... Par la suite, son histoire de la campagne doit beaucoup son souci de sortir des sentiers battus en laissant de ct les sources des grands hommes dj maintes fois exploites : tant du ct franais que du ct russe. Seules (?) les petites sources font la grande histoire." J'ai donc cherch crire une histoire globale de la campagne de 1812 qui, en s'appuyant sur des sources la fois russes et franaises, s'intresse aux aspects humains et sociaux du conflit sans pour autant en ngliger les aspects militaires. [...] C'est en quelque sorte une histoire polyphonique de la campagne que j'ai voulu crire en m'appuyant sur les correspondances, les journaux intimes, les mmoires, les chansons et les caricatures notre disposition. "Marie-Pierre Rey fait malheureusement preuve de trop de modestie par la suite. C'est un vrai pav dans la mare qu'elle lance. Primo, le tsar et ses gnraux ont pris ds le dpart pour hypothse une invasion de la Grande Arme. Cela n'a l'air de rien, mais cela ruine une ide pourtant largement partage : celle de l'initiative stratgique franaise..."... la stratgie russe de la retraite n'a pas t le fruit du hasard ou des circonstances, mais que ds 1810-1811, elle a t pense, conue et dbattue au sein du ministre de la guerre et de l'Etat-major avant d'tre adopte par Alexandre Ier. "Secundo, les Russes partagent face aux envahisseurs un fort patriotisme. Celui-ci rsulte toutefois d'une campagne de prparation psychologique de plusieurs mois, en amont, en particulier via l'Eglise orthodoxe. Du ct franais, on a beau jeu de dnigrer l'obscurantisme des Russes, mais la propagande est d'autant plus efficace qu'elle s'appuie sur des faits rels : les massacres de la Terreur, les perscutions religieuses (certes oublies depuis le Consulat) et plus encore la force utilise par Napolon contre le pape Pie VII : destruction des Etats pontificaux et sacre imprial Paris.Tertio, la Grande Arme a perdu un tiers de ses effectifs avant que les troupes coalises contre la Russie n'affrontent les grands froids. La malnutrition, le typhus et les dsertions dmontrent que l'insuffisante prparation logistique des Franais se paie en milliers de vies humaines. L'hiver et l'immensit russe servent de prtexte."Au fil de la campagne, les batailles (Smolensk, la Moskova, Maloaroslavets) ont toutes t acharnes et terriblement coteuses en vies humaines mais ce sont les dysfonctionnements logistiques et l'incapacit de l'empereur des Franais comprendre la nature de la guerre mene par les Russes qui ont en ralit caus la perte de la Grande Arme."Il apparat cependant que la campagne de Russie n'a pu merger en tant qu'vnement historique. Elle s'est transforme en guerre patriotique une vingtaine d'annes seulement aprs les faits.Dominic Lieven donne le mot de la fin, qui insiste sur le caractre fondateur de la campagne de Russie (Tchakovski et Tolsto) , et sur le principal ennemi du soldat : la logistique. Il a calcul que pour nourrir 120.000 hommes et 40.000 chevaux, il fallait chaque jour l'quivalent de 850 charettes ; autant dire que la Grande Arme escompte vivre sur le pays. Or le pays n'en a pas les moyens. Il va sans dire que la cavalerie cosaque a accentu les difficults d'approvisionnement de l'envahisseur, en pratiquant la terre brle et en harcelant les quipages transportant les vivres...Plus de 100.000 Franais ont perdu la vie en Pologne, en Lituanie et en Russie, entre l't 1812 et l'hiver 1813. Il y a pire que l'oubli, l'incomprhension de leurs descendants : quel mdia franais a couvert la crmonie de l'automne 2010 ?*9 dcembre 2013. En faisant un bref balayage de mes derniers posts consacrs aux questions stratgiques, je constate une volution imperceptible. Leur dimension thorique ne relevant pas de mes attributions d'enseignement Cotquidan, j'ai sans doute prfr prendre du champ, et m'en tenir ce qui relevait de la dimension historique ( propos de la retraite de Russie, par exemple) ou gographique. Il me faut bien avouer des incursions au Proche-Orient - sur Isral victime de son premier ministre dmagogue - en Afghanistan ou en mer de Chine. Mais y bien regarder, depuis Bacevich, rien ne m'a vraiment fait franchir le pas.A l'Elyse les prsidents s'imaginent de nouveaux chefs de guerre, depuis l'affaire libyenne. L'automne s'achve. Comme le coq chante, les hirondelles migrent..."Il n'y a plus rien en commun entre les lites russes et le peuple" (Ivan Krastev) Plusieurs points percutants sont relever dans cet entretien donn par le politologue bulgare Ivan Krastev. Directeur du Centre de stratgies librales, Sofia, il est l'un des membres fondateurs du European Council on Foreign Relations. L'expression "espace postsovitique" est peu signifiante. Les "rvolutions de couleur" correspondaient une dformation simplificatrice des mdias occidentaux. La comparaison avec les rvolutions arabes tient. "La politique europenne se dfinit davantage par la peur que par l'espoir."Le nombrilisme fait des ravages. "En Russie, deux groupes seulement pensent que l'Occident est dterminant : les associations qui reoivent les donations des fondations occidentales ; M. Poutine et son entourage. La Russie reste un trou noir l'Ouest. "Elle est l'illustration la plus radicale du changement dans les relations entre les lites et le peuple. Les lites russes exploitent les ressources naturelles, pas les masses."L'Union Sovitique reste source d'enseignement pour l'UE. Surtout dans sa priode de dsintgration. "[Que] les cots d'une dsintgration soient trs levs n'est pas une raison suffisante pour viter cette dsintgration.L'un des facteurs qui peuvent conduire la dsintgration, c'est le fait de la croire impossible. Les politiciens ont tendance pousser le systme bout, car ils pensent que le risque est minimal. De mon point de vue, la dsintgration est toujours une consquence inattendue. Une majorit anti-UE n'est donc pas ncessaire pour que l'Union se brise."La guerre contre le terrorisme. Histoire d'un chec amricain en Irak et Afghanistan L'article du 'Vif' comporte plusieurs angles d'attaque, le premier tant li au procs du sergent Robert Bales... Mais j'en retiens un autre. Catherine Gouset dresse une sorte de bilan de dix annes de diplomatie amricaine. On ralise quel point la guerre contre le terrorisme laissera des traces profondes. L'Amrique s'est comme dsarme.Son arme doute. Ses soldats sont extnus. Faute de recrutement suffisant, les priodes sur le terrain s'allongent : de douze quinze mois (lorsque quatre six mois suffiraient amplement). Elles se multiplient, au-del des trois gnralement considres comme raisonnables. Un soldat amricain ayant servi en Irak et/ou en Afghanistan sur cinq, souffre de syndromes post-traumatiques (Post traumatic stress disorder - PTSD). Le recrutement au pied de l'chelle sociale se gnralise, dgradant l'image mme que l'institution peut avoir d'elle-mme."Des candidats ayant des antcdents judiciaires, qui auraient t refuss il y a quelques annes, sont maintenant accepts, explique [un] expert: 'On fait mme dsormais face la prsence de gangs dans certaines bases en Afghanistan. Il y a eu des cas d'enlvements, de racket, d'agressions sexuelles'."Par touches successives, l'arme amricaine risque fort de ne plus apparatre comme un rempart, mais comme une institution extrieure au corps social, quasi dangereuse. Des milliers de rescaps traumatiss dans l'incapacit de se rhabiliter ne vont pas devenir des Rambo en puissance, mais une poigne retourneront l'opinion la dfaveur du plus grand nombre... On ne recensera pas les maris violents et les pres pervers. Moins peut-tre que les suicidaires.Toutes les guerres produisent des vtrans, mais nulle n'a produit autant de rescaps (90 %, contre 50 % au Vietnam), par simple progrs de la mdecine d'urgence : on compte par exemple un grand nombre de double, voire triple amputs... Comme le systme de sant publique amricain n'arrive plus faire face aux besoins psychiatriques de la population, les "surplus" d'origine militaire tombent donc au plus mal. Un ex-soldat n'ayant plus de choix la fin de son engagement, il se rengage et aggrave son traumatisme : le serpent se mord la queue.Intervenir militairement, une mission apprcie par les civils. Abou Djaffar signe un billet d'humeur qui a le principal mrite d'claircir la position d'un homme rflchi. Celui-ci tient coordonner deux positions a priori inconciliables : la plus grande mfiance vis--vis d'une amorce d'engagement occidental en Syrie ET le rejet du gouvernement actuel de ce pays. Notre blogueur fait juste titre le parallle avec l'Algrie en 1992 en montrant que la rpression du rgime syrien il y a deux ans a radicalis (politiquement et religieusement) son opposition, et l'a rendu bien des gards dtestable pour l'Occident. Il fallait donc agir, mais en 2011.C'est prcisment sur ce point que je pousserais le raisonnement d'Abou Djaffar, sans rien ter du reste. L'alliance des Occidentaux avec les monarchies du Golfe relve du compagnonnage avec le diable; les dmocrates sincres le pressentent. Mais on tarde en tirer toutes les consquences par peur de perdre des partenaires conomiques. Reste savoir qui vendrait son ptrole la pninsule arabique en cas de durcissement occidental son encontre ? O s'investiraient les ptrodollars si ce n'est de toutes faons - en partie - l'ouest ?A l'inverse, quiconque s'intresse au droit des minorits (Bahrein), la libert de conscience (religieuse ou non), aux liberts politiques (le Koweit a un Parlement mais pour les autres ?), au sort des immigrs soumis la confiscation de leurs passeports, la question des femmes, au financement d'organisations classes ailleurs comme terroriste (le Hamas pour ne pas le citer), etc. pointe du doigt l'anglisme occidental. Cet Occident prt appuyer une opposition syrienne soutenue bout de bras par le Qatar et l'Arabie Saoudite...La navet cadre bien avec une sainte horreur des massacres d'innocents ; je ne m'en offusque pas. Bien au contraire, je ne considre pas que l'amour du prochain soit un trait occidental dont il faille se dpartir. Mais il ne peut conduire une diplomatie active. Pire, le secours aux supplicis d'hier ne garantit aucun moment le succs d'une opration punitive.Comme le laisse entendre Abou Djaffar la suite de la presse britannique cette semaine, il me semble que les chancelleries occidentales gagneraient afficher leur seul objectif dans cette partie du monde, au lieu d'un engagement direct et prilleux dans une guerre civile qui ne dit pas son nom : la destruction du rgime des mollahs Thran (celui-l mme qui soutient Assad Damas). Parce que ce dernier ne cesse de s'affirmer ennemi de l'Occident, et en vertu du soutien apporter Isral - conditionn un rglement du conflit qui l'oppose aux Palestiniens - ...J'ai toutefois oubli au passage la question centrale; celle de la dcomposition programme de l'Etat. Je destine cette ultime pique aux deux partis de gouvernement qui ont aux cours des trente dernires annes la fois multipli les thtres d'oprations extrieures et rogn les budgets des armes. A la fois us d'un volontarisme militaro-diplomatique (aux cts des Etats-Unis ou non) et vendu la baraque de la Dfense aux amateurs de soldes Opex et aux constructeurs de matriels in-exportables. Le point de dpart remonte la premire guerre du Golfe en 1991 (Mitterrand), accentu par la participation la guerre en Afghanistan (Chirac), avec une acclration lors de l'opration contre Khadafi (Sarkozy) et les rebelles maliens (Hollande).Par la Constitution, nos prsidents dtiennent les clefs de l'excutif. Ils en ont joui comme des prsidents de Conseil Gnral grant des enveloppes budgtaires interchangeables. Cela n'est pas tenable long terme au plus niveau de l'Etat, et pourtant... "Vous souhaitez agir en hommes d'Etat l'extrieur de nos frontires ? Consentez donc caler vos dpenses militaires la mesure de vos ambitions"... Ou alors partez vivre au Costa Rica.L'Excutif franais lch par la Maison-Blanche Qui sait ? Il est peut-tre utile de rappeler aux non-connaisseurs la qualit du gnral Desportes : celle de savoir poser un problme et d'y apporter une rsolution. Pas une boite vide ou une crcelle rcitant des fiches apprises l'Ecole de Guerre. Son interview secouera certaines certitudes. Je m'en rjouis. Deux bmols qui viennent peut-tre du format (?), ou d'une coupure de la journaliste (pour cause de place ?) Ils touchent l'importance donne la France dans la dcision d'Obama de consulter le Congrs, et la dsignation du loup de la fable.Il m'apparat que si la Maison-Blanche ne donne aucun cho au geste va-t-en-guerre de l'Elyse, c'est que l'arme franaise - nul plus que moi ne le dplore - pse peu de choses en cas d'attaque sur la Syrie. Que les Rafale croisent ou non au large de Chypre ne change pas grand chose aux dcisions prises au Pentagone. Alors s'offusquer comme le fait le gnral Desportes... Disons que cela parat disproportionn et vain.L'autre (petit) hic tient la ralit de la force dsigne comme ennemie en dernier ressort ( l'afft, derrire l'hydre syrien). Cette arme reprsente une menace relle... Mais les Iraniens (des villes, majoritaires) touffant depuis trente ans sous le joug des Mollah; les croit-il vraiment prts envahir le Moyen-Orient? L'Iran d'avant 1979 n'tait-elle pas allie d'Isral ? Et si l'arme iranienne fait si peur, combien plus faudra t-il craindre d'autres, installes plus l'Est, donnant sur la mer de Chine, par exemple...?Le vide stratgique franais Avec plaisir, je retrouve la fois l'appris et le rflchi sur le questionnement stratgique. Ce long post dissque le Livre Blanc pour amener le lecteur constater qu'il s'agit d'une grande note de service. Celle-ci a un usage interne, par l'indiffrence de l'opinion, elle-mme coupe des questions stratgiques, faute de dbats dans les sphres intellectuelles. Le Livre Blanc laisse toutes les interrogations ouvertes. Car du point de vue du ministre de la Dfense, l'argent manque tous les niveaux, les personnels sont contraints, les matriels s'usent et le nuclaire ressemble une carabine de foire prive de cible.Qu'ajouter ? Il faut se mfier de l'illusion rtrospective. L'imprialisme amricain - l'expression n'apparat qu'ici, sous mon clavier - s'explique d'abord par la folie des Europens. En 1914 et en 1939. L'URSS, poison pour le monde libre, nat des dsordres gopolitiques de la Premire Guerre mondiale ! Le hasard n'a pas seul pes dans la balance. On peut, comme le blogueur, fustiger Bretton Woods, mais Washington n'a pas forc les dirigeants britanniques dilapider le "trsor" imprial. En un peu plus d'un demi-sicle, de la guerre des Boers jusqu'au terme de la dispersion ( peine camoufle par le Commonwealth), le plus grand empire de l'histoire a disparu tragiquement, laissant un peu partout des plaies bantes. A qui la faute ?Du point de vue franais, je ne partage pas l'idoltrie vis--vis d'un gnral de Gaulle rput par principe gnie stratgique. De ce fait, je ne gaspille pas d'nergie inutile regretter une priode rvolue L'indpendance de la France par rapport aux Etats-Unis s'ancrait mon sens d'abord dans un vcu personnel, celui d'un homme du pass : le gnral mprisait le monde nouveau en gestation sous ses yeux; celui de l'aprs-1945, l're des classes moyennes, de la consommation (et de la vulgarit) de masse.Mais il a agi aussi par rancune personnelle (souvenir de la mfiance de Washington l'encontre de la France Libre), et par ingratitude, dans une poque moins catastrophique qu'il n'y parat pour la France : ainsi la dissuasion imagine par le gnral s'est inscrite dans une politique du nuclaire initie par la Quatrime Rpublique. Il a multipli les soubresauts prilleux : l'Algrie et le monde arabe, Isral, l'URSS, etc. Sans mme parler du Qubec libre, du soutien aux militaires sud-amricains, et quelques autres erreurs de jugement.La stratgie gaulliste a donc souffert de nombreuses dfaillances, mon sens. Mais au moins avait-elle le mrite d'exister. Rien ne l'a remplace, et c'est bien la tragdie rvle chaque Livre Blanc : faiblesse des rfrents historiques, mdiocrit du raisonnement go-stratgique (exemple de l'aire "Guyane-Antilles') et conformisme gagne-petit. J'entends par l une pluie de consquences tombant d'un nuage unique : la compassion mdiatique vis--vis du malheureux